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Le Premier Ministre réhabilite les départements. Après avoir prononcé, sans jugement équitable, la peine capitale contre les conseils généraux, lors de son premier discours de politique générale, le Premier Ministre, à Pau, devant le Congrès de l’Assemblée des Départements de France, réhabilite l’Institution départementale et reconnait son utilité. Une réhabilitation attendue et appréciée. Une injustice réparée L’annonce de la suppression des départements, en moins d’une ligne dans le discours de politique générale, sans la moindre consultation préalable, ressemblait à une regrettable improvisation. Elle violait carrément la Constitution. Et constituait une coupable injustice à l’endroit d’une collectivité qui, pendant deux cent vingt ans, avait servi loyalement la République et les Français. A leur grande satisfaction d’ailleurs. Revenir sur une affirmation malheureuse n’est pas à la portée de tous les hommes politiques, c’est à l’honneur de Manuel Valls d’en avoir eu le courage et la simplicité. Il répare ainsi aussi une vraie injustice. Une réflexion préalable encore lacunaire La réforme territoriale souffre encore d’une grave absence de réflexion préalable. Une lourde confusion demeure dans l’esprit de nombreux acteurs. Représentation démocratique et optimum gestionnaire ne requièrent pas les mêmes tailles, schémas, cartes. D’une démocratie locale, les citoyens attendent un système de représentation conférant une légitimité par une rencontre quasi communautaire entre les représentés et leurs représentants. D’un optimum gestionnaire, on attend une organisation propice au développement, des coopérations techniques, des mutualisations de biens et services. Confondre les deux, c’est inventer des communautés humaines qui n’existent pas et leur conférer un rôle économique dans lesquels elles échoueront. Avec en prime des changements ruineux pour un résultat contreproductif. La démocratie n’est pas une entreprise La démocratie française est fondée sur des communautés d’habitants qui partagent des sentiments d’appartenance à la même terre, par cercles successifs. La commune issue de la paroisse. Le département issu de l’ancien évêché. La nation affirmée en 1989. La région n’étant qu’une addition de départements. Vouloir briser cette matrice humaine que la révolution elle-même s’est résolue à éviter, pourrait ouvrir une aventure dont personne ne mesure aujourd’hui les conséquences sociétales. A l’inverse, les entités territoriales de développement, utilement inspirées de l’esprit d’entreprise, n’attendent pas des structures lourdes comme celles des collectivités. C’est si vrai qu’elles préfèrent toutes rester sous forme d’Etablissements publics. Les métropoles en sont l’exemple. Le droit qui régit nos collectivités empêche souplesse et réactivité qui sont le propre de tout organe performant de développement. Des cadres juridiques à moderniser Ce ne sont pas les territoires qui sont archaïques mais les cadres juridiques qui les régissent. Communes et intercommunalités ne recouvrent pas la même conception de l’organisation de la cité élargie. Rien ne serait pire que d’en faire deux collectivités rivales. L’une doit être l’adjointe de l’autre. La seule vraie réforme consisterait à instaurer le système PLM à toutes les intercommunalités. Les départements sont inscrits dans l’ADN territoriale. Les arracher au génome républicain serait vain et dangereux. Avec un système communal regroupé ils constitueraient la tête de réseau parfaite de distribution de biens et services publics de proximité irremplaçables. Pas à Paris ? So what ! Qu’on donne à Paris, l’organisation de ses rêves, sans tyranniser le reste de la France. Un avenir régional encore à inventer Le vrai problème se situe en fait au niveau de la région. Celles qui peuvent prétendre entrer dans la compétition internationale ne sont pas nombreuses. Elles ne pourront pas concilier cette conquête vers l’extérieur et la gestion quotidienne d’équipements de proximité dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres. Il y a fort à parier qu’elles choisiront des formes juridiques souples et réactives pour leurs actions de développement. On les aura donc lestées d’un fardeau administratif inutile et pénalisant. Il est encore temps dans la loi de répartition des compétences de ne pas s’enivrer de leurs tailles et de leurs missions. Cela évitera à l’Etat une concurrence dans ses propres fonctions et aux autres collectivités une tutelle encombrante. Atterrir sur une réforme raisonnable Le Premier Ministre a fait le plus difficile. Avoir l’ humilité du pragmatisme. Renoncer à l’emporte-pièce. Restaurer le dialogue. Maintenant, il lui revient d’inviter tous les acteurs à bien réfléchir avant de casser ce qui existe. Tout changement doit d’abord produire des progrès. C’est cette seule ligne de force qui doit l’inspirer. Effacer les repères démocratiques serait un recul dans une période dangereuse telle que celle que nous traversons. Mieux vaut y renoncer. En revanche, il peut redoubler de vigueur sur l’allègement du droit qui régit les entités territoriales de développement. Et les délivrer du carcan réglementaire paralysant. La souplesse du droit privé, auquel il serait ajouté une exigence de transparence empruntée au droit public, serait la meilleure décision. Plutôt que de passer une camisole de collectivité territoriale à des ensembles improbables. Et nous aurions enfin les moyens faire réussir la France. Au fait, il y aurait quand même le rôle de l’Etat à trancher ! C’est plus urgent encore. Alain Lambert ancien Ministre Président du Conseil général de l'Orne

Le premier ministre réhabilite les départements

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Le Premier Ministre réhabilite les départements. Après avoir prononcé, sans jugement équitable, la peine capitale contre les conseils généraux, lors de son premier discours de politique générale, le Premier Ministre, à Pau, devant le Congrès de l’Assemblée des Départements de France, réhabilite l’Institution départementale et reconnait son utilité. Une réhabilitation attendue et appréciée. Une injustice réparée L’annonce de la suppression des départements, en moins d’une ligne dans le discours de politique générale, sans la moindre consultation préalable, ressemblait à une regrettable improvisation. Elle violait carrément la Constitution. Et constituait une coupable injustice à l’endroit d’une collectivité qui, pendant deux cent vingt ans, avait servi loyalement la République et les Français. A leur grande satisfaction d’ailleurs. Revenir sur une affirmation malheureuse n’est pas à la portée de tous les hommes politiques, c’est à l’honneur de Manuel Valls d’en avoir eu le courage et la simplicité. Il répare ainsi aussi une vraie injustice. Une réflexion préalable encore lacunaire La réforme territoriale souffre encore d’une grave absence de réflexion préalable. Une lourde confusion demeure dans l’esprit de nombreux acteurs. Représentation démocratique et optimum gestionnaire ne requièrent pas les mêmes tailles, schémas, cartes. D’une démocratie locale, les citoyens attendent un système de représentation conférant une légitimité par une rencontre quasi communautaire entre les représentés et leurs représentants. D’un optimum gestionnaire, on attend une organisation propice au développement, des coopérations techniques, des mutualisations de biens et services. Confondre les deux, c’est inventer des communautés humaines qui n’existent pas et leur conférer un rôle économique dans lesquels elles échoueront. Avec en prime des changements ruineux pour un résultat contreproductif. La démocratie n’est pas une entreprise La démocratie française est fondée sur des communautés d’habitants qui partagent des sentiments d’appartenance à la même terre, par cercles

successifs. La commune issue de la paroisse. Le département issu de l’ancien évêché. La nation affirmée en 1989. La région n’étant qu’une addition de départements. Vouloir briser cette matrice humaine que la révolution elle-même s’est résolue à éviter, pourrait ouvrir une aventure dont personne ne mesure aujourd’hui les conséquences sociétales. A l’inverse, les entités territoriales de développement, utilement inspirées de l’esprit d’entreprise, n’attendent pas des structures lourdes comme celles des collectivités. C’est si vrai qu’elles préfèrent toutes rester sous forme d’Etablissements publics. Les métropoles en sont l’exemple. Le droit qui régit nos collectivités empêche souplesse et réactivité qui sont le propre de tout organe performant de développement. Des cadres juridiques à moderniser Ce ne sont pas les territoires qui sont archaïques mais les cadres juridiques qui les régissent. Communes et intercommunalités ne recouvrent pas la même conception de l’organisation de la cité élargie. Rien ne serait pire que d’en faire deux collectivités rivales. L’une doit être l’adjointe de l’autre. La seule vraie réforme consisterait à instaurer le système PLM à toutes les intercommunalités. Les départements sont inscrits dans l’ADN territoriale. Les arracher au génome républicain serait vain et dangereux. Avec un système communal regroupé ils constitueraient la tête de réseau parfaite de distribution de biens et services publics de proximité irremplaçables. Pas à Paris ? So what ! Qu’on donne à Paris, l’organisation de ses rêves, sans tyranniser le reste de la France. Un avenir régional encore à inventer Le vrai problème se situe en fait au niveau de la région. Celles qui peuvent prétendre entrer dans la compétition

internationale ne sont pas nombreuses. Elles ne pourront pas concilier cette conquête vers l’extérieur et la gestion quotidienne d’équipements de proximité dans un rayon de plusieurs centaines de kilomètres. Il y a fort à parier qu’elles choisiront des formes juridiques souples et réactives pour leurs actions de développement. On les aura donc lestées d’un fardeau administratif inutile et pénalisant. Il est encore temps dans la loi de répartition des compétences de ne pas s’enivrer de leurs tailles et de leurs missions. Cela évitera à l’Etat une concurrence dans ses propres fonctions et aux autres collectivités une tutelle encombrante. Atterrir sur une réforme raisonnable Le Premier Ministre a fait le plus difficile. Avoir l’humilité du pragmatisme. Renoncer à l’emporte-pièce. Restaurer le dialogue. Maintenant, il lui revient d’inviter tous les acteurs à bien réfléchir avant de casser ce qui existe. Tout changement doit d’abord produire des progrès. C’est cette seule ligne de force qui doit l’inspirer. Effacer les repères démocratiques serait un recul dans une période dangereuse telle que celle que nous traversons. Mieux vaut y renoncer. En revanche, il peut redoubler de vigueur sur l’allègement du droit qui régit les entités territoriales de développement. Et les délivrer du carcan réglementaire paralysant. La souplesse du droit privé, auquel il serait ajouté une exigence de transparence empruntée au droit public, serait la meilleure décision. Plutôt que de passer une camisole de collectivité territoriale à des ensembles improbables. Et nous aurions enfin les moyens faire réussir la France. Au fait, il y aurait quand même le rôle de l’Etat à trancher ! C’est plus urgent encore.

Alain Lambert ancien Ministre

Président du Conseil général de l'Orne