Upload
jan-cedric-hansen
View
150
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
Dire et entendre en soins palliatifs -‐ 4ème Journée Régionale de Soins Palliatifs -‐ 14 avril 2015
Dr Jan-‐Cedric Hansen CHNSP 1
Dire et entendre en phase terminale en EHPAD
Le référentiel EHPAD Un EHPAD est un établissement médico-‐social, ce n’est pas un établissement sanitaire. Les référentiels et la hiérarchisation des objectifs sont donc différents. Par exemple en EHPAD, c’est le code de l’Action Sociale et des Familles qui, avant le Code de la Santé Publique, définit le cadre légal, c’est l’ANESM qui, avant l’HAS, propose un référentiel et c’est un lieu de vie et d’accompagnement avant d’être un lieu de soins.
L’Observatoire National de la Fin de Vie (ONFV) nous apprend que l’EHPAD est un lieu dans lequel on constate, en moyenne 20 décès par an dans un EHPAD de 80 lits, dans un contexte où 75 % des résidents décèdent dans l’EHPAD qui les héberge et moins de 20 % des EHPAD transfèrent un résident en Unité de Soin Palliatif (USP). Ce n’est pas dû à une méconnaissance des compétences des USP puisque les deux tiers des établissements ont fait appel au moins une fois à une Équipe Mobile ou à un Réseau de Soins Palliatifs au cours de l’année 2012. C’est bien une compétence spécifique et partagée des EHPAD sur l’accompagnement de la fin de vie y compris de la phase terminale.
L’ONFV nous révèle aussi que seulement 1/3 des résidents évoquent la question de leur devenir avec leurs proches. Lorsque cette question est abordée, c’est d’abord pour évoquer les craintes du résident vis-‐à-‐vis de sa fin de vie (36%) et ses souhaits concernant le décès (32%). Symétriquement, 23% seulement des résidents décédés en EHPAD sont en capacité de s’exprimer de façon lucide au cours des 24 dernières heures de leur vie dans un contexte où 25% d’entre eux ne reçoivent pas de visite d’un proche durant cette période.
Les modalités d’accompagnement de la phase terminale en EHPAD sont laissées à
• l’équipe seule (48% des cas) • l’équipe en relation avec un service spécialisé tel qu’une équipe mobile de soins palliatifs ou d’hospitalisation à domicile (24% des cas)
• l’équipe avec une association spécialisée dans l’accompagnement de fin de vie (15% des cas) • l’équipe avec un service de spécialité et une association de patient (13% des cas)
Les spécificités de la phase terminale en EHPAD par rapport à une USP, sont la rareté des situations ou le résident est en capacité d’élaborer une démarche intellectuelle complexe vis-‐à-‐vis de sa perception propre de sa mort imminente et sa capacité, le cas échéant, à verbaliser le besoin de « régler ses affaires » (résoudre un conflit ancien négligé, revoir un proche oublié, organiser ses obsèques ou sa succession, …). Cela ne veut pas dire que le résident n’aurait pas de perception de sa fin proche, il en a une, et qu’il ne souhaite pas « régler ses affaires », cependant, bien souvent, il ne peut le faire qu’avec ses moyens intellectuels d’abstraction et de communication résiduels comme pour tous les actes de sa vie.
Dire et entendre en soins palliatifs -‐ 4ème Journée Régionale de Soins Palliatifs -‐ 14 avril 2015
Dr Jan-‐Cedric Hansen CHNSP 2
La phase terminale Il convient de s’entendre sur ce qu’est la phase terminale. En premier il convient de faire un rapide retour sur la distinction de 3 situations distinctes que sont la situation palliative, la situation de fin de vie et la situation agonique.
Situation palliative
• Posée par un diagnostic médical, idéalement collégial (staff, synthèse, ...) • Secondaire à une dysrégulation de fonction vitales ou une déficience d’organe terminale • Relève de soins actifs qui rétablissent/maintiennent l’homéostasie et de soins de confort • Optimise l’espérance et la qualité́ de vie • Mesures curatives – telles que MCE, pose d’une Voie veineuse, Lasilix IV, Digoxine, ..., voire Loxen à la SAP, ... – légitimes en cas de décompensation aigue secondaires à une cause intercurrente en fonction du contexte, du pronostic et des possibilités techniques de l’EHPAD Exemples : majorité́ des cancers métastatiques, maladie de Vaquez, Dialyse, DID, ... toute maladie chronique ou incurable
Situation de fin de vie
• Posée par consensus, pluridisciplinaire, idéalement avec des spécialistes du soin palliatif (DUSP, USP, EMSP, ...) et selon un protocole rigoureux qui impose la tenue d’une synthèse de fin de vie
• Acte l’atteinte des limites des soins actifs en raison d’un rapport bénéfices/inconforts inversé et de la perte irréversible de l’homéostasie
• Vise le bien-‐être physique et psychique du patient • Relève essentiellement de soins de confort • Prescrit l’inutilité des mesures salvatrices en cas d’arrêt cardio-‐respiratoire
Situation agonique
• Moment où les fonctions physiologiques essentielles s’épuisent les unes après les autres selon une séquence et une durée, imprévisibles, propres à chacun.
• Confrontation à des comportements du résident qui entrainent une tentative de décryptage par les proches ou les soignants souvent vouée à l’échec car déconnectée d’une volonté ou d’une signification particulière.
• Permet de travailler l’imminence du deuil à faire, à commencer par la transition de la séparation • Requiert l’accompagnement de soignants formés à savoir, le cas échéant, n’être qu’une « présence » pour le résident ou ses proches
La « phase terminale » regroupe la « situation de fin de vie » et celle « agonique » à partir desquelles la perte irréversible de l’équilibre physique et psychique – on parle d’homéostasie – qui caractérisent l’état de dépendance d’un résident, n’est plus compensable par la prise en charge quelle que soit sa qualité.
Cette perte de la capacité de compensation aboutie in fine à « l’interruption définitive, l’anéantissement, de l’ensemble des phénomènes et des fonctions essentielles à la vie».
C’est bien de cette « phase terminale» qui correspond au franchissement d’un seuil, d’un point de non retour qui parle à chacun et « donne du sens » à une situation autrement inextricable, car cette phase terminale, du fait de l’imminence de la mort et de la perte progressive des capacités psychomotrices résiduelles, ne laisse comme futur que le futur antérieur dans son emploi récapitulatif ou hypothétique à propos d'événements déjà passés « Il aura été confronté à bien des tracas dans sa vie ».
Dire et entendre en soins palliatifs -‐ 4ème Journée Régionale de Soins Palliatifs -‐ 14 avril 2015
Dr Jan-‐Cedric Hansen CHNSP 3
L’ANESM et l’ONFV identifient 3 types de trajectoires de fin de vie donc de phase terminale :
• La trajectoire 1, qui correspond à une évolution progressive et à une phase terminale facilement identifiable, cancers notamment (25% des cas)
• La trajectoire 2, caractérisée par un déclin graduel ponctué par des épisodes de détérioration aigüe et certains moments de récupération, avec une mort parfois soudaine et inattendue telles que défaillances cardio pulmonaires, maladies métaboliques, affections de l’appareil digestif etc.(42% des cas)
• La trajectoire 3, définie par un déclin graduel et prolongé, typique des personnes âgées fragiles, et /ou ayant une maladie d’Alzheimer ou maladies apparentées (33% des cas)
Dire Dire quelque chose à quelqu’un c’est avant tout exposer un propos avec l'intention de le communiquer à autrui et d'appeler éventuellement une réponse ou une réaction par cet autrui auditeur.
C’est aussi, raconter, narrer, exprimer un avis, une opinion, énoncer une objection, une critique, révéler quelque chose de nouveau, de personnel. Ce peut être encore convenir, arrêter, fixer, ordonner, commander, …
« À vrai dire », « À dire vrai », « Cela va sans dire », « J'allais dire », « je ne saurais dire », « que dire de plus », « si j'ose dire », « Soit dit entre nous », « Autrement dit », « Proprement dit », « Il ne croit pas si bien dire », « Se dire ses quatre vérités », « N'avoir qu'un mot à dire », ou « n’avoir rien à dire ».
Qui « dit » ou qui a « à dire » en EHPAD en phase terminale ?
Les acteurs du « dire » en EHPAD en phase terminale sont essentiellement le résident lui-‐même, la personne de confiance selon la nouvelle loi Clayes-‐Leonetti, l’entourage du résident, le médecin coordonnateur, le médecin traitant, l’équipe soignante au sens large (capaciteurs, IDE, AS), l’équipe non soignante et les autres résidents.
Dans cette liste, l’équipe non soignante, c’est à dire l’animation, les hôtelières, la coursière, l’équipe de bionettoyage ou les services techniques par exemple, qui participent de manière souvent transparente, donc négligée, à la vie sociale du résident, sont quasi systématiquement exclus des réflexions et discussions relatives à la phase terminale du résident avec lequel ils ont pourtant tissés des liens au cours des nombreux contacts qu’ils ont eu avec lui et son entourage.
Dans le même ordre d’idée, les autres résidents sont, eux aussi, exclus de ces réflexions et discussions alors que beaucoup d’entre eux, de part notre projet de vie et de soins institutionnel et de part les projets de vie et de soins personnalisés mis en place, sont devenus des interlocuteurs proches, voire intimes du résident.
Bien évidemment, le « dire » du résident lui-‐même ne se limite pas aux directive anticipées lorsqu’elles existent (5% des cas).
Tous ont donc « à dire » et « à se dire » des choses en phase terminale.
Dire et entendre en soins palliatifs -‐ 4ème Journée Régionale de Soins Palliatifs -‐ 14 avril 2015
Dr Jan-‐Cedric Hansen CHNSP 4
Que « dire » ou « se dire » en EHPAD en phase terminale ?
Cette question est vaste, elle couvre au minimum tous les champs lexicaux médico-‐techniques liés à la perte irréversible de l’homéostasie, aux bonnes pratiques en soins palliatifs et à la posture de bientraitance d’une part, aux champs lexicaux philosophiques liés à l’accomplissement de soi, au sens de la vie, à la nature duale de la dignité, aux trois questions kantiennes revisitées « qu’aurait-‐il pu connaître de plus ? qu’aurait-‐il pu accomplir de plus ? qu’aurait-‐il pu espérer de plus ? » d’autre part.
La synthèse de fin de vie est un moment privilégié pour « dire » ou « se dire » les choses.
Cette synthèse collégiale, pluridisciplinaire, sur le mode consensuel, permet de déterminer si un résident de l’EHPAD a, ou non, franchit le point de non retour de l’entrée en phase terminale. Comme il existe très peu de publications sur les critères objectifs d’entrée en phase terminale, je vous expose la méthodologie que j’ai mise en place et qui a fait l’objet d’une publication dans une revue de gériatrie à comité de lecture.
Cette méthodologie consiste dans un premier temps à programmer la synthèse à la demande de l’équipe (de sa propre initiative ou plus rarement de l’entourage) ou des médecins (médecin traitant ou médecin coordonnateur) afin que les personnes concernées puisse échanger au sein de l’équipe et avec les autres intervenants.
Au moment de la synthèse, l’AS Réfèrente, ou l’IDE rappelle l’histoire de vie du résident telle qu’elle est connue au sein de l’établissement en incluant les antécédents médico-‐psycho-‐chirurgicaux, l’évolution récente de la clinique et le diagnostic infirmier du jour. Le médecin complète par son examen clinique.
Le médecin coordonnateur commence alors un tour de table dans lequel il pose systématiquement les questions suivantes à l’ensemble des personnes présentes :
Pensez-‐vous que le résident sera encore parmi nous dans 6 mois ? 3 mois ? 2 mois ? 1 mois ? plus de 15 jours ? moins de 15 jours ?
Si le consensus se fait sur « moins de 15 jours » alors le résident est considéré comme ayant franchi le seuil de la phase terminale et sa prise en charge est adaptée de manière pluridisciplinaire selon les modalités choisies par l’équipe dans le respect des bonnes pratiques de soins palliatif et de gériatrie.
L’entourage via la personne de confiance et le médecin traitant sont prévenus respectivement par le cadre et le médecin coordonnateur de la situation et des adaptations de la prise en soins qui en découlent.
Au cours de cette synthèse, dès lors que la phase terminale est actée, 3 questions supplémentaires sont posées à l’équipe :
• Qu’aurions-‐nous dû faire pour ce résident que nous n’avons pas fait ? • Avons-‐nous fait tout ce que nous pouvions faire pour ce résident ? • Qu’aurions-‐nous pu éviter de faire pour ce résident ?
Ces 3 questions ayant pour but d’amener chaque membre de l’équipe à « dire » et à « se dire » sa finalité de la prise en charge du résident concerné, à la confronter à celle des autres, à amorcer une prise de distance professionnelle et à se donner des éléments de langage partagés pour savoir « quoi dire » aux futurs interlocuteurs (le résident quel que soit son niveau de communication résiduel, son entourage, les autres résidents et les membre du personnel n’ayant pas participé à la synthèse).
Dire et entendre en soins palliatifs -‐ 4ème Journée Régionale de Soins Palliatifs -‐ 14 avril 2015
Dr Jan-‐Cedric Hansen CHNSP 5
Il conviendrait aussi, à la suite de cette synthèse, de reformuler une fois de plus les 3 questions kantiennes :
• Que peut-‐il encore connaître ? • Que peut-‐il encore accomplir ? • Que peut-‐il encore espérer ?
Afin que le résident et ses proches, au sens famille et amis y compris d’autres résidents, puissent « dire » et « se dire », de manière verbale ou non verbale, leurs réponses à ces questions qui nécessairement, par les projections induites, leur donneront leur sens propre à cette situation de phase terminale qui nous interpelle, violemment, sur notre propre condition mortelle.
Cette synthèse permet donc de clarifier la confrontation à la mort annoncée, à la mort attendue et y compris à la mort qui n’en fini pas. Pour cette dernière, il est prévu de refaire une synthèse de fin de vie tous les 15 jours pour prendre en charge les fin de vie prolongées qui placent équipe et entourage dans un état de désarroi autrement bien plus difficile à affronter, à réguler et à dépasser.
Entendre Entendre est plus subtil que la simple fonction neurophysiologique de percevoir les ondes sonores et de les décrypter qui correspond au verbe « ouïr » d’ou l’expression « ouï-‐dire » ; entendre signifie surtout prendre connaissance, être informé, saisir intellectuellement la signification, la portée de quelque chose.
Mais entendre ne se limite pas à l’effet du « dire » sur l’auditeur. Entendre s’applique aussi à celui qui « dit » car il signifie aussi bien comprendre une technique ou une activité, être compétent dans un domaine donné, « Entendre les soins palliatif » par exemple.
Entendre donne aussi une interprétation précise à un terme, à une phrase lorsqu'on s'exprime et que l’on veut la faire partager par ses auditeurs pour éviter tout malentendu, comme lors de l’introduction de mon propos lorsque j’ai dit « j’entends par phase terminale … ».
« Entendre un cri », « entendre un bruit », « n'entendre plus aucun bruit », « Entendre les battements de son cœur, un râle, une toux », « entendre des sanglots, le ronronnement d’une conversation, le tic-‐tac d'une pendule », « pénible à entendre », « empêcher d'entendre », « entendre à peine, confusément, distinctement », « Entendre la voix de la raison », « entendre raison ». Mais on peut aussi « Ne pas vouloir en entendre parler » ou « Ne pas entendre de cette oreille » ou au contraire « Faire entendre », « donner à entendre », « laisser entendre », « Se faire entendre » voire « s’entendre sur … ».
Qui « entend » ou qui « s’entend » en EHPAD en phase terminale ?
On retrouve les même acteurs du « dire » à savoir le résident, son entourage, le médecin coordonnateur, le médecin traitant, l’équipe soignante au sens large (capaciteurs, IDE, AS), l’équipe non soignante et les autres résidents et un acteur spécifique de l’écoute, le bénévole de l’accompagnement en fin de vie. Tous sont amenés à « entendre », à tenter de « se faire entendre » et nécessairement à « s’entendre » les uns avec les autres autour de cette phase terminale et de son accompagnement.
Dire et entendre en soins palliatifs -‐ 4ème Journée Régionale de Soins Palliatifs -‐ 14 avril 2015
Dr Jan-‐Cedric Hansen CHNSP 6
S’agissant de la phase terminale – qu’elle soit clarifiée ou ressentie – les schéma habituels de communication deviennent progressivement – voire brutalement – inopérants. Cette désorganisation incontournable doit être repérée et prise en compte.
Une fois de plus c’est la concertation pluridisciplinaire de l’ensemble des points de contact entre le résident et son entourage y compris les bénévoles de l’accompagnement en fin de vie – c’est à dire les membres de l’équipe soignante et les membres de l’équipe non soignante – qui permet de réguler ces schémas inhabituels, « d’entendre » ce que les uns et les autres ont à « dire » et de « s’entendre » sur ce que l‘on a à « dire ».
À mon sens il n’existe que peu de réponses prédéterminées mais bien plutôt une batterie de questions ou de questionnements dont les réponses doivent être co-‐construites ensemble avant de les « dire » pour tenter de « se faire entendre ».
Il serait illusoire d’en faire un inventaire exhaustif mais on peu survoler certaines thématiques récurrentes qui se caractérisent par les difficultés qu’elles soulèvent parfois.
« Qu’entendre » ou que « s’entendre dire » en EHPAD en phase terminale ? En premier, on peut, par exemple, entendre un possible déni de la phase terminale. Qu’il soit le fait du résident ou de son entourage au sens large voire même de l’équipe soignante ou non soignante, ce déni doit être entendu et clarifié. J’entend bien « clarifier » et non « respecter ». En effet, le déni, même s’il donne l’impression de protéger du deuil imminent, peut avoir des effets délétères sur la capacité des proches ou de l’équipe à réussir leur deuil après le décès du résident. Il convient donc de rendre plus clair, plus compréhensible, plus audible, cette phase terminale, notamment grâce à la synthèse de fin de vie, qui autrement reste ambiguë, confuse, voire obscure. Inversement, il est contre-‐productif, voire tout aussi délétère, de vouloir faire entendre à tout prix l’imminence du décès à celui qui ne veut pas se l’entendre dire. Il faut savoir laisser du temps à l’entendement.
Par ailleurs, on peut entendre, par exemple, une demande, une plainte, un cri, un gémissement ou un râle. Sont-‐ils l’expression d’une souffrance somatique ? psychique ? ou bien l’expression d’une anxiété ou d’une angoisse autonome, contextuelle ou s’intégrant dans les stades de Kubler-‐Ross ?
S’agissant du cri, qui plonge l’équipe et les proches dans un état de perplexité anxieuse, qui met à mal tous les modes de communication interpersonnelle installés, il est utile d’essayer d’entendre si le résident crie parce qu’il a mal, parce qu’il est mal ou parce que sa démence ne lui laisse plus d’autre moyen d’expression comme le propose la fiche DECLIC de l’équipe du Dr Gomas.
Mon expérience personnelle de la phase terminale – une vingtaine par an – m’amène à vous proposer un décryptage supplémentaire du cri, du gémissement ou du râle, qui peut, dans certaine situation de déficiences profondes des capacités cognitives, correspondre à une sorte « d’autostimulation apaisante » à l’image du fredonnement ou « humming » des anglo-‐saxons qu’il convient de reconnaître et de respecter aussi difficile à entendre soit-‐il.
En toute hypothèse, seule la concertation pluridisciplinaire incluant les proches – famille, amis, résidents – permet un décryptage le moins subjectif ou projectif possible en repérant les situations d’exacerbation et d’amendement du comportement déstabilisant et surtout en faisant le pari « d’entendre » le sens ou de « s’entendre sur le sens » de ce « comportement déraisonnable qui n’est pas sans raison » comme le soulignent les philosophes à la suite de Pascal.
Dire et entendre en soins palliatifs -‐ 4ème Journée Régionale de Soins Palliatifs -‐ 14 avril 2015
Dr Jan-‐Cedric Hansen CHNSP 7
Il existe aussi des non-‐dits qu’il faut savoir entendre comme le « souhait inavouable » de voir son proche mourir « pour lui épargner des souffrances inutiles » ou projetées ou fantasmées ou réelles. Symétriquement ce souhait peut s’entendre clairement à travers une demande d’euthanasie implicite – voire explicite – provenant du résident ou de son entourage.
Là encore c’est la concertation pluridisciplinaire qui permet l’entendement et la co-‐construction d’une réponse adaptée et du discours qui la porte en s’appuyant sur la Loi Leonetti.
Faut-‐il systématiquement chercher à entendre autre chose derrière une requête apparemment banale ou seulement trop répétitive au goût du soignant ? Que cette requête émane du résident ou de son entourage au sens large ? Peut-‐on entendre le non-‐sens ?
En effet, la phase terminale, notamment au moment de l’agonie est un moment ou coexiste une écoute exacerbée du moindre signe adressé ou supposé adressé par l’agonisant et une quête d’entendement désespérée de tout ou partie de l’entourage comme je l’ai dit dans mon introduction. Qui n’a pas entendu ces interprétations controuvées de l’entourage qui, de plus, en demande la validation à chaque membre de l’équipe qu’ils croisent ? Pourtant les psychologues qui ont étudié la phase agonique insistent sur la prégnance du non-‐sens. Encore une fois, c’est l’approche pluridisciplinaire, la co-‐construction d’un « entendement » et d’un « dire » partagé, qui peut aider à faire accepter ce non-‐sens déroutant pour les tiers.
Et le silence ? Peut-‐on entendre le silence ? Quand doit-‐on le respecter ? Quand peut-‐on le rompre ? Le silence du résident, le silence de son entourage, le silence du soignant ? Pendant la phase terminale le silence est incontournable et nécessaire. L’équipe a tout intérêt à entendre le moment où ce silence est salutaire, attendu, souhaité. Savoir n’être là que pour entendre ce silence avec l’entourage, en présence du résident en phase terminale c’est aussi assumer pleinement son rôle de soignant ou d’accompagnant.
Enfin, peut-‐on entendre le besoin de mourir seul ou entouré ? Qui n’a pas été confronté à cette interrogation en situation de phase terminale en EHPAD ? Nous sommes rarement en capacité de dire quel est le souhait du résident. Pourtant, il est fondamental de l’entendre et de le dire à l’entourage. Personnellement j’ai fait le choix de dire systématiquement aux proches qu’existent ces deux possibilités et qu’il est difficile de savoir laquelle sera choisie par le résident. Ce discours systématique, s’il n’est pas toujours entendu dans un premier temps, permettra de donner du sens après le décès surtout si celui-‐ci se déroule au moment où « j’ai dû m’absenter pour aller aux toilettes » ou « pour donner un coup de fil » comme se le reprochent souvent celui ou celle qui veillait.
Quid du malentendu et de l’indicible En phase terminale, tous les malentendus possibles peuvent aboutir à une situation de défiance qui vient compliquer la prise en charge et en soins de cette phase terminale.
Quel professionnel de santé travaillant en EHPAD ne s’est pas brutalement entendu dire des injonctions paradoxales telles « qu’il/elle s’aggrave, on n’arrête pas de vous le dire mais vous ne faites rien et je ne veux plus que tel médecin s’en approche ! » ou bien « je ne veux plus le/la voir souffrir mais je ne veux surtout pas que l’on change ses médicaments ou qu’on lui donne de la morphine ! » ?
Dire et entendre en soins palliatifs -‐ 4ème Journée Régionale de Soins Palliatifs -‐ 14 avril 2015
Dr Jan-‐Cedric Hansen CHNSP 8
Quel professionnel de santé travaillant en EHPAD n’a pas été surpris par un « vous ne comprenez rien ! », « vous n’écoutez pas ce qu’on vous dit ! », « vous n’y connaissez rien, on m’a bien dit de me méfier de vous » qui met fin abruptement à une conversation – et à tout dialogue futur – avec un résident, un de ses proches, voire même un autre membre de l’équipe ?
Une telle situation de défiance, comme toute « situation extrême », est « extra-‐ordinaire » car elle tranche par sa singularité même si elle est récurrente. Elle est caractérisée par l’excès d’affect qui envahit tout l’espace et le temps du vécu et qui, désorganise autant le « dire » que « l’entendre ».
Elle se traduit par des propos excessifs et/ou des comportements disproportionnés sur des jugements de valeurs – comme par exemple de considérer inopinément que la prise en charge est devenue une « obstination thérapeutique déraisonnable » – en prétendant faire appel de manière incantatoire à un référentiel prétendument « déontologique » ou « éthique » propre à l’interlocuteur et donc non partagé.
Les impliqués se placent en situation de vécu dramatique, le plus souvent scénarisé, d’attente – comme en suspend – d’un dénouement tragique immanent. Cette incapacité à « dire » et à « entendre » autant qu’à « se dire » et à « s’entendre » réalise une véritable tragédie en ce sens qu’elle met en scène un conflit passionnel dans lequel les acteurs sont déchirés et se sentent implacablement entraînés vers une catastrophe annoncée et pourtant indicible dans laquelle le résident devient objet et non plus sujet.
Encore une fois, c’est la mise en œuvre systématique de la synthèse de fin de vie, telle qu’elle vous a été proposée par exemple, qui permet de minimiser le risque d’émergence de ces situation de défiance.
Lorsqu’elle s’est installée en EHPAD, l’intervention de l’équipe mobile de soin palliatif permet d’interrompre l’engrenage de l’indicible de la situation de défiance et de replacer la vérité du résident – plus que sa réalité – au centre des préoccupations de son entourage et de l’équipe pluridisciplinaire qui l’accompagne lui permettant, ainsi, de redevenir le sujet de son accompagnement dit, entendu et partagé.
Conclusion Si on y regarde de plus près, face aux enjeux du « dire » et du « entendre » en phase terminale, l’ensemble des intervenants de ce colloque, nous propose une approche éthique. En d’autres termes nous sommes invités à suivre une démarche heuristique (réflexion méthodologique) qu’elle soit maïeutique ou dialectique ; basée sur une évaluation collégiale et pluridisciplinaire de la morale, des habitudes, des convictions, des conceptions du monde et de l’homme en tant qu’être somato-‐psycho-‐social ; pour aboutir à une décision d’action ou de non action considérée comme juste & adaptée, acceptée & partagée par l’ensemble des parties prenantes ; dans un contexte complexe qui met à mal ou qui constate l’inadaptation du cadre déontologique, réglementaire ou législatif.
Dans ce cadre éthique, mon propos était essentiellement d’élargir notre entendement du « dire » et du « entendre » pour enrichir nos moyens de faire vivre au quotidien cette posture de bientraitance qui doit conduire nos décisions au bénéfice des résidents notamment dans cette ultime prise en charge qu’est la phase terminale.
Dire et entendre en soins palliatifs -‐ 4ème Journée Régionale de Soins Palliatifs -‐ 14 avril 2015
Dr Jan-‐Cedric Hansen CHNSP 9
Si au terme de mon discours plusieurs accompagnements vous reviennent en mémoire et que des « dires » entendus prennent un nouveau sens, alors j’ai atteint ce que je souhaitais « dire » et je vous propose, maintenant, « d’entendre » les questions de la salle.
Je vous remercie de votre attention.