65
GRANDE CHAMBRE AFFAIRE DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE (Requêtes n os 28859/11 et 28473/12) ARRÊT STRASBOURG 15 novembre 2016 Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk et krejzov c. république tchèque

  • Upload
    cdaad

  • View
    952

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requêtes nos 28859/11 et 28473/12)

ARRÊT

STRASBOURG

15 novembre 2016

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

Page 2: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque
Page 3: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 1

En l’affaire Dubská et Krejzová c. République tchèque,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande

Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,

András Sajó,

Işıl Karakaş,

Luis López Guerra,

Mirjana Lazarova Trajkovska,

George Nicolaou,

Kristina Pardalos,

Julia Laffranque,

Helen Keller,

Helena Jäderblom,

Aleš Pejchal,

Valeriu Griţco,

Faris Vehabović,

Dmitry Dedov,

Egidijus Kūris,

Jon Fridrik Kjølbro,

Síofra O’Leary, juges,

et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 décembre 2015 et le

15 septembre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 28859/11

et 28473/12) dirigées contre la République tchèque et dont deux

ressortissantes de cet État, Mmes Šárka Dubská et Alexandra Krejzová (« les

requérantes »), ont saisi la Cour le 4 mai 2011 et le 7 mai 2012

respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des

droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérantes ont été représentées par Me D. Záhumenský, avocat

employé par l’organisation de défense des droits de l’homme Liga lidských

práv, et par Me R. Hořejší, avocat à Prague. Le gouvernement tchèque (« le

Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V.A. Schorm, du

ministère de la Justice.

3. Les requérantes alléguaient que le droit tchèque n’autorisait pas les

professionnels de santé à assister les femmes accouchant à domicile, ce qui

pour elles emportait violation de l’article 8 de la Convention.

Page 4: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

2 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

4. Le 11 décembre 2014, à la suite d’une audience sur la recevabilité et

le fond (article 54 § 3 du règlement de la Cour – « le règlement »), une

chambre de la cinquième section composée de Mark Villiger, président,

Angelika Nußberger, Boštjan M. Zupančič, Ganna Yudkivska, André

Potocki, Paul Lemmens et Aleš Pejchal, juges, ainsi que de Claudia

Westerdiek, greffière de section, a rendu un arrêt dans lequel elle concluait,

par six voix contre une, à la non-violation de l’article 8 de la Convention. À

l’arrêt se trouvaient jointes les opinions concordantes des juges Villiger

et Yudkivska et l’opinion dissidente du juge Lemmens. Le 10 mars 2015,

les requérantes ont demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande

Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention. Le 1er juin 2015, le

collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.

5. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément

aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

6. Tant les requérantes que le Gouvernement ont déposé des

observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement) sur le

fond de l’affaire. En outre, les parties ont chacune soumis des commentaires

écrits sur les observations de l’autre. Des observations ont également été

reçues du gouvernement de la République slovaque, du gouvernement de la

République de Croatie, de l’Ordre royal des sages-femmes (Royal College

of Midwives – Royaume-Uni), du groupe d’étude international de

l’Association mondiale de médecine périnatale (World Association of

Perinatal Medicine), de l’Union tchèque des sages-femmes (Unie porodních

asistentek – UNIPA) et de Mme Anna Šabatová, défenseure publique des

droits (Veřejná ochránkyně práv), que le président avait autorisés à

intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et

44 § 3 du règlement). Les parties ont répondu à ces observations

(article 44 § 6 du règlement).

7. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de

l’homme, à Strasbourg, le 2 décembre 2015 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement

MM. V.A. SCHORM, agent,

O. HLINOMAZ, bureau de l’agent du Gouvernement,

ministère de la Justice,

Mmes J. MARTINKOVA, bureau de l’agent du Gouvernement,

ministère de la Justice,

D. KOPKOVA, ministère de la Santé,

MM. J. FEYEREISL, directeur de l’institut de soins mère-enfant,

président de la Société tchèque de gynécologie

et d’obstétrique,

Page 5: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 3

P. VELEBIL, directeur du centre périnatal de l’institut de

soins mère-enfant, secrétaire scientifique de la Société

tchèque de gynécologie et d’obstétrique, conseillers ;

– pour Mme Dubská, requérante

Mmes Z. CANDIGLIOTA, conseil,

P. JANSSEN, professeure de santé maternelle et infantile,

école de la santé publique et des populations, université

de la Colombie-Britannique ; membre associé, département

de médecine familiale, d’obstétrique et de gynécologie

et école de sciences infirmières, université de la

Colombie-Britannique,

S. SLADEKOVA, conseillères ;

– pour Mme Krejzová, requérante

M. R. HOREJSI, conseil,

Mmes A. HOREJSI,

M. PAVLIKOVA, conseillères.

Mme Krejzová, requérante, était également présente.

La Cour a entendu Mme Candigliota, Me Hořejší, M. Schorm et

M. Velebil en leurs déclarations, ainsi que Mme Janssen en ses réponses aux

questions posées par des juges.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. Les requérantes sont nées en 1985 et en 1980 et résident à Jilemnice

et à Prague respectivement.

A. La requête introduite par Mme Šárka Dubská

9. La requérante mit au monde son premier enfant à l’hôpital en 2007,

sans aucune complication. Selon ses dires, lors de son accouchement le

personnel médical présent la pressa d’accepter divers types d’interventions

médicales alors qu’elle avait expressément formulé le souhait qu’on lui

épargnât tout traitement médical non indispensable. On l’aurait également

obligée à accoucher dans une position qu’elle trouvait inconfortable. Le

bébé et elle auraient été en bonne santé, de sorte qu’elle aurait voulu quitter

l’hôpital quelques heures après la naissance ; or un médecin lui aurait

ordonné d’y rester et elle ne serait donc sortie que le lendemain, après avoir

Page 6: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

4 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

présenté une lettre de son pédiatre confirmant qu’elle prendrait soin de

l’enfant.

10. En 2010, la requérante tomba enceinte de son deuxième enfant, dont

la naissance était prévue pour la mi-mai 2011. La grossesse ne présentait

aucune complication et les analyses et examens médicaux n’indiquaient

aucun problème. Estimant que son accouchement à l’hôpital avait été

éprouvant, l’intéressée décida qu’elle accoucherait à domicile et se mit en

quête d’une sage-femme pour l’assister. Elle ne parvint toutefois à en

trouver aucune qui fût disposée à l’aider à accoucher chez elle.

11. Le 5 avril 2011, elle écrivit à sa compagnie d’assurance maladie et à

l’administration régionale (krajský úřad) de Liberec afin de leur demander

une aide pour trouver une sage-femme.

12. Le 7 avril 2011, la compagnie d’assurance maladie lui répondit que

la législation tchèque ne prévoyait pas la prise en charge par une compagnie

d’assurance maladie publique des frais liés à un accouchement à domicile et

qu’elle n’avait donc conclu aucun contrat avec des professionnels de santé

assurant ce type d’actes. Elle indiqua en outre que la majorité des experts

médicaux était défavorable aux accouchements à domicile.

13. Par une lettre du 13 avril 2011, l’administration régionale ajouta

qu’en tout état de cause les sages-femmes inscrites au registre des

professionnels de santé n’étaient légalement autorisées à pratiquer un

accouchement qu’au sein d’un établissement doté de l’équipement

technique requis par l’arrêté no 221/2010, et non chez des particuliers.

14. N’ayant trouvé aucun professionnel de santé pour l’assister, la

requérante donna naissance à son fils seule chez elle, le 11 mai 2011.

15. Le 1er juillet 2011, elle forma un recours constitutionnel (ústavní

stížnost), alléguant qu’elle avait été privée de la possibilité d’accoucher chez

elle avec l’assistance d’un professionnel de santé et qu’elle avait de ce fait

subi une violation de son droit au respect de sa vie privée.

16. Le 28 février 2012, la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) écarta

son recours, estimant contraire au principe de subsidiarité qu’elle statuât sur

le fond de l’affaire dès lors que la requérante n’avait pas exercé tous les

recours disponibles, dont l’action en protection des droits individuels fondée

sur le code civil et la demande de contrôle juridictionnel basée sur

l’article 82 du code de procédure administrative contentieuse. La juridiction

constitutionnelle exprima néanmoins des doutes sur la conformité de la

législation tchèque à l’article 8 de la Convention et invita les parties

prenantes à entamer un débat sérieux et éclairé en vue d’une nouvelle

législation. Neuf des quatorze juges ayant siégé joignirent à l’arrêt de la

haute juridiction des opinions séparées marquant leur désaccord avec le

raisonnement le sous-tendant. Ils considéraient pour la plupart que la Cour

constitutionnelle aurait dû rejeter le recours au motif qu’il constituait une

actio popularis et s’abstenir d’émettre un avis sur la constitutionnalité de la

législation relative aux accouchements à domicile.

Page 7: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 5

B. La requête introduite par Mme Alexandra Krejzová

17. La requérante est la mère de deux enfants qu’elle a mis au monde

chez elle en 2008 et 2010, avec l’assistance d’une sage-femme. Les

sages-femmes concernées ont pratiqué ces accouchements sans autorisation

officielle.

18. La requérante a indiqué qu’elle avait décidé d’accoucher à domicile

après avoir visité plusieurs hôpitaux, lesquels auraient tous écarté sa

demande, à savoir qu’on la laissât accoucher en lui épargnant toute

intervention médicale non strictement nécessaire. Les hôpitaux en question

auraient également refusé d’accéder à son souhait de garder un contact

ininterrompu avec le bébé dès la naissance, alors que la pratique courante

consistait selon elle à retirer l’enfant à sa mère juste après l’accouchement

pour le peser, le mesurer et le garder sous observation médicale pendant

deux heures.

19. Lorsqu’elle introduisit la requête en l’espèce, la requérante était à

nouveau enceinte et devait accoucher à la mi-mai 2012. Sa grossesse se

déroulait sans complications et elle souhaitait à nouveau accoucher chez elle

avec l’assistance d’une sage-femme. Elle ne parvenait toutefois à trouver

aucune sage-femme disposée à l’aider, parce qu’un tel acte était passible

d’une lourde amende pour services médicaux dispensés sans autorisation.

Elle avait demandé à diverses autorités de l’aider à trouver une solution.

20. Par une lettre du 18 novembre 2011, le ministère de la Santé lui avait

répondu qu’il ne fournissait pas de services médicaux à des particuliers et

que la requérante devait se renseigner auprès de la municipalité de Prague

(Město Praha) qui, faisant office d’administration régionale, enregistrait et

délivrait les autorisations aux professionnels de santé.

21. Le 29 novembre 2011, la compagnie d’assurance maladie de la

requérante avait informé celle-ci que le régime public ne prenait pas en

charge la présence d’un professionnel de santé lors d’un accouchement à

domicile.

22. Le 13 décembre 2011, la municipalité de Prague avait indiqué à la

requérante qu’aucune sage-femme enregistrée à Prague n’était autorisée à

donner des soins lors d’un accouchement à domicile.

23. Le 7 mai 2012, la requérante donna naissance à son enfant dans une

maternité de Vrchlabí, à 140 km de Prague. Elle avait choisi cet hôpital

parce qu’il avait la réputation de respecter les souhaits des parturientes.

Tous ses souhaits n’auraient toutefois pas été respectés. L’accouchement se

serait déroulé sans complications et l’enfant et elle auraient été en bonne

santé ; la requérante aurait néanmoins été contrainte de rester à l’hôpital

pendant soixante-douze heures. Le nouveau-né et elle auraient été séparés

après la naissance et, avant la sortie de la maternité, les restes du cordon

ombilical auraient été coupés contrairement au souhait qu’elle avait

exprimé.

Page 8: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

6 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

II. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LES ACCOUCHEMENTS À

DOMICILE EN RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

A. Instructions et mesures adoptées par le ministère de la Santé

24. Dans son bulletin no 2/2007 de février 2007, le ministère de la Santé

publia des instructions pratiques énonçant ce qui suit :

« En République tchèque, le fait de pratiquer un accouchement est un service de

santé qui n’est assuré qu’au sein d’un établissement de santé. Pareil établissement doit

satisfaire aux prescriptions légales (...) et aux exigences définies par les textes

réglementaires pertinents. »

25. Le 20 mars 2012, le ministère de la Santé constitua un comité

d’experts en obstétrique, qu’il chargea d’étudier la question de

l’accouchement à domicile. Au sein de ce comité étaient représentés les

patients, les sages-femmes, les associations de médecins, le ministère de la

Santé, le commissaire du gouvernement aux droits de l’homme et les

compagnies d’assurance maladie publiques. Les représentants des

associations de médecins boycottèrent les réunions, déclarant que la

situation existante était satisfaisante et qu’il n’y avait pas lieu de changer

quoi que ce fût. Le ministre de la Santé écarta ensuite les représentants des

patients, des sages-femmes et du commissaire du gouvernement aux droits

de l’homme, arguant que seul ce changement de composition permettrait au

comité d’arrêter certaines conclusions.

26. Le 18 janvier 2013, le conseil gouvernemental pour l’égalité des

chances entre les femmes et les hommes (Rada vlády pro rovné příležitosti

žen a mužů), organe consultatif du gouvernement, recommanda d’éviter

toute discrimination persistant à l’égard des femmes dans l’exercice par

celles-ci de leur droit de choisir librement la méthode, les conditions et le

lieu de leur accouchement. Il préconisait également de prévenir la

discrimination envers les sages-femmes en permettant à celles-ci d’exercer

pleinement leur profession au moyen de leur intégration dans le régime

public d’assurance maladie. En outre, pour étayer sa position selon laquelle

les femmes doivent pouvoir choisir le lieu de leur accouchement, le conseil

renvoya aux recommandations du Comité pour l’élimination de la

discrimination à l’égard des femmes, qui surveille la mise en œuvre de la

Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à

l’égard des femmes.

Page 9: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 7

27. Dans son bulletin no 8/2013, qui a été publié le 9 décembre 2013 et a

remplacé les instructions pratiques de 2007, le ministère de la Santé décrit la

procédure que les prestataires de services de santé doivent suivre lorsque les

nouveau-nés quittent un établissement de santé pour intégrer leur propre

cadre de vie. Il indique que selon les spécialistes un nouveau-né ne doit pas

quitter la maternité moins de soixante-douze heures après sa naissance. La

nouvelle procédure permet la sortie d’un nouveau-né dans un délai plus

court à la demande de son représentant légal, sous réserve que les conditions

suivantes soient remplies :

« a) le représentant légal a, par écrit, retiré son accord concernant la fourniture de

services médicaux au nouveau-né, ou a déclaré par écrit son désaccord concernant la

fourniture de services médicaux, ou bien cet accord ou ce désaccord a été consigné

dans le dossier médical du nouveau-né (...) ;

b) il est établi que le représentant légal a été dûment informé des conséquences

possibles de la sortie de l’hôpital du nouveau-né moins de soixante-douze heures

après sa naissance (...) ;

c) le représentant légal a été dûment informé que, dans l’intérêt du bon

développement ultérieur du nouveau-né, les associations médicales spécialisées

tchèques recommandent :

1. la réalisation d’un examen clinique dans les vingt-quatre heures consécutives à

la sortie de la maternité du nouveau-né (...)

2. la réalisation d’un prélèvement sanguin dans les quarante-huit à soixante-douze

heures consécutives à la naissance, aux fins du dépistage de dysfonctionnements

métaboliques héréditaires (...) »

B. Données sur la mortalité périnatale

28. D’après les estimations fournies par l’Organisation mondiale de la

santé pour 2004, la République tchèque figure parmi les pays qui affichent

le plus faible taux de mortalité périnatale. Ce taux, qui indique le nombre

d’enfants mort-nés et de décès survenant au cours de la première semaine de

la vie, s’élevait à 0,4 % en République tchèque. Dans les autres pays

européens, il variait entre 0,5 % (en Suède et en Italie) et 4,7 % (en

Azerbaïdjan). Il était inférieur à 1 % dans la plupart des pays d’Europe.

Selon le rapport de l’OMS de 2006, la mortalité périnatale constitue un

indicateur important des soins à la mère ainsi que de la santé et de la

nutrition maternelles. Par ailleurs, il reflète la qualité des soins obstétricaux

et pédiatriques disponibles et permet des comparaisons entre différents pays.

Le rapport recommandait en outre que, dans la mesure du possible, tous les

fœtus et les nourrissons pesant au moins 500 g à la naissance, nés en vie ou

non, fussent inclus dans les statistiques. Dans cette étude, les données

communiquées sur les enfants mort-nés n’ont pas été ajustées pour tenir

compte de ce facteur.

Page 10: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

8 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

29. Selon le rapport européen sur la santé périnatale relatif à la santé et à

la prise en charge des femmes enceintes et des bébés en Europe en 2010,

publié en 2013 dans le cadre du projet Euro-Peristat, la République tchèque

se classait parmi les pays présentant la plus faible mortalité chez les

nouveau-nés au cours des vingt-sept premiers jours de la vie, avec un taux

de 0,17 %. Les données relatives aux autres pays étudiés, pour la plupart

membres de l’Union européenne, révélaient un taux allant de 0,12 % (en

Islande) à 0,55 % (en Roumanie).

C. Poursuites pénales à l’encontre de sages-femmes

30. Il apparaît qu’en République tchèque aucune sage-femme n’a fait

l’objet de poursuites simplement pour avoir pratiqué un accouchement à

domicile. En revanche, plusieurs sages-femmes ont été poursuivies pour

faute professionnelle dans le cadre d’un tel accouchement. Les requérantes

évoquent les cas de Mmes Š. et K., qui sont toutes deux connues pour leur

action en faveur de l’accouchement physiologique sans intervention

médicale superflue et qui ont régulièrement pratiqué des accouchements à

domicile.

31. Le 27 mars 2013, le tribunal de district (obvodní soud) de Prague 6

déclara Mme Š. coupable d’avoir causé par négligence le décès d’un bébé

mort-né. Mme Š. fut condamnée à une peine de deux ans d’emprisonnement

assortie d’un sursis de cinq ans, et se vit interdire pour trois ans l’exercice

de la profession de sage-femme. Le verdict de culpabilité prononcé contre

Mme Š. reposait sur le fait qu’elle n’avait pas fermement conseillé à la mère

de s’adresser à un établissement médical lorsque celle-ci, déjà en phase de

travail chez elle, l’avait consultée par téléphone. Le tribunal estima donc

que Mme Š. avait donné à la future mère des conseils inadéquats, et ce sans

l’examiner. La condamnation fut confirmée en appel le 29 mai 2013 par le

tribunal municipal (městský soud) de Prague, mais celui-ci réduisit la peine

à quinze mois d’emprisonnement avec un sursis de trente mois et à une

interdiction d’exercer la profession de sage-femme pendant deux ans.

32. Le 29 avril 2014, la Cour suprême (Nejvyšší soud) annula les

jugements des juridictions inférieures. Le 23 mai 2016, Mme Š. fut

finalement acquittée par le tribunal de district. La procédure est semble-t-il

pendante devant la juridiction d’appel.

33. Le 21 septembre 2011, le tribunal de district de Prague 3 déclara

Mme K. coupable d’avoir causé par négligence un préjudice corporel à un

bébé qu’elle avait aidé à mettre au monde à domicile et qui avait cessé de

respirer pendant l’accouchement. Le nourrisson était décédé quelques jours

plus tard. Mme K. se vit infliger une peine de deux ans d’emprisonnement

assortie d’un sursis de cinq ans, se vit interdire pour cinq ans l’exercice de

la profession de sage-femme et fut condamnée à verser 2,7 millions de

couronnes tchèques (CZK – soit 105 000 euros (EUR)) en remboursement

Page 11: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 9

des frais exposés par la compagnie d’assurance pour les soins prodigués à

l’enfant jusqu’à son décès. Selon le tribunal, Mme K. avait commis une faute

professionnelle en ce qu’elle n’avait pas appliqué les procédures normales à

suivre pour les accouchements établies par l’ordre des médecins de la

République tchèque (Česká lékařská komora), et sa conduite n’avait donc

pas été conforme aux règles de l’art. La plainte pénale n’avait pas été

déposée par les parents mais par un hôpital.

34. Le 24 juillet 2013, la Cour constitutionnelle annula tous les

jugements rendus dans la cause de Mme K. au motif qu’il y avait eu violation

de son droit à un procès équitable. Elle estima que les conclusions des

juridictions ordinaires sur la culpabilité de Mme K. étaient trop subjectives et

n’étaient pas étayées par des éléments de preuve allant au-delà de tout doute

raisonnable ; elle y voyait une violation du principe de la présomption

d’innocence. Elle indiqua notamment que les tribunaux s’étaient fiés

aveuglément à une expertise qu’ils n’avaient pas soumise à un examen

minutieux. Elle conclut que, sur la base de cette expertise, les tribunaux

avaient appliqué un critère très strict de responsabilité pour juger de la

conduite de Mme K., alors que nul ne pouvait dire clairement comment, dans

la situation en cause, celle-ci aurait pu empêcher le décès du bébé. La haute

juridiction ajouta qu’il était établi que l’intéressée avait tenté de secourir le

nouveau-né et appelé une ambulance immédiatement après avoir découvert

qu’il souffrait d’hypoxie. La Cour constitutionnelle jugea que l’obligation

de prévoir toute complication pouvant surgir lors d’un accouchement et de

pouvoir y réagir immédiatement, comme cela avait été exigé de Mme K.,

aboutirait à terme de facto à une interdiction absolue des accouchements à

domicile. Dans ce contexte, elle déclara ce qui suit :

« (...) un État démocratique moderne fondé sur la prééminence du droit repose sur la

protection de libertés individuelles et inaliénables, dont la délimitation a un rapport

étroit avec la dignité humaine. Ces libertés, qui comprennent la liberté dans les

activités personnelles, vont de pair avec une part de risque acceptable. Le droit des

parents de choisir librement le lieu et le mode d’accouchement n’est limité que par

l’intérêt à voir l’accouchement bien se passer et à protéger la santé de l’enfant, cet

intérêt ne pouvant toutefois être interprété comme une préférence inconditionnelle

pour l’accouchement à l’hôpital. »

III. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. La loi sur la santé publique

35. D’après l’article 12 a) 1) de la loi sur la santé publique (no 20/1966 –

zákon o péči o zdraví lidu), qui fut en vigueur jusqu’au 31 mars 2012, un

établissement dispensant des soins de santé devait disposer de moyens

humains, matériels et techniques adaptés à la nature et à l’étendue de l’offre

de soins. En vertu de l’article 12 a) 2) de la loi, le ministère de la Santé

Page 12: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

10 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

devait préciser par arrêté les exigences relatives aux moyens matériels,

humains et techniques dont devaient être dotés les établissements de santé.

36. L’article 18 § 1 de la loi indiquait que les soins ambulatoires – qui

englobaient les consultations – étaient assurés par un médecin généraliste et

des spécialistes dans des salles de consultation ou dans des établissements

de soins ambulatoires partenaires.

B. La loi sur les soins dans les établissements de santé privés

37. L’article 4 § 1 de la loi sur les soins dans les établissements de santé

privés (no 160/1992 – zákon o zdravotní péči v nestátních zdravotnických

zařízeních), qui fut en vigueur jusqu’au 31 mars 2012, imposait aux

établissements privés d’être dotés des moyens humains, matériels et

techniques adaptés à la nature et à l’étendue de leur offre de soins.

38. L’article 4 § 2 b) donnait compétence au ministère de la Santé pour

adopter un arrêté précisant les exigences relatives à l’équipement technique

et matériel dont devaient être dotés les établissements de santé privés.

39. L’article 5 § 2 a) de cette loi disposait qu’un établissement privé

pouvait prodiguer les soins de santé visés dans la décision

d’immatriculation de cet établissement.

40. L’article 14 indiquait que quiconque enfreignait la loi s’exposait à

une amende, mais sans en préciser le montant.

C. La loi sur les professions paramédicales

41. Selon l’article 6 § 3 de la loi sur les professions paramédicales

(no 96/2004 – zákon o nelékařských zdravotnických povolání), entrée en

vigueur le 1er avril 2004, l’exercice de la profession de sage-femme englobe

entre autres tâches les accouchements physiologiques et les soins aux

nouveau-nés.

D. L’arrêté no 424/2004 du ministère de la Santé

42. L’arrêté du ministère de la Santé sur les activités du personnel

médical et d’autres spécialistes (vyhláška, kterou se stanoví činnosti

zdravotnických pracovníků а jiných odborných pracovníků), qui fut en

vigueur du 20 juillet 2004 au 13 mars 2011, définissait les tâches des

professionnels de santé et d’autres secteurs. L’article 5 § 1 f) indiquait que

les sages-femmes pouvaient pratiquer certains actes sans supervision

professionnelle, dont les accouchements physiologiques en situation

d’urgence et les épisiotomies si nécessaire.

Page 13: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 11

E. L’arrêté no 221/2010 du ministère de la Santé

43. L’arrêté du ministère de la Santé sur les exigences relatives à

l’équipement matériel et technique des établissements de santé (vyhláška o

požadavcích na věcné a technické vybavení zdravotnických zařízení), qui fut

en vigueur du 1er septembre 2010 au 31 mars 2012, ne prévoyait la

possibilité pour les sages-femmes de pratiquer des accouchements que dans

des salles spécialement équipées à cet effet. Pareille salle devait avoir une

superficie d’au moins 15 m2 et disposer de l’équipement indispensable

suivant : a) un lit d’accouchement pour salle d’accouchement ou un autre

dispositif approprié pour pratiquer un accouchement physiologique ; b) une

lampe d’examen ; c) une pince stérile ou une bande élastique pour le cordon

ombilical ; d) des ciseaux stériles ; e) un moniteur fœtal électronique ; f) un

oxymètre de pouls ; g) un dispositif d’aspiration ; h) un laryngoscope et les

instruments nécessaires pour dégager les voies respiratoires ; i) un lit pour

les parturientes après l’accouchement ; j) un espace et une surface

appropriés pour les soins aux nouveau-nés ; k) une balance pour peser les

nouveau-nés ; l) un instrument de mesure de la taille des nouveau-nés ;

m) une source d’oxygène médical. De plus, il devait y avoir une autre pièce

d’au moins 8 m2 pour les soins à la mère et à l’enfant après la naissance,

ainsi qu’une douche.

44. Ces installations devaient se trouver à une distance qui permît de

pratiquer une césarienne ou une intervention destinée à assurer la dernière

phase de l’accouchement au sein d’un établissement de santé dispensant des

soins en régime hospitalier et répondant aux exigences définies dans

l’arrêté, et ce dans les quinze minutes suivant la découverte de

complications.

45. En outre, l’arrêté permettait aux sages-femmes de mettre en place un

« lieu d’exercice et de contact », qui devait être doté de l’équipement

suivant : a) du mobilier adapté au travail de sage-femme, et b) un téléphone

portable.

46. Les sages-femmes devaient aussi posséder une sacoche contenant :

a) un instrument de détection des bruits fœtaux ; b) du matériel jetable pour

l’examen d’une femme enceinte ; c) un sphygmomanomètre ; d) un

stéthoscope ; e) un thermomètre médical ; f) du matériel pour les premiers

secours, notamment un dispositif de réanimation cardio-respiratoire.

47. L’article 2 de l’arrêté accordait aux établissements de santé existant

à la date de son entrée en vigueur un délai de douze mois à compter de cette

date pour se conformer aux exigences relatives à l’équipement technique et

matériel posées par ce texte.

L’arrêté no 234/2011, entré en vigueur le 31 août 2011, porta ce délai à

vingt-huit mois.

Page 14: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

12 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

F. La loi sur les services médicaux

48. La loi sur les services médicaux (no 372/2011 – zákon o zdravotních

službách) est entrée en vigueur le 1er avril 2012. Elle a remplacé la loi sur la

santé publique (paragraphes 35-36 ci-dessus), la loi sur les soins dans les

établissements de santé privés (paragraphes 37-40 ci-dessus) et l’arrêté sur

les exigences relatives à l’équipement matériel et technique des

établissements de santé (paragraphes 43-47 ci-dessus).

49. D’après l’article 2 § 2 a), on entend par « services de santé »

l’administration de soins de santé, au sens de la loi, par des professionnels

de santé, ainsi que les actes pratiqués par d’autres professionnels dès lors

que ces actes sont directement liés à l’administration de soins de santé.

50. L’article 2 § 4 a) 4) de la loi indique que l’on entend par « soins de

santé » l’ensemble des actes et mesures de santé mis en œuvre à l’égard

d’un individu, dont l’assistance lors d’un accouchement.

51. Selon l’article 4 § 1, on entend par « établissement de santé » une

structure destinée à la fourniture de services de santé.

52. L’article 10 de la loi énonce que la fourniture de soins de santé dans

le propre cadre de vie d’un patient – notamment à domicile – ne peut

concerner que des actes auxquels ne sont pas applicables des conditions

relatives à l’équipement technique et matériel nécessaire à leur réalisation

dans un établissement de santé.

53. Selon l’article 11 § 5 de cette loi, les services de santé ne peuvent

être assurés que dans les établissements de santé indiqués dans

l’autorisation relative à la fourniture de services de santé, excepté pour ceux

qui sont dispensés dans le cadre de vie du patient. Dans ce cas, les

prestataires de services de santé doivent disposer de leur propre lieu

d’exercice et de contact pour soins à domicile.

54. L’article 11 § 6 indique qu’un établissement de santé doit posséder

l’équipement technique et matériel nécessaire à la fourniture de services de

santé. Cet équipement doit correspondre à la spécialisation de

l’établissement ainsi qu’à la nature et à la forme des soins de santé qui y

sont administrés. Les exigences relatives à l’équipement technique et

matériel minimal nécessaire doivent être énoncées dans un arrêté

d’application.

55. L’article 114 de la loi dispose qu’une personne fournissant un

service de santé sans y être dûment autorisée s’expose à une amende

pouvant aller jusqu’à 1 million de CZK (37 000 EUR).

G. Le rapport explicatif de la loi sur les services médicaux

56. En ses passages pertinents, le rapport explicatif de la loi sur les

services médicaux se lit ainsi :

Page 15: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 13

« La (...) législation (...) appartien[t] à un ensemble de lois et règlements régissant

les conditions juridiques destinées à garantir le droit constitutionnel de tous à la

protection de la santé et le droit constitutionnel des citoyens à des soins médicaux

gratuits au sens de l’article 31 de la Charte des droits et libertés fondamentaux, ainsi

que le droit à la protection de la dignité humaine, et le droit à la vie privée et familiale

et à l’intégrité physique (...)

La loi (...) définit les soins de santé professionnels (...) L’État doit réglementer [ces]

soins de santé (...) ; il est tenu de veiller à l’accessibilité des services de santé et de

garantir pour ces services un niveau satisfaisant de qualité et de sécurité. La condition

permettant de remplir cette exigence est que les soins de santé professionnels ne

peuvent être dispensés que par des prestataires de services de santé (...)

La loi (...) est l’un des éléments de la législation qui créé les conditions de

l’exécution par la République tchèque de ses obligations en matière de protection de

la santé et de fourniture de services de santé, telles qu’elles découlent (...) du Pacte

international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (...) et de la Charte

européenne (...) La loi prend également en considération la Convention relative aux

droits de l’enfant (...)

Concernant la fourniture de services de santé, le patient se trouve sur un pied

d’égalité avec le prestataire et avec le personnel médical, et a le droit de consentir ou

non aux services de santé proposés, à la lumière des informations et conseils relatifs à

ces services qui sont dûment fournis par le prestataire ou par une personne que le

prestataire a désignée à cet effet (...)

Il est souvent plus efficace et judicieux de dispenser au patient des services de santé

dans son propre cadre de vie. Celui-ci ne se limite pas nécessairement au domicile de

l’intéressé ; il peut aussi s’agir d’un cadre de substitution, comme un foyer social ou

un foyer pour enfants (...) Les services de santé assurés dans le cadre de vie du patient

comprennent, d’une part, les soins à domicile et, d’autre part, les soins ambulatoires.

Les soins à domicile ont un effet notable sur les changements touchant le système de

protection médicale dans son ensemble car (...) ils permettent d’améliorer la vie des

patients et de les maintenir plus longtemps dans leur environnement familier (...)

L’un des droits fondamentaux des patients est le droit au libre choix du prestataire

de services de santé (...) La loi donne aux patients le droit de recevoir toutes les

informations sur leur état de santé et sur les services de santé qui doivent leur être

fournis (...)

Dans le cadre de l’attention portée à leur propre santé, les individus peuvent en

fonction de leurs choix personnels recourir à d’autres mesures ; parmi celles-ci

figurent les initiatives visant à améliorer et préserver la santé et d’autres initiatives

relevant de l’ « auto-traitement » (...) La loi ne s’oppose pas à de telles mesures ;

simplement, elle ne les définit pas comme faisant partie des soins de santé et des

services de santé professionnels, dont la qualité est garantie par l’État. Cela tient

principalement au fait qu’il n’est pas réalisable d’évaluer objectivement la qualité de

ces soins et que dès lors il n’est pas possible d’en garantir la sécurité ou l’efficacité.

Les services de santé ne peuvent donc être fournis que sur la base de la loi sur les

services médicaux. »

Page 16: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

14 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

H. L’arrêté no 92/2012 du ministère de la Santé

57. L’arrêté sur les exigences relatives à l’équipement technique et

matériel minimal des établissements de santé et des lieux d’exercice et de

contact pour soins à domicile (vyhláška o požadavcích na minimální

technické a věcné vybavení zdravotnických zařízení a kontaktních pracovišť

domácí péče) est entré en vigueur le 1er avril 2012. Il a remplacé l’arrêté sur

les exigences relatives à l’équipement matériel et technique des

établissements de santé (paragraphes 43-47 ci-dessus).

58. Cet arrêté prévoit notamment la possibilité pour les sages-femmes de

pratiquer des accouchements dans des salles spécialement équipées à cette

fin. Les exigences en matière d’équipement sont identiques à celles qui

étaient définies dans l’arrêté no 221/2010. L’arrêté de 2012 contient

toutefois une nouvelle prescription : en cas d’impossibilité de pratiquer une

césarienne ou une intervention destinée à permettre la dernière phase de

l’accouchement dans un établissement médical dispensant des soins en

régime hospitalier dans les quinze minutes qui suivent la découverte de

complications, il faut préparer une salle d’accouchement satisfaisant aux

normes formulées dans le nouvel arrêté. De plus, le lieu où la sage-femme

exerce doit lui aussi être équipé dans le respect des critères indiqués dans

l’arrêté.

59. Concernant le « lieu d’exercice et de contact » pour les soins

infirmiers d’ordre gynécologique ou obstétrical, l’arrêté exige que ce lieu

comporte : a) du mobilier adapté au travail de sage-femme ; b) une armoire

de classement si les dossiers médicaux ne sont pas conservés uniquement

sous la forme électronique ; c) une connexion à un réseau public de

téléphonie mobile ; d) un instrument de détection des bruits fœtaux ; e) du

matériel jetable pour l’examen d’une femme enceinte ; f) un

sphygmomanomètre ; g) un stéthoscope ; h) un thermomètre médical ; i) du

matériel pour les premiers secours, notamment un dispositif de réanimation

cardio-respiratoire, et j) une boîte pour le transport de matériel biologique.

Le lieu d’exercice et de contact doit avoir une superficie d’au moins 10 m2

et être doté d’installations sanitaires pour les employés.

60. Les établissements de santé et les lieux d’exercice et de contact pour

soins à domicile existant à la date de l’entrée en vigueur et répondant aux

exigences du précédent arrêté se sont vu accorder un délai de neuf à douze

mois pour se conformer aux prescriptions du nouveau texte.

I. L’arrêté no 99/2012 du ministère de la Santé

61. L’arrêté sur les exigences minimales applicables au personnel

fournissant des services de santé (vyhláška o požadavcích na minimální

personální zabezpečení zdravotních služeb) est entré en vigueur le 1er avril

2012. Le chapitre intitulé « Exigences applicables au personnel fournissant

Page 17: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 15

des soins à domicile » indique que les soins infirmiers d’ordre

gynécologique et obstétrical doivent être dispensés par une sage-femme

qualifiée pour exercer son métier de manière indépendante ou, lorsqu’il y a

lieu de pratiquer des actes visés par une autre disposition juridique, par une

sage-femme possédant une qualification particulière et compétente pour

exercer son métier de manière indépendante (qualification en soins intensifs,

en soins intensifs de néonatalogie, ou en soins de proximité).

IV. DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. La Convention pour la protection des droits de l’homme et de la

dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie

et de la médecine (Convention sur les droits de l’homme et la

biomédecine)

62. Les dispositions pertinentes de la Convention sur les droits de

l’homme et la biomédecine sont ainsi libellées :

Article 5 – Règle générale

« Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la

personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé.

Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la

nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques.

La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. »

Article 6 – Protection des personnes n’ayant pas

la capacité de consentir

« (...) une intervention ne peut être effectuée sur une personne n’ayant pas la

capacité de consentir, que pour son bénéfice direct.

Lorsque, selon la loi, un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention,

celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant, d’une autorité ou

d’une personne ou instance désignée par la loi (...) »

Article 8 – Situations d’urgence

« Lorsqu’en raison d’une situation d’urgence le consentement approprié ne peut être

obtenu, il pourra être procédé immédiatement à toute intervention médicalement

indispensable pour le bénéfice de la santé de la personne concernée. »

63. De plus, le rapport explicatif de la Convention sur les droits de

l’homme et la biomédecine précise en son paragraphe 34 qu’ « [à] l’instar

de l’article 4, [l’article 5] entend le terme « intervention » dans son sens le

plus large, c’est-à-dire comme comprenant tout acte médical, en particulier

les interventions effectuées dans un but de prévention, de diagnostic, de

thérapie, de rééducation ou de recherche ».

Page 18: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

16 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

B. La Convention relative aux droits de l’enfant

64. Les dispositions pertinentes de la Convention relative aux droits de

l’enfant se lisent ainsi :

Article 3

« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des

institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités

administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une

considération primordiale.

2. Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins

nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses

tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette

fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.

(...) »

Article 5

« Les États parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents

ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme

prévu par la coutume locale, les tuteurs ou autres personnes légalement responsables

de l’enfant, de donner à celui-ci, d’une manière qui corresponde au développement de

ses capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui

reconnaît la présente Convention. »

Article 6

« 1. Les États parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie.

2. Les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le

développement de l’enfant. »

Article 18

« 1. Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du

principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est

d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant

et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas

échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt

supérieur de l’enfant.

(...) »

Article 24

« 1. Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de

santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s’efforcent

de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services.

2. Les États parties s’efforcent d’assurer la réalisation intégrale du droit

susmentionné et, en particulier, prennent les mesures appropriées pour :

a) Réduire la mortalité parmi les nourrissons et les enfants ;

(...)

Page 19: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 17

d) Assurer aux mères des soins prénatals et postnatals appropriés ;

(...) »

C. Convention sur l’élimination de toutes les formes de

discrimination à l’égard des femmes

65. Dans la section « Santé » de ses observations finales du 22 octobre

2010 sur la République tchèque (CEDAW/C/CZE/CO/5), le Comité pour

l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a notamment

formulé les recommandations suivantes :

« 36. Tout en reconnaissant la nécessité d’assurer le maximum de sécurité aux

mères et aux nouveau-nés pendant l’accouchement et en relevant le faible taux de

mortalité périnatale dans l’État partie, le Comité prend acte d’informations faisant état

d’ingérences dans les choix des femmes en matière de santé génésique dans les

hôpitaux, notamment d’interventions médicales courantes, qui auraient souvent lieu

sans le consentement préalable, libre et éclairé de la femme ou en dehors de toute

prescription médicale, d’un accroissement rapide du taux de recours aux césariennes,

de la séparation des nouveau-nés de leur mère pendant de longues heures sans motif

lié à leur état de santé, d’un refus d’autoriser la mère et l’enfant à quitter l’hôpital

dans les soixante-douze heures qui suivent l’accouchement et d’attitudes paternalistes

de la part des médecins qui empêchent les femmes d’exercer leur liberté de choix. Il

note également les informations selon lesquelles les femmes auraient peu de

possibilités d’accoucher en dehors des hôpitaux.

37. Le Comité recommande à l’État partie de songer à adopter dans les meilleurs

délais une loi sur les droits des patients, y compris les droits des femmes en matière de

santé génésique, d’adopter un protocole normatif en matière de soins périnatals qui

garantisse le respect des droits des patients et permette d’éviter les interventions

médicales inopportunes, de faire en sorte que toutes les interventions ne puissent être

effectuées qu’avec le consentement préalable libre et éclairé de la femme, de

surveiller la qualité des soins dans les maternités, de dispenser une formation

obligatoire à tous les personnels de santé au sujet des droits des patients et des normes

éthiques connexes, de continuer de sensibiliser les patients à leurs droits, notamment

en diffusant des informations, et d’envisager des mesures pour faire en sorte que les

accouchements pratiqués en dehors des hôpitaux par des sages-femmes soient une

option sans danger et abordable pour les femmes. »

66. Dans ses observations finales du 14 mars 2016 sur la République

tchèque (CEDAW/C/CZE/CO/6), le Comité a émis les recommandations

qui suivent :

« 4. Le Comité salue les progrès accomplis depuis l’examen, en 2010, du cinquième

rapport périodique de l’État partie (CEDAW/C/CZE/CO/5) en ce qui concerne la mise

en place des réformes législatives, notamment l’adoption de :

a) La loi no 372/2011 Coll. relative aux services de santé et aux conditions d’offre

de ces services (loi sur les services de santé), telle que modifiée par la loi

no 167/2012 Coll. ;

(...)

Page 20: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

18 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

30. Le Comité se félicite du faible taux de mortalité périnatale dans l’État partie. Il

relève toutefois avec préoccupation que, d’après certaines informations, les conditions

dans lesquelles se déroulent les accouchements et les conditions prévalant dans les

services obstétricaux continueraient de restreindre indûment le choix des femmes en

matière de santé procréative, s’agissant notamment :

a) De la séparation injustifiée des nouveau-nés de leur mère sans raison médicale ;

b) De l’imposition de restrictions injustifiées aux accouchements à domicile ;

c) De la pratique fréquente de l’épisiotomie sans nécessité médicale, contre la

volonté de la mère qui préfère que le médecin s’abstienne d’y recourir ;

d) Des conditions trop restrictives dans lesquelles il peut être fait appel aux

services de sages-femmes à la place de ceux du médecin/gynécologue dans les cas

où il n’y a aucun risque pour la santé.

31. Le Comité renouvelle sa précédente recommandation faite à l’État partie

d’envisager d’adopter dans les meilleurs délais une loi sur les droits des patients, y

compris les droits des femmes en matière de santé procréative. Pour cela, l’État partie

devrait :

a) Adopter des lignes directrices claires pour que la séparation des nouveau-nés

d’avec leur mère soit subordonnée à des impératifs médicaux ;

b) Mettre en place un système de soins de santé prénatals qui permette d’évaluer

efficacement la faisabilité d’un accouchement à domicile et la possibilité de faire ce

choix ;

c) À la lumière de la récente adoption de la loi no 372/2011 Coll. relative aux

services de santé et aux conditions d’offre de ces services, garantir sa mise en œuvre

effective dans le respect de la Convention, notamment par l’adoption et

[l’application] d’un protocole de soins pour les naissances sans problèmes qui

garantisse le respect des droits des patients et permette d’éviter les interventions

médicales inopportunes, faire en sorte que les interventions ne puissent être

effectuées qu’avec le consentement préalable, libre et éclairé de la femme, contrôler

la qualité des soins dispensés dans les maternités, prévoir une formation obligatoire

à l’intention de tous les personnels de santé portant sur les droits des patients et les

normes éthiques connexes et continuer de sensibiliser les patients à leurs droits,

notamment en diffusant ces informations ;

d) Prendre des mesures, notamment d’ordre législatif, pour que les accouchements

pratiqués par des sages-femmes en dehors des hôpitaux soient une option sans

danger et abordable pour les femmes. »

V. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ

67. D’après les informations dont la Cour dispose, l’accouchement

programmé pour se dérouler à domicile est prévu par le droit interne et

réglementé dans vingt États membres du Conseil de l’Europe (l’Allemagne,

l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Estonie, l’ex-République

yougoslave de Macédoine, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande,

l’Islande, l’Italie, la Lettonie, le Liechtenstein, le Luxembourg, les

Pays-Bas, la Pologne, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse). Dans ces

pays, le droit d’accoucher à domicile n’est jamais absolu et reste toujours

Page 21: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 19

subordonné au respect de certaines conditions médicales. De plus, dans

quinze de ces États seulement, l’assurance maladie nationale prend en

charge les accouchements à domicile.

68. Il ressort également que l’accouchement à domicile n’est pas

réglementé ou est sous-réglementé dans vingt-trois États membres

(l’Albanie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la

Croatie, l’Espagne, la Finlande, la Géorgie, la Lituanie, Malte, la

République de Moldova, Monaco, le Monténégro, le Portugal, la Roumanie,

la Russie, Saint-Marin, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Turquie et

l’Ukraine). Il apparaît que dans certains de ces pays l’accouchement à

domicile est pratiqué, mais sans cadre juridique et sans couverture médicale

nationale. Par ailleurs, l’étude n’a pas permis de découvrir de législation qui

interdise l’assistance d’une sage-femme lors d’un accouchement à domicile.

Dans un très petit nombre d’États membres parmi ceux étudiés, des

sanctions disciplinaires ou pénales sont possibles mais semblent toutefois

rarement infligées.

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA

CONVENTION

69. Les requérantes se plaignent que le droit tchèque n’autorisait pas les

professionnels de santé à les assister pendant leur accouchement à domicile.

Elles y voient une violation du droit au respect de la vie privée consacré par

l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile

et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit

que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une

mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la

sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la

prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la

protection des droits et libertés d’autrui. »

70. Le Gouvernement conteste la thèse des requérantes.

A. L’arrêt de la chambre

71. Dans son arrêt du 11 décembre 2014, la chambre a conclu à la

non-violation de l’article 8 de la Convention. Elle a estimé que donner la vie

était un aspect particulièrement intime de la vie privée d’une mère, qui

englobait des questions touchant à l’intégrité physique et morale, à l’acte

Page 22: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

20 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

médical, à la santé génésique et à la protection des informations relatives à

la santé. Elle a indiqué que les décisions concernant les conditions de

l’accouchement, y compris le choix du lieu, relevaient donc de la vie privée

de la mère aux fins de l’article 8. Elle a jugé qu’il convenait d’analyser les

griefs des requérantes sous l’angle des obligations négatives et que

l’impossibilité pour les intéressées de se faire assister par une sage-femme

pour accoucher chez elles s’analysait en une ingérence dans l’exercice par

elles de leur droit au respect de leur vie privée.

72. La chambre a ajouté que l’ingérence était prévue par la loi, étant

donné que, même si la législation n’était pas tout à fait claire, les

requérantes pouvaient néanmoins prévoir, à un degré raisonnable dans les

circonstances de l’espèce, que l’assistance d’un professionnel de santé pour

un accouchement à domicile n’était pas autorisée par la loi. Elle a dit que

l’ingérence poursuivait un but légitime en ce qu’elle était destinée à

protéger la santé et la sécurité des nouveau-nés et, au moins indirectement,

celles des mères.

73. Sur le point de savoir si l’ingérence était nécessaire dans une société

démocratique, la chambre a estimé que l’État défendeur devait jouir d’une

ample marge d’appréciation en raison de la nécessité pour les autorités

nationales de procéder à une analyse de données spécialisées et scientifiques

concernant les risques afférents à l’accouchement à l’hôpital d’une part et à

l’accouchement à domicile d’autre part, de la nécessité d’une grande

implication de l’État due à la vulnérabilité des nouveau-nés et à leur

dépendance à l’égard d’autres personnes, de l’absence d’une claire

communauté de vues entre les États membres sur la question de

l’accouchement à domicile et, enfin, de considérations générales de

politique sociale et économique, notamment l’allocation de ressources à la

création d’un système d’urgence adéquat pour les accouchements à

domicile.

74. La chambre a dit que la situation en question avait pesé lourdement

sur la liberté de choix des requérantes, alors que le Gouvernement s’était

principalement intéressé à l’objectif légitime que constitue la protection de

l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle a ajouté qu’en fonction de sa nature et de

sa gravité, l’intérêt de l’enfant pouvait l’emporter sur celui du parent, lequel

n’était pas autorisé en vertu de l’article 8 de la Convention à prendre des

mesures préjudiciables à la santé et au développement de l’enfant. Pour la

chambre, même si aucun conflit d’intérêts n’opposait généralement une

mère et son enfant, on pouvait considérer que certains choix concernant le

lieu, les conditions ou la méthode d’accouchement engendraient un risque

accru pour la santé et la sécurité du nouveau-né, comme l’attestaient les

chiffres relatifs aux décès périnatals et néonatals.

75. La chambre a estimé que si la majorité des études dont elle disposait

sur la sécurité des accouchements à domicile indiquaient que ceux-ci ne

présentaient pas plus de risques que les accouchements à l’hôpital, cela

Page 23: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 21

n’était vrai que sous certaines conditions, c’est-à-dire si l’accouchement

était « à faible risque », s’il se déroulait en présence d’une sage-femme

qualifiée et non loin d’un hôpital pouvant accueillir la mère en cas

d’urgence. La chambre en a déduit que dans une situation telle que celle

prévalant en République tchèque, où les professionnels de santé n’avaient

pas le droit d’aider les mères à accoucher à domicile et où aucune aide

d’urgence spéciale n’était disponible, le risque pour la vie et la santé des

mères et des nouveau-nés était en fait accru. Relevant cependant l’argument

du Gouvernement selon lequel le risque pour les nouveau-nés était plus

élevé en cas d’accouchement à domicile, la chambre a dit qu’il était vrai que

même si une grossesse se déroulait apparemment sans complications, des

difficultés inattendues nécessitant une intervention médicale spécialisée

pouvaient survenir au moment de l’accouchement. Elle a conclu que dans

ces conditions on ne pouvait affirmer que les mères concernées, dont les

requérantes, avaient eu à supporter une charge disproportionnée et excessive

et qu’en conséquence, en adoptant et en appliquant la politique relative aux

accouchements à domicile, les autorités tchèques n’avaient pas outrepassé

l’ample marge d’appréciation qui leur était accordée ni compromis le juste

équilibre requis entre les intérêts concurrents.

76. Enfin, la chambre a observé qu’en dépit de cette conclusion les

autorités devaient soumettre les dispositions pertinentes à un examen

constant afin de prendre en compte les avancées médicales, scientifiques et

juridiques.

B. Thèses des parties devant la Grande Chambre

1. Les requérantes

a) Sur les obligations négatives ou positives

i. Mme Dubská

77. La requérante soutient que la présente affaire concerne la protection

de la santé des femmes et de leurs enfants, qui à son avis se trouve

gravement compromise lorsque l’État autorise les femmes à accoucher chez

elles tout en adoptant des règles qui les empêchent de bénéficier de

l’assistance d’une sage-femme. Invoquant l’arrêt de la chambre, elle allègue

que l’État a porté atteinte à sa vie privée. Elle estime que l’affaire peut être

analysée à travers le prisme des obligations tant positives que négatives,

mais qu’il convient d’apprécier l’espèce principalement sous l’angle des

obligations négatives, l’interdiction faite aux sages-femmes d’aider les

femmes à accoucher à domicile pouvant selon elle être perçue comme une

ingérence dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée. Elle

considère en d’autres termes que la politique suivie par l’État a eu pour

Page 24: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

22 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

conséquence directe de l’empêcher d’obtenir l’assistance d’une sage-femme

lors de son accouchement.

ii. Mme Krejzová

78. La requérante déclare que l’impossibilité pratique à laquelle elle

s’est heurtée de choisir un autre mode d’accouchement et l’obligation où

elle s’est trouvée de se résigner à une prise en charge à l’hôpital – où elle

aurait été soumise à des actes obstétricaux violents – ont constitué une grave

violation de son droit à décider des conditions de son accouchement et une

atteinte à son droit à l’intégrité physique et morale découlant de l’article 8

de la Convention. Tout en estimant que les circonstances de l’espèce

plaident plutôt en faveur d’un examen sous l’angle des obligations positives

de l’État, elle souhaite appliquer une approche globale à la question de

savoir si le préjudice subi par elle se justifiait compte tenu des principes

pertinents contenus dans la Convention, étant entendu selon elle que les

principes sous-jacents de légalité, de légitimité et de proportionnalité sont

inhérents aux obligations positives comme aux obligations négatives de

l’État.

b) Sur la légalité de l’ingérence

i. Mme Dubská

79. La requérante soutient que l’ordre juridique tchèque permet

l’interprétation selon laquelle l’assistance d’un professionnel de santé est

autorisée lors d’un accouchement à domicile. Selon elle, dès lors qu’un

cadre juridique régit les obligations des sages-femmes, le droit des femmes

à l’autodétermination et à donner un consentement éclairé, et l’existence de

soins à domicile – notamment l’assistance d’un professionnel de santé lors

d’un accouchement à domicile –, il est possible d’affirmer que l’on dispose

d’un socle juridique et institutionnel qui autorise les femmes à choisir le lieu

de leur accouchement. Reconnaître la possibilité d’opter pour

l’accouchement à domicile n’exigerait pas de règle précise et explicite ni le

développement des services d’urgence existants. En outre, les services

d’urgence seraient déjà accessibles à toutes les femmes en République

tchèque, indépendamment du lieu où elles choisissent d’accoucher et de la

présence ou de l’absence d’un professionnel de santé lors de

l’accouchement.

80. La requérante affirme que la législation relative à l’accouchement à

domicile garantit à la patiente la liberté de décider d’accoucher chez elle en

toute légalité mais que cette législation, ou tout au moins l’interprétation qui

en est faite, n’est pas claire et n’offre aucune certitude quant à la possibilité

pour une sage-femme d’intervenir à domicile.

Page 25: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 23

81. Elle indique que l’arrêté no 221/2010, qui était en vigueur du

1er septembre 2010 au 31 mars 2012, n’a pas modifié la réglementation sur

l’accouchement à domicile ni interdit l’assistance lors d’un tel

accouchement. Elle expose que l’arrêté mentionnait trois lieux d’exercice

possibles pour les sages-femmes : ceux où les accouchements étaient

autorisés, ceux où les accouchements physiologiques n’étaient pas autorisés,

et les cabinets pour les soins à domicile. En fait, cet arrêté n’aurait pas

interdit aux sages-femmes de pratiquer des accouchements à domicile, si

bien qu’il aurait été malaisé de déterminer si une praticienne disposant d’un

cabinet pour les soins à domicile pouvait ou non prêter son assistance lors

d’un accouchement à domicile (donc en dehors de son lieu d’exercice). À ce

sujet, la requérante ajoute que l’article 18 § 1 de la loi sur la santé publique

autorisait les soins à domicile dans le cadre des soins de santé. Selon elle,

l’arrêté en question n’encadrait pas avec précision les activités des

sages-femmes. La requérante indique que même une sage-femme exerçant

dans un lieu immatriculé où les accouchements n’étaient pas autorisés

pouvait fort bien fournir une assistance lors d’un accouchement en milieu

hospitalier et accompagner la future mère à l’hôpital (bien qu’elle n’en fût

pas salariée) dès lors qu’elle avait conclu un contrat spécial avec

l’établissement en question. L’arrêté n’aurait été en vigueur que jusqu’au

31 mars 2012 et il n’aurait donc rien pu changer à la situation ambiguë qui

avait cours avant son adoption. En effet, en son article 2 § 1 il aurait accordé

aux établissements de santé existant avant son entrée en vigueur une période

transitoire de douze mois pour se conformer aux exigences qu’il posait. La

requérante plaide à cet égard qu’à l’époque où elle a mis au monde son

enfant l’arrêté n’était en vigueur que depuis huit mois et les établissements

de santé existants – y compris les sages-femmes, qui se seraient heurtées à

une procédure d’enregistrement floue et imprévisible – n’étaient pas encore

tenus de s’y conformer.

82. Invoquant l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Gillan et Quinton

c. Royaume-Uni (no 4158/05, § 77, CEDH 2010 (extraits)), la requérante

argue que la législation applicable ne fixait aucune limite aux décisions du

ministère de la Santé relatives aux conditions auxquelles était subordonné

l’exercice du métier de sage-femme en République tchèque. Par ailleurs, en

l’absence, selon elle, de dispositions régissant directement l’accouchement à

domicile, il n’y aurait pas eu de règles claires et transparentes pour les

administrations régionales appelées à décider si une sage-femme pouvait se

voir délivrer une autorisation et à définir ce que couvrait cette autorisation.

83. La requérante indique que ce n’est qu’après son accouchement que

la loi sur les services médicaux (no 372/2011) a été adoptée et est entrée en

vigueur (le 1er avril 2012), et qu’il en est de même pour l’arrêté no 92/2012.

Elle estime que la teneur et les principes des dispositions juridiques sont

restés inchangés. En effet, selon elle, la loi sur les services médicaux

considère les soins à domicile comme l’une des formes de soins de santé

Page 26: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

24 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

possibles, et fait des soins infirmiers une variante de cette forme

d’intervention (article 10). Or la définition des soins infirmiers engloberait

clairement les soins dispensés pendant la grossesse et l’accouchement

(article 5 § 2 g)). Quant à l’arrêté, il définirait l’équipement technique dont

doivent disposer les sages-femmes donnant des soins à domicile (annexe 9 à

l’arrêté). La loi contiendrait toutefois une nouvelle disposition, qui

consacrerait le droit des patients de bénéficier de services de santé dans

l’environnement le moins contraignant possible, sous réserve que la qualité

et la sécurité de ces services soient garanties (article 28 § 3 k)). Ni la loi ni

l’arrêté ne comporteraient de restrictions empêchant les sages-femmes de

fournir, dans le cadre des soins à domicile, des services de santé à une

femme qui accouche chez elle. Pourtant, le Gouvernement et d’autres

autorités publiques feraient de la législation une interprétation qui interdit

aux sages-femmes d’offrir une assistance pour des accouchements à

domicile, ce qui aurait clairement un effet dissuasif sur les praticiennes et

les conduirait à refuser d’apporter leur concours lors de tels accouchements.

La loi ne serait ni accessible ni prévisible dans son application, dès lors

qu’elle se prêterait à différentes interprétations. En conséquence, la

requérante conteste la conclusion de la chambre selon laquelle elle aurait

raisonnablement pu prévoir que la loi n’autorisait pas l’assistance d’un

professionnel de santé lors d’un accouchement à domicile.

ii. Mme Krejzová

84. La requérante convient avec le Gouvernement qu’à la date à laquelle

elle a mis son enfant au monde, en mai 2012, le droit tchèque n’autorisait

pas les accouchements à domicile assistés. Elle plaide toutefois que pendant

la majeure partie de sa grossesse c’était la législation en vigueur avant avril

2012 qui lui était applicable. Elle rappelle à cet égard qu’avant le 1er avril

2012 aucune disposition légale n’empêchait les sages-femmes de dispenser

des soins lors d’un accouchement à domicile. Elle indique que pour pouvoir

prodiguer des soins, une sage-femme devait notamment être titulaire d’une

autorisation d’exercer lui permettant d’être assimilée à un prestataire de

soins non public. Après l’adoption de l’arrêté no 221/2010, qui aurait

imposé aux sages-femmes de disposer de moyens humains, matériels et

techniques identiques à ceux dont sont équipées les salles d’accouchement

dans les maternités, plus aucune sage-femme n’aurait obtenu cette

autorisation. Toutefois, malgré les obligations très lourdes qu’il aurait fait

peser sur les praticiennes en matière d’équipement, cet arrêté n’aurait pas

automatiquement rendu caduques les autorisations déjà délivrées. Ainsi,

malgré la persistance de ces impératifs concernant l’équipement, certaines

sages-femmes auraient pu en théorie poursuivre leur activité dans le respect

des normes antérieures ou, plus exactement, dans le vide juridique qui aurait

existé. En conséquence, les femmes enceintes n’auraient eu aucune certitude

juridique sur le point de savoir si elles pouvaient bénéficier de l’assistance

Page 27: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 25

d’une sage-femme pour un accouchement à domicile et les praticiennes n’en

auraient pas eu davantage quant à la question de savoir si elles étaient

légalement autorisées à fournir pareille assistance. Cette situation serait

contraire aux principes de prévisibilité et d’absence d’arbitraire.

85. En ce qui concerne la réglementation introduite en 2012, à savoir

l’arrêté no 92/2012, qui de façon générale aurait également imposé de

lourdes obligations aux sages-femmes en matière de moyens humains,

matériels et techniques, la requérante soutient qu’elle n’a pas été adoptée

selon la procédure obligatoire prévue pour l’adoption de textes

réglementaires par le ministère de la Santé. Les ministères seraient en effet

tenus de faire réaliser une étude d’impact pour tout nouveau règlement. Or,

selon la requérante, ces études d’impact n’avaient pas été réalisées, et

encore moins publiées, lorsque le processus d’adoption des arrêtés

nos 221/2010 et 92/2012 a démarré, de sorte qu’il n’y aurait pas eu de

contrôle effectif du public sur l’exercice du pouvoir législatif délégué au

ministère de la Santé.

c) Sur l’existence d’un but légitime

i. Mme Dubská

86. La requérante considère que la chambre a admis à tort l’existence du

« but légitime » invoqué par le Gouvernement. À ses yeux, la politique mise

en œuvre par l’État n’a pas pour effet de protéger la santé et la vie des

femmes et de leurs enfants, mais d’aggraver les risques auxquels leur santé

et leur vie sont exposées. Il n’y aurait aucun lien logique entre le but

légitime déclaré, à savoir la protection de la vie et de la santé des femmes et

des enfants, et l’atteinte au droit à la protection de la vie privée que

constituerait le fait d’empêcher un professionnel qualifié de fournir des

soins lors d’un accouchement à domicile. Au contraire, cette interdiction

ferait peser un risque accru sur la santé et la vie des femmes.

ii. Mme Krejzová

87. La requérante soutient qu’en l’espèce on ne pouvait poursuivre

aucun but légitime en l’empêchant de bénéficier de l’assistance d’une

sage-femme.

88. Par définition, le principe de légitimité exigerait que le but poursuivi

fût précis, ce qui supposerait que l’État eût une bonne connaissance du

domaine spécifique à réglementer, ainsi que de ses dysfonctionnements ou

de la marge d’amélioration. La requérante argue que la nécessité de bien

connaître le domaine concerné est évidente en l’espèce, compte tenu de la

question complexe en cause, nécessitant l’avis d’experts médicaux et des

données scientifiques sur les risques relatifs de l’accouchement en milieu

hospitalier ou à domicile. Elle estime que la législation spécifique adoptée

par l’État a totalement privé les femmes de la possibilité de se faire aider par

Page 28: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

26 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

une sage-femme lors d’un accouchement programmé en dehors du milieu

hospitalier, et qu’en conséquence il était raisonnable d’attendre que cette

mesure fût suffisamment étayée par des données scientifiques et par l’avis

d’experts pour être justifiée et satisfaire au critère de légitimité.

89. La requérante ajoute qu’en fait depuis 1992 les femmes tchèques

pouvaient recourir en toute légalité aux services d’une sage-femme pour

accoucher à domicile, et ce jusqu’à ce que les mesures adoptées en 2010 et

2012 les privent du droit de décider des circonstances de leur accouchement.

Le Gouvernement aurait donc eu deux décennies pour recueillir des données

scientifiques sur les actes effectués par les sages-femmes en dehors d’une

structure hospitalière et pour analyser cette pratique en profondeur. Or il

n’aurait même jamais indiqué avoir réalisé pareille analyse de fond. Ainsi,

lorsqu’en 2010 et 2012 il aurait privé les femmes du droit de choisir les

circonstances de la naissance de leur enfant, le Gouvernement n’aurait eu

aucune connaissance ni des inconvénients et risques liés aux accouchements

à domicile assistés auxquels la législation en question entendait mettre fin,

ni du but positif recherché.

d) Sur la nécessité dans une société démocratique

i. Mme Dubská

90. La requérante considère qu’il y a lieu de distinguer la présente

espèce des affaires Stübing c. Allemagne (no 43547/08, 12 avril 2012) et

A, B et C c. Irlande ([GC], no 25579/05, CEDH 2010), toutes deux évoquées

par la chambre. La Cour aurait estimé dans les arrêts en question que ces

affaires concernaient des questions de nature « morale » et que l’affaire

A, B et C c. Irlande avait trait à des problèmes particulièrement « sensibles »

dans le pays en cause, ce qui l’aurait conduite à reconnaître une ample

marge d’appréciation à l’État malgré l’existence d’une approche commune

ou d’un consensus au sein des États membres.

91. Les questions en jeu dans la présente affaire n’auraient pas de

caractère moral ou sensible, et la République tchèque n’aurait pas laissé

entendre qu’il en était ainsi ou que le but ou l’intérêt poursuivi par

l’ingérence de l’État dans l’exercice des droits de la requérante découlant de

l’article 8 était la protection de la morale publique. De plus, la chambre

aurait fait fausse route en affirmant qu’il n’existait pas d’approche

commune claire en ce qui concerne l’assistance de professionnels qualifiés

pour les accouchements à domicile. En fait, selon la requérante, sur

trente-deux États membres du Conseil de l’Europe étudiés, seize

autoriseraient expressément cette assistance à certaines conditions, cinq

l’admettraient dans la pratique sans toutefois avoir adopté de dispositions

expresses, tandis que dans deux autres une législation autorisant les

accouchements à domicile serait actuellement à l’étude. La requérante

estime que les États membres ont, dans une large mesure, une communauté

Page 29: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 27

de vues sur le fait que le meilleur moyen de protéger l’intérêt des femmes

désireuses d’accoucher chez elles consiste à autoriser les sages-femmes à les

assister.

92. La requérante considère par ailleurs que l’approche répressive

adoptée par la République tchèque peut avoir des répercussions sur la

possibilité pour les femmes d’exercer d’autres droits fondamentaux, comme

le droit à la vie et le droit à la santé. Elle est d’avis qu’en rendant les

accouchements à domicile moins sûrs pour les mères, l’État fait peser un

risque sur ces autres droits, ce qui plaiderait en faveur d’une marge

d’appréciation étroite. Elle ajoute que l’avis d’experts internationaux sur la

santé maternelle et l’importance de la présence de professionnels qualifiés

auprès des parturientes confirme l’approche qui, d’après elle, fait l’objet

d’un consensus au sein des États membres. À cet égard, elle renvoie à des

avis émanant de l’Organisation mondiale de la santé.

93. La requérante estime que la chambre, lorsqu’elle admet que la

pratique de la plupart des hôpitaux tchèques est discutable quant au respect

des choix des mères, use d’un doux euphémisme pour décrire un traitement

qui constituerait souvent un traitement inhumain et dégradant contraire à

l’article 3 de la Convention. De l’avis de la requérante, une femme qui

accouche à l’hôpital en République tchèque risque fort de subir des actes

irrespectueux de ses choix, voire, comme cela arriverait souvent,

préjudiciables à sa santé et à celle du nouveau-né. De surcroît, les tribunaux

internes se montreraient régulièrement incapables de protéger les femmes

dont les droits auraient été violés dans des maternités tchèques. Il s’agirait là

d’un type de violence qui, dans le contexte tchèque, serait minimisé ou

totalement ignoré.

94. La requérante considère par ailleurs qu’en empêchant les

sages-femmes et autres professionnels qualifiés d’assister les femmes qui

accouchent à domicile, l’État applique une politique non conforme aux

normes internationales relatives à l’élimination de la mortalité et de la

morbidité maternelles et infantiles évitables. Elle ajoute, sans donner de

précisions, que la situation en République tchèque va à l’encontre des

obligations qui incombent à l’État en vertu du droit de l’Union européenne.

ii. Mme Krejzová

95. La requérante estime que le droit pour une femme de choisir les

conditions dans lesquelles elle met son enfant au monde touche à la notion

générale de choix, qui aurait une dimension quantitative et une dimension

qualitative, lesquelles devraient l’une et l’autre être présentes

simultanément.

96. Il ne prêterait pas à controverse entre les parties que la loi sur les

services médicaux et l’arrêté no 92/2012 interdisent aux sages-femmes

d’intervenir lors d’un accouchement se déroulant en dehors du milieu

hospitalier et que la requérante était contrainte d’accoucher à l’hôpital si elle

Page 30: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

28 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

voulait bénéficier de l’assistance de personnel médical qualifié. Le système

en place pour l’accouchement en République tchèque ne proposerait donc

qu’une seule option, de sorte qu’il serait par essence incompatible avec

l’idée que la femme doit pouvoir choisir les circonstances dans lesquelles

elle souhaite accoucher.

97. La requérante soutient que les problématiques liées à la grossesse et

à l’accouchement, et au degré de liberté des femmes à cet égard, soulèvent

également d’importantes questions concernant les relations

hommes-femmes. Elle argue que le domaine des droits génésiques des

femmes, qui selon elle est par définition féminin, est passé sous l’emprise

des hommes. Elle estime que la raison en est notamment que la profession

médicale a transformé l’accouchement et déplacé le cadre de celui-ci, ce qui

aurait affaibli le rôle naturel des femmes. Le déplacement en question aurait

introduit, dans le domaine de la grossesse et de la naissance, une nouvelle

hiérarchie qui ne cadrerait pas avec la prise en charge de l’accouchement

par les sages-femmes, basée sur une approche globale et féminine. Dans

cette discipline dominée par les hommes que serait l’obstétrique

biomédicale, le corps de la femme perdrait son intimité fondamentale et

deviendrait vulnérable face à un expert médical de sexe masculin agissant

comme une sorte d’autorité publique.

98. La requérante considère que la grossesse et l’accouchement sont les

aspects les plus intimes de la vie d’une femme, alors que, dans cet acte

délicat qu’est la mise au monde d’un enfant, elle est obligée par la force des

choses de mettre à nu devant des tiers son corps et ses émotions les plus

profondes. Le droit d’une personne à l’autodétermination engloberait sa

liberté de décider si et dans quelle mesure elle veut ou non montrer son

corps à tel ou tel tiers. À cet égard les parturientes ne pourraient pas ipso

facto exercer le même contrôle sur leur corps au motif qu’elles seraient

obligées pendant l’accouchement de partager avec d’autres ce qu’elles ont

de plus intime. Le droit de la femme à l’autodétermination serait

naturellement limité dans ce contexte, si bien que des mécanismes destinés à

compenser ces limitations seraient nécessaires. Le droit de la femme de

choisir les conditions dans lesquelles elle met son enfant au monde serait

l’un de ces principaux mécanismes. La requérante estime donc que son droit

de décider des conditions de son accouchement est destiné à compenser la

limitation de son droit à l’autodétermination, et qu’en conséquence il ne

peut en principe subir d’autres restrictions découlant de la marge

d’appréciation du Gouvernement, laquelle devrait pour cette raison être

étroite.

99. Concernant l’existence d’un consensus européen en la matière, la

requérante indique que sur trente-trois États parties à la Convention, quatre

seulement, dont la République tchèque, tiennent pour illégal les

accouchements assistés en dehors d’une structure hospitalière et rendent

passibles de sanctions les professionnels de santé qui les pratiquent. De

Page 31: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 29

même que l’existence d’un consensus européen restreindrait la marge

d’appréciation du Gouvernement sur la base d’un critère quantitatif, l’idée

que la Convention est un instrument vivant restreindrait plus encore

l’étendue de cette marge sur la base d’un critère qualitatif. La marge

d’appréciation serait d’autant plus étroite que des valeurs communes aux

États membres seraient identifiées à la lumière non seulement de la

Convention mais aussi d’autres instruments internationaux – même non

contraignants ou non ratifiés par la majorité des États parties à la

Convention –, et également de la pratique générale, du climat moral et des

comportements observés dans les États membres.

100. La requérante soutient par ailleurs que confier à l’hôpital le

monopole des soins n’améliore pas la sécurité des nouveau-nés mais accroît

les risques pour les mères, y compris le risque d’actes obstétricaux violents,

et que les accouchements à domicile n’ont pas d’incidence négative sur la

mortalité périnatale.

101. Concernant le juste équilibre qu’il y aurait lieu de ménager entre

intérêts privés et publics concurrents, l’accouchement à domicile serait une

solution plus sûre que l’accouchement à l’hôpital pour les femmes ayant une

grossesse à faible risque en ce qu’il n’impliquerait pas d’actes invasifs,

systématiques et néfastes, et l’intérêt public à protéger la santé et la sécurité

des femmes enceintes ne pourrait donc pas passer pour primer l’intérêt privé

de la requérante. La santé et la sécurité des nouveau-nés ne constitueraient

pas davantage l’intérêt public en jeu. Il serait en fait établi que

l’accouchement médicalisé en milieu hospitalier et l’accouchement à

domicile assisté sont équivalents du point de vue de la santé et de la sécurité

des nouveau-nés. En conséquence, une prise en charge obstétricale de la

naissance n’étant pas, selon la requérante, plus sûre qu’un accouchement à

domicile assisté, cet aspect ne pourrait pas davantage constituer un intérêt

public légitime de nature à l’emporter sur le droit pour la requérante de

choisir les conditions de son accouchement.

102. La requérante soutient qu’il existe d’autres motifs étayant le défaut

de proportionnalité et l’absence d’un juste équilibre entre intérêts

concurrents : l’obligation de se résoudre à recevoir des soins médicaux non

désirés, les effets négatifs des mesures prises par le Gouvernement sur les

accouchements hors milieu hospitalier ou encore le manquement du

Gouvernement aux obligations lui incombant en vertu de traités

internationaux.

2. Le Gouvernement

103. D’emblée, le Gouvernement informe la Cour des évolutions

récentes intervenues dans les domaines de l’obstétrique, du métier de

sage-femme et des droits connexes des femmes. Il indique qu’en 2014 a été

créé un comité gouvernemental d’experts composé de spécialistes issus de

diverses disciplines pertinentes, parmi lesquels des représentants des

Page 32: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

30 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

patients, d’associations de sages-femmes, d’associations de médecins, du

ministère de la Santé, de compagnies d’assurance maladie publiques et

d’avocats. Ce comité se pencherait principalement sur la complexité du

système tchèque de soins obstétricaux et de soins dispensés par des

sages-femmes, notamment sur la question du respect des droits et des

souhaits des femmes, dont le droit de choisir entre différentes options pour

accoucher. Il aurait vocation à agir en tant qu’organe spécialisé et serait

habilité à adresser des recommandations, y compris d’ordre législatif, au

gouvernement par le biais du Conseil gouvernemental pour l’égalité des

chances entre les femmes et les hommes.

104. Le Gouvernement indique par ailleurs que, dans une déclaration

officielle publiée en 2015, la Société tchèque de gynécologie et

d’obstétrique a dégagé les principes directeurs suivants relativement aux

soins obstétricaux dispensés en République tchèque : prestation de ces soins

par des médecins et par des sages-femmes uniquement dans des locaux

dotés de l’équipement adéquat et situés à proximité immédiate d’un

établissement où sont dispensés des soins plus performants ; coopération

étroite entre médecins et sages-femmes dans le domaine des soins

obstétricaux ; pour les grossesses physiologiques, adoption d’une pratique

laissant aux sages-femmes à titre principal le soin de se charger des

accouchements ; prestation de soins selon des protocoles régulièrement mis

à jour et reflétant les tendances scientifiques et internationales ; respect des

droits de la patiente à l’intimité, à l’autonomie et à des soins assurés dans le

respect de sa personne.

105. Le Gouvernement évoque également divers articles scientifiques,

publiés depuis 2013 par l’American Journal of Obstetrics and Gynecology,

qui traiteraient de nouvelles études sur la sécurité de l’accouchement dans

différents cadres et avec l’assistance de différents professionnels de

l’accouchement. D’après les conclusions de ces recherches, les

accouchements à domicile présenteraient un bilan moins bon que les

accouchements dans des établissements de santé dûment équipés,

indépendamment des professionnels présents. L’accouchement à domicile

ne satisferait donc pas aux normes actuelles concernant la sécurité des

patients en matière de soins obstétricaux dès lors qu’il présenterait un risque

accru, inutile, évitable et irrémédiable de dommages pour les parturientes,

les fœtus et les nouveau-nés.

a) Sur les obligations négatives ou positives

106. Le Gouvernement soutient que l’affaire doit être examinée sur le

seul terrain des obligations positives, que le droit en vigueur n’interdit pas

aux femmes enceintes d’accoucher à leur domicile privé et qu’en pareil cas

les autorités n’infligent pas de sanctions. Il estime qu’en conséquence la

principale question en l’espèce est de savoir si l’État doit élargir l’étendue

actuelle des soins de santé fournis aux femmes qui accouchent en

Page 33: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 31

République tchèque. Il considère que, d’une manière générale, la prestation

de soins de santé est un domaine dans lequel la réglementation constitue la

norme, et qu’ainsi l’État peut garantir une certaine qualité et un certain

niveau dans les soins de santé tant privés que publics. Il est d’avis que pour

« permettre » l’assistance de professionnels de santé lors des accouchements

à domicile, il faudrait que l’État mette en place un cadre législatif et

administratif considérable et prenne d’autres mesures, notamment qu’il

réforme le système des soins d’urgence.

107. À titre subsidiaire, et se référant en particulier à l’affaire Hristozov

et autres c. Bulgarie (nos 47039/11 et 358/12, CEDH 2012 (extraits)), le

Gouvernement propose à la Cour de ne pas trancher la question de savoir si

ce sont des obligations positives ou négatives de l’État qui sont en jeu.

108. Dans l’hypothèse où la Cour déciderait d’examiner la présente

espèce sous l’angle des obligations négatives, le Gouvernement plaide que

le droit en vigueur n’interdit pas aux femmes enceintes d’accoucher à leur

domicile privé, que les autorités ne les sanctionnent pas pour cela et qu’en

conséquence il n’y a pas eu d’ingérence dans l’exercice du droit des

requérantes au respect de leur vie privée.

b) Sur la légalité de l’ingérence

109. Les dispositions de la loi sur les services médicaux établiraient

clairement que l’assistance d’un professionnel de santé pour un

accouchement relève des soins qui sont l’apanage des établissements de

santé satisfaisant à des exigences minimales expressément définies dans

l’arrêté d’application. La règle selon laquelle les soins doivent être fournis

dans des établissements de santé dotés de l’équipement adéquat, dans les

lieux précisés dans l’autorisation pertinente, serait assortie de dérogations

explicites, concernant notamment les soins prodigués dans le propre cadre

de vie du patient (par exemple à domicile) et les soins d’urgence.

L’assistance lors d’un accouchement programmé ne serait couverte par

aucune de ces dérogations. En particulier, elle ne relèverait pas des soins de

santé dispensés dans le cadre de vie du patient tel que défini à l’article 10 de

la loi sur les services médicaux, en ce que cette disposition indiquerait

expressément que pour les soins de santé fournis dans le cadre de vie du

patient seuls sont autorisés les actes médicaux auxquels ne sont pas

applicables les conditions relatives à l’équipement technique et matériel

nécessaire à leur réalisation dans un établissement de santé. Or l’assistance

lors d’un accouchement serait soumise à ces conditions.

110. Dès lors, les autorités régionales ne délivreraient pas et ne

pourraient pas délivrer à une sage-femme une autorisation de prestation de

services de santé « sur le terrain » lui permettant de fournir pareils services

lors d’accouchements à domicile. À défaut d’autorisation, un prestataire de

soins de santé n’aurait pas le droit d’assurer des services de santé.

Page 34: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

32 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

111. En outre, le cadre juridique pertinent assurerait la sécurité juridique

et la prévisibilité en ce qu’il établirait les exigences précises et dénuées

d’ambiguïté que doivent remplir une sage-femme ou un médecin pour

pouvoir assister une femme lors de tout accouchement prévu. Contrairement

au droit hongrois, que la Cour aurait critiqué dans l’affaire Ternovszky

c. Hongrie (no 67545/09, 14 décembre 2010) pour son défaut de

prévisibilité, la législation tchèque disposerait que les professionnels de

santé, y compris les sages-femmes, ne peuvent pratiquer un accouchement

que dans des locaux adéquatement équipés et définirait clairement les

exigences à remplir pour la fourniture de ces soins.

c) Sur l’existence d’un but légitime

112. Le Gouvernement soutient que la politique en cause vise à protéger

la santé et la sécurité de l’enfant pendant et après l’accouchement et, à tout

le moins indirectement, celles de la mère. Selon lui, ces intérêts reflètent les

buts légitimes généraux que sont la protection de la santé et la protection

des droits d’autrui.

d) Sur la nécessité dans une société démocratique

113. Le Gouvernement soutient que, pour préserver l’intérêt public que

constitue la protection de la santé et de la vie, l’une des tâches essentielles

de l’État consiste à assurer et maintenir des soins de santé d’un certain

niveau et d’une certaine qualité, qu’ils soient dispensés dans le cadre du

régime public ou du régime privé. Il considère donc que l’État ne doit pas

être contraint d’autoriser un type de soins de santé qu’il n’estime pas sûr.

114. Le Gouvernement ajoute que le droit interne applicable vise à

garantir que les soins de santé soient fournis dans des « lieux

d’accouchement sûrs » – c’est-à-dire des locaux dotés de l’équipement

adéquat et situés à proximité immédiate d’un établissement où sont

dispensés des soins plus performants –, de façon à réduire au minimum les

risques pour la santé et la vie des nouveau-nés et des mères en cas de

complications soudaines. Il affirme que l’abaissement de ces normes

médicales est de nature à accroître les risques liés aux soins administrés tout

au long de l’accouchement et à amoindrir leur niveau et leur qualité.

115. Le Gouvernement indique que le conflit entre les demandes des

requérantes et les obligations découlant du droit à la vie et du droit à la santé

conforte son opinion selon laquelle le droit au respect de la vie privée ne

peut être interprété dans un sens si large qu’il exigerait de l’État la mise en

place d’un cadre autorisant la fourniture de soins de santé lors d’un

accouchement à domicile, alors même que les autorités, en collaboration

avec des spécialistes de l’obstétrique et du métier de sage-femme, ont selon

lui établi que la politique de l’État la plus opportune et répondant au solide

intérêt public susmentionné consiste à offrir des soins gratuits et accessibles

permettant des accouchements dans des lieux possédant l’équipement

Page 35: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 33

médical adéquat et la capacité de réagir rapidement aux urgences. Le

Gouvernement considère que la simple assistance d’une sage-femme lors

d’un accouchement à domicile est insuffisante. En effet, en cas de

complications soudaines, le nouveau-né pourrait se trouver exposé à des

risques pourtant évitables. Selon le Gouvernement, les professionnels de

santé, y compris les sages-femmes, ne peuvent gérer efficacement de telles

complications dans des logements privés, qui à son avis ne sont pas

adéquatement équipés à cette fin et qui, souvent, ne sont pas situés à

proximité immédiate d’un établissement dispensant des soins plus

performants. En d’autres termes, pour le Gouvernement, dans le cas de

naissances prévues pour se dérouler à domicile, les soins de santé ne

seraient pas fournis dans un lieu sûr pour l’accouchement.

116. Le Gouvernement ajoute que la législation en cause dispose qu’un

professionnel de santé ne peut pratiquer un accouchement prévu que dans

des locaux dotés d’un équipement adéquat et situés à proximité immédiate

d’un établissement où sont dispensés des soins plus performants. Selon lui,

il faut voir dans ces exigences non pas des mesures empêchant

spécifiquement les sages-femmes d’intervenir lors d’un accouchement à

domicile, mais des normes minimales nécessaires pour la prestation de soins

pendant tout accouchement prévu. Les exigences minimales en question ne

seraient pas excessives et poursuivraient efficacement l’objectif qui consiste

à réduire au minimum les risques de complications graves en permettant de

les détecter à temps et de mettre en œuvre une solution rapide.

117. En outre, renvoyant à divers exemples de bonne pratique, le

Gouvernement conteste la conclusion de la chambre selon laquelle la

pratique de la plupart des hôpitaux régionaux est discutable quant au respect

du choix des mères. Il estime que l’importance requise a été accordée aux

intérêts liés à la vie privée qui sont en jeu et que la politique tchèque en

matière de naissance a été élaborée de manière à atteindre un juste équilibre

prenant en considération les intérêts des enfants et des mères. À son avis, on

peut observer dans les maternités tchèques une tendance nette et avérée à

prendre en compte les droits des femmes enceintes, y compris le droit de

choisir parmi un large éventail de conditions d’accouchement.

118. Le Gouvernement attire l’attention de la Cour sur le rapport

européen de 2013 sur la santé périnatale, selon lequel la République tchèque

enregistrerait le plus faible taux de mortalité fœtale et, avec l’Islande et

Chypre, le plus faible taux de mortalité néonatale précoce d’Europe

(paragraphe 29 ci-dessus). Il estime que la République tchèque doit

principalement ce bilan, qu’il juge objectivement exceptionnel, à son

système sophistiqué de soins obstétricaux de haut niveau et à la législation

en vigueur garantissant que ces soins de santé (c’est-à-dire l’assistance lors

d’un accouchement) sont dispensés uniquement dans des locaux dûment

équipés. Il indique à ce sujet que ces soins sont accessibles gratuitement à

toutes les femmes enceintes.

Page 36: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

34 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

119. Globalement, le Gouvernement se dit fermement convaincu qu’en

raison de la nature même de la problématique en cause, qui à son avis met

en jeu des questions complexes de politique de santé, notamment des

aspects scientifiques et spécialisés et des considérations générales de

politique économique, l’État bénéficie d’une ample marge d’appréciation,

qu’il n’aurait pas outrepassée en l’espèce.

120. En outre, il conteste les observations de certains tiers intervenants.

Pour lui, celles de la défenseure publique des droits ne constituent pas une

source d’informations fiable aux fins de l’espèce, en particulier parce

qu’elles renverraient à quelques rares plaintes pour des mauvais traitements

que des femmes allègueraient avoir subis dans des maternités tchèques. Ces

plaintes représenteraient une fraction négligeable par rapport à l’ensemble

des naissances enregistrées dans le pays et n’auraient pas encore

complètement été examinées et tranchées par la défenseure publique

elle-même.

121. Le Gouvernement s’inscrit également en faux contre une partie des

informations figurant dans les observations de l’Union tchèque des

sages-femmes (Unie porodních asistentek – UNIPA).

122. Concernant enfin l’Ordre royal des sages-femmes, qui prônerait un

système semblable à celui en vigueur au Royaume-Uni, le Gouvernement

déclare qu’il existe en Europe des cultures et des systèmes de santé qui

présentent des différences considérables, certains pays affichant d’ailleurs

un bilan plus satisfaisant que le Royaume-Uni. De l’avis du Gouvernement,

ce tiers intervenant a omis de préciser que la République tchèque enregistre

l’un des plus faibles taux de mortalité périnatale d’Europe et que le bilan

correspondant du Royaume-Uni est bien moins positif. Le système de santé

britannique ne permettrait pas d’obtenir de meilleurs résultats objectifs.

Selon le Gouvernement, la Cour ne doit pas se prononcer sur les diverses

modalités pratiques d’organisation des systèmes de santé.

3. Les observations des tierces parties

a) Le gouvernement de la République de Croatie

123. Le gouvernement croate indique que l’accouchement à domicile

fait l’objet en Croatie d’un dispositif législatif semblable à celui qui est en

vigueur en République tchèque.

124. À la lumière de l’ensemble des constats scientifiques dont il a

connaissance, il estime qu’un accouchement prévu pour se dérouler à

domicile demeure une option moins sûre qu’un accouchement ayant

entièrement lieu en milieu hospitalier. Il observe que, selon la commission

pour la médecine périnatale du ministère de la Santé de la République de

Croatie, les hôpitaux sont les lieux les plus sûrs pour pratiquer un

accouchement, en ce qu’ils offrent à la mère comme au nouveau-né les

meilleures garanties en matière de protection de la santé et de la vie. Il

Page 37: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 35

ajoute qu’à ce titre la question de savoir si l’État doit autoriser son

personnel médical à participer à des accouchements à domicile relève de la

marge d’appréciation de l’État, ce qui pour le gouvernement croate signifie

que chaque partie contractante doit être absolument libre de décider

elle-même, en fonction de sa propre évaluation de nombreux facteurs

pertinents, s’il y a lieu ou non d’offrir cette possibilité à ses citoyens. À son

avis, les parties contractantes ne doivent pas être contraintes de prendre des

dispositions pour l’accouchement à domicile, et l’esprit de la Convention

n’exige pas la mise en œuvre dans chaque partie contractante de mesures

législatives ou de pratiques en ce sens. Pour le tiers intervenant, cela ne

signifie pas pour autant qu’une partie contractante doive totalement négliger

le fait qu’un grand nombre de femmes se sentent mal à l’aise en milieu

hospitalier et que certains effets négatifs liés à l’accouchement peuvent être

en rapport avec ce sentiment de malaise et de crainte.

125. Le gouvernement croate considère toutefois que la solution à ce

problème ne réside pas dans l’obligation de prendre des mesures en faveur

de l’accouchement à domicile assisté. À son avis, la mise en œuvre de

mesures visant à améliorer le niveau de confort à l’hôpital peut constituer un

compromis. Il existe selon lui divers moyens possibles de combiner les

avantages des deux systèmes : faire de l’hôpital un environnement

accueillant ; donner au compagnon ou aux proches parents la possibilité

d’assister à l’accouchement ; permettre aux accouchées de garder leur

nouveau-né dans leur chambre ; avant et pendant le travail, respecter les

choix des parturientes quant aux actes médicaux proposés ; enfin, laisser les

femmes adopter d’autres positions pendant les contractions.

126. Le respect des souhaits des femmes concernant les aspects

susmentionnés, dans le contexte de l’article 8 de la Convention, relèverait

sans conteste de la Convention, ce qui ne serait pas le cas de

l’accouchement à domicile assisté.

b) Le gouvernement de la République slovaque

127. Le gouvernement slovaque souscrit sans réserve à la conclusion de

la chambre selon laquelle il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 8

de la Convention. Il considère par ailleurs qu’il est plus indiqué d’examiner

l’affaire du point de vue des obligations positives de l’État que de ses

obligations négatives.

128. Renvoyant à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits

économiques, sociaux et culturels, à l’article 12 de la Convention sur

l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, à

l’article 24 de la Convention relative aux droits de l’enfant et aux

paragraphes 15, 90 et 94 de l’Observation générale no 15 (2013) concernant

cette dernière convention, le gouvernement slovaque estime que les États

sont tenus par une solide obligation positive de réglementer et d’organiser

leur système de prestation de soins de santé liés à la naissance. Selon lui,

Page 38: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

36 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

cela consiste notamment à mettre en place une formation satisfaisante pour

tous les prestataires de soins de santé et les autres personnes concernées, à

surveiller et imposer le respect des droits médicaux, matériels et

fondamentaux et d’autres normes pertinentes et, dans ce contexte, à mettre

en œuvre un système de suivi et de réexamen constants de ces normes. À

son avis, le but recherché doit être la protection et la jouissance du droit à la

vie et du droit à la santé de la femme, ainsi que de l’enfant.

129. Le gouvernement slovaque se dit conscient non seulement de

l’obligation positive pour l’État de protéger la vie et la santé de l’enfant et

d’offrir à celui-ci les meilleurs soins de santé possibles, mais également des

responsabilités connexes. À son avis, il peut se révéler impossible de

remplir cette obligation en cas d’accouchement à domicile. La

réglementation slovaque obligerait les prestataires de soins de santé à

disposer de l’équipement matériel et technique requis par les règles

pertinentes. Les sages-femmes qualifiées ne seraient habilitées à intervenir

individuellement dans un établissement de santé qu’en cas d’accouchement

physiologique nécessitant une épisiotomie. L’accouchement à domicile

exposerait la mère et l’enfant à des risques que l’équipement de base d’un

domicile ne suffirait pas à pallier.

130. En République slovaque, le taux d’accouchements hors d’un

établissement de santé s’élèverait à 0,36 % (198 naissances) selon les

données les plus récentes (de 2013), de sorte qu’il ne serait pas possible de

livrer une évaluation statistique du niveau de sécurité correspondant à ce

mode d’accouchement. Les statistiques émanant de pays d’Europe

occidentale qui autorisent l’accouchement à domicile montreraient qu’une

part importante de ces accouchements exigent un transfert à l’hôpital : ainsi,

en Allemagne en 2013, pas moins de 11,3 % des accouchements à domicile

auraient requis une hospitalisation (pendant le processus d’accouchement) et

dans 0,1 % des cas l’enfant serait né pendant le transfert.

131. En outre, selon le gouvernement slovaque, la plupart des naissances

ne se déroulent pas comme prévu et elles peuvent donner lieu à une

situation imprévisible et présenter un risque grave pour la santé et la vie de

la mère et de l’enfant. Il serait impossible de prévoir si une grossesse va

aboutir à un accouchement physiologique ou nécessiter une intervention

rapide, voire une intervention chirurgicale en urgence. En tout état de cause,

la naissance serait un processus dynamique susceptible de se compliquer à

n’importe quel stade, ce qui ferait peser une menace directe sur la vie du

fœtus et, bien entendu, de la parturiente. Aucune de ces complications ne

pourrait être résolue à domicile, comme l’attesteraient les naissances qui

entraînent des séquelles durables, pour l’enfant ou pour la mère. Des

problèmes tels qu’une hypoxie aiguë chez l’enfant, ou une embolie ou une

hémorragie chez la mère, ne pourraient pas être traités en dehors d’un

établissement de santé. En outre, on ne prendrait pas en compte la tendance

au recul constant de l’âge auquel les femmes ont un enfant, avec les

Page 39: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 37

complications qui en découleraient. Selon des statistiques fournies par le

centre national pour l’information en matière de santé, en 2013 en

République slovaque, 6 292 nouveau-nés auraient eu besoin de soins dans

des établissements spécialisés en néonatalogie ; en d’autres termes, environ

un nouveau-né sur huit ou neuf aurait eu besoin de soins intensifs

spécialisés.

132. Concernant l’ample marge d’appréciation dont jouirait l’État dans

le domaine en question, le gouvernement slovaque admet qu’une approche

humanisée est préférable pendant l’accouchement et en cas d’évolution des

conditions de la naissance, mais il estime que pareille approche n’est

possible que dans un établissement de santé. Selon lui, on ne peut

qu’insister sur la nécessité de protéger les chances de survie et les droits de

l’enfant – dont le droit à la santé –, qui seraient moins bien garantis en cas

de naissance en dehors d’un établissement de santé. La plupart des femmes

optant pour un accouchement dans un cadre domestique évoqueraient le

besoin d’intimité, la possibilité de choisir la méthode et la position pour

accoucher et de refuser tel ou tel type d’intervention médicale pendant

l’accouchement, le besoin de s’appuyer sur la présence d’une personne

proche et l’importance pour la mère de ne pas être séparée de l’enfant. Le

gouvernement slovaque indique à cet égard que le Comité des droits de

l’enfant de l’ONU a demandé aux États de soutenir l’initiative « un hôpital

accueillant pour la mère et le nourrisson » (Mother and Baby Friendly

Hospital Initiative – MBFHI), dans le cadre de laquelle l’OMS et l’UNICEF

auraient énoncé les critères applicables aux maternités et services de

néonatalogie des établissements de santé. Tout en coopérant avec les

organisations susmentionnées, la République slovaque aurait depuis 1996

mis en œuvre des projets de qualité en matière de soins périnataux, qui

passeraient par l’action en faveur de l’accouchement physiologique, une

approche comportementale des soins infirmiers aux nouveau-nés et aux

mères, le soutien à l’allaitement et une attention particulière à l’insécabilité

du lien mère-enfant. Il appartiendrait à tout prestataire de soins de santé de

veiller à humaniser autant que possible la naissance. Certains prestataires

auraient reconstruit des établissements de santé de manière à pouvoir

proposer d’autres méthodes d’accouchement (par exemple l’accouchement

en position verticale ou dans l’eau), adapter les modalités de

l’accouchement à la demande de la mère et offrir des chambres séparées

permettant à l’époux ou à d’autres membres de la famille d’être présents

pendant l’accouchement et tout au long du séjour dans l’établissement. Le

gouvernement slovaque ajoute que dans toute salle d’accouchement la mère

et le nouveau-né doivent être mis au contact l’un de l’autre immédiatement

après la naissance, mesure qui selon lui est un point essentiel de l’initiative

MBFHI. Pour ce qui est du soutien à l’allaitement, l’initiative MBFHI serait

tenue au sein de l’Union européenne pour un modèle de bonnes pratiques

concernant les soins à la mère et au nouveau-né après l’accouchement. Cette

Page 40: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

38 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

initiative exigerait notamment qu’une fois séché, et dans la demi-heure

suivant la naissance, le nouveau-né soit placé sur le corps de la mère, et que

tous deux puissent rester ensemble en vue d’un allaitement « à la

demande ».

133. Le gouvernement slovaque considère que cette approche de la

naissance, à son avis semblable à celle adoptée en République tchèque, est

conforme à l’idée qu’il faut respecter et soutenir activement les droits des

femmes en rapport avec l’accouchement. Par ailleurs, il reconnaît

pleinement les droits de l’enfant découlant des instruments internationaux,

qui selon lui tendent à ménager un équilibre entre les intérêts de la mère et

de l’enfant, d’une part, et l’intérêt de la société à protéger leur santé et leur

bien-être, d’autre part.

c) L’Ordre royal des sages-femmes

134. L’Ordre royal des sages-femmes déclare être la seule organisation

syndicale professionnelle du Royaume-Uni dirigée par des sages-femmes

pour les sages-femmes. Il indique que son rôle consiste à promouvoir et

développer l’art et la science des sages-femmes ainsi qu’à améliorer

l’efficacité de ses membres et protéger leurs intérêts.

135. Il aurait toujours défendu la même position sur la sécurité de

l’accouchement à domicile, considéré par lui comme un choix sûr pour les

femmes qui ont des grossesses sans complications.

136. Dans le cadre de la politique actuelle du gouvernement, l’ensemble

des hôpitaux du Royaume-Uni seraient censés proposer l’option de

l’accouchement à domicile, et les femmes auraient le droit de s’adresser

elles-mêmes aux services d’accouchement à domicile de leur secteur.

Interprétant la common law, les tribunaux nationaux auraient modifié leur

approche de la négligence médicale et affirmé qu’il appartient aux femmes

de décider des soins de santé maternelle qui leur sont dispensés. Le conseil

des professions d’infirmier et de sage-femme, autorité nationale de

réglementation du métier de sage-femme, aurait reconnu que l’on ne peut

forcer les femmes à accoucher à l’hôpital contre leur volonté. Il aurait donc

été admis que les sages-femmes ont une obligation professionnelle

d’assister les femmes qui donnent naissance à leur enfant en dehors de

l’hôpital.

137. Les naissances à domicile ne seraient pas expressément encadrées

par le droit national : la capacité des sages-femmes à fournir des soins à des

femmes à domicile relèverait implicitement de leurs compétences générales

et tous les soins dispensés par elles, sans considération de lieu, seraient

soumis au contrôle de l’autorité professionnelle de réglementation et au

droit général. Les règles relatives aux modalités pratiques de

l’accouchement à domicile seraient énoncées par l’organe de réglementation

compétent et par l’employeur de la sage-femme.

Page 41: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 39

138. L’Ordre royal des sages-femmes soutient qu’interdire l’assistance

d’une sage-femme lors d’un accouchement à domicile emporte les

conséquences suivantes : i) un accouchement à domicile sans l’assistance

d’une personne formée ferait peser un risque sur la santé des femmes et des

bébés en cas de complications ; ii) en l’absence de réglementation des

qualifications et des compétences des personnes intervenant pour les

accouchements à domicile, les femmes risqueraient de se faire assister par

une personne non formée en la matière et non soumise au contrôle d’une

autorité de réglementation ; iii) il y aurait un frein au transfert à l’hôpital en

cas de complications pendant l’accouchement en ce que la sage-femme, ou

une autre personne ayant fourni son assistance, risquerait d’être dénoncée

aux autorités ; iv) le transfert à l’hôpital en situation d’urgence serait entravé

par l’absence de procédures adéquates d’orientation et de gestion des

dossiers, l’hôpital n’ayant aucune trace du passé obstétrical de la patiente,

de l’évolution du travail ou de la nature d’une éventuelle complication ;

v) l’accouchement à domicile serait stigmatisé, et le personnel hospitalier

traiterait souvent les femmes transférées de chez elles à l’hôpital avec

suspicion et irrespect et pourrait retarder des soins urgents.

d) Le groupe d’étude international de l’Association mondiale de médecine

périnatale

139. Le groupe d’étude international indique que l’Association mondiale

de médecine périnatale et l’Académie internationale de médecine périnatale

comptent en leur sein des sommités scientifiques et hospitalières dans le

domaine des soins médicaux aux femmes enceintes, aux fœtus et aux

nouveau-nés. Il précise avoir débuté en 2013 ses travaux scientifiques sur

les accouchements prévus pour se dérouler à domicile.

140. Selon les conclusions de ses études, les accouchements prévus pour

se dérouler à domicile présenteraient des risques accrus inutiles et évitables

pour le nouveau-né et la mère. Une femme enceinte menant sa grossesse à

terme assumerait librement l’obligation éthique, vis-à-vis du fœtus et de

l’enfant à naître, de choisir pour l’accouchement un lieu qui ne comporte

pas de risques inutiles. Son autonomie serait donc légitimement restreinte

par cette obligation éthique.

141. La conclusion formulée dans la déclaration conjointe de l’Ordre

royal des obstétriciens et gynécologues et de l’Ordre royal des

sages-femmes, selon laquelle un accouchement prévu pour se dérouler à

domicile constitue une « option sûre pour de nombreuses femmes », ne

résisterait pas à un examen attentif de la mise en œuvre de cette option en

l’absence d’un accès immédiat à des soins hospitaliers. Pareil scénario

comporterait inévitablement un risque lié au transfert à l’hôpital. De plus,

on aurait rapporté un taux de mortalité périnatale plus de huit fois supérieur

en cas de transfert du domicile vers un service d’obstétrique. Le laps de

temps qui s’écoulerait inévitablement, même avec le meilleur des systèmes

Page 42: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

40 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

de transfert du domicile à l’hôpital, et même entre la période de travail et

d’accouchement et l’arrivée en salle d’opération, entraînerait un risque

accru de mortalité et de morbidité tant pour le nouveau-né que pour la mère.

142. Le groupe d’étude international évoque une tradition existant de

longue date aux Pays-Bas, qui consisterait à organiser l’accouchement à

domicile de façon optimale, avec des sages-femmes bien formées et un

système de transfert vers des hôpitaux situés à courte distance. Or 49 % des

femmes primipares et 17 % des femmes multipares seraient transportées à

l’hôpital pendant le travail. Les indications les plus fréquentes seraient le

besoin d’antalgiques et une période de travail qui se prolonge.

143. Souvent, un accouchement prévu pour se dérouler à domicile ne

serait pas à la hauteur de sa raison d’être, à savoir une meilleure satisfaction

de la patiente. De par leur responsabilité professionnelle, les médecins et

sages-femmes hospitaliers seraient tenus de prendre des mesures pour

améliorer le niveau de satisfaction de la patiente en créant un cadre

rappelant l’accouchement à domicile et adéquatement doté en personnel,

non seulement pour garantir la sécurité de la patiente – qui serait l’aspect

primordial de la responsabilité professionnelle –, mais aussi pour son

bien-être. Une femme enceinte aurait en effet le droit de décider et de

contrôler ce qu’il advient de son corps pendant la grossesse et

l’accouchement. Cependant, un point de vue plus approprié sur le plan

clinique consisterait à dire que le médecin ou la sage-femme ont une

obligation indépendante, au regard de l’intégrité professionnelle, de protéger

la femme enceinte, le fœtus et le nouveau-né. Leur rôle consisterait à définir

et présenter d’autres options médicalement raisonnables pour la gestion de

la grossesse, autrement dit une gestion clinique qui, selon des données

probantes, présente un net avantage.

144. La patiente aurait le droit de faire son choix parmi les solutions

médicalement raisonnables. Dans l’hypothèse où elle les rejetterait toutes

mais resterait une patiente, alors son refus ne représenterait pas le simple

exercice d’un droit négatif à la non-ingérence ; il serait plus complexe, étant

combiné à un droit positif à bénéficier des services de personnel hospitalier

et des ressources offertes par la société et les structures de soins. Insister sur

la mise en œuvre de droits illimités pour la femme enceinte de contrôler le

lieu de l’accouchement serait une erreur éthique qui, à ce titre, n’aurait pas

sa place dans la médecine périnatale professionnelle.

145. En conclusion, les accouchements prévus pour se dérouler à

domicile ne se concilieraient pas avec l’intégrité professionnelle dès lors

que les risques accrus associés à cette option seraient évitables dans le cadre

d’un accouchement censé avoir lieu à l’hôpital. La future mère ne jouirait

pas d’une liberté absolue dans la détermination du lieu de l’accouchement

assisté en raison de son obligation éthique, vis-à-vis de l’enfant à naître, de

protéger les intérêts de celui-ci en matière de santé. Elle pourrait remplir

cette obligation en prévoyant un accouchement à l’hôpital mais non un

Page 43: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 41

accouchement à domicile. Le principe de précaution justifierait la réduction

des risques pour les personnes vulnérables lorsque l’effort requis est

minime. Un accouchement programmé pour se dérouler à l’hôpital

protégerait le fœtus et le nouveau-né des risques afférents à un

accouchement prévu à domicile, risques contre lesquels les bébés ne

pourraient se protéger eux-mêmes. Pour la future mère, la charge

représentée par un accouchement censé avoir lieu à l’hôpital serait minime.

En conséquence, un accouchement prévu pour se dérouler à domicile ne

serait pas compatible avec le principe de précaution.

e) L’Union tchèque des sages-femmes (Unie porodních asistentek – UNIPA)

146. L’UNIPA indique être une association professionnelle de

sages-femmes indépendantes.

147. Elle décrit d’abord les associations professionnelles de

sages-femmes existant en République tchèque. Elle déclare rassembler les

sages-femmes et étudiantes sages-femmes de tout le pays, et mentionne

également la Confédération tchèque des sages-femmes (Česká konfederace

porodních asistentek – ČKPA), qui regrouperait les sages-femmes en petites

sections sur une base régionale. Ces deux organisations coopéreraient

étroitement en vue de développer et promouvoir en République tchèque le

métier de sage-femme comme modèle viable de soins de santé liés à la

maternité. L’UNIPA signale en outre l’association tchèque des

sages-femmes (Česká společnost porodních asistentek – ČSPA),

organisation qui aurait été créée en 2014 et rassemblerait d’autres membres

de professions médicales et paramédicales.

148. L’UNIPA expose que la loi a expressément interdit la prestation de

soins par des sages-femmes dans le cadre d’accouchements à domicile et

que de tels soins sont aussi prohibés dans les cabinets de sage-femme et les

maisons de naissance en raison des exigences techniques excessives

imposées par les textes réglementaires. La politique de l’État et la pratique

des hôpitaux empêcheraient donc les sages-femmes de pratiquer en toute

légalité un accouchement hors du cadre hospitalier. De plus, l’État

autoriserait uniquement le modèle des soins obstétricaux, de sorte qu’une

sage-femme souhaitant fournir une assistance pour un accouchement serait

contrainte de le faire à l’hôpital, de se conformer à ce modèle et à des règles

obstétricales et d’exercer sous la supervision et suivant les instructions

préalables d’un médecin. En pareil cas, la sage-femme serait également

tenue d’entretenir une relation de travail avec l’hôpital. Par essence un tel

système empêcherait les sages-femmes de dispenser les soins propres à leur

métier et d’accomplir leurs tâches légales.

149. L’UNIPA déclare que, sur les 6 000 sages-femmes qualifiées et

titulaires d’une autorisation d’exercer que compte le pays, aucune n’a

obtenu l’autorisation technique permettant d’accomplir l’ensemble des

tâches d’une sage-femme, notamment l’assistance lors d’un accouchement,

Page 44: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

42 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

et qu’en conséquence aucune n’a été autorisée par l’État à pratiquer en toute

indépendance et sans instruction préalable d’un médecin les actes liés à

l’accouchement. L’UNIPA ajoute que d’un point de vue purement juridique

et technique aucune restriction ne vise actuellement l’existence de maisons

de naissance, mais qu’en pratique les importantes exigences relatives aux

moyens techniques, matériels et humains réduisent cette option à néant. Le

tiers intervenant indique qu’il y a bien eu une tentative pour faire enregistrer

une maison de naissance à Brno, mais que les pouvoirs publics compétents

ont émis une réponse négative malgré le projet d’installer cet établissement

à proximité immédiate d’un hôpital local.

150. Le monopole que les médecins exerceraient dans le domaine des

soins obstétricaux entraînerait une incapacité du système de santé à

distinguer les soins primaires et les soins secondaires à la mère et à l’enfant.

Cette absence de distinction entre ces niveaux de soins déboucherait par la

force des choses sur une prestation de soins standardisés à l’ensemble des

femmes, sans prise en compte de la variété de leurs besoins spécifiques. En

conséquence, le système ne ferait pas de différence entre les mères

présentant un faible risque spontané, pour lesquelles on pourrait

raisonnablement prévoir un accouchement sans complications, et les mères

dont la grossesse indiquerait l’existence d’un état pathologique.

151. L’UNIPA indique ensuite à la Cour qu’il n’existe pas de normes

professionnelles nationales applicables aux soins de sage-femme,

circonstance qui en particulier exposerait les praticiennes à un risque accru

de voir engager leur responsabilité professionnelle, tant au civil qu’au pénal.

Évoquant deux procédures pénales dirigées contre des sages-femmes,

l’UNIPA considère que si celles-ci ont été innocentées, leur renommée et

celle de la profession de sage-femme ont néanmoins subi un préjudice

irréparable.

152. L’UNIPA déclare enfin que l’État n’a pas recueilli de données

statistiques solides sur les pratiques de tel ou tel hôpital et sur les

accouchements se déroulant en dehors d’un établissement médical. À son

avis, cela limite le choix offert aux futures mères quant au lieu de

l’accouchement. De plus, il n’y aurait pas de méthode exhaustive

d’information des futures mères au sujet des soins de santé liés à

l’accouchement qui sont assurés par les services publics. En conséquence,

les femmes n’auraient pas connaissance des différentes options qui se

présentent à elles pendant la grossesse et l’accouchement. Ces informations

ne seraient accessibles que dans le cadre de cours payants de préparation à

l’accouchement.

f) La défenseure publique des droits (Veřejná ochránkyně práv)

153. La défenseure publique des droits (médiatrice) déclare que son rôle

consiste principalement à protéger les individus contre des comportements

soit illégaux soit pour une raison quelconque inappropriés, et contre

Page 45: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 43

l’inactivité des autorités et d’autres organes publics (en d’autres termes, à

contrôler et inspecter l’administration publique). En même temps, la

défenseure publique agirait en tant qu’organe national défendant l’égalité

(organe national pour l’égalité de traitement et la protection contre la

discrimination) en vertu des directives pertinentes de l’Union européenne

(directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du

principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de

race ou d’origine ethnique et directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000

portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en

matière d’emploi et de travail). Par ailleurs, la défenseure publique visiterait

systématiquement les lieux où les personnes sont privées de liberté (en

application du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la

torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) et

contrôlerait les retours forcés ou expulsions d’étrangers en vertu de la

directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et

procédures communes applicables dans les États membres au retour des

ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

154. La défenseure publique livre à la Cour un aperçu des affaires qui lui

ont été soumises, sans fournir de données statistiques.

155. La première catégorie de plaintes porterait sur des actes pratiqués

pendant le travail et l’accouchement au sein d’un établissement médical,

actes que les femmes concernées auraient décrits comme non respectueux

de leur dignité et de leur intimité. Plus précisément, des femmes se seraient

plaintes de certaines interventions réalisées sans leur consentement, de

l’obligation de payer une somme d’argent pour que leur propre doula

(accompagnante à la naissance) pût être présente, de la promiscuité dans la

salle d’accouchement et du non-respect de leurs souhaits quant à la

possibilité de manger, boire, bouger ou choisir une position particulière

pour accoucher, sur le lit ou hors du lit. Certaines plaintes porteraient

également sur le suivi constant de l’enfant à naître, la séparation entre la

mère et l’enfant juste après la naissance ou dans les quarante-huit heures

consécutives, et le défaut de prise en compte du plan de naissance soumis

par la mère.

156. La deuxième catégorie de plaintes examinées par la défenseure

publique porterait sur l’impossibilité d’accoucher avec une assistance

professionnelle en dehors d’un établissement médical, et sur l’ambiguïté de

la réglementation relative à l’accouchement à domicile.

157. La défenseure publique aurait reçu en 2003 la première plainte à ce

sujet. La plaignante en question y aurait fait état de l’impossibilité de mettre

au monde un enfant avec l’assistance d’une sage-femme en dehors d’un

établissement médical, et de ce que les prestations de la sage-femme

n’étaient pas remboursées par la caisse publique d’assurance maladie.

L’issue donnée à cette plainte n’a pas été indiquée. La défenseure publique

déclare que même si le droit tchèque n’interdit pas expressément

Page 46: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

44 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

l’accouchement en dehors d’un établissement médical, cette possibilité est

pratiquement exclue par l’arrêté no 92/2012 du ministère de la Santé. Elle

considère que les exigences légales relatives à l’équipement minimal des

établissements médicaux et des centres de soins à domicile ne peuvent pas

en principe être remplies lors d’un accouchement qui se déroule à domicile

ou dans un autre cadre. Elle est d’avis que les salles d’accouchement

satisfaisant aux conditions définies par la législation se trouvent ainsi

exclusivement dans des établissements de santé. Elle indique à cet égard que

certaines futures mères auraient trouvé suffisant que leur accouchement

dans l’établissement médical fût pratiqué par « leur » sage-femme. Or les

établissements médicaux n’autoriseraient que les accouchements pratiqués

par des sages-femmes avec lesquelles ils ont conclu un contrat, et de tels

contrats seraient souvent impossibles à obtenir.

158. La troisième catégorie de plaintes adressées à la défenseure

publique concernerait les difficultés administratives rencontrées par les

parents d’un enfant né en dehors d’un établissement de santé. Dans de

nombreux cas, il aurait été difficile d’obtenir un acte de naissance ou une

allocation parentale.

159. Enfin, la défenseure publique mentionne des plaintes de

sages-femmes portant sur des dispositions juridiques qui dans les faits les

auraient empêchées d’intervenir lors d’un accouchement en dehors d’un

établissement médical.

C. Appréciation de la Cour

1. Sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention

160. Les requérantes en l’espèce formulent leur grief sur le terrain de

l’article 8 de la Convention et le Gouvernement ne conteste pas

l’applicabilité de cette disposition dans la procédure devant la Grande

Chambre.

161. La Cour note que les requérantes souhaitaient se faire assister par

une sage-femme pour accoucher à domicile. La question qui se pose en

l’espèce est donc de savoir si le droit de décider des conditions d’un

accouchement relève de l’article 8 (voir aussi le paragraphe 74 de l’arrêt de

la chambre).

162. La Grande Chambre confirme que la notion de « vie privée » est

une notion large (paragraphe 73 de l’arrêt de la chambre). Elle rappelle à cet

égard avoir déclaré dans l’affaire Odièvre c. France ([GC], no 42326/98,

§ 29, CEDH 2003-III) que « [l]a naissance, et singulièrement les

circonstances de celle-ci, relève de la vie privée de l’enfant, puis de l’adulte,

garantie par l’article 8 de la Convention ». Par ailleurs, dans l’affaire

Ternovszky (précitée, 14 décembre 2010), la Cour a dit que « les conditions

Page 47: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 45

dans lesquelles on donne la vie font indéniablement partie intégrante de la

vie privée d’une personne aux fins de cette disposition ».

163. La Cour estime que, si l’article 8 ne peut être interprété comme

conférant un droit d’accoucher à domicile en tant que tel, le fait qu’il soit

impossible en pratique pour les femmes de se faire assister pour accoucher à

leur domicile privé relève de leur droit au respect de la vie privée et, dès

lors, de l’article 8. En effet, donner la vie est un moment unique et délicat

dans la vie d’une femme. La mise au monde d’un enfant englobe des

questions touchant à l’intégrité physique et morale, aux soins médicaux, à la

santé génésique et à la protection des informations relatives à la santé. Ces

questions, y compris le choix du lieu de l’accouchement, sont donc

fondamentalement liées à la vie privée d’une femme et elles relèvent de

cette notion aux fins de l’article 8 de la Convention.

2. Sur le point de savoir s’il convient d’examiner l’affaire sous l’angle

des obligations négatives ou des obligations positives de l’État

164. Les parties divergent sur la question de savoir s’il convient

d’examiner l’affaire sous l’angle d’une ingérence dans l’exercice par les

requérantes des droits découlant de l’article 8 de la Convention ou sur le

terrain de l’obligation positive pour l’État de protéger les droits des

intéressées. En effet, la problématique centrale en l’espèce peut être

envisagée soit sous l’angle d’une restriction de la liberté des requérantes de

choisir les conditions de leur accouchement, qui s’analyserait en une

ingérence dans leur exercice du droit au respect de la vie privée, soit sous

celui d’un manquement de l’État à son obligation de mettre en place un

cadre réglementaire approprié garantissant le respect des droits des

personnes se trouvant dans la situation des requérantes et, ainsi, à son

obligation positive de garantir le respect de leur vie privée (voir, mutatis

mutandis, Hristozov et autres, précité, § 117).

165. Eu égard à la nature et à la teneur des griefs des requérantes, la

Grande Chambre juge approprié de considérer – à l’instar de la chambre –

que la présente espèce concerne une atteinte au droit pour les requérantes de

recourir à l’assistance de sages-femmes pour accoucher à domicile. En effet,

la loi faisait peser sur ces praticiennes des menaces de sanctions qui en

pratique les dissuadaient de prêter pareille assistance. En tout état de cause,

comme la Cour l’a déjà déclaré, les principes applicables à la justification

au regard de l’article 8 § 2 sont comparables quelle que soit l’approche

choisie pour l’analyse (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 88,

CEDH 2011, avec d’autres références).

166. Pour déterminer si cette ingérence a emporté violation de l’article 8

de la Convention, la Cour doit rechercher si elle était justifiée au regard du

second paragraphe de cet article, c’est-à-dire si elle était « prévue par la

loi » et « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre l’un ou

l’autre des « buts légitimes » énumérés à l’article 8.

Page 48: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

46 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

3. L’ingérence était-elle « prévue par la loi » ?

167. La Cour rappelle que toute atteinte à un droit garanti par la

Convention doit avoir une base en droit interne. En outre, la « loi » doit être

suffisamment accessible et énoncée avec assez de précision pour permettre

au citoyen de régler sa conduite : en s’entourant au besoin de conseils

éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les

circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte

déterminé (A, B et C c. Irlande, précité, § 220, avec d’autres références).

168. En l’espèce, les parties ne contestent pas que les dispositions

juridiques internes qui constituent la base légale de l’ingérence litigieuse

étaient accessibles aux requérantes. La Cour ne voit aucune raison d’en

disconvenir.

169. En ce qui concerne la prévisibilité de ces dispositions, la Cour note

tout d’abord que l’ordre juridique tchèque n’interdit pas l’accouchement à

domicile en tant que tel. Elle observe ensuite que la loi sur les soins dans les

établissements de santé privés, qui était en vigueur lorsque Mme Dubská a

mis au monde son deuxième enfant, en avril 2011, réglementait les

établissements de santé privés et prévoyait l’imposition de sanctions à tout

prestataire de soins qui enfreindrait la loi, sans pour autant indiquer le

montant de l’amende susceptible d’être infligée. La loi donnait compétence

au ministère de la Santé pour définir les exigences relatives à l’équipement

technique et matériel dont devaient être dotés les établissements de santé en

question. Le ministère a donc pris l’arrêté no 221/2010 – en vigueur du

1er septembre 2010 au 31 mars 2012 – qui énonçait les conditions précises à

remplir pour pouvoir exercer la profession de sage-femme de façon

indépendante et définissait notamment trois catégories possibles de lieux

d’exercice pour les sages-femmes : ceux où l’accouchement n’était pas

autorisé, ceux où il était autorisé, et les lieux d’exercice et de contact qui

devaient être dotés de mobilier adapté au travail de sage-femme et d’un

téléphone portable. L’arrêté précisait également le contenu de la sacoche de

la sage-femme (paragraphes 43-46 ci-dessus). Par ailleurs, la loi sur les

professions paramédicales, qui était en vigueur lorsque chacune des deux

requérantes a accouché et qui l’est encore à ce jour, a édicté les exigences

relatives à la pratique indépendante du métier de sage-femme, donnant

compétence au ministère de la Santé pour définir les activités des

praticiennes. Le ministère a alors pris l’arrêté no 424/2004, plus tard

remplacé par l’arrêté no 55/2011, d’après lesquels les sages-femmes

pouvaient pratiquer seules certains actes comme les accouchements

physiologiques, y compris des épisiotomies si nécessaire.

170. La loi sur les services médicaux est entrée en vigueur peu avant que

Mme Krejzová donnât naissance à son troisième enfant, en mai 2012. Elle a

abrogé la loi sur les soins dans les établissements de santé privés et l’arrêté

no 221/2010. Elle énonce qu’une personne ne peut fournir des services de

santé que si elle est titulaire de l’autorisation requise, excepté dans des

Page 49: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 47

situations particulières. Les établissements de santé visés dans l’autorisation

doivent être dotés de l’équipement adapté aux services assurés, qui doit être

précisé dans un arrêté du ministère de la Santé. Une personne qui dispense

des soins de santé d’une manière non conforme à cette loi est passible d’une

amende pour infraction à la loi, qui par ailleurs définit un certain nombre de

sanctions concrètes. L’équipement essentiel dont doivent disposer les

sages-femmes dans les lieux où elles sont appelées à assister une parturiente

est énoncé dans l’arrêté no 92/2012, qui indique notamment trois catégories

distinctes de lieux d’exercice pour les sages-femmes : ceux où

l’accouchement n’est pas autorisé, ceux où il est autorisé, et les lieux

d’exercice et de contact pour les soins infirmiers d’ordre gynécologique et

obstétrical (voir aussi le paragraphe 82 de l’arrêt de la chambre).

171. La Cour admet que, si des doutes ont pu surgir quant à la clarté de

certaines dispositions législatives en vigueur à l’époque pertinente, les

requérantes – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – étaient

néanmoins en mesure de prévoir à un degré raisonnable dans les

circonstances de l’espèce que leurs domiciles privés ne pouvaient satisfaire

aux exigences en matière d’équipement énumérées successivement dans les

deux textes réglementaires susmentionnés, et qu’en conséquence les

dispositions en question ne permettaient pas à un professionnel de santé de

fournir une assistance lors d’un accouchement prévu pour se dérouler à

domicile.

En conséquence, l’ingérence litigieuse était prévue par la loi.

4. L’ingérence poursuivait-elle un but légitime ?

172. Contrairement aux requérantes, la Cour considère qu’il n’y a

aucune raison de douter que la politique de l’État tchèque consistant à

encourager les femmes à accoucher à l’hôpital, telle qu’elle ressort de la

législation nationale pertinente, vise à protéger la santé et la sécurité de la

mère et de l’enfant pendant et après l’accouchement.

173. On peut en conséquence affirmer que l’ingérence litigieuse

poursuivait le but légitime de la protection de la santé et des droits d’autrui

au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

5. L’ingérence était-elle nécessaire dans une société démocratique ?

174. Une ingérence est considérée comme « nécessaire dans une société

démocratique » pour atteindre un but légitime si elle répond à un « besoin

social impérieux » et, en particulier, si elle est proportionnée au but légitime

poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la

justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (voir, mutatis mutandis,

Fernández Martínez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 124, CEDH 2014

(extraits)).

Page 50: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

48 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

175. À cet égard, la Cour rappelle que le mécanisme de contrôle institué

par la Convention a un rôle fondamentalement subsidiaire et reconnaît que

les autorités nationales jouissent d’une légitimité démocratique directe en ce

qui concerne la protection des droits de l’homme. En outre, grâce à leurs

contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les autorités

de l’État se trouvent en principe mieux placées que le juge international

pour évaluer les besoins et le contexte locaux (voir, par exemple, Maurice

c. France [GC], no 11810/03, § 117, CEDH 2005-IX, avec d’autres

références).

176. En conséquence, c’est au premier chef aux autorités nationales qu’il

revient de se prononcer sur le point de savoir où se situe le juste équilibre à

ménager lorsqu’elles apprécient la nécessité, au regard d’un intérêt général,

d’une ingérence dans les droits des individus protégés par l’article 8 de la

Convention. Il s’ensuit que, lorsqu’ils adoptent des lois visant à concilier

des intérêts concurrents, les États doivent en principe pouvoir choisir les

moyens qu’ils estiment les plus adaptés au but de la conciliation ainsi

recherchée (Odièvre, précité, § 49, Van der Heijden c. Pays-Bas [GC],

no 42857/05, § 56, 3 avril 2012).

177. S’il appartient aux autorités nationales d’évaluer en premier lieu la

nécessité d’une ingérence, c’est à la Cour qu’il revient de trancher en

définitive la question de savoir si, dans telle ou telle affaire, l’ingérence était

« nécessaire » au sens que l’article 8 de la Convention attribue à ce terme

(S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 101,

CEDH 2008, Van der Heijden, précité, § 57).

178. Les autorités nationales jouissent en principe d’une certaine marge

d’appréciation à cet égard. L’ampleur de cette marge dépend d’un certain

nombre d’éléments déterminés par les circonstances de la cause. Cette

marge est d’autant plus étroite que le droit en cause est important pour

garantir à l’individu la jouissance effective des droits fondamentaux ou

d’ordre intime qui lui sont reconnus. Lorsqu’un aspect particulièrement

important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la

marge laissée à l’État est également restreinte. Lorsqu’au sein des États

membres du Conseil de l’Europe il n’y a de consensus ni sur l’importance

relative de l’intérêt en jeu ni sur les meilleurs moyens de le protéger, la

marge d’appréciation est plus large, surtout lorsque sont en jeu des

questions morales ou éthiques délicates (Van der Heijden, précité, §§ 55-60,

avec d’autres références, et Parrillo c. Italie [GC], no 46470/11, § 169,

CEDH 2015, avec d’autres références).

179. Une ample latitude est d’ordinaire laissée à l’État pour prendre des

mesures d’ordre général en matière économique ou sociale. Grâce à une

connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités

nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international

pour déterminer ce qui est d’utilité publique en matière économique ou en

matière sociale, et la Cour respecte en principe la manière dont l’État

Page 51: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 49

conçoit les impératifs de l’utilité publique, sauf si son jugement se révèle

« manifestement dépourvu de base raisonnable » (Stec et autres

c. Royaume-Uni [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 52, CEDH 2006-VI,

avec d’autres références, Shelley c. Royaume-Uni (déc.), no 23800/06,

4 janvier 2008, et Hristozov, précité, § 119).

180. Dans le cas d’espèce, la Cour est appelée à déterminer si

l’impossibilité pratique où se sont trouvées les requérantes de se faire

assister par un professionnel de santé pour accoucher à domicile a ménagé

un juste équilibre entre, d’une part, le droit des requérantes au respect de

leur vie privée au regard de l’article 8 de la Convention et, d’autre part,

l’intérêt de l’État à protéger la santé et la sécurité de l’enfant pendant et

après l’accouchement, ainsi que la santé et la sécurité de la mère

(paragraphe 174 ci-dessus). Autrement dit, la Cour doit rechercher si, en

adoptant une législation qui ne permettait pas en pratique une telle

assistance, l’État défendeur a outrepassé la marge d’appréciation dont il

jouissait.

181. Le Gouvernement soutient que l’État bénéficiait en l’espèce d’une

ample marge d’appréciation. Les requérantes plaident qu’une approche

répressive de l’accouchement à domicile risque de porter atteinte aux droits

à la vie et à la santé des femmes et que, en rendant l’accouchement à

domicile moins sûr pour les femmes, l’État peut mettre ces droits en péril.

De plus, les intéressées estiment que le droit des femmes de décider des

conditions de leur accouchement – droit qui à leurs yeux compense la

limitation de leur droit à l’autodétermination dans un tel moment –

n’autorise pas en principe d’autres restrictions au nom de la marge

d’appréciation du Gouvernement, qui, selon elles, est nécessairement étroite

en la matière. En outre, les requérantes considèrent que l’accouchement à

domicile fait l’objet d’un consensus au sein des États membres, ce qui,

d’après elles, est confirmé par l’avis d’experts internationaux sur la santé

maternelle et l’importance de la présence de professionnels qualifiés auprès

des parturientes. Pour les requérantes, l’existence de ce consensus européen

devrait conduire à réduire la marge d’appréciation de l’État.

182. Si l’accouchement à domicile ne soulève pas en soi des questions

morales et éthiques très délicates (voir, a contrario, A, B et C c. Irlande,

précité), on peut dire néanmoins qu’il touche à un intérêt général important

dans le domaine de la santé publique. De plus, la responsabilité de l’État en

la matière implique nécessairement un plus large pouvoir pour celui-ci

d’énoncer des règles sur le fonctionnement du système de santé, englobant

les établissements de santé tant publics que privés. Dans ce contexte, la

Cour observe que la présente affaire porte sur une question complexe de

politique de santé exigeant une analyse par les autorités nationales de

données spécialisées et scientifiques sur les risques respectifs de

l’accouchement à l’hôpital et de l’accouchement à domicile. En outre, des

considérations générales de politique sociale et économique entrent en jeu,

Page 52: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

50 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

notamment l’affectation de moyens financiers, dès lors qu’il peut s’avérer

nécessaire de retirer des ressources budgétaires du système général des

maternités pour les consacrer à la mise en place d’un cadre pour

l’accouchement à domicile (voir, mutatis mutandis, Maurice, précité, § 84,

avec d’autres références, et Stec et autres, précité, § 52).

183. D’autre part, et contrairement à ce que soutiennent les requérantes,

la Cour estime qu’il ne se dégage pas au sein des États membres du Conseil

de l’Europe de consensus en faveur de l’accouchement à domicile qui aurait

pour corollaire un rétrécissement de la marge d’appréciation de l’État. Elle

relève en particulier que l’accouchement programmé pour se dérouler à

domicile est prévu par le droit interne et réglementé dans vingt États

membres, mais que le droit de choisir ce mode d’accouchement n’est jamais

absolu et reste toujours subordonné au respect de certaines conditions

médicales. De plus, dans quinze de ces États seulement, une assurance

maladie nationale prend en charge les accouchements à domicile. La Cour

observe également que l’accouchement à domicile n’est pas réglementé ou

est sous-réglementé dans vingt-trois autres États membres. Dans certains de

ces pays, l’accouchement à domicile est pratiqué, mais sans cadre juridique

et sans couverture médicale nationale. En outre, la Cour n’a pas relevé

l’existence d’une législation qui interdise expressément l’assistance d’une

sage-femme lors d’un accouchement à domicile. Dans un très petit nombre

d’États membres parmi ceux étudiés, des sanctions disciplinaires ou pénales

sont possibles mais semblent toutefois rarement infligées.

184. À la lumière de ces considérations, la Cour estime que la marge

d’appréciation à accorder aux autorités nationales en l’espèce doit être large,

sans pour autant être illimitée. Elle doit en effet contrôler si, eu égard à cette

marge d’appréciation, l’ingérence atteste d’une mise en balance

proportionnée des intérêts concurrents en jeu (A, B et C c. Irlande, précité,

§ 238, avec une autre référence). Dans une affaire issue d’une requête

individuelle, la Cour n’a pas pour tâche de contrôler dans l’abstrait une

législation ou une pratique contestées, mais elle doit autant que possible se

limiter, sans oublier le contexte général, à traiter les questions soulevées par

le cas concret dont elle se trouve saisie (S.H. et autres c. Autriche, précité,

§§ 91-92, avec d’autres références). Elle n’a donc pas à substituer sa propre

appréciation à celle des autorités nationales compétentes s’agissant de

déterminer le meilleur moyen de réglementer les questions relatives aux

conditions de l’accouchement. Elle doit plutôt rechercher, en se fondant sur

le critère susmentionné du juste équilibre, si en l’espèce l’ingérence de

l’État est compatible avec l’article 8 de la Convention.

185. Les requérantes en l’espèce avaient toutes deux exprimé le souhait

d’accoucher à domicile avec l’assistance d’une sage-femme. La Cour

reconnaît que, par l’effet des dispositions législatives en vigueur à l’époque

des faits, les intéressées se sont trouvées dans une situation qui a lourdement

pesé sur leur liberté de choix : elles étaient tenues soit d’accoucher à

Page 53: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 51

l’hôpital soit, si elles souhaitaient accoucher chez elles, de le faire sans

l’aide d’une sage-femme et, dès lors, avec les risques que cela comportait

pour elles-mêmes et pour leur nouveau-né (voir aussi les paragraphes 93 et

95 de l’arrêt de la chambre). La Cour note à cet égard que, si aucun conflit

d’intérêts n’oppose généralement une mère et son enfant, on peut considérer

que certains choix opérés par les mères quant au lieu, aux conditions ou à la

méthode d’accouchement engendrent un risque accru pour la santé et la

sécurité des nouveau-nés, dont le taux de mortalité n’est pas négligeable –

comme l’attestent les chiffres relatifs aux décès périnatals et néonatals –

malgré tous les progrès accomplis en matière de soins médicaux (voir aussi

le paragraphe 94 de l’arrêt de la chambre).

186. À cet égard, la Cour prend acte de l’argument du gouvernement

défendeur, auquel souscrivent le gouvernement de la République de Croatie

et celui de la République slovaque, consistant à dire que le risque pour les

mères et les nouveau-nés (paragraphes 124 et 131 ci-dessus) est plus élevé

en cas d’accouchement à domicile qu’en cas d’accouchement dans une

maternité dotée de tout le personnel nécessaire et adéquatement équipée sur

les plans technique et matériel, et que même si une grossesse se déroule sans

complications et peut donc être tenue pour une grossesse « à faible risque »,

des difficultés inattendues peuvent survenir au moment de l’accouchement

et nécessiter sur-le-champ une intervention médicale spécialisée, telle

qu’une césarienne ou une assistance spéciale pour le nouveau-né. La Cour

ajoute que l’ensemble des soins médicaux urgents qui sont nécessaires

peuvent être assurés dans une maternité mais non dans le cadre d’un

accouchement à domicile, même en présence d’une sage-femme (voir aussi

le paragraphe 97 de l’arrêt de la chambre). Sur ce point il y a lieu de noter

que la République tchèque n’a pas mis en place de système d’assistance

d’urgence spécialisée pour les accouchements à domicile. Contrairement à

ce qu’affirment les requérantes (paragraphe 79 ci-dessus), la Cour estime

que l’absence d’un tel système est de nature à accroître les risques pesant

sur les femmes qui accouchent à domicile ainsi que sur leurs bébés.

187. Il ressort également des éléments dont la Cour dispose que, dans les

États où l’accouchement à domicile est autorisé, certaines conditions

préalables doivent être remplies : la grossesse doit être à « faible risque » ; il

faut qu’une sage-femme qualifiée soit présente lors de l’accouchement et

puisse déceler toute complication et, si nécessaire, faire transporter la mère

à l’hôpital pendant le travail ; enfin, ce transfert doit être assuré dans un

délai très court (voir aussi le paragraphe 96 de l’arrêt de la chambre). Par

conséquent, et comme le soutiennent les requérantes, un accouchement à

domicile sans l’assistance d’un professionnel de santé est de nature à

accroître les risques pesant sur la vie et la santé de la mère et du

nouveau-né.

Page 54: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

52 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

188. La Cour observe, comme le Gouvernement l’indique également,

que les requérantes auraient pu choisir d’accoucher dans l’une des

maternités locales, où leurs souhaits auraient en principe été pris en compte.

Cependant, selon les observations des requérantes tirées de leur propre

expérience (paragraphes 9 et 23 ci-dessus), il semblerait que dans nombre

de ces hôpitaux les femmes enceintes sont admises et prises en charge sur

les plans médical et médicamenteux dans des conditions discutables, et que

dans plusieurs établissements locaux les souhaits des futures mères ne sont

pas pleinement respectés (voir aussi le paragraphe 95 de l’arrêt de la

chambre). Ces commentaires semblent confirmés en substance par le

Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes qui,

dans ses observations finales du 22 octobre 2010, s’est dit préoccupé par les

conditions régnant lors des accouchements et dans les services d’obstétrique

en République tchèque et a adressé au Gouvernement un certain nombre de

recommandations en la matière (paragraphe 65 ci-dessus ; voir aussi les

paragraphes 56 et 95 de l’arrêt de la chambre).

189. La Cour considère qu’elle ne peut ignorer ces préoccupations pour

déterminer si les autorités ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts

concurrents en jeu. Par ailleurs, elle reconnaît que depuis 2014 le

Gouvernement a pris des initiatives en vue d’améliorer la situation,

notamment en créant un comité gouvernemental d’experts dans les

domaines de l’obstétrique, du métier de sage-femme et des droits connexes

des femmes. La Cour prend note également de la récente déclaration –

publiée en août 2015 – de la Société tchèque de gynécologie et

d’obstétrique (paragraphes 103-104 ci-dessus). Dans ce contexte, elle juge

opportun d’inviter les autorités tchèques à poursuivre leurs progrès en

assurant un suivi constant des dispositions juridiques pertinentes, de

manière à veiller à ce qu’elles reflètent les avancées médicales et

scientifiques tout en respectant pleinement les droits des femmes en matière

de santé génésique, notamment en garantissant des conditions adéquates aux

patientes comme au personnel médical des maternités de tout le pays.

190. En conclusion, et eu égard à la marge d’appréciation de l’État

(paragraphe 184 ci-dessus), la Cour estime que l’ingérence dans l’exercice

par les requérantes du droit au respect de leur vie privée n’était pas

disproportionnée.

191. En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la

Convention.

Page 55: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE 53

PAR CES MOTIFS, LA COUR

Dit, par douze voix contre cinq, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8

de la Convention.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au

Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 15 novembre 2016.

Johan Callewaert Guido Raimondi

Adjoint au greffier Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la

Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente

commune aux juges Sajó, Karakaş, Nicolaou, Laffranque et Keller.

G.R.

J.C.

Page 56: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

54 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES SAJÓ,

KARAKAŞ, NICOLAOU, LAFFRANQUE ET KELLER

(Traduction)

I. Introduction

1. Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à l’avis de la majorité de la

Grande Chambre selon lequel il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la

Convention en l’espèce. Nous estimons que la législation tchèque pertinente

rend l’accouchement à domicile de facto impossible en posant des exigences

excessivement rigides quant à l’équipement nécessaire pour un

accouchement, auxquelles seuls les hôpitaux peuvent satisfaire. Il s’ensuit

une ingérence dans l’exercice de la liberté de choix des mères, ingérence qui

n’est pas proportionnée dans une société démocratique. Le système en

question est de plus préjudiciable à la santé des mères et de leurs

nouveau-nés, et il les prive de la possibilité de recevoir l’indispensable

assistance d’une sage-femme lors d’une naissance à domicile.

2. La majorité reconnaît à juste titre que choisir les circonstances de son

accouchement relève de l’article 8 de la Convention. Nous partageons

également l’avis de nos collègues selon lequel le droit tchèque, dans sa

rédaction actuelle, implique une ingérence dans l’exercice par les

requérantes du droit à bénéficier de l’assistance d’une sage-femme pour un

accouchement à domicile. Malgré quelques hésitations, nous pouvons

admettre que cette ingérence était prévue par la loi et, en théorie, qu’elle

poursuivait un but légitime. Nous parvenons toutefois à une conclusion

différente de celle de la majorité en ce qui concerne le critère de

proportionnalité.

3. Nous commencerons par examiner le cadre général de la Convention,

appliqué à un contexte de « multipolarité » des droits de l’homme

(section II). Nous analyserons ensuite la jurisprudence de la Cour sur

l’accouchement à domicile (section III) et soulignerons quelques spécificités

des services obstétricaux en République tchèque (section IV) ainsi que les

risques liés à l’accouchement à domicile (section V). Nous en viendrons

ensuite aux principaux arguments qui conduisent la majorité à un constat de

non-violation de l’article 8 (section VI). L’application des principes

généraux pertinents à la situation concrète des requérantes (section VII)

nous amène à la conclusion (section VIII) que l’ingérence en cause était

disproportionnée.

Page 57: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE 55

II. Le cadre général de la Convention

4. Nous nous trouvons en l’espèce face à une situation manifeste de

« multipolarité » des droits de l’homme : différents droits sont ici en jeu, à

savoir, d’un côté, la liberté pour les futures mères de choisir la manière dont

elles souhaitent accoucher (qui relève de l’article 8 de la Convention) et, de

l’autre, le droit à la vie des mères et des nouveau-nés au regard de l’article 2

de la Convention. L’État est tenu de fournir le cadre nécessaire pour garantir

ces deux aspects, c’est-à-dire de respecter le choix de la mère et de protéger

le droit à la vie de la mère et de l’enfant.

5. La majorité déclare à juste titre que la question de l’accouchement à

domicile touche à un intérêt général important dans le domaine de la santé

publique (paragraphe 182 de l’arrêt). La difficulté est de ménager un juste

équilibre entre le droit des requérantes au respect de leur vie privée et

l’intérêt de l’État à protéger la santé et la sécurité de l’enfant et de la mère

(paragraphe 180 de l’arrêt). En cas de conflit entre des droits protégés par la

Convention, la jurisprudence de la Cour reconnaît explicitement que les

États membres jouissent en général d’une certaine marge d’appréciation

(Odièvre c. France [GC], no 42326/98, §§ 40–49, CEDH 2003-III, et

Dickson c. Royaume-Uni [GC], no 44362/04, §§ 77–85, CEDH 2007-V).

6. Cette marge d’appréciation est également applicable, notamment, au

législateur. Or la législation nationale n’échappe pas au contrôle de la Cour,

car la Convention impose des limites au cadre juridique fixé par l’État.

L’existence d’une marge d’appréciation ne doit pas être assimilée à une

quelconque « carte blanche » donnée au législateur national, car une telle

démarche aurait pour effet de vider de toute substance les droits garantis par

la Convention. Dans une affaire soulevant des questions au regard de

l’article 8 de la Convention, il y a lieu de prendre en compte un certain

nombre de facteurs pour se prononcer sur l’ampleur de la marge

d’appréciation devant être reconnue à l’État. Lorsqu’un aspect

particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se

trouve en jeu, la marge accordée à l’État est d’ordinaire restreinte. Par

contre, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du

Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu

ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire

soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation

est plus large (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 94,

CEDH 2011).

7. Nous observons tout d’abord que la décision relative à la façon dont

une future mère souhaite accoucher constitue une question fondamentale au

regard de l’article 8 de la Convention. L’accouchement représente l’un des

aspects les plus intimes de la vie d’une femme. À cet égard nous partageons

l’avis de la majorité, qui décrit la mise au monde d’un enfant comme un

moment unique et délicat dans la vie d’une femme (paragraphe 163 de

Page 58: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

56 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE

l’arrêt). Deuxièmement, nous tenons à insister sur le fait qu’aucun conflit

d’intérêts n’oppose généralement une mère et son enfant (paragraphe 185 de

l’arrêt). En d’autres termes, nous ne doutons pas que dans des circonstances

ordinaires une mère choisira la meilleure option pour mettre au monde son

enfant, en tenant compte de sa propre santé et de celle du bébé.

Troisièmement, la Cour doit toujours soumettre les interdictions absolues ou

globales au contrôle le plus strict. Dans l’affaire Costa et Pavan c. Italie

(no 54270/10, § 68, 28 août 2012), qui portait sur l’interdiction en Italie de

recourir au diagnostic génétique préimplantatoire (DPI), la Cour a rappelé

qu’elle pouvait examiner la compatibilité avec la Convention de mesures

internes même dans des domaines où l’État jouit d’une ample marge

d’appréciation. Dans l’affaire en question, la Cour a conclu que les mesures

adoptées n’avaient pas été proportionnées dès lors que, même si la voie de

l’avortement thérapeutique était ouverte aux requérants, ils n’avaient pas

accès à un DPI (ibidem, §§ 69-70). Autrement dit, la Cour doit s’assurer que

le législateur national a tenu compte des différentes questions en jeu

(S.H. et autres c. Autriche, précité, § 117) et que le cadre législatif final ne

débouche pas sur un résultat paradoxal.

8. Dès lors qu’en général toutes les femmes enceintes qui souhaitent

accoucher à domicile en République tchèque, comme ce fut le cas des

requérantes, sont contraintes de le faire sans l’aide d’un professionnel de

santé, le cadre juridique – qui ainsi frappe d’une interdiction de facto

l’accouchement à domicile – produit en pratique un résultat paradoxal et

contre-productif en ce que l’enfant et la mère se trouvent exposés à un

risque si celle-ci choisit d’accoucher chez elle (ce qu’au bout du compte la

majorité admet également, dans la dernière phrase du paragraphe 187 de

l’arrêt).

III. L’arrêt Ternovszky c. Hongrie

9. Dans l’affaire Ternovszky c. Hongrie (no 67545/09, § 22, 14 décembre

2010), la Cour a déclaré pour la première fois que « les conditions dans

lesquelles on donne la vie font indéniablement partie intégrante de la vie

privée d’une personne ». Elle a poursuivi comme suit : « lorsque des choix

liés à l’exercice d’un droit au respect de la vie privée interviennent dans un

domaine régi par la loi, l’État doit par la réglementation offrir une

protection juridique adéquate au droit en question (...). Il est vrai qu’à cet

égard l’État jouit d’une ample marge d’appréciation ; la réglementation doit

cependant ménager un juste équilibre entre les intérêts de la société et le

droit en jeu. Dans le contexte d’un accouchement à domicile, considéré

comme une question de choix personnel de la mère, cela implique que la

mère ait droit à un cadre juridique et institutionnel permettant son choix,

excepté lorsque d’autres droits rendent nécessaire la restriction de ce

choix » (ibidem, § 24, italique ajouté).

Page 59: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE 57

10. Nous ne contestons pas que le droit d’opter pour l’accouchement à

domicile n’est jamais absolu. Tous les pays examinés dans l’étude de droit

comparé de la Cour (paragraphes 67-68 de l’arrêt) subordonnent ce droit à

certaines conditions complémentaires. Cependant, il n’est pas compatible

avec la Convention qu’une sage-femme ou un professionnel de santé coure

le risque d’être poursuivi pour avoir pratiqué un accouchement à domicile

lege artis. Dans l’arrêt Ternovszky c. Hongrie, la Cour a conclu dans ce

contexte à la violation de l’article 8 de la Convention. En conséquence, il

faut qu’il existe une possibilité réelle de choisir l’accouchement à domicile ;

dans le cas contraire, l’article 8 de la Convention est en soi violé.

11. Les cadres juridiques respectifs de la République tchèque et de la

Hongrie sont légèrement différents. En République tchèque, il n’existe

aucune disposition qui sanctionne les sages-femmes. Cependant,

l’équipement requis par la loi sur les services médicaux et l’arrêté

no 92/2012 empêche les mères de se faire aider par une sage-femme lors

d’un accouchement à domicile. Le droit de ces deux pays – malgré des

règles différentes – rend l’accouchement à domicile assisté impossible dans

le cas de la Hongrie et peu sûr dans le cas de la République tchèque. Les

parents concernés ne jouissent donc pas non plus d’une possibilité réelle de

choisir dans ce dernier État, car un accouchement à domicile sans

sage-femme met indéniablement en danger la vie de la mère et de l’enfant.

Dès lors, le droit tchèque empêche de facto l’accouchement à domicile et a

un effet dissuasif sur les mères qui souhaitent mettre au monde leur enfant

chez elles.

12. En outre, certains pays, inspirés par les documents internationaux

pertinents et la jurisprudence de la Cour, ont récemment modifié leur

législation de manière à respecter le droit de choisir les circonstances et le

lieu d’un accouchement (ainsi, l’Estonie, en 2014, a basé sa réglementation

sur la définition de l’accouchement normal donnée par l’OMS). En

atténuant les principes dégagés dans l’affaire Ternovszky, l’arrêt rendu en

l’espèce risque d’envoyer un signal qui brouille cette tendance. Cela ne

cadre pas avec la position de la majorité, exprimée au paragraphe 189 de

l’arrêt, où la Cour invite les autorités tchèques à poursuivre leurs progrès en

assurant un suivi constant des dispositions juridiques pertinentes, de

manière à veiller à ce qu’elles reflètent les avancées médicales et

scientifiques.

IV. Les particularités des services obstétricaux en République tchèque

13. Avant d’examiner de plus près le raisonnement de la Cour, nous

souhaitons nous pencher sur le cadre plus large de la question soulevée par

l’espèce. Il y a deux aspects importants : le mécontentement largement

partagé face au non-respect des choix des femmes pendant l’accouchement

Page 60: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

58 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE

dans les hôpitaux tchèques, et la dimension économique des soins

obstétricaux dispensés.

14. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des

femmes a reçu plusieurs plaintes dirigées contre la République tchèque au

sujet d’interventions médicales inutiles pratiquées en l’absence d’un

consentement préalable, libre et éclairé des femmes, en particulier pendant

l’accouchement. Le comité a recommandé que l’on laisse aux femmes le

choix du lieu de l’accouchement et, dans ses observations du 14 mars 2016

sur la République tchèque (CEDAW/C/CZE/CO/6), il a explicitement

mentionné l’imposition de restrictions injustifiées aux accouchements à

domicile ainsi que les conditions trop restrictives dans lesquelles il peut être

fait appel aux services de sages-femmes plutôt qu’à ceux de médecins dans

les cas où il n’y a aucun risque pour la santé (observations du Comité, § 30,

p. 10).

15. Il ne faut pas prendre à la légère les attitudes condescendantes, chez

les professionnels de santé, car elles peuvent emporter violation du droit

d’un individu à l’autodétermination au regard de la Convention1. Par le

passé, la Cour a explicitement reconnu l’obligation d’associer les individus

aux décisions concernant leur traitement médical (Glass c. Royaume-Uni,

no 61827/00, §§ 70-83, CEDH 2004-II, et Tysiąc c. Pologne, no 5410/03,

§§ 114-130, CEDH 2007-I).

16. À cet égard, on peut déjà percevoir des signes préoccupants dans la

jurisprudence de notre Cour en ce qui concerne la situation en République

tchèque. Ainsi, la Cour a conclu à la violation de l’article 8 dans une affaire

qui portait sur une mesure judiciaire provisoire exigeant le retour à l’hôpital

d’un nouveau-né et de sa mère, laquelle venait d’accoucher et était rentrée

chez elle immédiatement après, et sur l’absence de recours permettant de se

plaindre de cette mesure provisoire (Hanzelkovi c. République tchèque,

no 43643/10, 11 décembre 2014). Dans cette affaire, la Cour a dit en

particulier que la prise en charge d’un nouveau-né dès sa naissance était une

mesure extrêmement dure et qu’il fallait généralement des raisons

1. Voir, dans le même sens, l’opinion de Lord Kerr et de Lord Reed (à laquelle se sont

ralliés Lord Neuberger, Lord Clarke, Lord Wilson et Lord Hodge) dans Montgomery

(Appellant) v Lanarkshire Health Board (Respondent) (Scotland) [2015] UKSC 11 (11

mars 2015), paragraphe 81 : « Les développements sociaux et juridiques évoqués plus haut

ne vont pas dans le sens d’un modèle de relation médecin-patient basé sur le paternalisme

médical. Ils ne vont pas non plus dans le sens d’un modèle dans le cadre duquel le patient

serait considéré comme entièrement tributaire des informations fournies par le médecin. En

revanche ils vont dans le sens d’une approche du droit qui, au lieu de traiter le patient

comme s’en remettant à son médecin (et donc comme étant prompt à lui intenter un procès

en cas d’issue décevante), le traite dans la mesure du possible en adulte qui est capable de

saisir que le succès d’un traitement médical est incertain et que ce traitement peut

comporter des risques, qui assume la responsabilité de la prise de risques concernant sa

propre existence et qui vit avec les conséquences de ses choix. »

Page 61: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE 59

impérieuses pour qu’un bébé puisse être soustrait à sa mère contre la

volonté de celle-ci.

17. En empêchant indirectement les sages-femmes de pratiquer des

accouchements à domicile, par le biais de la loi – et de ses exigences

excessivement rigoureuses concernant l’équipement disponible –, l’État

octroie au secteur de la santé publique et aux hôpitaux un monopole de facto

dans ce domaine. Si pareil monopole de l’État va de pair avec une

restriction sévère à un droit essentiel de l’article 8, alors il mérite un

contrôle minutieux de la Cour. En effet, dans l’élaboration du cadre

législatif de l’État, il se peut que des intérêts économiques aient joué un rôle

plus décisif que la protection du nouveau-né.

18. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des

femmes a invité la République tchèque à prendre des mesures au niveau

législatif pour que les accouchements pratiqués par des sages-femmes en

dehors des hôpitaux soient une option sans danger et abordable pour les

femmes (CEDAW/C/CZE/CO/6, p. 10, § 31). Comme nous le verrons

ci-après, il existe certainement en la matière des mesures moins intrusives –

et ne sacrifiant pas l’intérêt de l’État à protéger les mères et leurs

nouveau-nés – que celles actuellement imposées par le cadre législatif.

V. Les risques liés à l’accouchement à domicile

19. Concernant les risques liés à l’accouchement à domicile, nous

estimons, contrairement à la majorité (paragraphe 186 de l’arrêt), que

l’argument relatif à la santé publique avancé par le Gouvernement n’est pas

convaincant en soi.

20. Comme l’a souligné l’Ordre royal des sages-femmes, accoucher à

domicile sans l’aide d’une sage-femme augmente les risques pour la mère et

l’enfant, et les femmes risquent d’hésiter à se faire transporter à l’hôpital en

cas de complications survenant lors d’un tel accouchement, à cause de la

stigmatisation subie par celles qui font ce choix (paragraphe 138 de l’arrêt).

21. Qui plus est, les données statistiques fournies par le gouvernement

tchèque permettent d’aboutir à un argument différent lorsqu’on les compare

aux informations dont on dispose pour d’autres pays. Même si la

République tchèque possède l’un des plus faibles taux de mortalité sur les

vingt-sept premiers jours de la vie, taux qui s’établit à 0,17 %, le chiffre est

inférieur ou à peine supérieur dans un certain nombre de pays autorisant

l’accouchement à domicile2. Ce taux est par exemple de 0,16 % en Suède et

de 0,12 % en Islande, pays où l’on pratique l’accouchement à domicile

programmé et assisté.

2. Annexe C2, « Neonatal Mortality Rate for annual deaths » (nombres et taux pour

1 000 enfants nés vivants), du rapport European Perinatal Health Report: Health and Care

of Pregnant Women and Babies in Europe in 2010, mai 2013

Page 62: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

60 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE

22. En outre, la Cour n’a pas tenu compte des tendances internationales

allant dans le sens de l’accouchement à domicile assisté, ni des efforts

déployés pour réglementer le métier de sage-femme. Dès 1996, l’OMS

déclarait ce qui suit dans un rapport (WHO/FRH/MSM/96.24) :

« Les Pays-Bas sont un pays industrialisé doté d’un système officiel

d’accouchement à domicile. L’incidence des accouchements à domicile diffère

sensiblement selon les régions, et même d’une grande ville à une autre. Une étude de

la mortalité périnatale n’a permis d’établir aucun lien entre l’hospitalisation régionale

lors de l’accouchement et la mortalité périnatale régionale (Treffers et Laan 1986).

Une étude effectuée dans la province de Gelderland comparait le « résultat

obstétrical » des accouchements à domicile et celui des accouchements en milieu

hospitalier. Pour les primipares avec une grossesse à faible risque, un accouchement à

domicile était aussi sûr qu’un accouchement en milieu hospitalier. Pour les multipares

à faible risque, le résultat d’un accouchement à domicile était nettement meilleur que

le résultat d’un accouchement en milieu hospitalier (Wiegers et al. 1996). Rien ne

prouve que ce système de soins pour les femmes enceintes puisse être amélioré par

une médicalisation accrue des accouchements (Buitendijk 1993). » (p. 13)

23. Dans son rapport de 2011 sur la législation et la réglementation

relatives au métier de sage-femme (« Legislation and Regulation of

Midwifery – Making Safe Motherhood Possible »), l’OMS a même déclaré

ceci : « des éléments solides étayent aujourd’hui la récente recommandation

selon laquelle, aux fins de rendre la grossesse plus sûre, il faudrait que

toutes les femmes disposent d’un professionnel qualifié pendant la grossesse

[et] l’accouchement (...) » (p. 7 – traduction du greffe).

24. Pour toutes ces raisons, nous estimons qu’une future mère qui est

informée, qui est en bonne santé et qui a une grossesse à faible risque peut

raisonnablement opter pour un accouchement à domicile assisté par une

sage-femme et que ce choix ne comporte de risque excessif ni pour la mère

ni pour le bébé.

VI. Marge d’appréciation et consensus sur la non-interdiction de

l’accouchement à domicile

25. S’agissant du raisonnement de la Cour, nous souhaitons évoquer la

marge d’appréciation dont l’État disposait dans cette affaire particulière

(paragraphes 178 et suivants de l’arrêt). Si nous pensons comme la majorité

que selon la jurisprudence il convient d’accorder une ample marge

d’appréciation aux autorités nationales, nous parvenons à cette conclusion

par un raisonnement légèrement différent, qui nous amène à constater que

l’ingérence litigieuse n’est pas nécessaire dans une société démocratique.

26. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus (paragraphe 5), les États

jouissent d’ordinaire d’une grande marge d’appréciation lorsque sont en

concurrence des intérêts privés et des intérêts publics ou plusieurs droits

découlant de la Convention. Puisque tel est le cas en l’espèce, nous disons

que – contrairement à l’approche de la majorité – il n’est pas nécessaire de

Page 63: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE 61

rechercher s’il existe au sein des États membres un consensus sur

l’accouchement à domicile pour déterminer l’ampleur de la marge

d’appréciation laissée à l’État.

27. Lorsque les États jouissent d’une ample marge d’appréciation dans

le contexte de l’article 8 de la Convention, une ingérence dans l’exercice

des droits consacrés par cette disposition ne peut être justifiée que s’il existe

des « motifs pertinents et suffisants » (Zaieţ c. Roumanie, no 44958/05, § 50,

24 mars 2015, Hanzelkovi, précité, § 72, Winterstein et autres c. France,

no 27013/07, §§ 75-76, 17 octobre 2013, et S. et Marper c. Royaume-Uni

[GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 101, CEDH 2008-V). Dans le cadre de

l’examen d’une affaire, il faut donc que la Cour tienne dûment compte des

intérêts de l’individu (Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97,

§ 99, CEDH 2003-VIII). Nous estimons qu’en l’espèce la Cour n’a pas fait

preuve d’une prudence suffisante à cet égard (voir les paragraphes 29 et

suivants, ci-dessous).

28. À supposer même que la Cour ait été appelée à rechercher en

l’espèce s’il existait au sein des États un consensus relatif à l’accouchement

à domicile, nous n’adhérons pas à la façon dont la majorité traite cette

question. Lorsque près de 50 % des États membres prévoient et

réglementent l’accouchement à domicile (vingt États membres sur les

quarante-trois étudiés), que celui-ci n’est pas réglementé ou est

sous-réglementé dans vingt-trois États membres, mais qu’aucun des

quarante-trois États étudiés ne possède de législation interdisant l’assistance

d’une sage-femme lors d’un tel accouchement (paragraphe 68 de l’arrêt),

alors il existe bel et bien au sein des États membres un consensus en faveur

de la non-interdiction de l’accouchement à domicile.

29. Pour ce qui est de la proportionnalité d’une interdiction de facto de

l’accouchement à domicile, nous souscrivons à la position de la Cour

constitutionnelle tchèque, qui a déclaré ce qui suit :

« (...) un État démocratique moderne fondé sur la prééminence du droit repose sur la

protection de libertés individuelles et inaliénables, dont la délimitation a un rapport

étroit avec la dignité humaine. Ces libertés, qui comprennent la liberté dans les

activités personnelles, vont de pair avec une part de risque acceptable. Le droit des

parents de choisir librement le lieu et le mode d’accouchement n’est limité que par

l’intérêt à voir l’accouchement bien se passer et à protéger la santé de l’enfant, cet

intérêt ne pouvant toutefois être interprété comme une préférence inconditionnelle

pour l’accouchement à l’hôpital. » (décision no.I. ÚS 4457/12, citée au paragraphe 34

de l’arrêt). »

30. Ainsi, malgré l’ample marge d’appréciation dont dispose l’État, un

cadre législatif prévoyant une seule et unique option pour l’accouchement, à

savoir en milieu hospitalier, ne peut être considéré comme proportionné et il

constitue à nos yeux une ingérence non nécessaire de l’État dans l’exercice

par les femmes de leurs droits découlant de l’article 8 de la Convention. De

plus, nous relevons que pour l’heure – la majorité refuse de le reconnaître –

aucune maison de naissance n’a été ouverte en République tchèque, en

Page 64: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

62 ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE

raison des importantes exigences relatives aux moyens techniques, matériels

et humains qui sont imposées à ces établissements (paragraphe 149 de

l’arrêt).

VII. Le contexte des causes de Mme Dubská et de Mme Krejzová

31. Venons-en aux circonstances particulières des deux causes. Après

une mauvaise expérience vécue lors de son premier accouchement à

l’hôpital, Mme Dubská décida de mettre au monde son deuxième enfant

seule, chez elle. Sa deuxième grossesse, jusqu’à la naissance de son fils en

mai 2011, se déroula sans complications (paragraphe 10 de l’arrêt). Elle ne

put néanmoins trouver de sage-femme pour l’aider à accoucher.

32. Mme Krejzová avait donné naissance à ses deux premiers enfants

chez elle, en 2008 et en 2010, avec l’assistance d’une sage-femme. Les

sages-femmes concernées avaient toutefois pratiqué ces accouchements sans

autorisation officielle. Lorsque Mme Krejzová fut à nouveau enceinte en

2011, elle ne parvint à trouver aucune sage-femme disposée à l’aider, parce

qu’un tel acte était passible d’une lourde amende (paragraphe 19 de l’arrêt).

Les autorités nationales avec lesquelles elle prit contact refusèrent de lui

proposer une solution. Elle fut donc contrainte d’accoucher à l’hôpital. Ces

deux exemples sont une illustration parfaite de l’effet dissuasif qu’entraîne

la législation tchèque en matière d’accouchement à domicile.

33. Dans les deux cas, les grossesses des requérantes n’ont comporté ni

risques ni complications exigeant un accouchement à l’hôpital. Il est vrai

sans doute que même une grossesse « à faible risque » peut donner lieu à

des difficultés inattendues au moment de l’accouchement, mais l’argument

du Gouvernement résumé au paragraphe 186 de l’arrêt ne peut en soi

justifier une interdiction de facto absolue dans de telles circonstances.

L’argument lui-même est discutable, car le taux de mortalité périnatale dans

les pays autorisant l’accouchement à domicile avec l’assistance d’une

sage-femme est quelquefois même inférieur, ou à peine supérieur, au taux

affiché par la République tchèque (paragraphe 21 ci-dessus). De plus, la

Cour constitutionnelle tchèque a elle-même déclaré qu’il existait en la

matière une part de risque acceptable (paragraphe 29 ci-dessus).

34. Dès lors, nous disons qu’en ce qui concerne les grossesses « à faible

risque » il est possible et raisonnable d’autoriser les parents à choisir les

circonstances de l’accouchement tout en protégeant les intérêts de l’enfant

couverts par l’article 2 de la Convention. Cela exige toutefois de l’État qu’il

veille à ce que les sages-femmes puissent prêter leur assistance à un

accouchement, ou du moins signifie qu’il ne doit pas les en empêcher.

Page 65: Arrêt de la Grande Chambre CEDH - Affaire dubsk  et krejzov  c. république tchèque

ARRÊT DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE – OPINION SÉPARÉE 63

VIII. Conclusions

35. En conclusion, nous considérons que le modèle d’accouchement

unique envisagé par la législation tchèque litigieuse, qui ne laisse guère

d’autre choix aux futures mères que d’accoucher à l’hôpital, est en soi

problématique au regard de l’article 8 de la Convention. À notre avis, le fait

d’empêcher les sages-femmes d’aider les deux requérantes à accoucher à

domicile – qui plus est dans le contexte de grossesses à faible risque, chez

des femmes qui avaient déjà enfanté – n’était justifié dans une société

démocratique par aucun argument convaincant lié à la santé publique.

36. Pour l’avenir, nous ne pouvons qu’insister sur l’invitation que la

Cour adresse au législateur tchèque, à savoir de « poursuivre [ses] progrès

en assurant un suivi constant des dispositions juridiques pertinentes, de

manière à veiller à ce qu’elles reflètent les avancées médicales et

scientifiques tout en respectant pleinement les droits des femmes en matière

de santé génésique, notamment en garantissant des conditions adéquates aux

patientes comme au personnel médical des maternités de tout le pays »

(paragraphe 189, dernière phrase, italique ajouté).