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Droits et construction sociale Bulletin n°52 30 novembre 2014 Dossier Garantir la participation en copropriété Guide de la copropriété participative Chapitre 1 Vers une logique participative convaincante 1 Rompre avec une propagande creuse ISSN : 2117-5845 D&CS , n° 52, 30 novembre 2014 1 Guide de la copropriété participative Chapitre 1 Vers une logique participative convaincante 1 Rompre avec une propagande creuse Le présent bulletin est consacré au début du premier chapitre du Guide de la copropriété participative, après la parution du préambule de ce guide dans le numéro 51. Les pages qui suivent visent à donner un argumentaire logique aux citoyens qui souhaitent démontrer que la participation n’est pas une chimère. Sommaire Pages 1 Rompre avec une propagande creuse……………….…. 3 1.1 L’aspiration statutaire………...…………...………………. 5 1.2 L’attractivité du libre compagnonnage……………...….... 9 1.3 Le nouveau garantisme………………………….………. 14 D&CS , n° 52, 30 novembre 2014 2 LGOC

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Droits et construction sociale

Bulletin n°52

30 novembre 2014

Dossier Garantir la participation en copropriété

Guide de la copropriété participative

Chapitre 1 Vers une logique participative convaincante

1 Rompre avec une propagande creuse

ISSN : 2117-5845

D&CS , n° 52, 30 novembre 2014 1

Guide de la copropriété participative

Chapitre 1 Vers une logique participative convaincante

1 Rompre avec une propagande creuse Le présent bulletin est consacré au début du premier chapitre du Guide de la copropriété participative, après la parution du préambule de ce guide dans le numéro 51. Les pages qui suivent visent à donner un argumentaire logique aux citoyens qui souhaitent démontrer que la participation n’est pas une chimère.

Sommaire Pages

1 Rompre avec une propagande creuse……………….…. 3 1.1 L’aspiration statutaire………...…………...………………. 5 1.2 L’attractivité du libre compagnonnage……………...….... 9 1.3 Le nouveau garantisme………………………….………. 14

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LGOC

智 仁

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1 Rompre avec la propagande creuse Ceux qui tentent d’inviter leurs concitoyens à rejoindre des actions collectives se heurtent à un grand scepticisme. D’ailleurs, la prudence de la population est parfaitement compréhensible. Participer n’est pas en soi positif. Tout dépend de ce à quoi on participe. Agir avec les autres pour le progrès est louable. Devenir complice d’agissements douteux l’est moins. Pour rendre la participation convaincante, il faut donc garantir qu’elle s’inscrit dans une dynamique positive. Des copropriétaires confrontés à de nombreuses iniquités au quotidien et à des dérives malsaines ne peuvent qu’être sensibles à cette question. Or, dans les milieux qui défendent la participation, le fait d’évaluer les processus dont on est partie prenante n’est pas toujours évident. Ce n’est pas surprenant. En effet, il est plus tentant de se borner à faire de la propagande, c'est-à-dire à propager une foi (et c’était le sens originel du mot). A l’inverse, démontrer en permanence la pertinence de la voie que l’on suit paraît plus éprouvant.

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Le monde de la participation semble donc partagé en trois.

- Ceux pour lesquels participer signifie conquérir un statut.

- Ceux qui s’inscrivent dans la fidélité à une tradition

organisationnelle sans trop vouloir évaluer les actions passées des tenants de leur mouvance.

- Et enfin, ceux qui veulent construire des garanties

pour mobiliser les autres. Tels sont les trois courants qu’il convient de décrire ici.

Pour en savoir plus : Patrick BOUCHERON, Conjurer la peur, Sienne, 1338, essai sur la force politique des images, Seuil, Paris, 2013, 288 p., et notamment p. 67 sur la propaganda fides, c’est-à-dire le fait de propager la foi au Moyen Âge

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Nécessité de fournir des garanties

mobilisatrices

Obligation d'évaluer les actions que

l'on entreprend

Tentation de se limiter à la propagande

pour convaincre

La participation comme construction de garanties

La participation comme conquête

d'un statut

La participation comme fidélité à une tradition

organisationnelle

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1.1 L’aspiration statutaire La recherche du plaisir est humaine et n’a évidemment rien de choquant. Elle conduit logiquement à vouloir obtenir certains biens et services. Or, il faut avoir des moyens pour disposer de ces derniers. Chaque citoyen est, dès lors, confronté à un dilemme. D’un côté, il peut tenter de changer l’organisation du monde pour permettre que tous les êtres humains, y compris lui, bénéficient des prestations souhaitables. De l’autre, il peut aussi s’arranger pour capter à titre individuel ce dont il estime avoir besoin en nouant quelques alliances utiles, mais en se moquant parallèlement du sort du reste de la population. Ainsi, soit on est attaché à des devoirs au nom de valeurs morales, soit on est focalisé sur des choses à avoir. Lesdites visions du monde sont clairement antagoniques, mais de nombreux Français ont choisi la seconde, c’est-à-dire celle qui permet de consommer sans se soucier d’autrui. Cela induit la conquête de statuts qui offrent le moyen de capter ce que l’on désire sans se justifier. Et pour que ces statuts existent, il faut des ressources. A cette fin, un effort de communication doit être entrepris pour convaincre des décideurs, publics ou privés, d’allouer les fonds nécessaires.

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Les consommateurs qui aspirent à un statut doivent donc conduire une entreprise de communication pour convaincre des puissances établies de financer l’existence des places lucratives convoitées. Cette obligation de courtiser des dirigeants en place pourrait sembler conformiste, voire conservatrice. Dépendre des pouvoirs existants n’incite pas à transformer le monde. Pourtant, ceux qui pratiquent la quête de statuts estiment souvent que leur approche est participative. Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce n’est pas forcément absurde, dans une certaine mesure. La conception de la participation fondée sur la recherche du plaisir résulte, en effet, d’une vieille tradition, même si ce n’est pas la seule dont peuvent s’inspirer ceux qui veulent coopérer avec les autres. Charles FOURIER (1772-1837) prétendait que l’agencement des diverses passions individuelles au sein de la population permettait naturellement de générer un monde sans exploitation. Les situationnistes des années 1960, dont le slogan était « jouir sans entraves », se disaient inspirés par FOURIER. Charles GIDE (1847-1932), grand théoricien de la coopération de consommation, pensait également qu’en donnant la maîtrise de toute l’économie aux consommateurs et en veillant à ce que ces derniers englobent l’ensemble de la population, injustices et malversations allaient disparaître.

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Aspiration au plaisir

Volonté de consommer

dans l'indifférence

à autrui

Tentation de se constituer

un statut pour pouvoir

librement consommer

Nécessité de convaincre

des décideurs pour qu'ils

allouent des ressources

Agencement des passions individuelles

Domination de l'économie par

les consommateurs

Disparition de l'exploitation

selon les situationnistes

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Les pensées de FOURIER comme de GIDE reposent, en fait, sur une promesse quant à l’avenir. La jouissance ou la consommation doivent, selon eux, favoriser l’intérêt général. Un tel espoir a pourtant un effet positif. Les acteurs obnubilés par la recherche du plaisir ou de la consommation sont ainsi obligés de s’interroger sur la continuité du système social. Pour convaincre les décideurs qui allouent les ressources, il faut, en effet, prouver à ces derniers que la création de statuts sert les intérêts à long terme de ces dirigeants, et donc la survie des structures dominantes.

Tout cela pose néanmoins un problème moral. Un système existant n’est pas forcément défendable et sa survie sans évolution peut être préjudiciable à beaucoup. La focalisation des citoyens sur leurs statuts individuels induit des difficultés pour ceux qui ne disposent pas de privilèges. Ainsi, la course aux rentes et à la jouissance peut conduire à la servilité et à la lutte des places sur fond de chaos général. S’abandonner à ses passions pousse au spontanéisme, c’est-à-dire au refus de toute organisation.

Pour en savoir plus : FOURIER (Charles), « Avis aux civilisés relativement à la prochaine métamorphose sociale », partie finale de la Théorie des quatre mouvements, parue en 1808, document établi par Jean-Marie TREMBLAY, 2003, http://classiques.uqac.ca/classiques/fourier_charles/ordre_subversif/texte_3_avis/fourier_avis_aux_civilises.pdf

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GIDE (Charles), Coopération et économie sociale, 1886-1904, présenté et annoté par Patrice DEVILLERS, L’Harmattan, Comité pour l’édition des œuvres de Charles Gide, Paris, 2001, 381 p. LÖWY (Michel), « Le ‘‘spontanéisme’’ de Rosa Luxembourg », 2010, Cahiers du socialisme, http://www.cahiersdusocialisme.org/2010/03/30/le-%C2%AB-spontaneisme-%C2%BB-de-rosa-luxembourg/ LUSSAULT (Michel), De la lutte des classes à la lutte des places, Bernard Grasset, Paris, 2009, 221 p. VANEIGEM (Raoul), « Avis aux civilisés relativement à l’autogestion généralisée », pp. 74 à 79, Internationale situationniste, n° 12, septembre 1969, la même revue faisant paraître un billet intitulé « le retour de Charles Fourier », pp. 97 et 98, sur une opération qui a consisté à remettre la statue de ce penseur Place Clichy VANEIGEM (Raoul) et autres, AFGES (Association Fédérative Générale des Etudiants de Strasbourg), « De la

misère en milieu étudiant considérée sous ses aspects

économique, politique, psychologique, sexuel et notamment intellectuel et de quelques moyens pour y remédier », 21-27 Etudiants de France, supplément spécial au n° 16, 1966, et notamment p. 27 pour la fameuse expression « vivre sans temps mort et jouir sans entraves ») VAROQUI (A.), Un représentant du socialisme utopique, Charles Fourier, Le CDI, Ecole alsacienne, http://www.ecole-

alsacienne.org/CDI/pdf/1301/130115_VAR.pdf

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Volonté d'obtenir des

ressources

Entreprise de communication pour

convaincre les décideurs

Obligation d'amadouer les

décideurs en parlant de leur survie

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1.2 L’attractivité du libre compagnonnage

Si participer revient à s’exprimer sans respecter le moindre cadre, et cela pour pouvoir assouvir sa soif de consommation, on comprend qu’un tel projet puisse susciter des réserves. Conscients de cette difficulté, certains acteurs attachés à la tradition fouriériste ont l’intelligence de ne pas trop insister sur leur recherche du plaisir mais préfèrent mettre en avant les bénéfices collectifs futurs qu’apporteraient leurs démarches. Cela constitue une approche téléologique (du grec télos, τέλος, le but), où ce qui compte est la finalité poursuivie. Toutefois, de beaux objectifs ne suffisent pas pour légitimer un chemin proposé. Encore faut-il que les moyens soient adaptés aux fins. Sinon, l’échec est quasiment assuré. Une action collective est toujours une performance qui nécessite un travail. La question essentielle est donc de savoir comment seront traités ceux qui accomplissent les tâches essentielles. Au lieu de partir des rentiers et consommateurs, il est plus logique de se pencher sur le sort de ceux qui produisent, car il faut créer de la richesse avant de la partager. La participation change alors de sens. Au lieu de céder au culte de la consommation, aux promesses de beaux lendemains et au spontanéisme, il faut organiser concrètement les travailleurs pour qu’ils puissent maîtriser le fruit de leurs efforts sans se le faire dérober.

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Participer n’est donc pas forcément avoir une rente pour consommer. On peut aussi former un groupe de production dont tous les membres travaillent à égalité, de façon que personne n’exploite autrui. Une telle idée n’est, d’ailleurs, pas nouvelle. Un comte de Foix, Roger Bernard III, l’a eue en 1293 quand il a concédé à toute la population du village de Rancié l’exploitation d’une mine. Cette expérience a duré jusqu’en 1931, la structure d’exploitation étant qualifiée par l’Etat de société coopérative en 1897. Certes, le Moyen Âge et l’époque moderne ne furent pas idylliques. Le compagnonnage a pu être une organisation au service de patrons corporatistes et d’autorités ecclésiastiques ou nobiliaires soucieuses de prélever les ressources de la population. On doit, néanmoins, signaler qu’à partir du XVIIe siècle, et sous l’impulsion de cordonniers et de charpentiers, s’est développé le libre compagnonnage (les Compagnons de Salomon). Cette mouvance a conduit à une coalition plus égalitaire pour résister aux employeurs sans pour autant basculer dans le simplisme, puisque toute personne voulant devenir compagnon devait prouver sa compétence technique et son respect des règles collectives. C’est parmi ces libres compagnons qu’ont émergé de nombreux partisans de la coopération de production au XIXe siècle, celle-ci consistant à donner aux travailleurs le contrôle collectif de la structure dans laquelle ils exercent.

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Culte de la consommation

Spontanéisme Approche

téléologique

Absence de focalisation

sur les travailleurs

Libre compagnonnage

Volonté des travailleurs de contrôler leur

cadre de travail

Emergence de la coopération de production

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Sous l’impulsion du médecin catholique Philippe BUCHEZ (1796-1865) ainsi que des socialistes féministes Jeanne DEROIN (1805-1894) et Pauline ROLAND (1805-1852), les tenants de la coopération de production ont tenté de s’organiser, malgré la répression exercée par les gouvernants, notamment lors du putsch de 1851. Le Second Empire a fini par accepter, dans une loi du 24 juillet 1867, la création de sociétés à capital variable, ce qui permettait aux ouvriers de monter des coopératives pour prendre progressivement le contrôle de leurs usines. Jean-Baptiste GODIN (1817-1888) a, ainsi, pu organiser le transfert à ses salariés de la gestion de son entreprise, ce qui a donné lieu à une très belle expérience coopérative française, le Familistère de Guise (entre 1880 et 1968). La loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 sur le statut de la coopération et la loi n° 78-763 du 19 juillet 1978 sur les SCOP (Sociétés Coopératives Ouvrières de Production) sont des manifestations de ce mouvement historique. Si cette approche a eu du succès, c’est parce qu’elle permet de rompre avec les excès du spontanéisme. Ce dernier, derrière des apparences festives, cache souvent une pression sur certains individus pour qu’ils acceptent le harcèlement d’apprentis jouisseurs voulant imposer leurs désidératas. La convivialité peut, certes, exister dans le cadre de la coopération de production, mais elle est alors la conséquence d’une réussite organisationnelle et non un signe de soumission à un cadre d’exploitation sur fond de promesses fumeuses et de sourires contraints.

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La coopération de production représente donc un phénomène sympathique qui a permis d’écrire l’une des pages les plus passionnantes de l’histoire du mouvement ouvrier français. Néanmoins, nul n’est parfait. Aussi intéressant soit-il, l’esprit de libre compagnonnage peut avoir des conséquences fâcheuses si l’on n’y prend pas garde. Des sociétés coopératives gérées par leurs propres employés se sont organisées ensemble. Ainsi est née la Chambre consultative des sociétés coopératives en 1884, qui s’est transformée en Confédération Générale des SCOP en 1937. Les travailleurs qui gèrent en commun leurs entreprises et réussissent à faire face à la concurrence commerciale constituent donc une forme de communauté. La tentation est forte, pour eux, de toujours laver le linge sale en famille et de montrer un visage uni devant l’extérieur, malgré les rivalités économiques internes et les doutes, d’où une forme de discours parfois un peu formaté et bon enfant, ainsi qu’une tentation d’éviter les évaluations critiques. On relève un autre souci. La réussite organisationnelle est le critère d’appartenance au libre compagnonnage de la coopération de production. Hélas, bien gérer des entreprises n’est pas donné à tout le monde. Depuis le XIXe siècle, il est remarqué que seule une élite ouvrière en est capable, quitte à faire travailler des sous-traitants se débattant dans la précarité ailleurs. Cette dérive n’est évidemment pas une fatalité, mais il faut rester vigilant.

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Recherche de la réussite

organisationnelle

Abandon du spontanéisme

Succès de la coopération de

production

Réticence à l'évaluation de

l'action des compagnons

Tendance à l'élitisme

Dérives possibles de la coopération

de production

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Pour en savoir plus : DRAPERI (Jean-François), Godin, inventeur de l’économie sociale ; Mutualiser, coopérer, s’associer, Editions REPAS, Valence, Drôme, 2008, 192 p. DRAPERI (Jean-François), La République coopérative, Larcier, Bruxelles, 2012, 327 p. ESPAGNE (François), « Quelques histoires autour des SCOP en Midi-Pyrénées et en Languedoc-Roussillon », 2010, http://www.les-scop.coop/export/sites/default/fr/_media/documents/histoire-scop-midi-

pyrenees-languedoc-roussillon.pdf FEENBERG (Andrew), « Les chemins de l’échec : la dialectique de l’organisation et de l’idéologie dans la

Nouvelle Gauche », L’Homme et la société, n° 93, 1989, pp. 33 à 50, trad. Anne-Marie FEENBERG et Jacques BRUN, sur le spontanéisme de la gauche radicale américaine des années 1960 et 1970 FERRATON (Cyrille), « Idées économiques de Philippe Buchez », Economies et Sociétés, n° 48, 2013, pp. 805-825 GAUTIER (Jean), Histoire des SCOP et de la coopération, DVD, SCOP Entreprises, Scop Edit, Paris, 2006 (voir la Confédération générale des SCOP, 37 rue Jean Leclaire, 75017 PARIS) [email protected]

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1.3 Le nouveau garantisme

En tout état de cause, pour de nombreux Français, ni la chasse aux statuts, ni le libre compagnonnage ne sont des voies adaptées aux problèmes qu’ils rencontrent. La société connaît des abus manifestes qui, à défaut de constituer des infractions, représentent des fautes morales caractérisées. A tort ou à raison, les citoyens qui pâtissent de ces iniquités jugent coresponsables de la situation les gouvernants qui laissent commettre ces agissements. Quant à ceux qui veulent capter des rentes, ils sont parfois ressentis comme les complices de ce système défaillant qu’ils courtisent. Les réseaux de libre compagnonnage, du fait de leur réticence à mettre en cause leurs membres, paraissent aussi des alliés des dynamiques problématiques, car leur attitude semble conforter la loi du silence. Ce qui exaspère les mécontents est l’impunité dont bénéficient les auteurs d’inconduites au plan éthique. De ce point de vue, ni la coopération de production, ni l’approche téléologique n’apportent de solutions. Les victimes de l’omerta ou de la dépendance vis-à-vis de professionnels peu scrupuleux, déplorent les connivences entre fautifs et autorités de régulation, ainsi que l’exploitation ou le harcèlement exercé sur les individus isolés.

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Omerta

Dépendance

Connivences Exploitation

Harcèlement

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Dès lors, pour ceux qui estiment que des injustices existent et qui veulent sincèrement combattre l’iniquité, il n’est possible de participer à une action collective que si celle-ci repose sur le principe de vérification. Le comportement des membres du groupe, les pratiques choisies et les objectifs fixés doivent être examinés par tous afin de s’assurer que d’autres abus ne soient pas commis. La vérification n’est donc effective que si tous y prennent part. Cela implique une rotation dans les fonctions pour éviter qu’une caste ne capte en permanence certaines places et échappe ainsi à tout contrôle. Pour que la vérification soit effective, il faut aussi que celui qui évalue une action ne soit pas lié par l’intérêt à ceux dont l’action est évaluée, d’où la nécessité de regards croisés entre groupes d’intérêts différents. Tout ceci demande un travail d’organisation important qui doit être également accompli par tous, dans un cadre de réciprocité, pour éviter la dépendance vis-à-vis d’un leader. Enfin, chaque individu doit échapper aux demandes harcelantes. Sinon, des groupes malsains opprimeraient des personnes isolées afin d’échapper à l’évaluation effectuée par le collectif. Le groupe doit donc faire écran et constituer un intermédiaire obligatoire. On est loin du spontanéisme.

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Certes, les entreprises de captation de statuts ne peuvent voir ces principes qu’avec horreur. Ceux qui veulent accaparer des rentes, et surtout pas les partager, ne peuvent envisager la moindre rotation. De la même manière, le compagnonnage implique un refus de la notion de regards croisés. Les compagnons forment une communauté d’intérêts dont les membres peuvent accepter d’être contrôlés, mais uniquement par leurs amis. Pourtant, dans les groupes fondés suite à des injustices passées, l’action collective est pérenne et efficace si ces principes sont pratiqués. Les unions coopératives en matière d’habitat le montrent, et le présent Guide de la copropriété participative aura l’occasion d’analyser cet exemple en détail. La réussite d’un tel processus n’est d’ailleurs pas surprenante. En toute logique, rotation et regard croisé permettent la confrontation enrichissante de points de vue divers. La réciprocité et l’intermédiation évitent que les participants les plus actifs ne soient tyrannisés par des arrivistes. Quant à la vérification, c’est une exigence minimale qui s’impose même dans les entreprises commerciales et les collectivités publiques pour combattre la gabegie. Néanmoins, les citoyens peuvent aussi se lasser de participer et s’en remettre aux plus actifs qui finissent par pratiquer le mélange des genres et devenir omnipotents face à des consommateurs atomisés.

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Vérification

Rotation

Regard croisé Réciprocité

Intermédiatiion Passivité

Consumérisme

Mélange des genres Omnipotence des leaders

Atomisation

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Le consumérisme rend donc impossible le respect des principes de rotation, de regard croisé, de réciprocité, d’intermédiation et de vérification. Toutefois, il n’est pas le seul responsable de la difficulté à promouvoir ce mode de fonctionnement, même si ce dernier a fait ses preuves. Des mécanismes comme la rotation, l’intermédiation ou le regard croisé constituent des garanties qui permettent d’assurer la vérification et la réciprocité. Lorsqu’une organisation protège les participants d’une action collective, on peut parler de garantisme. Ce terme est utilisé par des juristes pour qualifier, notamment, la sauvegarde judiciaire des libertés individuelles, tout particulièrement en matière pénale. En fait, le mot a été utilisé antérieurement par FOURIER qui y voyait une étape de l’évolution humaine. Au patriarcat puis à la barbarie avait succédé la civilisation industrielle. A celle-ci devait succéder le garantisme avant que n’adviennent le sociantisme (organisation de toute la société en associations) et l’harmonisme (harmonisation spontanée des passions libérées). Même si FOURIER, très sûr de lui et prétendant détenir la vérité quant à l’histoire passée et à venir, trouvait que les garanties ne devaient avoir qu’un rôle transitoire, le mot qu’il a utilisé est approprié et s’inscrit dans une tradition. La notion de garantisme correspond parfaitement à ce que cherchaient à promouvoir les auteurs qui luttaient contre le dogmatisme et l’autoritarisme social depuis le XVIIe siècle.

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Cette approche consistant à donner des garanties organisationnelles aux participants d’une action collective est celle que prônaient le Quaker anglais John BELLERS (1654-1725) ou le réformateur social britannique Robert OWEN (1771-1858). Ces auteurs se défiaient des élites dogmatiques, économiques comme religieuses. Pourtant, même s’ils ont exercé une forte influence intellectuelle dans le monde anglo-saxon, les groupements coopératifs qu’ils ont proposés ont échoué. Ce n’est pas un hasard. Vouloir construire des garanties est une bonne chose, surtout pour convaincre des personnes ayant subi des injustices et ne souhaitant pas être dupées à nouveau. A l’inverse, se méfier de ceux qui ont failli et de leurs alliés peut faire risquer l’isolement, le moralisme étriqué, ainsi qu’une hostilité systématique à l’égard d’une société perçue comme corrompue, ce qui empêche tout dynamisme. Les chasseurs de rentes ont sans doute des défauts, mais ils savent communiquer. Les libres compagnons ont une tendance au copinage, mais ils savent respecter une tradition. A force de suspecter tout le monde, les garantistes finissent par ne parler à personne, et notamment pas aux sociologues, aux consommateurs qui pourraient être convaincus ou aux historiens. Or, à tout ignorer de son passé, on finit par ne plus être capable d’expliquer le présent, tout en pouvant difficilement proposer une voie vers l’avenir. Le garantisme, qui a beaucoup de succès dans le monde de la copropriété, souffre donc aussi de certaines faiblesses.

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Principes d'organisation

Protection des participants

Garantisme Méfiance à l'égard de la société

Manque de communication et

d'échanges

Incapacité du garantisme à se présenter efficacement

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Pour en savoir plus : BELLERS (John), Proposals for Raising a Colledge of Industry of All Useful Trades and Husbandry, T. Sowle, Londres, 1696, 43 p. DUPUIS (Serge), Robert OWEN Socialiste utopique 1771 – 1858, Editions du CNRS, Centre régional de publication de Toulouse, Délégation régionale Midi-Pyrénées 1991, 361 p., voir notamment p. 74 sur l’influence de John BELLERS FOURIER (Charles), De l’anarchie industrielle et scientifique, Librairie phalanstérienne, Paris, 1847, 70 p., et notamment p. 5, 6 et 48 sur le garantisme HELMUT (Keith), « “The Evolutionary Potential of Quakerism” Revisited From Kenneth Boulding to John Bellers” », 2009, p. 20 quant à la très forte influence de John BELLERS sur Robert OWEN http://quaker.ca/wp-

content/uploads/2014/06/Evolutionary_Potential_of_Quakerism_Revisited.pdf JEAN (Jean-Paul), « Perceptions et réalités du

fonctionnement de la justice française », Cahiers français, n° 377, 2013, pp. 8 à 16 et notamment p. 14 sur le « garantisme procédural » TOUCAS-TRUYEN (Patricia), Les coopérateurs : Deux siècles de pratiques coopératives, Dir. Michel DREYFUS Collection Jean MAITRON, L’Atelier, Paris, 2005, pp. 174 et 175 sur le GNC, Groupement National de la Coopération créé en 1968, auquel ne participent plus, contrairement à ce qui est écrit, de structures liées au secteur de la copropriété.

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Dans le prochain bulletin sera étudiée la façon dont peuvent être harmonieusement combinées les trois conceptions dominantes mais divergentes de la participation, soit l’entreprise de communication, le libre compagnonnage et le nouveau garantisme.

Thierry POULICHOT

Droits et construction sociale Publication éditée par l’association LGOC

(Lien des Garanties Objectives dans la Cité)

Bulletin n°52 Date de réédition : 07 décembre 2014

Directeur de publication : Thierry POULICHOT Uniquement disponible en ligne

ISSN : 2117-5845

Adresse électronique [email protected]

Blog http://cooperationencopropriete.blogspot.fr

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