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Real Estate
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La place du conseil fiscal dans la réalisation d’un deal immobilier. Guillaume ALLEGRE, Corporate Tax intern, Arsène TAXAND. Le marché des fusions-‐acquisitions connaît un regain de croissance depuis maintenant plusieurs mois. Selon une étude publiée par la banque d’investissement américaine Morgan Stanley, le volume des transactions M&A a triplé en France (+210% en 9 mois), entre 2013 et 2014. Les synergies que peuvent réaliser les entreprises en se rapprochant entre elles via les processus de croissance externe sont, en principe, le signe d’une économie qui se reconstruit. Si les fusions-‐acquisitions à proprement parler, représentent une large partie du marché des restructurations, il ne faut point négliger les autres opérations qui participent, elles aussi, au redressement économique mondial (cf. Fiat qui annonçait dernièrement, préparer le spin-‐off de sa marque de luxe, Ferrari). Propulsés par le secteur des télécoms (tentative de rachat par Iliad de T-‐Mobile US, rachat de SFR par Numéricable), les deals de ces derniers mois ont principalement intéressé l’industrie de l’high-‐tech. Lex experts notent cependant que le marché immobilier n’est pas en reste, puisqu’il est, lui aussi, théâtre de ce regain récent d’activité. Ainsi en témoigne la cession du « 32 Blanche », immeuble de bureaux situé dans le 9ème arrondissement parisien à proximité de l’Opéra, réalisée entre deux géants mondiaux spécialisés dans la gestion d’actifs, The Carlyle Group et OMERS. L’investissement immobilier, lorsqu’il est bien pensé, permet de se constituer une classe d’actifs privilégiée par certains fonds de private equity. Bien qu’il puisse être réalisé « en direct », les investisseurs aguerris préfèrent, dans la majorité des cas, passer par un véhicule type OPCI, dont les titres portant indirectement la valeur du patrimoine immobilier acquis, sont reclassés à l’actif au poste immobilisations incorporelles. Bien noble dont la valorisation peut parfois atteindre des sommets, l’immeuble lorsqu’il s’apprête à être vendu nécessite une attention toute particulière. Il apparaît dès lors opportun de s’intéresser aux spécificités qu’engendre un deal portant sur une société cible dont l’actif est majoritairement composé d’immeubles ou de droits immobiliers. Au-‐delà du rôle général de conseil que joue l’avocat fiscaliste dans une telle opération, quels sont les points d’attention sur lesquels celui-‐ci doit alerter son client qui se porte acquéreur ? Comme dans tout deal, l’acquisition d’une société dont le patrimoine est principalement, voire intégralement composé d’immeubles, a lieu entre un acheteur, et un vendeur. Tout en veillant à ne conseiller, de près mais surtout de loin, qu’une seule des deux parties, et ce pour éviter tout conflit d’intérêt, l’avocat en charge du dossier, la plupart du temps associé du cabinet qu’il représente, nomme son équipe qui l’accompagnera tout au long de l’opération. Généralement composée d’un senior manager, deux ou trois collaborateurs et un stagiaire, l’équipe se répartit le travail lors d’un rapide tour de table au cours duquel, le senior manager décrit les grands lignes du deal. La première étape peut alors commencer. Grâce aux identifiants et mots de passe communiqués aux conseils par le vendeur, l’équipe entre en « data room », ce drôle de nom qui désigne un gigantesque serveur internet sur lequel sont stockées des données strictement confidentielles quant à la cible acquise. L’avocat y trouve en général tout ce dont il a besoin pour engager son expertise (statuts, contrats, documents comptables et fiscaux, plan locaux d’urbanisme, mouvements de titres etc.). Chaque document, même non directement lié à la fiscalité, a son
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importance. Ainsi les statuts, document juridique établi à la constitution de la société, nous font prendre connaissance de l’actionnariat initial et de la structure du capital social. Un extrait K-‐bis à jour, délivré par le greffe généralement peu de temps avant l’ouverture de la data room, nous permet de retracer les augmentations ou réductions de capital intervenues depuis la constitution. Les procès-‐verbaux d’assemblée générale sont là pour étayer les modifications statutaires et exposent, parfois, les motifs pour lesquels telle décision affectant le capital a été prise. Les baux commerciaux quant à eux, permettent d’en savoir plus sur l’assujettissement à la TVA des loyers tirés de la location des immeubles, et sur l’application ou non du régime de franchise. Enfin, les contrats de financement intragroupe, pour ne citer que quelques exemples, revêtent une importance fondamentale, même en immobilier, puisqu’ils sont au carrefour de plusieurs problématiques fiscales (hybrides, abus de droit, levier). Lorsque l’analyse que commence à réaliser le conseil nécessite l’obtention d’un document qui ne figure pas dans la data room, il peut « poser une question ». Le serveur est en effet souvent doté d’une interface grâce à laquelle les avocats mandatés par l’acheteur peuvent requérir de ceux mandatés par le vendeur, la transmission d’informations complémentaires portant sur la cible. Ainsi, lorsque la comptabilité présentée sous forme de balance générale ne nous permet de reconstituer un flux, il est nécessaire pour affiner l’analyse, d’exiger du vendeur la communication de la balance détaillée, grâce à laquelle en principe, les mouvements de fonds sont plus facilement identifiables. Tous les documents qui intéressent directement ou non les aspects fiscaux du deal doivent être imprimés et classés. En matière immobilière plus particulièrement, il sera utile d’imprimer les actes notariés d’acquisition des immeubles. L’acte authentique contient l’identité du précédent vendeur (était-‐ce un tiers ou une société liée ?), les conditions de la vente (est-‐ce une vente pure et simple, ou une promesse de vente avec faculté de substitution ?), le prix, la répartition entre les parties des impôts locaux exigibles sur les immeubles l’année de la vente etc. Cette phase d’impression et de classement n’est pas la plus intéressante, loin s’en faut. D’autant qu’en pratique, elle doit être réalisée dans un temps record, et ce pour éviter de facturer au client un nombre d’heures trop important pour de la simple « paperasse ». Les personnes atteintes du syndrome de « phobie administrative » n’ont qu’à bien se tenir, car le volume des classeurs obtenu à l’issue de ce long travail fastidieux est souvent important. La phase suivante est quant à elle, beaucoup plus attrayante. Après avoir constitué les classeurs en version papier, puis enregistré les documents de la data room sur le réseau du cabinet, l’équipe en charge du dossier peut procéder à ce que l’on appelle les due diligences. Les « due dil » ou « DD » comme on les appelle en pratique, sont des vérifications approfondies. Il s’agit au cours de cette étape, de lever toute ambiguïté potentielle sur la cible acquise. Les due dil sont effectuées pour chaque pan du droit qu’intéresse l’opération; juridique, concurrence, finance. Pour mieux appréhender en quoi consiste cette phase pour l’avocat fiscaliste, il suffit de l’illustrer par un exemple pratique. Soit la situation suivante ; un fonds d’investissement coréen ayant pour cible un OPCI français (organisme de placement collectif en immobilier), à l’actif duquel se trouvent les titres de 2 holdings françaises, elles-‐mêmes détentrices de titres dans divers SCI à l’actif desquelles se trouvent les immeubles. L’OPCI, généralement valorisé par l’équipe Real Estate d’une banque d’affaires, est, à la date du projet d’acquisition, détenu par une société luxembourgeoise. Un schéma de la structure est présenté ci-‐dessous.
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L’OPCI est une structure unique, instituée en France depuis peu, qui s’apparente, dans l’esprit seulement, à un OPCVM et dont l’actif est composé à plus de 60% par des immeubles. Ce véhicule d’investissement au régime d’imposition très spécifique, doit être agréé par l’AMF. Il ne supporte pas l’IS mais est soumis à des obligations de distributions auprès de son/ses actionnaire(s). L’OPCI prend la forme juridique, soit d’une SAS immédiatement transformée en SPPICAV, soit d’un FPI (fonds de placement immobilier) dont le fonctionnement est délégué à une société de gestion. Jusque là, peu de différences dira-‐t-‐on avec l’OPCVM qui lui, prend la forme, soit d’une SICAV, soit d’un FCP, la première étant dotée de la personnalité morale, le second non mais fonctionnant également grâce à une société de gestion. Bien qu’exonéré d’IS, l’OPCI peut bénéficier de la couverture juridique de certaines conventions internationales, notamment celle conclue entre la France et le Luxembourg. L’OPCI n’est pas un véhicule spéculatif. Son objet social est nécessairement la détention à moyen/long terme d’immeubles, et l’AMF se réserve le droit de lui retirer son agrément lorsqu’il achète et revend plusieurs actifs immobiliers sur le court terme (la perte de l’agrément signifiant retour au régime de taxation des sociétés ordinaires, le véhicule perd son exonération d’IS et les conséquences pour les actionnaires sont potentiellement désastreuses). Sur le plan des formalités, l’accession au régime d’OPCI nécessite d’exercer une option et de payer ce que l’on appelle une « exit tax » de 19% assise sur les plus-‐values latentes portant notamment sur les immeubles inscrits à l’actif de la société au jour de l’exercice de son option. Il faut également, rédiger un prospectus AMF, lequel mentionne notamment les ratios de leviers (LTV ratio) négociés et obtenus auprès de l’autorité. Lors d’une due dil portant sur une structure si particulière, plusieurs points doivent automatiquement attirer l’attention du conseil fiscal côté acheteur. L’OPCI a-‐t-‐il bien supporté l’exit tax s’il en était redevable ? A-‐t-‐il respecté ses obligations de distributions envers ses actionnaires ? N’a-‐t-‐il pas pratiqué l’achat revente de manière trop abusive de manière à aboutir
Holding
99%
Sub Holding I
Sub Holding II
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SCI A
SCI B
SCI C
SCI D
SCI Z SCI E
SCI F
SCI G
SCI H
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à une remise en cause de l’agrément AMF ? A-‐t-‐il, ou les SCI ont-‐elles bien réglé les droits d’enregistrement liés à l’acquisition des immeubles et si oui à quel taux ? A-‐t-‐on demandé l’application de régimes de faveur et si oui, les conditions ont elles bien été respectées ? L’investissement ayant dans notre exemple eu lieu depuis le Luxembourg, une attention toute particulière doit également être portée aux questions de fiscalité internationale ; à ce titre, il est souvent nécessaire de remonter la chaîne des sociétés à l’actif desquelles se trouvent les titres de l’OPCI cédé. Le registre des sociétés luxembourgeois, ainsi qu’un rapide coup de fil à un contact local, nous permettent d’en savoir rapidement davantage sur la structure. Parfois, ces recherches peuvent déboucher sur des « mauvaises surprises » pour l’acheteur. Il peut en être ainsi, lorsque le conseil s’aperçoit que la holding luxembourgeoise est elle-‐même détenue par une autre holding luxembourgeoise, laquelle connaît sur son capital des mouvements étranges (détention à 100% par une SGP, nouvelle forme des anciennes H29 censurées par la Commission en 2010, elle-‐même détenue par un associé personne physique né et résident à Monaco, puis cession intervenue avec une holding située dans les îles Cayman etc.). Le caractère plus que suspect d’un tel montage étant établi, il s’agit là parfois d’une cause de deal breaker (l’acheteur ne souhaitant pas prendre le risque de subir, pour les années à venir, une rectification). Parfois au contraire, ces découvertes, si elles ne font pas courir de risque trop élevé pour l’acheteur, permettent de réduire le prix d’acquisition. Dans ces situations embarrassantes, le conseil se doit justement d’évaluer le niveau de risque global qu’encourt l’acheteur. Ainsi, il doit lui expliquer qu’un risque d’abus de droit est, certes, potentiellement très couteux, mais que seul l’acheteur en supportera les frais, la solidarité étant exclue, contrairement à un risque DMTO, pour lequel l’article 1705 5° du CGI prévoit expressément la solidarité entre les parties. Quant au financement, on s’interroge évidemment aux questions classiques (pourcentage de dette intragroupe et de dette bancaire, comparaison de l’effet de levier réel avec le pourcentage autorisé par l’AMF lors de la délivrance de l’agrément ; on écarte toutefois les vérifications que nécessiterait le dispositif de la sous-‐capitalisation, ce régime n’étant pas applicable à l’OPCI). Il faut aussi, et surtout, s’attacher au montant du capital social de l’OPCI inscrit dans la liasse fiscale. En effet, le véhicule obéissant à des règles comptables différentes de celles édictées par le PCG, le montant du capital social qui apparaît dans la liasse n’est pas égal au montant des apports libérés par les actionnaires. Les comptes de régularisation font que, souvent, le capital a un niveau beaucoup plus élevé que celui effectivement appelé et libéré. Aussi, la réalisation d’une acquisition portant sur un OPCI obéit à des règles bien particulières (rachat de titres par l’OPCI donnant ensuite lieu à une réduction de capital, laquelle engendre la constatation d’un revenu distribué au sens de l’article 112 du CGI). L’avocat doit évidemment tirer toutes les conséquences de la constatation d’un revenu distribué au niveau de l’OPCI. L’actionnaire étant, dans notre cas, établi au Luxembourg, une lecture de la clause dividendes insérée dans la convention nous permet de savoir si le revenu distribué est assimilé ou non à une distribution régulière. En rapprochant la lecture de la convention à l’analyse faite par l’administration dans le BOFIP, le conseil s’apercevra que, la clause dividendes n’intégrant pas la notion de revenus distribués, il faut alors s’en référer à la clause balai, laquelle impose tout revenu innomé dans l’Etat du bénéficiaire, soit dans notre cas, au Luxembourg. Curieuse découverte, que de constater qu’une distribution irrégulière ne connaît aucun frottement fiscal, alors qu’un flux de dividendes en direction du Luxembourg sera soumis à retenue à la source au taux minimal de 5%… Après s’être posé les bonnes questions quant aux risques que soulève l’opération, l’avocat doit alors y répondre, souvent au moyen de tableaux Excel qui reprennent l’intégralité des informations épluchées au cours des analyses. Ainsi, il est opportun de retracer l’évolution historique du capital et les différents mouvements de titres intervenus (apport, cession). Il est
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aussi nécessaire de reprendre l’intégralité des renseignements que nous procurent les liasses fiscales (DAS2, IFU, déclarations 2072 et 2072 C pour les résultats de SCI). Evidemment, il est indispensable de comprendre et de reprendre l’information comptable et financière communiquée par la firme Big en charge de la cible (balance, P&L et surtout bilan, dont l’établissement d’une forme simplifiée et d’une version consolidée est souhaitable, afin de mieux cerner les opérations de haut et bas de bilan qui ont été réalisées sur la cible). Concernant la TVA, la due dil immobilière nécessite une étude soignée, particulièrement eu égard au régime de l’article 257 bis du CGI sur la transmission d’une universalité de biens. Il faudra également s’assurer d’avoir l’intégralité des lettres d’option pour les loyers soumis à TVA, avec les accusés de réception adéquats. L’étude de l’ensemble de ces documents permet de construire ensuite quelques slides PowerPoint pour présenter au client, très rapidement dans un premier temps, les risques qu’il s’apprête à supporter dans le cadre de son acquisition. C’est ce que l’on appelle dans le jargon, le « red flag memo ». Il s’agit d’une synthèse en une dizaine de slides maximum, que présente oralement l’associé au client lors du « red flag meeting », premier grand rendez-‐vous avec le client depuis l’ouverture du dossier. La phase due dil terminée, l’équipe immo a une vision plus globale de l’opération qui se profile. Il faut alors passer au structuring. Structurer le deal, c’est définir le véhicule d’acquisition dont va se servir l’acquéreur pour accrocher la cible. L’imagination et l’ingénierie sont poussées à leur paroxysme lors de cette phase très enrichissante. Va-‐t-‐on conseiller la constitution d’un groupe d’intégration fiscale ? Cette dernière peut effectivement s’avérer avantageuse, notamment grâce à la possibilité qu’elle offre de faire circuler sans frottement fiscal les dividendes, mais elle peut aussi s’avérer piégeuse lors des déneutralisations de sortie. Va-‐t-‐on, si l’intégration n’est pas possible (en raison par exemple d’un pourcentage de détention inférieur à la barre des 95%), conseiller de monter un schéma type debt push down ? « Pousser la dette en bas », comme se traduit littéralement l’expression, peut être gage d’économies pour l’acquéreur. En effet, le déplacement de la dette d’acquisition au niveau des SCI directement détentrices des immeubles permet avant tout de rassurer la banque. Celle-‐ci dispose alors d’un prêt directement adossé à l’actif immobilier, avec possibilité de le saisir et de le vendre plus rapidement que des titres d’OPCI… Or, si la banque est davantage satisfaite quant à ses garanties, le taux d’intérêt n’en sera que moins élevé, donc le cout d’acquisition plus faible pour l’investisseur. En outre, un schéma debt push down est facile à réaliser, du moins après une lecture éclaircie des documents comptables, et après avoir validé les capacités distributives des sociétés du groupe. Il suffit alors de faire emprunter les sociétés « du bas » (les SCI), qui redistribueront immédiatement le montant emprunté à leurs actionnaires directs, lesquels redistribueront à leur tour à leur actionnaire, etc., pour en arriver à annuler l’emprunt contracté « en haut » pour l’acquisition de l’OPCI. Le structuring étant terminé, le closing se rapproche. Parfois, l’acquéreur souhaite assister avec ses conseils à une dernière réunion, ou à tout le moins, se faire adresser un document plus complet que le précédent, le « full memo », relatant l’ensemble des informations produites par les avocats. Et les honoraires la dedans ? Il est impossible d’en donner un montant fixe. Cela dépend des enjeux financiers, du nombre d’avocats mobilisés, du taux horaire etc. Cet aspect financier est provisoirement réglé dans la propale adressée au client avant le début de la mission. Le budget mentionné dans la propale peut varier, à la hausse comme à la baisse, lorsque à la fin du deal, les parties au contrat de mission s’entendent en ce sens. Quoi qu’il en soit, la participation de A à Z à un deal, qu’il soit immobilier ou non, est très formatrice pour tout avocat débutant en ce domaine. Cependant il ne faut pas se mentir, la charge de travail est conséquente, amenant certains membres de l’équipe en charge du dossier à bloquer leurs soirées et week-‐end.