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L'islamisme contre l’islam (Introduction) Traduction : Richard Jacquemont Muhammad Saïd Al-Achmawi Notes de la rédaction Récemment publié en Égypte, où il a provoqué de vives controverses, ce bref essai propose une critique radicale de l’idéologie des mouvements intégristes islamique contemporains. S'appuyant sur de nombreux rappels historiques et sur une connaissance intime de l'oeuvre du Prophète, son auteur bouleverse les idées reçues qui tendent à présenter l'islam comme une religion intrinsèquement totalitaire et intolérante. Clairement démarqué de l’orientalisme occidental qui trop souvent encore ne fait que reproduire le discours de l'islam sur lui-même, cet ouvrage devrait contribuer à rectifier aux yeux d'un large public l'image déformée des sociétés musulmanes qu'ont imposée les grands médias au cours des années quatre- vingt. Muhammad Saïd Al-Achmawi, haut magistrat égyptien, mène depuis plusieurs années une réflexion originale sur la théorie politique et juridique dans l'islam. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages.

L'islamisme contre l’islam

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L'islamisme contre l’islam (Introduction)

Traduction : Richard Jacquemont

Muhammad Saïd Al-Achmawi

Notes de la rédaction

Récemment publié en Égypte, où il a provoqué de vives controverses, ce bref essai propose une critique radicale de l’idéologie des mouvements intégristes islamique contemporains. S'appuyant sur de nombreux rappels historiques et sur une connaissance intime de l'oeuvre du Prophète, son auteur bouleverse les idées reçues qui tendent à présenter l'islam comme une religion intrinsèquement totalitaire et intolérante.

Clairement démarqué de l’orientalisme occidental qui trop souvent encore ne fait que reproduire le discours de l'islam sur lui-même, cet ouvrage devrait contribuer à rectifier aux yeux d'un large public l'image déformée des sociétés musulmanes qu'ont imposée les grands médias au cours des années quatre-vingt.

Muhammad Saïd Al-Achmawi, haut magistrat égyptien, mène depuis plusieurs années une réflexion originale sur la théorie politique et juridique dans l'islam. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages.

Édition du texte original : Dar Sînà ‘sous le titre (Al-islâm al-siyâsî)

Édition en français : La Découverte / AI-Fikr.

Ouvrage traduit de l'arabe par R. Jacquemont, avec la collaboration de Iman Farag et Raphael Costi.

Publié avec le concours de la Mission de Recherche et de Coopération (département de traduction et d'interprétation) de l'Ambassade de France en Égypte.

Texte intégral

1Dieu voulait que I’islam fût une religion, mais les hommes ont voulu en faire une politique. La religion est générale, universelle, totalisante. La politique est partielle, tribale, limitée dans l'espace et dans le temps. Restreindre la religion à la politique, c'est la confiner à un domaine étroit, à une collectivité, une région et un moment déterminés. La religion tend à élever l'homme vers ce qu'il peut donner de meilleur. La politique tend à éveiller en lui les instincts les plus vils. Faire de la politique au nom de la religion, c'est transformer cette dernière en guerres interminables, en divisions partisanes sans fin, c'est réduire les finalités aux positions recherchées et aux gains escomptés.2Pour des raisons, la politisation du religieux ou la sacralisation du politique ne peuvent être que le fait d'esprits malveillants et pervers, à moins qu'ils ne soient ignorants. L'une et l'autre reviennent à fonder dans la religion l'opportunisme et la cupidité, à trouver des justifications coraniques à l'injustice, à entourer la délinquance d'une aura de foi et à faire passer pour un acte de jihâd le sang injustement versé.

1  Comme il est de tradition en islam, la mention du Prophète est toujours suivie, dans le texte arabe(...)

3Lorsque le Prophète – que la prière et le salut de Dieu soient sur lui1 – dirigeait les affaires des croyants, chacun de ses faits et gestes, chacune de ses paroles étaient placée sous la direction et le contrôle de la Révélation divine. C'est ce qu'exprime la conviction musulmane selon laquelle c'était alors la Révélation divine qui gouvernait les croyants. Cependant, en diverses occasions, Muhammad démentit cette croyance : il affirma une fois que son action lui avait été dictée par la guerre et par sa propre réflexion tactique, et une autre, alors qu'il avait commis une erreur de jugement : « Vous connaissez mieux les affaires de votre monde ». Et il est sans doute bien d'autres occasions à propos desquelles, si la question lui avait été posée, il eût répondu sans équivoque que sa décision ne lui était pas dictée par la Révélation mais était le fruit de sa réflexion.4Il reste que le gouvernement du Prophète – si l'on peut dire, car le terme coranique est « émirat » (imâra) – est d'un genre bien particulier : c'est le gouvernement de Dieu, conformément à la Révélation divine. Ce gouvernant – cet « émir » – a été choisi par Dieu sans que les gouvernés – les « croyants » – puissent remettre en cause ce choix.5En prononçant la profession de foi islamique, ils remettent au Prophète la direction de leurs affaires. En outre, c'est un gouvernement d'arbitrage, auquel les hommes ont recours librement et dont ils exécutent les sentences de leur plein gré, et non un gouvernement d'autorité qui, au nom de la loi, impose aux citoyens de recourir à ses représentants, d'obéir à leurs ordres et d'exécuter leurs prescriptions, fût-ce à leur corps défendant.6Le gouvernement du Prophète est donc le gouvernement de Dieu, fondé sur les valeurs religieuses et sur les principes moraux, et qui ne dévie jamais du côté des règles du comportement politique. Il ne peut exister

que dans la mesure où existe un prophète, et il n'est point de prophète après Muhammad.7Le gouvernement (ou « l'émirat ») de 'Umar b. al-Khattâb (634-644), le second des quatre premiers califes, les bien-dirigés, semble se situer hors des lois naturelles. Il apparaît comme une période idéale, rendue possible par un être et des circonstances exceptionnels, qui ne peuvent se reproduire, et de fait ne se sont jamais reproduits. Le Prophète disait de 'Umar qui était muhaddath (« celui qui reçoit une parole », c'est-à-dire inspiré, quasiment comme un prophète), que la vérité se trouvait dans son cœur et sur sa langue, et que s’il y avait eu un prophète après lui, c'eût été 'Umar : c'est dire à quel point ce fut un être d'exception, une sorte de visionnaire. Et de fait, il parvint à s'opposer, dans ses paroles et dans ses actes, à cette loi de la vie terrestre qui veut que lorsque le religieux se confond avec le politique ou se rapproche de lui, ce soit ce dernier qui l'emporte. Sous son autorité, les valeurs et principes religieux continuèrent de dominer, quoiqu'en eussent tous ceux qui, laissant le naturel l'emporter, paraient des vertus de la foi leurs appétits terrestres.8Mieux, 'Umar comprit comment l'islam devait être mis à jour pour suivre le cours des événements et préparer l'avenir, au besoin en allant à l’encontre de règles coraniques : ainsi lorsqu'il abrogea le mariage temporaire, et lorsqu'il supprima les droits à l'aumône des tribus tardivement ralliées à l'islam, quoique ces institutions fussent fondées sur des versets explicites. De même, il sut interdire aux conquérants l'appropriation des terres conquises, contre l'avis de la majorité des croyants, fondé sur le Coran et sur la tradition établie par le Prophète lors du partage des terres conquises dans l'oasis de Khaybar.9Après son assassinat, les choses devaient retrouver leur cours naturel. Car de même qu'en économie, selon la loi de Gresham, la mauvaise monnaie tend à chasser la bonne du marché, en politique les comportements bas tendent à supplanter les valeurs et les principes moraux élevés. Il peut arriver, en économie, qu'une autorité parvienne à arrêter pour un temps le jeu de cette loi, et fixe un prix imposé à la marchandise en cas de déséquilibre de l'offre et de la demande ; mais les lois économiques reprennent toujours le dessus, par le marché noir au besoin. De même en politique, il peut arriver qu'une autorité impose avec succès les valeurs religieuses ; mais dès tors que celles-ci sont mêlées à la politique, les lois de la vie terrestre reprennent inévitablement le dessus, le politique exploitant pour son propre compte tout ce qui relève du religieux.10On vit ainsi le successeur de 'Umar, 'Uthmân b. 'Affân (644-656), doubler les pensions versées aux combattants, puis autoriser les croyants les plus en vue à s'établir hors de Médine, ce que 'Umar avait toujours interdit, par crainte qu'ils ne se taillent des zones d'influence où ils se comporteraient en vice-rois, convoitant un butin toujours plus grand et rivalisant entre eux autour d'objectifs purement politiques – ce qui ne manqua pas d'advenir. De plus, 'Uthmân favorisa son clan, les Omeyyades, qui dominait La Mecque avant l'islam, et lui ouvrit les caisses du trésor public, suscitant l'opposition des Hashémites, menés par 'Alî b. Abî Tâlib, à qui échut naturellement le califat (656-661) après l'assassinat de 'Uthmân. Depuis lors, l'histoire islamique est dominée par des conflits politiques de caractère tribal dissimulés sous le manteau de la religion. Ainsi en fut-il du conflit entre Omeyyades et Hashémites, puis du conflit

entre Alides et Abbassides après qu'ils eurent ensemble renversé la dynastie omeyyade, et ainsi de suite.11En limitant le conflit politique au seul champ politique et en lui donnant son véritable nom, nous pouvons situer les choses en termes de vérité et d'erreur : le gouvernant, ou l'opposant, est soit dans le vrai, soit dans l'erreur. Mais dès que l'on introduit la dimension religieuse dans ce débat, il se déplace vers le terrain extrêmement sensible du licite (halâl) et de l'illicite (harâm). Tout ce que dit et fait le détenteur du pouvoir devient licite et légitime, fondé sur le Coran et dans la sharî'a ; inversement, tout ce que dit et fait son adversaire est déclaré illicite et illégitime, et l'on emprunte au Coran et à la sharî’a les moyens de le réfuter.12C'est ainsi que tous les grands conflits politiques de l'histoire islamique ont reçu une formulation religieuse qui occulte leur caractère essentiellement politique. Chaque secte prétendait au monopole de la vérité et de la foi sincère, accusant les autres d'être dans l'erreur et de renier Dieu et la religion. Dans les divisions qui s'ensuivirent, les valeurs et les idéaux du Coran s'éclipsèrent sous le discrédit et la falsification, et les musulmans en revinrent aux mœurs antéislamiques : vaines gloires tirées de l'appartenance tribale et du lignage, querelles de mots ou de personnes, luttes acharnées pour l'appropriation des biens terrestres et étourdissement dans les plaisirs des sens. Même les interdits les plus sacrés furent violés, comme celui qui entoure les morts : refusant qu’il soit enterré avec les musulmans, les meurtriers de 'Uthmân b. 'Affân profanèrent sa dépouille mortelle puis l'inhumèrent dans le cimetière juif – il fallut attendre le califat de Mu'âwiyà (661-680) pour que les deux cimetières soient réunis. La dépouille du petit-fils du Prophète, Husayn b. ‘Alî, fut exposée pour servir d'exempte. Celle de Zayd b. 'Alî Zayn al-'Abidîn fut exhumée et clouée à un gibet jusqu'à décomposition. Après leur victoire, les Abbassides exhumèrent les corps des califes omeyyades et les firent flageller. Abul-'Abbâs al-Saffâh, le premier Abbasside, invita à son palais ceux des Omeyyades qui avaient survécu et les fit exécuter de la plus atroce façon ; puis il fit étendre sur leurs corps encore chauds tapis et nappes, mangea avec ses lieutenants, et après s'être repu, déclara n'avoir jamais fait repas plus exquis.13Ces comportements païens, totalement étrangers à l'islam, sont malheureusement une caractéristique constante de son histoire politique depuis la mort de 'Umar, à l'exception du règne de 'AIî b. Abî Tâlib (656-661), qui se déroula dans la confusion, et de celui, trop court, de 'Umar b. 'Abd-al-'Azîz (717-720). Or pour toutes sortes de raisons, beaucoup de musulmans et de non-musulmans vivent avec la conviction que ce système politique fait partie intégrante de l'islam, voire qu’il est un des piliers de la foi. Cette confusion entre l'islam et sa manifestation politique peut bien s'étendre sur quatorze siècles, elle n'en repose pas moins sur une erreur. A cause d'elle, l'histoire islamique est devenue l'histoire des luttes entre tribus, entre principautés – à l'exempte des taifas de l'Espagne musulmane -, entre sectes et entre nationalités. Et comme tous ces conflits puisaient dans la religion une forte charge émotive, il n'en étaient que plus violents.

2  Opinion sur un point de droit islamique, rendue par un ouléma dont l'autorité est reconnue, et(...)

14A la faveur de cette confusion, le calife, au lieu d'accéder au pouvoir par le serment d'allégeance, l'élection ou une procédure similaire, se

transforma,de jure ou de facto, en représentant de Dieu, infaillible et despotique, détenteur du droit de vie et de mort sur ses sujets et propriétaire patrimonial de l'État. Cela eut une influence considérable sur la jurisprudence islamique (fiqh). Des juristes, se faisant les serviteurs des gouvernants, faisaient passer leurs fautes pour des bonnes oeuvres, fermaient les yeux sur leurs vices et prononçaient contre leurs ennemis et adversaires des fatwâ-s2, les qualifiant d'infidèles, d'athées, et de corrupteurs, afin que leur sang puisse être légalement versé. En outre, pour défendre et justifier les agissements du calife, ils lui appliquaient les versets coraniques adressés au Prophète, d'où cette confusion désastreuse établie par la pensée islamique entre la dignité de Prophète et la fonction de calife. D'autres juristes, préférant rester à l'écart du pouvoir, évitèrent de réfléchir sur tout ce qui touche de près ou de loin à l'autorité et se détournèrent du droit public pour se consacrer à des questions futiles comme les cas d'impureté de nature à interdire la prière, etc.15Ainsi, tandis que d'un côté le fiqh se tenait à distance de tout ce qui touche au pouvoir, de l'autre, il l'organisait en fonction du seul souci de plaire à son titulaire : au bout du compte, il devait rester sans théorie politique claire, sans système politique élaboré. Cette attitude marque encore de nos jours la raison islamique, qui préfère s'intéresser à la personne du dirigeant, à ses qualités morales – fussent-elles contestables – sans comprendre la nécessité d'élaborer un système politique clair et juste, fonctionnant selon des procédures précises et bien définies, dans lequel le dirigeant ne soit que la façade, la partie visible du système, active et influente certes, mais qui ne saurait en tenir lieu.16Au niveau de la société civile, la politisation du religieux ou la sacralisation du politique a divisé les musulmans en factions et en sectes, chacune se prévalant de tel verset coranique et de tel hadith et s'abritant derrière les opinions de ses chefs et les fatwâ-s de ses juristes. De violents conflits les ont opposées, dont les enjeux apparemment religieux – on s'accusait couramment d'infidélité, d'athéisme et de corruption – étaient en réalité politiques. Ces injustices politiques sanglantes, toujours fondées dans lasharî'a et justifiées par les fatwâ-s, ont amené les musulmans à se retirer de la vie publique pour se consacrer à leurs affaires privées. Ainsi s'est perdu l'intérêt pour l'action publique, le sens du sacrifice pour la collectivité, l'esprit d'initiative et de solidarité. Chacun s'est renfermé sur ses intérêts particuliers, sur sa famille et son entourage, d'où l'égoïsme, la lâcheté, la corruption, la délation, la flatterie, l'opportunisme, et surtout l'absence de tout projet, de toute vision d'avenir. D'où encore le déchirement de la personnalité islamique entre le dire et le faire, l'être et le paraître, ce qui est tenu secret et ce qui se dit en public.17Telle fut la condition de l'islam et des musulmans jusqu'au 3 mars 1924, date à laquelle Mustafa Kemal Ataturk abolit le califat, cette institution dans laquelle s'étaient cristallisées toutes les catégories de la politique religieuse. A partir de la, les mouvements visant à politiser la religion et à sacraliser la politique prirent une autre forme, plus dangereuse encore. En effet, le califat aboli, tout le monde s'en disputa l’héritage : des maisons régnantes y aspiraient, et certains groupes apparurent qui demandèrent son rétablissement au profit de telle ou telle maison, ou de tel ou tel de leurs chefs. Dans la fièvre de la compétition, on vit des forces s'unir et s'opposer, des alliances se faire et se défaire... Tout, dans la vie politique,

semblait trouble et confus : on ne distinguait plus qui était loyal ou déloyal, intéressé ou désintéressé, savant ou ignorant. Comme tous n'avaient qu'un seul objectif, hériter du califat à tout prix, de facto ou de jure, l'action islamique se concentra sur le mouvement politique, éteignant par là même la flamme de la religion et brisant son élan, au point d'étouffer le travail intellectuel et spirituel l’aggiornamento naissant dans la pensée islamique. Car un courant fondamentaliste rationaliste et spiritualiste à la fois, refusant les falsifications et les compromissions, existait bien, mais la tendance politique, imprégnée des mœurs politiciennes et plongée dans le tumulte des divisions partisanes, paraissait occuper à elle seule tout le terrain et faisait tout pour empêcher son émergence.

3  Dâr al-harb : le territoire de la guerre, c'est-à-dire le monde non-musulman, par opposition au(...)

18Les slogans de la politique religieuse ont pris diverses formes : la souveraineté n'appartient qu'à Dieu (al-hâkimiyya li-llâh), à l'exclusion des hommes – il faut un gouvernement religieux pour instaurer le régime islamique – il faut rétablir le jihâd, « obligation absente », pour lutter contre les gouvernants et les intellectuels hostiles au mouvement et annexer le dâr al-harb ou dâr at-salâm (ou dâr al-islam)3 – la société doit appliquer la sharî'aislamique, sinon la guerre lui sera déclarée – elle doit imposer le tribut aux non-musulmans, faute de quoi elle est païenne et impie – la solution islamique permettra de résoudre tous les problèmes de la société, nationale et internationale – l'islam est religion et État (dîn wa-dawla) – le musulman ne doit avoir d'autre nationalité que l'islam, d'autre allégeance qu'envers la communauté islamique (umma), à l'exclusion de sa patrie.19Toutes ces formules à l'emporte-pièce fonctionnent selon les règles de la propagande, à savoir la répétition et le martèlement jusqu'à l'endoctrinement, sans considération aucune pour les valeurs morales authentiques. Aussi nous a-t-il paru nécessaire de les discuter sur des bases scientifiques, pour montrer la distance qui sépare le fondamentalisme islamique politique et activiste du véritable fondamentalisme, qui sera rationaliste et spiritualiste.20Le cadre limité de cet essai ne nous permettant pas de traiter de certaines questions, il nous a semblé nécessaire, pour être complet, de les évoquer rapidement dans cette introduction.211. La pensée musulmane a longtemps confondu, délibérément ou non, entre la nécessité pour la communauté des croyants d'être dotée d'un gouvernement, et ce qu'elle a appelle tantôt le califat, l'imamat, ou le gouvernement islamique. Il va de soi que toute société a besoin d'un gouvernement. Tout groupe humain, même formé de trois personnes seulement, a besoin d'un chef, d'un émir, d'un commandant, pour des raisons que la philosophie politique moderne a longuement expliquées. De la même manière, l'éthologie a démontré la nécessité du commandement dans le règne animal. Par le jeu de cet argument de nécessité, on occulte l'indispensable débat sur la nature et la forme que doit prendre ce gouvernement : sera-ce le gouvernement d'un seul, doté de la puissance absolue, ou un gouvernement établi sur des institutions déterminées, dans lequel le dirigeant n'est que la partie visible, la façade du système ? Qui est qualifié pour gouverner aujourd'hui, quand les institutions de l'État moderne se sont diversifiées et les sciences, y compris religieuses, se sont

spécialisées au point que personne ne peut plus les posséder toutes ? Les seuls oulémas, ou bien tout bon musulman ? Les gouvernants doivent-ils être considérés, de jure ou de facto, comme infaillibles et sacrés, ou bien sont-ils de simples mortels ? Le gouvernement est-il responsable devant le peuple, où bien seulement devant Dieu ? S'ils veulent établir la nécessité d'un gouvernement religieux qui soit l'apanage de quelques-uns, les musulmans ne peuvent plus faire l'économie de ces questions en recourant à l'argument de la nécessité du gouvernement dans toute société.222. Il est d'une importance vitale, pour l'islam et les musulmans comme pour le reste de l'humanité, que se produise une renaissance islamique. Mais elle devra reposer sur le renouvellement et la modernisation, assimilant en profondeur le passé, le présent et l'avenir, les lois de la science et la logique de l'histoire. Il serait extrêmement grave, pour les musulmans et pour toute l'humanité, que l'islam soit vidé de sa dimension religieuse et se réduise à l'islam politique, car comme nous l'avons déjà vu, cela revient à transposer dans le champ religieux les procédés politiciens. De plus, le primat donné à l'action politique sur l'effort spirituel et intellectuel fait que ce qui aurait dû être une renaissance islamique n'est plus qu'une vague d'expansion, c'est-à-dire un mouvement purement matériel, aveugle et incontrôlable. Le moins étonnant n'est pas de voir que les leaders de la politique religieuse en sont conscients, puisqu'ils parlent eux-mêmes de « vague religieuse ».233. Il va de soi que tout État doit nécessairement reposer sur les principes et les valeurs religieuses de la majorité de son peuple. En ce sens, on peut interpréter la formule « l'islam est religion et État » comme signifiant simplement que l'État et la société doivent communier dans les mêmes valeurs religieuses et humaines. Ce qui impose à la société et à chacun de ses membres d'oeuvrer avec sérieux et sincérité à asseoir ces valeurs, en actes et en paroles. Car ces valeurs et règles morales découlent des formes et des pratiques sociales, et ne peuvent être imposées d'en haut : les gouvernants sont à l'image des peuples, et « les hommes ont les chefs qu'ils méritent ».24En distinguant politique et religion, nous voulons poser que l'action politique est le fait de simples mortels, ni sacrés ni infaillibles, et que les gouvernements sont les élus du peuple et non de Dieu. Qualifier cette distinction de tendance laïciste, c'est-à-dire athée, ne peut être que le fait d'un fanatisme partisan qui brouille les cartes et pratique l'amalgame. Car seule cette distinction peut servir et élever l'islam, empêcher son exploitation à des fins politiques et éviter les nombreuses erreurs qui jalonnent son histoire.254. Il doit être entendu que l'islam est autre chose que ses manifestations historiques, bonnes ou mauvaises. Ceci compris, on pourra correctement évaluer les problèmes : ainsi, le califat en particulier et le régime politique en général ne sont que des formes sociales concrètes apparues à côté de la religion et qui en ont revêtu les habits. Qu'elles soient totalement ou partiellement corrompues n'invalide pas pour autant l'islam en tant que religion. Au contraire, c'est la confusion entre ces deux niveaux qui, en permettant de mettre les méfaits des premiers au compte du second, corrompt et invalide l'islam. Dès lors que l'on aura bien séparé le fond de la forme, la religion de sa manifestation dans l'histoire, on

pourra reconnaître les erreurs historiques et les formes corrompues, les séparer de l'islam, et envisager une pratique plus sage et plus saine.26Une étrange tendance est apparue, qui affirme que l'histoire islamique aurait été falsifiée : les Abbassides auraient déformé l'oeuvre des Omeyyades, les shi'ites celle des sunnites, et ainsi de suite. On pourrait croire que cette idée émane de non-musulmans ou de la tendance musulmane dite laïciste, mais il n'en est rien : ce sont les partisans de la politisation de la religion qui, tels Œdipe qui s'était crevé les yeux pour ne pas voir la réalité, la défendent pour récuser certains faits témoignant des injustices commises par les successeurs des califes bien-dirigés ou par leurs lieutenants.27Or, en prétendant dissimuler ces faits soi-disant défavorables à l'islam, on accroît les risques de les voir se reproduire, quand il faudrait au contraire les dénoncer et affirmer qu'ifs sont contraires à l’islam. Pis, on ouvre la voie au rejet de tout le patrimoine islamique, car quand on accusé telle dynastie ou tel calife d'avoir falsifié l'histoire, cette accusation rejaillit sur l'institution califale et sur la umma toute entière, dans la mesure où elle implique que les califes n'ont pas vécu dans la crainte de Dieu et que la umma, au lieu de réfuter les calomnies, a bâti son histoire sur des illusions et des mensonges. Si cette accusation est fondée, faudra-t-il jeter au rebut l'Histoire de Tabarî (839-923) et celle de Ibn al-Athîr (1163-1239) au motif que leurs auteurs étaient à la solde du pouvoir et falsifiaient l'histoire ? Et qu'adviendra-t-il alors du Tafsîr de Tabarî, ce chef-d'oeuvre de l'exégèse coranique ? A quelle œuvre musulmane pourra-t-on continuer de se référer ? Nos modernes Œdipe peuvent bien se crever les yeux, cette accusation est dénuée de tout fondement. Le musulman authentique dans sa foi doit refuser tout ce qui est contraire à l'islam et à la sharîa, même si cela émane de dignitaires, même si cela semble vrai à force d'avoir été ressassé.285. Le Tiers-monde, dont font partie l'Égypte et tout le Moyen-Orient, traverse de graves crises économiques et sociales, dues largement au dérèglement du pouvoir politique et de l'administration dans ces pays depuis les années cinquante et à l'absence de cohésion sociale et de nouvelles valeurs. Par manque de sérieux ou .de maturité, par irréalisme ou par ignorance, le pouvoir politique a trop souvent dilapidé les richesses et épuisé les forces vives de la nation sans se soucier de développement véritable. Pis, il a corrompu le peuple pour ne pas avoir de compte à lui rendre – à court terme au moins, c'est-à-dire du vivant du gouvernant –, laissant les masses donner libre cours à leurs aspirations au lieu de les mesurer aux capacités du pays. Chacun s'est lancé dans la course à la consommation, sans se souder de l'adéquation entre ses revenus et son travail où ses aspirations et ses moyens. L'accumulation des biens est devenue la marque du statut social, aux dépens de l'ordre social. économique et politique. Or rien ne peut étancher cette soif de consommation : l'individu se découvre sans cesse de nouveaux besoins, découvre toujours chez autrui un privilège social dont il est exclu, d'où un sentiment de frustration permanent.29Les tenants de l'islam politique exploitent cette crise et ces frustrations pour arriver à leurs fins. Ainsi, ils proclament que l'application de la Loi divine – qu'eux seuls peuvent garantir – résoudra la crise et exaucera les espoirs de tous, ignorant cette autre règle divine de la vie terrestre selon laquelle « à chacun selon ses œuvres ». A l'appui de leurs promesses

politiques, ils invoquent ce verset : « Si les habitants de cette cité avaient cru, s’ils avaient craint Dieu, nous leur aurions certainement accordé les bénédictions du cielet de la terre » (VII, 96). Mais ils se gardent de dire, faute de le comprendre peut-être, que la bénédiction divine est inséparable du travail, dont elle ne dispense jamais et auquel elle ne saurait se substituer. L'islam ennoblit le travail : il associe la foi aux œuvres pies, et par œuvres pies il faut entendre certes les obligations rituelles, mais avant elles toute œuvre utile à la vie et à l'homme. On rapporte ces mots de 'Umar b. al-Khattâb : « Je préfère mourir parmi les miens, en .cherchant ici et là mon pain quotidien à la grâce de Dieu, plutôt que de mourir au combat ». Autrement dit, le travail est plus méritoire que le jihâd.30Le véritable fondamentalisme islamique devra ranimer l'esprit humaniste et renouveler la pensée religieuse, notamment en affirmant les points suivants :31a. Prôner, dans la situation actuelle, l'accroissement démographique de laumma islamique, et du peuple égyptien en particulier, contribue à saper la société et menace l'islam, quand c'est la qualité qui devrait primer, quand chaque individu devrait se donner sans compter à la communauté tout en ne consommant pas au-delà de ses besoins. La démographie actuelle, en l'absence de planification, entrave le développement et menace d'ébranler tout l'édifice social.32b. Le travail est un devoir pour tous. Les œuvres pies ne sont pas seulement les obligations rituelles, mais surtout toute occupation utile et honnête, quelle qu'elle soit. Le véritable croyant est celui qui règle ses aspirations sur ses capacités, qui ne court pas après accumulation matérielle comme signe de statut social, qui n'envie pas les biens d’autrui et ne suscite pas son envie par les siens.33c. « La prière défend toute action immorale ou blâmable » : c'est-à-dire que l'obligation rituelle a pour fin une morale saine. Car la morale est le ciment de la société ; c'est elle qui soude chaque individu au groupe et chaque sous-groupe à l'ensemble, qui facilite le travail et décuple les énergies. Le véritable croyant non seulement s'abstient de faire du mai à autrui, mais encore agit efficacement pour prévenir le mal, être utile à tous et édifier la société de demain.34d. Chaque action doit s'imbriquer dans toutes les autres, au niveau de la société et de l’humanité entière, pour réaliser une très haute civilisation tournée vers le Tout-Puissant, et dont chaque homme de par le monde sera le centre et le pivot.356. Certains, parmi les tenants de la politique religieuse, en appellent à substituer l'allégeance à la umma islamique à l'allégeance à la nation, qu'ils qualifient de païenne. Il s'agit d'une allégation nihiliste et anarchiste, parce qu'elle sape le patriotisme égyptien et mène le pays à la discorde : plus d'obéissance au gouvernement, plus d'impôts, de conscription, de services sociaux, etc. Quand bien même la communauté musulmane constituerait une entité visible, stable et unifiée, le passage de l'allégeance nationale à cette allégeance islamique ne pourrait avoir lieu sans un long travail préalable. Ce n'est pas en détruisant ce qui existe pour sauter dans l'inconnu que l'on construira l'État islamique attendu. Au contraire, c'est l'anarchie et le désordre qui régneront dans cette période de transition, et aucune entité viable ne pourra en sortir. D'ailleurs, il suffit d'un regard sur l'histoire islamique pour constater que les particularismes

y ont toujours existé, que l'allégeance à la patrie y a toujours été admise, et que l'État islamique a toujours été un agrégat d'entités dispersées et de gouvernements quasi-indépendants.36Cet essai ne se veut en rien une prise de position pour telle ou telle politique, tel ou tel gouvernement. Tous les systèmes politiques et économiques – en Égypte et au Moyen-Orient comme partout ailleurs – sont à un titre ou à un autre déficients et corrompus, et auraient besoin de changements radicaux, mais à condition que ce soit sur des bases sérieuses, réfléchies et saines, sur un fond humaniste et avec une vision élevée, et qu'enfin on y prépare la société internationale.37Enfin, cet essai voudrait, avec d'autres, contribuer à éclairer la raison islamique, à renouveler la pensée religieuse sur la base d'un fondamentalisme islamique rationaliste et spiritualiste, et à élaborer des doctrines politiques et juridiques claires et définies.38Dieu le Très-Haut est le Maître du succès.39Le Caire, le 15 Octobre 1986

Notes

1 Comme il est de tradition en islam, la mention du Prophète est toujours suivie, dans le texte arabe, de cette formule. Pour ne pas alourdir la traduction française, nous ayons pris le parti de ne pas la traduire au-delà de cette première occurrence.

2 Opinion sur un point de droit islamique, rendue par un ouléma dont l'autorité est reconnue, et qui est appelé mufti.

3 Dâr al-harb : le territoire de la guerre, c'est-à-dire le monde non-musulman, par opposition au dâr al-salâm, territoire de la paix.

Pour citer cet article

Référence électroniqueMuhammad Saïd Al-Achmawi , « L'islamisme contre l’islam (Introduction) »,Égypte/Monde arabe, Première série, Modes d'urbanisation en Égypte, [En ligne], mis en ligne le 08 juillet 2008. URL : http://ema.revues.org/204. Consulté le 09 septembre 2013.

Auteur

Muhammad Saïd   Al-Achmawi

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SECTION II : DES PRÉ - RÉFORMISTES AUX

NOUVEAUX PENSEURS

Il est aujourd'hui fréquent d'entendre parler du « réveil (nahda) de l'Islam » dans le monde (B), pourtant, cet Islam n'a jamais cessé de vivre et de se développer.

Des mouvements de réveil l'ont traversé continuellement depuis plusieurs siècles, et la renaissance islamique que l'on observe partout aujourd'hui à la surface du globe est, en fait, l'héritière de toute une succession de mouvements de tajdîd, à savoir renouveau (rénovation) et de islâh' (réforme) qui ont jalonné son histoire (A).

A / LES PRÉ - RÉFORMISTES ou/et les réformateurs modernes

« Pourquoi les musulmans ont-ils pris du retard et pourquoi les autres les ont-ils devancés ? ». C'est ainsi que Shakîb Arslân97(*) a résumé tout le monologue qui hantait tout musulman après le commencement du mouvement colonial qui a atteint le monde musulman dès l'aube du 19e siècle.

Durant plusieurs siècles, l'Islam a été en avance sur l'Occident (du 8e au 14e siècle). C'est la civilisation musulmane arabo-persane, en effet, qui a rendu à l'Occident les auteurs antiques grecs que celui-ci avait oubliés mais les traductions syriaques avaient conservés. L'Islam a ainsi préparé et favorisé la Renaissance occidentale.

Mais, cette Renaissance occidentale a, paradoxalement, accéléré la décadence de la civilisation musulmane, avec, au plan politique, la Reconquête chrétienne98(*) et, aux plans scientifique et culturel, une succession d'avancées, de découvertes, d'innovations, de libérations qui ont assuré, depuis, une large domination de l'Occident sur le reste du monde.

L'occident a connu une révolution qui a libéré les énergies humaines, le progressif détachement des domaines intellectuels, scientifiques, politiques par rapport aux pouvoirs religieux, et surtout par rapport aux diktats de l'Église et de la théologie. C'est ce qu'on appelle la « sécularisation », qui a évolué plus tard, en France, avec le concept particulier de « laïcité », et qui a permis très vite le triomphe de l'humanisme moderne.

L'autonomie de la pensée par rapport aux diktats du religieux s'est montrée la clé du fulgurant développement de l'Occident depuis plus de cinq siècles.

L'Empire Ottoman va, au demeurant, s'affaiblir progressivement, se laisser miner de l'intérieur par des conflits internes, mais il va être atteint aussi par des agressions externes, et à la fin du 19e siècle on parlera de l'« homme malade de l'Europe ».

Le déclin progressif de la civilisation musulmane avait des racines plus anciennes encore.

Il est ainsi flagrant de constater que la brillante civilisation arabo-persane s'est arrêtée de penser à partir du 13e siècle, quand les pouvoirs politiques et religieux ont fait cesser la réflexion philosophique indépendante de la doctrine religieuse99(*).

À partir du 13e siècle, les portes de l'ijtihâd ont été déclarées fermées par les pouvoirs politiques et religieux, à l'exception de l'ijtihâd juridique, laissé aux canonistes, et de l'ijtihâd dit ijmâ' (consensus), confié aux savants traditionnels, lesquels ne se sont guère risqués à proposer des solutions innovantes.

Partant, à partir du 18e siècle ont surgi, à l'intérieur du monde musulman, des mouvements qui ont voulu réagir à cette désintégration politique et à ce déclin culturel, social et moral. Ces mouvements sont nés dans l'intention de régénérer le monde musulman.

Ils affirmaient que c'était parce que les musulmans avaient cessé d'être de « purs musulmans » que la décadence était venue. Ce mouvement réformiste puritain a donc prôné un retour à la pure religion, aux grands penseurs religieux d'autrefois, et au premier Islam, celui des origines.

Deux grandes figures se sont imposées à cette période, qui conservent une réelle influence. Ce sont ceux qu'il est coutumier d'appeler les « pré-réformistes », car ils ont mis en avant des questions qui seront développées un peu plus tard par ceux que l'on désigne comme les « réformistes » (Al-musli'hînn) et, parfois, les « modernistes » (Al-mu'hdithînn).

C'est grâce aux efforts de Mohammad Ibn `Abd Al-wahab (1703-1792)100(*) dans la péninsule arabique et Shah Wali Allah Al-dihlawi (1703-1762) en Inde que le pré-réformisme a su dessiné son visage.

S'inspirant largement du penseur des 13e-14e siècles, le Syrien Ibn Taymiaa (1263-1328), et s'inscrivant clairement dans l'école juridique sunnite rigoriste de l'Imam Ahmad Ibn `Hanbal (780-855), `Abd Al-wahab affirme que l'Islam n'est pas statique mais dynamique et qu'il contient en lui-même les forces nécessaires pour que les musulmans parviennent à un même niveau de connaissances scientifiques et techniques que les nations dominantes du monde.

Refusant les penseurs musulmans du Moyen âge qui avaient pu être tentés par l'autonomie de la raison par rapport à la foi, il préconise un retour aux enseignements originaux de l'Islam contenus dans le Coran et dans les Hadiths. Il en appelle à un retour au monothéisme le plus strict, condamne les innovations blâmables (Bid'a) et, bien entendu, le soufisme, le culte des saints et les prières près des tombeaux.

Par sa volonté de revenir au message authentique du Prophète, par son insistance sur le retour aux sources, par sa reconnaissance du droit à l'ijtihâd (réflexion personnelle), par son invitation à ne pas se laisser enfermer dans une imitation servile des jurisconsultes et des théologiens qui se sont succédé,`Abd Al-wahab a insufflé un vrai mouvement de réforme dans l'Islam arabe décadent, et tous les grands mouvements de revivalisme islamique qui sont apparus depuis ont fait plus au moins référence à sa pensée, y compris Jamal Ad-din Al-afghani (1838-1897) et Muhammad Abduh (1849-1905).

Cependant, cette pensée est marquée par un radicalisme profondément intolérant, qui a longtemps limité son audience. S'étant déterminé très fortement contre toute une partie des musulmans d'Arabie, il a élaboré un système d'exclusivisme clos sur lui-même que l'on retrouve dans l'Islam saoudien contemporain. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui « le fondamentalisme ou l'intégrisme islamiste ».

Avec `Abd Al-wahab, Shah Wali Allah Al-dihlawi a de nombreux points communs : le retour aux sources du Coran et du `Hadith par-delà les élaborations des juristes et des théologiens, le refus de l'imitation aveugle des injonctions des canonistes, le droit à l'ijtihâd.

Mais, le contexte de l'Inde101(*) n'était pas bien entendu, celui de l'Arabie. Deux grandes tendances se partageaient depuis très longtemps (et se partagent aujourd'hui encore) l'Islam indien.

D'une part, une tendance de stricte observance de la transcendance et de la Loi de Dieu102(*) et une tendance de l'ouverture de l'Islam aux valeurs de l'hindouisme, marquée par la pensée de spéculation métaphysique d'Ibn Arabi103(*).

Dans ce contexte, Shah Wali Allah a eu le double souci de retrouver le véritable Islam, notamment par la connaissance des Hadiths authentiques, mais aussi de réconcilier les tendances musulmanes, y compris de réconcilier les sunnites et les chiites.

Il a eu la préoccupation de réconcilier la raison et la tradition, car, pour lui, la raison était la justification et la preuve de la tradition. L'Islam de Shah Wali Allah se veut dynamique, libéral jusqu'à être parfois composite, tolérant et réconciliateur104(*).

Muhammad Iqbal105(*) a dit de lui qu'il avait été « le premier penseur musulman qui tenta de reconstruire la pensée religieuse en Islam ».

Comme on l'a déjà souligné, les croisades ainsi que le mouvement colonial ont secoué la torpeur du monde musulman.

Ainsi, ces deux facteurs, entre autres, ont suscité chez le monde musulman ce qu'on appelle la nahda ou le réveil106(*). Bien entendu, la résistance au nouveau-venu a pris maintes formes. De la lutte armée jusqu'au rejet total des idées nouvelles qui ont corrélés l'arrivée de l'Occident dans ces terres musulmanes.

Mais, certains secteurs de l'intelligentsia se sont trouvés influencés par ces idées. Parmi les penseurs religieux de cette époque, une figure se distingue : le cheikh Rifa A-rafi Al-tahtawi (1801-1873). Issu de la vénérable Université d'Al-azhar, venu se former en France, il se nourrit de la pensée philosophique française (Voltaire, Rousseau, Montesquieu, ...) et s'enthousiasme pour le Code civil français. De retour dans son pays, il n'a pas de cesse de faire partager et adopter ses découvertes, proposant notamment de réformer la Chari'a sur le modèle des Codes européens.

En Égypte, un courant européanisant se développe de la sorte et va durer jusqu'aux années nassériennes voire, jusqu'à la guerre du canal de Suez.

Ce courant a trouvé son sommet et son symbole avec l'écrivain aveugle Taha Hussein (1889-1973), qui revendiquait l'appartenance de l'Egypte au monde

méditerranéen et au monde occidental. Taha Hussein,diplômé du Sorbonne et dont l'épouse était française, fut un des premiers, également, à désirer approfondir une critique littéraire du Coran, notamment à travers les liens entre Coran et poésie antéislamique.

Deux autres pays ont été également touchés par la séduction de l'Occident, et cela se retrouve dans l'actualité : la Tunisie et la Turquie ottomane.

Pour ce qui est de la Tunisie, une grande figure moderniste va marquer son histoire : le général et ministre Khayr Al-din Bacha (1822-1890), qui a instauré des institutions de type démocratique dans son pays et a voulu rénover l'État musulman en s'inspirant de l'Occident.

En Turquie, sous le Sultan Abdulmagid (1839-1861), des réformes (appelées Tanzimat) sont tentées, mais vite étouffées par l'autoritarisme du Sultan suivant. Après la chute de l'Empire ottoman en 1922, il était temps des réformes de Mustapha Kemal Atatürk (1880-1938) qui « laïcisera », violemment voiremanu militari si l'on peut dire, la Turquie sur le modèle de la laïcité française.

Tout ce qui précède a fait tapis rouge à l'avènement des réformistes modernes. Quatre, au moins, sont restés dans les mémoires comme les pères fondateurs du réformisme moderne.

Ils sont considérés comme les promoteurs et les chefs de file de la nahda : le Persan Jamal Al-din Al-afghani (1838-1897), le cheikh égyptien Muhammad Abduh (1849-1905), le Syrien Mohammed Rashid Ridha (1865-1935) et l'indien Sayyid Ahmad Khan (1817-1889).

Persan, chiite duodécimain, né en Iran et originaire de Kaboul en Afghanistan, Jamal Al-din Al-afghani a mené une longue quête religieuse et politique qui l'a conduit des villes saintes chiites d'Irak (où il s'est en particulier initié à la philosophie d'Avicienne), en Inde (où il a mené de sérieuses études de théologie), en Afghanistan, à Istanbul, à Paris, à Londres, en Russie et, finalement, en Egypte.

Taisant très vite son origine chiite pour mieux se faire entendre des musulmans sunnites majoritaires, il eut une activité de prédicateurs religieux aux idées anticolonialistes et réformistes, voulant susciter l'unité de tout le monde musulman face aux actions colonisatrices et impérialistes des puissances européennes.

Son but était double : le premier politique, et le deuxième civilisatio-culturel et social.

D'abord, sur le plan politique, il invitait à établir une « ligue » de tous les pays musulmans107(*), et faire élire un seul Calife qui étendrait son pouvoir sur tout le monde musulman. Il ne considérait pas le Calife turc comme le chef légitime de l'Islam.

Pour ce qui est de ses moyens, il est partisan de la révolution. Tout chef ou responsable qui entraverait la réalisation de cette ligue en vue de l'élection d'un chef unique suprême de l'Islam, devait être exterminé108(*).

Son second but consistait à débarrasser l'Islam des excroissances superstitieuses qui lui avaient « poussé » au cours des siècles. Ainsi épurée, la religion retrouverait

son premier état, tel que la pratiquaient les salaf, à savoir les premiers croyants, ce qui explique le nom salafiyya (Salafiste) donné à ce mouvement.

« L'Islam, bien compris, dit Al-afghani, s'adapte tout à fait à la civilisation et favorise le progrès en général ; il n'est pas pour figer les esprits dans des cadres rigides »109(*).

Il écrivait dans son livre « Contre les athées » : « Il faut débarrasser les esprits des illusions et des chimères. Les croyances d'un peuple doivent reposer sur des pensées solides et des arguments vrais. L'Islam s'adresse à la raison ; c'est donc la religion par excellence. L'Islam diffère du Christianisme qui défend le dogme de l'Incarnation et de la Rédemption ; or, ces dogmes dépassent les limites de la raison humaine. L'Islam se distingue du Brahmanisme qui classe les hommes en catégories, assignant un but particulier à chacune d'elles. Il se distingue enfin du Judaïsme qui ne s'adresse qu'au seul peuple d'Israël, considéré comme le peuple élu de Dieu »110(*).

Al-afghani défendait ainsi, sous le couvert de la religion, un humanisme et un rationalisme rappelant, par ce fait, l'attitude des Mu'tazila qui l'avaient devancé en ce domaine, au 9e siècle, mais qui furent taxés d'hétérodoxie111(*), justement pour leur rationalisme exagéré.

Ce fut aussi la sentence portée contre Al-afghani par les dévots, tant en Égypte qu'en Turquie112(*).

Le double plan tracé par Al-afghani trouvera un défenseur chez son fidèle disciple, Muhammad Abdou(1849-1905), un Égyptien, déçu dans sa jeunesse par la méthode d'enseignement à Al-azhar, la plus grande Université du monde musulman.

Dirigé vers la mystique par un oncle maternel, Shaykh Muhammad Abdou ne tarda pas à changer de voie sous l'influence d'Al-afghani et de la lecture d'un ouvrage à tendance mu'tazilite d'Al-nasafi (mort en 1142). En revanche, il est moins catégorique que son maître, il croyait plus à l'évolution qu'à la révolution113(*).

En ce qui concerne la religion et ses rapports avec la raison, ce réformateur était en faveur d'une foi éclairée et épurée de toutes les superstitions ; une foi que la raison puisse comprendre et admettre. Il prend nettement position en faveur de la raison dans son livre « Al-Islam wal Nusraniyya » (L'Islam et le Christianisme), où il écrit : « la religion doit être admissible pour la raison. Si la religion apporte à la raison certaines vérités pour l'aider à faire le bonheur de l'homme et des peuples, cela ne signifie pas qu'il faille priver la raison de toute autorité. Car en cas de conflit apparent entre les deux (religion et raison), l'on doit nécessairement recourir à la raison pour comprendre et interpréter le religion ». Il rejoint ainsi les falasifa tels qu'Al-farabi, Ibn Sina, Ibn Rochd et surtout les Mu'tazila rationalistes.

En ce qui concerne le progrès scientifique, il soutenait dans l'Introduction de sa « Risalatt Al-taw'hid »(Traité de monothéisme) : « Point de conflit entre la religion et la science, car toutes les deux reposent sur la raison, bien que chacune d'elles assigne un but particulier à l'homme ». C'est dans cet esprit imbu de rationalisme que Shaykh Muhammad Abdou révise les principaux dogmes de l'Islam dans cet ouvrage.

Toutefois, il ne garda pas une attitude dogmatique, il passa à l'action. Nommé Qadhi shar'i (juge aux tribunaux religieux), puis Mufti (chef religieux) d'Égypte, il rendit des sentences et des fatwas libéraux (consultations ou avis religieux sur des questions juridiques) où il appliqua son enseignement et ses principes114(*).

Il demande qu'on accorde à la femme les mêmes droits qu'à l'homme. Dans sa célèbre campagne contre la polygamie, il rappelle que la loi religieuse accorde aux différentes femmes d'un homme (jusqu'à quatre) une seule part de l'héritage ; ce qui signifie qu'elles comptent toutes pour une seule femme. Donc, conclut-il, la loi religieuse n'approuve pas la polygamie, elle la tolère.

Il était aussi pour donner aux filles la même éducation et la même instruction qu'on donne aux garçons. Il a défendu cette idée dans la revue Al-manar. Il prêchait l'égalité des droits entre l'homme et la femme. Quant aux statues et images (l'art en général), `Abdou soutenait qu'au début de l'Islam on était encore proche de l'époque de la Jahilya (ignorance) et de l'idolâtrie, c'est pourquoi on a prohibé l'érection des statues et la confection des images. Cependant, avec la civilisation moderne, il ne faut plus les prohiber tant qu'il n'a pas un danger pour la religion, car «nous sommes loin de l'époque de l'idolâtrie. Sculpter des statues et peindre des images sont des manifestations artistiques et une preuve de civilisation en même temps qu'elles servent à commémorer les grands hommes et les grands faits historique »115(*) .

Au sujet des Prophètes, il admet que « nous n'avons pas besoin de prophète pour croire à l'existence de Dieu, ceci peut être atteint par la raison. Les Prophètes nous font connaître les attributs de Dieu »116(*). Du coup, ils ne nous sont d'aucun secours pour la vie d'aujourd'hui.

Au sujet du Califat, il exprima une opinion assez nuancée. Il écrivait tout d'abord dans le journal Al-`orwa Alwothqa auquel il collaborait avec Al-afghani : « Je ne prétends pas qu'une seule personne ait autorité sur tous les musulmans ; ceci serait peut-être très difficile ; mais que leur chef à tous soit le Coran, que la religion soit le trait d'union entre eux tous, que chaque chef garde son autorité sur sujet ». Or, il ne tarda pas de rejoindre les idées de son maître. Ainsi, dans le même journal, il écrivait : « Si une nation est soumise à un chef arbitraire, dont la volonté fait loi, causant ainsi le malheur de cette nation, le peuple a le droit, dans ce cas, de se libérer de son joug pour qu'ainsi l'exemple de ce tyran ne soit pas suivi par d'autres maîtres ».

Son sort fut malheureux, et on ne peut trouver de mieux pour en parler que ce qu'a dit Lord Cromer, le Haut-commissaire britannique en Égypte. Il disait alors d'Abdou et de ses partisans : « On les a tellement taxés d'infidélité qu'ils n'ont pas pu gagner à leur cause les Conservateurs. Ce qu'ils avaient acquis de la civilisation européenne n'était pas suffisant pour qu'ils gagnent à leur cause ceux qui imitent cette civilisation. Et ainsi, Abdou n'a pas pu satisfaire ni les uns ni les autres des deux camps antagonistes ».

Son disciple Muhammad Rashid Ridha continua la lutte de son maître surtout sur le plan des réformes sociales et culturelles. En revanche, peu après la mort de son maître, il s'est engagé dans une tendance beaucoup plus traditionaliste et de rupture avec l'Occident.

Propagandiste d'un Islam de plus en plus rigoriste, il s'est lié aux Wahhabites et à la monarchie saoudienne. Il se démena fortement pour la restauration du Califat mais

sous une forme de nécessité, c'est-à-dire non point sur le Coran mais sur la Sunna et le consensus.

Le calife, pour lui, doit être de descendance Qorayshite ayant toutes les qualités techniques et morales exigées du Qadi. Il proposa aussi, pour les États musulmans, le modèle de la Chûra117(*), conçue comme assemblée des Oulémas, en guise d'alternative musulmane à la démocratie parlementaire. Sa littérature est surtout marquée par une apologétique polémique et passéiste118(*).

Pour ce qui est de Sayyid Ahmad Khan, il a choisi d'interpréter métaphoriquement les passages du Coran qui, pris littéralement, contrediraient la raison et la science, et ce pour démontrer que Islam et raison ne se contredisent point.

Il est considéré comme un pionnier de l'ouverture aux autres religions, ce qui est quasi unique chez les savants musulmans.

Ces réformistes, somme toute, à l'exception d'Ahmad Khan, ont davantage été dans une attitude de réaction à des réalités socio-historiques plutôt qu'ils n'ont élaboré de véritables systèmes de pensée qui soient capables de permettre à chaque musulman de vivre l'indépendance de sa volonté et de son intelligence. Ils ont trop idéalisé les premières générations musulmanes qu'ils sont demeurés prisonniers de cet « idéal indépassable » à leurs yeux.

Avant de passer aux nouveaux penseurs musulmans, il n'est pas sans rappeler les efforts d'autres réformistes qui, eux, ont pris de d'autres voies pour réformer.

D'une part, le courant qui se rattache à la pensée de `Hassan Al-banna ou à celle du journaliste pakistanais Abu `Ala Mawdudi (1903-1979), fondateur du Jama'at-i islami (Le rassemblement de l'Islam), courant que l'on peut qualifier d'islamiste car il veut toujours plus d'Islam, à commencer dans l'organisation politique des sociétés et des États.

D'autres part le courant que l'on peut appeler celui de l'Islam critique, et dont les premières grandes figures de proue sont le poète et philosophe indien Muhammad Iqbal (1877-1938) et l'Égyptien `Ali `Abderraziq (1888-1966).

Al-banna, fondateur des Frères musulmans, n'était pas d'abord un théoricien, et il faudra attendre l'intellectuel Sayyed Qutb119(*) pour que les Frères musulmans (Al-ikhwan Al-muslimîn) bénéficient d'un réel corps de doctrine qui nourrit toujours une grande partie des mouvements activistes musulmans de par le monde. Son ouvrage « À l'ombre du Coran », où il procède à un commentaire du Livre sacré, en fait un intellectuel, contestable certes, mais de grande envergure.

L'Indien Mawdudi, quant à lui, étudia la doctrine du jihâd et composa sa première oeuvre « Le Combat sacré dans l'Islam », après quoi, il s'engagea dans une lutte politique contre la domination britannique et dans une critique virulente de l'Occident et de ses idées de démocratie, de laïcité et des droits de l'Homme.

Il prône l'instauration d'un État complètement islamique. L'originalité de sa pensée réside probablement dans le fait que, pour lui, l'Islam constitue une idéologie, et que cette idéologie doit pouvoir constituer une alternative aux autres idéologies qui ont été produites par le monde moderne. Ainsi, selon ce courant d'idées, démocratie,

droits de l'Homme, individualisme, liberté, droits de la femme, etc. sont à puiser dans la Chari'a et non plus chez l'Occident. Du coup, ils croient à la complétude et à l'auto-suffisance du Coran. Cela revient à croire, selon nous, à la non-évolution du message révélé.

En parallèle à tout ce courant islamiste qui continue de se réclamer le panislamisme d'Afghani, de`Abduh et de Ridha, il y a une autre mouvance dont les premières figures sont incarnées par le philosophe et poète indien Muhammad Iqbal et le savant religieux égyptien `Ali `Abderraziq qui ont marqué la naissance de l'Islam critique contemporain.

Iqbal, diplômé en philosophie et en droit à Cambridge et Munich, a posé cette question dans un essai post-mortem qui réunit plusieurs conférences qu'il avait données, à savoir, « Reconstruire la pensée religieuse en Islam : Comment peut-on repenser et revivre l'Islam aujourd'hui ? ».

Sa réponse refuse une quelconque dichotomie Orient / Occident, au bénéfice d'un mouvement dialectique à instaurer entre connaissance moderne et spiritualité vécue.

Il a ainsi rompu avec la théologie traditionnelle. Du coup, il propose un Islam évidemment ouvert qui prend compte de son historicité.

`Abderraziq, quant à lui, publie en 1925, son oeuvre «Al Islam Wa Usûl Al'hoqm » (L'Islam et les fondements du pouvoir) après l'abolition du Califat.

Face à ceux qui réclament la restauration de cette antique institution qui remonte à la mort du Prophète, et surtout d'en faire un Califat arabe, voilà que `Abderraziq remet en question l'opportunité et, surtout, la légitimité du Califat.

Avec vigueur et méthode, il pose les questions de la relation du profane et du sacré, du politique et du religieux, de l'histoire et de la foi.

Il ne méconnait pas, évidemment, le fait que le Prophète avait exercé des fonctions politiques à la tête de la Cité-État de Médine. Mais, considérant que la Révélation confère aux prophètes des pouvoirs plus importants qu'à d'autres mortels, il estime que le pouvoir exercé par le Prophète a été totalement différent de celui que peut exercer un autre successeur politique. Ainsi, il refuse l'idée selon laquelle il y aurait un modèle islamique du pouvoir fondé sur les données de la Révélation.

Se penchant sur la pensée du sociologue tunisien Ibn Kholdoun (1332-1395), il débusque la grande illusion d'une institution infaillible qui a privé les musulmans de chercher par eux-mêmes des solutions efficaces à leurs problématiques politiques.

Dès les années 1920, il affirmait que rien n'interdisait aux musulmans de se donner les types de gouvernement leur paraissant les mieux appropriés, à moins de faire du despotisme arabe un régime politique120(*). Les sciences sociales et politiques121(*), pour lui, ont le droit d'être autonomes par rapport aux prescriptions religieuses.

L'oeuvre de 'Ali `Abderraziq représente la principale réfutation de tous les courants musulmans qui veulent associer religion et politique.

Elle sera reprise, par le Haut magistrat égyptien Muhammad Saïd Al-`Ashmawy et son livre« L'Islamisme contre l'Islam » où il rappelle que « Dieu voulait que l'Islam fût une religion, mais les hommes ont voulu en faire une politique ».

Or, le problème de `Abderraziq, c'est qu'en plaident pour un pouvoir non religieux, sans utiliser le mot « laïcité », il nous enjoint de sortir du moyen âge intellectuel, mais ne nous fait guère entrer dans les Temps Modernes122(*).

En février 1950, un autre shaykh d'Al-azhar, Khalid Muhammad Khalid, lançait son premier ouvrage retentissant « Min Hina Nabda » (D'ici nous commençons), dans lequel il reprend l'essentiel des thèses de `Abderraziq. Il y prêche la séparation de la religion et de l'État, donnant l'exemple du Christianisme dans les pays européens.

Le rôle de l'Église, dit-il, est l'apostolat, l'éducation et la direction morale. Par contre, le but du gouvernement est de poursuivre l'intérêt social de la nation, c'est pourquoi il peut prendre différentes formes pourvu qu'elles conviennent au peuple intéressé123(*).

Il n'est enfin sans rappeler les efforts de Taher Haddad en Tunisie, qui est le premier à libérer ou émanciper la femme, ainsi que les apports de Qasim Amin en Égypte qui a aussi appeler à affranchir la femme, le mouvement nationaliste en Égypte avec Mustapha Kamil Pacha (1874-1909), `Orabi pacha,Sa'ad Zaghloul, `Abdallah Al-nadim et Adib Is'hâq, ainsi que le révolté `Abdul Rahman Al-kawakibi(1854-1902).

Tous ces pré-réformistes et réformistes modernes ont essayé de concilier religion et raison et on essayé de trouver dans la religion le synonyme des idées nouvelles apportées par la modernité.

Cependant, d'autres, ont eu l'audace d'essayer de confronter l'Islam aux réalités nouvelles et de laisser la modernité secouer les dogmes religieux.

* 97 Nationaliste et réformiste syrien (1869-1946).

* 98 Les musulmans sont chassés d'Espagne en 1492, après huit siècles de présence sans oublier les huit expéditions, sous le nom des Croisades, entreprises du XIe au XIIIe siècle par l'Europe chrétienne contre les Musulmans dits Sarrasins.

* 99 Ainsi, Ibn Sîna (Avicienne 980-1037), Ibn Rushd (Averroès 1105-1186) ont été rejetés puis oubliés, malgré leurs apports à la philosophie mondiale, parce que leur pensée libre pouvait semer le doute et affaiblir les pouvoirs politiques et religieux établis.

On ne connaît presque plus de pensée indépendante de la théologie en Islam à partir de cette époque, à l'exception du monde perso-iranien qui, lui, avec le chiisme, a connu un développement différent, acceptant la spéculation métaphysique.

* 100 `Abd Al-wahab se lie avec la famille des Sa'ûd qui dirige la principauté de Dar'iyya, conseillant celle-ci pour un gouvernement fondé sur les règles de l'Islam. Mais, ce ne sera qu'au 20e siècle, en 1902, que `Abd Al-`aziz Ibn Sa'ûd, soutenu par les Anglais, s'emparera de la Mecque, de Médine et de Ryad, créant l'Arabie saoudite, le terrain d'élection ou le foyer par excellence du mouvement Wahabiste. Ainsi, le pétrodollar va participer de la propagande du Wahabisme.

* 101 Les dynasties musulmanes qui ont dirigé l'Inde depuis le 8e siècle ont connu des périodes de magnificence et d'autres de décadence, et le bilan de leur présence est mitigé.

* 102 Représentée particulièrement par la grande confrérie indienne des Naqshbandi.

* 103 Représentée par la confrérie des Chistis.

* 104 Benzine (Rachid), Les nouveaux penseurs de l'Islam, Éditions Albin Michel, Paris, 2004, p. 39.

* 105 Muhammad Iqbal (1875-1938), poète et philosophe surnommé le « père spirituel » du Pakistan.

* 106 Cependant, Nahdha (réveil) et Islah' (la réforme) sont à distinguer du mouvement de Tah'dith (la modernisation) qui, quant à elle, procède à la réforme à force d'argent. Cela se vérifie chez les pays du pétro-dollar qui essayent de rattraper la `Hadatha (la modernité) seulement, tout en gardant le Chari'a comme la seule Loi possible, par la construction des infrastructures et par le garantit aux citoyens d'un niveau de vie satisfaisant. On va voir ci-après que les facteurs économiques participent aussi de l'instauration de la démocratie, sauf qu'à eux seuls, ils ne suffisent pas.

* 107 Or, on sait déjà, depuis Locke, que l'un des piliers de la modernité est l'avènement de l'individu et son émancipation de "la Communauté" ainsi que de toute conception holiste (auliste) de la vie en société.

* 108 Ainsi, le Shah d'Iran fut assassiné en 1896 par un fidèle adepte d'Al-afghani, et en Égypte, la révolution d'Orabi Pacha contre le khédive était inspirée par ses idées.

* 109 C'est la thèse qu'il défendait en 1883, en français, dans le journal Les Débats au cours d'une passionnante polémique avecErnest Renan.

* 110 Cité par : Nader (Albert), Courants d'idées en Islam : Du sixième au vingtième siècle, Médiaspaul, Canada, 2003, p. 123.

* 111 Notamment par Al-ghazali (M.), au 11e siècle, en Orient, et Ibn Kholdoun, au 14e siècle en Occident. Depuis, la philosophie et les falasifa ont été discrédités en Islam.

* 112 Malgré considéré comme l'initiateur de la nahda et reçu des musulmans le titre de « Haqim Al-sharq », le « Sage de l'Orient », ses idées politiques lui valurent de vivre souvent traqué en exil, et il mourut à Istanbul alors que le trône iranien demandait son extradition pour pouvoir le juger. Orateur impressionnant, il a laissé peu d'écrits.

* 113 Il disait : « L'indépendance s'acquiert par l'éducation et l'instruction du peuple et par une plus grande justice sociale », il disait aussi à `Orabi Pacha, qui se révoltait contre le khédive d'Égypte : « Du calme et de la patience et je vous garantirai dans quelques années plus que vous ne réclamez maintenant par la force » : cité par Nader (Albert), op. cit., p. 124.

* 114 Ainsi, la fatwa qui permet aux musulmans de manger le bétail égorgé par les « gens des Livres » (Al-kitabiyyun) : chrétiens et juifs ; celle qui permet aux musulmans de déposer de l'argent à la caisse d'épargne et d'en toucher les intérêts qu'il considère comme une juste participation aux bénéfices ; celle qui permet aux musulmans de s'habiller à l'européenne : « En effet, dit-il, le Coran ne mentionne aucune façon spéciale de s'habiller ». Il reconnaît aussi la légalité des juridictions civiles, commerciales et pénales non basées sur la Chari'a dans les conflits entre musulmans et non musulmans en Égypte.

* 115 Târikh Al-sahafa, Tome II, p. 444 ; Journal Al-manar, Tome IV, p. 56.

* 116 Abdou (Muhammad), Risalat Al-taw'hid, (Traité de monothéisme), p. 156.

* 117 C'est dans le cadre d'un mouvement général d'islamisation de la modernité politique que Tahtawi, par exemple en Égypte après son séjour à Paris à la fin du 19e siècle, dans « L'Or de Paris », traduit le terme "Constitution" par "Chari'a" et qualifie le Parlement de Conseil de la consultation (Dîwân al-chûra) ; Kheireddine Pacha en Tunisie, lors de la même période, définit la démocratie comme le régime qui confie les affaires à la masse (Al'amma) dont l'équivalent serait la consultation, l'un des fondement du pouvoir en Islam : Voir Redissi (Hamadi), Les politiques en Islam (Le Prophète, le Roi et le Savant), L'Harmattan, 1998, p. 154 et svt.

* 118 Benzine (Rachid), Les nouveaux penseurs de l'Islam, Éditions Albin Michel, Paris, 2004, p. 46.

* 119 Né en 1906, pendu en 1966 sur ordre de Jamal `Abd Nasser alors Président de l'Égypte.

* 120 Redissi (Hamadi), Les politiques en Islam (Le Prophète, le Roi et le Savant), L'Harmattan, 1998, p. 111et svt.

* 121 Ibid, p. 75 et svt.

* 122 Ibid, p. 109.

* 123 Les `Uléma d'Al-azhar seront déboutés, devant le Tribunal de première instance du Caire, dans leur requête en vue d'obtenir la confiscation du livre. Cette fois, l'idée de liberté et l'évolution sociale triomphèrent.

 

Al Afghani Grand théologien du XIXe siècle, père du panislamisme

« Aucune réforme ne sera possible dans les pays musulmans tant que les chefs religieux n’auront pas réformé leur état d’esprit, tant qu’ils n’auront pas tiré profit des sciences et de la culture » (Discours « Enseigner et apprendre » 1872)

« La souveraineté n’a jamais quitté le royaume de la Science puisque, de temps à autre, le monarque a changé de capitale. Cette capitale a été transférée alternativement de l’Orient à l’Occident et de l’Occident à l’Orient » (Discours « Enseigner et apprendre » 1872)  

Ansari « La foi peut être comparée à une balance : crainte et espérance en sont les deux plateaux, l’aiguille en est l’amour, et les plateaux sont suspendus aux mœurs vertueuses » (Les cent terrains)

« La vie est une boutique ; la sagesse en est l’ornement, la religion le capital, et le croyant le marchand » (Les cent terrains)

« La pudeur, c’est la honte. La honte est le rempart de la religion ; la honte est l’une des sciences de l’honneur. Les insouciants éprouvent de la honte devant les hommes ; ceux qui ont le cœur généreux éprouvent de la honte devant les Anges ; les connaissants éprouvent de la honte devant Dieu » (Les cent terrains)

  

Averroès « Il ne faut pas rejeter une chose bénéfique par nature et par essence sous prétexte qu’il y a en elle accidentellement un inconvénient» (Fasl al-maqâl) « Il y a consensus chez les musulmans pour considérer que les énoncés littéraux de la Révélation n’ont pas tous à être pris dans leur sens obvie » (Fasl al-maqâl) « Les chrétiens se sont trompés en affirmant l’unité dans la substance, et ce n’est pas se soustraire à l’erreur que de prétendre comme ils le font, qu’en Dieu la trinité se résout à l’unité » (Grand commentaire sur la métaphysique) « Exposer quelqu’une des interprétations (du coran) à quelqu’un qui n’est pas homme à les appréhender – en particulier les interprétations démonstratives, en raison de la distance qui sépare celles-ci des connaissances communes – conduit tant celui à qui elle est exposée que celui qui les expose à l’infidélité » (Fasl al-maqâl) 

Avicenne« Ajoute foi à ce qui est raconté au sujet des punitions divines, qui descendent sur des villes corrompues et des personnes tyranniques et vois comment la vérité remporte la victoire » (La métaphysique du Shifa, 439)

« Certains ont pensé qu’il fallait tuer ceux qu’on désespérait de guérir. Cela est mal » (La métaphysique du Shifa)

« Ceux des hommes qui n’ont pas de disposition pour acquérir la vertu sont naturellement esclaves, comme les Turcs et les Nègres, et d’une façon plus générale ceux qui ont grandi dans des régions climatériques non nobles » (La métaphysique du Shifa, X, 453)

« Il convient que la loi demande à la femme d’être voilée et d’être loin du regard des hommes. Aussi il ne faut pas que la femme gagne sa vie comme l’homme. Il faudra dès lors, que la loi prescrive qu’elle soit entretenue par l’homme : l’homme sera obligé de pourvoir à ses dépenses. Mais il faut que l’homme reçoive en retour une compensation : c’est qu’il la domine et qu’elle ne le domine pas » (La métaphysique du Shifa, IX, 450)

« Le mal se dit de la déficience de toute chose de sa perfection et de la perte qu’elle fait à l’égard de ce qu’elle devrait avoir » (La métaphysique du Shifa, 419)  

Cheikh Mohammed Abdou« Si la religion peut nous révéler certaines choses qui dépassent notre compréhension, elle ne peut nous en enseigner aucune qui soit en contradiction avec notre raison » (Rissalat al Tawhid)

« Celui qui dit que le Coran qu’on lit est incréé se trouve dans l’état le plus vil et professe une erreur plus grande que toutes les doctrines erronées que le Coran lui-même a réfutées, et qu’il nous a engagé à combattre » (Rissalat al Tawhid)

« Bien que les goûts diffèrent, les choses sont belles ou laides par elles-mêmes » (Rissalat al Tawhid)

« L’Islam nous détourne d’un attachement exclusif aux choses qui nous viennent de nos pères ; il qualifie d’ignorants et bornés ceux qui suivent aveuglément les paroles des ancêtres » (Rissalat al Tawhid)  

Farid al Din AttarGrand mystique musulman de Perse, du XIIe siècle

« Plus tu te fais poussière ici-bas, plus tu deviendras pur là-haut » (Le livre divin)

« L’Eternel t’appelle à Lui sans cesse, renonce au temporel, en un mot à la concupiscence. L’intimité née du désir charnel n’est pas souhaitable ; qui ne sait pas cela est imparfait » (Le livre divin)

« Puisque le voile n’est pas tombé de devant toi, ne prétends pas avoir sur le chien la moindre supériorité. Tout destiné qu’il soit à la poussière du chemin, le chien provient de la même source que toi » (Le livre divin)

« Omar partit en guerre et sortit victorieux. Aux infidèles qui tombèrent sous sa coupe il proposa la foi de l’Islam. Ceux qui acceptèrent furent épargnés mais les autres décapités. (…) Lorsque c’est Dieu qui tue l’acte est beau. Mais lorsqu’il vient de toi, il est laid ; il est l’œuvre de l’enfer, alors que dans le premier cas il est du paradis » (Le livre divin)  

  

Ibn Arabi« Il n’est légitime pour aucun musulman de combattre le détenteur du pouvoir ni de s’insurger en armes contre lui, même si c’est un oppresseur et s’il ne pratique pas la justice, et quiconque le fait est un innovateur blâmable n’agissant pas selon la Sunna » (La profession de Foi) 

Ibn Ata Allah« Adresser une demande à Dieu, c’est douter de Lui » (Hikam)

« Enfouis ton existence sous le sol d’une vie obscure ; le germe issu d’une graine non enfouie ne parvient pas à produire des fruits » (Hikam)

« Ni n’augmente Sa gloire le fait que quelqu’un vient à Lui ; ni ne la diminue le fait que quelqu’un se détourne de Lui » (Hikam, 215)

« Il n’est pas de faute légère en face de la justice de Dieu ; il n’en est pas de grande en face de sa grâce » (Hikam, 52)

« Le véritable espoir est accompagné d’action ; sinon il ne s’agit que d’un souhait » (Hikam)

« Qu’il te suffise comme récompense de sa part qu’Il t’ait jugé digne de Lui obéir » (Hikam, 92)  

Mohammed Arkoun« On mobilise non pas une pensée islamique créatrice, libératrice, mais un islam politique d’essence idéologique pour « islamiser » la modernité » (Humanisme et islam) « Je souhaite une nouvelle relecture commune de la tradition coranique et monothéiste, et non pas un dialogue » (La construction humaine de l’islam)

« Tous les peuples, toutes les cultures sont conviés à la même autocritique radicale pour fonder leur participation au travail historique commun d’émancipation de la condition humaine » (Humanisme et islam) « Je porte témoignage qu’il y a une religion laïciste en France qui censure tout discours religieux avec le même dogmatisme obtus que les croyants les plus étroitement littéralistes » (ABC de l’islam)

« Quand j’essaye de déplacer la lecture du Coran du cadre de la croyance à celui de l’histoire et de la linguistique, les publics musulmans expriment toujours leur angoisse devant des analyses reçues comme désacralisantes » (Humanisme et islam)

« La pensée islamique s’est toujours préoccupée de construire et de protéger des orthodoxies en se contentant d’apologies défensives ou de « vérités » proclamées » (Humanisme et islam)

« L’islam est théologiquement protestant, mais politiquement catholique » (Conférence Sorbonne, 2009)

« Je parlerais volontiers d’Etats voyous si une haute instance internationale pouvait se prononcer sur les complicités qui ont permis leur émergence et leur pérennité » (ABC de l’islam)

« On ne cesse de parler de tolérance ci, d’intolérance là, et on ne voit pas du tout l’intolérable partout, triomphant dans toutes les sociétés » (La construction humaine de l’islam)

« La domination coloniale a figé la vie intellectuelle, rigidifié la tradition, favorisé le repli sur les identités locales » (Lectures du coran)

« Je désespère des pays musulmans (…). Qu’est-ce qu’on peut leur demander ? Il y a trop d’ignorance institutionnalisée, et on ne peut pas lutter contre les institutions ignorantes. En tout cas, pour ma part, je ne m’en sens plus la force » (La construction humaine de l’islam)

« Toute personnalité se définit par un certain équilibre (ou déséquilibre) qu’elle réalise entre conscience affective et conscience intellectuelle » (Lectures du coran)

« Toute mon analyse et tout mon effort visent à dégager les conditions de possibilité d’une pensée islamique critique et libre. C’est-à-dire précisément qui traque toutes les utilisations idéologiques d’une pensée religieuse » (Lectures du coran)

« Toutes les données constitutives de la modernité intellectuelle ont émergé à l’extérieur de la pensée islamique » (L’islam, morale et politique)

« La théologie comme débat et échange a disparu complètement en islam » (La construction humaine de l’islam)

« La pensée islamique s’est toujours préoccupée de construire et de protéger des orthodoxies en se contentant d’apologie défensive ou de « vérités » proclamées » (Humanisme et islam)

« L’islam universel n’existe pas » (La construction humaine de l’islam)  

Muhammad Saïd al-AshmawyPenseur musulman libéral

« Dieu a voulu que l’Islam fût une religion, mais les hommes ont voulu en faire une politique » (L’islamisme contre l’Islam)

« La politisation du religieux ou la sacralisation du politique ne peuvent être que le fait d’esprits malveillants et pervers, à moins qu’ils ne soient ignorants. L’une et l’autre reviennent à fonder dans la religion l’opportunisme et la cupidité, à trouver des justifications coraniques à l’injustice, à entourer la délinquance d’une aura de foi, et à faire passer pour un acte de Jihad le sang injustement versé » (L’islamisme contre l’Islam)© Milkipress  

Qasim Amin(1865 -1908) penseur Egyptien liberal, reconnu comme etant le grand pionnier du feminisme arabe

« Les musulmans ordinaires croient que les femmes sont les maîtresses de maison, mais que leur rôle s’arrête au seuil de la porte. Voici ce que croient ceux qui vivent dans un monde fantaisiste » (La libération des femmes)

« Un certain nombre de gens vont dire que je publie aujourd’hui une hérésie. A ces personnes, je répondrai : oui, je soulève une hérésie, mais cette hérésie n’est pas dirigée contre l’islam. Elle est dirigée contre nos traditions et nos rapports sociaux » (La libération des femmes)

« Le musulman peut-il contredire les lois de la Création fondées par Dieu – Dieu qui a fait du changement un prérequis pour la vie et le progrès, plutôt que l’immobilité et l’inflexibilité, qui sont des marques de mort et de sous-développement culturel ? » (La libération des femmes)

« S’il existait une religion qui aurait pu avoir un pouvoir et une influence supérieurs aux traditions locales, dès lors les femmes musulmanes seraient de nos jours à l’avant-garde des femmes libres de la terre » (La libération des femmes)

« Le système légal islamique, la sharia, a stipulé l’égalité des femmes et des hommes avant tout autre système légal » (La libération des femmes)© Milkipress

« Le statut des femmes est inséparablement lié au statut de la nation. Lorsque le statut d’une nation est bas, ce qui implique le caractère non civilisé de cette dernière, le statut des femmes est lui aussi minime, et lorsque le statut d’une nation est élevé, impliquant son avancement et son caractère civilisé, le statut des femmes de ce pays est lui aussi élevé » (La libération des femmes)