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MARDI 29 MARS 2016 0123 Valoriser l’excellence pour d épasser les préjugés La France a accueilli, les 25 et 26 mars, le championnat du monde des professionnels en situation de handicap U ne inspiration active le clic gauche. Une expi- ration, le clic droit. Un mouvement de la tête et le pointeur de la souris bouge. Sur la visière de sa casquette, Tho- mas Veillon dispose d’un système qui lui permet de coder sans utili- ser ses mains. Depuis un accident en 1996, ce webdesigner est tétra- plégique. Il ne bouge que ses épau- les et sa tête. En 2011 à Séoul, il par- ticipe aux Abilympics, un cham- pionnat du monde des métiers des personnes handicapées. Il remporte la médaille de bronze, et souligne l’intérêt d’une compéti- tion qui véhicule une autre image du handicap. « La compassion, la pitié me gênent un peu. C’est bien pour collecter de l’argent, mais ce n’est pas une bonne façon de parler du handicap. Les Abilympics, c’est autre chose : le public ne regarde plus le handicap, mais la compé- tence », dit celui qui est coach pour les Abilympics 2016. Car en 2016 pour la première fois, la France a accueilli les Abilympics. Les 25 et 26 mars, à Bordeaux, les champions en situa- tion de handicap, moteur, psychi- que, mental et sensoriel, ont fait la démonstration de leur savoir- faire. Objectif : valoriser les com- pétences professionnelles des per- sonnes handicapées pour favori- ser leur embauche. Car le taux de chômage des personnes en situa- tion de handicap en France reste élevé, il est de 20 %, soit le double du celui de l’ensemble de la popu- lation active. Les épreuves permettent aux travailleurs handicapés de mon- trer leur savoir-faire profession- nel, de l’art floral à la soudure ou à la maintenance aéronautique. C’est dans cette dernière catégo- rie que concourt Sandra Loménie, une ancienne ambulancière re- convertie dans l’aéronautique en 2008, à la suite d’un accident de sport. Aujourd’hui employée chez Dassault en tant que mécani- cienne avion, elle affiche ses com- pétences aux Abilympics où elle démonte et remonte le sous-en- semble d’un moteur, répare une panne sur un hélicoptère, et enfin fait le tour de l’appareil pour s’as- surer qu’il est prêt pour le vol. Miser sur l’excellence pour faire bouger les lignes ? Un projet ambi- tieux, que la France n’a rejoint que tardivement. « Quand on a voulu monter ce projet, on nous a traités de fous, on nous disait que c’était impossible », raconte Patrick Este- ban. Le responsable métiers Abilympics France s’est heurté à de nombreuses réticences : com- ment aménager les postes de tra- vail, les déplacements, la nourri- ture ? « On regarde ces personnes uniquement sous le prisme de la contrainte, on ne pense pas à ce qu’elles apportent dans le monde du travail », regrette-t-il. Des a priori que de nombreux candidats des Abilympics ont ren- contrés. Lorsqu’il devient paraplé- gique à la suite d’un accident de ski, le bijoutier Franck Greveldin- ger cherche un atelier où poursui- vre son travail. Sans succès : « Les ateliers sont souvent à l’étage, et donc inaccessibles. Les rares fois où ils sont en bas, il faut aménager les postes de travail, c’est onéreux. C’est pris en charge, mais beau- coup hésitent. On pense qu’un han- dicapé sera plus fatigué, ou plus absent qu’une personne valide. C’est faux ! » Le bijoutier a fini par se mettre à son compte. Il a aujourd’hui un atelier et une bou- tique à Bordeaux. « Forcer le destin » Wilfried Panatier aussi a créé sa société car son handicap le pénali- sait dans sa recherche d’emploi. Tétraplégique depuis un accident aux Antilles à l’âge de 20 ans, le jeune pâtissier quitte Saint-Bar- thélémy et l’hôtel de luxe qui l’em- ploie pour se reconvertir dans les métiers numériques. A la sortie de son école, il peine ne serait-ce qu’à décrocher des entretiens. Au bout d’un an de recherches infructueu- ses, il jette l’éponge et crée sa pro- pre société. Il participe aux Abilympics pour prendre les de- vants : « On se laisse bercer par les lois, les textes, mais ce n’est pas suf- fisant. Il faut forcer le destin. Met- tons-nous en danger pour ouvrir les yeux aux gens, montrons ce que nous savons faire. » C’est pourquoi les Abilympics sont axés sur l’excellence : le han- dicap est certes pris en compte dans l’aménagement des postes de travail, mais « on ne fait pas de misérabilisme. On montre ce que ces personnes peuvent faire, on met en avant leur potentiel », expli- que Patrick Esteban. Une démarche qui a su convain- cre Peggy Halna du Fretay. Au dé- but, cette photographe de 41 ans refuse de participer à la compéti- tion. « Je suis une photographe et je suis une femme en situation de handicap, je ne suis pas une photo- graphe handicapée », revendique- t-elle. Cette artiste est tombée très malade à la naissance, une épreuve qui la laisse avec un han- dicap neuromusculaire et une surdité importante. Avec le temps, elle s’approprie son handicap qui devient l’objet de sa pratique artis- tique, mais refuse de croire que l’excellence professionnelle est amoindrie par le handicap : « Une personne handicapée ne fait pas un travail de handicapé, il faut rompre avec ces croyances idiotes. La situation de handicap change la façon de travailler, mais la qualité de notre travail reste la même. » Voilà pourquoi elle finit par sou- tenir la démarche des Abilympics : miser sur l’excellence est pour elle une idée simple et pourtant nou- velle. « Ne nous jugez plus sur notre handicap mais sur nos actes, et pour cela il faudra en finir avec la notion même de handicap, ce que certains pays ont déjà fait. Nous demandons à avoir des droits, pas de passe-droits et encore moins la compassion ou la pitié. Voyez ce que nous sommes capables de réa- liser et seulement après nous pour- rons parler des particularités du handicap dans le travail », assène Peggy Halna du Fretay. p margherita nasi SURLIGNE PAR ERIC LEGER

Handicap - En Faveur de l'Excellence

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Page 1: Handicap - En Faveur de l'Excellence

MARDI 29 MARS 2016

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Valoriser l’excellence pour dépasser les préjugésLa France a accueilli, les 25 et 26 mars, le championnat du monde des professionnels en situation de handicap

Une inspiration active leclic gauche. Une expi-ration, le clic droit. Unmouvement de la tête

et le pointeur de la souris bouge. Sur la visière de sa casquette, Tho-mas Veillon dispose d’un système qui lui permet de coder sans utili-ser ses mains. Depuis un accident en 1996, ce webdesigner est tétra-plégique. Il ne bouge que ses épau-les et sa tête. En 2011 à Séoul, il par-ticipe aux Abilympics, un cham-pionnat du monde des métiers des personnes handicapées. Il remporte la médaille de bronze, etsouligne l’intérêt d’une compéti-tion qui véhicule une autre image du handicap. « La compassion, la pitié me gênent un peu. C’est bien pour collecter de l’argent, mais ce n’est pas une bonne façon de parlerdu handicap. Les Abilympics, c’est autre chose : le public ne regarde plus le handicap, mais la compé-tence », dit celui qui est coach pourles Abilympics 2016.

Car en 2016 pour la premièrefois, la France a accueilli les Abilympics. Les 25 et 26 mars, à Bordeaux, les champions en situa-tion de handicap, moteur, psychi-que, mental et sensoriel, ont fait ladémonstration de leur savoir-faire. Objectif : valoriser les com-pétences professionnelles des per-sonnes handicapées pour favori-ser leur embauche. Car le taux de chômage des personnes en situa-tion de handicap en France reste élevé, il est de 20 %, soit le double du celui de l’ensemble de la popu-lation active.

Les épreuves permettent auxtravailleurs handicapés de mon-

trer leur savoir-faire profession-nel, de l’art floral à la soudure ou à la maintenance aéronautique.

C’est dans cette dernière catégo-rie que concourt Sandra Loménie, une ancienne ambulancière re-convertie dans l’aéronautique en 2008, à la suite d’un accident desport. Aujourd’hui employée chez Dassault en tant que mécani-cienne avion, elle affiche ses com-pétences aux Abilympics où elle démonte et remonte le sous-en-semble d’un moteur, répare une panne sur un hélicoptère, et enfin fait le tour de l’appareil pour s’as-surer qu’il est prêt pour le vol.

Miser sur l’excellence pour fairebouger les lignes ? Un projet ambi-tieux, que la France n’a rejoint quetardivement. « Quand on a voulu monter ce projet, on nous a traités de fous, on nous disait que c’était impossible », raconte Patrick Este-ban. Le responsable métiers Abilympics France s’est heurté à de nombreuses réticences : com-ment aménager les postes de tra-vail, les déplacements, la nourri-ture ? « On regarde ces personnes uniquement sous le prisme de la contrainte, on ne pense pas à ce

qu’elles apportent dans le monde du travail », regrette-t-il.

Des a priori que de nombreuxcandidats des Abilympics ont ren-contrés. Lorsqu’il devient paraplé-gique à la suite d’un accident de ski, le bijoutier Franck Greveldin-ger cherche un atelier où poursui-vre son travail. Sans succès : « Les ateliers sont souvent à l’étage, et donc inaccessibles. Les rares fois oùils sont en bas, il faut aménager les postes de travail, c’est onéreux. C’est pris en charge, mais beau-coup hésitent. On pense qu’un han-dicapé sera plus fatigué, ou plus absent qu’une personne valide. C’est faux ! » Le bijoutier a fini par se mettre à son compte. Il a aujourd’hui un atelier et une bou-tique à Bordeaux.

« Forcer le destin »Wilfried Panatier aussi a créé sa société car son handicap le pénali-sait dans sa recherche d’emploi. Tétraplégique depuis un accident aux Antilles à l’âge de 20 ans, le jeune pâtissier quitte Saint-Bar-thélémy et l’hôtel de luxe qui l’em-ploie pour se reconvertir dans les métiers numériques. A la sortie de

son école, il peine ne serait-ce qu’àdécrocher des entretiens. Au bout d’un an de recherches infructueu-ses, il jette l’éponge et crée sa pro-pre société. Il participe aux Abilympics pour prendre les de-vants : « On se laisse bercer par les lois, les textes, mais ce n’est pas suf-fisant. Il faut forcer le destin. Met-tons-nous en danger pour ouvrir les yeux aux gens, montrons ce quenous savons faire. »

C’est pourquoi les Abilympicssont axés sur l’excellence : le han-dicap est certes pris en compte dans l’aménagement des postes de travail, mais « on ne fait pas de misérabilisme. On montre ce que ces personnes peuvent faire, onmet en avant leur potentiel », expli-que Patrick Esteban.

Une démarche qui a su convain-cre Peggy Halna du Fretay. Au dé-but, cette photographe de 41 ans refuse de participer à la compéti-tion. « Je suis une photographe et jesuis une femme en situation de handicap, je ne suis pas une photo-graphe handicapée », revendique-t-elle. Cette artiste est tombée très malade à la naissance, une épreuve qui la laisse avec un han-dicap neuromusculaire et une surdité importante. Avec le temps,elle s’approprie son handicap qui devient l’objet de sa pratique artis-tique, mais refuse de croire que l’excellence professionnelle est amoindrie par le handicap : « Une personne handicapée ne fait pas un travail de handicapé, il faut rompre avec ces croyances idiotes.La situation de handicap change lafaçon de travailler, mais la qualité de notre travail reste la même. »

Voilà pourquoi elle finit par sou-tenir la démarche des Abilympics :miser sur l’excellence est pour elleune idée simple et pourtant nou-velle. « Ne nous jugez plus sur notrehandicap mais sur nos actes, et pour cela il faudra en finir avec la notion même de handicap, ce que certains pays ont déjà fait. Nous demandons à avoir des droits, pas de passe-droits et encore moins la compassion ou la pitié. Voyez ce que nous sommes capables de réa-liser et seulement après nous pour-rons parler des particularités du handicap dans le travail », assène Peggy Halna du Fretay. pmargherita nasiSURLIGNE PAR ERIC LEGER

Eric LEGER
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