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CHAPITRE 03 : les différents courants de l’ergonomie. Lorsque que l’on parle d’ergonomie, il était nécessaire de distinguer deux courants : • Le courant anglo-saxon dont les recherches étaient à l’origine menées essentiellement en laboratoire pour améliorer les connaissances sur l’homme. Mais ces recherches manquaient parfois de réalisme par rapport au monde réel du travail. Les Anglo-saxons sont alors venus chercher les méthodes des ergonomes francophones. • Dans ce second courant, appelé Ergonomie de Langue Française, mais aussi analyse Ergonomique de Tradition Française (AETF) ou encore Ergonomie de l’activité, des scientifiques comme Faverges ou Jacques Leplat ont insisté, dès les années soixante, sur l’importance de l’analyse de l’activité du travailleur en situation réelle. C’est deux courants sont complémentaires. I- Premier courant : l’homme comme machine et l’adaptation de la machine à l’homme (courant anglo- saxon). L’ergonomie la plus ancienne, mais encore aujourd’hui la plus répandue, consiste à prendre en compte les caractéristiques générales de l’homme en général, la « machine humaine », pour mieux lui adapter les machines et les dispositifs techniques. On l’appelle « ergonomie des facteurs Humains ». Ce courant a pour préoccupation d’améliorer la qualité et la fiabilité des outils de mesures des risques auxquels sont exposés les travailleurs, dans le but souvent de 1

Thème04

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CHAPITRE 03 : les différents courants de l’ergonomie.

Lorsque que l’on parle d’ergonomie, il était nécessaire de distinguer deux courants :

• Le courant anglo-saxon dont les recherches étaient à l’origine menées

essentiellement en laboratoire pour améliorer les connaissances sur l’homme. Mais ces

recherches manquaient parfois de réalisme par rapport au monde réel du travail. Les Anglo-

saxons sont alors venus chercher les méthodes des ergonomes francophones.

• Dans ce second courant, appelé Ergonomie de Langue Française, mais aussi analyse

Ergonomique de Tradition Française (AETF) ou encore Ergonomie de l’activité, des

scientifiques comme Faverges ou Jacques Leplat ont insisté, dès les années soixante, sur

l’importance de l’analyse de l’activité du travailleur en situation réelle.

C’est deux courants sont complémentaires.

I- Premier courant : l’homme comme machine et l’adaptation de la machine

à l’homme (courant anglo-saxon).

L’ergonomie la plus ancienne, mais encore aujourd’hui la plus répandue, consiste à

prendre en compte les caractéristiques générales de l’homme en général, la « machine

humaine », pour mieux lui adapter les machines et les dispositifs techniques. On l’appelle

« ergonomie des facteurs Humains ». Ce courant a pour préoccupation d’améliorer la

qualité et la fiabilité des outils de mesures des risques auxquels sont exposés les travailleurs,

dans le but souvent de comparer ces risques à des données de référence permettant d’évaluer

la dangerosité du travail.

Cette ergonomie centrée sur l’utilisateur est l’approche classique, la plus répandue, et

la plus connue du grand public, pour qui « ergonomie » réfère à santé, confort facilité d’usage.

On la considère comme une ergonomie des premiers soins, elle s’intéresse aux postures

pénibles, cadences insoutenables, chaleur excessives, perceptions visuelles difficiles, notices

incompréhensibles. Elle part des caractéristiques humaines générales, éléments descriptifs de

l’anatomie, de la biomécanique, de la physiologie et de la psychologie expérimentale.

***a- les caractéristiques de la « machine humaine » :

-Caractéristiques anthropométriques : hauteur, taille des différents segments

corporels, poids. On distingue des sous-populations : homme, femme et enfants…

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-Caractéristiques liées à l’effort musculaire : les contractions musculaires sont

étudiées directement par électromyographie ainsi que la consommation d’oxygène et le

rythme cardiaque qui sont utilisés comme des indices des dépenses énergétique.

- Caractéristiques liées à l’influence de l’environnement physique : on étudie les effets

de la chaleur et du froid, les poussières, les agents toxiques, le bruit, les vibrations, plus

récemment les accélérations brusques. Là l’ergonomie s’associe à la médecine du travail.

-Caractéristiques psychophysiologiques : on étudie l’œil et les performances visuelles,

l’oreille et les performances auditives, en premier lieu dans la vision nocturne, l’audition dans

le bruit par exemple, mais aussi l’olfaction, le toucher, les temps de réactions.

- Caractéristiques des rythmes circadiens : ils règlent l’activité biologique pendant

vingt-quatre heures, l’alternance veille-sommeil en particulier. On étudie l’influence de leurs

perturbations (dues au travail en équipes alternées par exemple) sur le sommeil, et plus

généralement sur la santé.1111

b-l’adaptation de la machine à l’homme :

Les connaissances et les données accumulées sur l’utilisateur (c'est-à-dire la machine

humaine) permettent aux ergonomes de concevoir des dispositifs et des outils qu’ils veulent

adaptés, et facile à utiliser, dans une optique de simplification.

L’utilisateur considéré est un travailleur pris sous ses traits les plus génériques. Les

situations de travail prises en considération sont limitées aux postes de travail : les sièges, les

espaces de travail.

Les mécanismes de base de l’anatomie, la physiologie, la psychophysiologie et, la

psychologie générale, identifiés dans des laboratoires spécialisés, sont utilisés dans la

conception de dispositifs adaptés.

Pour convaincre les concepteurs qu’ils souhaitent voir prendre en compte les facteurs

humains, les ergonomes utilisent des voies directes, sous forme de méthodes ergonomiques,

de grille d’analyse et de cotation des postes, ou des voies indirectes tels que les publications

et les normes.

Les publications sont constituées, par des manuels qui récapitulent les diverses

caractéristiques de la « machine humaine », et qui montre sur des exemples choisis comme

1111 François darses ; Maurice de Montmollin : « L’ergonomie. » ; Ed. La découverte.2006. p.10.

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significatifs les applications qu’on peut en faire pour y adapter au mieux les dispositifs

techniques.

L’ergonomie ne se préoccupe pas seulement d’éviter aux travailleurs les postes de

travail fatigants et dangereux à l’excès, elle se soucie de les mettre dans les meilleures

conditions de travail possibles. C’est pourquoi l’optimisation de ces conditions de travail vise

autant à améliorer la performance qu’à éviter l’accident ou la fatigue excessive. C’est dans

cette perspective que se situent les manuels classiques :

-Les caractéristiques anthropométriques aboutissent à des propositions concernant

l’espace de travail : hauteur des sièges et des tables, inclinaison des consoles, dimensions des

cabines ; prise en compte des postures auxquels obligent certains dispositifs ;

Les caractéristiques concernant l’effort musculaire permettent de proposer de

meilleurs outils (par exemple des pelles aux pinces manuelles).

-les études sur le bruit et la chaleur ont donné lieu à de nombreuses prescriptions en

vue diminuer les nuisances à leur source

-la connaissance des caractéristiques psychophysiologiques a permis de mieux adapter

les éclairages en évitant les luminosités insuffisantes que les contrastes éblouissants

-les études sur le vieillissement ont permis de mettre en garde contre la conception de

dispositif réservé exclusivement à une catégorie de travailleurs « normaux ». 1212

Cette ergonomie fait l’économie d’une analyse de travail des opérateurs-acteurs dans

leurs situations locales spécifiques. Une économie de l’analyse des tâches, ramenées à la

consultation de catalogues préétablis. C’est dans cette perspective qu’ont été publiées des

normes ergonomiques qui définissent des limites à ne pas dépasser, et devraient permettre

ainsi d’éviter des postures pénibles, des températures trop élevées, des atmosphères toxiques,

ou des lectures à l’écran fatigantes. Il est clair que cette ergonomie ne propose ni méthode, ni

concept, ni grille susceptible de servir l’analyse d’une organisation de la maîtrise de risques

majeurs. L’approche de l’ergonomie centrée sur l’utilisateur standard peine à s’aventurer sur

le domaine de la psychologie cognitive, cherchant vainement à y identifier des mécanismes de

bases, et à y édicter des normes. Cette approche ne semble pas pertinente. 1313

II- Second courant : L’homme comme acteur dans un système de travail.

(courant Français).

1212 François darses ; Maurice de Montmollin : « L’ergonomie. » ; Ed. La découverte.2006. p.13.1313 Emmanuel Plot : « Quelle organisation pour la maîtrise des risques industriels majeurs ? Mécanismes cognitifs et comportementaux. » ; ed. L’Harmattan. 2007.P.27.

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Cependant, dans la perspective de concevoir des postes de travail sur les standards

humains, s’est profilée la question de savoir « à quel homme le travail devait être adapté »

(Wisner, 1995). Les travailleurs ne sont pas taillés sur le même moule ; ils présentent des

caractéristiques différentes telles l’âge, le sexe, la taille. Si on peut parler de diversité et de

variabilité de l’homme au travail, il faut parler aussi de la diversité et de la variabilité des

situations dans lesquelles prend lieu l’activité productive (Daniellou, & Béguin, 2004). Cette

prise en compte de la variabilité humaine et de la diversité des situations a poussé les

ergonomes francophones à « sortir du laboratoire » où l’on déterminait les seuils de tolérance

au bruit, à la lumière, à certaines postures de manière universelle, applicable à tout humain et

transférable à toute situation, pour aller sur le terrain à la rencontre des travailleurs (Wisner,

1995). C’est précisément ce qui différencie une ergonomie de langue française, plus

adéquatement désignée comme ergonomie de l’activité parce que centrée sur l’activité

humaine et non sur les objets techniques (Laville, 2004; Montmollin, 1986). Elle répond au

besoin de mener des interventions dans les entreprises à la demande des milieux de travail

pour améliorer les conditions de travail sur la base d’analyses en situation

Si l’ergonomie s’intéresse à l’efficacité des systèmes homme-machine dans leur

caractère normatif et la conception de produit dans le courant anglo-saxon. L’ergonomie

Francophone se spécialise dans la compréhension de l’activité réelle du travail. Les principes

et méthodes e l’ergonomie francophone pour l’analyse d’une situation de travail s’appuient

sur la distinction entre le travail prescrit (ou la tâche) et le travail réel (ou activité réelle). Le

travail prescrit correspond à la prescription de ce qui est attendu et qui devrait être fait dans un

contexte particulier, de même qu’à l’objectif qui doit être atteint. Le travail réel quant à lui

(ou l’activité) est considéré comme le point de rencontre des contraintes et ressources diverses

et non stables qui proviennent des exigences de la tâche et de l’environnement matériel et

humain d’un coté, et, de l’autre, des caractéristiques, contraintes et ressources internes,

propres à l’opérateur, diverses et non stables, elle aussi. 1414

a-Qu’est-ce que l’analyse ergonomique du travail ?

1414 Jeau-Paul Martinez, Gérard Boutin : « La prévention de l’échec Scolaire. ». ed . presse universitaire du Quebec.2008. P.128.

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Pour mener de telles interventions, ce courant de l’ergonomie mobilise une

méthodologie spécifique : l’analyse ergonomique du travail. Cette analyse du travail « vise à

produire des connaissances comme à orienter les actions en vue de la transformation du

travail » (Leplat, 1997, p. 107). C’est une méthodologie d’intervention qui se décompose en

six étapes (Daniellou, 1996; Guérin, Laville, Daniellou, Duraffourg, & Kerguelen, 1991;

Wisner, 1995) au cours desquelles plusieurs méthodes peuvent être convoquées.

L’analyse de la demande vise tout d’abord à évaluer jusqu’à quel point la commande

formulée par l’entreprise correspond au problème réel qui semble se manifester. On peut

faire une distinction entre la demande officielle et le besoin réel. Une demande officielle

peut dissimuler un autre problème ou des enjeux plus profonds que n’est prête à l’admettre

dans un premier temps l’organisation. Par ailleurs, il importe aussi de se tourner du côté des

travailleurs afin de jauger comment ils comprennent la demande. L’analyse de la situation,

deuxième étape, vise à observer l’environnement, à prendre connaissance de la situation, du

contexte. L’analyse de la tâche arrive en troisième lieu et permet d’identifier ce que doivent

faire les opérateurs, ce que sont les procédures, les prescriptions. La quatrième étape,

l’analyse de l’activité, vise à dégager, in situ, ce que font réellement les acteurs.

Cinquièmement, la formulation du diagnostic peut dès lors suivre en tant qu’hypothèse sur la

situation, hypothèse qui devra être validée par les partenaires, opérateurs et décideurs de

l’entreprise. Ce n’est qu’à la sixième étape, après la validation, que se retrouve la formulation

de recommandations sous forme de pistes pour améliorer le travail ou résoudre le problème

de départ. C’est la quatrième étape (l’analyse de l’activité) qui représente en fait le cœur de

l’analyse ergonomique du travail. Elle consiste à procéder à une observation fine des gestes

des travailleurs, souvent en les faisant verbaliser. Au fondement de la démarche ergonomique

francophone, il y a donc ce regard précis sur l’activité de travail, non pas pour l’expliquer en

rapport à la personnalité de travailleurs, mais comme réponse à des contraintes

organisationnelles, aux conditions de travail. Les techniques utilisées dans ce dessein sont

multiples et comprennent les entretiens sur l’activité, l’observation, l’étude des traces et

l’expérimentation (Leplat, 2000; Noulin, 1996; Spérandio, 1980).1515

1515 Frédéric Yvon, Roseline Garon. : « Une forme d’analyse du travail pour développer et connaître le travail enseignant : l’auto confrontation croisée. » ; RECHERCHES QUALITATIVES −VOL.26(1), 2006, pp. 53. ISSN 1715-8705 – http://www.recherche-qualitative.qc.ca/Revue.html

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Cette approche de l’ergonomie ne cherche plus à améliorer le travail de l’utilisateur

abstrait et anonyme, mais celui d’opérateur réel et identifié. Elle privilégie la dynamique de

l’activité humaine dans le travail plutôt que la permanence des caractéristiques physiques et

physiologiques. Le travail est analysé comme un processus ou interagissent l’opérateur,

capable d’initiatives et de réactions, et son environnement sociotechnique, lui aussi évolutif et

modifiable. Le travail prend un sens dans toutes les acceptations du terme.

La dimension temporelle est essentielle. Sans elle, l’ergonome ne pourrait prendre en

compte ce dont il se délecte aujourd’hui : les stratégies de l’opérateur pour s’adapter et pour

adapter, les diagnostics qu’il élabore progressivement et les problèmes qu’il résout, les

incidents auxquels il participe et l’historique de leurs « récupérations ».

Une telle ergonomie, autant cognitive qu’anthropométrique ou physiologique, ne

résout pas, répétons-le, les mêmes problèmes que l’ergonomie des facteurs humains. Elle vise

autant l’intervention sur les lieux mêmes de la production que celle qui a lieu au sein des

bureaux d’études. C’est dans l’atelier, la salle de commande, le bureau et le service des

méthodes qu’intervient cet ergonome, afin d’améliorer localement le travail, c'est-à-dire

l’interaction entre l’opérateur et sa tâche, que ce soit pour améliorer le présent ou pour

concevoir le futur.1616

Les acteurs du domaine reconnaissent un caractère spécifique à l’ergonomie de langue

française. Cette spécificité se caractérise par le fait que l’ergonomie francophone est centrée

sur l’analyse ergonomique de l’activité en situation et situe les travailleurs comme sujets

actifs dans cette analyse. L’ergonomie de langue française ne cherche donc pas à traiter des

fonctions (psychologiques, physiologiques…) de l’homme mais de ses actions dans lesquelles

sont engagées ses fonctions. De plus :

-Elle a construit une réflexion sur les liens entre connaissances et action, celle-ci

devenant un objet d’étude.

-Elle s’est ouverte aux besoins nés de l’évolution de la population active et du travail

et elle a engagé des dialogues avec les autres disciplines concernées par le travail.

-Elle a réussi à être reconnue tant dans les structures de recherche et d’enseignement

que dans les entreprises.

b-distinction entre les deux courants :

1616 François darses ; Maurice de Montmollin : « L’ergonomie. » ; Ed. La découverte.2006. p.15.

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Comme le suggère Montmollin (1998), les distinctions entre ces courants reposent

davantage sur des discours que sur une connaissance des pratiques réelles des intervenants en

ergonomie. Or, notre expérience du milieu suggère que la réalité rend difficile, pour le client,

l’association des pratiques des divers ergonomes à l’un ou l’autre de ces deux courants. Deux

phénomènes sont ici en cause.

D’abord, les termes et techniques utilisés par les intervenants portent à confusion. Par

exemple, certains qualifieront de « diagnostic d’activité » les mesures (hauteur du plan de

travail, ambiance lumineuse, etc.) et les calculs statistiques sur les comportements posturaux

et gestuels réalisés au poste pour juger de son degré d’adéquation aux normes ergonomiques.

Il faut être un client très averti pour savoir que la démarche, pourtant fondée sur des

observations sur le terrain (et éventuellement des enregistrements vidéo) ne permet pas

nécessairement de documenter  « la conduite des opérateurs de leur point de vue ».

Ensuite, plusieurs interventions ergonomiques se situent en fait dans une zone grise,

quelque part entre le Human factors « pur » et l’Ergonomie centrée sur l’activité « pure ». En

d’autres termes, entre ces deux pôles se profilent une panoplie de pratiques qui ne peuvent

être exclusivement et strictement associées à l’un ou l’autre des deux courants. D’abord, parce

que ces deux courants peuvent être considérés comme complémentaires plutôt

qu’opposés (Montmollin, 1997) : l’intervenant formé à l’analyse d’activité aura aussi

éventuellement recours aux données issues du Human factors (bien que la mise aux normes

sera assujettie à la conception d’un poste autour d’une activité, comme nous le verrons plus

loin) ; en retour, une application “intelligente” des normes requiert généralement de connaître

un tant soit peu la logique que cachent les comportements observables des opérateurs. 1717

Tableau récapitulatif des différences entre les courants d’ergonomies

1717 Fernande Lamonde , Micheline Beaudoin , Philippe Beaufort. : « Besoin d’un ergonome : quand et lequel ? ». La prévention au troisième millénaire : l’action au quotidien, Comptes rendus du 22e congrès de l’Association québécoise pour l’hygiène, la santé et la sécurité du travail, Québec : 22-25 mai 2000,P. 25.

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