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Revue néo-scolastique de philosophie Trois ouvrages importants sur la philosophie de Platon Auguste Mansion Citer ce document / Cite this document : Mansion Auguste. Trois ouvrages importants sur la philosophie de Platon. In: Revue néo-scolastique de philosophie. 40année, Deuxième série, n°54, 1937. pp. 267-278. doi : 10.3406/phlou.1937.3034 http://www.persee.fr/doc/phlou_0776-555x_1937_num_40_54_3034 Document généré le 25/09/2015

Les 3 ouvrages importants de platon

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Revue néo-scolastique dephilosophie

Trois ouvrages importants sur la philosophie de PlatonAuguste Mansion

Citer ce document / Cite this document :

Mansion Auguste. Trois ouvrages importants sur la philosophie de Platon. In: Revue néo-scolastique de philosophie. 40ᵉ

année, Deuxième série, n°54, 1937. pp. 267-278.

doi : 10.3406/phlou.1937.3034

http://www.persee.fr/doc/phlou_0776-555x_1937_num_40_54_3034

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ÉTUDES CRITIQUES

TROIS OUVRAGES IMPORTANTS

SUR LA PHILOSOPHIE DE PLATON

Par son objet l'ouvrage de M. Frutiger sur les Mythes de Platon (1) semble, à première vue, ne toucher qu'un point spécial de l'oeuvre littéraire de ce dernier et n'atteindre que de biais sa philosophie. En réalité, c'est de façon directe ou indirecte toute l'interprétation du platonisme des Dialogues, qui est mise en cause. On voit du coup l'importance d'une telle étude et le doigté qu'elle suppose pour être menée à bien. L'ouvrage, d'ailleurs, a reçu un accueil favorable, en raison, sans doute, du souci d'objectivité de l'auteur, de ses efforts constants en vue d'éviter tout parti pris, encore plus peut-être que des analyses minutieuses auxquelles il s'est livré et de l'examen exhaustif et détaillé, qu'il a fait des opinions des critiques en la matière.

Dans la première partie de son livre (pp. 11-144) M. F. s'attache à déterminer le domaine du « mythique » dans Platon, de manière à pouvoir procéder ensuite avec sécurité à une étude du mythe lui-même et surtout de sa signification philosophique. Après avoir discuté et rejeté les critériums mis en avant par ses devanciers pour distinguer le mythique du dialectique, il en propose un autre, obtenu en relevant les caractères communs à quelque trente-cinq mythes ou passages mythiques, reconnus universellement comme tels dans l'oeuvre de Platon. La méthode est excellente et l'application qui en est faite est sans doute fort judicieuse. Mais l'exposé est vicié par la position même du problème, reprise aux essais des prédécesseurs : on s'efforce de distinguer le mythique du dialectique, comme si une opposition de l'un à l'autre était donnée d'avance et sans définir d'ailleurs au préalable ce qu'on

<*> Perceval FRUTIGER, Les mythes de Platon (Bibliothèque de Philosophie contemporaine). Un vol. 23 X 14 de 295 pp. Paris, Alcan, 1930; prix: 35 fr.

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entend par « dialectique ». Car il ne s'agit pas, M. F. en convient expressément, de caractériser le « dialectique >> en' le rattachant exclusivement à la forme extérieure du dialogue, cette forme n'y étant même pas strictement requise. Alors, vise-t-on le caractère scientifique — au sens platonicien de ce dernier terme — de l'exposé ? En quelque mesure, sans doute ; mais encore, ce caractère — dialectique ou scientifique — de l'exposé s'entend-il de la forme de l'argumentation, de la structure des raisons mises en œuvre dans le discours, — ou bien plutôt s'agit-il du fond, de l'objet, en tant qu'il est de sa nature susceptible de connaissance « scientifique » et s'oppose de ce fait à un objet d'une nature inférieure, objet à ce titre d'une connaissance inférieure aussi et essentiellement imparfaite? — C'est à cette dernière manière d'envisager les choses que paraît s'arrêter davantage l'auteur, d'abord, là où il ramène aux mythes les passages qui, sans en avoir tous les caractères extérieurs, y sont toutefois assimilables, — sans doute en raison de la matière sur laquelle ils portent (p. 37), — et, ensuite, là surtout où il exclut de la catégorie des mythes toutes les allégories proprement dites (pp. 101-105).

Mais on voit immédiatement à quelles impasses mènerait cette interprétation entendue d'une façon rigoureuse. Et, d'autre part, elle entraîne, malgré tout, une conception bâtarde du mythe, caractérisé en partie par sa forme extérieure — il implique en toute hypothèse l'emploi d'images, fût-ce d'images à peine dessinées, — caractérisé, en même temps, par la nature de l'objet représenté. Aussi ne s'étonnera-t-on pas d'entendre M. F. déclarer finalement (p. 144) « que mythique et dialectique sont des valeurs toutes relatives, ou, si l'on préfère, deux pôles entre lesquels il s'agit de tracer une ligne idéale ».

Alors doit-on taxer d'inutiles les deux longs chapitres, qui aboutissent à cette conclusion décevante, et les analyses aussi soignées que perspicaces qui en forment la trame ? (Chap. Ill : Revue des passages mythiques, pp. 38-97; chap. IV : Revue des passages faussement considérés comme mythiques (allégories, prosopopées, discours divers, traditions concernant l'immortalité de l'âme), pp. 98- 144). — Du tout; car ce sont précisément ces analyses qui mettent en lumière l'infinie diversité des mythes comparés entre eux, les dégradations presque insensibles qui mènent de l'un à l'autre et de l'exposé purement dialectique, par le chemin de l'allégorie et du mythe allégorique, à la fable, dont le contenu doctrinal est

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réduit au minimum. Tout cela montre fort bien ce que l'entreprise de M. F. d'établir une classification des passages mythiques et non mythiques offre de théoriquement irréalisable ; mais du même coup, on aperçoit l'utilité pratique de cette tentative, exécutée de main de maître : cette utilité se traduit tout d'abord par une claire vue des limites et des imperfections inhérentes à toute définition générale, voire à toute description du mythe platonicien; mais elle éclate encore davantage en ce que la patiente analyse à laquelle on s'est livré, fait reconnaître d'emblée la possibilité de donner de la plupart des mythes une interprétation doctrinale suffisamment fondée, pourvu qu'on les prenne un à un, ou du moins groupe par groupe, et qu'on tienne compte à chaque fois des particularités propres à chacun d'eux.

Dans la seconde partie de son ouvrage, consacrée à l'interprétation philosophique des mythes (pp. 147-225), M. F. a fourni une démonstration, par le fait, de ce qu'on vient de dire. Il écarte d'abord, sans grand effort, les théories de ses devanciers. Puis, pour déterminer le rôle véritable des mythes dans les Dialogues, il en propose une nouvelle division en trois classes : mythes allégoriques, — mythes génétiques, — mythes parascientifiques. Les premiers sont relativement simples et n'offrent guère de difficultés d'interprétation. Les seconds représentent symboliquement suivant l'ordre d'un devenir des relations réelles ou logiques entre des éléments ou des êtres dont l'existence est simultanée : l'exemple classique d'un mythe de ce genre se trouve dans la cosmogonie du Timée. Les mythes parascientifiques ont, à leur tour, pour objet tout le domaine du probable et de l'opinion, cet ordre de réalités inférieures, rebelle à une connaissance scientifique stricte, au sens platonicien du mot science : de par la nature de l'objet la physique tout entière, l'eschatologie, les vues sur la structure de l'âme et de ses parties demeurent nécessairement au niveau du mythe. Il en résulte que celui-ci, sous des formes diverses et avec d'infinies nuances, complète dans la mesure du possible ce que le savoir purement rationnel a de fatalement déficient en face d'une réalité, qui, en raison de ses accointances avec le non-être, ne se laissera jamais entièrement étreindre par la pensée pure. — L'auteur arrive ainsi à rattacher intimement son exposé, touchant la signification doctrinale des divers mythes à l'interprétation traditionnelle de la théorie des Idées et aux principes fondamentaux de la noétique et de l'ontologie platonicienne. Ce n'est pas le

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moindre mérite de son ouvrage et c'est ce qui en assure l'intérêt au delà du problème spécial qu'il s'est efforcé d'élucider.

Dans la troisième partie de son livre (pp. 229-284), il étudie l'aspect littéraire des mythes, leurs origines dans l'histoire ou la tradition, et leur transfiguration dans l'oeuvre éblouissante du poète- philosophe. Dans cette partie, qui nous intéresse moins pour l'étude de la philosophie platonicienne, nous trouvons, comme dans les deux premières, une foule de renseignements historiques, de discussions relatives au sens des textes et aux détails de la doctrine ; d'un bout à l'autre l'ouvrage porte la marque de l'érudition et de la maîtrise de l'auteur, parfaitement au courant de l'immense littérature du sujet, dans laquelle d'ailleurs il sait faire son choix et se guider suivant des appréciations personnelles, qui témoignent d'un jugement fort sûr.

C'est la philosophie de Platon tout entière qu'embra3se M. Robin dans son récent volume de la collection des Grands Philo- sophes (2). Le Platon qu'en 1906 y publia l'abbé Piat demeure, après 30 ans, un répertoire consciencieux et bien documenté des idées maîtresses du fondateur de l'Académie, en un exposé basé sur une étude attentive des Dialogues et disposé suivant un ordre systématique. Toutefois l'importance des travaux de tout genre dont l'oeuvre et la pensée de Platon ont été l'objet durant le dernier quart de siècle, rendait souhaitable que l'ouvrage fût repris sur nouveaux frais par un historien bien au courant de la littérature du sujet et familiarisé de longue date avec les écrits de Platon et les témoignages de ses disciples immédiats. Ces titres peuvent être revendiqués sans aucun doute par M. L. Robin, auteur lui-même d'études spéciales bien connues : La théorie platonicienne des Idées et des Nombres d'après Aristote (1908), La théorie platonicienne de Y amour (1908; 2e éd. 1933), Etudes sur la signification et sur la place de la Physique dans la philosophie de Platon (1919), — éditeur, dans la collection Budé, du Phédon, du Banquet, du Phèdre (1926- 1933), dialogues précédés tous trois de longues notices dans lesquelles les divers problèmes qu'ils soulèvent sont soumis à un examen approfondi.

11 n'en reste pas moins qu'enfermer en moins de 350 pages

<2> Léon ROBIN, Platon (Les Grands Philosophes). Un vol. 23 X 14 de VIII- 364 pp. Paris, Alcan, 1935; prix: 35 fr.

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l'essentiel de la philosophie de Platon sans sacrifier les nuances est une entreprise ardue. M. Robin s'est expliqué dans son avant- propos sur la manière dont il entendait en tenter la réalisation. « Ce livre, écrit-il (p. Vil), repose sur un double postulat : l'un est que Platon est principalement un philosophe ; l'autre est que, à ce titre, il a ou essaie d'avoir une doctrine ». Le premier point ne fera pas difficulté sans doute pour ceux, du moins, qui ont pratiqué quelque peu les dialogues platoniciens ; après cela, la modestie ou la réserve de M. R., qui parle encore de « postulat » à propos du second point, surprendra peut-être un esprit non prévenu, je veux dire, celui qui, peu au courant des résultats obtenus par la critique au cours des derniers décenniums, est affranchi en même temps des préjugés qu'elle a fait naître et qu'elle entretient par ce qu'elle contient de tendancieux. On doit se rendre compte que M. R. réagit de façon modeste mais très ferme contre une tradition, qui vise à s'établir et qui, sous prétexte de magnifier le grand penseur que fut Platon, lui interdit d'avoir eu un système. Dès 1910, C. Ritter écrit dans son Platon (I, p. 280), au moment d'aborder l'exposé du contenu des Dialogues : « Die Philosophie Platons wird nicht wohl in Form eines Systems mit Gliederung nach den Hauptstûcken dargestellt werden kônnen ». — En 1926, M. A. E. Taylor renchérit encore et ne craint pas d'affirmer, dans la préface de son grand ouvrage sur Platon et son œuvre, ouvrage d'ailleurs de tous points remarquable, qu'il n'y avait rien que l'illustre penseur détestât autant que les constructions systématiques, que, s'il avait un système, il a refusé de nous l'exposer, et que, si nous voulons imposer de force un système à un esprit toujours en voie d'évolution, nous pouvons être assurés de n'aboutir qu'à une image déformante. — En réalité, cette horreur du « système m provient, pour une part, d'un secret scepticisme ou d'une défiance outrée vis-à-vis de toute doctrine ferme ; pour une autre, de la représentation qu'on se fait d'un système comme d'une construction figée, en ce sens qu'elle exclut tout enrichissement et tout développement, alors qu'un système vraiment digne de ce nom ne peut se concevoir qu'à la manière d'un organisme vivant, caractérisé par sa fécondité même : les vues directrices qui assurent la cohérence des parties et les relient entre elles, doivent être en même temps de telle nature qu'elles engendrent des vérités nouvelles, qu'elles permettent d'incorporer à l'ensemble des doctrines préexistantes, enfin et surtout qu'elles conduisent à une critique

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portant sur leur propre contenu en telle manière qu'elles se transforment en s'affinant et en s'approfondissant par une transfiguration qui peut atteindre tout le reste du système jusque dans ses détails les plus infimes.

A entendre les choses de cette façon, il est difficile de refuser à Platon une doctrine philosophique systématique, à moins de l'abaisser au rang d'un dilettante de la philosophie. On comprendra sans peine, par ailleurs, le plan suivi par M. R. dans la composition de son livre en raison du double présupposé dont il s'inspire ; il se propose de faire « un exposé de l'œuvre, comportant d'une part une distribution systématique des idées (dont on ne méconnaît pas l'enchevêtrement réel), et, d'autre part, une histoire de ces mêmes idées, c'est-à-dire que, dans chacun des domaines sur lesquels, une fois dissociés, on les aura groupées, on cherchera à dessiner la courbe probable de leur évolution » (p.VIIl). L'auteur, du reste, ne se dissimule pas les difficultés inhérentes à l'exécution d'un tel plan ; car, — et ici M. Taylor a pleinement raison, — si Platon a eu un système, il n'en a jamais exposé de façon expresse les principes directeurs, pas plus qu'il n'en a décrit l'agencement des parties. Il s'agit pour l'historien de retrouver à travers des discussions capricieuses, portant sur les sujets les plus divers, à travers des témoignages fragmentaires de disciples trop indépendants, le fil ténu d'une pensée cohérente, — d'une pensée partout sous-jacente, mais qui souvent n'en est encore qu'à se chercher, et qui, même là où elle s'est trouvée elle-même, ne va jamais jusqu'à s'affirmer au grand jour.

Aussi un ouvrage tel que celui de M. R. vaut-il bien plus par l'exécution que par le plan ; mais dans les limites auxquelles il lui a fallu restreindre son exposé, il ne lui restait guère de place pour donner la justification de ses assertions : il a dû se borner à rattacher celles-ci aux textes par des références continues, et, pour le reste, à indiquer de façon assez sommaire la base de ses reconstructions de doctrines. Dans ces conditions il n'est guère possible de juger de leur bien fondé sans refaire pour une bonne part le travail délicat d'exégèse et de critique qui y a mené. Encore moins peut-il être question d'émettre ici à leur sujet un jugement motivé. 11 suffira de rappeler l'accueil très favorable que le livre de M. R. a reçu de la part des platonisants les plus compétents, même les moins disposés à accepter ses « postulats » initiaux. Le lecteur, sans doute, nous saura gré davantage d'une esquisse rapide de la

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structure de l'ouvrage et d'une discussion rapide des quelques points particuliers.

Un premier chapitre traite de la vie et des écrits de Platon : les derniers résultats de la critique (quant à la date, l'authenticité, la signification doctrinale des divers dialogues) y sont résumés de main de maître et appréciés, quant à leur solidité, de façon personnelle et indépendante ; on relèvera la force et la franchise avec lesquelles est soulignée l'insuffisance des arguments apportés en faveur de l'authenticité des Lettres, y compris la 76 et la 86. — Les chap. II et III posent en somme les bases de la philosophie platonicienne : c'est le savoir, tel que l'entendait Platon, qui y est étudié, d'abord en sa nature et ses conditions internes, puis dans sa méthode et ses conditions de réalisation : réminiscence, rôle de l'amour, éducation scientifique, dialectique. — La partie centrale de l'ouvrage (chap. IV et V, pp. 100-252) est un essai de reconstruction de la théorie du réel de Platon. A la base la doctrine des Idées, — interprétée de façon constante dans un sens réaliste, — dans ses phases successives : la doctrine primitive, la crise qui s'affirme dans le Parménide, la forme plus élaborée et plus scolaire que prend ensuite la théorie d'après le témoignage d'Aristote, enfin les Idées et la théorie de l'être dans les derniers dialogues. On ne saurait assez louer l'auteur d'avoir traité l'important témoignage d'Aristote, non comme une donnée gênante dont on se débarrasse en la reléguant en appendice, mais en essayant au contraire de l'introduire à sa place dans l'organisme compliqué dont on s'efforce de décrire la croissance. Personne mieux d'ailleurs que M. R. n'était qualifié pour cette tâche difficile ; ceci nous fera regretter d'autant plus qu'il n'ait pas tenté de mettre encore davantage en lumière comment de façon concrète les doctrines visées par Aristote se rattachent à la philosophie des dialogues de la dernière période. — La suite de l'exposé a pour objet l'âme et sa structure, le monde matériel considéré dans son ensemble et ses principes constitutifs, aussi bien que dans ses diverses parties et dans leur organisation en un grand tout ; enfin, la divinité que M. R. identifie, en somme, à l'Idée du Bien, ou à l'Un ; on y reviendra à l'instant. — Dans un dernier chapitre très dense, l'auteur traite de la conduite humaine : théorie de la vertu, théories successives de l'Etat. Dès les premières pages il souligne ce que M. Diès dans maints travaux et notamment dans son petit volume de vulgarisation sur Platon (1930) avait déjà si vigoureusement fait

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ressortir : que pour Platon le problème moral est le problème total de la philosophie et qu'il commande toute la théorie de la science et la grandiose construction métaphysique qui en dépend. — Dans la conclusion de l'ouvrage (pp. 327-338) M. R. relève les divers aspects du platonisme, qui fournissent l'explication des courants de pensée si divergents auxquels historiquement il a donné lieu, suivant que l'on s'est attaché de façon plus ou moins exclusive à l'un d'entre ces aspects. — Puis viennent encore une bibliographie (pp. 339-346) qui a le grand mérite d'être une bibliographie choisie et choisie avec soin, et un index alphabétique couvrant 30 colonnes.

On a cru devoir louer M. R. de l'effort de systématisation remarquable, dont témoigne son ouvrage. Il serait exagéré de dire que cet effort a abouti partout à des résultats également satisfaisants. L'auteur a eu dans l'antiquité des prédécesseurs illustres, les Néoplatoniciens, qu'il connaît fort bien et chez qui tout sans doute n'est pas à rejeter. Il s'est inspiré d'eux à plus d'une reprise, mais c'est précisément alors que son interprétation de Platon devient, semble-t-il, le plus discutable. Ainsi l'explication par trop détaillée qui nous est proposée (pp. 200 et suiv.) de la tripartition de l'âmje dans le Timée, rapprochée de données empruntées au Phèdre. De même (p. 154), le rapprochement fait entre le navxeXwç 2v du Sophiste, doué de vie, d'activité et de mouvement, avec le Vivant en soi et l'âme-lieu des Idées dont parle Aristote, ce qui mène à une conception du monde idéal qui l'identifie à un intellect fort analogue à la seconde hypostase de Plotin. — On sait que déjà dans sa thèse en 1908 M. R. arrivait à une interprétation de la métaphysique platonicienne exposée par Aristote, peut-être trop voisine de la synthèse néoplatonicienne ; reprenant ces données et les combinant avec une exégèse assez personnelle du Phi- lèbe, il est amené à une conclusion fort intéressante concernant la transcendance des Idées : finalement le Bien serait la seule réalité véritablement transcendante, parce qu'inconditionnée, principe de toute relation et supérieure à toute relation (p. 169). On comprend que, dès lors, la logique de cette systématisation exigeait impérieusement l'identification du Dieu de Platon à l'Idée du Bien. Mais, sans doute, cette conclusion avec le sens un peu extrême qu'elle prend lorsqu'on la met en rapport avec de telles prémisses, ne s'en trouve-t-elle pas renforcée ; et l'effort de systématisation de M. R. pourrait-il en être discrédité aux yeux du lecteur qui garde un souvenir trop vif des nombreux textes suffisam-

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ment clairs des Dialogues, où il a cru trouver une multiplicité de Formes ou d'Idées douées d'une sorte d'indépendance et de transcendance qui s'accorde mal avec l'image systématique qu'on lui présente.

Ces points sans doute méritaient d'être relevés ; bien d'autres dans le remarquable ouvrage de M. R. pourraient donner lieu à une discussion fructueuse. Ceux qu'on a notés, ainsi que les indications générales sur le contenu et les tendances de l'œuvre, auront suffi, nous l'espérons, à montrer le profit et l'intérêt qui s'attachent à l'étude de la synthèse originale que nous offre l'auteur dans son exposé aux lignes sobres, solidement charpenté, et appuyé sur une documentation très étendue.

L'ouvrage de M. W. F. R. Hardie (3), très différent d'allures de celui de M. Robin, s'en rapproche étrangement par certains côtés. Etude plus spéciale d'abord, présentée d'ailleurs d'une façon originale et sympathique : une douzaine de chapitres bien délimités chacun, divisés eux-mêmes en paragraphes assez courts numérotés de façon continue de 1 à 168. L'objet étudié n'est plus la philosophie de Platon prise dans son ensemble, mais ce qui en constitue le point central, la théorie des Idées, avec un chapitre (le XIIe), qui se rattache du reste intimement aux précédents, sur l'âme et sur Dieu. Partant, lui aussi, du préjugé — excusable, sans doute, — que Platon, grand philosophe, a dû avoir une philosophie systématique, l'auteur s'est imposé la tâche ardue de discuter à fond raisonnements et doctrines, de manière à en préciser d'abord le sens exact, et à en déterminer ensuite, autant que possible, la valeur et la cohérence. Les principes de méthode qu'il met en avant, témoignent d'un jugement fort sain : on se gardera de croire que Platon ait écrit pour exposer son « système », mais, comme il n'a pas écrit pour ne rien dire, on en conclura qu'il n'est guère possible que les articulations et les pièces maîtresses de sa philosophie ne se laissent déceler en quelque mesure dans une œuvre aussi étendue et aussi profonde. On ne se dissimulera d'ailleurs pas les difficultés particulières que présente l'interprétation de cette œuvre, quand on veut y retrouver la pensée personnelle

(') W. F. R. Hardie, A Study in Plato. Un vol. 23 x!5 de 172 pp. Oxford, Clarendon Press; Londres, Oxford University Press, Humphrey Milford, 1936; prix : 8 s. 6 d. net.

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de l'auteur, soit qu'on prenne à part chaque dialogue, soit qu'on tente d'embrasser toute l'oeuvre dans son ensemble. D'autre part, le témoignage d'Aristote est une source qu'il n'est pas permis de négliger et, dès lors, il n'est que juste d'essayer de voir dans quelle mesure les vues qu'il attribue à son maître, se retrouvent, du moins en germe, dans les écrits de celui-ci. En outre, on devra tenir compte ici des lacunes, des imperfections, voire de l'infidélité partielle de ce témoignage, défauts résultant du changement de perspective, des déformations inhérentes à toute polémique, du génie si différent des deux grands penseurs; il faudra, dans chaque cas, s'efforcer de supputer dans quelle mesure ces divers facteurs font apparaître sous un faux jour l'enseignement platonicien.

Armé de principes aussi excellents, qu'il applique du reste fort judicieusement, W. F. R. H. engage avec les textes et les doctrines une discussion serrée, ne relâchant pas son emprise, qu'il n'en ait poursuivi jusqu'au dernier terme toutes les implications. Cela le mène plus d'une fois à des impasses ; dans d'autres cas, à des conclusions qui ne paraissent guère admissibles; mais aussi, dans les cas les plus favorables, à des interprétations personnelles qui méritent d'être relevées. Ainsi l'identification proposée — et brillamment défendue — entre les êtres mathématiques ou intermédiaires dont parle Aristote, et les objets de la « dianoia » dont il est question aux livres VI et VII de la République : ces objets ne seraient donc pas proprement des Idées. — Par contre, on jugera obscur et peu satisfaisant l'essai d'explication de la « séparation » des Idées : il s'agit de concilier les deux points de vue en apparence opposés de la transcendance des Idées et de leur immanence dans les choses d'expérience, représentés l'un et l'autre dans les textes platoniciens. Sans doute la séparation implique- t-elle que les Idées sont objet de science ou de connaissance, et non de perception ; mais ce n'est là qu'un minimum qu'il faut compléter et c'est ce complément qui suscite les difficultés. L'auteur d'ailleurs paraît s'en être créé inutilement en interprétant dès l'abord (p. 9) cette proposition : il existe des Formes ou Idées, dans le sens suivant : des universaux ont une existence indépendante de l'esprit qui les pense. Cette identification des Idées à des universaux pourrait avoir été inspirée à l'auteur, sans qu'il s'en doute, par les exposés d'Aristote ; or, si elle n'est pas à rejeter totalement, elle résulte néanmoins d'un déplacement du centre de perspective, car les Idées ne sont pas d'abord des uni-

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versaux, mais plutôt des essences, — abstraites, si l'on veut, ou prises en soi, sans le lien qui les unit à des réalisations particulières ; ce n'est qu'ensuite et par voie de conséquence, qu'elles deviennent des universaux logiques, présents en quelque sorte dans tous les cas particuliers réels et possibles, et c'est à ce point que se pose, sans encore se résoudre, le problème du sens de la participation, de l'immanence, ou de toute autre relation, en lesquelles s'exprime pour Platon le rapport de l'universel au particulier.

L'auteur fait une critique pénétrante des arguments assez faibles développés par le philosophe en vue de montrer que l'opinion n'a rien de stable et n'est pas, dès lors, une connaissance au sens plénier ; mais l'interprétation nouvelle qu'il en propose pour conserver à ces arguments leur valeur, ne semble guère admissible et n'aboutit en somme qu'à faire voir qu'au point de départ les données acceptées par Platon n'ont pas été soumises par lui à une discussion suffisamment approfondie. — De la seconde partie du Parménide M. W. F. R. H. soutient une interprétation qui se rattache à celle des Néoplatoniciens ; l'Un dont il est question dans la première hypothèse, devrait- s'entendre d'un principe transcendant, supérieur à toute connaissance proprement dite, et s'identifierait à l'Idée du Bien de la République ; l'auteur qui défend habilement ses positions, sent bien la difficulté de l'identification de l'Un interprété de cette façon avec le Bien, puisque c'est en vue de mettre l'apprenti philosophe à même de s'élever à la connaissance de cette Idée suprême que, dans la République, Platon détaille les étapes successives de l'ascension dialectique ; somme toute, la difficulté demeure. — On ne s'étonnera pas après cela de voir M. W. F. R. H. identifier aussi le Dieu de Platon avec l'Idée du Bien : cette conception cadre trop bien avec les doctrines maîtresses du platonisme en même, temps qu'avec les vues particulières rappelées à l'instant, pour qu'un auteur qui cherche à comprendre la philosophie platonicienne de façon systématique n'y soit pas amené presque nécessairement. Mais à côté de cela il y a les textes nombreux et disparates des Dialogues, où il s'agit de Dieu et des dieux, et leur conciliation avec ces vues théoriques est moins aisée ; l'auteur se tire assez bien des passages bien connus du Timée et des Lois, mais il n'a pas entrepris un examen complet et exhaustif des données littéraires du problème.

Même si l'on croit devoir rejeter ses conclusions, on ne peut que louer M. W. F. R. H. d'avoir tenté d'utiliser au maximum

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la tradition néoplatonicienne, tout comme il a eu le mérite de ne pas isoler le témoignage d'Aristote de l'œuvre laissée par Platon. Quant aux travaux modernes de langue anglaise, ils ont été largement mis à profit, avec une critique judicieuse des conclusions et des arguments qu'on y trouve développés. Par contre, n'était une unique citation de Stenzel, on pourrait croire que les publications qui ont vu le jour sur le continent sont demeurées complètement en dehors de la perspective de l'auteur. Il faut tenir compte d'ailleurs du fait que la composition de l'ouvrage a commencé il y a déjà plusieurs années ; c'est ainsi que les §§ 89-93 ont été ajoutés après coup, après la publication de la traduction du Parménide par A. E. Taylor, en 1934 (voir le compte rendu paru dans cette Revue en 1935, p. 260). On ne doit pas trop regretter que l'étude de la théorie des Idées n'ait pas été poussée jusqu'à celle des Idées-Nombres : rien que les discussions approfondies sur l'importance et la place des sciences mathématiques dans la pensée de Platon et sur sa conception des êtres intermédiaires y constituent une préparation, sinon indispensable, du moins excellente.

A. Mansion. Louvain.

OUVRAGES RÉCENTS DE PHILOSOPHIE

JURIDIQUE, SOCIALE ET MORALE

I. Le Problème des Sources du Droit Positif. — II. Droit, Morale, Mœurs. Annuaires de l'Institut International de Philosophie du Droit et de Sociologie juridique. Deux vol. 25 x 16, de 246, 294 pp. Paris, Sirey, 1934 et 1936.

Ces deux volumes contiennent les rapports présentés aux sessions d'octobre 1934 et 1935 de l'Institut ainsi que le résumé des discussions qui suivirent. Les rapporteurs sont des professeurs venus de seize pays différents, ils représentent les nuances les plus variées de la doctrine. Citons MM. Le Fur, président, Del Vecchio, Djuvara, Ganeff, Goodhart, Kelsen, Recasens Siches, vice-présidents, Gur- vitch et Réglade, secrétaires, auxquels nous ajouterons le P. Delos