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Simone Elkeles

ATTIRANCEET

CONFUSION

À ma plus grande fan, AmberMoosvi

Tu m’inspires par ta force.Tu m’inspires par ton courage.

Tu m’inspires.

Je n’oublierai jamais la petitephrase que tu m’as dite

quand je t’ai vue alors que tufaisais une chimio

à l’âge de 16 ans et menais taplus grande bataille :

N’ABANDONNE JAMAIS !

CHAPITRE 1DEREK

Je n’avais pas prévu de me faire

prendre. Je comptais réaliser untour tellement unique qu’on enparlerait pendant des décennies, etme voilà avec cinq amis dans lebureau du proviseur Crowe, obligéde l’écouter nous rabâchercomment notre farce ne l’a passeulement mis, lui, dans l’embarras,mais aussi tous les professeurs etmembres du conseil

d’administration de son« pensionnat prestigieux ».

— Qui passe aux aveux ?demande Crowe.

Jack et Sam sont en train debaliser. David, Jason et Rich ont dumal à ne pas éclater de rire. Moi,c’est loin d’être la première fois queje suis convoqué dans ce bureau,alors ça ne me fait plus aucun effet.

Pendant la semaine des examensfinaux à l’école privée RégentsPreparatory Academy, en Californie,les terminales bizutent les

premières. C’est la tradition. Cetteannée, les terminales ont réussi àmettre du colorant bleu dans nosdouches et à retirer toutes lesampoules des parties communes denotre dortoir. C’était légitime deleur rendre la monnaie de leurpièce. De faire mieux, même. Ilss’attendaient à ce qu’on prenne leurdortoir d’assaut ; on sentait bienqu’ils étaient tendus. Des guetteurstournaient en continu, prêts àdéfendre leur territoire.

Jack, mon colocataire, a eu la

brillante idée de graisser trois bébéscochons provenant de la ferme deson oncle et de les lâcher dans leurdortoir. Sam a suggéré de les lâcherplutôt pendant la remise desdiplômes. Et c’est moi qui ai eul’idée de les numéroter... numéroun, numéro trois et numéro quatre.Il a fallu s’y mettre à six pour yarriver. L’hymne de l’école étaitnotre point de repère pour lâcherles bestioles.

Je croyais que l’on avait réussisans se faire pincer, mais on s’est

tous fait convoquer chez leproviseur.

Martha, son adjointe, passe latête par la porte.

— Monsieur Crowe, on n’atoujours pas mis la main sur lenuméro deux.

Le proviseur s’énerve et gronde.S’il n’était pas aussi crétin, je luidirais de cesser les recherches, car iln’y a pas de numéro deux – çafaisait partie de la blague. Or c’est legenre de type qui n’a rien à foutredes élèves. Il veut juste faire savoir

à tout le monde que c’est lui le chef,qu’il peut distribuer des colles àtour de bras et virer des profscomme il l’entend. Je l’ai vu abuserde son pouvoir plus d’une fois, cetteannée.

— C’est moi le coupable !Je lance la phrase en exagérant

bien mon accent du Texas, puisquela simple idée qu’un péquenotfréquente son précieuxétablissement l’horripile. Plus d’unefois, il m’a reproché ma façon deparler, « carrément » ou « grave ».

Crowe se dresse devant moi.— Lesquels de vos p o t e s ici

présents vous ont aidé ?— Aucun, m’sieur. Je m’y suis

pris tout seul.Il agite un doigt devant moi.— Lorsque votre père apprendra

cela, il sera très déçu, Derek.Je sens ma colonne se serrer.

Mon père, autrement connu commecapitaine de frégate StevenFitzpatrick, est actuellement enmission, bloqué pour six mois dansun sous-marin, totalement coupé

du monde.Je réfléchis rapidement à ce que

peut bien faire Brandi, ma nouvellebelle-mère. Notre arrangement estparfait. Je reste à l’internat jusqu’àl’obtention de mon diplôme et elleloue une maison près de la basenavale avec le gamin de cinq ansqu’elle a eu d’un premier mariage.Si Crowe pense qu’elle sera déçue, ilse met le doigt dans l’œil.

Il remonte les épaules etm’adresse une de ses nombreusesgrimaces qui lui donnent une tête

d’ogre sous stéroïdes.— Vous comptez me faire avaler

que vous avez v o l é une descamionnettes de l’école, transportéquatre cochons à la cérémonie deremise des diplômes, graissé etlâché ces animaux tout seul ?

Je lance un regard à mes amis etleur fais signe de la boucler. Il n’y apas de raison qu’on se retrouvetous dans le pétrin seulement parceque Crowe n’a aucun sens del’humour.

— J’ai agi seul, monsieur. Et

techniquement, je n’ai pas volé lacamionnette, je l’ai empruntée.

Il y avait trois cochons, et on a dûs’y mettre à six, mais je garde çapour moi. Il va me filer des heuresde colle et m’ordonner de nettoyerles couloirs ou les toilettes, ou autrechose d’humiliant. Je m’en fous.Les colles pendant l’été seront unevraie partie de plaisir puisque, detoute manière, moins de vingt pourcent des élèves restent sur lecampus.

— Vous pouvez y aller, vous

autres, annonce Crowe.Il s’assoit bien droit dans son

grand fauteuil en cuir et empoignele téléphone tandis que mes amissortent.

— Martha, appelez MrsFitzpatrick et informez-la que sonbeau-fils est renvoyé.

Quoi ?— Renvoyé ?Je manque de m’étouffer. Pas

d’avertissement, de colle,d’exclusion temporaire ?

— C’était une blague innocente...

Il raccroche délicatement.— Renvoyé. Vos actes ont des

conséquences, monsieurFitzpatrick. Malgré les nombreuxavertissements suite à vostricheries, votre consommation dedrogue et vos blagues, vous avez ànouveau violé notre règlement etvous êtes montré indigne d’étudierà la Régents Preparatory Academy.Evidemment, cela signifie que vousne serez pas invité à nous rejoindrepour votre année de terminale.

Je reste scotché sur place. Je suis

en train de rêver. Je connais unedouzaine d’autres élèves qui se sontfait prendre pour des blagues sansrécolter le moindre avertissement.J’ai accidentellement fait tombermes notes par terre pendant unexamen et Mr Rappaport m’adénoncé pour tricherie. Quant à ladrogue... d’accord, je suis revenubourré d’une soirée. Mais j’ignoraisqu’on avait glissé de l’ecsta dansmon verre et n’avais pas prévu devomir sur la statue du fondateur del’école. Et ce n’est certainement pas

moi qui ai publié sur le site du lycéeles photos de moi en train degerber. Le terminale, membre duconseil des élèves, qui a fait le coup,n’a jamais été inquiété : personnene dénoncerait un type dont le cherpapa balance un paquet de fric àl’école chaque année.

— Vos examens finaux étantpassés. Je vais me montrermagnanime et vous laisser validervotre année de première. Parrespect pour votre père, je vousaccorde également quarante-huit

heures pour retirer vos affaires ducampus.

Il commence à gratter sur unpapier et lève les yeux ens’apercevant que je ne bouge pas.

— Ce sera tout, monsieurFitzpatrick. Magnanime ?

Je réalise l’ampleur de lasituation à mesure que j’approchedu dortoir des premières. On vientde me virer de l’école et je doisrentrer à la maison. Avec ma belle-mère qui vit dans sa bulle, son petitmonde. Quelle galère !

Assis au bord de son lit, Jack,mon colocataire, secoue la tête.

— Il paraît que Crowe t’a renvoyé.— Ouais.— Peut-être que si on retourne

tous le voir et qu’on dit la vérité, ilreviendra sur...

— Si ton père l’apprend, il te feravivre un enfer. Les autres serontdans la même galère.

— Tu ne devrais pas prendre pourles autres, Derek.

— Ne t’en fais pas, Crowe m’avaitdans le collimateur. Il a trouvé

l’excuse qu’il lui fallait pour mevirer. Je vais trouver une solution.

Une demi-heure plus tard, appel

de Brandi. Ma belle-mère est aucourant et fera les trois heures deroute entre San Diego et l’écoledemain. Elle ne crie pas, ne me faitpas la morale, ne se prend pas pourma mère. Elle dit juste qu’elleessaiera de convaincre Crowe derevenir sur sa décision. Comme siça allait marcher. Je doute queBrandi ait de grands talents

d’oratrice et n’ai pas vraimentconfiance en sa capacité depersuasion. Pour être honnête, jedoute même qu’elle ait terminé lelycée.

Le lendemain matin, je medemande toujours ce que je vaisfaire quand les agents de sécuritécognent à ma porte. On leur adonné l’ordre de m’escorterjusqu’au bureau du proviseur.

En traversant la cour, un agent dechaque côté, j’entends des messesbasses. Il est très rare qu’un élève

soit renvoyé... À l’entrée de l’accueilsont accrochées les photosd’anciens élèves devenus célèbres :athlètes, astronautes, membres duCongrès, grands hommes d’affaires.Il y a deux ans, j’aurais pu imaginermon portrait avec les leurs ; plusmaintenant.

Les portes du bureau de Crowes’ouvrent et mes yeux se fixent surla femme assise devant lui. C’estBrandi, mariée à mon père depuishuit mois. Elle a vingt-cinq ans :quatorze de moins que lui, et

seulement huit de plus que moi. Sestalons aiguilles orange sont assortisà ses immenses boucles d’oreillesqui lui pendent jusqu’aux épaules.Sa robe paraît deux tailles tropgrande, ce qui ne lui ressemble pas.D’habitude, elle porte des habitsmoulants très courts, comme si ellesortait en boîte. En tout cas, elle n’apas l’air à sa place dans ce bureautout en acajou et en cuir noir.

Brandi me regarde entrer, puisreporte son attention sur Crowe.

— Quels choix avons-nous ?

demande-t-elle en jouant avec sesboucles d’oreilles.

Crowe ferme le dossier sur sonbureau.

— Je suis désolé mais il n’est pasquestion de choix. Les crimesodieux impliquant des animaux nesont pas tolérés à la Régents,madame Fitzpatrick. Votre fils...

— Beau-fils, dis-je pour lecorriger.

Crowe me considère avec dégoût.— Votre beau-fils a dépassé les

bornes. Pour commencer, il semble

avoir abandonné toute activitéextrascolaire. De plus, il se rend àdes fêtes où circulent drogue etalcool. Sans oublier la tricherie auxexamens et la dégradation des biensde l’école en vomissant dessus.Cette blague avec des animaux deferme vivants a fait déborder levase... Nous nous sommes montréspatients avec Derek. Nous avonscompati aux problèmes qu’il arencontrés ces dernières années,mais cela n’excuse pas soncomportement de délinquant. Notre

devoir, ici, consiste à faire de nosjeunes élèves des citoyensproductifs et des dirigeantsresponsables de leur communautéet de leur environnement. De touteévidence, Derek ne souhaite plusparticiper à ce projet.

La remarque me fait lever lesyeux au ciel.

— Vous ne pouvez pas lui donnerdu travail d’intérêt général ou,genre, lui faire écrire un trucc o m m e une lettre d’excuse ?demande Brandi en tapotant ses

ongles vernis contre son sac à mainet en faisant tinter ses bracelets.

— J’ai bien peur que non,madame Fitzpatrick. Derek ne melaisse pas d’autre choix que de lerenvoyer.

— Et, genre, quand vous ditesrenvoyer, vous voulez dire qu’il nepourra pas revenir pour saterminale ?

Un rayon de lumière brille surson alliance, triste rappel de sonmariage à mon père.

— C’est tout à fait cela. Je suis

pieds et poings liés.Quel menteur ! C’est lui qui

décide des règles et les change enfonction de ses besoins. Mais je nele mettrai pas devant sescontradictions. Ça ne servirait àrien.

— Ma décision est prise, poursuitCrowe. Si vous souhaitez un recoursdevant le conseil d’administration,dont la majorité des membres ontassisté à la débâcle d’hier pendantla remise des diplômes, libre à vousde remplir les formulaires prévus à

cet effet. Je dois vous prévenir quele processus est long et les chancesd’un résultat positif bien minces. Aprésent, si vous voulez bienm’excuser, nous n’avons toujourspas retrouvé un des animaux quevotre beau-fils a lâché dans lanature...

Brandi entrouvre les lèvres dansun dernier petit effort pour leconvaincre, mais Crowe lui cloue lebec d’un mouvement du poignetvers la sortie.

Elle me suit jusqu’au dortoir en

faisant claquer ses talons aiguillessur le pavé. Clac, clac, clac, clac. Jen’y avais pas fait attention dans lebureau, mais elle a vraiment pris dupoids depuis notre dernièrerencontre. Elle se fiche que tout lemonde la regarde avec sonaccoutrement ridicule, sa grossecrinière blonde et ses rajoutsinterminables. Telle que je laconnais, elle ne doit même pas serendre compte des réactions qu’elleprovoque.

Mon père m’avait fait asseoir

pour m’annoncer qu’ils allaient semarier et que Brandi le rendaitheureux. C’est la seule raison pourlaquelle je la tolère.

— Peut-être que c’est une bonnechose, finalement, lance-t-elled’une voix enjouée qui porte àtravers toute la cour.

— Une bonne chose ?Je ricane en me tournant vers

elle :— On peut savoir ce qu’il y a de

bien exactement ?— J’ai décidé de retourner vivre

dans ma famille, à Chicago. Commeton père est parti pour six mois, jepense que c’est la meilleure chose àfaire pour Julian. A l’automne, ilentrera en maternelle, tu sais.

Elle me fait un grand sourire.Elle doit s’attendre à ce que je

saute de joie. Ou que je lui rendeson sourire. Elle rêve...

— Brandi, je ne déménagerai pasà Chicago.

— Ne sois pas bête, tu vas adorerChicago, Derek. Il y a de la neige enhiver et, en automne, les feuilles

ont, genre, des couleurs tropbelles...

— Tu plaisantes ? Ne le prendspas mal mais toi et moi, on n’estpas vraiment une famille. Parteztous à Chicago si vous voulez. Moi,je reste à San Diego.

Je la vois se mordre la lèvre.— A ce propos... j’ai rompu le bail.

Une nouvelle famille emménageradans la maison la semaineprochaine. J’allais t’en parler maisje savais que tes examens finauxapprochaient et, comme tu devais

passer tout l’été sur le campus, jeme disais, genre, que c’était pasurgent.

L’horreur me serre le ventre.— Tu es en train de dire que,

genre, j’ai pas d’endroit où habiter ?— Bien sûr que si, répond-elle en

souriant. A Chicago, avec Julian etmoi.

— Brandi, enfin, tu ne peux pascroire honnêtement que je vaisbouger à Chicago pour materminale ?

On quitte Chicago pour la

Californie, pas l’inverse.— Je te promets que tu vas

adorer Chicago !Non...Malheureusement, je n’ai

personne chez qui aller enCalifornie. Mes grands-parentspaternels sont morts et j’ai crucomprendre que mon grand-pèrematernel était décédé il y a quelquetemps. Quant à ma grand-mèrematernelle... disons qu’elle vit auTexas, point. Plutôt crever qued’aller vivre avec elle.

— Je n’ai pas le choix, n’est-cepas ?

— Pas vraiment, dit-elle enhaussant les épaules. Ton père t’amis sous ma responsabilité. Si tu nepeux pas rester ici, il faudra que tuhabites avec moi... à Chicago.

Si elle prononce encore une foisce mot, ma tête va exploser. J’ail’impression d’être en pleincauchemar. J’espère que je vais meréveiller d’un instant à l’autre.

— Il y a encore une chose que jene t’ai pas dite, ajoute Brandi

comme si elle parlait à un gamin.Je me frotte le bas de la nuque ;

je sens un nœud en train de seformer.

— Quoi ?Elle pose une main sur son

ventre et lance, tout excitée :— Je suis enceinte !Putain. C’est. Pas. Vrai.Le nœud dans la nuque

commence à tirer de toutes parts,comme s’il voulait sortir. C’est uncauchemar, aucun doute...

J’ai envie qu’elle me dise que

c’est une blague, mais non. Déjàque mon père a épousé cette bimbo.Je pensais qu’il se rendrait comptede son erreur, mais maintenant...un bébé les lie à jamais.

J’en suis malade.— Je comptais garder le secret

jusqu’à ta venue pour la Fêtenationale, explique-t-elle,surexcitée. Surprise ! Ton père etmoi, on attend un enfant. Je croisque ton renvoi est un signe quenous devons tous vivre ensemble àChicago. En famille.

Elle se trompe. Je veux bien quemon renvoi soit le signe de quelquechose, mais pas de ça... C’est juste lesigne que ma vie est foutue.

CHAPITRE 2ASHTYN

Depuis ma première année au

lycée Fremont, je suis la seule filledans l’équipe de football américain,alors je ne m’en fais pas quandDieter, notre coach, crie auxgarçons de se couvrir lorsque je medirige vers le vestiaire avant lapremière séance de l’été. Quand jelui passe devant, mon entraîneurme tape dans le dos, comme à tousles garçons.

— Prête pour la terminale,Parker ?

— C’est la première semaine desvacances, coach. Laissez-moi enprofiter.

— N’en profite pas trop. Sois àfond pendant les entraînements etton stage au Texas. Je veux qu’ongagne, la saison prochaine.

— On gagnera le championnatd’Etat pour la première fois depuisquarante ans, coach ! crie un demes coéquipiers.

Le reste de l’équipe, moi y

compris, pousse des cris de joie. Ona failli intégrer ce championnat lasaison dernière, mais on a perduaux éliminatoires.

— Très bien, très bien, lanceDieter. Ne vous emballez pas. Oncommence par le plus important : lemoment est venu de voter pour lecapitaine qui vous conduira à lavictoire.

Le titre de capitaine est trèsconvoité dans mon école. Il y a untas de clubs et d’équipes sportives,mais une seule compte vraiment :

l’équipe de football américain. Jeregarde mon copain, LandonMcKnight, avec fierté, certaine qu’ilva être élu. C’est le quarterback del’équipe principale et on s’attend àce qu’il nous mène au championnatde l’Illinois. Son père étaitquarterback dans la NFL, la liguenationale de football américain, etLandon devrait suivre ses pas.L’année dernière, il a rameutéplusieurs fois des recruteursd’université pour qu’ils voient sonfils jouer. Avec son talent et son

réseau, il lui obtiendra sûrementune bourse.

On a commencé à sortirensemble au début de la saisondernière, quand Dieter m’a mise auposte de kicker de l’équipeprincipale. J’ai amélioré matechnique tout l’été avant monentrée en première ; cela en valait lapeine. Les garçons de l’équipe meregardaient à l’entraînement,prenaient les paris sur le nombre detirs que je pouvais marquerd’affilée.

Au début, j’étais complexée par lefait d’être la seule fille dansl’équipe. Je répondais peu, dansl’espoir de me faire accepter. Lesgarçons balançaient des remarquespour m’intimider mais je riais aveceux et répondais coup sur coup. Jen’ai jamais souhaité de traitementde faveur ; je me suis battue pourêtre considérée comme n’importequel joueur. Il se trouve que je suisune fille, c’est tout.

Dieter, dans son pantalon kakihabituel et son polo marqué

FREMONT REBELS du nom del’équipe en lettres brodées, me tendmon bulletin de vote. Landon mefait un signe de tête. Tout le mondesait qu’on est ensemble, mais nousrestons discrets à l’entraînement.

J’écris son nom sur le bulletin etle rends.

Dieter passe en revue notreprogramme d’entraînementpendant que ses assistantss’occupent du dépouillement.

— Vous ne gagnerez aucun matchle cul vissé sur votre chaise, s’écrie-

t-il au beau milieu de son discours.Cette année, on attend encore plusde recruteurs que d’habitude. Jesais que vous êtes nombreux àvouloir jouer en universitaire. Lesterminales, cette année, vous devrezmontrer ce que vous avez dans leventre.

Dieter ne dit pas ce que tout lemonde sait, à savoir que lesrecruteurs viennent surtout voirLandon. Mais leur présenceprofitera à tous.

Ce serait génial de jouer au

niveau universitaire. Pourtant, je neme fais aucune illusion : lesrecruteurs ne viendront pas taper àma porte. Seule une poignée defilles ont déjà été sélectionnéespour jouer dans des équipesuniversitaires, et la plupart, sansbourse d’étude, font de lafiguration. Sauf Katie Calhoun, lapremière fille à avoir obtenu unebourse pour jouer en Division 1. Jeferais n’importe quoi pour luiressembler.

J’ai dû regarder des matchs de

football avec mon père dès monplus jeune âge. Même après ledépart de ma mère, et ledésengagement de papa en tant quepère, on a continué à suivre l’équipedes Bears de Chicago. Lui-même aété kicker au lycée Fremont, il y aquarante ans, la première etdernière fois que le lycée aremporté le titre d’État. Labanderole du championnat flotteencore sur le mur du gymnase.

Je suppose qu’intégrer l’équipede football américain à mon arrivée

au lycée était une façon pour moi derenouer le contact avec mon père.Peut-être qu’en me voyant marquersuffisamment de points, il seraitimpressionné...

J’espérais qu’il viendraitm’encourager aux matchs, mais iln’est jamais venu. Pas une seulefois, et je vais entrer en terminale àl’automne. Ma mère, non plus, nem’a jamais vue jouer. Elle est partievivre à New York et je n’ai pas eu denouvelles d’elle depuis près d’un an.Un jour, je montrerai à mes parents

tout ce qu’ils ont raté ; ilscomprendront à quel point ils ontété nuls.

Heureusement, j’ai Landon à mescôtés.

Dieter conclut son grand discourspour nous booster quand un desassistants lui tend les résultats duvote. Il lit le papier en silence,acquiesce, puis écrit sur le tableaublanc :

CAPITAINE

ASHTYN PARKER

Hein ? quoi ?C’est impossible. J’ai dû mal lire.Je cligne des yeux tandis que mes

coéquipiers me tapent dans le dos.C’est bel et bien mon nom qui estécrit. Il n’y a pas d’erreur.

Jet Thacker, notre ailier fétiche,pousse un grand cri :

— Bien joué, Parker !Les autres scandent mon nom :

Parker ! Parker ! Parker !Je me tourne vers Landon, qui ne

décolle pas les yeux du tableau

blanc. J’aimerais qu’il me regarde,me félicite, ou me fasse comprendreque ça lui va. Mais non. Je sais qu’ilest choqué, et moi aussi. J’ail’impression que la Terre vient detrembler sur son axe.

Dieter donne un coup de sifflet.— Parker, dans mon bureau. Les

autres, vous pouvez y aller.— Bravo, Ashtyn, marmonne

Landon.Il s’arrête à peine devant moi en

sortant. Je voudrais le retenir, luidire que je ne comprends pas, mais

il disparaît avant que je ne puissefaire quoi que ce soit.

Je suis Dieter dans son bureau.— Félicitations, Parker.Il m’offre un écusson avec la

lettre C pour que je puisse le coudresur ma veste de sport. On en mettraun autre sur mon maillot.

— A partir du mois d’août, on severra chaque semaine avec tous lesentraîneurs. Tu devras maintenir tamoyenne et continuer à diriger tonéquipe, sur le terrain comme endehors.

Il détaille mes nouvellesresponsabilités avant de conclure :

— L’équipe compte sur toi, et moiaussi.

Je passe le doigt sur la piècebrodée, la repose sur le bureau etme redresse.

— Landon méritait ce poste,coach. Pas moi. Je vaisdémissionner et lui laisser ma...

— Je t’arrête tout de suite,Parker, m’interrompt-il d’un gestede la main. C’est toi qui viens d’êtreélue capitaine, pas McKnight. Je

n’ai aucun respect pour ceux quibaissent les bras lorsqu’on leurdemande d’agir pour leurscamarades. Tu comptes baisser lesbras ?

— Non, monsieur.Il me rend l’écusson.— Alors au boulot.De retour dans les vestiaires, je

m’appuie contre un casier et scrutel’écusson marqué d’un grand C.Capitaine. J’inspire profondémenten prenant la mesure desévénements. On m’a élue capitaine

de l’équipe de football américain...Moi, Ashtyn Parker... J e suis

honorée et reconnaissante enversmes coéquipiers. Cependant, jereste sous le choc.

Dehors, j’espère trouver Landonm’attendant devant ma voiture.Mais ce sont Victor Salazar et JetThacker qui discutent devant mavieille Dodge toute cabossée, quiaurait bien besoin d’un coup depeinture... et d’un nouveau moteur,tant qu’on y est.

Victor, notre linebacker central,

qui a plus de hargne que n’importequel joueur d’Illinois, n’est pasbavard. Son père possède en grostoute la ville et Vic doit obéir à tousses ordres. Quand il a le dos tourné,pourtant, Vic est sans limite, un vraidémon. C’est comme s’il se fichaitde vivre ou de mourir, et, pour cetteraison, il est redoutable sur leterrain.

Jet passe son bras autour de monépaule.

— Tu sais que Fairfield va sefrotter les mains en apprenant que

sa rivale va avoir une fille commecapitaine. Ces enfoirés ont balancédes œufs sur la maison de ChadYoung le jour de son élection, l’andernier. Du coup, on s’est vengés eton a couvert la maison de leurcapitaine avec du PQ. Fais gaffe àtoi, Parker. Quand la nouvelle auracirculé, tu seras prise pour cible.

— Je te défendrai, assure Vic d’unair bourru mais sincère.

— On te défendra tous, enchaîneJet. Sois-en sûre. Prise pour cible ?Je me répète que je peux gérer la

situation. Je suis forte, solide, et jen’ai pas l’habitude de me laisserfaire.

Je ne baisserai pas les bras.Après tout, je suis le nouveau

capitaine de l’équipe de football dulycée Fremont !

CHAPITRE 3DEREK

J’ai les muscles tendus alors que

nous nous garons enfin devant unemaison en brique rouge à deuxétages, dans la banlieue de Chicago.J’ai conduit le SUV de mon père etsuivi Brandi dans sa nouvelleToyota blanche aux jantes flashy.Trois jours de route...

Un homme âgé apparaît sur leperron. Ses cheveux brunscommencent à grisonner aux

tempes et il ne sourit pas. Ildévisage Brandi comme uneétrangère. C’est une confrontationet ni l’un ni l’autre ne semblentprêts à faire le premier pas.

J’ignore ce qu’il s’est passé entreBrandi et son vieux. Elle ne m’a pasexpliqué grand-chose, si ce n’estqu’elle est partie après le divorce deses parents et qu’elle n’est jamaisrevenue. Jusqu’à aujourd’hui.

Brandi prend Julian par la mainet hisse en haut des marches sonpetit garçon qui somnole.

— Je te présente mon fils. Julian,dis bonjour à Papy.

Le fils de Brandi est un gaminsuper qui userait les oreilles den’importe qui à force de parler.Mais là, il fait son timide et refusede saluer son grand-père. Il gardeles yeux rivés sur ses chaussures, etle vieux fait pareil.

Brandi finit par me présenterd’un geste de la main et son pèrerelève la tête :

— Et voici mon beau-fils, Derek.— Tu ne m’as jamais parlé d’un

beau-fils...Cela ne m’étonne pas que Brandi

ait oublié de lui parler de moi. Elleet le sens commun, ça fait deux.

Elle penche la tête de côté ; sesgrandes créoles rouges ressemblentà des anneaux de cirque. Elle doitavoir une paire de chaque couleurpour les accorder à sa garde-robe.

— Ah non ? Je suis tellementdistraite, j’ai dû oublier... Entre ledéménagement, les cartons et lereste... Derek peut s’installer dansle bureau ?

— Le bureau est rempli decartons. Et j’ai donné le vieuxcanapé qui s’y trouvait à une œuvrede charité.

Je me permets d’intervenir :— Si vous préférez, monsieur, je

dormirai sur le perron. Donnez-moijuste une couverture, jetez-moiquelques restes de temps en temps,ça devrait aller.

Dans les moments comme celui-là, je suis tellement nerveux que,malgré tous mes efforts, je suisincapable de retenir mes sarcasmes.

Le père de Brandi fixe son regardsur moi. Si je lâchais trois cochonscouverts de graisse dans son jardin,il les tuerait et les mangerait avantde me dépecer vivant.

— Tu plaisantes, s’exclameBrandi. Derek s’installera dans monancienne chambre avec Julian et jedormirai dans le canapé du salon.

— Je vais déplacer les cartons etmettre un matelas gonflable dans lebureau, conclut son père avecréticence en comprenant que jen’étais pas prêt à retourner en

Californie.— Ça me va, lui dis-je.De toute manière, je ne compte

pas m’éterniser dans cette maison.— Derek, est-ce que tu peux aider

mon père à rentrer nos affairesdans la maison pendant que jeborde Julian pour sa sieste ? Levoyage m’a épuisée et j’ai besoin deme reposer, moi aussi.

Je remarque qu’elle n’a pascraché le morceau à son père ausujet de sa grossesse. Elle ne pourrapas garder le secret bien longtemps.

Sans me laisser le temps derépondre, elle se glisse par la ported’entrée avec Julian et me planteavec le vieux grincheux, qui mesonde de haut en bas.Manifestement, je ne lui fais pasbonne impression.

— Quel âge tu as ? demande-t-ild’une voix rocailleuse.

— Dix-sept ans.— Ne m’appelle pas Papy.— Je n’en avais pas l’intention.— Bien, soupire-t-il. J’imagine

que tu peux m’appeler Gus.

Je dois avoir l’air aussi contentd’être là que lui de me recevoir chezlui.

— Tu rentres ou tu vas resterplanté là toute la journée à attendrequ’on t’invite ?

Il disparaît à l’intérieur. Je suistenté de ne pas le suivre mais je n’aipas vraiment le choix...

La maison est une vieillebaraque, avec un parquet sombre etdes meubles rentabilisés depuislongtemps. Les planches de boiscraquent sous mes pas, une vraie

maison hantée.Il me conduit le long d’un couloir

jusqu’à la pièce du fond et ouvre laporte.

— Voici ta chambre. Je veuxqu’elle reste propre, tu feras aussita lessive tout seul et tu te rendrasutile.

— J’aurai de l’argent de poche ?dis-je pour plaisanter. Son visagereste totalement inexpressif.

— T’es un rigolo, toi, hein ?— Quand les gens ont le sens de

l’humour, ouais.

Il grogne un bon coup en guise deréponse.

Gus fait demi-tour et je le suisjusqu’à la voiture. Je ne m’attendaispas à ce qu’il m’aide à déchargernos cartons. Pourtant, il ne nousfaut pas longtemps pour toutapporter à l’intérieur. On dépose lesaffaires de Julian et Brandi dansleur chambre, à l’étage, et lesmiennes dans le bureau. Nousn’échangeons pas un mot. Cettecohabitation promet... et pas dans lebon sens.

Je rassemble mes cartons dansun coin de ma chambre pour fairede la place quand Gus réapparaît.Sans un mot, il me tend un matelasgonflable et me laisse medébrouiller avec. J’ai du mal àcomprendre pourquoi Brandi tienttant à revenir vivre avec un pèrequi, de toute évidence, ne veut pasd’elle.

Mon père est tout le contraire dusien. Quand j’étais petit et qu’ilrentrait en permission, il était toutsourires à la seconde où il nous

apercevait. Il nous embrassait sifort, ma mère et moi, qu’on faisaitsemblant d’étouffer.

Le père de Brandi n’a même paspris sa fille dans ses bras, alorsqu’ils ne se sont pas vus depuis desannées. Ils ne se sont même passerré la main ou tapé dans le dos. Etil a à peine remarqué son proprepetit-fils.

Je glisse ma valise derrière laporte et jette un œil à ma nouvellechambre. Les murs sont couvertsd’un vieux lambris. Il y a des

cartons partout. Dans un coin setrouve une vieille cheminée qui n’apas dû servir depuis des siècles. Aumoins, deux fenêtres éclairent lapièce. Cet endroit n’a décidémentrien d’un chez-soi... Rien à voir nonplus avec l’internat du lycée, oùj’étais entouré d’amis. Quelle galèred’être ici.

Soudain, j’ai l’impressiond’étouffer et file dans le jardin, àl’arrière.

Il fait chaud, le soleil cogne ;j’enlève mon T-shirt et le glisse

dans la ceinture de mon jean.L’herbe est si haute qu’on n’ajamais dû la tondre. Je traverse lapelouse jusqu’à un cabanon en boisà la peinture effritée. Le vieuxcadenas sur le loquet est ouvert etj’ouvre la porte. A l’intérieur, desoutils de jardin rouillés pendent àdes crochets, des bombes depeinture et des sacs de désherbanttraînent sur un établi et des petitsseaux en métal jonchent le sol. J’enpousse un avec le pied et enramasse un autre en songeant à

tous les chamboulements qu’asubis ma vie depuis deux ans.

Je jure à mi-voix et jette le seau àtravers le cabanon. Le bruit dumétal résonne dans cet espaceexigu.

— Arrêtez ou j’appelle la police !s’écrie une voix de fille derrièremoi.

Je me tourne et découvre unenana canon qui doit avoir mon âge.Ses cheveux blonds sont rassemblésen une longue tresse qui descendsur sa poitrine. Elle bloque la sortie,

serrant une fourche rouillée entreles mains. On dirait qu’elle est prêteà me tuer, ce qui la rend à peinemoins jolie.

— Tu es qui, toi ? demandé-je.Je remarque alors son T-shirt

noir et son sweat à capuche assorti.On dirait une de ces guerrières sexyqu’on voit dans les jeux vidéo ou lesfilms d’action. Me battre contre elledans un jeu serait vraiment coolmais dans la vraie vie, ça ne me ditrien.

A côté d’elle se dresse un chien

monstrueux au poil gris et ras etaux yeux d’acier comme ceux de samaîtresse. Il gronde comme sij’étais de la viande fraîche et qu’iln’avait pas mangé depuis des mois.Des flots de bave volent à chaqueaboiement.

— Falkor, du calme ! ordonne laguerrière.

La bête se tait, mais sa bouche setord dangereusement. Il se tient àcôté d’elle comme un soldat, prêt àbondir.

— La racaille de Fairfield, vous

croyez que vous pouvez venir iciet...

Je lève une main pourinterrompre sa tirade. Moi, uneracaille ? C’est la meilleure. Cettefille ignore à qui elle parle. On nem’a jamais traité de racailleauparavant.

— Je suis désolé de te décevoir,chérie, mais je n’ai pas la moindreidée d’où se trouve Fairfield.

— Ben, voyons ! Prends-moi pourune idiote. Je ne suis pas ta chérie.Et laisse tomber ton faux accent du

Sud.Soudain, le chien est attiré par

des bruissements dans le jardin. Ilquitte son poste et bondit vers unebestiole malchanceuse.

— Falkor, reviens ! crie la fille.Mais il l’ignore complètement.Je fais un pas vers elle et la

sortie.— Pose cette fourche, s’il te

plaît...— Je te préviens... un pas de plus

et je te plante.Ses mains tremblantes me disent

qu’elle est incapable de mettre samenace à exécution.

Je lève les bras et fais mine deme rendre.

— Tu n’as pas vraiment envie deme planter.

— Oh, je crois que si.Elle ferme ses yeux féroces.

L’espace d’un instant, je suis certainqu’elle va baisser son arme, quandj’entends quelque chose craquerderrière moi – un outil qui tombesur le sol. Le bruit la surprend, elleaussi, et elle lâche la fourche... sur

mon pied !Quelle conne !Elle fixe la dent acérée qui

ressort de ma chaussure gauche etreste bouche bée. Puis, en un clind’œil, elle s’enfuit et claque la portederrière elle. L’obscuritém’enveloppe et j’entends le bruit ducadenas se refermer.

Je ne sais pas si je suis uneracaille, mais une chose est sûre :cette fille est une folle.

CHAPITRE 4ASHTYN

J’arrive pas à le croire, je viens de

planter quelqu’un ! Une racaille deFairfield que je voyais pour lapremière fois. Il était grand etbeaucoup trop mignon avec sescheveux bruns en bataille quiressortaient de son bonnet. Commesi cela ne suffisait pas, il se baladaittorse nu et il était parfaitementtaillé. Dans un autre contexte, jel’aurais pris pour un mannequin. Il

croyait sincèrement qu’il allaitpouvoir vandaliser notre propriétéavec ses vieilles bombes depeinture ? Ces abrutis de Fairfieldfont toujours du grabuge dans cettepartie de la ville. J’entends encorel’avertissement de Jet. On m’a éluecapitaine et je suis devenue unecible dès que la nouvelle s’estrépandue...

Je cours aussi vite que possiblevers la maison. Je refuse de céder àla panique, mais ce n’est pas gagné.

— Papa ! Il y a un type qui...

Ma voix s’estompe alors quej’aperçois une femme étrange dansnotre cuisine, debout devant leréfrigérateur ouvert. Elle porte unerobe d’été rouge et des bouclesd’oreilles assorties. J’ai l’impressionqu’elle veut voler notre nourriturequand, soudain, elle me fait unsourire éclatant :

— Salut ! Waouh, comme elle agrandi, ma sœurette ! Je n’en croispas mes yeux...

La femme n’est pas une voleuse.C’est ma sœur, Brandi. En chair et

en os. Je la reconnais, à présent...Une version plus âgée de la fille dedix-huit ans qui nous a quittés alorsque j’entrais au collège.

— Euh... salut, lui dis-je, un peuhébétée.

Papa m’a pourtant dit que Brandiallait passer quelque temps cheznous. Mais je ne l’ai pas cru, car masœur n’a ni appelé, ni écrit, e-mailou texto, depuis son départ quandj’avais dix ans. Pas même pourm’annoncer qu’elle avait eu un filsavec son ex, Nick, puis qu’elle

s’était mariée avec un gars de laNavy. Je l’ai appris en croisant parhasard un ancien ami à elle.

Son grand « salut » joyeuxpourrait laisser croire qu’elle estpartie hier, alors que ça fait septans.

Comme il y a un intrus dans lecabanon avec une fourche dans lepied, je préfère retarder nosretrouvailles.

— Où est Papa ?— Je crois qu’il est parti

travailler.

— Oh, non. C’est mauvais, ça.Je me mords la lèvre avec

inquiétude. Est-ce qu’on vam’arrêter ? Dieter ne sera pas ravid’apprendre qu’une heure aprèsmon élection, j’ai blessé quelqu’un.On oublie ma moyenne : planterdes gens dans le pied n’est pasdigne d’un capitaine. Mais j’ai unebonne excuse : je défendais lamaison... ou, plutôt, le cabanon.Qu’est-ce que je dois faire ? Appelerla police ou une ambulance ?

— Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

demande Brandi.— Hum... on a un petit problème

à l’arrière.Je tressaille au fil des mots.— Quel genre de problème ?— Je viens d’enfermer un joueur

de football américain de Fairfielddans notre cabanon. Ces mecs sontdes animaux.

Je lui explique rapidement et luifais signe de me suivre.

— Je lui ai dit de partir mais il arefusé. Je ne voulais pas le blesser.

Ma sœur me regarde, les yeux

écarquillés.— Tu l’as blessé ? O mon Dieu !

Qu’est-ce qu’on va faire ? Hum... jesais ! Derek va nous aider !

Ma sœur claque la porte duréfrigérateur et se précipite vers lebureau en hurlant :

— Derek !— C’est qui, Derek ?Ne trouvant personne, elle court

dans le salon, faisant voler sescheveux blonds décolorés.

— Derek, t’es là ?— C’est qui, ce Derek ?

Je croyais que son mari s’appelaitSteve. Il est censé être en mission etne doit pas revenir avant unmoment. Est-ce que Brandi l’a déjàjeté pour passer à un autre ? Ça nem’étonnerait pas. Elle n’a jamaisété très stable.

— Derek est mon beau-fils,Ashtyn.

Je la suis dans l’escalier.— Derek, on a besoin de ton

aide ! crie-t-elle encore. Où es-tu ?S o n beau-fils ? De quoi elle

parle ? Elle a un fils qui s’appelle

Julian, mais je n’ai jamais entenduparler d’un autre gamin.

— Tu as un beau-fils ?— Oui, l’enfant de Steve.— En quoi est-ce que le gamin de

Steve va nous être utile, Brandi ?Je la vois se retourner d’un coup

en fronçant les sourcils.— Derek n’a r i en d’un gamin,

Ashtyn. Il a dix-sept ans.Dix-sept ans ? Comme moi ?Soudain, j’ai un mauvais

pressentiment. Non, ça ne peut pasêtre lui. Et si...

— Est-ce qu’il est grand... avecdes yeux bleus, un accent du Sud, etun bonnet ?

Mon cœur bat si vite que j’ail’impression qu’il va m’arracher lapoitrine.

Les yeux de ma sœurs’écarquillent et on réalise en mêmetemps l’horrible erreur que j’aicommise. On se précipite vers lecabanon où j’arrive la première.Falkor, surexcité, aboie comme undément en agitant sa longue queue.

Brandi tambourine à la porte.

— Derek, c’est moi. Je t’en prie,dis-moi que, genre, tu ne vas paspisser le sang à en mourir.

— Pas encore, répond une voixétouffée. Brandi tire sur le cadenas.

— Ashtyn, où est la clé ? Hum...— La clé ?Toujours ces grands yeux

écarquillés.— Ouais, la c l é ! Tu sais, ces

machins en métal avec une formebizarre qui servent à ouvrir lesportes. Elle est où ?

— J’en sais rien.

— Tu blagues ? gémit Derek.— Ne t’inquiète pas, on va te

sortir de là, s’écrie ma sœur.Ashtyn, où est-ce que Papa rangeses grosses tenailles aiguisées ?

— Dans le cabanon...Elle ramasse alors une pierre et

commence à frapper le cadenas.— Je pourrais défoncer la porte,

s’exclame Derek, mais je ne suis passûr que le toit tienne.

— Non ! hurlé-je.Je ne veux pas être responsable

e t du pied tranché du beau-fils de

Brandi e t de l’effondrement d’unecabane sur sa tête. Il risque de finirbroyé. Et puis il y a beaucoup tropd’outils tranchants, qui pourraientlui couper des parties vraimentimportantes. Je me gratte la tête...Où peut bien se trouver cette clé ?Cette porte n’a pas été verrouilléedepuis des années.

— Attendez ! fait Brandi encessant de frapper avec son caillou.Laissez-moi réfléchir une seconde...

Je préfère ignorer le grognementprovenant du cabanon. J’ai une

idée.— Essaie de trouver un arrosoir,

Derek. Papa cachait un double de laclé dedans. Si tu la trouves, tun’auras qu’à la glisser sous la porte.Je sais qu’il fait noir mais...

— Je vais utiliser la lumière demon portable, répond Derek en semettant à fouiller. Trouvé !

Je n’aurais jamais cru que ce motme rendrait si heureuse.

Derek pousse la clé dans uninterstice. Brandi ouvre le cadenas,puis la porte, et je cherche son

beau-fils du regard. Derek et sesabdos sont appuyés contre l’établi.Il a l’air détendu ; peut-être un poilirrité, mais il ne se vide pas de sonsang.

— Derek, je te présente ma sœurAshtyn, annonce Brandi en seprécipitant sur lui. Ta, euh..., tantepar alliance. C’est marrant que vousayez le même âge, non ?

— Hilarant.Il secoue la tête. Il n’arrive pas à

y croire et il n’est pas le seul.Brandi pose son regard sur la

fourche qui gît à terre, puis inspectele pied de Derek. Il a un trou danssa chaussure gauche.

— Mon Dieu ! Tu l’as vraimentplanté !

Elle s’agenouille comme unevraie mère poule terrorisée etexamine la chaussure.

— Je l’ai pas fait exprès.— Au moins, elle ne sait pas

viser, enchaîne Derek avec une voixde séducteur. Elle m’a justeégratigné l’orteil.

Brandi se mordille la lèvre.

— Et le tétanos ? Le pédiatre deJulian dit qu’on peut mourir en secoupant avec un truc rouillé.

— T’inquiète pas, petit gars, lanceDerek à quelqu’un derrière moi. Onm’a fait un vaccin l’an dernier.

Petit gars ? Je me tourne pourvoir à qui il parle. Un adorable petitgarçon aux cheveux blonds nous arejoints, de toute évidence monneveu Julian. Il fixe le trou dans lachaussure de Derek puis medévisage, terrorisé, comme si j’étaisla Faucheuse venue sur Terre pour

récolter des âmes et les ramener enEnfer avec moi.

Brandi tapote la tête de son fils.— Ashtyn, je te présente Julian.

Julian, dis bonjour à Tatie Ashtyn.Julian refuse de me regarder ; il

admire Derek comme un héros.— N’aie pas peur d’elle, lui dit ce

d e r n i e r . Ta tante n’est pasméchante. Elle est juste folle.

CHAPITRE 5DEREK

Pendant le reste de la journée, je

fuis la guerrière psychopathe quim’a enfermé dans le cabanon. Elle,en revanche, ne semble pasressentir le besoin de m’éviter : aubeau milieu de ma conversationavec Jack au téléphone, elle débouledans le bureau sans frapper, sonchien de garde sur les talons.

— On a un compte à régler.Elle a les bras croisés sur la

poitrine, son molosse ancré dans lesol à côté d’elle. S’il pouvait croiserles pattes, lui aussi, il le ferait.

Amusé, je lève un sourcil.— Jack, je te rappelle.Je glisse mon portable dans ma

poche, m’appuie contre le mur etpose les pieds sur le carton marquéHABITS D’HIVER qui me sert detable basse.

— Mais réglons tout ce que tuveux. Mon ironie ne lui a paséchappé.

Elle préfère passer outre et

souffle un grand coup.— Tout d’abord, tu dois expliquer

à mon neveu que je ne suis pasfolle. Il refuse de me regarder.

J’en ai le pied qui frétille.— Ce n’est pas moi qui menace

des innocents avec une fourche etles accuse d’être des racailles.

— Ouais, ben peut-être que tuaurais dû me dire qui tu étais, dès ledépart, et éviter de porter un bonneten plein été. Ma sœur ne nous avaitpas dit qu’elle avait un beau-fils.Comment j’aurais pu savoir ?

— Moi, elle ne m’a pas dit qu’elleavait une sœur. Et mon bonnet... cen’est qu’un bonnet.

— On s’en fiche. Ça m’aperturbée.

— Pourquoi tu te prends autant latête ? Détends-toi...

J’agite le pied sous son nez.— Si ça peut te consoler, tu peux

me le masser et on sera quitte.Elle baisse les yeux vers mes

orteils avec dégoût.— Tu te trouves drôle, n’est-ce

pas ?

— Disons que je m’amuse unpeu, dis-je en regardant mon pied.J’imagine qu’on oublie pour lemassage ?

— Écoute, Cow-boy, dit-elle endécouvrant ma collection de bottesalignées dans un coin, on va mettreles choses au clair. Tu as peut-êtrel’habitude que les filles te massentles pieds ou fassent ce que tu veuxdès que tu souris ou montres tesabdos, mais ça ne marche pas avecmoi. Je suis avec des joueurs defootball américain du matin au soir

alors tomber sur un mec musclé,c’est comme voir une statue : ça neme fait rien du tout.

— Dis-moi, alors, comment je faispour attirer ton attention ?

— Ah, tu aimerais savoir...Plutôt, ouais. Et je sens que je

vais le savoir très bientôt. Ashtynest décidément une fille qui joueselon ses propres règles. Mais plusje l’énerve et plus je lui fais del’effet. Je m’apprête à lui sortir uneremarque bien trouvée quandFalkor pousse un grognement,

s’étire et se lèche les bonbons.— Ton chien a des problèmes, on

dirait.— On a tous des problèmes,

réplique-t-elle en me fixant droitdans les yeux. Mais ne va past’intéresser aux miens ou te mêlerde mes affaires.

— Ashtyn, me mêler de tesprécieuses affaires est bien ladernière chose dont j’ai envie. Tesaffaires, tes problèmes, peuimporte.

— Bien ! lance-t-elle en rejetant

sa tresse en arrière. Au moins, noussommes d’accord.

Brandi passe une tête par laporte, ses grandes boucles d’oreillesse balançant de part et d’autre deson visage.

— Comment tu te sens, Derek ?demande-t-elle avec une certaineinquiétude dans la voix.

— Ashtyn était sur le point de memasser le pied. Tu ne m’avais pasdit que ta sœur était douce commeun sucre d’orge.

Brandi pose une main contre son

cœur.— Oh. C’est super cool de ta part

de lui pardonner comme ça, Derek.Le dîner est prêt, c’est quand vousvoulez.

Elle s’en va et Ashtyn, les mainssur les hanches, lève un sourcil.

— Sucre d’orge, mon cul ! lâche-t-elle avant de s’éclipser. Dans lacuisine, le père de Brandi présideune table en chêne entourée de sixchaises en bois. Julian s’empiffre depurée sans la moindre trace depommes de terre véritables – sa

mère n’a jamais dû lui cuisinerautre chose que des boîtes. Ashtynest assise en face de lui. Elle lève latête et nos regards se croisent. Unmouvement de sourcil de ma part lafait replonger dans son assiette.

Je vais me laver les mains dansl’évier en faisant semblant, par purplaisir, de ne pas vouloir attirer sonattention.

— Tu as fait une bonne sieste,bonhomme ?

Julian acquiesce. J’aperçois untrès léger sourire sur son visage

quand je lui frotte la tête et meglisse à côté de lui... en face d’elle.

J’inspecte la nourriture sur latable : du poulet frit qui ne doitavoir de poulet que le nom, de lapurée instantanée et des pâtes quibaignent dans une sauce Alfredo. Ilfaudra que je fasse les courses detemps en temps si je veux mangerautrement que de l’industriel. Detoute évidence, manger sain n’estpas une priorité de la familleParker.

Discuter non plus.

Le silence n’est brisé que par letintement des couverts dans lesassiettes et un toussotementoccasionnel. Est-ce qu’ils sont tousles jours comme ça ? Mon père atoujours des histoires incroyables àraconter et ferait parler un muet. Cedoit être un talent inné, à moinsque ce ne soit une techniqued’interrogatoire apprise à l’armée.Quoi qu’il en soit, je n’ai pas ce don.Balancer de la purée à travers lapièce pour égayer la soirée seraitplus dans mes cordes, mais Ashtyn

risquerait de me planter avec safourchette.

Finalement, c’est elle qui selance :

— On m’a élue capitaine del’équipe de football, aujourd’hui.

Je dénote une pointe presqueimperceptible de fierté dans sa voix.C’est en effet un belaccomplissement.

— Waouh !— Tu joues au jeu du drapeau ?

lui demande Brandi.C’est mignon. Moi, je jouais dans

l’équipe des filles quand j’étais...— Je ne parle pas de drapeaux,

l’interrompt Ashtyn. Je joue avecles garçons, dans l’équipeprincipale, à Fremont. Sans lespetits bouts de chiffon.

— Ta sœur est un vrai garçonmanqué, commente Gus.

— Tu es lesbienne ? s’exclameBrandi.

J’essaie de ne pas éclater de rire,mais c’est vraiment difficile.

— Non, je ne suis pas lesbienne.J’ai un copain. C’est juste que...

j’aime jouer au foot et je suis douée.— Derek y jouait autrefois,

explique Brandi.— C’était il y a longtemps, dis-je

très rapidement.J’espère lui clouer le bec avant

qu’elle ne se lance dans un de sesgrands discours et lui raconte mavie. Ashtyn n’a pas besoin deconnaître mon passé.

— J’étais plutôt moyen, j’ajoutepour clore le débat. Cette fillemanie la fourche, je ne devrais pasêtre étonné qu’elle joue au football.

Et pourtant...Brandi agite les bras, tout excitée,

et tout le monde se tourne vers elle.— Ashtyn, j’ai une idée de génie.

Pourquoi tu ne sortirais pas, genre,ce soir, avec Derek, pour luiprésenter tes amis ?

Sa sœur fixe son regard dans lemien.

— J’avais des plans mais, euh...— Tu n’es pas obligée de me

sortir. De toute manière, je ne vaispas faire de vieux os après avoirconduit pendant trois jours.

J’aimerais juste aller courir et mecoucher tôt.

Pas besoin de baby-sitting, merci.— Le lac Michigan n’est pas loin,

renchérit Brandi.Tu peux courir sur la plage. Tu te

sentiras un peu en Californie.Je parierais ma couille gauche

que les plages de Chicago n’ont rienà voir avec les plages californiennes.

— Ou au stade du lycée, enchaîneAshtyn, un peu trop enthousiaste.Tout le monde court sur les pistesd’athlétisme, ici. Il y a un monde

f o u , à la plage, le soir. Je ne teconseille pas d’y aller.

Ha ! ha ! et toi, tu y seras trèscertainement...

— Qu’est-ce que tu comptesfaire ? demande soudain Gus à safille aînée. Tu ne comptes pastraîner là toute la journée, aumoins ?

L’heure est-elle venue de luiannoncer qu’elle est en cloque ?

— Je vais poser ma candidatureau salon de Debbie. J’aimerais meremettre à travailler quand Julian

aura commencé la maternelle etDerek sa terminale à Fremont.

Entre deux phrases, elle plante safourchette dans un morceau depoulet.

— Et je pense que Debbie meprendra pour les manucures quandj’aurai obtenu mon certificat, cetété.

Le père hoche la tête ; ildésapprouve totalement.

— Tu devrais plutôt t’inscrire à lafac du coin et suivre de vrais courssi tu veux pouvoir faire autre chose

que gagner le salaire minimum enfaisant les ongles. Ton mariagerisque de ne pas durer, tu sais.

Gus n’en rate pas une. Je pensaisla même chose avant d’apprendre lagrossesse de Brandi, mais je mesuis abstenu d’en parler. Je jette unœil à Julian, très concentré sur sonassiette. Pour m’assurer qu’il nes’intéresse pas a la conversation, jepose un morceau de poulet sur songenou et regarde Falkor leléchouiller. Ça le fait rigoler.

— Je ne suis pas faite pour les

vraies études, Papa. Tu le sais.Brandi baisse la tête. Son

optimisme habituel a beaum’énerver, là, elle a l’air totalementabattue en murmurant :

— Et mon mariage va bien, mercide t’en soucier. Elle hoche la tête etsoupire, frustrée. Elle ne va pasparler de sa grossesse.

Bien joué, Gus. Je fais signe àJulian d’offrir plus de restes àFalkor, en priant pour que le chienne confonde pas son petit doigt avecun hot dog.

— Tu n’étais pas bonne à l’écoleparce que tu ne t’appliquais pas.Quand on pense au temps que tu asperdu avec les garçons et lesemmerdes ! Si tu en avais passé lamoitié à étudier, tu aurais déjà undiplôme.

Ashtyn claque sa main contre sonfront et hoche la tête, gênée.

Sa sœur repose sa fourchette etne décolle pas les yeux de son père.

— On est vraiment repartis pourun tour ? Parce qu’on peut aussisortir d’ici et ne jamais te revoir,

comme pratiquement tous les gensque tu connais.

Gus bondit en faisant grincer sachaise si fort que Julian se boucheles oreilles. Puis il se tire. Onentend la porte d’entrée claquer, lespneus de sa voiture crisser, et lesilence revient.

Un simple regard vers Brandi etAshtyn me donne envie de filer àmon tour. Julian n’a pas l’air enmeilleur état.

Ashtyn fixe sa sœur d’un airaccusateur.

— Quoi ? demande celle-ciinnocemment. C’est lui qu’acommencé.

— Et si c’était toi qui avaiscommencé quand tu es partie il y asept ans ?

Je ressens sa colère à l’autre boutde la table. Mince alors, je meretrouve au milieu d’une nouvelleguerre civile.

— Tu es injuste.— Ben voyons, Brandi, répond sa

sœur en levant les yeux au ciel.Soudain, j’aperçois une larme

couler le long du visage de ma belle-mère. Elle l’essuie puis quitte latable. Julian court derrière elle ;Ashtyn et moi nous retrouvonsseuls.

— Vous devriez vous inscrire àcette émission de télé-réalité ;chaque semaine, c’est la famille laplus tarée qui gagne. Vous aveztoutes vos chances de toucher legros lot.

— Toi aussi, tu fais partie de cettefamille de tarés. Je regarde Ashtynd’un air amusé.

— Et en quel honneur ?— Sinon, tu serais resté en

Californie. Tu n’aurais pas suiviBrandi. Tu serais avec ta propremère. Ta mère biologique.

— C’est impossible, dis-je enm’éloignant de la table. Elle estmorte. Et toi, pourquoi tu ne vis pasavec ta mère ?

Je n’ai pas répondu. Je n’ai paspu ; je n’ai jamais été capable dedire à haute voix pourquoi ma mèrene vit plus avec nous. En réalité,elle est partie parce qu’elle en avaitmarre de son rôle d’épouse et demère. Je ne parle jamais d’elle,même avec Landon.

J’aurais mieux fait de me taire ausujet de la mère de Derek. Je me

CHAPITRE 6ASHTYN

sens vraiment mal, maintenant. Sij’avais su qu’elle n’était plus en vie,j’aurais évité d’en parler. Quand il anettoyé son assiette et m’a laisséeseule dans la cuisine, sa réponserésonnait toujours dans l’air. J’ai euenvie de le rappeler, de luidemander pardon, mais depuis quej’ai posé mon regard sur lui, je mebarricade et je ne contrôle plus ceque je dis.

Julian regardait Derek comme unsuper-héros. Je ne peux pas parlerfootball américain sans que ma

sœur parle de Derek. Puis elle veutque je m’occupe de lui. Bientôt,mon père regardera les matchs aveclui.

J’ai eu envie de me gifler àchaque fois que mon regardplongeait dans le sien. Il ne m’attirepas, non. Ses yeux ont une couleurunique, voilà tout.

Quand mon père m’a annoncéque Brandi réemménageait avecnous, j’espérais qu’on redeviendraitune famille. Je croyais que Julian etmoi serions tout de suite proches.

Au lieu de cela, à cause de Derek,mon neveu me prend pour unetarée. Il est temps pour moi de lefaire changer d’avis.

Je retrouve mon neveu dans lachambre de ma sœur, jouant avecune console portable.

— Coucou, Julian !Il ne repose pas sa console.— Salut.— Je sais que Derek t’a dit que je

suis folle. Mais c’est pas vrai.Il lève les yeux de son écran.— Je sais. Il m’a dit qu’il

plaisantait.— Bien.Je m’assois à côté de lui. Sans ses

cheveux blonds, c’est le portraitcraché de Nick. D’après ce que jesais, son père a laissé tomber masœur en découvrant qu’elle étaitenceinte. Je doute qu’elle l’ait revu ;Julian n’a jamais dû rencontrer sonpère biologique.

— Tu me fais un câlin ? Il hausseles épaules.

— Bon. Alors, quand tu serasprêt, je serai là. D’accord ? Il

acquiesce, toujours absorbé par sonjeu vidéo.

Je reste avec lui un quart d’heurepuis ma sœur entre et lui dit de sepréparer pour aller au lit. Elle agitco m m e si notre dispute dans lacuisine n’avait pas eu lieu, mais jela garde bien à l’esprit.

Landon, que je suis censéeretrouver à la plage, tout à l’heure,ne m’a pas téléphoné. Je vais dansm a chambre, ferme la porte etl’appelle.

— Allô ?

— Salut.— Désolé d’avoir filé après la

séance avec Dieter et de ne past’avoir appelée. Il fallait que jerentre aider ma mère pour un truc.

— Alors tu ne m’en veux pas ?— Pourquoi je t’en voudrais ?— Pour le poste de capitaine. Je

pensais vraiment que c’était toi quiserais élu.

Je sais qu’il y croyait, lui aussi. Jene peux pas m’empêcher de mesentir coupable, comme si j’avaispris sa place alors que je n’avais

rien fait pour.— Tant pis. Ce n’est pas grave.Pourtant, si. J’attends qu’il me

dise que j’ai travaillé dur et que jemérite d’être capitaine autant qu’unautre, mais rien ne vient. Et leretour de ma sœur et notre disputene m’aident pas à rester zen.

— On peut se voir seule à seul, cesoir ? Ma sœur est rentrée à lamaison ce matin et j’ai besoin deparler.

— Tout le monde se retrouve à laplage.

— Je sais mais je me sens... jesais pas.

— Écoute, ça t’a toujours gavéeque ta sœur soit partie. Maintenant,elle est là. Tu devrais être contente,Ash. Tu as eu ce que tu voulais.

Sauf que les choses ne sedéroulent pas comme prévu.

— Tu as raison.Je ne veux pas jouer la copine qui

se plaint tout le temps. Son ex, Lily,de notre école rivale Fairfield, seplaignait en permanence. Rienn’était jamais assez bien pour elle et

elle l’étouffait complètement. Je mesuis promis que je ne serais jamaiscomme elle. J’essaie d’être toujoursà fond, même quand je n’en ai pasenvie.

— Tu arrives quand ?— Je passe te prendre dans un

quart d’heure, conclut Landonavant de raccrocher.

Je me dépêche de m’habiller, jene peux franchement pas sortir avecLandon en T-shirt et pull à capuche.J’essaie sept tenues différentesavant d’appeler Monika, ma

meilleure amie, experte en matièrede mode. Je lui envoie des photosde chacune : son choix se porte surun short en jean et un petit hautrose plongeant qui met ma poitrineen valeur et révèle un brin de peauau niveau de la ceinture.

Je suis penchée au-dessus dulavabo de la salle de bains, en trainde mettre du gloss, quand Derekdébarque.

— Tu ne peux pas frapper ?— La porte était ouverte...Il s’appuie contre la cabine de

douche et me scrute avec ses yeuxbleu clair.

— Soirée câline en perspective ?— Oui.— Avec ton copain ?— Oui.— Il joue aussi au football ?— Ça ne te regarde pas, mais oui.Je me tourne vers lui. J’aimerais

lui trouver un défaut, uneimperfection, mais rien. Les fillesau lycée vont s’en donner à cœurjoie dès qu’elles le croiseront. Jevois d’ici les bagarres et les drames.

— Tu es là pour une raisonparticulière ou tu voulais juste merappeler qu’on doit partager unesalle de bains ?

— Faut que je me soulage. Çat’ennuie ?

— Berk !— Comme si ça ne t’arrivait

jamais.— Si, si. Simplement, je ne

ressens pas le besoin de l’annoncerau monde.

J’attrape mes affaires etm’apprête à sortir, mais je stoppe et

fais demi-tour.— N’ose même pas laisser la

lunette levée.— Sinon quoi ? demande-t-il tout

sourire.— Crois-moi, tu n’as pas envie de

savoir.De retour dans ma chambre, je

me demande si Derek a une copineet tente d’imaginer à quoi elle peutressembler. Non pas que celam’intéresse. A vrai dire, j’auraisplutôt pitié de la fille qui doitsupporter ce beau gosse trop

caustique et rusé.On sonne à la porte quelques

minutes plus tard. J’ai hâte de voirles yeux de Landon s’illuminer enme voyant toute pomponnée.J’attrape mon sac à main et meprécipite en bas.

— J’arrive !Landon m’attend dans l’entrée,

en jeans et chemise BCBG sur sapeau brune. Je l’embrasse sur leslèvres quand Derek apparaît enpantacourt avec RÉGENTSPREPARATORY ACADEMY brodé

sur une jambe. Je ne suis passurprise qu’il vienne d’une joliepetite école privée, vu son ego.Torse nu, il nous montre ses grosmuscles avec un air aussi assuréque Landon d’habitude. Je n’y suispas totalement insensible, quoiqueje prétende le contraire. Il y aquelque chose chez lui qui captemon regard, et je suis incapable d’yrésister.

— T’es qui, toi ? demande Landoncomme si c’était un intrus qu’ilfallait mettre à la porte à coups de

pied aux fesses.— Une petite racaille de

Californie, répond Derek en mefaisant un clin d’œil.

Il pousse la porte-moustiquairede l’entrée et sort, ses chaussuresde sport à la main.

Landon pointe le doigt vers laporte.

— C’était qui, celui-là ?— Le beau-fils de Brandi. Ne fais

pas attention à lui. J’agite une mainen l’air pour signifier que ce garçonqui vit dans le bureau ne compte

pas. Lui ne le quitte pas des yeux.— Son beau-fils ? J’aime pas ça.— Moi non plus.Je l’attrape par la main et le tire

dans la maison. Mon copain al’esprit de compétition et un niveaude testostérone au sommet. Ça ne ledérange pas que je traîne avec noscoéquipiers, mais il est jaloux desnon-initiés.

— Allez, on va fêter le début desvacances. J’ai besoin dedécompresser.

Dehors, Derek lace ses

chaussures, assis sur le perron.— Éclatez-vous bien, crie-t-il

alors que nous nous éloignons.— T’inquiète pas pour nous,

grogne Landon.Depuis la voiture, je ne peux

m’empêcher d’observer Derek. Nosregards se croisent et je sensl’adrénaline monter. J’aimeraisl’ignorer, faire comme s’il n’étaitpas là. Pourquoi est-ce si difficile dedétourner le regard ? J’ai lesentiment que le sien cache satristesse, ça nous fait un point

commun.Sur le chemin de la plage, le

téléphone de Landon dans le porte-gobelet se met à sonner. Je voiss’afficher le nom de Lily sur l’écran.

— Pourquoi est-ce que ton ext’appelle, Landon ?

II jette un œil au téléphone maisne décroche pas.

— Va savoir.— Je croyais que vous ne vous

parliez plus.— On se capte de temps en

temps. Rien d’important. Pourquoi

voudrait-il avoir des nouvelles deson ex alors qu’il se plaint d’elle enpermanence ? J’aimerais lui poserquelques questions, mais on arriveà la plage et il descend de voitureavant que je ne puisse poursuivre.

J’espérais que nous pourrionstrouver un endroit tranquille oùnous asseoir et discuter devant lefeu de camp, mais il m’abandonnepour aller traîner avec les autresgarçons. Je me joindrais bien à eux,mais j’ai une drôle de sensation, cesoir, et je préfère le laisser respirer.

Je refuse de l’étouffer comme lefaisait Lily avant moi.

Debout près de la voiture deVictor, Jet discute avec des copains,un pack de bières à la main. Dèsqu’il me voit, il me fait signe devenir.

— Salut, Capitaine ! lance-t-il enme serrant comme un ours par-derrière.

— Arrête, Jet.— Je sais que tu m’aimes, Ash.— Non, c’est faux. La plupart du

temps, je ne t’apprécie même pas,

dis-je en plaisantant. Vire tesgrosses pattes de là, garde-les pourles pauvres filles pures etinnocentes qui sont sensibles à tonbaratin.

Je lui mets un coup de coudedans les côtes.

— Landon est là. Ça va pas luiplaire. Jet éclate de rire.

— Pourquoi je déplairais à notrequarterback vedette ? Notre fierté,notre joie, le prince, la personne laplus importante de notre équipe...Le seul quarterback qui puisse nous

mener jusqu’au championnatd’État, une main attachée derrièrele dos...

— Du calme, Thacker, intervientVic pour le faire taire.

Après notre défaite auxéliminatoires, le journal local apublié un commentaire de Landondans lequel il blâmait Jet de ne pasavoir rattrapé ses deux dernièrespasses. Landon a dit qu’on avait malretranscrit ses paroles, mais Jet l’atout de même prispersonnellement. Depuis ce jour-là,

ils s’envoient des vannes sans arrêtet j’ai dû intervenir plusieurs foispour éviter que ça ne dégénère.

Jet pointe alors un doigt vers unefille en Bikini minuscule qui sepavane au bord de l’eau.

— A ton avis, j’ai mes chancesavec celle-là ?

— Plus qu’avec toutes les autres.Est-ce que je dois la prévenir que tune cherches qu’un coup d’un soir etqu’elle ne doit pas s’attendre à terevoir ?

L’idée fait sourire Vie.

— Surtout pas !Jet ne veut pas de copine. Il

« répand l’amour », comme il dit,en se tapant le plus possible defilles canon. Ce qui signifie aussiqu’il est taché avec la grandemajorité de la population fémininedu lycée de Fremont et desalentours.

J’ai dû sauver Jet plusieurs foisdes griffes de filles possessives etdésespérées par son attitude. J’aifait trop souvent semblant d’être sapetite amie pour compter. Je l’ai

prévenu qu’un jour il s’attacherait àune fille qui lui briserait le cœur,mais ça l’a fait rire. Pour lui,l’amour, c’est des conneries.

Je m’approche du feu devantlequel Monika est assise et repenseà ma conversation avec Derek, dansla cuisine. A ses abdos... A la disputede mon père avec Brandi... A cettefichue culpabilité qui me rongedepuis que j’ai été élue capitaine. Ilfaudrait que mon cerveau la metteen veilleuse, il surchauffe.

— J’arrive pas à y croire ! Ma

meilleure copine ne m’a même pasdit qu’elle était devenue capitaine,lance Monika en se blottissantcontre Trey, son petit ami et notrerunning back vedette. Bravo, magrande !

— Merci.Trey et Monika sortent ensemble

depuis un an. Ils sont fousamoureux et n’ont pas peur des’afficher ni de parler d’avenircomme s’ils allaient être ensemblepour toujours.

Quand mes parents se sont

séparés, j’ai abandonné l’idée detrouver le grand amour, celui qu’onnous balance dans les films et leslivres pour faire croire àl’impossible. Trey et Monika m’ontredonné la foi. Lui la regardecomme si elle était la seule fille aumonde, sa bouée de sauvetage sanslaquelle il serait totalement perdu.Elle m’a dit qu’il était son âmesœur. Ils comptent aller tous lesdeux à l’université de l’Illinois, luise débrouillera pour obtenir unebourse grâce au sport.

Landon nous rejoint enfin ; je mepenche vers lui.

— A quoi tu penses ? Tu as l’air sisérieux.

— Rien, rien, répond-il, irrité.Il s’ouvre une cannette de bière

et la descend d’une traite. Il poseune main contre son torse.

— C’est à cause de cette histoirede capitaine ? Il dégage ma main.

— Putain, Ash, tu peux pas laboucler avec ça ? Tout le monde meles brise, d’accord ? On t’a éluecapitaine. Et alors, putain ? Jet a

tout orchestré pour se venger de cefoutu article dans le journal. Je mesuis bien fait avoir, non ?

— Jet n’a rien orchestré du tout.Il a un ricanement méprisant. Ses

mots me font mal.— Ben voyons.— Dis-moi que tu ne le penses

pas vraiment.— Bien, je ne le pense pas,

répète-t-il sans conviction. Je jetteun œil à Monika et à Trey, qui fontleur possible pour ne pas tropmontrer qu’ils nous écoutent.

J’essaie de déglutir mais un nœudme serre la gorge quand je sors cequi me travaille depuis ce matin,quand Dieter a écrit mon nom surle tableau :

— D’à... d’après toi, je ne méritepas d’être capitaine ? Il ne répondpas.

CHAPITRE 7DEREK

Le soleil se couche durant mon

jogging avec Falkor. A la dernièreminute, j’ai décidé qu’il valaitmieux faire la paix avec la bête etlui proposer un peu d’exercice.J’avance sans but et l’air chaud quime caresse le visage détend mesmuscles.

Comme nous dépassons le lycéeet le terrain de football américainvoisin, les souvenirs de ma mère

me regardant jouer envahissentmon esprit. C’était toujours elle, leparent le plus bruyant des tribunes ;je suis sûr que ses poumons lafaisaient souffrir à la fin de chaquematch. Même après ses séances dechimio, alors qu’elle étaitnauséeuse et fatiguée, elle était là.« Il n’y a rien que je préfère à teregarder jouer », m’avait-elle dit.

Je ferais n’importe quoi pourrejouer pour elle une dernière fois.Je ferais n’importe quoi pour luireparler. Mais cela n’arrivera

jamais.Lassés par les tours de piste,

nous quittons le stade d’athlétismepour la ville. En suivant lesindications de la plage, je me mets àpenser à Ashtyn. Mince alors, sonhaut moulant et son short mini-mini ne laissaient pas de place àl’imagination... Quellemétamorphose après cet après-midi, quand son corps étaitenveloppé dans un gros pull ! C’estpeut-être un caméléon, qui setransforme en une nouvelle

personne en fonction des gens quil’entourent ? Je me demande si sonpetit ami apprécie ses tenues sexyet l’exhibe tel un trophée. Quand ilest venu la chercher, il m’a regardécomme si j’étais un adversaire surle point d’intercepter le ballond’une de ses passes.

— Je n’aime pas son copain, dis-je à Falkor.

Le chien me regarde de sesgrands yeux gris, haletant, sa grosselangue pendant sur le côté.

— La prochaine fois qu’il vient, tu

devrais lui pisser sur la jambe.Minute... Je suis en train de

parler à un chien ? J’ai l’impressiond’être dans ce film où le typeéchoue sur une île deserte et finitpar s’adresser à un ballon de volleycomme si c’était son meilleur ami.Pourvu que ce ne soit pas le signeque Falkor est en passe de devenirmon seul ami d’ici. Ce seraitvraiment naze.

Depuis la plage, j’observe l’eauimmobile éclairée par la lune,Falkor à mes côtés. Le paysage

n’arrive pas à la cheville de laCalifornie, où des vagues peuventvous emporter sans prévenir. Je medemande comment mon père sesent entouré d’eau et de riend’autre. Il m’a raconté, une fois, quevivre dans un sous-marin étaitcomme quitter le monde extérieurpour vivre dans sa propre bulle.Certains s’engagent pour l’argent,pour la formation, pour se trouvereux-mêmes... Mon père, lui, se sentutile dans l’armée. « Nous avonstous une raison de vivre, m’a-t-il dit

un jour. Trouver la sienne estessentiel pour savoir qui l’on est etqui l’on veut devenir.

Quelle est ma raison de vivre ? Jen’ai pas dit à mon père que j’allaism’engager après le lycée, afin detrouver la réponse.

Je cours le long du rivage ettombe sur un petit groupe installéautour d’un feu qui écoute de lamusique en rigolant. Je reconnaisAshtyn sur-le-champ. Elle est assiseavec son copain et tous les deux ontl’air d’être au plus bas. Le gars

s’appuie sur une main, tenant unebière de l’autre. Si c’était ma copine,j’en passerais une dans ses longscheveux blonds et l’autre autour desa taille ; je la tirerais contre moi etje l’embrasserais comme un fou.Mais ce n’est pas ma copine...

Falkor se met à aboyer, attirantl’attention de pratiquement tout lemonde, y compris Ashtyn. Merde !Elle me lance un regard défiantavant de tourner la tête et de fairecomme si je n’existais pas.

Je finis par les contourner et

poursuis ma course jusqu’à lamaison. J’espérais que ce footingm’empêcherait de trop penser, maisvoir Ashtyn m’a rappelé toutes mesemmerdes.

— Il faut que j’oublie tamaîtresse, dis-je à Falkor. Un bruitétrange, comme un grognement,sort de la gueule du chien.

— Elle a un petit ami. Et elle nesupporte pas de me voir habiterchez elle, tu vois ?

Mais elle a des lèvres charnuesqu’on a envie d’embrasser. Et des

yeux noisette extraordinaires que jen’arrive pas à me sortir de l’esprit.

Je m’arrête et baisse la tête versle chien pour avoir son approbation,puisqu’il la connaît mieux que moi.Il me regarde avec des yeux désolés,vides.

Soudain je ris tout seul :— Je parle à un satané cabot et

c’est moi qui la traite de folle.De retour à la maison, j’essaie de

trouver une position confortablesur le matelas gonflable, mais cen’est pas simple. En plus de ça, je

continue d’imaginer les lèvresd’Ashtyn comme une admirableœuvre d’art. Et quand je suis enfinprêt à m’endormir sur cet horriblemachin, Falkor bondit sur le lit. Jecrains un instant que le matelasn’explose mais non. En quelquessecondes, la bête ronfle.

Je comate depuis au moins uneheure quand quelqu’un débouledans la chambre :

— On peut savoir pourquoi tudors avec mon chien ? Je réponds àAshtyn d’une voix endormie :

— Moi, je dors pas. C’est lui quidort avec moi.

— Ça ne te suffit pas que masœur et mon neveu vénèrent laterre sur laquelle tu marches ? Tuveux aussi me voler Falkor ? Je t’aivu, à la plage, avec lui. Ne va pascroire que c’est ton chien. Il est àmoi.

— Ecoute, Sucre d’orge, c’est luiqui est venu dans ma chambre. Jene l’ai pas invité. Tu as desproblèmes avec ta famille, laisse-moi en dehors de tout ça.

Je me redresse et m’aperçoisqu’elle s’est changée pour unmaillot de hockey et un pantalon deflanelle bouffant, avec des têtes demort et des os dessus. Nouvellemétamorphose...

— Reprends ton chien et va tecoucher.

Je me rallonge et attends qu’elles’en aille, mais je sens son regardpeser sur moi. J’aimerais ne pasêtre tenté de la serrer contre moi,de l’embrasser... Qu’elle oublie soncopain...

— Quoi ?— Appelle-moi Sucre d’orge

encore une fois et tu vas prendrecher.

J’hésite à dire ce que j’ai sur lebout de la langue : « Tu me lepromets ? »

CHAPITRE 8ASHTYN

Trois heures que je suis

recroquevillée dans mon lit, lesyeux clos, priant pour que ma viecesse de partir en vrille. Landon etmoi avons passé une très mauvaisesoirée. Je ne sais même plus où onen est.

Je jette un coup d’œil à montéléphone pour voir s’il m’a appeléeou envoyé un message. Rien,pourtant on est samedi. Il doit

encore être en train de dormir.Je me traîne vers la salle de bains

et vais m’asseoir sur les toilettesquand, soudain, je perds l’équilibreet me sens tomber tout au fond.Cette foutue lunette est restéerelevée. Je tressaille en m’installantcorrectement et je maudis Derekdans mon coin. Il va m’entendre,celui-là !

Avant toute chose, manger.Ensuite je pourrai l’affronter etpartir pour l’entraînement. Même siDieter n’a pas prévu officiellement

d’entraînement pendant les week-ends, on ne veut pas perdre notreélan.

Derek entre dans la cuisinequelques minutes après moi, enshort et T-shirt. Il a les cheveux enbataille et un air tout doux etinnocent. Je connais les typescomme lui, qui ont l’air innocent etsont en réalité tout le contraire.

Falkor, qui se cachait jusqu’àmaintenant, débarque en sepavanant derrière lui.

— Tu as ramené mon chien chez

toi pendant la nuit ?— Il n’arrêtait pas de gratter à ma

porte et de geindre, alors je lui aiouvert.

— Tu me l’as volé. Derek hausseles épaules.

— Peut-être qu’il en a marre detoi et qu’il cherche de nouveauxcompagnons ?

— Un chien n’en a jamais marrede son maître. Et sache que je suisu n excellent compagnon. Falkorm’adore.

— Si tu le dis...

Il fouille le réfrigérateur, en sortdes œufs puis attrape une miche depain dans le garde-manger.

— Qu’est-ce qu’il s’est passéentre toi et ton beau gosse à laplage ? Vous aviez l’air de passerune soirée pourrie, dit-il d’une voixtraînante tout en préparant desœufs brouillés et des toasts.

Il est temps de contre-attaquer :— Dis, tu as oublié ma règle de la

lunette baissée ? Le coin de sabouche se relève légèrement.

— J’ai une maladie qui

m’empêche de comprendre lesordres qu’on me donne.

— Ha ! ha ! une maladie, tu dis ?— Ouais. Vraiment très grave.— Oh, je suis vraiment désolée

pour toi. Pauvre petit bébé quireçois des ordres d’une femme. Ça adû titiller ta virilité.

Je sors un paquet de Skittles dugarde-manger et trie les violets,comme toujours, avant d’ingurgiterle reste. Derek se penche sur moi etme chuchote à l’oreille :

— Jamais rien ne menace ma

virilité, Sucre .Avec son souffle chaud contre ma

peau, une drôle de sensationremonte le long de ma colonnevertébrale. L’espace d’un instant, jesuis comme paralysée.

Il ouvre à nouveau leréfrigérateur.

— En dehors des œufs et du pain,vous avez rien, là-dedans, qui nesoit pas de la malbouffe ou desproduits tout préparés.

Faisons comme s’il ne me faisaitaucun effet :

— Nan.Il s’assoit avec ses œufs et ses

toasts mais fixe ma collection deSkittles violets. Quand je pensequ’un garçon avec de tels yeuxbleus est capable de laisser lalunette des toilettes relevéeexprès...

— Nourrissant, ironise-t-il.— Ça me réconforte.— Si tu le dis, grimace-t-il,

visiblement amusé.— Oh, ne me dis pas que tu es un

obsédé de la nutrition ?

Il engouffre une pleinefourchette d’œuf.

— Je ne suis pas un obsédé de lanutrition.

— Bien. Tiens...Je lui offre ma collection de

Skittles violets.— Tu peux prendre ceux-là, j’y

suis allergique.— Tu es allergique aux Skittles

violets ? demande-t-il, sceptique.J’en attrape un orange et le jette

dans ma bouche.— Je suis allergique uniquement

au colorant violet. J’adore lesSkittles.

— Mon petit déj me convient,mais merci quand même.

Soudain, Julian entre et Derekporte son attention sur lui :

— Salut, bonhomme ! Tu veux unpetit déj ?

Le petit fait un signe de tête.— Je vais te préparer ça.— Je vais t’aider, lui dis-je.J’ai besoin de me racheter pour

que Julian cesse de croire que jesuis la pire tante de la planète. Et si

je dois travailler dur avant d’avoirmon câlin, qu’il en soit ainsi.

Derek m’empêche de me leverd’un geste de la main.

— Je m’en occupe.Après le départ de ma mère, mon

père n’a jamais fait la cuisine. J’aidû me prendre en charge et mangerce qu’il rapportait du magasin : dela malbouffe et des surgelés àmettre au micro-ondes. De touteévidence, la maman de Derek apassé plus de temps avec lui que mamère avec moi. Il n’y est pour rien,

mais je suis terriblement jalouse.Julian s’assoit à côté de lui. C’est

comme si j’étais invisible,insignifiante et inutile.

— Skittles ? dis-je en secouant lepaquet devant lui. Je n’ai jamaisconnu d’enfant qui n’aime pas lesbonbons.

— C’est de la super nourriture depetit déj, c’est trop bon.

Mon neveu secoue la tête. Il neveut décidément rien de moi.

Derek pose une assiette d’œufsbrouillés et de toasts fumants sous

ses yeux. L’odeur du painfraîchement grillé me met l’eau à labouche. Julian commence àmanger, fredonnant gaiement àchaque bouchée. L’air me rappellel’hymne que les fans de notre écolechantent à la mi-temps des matchs,et ça me fait penser que je n’ai pasregardé dehors si les gars deFairfield avaient recouvert lamaison de papier toilette. Rien àsignaler, hier, quand je suis alléeme coucher, mais Falkor a dormidans le bureau et pourrait n’avoir

rien entendu.Je tire les rideaux du salon et

plaque ma main contre ma boucheen découvrant le devant de lamaison.

Non !C’est pire que le papier toilette.

Pire que tout ce que je pouvaisimaginer. L’humiliation absolue !

Ils ont collé des centaines deserviettes hygiéniques aux troncs etaccroché des tampons auxbranches, telles des décorations deNoël qui flottent au vent.

Et comme si ce n’était pas déjàassez tordu, les serviettes et lestampons ont tous été imbibés decolorant rouge vif.

Furieuse et morte de honte, jeme précipite dans le jardin pournettoyer. Quand, soudain, unedernière découverte me coupe lesouffle. Écrits avec des serviettes,trois mots barrent l’allée : PUTE DEFREMONT.

CHAPITRE 9DEREK

Ashtyn a crié plusieurs fois avant

de se précipiter dehors, comme siun zombie la pourchassait. Je laretrouve devant la maison, pétrifiéeface au bordel qui souille la pelouseet les arbres. Putain !

— Va-t’en ! hurle-t-elle.Elle commence à ramasser les

serviettes collées dans l’allée pourformer ces mots : PUTE DEFREMONT. Ses mains sont

couvertes d’un liquide quiressemble à du ketchup. Elle en abientôt partout sur son maillot dehockey.

En tant qu’amateur de bonnesblagues, je dois dire que je suisimpressionné. Celle-là a dûdemander beaucoup d’efforts et depréparation. Ce serait drôled’organiser des représailles. MaisAshtyn souffle aussi fort qu’undragon prêt à cracher du feu. Ellen’est ni amusée ni impressionnée.Elle a la rage. Je m’empare de la

poubelle près du garage etcommence à défaire les tamponsaccrochés aux branches.

Elle me pique brusquement lapoubelle.

— Tu fais quoi, là ?— Je t’aide.Elle a réussi à se mettre du

ketchup sur le visage et dans lescheveux. Elle s’essuie, mais ne faitqu’aggraver les choses.

— Je n’ai pas besoin de ton aide.Je lève les yeux vers les tampons

qui flottent au vent au-dessus de sa

tête, en décroche un et l’agitedevant elle.

— Ecoute, Ashtyn. Tu mettrasdeux fois plus de temps à le faireseule. Laisse tomber ta fierté, pourune fois, et laisse-moi t’aider.

Mais elle m’arrache le tampondes mains et le jette. Puis elle seretourne et s’éloigne avec lapoubelle.

— Tu ne trouverais pas ça drôle siça t’arrivait à toi. Pourquoi tu ne vaspas aider ma sœur ou mon neveu etavoir un bon point ? Tu es

tellement fort à ce jeu. Tu n’as rienà gagner avec moi, alors autant quetu retournes à l’intérieur.

Si c’est ce qu’elle veut, soit. Jelève les mains en signe desoumission. Qu’elle se démerde,après tout. S’intéresser aux fillescomme Ashtyn, qui prennent la vietrop au sérieux, ça mène à trop decomplications. Ça n’en vaut pas lapeine.

— Tu es sacrement amère,comme fille.

— Qu’est-ce qui se passe, ici ?

hurle Gus en approchant de moi. Tuas quelque chose à voir avec toutça ?

— Non, monsieur.Ashtyn continue d’arracher les

tampons des branches. Son pèresouffle et la regarde comme si cetteblague était la pire chose quipouvait leur arriver.

— J’appelle la police. Ashtyn lesupplie du regard.

— Papa, non ! Si tu appelles lapolice, on m’accusera d’être unefille faible qui n’est pas digne d’être

capitaine de son équipe.— Tu e s une fille, Ashtyn.

Pourquoi tu ne laisses pas ungarçon être capitaine ? Qu’uneautre famille se fasse vandaliser sonjardin.

Peut-être qu’ils ont besoind’entendre une voix neutre ?Quelqu’un pour qui être la cibled’une blague n’est pas la fin dumonde ? Il est temps pour moid’intervenir.

— Ce n’est pas de sa faute, Gus.C’est juste une blague.

— Juste une blague ? Ça n’a riende drôle.

— Ce n’est pas grave, Gus. Au lieude lui crier dessus, vous devriez...

— Ne te mêle pas de ça, Derek.Ashtyn se poste devant son père,

épaules en arrière, tête haute,accaparant toute son attention.

— Papa, je te promets que j’auraitout nettoyé avant que tu ne rentresdu boulot. N’appelle pas la police.Je t’en supplie.

Il hoche la tête, furieux de voirson jardin dans cet état.

— Si ta mère était là, jamais ellene te laisserait jouer au footballaméricain. Elle t’inscrirait à uncours de cuisine, de danse ou de jesais pas quoi.

Visiblement, Ashtyn prend laremarque comme une énormeclaque.

— J’aime ce sport, Papa. Et je suisdouée. Si tu venais voir un match,un entraînement, tu...

Mais sa voix s’éteint alors queGus, faisant mine de ne rienentendre, marche vers sa voiture.

— Que tout soit nickel avant monretour, sinon j’appelle les flics,tranche-t-il.

Après son départ, Ashtyn inspireprofondément, puis se remet autravail.

De mon côté, j’arrache lestampons noués aux branches lesplus hautes.

— Tu sais, lui dis-je en les jetantdans la poubelle, tu en es peut-êtrecapable, mais tu n’es pas obligée desupporter ces conneries toute seule.

CHAPITRE 10ASHTYN

— Hé ho, y a quelqu’un ?La voix de klaxon de Jet fait

trembler les murs de la maison. Iln’est pas du genre à sonner à laporte. D’ailleurs, si on la fermait àclé, il frapperait dessus si fort qu’ilfinirait par la casser.

Je dévale l’escalier en espérantm’être débarrassée de tout le fauxsang. Il nous a fallu plus d’uneheure, à Derek et moi, pour tout

nettoyer. A la fin, on ressemblait àdeux victimes sorties d’un filmd’horreur.

Jet fait comme chez lui dans monsalon, en prenant le fauteuil préféréde mon père tandis que Trey etMonika s’asseyent ensemble sur lecanapé. Victor reste sur le seuil, lesmains croisées sur le torse. Je saisce qui le tracasse, mais je netrahirai jamais son secret.

Je réfléchis à ce que je vais leurdire quand Jet démarre :

— On est au courant pour les

serviettes hygiéniques.J’avais espéré avoir nettoyé

suffisamment vite pour que lanouvelle ne se propage pas. On abien vu passer quelques voitures,mais une seule a ralenti pouradmirer la scène.

— Comment vous avez su ?— Tous les gars de l’équipe ont

reçu des photos par mail anonyme.Trey brandit son téléphone et fait

défiler les images. Le jardinsouillé... L’allée avec ces trois motsqui me font encore frémir...

— Elles sont aussi sur le Net,ajoute Jet en rejetant ses cheveuxsur le côté. Il faut se venger, parceque je vais pas rester les brascroisés à rien faire.

Monika tapote le genou de Treyet l’incite à me dire quelque chosedont ils ont de toute évidencedébattu avant d’arriver :

— On se demande juste commentils ont fait pour avoir toutes nosadresses.

Elle confirme d’un signe de tête :— Ce doit être quelqu’un de chez

nous.— Vous avez regardé trop de

séries policières, vous deux, dit Vie.— Ce n’est pas compliqué de

récupérer la liste des joueurs et nose-mails. Certains élèves du lycée deFremont viennent du sud deFairfield...

Jet gémit :— Putain, j’ai la dalle ! Qu’est-ce

que t’as à bouffer ?— Pas grand-chose.Mais il est déjà parti à la cuisine,

expliquant qu’il ne peut pas

réfléchir le ventre vide. Ce gars-làmange des tonnes et reste le joueurle plus vif et le plus rapide que jeconnaisse, brûlant toutes sescalories avec une énergie infinie.Un de ses deux pères est chefcuisinier ; du coup, je ne comprendspas comment il accepte de mangerquoi que ce soit en dehors de chezlui.

On le suit tous à la cuisine oùDerek est assis à table, en train detaper sur son ordinateur. Il fait unpetit geste de la main.

— Salut.Victor prend un air suspicieux

tandis que Jet demande :— Tu es qui, toi ?— C’est Derek..., dis-je, le beau-

fils de ma sœur.Je fouille les placards et en sors

des trucs au hasard pour nourrirtout le monde. Mes coéquipiers sefichent d’une nourriture saine oupas. Ils mangeraient n’importequoi.

Je peux pratiquement entendre lecerveau en ébullition de Jet.

Comme j’aimerais lui fermer labouche avec du sparadrap ! Siseulement j’avais assez de forcepour le maintenir au sol assezlongtemps... Le voilà qui éclate derire :

— Attends, Ash, ça veut dire quec’est ton beau-neveu. H o l à , lebordel !

— Je suis bien d’accord,marmonne Derek.

Jet attrape une poignée deSkittles violets restés sur la table etles enfourne.

— Faut qu’on trouve un plan,Ash. Ces enfoirés de Fairfielddoivent comprendre qu’on se foutpas de nous impunément.

Ma sœur entre à ce moment-làavec un énorme chignon sur la têteet observe tout le monde.

— De quel plan vous parlez ?— De représailles, annonce

fièrement Jet avant que je n’aie letemps de lui dire de se taire.

Brandi agite un doigt vers Derek,comme maman faisait avec nousautrefois.

— Ne pense même pas participer.Tu te souviens de ce qu’il s’estpassé avec ta dernière blague ?

— Il s’est passé quoi ? demandeTrey.

Derek secoue la tête alors que masœur lâche le scoop :

— Il s’est fait renvoyer pour avoirlâché des cochons au beau milieude la cérémonie de remise desdiplômes.

Renvoyer ? Quand j’ai vu Derekavec son short de la Régents, hier,je n’ai pas imaginé qu’il s’était fait

virer.Jet éclate de rire et donne un

coup à Derek avec le poing.— Epique, mon gars !Ma sœur se tourne vers lui, les

mains sur les hanches, ressemblantplus à une maman qu’à la fille quifumait des joints tous les jours etdansait dans toute la maison enpetite culotte.

— Ça n’a rien d’épique. C’est,genre, pas bien du tout. Puis elle seconcentre sur Derek :

— Ne va pas faire de bêtises avec

les amis de ma sœur. Il la saluecomme à l’armée pour se moquerd’elle.

Sur quoi, elle prend sa tasse decafé et s’en va.

— Je parie que c’est ce type,Bonk, qui a tout planifié, reprendVic qui continue de regarder Derekcomme si c’était un super-espion enqui on ne peut pas avoir confiance.

— Que ce soit bien clair,intervient Monika en prenant latête de Trey entre les mains : monhomme ne se battra contre

personne. Hors de question qu’onabîme ce visage magnifique. N’est-ce pas, chaton ?

Ils se mettent à se bécoter et lesniaiseries à pleuvoir. Jet lève lesyeux au ciel et fait semblant devomir.

— Franchement, allez à l’hôtel !— Laisse-les tranquilles, lui dis-

je. Ils sont amoureux. Quand tut’attacheras à une fille, tu serascomme eux.

— Heureusement que çan’arrivera jamais. Si je craque, bute-

moi qu’on en finisse.Soudain, Victor reçoit un sms et

jure à voix basse :— Merde, je dois y aller.— Attendez... Je suis le seul qui

veuille aller botter le cul deFairfield ? s’écrie Jet.

— Peut-être qu’on devrait, tu sais,ne pas se venger et montrer qu’on aplus de classe qu’eux ?

— Qui parle de classe ici ? Pasmoi. Ash, si tu crois qu’on t’a éluecapitaine parce qu’on apprécie taclasse, tu te goures. Franchement,

si on avait cherché le plus stylé detous, c’est moi qui aurais gagné.

Monika lève la main mais gardeles yeux rivés sur Trey.

— Faux ! Mon bébé est le plusstylé de toute l’équipe.

— Tu n’es pas objective, rigoleJet. Hep, Parker, tu veux vraimentsavoir pourquoi c’est toi qu’on aélue capitaine ?

— Pas vraiment...A tous les coups, il va dire que j’ai

les plus gros nichons de l’équipe ouquelque chose dans le genre. Ou

qu’il a tout manigancé, comme lepense Landon, ce qui me ferait mesentir terriblement mal et indignedu titre. En vérité, j’aimeraisconnaître la vérité... J’espèresimplement que ce n’est pas ce queLandon croit.

— Moi, j’ai envie de savoir,intervient Derek. Alors Jet passeson bras autour de moi et me serrecontre lui comme une peluche.

— On a voté pour elle parce quec’est la nana la plus canon del’équipe.

— Jet, je suis la seule nana !— Je n’ai pas fini... On a aussi

voté pour elle parce que c’est unefille qui a de sacrées couilles. Ellen’abandonne jamais et ne pleurepas chaque fois qu’elle est blessée,se coupe ou se mange un gnon surle terrain. Elle défonce tout lemonde à chaque fois ! Elle nousmotive, y a pas de doute !

Il fixe Derek avec gravité.— Cette fille a voulu entrer dans

l’équipe dès son arrivée au lycée.On a parié qu’elle abandonnerait au

bout d’une semaine. Je suis bienplacé pour le savoir : j’ai perdu de lathune en pariant contre elle. Va pascroire que les mecs n’ont pas essayéde la faire flancher, moi y compris.Mais elle n’a jamais baissé les bras.C’est comme ça qu’elle a gagnénotre respect.

Puis, avec un regard sur mapoitrine :

— Et elle a la plus belle paire denibards de toute l’équipe !

CHAPITRE 11DEREK

Dès qu’on évoque la poitrine

d’Ashtyn, je détourne le regard etfais mine de m’intéresser auxSkittles restés sur la table. Je refusede prêter attention à sa poitrine, ouà n’importe quelle autre partie deson corps, d’ailleurs. Je suis déjàbien trop attiré par cette fille. Pasquestion de m’intéresser à sesparties féminines, pour toutes lesraisons possibles et imaginables.

Alors que je quitte la cuisine, ungrand Latino m’interpelle :

— Derek, attends ! Et si tu nousaidais ?

— On n’a pas besoin de lui, Vie,répond Ashtyn. Et tu as entendu masœur : Derek n’a pas le droit denous aider.

Ouais... Sauf que ça me donneencore plus envie de le faire.

— En quoi puis-je vous aider ?— A nous venger des mecs qui

ont foutu le bordel dans le jardind’Ashtyn.

Jet, le garçon autoproclamé lep l u s s t y l é et à la langue bienpendue, enchaîne :

— On doit trouver un plan, qu’ilssachent qu’on ne peut pas venirnous emmerder comme ça. Toutesles idées sont les bienvenues.

Ashtyn s’interpose alors entre lesgarçons et moi.

— Il n’a aucune idée, n’est-ce pas,Derek ?

— En effet...Mais je me dois de casser sa

seconde de triomphe :

— Je vais bien trouver quelquechose.

— Non !— Génial ! crient ses coéquipiers.

Fais-nous signe dès que quelquechose te vient.

Ashtyn me fusille du regard puistape chacun de ses amis surl’épaule.

— On en reparlera. Cette histoireconcerne l’équipe. Allez vousentraîner. Je vous rejoins.

Une fois tout le monde parti, ellese penche par-dessus la table,

approchant son visage du mien. Jetétait-il obligé de la ramener au sujetde ses seins ? Dans cette position,j’ai une vue plongeante sur sonsoutien-gorge en dentelle rose...

— Tu dois croire que j’ai besoind’un sauveur... J’ai bien du mal àme concentrer sur ce qu’elle medit...

— Moi non. Et même si j’apprécieton aide pour le nettoyage du jardin,j’aurais été tout à fait capable dem’en occuper seule.

— Je ne suis pas un sauveur, dis-

je en refermant mon ordinateur.— Alors qu’est-ce que tu

cherches, Cow-boy ? À part àm’énerver.

— Je ne cherche rien. Depuis queje suis là, j’ai perdu suffisammentde temps à t’énerver.

Je vais me réfugier dans lebureau en espérant pouvoir oublierle soutien-gorge en dentelle rose etla fille qui le porte. Allongé sur monmatelas gonflable, je rouvre monordinateur portable. J’ai dans l’idéede regarder des vidéos sur Internet,

mais je finis par chercher desphotos de la maison d’Ashtyn ettombe dessus tout de suite. Elles setrouvent sur un profil bidon créé lematin même. Un certain BoogerMcGee prétendant être de Fremont.

Un des clichés a été pris de loinpour montrer l’ampleur dudésastre. D’autres présentent lesdétails de l’œuvre d’art en tamponset serviettes. On a tagué Ashtyn surla photo du message PUTE DEFREMONT. Les responsables ontbien fait attention à ne pas se trahir,

craignant sans doute lesconséquences s’ils étaientreconnus. Malins, mais pas assez !Je plisse les yeux pour examinerune photo sur laquelle apparaît lavoiture d’Ashtyn. Dans le refletd’une des vitres, on peut voir lecapot d’une voiture : une JeepWrangler avec des pharespersonnalisés. Impossible deconfondre une Jeep avec un autrevéhicule.

Mais pourquoi je jouerais lespreux chevaliers pour Ashtyn ? Elle

est bien capable de mener sespropres batailles, et pour celles quilui échappent, eh bien, elle a uncopain et des coéquipiers. Je doisme rappeler de ne pas me mêler desa vie, même si mon instinct medicte le contraire.

Soudain, Falkor me saute dessuset pose ses pattes sur moi. Sonhaleine me dit qu’il a dû mangerautre chose que de la nourriturepour chien.

L’été à la Régents doit être génial,avec des soirées qui durent toute la

nuit. Moi, je me retrouve dans labanlieue de Chicago, avec une belle-mère qui veille à ce que je nem’attire pas d’ennui et une fille ensoutien-gorge rose qui joue aufootball américain et aimerait, plusque tout au monde, me voirdisparaître de la surface de laTerre...

Comme je n’ai rien de mieux àfaire, et que j’ai besoin d’aventure,je décide de faire un tour jusqu’àFairfield pour voir si je peux trouverla Jeep. Entrer en territoire ennemi

est une partie de plaisir quandpersonne ne sait que l’ennemi, c’estvous. Je porte un jean, des bottes, etune chemise à carreaux avec monbonnet – pour bien montrer que jene suis pas d’ici. La première foisque j’ai rencontré Jack à la Régents,il m’a demandé si je vivais dans unranch à cause de la façon dont jemarche. Je parle peut-être commeun cow-boy, mais je ressemble plusà un surfeur californien quiporterait un bonnet. J’ai vécu danstellement d’endroits différents que

je n’entre dans aucun moule.Fairfield est la ville voisine de

Fremont. Je cherche le lycée surmon GPS et découvre un terrain desport désert. D’accord, on estsamedi, mais les joueurs motivéss’entraînent même le week-end... Jeparcours les rues à l’affût d’uneJeep ; il ne me faut pas longtempspour comprendre qu’il y a unquartier riche et un quartier quil’est bien moins. Je passe unpremier croisement, un second, etdes tags de gangs commencent à

apparaître sur les bâtiments. Lestypes qui traînent dans la rue sontprêts à me vendre de la drogue, pasde doute là-dessus.

Je suis sur le point de baisser lesbras quand j’aperçois une Jeeprouge avec des phares customisés,garée devant un magasin desandwichs, Rick’s Subs. Je me gareà la place d’une Corvette qui vientde s’en aller. A l’intérieur, jem’assois au bout du comptoir et faissemblant de lire le menu écrit à lacraie. De toute évidence, c’est le lieu

incontournable des élèves deFairfield.

Un groupe de garçons de mon âgeinstallés à une table rient et seprennent pour des durs.

— Bonk, télécharge un autre grosplan, lance un des types un peu tropfort.

Bonk a le crâne rasé et despiercings aux oreilles et à l’arcadesourcilière. Il fait signe aux autresde se calmer et jette un œil autourde lui pour s’assurer que personnene les écoute.

— Vous prenez quoi ? medemande la serveuse. J’inspecte ànouveau le menu.

— Un sandwich aux boulettes deviande à emporter.

— Ça marche.Elle hurle ma commande au

cuisinier et me sert de l’eau.— Vous êtes de Fairfield ? Je ne

vous ai jamais vu.— Nan, je suis de passage, je

viens de Californie.Je fais un signe de tête vers Bonk

et sa clique, entourés à présent de

toute une foule.— Dites, euh... ces gars vont au

lycée ?— Bien sûr. Les joueurs de

football américain. Celui avec lecrâne rasé s’appelle Matthew Bonk.C’est notre receiver vedette,annonce-t-elle fièrement comme sic’était une célébrité. On a gagné lechampionnat d’Etat l’an dernier.Matthew est notre star locale.

Et elle s’en va prendre une autrecommande. Bonk s’avance vers lecomptoir et me surprend à le

scruter de bas en haut.— Qu’est-ce que tu regardes ?Mes yeux ne sont pas dignes de

Sa Seigneurie ? Il doit prendre sonstatut de star locale un peu trop ausérieux.

C’est le moment de s’amuser unpeu.

— Je suis juste... waouh !Matthew Bonk en chair et en os !

Je lui prends la main et la serreavec un enthousiasme exagéré.

— C’est un plaisir de rencontrerenfin le célèbre receiver du lycée

Fairfield.— Merci, mon gars. Et il retire sa

main.— Comment tu t’appelles, au

fait ?— Payton Walters.Je ne fais qu’inverser le nom

d’un des plus grands running backsde tous les temps. Ce mec estinculte.

— Je me demandais juste si jepouvais avoir un autographe pourma copine. C’est une très grandefan, mec. Elle va devenir folle

quand elle apprendra que je t’airencontré.

J’attrape ma serviette, la luitends, et la serveuse éperdueapparaît comme par magie et luioffre un stylo. Je regarde par-dessusson épaule.

— Pour Sucre d’orge. C’estcomme ça que je l’appelle.

— T’as pas à te justifier.Bonk dédicace la serviette à Sucre

d’orge et signe Matthew Bonk, #7.— Je peux prendre une photo ?

lui dis-je dans mon plus bel accent

texan. Sucre d’orge va se fairedessus si je lui montre une photo detoi avec la serviette à son nom.

Les gens du Nord, les« Yankees » comme on les appelle,pensent toujours que ceux qui ontun accent du Sud sont des abrutis.Ils ignorent qu’on utilise nosaccents à notre avantage quand çapeut être utile. Comme maintenant,puisque Bonk prend la pose devantmon téléphone.

— Écoute, mon pote, je dois allerretrouver mes amis, dit-il avant de

me rendre la serviette et decommander de nouvelles boissons.

— Pas de souci. Merci beaucoup !Et je lui serre la main

vigoureusement.Il retourne vers ses potes et je

l’entends parler de moi avec mépris.Je paie mon sandwich et les suisdehors, où ils se regroupent devantla Jeep. Un des types prononce lenom d’Ashtyn et suggère d’entrerpar effraction dans les vestiaires deFremont pour les décorer avec lestampons qui leur restent.

Soudain, ils s’aperçoivent de maprésence et me dévisagent commesi j’étais un alien.

— La photo que j’ai prise étaitfloue. Est-ce que je peux t’embêteret t’en demander une autre ? Je tejure que ma copine va faire dans saculotte quand elle te verra avec tonautographe.

Bonk lève les yeux au ciel, rigole,mais ne proteste pas quand je luitends la serviette avec sa signature.Il prend la pose contre sa voiture, lepapier en l’air. C’est parfait, à un

détail près...— Vous pouvez tous vous mettre

dans le champ ? Ces gars sont troporgueilleux pour rater une occasionpareille...

Mission accomplie.

CHAPITRE 12ASHTYN

Monika et Bree viennent me voir

dimanche matin. Ce sont les deuxleaders des pom-pom girls. Ellesveulent mon avis sur leur nouveauslogan et la choré qu’elles viennentde mettre au point. Elles imaginentsans doute que je pourrai parler aunom de mes coéquipiers.

Sur la pelouse, devant chez moi,les deux filles commencent à taperdans les mains et à danser. Je ne

comprends pas comment elles fontpour bouger comme ça – on diraitqu’elles sont faites dans unematière élastique extraordinaire. Jesuis un peu jalouse, alorsqu’aucune des deux n’est capabled’attraper, de lancer ou de taperdans un ballon de football commemoi.

Derek sort et se dirige vers lecabanon. Il a l’air viril dans sonjean, ses bottes de cow-boy et sondébardeur blanc. Falkor le suit deprès.

Bree s’arrête au beau milieu deson enchaînement.

— C’est qui, ça ? demande-t-elleun peu trop fort.

— Derek.— C’est le beau-fils de Brandi,

précise Monika. Il est...— Vraiment canon ! fait Bree,

presque à bout de souffle. Ô monDieu ! Tu me caches de ces trucs,Ash. J’adore ses bottes et son petitchapeau est trop mignon.

— Son bonnet ? lui dis-je. On esten plein été, c’est ridicule.

— Tu te trompes à deux centspour cent.

Elle bave comme s’il était unmorceau de viande qu’elle allaitdévorer en une bouchée.

— Un mec comme ça peut porterce qu’il veut. Présente-le-moi, Ash.

— Crois-moi, tu n’as pas envie dele connaître.

— Oh, que si.Monika m’adresse un sourire

complice. Nous sommes amiesdepuis suffisamment longtempspour savoir que lorsque Bree a

repéré une proie, il est impossiblede l’arrêter.

Soudain, Derek réapparaît et jelui fais un signe discret pourl’inviter à nous rejoindre – enespérant qu’il m’ignore.Malheureusement, nous nesommes pas sur la même longueurd’onde.

— Derek, je te présente macopine Bree. Et tu connais déjàMonika.

— Salut, Monika. Ravi de terencontrer, Bree.

Il penche la tête comme unparfait gentleman du Sud. Je suissurprise qu’il ne l’ait pas appelée« mam’zelle ».

— Tu veux voir notre nouvellechorégraphie ? demande Bree.

Elle enroule ses cheveux du boutdu doigt et lui fait un grand sourire,totalement conquise par son petitjeu. C’est pas vrai...

— Je suis capitaine de l’équipe depom-pom girls et j’aimerais avoirton avis.

Derek a l’air enchanté.

— Je ne connais pas grand-choseaux pom-pom girls. Pendant cetemps, Monika dévore son corpsdes yeux.

— Dis donc, Derek... tu fais dusport ?

— Plus maintenant.— Vraiment ? Avec un physique

pareil ?Bree s’écarte un peu pour avoir

une vue d’ensemble.— Alors tu dois faire de la muscu.

Beaucoup de muscu...On dirait qu’il tousse, mais Derek

essaie surtout de se retenir de rire.— Je cours et je lève des poids.

Puis il me regarde d’un œilmoqueur.

— Et j’essaie de ne pas toucheraux glaces, aux Skittles et auxcookies au petit déj.

— Où est le mal, lui dis-je, si çame fait du bien à l’esprit ?

— Si tu le dis.— Alors, Derek, interrompt Bree,

tu te plais à Chicago ? Je sais que,techniquement, on ne vit pas àChicago mais tu verras, avec le

temps, tu auras l’habitude de nousentendre, nous les banlieusards,parler de Chicago comme de notreville.

— On fait aller. Disons que je n’aipas l’intention que Chicagodevienne ma ville. J’ai grave enviede rentrer en Californie, et après lelycée j’intégrerai la Navy. Et, avecun coup d’œil vers moi :

— Bon, je vais tenter de fairedémarrer la tondeuse. C’était sympade papoter avec vous, les filles.

Il met ses écouteurs dans les

oreilles et tire notre vieille tondeusetout usée hors du garage.

— Quoi ? dis-je à Bree qui meregarde en fronçant les sourcils.

— Derek est le mec rêvé, Ashtyn.Avec un corps comme le sien, il irasans doute dans une unité d’élite.C’est pas canon, franchement ?

Le mec rêvé ? Un canon ? Tuparles ! Un personnage decauchemar, oui ! Le type qui hantela fille tranquille qui n’a riendemandé...

— Bof...

Ma copine me regarde comme sij’étais folle.

— T’as pas vu ses biceps ouquoi ? Et ses cheveux ? Et ses yeux !Ô mon Dieu ! ses yeux bleusferaient fondre n’importe quellenana.

— Il a surtout besoin d’aller chezle coiffeur et d’arrêter de frimer.

— Personnellement, je trouvequ’il frime très bien. Je vais l’inviterà sortir demain soir. J’arriveraipeut-être à voir ses abdos de plusprès, dans l’intimité.

Et voilà Bree qui sautille presquejusqu’à lui – de peur, sans doute,qu’une autre fille ne le lui pique sielle n’agit pas rapidement.

— Vous pensez que toutes lesfilles vont lui sauter dessus, c’estça ? je demande à Monika.

— C’est sûr. Il ne vaut pas TreyMatthews, mais il est vraimentmimi.

— Vous exagérez...Ma copine me dévisage comme

s’il me manquait une case.— D’accord, d’accord, j’admets en

levant les mains en l’air. Dans legenre cow-boy-surfeur californien,il est pas mal, mais ce n’est pas dutout mon type.

Je baisse les yeux vers le braceletporte-bonheu r que m’a offert moncopain. Landon n’a pas donné signede vie depuis vendredi soir. Il ne memanque pas tant que ça,bizarrement. J’ai été prise dans untel tourbillon de changements, cesderniers jours ; j’essaie de suivre lerythme, mais j’ai l’impressiond’avancer au ralenti.

— Où est-ce que vous en êtesavec Landon, au fait ? me demandeMonika avec un air compatissant.

Elle s’attend peut-être à ce que jecraque et me mette à pleurer ? Jepréférerais hurler à m’en décrocherles poumons.

— J’ai cru que vous alliez rompre,vendredi soir.

Je fais mine d’ignorer lasensation qui me noue l’estomac.J’ignore totalement où l’on en est,Landon et moi. Je sais qu’il a besoind’espace lorsqu’il est stressé, et je le

laisse tranquille. Mais chaque jourqui passe sans qu’on se parle, je mesens un peu plus éloignée de lui.Déconnectée.

— Ça va s’arranger, dis-jesimplement. On traverse unemauvaise période, c’est tout.

Mon amie penche la tête. Je voisbien, à son regard, qu’elle analysebeaucoup trop les choses.

— Il s’est passé quelque choseentre toi et Derek ? J’ai le visage quichauffe rien que d’y penser.

— Jamais de la vie. Pourquoi tu

dis ça ?— Je ne sais pas, fait-elle en

haussant les épaules. Simplement ily a un courant étrange entre vous.Et c’est bizarre que tu le détestesautant.

Elle se tourne vers Bree et Derek,qui n’ont pas cessé de discuter.

— Regarde comment Breemarque déjà son territoire. Tu as vuça ? Elle lui touche le bras chaquefois qu’elle prend la parole.

— Elle est passée maître dansl’art du flirt et il marche à fond. Ou

alors c’est elle qui se laisse prendrepar son charme à deux balles. Il arien de sincère, ce type.

— Hé, Bree ! crie Monika. Vienspar là qu’on montre la chorégraphieà Ashtyn.

Mais une voiture remonte l’alléeen klaxonnant, retardant unenouvelle fois le spectacle de pom-pom girls. Monika couine debonheur en voyant Vic garer sonénorme SUV.

— C’est épique ! s’exclame Jet,surexcité, en descendant de voiture

derrière Trey.Il porte une casquette de base-

ball à l’envers et son survêtementraccourci – qu’il a probablementcoupé lui-même.

— Qu’est-ce qui est épique ?Il me regarde, consterné, en

recoiffant ses cheveux parfaitemententretenus sur le côté.

— Tu es en train de me dire quetu n’as rien à voir avec ça ?

— A voir avec quoi ?— Je vous avais dit que ce n’était

pas elle, s’exclame Vie. Elle n’a pas

les couilles de le faire.Bonjour l’insulte...— J’ai des couilles, Vic !— Je le savais ! hurle Jet en

faisant une grimace idiote. Fais-nous voir, Ash.

Je lève les yeux au ciel et luiclaque le bras.

— Tu devrais arrêter d’avoir unevie sociale et passer plus de tempssur Internet, me dit Trey en sortantson portable. Quelqu’un a créé unprofil bidon du nom de PaytonWalters et a publié des photos de

Bonk et de ses coéquipiers tenantdes affiches.

— Des photos comment ?— Regarde.Sur un des clichés, Bonk et ses

coéquipiers s’appuient contrel’arrière d’une Jeep. Ils brandissentune serviette marquée FAIRFIELDCRAINT en grosses lettres grasseset la plaque d’immatriculation de lavoiture a été changée en DUCON.Je m’étrangle en découvrant laseconde photo : Bonk est au Rick’sS u b s de Fairfield et brandit une

serviette marquée JE VEUX ÊTRELA PUTE DE FREMONT. SignéeMATTHEW BONK #7.

— Qui a fait ça ?Personne ne me répond. C’est de

la folie ! Les mecs de Fairfield vontpéter un câble en voyant les photos.On dirait qu’elles ont étéretouchées par un professionnel. Lerésultat est impressionnant.J’aurais aimé y penser la première.

— Landon, peut-être ?Ma suggestion ne les convainc

pas ; ils se regardent tous comme

s’ils avaient de gros doutes.— Ben voyons, lance Jet. Ton

copain, ce héros...— Tu lui as parlé ? demande Vie.

Je secoue la tête.— Hum, dit Trey, McKnight est

porté disparu depuis vendredi soir.J’évite de leur dire qu’il est porté

disparu dans notre couple aussi.

CHAPITRE 13DEREK

Lundi matin, je me réveille tard

et tout le monde est déjà parti. Enprenant mon petit déjeuner, jecontemple le jardin laissé àl’abandon à l’arrière de la maison.Le terrain est plutôt grand, maispersonne ne s’impliquesuffisamment pour que la pelouseressemble à quelque chose. C’estcomme si la façade impeccableservait de vitrine pour les passants.

La tondeuse que j’ai trouvée hierest dans un état lamentable, maisj’ai réussi à la démarrer. J’ai besoinde m’occuper, sinon je vais devenircinglé.

Je lance le moteur et place mesécouteurs sur mes oreilles pourm’isoler. Ma mère me disaittoujours que la musique l’aidait às’évader. Lorsqu’elle était à l’hôpitalpendant ses chimios, elle me faisaitécouter Ella Fitzgerald et LouisArmstrong. Au début, je lesdétestais, mais ces chanteurs sont

peu à peu devenus des symboles.C’est dur de tourner la page,putain ! Une heure plus tard, jetranspire de partout. J’ai des brinsd’herbe collés sur tout le corps,mais j’ai bien avancé. Le cabanon,lieu de ma première rencontre avecAshtyn, a connu des joursmeilleurs. J’ai vu de la peinture àl’intérieur ; il aurait bien besoind’un coup de pinceau.

Je me rince et songe à aller meposer dans ma chambre, quandFalkor déboule en soufflant comme

un malade. Le pauvre a envie desortir. Je lui mets sa laisse etcommence à courir en direction duterrain de football. Cet endroitm’attire comme un aimant...

Quand nous arrivons au lycée,l’équipe est en plein entraînement.Je regarde les joueurs s’échauffer etme mets instantanément dans leurétat d’esprit. J’ai quitté mon équipeil y a plus d’un an, mais je connaistellement bien ces exercices que jepourrais les refaire les yeux fermés.

Ashtyn fait du sprint. Elle ne m’a

pas encore remarqué ; quand cesera le cas, je suis sûr qu’elle vam’engueuler parce que j’ai sorti sonchien sans sa permission.

Je la regarde attraper des ballonset courir à travers le terrain. Avecgrâce, elle installe un ballon au solet se met en position. Quelquesgarçons sur la touche l’observent ethochent la tête, impressionnés. Elleest tellement concentrée qu’elle nevoit rien en dehors du ballon et desbuts. Elle exécute un premier tirentre les poteaux sans aucune

difficulté.Alors qu’elle se met en position

pour un nouveau tir, elle m’aperçoitdans les gradins. Elle rate ses deuxtirs suivants mais n’abandonne pas.Elle réussit six coups sur dix. Pasmal, mais pas de quoi faire la unedes journaux.

J’évalue l’équipe, comme jefaisais avec mes rivaux. Le coachprincipal se distingue facilement : ilporte un pull de golf noir et or, unecasquette des Rebels, et ne cesse dehurler des instructions. Depuis que

je suis arrivé, il n’a pas arrêté des’en prendre à la ligne d’attaquants,alors que je suis plutôtimpressionné par leur jeu. Sans uneligne solide, le quarterback seretrouve vulnérable et l’équipeaffaiblie...

Le quarterback est une grandeperche qui porte le numéro trois. Iln’a pas l’air très confiant alors qu’ilsemble plutôt doué. Malgréquelques bons enchaînements, il neparvient pas à établir le contact avecles autres quand la ligne défensive

lui tombe dessus. Je connais sonproblème : il bloque mentalement.Il faut qu’il arrête de réfléchir etlaisse faire son instinct.

Comme il répète la même erreurtrois fois de suite, le coach l’attrapepar le casque et l’engueule. Je suistrop loin pour entendre les motsexacts, mais je sais qu’il s’en prendplein la figure.

— Eh, Derek ! crie Ashtyn en melançant le ballon.

Je m’écarte et le laisse rebondircontre les gradins, derrière moi. Je

n’ai pas touché un ballon depuis lejour de la mort de ma mère. Moninstinct me dit de l’attraper, mais jesuis pétrifié.

— Ouais ?— Qui t’a dit que tu pouvais

promener mon chien ?— Il m’a supplié de l’emmener

avec moi. Il croit que je suis le mâledominant. Tu sais que les chiensont un sens de la hiérarchie ? Je disça, je dis rien.

Je hausse les épaules.— Renvoie-moi le ballon, tu

veux ?Je le regarde un instant avant de

m’en saisir. Ce n’est pas comme sije me remettais à jouer, après tout.C’est juste... un ballon. Même si lasensation familière du doux cuircontre mes doigts me rappelle lepassé.

La plupart des filles que jeconnais auraient peur de se casserun ongle, mais Ashtyn tend les braset l’attrape sans aucune hésitation.

— Ce n’est pas toi le dominant.C’est moi.

Elle coince le ballon sous sonbras et lance en retournant sur leterrain :

— Je dis ça, je dis rien.

CHAPITRE 14ASHTYN

J’ai dit à Derek que j’étais le

dominant mais là, tout de suite, j’ensuis loin. Je n’étais absolument pasdans le jeu aujourd’hui. J’étaistroublée, dispersée, et le voir assisdans les gradins à me regarder n’afait qu’aggraver les choses.

La pute de Fremont.Deux jours ont passé et ces mots

continuent de me trotter dans latête. Ce matin, Dieter m’a

convoquée dans son bureau ; larumeur au sujet des photos lui étaitparvenue. Il m’a conseillé d’oubliercette histoire et de me concentrersur la victoire.

Landon n’est pas venu àl’entraînement. Il ne répond pas àmes appels, ni à mes textos.L’année dernière, il n’a pas raté unseul échauffement, ni un seulmatch. J’ai fait une tentative cematin avant de quitter la maison,mais son téléphone était éteint. Jesuppose qu’il a reçu les horribles

photos de chez moi, lui aussi.Pourquoi est-ce qu’il n’est pas venume voir, comme tous les autres ? Ilaurait pu, au moins, téléphoner ouenvoyer un message pour savoircomment j’allais...

Brandon Butter, notrequarterback remplaçant, ne fait pasle poids. Sous la pression des autresjoueurs, ses passes partaient danstous les sens. Malgré tout, je nevoulais pas qu’il se décourage, je luiai tapé dans le dos à la fin del’entraînement et l’ai félicité pour

ses efforts. Je doute qu’il m’ait cruemais ça l’aidera peut-être àreprendre confiance en lui. Un toutpetit peu, ce serait déjà bien utile.

Les entraînements de début d’étéont beau être facultatifs, je sais queDieter est inquiet que notrequarterback vedette ne soit pas surle terrain. Son remplaçant n’est pasprêt pour la compétition et siLandon se blesse, nous sommesfoutus. C’est un joueur tellementsolide que personne n’avaitenvisagé ce cas de figure. Jusqu’à

aujourd’hui.Je vais me rhabiller dans le

vestiaire des filles et tente encorede joindre Landon. Je lui écris pourla quatrième fois aujourd’hui maisil ne répond pas. Mon cœur se serreun peu et je me mets à angoisser.Est-ce qu’il fait exprès de ne pasrépondre ? Est-ce qu’il a préférérappeler Lily, son ancienne copine ?Arf... Moi qui n’ai jamais douté denotre couple. Je refuse decommencer maintenant.

Sur le parking, Derek est appuyé

contre ma voiture, les jambescroisées.

Falkor aboie pour me saluer et semet à baver.

— Tu veux me rendre monchien ?

Ça m’énerve qu’il croie avoir unnouveau maître. J’arrache la laissedes mains de Derek et m’agenouillepour caresser Falkor derrièrel’oreille gauche, son endroit préféré.

— Si tu veux que je te ramène, jete préviens, c’est lui qui s’assoit àl’avant.

J’ouvre la portière et laisseFalkor monter à sa place.

— Je ne crois pas, non, ose Dereken se penchant dans la voiture.Falkor, va derrière !

Mon chien, d’ordinaire obstiné,saute docilement sur la banquettearrière. Comme si Derek l’avaithypnotisé.

Je démarre, allume la radio etprends le chemin de la maison sansun mot.

— Tu as peut-être l’habitude dedonner des ordres aux gens autour

de toi, mais ça marche pas avec moi,me dit-il.

— J’entends pas ce que tu dis, jeréponds en me couvrant l’oreilleavec la main.

Alors il éteint la radio.— Pourquoi tu m’en veux ? Je

n’ai pas demandé à venir ici, moi. Sion m’avait pas viré et si Brandin’était pas en cloque, j’aurais trouvéun moyen de rester en Californie.

On arrête tout ! Est-ce que j’aibien entendu ?

— Ma sœur est en-enceinte ?

Enceinte..., elle va avoir un bébé ?— Oui, c’est ce qui se passe

quand on est en cloque. Je lui jetteun regard de côté puis me concentresur la route. En me garant dansl’allée, je me tourne vers lui.

— Sois honnête, pour une fois. Tuplaisantes au sujet de ma sœur etdu bébé, n’est-ce pas ?

Il soupire et lève les yeux au cielen ouvrant la portière. Falkor sortd’un bond derrière lui.

Je baisse les yeux vers le tableaude bord. M a sœur est encore

enceinte et elle n’a rien dit ? Il estv r a i qu ’ e l le n’a pas donné denouvelles en sept ans... Et depuisqu’elle est rentrée, je l’évite commej’évite Derek.

Brandi est exactement commemaman. Il m’a fallu longtempsavant de comprendre que ma mèren’allait jamais revenir. Brandi est deretour, mais inutile de serapprocher d’elle : elle partira ànouveau, j’en suis sûre.

Pourtant, ça me tue que Derekconnaisse mieux ma sœur que moi.

Et que mon neveu le préfère à moi.Et que Falkor le suive comme s’ilétait le mâle dominant.

Soudain, mon regard se tournevers le garage et j’ai la surprise detrouver Landon assis dans sadécapotable, ses lunettes de soleilsur le nez. Depuis combien detemps est-ce qu’il attend ?

Je marche vers lui tandis qu’ildescend de voiture.

— Tu étais passé où ?Je ne sais pas quoi lui dire

d’autre après notre dispute de

vendredi soir. Je ne veux pas parlerde nos problèmes de couple, ni deLily.

— Tu as raté l’entraînement...— Mes parents ont voulu que

j’aille à un genre de brunch enfamille. Je n’ai pas pu y échapper.

— Oh...Par le passé, son père n’aurait

jamais exigé qu’il rate unentraînement, mais Landon n’a pasl’air de vouloir développer.

— Tu as vu les photos de mamaison sur Internet ? Et celles de

Bonk ?Il hoche la tête lentement.— Ouais, j’ai vu.— C’est toi qui as publié celles de

Bonk ? Il hoche encore la tête.— Ouais, mais ne le dis à

personne.— Comment tu as fait pour

l’obliger à prendre la pose commeça ? J’imagine mal Bonk poservolontairement.

— J’ai mes méthodes. Comments’est passé l’entraînement ?

— Butter se donne du mal, mais

ses lancers manquent de précisionet il bâcle ses passes.

Un long silence s’installe. Je mesens triste lorsqu’il tend le bras eteffleure le bracelet avec un cœur etun ballon qu’il m’a offert pour mondernier anniversaire.

— Désolé, pour vendredi soir.Mon vieu x me prenait la tête pourque je mène l’équipe avec le maillotde capitaine, comme lui à l’époque.

Je comprends. Carter McKnightétait une légende à Chicago. Il a unniveau d’exigence ultra élevé et son

fils veut toujours le satisfaire.Jusqu’à mon élection au poste decapitaine, il y était arrivé.

Pourtant, Dieter m’a aidée àcomprendre que je tenais, moiaussi, à cette place de capitaine. Jeveux mener et motiver mon équipe.J’apprécie de ne pas être un simplejoueur parmi d’autres.

— Je n’ai pas voulu te piquer taplace, Landon.

— Oui, je sais, Ash.Il évite mon regard et, de

nouveau, le silence nous sépare. Je

ne sais pas quoi dire pour réparernotre couple. Je ne peux paschanger le cours des événements, nirevenir en arrière. Pas plus que lui.

Il touche à nouveau mon braceletporte-bonheur.

— Est-ce que j’ai tout gâché entrenous ? demande-t-il.

— Non...Je ne supporterais pas qu’on me

quitte encore. Avec Landon, aumoins, je ne suis pas seule.

— Mais... je me suis sentie trèsmal à cause de toi, vendredi soir.

Cette histoire avec Lily m’achamboulée. Et tu ne m’as pasrappelée, ni envoyé aucun messagedepuis des jours. Je ne sais plusquoi penser.

— Tu n’as qu’à oublier tout ça.Il se penche et m’embrasse. Tout

semble rentrer dans l’ordre et j’aienvie d’y croire, mais c’est difficile.Depuis que ma mère nous aabandonnés, je n’ai plus jamaisvraiment cru en personne. Mêmeen Landon...

On discute de l’entraînement. Je

lui demande s’il a préparé sesbagages pour notre voyage auTexas, à la fin du mois. Nous avonstous les deux été acceptés à Elite,un stage d’entraînement auquel ilest pratiquement impossibled’accéder. Seuls les meilleursjoueurs lycéens du pays y sontadmis. On a prévu d’y aller envoiture et de rester dans de grandshôtels gratuitement grâce auxpoints de fidélité de son père.

— C’est quoi l’histoire de ce mec,Derek ? demande-t-i l soudain.

Il regarde, par-dessus monépaule, Derek tondre la pelouse enécoutant de la musique au casque.J’ignore pourquoi il tient tant àentretenir la maison. Mon père sefiche que la pelouse de derrière aitl’air jolie. Il tond à l’avant unesemaine sur deux et les passants sedisent que tout va bien.

— Aucune idée. Tout ce que jesais, c’est qu’on s’est mis d’accordpour se tenir éloignés l’un del’autre. Je fais comme s’il n’existaitpas.

En vérité, j’essaie de faire commes’il n’existait pas, mais il me rendparfois la tâche bien difficile.Landon fait u n geste vers lamaison.

— Ton vieux est là ?— Probablement pas, je ne vois

pas sa voiture. Mon père préfèreêtre au boulot, où il peut se noyerdans ses projets d’expert comptable.

Landon me tire contre lui etmurmure dans mon oreille :

— Et si on montait dans tachambre , là, maintenant ?

J’aimerais bien que tu me massesle dos.

— Maintenant ? Je jette u n œil àDerek.

— Ce n’est peut-être pas lemoment idéal.

— Allez, Ash.Il me prend par la main et me

conduit à l’intérieur.— Tu dis toujours que l’on ne

passe pas assez de temps seule àseul. Profitons-en tant qu’on peut.

Dans ma chambre, Landonenlève son haut et s’étend sur mon

lit. Je m’assois à ses côtés etcommence à lui masser le dos,malaxant ses muscles crispés.

— C’est trop bon, gémit-il tandisque je passe aux épaules. Je medétends complètement avec toi,Ash.

— Pourquoi tu ne me masseraispas les pieds, que je me détendeaussi ? J’ai mal à force d’avoir tapédans le ballon.

— Les pieds me dégoûtent. Lesseuls pieds que je touche, ce sontles miens.

Il se tourne pour me faire face etglisse lentement sa main sous monhaut. Il défait mon soutien-gorge,puis passe les pouces sur mestétons.

— Je peux te masser ailleurs, parcontre. Je lui bloque les bras.

— Arrête, Landon. J’ai surtoutbesoin de parler de ma vie qui parten vrille.

Il garde ses mains sur mapoitrine et pose ses lèvres sur moncou. Il m’embrasse sous le mentonet je sens sa langue contre ma peau.

On dirait Falkor quand il me lèchele visage.

— Tu ne m’écoutes pas... Tuessaies de détourner mon attention.

— Tu as raison. Je ne peux past’écouter plus tard ? Là, j’ai justeenvie qu’on s’amuse.

En quelques secondes, il défaitson pantalon et baisse les yeux versson entrejambe – une manière pasdu tout discrète de me faire signed’y aller.

Je regarde ce qui se dresse dansson boxer.

— Je n’en ai pas envie, Landon.— T’es sérieuse ? Allez, Ash ! se

lamente-t-il, frustré. Tu sais que tuen as envie. J’en ai envie. Allez...

CHAPITRE 15DEREK

Un lit couine au-dessus de ma

tête. Je regarde Falkor. Falkor meregarde. J’étais rentré faire unepause, mais savoir Ashtyn et soncopain à l’étage en train des’amuser me rend malade.

— Tu peux me dire pourquoi jeressens le besoin d’aller là-haut etde sortir son mec à coups de piedaux fesses ?

Falkor lève la tête comme s’il

allait me répondre, puis se jette suru n de ses jouets en peluche.

— Toi, tu as besoin d’une copine.Il me dévisage avec ses yeux gris

tombants et penche la tête de côté.Je l’entendrais presque me dire :« Tu es juste jaloux. »

Lorsque Landon a embrasséAshtyn, tout à l’heure, je n’ai pasraté son air de me dire « jet’emmerde, elle est à moi ». Detoute évidence, ce type se dit qu’ilest un don du Ciel sur cette Terre,avec sa Corvette décapotable et ses

lunettes noires qu’il n’enlève mêmepas pour embrasser sa copine. Çam’étonne qu’elle se soit attachée àun mec pareil, qui voit sa voiturecomme une extension de sa virilité.

Je ne sais pas pourquoi je tienstant à protéger Ashtyn. Elle sait sedébrouiller toute seule et n’a pasbesoin qu’on défende sa vertu.

Le lit recommence à couiner là-haut. Merde... impossibled’entendre ça sans devenir fou.Savoir que ce mec est en train de latoucher me donne envie de lui en

coller une. Je n’ai aucun droit deressentir ça et ça me tue.

Je ressors et lance la tondeuse etma musique, bien décidé à ne plus ypenser.

Après avoir nettoyé une bellezone de mauvaises herbes,pourtant, je ne peux m’empêcher dejeter un œil en direction de lafenêtre de la chambre. Qu’est-cequ’il m’arrive ? Les filles commeAshtyn ne m’intéressent pas,d’habitude. J’aime les nanas quicherchent juste à passer du bon

temps et ne prennent pas la vie tropau sérieux. Alors pourquoi est-ceque je ne cesse de me demandercomment ce serait de l’embrasser etde sentir ses mains sur moi ?

Enfin, Landon repart. Ashtynl’embrasse, puis fait demi-tour versla maison.

J’enlève alors mes écouteurs etlance :

— Je t’en supplie, ne me dis pasque tu t’es remise avec lui ?

Elle me toise de haut en bas.— Remonte ton froc. Il est en

train de tomber et on voit ton slip.Pour ce qui est de changer de

sujet, elle est experte.— Franchement, un type qui

garde ses lunettes de soleil pourembrasser une fille...

— Le mec avec qui je sors et lafaçon dont on s’embrasse ne teconcernent pas.

Mince... Je secoue la tête enm’approchant d’elle.

— Tu sais que ce gars se fout deta gueule ? Tu t’en rends compte ?

— Tu t’y connais, à ce que je

vois ? répond-elle en levant les yeuxau ciel.

— Tout à fait !Je suis juste en face d’elle. Je

relève son menton avec le pouce etl’index et ses yeux se fixent sur moi.Comme à chaque fois qu’elle meregarde, j’ai un mal de chien àdétourner le regard.

— Tu sais qu’un gars se fout de tagueule lorsqu’il ne te regarde pasdans les yeux.

— Arrête ! fait-elle en tournant latête.

— Arrête quoi ?— De vouloir me faire douter de

ma relation avec Landon. J’y arrivetrès bien sans toi, merci.

Elle dégage ma main et seprécipite dans la maison. Voilà quiest intéressant... Je m’apprête à lasuivre lorsque mon téléphonesonne.

— Coucou, me dit Bree. Je medemandais si on pouvait se voirsamedi soir ?

— Samedi ?— Je me disais que ce serait

sympa d’apprendre à se connaîtreun peu mieux. Tu auras besoin dequelqu’un pour t’aider, au lycée.Ashtyn est assez prise à cause deLandon et du football. Je pourraisêtre là en cas de besoin.

En cas de besoin... J’ai tellementde besoins, en ce moment, que çaen devient comique. Il faut que jeme secoue, parce que si je continuesur cette voie, je vais finir par péterles plombs.

— D’accord, lui dis-je en levantles yeux vers la fenêtre d’Ashtyn.

C’est une excellente idée.

CHAPITRE 16ASHTYN

Les fêtes à Fremont sont

légendaires, surtout lorsqu’elles ontlieu chez Jet. Ses deux pères sontpartis pour le week-end, alors il enprofite pour ouvrir les festivités del’été. Landon est venu me chercher.Je compte bien arranger les chosesentre nous.

Il me prend la main et m’entraîneà l’intérieur. Jet est assis dans lesalon et joue à un jeu d’alcool de

son invention, N’importe nawak.J’y ai déjà joué. Une seule chose àsavoir, avec ce jeu : quelqu’un finiracomplètement bourré avant la finde la soirée.

Jet nous fait signe de lerejoindre. De toute évidence, lapartie dure depuis un moment : il ales yeux injectés de sang et Vicsourit comme si tous ses problèmess’étaient évaporés. Vic ne souritjamais ; en général il broie du noiret s’énerve parce que son pèredirige sa vie. Jet se décale pour

nous faire une place.— Hé, Ashtyn ! N’importe

nawak ?— Je ne joue pas, Jet.La dernière fois, il était tellement

ivre qu’il s’est mis à vomir partout.On a cru qu’il allait faire un comaéthylique.

— Allez, Cap’taine, fais pas tarabat-joie. N’importe nawak ?Monika et moi, on a fait des trucsensemble en classe de cinquième ?

Monika est assise sur les genouxde Trey, les bras autour de son cou.

Facile...— C’est n’importe nawak.— Exactement ! lance fièrement

Monika. Je n’aime pas les petitsBlancs. Je n’aime que mon hommeen chocolat. Pas vrai, bébé ?

— Vrai !Et il l’embrasse.— C’est parce que tu n’as jamais

été avec un petit Blanc, s’amuse Jet.Trey lève les yeux au ciel et

Monika éclate de rire.Jet avale un shot tandis qu’un

groupe de filles entre dans la pièce.

Parmi elles, Bree en minirobe noire,épaules dénudées.

— Houlà ! Bree cherche un peud’action, ce soir, murmure Jet avantde siffler doucement.

Derek entre à son tour. Elle seretourne vers lui, sourit, puis leprend par le bras et l’amènes’asseoir avec nous.

— Salut tout le monde ! dit-elle,tout excitée.

Je sens tous les regards braquéssur moi ; ils meurent d’en savoirplus au sujet du nouveau. Il ne

m’avait pas dit qu’il serait là, cesoir, avec Bree. Il s’était enfermédans sa chambre et n’avait paslaissé filtrer le moindre indice.

— Derek n’a jamais joué àN’importe nawak, lance Landon. Ilfaut qu’on s’occupe de ce puceau.

Jet acquiesce, mais je proteste :— Je ne crois pas que ce soit une

bonne idée.— On fait un petit jeu d’alcool,

t’es partant, Derek ? enchaîneLandon en m’ignorant.

Je lui donne un coup de coude et

lui lance un regard noir.— Landon, stop.— Quoi ? Alors, Derek, tu veux

jouer ou pas ? Enfin, si tu crois quetu ne peux pas gérer...

— C’est parti, dit Derek sansaucune hésitation, comme siLandon remettait en cause savirilité.

— Je t’explique les règles.D’abord, tu descends un shot. C’estde la gelée un peu arrangée. Puis tudois répondre sans réfléchir.

Derek hoche la tête. Il ne se

doute pas qu’il y a beaucoup plus devodka que de gelée.

— On se pose des questions àtour de rôle, poursuit Landon. Si ceque je dis est vrai, tu prends unshot. Chaque fois que tu hésites, tuprends un shot. Si je dis desconneries, tu le dis... et si tu asraison, tu ne prends pas de shot. Jepeux contester et dire que ce nesont pas des conneries, et alors c’estle groupe qui vote. La majoritél’emporte.

— D’accord.

Derek n’est pas le moins dumonde intimidé. Je ne lui dis pasqu’en général, on ne doit boire quelorsqu’on hésite. Il n’estthéoriquement pas obligé non plusde boire au départ, mais ce soir,Landon semble jouer selon sespropres règles.

Deux taureaux cornes à cornes,ça ne va pas être beau à voir. Il fauttout arrêter avant que le jeu necommence.

— Landon, ne fais pas ça.— T’inquiète, Ash, dit Derek. Je

contrôle. Bree agite le bras souscelui de Derek.

— Laisse-les jouer, Ash. Fais pasta rabat-joie.

Je devrais bondir et refuserd’assister au désastre quis’annonce, mais Landon me tientpar la hanche et me force à rester.

Les deux garçons avalent chacunun shot. Je parie qu’ils auront tousles deux une horrible gueule de boisdemain matin et ça ne me plaît pas.

Mon copain se racle la gorge.— Alors : tu te coupes les poils

pubiens.Derek ne quitte pas Landon des

yeux et vide un shot d’une traite.Puis il se penche en avant.

— Ça t’emmerde qu’on ait éluAshtyn capitaine.

— C’est des conneries.Derek hoche la tête en entendant

sa réponse.— Tu mens. C’est toi qui dis des

conneries.— On enchaîne : tu détestes vivre

à Fremont. Derek avale un autreshot et le mitraille avec sa nouvelle

question :— Tout le monde pense que tu es

un connard. Landon prend un shot.— Tu te branles en pensant à ma

copine.— Landon !— Quoi ? dit-il en levant les

mains comme un parfait innocent.Ce n’est qu’un jeu.

Derek ne répond pas, ne meregarde pas.

— Je parie que c’est vrai,marmonne Trey.

— Tu veux jouer à ça ? demande

Derek, prêt à en découdre. Tu veuxvraiment qu’on aborde les sujetsperso ?

— Oui, on peut jouer à ça. Derekprend un nouveau shot.

— Tu baises toujours avec ton ex.Qu’est-ce qu’il se passe ? C’est du

grand n’importe quoi et je meretrouve en plein milieu des tirs.Landon est furieux et bondit sur sespieds. Derek n’a pas pu dire ce quej’ai cru entendre... A présent, tout lemonde les regarde. On dirait qu’ilssont prêts à se taper dessus.

— Ça suffit !Je crie mais personne ne

m’écoute. Je me tourne vers Jet etVic avec un air suppliant, mais Vicest à l’ouest et Jet se marre troppour intervenir.

— Prends un shot, dit Derek,visiblement satisfait. Tu as hésité.

Landon vide son verre d’un traitpuis le claque contre la table. Iln’aime pas se faire avoir, ça va trèsmal se terminer.

— Ashtyn est à moi, tu sais.— C’est ce que tu crois, réplique

Derek. Tu n’es pas le seul à te lataper tous les soirs.

Il déglutit et me jette un brefcoup d’œil. Son mensonge m’a faitl’effet d’une gifle. J’ai le visagebouillant et le reste de mon corpsparalysé. Il n’a pas pu dire ça...

Je le pousse et cours hors de lamaison.

CHAPITRE 17DEREK

— Ashtyn, attends !Je la vois qui marche le long du

trottoir et je la rattrape.— Ma vie n’est pas un jeu, Derek.— Je n’ai jamais dit ça.J’ai du mal à articuler ; l’alcool

commence à faire effet. Pourtant,j’ai encore les idées claires. Siquelqu’un manque de clairvoyance,c’est bien elle.

— Pourquoi tu m’en veux ? je lui

demande en lui tendant sa vestequ’elle avait oubliée. C’est Landonqui m’a fait jouer à son jeu débile.

— Je vous en veux à tous les deuxpour vos questions débiles, et parceque maintenant, tout le monde croitqu’on couche ensemble. Si tu as unproblème d’ego, il fallait rester à lamaison.

Elle ne va pas s’en tirer aussifacilement.

— Je t’ai déjà dit que je n’avaispas choisi de venir à Chicago, Sucred’orge. On m’y a obligé, comme ton

copain m’a obligé à jouer à ce petitjeu idiot.

— Je t’avais dit de ne pas jouer !Mais ton ego et tes couilles raséest’ont envahi le cerveau.

— Je n’ai pas dit que je me rasais.J’utilise des ciseaux. Je le dévisagecomme si c’était un taré.

— Peu importe. Tu étais censé nepas te mêler de ma vie, et moiignorer la tienne. On avait unmarché.

— Comment j’étais censé savoirqu’il allait me poser une question

sur toi ? Et il est où, le problème,bordel ? Fous-moi un peu la paix !Redescends sur Terre, Ashtyn. Jesuis un mec, à notre âge on estbourré d’hormones, et j’ai rien faitces derniers temps... D’accord, jeme masturbe. Et alors ? Je suisdésolé de m’être laissé prendre aupetit jeu de ton copain pour savoirqui avait la plus grosse.

— Tu es fou, Derek Fitzpatrick.C’est officiel. Ivre serait plus juste.

— Je n’arrive pas à croire quevous ayez réussi à m’inclure dans

votre manège. Maintenant, les gensvont se mettre à colporter toutessortes de ragots.

Je me passe une main dans lescheveux. Comme j’aimerais quecette conversation n’ait jamais eulieu...

— Je me fous pas mal de ce queles gens de cette ville peuventpenser.

Soudain, Landon sort de lamaison avec tout un groupederrière lui :

— Ashtyn, viens ici !

Elle fait mine de ne pas l’avoirentendu et me dévisage comme sij’étais l’ennemi.

— Pour ta gouverne, tu es leneveu que j’aime le moins, dit-elleentre les dents avant de rejoindreMonika pour lui demander de laraccompagner.

Alors que leur voiture s’éloigne,la musique qui provient de lamaison me rappelle que la fête batson plein. Et Bree doit se demanderpourquoi je n’ai pas envoyé boulerLandon quand cet idiot a dit que je

me branlais en pensant à Ashtyn. Jeme faufile jusqu’à elle dans lelabyrinthe humain.

— On peut parler ?Elle pose une main sur ma joue.— Tu es trop mignon. Si tu

comptes t’excuser, ce n’est pas lapeine. Je sais que tu te foutais deLandon juste pour qu’il la ferme. Etje crois que tu as réussi.

— Merci.Elle m’embrasse sur la bouche.— Tout le plaisir est pour moi.Nous restons à la soirée un

moment mais très vite, je suistellement soûl que j’ai juste enviede dormir. Bree finit par avoir enviede partir, elle aussi, et noustrouvons quelqu’un d’assez sobrepour nous raccompagner.

De retour à la maison, j’aiconscience que je dois rattraper lecoup avec Ashtyn.

Elle a été très claire, pourtant :elle ne veut rien avoir à faire avecmoi. Alors pourquoi est-ce que jen’arrive pas à me la sortir ducrâne ? Je crois quoi ? Que parce

que je suis attiré par elle, elleressent forcément la même chose ?

La bonne blague !Finalement, c’est bien qu’Ashtyn

me rejette. Nos vies sont déjàsuffisamment compliquées commeça, pas besoin d’en rajouter.

Je lui suis reconnaissant d’avoirlaissé la porte d’entrée ouverte,mais ma chance ne dure paslongtemps. Brandi est encoredebout, devant l’ordinateur, en trainde faire une vidéo. Ça me faitbizarre de voir son ventre rond et

nu sous son haut relevé.Je passe derrière elle

discrètement, en espérant que leseffets de l’alcool ne se voient pastrop.

— Je suis rentré.— Salut, Derek, répond-elle en

frottant son nombril. Je filme monventre jour après jour. Lorsque tonpère rentrera, il sera content de voirl’évolution. Il me manque à mort.Tiens, viens lui faire un message.

Je salue la caméra en priant pourn’avoir pas l’air trop torché.

— Coucou, Papa. J’espère quet’accomplis ce que tu veux aumilieu de l’océan. A plus !

C’est naze qu’il soit aussi loin, etqu’on ne puisse pas se parler.Lorsqu’il est absent, j’ail’impression qu’il gravite autour dema vie sans en faire véritablementpartie, comme une vagueconnaissance.

— Tu as bu combien de verres cesoir ? me demande Brandi avantque je ne parte.

— Beaucoup.

— Je l’ai senti à la seconde où tut’es approché. Elle baisse son hautpour couvrir son ventre.

— Bon. Eh bien, je devrais, tusais..., te dire que c’est unemauvaise idée de boire à ton âge.

— Tu ne buvais pas, toi ?— Si. Je ne suis sans doute pas la

bonne personne pour critiquer lessoirées du lycée. Simplement... n’enfais pas trop, d’accord ? Si ton pèresavait, je suis sûre qu’il ne seraitpas content et...

— Dis-lui ce que tu veux.

Au point où on en est, qu’est-cequ’il pourrait y faire ? Ce n’est pascomme s’il pouvait me gronder oume reprendre la bagnole. Il n’estpas là pour faire la loi. Personnen’est là pour ça.

Elle secoue la tête.— Et si je te laissais le lui dire ?— Cool.Ma vie est redevenue

parfaitement anormale enseulement quelques secondes.Avant de m’en aller, je me retournevers Brandi.

— Tu sais où est Ashtyn ?— Elle est là-haut, elle dort. Est-

ce que tout va bien entre vous ?— Je ne sais pas, dis-je en me

frottant la nuque.— Tu veux un conseil ?Je n’ai pas le temps de lui dire de

le garder pour elle qu’elle lève lesmains :

— Ma sœur vit à fond et elle aimeà fond. C’est dans sa nature, elle estcomme moi.

Je réfléchis une minute, ce quiest assez dur dans mon état.

— Merci, Brandi. Elle souritfièrement.

— De rien. Bonne nuit, Derek.— ‘nuit.Quand j’étais petit, ma mère avait

l’habitude de s’allonger avec moisur le lit et on inventait deshistoires. Elle commençait unephrase et je la terminais. « Il étaitune fois un garçon quis’appelait... », commençait-elle, etmoi j’ajoutais : « Derek. » Puis elleenchaînait : « Un jour, Derek rêvaitd’aller... » et je racontais où j’avais

envie d’aller et on créait comme çaune aventure incroyable. C’étaitnotre rituel du soir. Puis je suisdevenu trop vieux et elle s’est miseà me prodiguer des conseils sur lesfilles, l’école, le football américain,et tout ce dont j’avais envie dediscuter avec elle.

Brandi n’a rien à voir avec mamère. Du coup, celle-ci me manqueencore plus. J’aimerais tellementpouvoir lui parler encore une fois,la voir me sourire encore une fois,créer une de nos histoires encore

une fois. Je donnerais n’importequoi pour qu’elle me conseille àpropos d’Ashtyn ; elle auraitcertainement la réponse.

Mais il faut croire que je dois medébrouiller seul.

Je me déshabille et monte àl’étage en boxer pour me brosser lesdents. En sortant de la salle debains, je me rappelle que je n’ai pasrendu sa veste à Ashtyn. Jeredescends, attrape le vêtementdans ma chambre, remonte et meretrouve devant sa porte. Je

frapperais bien mais j’ai peur queFalkor ne se mette à aboyer commeun chien enragé et ne réveilleJulian qui dort dans la chambre àcôté.

— Ashtyn, dis-je doucement.La porte est légèrement

entrouverte. Je la pousse et jette unœil à l’intérieur.

Falkor dort au pied du lit, veillantsur sa princesse. Je rentre sansbruit pour déposer l’habit sur ledossier d’une chaise, mais envoyant Ashtyn étendue sur le lit, les

yeux ouverts, je bloquecomplètement.

— Va-t’en.Je brandis sa veste.— Tu as oublié ça à la fête. Tu

pourrais faire semblant d’êtrereconnaissante et me remercier.

— Désolée. Merci infiniment deme l’avoir rapportée, dit-elle d’unton sarcastique. Maintenant, veux-tu, s’il te plaît, la poser et dégagerd’ici ?

— Je suis sûr que tu m’aimesbien, dis-je en m’exécutant. Les

mots m’ont échappé, impossible deles retirer.

— Vraiment ?— Ouais. Lorsque tu seras prête à

l’admettre, fais-moi signe.

Ce qu’il y a de mieux, avec lesamis proches, c’est qu’ils saventtout de votre vie. Ce qu’il y a depire, avec les amis proches, c’estqu’ils savent tout de votre vie.

Monika est arrivée chez moi, cematin, avec un café au lait danschaque main. Elle m’en offre unpuis s’assoit au bord de mon lit etsavoure le sien à petites gorgées.

— Tu veux en parler ?

CHAPITRE 18ASHTYN

J’avale une gorgée de boissonchaude et soupire.

— Parler de quoi ? Du fait queLandon et moi, on ne se supporteplus, ou du fait que Derek est unfléau dans mon existence ?

— Un fléau ? C’est rude, surtoutvenant de toi. D’habitude, tu estoujours en bons termes avec lesmecs. Tu les comprends. C’est quoi,le problème, avec celui-là ?

Je repousse les couvertures.— Il a le chic pour faire ressortir

le pire en moi.

— Et pourquoi ça ?— Je ne sais pas, dis-je en

haussant les épaules. Il ne prendjamais rien au sérieux. Ah, sauf lanourriture.

Je t’ai raconté à quel point il estobsédé par l’idée de manger sain ?

J’agite les mains en l’air.— Il refuse de toucher un

Skittles ! Et il laisse la lunette destoilettes relevée exprès... juste pourm’énerver.

J’enrage en songeant à la façondont Derek s’est immiscé dans ma

vie. Je me mets à faire les cent pasen buvant mon café au lait.

— Il te tape sur le système, ondirait.

— Tu peux le dire...Je regarde Monika du coin de

l’œil. Je sais très bien ce qu’elle a entête... Ma meilleure amie croit avoirun don pour comprendre les gens etles situations.

— Ne va pas surinterpréter quoique ce soit, s’il te plaît.

— Promis, répond-elle en avalantle reste de son café. S i tu ne

surinterprètes pas trop ce que jevais te dire.

— A quel sujet ?— Ça concerne Trey et moi.Je m’assois près d’elle. Je suis

une amie tellement nulle etégocentrique que je ne lui ai mêmepas demandé comment elle va. Ilfaut croire qu’en voyant Monika, jepense à une vie parfaite, etn’imagine pas qu’elle puisse avoir lemoindre problème.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?— Tout va bien, c’est juste que...

Elle s’étend sur mon lit en geignant.— Trey et moi...Je lui fais signe de poursuivre.— Vous n’allez pas rompre,

quand même ?— Non ! Ça n’a rien à voir.

Promets-moi que tu n’en parleras àpersonne.

— Tu as ma parole.Elle pousse alors un grand

soupir.— On l’a toujours pas fait.Et elle attrape un coussin et se

couvre le visage avec, totalement

gênée.Je redresse le coin du coussin.— De quoi tu parles ? De sexe ?— Ouais.— Attends... Je croyais que vous

aviez couché ensemble à la Saint-Valentin ?

Trey avait organisé une soiréeultra-romantique. Il avait loué unechambre d’hôtel et l’avait invitée aurestaurant. Je l’avais aidé à toutpréparer car il voulait que tout soitparfait. Pour elle.

— Tu m’as dit que ça avait été la

plus belle soirée de ta vie. Tu asmême utilisé le mot magique.

— J’ai menti.— Pourquoi ?Monika disait souvent que perdre

sa virginité n’était pas importantpour elle, et que si Trey voulaitpasser à l’acte, elle était tout à faitpartante. Et je sais qu’ils ont déjàfait... des trucs. La plupart dutemps, ils ne peuvent pass’empêcher de se tripoter.

— On est allés dîner, puis on estallés à l’hôtel et on a commencé à

s’amuser. Mais ça paraissait bizarre,forcé, tu vois. Je n’étais pas dedans.

Elle commence à gratter sonvernis à ongles.

— Trey m’a dit que ce n’était pasgrave et qu’il attendrait que je soisprête, mais je sais qu’il était déçu.

C’est vraiment étranged’apprendre la vérité, parce qu’à lafaçon dont Trey parle d’eux en sonabsence, on croirait qu’ils nemanquent pas une occasion. Je l’aidéjà entendu dire qu’ils avaient faittrois fois l’amour en une nuit. Et

qu’ils l’avaient fait au RaviniaFestival, sous une couverture,pendant un concert. Il a mêmeprécisé qu’une fois le préservatifavait craqué. A l’entendre, onjurerait qu’ils ont une vie sexuelledémente.

Comment concilier ma relationavec Monika et mon amitié avecTrey ? Les garçons ne sont pas justemes coéquipiers. Ils se confient àmoi. De toute évidence, Trey nesouhaitait pas révéler la vérité sursa vie sexuelle, et je ne lui jette pas

la pierre. Tous les autres garçonsparlent de leurs folles aventuresavec des filles et je suis certaine queTrey ne voulait pas rester sur latouche. Les mecs sont tous pareils.

Je caresse la main de mon amie.— Ton secret sera bien gardé.— Je l’aime, Ashtyn.

Sérieusement, je sais que ça a l’airstupide, mais je fantasmecomplètement à l’idée d’épouserTrey et d’avoir des enfants avec lui.C’est mon âme sœur, j’en suis sûre.J’ai envie de faire l’amour avec lui

et il est toujours très doux, trèspatient avec moi. Je suis juste... Jene sais pas. Peut-être que quelquechose cloche chez moi.

— Tout va bien, chez toi, Monika.Tu n’es pas prête, voilà tout.

— J’aimerais tant que mesparents l’acceptent. Ils n’ont jamaistoléré qu’il habite The Shores.

The Shores est une résidence duquartier sud de la ville. Ce n’est pasl’endroit le plus sûr de Fremont etles gangs y sont nombreux, tout lemonde le sait. Mais Trey a su rester

à l’écart. Ses parents ne sont pastrès riches, mais ils sont très liés etle père de Trey est l’homme le plusdrôle que je connaisse.

Monika a l’air plus détendue,maintenant qu’elle s’est confiée.Elle bondit de mon lit comme si elleétait sut ressort et regarde par lafenêtre.

— Alors, dis-moi, Derek, il a bienune histoire ?

— Je ne sais pas. Il vient deCalifornie, son père est dans laNavy, il déteste la malbouffe, et il

s’est fait virer de je ne sais quelinstitut privé pour avoir lâché descochons dans la nature. C’est tout.

— Il a une copine ? Je hausse lesépaules.

— Est-ce que Bree lui plaît ou est-ce qu’il en pince pour toi, comme l’asuggéré Landon ?

— Je t’assure qu’il n’en pince paspour moi. Il aime juste m’énerver.

— Ça vaut des préliminaires.— Tu es folle. Écoute, je sais que

tu rêves de devenir un agent du FBIun jour, mais Derek, on n’en parle

pas.— Pourquoi ?— Parce que. Je ne veux pas qu’il

interfère dans ma vie et j’ai promisde ne pas m’immiscer dans lasienne. On n’a rien en commun.Absolument rien.

Elle éclate de rire et pose unemain sur mon épaule.

— Ce n’est pas une raisonsuffisante, d’après moi. Ecoute, onva partir en mission dereconnaissance et en apprendredavantage sur ce garçon mystérieux.

Elle se précipite au rez-de-chaussée et je la suis à toutesjambes.

— Pas question d’aller fouillerchez lui !

— Et pourquoi pas ?— Parce que c’est pas cool et

probablement illégal. La porte dubureau est ouverte. Monika pénètreà l’intérieur sans hésiter.

— Fais le guet et préviens-moi s’ilarrive.

— Que ce soit clair, je suis contrecette idée d’espionnage.

— Que ce soit clair, tu meursd’envie de savoir ce que je vaistrouver.

A vrai dire, elle n’a pascomplètement tort.

Mon cœur bat à toute allure alorsque je regarde par la fenêtre Derekpousser la tondeuse au fond dujardin. Il a coincé son T-shirt dansla poche arrière de son jean et sondos musclé luit de sueur. Jem’écarte un peu pour qu’il nepuisse pas me voir.

— Il aime les bottes, on dirait !

Monika en brandit une paire encuir marron et en fait tomber uneliasse de billets de cent dollars.

Waouh ! Il est plein aux as. D’oùil sort tout cet argent ? demande-t-elle en remettant la liasse dans labotte. Pas la moindre idée. Allez,viens.

— Attends. Tiens, tiens... Voyez-vous ça ! s’exclame Monika enouvrant sa valise. On dirait que tonhomme porte des boxers, met duparfum Calvin Klein et joue aupoker. Peut-être qu’il a gagné un

paquet de fric aux cartes.— Aux cartes ?Ma copine plonge alors la main

dans la valise et en ressort unepoignée de jetons.

— Ouais. C’est un flambeur, y apas de doute. Dehors, Derekramasse l’herbe coupée et la fourredans des sacs. Monika inspecteencore quelques boîtes avant des’exclamer :

— Son portefeuille !Je me précipite vers elle et le lui

arrache des mains.

— Ne regarde pas dedans. C’esttrop personnel !

— Justement. Quel meilleurmoyen d’en apprendre un peu plussur quelqu’un ? Le portefeuille d’unmec est le reflet de son âme,comme son téléphone.

— Vraiment ? résonne la voix deDerek derrière nous. Je n’avaisencore jamais entendu ça.

Merde !Je fais volte-face et il me

dévisage. Je me sens comme unegamine prise les doigts dans le pot

de confiture. Je jette le portefeuillesur le lit et recule d’un pas, commesi ça pouvait m’innocenter. Puis jebalbutie :

— Salut, Derek. On était juste...Je jette un œil désespéré à

Monika qui s’avance vers lui avecun sourire innocent.

— Ashtyn et moi n’étions pasd’accord, alors il f al l ai t qu’onvienne dans ta chambre pourdécider.

— Vous n’étiez pas d’accord surquoi ?

— C’est une bonne question.— Oui, c’est une bonne question,

répète Monika sans trouverl’argument qui nous manque.

Derek a l’air mort de rire. Il nesemble ni énervé, ni gêné qu’on aitpu découvrir qu’il joue au poker etconserve une belle somme dans unebotte.

— On voulait savoir si tu...— ... gardais un préservatif dans

ton portefeuille ! s’écrie Monika.Ashtyn a parié que les garçonsgardaient tous des préservatifs dans

leur portefeuille et moi, j’ai dit, bah,que les mecs ne faisaient plus çadepuis les années 80.

Des préservatifs ? Elle aurait putrouver quelque chose de moins...embarrassant.

— Et quel est le verdict,mesdemoiselles ? lâche-t-il avec undemi-sourire.

— On n’a pas eu le temps de voir,dis-je en regardant le portefeuille.Mais ce n’est pas grave.

Derek le ramasse et me le tend.— Tiens. Ouvre-le. Vous êtes

venues jusqu’ici pour savoir, alorspourquoi s’arrêter si près du but ?

Monika m’incite à le prendre,qu’on en finisse. Je me racle lagorge, puis le déplie et jette un œil àl’intérieur. Dans un descompartiments, je trouve la photod’une jolie femme en robe bleu clairà côté d’un homme en uniformeblanc. Elle a les yeux de Derek et luiles mêmes traits burinés. Jerepousse quelques reçus sansintérêt et vérifie l’autrecompartiment, vide.

— Pas de préservatif, dis-jebêtement. Il me reprend leportefeuille des mains.

— Je crois que tu as perdu.

CHAPITRE 19DEREK

Voilà une semaine qu’Ashtyn et

Landon se sont rabibochés. Elleentre dans la cuisine et jette uneenveloppe FedEx sur la table.

— C’est pour toi.Puis elle se tourne et ouvre le

garde-manger.Une enveloppe FedEx ? Au début,

je ressens un vent de panique,craignant une mauvaise nouvelleconcernant mon père. Mais les

mauvaises nouvelles aux famillesde militaires n’arrivent pas parFedEx. C’est lorsque deux hommesen uniforme se présentent sur leperron qu’il faut se mettre àpaniquer.

Pourtant, je tressaille endécouvrant l’adresse del’expéditeur : c’est ma grand-mèredu Texas, la mère de ma mère.Comment elle a su que j’étais ici ?Autrefois, elle m’envoyait uncadeau à chaque anniversaire, parobligation, mais je n’ai eu aucun

contact direct avec elle depuis desannées.

Elizabeth Worthington a toujoursdétesté que mes parents se soientmariés, car mon père ne fait paspartie de la haute société texane.Elle n’est même pas venue àl’enterrement de sa fille, auquel elles’est contentée d’envoyer unecargaison entière de fleurs. Ellepensait sans doute que celacompenserait les années perdues...

A vrai dire, je me fichecomplètement de ce qu’Elizabeth

Worthington a à me dire ; autantbalancer l’enveloppe encore intacteà la poubelle.

— C’était quoi ? me demandeAshtyn, un paquet de cookies à lamain.

Elle n’a pas vu que je n’avais pasouvert l’enveloppe.

— Je croyais qu’on ne devait pass’immiscer dans les affaires del’autre ?

— Simple curiosité. Et puis tu medois bien ça.

— Pardon ?

Elle prend un air choqué :— Attends, Cow-boy ! Tu as dit

que tu n’interviendrais pas dans mavie, mais tu tapes dans le dos demes potes, tu joues à des jeuxd’alcool avec mon copain et tuflirtes avec mes copines.

— Je flirte ?— Avec Bree.Je l’arrête de la main.— Ecoute, cette fille m’a

demandé si l’essence et l’huileallaient dans le même réservoir dela tondeuse ou dans deux cuves

séparées. Puis elle m’a proposé desortir avec elle un samedi soir.Qu’est-ce que tu voulais que jefasse, que je l’ignore ?

— Si tu crois qu’elle s’intéresseaux tondeuses, tu es un crétin. Elleveut seulement t’enlever tonpantalon.

— Et qu’est-ce qu’il y a de mal àça ? Pas de réponse.

— Tu veux vraiment savoir cequ’il y a dans cette enveloppe ?C’est une lettre d’admission dansl’équipe olympique de trampoline

synchronisé. J’enlève une poussièrede mon épaule.

— Je n’aime pas me vanter, maisj’ai gagné l’or au championnatnational, l’an dernier.

— Le trampoline synchronisén’existe pas, Derek. Je lui tapote latête comme à une gamine.

— Mais si, bien sûr.Elle lève au ciel ces yeux noisette

qui me captivent. J’aime vraimentla taquiner, mais, en vérité, j’aimesurtout la voir se prendre la tête.

— Quel menteur...

Ashtyn a tort. Et le pire, c’estqu’elle est persuadée d’avoir raison.

— On parie, Sucre d’orge ?— Ouais, on parie, dit-elle les

mains sur les hanches. Ça devientintéressant.

— Qu’est-ce qu’on parie ?Elle réfléchit et se frotte les

mains, comme si elle venait d’avoirune idée géniale.

— Si je gagne, tu dois manger unsachet de Skittles entier.

— Les violets aussi ? dis-je enrigolant. Ça marche ! Et si tu perds,

tu dois sortir avec moi un soir.Je l’entends déglutir

bruyamment.— Qu... quoi ? J’ai dû mal

entendre... Sortir avec toi ?— Seulement si je gagne.— Comme un couple » ? Euh... tu

te souviens que j’ai un copain ?— Ne te prends pas la tête. Qui

parle de couple ? Je voulaissimplement dire qu’on ferait unesortie ensemble.

— Landon ne va pas apprécier.— Qu’est-ce que ça peut me

faire ?— Tu te fiches de tout, en fait ?— Pas exactement.— Tu es pathétique, conclut-elle

avant de disparaître. Mais très vite,elle réapparaît avec son ordinateurportable et un sourire arrogant.

— Il y a un paquet de Skittlesentier qui t’attend dans le placard,Cow-boy. Version XL.

Je me frotte les mains comme sije savourais une vengeance.

— J’ai déjà prévu toute notresoirée... Une soirée rien que pour

toi.Elle n’a pas l’air de s’inquiéter le

moins du monde en tapanttrampoline synchronisé aux Jeuxolympiques sur son davier. Maisson arrogance disparaît d’un seulcoup et elle se penche en avant enfronçant les sourcils. D’habitude,elle contrôle le moindre de sesmouvements ; plus maintenant.Elle consulte différents sites quiprouvent que j’ai raison, se plaquecontre le dossier de sa chaise etplisse le nez, vaincue.

— C’est un vrai sport, marmonne-t-elle.

— Je te l’avais dit. Tu devrais mefaire confiance, de temps en temps.

Elle me fixe du regard ens’affalant sur sa chaise.

— Je ne fais confiance àpersonne.

— C’est naze.— Je te l’accorde.— Tu vas sans doute me trouver

optimiste mais moi, je crois que laconfiance peut se gagner. Je vaispeut-être t’étonner et te faire

changer d’avis.— J’en doute.Je lui pince gentiment le menton.— Tu me mets au défi ? Ok.Je la laisse cogiter à l’idée de

sortir avec moi et v a i s trouverJulian dans sa chambre. Il est entrain de feuilleter un livre d’imagessur les châteaux de sable et pointedu doigt une énorme constructiontrès ouvragée, avec des douves etdes ponts-levis.

— Pop’ a fait un château de sableavec moi la dernière fois qu’on est

allés à la plage.Il repose le livre.— C’était avant qu’il aille dans le

gros sous-marin. P o p ’ . . . C’estcomme ça que j’appelais mon pèrequand j’avais son âge. Ce gamin n’ajamais connu son vrai père ; je nedevrais pas être surpris qu’ilconsidère le mien comme le sien. Etpourtant... Où que je me tourne, j’ail’impression qu’on me rappelle quej’ai une nouvelle famille pourm’obliger à oublier l’ancienne.J’aimerais les envoyer tous paître,

mais quand je vois ce gosse... Je nesais pas. Je sens un lien entre nous,comme si j’étais son grand frère.

Je m’agenouille près de lui.— Eh bien, cours demander à ta

mère ton maillot de bain. Jet’emmène à la plage construire unchâteau de sable.

— Vraiment ?Il jette le livre sur son lit et

bondit d’excitation.— Ouais !Et nous voilà à la plage en train

de creuser et de dresser des tours de

sable. Trois autres gamins nousregardent et se lancent dans leurpropre construction, juste à côté denous. Julian redresse la tête parcequ’il sait que notre château est leplus beau. Et de loin.

— C’est mon grand frère, dit-il àun des gosses qui admirent nosdouves.

— Tu veux nous aider ? On auraitbien besoin de brassupplémentaires.

Dès que ce gamin se joint à nous,d’autres se précipitent et, très vite,

nous nous retrouvons avec unepetite armée de minisoldats qui mescrutent comme si j’étais un genrede dieu du château de sable ets’adressent à Julian comme s’ilavait douze ans, et non cinq.Bientôt, notre œuvre ressemble àun vrai royaume, avec plusieursbâtiments, des ponts, des tunnels.

Quand j’en ai assez des châteaux,je fais la course avec Julian jusqu’àl’eau du lac Michigan pour nousrincer. Je lui apprends à flotter surle dos sans bouger. On s’éclabousse

et on s’amuse jusqu’à ce que le petitse retrouve avec des coups de soleil.Alors, il grimpe sur mes épaules elje le reconduis jusqu’à la berge.

— Je suis content que tu soismon frère, Derek, dit-il en meserrant le cou.

Je lève les yeux vers safrimousse ; il me regarde comme sij’étais son héros.

— Je suis content, moi aussi.Son père l’a abandonné, mon

père est absent, je suis donc le seulhomme dans sa vie. Il faudrait que

son grand-père s’intéresse à lui,mais Gus n’aime rien à partdisparaître et faire la tronche.

On se sèche et on se prépare àpartir. Julian accepte d’aller fairequelques courses avec moi. Je faisle plein de yaourts, de fruits etlégumes qui, j’en suis sûr, n’ontjamais pénétré le frigo des Parker.

De retour à la maison, jedécouvre la lettre de ma grand-mère, miraculeusement ressortie dela poubelle pour atterrir sur moncoussin. Ouverte. Et merde ! Encore

un coup d’Ashtyn.Je la trouve dans le salon, en

train de manger des chips devantune émission de télé-réalité débilequi semble la captiver. Elle a refaitsa tresse et porte un survêtementsans manches sur un T-shirtmarqué Fremont Athletics.

J’agite l’enveloppe devant elle.— Pourquoi tu as sorti ça de la

poubelle ?— Pourquoi tu as menti ? Ce

n’est pas une invitation à intégrerl’équipe de trampoline synchronisé.

Elle offre une chips à Falkor et seredresse.

— Ça vient de ta grand-mère.— Et alors ?— Tu ne l’as même pas lue,

Derek.— En quoi ça te regarde ?— Ça ne me regarde pas. Ça t’est

adressé, alors lis. Je ne veux passavoir ce que contient cette lettre.

— Tu te rends compte que c’estillégal d’ouvrir le courrier d’autrui ?La violation de la vie privée, ça tedit quelque chose ?

Ashtyn n’a pas l’air de se sentircoupable ; elle attrape une nouvellechips et se la fourre dans la bouche.

— Tu l’as jetée. Elle n’était plus àtoi. D’un point de vue juridique, cen’est pas une violation de la vieprivée.

— Tu te prends pour une avocate,maintenant ? Et si la prochaine foisque tu recevais une lettre, jel’ouvrais à ta place ? Ça te plairait ?

— Si je la jetais, ce serait juste. Tupourrais en faire ce que tu veux.

Elle désigne alors mon enveloppe

de ses doigts gras.— Tu dois lire cette lettre, Derek.

C’est important.— Quand j’aurai besoin de tes

conseils, je te ferai signe. Enattendant, ne fourre plus ton nezdans mes affaires.

Je vais à la cuisine et balance lepli à la poubelle une deuxième fois.Puis je me mets à chercher unmixer.

— Pourquoi vous vous battezencore avec Tatie Ashtyn ?demande Julian en me regardant

vider les placards.— On ne se bat pas. On se

chamaille. Tu veux un goûter ?Il me fait oui de la tête.— Tu savais qu’il faut plus de

muscles pour froncer les sourcilsque pour sourire ?

— Je dois être sacrement musclé,alors.

Je trouve enfin un mixer et luiprépare un smoothie banane-yaourt-épinards.

— Voilà pour toi, dis-je en luitendant un grand verre. Bon

appétit !Il observe mon breuvage comme

si c’était du poison.— C’est vert ! Je... j’aime pas les

boissons vertes. Autrefois, ma mèrese levait tous les dimanches matinpour nous préparer des smoothies.On avait pour rituel de trinquer,tous les deux, avant de lesdescendre.

— Goûte, lui dis-je en meremplissant un verre. Tchin !

— Pitié, Derek, aucun enfant n’aenvie de boire un truc bon pour le

corps, intervient Ashtyn en sortantune boîte de cookies et un paquetde guimauves du placard. Je vais tefaire quelque chose qui neressemblera pas à de l’herbeliquide, Julian.

Je l’observe préparerjoyeusement des sandwichs decookies avec de la guimauve aumilieu, puis les balancer au micro-ondes.

— Surtout, ne pas les laissercuire trop longtemps... Elleapproche l e visage de la vitre du

four, qui lui grille probablement lecerveau autant que ses sandwichs.

— ... sinon, tu fais cramer laguimauve.

Puis elle sort l’assiette et la posedevant son neveu, fière de sacréation.

Julian regarde les sandwichs decookies, le smoothie, moi, et enfinAshtyn. Il est le juge final de notrepetite compétition.

— Je crois que je vais prendre unfromage rigolo, tranche-t-il.

Il en tire un du réfrigérateur et

l’agite sous nos nez en quittant lacuisine.

— À plus !Ashtyn fait tout un plat de ses

fameux sandwichs et j’essaied’ignorer les gémissements deplaisir qu’elle m’inflige à chaquenouvelle bouchée. Ils me fontpenser à des choses auxquelles jen’ai pas le droit de penser...

Lorsqu’elle a terminé, elle sedirige vers la poubelle et en ressortl’enveloppe.

— Arrête, avec ça.

— Non, dit-elle en me la collantpresque dans les mains. Lis !

— Pourquoi ?— Parce que ta grand-mère est

malade et qu’elle veut te voir. Jecrois qu’elle est mourante.

— Je m’en branle.C’est du moins ce que je

souhaiterais. Pourtant, je pose monverre et fixe l’enveloppe.

— Allez, tu n’es pas aussiinsensible que ça. Prends un truc ausérieux, pour une fois.

Elle abandonne le pli déchiré sur

le comptoir et sort de la cuisine.Mince à la fin ! Si elle ne l’avait pasressortie et ne l’avait pas lue,j’aurais pu prétendre que cettelettre n’avait jamais existé. Je nesaurais pas que ma grand-mère estsur le point de mourir. Je neconnais même pas cette femme.Elle n’était pas là pour sa fillequand celle-ci était malade et avaitbesoin d’elle. En l’honneur de quoije devrais me soucier d’elle ?

Je prends l’enveloppe et la fourreà nouveau dans la poubelle.

Plus tard dans la soirée, Julian seprécipite dans le jardin ; il a vu deslucioles. Je lui apporte un pot enverre que j’ai trouvé dans la cuisinepour qu’il en attrape.

— Pourquoi vous vous battez toutle temps avec Tatie Ashtyn ? medemande-t-il à nouveau enattendant qu’une bestiole daigneallumer ses fesses.

Évidemment, il fallait qu’ilramène le sujet sur le tapis.

— Il faut croire que ça nousamuse.

— Maman dit que les filles sedisputent avec les garçons parcequ’elles les aiment bien.

— Ouais, ben, Tatie Ashtyn nem’aime pas beaucoup.

— Tu l’aimes bien, toi ?— Bien sûr. C’est la sœur de ta

maman... Il n’a pas l’air convaincu.— Et sinon, tu l’aimerais quand

même ?Il vaut mieux que je m’exprime

avec des mots d’enfant, pour qu’ilcomprenne.

— Écoute, Julian : parfois, les

filles, c’est comme la nourriture.Elles ont l’air bonnes, elles sontbonnes, mais en réalité, elles sontmauvaises pour nous, elles donnentdes caries, et il vaut mieux ne pass’en approcher. Tu piges ?

Il me dévisage avec ses grandsyeux clairs.

— Alors Tatie Ashtyn, c’estcomme un Skittles ?

— Ouais. Un énorme sachet deSkittles.

— Je déteste aller chez ledentiste.

Et il repart à la chasse auxinsectes. Il en met quelques-unsdans le bocal puis s’assoit dansl’herbe et les observe. Il est trèsconcentré sur les lumières quivibrent et scintillent.

— J’ai envie de les libérer.— Bonne idée.Il dévisse le couvercle et vide

entièrement le pot.— Maintenant, vous êtes libres !

s’écrie-t-il d’une voix enjouée,semblable à celle de sa mère.

J’entends s’ouvrir la porte-

moustiquaire. Ashtyn vient dansnotre direction, les yeux soulignéspar du maquillage noir. Ses lèvresbrillent. Elle s’est changée pour unerobe d’été moulante rose quisouligne son bronzage et sescourbes dorées. Son look pourraitlui attirer des ennuis si la mauvaisepersonne posait un regard sur elle.Quelle est la vraie Ashtyn ? Celle enpull à capuche noire et T-shirt oucelle en habits courts et moulants,pensés pour exciter les garçons ?

— Qu’est-ce que vous faites ?

demande-t-elle.— On chope des lucioles, répond

Julian en imitant très bien monaccent texan.

— Je peux vous aider ? Je brandisle bocal vide.

— Tu arrives trop tard. On a fini.Son petit sourire disparaît.

— Désolé.Landon débarque alors dans sa

Corvette, ce qui explique la robesexy.

Il sort de sa voiture, et, aprèsavoir admiré la tenue d’Ashtyn, il

l’attire contre lui. Ils s’embrassent,mais franchement, Falkor se lècheles roubignoles avec plus depassion.

CHAPITRE 20ASHTYN

Landon m’emmène dîner dans

un restaurant japonais. On partagenotre table avec six autrespersonnes venues fêter unanniversaire. Le groupe est bruyantet complètement soûl.

— Tu serais pas le fils de CarterMcKnight ? demande un homme dugroupe.

— Et comment ! répond Landonen bombant le torse.

Il devient subitement le centre del’attention et passe les deux heuresdu repas à parler football américainavec eux. On l’interroge sur lasaison à venir, on veut savoir s’ilsuivra les traces de son père.

— Je compte bien faire une plusgrande carrière que lui.

Sa déclaration récolte les faveursdu groupe ; ils ont en face d’eux unfutur champion. Landon ne dit pasque, moi aussi, je joue au football.Ce soir, on ne parle que de lui.

La serveuse vient récupérer les

assiettes et il s’éclipse pour alleraux toilettes.

Une minute plus tard, sontéléphone, qu’il a laissé sur la table,se met à vibrer. J’en profite pourjeter un œil à l’écran. C’est encoreLily... et cette fois, elle lui a envoyéune photo d’elle en petite culottedevant un miroir ! Elle se couvre lesseins avec un bras, tenantévidemment son portable de l’autremain, et elle sourit à l’objectif. Jedétourne le regard ; je ne veux pasêtre jalouse de sa peau mate et

parfaite, de ses longs cheveux noirset brillants, ni de ses yeux exotiqueset sombres. Je me répète qu’elle estmoche, sans y croire.

La photo est accompagnée d’unmessage : « Tu te souviens de ça ? »

Landon me rejoint et je lui tendsson portable.

— Tu as reçu un texto.Il voit l’écran de son téléphone et

se rassoit lentement.— Ce n’est pas ce que tu crois,

Ash.— Je crois que c’est une photo de

ton ex à poil.Alors que nos voisins de table

écoutent notre conversation,Landon commence à voir rouge.

— On pourrait parler de ça plustard, non ? murmure-t-il entre sesdents.

Mais je me fiche qu’il se tape lahonte. On paie l’addition et j’exigequ’il me ramène à la maison. Je nelui laisse pas le choix et fonce versla porte.

— Laisse-moi t’expliquer, dit-ilune fois dans la voiture.

— Fais-toi plaisir, je suis sûre quetu as une explication parfaitementlogique au fait que Lily t’envoie desphotos d’elle nue.

— Ce n’est pas de ma faute. Elledoit vouloir qu’on se remetteensemble.

Il comprend que je ne suis passatisfaite par son argument etsoupire un grand coup.

— Tu sais que je déteste les nanasjalouses, Ash. Il n’y a rien entre Lilyet moi. Je t’aime. Fais-moiconfiance.

Il démarre la voiture en évitantmon regard.

Je me rappelle alors les mots deDerek : « Tu sais qu’un gars se foutde ta gueule lorsqu’il ne te regardepas dans les yeux. » Qu’il puisseavoir raison me rend encore plusdingue.

J’enrage tellement que je neremarque pas, avant d’y arriver, queLandon ne me conduit pas chezmoi, mais au Club Mystique, qu’iladore. A la frontière entre Fremontet Fairfield, c’est la boîte la plus

connue du coin, et ils laissententrer les gens à partir de dix-septans.

— J’ai pas la tête à danser,Landon.

— On n’est pas obligés de danser,dit-il, la main sur mon genou. Onn’a qu’à s’installer dans le carréVIP. Je veux te montrer que tu es laseule fille dans ma vie. Ok ?

— Ok.— Eh ben voilà ! fait-il en me

pinçant le genou. Fais-moiconfiance.

Il se gare devant l’entrée etdonne au voiturier les clés et vingtdollars de pourboire. On a beau êtrelundi soir, l’endroit est bondé carun DJ plus ou moins célèbre de LosAngeles est venu mixer. Et puisc’est l’été, les étudiants et leslycéens se croient en week-endtoute la semaine.

Landon garde son bras autour demoi alors que nous coupons la filed’attente et avançons vers la porteVIP. Le videur le reconnaîtimmédiatement et nous fait signe

de passer. La plupart des jeunesdoivent présenter une pièced’identité pour prouver qu’ils ontbien dix-sept ans. Pas nous.

L’endroit est plein à craquer, on adu mal à se déplacer. Le sol vibresous l’effet de la musique. Seulsquelques spots sur la piste offrentun peu de lumière. Landon meprend la main et me conduit enhaut des marches jusqu’au carréVIP délimité par des cordes –n’importe qui avec un statut ou del’argent peut y trouver une place où

s’asseoir et boire de l’alcool. On sepose sur un canapé de veloursrouge qui surplombe la piste dedanse. Une serveuse en Bikinistring trop serré et froufrou blancvient lui demander s’il veut un shot.Landon ouvre une ardoise etsemble bien trop content d’êtreservi par cette fille. Elle lève unebouteille de tequila au-dessus de satête et il se penche en arrière,attendant qu’elle lui verse l’alcooldirectement dans la bouche. Ilsecoue la tête et avale d’une traite.

— Tu veux essayer ? medemande-t-il en s’essuyant labouche du revers de la main.

— Non.Il glisse à la fille un billet de vingt

dollars, trop pour un pourboire. Ellele remercie avec un sourire et unclin d’œil appuyé, puis il regarde sesfesses alors qu’elle s’éloigne pourservir d’autres clients.

— C’est quoi ton problème,Landon ?

Il se la joue. Ce n’est pas leLandon que je connais, celui pour

qui j’ai des sentiments et aveclequel je sors depuis des mois.

— Y a pas de problème, détends-toi, Ash. Regarde, même Derek saitprendre du bon temps, dit-il enmontrant la salle en bas.

Je sonde la foule et aperçoisDerek qui danse avec Bree. Ils setiennent dos à dos, collés-serrés.Monika et Trey dansent à côté d’euxen riant. Je ne peux pasm’empêcher de me sentir isolée etde m’énerver. Derek nem’appartient pas et je ne prétends à

rien avec lui mais, pour une raisonou une autre, j’ai du mal à le voiravec quelqu’un. Pour couronner letout, c’est un excellent danseur quin’a pas peur de se lâcher sur ledance floor. Je me disais que s’ildevait connaître une danse, ceserait un truc de cow-boy sur de lamusique country. Je ne m’attendaispas à ce qu’il m’impressionne, enboîte, sur de la house.

Depuis quand ma meilleure amieet son copain font-ils des sorties encouples avec Derek et Bree ?

J’aurais préféré qu’ils aillentailleurs, ce soir. La présence deDerek fait ressortir des choses queje préférerais garder enfouies.

Bree se retourne et passe ses brasautour de son cou. Il pose ses mainssur ses hanches et ils se balancenten rythme. J’ai envie de partir pourne pas assister à ça. A la fin de lachanson, il lève les yeux et jedétourne le regard pour qu’il neremarque pas que je l’observe. Jesens que je pourrais me perdre dansses yeux.

Landon se rapproche de moi etme lèche le cou.

— Tu sens bon, Ash, mechuchote-t-il à l’oreille avant de mesucer le lobe et de poser sa main àl’intérieur de ma cuisse. Et tu esvraiment sexy !

D’ordinaire, en privé, quand ilessaie de m’exciter, je me laissefaire. Ici, j’ai l’impression de medonner en spectacle et ça manquetotalement d’émotion.

— Il faut que j’aille aux toilettes,je reviens.

J’attrape mon sac à main, parsm’enfermer dans une cabine etappuie la tête contre la porte pouressayer de mettre un peu d’ordre là-dedans.

Voir Derek et Bree ensemble aouvert une plaie dont j’ignoraisl’existence. Énervée, je tape contrela porte de la cabine. Ce n’est paspossible ! Pas maintenant, alors quetout commençait à s’arranger. Jesuis capitaine de l’équipe. Ma sœuret mon neveu sont de retour à lamaison, au moins temporairement,

et Derek est en train de tout gâcher.La réalité me frappe comme un

joueur de première ligne dans unemêlée. Non seulement il a envahima maison, mon cercle d’amis, mavie... il a aussi réussi à percer moncœur.

J’ai le béguin pour lui et il ne vapas disparaître comme ça. Il fautque je rompe avec Landon.

Ma vie est vraiment sens dessusdessous.

Je retourne trouver Landon etbloque en le voyant discuter avec

Matthew Bonk comme si c’étaientdeux vieux potes. J’ai l’impressiond’être dans une autre dimension.Bonk et Landon se détestent. Ilssont rivaux sur le terrain et endehors, alors pourquoi est-ce qu’ilssourient et se tapent dans la main ?Bonk devrait être furieux queLandon ait publié des photoshumiliantes de lui sur Internet.

— A plus, mec !Bonk lui tape dans le dos comme

si c’était un coéquipier. Puis ce saletype me lâche un rire mauvais en

passant devant moi. On dirait unprédateur prêt à bondir.

— Pourquoi est-ce que tu parlaisavec Bonk ? dis-je à Landon.

J’ai une horrible sensation aufond de moi. Ces deux-là évoluentdans des équipes rivales. Fairfieldn’a jamais joué réglo, que ce soitsur le terrain ou en dehors, etLandon le sait. Il sait aussi queBonk est du genre à faire deshistoires. Je n’ai aucune confianceen ce type. Personne, chez nous, n’aconfiance en lui.

— Assieds-toi, Ashtyn, m’ordonneLandon.

Je hoche la tête et recule quand ilessaie de m’attraper le poignet.

— Pas avant que tu m’expliquespourquoi, Bonk et toi, vous êtessoudain les meilleurs amis dumonde.

Il tend à nouveau la main, lareferme autour de mon bras et meforce à m’asseoir à côté de lui.

— Me tape pas un scandale, s’il teplaît.

Je tente de me libérer, mais il me

serre comme un étau. Je ne l’aijamais vu comme ça. Il me fait peuret je tressaille en sentant ses doigtsentrer dans ma peau.

— Je me casse de Fremont pouraller à Fairfield, avoue-t-il enfin.Comme je vis à la frontière entre lesdeux districts, je peux choisir monécole. Ils m’ont offert la place decapitaine et j’ai accepté.

La douleur dans mon bras n’estrien à côté de sa trahison. Jecomprends tout, brusquement.

— Tu as raté l’entraînement parce

qu’on t’a recruté à Fairfield, pasparce que tes parents voulaient quetu assistes à un événement enfamille. Tu m’as menti !

— Je n’ai pas menti. J’ai acceptéune offre... Comme si changer decamp n’avait aucune importance !

— Si Fremont veut que tu soisleur capitaine, pas de problème.

J’essaie de respirernormalement ; j’ai la tête quitourne.

— Si tu nous lâches, lui dis-je, ondevra se débrouiller avec Brandon

Butter. On n’arrivera jamais auchampionnat d’État.

— Écoute, je dois faire ce qui estbien pour moi, pas ce qui feraplaisir à tout le monde.

— Pourquoi tu m’as invitée àsortir, ce soir ? Pourquoi fairesemblant que tout va bien entrenous alors que tu nous abandonnes,moi et toute l’équipe ? Tu as dit quetu m’aimais. Ça aussi, c’était unmensonge ?

Il hausse les épaules.

CHAPITRE 21DEREK

J’essaie de me concentrer sur

Bree pour ne pas regarder le balconoù Landon est collé à Ashtyn. Jelutte pour la laisser tranquille, maisça ne mène à rien ; je ne pense qu’àune chose : monter pour échangerma place avec ce gars.

La soirée se passait pourtantbien... Jusqu’à ce qu’elle se pointeavec son copain.

Bree se frotte contre moi comme

si j’étais sa barre de strip-teaseperso. Elle danse bien, d’ailleurs.Lorsqu’elle m’a proposé de veniravec elle, Monika et Trey, je medisais que ça me soulagerait depasser une soirée sans Ashtyn merépétant que je lui gâche la vie.

Mais rien ne se passe commeprévu. Je lève la tête vers le balcon,ne résistant pas à la tentation, etm’attends à la voir blottieconfortablement contre lui.Pourtant, Ashtyn n’a pas l’airheureuse. Landon a les doigts

serrés autour de son bras. On diraitqu’elle essaie de se libérer mais il latient fermement et ne lâche pasprise. Elle a l’air paniquée,contrariée... Elle tressaille dedouleur. Putain !

Je sens la rage et l’adrénalinemonter. Je me précipite à travers lafoule, puis dans l’escalier. Hors dequestion que je le laisse lui faire dumal. Rien à foutre qu’elle m’aitdemandé de rester en dehors de savie.

Je regarde le gros videur qui

bloque l’entrée du carré VIP droitdans les yeux.

— Il y a deux nanas qui sont entrain de se friter, dis-je en pointantvers le centre de la pièce. Faudraitintervenir avant que ça ne dégénère.

Le videur quitte son poste. Jesaute par-dessus la corde et coursvers eux alors qu’Ashtyn griffeLandon au visage.

Il lui lâche le bras et touche sajoue entaillée. Elle se dresse devantlui, grande et fière, et le toise avecmépris. Il tourne la tête à gauche, à

droite, et s’aperçoit que tout lemonde les regarde. Il a la haine etlève la main, comme s’il allait lafrapper, mais je m’interpose avantqu’il n’ait une chance de la toucher.

— Tu l’effleures et je te défoncebien comme il faut. Je me tiens lespoings serrés le long du corps, prêtà me battre.

— Tu me cherches ? dit Landonen me bousculant. Il me sonde de latête aux pieds, comme si j’étais unmoins que rien, et je le bouscule àmon tour.

— J’ai eu envie de te chercher lapremière fois que je t’ai vu, mec.

On est au point de non-retour.McKnight ne va certainement pascéder et il est hors de question queje le laisse s’en prendre à Ashtyn.

— Ne t’avise plus jamais de poserla main sur moi ! hurle-t-elle.

La folie dans sa voix détournemon attention, et j’aperçois un amid e Bonk l’agripper. Elle essaie des’en défaire en lui donnant descoups de pied, mais le type est deuxfois plus large qu’elle.

Alors que j’ai la tête tournée,McKnight me flanque un crochet dudroit dans la mâchoire. Merde, çafait mal ! J’avais pourtant appris, auclub de boxe de la Régents, qu’il nefaut jamais quitter l’adversaire desyeux.

Il est temps de m’y remettre...Je frappe Landon d’un direct et

m’assure qu’il est à terre avant deretourner vers Ashtyn. Je me jettesur le gars qui la retient, mais Bonk,furieux, et cinq autres gars mebarrent la route.

— C’est le type qui a pris lesphotos, dit-il.

Il lance son poing vers moi, maisje suis trop rapide pour lui et évitele coup.

Comme je m’apprête à riposter,ses amis me tirent en arrière. J’aibeau me débattre, ils me retiennentet Bonk en profite pour enchaînerles coups. Je me débats en vain : ilssont trop nombreux, et Bonk s’endonne à cœur joie. Je sens le goûtdu sang dans ma bouche.

Comment éviter les coups avec

quatre types qui vous retiennent ?J’ai du mal à respirer et commenceà tourner de l’œil, quand Trey etplusieurs gars de Fremont se jettentdans la bagarre. Ils me libèrent destypes et se mettent à frapper leursrivaux. C’est le chaos sur le balcon ;les coups pleuvent, malgré lasécurité qui s’efforce d’arrêter toutça.

Je sonde la foule à la recherched’Ashtyn... Elle a réussi à se libérer ;je l’extirpe de la bataille et laconduis à une alcôve.

— Reste ici, lui dis-je avant deretourner aider Trey et les autres.

J’aurais dû savoir qu’elle n’allaitpas m’écouter. En un clin d’œil, lavoilà qui agrippe le bras de Bonk,sur le point de frapper Victor. Je tireBonk en arrière, espérant qu’elleprenne peur et retourne à l’abri.

— Tu vas finir par m’écouter,oui ?

Elle hoche la tête et me répond leplus simplement du monde :

— Non.

CHAPITRE 22ASHTYN

Je suis anéantie, sous le choc,

furieuse et blessée. Mais je ne suispas une diva et je n’ai pas besoinque Derek vole à mon secours. Jem’apprête à sauter sur le dos d’unjoueur de Fairfield quand quelqu’unm’attrape par-derrière et me jetteau sol.

Avant que je ne puisse merelever, Derek est là pour me hissersur mes pieds. Il a la bouche en

sang et le visage couvert decontusions.

— Merde, Ashtyn ! Pourquoi tune vas pas te planquer ? A cetinstant, d’énormes videurs arriventen masse dans l’escalier.

— Laisse-moi tranquille, lui dis-jeen le repoussant.

— Cause toujours ! Je vais tesortir de là.

Il me jette par-dessus son épauleet joue des muscles pour passer àtravers la foule.

— Lâche-moi, abruti ! Je n’ai pas

besoin de ton aide. Pas de réponse.Il me conduit jusqu’à la sortie et neme pose à terre qu’une fois devantsa voiture.

— Tu montes, maintenant !J’ouvre la bouche pour protester ;

il m’arrête d’un geste de la main.— Ne discute pas.Je m’assois dans la voiture en

ressassant ce qui vient de se passer,tandis que lui va rejoindre lesgarçons qui sortent à présent de laboîte. Vic est ravi d’être arrivé àtemps pour la baston. Bree fait

glisser ses doigts sur le visagetuméfié de Derek et fronce sessourcils parfaitement dessinés aveccompassion.

— Tu te donnes beaucoup trop demal, Bree, dis-je à voix basse.

Trey et Monika s’en vont dansleur voiture et Derek ouvre laportière arrière pour celle quil’accompagne.

— Merci, lance Bree en seglissant à l’intérieur. O mon Dieu,Ashtyn ! Tu te rends compte ? Cesmecs de Fairfield sont pas

possibles. Je suis vraiment désoléepour Derek. Enfin, tu as vu combiende types lui sont tombés dessus ?

— Je n’ai pas compté.— Ils étaient au moins cinq !Derek monte à son tour en

voiture. Il se tient les côtes et sedéplace lentement.

— Tu vas réussir à conduire ? luidis-je.

— Ça ira.— Tu es sûr ? Parce que ton

visage ressemble à un morceau deviande crue.

— Mouais.Il sort alors du parking

tranquillement, comme si labagarre n’avait jamais eu lieu. Jeregarde Bree passer le bras à côté del’appuie-tête et lui caresser lesépaules, passant de temps à autreles doigts sous son col sans aucunesubtilité. Soudain, il tourne la têtevers moi, mais je détourne le regarden faisant semblant de voir quelquechose par la fenêtre.

Bientôt, il se gare dans l’allée deBree et raccompagne sa cavalière

jusqu’à sa porte.— Ne l’embrasse pas, dis-je à voix

basse. Tu saignes de la lèvre, c’estsale et pas hygiénique.

Et je ne veux pas qu’elle te plaise.Je t’en supplie, ne l’embrasse pas.D i s - l u i au revoir et reviens.Reviens. Tout de suite, ce seraitgénial.

Je suis incapable de détourner lesyeux. Bree est une séductriceexpérimentée qui manque desubtilité. Elle a un corps parfait, unvisage parfait, des cheveux parfaits.

C’est une pom-pom girl ultra-féminine qui rit beaucoup. Elle metses bras autour du cou de Derek,qui lui fait brièvement un câlin.Puis elle éclate de rire et pose lamain sur son torse. A-t-ellevraiment besoin de le touchertoutes les deux secondes ?

Je suis tentée de klaxonner, maisil est tard et je doute que levoisinage apprécie d’être réveillé aumilieu de la nuit. Enfin, Bree finitpar rentrer chez elle et Derekrevient à la voiture.

— Tu en as mis du temps...Il se glisse derrière le volant en

tressaillant de douleur.— Tu plaisantes, j’espère ?Mes sentiments sont dans le

même état que son visage et je suisincapable de répondre. J’aiconscience d’agir de façonimmature et irrationnelle. Envérité, je ne veux pas qu’il soit avecBree. Je suis jalouse et vulnérable.Je dois gérer la trahison de Landon,les sentiments que j’éprouve pourDerek et le fait qu’il en pince

certainement pour Bree.— Bree est vraiment mignonne...— Ouais.— Elle te plaît ?— Elle est cool.Manifestement, il n’a pas

compris le sens de ma question.Tandis qu’il se gare dans notre

allée, j’ai envie de lui dire ce que jeressens. Le problème, c’est que jene sais absolument pas par oùcommencer : ma tête est prise dansun tourbillon d’émotions qui n’aaucun sens. Il me rirait

probablement au nez et s’enfuiraiten courant si je lui disais que je nevoulais pas le voir sortir avec Bree.

J’ouvre la bouche, cherchequelque chose de gentil à dire, maisne trouve que ça :

— J’aurais pu m’occuper deLandon toute seule.

Il essuie sa bouche ensanglantéedu revers de la main.

— Si tu continues à te répéter ça,tu vas finir par y croire.

Ashtyn, dis-lui que tu éprouvesdes sentiments pour lui. Dis à

Derek que le voir se faire tabasserte fait peur. Dis-lui que tu as enviede le serrer dans tes bras. Dis-luique tu as besoin de lui.

Je descends lentement de voitureet ignore ces voix qui me dictentquoi faire. Parce que exprimer uneou toutes ces choses me rendravulnérable, je le sais, et ouvrira lavoie à de nouvelles blessures.

J’ai presque atteint la portelorsqu’il s’écrie :

— Ashtyn, attends.Je lui tourne le dos, mais

j’entends le gravier craquer sous seschaussures à mesure qu’ilapproche. Il fait sombre, hormisl’éclat discret de la petite lumièrejaune sur notre perron.

— Tu es une fille, tu sais. Et tu nepeux pas gagner tous les combatsseule. Tu joues peut-être au footballaméricain, mais tu ne peux pascontrer un joueur de quatre-vingt-dix kilos.

Il me retourne pour inspecter lesvilaines marques rouges laisséessur ma peau par Landon.

— Ni ton copain.— Ce n’est plus mon copain.Landon m’a menti et m’a

manipulée. Il part à Fairfield àl’automne. C’est fini. Notre histoire,c’est du grand n’importe quoi. Je nesais pas... peut-être que je pourraisle convaincre de rester si je luioffrais ma place de capitaine. Leniveau de notre division est élevé etnous avons besoin d’un bonquarterback pour capter l’attentiondes recruteurs. Je me frotte les yeuxet prie pour que quelqu’un me dise

que tout va bien se passer. Maisrien ne vient.

Derek expire doucement alorsqu’il prend la mesure de ce qu’ilvient d’apprendre.

— Vous avez rompu ? Je lui faissigne que oui.

Nous nous tenons à une dizainede centimètres l’un de l’autre. Ceserait si facile de combler cettedistance . pourtant, personne nebouge. J’ai envie de tendre le braspour toucher délicatement sa joueenflée. L’espace d’un instant, je

ressens sa douleur comme si c’étaitla mienne. Quoi qu’il arrive au plusprofond de moi, cependant, je doisme rappeler qu’il ne se passera rienentre nous. C’est le genre de garçonqui vous aime, puis s’en va sansregarder en arrière. Je ne peux pas...Il détruirait le peu d’espoir que j’aide trouver quelqu’un pour qui j’aiede vrais sentiments. J’ai subisuffisamment de trahisons en uneseule soirée. Et dans ma vie. Pasbesoin d’en rajouter.

Derek entre dans la maison et se

dirige vers sa chambre.Je prépare un gant de toilette,

fouille l’armoire à pharmacie ettrouve de la glace dans lecongélateur. Je le retrouve assis surson lit, en train de regarder sontéléphone. Il lève la tête vers moi.

— Si tu es venue passer du bontemps, je ne suis pas en grandeforme...

— Du calme, du calme. Je suissimplement venue désinfecter tesplaies. Maintenant, tu la fermes ouje m’en vais.

— Bien, m’dame.Il se pousse au milieu du matelas

pour me faire de la place.Je m’agenouille près de lui et

passe doucement le gant sur sonarcade sourcilière fendue. J’ai bienconscience que nous sommes sur lemême lit et que dans un autrecontexte...

Non. Je ne dois pas divaguer, medire et si... Les choses sont commeelles sont. Il m’a bien faitcomprendre que se bécoter ne seraitqu’un jeu pour lui, et je ne veux pas

jouer à ce jeu-là avec lui.Comment cacher mon béguin

pour lui alors que je suis enpanique totale ? J’essaied’empêcher ma main de trembler,mais le bout de mes doigts continuede frémir légèrement. D’habitude,je ne suis aussi nerveuse qu’aumoment fatidique d’un match,quand la défaite ou la victoirerepose sur mes seules épaules,avant un tir. Alors je me redressepour déstresser et me focalise surma tâche.

— Pourquoi tu fais tout ça ?Sa voix grave m’électrise les

veines.Si je plongeais mon regard dans

ses yeux, est-ce qu’il sauraitimmédiatement ce que j’éprouve ?Il me rirait au nez s’il pouvait liredans mes pensées. Alors j’évite quenos regards ne se croisent et meconcentre sur sa blessure enrépondant :

— Parce que je ne veux pas que ças’infecte. Ne va rien t’imaginer,Cow-boy. Je fais ça pour moi plus

que pour toi.Je nettoie le sang sur sa lèvre en

faisant attention à ne pas lui fairemal. Jamais je ne m’occupe desblessures des garçons de monéquipe. Lorsque l’un d’entre nousse blesse ou se coupe, soit on s’enoccupe soi-même, soit unentraîneur s’en charge. Là,maintenant, mon instinct de femmeme pousse à le protéger et à lesoigner. Une fois tout le sangenlevé, je tapote ses blessures avecde l’antibactérien. L’acte a quelque

chose de très intime.— Tu trembles.— Non, non, dis-je en passant le

produit sur sa peau chaude etdouce. Je suis énervée, fatiguée,soûlée.

Et je m’en veux d’avoir envie queDerek me tire contre lui et me serrecontre son torse. Les fantasmes necorrespondent jamais à la réalité.

Je repose les pieds au sol etinspecte mon travail. Je suissoudain épuisée et je me sensfaible, physiquement et

émotionnellement. Si Derek metendait les bras, je me blottiraiscontre lui. S’il me demandait ce queje ressens, je le lui dirais.

Il s’allonge en retenant sarespiration, signe qu’il souffre.

— Merci, Ashtyn.— Je n’ai pas fini. Enlève ta

chemise, que je regarde tes côtes.— Si je me déshabille, tu vas

vouloir faire plus que regarder mescôtes.

Je fais comme si je n’avais rienentendu, c’est devenu ma spécialité.

Je pointe mon visage du doigt :— Tu vois ma tête, là ? J’ai l’air

impressionnée ?Il sourit du coin de la bouche en

enlevant sa chemise et contracte sespectoraux.

Je lui bâille au nez, refusant demontrer le moindre signed’admiration. Je bloque sur lesmarques rouges qui sont en train dese former sur son flanc et ses côtes.Elles ne guériront pas en unejournée.

— Tu veux que j’enlève mon

pantalon, aussi ? rigole-t-il enbattant des sourcils. Peut-être queça gonfle, là-dessous.

Un rien l’amuse... Je le regardedroit dans les yeux, glisse un doigt àsa ceinture, et plonge la glace dansson pantalon.

— Voilà, dis-je en me levant. Çadevrait faire l’affaire.

CHAPITRE 23DEREK

— Mais qu’est-ce qu’il t’est

arrivé ? aboie Gus lorsque je lecroise au réveil, sur le chemin destoilettes.

— Je me suis battu.— Je ne veux pas d’un

délinquant, ni d’un fauteur detroubles chez moi. Brandi !

Sa voix rocailleuse se répercutesur les murs de la maison. Brandiarrive de la cuisine, un gros muffin

à la main.— Oui, Papa ?Gus lance les bras en l’air.— Ton beau-fils s’est battu.

Regarde-le, tout mutilé, on diraitune racaille.

Décidément, les Parker aimentemployer ce mot... Brandi tressauteen découvrant mon visage.

— Mon Dieu ! Derek, qu’est-cequ’il s’est passé ?

— Rien. Je me suis battu, c’esttout.

— Pourquoi ? Et avec qui ? On a

appelé la police ? Comment es-turentré ? En voiture ?

Elle me bombarde de questionsalors que j’ai juste envie de pisser etde prendre une aspirine.

— Ce n’est rien de grave.— Mais non, ce n’est pas grave

pour toi, se plaint Gus, puisquec’est moi qui vais devoir alignerl’argent si jamais la personne que tuas tabassée décide de porter plainteet de te traîner en justice.

— Me traîner en justice ?Ce serait la meilleure alors que

c’est moi qui me suis fait botter lecul. Ça ne lui viendrait pas à l’espritde me demander si moi, je ne veuxpas porter plainte.

— Tu n’auras rien à aligner, Gus.— C’est ce que tu crois.J e crois surtout que cet homme

se complaît dans son malheur et neveut pas être pris dans les dramesfamiliaux de la famille Parker. Si jeme sentais concerné, je dirais à Gusde se soucier davantage de safamille que d’une plainte éventuellepour une simple bagarre.

Dans la salle de bains, je jette unœil dans le miroir. Mince ! Ashtynavait raison. Je ressemble vraimentà un morceau de viande passé auhachoir. J’ai du sang séché sur lalèvre, la joue noir et bleu et lescôtes douloureuses.

Ashtyn est venue dans machambre la nuit dernière poursoigner mes blessures. Elle ne serendait absolument pas compte queje brûlais de jouer avec elle pouressayer d’oublier mes souffrances.Rien que d’y penser, j’étais excité.

Cette fille exerce un vrai pouvoirsur moi. Lorsqu’elle me regarde, j’ail’impression d’être un foutupuceau. Non qu’elle me regardesouvent – la plupart du temps, elleévite tout contact visuel. Me voir larend malade, on dirait.

Elle n’était pas impressionnée ?Je me suis moqué d’elle et de soncommentaire, mais en réalitéj’aurais voulu qu’elle reconnaissemon effet sur elle. Moi aussi, j’étaistroublé. J’avais vraiment besoin decette glace dans mon boxer. Et là je

me demande tout seul :— Mais qu’est-ce que tu fous ?Je ne suis pas censé me mêler de

la vie bordélique de cette fille. J’aidéjà bien assez à gérer dans moncoin. Jusqu’à présent, ça m’avaitplutôt réussi de ne pas tropm’impliquer, ni de tropm’intéresser aux autres.

Ashtyn Parker est dangereuse. Del’extérieur elle semble dure, elleparle et s’habille comme un garçonla moitié du temps. Mais il y al’autre moitié, sa moitié vulnérable,

peu sûre d’elle, qui porte desvêtements sexy pour que l’on sachequ’il y a bien une femme sous cettefaçade abrupte. Je ne la cherche paspour mieux la repousser, je lacherche pour percer le mur qu’elle aérigé autour d’elle.

Ce matin, je l’ai vue quitter lamaison. Tête baissée, elle sortaitFalkor pour une promenade. Si ellecontinue à se morfondre, ça vam’énerver. Elle broie du noir àcause de son connard de copain ?Elle m’a pourtant dit qu’ils avaient

rompu. Je parie qu’il va revenir etessayer de la ramener dans sa vie.

— Derek, tu es là ?La voix de Julian résonne

derrière la porte.J’ouvre et laisse entrer le petit

père. Il écarquille les yeux et restebouche bée en voyant mon visage ;il recule, même.

— Ce n’est pas aussi terrible queça en a l’air. N’aie pas peur.

— Tu t’es battu ?— Ouais.— Je crois que tu as perdu.

Ça me fait rigoler.— On dirait bien, hein ?Il me le confirme.— Tu as l’air méchant avec tes

blessures sur le visage. C’est Pop’qui t’a appris à te battre ?

— Nan.— Tu m’apprendras ?— Il ne faut pas apprendre à se

battre, bonhomme. Comme dit tamaman, il vaut mieux utiliser lesmots.

— Mais si quelqu’un me tape ?— Dis-le à un prof ou à ta mère.

— Mais les autres diront que jesuis une balance et j’aurai pasd’amis.

Il pose les mains sur ses hanches.— Tu veux pas que je sois une

balance sans amis, si ? Ce gossedevrait devenir avocat, il a de vraistalents de négociateur. Jem’agenouille et tends les paumesdevant lui, histoire de satisfaire macuriosité.

— Allez, montre-moi de quoi tues capable. Le petit lève les poingset tape dans ma main.

— Alors ?— Pas mal. Essaie encore.Il répète le geste plusieurs fois.

Je sens qu’il gagne en assurance carses coups deviennent plus puissantset commencent à couler tout seuls.

— Je regardais du catch à la téléquand Maman n’était pas dans lachambre. Randy la Rage a fait undoigt à quelqu’un.

— Il a fait un doigt ?— On peut savoir à quoi tu joues,

Derek ? demande soudain Brandiqui apparaît derrière Julian. Tu

apprends à mon fils à se battre et àêtre vulgaire ?

Euh...Julian se retourne, tout excité.— Maman, Derek me montrait

juste comment...— File dans ta chambre, Julian.

Je dois parler à Derek seule à seul.Le gamin veut protester, mais sa

mère le pousse hors de la salle debains. Lorsqu’il a disparu, ellerejette ses longs cheveux en arrière.

— Julian était tout content quandje lui ai dit que tu allais vivre avec

nous. Il t’appelle son grand frère ette considère comme son modèle.

Elle soupire lentement, signe queje vais avoir droit à une révélationlonguement réfléchie. Voyons,voyons...

— Je pensais faire en sorte queJulian et toi soyez vraiment frères.

De quoi elle parle ? Elle s’attendpeut-être à ce qu’on fasse un genrede rituel, que l’on se coupe et qu’onfrotte nos plaies pour devenir frèresde sang ?

— Écoute, Brandi, ça m’ennuie de

t e l’apprendre, mais quoi que tufasses, Julian et moi n’avons pas lamême mère.

— Je sais, répond-elle enpenchant la tête de côté. Mais je medisais que ce serait sympa si je, tusais, si je t’adoptais officiellement.

— Je ne suis pas orphelin.— Bien sûr. Je me disais juste

que Julian et toi... Tu comprends, siquelque chose nous arrivait, à tonpère et moi...

J’ai compris. Elle ne souhaite pasvraiment devenir ma mère. Il s’agit

de Julian. Il est temps de mettre unterme à ses idées folles :

— Brandi, Julian est mon petitfrère. Point final.

— Bien. Du moment que noussommes sur la même longueurd’onde. Quant à ma sœur et toi...

Oh non ! Brandi doit être plusfutée que je ne le pensais et ce n’estpas bon.

— Il n’y a rien entre nous. Tasœur m’exaspère. Je ne pourraisjamais sortir avec une fille commeelle, même si on...

Soudain, Brandi éclate de rire.— Tu plaisantes, j’espère ?Elle tente de reprendre sa

respiration. Elle se tient le ventrecomme pour empêcher le bébé detournoyer violemment tandisqu’elle rigole.

— O mon Dieu ! C’est hilarant !Sans vouloir t’offenser, tu n’es pasdu tout le genre de ma sœur. Jevoulais juste...

Elle éclate de rire encore une foiset finit même par grogner commeun cochon.

— Je voulais juste... Attends, tucroyais vraiment que j’imaginaisquelque chose entre Ashtyn et toi ?

Euh...— Non. C’est quoi, le genre de ta

sœur ? Elle s’essuie les yeux et seretient de rire.

— Elle aime les types sérieux,dévoués, droits. Tu n’es pas du toutcomme ça.

Non, je ne suis pas comme ça. Etaucune fille ne me changera,surtout pas une fille qui aime lesgarçons sérieux, dévoués et droits.

Ashtyn et moi, ça ne fonctionnerajamais.

Quand bien même j’avais enviede me glisser sous les draps avecelle hier soir.

CHAPITRE 24ASHTYN

Après mon tour avec Falkor, ce

matin, je vais dans la chambre deDerek pour voir comment il va.Bree est là, assise à côté de lui sur lelit. Comme si cette vision nesuffisait pas à me rendre malade,elle lui met des cookies dans labouche, telle une maman oiseaunourrissant son oisillon.

— Salut, Ash, s’exclame Breequand elle remarque ma présence.

Je venais juste m’assurer que Derekallait survivre. Je lui ai préparé descookies à la caroube et au blé bio.Tu m’avais dit qu’il faisait attentionà sa nourriture.

— C’est vraiment... mignon.— Je sais, hein ?Elle lui tend un autre cookie et il

a l’air tout content.— Tu pars à l’entraînement ?

Amuse-toi bien.Je les salue de la main et quitte la

maison, consciente que je n’aiaucun droit d’en vouloir à Bree

d’avoir pris ma place sur le lit et devouloir y rester. Le truc, c’estqu’elle se contente de ce qu’on luidonne. Si Derek devait subitementse lasser de leur relation, elle neserait pas anéantie. Elle en pinceraitaussitôt pour quelqu’un d’autre.Mes émotions à moi nefonctionnent pas de la même façonet je prends conscience, soudain,que Landon et moi n’avions plusrien à faire ensemble bien avantnotre séparation.

Landon... Je dois annoncer la

nouvelle aux autres. Je n’ai pas hâtede le faire, mais il le faut.

Au beau milieu del’échauffement, je rassemble Trey,Jet et Victor. Ce sont mes unis, mescoéquipiers, des garçons que je neveux jamais décevoir. Mais ilsméritent de connaître la vérité.

— Qu’est-ce qu’il y a, Cap’taine ?Jet brandit une bouteille d’eau et

la vide directement dans sa bouche.S’ils avaient su que m’élire

capitaine pousserait Landon àquitter l’équipe, ils auraient sans

doute voté différemment. J’auraisdu mal à leur demander ce qu’ilspenseraient si j’offrais mon poste àLandon pour le ramener à Fremont.

— Vous savez que Landon vit à lafrontière de Fairfield, n’est-ce pas ?

Victor me tape dans le dos.— Ash, on sait qu’il change

d’école. Quoi ?— Vous le saviez ?Les trois confirment en même

temps.— Depuis quand ?Jet et Trey regardent Victor, qui

prend la parole :— Mon père a appris ça ce week-

end. Un des assistants del’entraîneur est en affaire avec lui etil lui a annoncé la nouvelle. Dieteraussi est au courant. Disons qu’onattendait qu’il te l’annonce pour nepas avoir à le faire nous-mêmes.

J’ignore si cela fait d’eux de bonsou de mauvais amis.

Au point où j’en suis, je ne croisplus en rien, ni en personne.

De retour à la maison, je trouvemon père devant la télévision du

salon.— Papa, il faut que je te parle du

stage de football. Il baisse le son.— A quel sujet ?— Landon et moi étions censés

aller là-bas avec sa voiture, mais ona changé nos plans. Il va y aller deson côté. Je n’ai personne d’autrepour m’accompagner et je sais quema voiture ne tiendra pas le coup,alors je me demandais si, peut-être,tu pouvais m’y conduire ou meprêter ta voiture.

J’espère qu’il compatira

suffisamment pour m’aider.— Impossible, Ashtyn, je

travaille. Trouve un autre ami pourt’emmener ou alors n’y va pas.

Il remonte le son de la télévisionen concluant :

— Cette formation me coûte unefortune, je serais ravi de récupérermon argent.

— J’ai envie d’y aller, Papa. J’aibesoin d’y aller.

— Alors débrouille-toi, dit-il lesmains levées. Tu sais ce que j’enpense : courir au Texas dans l’espoir

d’être remarquée par desrecruteurs, c’est une perte detemps. Si tu crois que tu vas êtreremarquée et que tu vas obtenirune bourse... Ils ne recrutent jamaisles filles.

— Katie Calhoun a été recrutée.Et c’est une fille.

— Katie Calhoun vaprobablement se couper ou seblesser dès sa première saison.C’est moi qui te le dis.

Je téléphone à Monika, mais ellepart en classe d’été et ne peut pas

m’aider. J’appelle Bree, mais sonagent vient de lui trouver un rôledans un court-métrage dont letournage se déroule à Chicago. Trey,lui, doit travailler pour financer sesétudes. Jet doit rester chez lui pouraider son père à cause del’ouverture d’un nouveaurestaurant et le père de Vic menacece dernier de lui couper les vivress’il quitte la ville, c’est sans espoir.

Quatre jours plus tard, je batailletoujours pour trouver une solutionquand on frappe à la porte de ma

chambre.— C’est Derek, ouvre. Il a l’air sur

les nerfs.— Qu’est-ce qui ne va pas ?— Toi.— Quoi moi ?Il jette les bras en l’air.— Ce n’est plus drôle de vivre

avec toi. Où est passée la fille qui semoquait de mes smoothies et quime traitait de racaille ? Où estpassée la fille qui bâille lorsquej’enlève le haut alors qu’elle estdans mon lit ?

— Je n’étais pas dans ton lit. Jesoignais tes blessures.

— Allez, franchement, on installeun truc entre nous et tu brises tout.Qu’est-ce qu’il se passe ?

— Tu es énervé parce qu’on nes’engueule plus ?

Je suis complètement perdue.Qu’est-ce qu’il en a à faire que jefasse attention à lui ou pas ? On sedispute en permanence, alorspourquoi en faire toute unehistoire ? Il a passé son temps avecBree, cette semaine, tandis que moi

je traîne en pleine déprime.— Tu te rends compte, au moins,

que je promène ton satané chientous les jours et qu’il dort dans machambre ? Sérieusement, Ashtyn, jeparie ma couille gauche que tu n’asmême pas remarqué que je l’avaisrebaptisé Duke.

— Ta couille gauche ? Pourquoipas la droite ? Les mecs, vous parieztoujours la gauche, jamais la droite.On peut savoir pourquoi ?

— Parce que chez les garçons, ladroite est la dominante, alors parier

la gauche, c’est sans danger.Maintenant, ne change pas de sujetet réponds à ma question.

Je n’ai jamais rien entendu deplus ridicule. J’essaie de mecontenir, mais un rire m’échappe.

— Tu crois vraiment que tacouille droite est la dominante ? Tuplaisantes, j’espère ?

Il reste très sérieux.— Réponds à ma question. Je

lève les mains en l’air.— Fiche-moi la paix, Derek. Je

n’ai pas le droit de déprimer ?

— A cause de quoi ?De toi. Du football américain. De

tout. Je voudrais lui dire la véritémais au lieu de ça :

— Ce ne sont pas tes oignons.— Très bien. Ça fait des jours que

Landon et toi a v e z rompu, dit-ild’une voix agitée et irritée. Secoue-toi une bonne fois pour toutes, c’estsoûlant à la fin.

— Et si je me secouais quand tuauras lu la lettre de ta grand-mère ?

Avec ça, il devrait me ficher lapaix et penser à autre chose

pendant quelque temps... Derek faitvolte-face et descend l’escalier.

— Tu ne vas pas t’en tirer aussifacilement, dis-je en lui emboîtantle pas. Avec moi, tu cherches justeune distraction pour ne pas penserà cette lettre. Mais, en réalité, tumeurs d’envie de la lire, n’est-cepas ?

— Absolument pas.Je n’ai pas du tout pensé à cette

lettre ni à ma grand-mère.— Menteur. Tu aimes les défis ?

Je t’en offre un. Derek manque

trébucher sur Falkor en allant verssa chambre.

— Je t’interdis de parler de magrand-mère ou de cette lettre. Surce coup-là, Ashtyn, je ne plaisantepas. Tu ignores totalement ce dontcette femme est capable.

— Aurais-tu peur d’une vieilledame ?

— Je n’ai pas peur.Il rit pour sauver les apparences,

mais je n’y crois pas une seuleseconde.

— Tu fais semblant. Elle veut que

tu viennes la voir avant de mourir,Derek. Il faut que tu y ailles. Ellesait qu’elle a commis des erreurs.

— A t’entendre, on croirait que tula connais.

Il ouvre la boîte de cookies à lacaroube préparés par Bree. Il enavale un et grimace, comme s’ilavait un goût de terre.

— Tu ne sais rien de cette vieillepeau. Tu lis une lettre et tu croisque c’est une pauvre vieille femmemourante qui mérite qu’on luiaccorde une dernière volonté. Je

l’emmerde !— En gros, tu es en train de dire

que ça ne te pose pas de problèmed’ignorer la dernière volonté d’unevieille femme ? Vraiment, Derek, tues sans cœur.

— Tu en veux un ? demande-t-ilen me tendant la boîte. Je tepréviens, on dirait un mélange deboue et de carton.

— N’essaie pas de changer desujet, s’il te plaît.

La lettre de sa grand-mère m’afait pleurer. J’aimerais qu’un

membre de ma famille veuillepasser du temps avec moi commesa grand-mère veut passer du tempsavec lui.

À présent, nous sommes dans lebureau et Derek s’efforce d’ignorerl’enveloppe qui trône sur un descartons. C’est moi qui l’ai mise là, ilfaut qu’il lise cette lettre.

— Quand je t’ai dit que je voulaisque tu redeviennes comme avant, jene parlais pas de l’Ashtyn qui mesoûle. Je parlais de l’Ashtyn quisépare ses Skittles, me fourre des

glaçons dans le froc et ne regrettepas son abruti de copain...

— Pour ta gouverne, je neregrette pas Landon. Il lève les yeuxau ciel.

— Continue de te voiler la face,Ashtyn.

— Si tu m’interdis de parler de tagrand-mère, je t’interdis de parlerde Landon.

Je n’ai pas envie de lui dire queLandon joue à Fairfield pour sevenger de mes coéquipiers.

— Ok.

— Bien. Mais tu dois quandmême lire cette lettre. En partant, jel’entends crier :

— Et Landon est quand même unabruti !

CHAPITRE 25DEREK

Je referme la porte et regarde

l’enveloppe. Hier matin, j’étaistenté de la lire, de la brûler et neplus jamais y repenser. Je n’ai rienfait.

Non, je l’ai fixée pendant uneéternité. Si Ashtyn insiste pour queje lise la lettre, Falkor, lui, s’enfiche, il me regarde à ne rien faire.

— Falkor, attrape !Je lui jette l’enveloppe comme un

Frisbee et il la regarde atterrir àquelques centimètres de ses pattesétirées. Ce doit être le chien le plusinutile du monde.

Ashtyn pense que j’ai peur de lirecette lettre. Mais c’est faux.

J’avais peur à l’idée de perdre mamère. Le jour où elle m’a faitasseoir et m’a annoncé qu’elle avaitun cancer, j’ai eu peur. Et j’ai eupeur chaque jour qui a suivi.Lorsque ses bilans sanguins étaientmauvais, je pensais que c’était lafin. Lorsqu’elle tournait de l’œil ou

avait la nausée à cause de la chimio,je paniquais. Lorsqu’elle perdait sescheveux et paraissait vulnérable, jeme sentais impuissant.

Lorsque je tenais sa main frêle àl’hôpital, qu’elle n’était plus quel’ombre d’elle-même, j’étaisanéanti.

Mais je n’ai absolument pas peurde lire la lettre d’une étrangère quise trouve simplement être magrand-mère.

Alors fais-le, qu’on en finisse.Je ramasse le pli et l’ouvre en

m’asseyant sur mon lit. La lettre estécrite sur un papier cartonné roseépais aux initiales de ma grand-mère en lettres dorées. Il s’endégage une odeur de parfum defemme.

Pour qu’enfin Ashtyn arrête deme soûler avec ça, et seulementpour cette raison, je la déplie etcommence à lire :

Mon très cher Derek, Je t’écris cette lettre le cœur

lourd. J’ai vu le médecin et jeréfléchis à présent aux erreurs quej’ai commises dans ma vie. Il y acertaines choses que je dois répareravant de mourir bientôt. Puisque tues mon seul et unique petit-fils, ilest impératif que nous nousretrouvions après mon traitementle 20 juin prochain.

Je formule ici ma dernièrevolonté. Il y a certaines choses quetu ignores, que tu dois savoir, il leFAUT.

Avec mon amour étemel,

Elizabeth Worthington (tagrand-mère)

Ashtyn avait raison, elle est

mourante. Elle ne dit pasprécisément quelle est sa maladie.Est-ce un cancer du poumon,comme ma mère, qui avait chopé çasans avoir jamais fumé – à croireque l’hérédité et l’environnementétaient seuls responsables... ? Ouun cancer du pancréas –condamnation à mort pour tout

patient diagnostiqué ? Ou unehorrible maladie débilitante troppénible à évoquer ?

Merde, je suis incapable depenser à autre chose, maintenant.

N’importe quel ado auraitcertainement déjà embarqué dansun avion, à l’heure qu’il est, seprécipitant aux côtés de sa mamiesouffrante. Mais ElizabethWorthington n’est pas n’importequelle grand-mère, elle qui pensefaire l’admiration de tous par sonseul statut social. Elle doit se rendre

compte, maintenant, qu’elle n’a pasle sang bleu, et que la santé nes’achète pas.

Je relis la lettre deux fois avantde la ranger dans son enveloppe etde tenter de l’oublier. J’aimerais nel’avoir jamais lue. Tout est de lafaute d’Ashtyn. Sans elle, je n’auraispas à me sentir coupable. Je doism’aérer l’esprit, ou je vais cogitertoute la nuit.

Une seule personne est capablede me faire oublier cette lettre.

Ashtyn est devant son ordinateur

portable, dans sa chambre – mursroses recouverts de fleurs peintes,petit colibri en peluche sur son lit.Au-dessus du bureau sontaccrochés des posters des ChicagoBears et une photo grand formatd’une certaine Katie Calhoun enmaillot de football de l’équipe duTexas.

— C’est vraiment une chambre defille. Rien qu’en entrant, j’ai montaux de testostérone qui descend enchute libre.

Elle décolle la tête de son

ordinateur.— Tu plaisantes, j’espère ?— Presque.Je me racle la gorge et m’appuie

contre sa commode.— Je venais simplement te dire

d’être prête à sept heures ce soir.— Pourquoi ?— Tu as perdu un pari, tu t’en

souviens ?— Ouais, enfin, je n’ai pas à

honorer ce pari puisque tuprétendais que la lettre était uneinvitation à rejoindre l’équipe

olympique de trampolinesynchronisé. Tu as menti.

— Ça ne change rien. Tu as ditqu’il n’existait pas d’équipeolympique de trampolinesynchronisé et j’ai parié lecontraire. C’était clair et net,Ashtyn : tu as perdu. Et c’est legrand soir, l’heure est venue depayer ta dette.

CHAPITRE 26ASHTYN

Je reste assise dans ma chambre

à regarder l’heure. Dix-huit heurestrente. Je n’avais pas envie desatisfaire Derek en allant à cerendez-vous qui n’en est pas un,mais je ne veux pas qu’il me croieincapable d’honorer ma part dumarché. Il s’attend peut-être à ceque je me pomponne, mais il va vitedéchanter.

Je dois avoir des poches sous les

yeux et un air affreux – je n’ai pasbeaucoup dormi cette nuit –, c’estparfait. Déterminée à aller jusqu’aubout, je piétine jusqu’à la salle debains pour prendre un élastique etm’attacher les cheveux, et je tombesur Derek en train de se raser, uneserviette nouée autour de la taille.

— Tu n’avais pas fermé la porte.Je me couvre les yeux avec la

main pour ne pas voir son corps àmoitié nu, tellement beau que ça endevient ridicule.

— Tu mets vraiment ça ce soir,

Sucre d’orge ? Un jogging et un T-shirt ?

— Oui, lui dis-je, la main toujoursplaquée sur les yeux. Je l’entendsrincer son rasoir.

— Sexy...— Je ne cherche pas à être sexy.— Ashtyn, regarde-moi.— Pourquoi ?Nous sommes si près l’un de

l’autre que je sens comme unpicotement dans mon ventre.J’essaie de maintenir une certainedistance, quoique je n’en aie pas du

tout envie.— Tu devrais remonter ta

serviette, elle est en train de glisser.— Elle ne glissera pas si tu ne

tires pas dessus.— Dans tes rêves, dis-je en

retirant ma main. Je crois que tu asun problème d’ego.

— D’ego ?Il penche la tête de côté et ricane.— On lui dira.— Derek, dis-je avec une voix

féminine et douce, reconnaître sonproblème, c’est le premier pas vers

la guérison.— Je dis pas que j’ai pas de

problèmes mais mon ego, lui, seporte très bien. Je suis content quet u s o i s redevenue toi-même. Tuveux rester là à me regarder meraser ? Ça me va.

— Je n’ai pas envie de te regarder.Je suis venue chercher un élastique.

Je passe mon bras à côté de lui eten sors un du tiroir. L’odeur de sapeau fraîchement lavée mêlée à sonparfum éveille mes sens. J’auraispréféré qu’il ne prenne pas de

douche comme s’il se préparait à unvéritable rendez-vous. Il s’agit justed’honorer un pari.

— Tu me donnes un indice sur cequ’on va faire ? Comme ça, jepourrai me préparer au pire...

— Tu n’aimes pas les surprises ?J’ai été surprise d’apprendre que

mes parents allaient divorcer. J’aiété surprise lorsque ma mère a faitses valises et nous a quittés. J’ai étésurprise lorsque Brandi s’estvolatilisée avec Nick. Alors je le fixeavec tout le sérieux du monde.

— Pas. Du. Tout.Il lève un sourcil avec un sourire

espiègle.— C’est vraiment dommage. Moi,

j’adore les surprises.Je ferme la porte et retourne

dans ma chambre en attendant qu’ilsoit pile dix-neuf heures pourdescendre et aller à notre rendez-vous qui n’en est pas un.

Dix minutes plus tard, donc, jetombe sur ma sœur et Julian quijouent aux cartes dans le salon.Derek est probablement dans sa

chambre, à chercher le moyen deme torturer. Il ignore ce que jeressens pour lui et ne doit passavoir. Je vais avoir du mal à luicacher mes sentiments. Pourcommencer, je vais devoir saboternotre soirée.

— Derek m’a appris que voussortiez, dit Brandi. C’est trop sympaque vous vous entendiez bien. Ondirait que vous tournez une page. Jesuis contente.

— Mouais.— Qu’est-ce que tu vas mettre ?

demande ma sœur tout excitée.— Ça, dis-je en montrant mon

survêt.— Ah... Tu ne veux pas

m’emprunter des fringues ?— Non, ça ira très bien. C’est

confortable. Visiblement, un habitconfortable n’est pas un habit digned’un samedi soir, à ses yeux.

— Essaie quelque chose d’autre.Ne cherche pas forcément leconfort, surtout si tu sors avec ungarçon.

— On ne parle pas d’un garçon,

on parle de Derek.— T’es prête ? demande-t-il alors

en entrant dans la pièce.Il porte un jean et une chemise

que je n’avais jamais vue. Et unepaire de bottes de cow-boy. Il estrasé de près et ses cheveux sontencore mouillés. On dirait qu’il serend à un vrai rendez-vous. Je doislui faire comprendre que cettesoirée n’a rien... d’officiel.

Je jette un œil à mon téléphone.— Ok, il est sept heures cinq. Où

est-ce qu’on va et quand est-ce

qu’on rentre ?Je mets mes bottines à fourrure

qui font rigoler Derek et effraientma sœur.

— Je t’ai dit que c’était unesurprise, dit-il en brandissant sesclés de voiture. On est partis !

— Je dois être rentrée pour vingt-deux heures, je précise alors quenous commençons à rouler.

— Tu es vachement canon dansce survêt.

— Merci. On va où ?— Et tes cheveux, tu as dû mettre

un temps fou à obtenir ce résultat !C’est sûr qu’il m’a fallu un

certain temps pour faire un chignonbordélique avec des mèches sortantde tous les côtés.

— Tu as dit qu’on allait où ?— Je n’ai rien dit.Il s’engage alors sur l’autoroute,

direction Chicago.— Pourquoi est-ce que tu joues

au football américain ? demande-t-il au bout d’un moment. Je connaisun paquet de filles qui aiment cesport, mais elles deviennent soit

groupies, soit pom-pom girls. Ellesne jouent pas.

— Tu ne pourrais pascomprendre, tu as arrêté de jouer.

— Dis toujours.Je refuse d’abord de lui parler,

mais voyant son visage si sérieux, jefinis par céder.

— Je regardais toujours lefootball américain avec mon père.Tu as dû t’apercevoir qu’il estplutôt... difficile à aborder. Il n’a pastoujours été comme ça. Autrefois,ce sport nous liait tous les deux. Il

était kicker pour l’équipe deFremont.

— Tu as voulu jouer pour attirerson attention.

— Ça n’a pas marché, dis-je enhaussant les épaules, mais tant pis.J’étais douée et ça me permettaitd’échapper à toutes les emmerdesqui me tombaient dessus. Tu doistrouver ça idiot.

— Je ne trouve pas ça idiot,Ashtyn. Pas une seule seconde...

Après un instant de silence, ilembraie :

— Ton père passe à côté debeaucoup de choses.

C’est la première personne à mele dire. Je ne réponds pas car je sensles larmes monter et je ne peux plusparler. Je souhaitais que mon pèreme regarde jouer, qu’il soit fier queje suive ses traces. Mais il ne mevoit pas.

Derek finit par garer sa voituredevant un établissement appelé leJumpin’ Jack.

— Qu’est-ce qu’on fiche ici,Derek ?

Nous pénétrons à l’intérieur d’ungigantesque gymnase rempli detrampolines. Un gars et une filleportant le même justaucorps rougenous saluent à l’entrée.

— Bienvenue au Jumpin’ Jack !Je m’appelle Jack et voici mapartenaire, Gretchen. Vous devezêtre Derek et Ashtyn ?

Derek lui serre la main.— Ouais. Merci de nous accueillir

à la dernière minute.— Tout le plaisir est pour nous.

Ashtyn ira avec Gretchen dans le

vestiaire des filles, et nous danscelui des garçons.

J’ai vu des vidéos de trampolinesynchronisé et j’ai la terriblesensation que, cette fois, je ne vaispas être simple spectatrice. Je tapeDerek dans le dos.

— Rassure-moi... Nous n’allonspas faire ce que je crois que nousallons faire ?

Il me fait un clin d’œil.— Ma mère disait toujours qu’en

étant imprévisible, on ne s’ennuiejamais.

Je n’ai pas envie d’êtreimprévisible. L’imprévu, c’estirréfléchi et dangereux. L’imprévumène à l’inconnu. Je croyaisLandon prévisible et c’était tout lecontraire. Derek, lui, estimprévisible, je le sais. Je n’ai pasenvie de tomber dans sa toile, celase terminerait forcément endésastre.

Contre toute logique, je suisGretchen et me retrouve auvestiaire face à un justaucorps bleupétant pendu dans un casier.

Gretchen, qui tiendrait dans un troude souris tellement elle est fine, medit avec un fort accent russe :

— Habille-toi et retrouve-moidans la salle.

Une fois seule, je scrute le Lycrableu et me demande : quellehorrible chose j’ai pu faire dans mavie pour mériter ça ?

CHAPITRE 27DEREK

Qu’est-ce que j’ai l’air con ! En

me découvrant dans le miroir destoilettes, j’ai envie de faire marchearrière. Je suis coincé dans unjustaucorps moulant, certainementconçu par des femmes qui n’yconnaissent rien en tuyauteriemasculine ; le contour de mon sexeest on ne peut plus voyant. J’ai déjàfait du trampoline, mais jamais detrampoline synchronisé, et je

comprends pourquoi... Moi quicroyais qu’un cours particulier avecdeux pros serait marrant, décalé...Me voilà dans de beaux draps.

— On y va, Derek ! s’écrie Jack del’autre côté de la porte.

Quand j’arrive dans le gymnase,Ashtyn est debout sur le trampolinecentral dans un justaucorpsmoulant identique au mien qui nelaisse aucune place à l’imagination.

Son regard descend le long demon corps et elle éclate de rire.

— O mon Dieu... Derek...

— N’en rajoute pas, tu veux ? J’aidéjà l’impression d’être à poil.

Elle croise les bras sur sa poitrined’un geste brusque en s’apercevantque je ne suis pas le seul àm’exhiber.

— Prenez-vous la main, s’exclameGretchen.

— On ne saute pas sur destrampolines séparés ? je m’étonne.

J’ai visionné des vidéos surInternet. On est censés sauter surdeux trampolines différents.

— Il faut d’abord que vous

trouviez et sentiez le rythme del’autre, explique notre professeur.

J’offre donc mes mains à Ashtyn,qui inspire profondément avant d’yglisser les siennes. Son contact mefait comme une décharge électriqueet j’essaie de voir si elle a la mêmesensation. Manifestement non,puisqu’elle détourne les yeux ; ellepréférerait être n’importe oùailleurs qu’ici.

— Allez-y, sautez ! ordonne Jack.Ashtyn tente de rester droite

mais part à la renverse et je manque

lui tomber dessus.— Désolé, dis-je en marmonnant.Nous sommes beaucoup plus

près que je ne voudrais et ça meperturbe. Cette soirée était censéeme faire oublier ma grand-mère. Ondevait s’amuser. Je me seraismoqué d’elle et du faux rendez-vousdans lequel je l’ai piégée.

Ashtyn se relève et m’offre sesmains pour qu’on refasse unetentative.

— C’est ridicule. Tu t’en rendscompte, n’est-ce pas ?

— Essaie de suivre mon rythme,lui dis-je avec un clin d’œil pourtenter de détendre l’atmosphère.

— Va te faire..., répond-elle avecun gentil sourire. Elle essaie alorsd’enlever ses mains des miennes,mais je les tiens fermement etcontinue de sauter.

— Sentez l’énergie de votrepartenaire, explique Jack.

Ne luttez pas contre elle. Prenez-la, imitez-la, jusqu’à ne faire plusqu’un.

— La prochaine fois qu’on sort,

rappelle-moi de prévoir un soutif desport, marmonne ma partenaire.

J’essaie de contenir un sourire.— Tu penses déjà à la prochaine

fois ?— Non. Je disais juste... Oublie ce

que je voulais dire et concentre-toi.— Tu es mignonne quand tu te

mets à baliser, Sucre d’orge.— Je ne balise pas.— Ben voyons ! Tu as les paumes

moites et...— Concentrez-vous ! hurle

Gretchen.

Quinze minutes encore et noussommes prêts à nous séparer pourtester des trampolines côte à côte. Achaque saut, Ashtyn semble de plusen plus détendue. On a fini partrouver le truc et elle commencemême à sourire lorsqu’on se décale.Nos professeurs prennent cettehistoire beaucoup trop au sérieux.Gretchen se fâche chaque fois quenous parlons, ce qui nous fait rire.

— Lorsque vous sautez ensemble,explique-t-elle après que Jack nousa montré quelques figures, vos

corps et vos esprits deviennent uneseule et même entité. Commequand vous faites l’amour.

Nos regards se figent. Jem’imagine dans l’intimité avecAshtyn. Elle me regarderait avec sesyeux si expressifs et ses lèvrespleines. J’aborderais les chosesdoucement, pour savourer chaqueinstant, puis je la laisserais choisirson rythme. Est-ce qu’elle laisseraitenfin tomber son armure ?

Mince, je devrais arrêter depenser à ça avant que tout le monde

dans le gymnase ne sache les idéesdingues qui me passent par la tête.Si Ashtyn savait ce que j’ai à l’esprit,elle me mettrait certainement uncoup dans les parties... Je me répèteque je dois être frustré parce que jen’ai pas touché une fille depuis desmois. Je dois m’en occuper, maispas avec une fille comme elle. Elleest faite pour des garçons quisouhaitent s’engager. Moi, je suisfait pour des filles qui cherchent dubon temps. On a beau êtresynchrones, ici, en matière de

sentiments on s’accorde comme lefeu et la glace.

A la fin de l’heure, et après unephoto nous immortalisant dans nostenues colorées, nous savons sauteret exécuter quelques figuresensemble. Gretchen et Jack sontimpressionnés par nos progrès etnous invitent à revenir bientôt pourun nouveau cours.

Dans la voiture, Ashtyn et moirestons silencieux tandis que jenous conduis au restaurant. Jepersiste à essayer de me convaincre

que je ne suis pas attiré par elle. Pasvraiment.

— Ce trampoline était vraimentune idée stupide, s’écrie-t-ellesoudain.

Avec son jogging, on la diraitprête pour une séance de muscuplutôt que pour un dîner en ville.

— Ça t’a plu, avoue.Elle se tourne sur son siège et

regarde par la fenêtre.— Je n’avoue rien du tout.

Maintenant, ramène-moi à lamaison que je puisse me goinfrer.

J’ai faim !— Justement, je t’emmène dîner.J’entre sur le parking de White

Fence Farm, à Romeoville.— Le White Fence Farm ?— Il paraît qu’ils servent le

meilleur poulet du monde, avec duvrai poulet dedans. Rien à voir avecla bouffe congelée que ta sœurréchauffe tous les soirs.

— Je te rappelle que j’aime biencette bouffe congelée.

Il y a une heure d’attente pourobtenir notre table, alors Ashtyn se

promène dans le petit musée àl’intérieur du restaurant. Elleadmire une des voitures anciennesderrière une vitrine quand, tout àcoup, un type suant et soufflant,visiblement en chasse, s’approched’elle. Il lui dit quelque chosed’inaudible puis il sourit enentendant sa réponse.

— Qu’est-ce qu’il se passe, ici ?dis-je au type en passant le brasautour des épaules d’Ashtyn.

Il comprend le signal et s’en va.— Qu’est-ce que tu fais ? Peut-

être qu’il était simplement gentil...— Je ne crois pas, non.Elle se faufile à travers le musée

bondé et retourne à la réception. Ons’assoit enfin en face d’un groupede garçons aux couleurs du lycée deRomeoville et elle reste un momentmuette, l’air gêné.

— Tu vas finir par parler ?Elle ne lève pas les yeux du

poulet dessiné sur son assiette.— Je n’en ai pas envie.— Eh ben, heureusement que ce

n’est pas un rendez-vous. Sinon, ce

serait vraiment raté.Elle ouvre la bouche pour

protester quand la serveuse, quis’appelle Tracie, débarque pourprendre notre commande.

— Nos accompagnements sont àvolonté, alors n’hésitez pas, dit-elleavec un sourire avant de se pencherpour nous murmurer quelque chosede fondamental : Nos beignets demaïs sont à se damner.

— C’est parfait, lui dis-je. Parceque ma copine, ici présente, est à sedamner, elle aussi. N’est-ce pas,

Sucre d’orge ?Ashtyn secoue la tête et me

donne un coup de pied sous la table.Tracie, gênée, en profite pour partir.

— Dieu soit loué, ce n’est pas unvrai rendez-vous, enchaîne Ashtyn.Si c’était le cas, je serais déjà dansun taxi pour Fremont.

— Si c’était un vrai rendez-vous,on serait déjà à l’arrière de lavoiture sans nos vêtements.

— Berk ! Tu veux parier ?Je lui fais un grand sourire, mais

elle lève la main.

— Oublie ce que je viens de dire.

CHAPITRE 28ASHTYN

Heureusement que les types de

Romeoville ne m’ont pas reconnue.On a joué contre eux cette année eton les a battus 21 à 20 dans lepremier tour des éliminatoires. Unebagarre a éclaté entre les joueursaprès mon tir, qui nous a assuré lavictoire. La police a dû intervenirpour y mettre un terme. Derek agitela main devant mon visage.

— Arrête de regarder les autres

garçons lorsque tu es avec moi.— Je ne regarde pas les autres

garçons.— Je ne suis pas idiot, Ashtyn.

Toutes les deux secondes, tu jettesun œil vers les joueurs de footballassis à la table derrière moi. Tu enpinces pour les athlètes, ça ne faitaucun doute.

— Ce n’est pas ça. Ce sont... nosrivaux. J’espère qu’ils ne vont pasme reconnaître.

— Alors arrête de les mater etconcentre-toi sur notre rendez-

vous.— Ce n’en est pas un.— Sois gentille et fais comme ci.— Que dirait Bree si elle

apprenait qu’on sort ensemble ?Il se met à rire.— Bree ? Elle cherche juste à

s’amuser. Rien de sérieux.Je ne veux pas savoir à quel point

il s’est amusé avec elle. Je n’aimepas les garçons qui se considèrentcomme un cadeau du ciel fait auxfilles et dont le seul but est decaresser un maximum de poitrines

– en gros tout le portait de DerekFitzpatrick. Alors pourquoi est-ceque je me sens bien avec lui, àessayer de jouer au plus malin ? Ilfait des blagues stupides et neprend jamais rien au sérieux,surtout concernant les filles.Franchement, qui aurait l’idéed’inviter une fille faire dutrampoline synchronisé ?

La serveuse apporte nos beignetsde maïs empilés dans un petit bolblanc en céramique et j’en goûte un,qui fond avec douceur dans ma

bouche. Tracie avait raison : à sedamner.

Je les avale les uns après lesautres tandis que Derek m’observede ses yeux bleu électrique.

— Il faut que tu en goûtes un, luidis-je. Lorsque j’ai terminé dedévorer la première ration.

Tracie en apporte une seconde.— Non, merci.— Ils sont incroyables, Derek.

Vraiment.— Je vois ça.Je me penche au-dessus de la

table et lui tends un beignet.— Vas-y. C’est comme un

bonbon.Il scrute le beignet, puis moi.— Toi, mange.Puisque c’est peine perdue, je le

fourre dans ma bouche.Cela ne servirait à rien de gâcher

un si bon beignet pour quelqu’unqui ne saurait pas l’apprécier.

Tracie apporte la suite. Derek sesert aussitôt un morceau de pouletet pousse un gémissement :

— Voilà, ça c’est du poulet !

Je m’étonne qu’il aime autant lepoulet. Lorsque j’ai le ventre plein,il attrape l’aile restée dans monassiette. Ça me rappelle Trey etMonika qui partagent toujours leurnourriture. Landon et moi nepartagions jamais.

D’accord, je l’avoue, cette soiréeressemble finalement bien à unrendez-vous. Quand nous étionsmain dans la main, sur letrampoline, j’étais incapable de leregarder dans les yeux. Mon cœurs’est affolé lorsqu’il a failli me

tomber dessus – son corps si prèsdu mien. Et lorsque nous sautionsensemble, j’ai senti une vraieconnexion. Quelque chosed’authentique. J’ai bien conscienceque c’est ridicule, et je suis certainequ’il se marrerait si je lui en parlais,mais je pouvais sentir le momentoù il allait sauter sans avoir besoinde le regarder.

A la fin du dîner, il nous ramèneà la maison. Alors qu’il se gare dansl’allée, je fuis son regard pour nepas être tentée de l’embrasser.

— C’était vraiment... une soiréeintéressante.

Je n’ai pas envie qu’il sache quepour la première fois depuislongtemps, j’ai laissé ma déprimeau placard. Je suis extrêmementconfuse et émotive, et je ne veuxrien faire que je pourrais regretter.J’ouvre la portière, mais Derekm’empêche de sortir.

— Attends ! Je voulais te donnerquelque chose...

Il étire le bras vers la banquettearrière et attrape un ballon.

— Tiens. Il est signé par lesCowboys de Dallas de 1992. Il y amême l’autographe d’Aikman.

Mes doigts parcourent lessignatures. J’ai entre les mains unvéritable morceau d’histoire duTexas.

— Comment tu l’as trouvé ?— Ma grand-mère me l’avait

envoyé pour mon anniversaire, il ya longtemps, dit-il en haussant lesépaules.

— Il est vraiment superbe, Derek.Tu devrais le garder.

— J’ai envie qu’il soit à toi.Je le serre fort dans mes bras.— Merci, Cow-boy.Je compte me détacher tout de

suite, mais lorsqu’il me serre à sontour dans ses bras, je me surprendsà fermer les yeux et à m’oublierdans la chaleur de son étreinte. J’enavais envie. Je l’attendais. Moncœur s’emballe et j’ai le soufflecoupé par ses mains puissantescontre mon dos.

Puis je m’écarte lentement et nosregards se croisent. Ses yeux

étincellent presque dans lapénombre.

Il porte alors son regard sur meslèvres.

— J’ai terriblement envie det’embrasser, maintenant.

— D’habitude, tu demandes à lafille ou tu le fais ?

— D’habitude, je le fais.Et la suite sort de ma bouche

sans que je réfléchisse auxconséquences :

— Alors, qu’est-ce que tuattends ?

Il a un petit sourire surpris. Ildoit être étonné que je ne lui aie pasmis mon poing sur la figure. Samain enveloppe ma nuque et sonpouce caresse délicatement mapeau sensible. Je suis vraimentdans le pétrin, et j’en ai tellementenvie !

Je retiens ma respiration etmouille mes lèvres du bout de lalangue, impatiente de connaître lasensation de sa bouche contre lamienne.

— Ça devient chaud, là, dit-il,

haletant.— Tu sais qu’on ne devrait pas

jouer à ce genre de jeux, je lepréviens avec un grand sourire.

Mes lèvres taquines sont à unsouffle des siennes.

— Je sais. C’est une trèsmauvaise idée.

Pourtant, il ne bat pas en retraite.— Tu as intérêt à être aussi doué

que tu le dis.— Je suis doué, Sucre d’orge.Je recule un tout petit peu,

consciente que je devrais courir me

réfugier à l’intérieur de la maison,mais je n’ai aucune envie de cesserce jeu. Je connais les garçonscomme lui : ils aiment les défis etjouer au chat et à la souris.

Et ce soir, c’est moi la souris.— Attends.Je pose une main contre son

torse. Je sens ses muscles sous sonT-shirt et le battement frénétiquede son cœur.

— On n’est peut-être pascompatibles, finalement.

— On va voir ça, murmure-t-il.

Il s’avance et dépose des petitsbaisers très lents sur mes lèvres. Jeme retiens de gémir. Ces baisers-làme rendent dingue. Maudit Derek !

— Qu’est-ce que tu en dis ?— Euh...Sa langue glisse entre mes lèvres.— Et de ça ?C’est si bon. Je m’abandonne

complètement, cette fois. Jel’attrape par la nuque et l’attirecontre moi. Mes lèvres s’écrasentcontre les siennes, et on s’embrassepleinement. Il est si différent, si

bon... Mon corps commence àbouillir...

Ses lèvres entrouvrent lesmiennes et nos langues s’entrelacent dans une danse sensuelle. J’yprends beaucoup trop de plaisir.

— Je crois vraiment qu’on estcompatibles, soupire-t-il contre mabouche.

— Tu crois ?Je suis hors d’haleine, trop

heureuse de continuer.— On devrait peut-être

poursuivre, juste pour vérifier. Il

lève la main et retire lentementl’élastique de mes cheveux quitombent sur mes joues.

— Dis, pourquoi tu fermes lesyeux ? Je hausse les épaules.

— Ashtyn, regarde-moi. Je neveux pas être un garçonquelconque.

J’ouvre les paupières. Ses lèvresbrillent dans la faible lumière duperron.

— Tu es une princesse, uneguerrière, tu le sais ? Il écartedoucement mes cheveux de mon

visage.— Tu es si belle.L’instant est intense, et tellement

v r a i . On e s t loin du jeu. Mesémotions, déjà mises à mal, sonts e n s dessus dessous ; c’estexactement ce qu’il cherche.

— Tu es sérieux ?Ma question n’est pas anodine ;

s’il est sérieux, alors la partie estvraiment terminée.

Il hésite, puis se redresse sur sonsiège.

— Tu devrais me connaître à

présent, je ne suis jamais sérieux.— C’est bien ce qui me semblait.— En fait, ajoute-t-il, j’espérais

que tu me laisserais prendre unephoto de toi et moi en train de nousembrasser pour la publier surInternet, histoire d’emmerder tonex. Ça te dit ?

Notre photo sur Internet ? J’aimanqué de me faire piéger en luidéballant mes sentiments alors quetout ça n’est qu’une vaste blague ?Une blague à mes dépens ?

— Notre faux rendez-vous est

officiellement terminé.Je le repousse et me précipite

hors de la voiture en me jurant dene jamais rejouer à aucun jeu avecDerek Fitzpatrick.

CHAPITRE 29DEREK

Voilà, je suis officiellement un

enfoiré. Je n’avais pas prévud’embrasser Ashtyn. C’était si bon...Et j’ai eu envie de lâcher prise avecelle. Ce qui explique pourquoi j’aiinventé cette histoire de photodébile. Je ne voyais pas d’autremoyen de la repoussersuffisamment fort.

Ashtyn n’est pas n’importe quellefille. C’est la sœur de Brandi et elle

ne se rapprocherait jamais d’ungarçon sans attendre de relationssérieuses. Sa mère l’a abandonnée,sa sœur l’a abandonnée, son pèrec’est tout comme. Elle doit se direque je suis un connard, il le faut, etpeu importe ce qui se passera entrenous, je repars bientôt et nereviendrai pas.

Je pose le ballon devant la portede sa chambre, conscient que c’estune tentative minable de faire lapaix, mais j’ignore quoi dire ou quoifaire d’autre.

Au matin, Brandi entre dans machambre alors que je suis encore àmoitié endormi. Elle porte un shortet un T-shirt qui moulent son corpsde femme enceinte. Falkor trottinederrière elle avec un ballonmâchouillé dans la gueule. Ils’assoit près de mon lit et lâche leballon crevé et couvert de bave. Lasignature d’Aikman est arrachée ; ilen manque même une partie.

— Il l’a mangé, dis-je sous lechoc.

— Je sais, c’était trop mignon !

Ashtyn le lui jetait, ce matin, dansle jardin, pour lui apprendre àrapporter.

Merde, alors... Ashtyn sait medire d’aller me faire foutre sansprononcer un mot.

— J’ai rendez-vous pour uneéchographie la semaine prochaine,annonce fièrement ma belle-mère.J’aimerais que tu viennes avec moi.

— Non, merci.— Oh, allez ! Comme ton père

n’est pas là, j’ai vraiment envie queJulian et toi veniez avec moi.

Elle ne se dit pas une seuleseconde que ça pourrait êtrebizarre, pour moi, d’assister à sonéchographie.

— Après, je vous emmènerai,genre...

J’entends presque fonctionner lemécanisme rouillé qui lui sert decerveau.

— Je vous emmènerai, genre,cueillir des pommes. Vous allezadorer !

— Les pommes se cueillent enautomne, pas avant.

— Ah, c’est vrai. On pourra faireautre chose alors. Un truc supermarrant.

— On pourrait peut-être justedéjeuner ensemble ? Au moins celam’évitera de devoir manger un deses repas maison. Je m’assois surmon lit en essayant de ne pas fixerson gros ventre.

— Ça veut dire que tu viens ?Son visage suppliant me fait de la

peine. J’imagine que si c’était mafemme, j’apprécierais quequelqu’un l’accompagne.

— Ouais, je viendrai.— Merci, Derek ! Tu es trop

chou !Elle tente de s’asseoir au bord du

lit, perd l’équilibre et manque de secasser la figure, mais je la rattrape àtemps. Abandonnant son idée, ellereste debout à côté du lit et pose lesmains sur son ventre.

— Au fait, un petit oiseau m’a ditque tu avais reçu une lettre de tagrand-mère. C’est sympa.

— Ouais.Si elle savait que ma grand-mère

ne s’intéresse qu’à elle-même etqu’elle l’insulterait sans doute à laseconde où elle la verrait, je doutequ’elle la trouverait sympa.

— Qu’est-ce qu’elle te raconte ?— Qu’elle rejoint un cirque, pour

jouer une femme à barbe.— Vraiment ?— Non, pas vraiment... Elle va

mourir et elle veut que je lui rendevisite au Texas.

— C’est encore une blague ?— Non. Et je vais y aller.Après la nuit dernière, j’ai réalisé

qu’Ashtyn était ma kryptonite. Jem’en suis trop approché, il faut queje prenne mes distances.

J’entends claquer la ported’entrée. Ashtyn a dû partir pourl’entraînement, encore furieuse.Deux heures plus tard, elle gare savoiture déglinguée dans l’allée alorsque je suis en train de réparer le toitdu cabanon, cherchant toujours ceque je pourrais bien lui dire.

Elle se traîne à l’intérieur, lescheveux en queue-de-cheval et del’herbe sur tout le pantalon.

L’entraînement a été dur,manifestement. Je devrais la laissertranquille, mais je n’arrive pas à lachasser de mon esprit. Je laretrouve dans le salon, en train detremper ses pieds dans un seau deglace. Brandi se fait les ongles etJulian regarde la télé à côté de satante.

— Ashtyn, on peut discuter ?— Non, je suis occupée et j’en ai

marre de jouer. Tu n’as qu’à appelerBree.

— Ne me traite pas comme de la

merde. Je n’avais pas prévu que lasoirée d’hier se finirait comme ça.

Julian me tapote la jambe.— Derek, tu as dit merde.— Merde n’est pas un vilain mot.Je regarde Ashtyn en attendant

qu’elle confirme ; elle hausse lesépaules comme si elle n’avait pasd’avis sur la question. Alorsj’insiste :

— Je connais un tas de mots quisont bien pires que celui-ci.

— Arrête, s’exclame Ashtyn,inquisitrice. Tu pervertis mon

neveu.— Tu m’en veux pour hier soir ?— Tu as tout faux. Tu ne pourrais

pas avoir plus faux.— Attendez, j’ai raté un épisode ?

demande Brandi. Qu’est-ce qui s’estpassé hier ?

Sa sœur me fusille du regard.— Rien. Pas vrai, Derek ?— Vrai.— Vous êtes allés où ?— Faire du trampoline, et ensuite

à la White Fence Farm, expliqueAshtyn.

Sa sœur repose son vernis enfronçant les sourcils.

— Pourquoi tu lui en veux, alors ?C’était plutôt marrant, non ?

— Je n’ai pas envie d’en parler,Brandi, d’accord ?

Continue de croire que Derek estparfait, comme tout le monde.

— Personne n’est parfait, lui dis-je. Toi non plus, Ashtyn.

— Je n’ai jamais dit que j’étaisparfaite. En réalité, je suis uneidiote.

— Bienvenue au club.

Gus débarque quelques minutesplus tard, jette un œil au seau deglace dans lequel sa fille trempe sespieds et marmonne quelque choseau sujet de l’annulation d’un stagede football, et de son argent qu’ilaimerait récupérer.

— Quel stage de football ?demande Brandi.

— Ta sœur veut conduirejusqu’au Texas, où a lieu son stagede football. Seule ! Ce n’est pas prèsd’arriver.

— Attends, j’ai une idée !

Ma belle-mère au cerveau ramollise tourne vers moi et me regardecomme si j’allais sauver le monde.Elle tape dans les mains, en faisanttout de même attention à ne pasgâcher sa manucure toute fraîche,et s’écrie avec excitation :

— Derek va rendre visite à sagrand-mère au Texas, justement. Ilpeut déposer Ashtyn à son stage. Illa récupérera à son retour. C’est lasolution idéale !

Tout le monde a les yeux rivéssur moi. Est-ce que Brandi pense

réellement que nous mettre tous lesdeux dans une voiture va résoudreles problèmes de sa sœur ? Ellerêve !

— Je ne crois pas, non.— Je ne crois pas non plus,

confirme Ashtyn. C’est une idéepourrie.

Gus confirme :— Alors on est d’accord. Ashtyn,

tu ne pars pas.

CHAPITRE 30ASHTYN

Je passe les deux heures

suivantes à appeler toutes mesconnaissances hors de mes amisproches. En vain. Il n’y a aucunesolution. Sauf... Sauf Derek.

Je préférerais ne boire que dessmoothies verts pendant unesemaine entière plutôt que d’êtrecoincée avec lui sur la route. Je mesuis complètement ridiculisée lejour de notre rendez-vous qui n’en

était pas un et je me sens idiote.Chaque fois que je repense à sesmains sur mon corps, ou à salangue glissant sur la mienne, j’ailes genoux qui tremblent et leventre qui se serre. Je m’en veuxtellement d’être tombée dans sonpiège.

Je ferme les yeux et respireprofondément, puis j’essaie detrouver un plan pour me rendre auTexas sans lui. Pourtant, je dois merendre à l’évidence : c’estimpossible ! Derek est le seul qui

puisse m’aider.Je le retrouve dehors, sur le toit

du cabanon, torse nu. Il plante unclou et je ne peux m’empêcher derepenser à la façon dont je me suislaissée aller contre son ventre, lanuit dernière. J’aimerais pouvoireffacer ce souvenir de ma mémoire,mais rien à faire.

— Il faut que je te parle.Il continue de taper avec le

marteau.— Pourquoi ? Tu es prête à me

dire pourquoi tu m’en veux autant ?

— Je n’ai pas le choix.Je pousse un soupir avant de

continuer :— Je n’aurais pas dû t’embrasser.

Ni te laisser m’embrasser. C’est uneénorme erreur que je regretteraip o u r l’éternité. Je t’en veux dem’avoir tentée, comme je m’en veuxde te l’avoir permis. Tu m’as euedans un moment de faiblesse et çame tue de ne pas pouvoir remonterle temps et tout effacer. Voilà, c’estdit.

— L’éternité, c’est long, tu sais.

— J’en ai tout à fait conscience, jete remercie. J’ai besoin de ton aidepour ce voyage au Texas ; je tiensvraiment à faire ce stage. J’aitéléphoné à tout le monde.Personne n’est dispo.

— Je suis ton dernier recours,c’est ça ?

— Ouais.Il saute du toit et marche jusqu’à

moi.— C’est toi qui as décidé que l’on

ne devait pas se mêler des affairesde l’autre, non ? La nuit dernière,

on a enfreint la règle et tu as vu lerésultat. Te conduire hors de l’Étatet faire du camping ensemble ne vapas nous simplifier la vie.

Une minute... Est-ce que j’ai bienentendu ?

— Du camping ?— J’aime bien me compliquer la

tâche.Me compliquer la vie, ce n’est pas

mon habitude.Cependant, je suis au bout du

rouleau, alors je mens avec ungrand sourire :

— J’adore le camping !— Je ne te crois pas, dit-il en

secouant la tête.— Écoute, je suis prête à

reprendre notre petit jeu,finalement. Mais on ne s’embrassepas, on ne se touche pas. Songe àtout le temps que nous aurons pournous disputer sur la route.

— Après la nuit dernière, c’estsans doute la pire idée qu’onpouvait avoir.

Il me montre le ballonmâchouillé.

— Au fait, merci de l’avoir filé auchien. Ce doit être un sacrilège dedétruire un ballon signé par TroyAikman... Ne t’inquiète pas, je n’enparlerai pas à tes coéquipiers.

Il se dirige vers la maison. Je lerattrape et me mets en travers deson chemin.

— Désolé, Ashtyn, je peux past’aider, me dit-il en me repoussantsur le côté.

Le moment est venu de toutdéballer, peu importe dans quel étatj’en ressortirai.

— Attends ! Derek, le footballaméricain, c’est toute ma vie. Il fautque j’aille au Texas. Il faut que jeprouve au monde entier et à moi-même que je mérite d’y être commen’importe quel garçon. Je ne te l’aipas dit, mais Landon a lâché notreéquipe pour jouer avec nos rivaux.Je refuse de baisser les bras, quandbien même tout semble perdu.

Je détourne le regard car je sensles larmes me monter aux yeux.

— Tu ne comprends pas. Endehors du football, je n’ai plus rien,

dis-je avec un geste vers Falkor quia posé la tête à ses pieds. Mêmemon chien ne m’appartient plus. Jene te demande pas grand-chose. Tues mon dernier espoir.

Je tremble, à deux doigts defondre en larmes. Derek se frotte lanuque, en pleine réflexion.

— Désolé, je ne peux pas.— Tu veux combien ? lui dis-je, à

bout.— Combien ?— Ouais, dis un chiffre.— Un million de dollars. Ben

voyons...Je calcule combien j’ai pu

économiser en baby-sittings, fêtes,anniversaires...

— Je te propose cent dollars et onpartage l’essence.

— Seulement ? répond-il,impassible. C’est moins que lesalaire minimum.

— Tu seras payé comptant, aumoins.

— Tu oublies le facteur stress.Cohabiter avec toi, Sucre d’orge, cen’est pas une partie de plaisir.

— Je rajoute deux boîtes debarres de céréales pour le trajet.Vendu ?

Il scrute ma main levée un bonmoment avant de secouer la tête.

— Écoute, Ashtyn, je ne...— Allez, Derek ! Je ne plaisante

pas. Je n’ai personne sur quicompter. Mon copain m’a larguée,nous n’avons plus de quarterback,et ma vie est en bordel. Je me noie,là ! Montre-moi qu’il reste un peud’espoir.

Il se frotte encore la nuque puis

soupire plusieurs fois en regardantau loin.

— Très bien, lâche-t-il enfin.Vendu !

CHAPITRE 31DEREK

On m’a forcé à venir en Illinois et

on m’oblige à partir pour le Texas. Àpartir sur les routes avec une filleque j’ai envie d’embrasser et derepousser en même temps.

Comment se fait-il que je meretrouve toujours dans des plansgalère ? Quand Ashtyn m’a racontéce que le football américain et cevoyage signifiaient pour elle, je n’aipas pu dire non. A une certaine

époque, le foot représentait autant,pour moi. J’ignore ce qu’elle penseaccomplir en participant à ce stage,mais je suis persuadé qu’elle userade tous les moyens pourimpressionner les recruteurs.L’étincelle que j’ai vue dans sesyeux ne trompe pas.

Quatre jours plus tard, nouschargeons le SUV de mon père.Ashtyn a insisté pour emportertoute la malbouffe qu’elle a putrouver. De mon côté, j’ai prisquelques barres de céréales et de

quoi cuisiner.— Qu’est-ce que c’est que ça ?

demande-t-elle quand je sors de lamaison.

— Un mixer.— Tu emportes un mixer pour la

route ?— Oui.Quelques bananes, des épinards,

et ça fera un petit déjeunerdélicieux. Si elle croit que je vaismanger des bonbons et des gâteauxmatin, midi et soir, elle se met ledoigt dans l’œil.

Nous disons au revoir à Brandi,Julian et Gus et nous sommes prêtsà partir.

Au moment où j’ouvre laportière, Falkor bondit sur labanquette arrière.

— Tu n’es pas invité, toi.Il me regarde de ses yeux

implorants. Ashtyn essaie de le fairesortir mais il reste planté là, jusqu’àce que je me mette à crier :

— Sors !Soudain Julian apparaît à côté de

moi et me serre les jambes de ses

petits bras d’enfant.— Tu reviens, hein ?— Bien sûr que je reviens, lui dis-

je en m’agenouillant. Ashtyn passela tête par la vitre.

— Hé ! Julian, tu me fais uncâlin, à moi aussi ?

Elle sort de la voiture et pose ungenou au sol. Elle le tire contre elleet le serre fort. On dirait qu’elleabsorbe tout l’amour qu’il lui offreen cet instant. Je ne serai jamaiscapable de lui offrir la même chose.

Puis je démarre et Ashtyn enlève

ses chaussures et prend ses aises.Très vite, nous quittons la ville etne croisons plus que des fermes.J’aperçois un aigle solitaire planantau-dessus de nos têtes.

Elle plonge la main dans son sacet sort des crackers et de la crèmede fromage.

— Tu en veux ?— Nan.— Ça ne va pas te tuer, Derek.Elle en prend un et me le met

sous le nez.— Goûte.

J’ouvre la bouche ; les bouts deses doigts effleurent mes lèvres etreposent presque dessus le tempsque je les referme. Ce seraitpresque un moment intime.

Elle me tend un nouveau gâteau.Je suis tenté de l’accepter, mais jene veux plus que ses doigtsapprochent de mes lèvres. Sa règle :on ne s’embrasse pas, on ne setouche pas, est bien ancrée dansmon esprit.

— Ça va comme ça.— Si tu le dis.

Garder mes distances est lameilleure chose à faire, quoiqu’uneune vague sensation que je nesaurais expliquer me crie lecontraire.

On ne s’embrasse pas, on ne setouche pas...

Je tourne la tête et la vois entrain de lécher le fromage resté surses lèvres ; elle ne réalise pasqu’elle me rend dingue.

Soudain, elle crie en posant lesdeux mains sur le tableau de bord.

— Derek, attention, un écureuil !

Je tourne violemment le volantpour l’éviter ; la voiture se déportedans un crissement de pneus.

— Tu l’as écrasé ? demande-t-elle, paniquée, en regardant dans lerétroviseur.

— Non.— Surveille la route. Tu aurais pu

nous tuer !En attendant, il faudrait qu’elle

arrête de me provoquer. J’attrape lefromage et le jette derrière. Commeça plus de distraction...

Elle souffle avec énervement.

— Pourquoi tu as fait ça ?— Pour pouvoir me concentrer

sur la route.Elle secoue la tête, l’air de ne pas

comprendre. Si elle croit que je vaislui expliquer, elle peut toujoursattendre. Parfois, il vaut mieux setaire. Sans autre garniture pour sescrackers, elle les range dans le sacqui, j’en suis sûr, doit contenir untas d’autres cochonneries.

Je m’arrête pour faire le pleind’essence et lui passe le volant. Elleconduit pendant que je me repose

sur le siège passager. J’aimeraisêtre à nouveau dans le dortoir del’internat, en train de me demandercomment je vais passer l’été sansêtre convoqué dans le bureau deCrowe. A mon entrée au lycée,j’avais pourtant tout prévu. Jedevais entrer à l’université et jouerau football américain.

Tout a changé à la mort de mamère.

Je fouille dans mes souvenirs,enfermés dans mon cerveau commedans un coffre-fort. J’entends

encore son rire, dans la cuisine,quand elle teignait ses cheveux enbleu. C’était la couleur préférée demon père et elle voulait penser à luichaque fois qu’elle se regardait dansle miroir lorsqu’il était en mission.

Et puis un jour, on lui adiagnostiqué un cancer.

C’était un calvaire chaque foisqu’elle devait aller à sa chimio alorsque j’étais coincé en cours. Quandses cheveux ont commencé àtomber, je l’ai retrouvée dans lasalle de bains à pleurer devant le

miroir, sa brosse pleine de mèches àla main.

Finalement, elle a demandé determiner le travail avec la tondeusede mon père. Après m’être occupéd’elle, je me suis rasé la tête aussi,mais cela ne l’a pas empêchéed’éclater en sanglots. Si j’avais pucombattre ce fléau à sa place, jel’aurais fait.

Mais on ne négocie pas avec lecancer.

Je me suis occupé de ma mère dumieux que j’ai pu, en vain. Je n’ai

pas pu la sauver et je n’étais mêmepas là lorsqu’elle a rendu l’âme. Jesais qu’elle m’aurait voulu à sescôtés. J’étais le seul membre de lafamille dans les parages et elle estmorte seule parce que j’avais unentraînement de football et que jesuis arrivé trop tard à l’hôpital.

J’aurais dû être là. J’aurais dû.Un long silence s’installe pour

plusieurs heures dans la voiture.Nous nous arrêtons pour manger,puis je reprends le volant endirection d’un camping. Ashtyn,

appuyée à la vitre, admire lesmaisons de campagne qui défilent.Tout à coup, elle me montre ungarçon qui pousse une fille sur unebalançoire.

— C’est trop romantique,soupire-t-elle tout haut. Derek, est-ce que tu as déjà eu une vraie petiteamie ?

— Ouais.— Qu’est-ce qui s’est passé ?Cela faisait longtemps que je

n’avais plus pensé à Stéphanie. Enseconde, on était allés à la soirée du

lycée ensemble, et elle m’avaitoffert sa jarretelle et sa virginité.Elle prétendait qu’on seraitensemble pour toujours et à cetteépoque, j’y croyais.

— J’ai déménagé en Californie etelle est restée dans le Tennessee.On a essayé la relation à distancemais ça n’a pas duré.

Et pour toujours s’était soldé parsept mois.

— Quand est-ce que tu as su quec’était fini ?

— Quand je l’ai vue en train de

coucher avec mon meilleur ami.

CHAPITRE 32ASHTYN

— Ashtyn, on est arrivés.Je ne suis pas tout à fait

consciente et j’ai juste envie de merendormir. C’est peine perduepuisque Derek me tapote l’épauleavec insistance.

— Je suis réveillée, dis-jefébrilement.

Il persiste à me secouer quand,enfin, je me redresse et regardedehors. Devant nous, un grand

panneau annonce :

CAMPING DU JOYEUXCAMPEUR

Où la Nature vous nourrit ! Houlà. La Nature. Je devrais

peut-être lui dire que je ne suis pasfan des araignées et que le simplebruit des criquets me fout le cafard.

— Si on oubliait le camping pouraller à l’hôtel ? Entre l’argent que tuas gagné au jeu et mes faibleséconomies, je suis sûre qu’on

pourrait se loger dans un endroitdécent.

— L’argent que j’ai gagné au jeu ?— Ne fais pas l’innocent. Monika

a trouvé une liasse de billets danstes bottes et des jetons de pokerdans ta valise.

— Du coup, je suis un flambeur ?— Ouais.— Ecoute, Sucre d’orge, fais pas

ta diva, et ne juge pas les gens tropvite.

Il descend de voiture et se dirigevers l’accueil.

L’homme à la réception noussalue de toutes ses dents en noustendant un formulaire d’inscription.Puis il nous assigne un petitemplacement avec eau courante etélectricité.

Pendant que Derek achète dubois et des allumettes, je m’occupedes saucisses et du pain.Finalement je craque et prendsaussi des guimauves. Puisque jesuis coincée ici, autant me faireplaisir.

Dehors, Derek est penché sur la

voiture et jette un œil au plan ducamping. Il ne voit pas que deuxfilles assises à une table de pique-nique le fixent comme si ellesallaient le dévorer.

— Qu’est-ce que tu as pris pour ledîner ? me demande-t-il.

— Si tu crois que j’ai acheté dessteaks de dinde bio ou des grainesde lin, tu vas avoir une surprise.

— Tu as pris du vinaigre decidre ?

— Pour quoi faire ?— Pour mon régime.

Je le détaille de haut en bas.— Tu n’as pas besoin de régime,

Derek. Tu as besoin de hot dogs.Il éclate de rire.— On n’a qu’à monter la tente et

allumer un feu, que je puisse meremplir de cochonneries. Miam !

— Tu commences vraiment àm’énerver.

— C’est le but, Sucre d’orge.Nous longeons un chemin de

graviers tortueux jusqu’àl’emplacement 431. Il y a quelquesarbres mais c’est principalement

une grande prairie.— Bienvenue chez nous !

s’exclame-t-il. Quelques voisinsjouent au football américain ; unefamille est en train de cuisiner au-dessus d’un feu et des fillesbronzent en Bikini.

Derek saute hors de la voiture etsort notre tente du coffre.

Je lis les instructions sur le côté.— C’est une tente trois places.— Exact. Nous serons deux dans

une tente trois places. On aura del’espace pour s’étirer.

Je ne suis pas convaincue :— Elle a l’air petite. Je ne pense

pas que mon matelas gonflableentrera là-dedans.

— Ton matelas gonflable ?— Ouais, j’ai besoin d’être à

l’aise.Je suis habituée à me trouver

dans des espaces confinés avecd’autres garçons. J’ai dormi dansdes bus avec tous mes coéquipierset je me suis retrouvée souventdans les vestiaires alors que laplupart d’entre eux étaient à moitié

nus. Mais là, c’est différent. Je doispartager une tente avec le garçonqui me plaît, alors qu’il ne devraitpas.

Derek étend la tente sur le sol.— Tu veux de l’aide ?— Nan, c’est bon.Je m’assois sur une souche

d’arbre et l’observe monter notreabri comme un pro. Il fait chaudbien que le soleil soit bas. Derekenlève son haut et essuie latranspiration sur son visage. Ilcoince son T-shirt dans la ceinture

de son jean et soudain, ses yeuxbleu profond rencontrent les mienset je me sens toute- chose.

Je détourne vite le regard enessayant de ne pas avoir l’aircoupable. Je ne veux pas qu’il sacheque j’admire son torse nu et bronzé.

Notre tente, verte avec une bandeviolette sur le côté, est la plus petitedu camping. Face au refus de Derekd’installer mon matelas àl’intérieur, je l’y rentre moi-mêmeet le gonfle toute seule. Il occupepresque tout l’espace, mais, au

moins, j’y serai bien.Derek prépare un feu dans

l’emplacement prévu à cet effet,quand un des types de la tentevoisine jette son ballon dans madirection. Instinctivement, je meprécipite pour l’attraper.

— Waouh ! s’écrie un type auxcheveux blonds et bouclés. Belleréception !

Je relance le ballon dans unetrajectoire parfaite.

— Joli lancer ! me dit son ami, aucrâne tatoué sur l’avant-bras.

Comment tu t’appelles ?— Ashtyn.— Moi, c’est Ben. Tu viens d’où ?— Chicago.Le blondinet me fait signe de les

rejoindre.— Tu veux jouer avec nous ?Derek semble prêt à intervenir,

comme si j’avais besoin d’un hérospour me sauver d’un mauvais pas.Je n’ai pas besoin de son aide. Cesgarçons sont juste en train des’amuser.

— Plus tard, peut-être. Merci.

De retour près du feu, je voisDerek qui secoue la tête.

— Quoi ?— Ils t’ont eue.— Comment ça ?Il fait une grimace en direction

de Ben et de ses amis.— Ces types te mataient bien

avant que le ballon n’arrive vers toi,Ashtyn. Ce n’était pas un accident.

J’ajoute des branches ramasséespar terre au bois acheté par Derek.

— Et alors ?Il s’accroupit et allume le petit

bois avec un briquet.— Alors je suis payé pour être ton

chauffeur, pas ton baby-sitter.— Je n’ai pas besoin d’un baby-

sitter. Je n’ai besoin de personne.Il secoue la tête et repose les

talons au sol.— Ça, c’est ce que tu crois.

CHAPITRE 33DEREK

Ashtyn a vraiment mal pris mon

histoire de baby-sitter. Maintenant,elle refuse de me parler. Une foisnos hot-dogs avalés, elle est entréesous la tente et n’en est plusressortie. Est-ce qu’elle continueraà m’ignorer lorsque j’irai mecoucher ?

— On peut s’asseoir avec toi ?demande une voix de fille depuisl’emplacement voisin. Notre feu est

éteint et on n’a plus de bois.Trois filles en T-shirt des St.

Louis Cardinals et bas de Bikinis’avancent vers moi. Elles onttoutes des cheveux lisses superlongs. L’une d’elles a une mècheteinte en rose.

— Bien sûr.Les filles se présentent, puis

nous nous mettons à discuter.Ashtyn ne tarde pas à nousrejoindre, ainsi que les joueurs defoot avec une glacière pleine debières. En peu de temps, l’ambiance

tourne à la fête, avec de la musiqueprovenant d’un van proche.

Ashtyn se met alors à discuter.Les garçons ont les yeux rivés surelle tandis qu’elle raconte un matchsous une pluie battante lors de ladernière saison. Cette fille a unpouvoir sur les mecs... Un pouvoirqui n’a rien à voir avec le fait qu’ellejoue au football. C’est juste qu’ellene balance pas ses cheveux, nericane pas, ne met pas sa poitrineen avant pour attirer l’attentioncomme les autres filles. Elle est

simplement... elle-même.— Ashtyn est ta copine ? me

demande une certaine Carrie.Je jette un œil par-dessus le feu,

vers celle qui me rend fou, avant deme répéter que je dois cesser de laregarder et de vouloir savoir cequ’elle fait.

— Non, Ashtyn n’est pas macopine.

Je jette un coup d’œil autour demoi, comme si j’allais lui dévoilerun secret.

— En réalité, elle appartient à la

famille royale de Fregolia, un petitpays en Europe. Elle voulait fairel’expérience de vivre avec deslocaux américains, et elle est iciincognito. Je suis son garde ducorps.

— Oh !Carrie admire mes biceps et se

lèche les lèvres. Puis elle se penchesur moi.

— Tu as des yeux magnifiques.Tu viens d’où ?

Je parie ma couille gauche que sije disais Fregolia, elle me croirait.

— C’est assez compliqué.— Comment ça ?— Disons que je viens de partout.— Quel mystère !Elle se redresse, tout excitée à

l’idée d’en apprendre plus sur lesendroits où j’ai vécu.

— Laisse-moi deviner, alors. Toncôté sexy doit bien te venir dequelque part.

— Alabama, Tennessee, Texas.Carrie me touche l e biceps ets’écrie :

— O mon Dieu ! Tu viens du

Texas ? Tu parles d’unecoïncidence ! J’adore les Texasiens !

CHAPITRE 34ASHTYN

Je parle, je ris à m’en casser lavoix avec les garçons du camping etsoudain je suis épuisée. Ilsm’invitent à jouer au strip-poker etje refuse poliment. Pas question dejouer à ce jeu-là, encore moins avecdes gars que je connais à peine.

Derek discute avec une des fillesprès du feu. Elle ricane, lui touchele bras... Il est intéressé, c’est sûr ; ilne l’a pas quittée de la soirée.

De retour des sanitaires, je passe

devant eux e t f ais mine de lesignorer en ouvrant la tente.

Allongée sur mon matelas,j’entends leurs ricanements. Arg...Pourquoi ça me chiffonne à ce pointque Derek s’intéresse à cette fille ?La vérité, c’est que j’aimerais êtreavec lui. J’en meurs d’envie. Jeferme les yeux et tente d’effacer sonimage de mon esprit.

Qu’est-ce que je raconte ? Ai-jeenvie d’un garçon qui tremble àl’idée d’avoir une vraie relationplutôt qu’un coup d’un soir ? Je ne

veux pas d’un joueur invétéré nid’un séducteur. Comme je le lui aidit avant dîner, je n’ai besoin depersonne.

J’essaie en vain de dormir.Entendre leurs murmures est déjàune épreuve, mais j’entrevoiségalement leurs silhouettes àtravers le Nylon. Leurs ricanementsme portent sur le système ; ilssonnent tellement faux.

Je me retourne et mets mesécouteurs. La lumière de mon iPodprojette un léger éclat dans la tente,

et, du coin de l’œil, j’aperçois unebestiole qui court sur la toile : c’estune énorme araignée, juste au-dessus de ma tête !

Je me recroqueville dans un coin.Pitié ! Je déteste les choses

répugnantes qui courent partoutavec leurs crochets et leurs pattes etleurs horribles toiles toutescollantes !

Elle avance et je me mets àhurler :

— Va-t’en !En une seconde, on ouvre le Zip

de la tente et Derek passe la tête àl’intérieur.

— Qu’est-ce qu’il se passe ?Je lui montre l’horrible créature.— Écrase-la, tue-la !— Tu es d’une violence... Ashtyn,

c’est une araignée, pas un scorpion.Il l’attrape et la jette dehors.— Voilà, elle est partie. Tu es une

redoutable joueuse de football. Tupeux certainement gérer une petitearaignée.

— Le football n’a rien à voir avecla peur de ces bestioles répugnantes

à huit pattes, Derek. Et celle-là étaiténorme. J’ai vu ses crochets.

— Ben, voyons, dit-il en hochantla tête. Tu croyais quoi, qu’il n’yaurait pas d’araignées dans uncamping ? On est en pleine nature.

— Je ne m’attendais pas à entrouver une dans ma tente. J’ai lusur Internet qu’il n’était pas rare demanger une araignée dans sonsommeil. Je n’aurais pas pum’endormir en imaginant ce trucramper sur mon visage.

— Bon, elle est partie, tu devrais

t’en tirer. Je suis étonné que lasécurité du camping ne soit pasintervenue. Il est interdit de fairedu bruit après vingt-deux heures, tusais.

Il attrape ses affaires de toilettedans son sac et me lance :

— Ton matelas prend toute laplace. Où est-ce que je suis censédormir ?

Je pointe du doigt l’espacerestant.

— Juste là.— Tu plaisantes, j’espère ?

— Non.Il secoue la tête.— On en reparle à mon retour.— Et la fille à qui tu parlais ? dis-

je en essayant de cacher tout signede jalousie dans ma voix. Est-cequ’elle t’attend dehors ?

— Non, elle ne m’attend pas.— Tu as vu ses cheveux roses ?

Sérieusement, elle est prête à toutpour qu’on la remarque, ça faitpitié.

— Elle est canon.— Hein ? On dirait que les

bactéries de tes smoothies auxalgues t’ont attaqué le cerveau.

Il se retourne vers moi.— Tu es jalouse ?— Je ne suis pas jalouse. Je suis

juste inquiète pour toi. Je surveilletes arrières.

— Tu devrais surveiller les tiens,Ashtyn. Pas les miens.

Derek part se laver et j’ai le cœurserré à l’idée qu’il dorme sous latente avec moi. Je refuse d’admettreque j’ai envie qu’il ait envie de moi.Et pourtant... J’aimerais l’entendre

dire que cette fille était ennuyeuse,qu’elle était stupide. Bref... qu’ellen’était pas moi.

A son retour, mon matelasgonflable remue lorsqu’il s’assoitdessus.

— Tu n’imagines pas que je vaiste laisser dormir dans mon lit ?

— Écoute, Sucre d’orge, tu ne melaisses aucune place, alors onpartage. Si tu préfères, j’ai un canifque je serais ravi de planter dedans.

Je me rassois.— Tu n’oserais pas !

Il plonge la main dans son sac etbrandit son couteau.

— Tu paries ?Malheureusement, Derek n’est

pas du genre à lancer des menacesen l’air.

— Très bien. Tu peux dormirdessus, mais fais bien attention àrester de ton côté. Souviens-toi denotre règle : on ne se touche pas.

Il fait nuit noire, et, en dehors denos respirations, il n’y a pas unbruit. Même les criquets se sonttus.

Je lui tourne le dos et je l’entendsretirer son jean avant de s’allongerà côté de moi. Je me demande s’il adéjà passé une nuit entière avec unefille. Peut-être avec cette fille duTennessee qui l’a trompé ?

Je reste bien droite pour que l’onne risque pas de se toucheraccidentellement les jambes, lesmains, les bras... Derek a peut-êtreenvie de moi physiquement parceque c’est un mâle, mais il n’éprouveaucune envie de me serrer contrelui et de me rassurer.

C’est de ça que j’ai envie chez ungarçon.

C’est de ça que j’ai besoin.Soudain, le calme absolu

m’oppresse et mon cerveaus’emballe. Quand ma mère etBrandi sont parties, la maison estdevenue trop calme et depuis, lesilence n’a cessé de m’angoisser enme rappelant leur absence.

Derek a ses écouteurs dans lesoreilles et je tends l’oreille pourentendre sa musique en espérantqu’elle m’apaisera un peu. De

vieilles chansons des années 50 et60 remplissent alors doucement latente et je me détends enremerciant secrètement Derek dem’avoir débarrassée de l’araignée etd’être resté près de moi au lieu departir s’amuser avec l’autre fille.

— Merci, dis-je dans unmurmure, consciente qu’il ne peutm’entendre.

C’est si bon de savoir que lui, aumoins, ne m’a pas abandonnée.

Je rêve de l’Alaska. J’ai froid etne parviens pas à me réchauffer. Je

donnerais n’importe quoi pourarrêter de trembler, mais je suisprisonnière de la glace et le vent estglacé. Puis, soudain, je suis libérée,comme par magie, et marche dans laneige, complètement nue...

Encore endormie, je me tournepour trouver une position plusconfortable, à peine consciente queje suis de retour dans ma tente. Latempérature a chuté et je grelotte.Ma main se pose sur quelque chosede chaud. Une sorte d’île. Je merapproche de la chaleur et me

presse contre elle.— Ashtyn, qu’est-ce que tu fous ?

demande une voix grave etmasculine.

Derek. Je ne peux pas ouvrir lesyeux, mais je reconnais son timbreunique. Irrésistible comme... duchocolat chaud. J’aimerais qu’il meprotège, juste ce soir. S’il me quitte,je serai de nouveau seule.

Je ne veux plus être seule. Pascette nuit. Pas dans ce froid.

— Ne me laisse pas, dis-je contreson torse en frémissant de manière

incontrôlée.— Je ne te laisserai pas.Ses bras m’enveloppent et je me

sens enfin en sécurité, loin desglaces de mon rêve, de la solitudede mon cœur et de la douleur deperdre tous ceux que j’aime.

CHAPITRE 35DEREK

Je me réveille avec le bras autour

d’Ashtyn. Et une érection. Nousnous tenons comme un couplemarié et ses cheveux longs reposentsur mon visage. L’odeur fleurie deson parfum me rappelle que, malgréson côté garçon manqué, c’est unefille à cent pour cent. J’ai fait demon mieux pour rester de mon côtédu matelas, mais elle n’a pas cesséde se rapprocher. Encore et encore.

Puis elle m’a dit qu’elle avait froidet m’a demandé de la serrer contremoi, ce que j’ai fait. Grossièreerreur.

Je retire rapidement mon bras etm’écarte d’elle. J’ai besoin de merafraîchir. Elle dormait à moitié enme demandant de la serrer contremoi ; avec un peu de chance, elleaura oublié.

Carrie aux cheveux roses est toutà fait mon type. Elle a fait la mouequand j’ai refusé son invitation àpasser la nuit sous sa tente. J’ai dû

prétexter que mon devoir de gardedu corps m’attendait.

Cette fille voulait passer du bontemps.

Ashtyn, elle, veut quelqu’un quine l’abandonnera pas.

Est-ce qu’elle s’est tournée versmoi simplement pour que je luitienne chaud ? Ou était-ce pourmoi ? Peu importe. J’ouvre la tenteet entreprends d’allumer un feu.Comment j’ai atterri là alors que jepourrais être peinard enCalifornie ? C’est à cause de cette

foutue blague avec les cochons.Saletés de cochons !

Soudain j’entends du bruit dansla tente et Ashtyn sort la tête.

— Salut, dit-elle.— Salut.Je lui montre une boîte de

gâteaux sur le capot de la voituresans lever les yeux du feu.

— Je t’ai pris ça pour le petitdéjeuner.

Elle ouvre la boîte.— Merci, marmonne-t-elle en se

servant.

Je pose les coudes sur les genouxet réfléchis à ce que je vais bienpouvoir lui dire. Enfin, j’annonce,stoïque :

— On devrait plier bagage etrepartir vite. On a beaucoup deroute à faire.

Nous passons les vingt minutessuivantes à ranger. Elle nem’adresse pas un regard tandis quenous quittons le camping et nousdirigeons vers notre prochainedestination.

— Tu veux qu’on parle de la nuit

dernière ? demande-t-elle.— Du fait que tu flirtes avec ces

mecs ou du fait que tu medemandes de te serrer dans mesbras ?

— Je ne flirtais pas avec cesgarçons. On discutait football.

— Ah ! c’est vrai. Tu n’aimes queles garçons qui jouent au foot.

— Qu’est-ce que ça peut te faire ?Devant mon mutisme, elle

enchaîne :— Peut-être qu’on devrait

commencer par la façon dont la fille

aux cheveux roses s’est rapprochéede toi ? Elle cherchait juste du bontemps ?

— Ce qui rend la chose encoremeilleure. Aucune émotion, aucuneobligation. Pour moi, c’est larelation parfaite.

— Pour moi, vous êtes abjects,dit-elle en retroussant la lèvre dedégoût. Je suis désolée pour tafuture femme.

— Moi, je suis désolé pour tonfutur mari, qui ne pourra que tedécevoir, toi et tes attentes

démesurées.— Mes attentes démesurées ? Je

n’ai pas d’attente démesurée.— Vraiment ? Alors pour

commencer, ne t’attends pas à ceque je joue les bouillottes tous lessoirs.

— Très bien. Ashtyn tient à s’entraîner

quotidiennement pendant notrepériple. Elle est dévouée à sapassion, je ne peux pas le nier. Ellecherche un parc proche de la route

sur son téléphone comme nouslongeons un terrain de football àl’arrière d’un lycée.

— Regarde. C’est mieux qu’unparc, tu pourras tirer entre de vraispoteaux.

Elle secoue la tête.— C’est une propriété privée. Il y

a une grille et elle est fermée.— Et alors ?— Tu ne comptes pas nous faire

entrer par effraction ?— Pourquoi pas ?Elle continue à protester pendant

que je me gare sur le parking prèsde l’entrée.

— Allez, c’est l’été et il n’y apersonne. Fais-moi confiance, cen’est pas grave. Tout le monde s’enfout.

Alors que je marche vers la grille,Ashtyn reste dans la voiturequelques secondes, puis récupèreson ballon et son socle sur labanquette arrière et me suit.

— C’est une mauvaise idée,Derek, insiste-t-elle. Je ne veux pasfaire de choses illégales. Si on se

fait prendre...— Arrête de te faire dessus, Sucre

d’orge. On ne risque rien.J’inspecte le verrou ; le faire

sauter ne me prendra paslongtemps. A l’école Régents, monami Sam et moi nous sommesentraînés des semaines à ouvrir descadenas pour pouvoir pénétrer dansla cafétéria et piquer de lanourriture pendant la nuit.

— Tu e s une racaille, déclareAshtyn en me voyant forcer lepassage.

Je l’invite à entrer sur le terrain.Racaille ou pas, elle a désormais unlieu où s’entraîner.

Je m’appuie contre un poteau etl’observe pendant qu’elle s’installe.

— Tu veux que je te montrecomment tenir le ballon, histoireque je puisse tirer dans de vraiesconditions de jeu ?

— Non, ça ira.Elle hausse les épaules, puis

shoote sans effort depuis la ligned’un mètre, en plein milieu despoteaux.

— Tu pourrais me renvoyer leballon une fois que j’ai tiré ?Comme ça, je n’aurai pas à courirentre chaque tir.

— Non.— Tu es une vraie feignasse.Elle part récupérer sa balle et

l’installe, cette fois, sur la ligne desquatre mètres cinquante.

Pendant plus d’une heure, ellerépète les mêmes gestes, et, chaquefois qu’elle tire, le ballon vole entreles poteaux. Je la vois se concentreret, en respirant calmement, calculer

la distance à atteindre avant queson pied ne touche le ballon.

Elle est impressionnante.Nous reprenons la route après

son entraînement. Elle s’allonge, lesyeux clos, et se perd dans lamusique de ses écouteurs, oublianttout ce qui l’entoure.

Je conduis vers notre prochainarrêt, un camping privé minusculeprès d’Oklahoma City, dont deuxdes quatre emplacements sontencore libres. Nous nous dépêchonsde monter notre tente avant la

tombée de la nuit et nous allonsnous laver.

Ensuite, comme il fait encorejour, Ashtyn se remet àl’entraînement. Elle commence pars’étirer et je me surprends à laregarder comme si elle présentait lameilleure émission d’aérobic dumonde. Soudain, elle lève les yeux.

— Tu me regardes ?— Non.— Viens ici.Je m’approche et elle me tend un

ballon.

— Tu te rappelles comment onlance ?

Et comment ! Mais je scrute leballon comme si c’était la premièrefois que j’en tenais un entre lesmains.

— Pas vraiment.— Ton papa ne t’a pas appris

quand tu étais petit ?— Disons qu’il était surtout

occupé à défendre le pays. Ce n’estqu’à moitié vrai. Il était absent laplupart du temps, mais il m’a bienappris à lancer un ballon de

football. Je devais avoir trois ans lapremière fois qu’il m’a montrécomment faire. A huit ans, jesuppliais constamment mes parentspour qu’ils jouent avec moi. J’étaisdevenu accro et passais mon tempsà m’entraîner.

Je lui rends son ballon, mais ellele repousse.

— Tu es droitier ou gaucher ?— Droitier.Elle attrape mes doigts, les place

sur la balle et commence àm’expliquer comment faire.

— La clé, c’est de le laisser glisserentre tes doigts. Je te promets queça marche si tu restes décontracté.

Je fais semblant de ne rien yconnaître et résiste à l’envie desourire à ses explications beaucouptrop détaillées.

— Si tu es tellement forte aulancer, pourquoi est-ce que tu n’espas quarterback ?

Ma remarque la fait rire.— Je ne lance pas aussi loin ni

avec autant de précision queLandon...

Elle hausse les épaules.— Certains garçons sont nés pour

lancer. Ils ont ça dans le sang.— Je suis sûr qu’il y a un tas de

types meilleurs que lui.— Je n’en connais pas. Son père

jouait au niveau professionnel.A la façon dont elle parle de

Landon, on croirait que c’est unsurhomme. Ça me donneraitpresque envie de lui montrer montalent. Presque.

Elle s’éloigne en trottinant.— Allez, lance !

Ce ne m’est pas facile de faire unmauvais lancer, mais je parviens àdonner le change. Le ballon grimpedans les airs, puis rebondit sur lesol avec un bruit sourd, loin de sacible.

— Pathétique, Derek.— Je sais. J’étais un joueur plutôt

moyen.— Recommence, dit-elle en

m’encourageant. Souviens-toi delaisser le ballon glisser de tes doigtsquand tu le lances.

Je recommence et parviens à

l’approcher à dix mètres, maistoujours hors de sa portée.

— Tu es sûr d’être américain ? Onne dirait pas à ta façon de lancer.

— Tout le monde ne peut pas êtreaussi bon que Landon, le dieu desquarterbacks, j’imagine.

— Bon, le cours est terminé pouraujourd’hui, dit-elle en coinçant laballe sous son bras. Et si tu esjaloux de Landon, n’aie pas hontede l’admettre.

— Je ne suis pas jaloux de lui.Avec un peu d’entraînement, je

parie que je pourrais le surpasser.— Ben voyons, répond Ashtyn en

se retenant de rire.— Qu’est-ce qui te plaît, dans ce

sport ?— Je t’expliquerai un jour. Pour

moi, c’est bien plus qu’un sport.Elle porte la main à sa poitrine :— Quand tu aimes quelque chose

autant que j’aime le footballaméricain, tu le ressens au fond detoi. Est-ce que tu as déjà aiméquelque chose au point que ça teconsume.

— Il y a longtemps...— Le football a cet effet sur moi.

C’est ma passion, ma vie... Monéchappatoire. Quand je joue,j’oublie tout ce qui ne va pas. Etquand on gagne...

Elle baisse les yeux, comme sielle avait honte.

— Je sais, ça a l’air idiot, maisquand on gagne, je me dis que lesmiracles peuvent se produire.

— Des miracles ?— Je t’ai dit que ça avait l’air

idiot.

— Ce n’est pas idiot. Espérer,c’est bien mieux que d’abandonneret de se dire que la vie sera toujoursaussi naze.

Nous marchons jusqu’à notreemplacement, où Sylvia, notrevoisine, que nous avons rencontréeaux sanitaires, nous salue de lamain.

— Venez donc dîner avec nous.Irving, va leur chercher les chaises.

Nous avançons jusqu’à la petitetable tandis qu’elle déballe lanourriture.

— Nous ne voudrions pasinterrompre votre repas, dit Ashtyn.

En réalité, elle scrute le poulet auriz avec gourmandise, des étincellesplein les yeux.

— Merci, m’dame, dis-je enm’asseyant.

Sylvia se charge de laconversation pendant que nousmangeons. Irv et elle se sontrencontrés quand ils étaient jeuneset ils ont eu quatre enfants. L’und’eux est médecin, un autre avocat,et un autre pharmacien.

— Je ne sais pas ce que fout notrefils Jerry, s’exclame Irv.

— Ne parle pas comme ça devantces jeunes, Irv, le rabroue sa femmeen lui tapant sur l’épaule.

Il marmonne des excuses et seremet à manger.

Le poulet est tendre et la saucenous fait saliver. Le riz estdélicieux, lui aussi. Cela faisait uneéternité que je n’avais pas aussibien dîné.

— Depuis quand sortez-vousensemble ? demande Sylvia.

— Nous ne sommes pasensemble, lui dis-je.

— Pourquoi pas ?Ashtyn lève la tête.— Parce qu’il n’aime que les

idiotes qui cherchent un coup d’unsoir.

— Et elle n’aime que les gros brasqui jouent au football américain.

Sylvia me dévisage avec des yeuxpleins de reproches. Irv, lui, meregarde avec un air complice.

— Il ne faut pas passer à côté dela fille de tes rêves, reprend Sylvia.

Raconte-lui, Irv.Son mari est occupé avec sa

nourriture et ne semble pas presséde parler.

— Irv !— Quoi ? dit-il en reposant sa

fourchette.— Tu as mis ton appareil auditif ?Il fait un signe de tête, et elle

répète plus fort :— Raconte à Derek pourquoi il ne

doit pas passer à côté de la fille deses rêves !

Alors Irving porte la main de

Sylvia à ses lèvres et l’embrassedoucement.

— Lorsque j’ai vu Sylvia pour lapremière fois, on m’avait engagépour peindre sa maison. Elle étaitpromise à son petit ami, mais j’ai suimmédiatement qu’elle était l’éluede mon cœur. Elle n’était pascensée discuter avec le petitpersonnel ; pourtant, elle meregardait peindre et venait me tenircompagnie pendant mon travail.

Il s’arrête pour la regarder dansles yeux avec passion.

— Alors quand il a fallu peindresa chambre, j’ai écrit VEUX-TUM’ÉPOUSER ? sur le mur.

Et il se met à rire.— Elle a écrit sa réponse à côté, et

je l’ai découverte le lendemain.— Et qu’est-ce qui s’est passé ?

demande Ashtyn, prise par l’histoirecomme si c’était un conte de fées.

— Évidemment, elle a dit ouipuisqu’ils sont mariés, lui dis-je.

— A vrai dire, Irving n’a jamais vuce que j’avais écrit, parce que mesparents l’avaient renvoyé. Ils

refusaient que j’épouse un peintreen bâtiment.

— Mais je n’ai pas baissé les bras.Je suis venu chez elle tous les jourspour demander sa main.

— Mes parents ont f ini parcéder, raconte Sylvia en lui tapotantla main. Et nous nous sommesmariés six mois plus tard. C’était ily a soixante ans.

Ashtyn s’enfonce dans son siègeen soupirant.

— C’est une histoiremerveilleuse. Tellement

romantique !— Voilà pourquoi il ne faut pas

passer à côté de la fille de ses rêves,Derek, conclut Sylvia en agitant undoigt devant moi.

J’imagine à quoi ressembleraitAshtyn dans soixante ans, assise àtable en face de moi. Je suis sûrqu’elle aurait toujours cet éclatdans les yeux et ces lèvres sidésirables. Et elle me seraitreconnaissante d’être resté toutesces années à ses côtés alors quetout le monde l’avait abandonnée.

Seulement, je suis incapable deremplir ce rôle.

Et si je mourais à trente-cinq ans,l’âge auquel est décédée ma mère ?

A cet instant précis, en regardantde l’autre côté de la table celle quipourrait très bien être la fille demes rêves, je sais que je nel’épouserai pas. Je vais laisserquelqu’un d’autre être son Irving.

J’ai la nausée en reprenant laparole :

— Ouais, ben, notre Ashtyn esttyrannique et intransigeante. Et

comme je n’aime pas les fillestyranniques et intransigeantes, cen’est pas la fille de mes rêves.

— Derek est aussi le garçon leplus énervant que j’aie jamaisrencontré, s’amuse Ashtyn avec unfaux sourire. Alors s’il peignaitVEUX-TU M’ÉPOUSER sur monmur, je dessinerais un cercle autouret une grande croix en plein milieu !

CHAPITRE 36ASHTYN

Pas question que je laisse Derek

croire que ses commentaires metourmentent. De retour à notreemplacement, je lui annonce que jesuis fatiguée et veux aller mecoucher.

Ce soir, je ne mourrai pas defroid puisque j’ai enfilé deux pairesde chaussettes et deux joggings. Peuimporte que je ressemble à unegrosse guimauve : je ne veux pas

être obligée de lui demander de meserrer dans ses bras.

Pendant qu’Irving racontait sonhistoire, j’ai pensé au garçon de mesrêves. J’imaginais Derek meregardant depuis l’autre côté de latable dans soixante ans.

Mais Derek n’a pas envie d’êtremon petit ami. Il dit qu’il nepourrait pas être avec moi car jesuis tyrannique et intransigeante.Mais est-ce que je pourrais êtredifférente à ses yeux ? Si jechangeais, est-ce qu’il tomberait

amoureux de moi ?Le problème, c’est que, la nuit

dernière, j’ai ressenti quelque choseque je n’avais pas ressenti depuislongtemps Quand il m’a dit qu’il neme quitterait pas, je l’ai cru. Je mesuis surprise à vouloir êtrevraiment amoureuse de lui.

En réalité, je crois que je le suisdéjà. Oh, je ne sais plus quoi taire.

J’entends le crissement desfeuilles sous ses pieds alors qu’ilapproche de la tente.

— Tu es sûre que tu ne veux pas

t’asseoir un peu dehors ? demande-t-il d’une voix grave en passant latête à l’intérieur. Il fait bon autourdu feu.

— Je suis très bien ici. Va voir tonfeu et laisse-moi tranquille.

Je lui aboie pratiquement dessuspour qu’il s’éloigne et me laisseseule dans mon malheur. Je suistotalement perdue.

— Qu’est-ce que tu as mis commevêtements ?

— Pratiquement tout ce quej’avais dans mon sac, dis-je avant de

tapoter mon coussin et de luitourner le dos. Je n’aurai pas froidcette nuit, ne t’inquiète pas. Tupeux dormir tranquille.

— Je ne...— Tu ne quoi ?Un long silence s’installe.— Oublie, dit-il enfin. Bonne

nuit, Ashtyn. A demain.Les larmes me montent aux yeux.

Ça ne doit pas se passer comme çalorsqu’on est amoureux. Il a raisonde croire que je suis autoritaire :j’aimerais pouvoir décider de ce

qu’il ressent pour moi. Mais c’estimpossible. Je sais que ce qu’il y aentre nous va au-delà du jeu, maiscomment le lui montrer ?J’aimerais tant pouvoir décider demes émotions.

Je ferme les yeux et essaie de nepas pleurer. Pourtant, les larmescommencent à coulersilencieusement le long de monvisage et tombent sur mon coussin.

Il n’y a rien de pire que l’amour àsens unique.

CHAPITRE 37DEREK

Je reste assis seul devant le feu.

Irving se joint à moi, une cannettede bière à la main, et je lui proposela chaise vide d’Ashtyn :

— Vous voulez vous asseoir ?Ashtyn est allée se coucher il y a unmoment et je ne suis pas contre unpeu de compagnie.

Il s’installe et avale une gorgée debière.

— Ashtyn a l’air d’être une

chouette fille, déterminée.— Elle n’attire que des

problèmes. Surtout pour moi, dis-jeen jetant un bâton dans lesflammes. Mon père a épousé sasœur, alors on se retrouve coincésensemble, du moins,temporairement.

— Il y a pire que d’être coincéavec une jolie fille sur la route !

— Elle me rend dingue. Irvingricane joyeusement.

— Les filles qui en valent la peinerendent toujours les hommes

dingues, Derek. Imagine à quelpoint le monde serait ennuyeux siles filles n’étaient pas là. Ma Sylviaa un sacré caractère, mais on secomplète. Pour le meilleur et pourle pire, dans la santé comme dans lamaladie... Nous avons t o u t traverséensemble, et ça nous a rendus plusforts.

Je repense à tout ce qui est arrivédepuis que je connais Ashtyn.

— Elle a établi une règle selonlaquelle nous ne devons pas, vousvoyez...

— Est-ce que tu approuves cetterègle ?

— Ben... ouais.Il hausse les épaules.— Je crois que c’est une erreur.— Je ne sais pas, peut-être.Et peut-être que c’était surtout

une excuse pour me tenir loind’elle.

Nous passons vingt minutes àregarder le feu. Irving a étémilitaire, je lui raconte donc quemon père est en mission et je luidemande si Sylvia a eu du mal à

supporter ses absences.Apparemment, oui, mais ilsgardaient contact par lettres etquelques rares coups de fil – lescourriels n’existaient pas à cetteépoque.

Il termine sa bière et étire lesjambes.

— Allez, je vais me reposer.Bonne nuit.

Puis il fait un signe en directionde notre tente.

— Ne la quitte pas des yeux, ou jete parie qu’un gringalet viendra te la

piquer.— Oui, m’sieur.Il me laisse seul, assis sur ma

chaise devant le feu. Est-ce que jevais dormir avec Ashtyn ? Je pensetellement à elle que je ne peux pasaller m’étendre à côté d’elle commeça...

Je croise les bras sur la poitrineet ferme les yeux. Ça va être la nuitla plus inconfortable de ma vie,mais ça ira. Aujourd’hui, je ne veuxrien faire qui puisse bouleverser mavie.

Demain... eh bien, demain est unautre jour.

CHAPITRE 38ASHTYN

Je me réveille au beau milieu de

la nuit, brûlante et couverte desueur. Derek n’est pas dans la tente.J’enlève mes joggings, meschaussettes, et me rendors. Un peuplus tard, je me réveille au son de lapluie qui bat sur la toile. Derekn’est toujours pas là. J’imagine qu’ila dû aller aux toilettes, mais aubout d’un quart d’heure, toujoursaucun signe de lui. Je commence à

m’inquiéter sérieusement.Et s’il s’était fait attaquer par un

ours ? Ou s’il avait glissé dans laboue sur le chemin des sanitaires ets’était cogné la tête contre unepierre ?

J’attrape une lampe torche dansmon sac et sors sous la pluie. Derekest assis devant les restes de sonfeu, les bras croisés sur la poitrine,une casquette de base-ball sur latête.

— Tu es fou ? C’est le déluge !— Je sais.

— Alors pourquoi tu n’es passous la tente, au sec et au chaud ?

— Parce que j’ai trop envied’enfreindre notre règle : on ne setouche pas, on ne s’embrasse pas.

Il baisse les yeux.— Je t’ai dans la peau, Ashtyn.— Tu veux vraiment enfreindre

notre règle ?— Ouais, répond-il en hochant

lentement la tête.— Pourquoi ?— Parce que j’essaie de te rejeter

alors que j’ai juste envie de te serrer

contre moi. Je sais que tu n’as pasbesoin d’un héros mais mince,comme j’aimerais être celui qui teprotège.

Ses mots pénètrent au plusprofond de mon cœur. Nos yeuxvissés l’un à l’autre, je me mets àcalifourchon sur ses genoux.

— Moi aussi, j’ai envied’enfreindre notre règle. Mon cœurbat violemment et j’ai la tête quitourne.

Il est trempé et je le suis bientôttout autant. Je n’ai ni chaud, ni

froid... Je suis seulement là, aveclui, dans l’obscurité de la nuit.

La lampe torche gisant par terre,je ne vois pas grand chose. Mais jeressens beaucoup. Je sens seshanches puissantes sous lesmiennes et ses grandes mainsautour de ma taille. J’ai envie d’enressentir plus, bien plus. Le cheminjusqu’à ce moment a été rempli dedisputes et d’incompréhensions,mais, maintenant, nous sommesparfaitement synchrones.

Il place sa main sur ma nuque et

m’attire à lui pour m’embrasser.Lorsque nos lèvres se rejoignent, jeme sens toute bizarre. Il déposealors de petits baisers sur meslèvres au point de me faire gémir...J’ai tellement envie qu’il lâche priseet cesse de vouloir me protéger delui-même.

J’ouvre la bouche pour un baiserplus intime. Nos lèvres humides etnos langues s’entremêlent.

J’interromps notre baiser avec unmouvement de recul.

— Je ne veux pas faire semblant

de ne pas avoir envie, Derek. Pas cesoir.

— Moi non plus, admet-il.Je glisse son haut par-dessus sa

tête et caresse ses épaules du boutdes doigts, puis je descends et sensle rapide battement de son cœurcontre ma paume. Je parcours lesmuscles de son ventre, effleure sestétons et l’entends gémir.

J’ai réussi à briser sa façade demacho et ses véritables émotions serévèlent.

A travers l’obscurité, je perçois

son regard sur moi. Il enlève monmaillot au-dessus de ma tête. Jeferme les paupières, laisse la pluiecouler sur moi et jouis de la caressede ses doigts sur ma peau. Je mepresse contre lui, incapable de mecontrôler. J’ai envie de continuer,de lui montrer ce que signifie unlien qui dure plus d’une simplenuit.

— Tu es belle, tu le sais ?murmure-t-il. Je détourne la tête.

— Non, ce n’est pas vrai.— Je ne peux pas imaginer une

fille plus belle. Même si tu estyrannique et intransigeante.

— Tu dois avoir raison.Nos doigts s’entrelacent, mais il

se fige lorsque mon bracelet porte-bonheur frôle son poignet. Ilcherche alors le fermoir, l’ouvre, etjette le bijou au loin.

— C’était un cadeau de Landon.— Je sais. Je t’en offrirai un

autre. Il repasse ses doigts entre lesmiens.

Nous nous embrassons pendantune éternité. Il lèche la pluie sur

mon cou et j’ai l’impression quemon corps est en feu.

Je le regarde dans les yeux, sansdire un mot, et il comprend ce queje lui demande : « Aime-moi. »

— Tu as froid, dit-il.— Non, ça va.— Alors pourquoi est-ce que tu

trembles ? J’enveloppe mes brasautour de son cou et le serre fort.

Il m’enlace à son tour et meconduit dans la tente. Il y fait aussifroid que dehors, mais nous ysommes au sec. Il retire son jean

mouillé, et, très vite, nous sommestous les deux nus sous lescouvertures, peau contre peau. Sesbras forts et agiles m’enveloppent.Mon cœur se calme et je cesse detrembler.

Derek écarte mes cheveuxmouillés de mon visage avec desdoigts doux et tranquilles.

— Je ne peux pas te promettretout ce que tu souhaites.

— Promets-moi seulement cesoir, Derek.

CHAPITRE 39DEREK

Ashtyn n’a pas la moindre idée de

l’effet qu’elle a sur moi. Quand jel’ai vue debout devant moi, sous lapluie, je pensais être en plein rêve.À présent, elle est allongée à côté demoi, son corps pressé contre lemien et je suis sans défense. J’aienvie de lui raconter mon passé,comment le football américain étaittout, pour moi aussi, autrefois. J’aienvie de lui faire l’amour.

J’aimerais que cette nuit durepour toujours. Mais c’estimpossible.

Mince, je vois bien que çam’affecte trop. Je devrais partir encourant, mais le lien qui nous unitest trop fort.

Elle parcourt ma mâchoire, meslèvres, me dévisage comme si j’étaisla réponse à tout. Ce n’est pas le caset je ne devrais pas faire semblant.

— Arrête de réfléchir, me dit-elle.— Je n’y arrive pas.Il y a tellement de non-dits entre

nous.— Je sais à quel point tu souffres

au fond de toi. Je le lis sur tonvisage, je le vois dans tes yeux...

Elle pose sa main contre moncœur.

— Cette nuit, je vois le vraiDerek. Celui que tu essaies decacher.

Elle ne connaît qu’une petitepartie de l’histoire, mais je saisisl’ampleur de ses mots. Je n’aijamais ressenti ça auparavant, avecaucune autre fille.

Je l’embrasse à nouveau et ladouceur de ses lèvres pleinesm’envoie des décharges électriquesdans tout le corps. Sa jambe autourde moi, je trace le contour de sahanche du bout des doigts. Elleronronne et se cambre, et je mesens perdre le contrôle.

— C’est tellement bon, dit-elle, àbout de souffle, contre ma poitrine.

Ses mots me pénètrent le cœur.Mais merde, ce n’est pas comme

ça que ça devait se passer... Jedevais garder mes émotions pour

moi, me taper des filles qui necherchent que du bon temps, pasdes filles désespérées quitransforment tout en momentsessentiels.

Pourtant, Ashtyn ne demande pasd’engagement éternel, ni de rejouerau football américain. Elle medemande d’être avec elle ce soir,rien de plus. Je n’ai qu’à prendresimplement ce qu’elle me donne.

J’attrape son poignet, l’embrassedoucement et sens son pouls àtravers sa peau douce et tiède.

Je parcours son corps avec lesdoigts, puis avec la langue. Soncœur bat à toute vitesse, comme lemien. Elle gémit et me pressecontre elle ardemment, avecfrénésie. Désormais, c’est moi quigémis, et j’ai l’impression que jevais exploser.

— Tu es prêt ? demande-t-elle.— Oui ! Et toi ?— Moi aussi.Pourquoi mon corps agit-il

comme si cette soirée allait changerle cours de ma vie pour toujours ?

C’est hallucinant. Pourquoi ne puis-je simplement m’amuser sanspenser à demain ?

La pluie bat contre la tente et onentend l’orage éclater, au loin.

— On va vraiment le faire,murmure-t-elle en se penchant au-dessus de moi.

Une larme tombe alors sur mapoitrine.

— Tu pleures ? Elle ne répondpas.

Je passe le pouce sur sa joue.Encore des larmes. Mince, il faut

tout arrêter.— Ça ne va pas le faire, Ashtyn.Je me redresse et passe une main

dans mes cheveux avec énervement.J’ai été stupide de penser qu’onpourrait coucher ensemble et toutoublier le lendemain.

— Je pars en janvier, dis-je. Jerentre en Californie quand monpère revient. Je ne peux pas... je nepeux pas être celui dont tu asbesoin.

Elle reste silencieuse.— Dis quelque chose, Ashtyn.

— Je n’ai pas envie de parler.Laisse-moi tranquille. Elle serassoit et cherche des vêtementssecs dans son sac.

— Je suis désolé...Mais quel con ! J’aimerais lui

dire autre chose, mais quoi ? Que jeserai auprès d’elle pour toujours ?Qu’elle pourra toujours comptersur moi ? Ce serait des conneries,des mensonges.

Elle me tourne le dos pour serhabiller.

— Dors, Derek.

Je m’allonge en soupirant.Et quand les rayons du soleil

percent enfin à travers la tente, elledort profondément, en me tournantencore le dos.

CHAPITRE 40ASHTYN

Au réveil, on dirait que Derek n’apas fermé l’œil de la nuit. Il sefrotte les paupières, les cheveux enpétard. Je me sens mal à caused’hier soir. Je suis passée par toutesles émotions, pour finalement êtreabattue à l’idée qu’il ne puissemême pas faire semblant dem’aimer pour une nuit.

— Salut, dit-il de sa voix brisée dumatin.

— Salut.

J’essaie de contenir mon émotionpour ne pas craquer. Plutôt que dele laisser parler, je lève une main.

— Ne me demande pas si j’aienvie de parler de la nuit dernière,la réponse est non. Je ne veux plusjamais qu’on en parle, alors rends-moi service et garde pour toi tout ceque tu as envie de dire.

Il acquiesce et quitte la tentesans un mot.

La nuit dernière, j’ai eu envie delui dire ce que je ressentais pour lui.Les mots ont failli m’échapper

dehors sous la pluie, puis sous latente. Je me suis mise à pleurerparce que je savais que, si je luidisais la vérité, il me fuirait.

Tout ce qu’il voulait, c’était dusexe sans conséquence, niengagement, et c’est ce que je lui aiproposé. Il faut croire qu’au fond demoi, je m’attendais à le voirsubmergé par l’émotion etm’avouer son amour indéfectible.Quelle idiote j’ai été ! Finalement,c’est moi qui étais tellementsubmergée par l’émotion que je ne

pouvais empêcher mes larmes decouler.

La nuit dernière, la réalité adétruit mon rêve idiot, voilà tout.

Je ramène mes genoux contremoi et me répète de ne pas pleurer,qu’avec le temps, mon cœur cesserade me faire souffrir.

Je rassemble mes affaires et sorsme laver. C’est difficile de garder latête haute et mes émotions enordre. J’enfile mes lunettes de soleilpour camoufler les dégâts.

Je ne vois Derek nulle part.

Quand je sors des douches, il a déjàchargé la voiture et m’attendderrière le volant.

Nous ne prononçons pas un moten roulant devant Sylvia et Irvingqui jouent aux cartes sur leur tablepliante. Je les salue de la main, ilsme saluent à leur tour. A voir cecouple qui s’est battu et a su resteruni pendant toutes ces années, j’aiun goût amer. Mes parents en ontété incapables, tout comme masœur et Nick... Derek et moi n’avonspas tenu une nuit.

Sur la route, je garde les yeuxrivés sur la vitre, jusqu’à ce queDerek se glisse dans la file d’undrive-in et me demande ce que jeveux pour le petit déjeuner.

— Rien, merci.— Il faut que tu manges. Je retire

mes lunettes.— Je n’ai pas faim.Il commande deux verres de jus

d’orange et deux bagels aux œufs,puis gare la voiture.

— Tiens, dit-il en posant un bagelemballé sur mes genoux, mange.

Je le lui rends et descends devoiture.

— Ashtyn !Je m’éloigne en faisant mine de

ne pas l’entendre.— Ashtyn !Il me rattrape. Mes lunettes de

soleil ne peuvent cacher les larmesqui coulent sur mon visage.

— Qu’est-ce que tu veux que jedise ?

Il me barre la route et se passeune main dans les cheveux, levisage tendu.

— Je suis désolé que toi et moisoyons attirés l’un par l’autre. Jesuis désolé que tu veuillesquelqu’un qui soit présent pour toialors que tu n’as personne. Je suisdésolé de ne pas avoir pupoursuivre notre coup d’un soiralors que tu pleurais. Je suis désoléde ne pas être le garçon dont tu asenvie.

— Je m’en fous que tu soisdésolé !

J’ai envie d’entendre que jereprésente quelque chose à tes yeux.

Mais les mots refusent de sortir. Jesuis une lâche, qui crains saréaction si je lui dis ce que jeressens réellement.

— Et je ne veux pas d’un stupidebagel en guise de consolation.

— Le bagel n’était pas un cadeaude consolation, Ashtyn ! C’était unpetit-déj, j’essayais de faire commesi tout était normal entre nous.

— Normal ? Rien n’est normaldans ma vie, Derek. Mais si tu veuxque je fasse semblant, très bien.Pour ça, je suis très forte.

Alors je pose les deux mains surmon cœur.

— Merci beaucoup pour le bagel,dis-je d’une voix faussement douce.Je vais le manger tout de suite,comme ça, tu auras l’impressionque tout est normal.

Je fais demi-tour et retourne à lavoiture. Je n’ai nulle part où aller ;autant me résigner, je suis coincéeavec Derek jusqu’à notre arrivée auTexas.

On mange dans un silence tendu.Mon bagel terminé, je lui montre

l’emballage vide.— Satisfait ?— Absolument pas.J’ai besoin de m’entraîner. Il me

conduit à un terrain proche. Jem’étire, tape dans le ballon,pendant que Derek reste appuyécontre la voiture, occupé à écriresur son téléphone. Il ne propose pasde m’aider. Il garde les yeux rivéssur son stupide portable jusqu’à ceque je lui dise que je suis prête àrepartir.

Je conduis un peu pendant qu’il

se repose. Puis nous échangeonsnos places, je pose la tête contre lavitre et je m’endors.

— Ashtyn, on est arrivés,m’annonce Derek de sa voix grave.

J’ouvre les paupières, encoredans le brouillard. Il me secouedoucement. Je remarque qu’il meregarde de ses magnifiques yeuxbleus. Ce n’est pas juste qu’il ait desyeux pareils, ils embrouillent lesfilles... ils m’embrouillent, moi.

Derek avance la voiture jusqu’àl’entrée d’Elite. Mon cœur

s’emballe. Nous y sommes, voilà ;tout ce que j’attendais est ici. Desrecruteurs sont là pour repérer lesmeilleurs joueurs et en informer lesuniversités pour lesquelles ilstravaillent. D’un seul coup d’œil, jeremarque que je suis la seule fille.

Une foule de parents et de jeunesoccupe une grande pelouse.Certains font la queue pourl’accueil, d’autres rient et jouentcomme s’ils se connaissaient depuisdes années.

Derek met une casquette de base-

ball et des lunettes de soleil. Ondirait une star de cinéma qui veutrester incognito.

Il m’aide à récupérer mesbagages.

— Tu vas te débrouiller ?— Ça ira, dis-je sans le regarder.— Écoute, j’attendrais bien que tu

sois installée mais... Il jette un œilvers les joueurs qui traînent etbaisse davantage sa casquette.

— Je vais filer chez ma grand-mère et voir ce qui lui arrive.

— Très bien.

Je lui prends mes sacs des mains.— On se voit dans une semaine,

alors.— Il faut croire, soupire-t-il.Il a évité de me toucher depuis la

nuit dans la tente, je l’ai bienremarqué. On ne se dispute pascomme d’habitude. On... cœxiste,voilà. Il m’adresse un petit sourire.

— A plus, Derek.— A plus.Je commence à partir mais il me

retient par l’épaule.— Amuse-toi bien. Déchire tout

et montre-leur ce que tu vaux. Tupeux le faire, tu le sais.

— Merci.— Écoute, Ashtyn, je ne sais pas

quoi dire. Hier soir...Je n’ai pas envie de l’entendre

dire encore une fois qu’il estdésolé :

— C’est bon, file.Il acquiesce d’un signe de tête,

puis monte en voiture.J’ai envie de l’appeler, de lui dire

qu’il faut tout arranger entre nousmais je ne bouge pas. Je ne peux

pas. Je lui ai demandé de m’aimerpour une nuit, il n’a pas pu.

Je regarde la voiture s’éloigner etdisparaître au croisement. Que çame plaise ou non, je suis seuledésormais.

Je redresse les épaules et meplace à la fin de la queue versl’accueil. Je surprends quelquesregards de joueurs et de certainsparents. Je pratique un sport degarçons et, bien que mon équipe sesoit habituée à une présenceféminine, certains pensent encore

qu’une fille ne devrait pas jouer aufootball américain. Ils nous croienttrop fragiles. Je n’ai qu’à garder latête haute et montrer que je mérited’être ici autant que les autres.

Les paroles de Derek résonnentdans ma tête : « Tu peux le faire. »

Deux garçons devant moi sedonnent des coups de coude et fontsigne à leurs amis de regarder lapauvre fille seule dans la file. L’und’eux se tourne vers moi et me dit :

— Hé, tu t’es perdue : le stage depom-pom girls, c’est au bout de la

rue !Ses amis éclatent de rire.Je remonte l’anse de mon sac.— Je suis au bon endroit. Tu es

sûr que ce n’est pas toi qui t’estrompé ?

— Oh, j’en suis sûr, chérie.Je suis sur le point de lui

balancer une phrase bien sentielorsque l’homme au bureau desinscriptions s’écrie :

— Suivant ! Ton nom ? Je meracle la gorge.

— Ashtyn Parker.

L’homme me sonde de haut enbas.

— Alors c’est toi, la fille.— On dirait bien.Cet homme est un vrai génie... Il

me tend un sac à dos tout neuf, unebouteille d’eau et un classeur, letout estampillé du logo EliteFootball.

— Tu as là ton emploi du tempspour la semaine et la clé de tachambre. Les maillots vous serontdistribués demain, avantl’entraînement. Fais bien attention

à toujours porter l’étiquette avecton nom.

Et il m’en colle unemaladroitement sur le T-shirt, sousmon cou car, de toute évidence, ilest mal à l’aise à l’idée de la placersur ma poitrine, comme pour lesautres joueurs.

— La cafétéria est au rez-de-chaussée du bâtiment des dortoirs,à côté du bar.

— D’accord.Alors que je m’éloigne, un des

entraîneurs m’interpelle :

— Bienvenue à Elite, Ashtyn ! Jesuis le coach Bennett, c’est avec moique tu travailleras toute la semaine.

Je lui serre la main.— Je suis ravie d’être là, coach.

Merci pour cette opportunité.— Au cas où tu l’ignores, tu es la

seule fille à avoir intégré leprogramme. Comme il n’y a pas desalle d’eau réservée aux femmes, lesdouches seront fermées au restedes joueurs de cinq heures à cinqheures quarante-cinq le matin et desept heures à sept heures quarante-

cinq le soir, histoire que tu aies unpeu d’intimité.

— Compris.— Une dernière chose : on ne

tolère aucune forme deharcèlement sexuel, quel qu’il soit.Si jamais on t’ennuie à un momentou à un autre, viens nous eninformer, moi ou n’importe quelmembre du personnel. Cela étant,j’espère que tu as les reins solides,les garçons sont comme ils sont.

Après cette charmantediscussion, je me dirige vers le

dortoir et trouve ma chambre aubout du couloir. Tous les joueursont un coloc, sauf moi. Je pose mesaffaires par terre et m’assois aubord du lit. Il y a une petite armoire,une fenêtre, un lit simple et unbureau. C’est basique mais c’estpropre et sans araignées. Et sansDerek... Je m’étais habituée à le voirdans les parages, à entendre sa voix.Même maintenant, il me manque.

Je ne mets pas longtemps àm’installer. Une autre que moiserait sûrement restée cachée dans

sa chambre jusqu’à demain, débutofficiel du programme. Au lieu decela, je vais au bar rencontrer lesgarçons avec lesquels je vais jouerpendant toute la semaine.J’aperçois Landon assis avec deuxtypes sur un canapé. Je ne ressensrien, sinon le désir de leur prouver,à lui et à tous les autres, que j’en aidans le ventre.

Il est hors de question que je lelaisse m’intimider. Je suiscapitaine, et je suis aussi là pourreprésenter mes coéquipiers. Je ne

suis pas seule. Je me poste devantlui :

— Salut, Landon.Il lève les yeux, m’adresse un

« salut » moqueur et reprend saconversation sans me présenter auxautres. Visiblement, il ne souhaitepas que je m’asseye à côté de lui,alors je m’installe sur un fauteuil àl’autre bout du salon. J’essaied’entamer la conversation avec lesgarçons autour de moi. Ils merépondent brièvement avant des’éloigner comme si j’étais

contagieuse.En retournant vers ma chambre,

j’entends la conversation d’ungroupe qui a laissé sa porte ouverte.Si c’était mes coéquipiers, je seraisavec eux à cette heure-ci. Je suisune étrangère en terrain hostile.Mais pourquoi faire ma timide ?Rester seule ne m’apportera rien debon sur le terrain demain.

Je redresse mes épaules etm’apprête à entrer dans la chambrepour me présenter, quand j’entendsun des garçons :

— Vous avez vu cette nana dansla queue, ce matin ? Un autre semet à ricaner.

— Il y a un mec, McKnight, quim’a dit qu’elle avait intégré leprogramme pour qu’ils aient unquota de filles. Elle se fait desillusions si elle s’imagine qu’elle asa place ici.

— Elle a pas intérêt à être dansmon équipe, déclare un troisième.

Les autres approuvent et,soudain, je ne suis plus d’humeur àme faire des amis.

Je me précipite dans ma chambreet me jette sur le lit. Normalement,je serais prête à les défier, à leurmontrer qu’ils ne me font pas peur.Pour l’instant, je ne me sens pascapable de prouver quoi que ce soitet je suis totalement abattue.

Pour la première fois depuisqu’on m’a élue capitaine, je ne mesens pas digne de ce rôle.

CHAPITRE 41DEREK

Après m’être annoncé à

l’Interphone, je lève la tête vers lagrille automatique qui s’ouvrelentement. Certains seraientimpressionnés par la propriétégigantesque de ma grand-mère,mais je trouve ridicule d’afficherson argent ou son statut social de lasorte.

Je me gare dans l’allée circulaireet observe les grands piliers qui

encadrent l’immense porte d’entrée.Je transpire mais le soleil du matinn’y est pour rien. Rencontrer magrand-mère sur son propre terrain,c’est comme se battre contre uneéquipe inconnue. On ne peut pas sepréparer efficacement pour lematch et on reste nerveux jusqu’à lafin.

Un homme en costume noir, l’airgrave, m’attend à l’entrée.

— Vous êtes des services secrets ?lui dis-je pour détendrel’atmosphère.

Il ne rit pas.— Suivez-moi.On me conduit à l’intérieur. Avec

ses hauts plafonds et ses largescouloirs, l’endroit me rappelle lesmaisons de stars que l’on voit à latélévision. Les escaliers sont enmétal verni, les meublescertainement hors de prix.L’homme en costume s’arrête àl’entrée d’une pièce qui surplombela piscine dans le jardin encontrebas. Elle est décorée demeubles blancs et de coussins

violets. Une ambiance féminine etclinquante. Est-ce qu’Ashtynaimerait cet endroit ou est-cequ’elle préférerait ses vieuxmeubles usés ?

Ce matin, j’avais envie de resteravec elle jusqu’à ce qu’elle s’installedans le dortoir. C’était avantd’apercevoir des types quirisquaient de me reconnaître.J’aurais aimé lui raconter monpassé, mais à quoi bon ? C’était plusfacile de ne rien expliquer et departir.

J’observe la grande piscine dujardin par la fenêtre. J’aurais aiméqu’Ashtyn soit avec moi. Soudain,j’entends quelqu’un entrer. Je meretourne, et reconnaisimmédiatement ma grand-mère.Elle est en tenue d’un blancéclatant, les cheveux gonflés, avecun maquillage extravagant. Jem’étonne qu’elle soit bronzée ; ellesemble tout droit rentrée devacances plutôt que de l’hôpital.

Elle se tient la tête haute, commeune reine devant ses sujets.

— Tu ne salues pas ta grand-mère ?

— Bonjour, Grand-mère.Je reste de marbre. Je ne masque

pas mon ressentiment mais, aumoins, je ne recule pas lorsqu’elles’avance et mime un faux baiserdans l’air.

Elle me tient à bout de bras. J’ail’impression d’être une bêted’élevage que l’on évalue et je suispresque surpris qu’elle ne m’ouvrepas la bouche pour inspecter madentition.

— Tu as besoin d’une nouvellecoupe. Et de nouveaux vêtements.On dirait un mendiant, avec ce jeantroué et ce T-shirt que jen’utiliserais même pas commetorchon.

— Heureusement pour toi, c’estmoi qui les porte.

Elle pousse un petit« hmmph ! ». Une femme, en tenuede domestique, entre avec des petitssandwichs et du thé sur un plateauen argent. Lorsqu’elle repart, magrand-mère me désigne un des

canapés en osier.— Assieds-toi et prends quelque

chose. Je reste debout.— Écoute, je ne vais rien

t’apprendre, mais tu ne ressemblespas vraiment à quelqu’un sur son litde mort. Tu m’as dit que tu étaismourante.

Elle s’assoit au bord d’un fauteuilet verse du thé dans une tasse trèschic.

— Je t’en prie. Je n’ai pasexactement dit que j’étaismourante.

— Tu as dit que tu consultais unmédecin. Tu as un cancer ?

— Non, assieds-toi. Le thé va êtrefroid.

— Diabète ?— Non plus. Les sandwichs sont

faits avec un fromage français.Goûtes-en un.

— Parkinson ? Maladie deCharcot ? AVC ?

Elle agite la main comme pourchasser toutes les affections que jeviens de citer.

— Si tu veux tout savoir, je me

reposais.— Tu te reposais ? Tu m’as dit

que tu voyais un médecin. Tu asécrit que me voir était ta dernièrevolonté !

— Nous avons tous une dernièrevolonté, Derek. Nous qui, chaquejour, nous rapprochons de la mort.Maintenant, assieds-toi, avant quema tension ne grimpe.

— Tu as des problèmes detension ?

— Tu vas m’en donner un si tucontinues. Comme je ne bouge pas,

elle soupire un grand coup.— Bon, j’ai subi une petite

intervention. J’étais enconvalescence dans un spa enArizona, jusqu’au 20.

Une intervention ? Je suis tombédans un piège, on m’a manipulépour me faire venir ici. Quel crétinje suis !

— C’était de la chirurgieesthétique, n’est-ce pas...

— Appelons ça plutôt... unerévision ? Tu devrais déjà connaîtrece terme puisque ton père aime

traficoter ses voitures plutôt que deles amener à un professionnel.

— Si c’est une insulte, c’est raté.Ma grand-mère lève les yeux,

sans le moindre signe de honte.— Ce que je veux dire, c’est qu’il

est éprouvant de se voir vieillir. Tues mon petit-fils et la seule famillequi me reste. Je suis veuve depuisdix ans, et ta mère nous a quittés.Tu es le dernier des Worthington.

— Je ne suis pas un Worthington.Je suis un Fitzpatrick.

— Oui et c’est bien malheureux.

Elle est tellement habituée à seprendre pour la reine du Texasqu’elle ne doit pas se rendre comptede son arrogance.

— Je ne crois pas que mon pèreserait d’accord avec toi. Elle se raclela gorge comme si elle avait quelquechose de coincé.

— Comment se porte ce cherserviteur de l’armée ?

— Il est dans la Navy.— Peu importe.— Je suis sûr qu’il t’envoie ses

sincères salutations, mais il est

dans un sous-marin pour les cinqprochains mois.

— Il a abandonné sa nouvellefemme si peu de temps après lemariage ? Quel dommage ! ajoute-t-elle d’une voix lasse. Derek, assieds-toi. Tu me stresses. C’est déjà bienassez compliqué que tu refusesd’encaisser les chèques de ton fondsde pension et que je doive merésoudre à t’envoyer des sommesen espèces.

— Je n’ai jamais demandéd’argent.

Mes grands-parents en avaientdécidé ainsi à ma naissance. Je croisque c’était leur façon de m’attirerau Texas dans l’espoir de me voirun jour travailler pour lesindustries Worthington.

— Au fait, la maison de retraiteSunnyside te remercie pour tagénéreuse donation.

Elle soupire à nouveau.— J’ai reçu la carte de

remerciements. Je suis déjà labienfaitrice de nombreuses œuvrescaritatives. C’est ton argent, Derek.

Je ne veux pas que tu vives commeun nécessiteux. Maintenant,assieds-toi et mange.

— Je n’ai pas faim. Écoute,Mamie, dans ta lettre tu écris que tuas quelque chose d’important à medire. Pourquoi tu ne cracherais pasle morceau, qu’on en finisse ? Pourêtre honnête, ton petit jeu pour unirla famille, ça ne marche pas.

— Tu veux savoir la vérité ? Jesouhaite que tu viennes vivre avecmoi.

Elle ne cligne pas des yeux, ne

sourit pas. Je crois qu’elle estsérieuse. Elle n’est peut-être pasmalade à en crever, mais elle aclairement pété un plomb.

— Oublie ça, tu me fais perdremon temps.

— Je dispose d’une semaine pourte faire changer d’avis. De manièretrès posée, elle prend une gorgée dethé puis repose sa tasse sur la table.

— Tu peux bien m’accorder unesemaine, Derek, n’est-ce pas ?

— Donne-moi une seule bonneraison de ne pas repartir d’ici tout

de suite.— C’est ce que ta mère aurait

voulu.

CHAPITRE 42ASHTYN

Premier jour d’entraînement.

Nous allons être répartis en équipespour les mêlées. Je me réveille àcinq heures au son du réveil et medirige vers les douches. Il y a unegrande affiche sur la porte de lasalle d’eau :

5 H 00 - 5 H 45 OUVERT AUXFEMMES UNIQUEMENT

Quelqu’un s’est amusé à barrerAUX FEMMES et a écrit À LA PUTEDE FREMONT à la place. Les motsblessent bien comme il faut.

Je m’attarde sous l’eau chaude.J’ai envie de rentrer chez moi. Peut-être que Landon avait raison, quel’on m’a acceptée à Elite parce queje suis une fille et qu’on avaitbesoin d’un certain quota.

Qu’est-ce que je fais là ?Je sors de la salle de bains et

arrache l’affiche. Je ne vais pascéder maintenant à cause d’un

panneau débile qui me traite de« pute de Fremont ». Je perdraisma dignité si je ne pouvais pasencaisser une mauvaise blague.Cinq garçons font déjà la queue,une serviette autour de la taille.Landon est là, il ricane quand jepasse devant lui et dit quelquechose au type à côté.

De retour dans ma chambre, jejette un œil à mon portable etdécouvre cinq textos.

Jet : Trouve-nous un nouveau

quarterback pour Fremont, mêmesi tu dois coucher avec lui ! Un petitsacrifice pour l’équipe. Je déconne(quoique).

Vic : Fais pas de la merde ! Je

déconne (quoique). Trey : N’écoute pas Jet et Vie.

(Monika m’a dit de t’écrire ça. Elleest assise à côté de moi.)

Monika : Bonne chance ! Plein de

bisous !

Bree : Vs êtes arrivés ? Envoie

des photos ! Ils me rappellent que j’ai une

mission à accomplir, maintenantque Landon s’est révélé être unsalaud et a laissé tomber notreéquipe. Si je peux inciter lesrecruteurs à venir à Fremont mevoir jouer, tous les autres aurontleur chance d’être vus. Je ne peuxpas baisser les bras et faire demi-tour.

Mon téléphone sonne juste avantque je ne parte à l’entraînement.C’est Derek, mieux vaut ignorer sonappel. J’ai tellement de choses à luidire... Mais pas maintenant ; cettesemaine, je dois me concentrer surle football, et rien d’autre.

Sur le terrain, l’entraîneurprincipal donne un coup de sifflet.Pendant que les joueurs serassemblent, il nous sermonne surle harcèlement sexuel. Rien demieux pour que les autres merejettent encore plus... Tous les

yeux sont rivés sur moi et jevoudrais juste disparaître. Jen’entends même pas le petitdiscours d’encouragement quiprécède réchauffement, encore tropabsorbée par les regards.L’entraînement est fermé au public,les parents et les recruteurs nepeuvent pas y assister aujourd’hui.Aucun garçon ne s’approche de moi,aucun ne m’adresse la parole.

L’entraîneur de tir, le coachBennett, fait travailler longuementla technique puis, dans l’après-midi,

nous fait tirer vers la ligne de but. Ilaugmente la distance d’un mètre àchaque tir réussi. Je suis lameilleure du groupe jusqu’aumoment où le coach Bennettordonne aux quarterbacks de noustenir les ballons et de recréer lesconditions de jeu.

Landon doit me tenir le ballon. Ilavance vers moi avec un sourirearrogant. Je demanderais bien àl’entraîneur de changer de porteur,mais personne n’aime un joueurqui se plaint. Et puis, qu’est-ce que

je lui dirais ? Que Landon est monex et que je ne veux pas être sympaavec lui ? Il me rirait au nez etm’enverrait promener.

Le football américain n’est pasun sport pour les faibles, que ce soitsur le plan physique ou mental.

Je peux le faire. Je regarde lesautres tireurs qui passent lespremiers. Ils se donnent à fond,comme des machines entraînéesspécialement qui savent exactementquoi faire et à quel moment. Jeremarque quelques types dont

j’avais déjà entendu parler mais queje n’avais jamais rencontrés, desmini-célébrités au grand talent et àl’ego surdimensionné.

Bennett nous appelle Landon etmoi. Je me prépare, tente un tirparfait, bien au milieu des poteaux,mais Landon fait osciller au derniermoment le ballon qui roule sur lesol, comme je l’ai frappé à la pointeet non en plein centre. Il l’a fait sisubtilement que personne ne s’enest rendu compte à part moi.

— Tu fais ta pute avec Derek ?

marmonne Landon alors que je memets en position pour un nouvelessai.

Je préfère l’ignorer et je meconcentre. Cette fois, il lâche leballon à la dernière seconde, ducoup je le rate complètement etatterris sur les fesses. Landon faitmine de s’inquiéter :

— Oh, non ! Ça va aller ?Il me tend la main pour m’aider à

me relever mais je donne un coupdedans et lui hurle dessus :

— Tiens ce foutu ballon, que je

puisse taper dedans ! Il tourne sespoings fermés devant ses yeux.

— Ouin, ouin ! Tu es triste parceque toi et ton équipe, vous ne valezrien sans moi ?

— McKnight, sur le banc.Hansen, remplace McKnight auballon ! crie Bennett.

Charlie Hansen trottine sur leterrain et les deux quarterbacks setapent dans la main en se croisant.

Je me remets en position etHansen s’agenouille. A la dernièreseconde, il fait pencher légèrement

le ballon et je rate mon tir. C’est unéchec absolu. J’entends lesmoqueries des garçons restés sur latouche.

Au dîner, je m’assois seule à unetable. Je suis fatiguée et abattue.

Les deux jours suivants ne sontque la répétition du premier. Onm’intègre à une équipe mais aucunjoueur ne m’adresse la parole. Jetire parfaitement quand le ballonest sur un socle mais lorsque cesont les garçons qui le tiennent, jesuis totalement démunie. Landon a

réussi son coup.Mercredi après l’entraînement du

soir, l’entraîneur principal, le coachSmart, me convoque dans sonbureau, dans le bâtiment principal.J’entre toujours en tenue et trouvele coach Bennett debout à côté ducoach Smart, mes statistiques dujour à la main.

— Qu’est-ce qu’il se passe,Parker ? demande le coach Smart.On t’a fait venir ici parce qu’on avaitvu ton potentiel. Peu de joueusescontinuent au-delà du lycée, mais

nous pensions que tu avais ce qu’ilfallait pour être l’exception à larègle.

Il me montre mes statistiques.— Tes performances nous

déçoivent, et le mot est faible.— Mes performances me

déçoivent également. Les garçonsme mettent des bâtons dans lesroues.

Aucune compassion, aucunecompréhension. L’entraîneur veutseulement que son joueur donne lemeilleur de lui-même.

— Tu dois trouver le moyen dejouer sans tenu compte deshistoires qu’il peut y avoir entrevous. Il y aura toujours des gars quichercheront les ennuis. Chacun doits’élever au-dessus de ça et trouverune solution pour que toutfonctionne. On va faire des partiesamicales le reste de la semaine, puisil y a un grand match vendredi soir.En présence des parents, desrecruteurs, des médias... les gradinsseront pleins. Si tu veux rentrerchez toi et abandonner, Parker, tu

n’as qu’à le dire.— Je ne veux pas rentrer chez

moi.— Est-ce que tu es venue ici pour

une raison particulière ?— Oui, monsieur.Je l’avais simplement oubliée.— Très bien. Voilà la situation,

poursuit-il en se penchant en avant.Si tu veux jouer vendredi sans teridiculiser ni ridiculiser leprogramme, tu as deux jours pourarranger les choses et persuader lesgarçons de t’accepter.

Je déglutis mais sens un nœuddans ma gorge.

— Oui, monsieur.Je quitte son bureau en me

disant que ce n’est pas important desavoir comment et pourquoi je suisvenue ici : je suis là, et je doismontrer de quoi je suis capable,aujourd’hui plus que jamais. Tupeux le faire. Je me répète les motsde Derek encore et encore, dansl’espoir de finir par y croire.

Avant de sortir du bâtiment, jem’arrête pour regarder les photos

des joueurs accrochées au mur,ceux qui ont intégré le programmeElite et ont construit de vraiescarrières en ligue nationale. Il y amême un mur dédié aux meilleurs.

Soudain, je bloque sur une desphotos. Non, ce n’est pas possible.Sous le cliché se trouve une petiteplaque dorée sur laquelle sontgravés les mots DEREKFITZPATRICK « LE FITZ » -

MVP[I]

. Sur la photo, un joueur esten train de sauter pour marquer untouchdown.

MVP chez Elite ? Ce ne peut pasêtre le Derek Fitzpatrick que jeconnais, incapable de lancer unballon correctement même si sa vieen dépendait. Le même DerekFitzpatrick qui me fait fondrechaque fois que je suis avec lui. LeDerek Fitzpatrick à qui j’ai faillifaire l’amour sous une tente.

Je m’approche. Il n’y a pasd’erreur : c’est bien Derek. Ses yeux,son regard intense... ce sourire deposeur. Ses traits me sont sifamiliers, aujourd’hui.

Nous nous connaissons depuisplusieurs semaines. J’ai dormi aveclui. Je me suis éprise de lui... et toutce temps, il s’est caché sous untissu de mensonges.

Je revois Derek m’écouter parleralors que je stressais parce queLandon nous avait abandonnés etqu’on se retrouvait sansquarterback au niveau. Il savait queje ferais n’importe quoi pourtrouver un joueur digne de ce nompour Fremont. Et pourtant, il n’ajamais laissé entendre qu’il était un

quarterback aguerri, et même unMVP.

Le coach Bennett me rejoint. Jepointe le doigt vers la photo.

— Il était vraiment bon ?— Fitz ? C’était le meilleur

quarterback que j’aie jamais vu.Certains sont nés pour jouer aufootball américain. Fitz en faitpartie. Il éblouissait tout le mondepar son talent et sa capacité à lire lejeu de la défense.

— Qu’est-ce qu’il est devenu ?L’entraîneur hausse les épaules.

— Il a cessé de jouer et n’estjamais réapparu. Ça nous achoqués, c’est peu dire. On n’ajamais retrouvé quelqu’un avec untel talent depuis.

— Et Landon McKnight ?— McKnight, ça va.— C’est un des meilleurs joueurs

de son Etat et il n’a pratiquementjamais perdu, l’an dernier.

— Le but, c’est de ne jamaisperdre. Compris ? Je lui fais unsigne de tête.

— Avec suffisamment

d’entraînement et de pratique,McKnight s’en sortira.

Il tapote alors la photo de Derek.— Dès le début du lycée, Derek

Fitzpatrick a mené son équipejusqu’au championnat d’État.

Ses mots flottent dans l’air.Derek est allé au niveau d’État.Waouh ! Quelle impression ça doitfaire de jouer à ce niveau ? Lui, il lesait.

De retour dans ma chambre, jesors mon portable et cherche« Derek Fitzpatrick football

américain ». Le premier résultat estun article de presse sur un jeuneprodige du football américain qui aattiré l’attention d’établissementsde première division dès l’âge dequatorze ans. Au milieu du lycée, ilavait déjà trois offres de boursecomplète à l’université. Un autrearticle s’intitule « DerekFitzpatrick, quarterback de génie ».A la fin se trouve une photo du petitprodige.

Je vais d’article en article, tousplus élogieux les uns que les autres.

C’est difficile de croire que lapersonne qui occupe mes pensées aun passé secret qu’il ne m’a jamaisdévoilé. Est-ce que l’idée de jouerpour Fremont à mes côtés lui atraversé l’esprit, ces dernièressemaines ?

Sa trahison me blesse encoreplus que celle de Landon. Etpourtant, je suis sortie avec cedernier, même si je sais à présentqu’il ne m’a jamais vraiment aimée.Moi, j’essayais de combler unmanque dans ma vie, un vide que je

traîne avec moi. Il s’est fichu de moiet a comploté avec Bonk deFairfield.

En réalité, Derek s’est encoreplus moqué de moi. Tu peux lefaire, qu’il disait. Est-ce qu’il lepensait vraiment, ou était-ce uneautre de ses blagues ?

Nous nous étions mis d’accord dene pas nous mêler de la vie del’autre mais tant pis. J’appelle untaxi pour qu’on vienne me chercher.A Fremont, le coach Dieter dittoujours que nous devons jouer

dans les règles, proprement.Je ne suis pas d’accord. Il est

temps de se salir.

CHAPITRE 43DEREK

Je scrute le costume coûteux que

Harold, le majordome, a étendu surmon lit. Je suis sûr que ma grand-mère lui a demandé de l’y déposerdans l’espoir de faire de moi lepetit-fils qu’elle voudrait. Je suisarrivé ici il y a trois jours et j’ai hâted’aller chercher Ashtyn et de rentreren Illinois. Je laisse tomber lecostume et retrouve la vieille dansson immense salle à manger.

Elle lève les yeux vers moi etfronce les sourcils.

— Derek, fais plaisir à ta grand-mère et mets autre chose que ceshaillons qui te servent devêtements. Harold ne t’a pasapporté le costume que je t’aiacheté ?

— Si, il l’a fait mais je ne leporterai pas.

Je prends un morceau de pain dugrand buffet mais elle me tape lamain.

— Attends les invités.

— Les invités ? Quels invités ?J’ai soudain un mauvais

pressentiment.Elle semble bien trop fière d’elle.

Ce faux sourire qu’elle essaie decacher est le signe qu’ellemanigance quelque chose.

— J’ai organisé une petite soiréeavec quelques jeunes de la ville,c’est tout. Je connais denombreuses jeunes fillescélibataires, poursuit-elle en metenant le visage avec les mains, quiproviennent de lignées

irréprochables, Derek.— Des lignées ? Tu comptes

m’accoupler avec une jument ?Franchement, ça fait vieux jeu,même pour toi.

— Aurais-tu déjà une bonneamie ?

— Si tu parles d’une petite amie,la réponse est non. Je n’en cherchepas, de toute manière.

— Foutaise, il faut qu’on tetrouve quelqu’un. C’est aussisimple que cela.

Elle marche avec détermination

jusqu’à l’autre bout de la pièce.— Tu es grand, séduisant, et il se

trouve que tu es le petit-fils de feuKenneth Worthington. Il est tempsque tu acceptes le fait que tu esl’héritier des industriesWorthington, le plus granddistributeur de textile du monde. Tues un excellent parti, mon cherpetit-fils.

— Ça me fait une belle jambe.— A ton attitude, on comprend

que tu n’as pas encore rencontré defille digne de tes attentions. Mais

cela changera quand tu croiseras lajeune fille qu’il te faut.

J’attrape un morceau de pain dubuffet et mords dedans.

— Merci pour l’offre, dis-je labouche pleine, mais je n’ai pasbesoin qu’on joue les entremetteurspour moi.

Sa lèvre supérieure se retroussede dégoût.

— Je croyais que tu fréquentaisune école privée. On ne t’y apprendpas les bonnes manières les plusélémentaires ?

J’ouvre la bouche pour répondremais elle m’arrête d’une main :

— Ne parle pas la bouche pleine.Simplement... monte à l’étage,enfile ton costume et redescendslorsque tu seras convenablementhabillé. Les invités vont arriver souspeu.

Voyant que je n’ai pas la moindreenvie de me déguiser pour sa fête,elle m’adresse un sourire hypocrite.

— S’il te plaît, Derek, fais-moiplaisir, juste le temps d’une soirée.

— Si tu oses dire que ma mère

aurait voulu que je mette cecostume, je te jure que je pars etque je ne reviendrai jamais. Ne faispas semblant de savoir quoi que cesoit de ma mère, c’est toi qui asdisparu de sa vie.

— Je la connais plus que tu ne lepenses, Derek.

Je secoue la tête, prêt à l’envoyerbalader, lorsqu’elle me fait signe dela suivre hors de la pièce.

— Viens avec moi, il faut que je temontre quelque chose.

Mon instinct me dit de me

comporter comme un enfoiré et departir, juste pour qu’ellecomprenne. Mais une voix dans matête me presse de rester et de suivrela vieille.

Elle me conduit dans une grandebibliothèque contenantsuffisamment de livres pour ouvrirune petite librairie. Elle ferme laporte et fait glisser une étagèrederrière laquelle se cache un coffre-fort. De ses doigts agiles, ellel’ouvre délicatement et en tire uneenveloppe. Elle en sort une lettre

qu’elle me tend.Je jette un œil à la feuille et

reconnais instantanément l’écriturede ma mère. La lettre date de deuxsemaines avant sa mort. Elle étaitalors affaiblie et savait qu’elle n’enavait plus pour très longtemps. Jelui avais demandé si elle avaitpeur... J’avais été incapable determiner ma phrase à haute voix.« De mourir ? » avait-ellepoursuivi. Je lui avais dit oui et elleavait pris ma main dans les siennesen disant : « Non. Je n’aurai plus

mal à ce moment-là. » Quelquesjours plus tard, elle ne parlait pluset restait allongée dans son lit toutela journée, en attendant la mort.

Ma grand-mère se tient devantmoi, tête baissée, le temps que jelise les mots de ma mère.

Maman, Je me souviens quand j’étais

petite fille, je parlais peu parce quej’étais timide. Mais toi, tu disaisaux autres mères que j’étais trop

intelligente pour parler. J’aidécouvert que tu avais payé un desjuges du concours de beauté auquelj’avais participé au collège pour mefaire gagner. Je ne t’ai jamais ditque je savais que le manager duBurger Hut avait refusé dem’engager pour l’été avant materminale parce que tu souhaitaisque je fasse un stage avec Papaauprès des industries Worthington.

Pendant longtemps j’ai pensé quetu faisais tout cela pour contrôlerma vie. Maintenant que je suis

mère à mon tour, je comprends quetu cherchais à me créer uneexistence parfaite parce que tum’aimais.

Sois rassurée, j’ai eu une vieparfaite. Steven Fitzpatrick est monvéritable amour. Derek est monpetit champion de football et un filsincroyable : il est drôle et beaucomme son père, déterminé etsauvage comme sa mère. Il estparfait.

Je ne te demande qu’une chose,Maman : prends soin de mon fils

lorsque Steven n’en aura pas lesmoyens. Fais attention à lui, car jene serai bientôt plus là pour m’enoccuper moi-même.

Avec tout mon amour, Katherine Je replie la lettre et retiens mes

larmes en la rendant à ma grand-mère.

— Je vais me changer.Il n’y a rien à ajouter. Je

comprends pourquoi je suis là etpourquoi elle souhaite que je reste.

Une demi-heure plus tard, jedescends l’escalier dans le costumequ’elle m’a offert. Je laisse lacravate à l’étage et déboutonne lesdeux boutons du haut de machemise pour prouver que l’esprit« sauvage » de ma mère vittoujours à travers moi et que celane risque pas de changer.

L’entrée est pleine à craquer dejeunes filles en robe claire et à lachevelure soignée. Sachant

comment ma grand-mère opère,elle m’a déjà choisi une épouseappropriée et a déjà fait rédiger lecontrat prénuptial, prêt à signer.

Heureusement pour moi, il y aaussi des garçons parmi les invitéset je ne suis pas le seul mâleexposé.

Ashtyn se marrerait à une soiréepareille, où l’on gagne en popularitégrâce à l’argent et au statut plutôtque par l’alcool que l’on ingèreavant de vomir. Je parie quepersonne ici n’a jamais fait de jeux

avec des shots.— Derek ! hurle ma grand-mère

qui se précipite à travers la massede gens. Tu as oublié ta cravate.

— Non, je ne l’ai pas oubliée.Elle porte la main à mon col et

reboutonne les deux boutons de machemise.

— Il est indispensable d’avoir unecravate quand tu es a un événementofficiel. On va te prendre pour lejardinier.

— C’est peut-être un événementofficiel pour tous les autres mais

pour moi, c’est un spectacled’animaux. Tu veux que je fassesemblant d’être comme eux, voilà lerésultat.

— Tu ne pourrais pas faire un peumieux semblant ? CassandraFordham et sa mère ne te quittentpas des yeux depuis que tu asdescendu l’escalier.

Je me déboutonne à nouveau etdéfais un troisième bouton justepour la forme.

— Qui c’est, CassandraFordham ?

— La plus belle fille du Texas.Elle gagne tous les concours debeauté, elle a un grain de peauincroyable et joue du piano.

Grain de peau ? Concours debeauté ? Ça ne vaut rien face à unefille qui n’a pas peur de se salir surun terrain.

— Elle joue au footballaméricain ?

— Au football ? rigole ma grand-mère. Derek, les jeunes filles nejouent pas au football américain,elles regardent. Et, oui, je suis

certaine que Cassandra Fordhamapprécie ce sport. C’est une Texanepure souche. Nous avons ce sportdans le sang. Elle est juste ici.

Elle fait de son mieux pour memontrer discrètement une fille enrobe jaune, épaules dénudées.

Ma grand-mère me prend le braset me guide jusqu’à CassandraFordham. Je vois bien que tous lesregards sont sur nous. Cassandra aété désignée d’office la plus bellefille dans la pièce. Comme je suisl’invité d’honneur, je dois être

prioritaire, j’imagine.— Madame Fordham, Cassandra,

laissez-moi vous présenter monpetit-fils, Derek Fitzpatrick,annonce ma grand-mère d’une voixassurée.

Cassandra est digne d’unmannequin. Elle a un petit nezmignon et des yeux bleus quis’illuminent lorsqu’elle sourit. Elleesquisse un genre de révérence.

— Alors, Derek, le Texas te plaît ?— Tu veux la vérité ?Ma grand-mère me donne un

coup de coude discret et pousse ungrand éclat de rire.

— Derek m’a tenu compagnietoute la semaine. Vous devriez levoir jouer au tennis. Nous y jouonstous les après-midi, après ledéjeuner. Il a un vrai don.

Je n’ai pas mis les pieds sur unecour de tennis depuis mon arrivéeici.

— J’y joue moi aussi, ditCassandra d’une voix douce etféminine. Peut-être qu’on pourraitjouer ensemble, un jour.

Ma grand-mère me secoue ànouveau.

— Bien sûr. N’est-ce pas, Derek ?— Oui.Après un peu de conversation de

circonstance, ma grand-mèredemande l’avis de Mrs Fordham surla nouvelle œuvre d’art qui orne sonsalon et me laisse avec Cassandra.J’ai l’impression d’avoir remonté letemps. Tout le monde discute etmange au son d’un quartet à cordes.Cassandra me prend par le bras etme présente aux autres invités de la

soirée.J’ai un petit moment de répit

lorsqu’elle s’excuse pour aller auxtoilettes. J’entre dans la salle àmanger et attrape quelque chose.Dès que je trouve une place à table,un groupe de filles s’installe près demoi. Je ne vais pas mentir : ellessont canon. Le Texas offre les plusjolies filles que j’aie jamais vues, etj’ai vécu dans bien des endroitsdifférents. Je me demande un courtinstant comment elles font pourrester aussi minces avec cette

nourriture riche et grasse. Puis jeremarque que leurs assiettes sonttoujours pleines car elles nemettent absolument rien dans labouche. C’est un scandale, selonmoi.

Ashtyn se servirait une montagnede nourriture et engloutirait toutsans se soucier de ce que lesgarçons penseraient. Je l’appelletous les jours, mais elle ne répondpas. Ce matin, je lui ai envoyé untexto pour lui dire de m’appeler.Rien.

Après avoir mangé et discuté avecdeux garçons de football américain,leur seul sujet de conversation, jevois revenir Cassandra. Elle débitedes statistiques de footballaméricain comme un robot, à croirequ’on l’a éduquée pour parler de cesport sans vraiment l’apprécier.

Je m’échappe et m’assois sur undes fauteuils, dans l’espoir d’êtreseul. La lettre de ma mère changetout. Quand j’ai lu ses mots, c’étaitcomme si elle me parlait depuisl’au-delà. Elle m’a appelé son « petit

champion du football ». Ça arouvert une plaie que je croyaisrefermée depuis longtemps.

Ma tranquillité est de courtedurée, puisque des mains de femmeme couvrent les yeux et la voixaiguë de Cassandra murmure à monoreille :

— Devine qui c’est ?

CHAPITRE 44ASHTYN

En arrivant devant le manoir

Worthington, prête à affronterDerek, je réalise soudain quej’aurais dû me changer. Je porte unshort de sport et mon maillotd’entraînement, couvert d’herbe etde terre après la séanced’aujourd’hui.

Je sonne à la porte. Un hommegrand, le visage grave, m’ouvre.

— Puis-je vous aider,

mademoiselle ?Je jette un œil à l’intérieur. La

foule de gens en robes et encostumes me montre bien que je nesuis pas correctement habillée.Mais ce n’est pas important. Je suisen mission et personne ne pourram’arrêter.

— J’ai besoin de voir DerekFitzpatrick.

— Et qui dois-je annoncer ?— Ashtyn.Voyant que ça ne lui suffit pas, je

complète :

— Ashtyn Parker.Une femme plus âgée, aux

cheveux blonds éclatants et uneparure de diamants autour du cou,se présente à la porte au côté dumonsieur. Elle porte une robe surmesure bleu pâle et une vesteassortie. Mon regard plonge dansses yeux saphir et j’ai subitementun éclair. Ce sont les yeux deDerek... cette dame est sa grand-mère.

Sauf qu’elle n’a pas du tout l’airmourante.

A vrai dire, elle paraît enmeilleure forme que la plupart desgens que je connais. Elle scrutemon maillot et se pince les lèvrescomme si elle venait de croquerdans un citron.

— Qui êtes-vous ? demande-t-elled’un ton hautain.

— Ashtyn Parker.J’aurais dû amener mon

étiquette d’Elite. Elle penche la têtede côté et se concentre sur mesjambes nues.

— Mademoiselle Parker, très

chère, vous savez que vous portezdes vêtements de garçon ?

Hum... Comment expliquer à unefemme impeccablement habilléeque j’arrive directement del’entraînement ?

— Je joue au football américain.J’ai eu entraînement toute lajournée et n’ai pas eu le temps deme changer avant de venir. Derek etmoi sommes venus ensemble envoiture, de l’Illinois jusqu’ici.

Face à son manqued’enthousiasme, j’ajoute :

— Son père est marié à ma sœur.Cela pourrait peut-être

l’intéresser davantage. Visiblementpas.

— Mon petit-fils est actuellementoccupé, mademoiselle Parker. S’iln’y a pas d’urgence, veuillez revenirune autre fois.

Elle tente de m’intimider. Çafonctionne, mais je tiens bon. Ilfaut que je sache pourquoi Derekm’a menti.

— Je suis désolée. Sauf votrerespect, il faut que je le voie tout de

suite et il est hors de question queje m’en aille. C’est une urgence.

La grand-mère de Derek m’ouvreenfin la porte et me fait signed’entrer.

— Suivez-moi.Elle donne alors l’ordre au

monsieur de trouver son petit-fils etde l’escorter dans la bibliothèque.Elle me conduit à travers la foule dejeunes invités. L’endroit estmonumental, on dirait un musée.Certaines filles ne me quittent pasdes yeux et chuchotent entre

copines.Je m’arrête net en apercevant

Derek en compagnie d’une fille, àtravers une des fenêtres quidonnent sur le jardin immense. Ellea les bras autour de lui et j’ail’impression qu’on me passe lecœur à la râpe à fromage. Il ne s’estpas écoulé une semaine depuisl’épisode de la tente. Savoir qu’ilpourrait si rapidement se trouverune autre fille me rend malade.

Je ferme les yeux et prie pourqu’elle disparaisse. Je devrais savoir

depuis le temps que mes vœux nese réalisent jamais. J’ouvre les yeuxet, évidemment, elle est toujours là.

— Mademoiselle Parker, machère, ne fixez pas les gens. C’estimpoli.

La grand-mère de Derek meprend par le bras et me conduitjusqu’à une grande bibliothèque.

— Je n’avais pas l’intention deperturber votre fête, lui dis-je.

J’essaie de me convaincre queDerek peut bien être avec une autrefille. Je n’ai aucun droit sur lui. Je

suis là pour m’expliquer avec lui,pas pour qu’il tombe amoureux demoi. Je ne peux pas contrôler lebéguin que j’ai pour lui et c’est monproblème. Je regarde sa grand-mèreen espérant qu’elle ne me perce pasà jour.

— Ce doit être difficile d’accueillirautant de monde dans votre état.

— Mon état ?— Vous savez, avec votre maladie,

tout ça.— Ma chère, je ne suis pas

malade.

— Vous ne l’êtes pas ?— Non.La vieille dame s’assoit sur un

petit canapé au milieu de la pièce,les chevilles croisées. Elle posedélicatement les mains sur sesgenoux.

— Asseyez-vous, mademoiselleParker.

Je m’assois avec maladresse enface d’elle. Dois-je croiser leschevilles ? Je suis dans un autremonde. La femme garde un airautoritaire et supérieur. Elle

m’observe de ses yeux vifs, commesi elle sondait le moindre de mesmouvements. Je croise meschaussures de sport mais je doisavoir l’air idiote.

— Quelles relations entretenez-vous avec mon petit-fils ?

— Je, euh, ne suis pas sûre de ceque vous voulez dire. Elle se pencheen avant.

— Je présume, mademoiselleParker, que la raison « urgente »qui vous amène ici signifie queDerek et vous êtes proches.

— Ce n’est pas tout à fait ça. Laplupart du temps, Derek cherche àm’énerver et je l’ignore. En dehorsde ça, on se dispute, cela arriveassez souvent. C’est un joueur, unmanipulateur, et il a un egoénorme. Il a aussi cette habitudeagaçante de passer la main dans sescheveux quand il est énervé. Et ilm’a pratiquement volé mon chien.Vous saviez qu’il était obsédé parles smoothies ? Il refuse de mangerdes Skittles ou d’avaler quoi que cesoit avec des conservateurs, même

si c’est une question de vie ou demort. Ce n’est pas normal. Il n’estpas normal.

— Hum, c’est intéressant.Je m’emporte tellement que je

poursuis ma tirade :— Et il m’a menti. Vous saviez

qu’il jouait au football américain ?La grand-mère de Derek

acquiesce.— Je suis au courant, en effet.— Au courant de quoi ? demande

Derek qui entre dans la pièce.Je n’avais pas remarqué plus tôt

mais il porte un costume, commes’il allait à un mariage, ou à unenterrement. Il recule d’un pas ens’apercevant que je suis dans lapièce.

— Ashtyn ! Qu’est-ce que tu faislà ?

Ces derniers jours, cela m’amanqué de ne pas voir son visagechaque matin. Quand les garçonsme rendaient la vie impossible, jerepensais à ses paroles : Tu peux lefaire. Mais j’ai pris une gifle enpleine figure en découvrant le mur

des meilleurs joueurs...Je n’arrive pas à réfléchir.

J’aimerais lui parler de la fille, maisla simple idée qu’il soit avec uneautre me retourne le ventre, et lesmots refusent de sortir. Alors je meconcentre sur la raison qui m’aamenée ici.

— Tu es un putain de prodige !Derek pâlit.

— Comment tu as su ?Je m’avance et lui enfonce mon

doigt dans la poitrine.— Ta photo est affichée sur le

mur des MVP, chez Elite. Quelmenteur ! Et je n’arrive pas à croireque tu voies une autre fille, après cequ’il s’est passé entre nous.

— Hum ! fait sa grand-mère en seraclant la gorge bruyamment.Mademoiselle Parker, visiblement,vous en avez sur le cœur etsouhaitez vider votre sac. Je ne suispas sûre que ce soit le moment oul’endroit appropriés pour avoir cetteconversation. Derek, pourquoi nel’invites-tu pas à revenir demainpour discuter football et autre ?

— On peut parler maintenant,dit-il.

— Oui, maintenant. Je me fichede savoir ce que tu fais ou pas avecd’autres filles, Derek. La seuleraison pour laquelle je suis venueici, c’est que je veux savoir pourquoitu m’as menti sur le football.

— Je n’ai pas menti, Ashtyn,répond-il sans la moindre trace deculpabilité. Écoute, j’ai omisquelques détails.

J’éclate de rire.— Omis quelques détails ?

Comme c’est beau. Tu m’as menti,purement et simplement. Tu m’asassuré être un joueur moyen.Moyen, mon cul !

Je reprends mon souffle et tented’arrêter de trembler.

— J’ai lu que tu avais été titulairedès ton entrée au lycée et que tuavais mené ton équipe dans deuxchampionnats d’Etat. Tu sais ce queje donnerais pour que mon équipearrive à ce niveau ? Je donneraisn’importe quoi !

— Je ne joue plus. Et quoi que tu

penses, je ne suis sorti avecpersonne d’autre depuis que nousavons été ensemble.

Sa grand-mère s’interpose.— Puis-je vous rappeler qu’il y a

une fête de l’autre côté de cetteporte ? Une fête en ton honneur,Derek.

— Une fête que je ne t’ai jamaisdemandée, tu te souviens ?réplique-t-il avant de se tournervers moi. Tu veux qu’on parle demensonges, bien, on va tout mettresur le tapis ! Tu n’es pas innocente

non plus : tu m’as dit qu’un coupd’un soir, ça te convenait. On esttrès loin de la vérité et tu le sais.

Mon cœur s’arrête. Je ne peuxpas le regarder, ni lui répondre, carje serais tentée d’avouer.

— Je ne veux pas qu’on parle detoi et moi. Je veux qu’on parle defootball. Tu ne peux pas arrêteralors que tu es excellent. Non,certaines personnes sontexcellentes. Toi, tu es... qu’est-ceque j’ai lu ? Ah oui, exceptionnel !Et ce n’est pas tout... un article

disait qu’on n’avait jamais vu unjeune quarterback commeFitzpatrick, capable de lire le jeu deses adversaires et d’adapter sastratégie pendant le match commeun pro.

Le commentaire le fait rigoler.— On a un peu exagéré. Tu es

sûre que tu es venue parler defootball ? J’ai l’impression que tu esvenue ici parce que je te manquais.Pourquoi tu n’as jamais répondu àmes messages ?

— Ne change pas de sujet. J’ai lu

au moins cinq articles en ligne. Ilsdisent presque tous la même chose.Tu étais MVP chez Elite. Lesjoueurs, là-bas, sont les meilleursdes meilleurs, des gars quiintégreront certainement la liguenationale après la fac. Joue avecmoi, Derek. Une dernière saison.

— Je retourne à la fête.Derek ouvre les portes mais fait

demi-tour avant de partir, la maintendue.

— Tu viens avec moi, Sucred’orge ?

— Je ne suis pas habillée pourune fête, dis-je en baissant les yeuxvers mon maillot. Et tu n’as pasrépondu à ma question.

— J’ai répondu. Tu viens ou pas ?Finalement, il quitte la pièce sans

moi, me laissant seule avec sagrand-mère.

— Eh bien, voilà qui était...divertissant, c’est le moins que l’onpuisse dire.

— Je suis désolée de vous avoirdérangée. Je vais appeler un taxi etpartir d’ici...

— Non, vous devriez rester.— Je vous demande pardon ?— J’ai décidé que vous deviez

rester pour la nuit, répète-t-elle.Venez à la fête et voyons ce que lanuit nous apportera.

— Je ne suis pas tout à fait prêtepour une soirée et je vous aisuffisamment dérangée comme ça,je le vois bien.

— C’est dommage que ce ne soitpas une soirée déguisée.

Elle attrape alors le maillot tachéd’herbe entre le pouce et l’index.

— Votre mère ne vous a pasappris à regarder dans le miroiravant de sortir ?

— Ma mère est partie quandj’avais dix ans. Elle ne m’a pasappris grand-chose.

— Et votre père ?— Disons qu’il vit dans son

monde.— Je vois. Eh bien, vous allez

devoir vous faire à l’idée que vousne rentrerez pas à votre stage defootball ce soir. Je demanderai àHarold de vous y reconduire

demain à l’aube.Elle se dirige alors vers la porte et

se racle la gorge.— Prenez une douche et

préparez-vous comme il se doit.Une voisine possède une boutiqueen ville. Elle vous prêtera quelquechose de décent.

La vieille dame me conduit àl’étage, vers une chambre avec sallede bains privative. Je n’ai aucuneenvie de me montrer à cette fêtemais mon avis semble peu luiimporter. Je ne souhaite qu’une

chose : convaincre Derek de jouerpour Fremont, mais ce n’est pasgagné.

Après une douche rapide,j’appelle le coach Bennett pour leprévenir que je ne reviendrai quedemain matin pour l’entraînement.Je raccroche et découvre une robede soirée blanche, courte, sansbretelles, étendue sur le lit.Comment la grand-mère de Dereka-t-elle fait pour l’obtenir si vite ?Sur le sol se trouve également unepaire d’escarpins rouges. La tenue

complète est élégante et doit coûtercher. Je m’approche et vois quel’étiquette est restée sur la robe. Jeretourne le morceau de carton. Larobe vaut sept cents dollars ! Jeparie que c’est ce que vaut lecontenu entier de mon armoire, etje n’ai pas une seule paired’escarpins. Je ne pourrai jamaisporter une robe aussi chère ni destalons aussi hauts.

Je touche le tissu soyeux de larobe. Je laisse tomber ma serviette,ouvre le Zip et enfile la robe. J’ai

l’impression d’être une princesse,portant une des nombreuses robesde mon armoire immense, remplied’habits de grand couturier.

Je me regarde dans le miroir etme reconnais à peine. La robesouligne mes courbes et rehaussem e s seins, offrant un décolletégénéreux. Je me sens sexy et, j’osele dire, puissante.

Derek m’a accusée d’être là parcequ’il me manquait. En réalité, j’aibeaucoup trop pensé à lui.J’aimerais que son image s’efface.

Chaque fois que j’ai besoind’encouragements, je repense à sesmots. Chaque fois que je me sensseule, je repense à nos baisers et àson sourire. Quarterback de génie.

Derek pourrait sauver notreéquipe. Il a dit qu’il ne jouait plus,désormais. Est-ce qu’il a déjà songéà retourner sur le terrain ? Si j’avaisle pouvoir de le faire tomberamou reu x de moi, est-ce qu’ilchangerait d’avis et rejoindraitl’équipe de Fremont ? Je m’observedans le miroir et enfile les

escarpins.Il n’y a qu’une seule façon de le

savoir.

CHAPITRE 45DEREK

Ma grand-mère ne fait

subitement plus attention à moi.J’ai essayé de lui faire signe troisfois depuis que j’ai quitté labibliothèque. Je sais qu’Ashtynn’est pas partie puisque je n’ai pasquitté la porte d’entrée des yeux dela soirée.

Je finis par retrouver ma grand-mère alors qu’elle se rend au salon.

— Où est-elle ?

Elle pose une main sur sapoitrine.

— Tu m’as fait peur. Nesurprends pas une vieille damecomme moi. Tu aurais pu meprovoquer une crise cardiaque.

— Ton cœur va bien. Où estAshtyn ?

— Tu veux dire cette pauvre fillehabillée comme un garçon ?

— Mouais.— Celle que tu appelles mon petit

sucre ?— Sucre d’orge.

— C’est cela.Elle retire une peluche

imaginaire de ma veste etreboutonne ma chemise.

— On lit en toi comme dans unlivre ouvert, Derek. Tu es comme tamère à ton âge.

— Si tu crois ce que je crois quetu crois, tu te trompes.

— Alors tu te ficherasd’apprendre que j’ai invité Sucred’orge à passer la nuit ici.

Je ne veux pas qu’Ashtynapproche de ma grand-mère. Elle a

quelque chose derrière la tête. Cettefemme calcule et élabore tout cequ’elle fait. Elle ne cherche pas à semontrer gentille avec Ashtyn enl’invitant à rester. Je le vois dansses yeux, elle veut lui soutirer desinformations, des informations surnous. C’est aussi dangereux que dedonner des renseignements secretsà l’ennemi.

— Je la reconduirai à son dortoir,lui dis-je.

— Foutaise, répond-elle enagitant la main. Il serait de mauvais

goût de faire dormir cette pauvrefille dans un dortoir auxinstallations douteuses quand nousavons toute la place du monde ici.

L’enfer ! Inutile d’argumenter, jevais perdre la bataille.

— Où est-elle ?— Dans une des chambres d’ami.

Et il se peut que je lui aie faitapporter une robe à se mettre. Ellene peut certainement pas venir àune de mes soirées vêtue d’unmaillot de football sale et d’unshort. Dieu du ciel !

Oh, non ! Est-ce qu’elle vientbien de dire : « Dieu du ciel » ?Chez nous, cette phrase est unearme redoutable, qui peut servird’insulte ou de gentillesse selon leton et l’intention de la personne.

— Ne te mêle pas de mes affaires,Mémé.

— Et de quelles affaires est-ilquestion, Derek ? Comme je neréponds pas, elle me tapote lapoitrine d’un geste condescendant.

— Ne t’avise plus de m’appelerMémé. Comporte-toi en gentleman,

digne d’un Worthington.— Je suis un Fitzpatrick. Elle lève

un sourcil et repart.— Dieu du ciel.Je lève la tête, en me demandant

si ma mère est pliée en deux ou sielle maudit le jour où elle a écrit lalettre à ma grand-mère.

Je discute avec un groupe degarçons tout en sondant la pièce ;est-ce qu’Ashtyn compte semontrer ? Après tout, elle pourraitbien s’être enfermée là-haut,refusant de descendre. Cet univers

n’est absolument pas le sien, avecdes filles surmaquillées,surhabillées, et des garçonssouriant dans leurs beauxcostumes. Si c’était un combat decatch dans la boue, elle serait sansdoute la première à sauter dansl’arène.

Un éclat blanc dans l’escaliercapte mon attention et soudain, jebloque. Waouh !

Ashtyn apparaît dans une petiterobe blanche qui embrasse sescourbes et des talons aiguilles

rouges qui mettent en valeur seslongues jambes. Je suis cloué surplace et ne peux pas détourner leregard. Elle capte égalementl’attention de ma grand-mère quihoche la tête en signed’approbation.

— Qui est cette fille ? demandeun garçon.

— Jamais vue, répond un autre.Un troisième, prénommé Owen,

siffle discrètement.— Oh ! la la ! elle est canon. Elle

est pour moi !

Tant que je serai dans lesparages, Ashtyn ne sera à personne.Sans hésiter, je m’avance vers elle.Son décolleté fascine tous lesgarçons présents, et ses chaussuressexy alimentent sans aucun douteleurs fantasmes.

— Comment tu t’es fringuée ? jelui glisse à l’oreille d’une voix plusagressive que je ne l’aurais voulu.

— Alors, ça te plaît ?Elle fait un tour sur elle-même,

nous offrant, à moi et à tous lesgarçons qui la fixent toujours, une

vue à trois cent soixante degrés.Elle manque de trébucher sur sestalons et s’agrippe à mon épaulepour garder l’équilibre.

— Ta grand-mère me l’a prêtée.Les chaussures aussi. C’est pasgénial, franchement ?

— Je te préférais en maillot defoot.

— Pourquoi ?— Parce que ça te correspond

plus.— Peut-être que ça aussi, ça me

correspond, rétorque-t-elle avant de

se diriger vers le buffet. J’ai faim.Tu le sais, faire des manœuvrestoute la journée, c’est du boulot.

— Oui, je suis au courant. Tu n’aspas envie de retourner dans tondortoir ?

— On veut se débarrasser demoi ?

Elle attrape nonchalamment unepâtisserie sur l’un des plateaux etcroque dedans.

— Non, j’essaie d’empêcher tousces mecs de te tomber dessus.

— Pourquoi tu ferais ça ?

Elle prend une seconde bouchée.Puis une autre, et encore une autre.Elle lèche le glaçage resté sur seslèvres. Si elle cherche à me rendredingue, elle se débrouille très bien.

— Parce que je... tiens à toi.— Oh, je t’en prie ! J’ai déjà

entendu ces mots dans la bouche dema mère, de ma sœur, de mon père,et même de Landon. Ils nesignifient rien. Pour moi, ilssignifient quelque chose.

— Tu crois que je me fous de toi ?— Oui, je t’ai vu avec la fille en

robe jaune, tout à l’heure. Elleaussi, tu lui as dit que tu tenais àelle ?

Elle est tellement déterminéequ’elle mâche sa pâtisserie commesi c’était la dernière qu’elle allaitjamais manger de sa vie. Une foisqu’elle a fini, elle se frotte les mainspour enlever les miettes.

— Je crois que je vais me posterau pied de l’escalier et rencontrer defuturs petits copains potentiels. Cesgarçons ont l’air très soignés ethonnêtes.

Elle ne cherche qu’à me blesser.— Ne te laisse pas avoir par les

costumes.— Comme tu m’as eue au sujet

du football ?Avant que je ne puisse lui dire

que je ne suis pas la réponse à sesprières, que je ne serai pas lenouveau quarterback de Fremont,Ashtyn rejette les épaules enarrière. Est-ce qu’elle se rendcompte que ça ne fait que ressortirdavantage sa poitrine ? Les gensautour vont en avoir pour leur

argent. Elle me tourne le dos et sedirige vers les garçons quicontinuent de la regarder avecintérêt. Je la suis. Pas parce qu’ellea besoin que je la protège...

Je la suis parce que je sensqu’elle va faire quelque chose departiculièrement stupide.

CHAPITRE 46ASHTYN

Un groupe de garçons est

rassemblé dans un coin de la pièce.Ils ont les yeux rivés sur moi et jefais de mon mieux pour lesrejoindre en marchant comme unmannequin. D’ordinaire, je ne suispas nerveuse en compagnie degarçons, alors pourquoi est-ce queje me sens troublée tout à coup ? Jeressens comme un picotement lelong de la nuque. Je préfère

l’ignorer, bien que ça me rendefolle.

Je pose une main sur la hancheet souris.

— Coucou, les garçons. Jem’appelle Ashtyn. Deux d’entre euxfroncent les sourcils et s’éloignentsans tarder. Un troisième plonge lesmains dans les poches et fait un pasen arrière.

— Moi, c’est Oren, dit-ilnerveusement.

Ses yeux jonglent de gauche àdroite, comme s’il cherchait une

issue pour s’échapper.— Moi, c’est, euh, Regan, lance

un quatrième. Regan est hypnotisépar ma poitrine qu’il fixe les yeuxécarquillés. J’ai envie de lui dire :« Tu es gentil, mon visage est plushaut ! »

Oren fait un signe à quelqu’un àl’autre bout de la pièce et bafouille :

— Ma copine est là-bas. Je feraismieux d’aller la rejoindre.

Regan, lui, sort subitement untéléphone de sa poche.

— J’ai un appel, désolé.

Pourtant, je n’ai entendu nisonnerie ni vibreur.

Je reste seule, me demandantcomment j’ai réussi à faire fuirquatre garçons en seulement troissecondes, quand Derek s’approchede moi.

— On déclare forfait ?Je suis sexy dans une minirobe

extraordinaire, avec des talonshauts, et aucun garçon ne veut meparler. Sauf Derek. J’essaie de lerendre jaloux. Mais comment fairealors que quatre garçons ont pris

leurs jambes à leur cou comme sij’étais contagieuse ? Si seulementJet était là. Ça ne lui poserait pas deproblème de faire semblant deflirter avec moi et il serait ravi defaire croire aux autres que je suisun excellent parti. Ou alors Victor,qui se tiendrait prêt de moi commeun garde du corps et s’assureraitque personne ne s’en aille encourant.

Je me retourne vers Derek.— Tu es venu remuer le couteau

dans la plaie ? je grogne en grattant

rageusement mon cou pour fairedisparaître la démangeaison.

— Houlà, Ashtyn !— Quoi ?Il a les yeux rivés sur ma

poitrine.— Cow-boy, ma tête est plus

haut. Arrête de mater mes seins.— Je ne mate pas tes seins, se

défend-il en pointant un doigt surma poitrine. Tu dois faire une sortede réaction allergique.

J’examine mes bras. Ils sontchauds et en y regardant de plus

près, je vois qu’ils sont rouges etgonflés. Oh, non !

— Mais c’est vrai !La seule façon que je connaisse

de flirter avec Derek, c’est de luirentrer dedans et de le battre à sonpropre jeu. Seulement, c’estpratiquement impossible lorsqu’onfait une énorme réaction cutanée.

J’inspecte mes bras, ils grattent,ils rougissent. Et mon cou... ondirait que j’ai une centaine depetites piqûres de moustique. Lagorge commence vraiment à me

gratter. Un bruit indigne d’unedemoiselle sort de ma bouche àmesure que j’essaie d’apaiser ladouleur.

Derek a l’air paniqué.— Sérieusement, tu arrives à

respirer, ou j’appelle les urgencestout de suite ?

— Bien sûr que j’arrive à respirer.Je ne vais pas mourir, Derek. Il mefaut du Benadryl, après ça ira.

Je m’appuie contre le mur et mefrotte les épaules dessus.

Derek me prend vite par la main

et me tire jusqu’à sa grand-mèremais je trébuche plusieurs fois. Jen’ai pas l’habitude de marcher avecdes talons hauts.

— Tu as du Benadryl ? luidemande-t-il. Je crois qu’elle estallergique à un ingrédient dans lapâtisserie qu’elle a mangée.

— Allergique à la pâtisserie ?Je me gratte les bras pour essayer

d’arrêter les démangeaisons.— Je suis allergique au colorant

violet.— Le traiteur a inscrit un W sur

les cookies en violet. C’est lacouleur de la noblesse.

— De la noblesse ? s’exclameDerek en secouant la tête. Mais onn’en fait pas partie !

— Exactement. C’est pourquoi jelui ai demandé de changer cela enjaune à la dernière minute. Ducoup, on a mis un glaçage jaunepar-dessus le violet pour le cacher.

Sa grand-mère affiche un visageinquiet et indique vite à Derek oùtrouver le médicament.

Et il me tire à travers la foule

tandis que j’essaie de ne pasm’arracher la peau du cou.

Je trébuche encore.— Derek, ralentis. Je ne peux pas

marcher vite avec des talons.Je couine de surprise lorsqu’il me

soulève, un bras sous mes genouxet l’autre qui me soutient le dos.Normalement je lui hurlerais de mereposer par terre mais je suis tropangoissée et mal à l’aise pour memontrer forte. Je passe mes brasautour de son cou et me serrecontre lui. Soudain, je suis

enveloppée par son parfum que jerespire profondément.

— Tu as une odeur d’homme, dis-je dans le creux de son cou.

— Pas toi. Tu as un parfum defleur.

— Ce doit être le savon que tagrand-mère a mis dans la douche. Ilétait rose, avec des petits morceauxde fleur dedans. J’avais l’impressionde me laver avec un bouquet deroses.

J’ignore comment il fait pour meporter tout en haut de l’escalier

sans trébucher ni s’arrêter. A-t-ilconscience que tout le monde nousregarde ? Si c’est le cas,apparemment ça ne le dérange pas.

Nous arrivons dans l’immensechambre principale, dont il ouvre laporte d’un coup de pied. L’endroitest gigantesque, avec un petit salonà côté de la chambre et, plus loin,une salle de bains. Derek me reposedans la salle de bains et fouillel’armoire à pharmacie de sa grand-mère.

— Arrête de te gratter, ordonne-t-

il en attrapant ma main.Il trouve enfin la boîte de

Benadryl et me tend deuxcomprimés.

— Tiens.Je les avale avec un peu d’eau du

robinet et Derek croise les bras.— Si ton état ne s’améliore pas

d’ici une demi-heure, je t’emmène àl’hôpital.

— Ça ira.— C’est ce que tu m’as dit l’autre

soir sous la tente, et tu vois où nousen sommes. Arrête de te gratter,

Ashtyn. Tu vas te faire des marquessur tout le corps.

Je fais de mon mieux pouroublier les démangeaisons maisc’est comme ignorer le garçon quiest en face de moi... c’estpratiquement impossible.

J’ai le souffle court quand ilprend mes mains et me les tientderrière le dos.

— Arrête ! Tu vas finir parsaigner.

Il garde malgré tout une petitedistance entre nous, pourquoi ? Est-

ce que tous ses sentiments se sontévaporés à la seconde où il m’adéposée à Elite ?

J’ai les idées embrouillées etcette allergie n’aide pas. Je suiscensée en vouloir à Derek dem’avoir menti sur son passé et, enmême temps, je compte bien lefaire craquer pour moi, pour qu’il seremette à jouer au footballaméricain. Je mets de côté mesvéritables sentiments pour lemoment car si je les affronte, je vaism’écrouler.

Je sais que Derek m’appréciemais à quel point ? Il cherchedésespérément à garder sesdistances. Il ne veut pas non plusadmettre que ce qui s’est passéentre nous allait au-delà d’unsimple flirt et pourrait donnerquelque chose de grand, je le sais.

Je me débats mais il ne lâche pasprise.

— Ça gratte encore.Il baisse le regard vers mon cou

et ma poitrine.— Sois patiente, le temps que le

Benadryl fasse son effet.— Je ne suis pas quelqu’un de

patient.— Je sais, dit-il en me lâchant les

mains. Tiens, laisse-moi t’aider. Tuas déjà fait suffisamment dedégâts... tu as des traces sur tout lecou. On va croire que quelqu’un t’aagressée.

— La seule façon de soulager unedémangeaison, c’est de gratter.

— Tu ne réussiras qu’à irriter tapeau. Si tu me promets de restertranquille, je veux bien t’aider.

— Qu’est-ce que tu veux faire ?— Garde les bras le long du corps

et fais-moi confiance. La confiance.Encore ce vilain mot.

— Ferme les yeux, m’ordonne-t-il.

— Non.Je soutiens son regard mais

comme la démangeaison empire, jefinis par céder et attendspatiemment son remède miracle.

Je respire brusquement alorsqu’il trace sur mon cou des cercleslents et réguliers du bout des

doigts ; ma peau chatouille plusqu’elle ne gratte finalement. Jerenverse la tête en arrière et gardeles yeux clos, c’est une vraieréussite.

— Tu ressembles à un chatcomme ça, dit-il à voix basse.

Il parcourt ma mâchoire, lecontour de mon cou, ma poitrine...passant délicatement dans le creuxde mes seins, avant de remonter.Ses doigts sont une caresse. J’ensuis tout étourdie, j’ai la tête quitourne. Alors je m’accroche à lui.

Le toucher sensuel de ses doigtsprovoque des petites déchargesélectriques dans mes veines.

— Hum...Ses doigts s’aventurent sur mes

épaules avant de recommencer audébut.

— Tu en profites beaucoup trop,Sucre d’orge.

— Tu as raison alors continue,Cow-boy. Il éclate d’un rire grave,chaleureux.

— Bien, m’dame !Au bout d’un moment, je sens la

douceur de ses doigts remplacée parla douceur de ses lèvres chaudes.Son souffle apaise ma peau àmesure que les démangeaisonss’estompent.

Je sens un feu liquide meparcourir et je presse Derek contremoi.

— Qu’est-ce que vous faites, tousles deux ? résonne la voix de sagrand-mère à la porte.

Je redresse la tête et perdsl’équilibre mais il me rattrapesolidement dans ses bras. Comment

va-t-on lui expliquer ? Cette damen’est pas aveugle. Impossible decacher les lèvres de Derek sur moncou et mon envie de le sentir plusprès.

— Je lui donnais un coup demain, lance-t-il.

— Hum, fait sa grand-mère,visiblement peu convaincue. Elleplisse les yeux et agite le doigt ànotre intention.

— Je ne suis pas née de ladernière pluie. Je sais que vousfaites des galipettes ensemble.

Viens, Derek. Un certain nombred’invités s’apprêtent à partir. Tu esl’invité d’honneur, tu dois lessaluer. Tu finiras de donner uncoup de main à Ashtyn plus tard.

Derek inspecte les marques surmes bras et ma poitrine pours’assurer qu’elles s’en vont.

— Tu veux m’accompagner en basou tu attends ici ? Lesdémangeaisons se sont tout demême estompées. Je tressaille enme voyant dans le miroir. Ma peauest encore toute gonflée. Cette nuit

ne s’est pas déroulée comme jel’espérais. J’étais prête à me salir,mais je n’imaginais pas cela commeça.

— Peut-être que je devraissimplement retourner au dortoir.

— Non, tu restes ici ce soir. Je tereconduirai chez Elite demainmatin. D’accord ?

Je vais donc à la chambre quel’on m’a attribuée, tandis que Dereket sa grand-mère passent l’heuresuivante à dire au revoir aux invités.Mon maillot et mon short ont été

nettoyés et étendus sur mon lit. Jerange la robe puis enfile monmaillot et me glisse sous la couette.J’ai l’impression de dormir sur unmatelas en guimauve tellement ilest confortable. Je m’enfonce dansce cocon et allume la télévision. Lagrand-mère de Derek est lapremière à frapper à la porte. Elleentre dans la pièce, toujours aussiélégante, même après une soiréepassée à distraire une petitecentaine d’invités. Pas un seulcheveu ne dépasse.

Je dois avoir une mine affreuse.— Merci de m’avoir laissée

emprunter cette robe. Elle estmagnifique.

— Ne me remercie pas. Et tu peuxla garder.

— Je ne peux pas.— Bien sûr que si. Pas la peine de

résister à une vieille femme bornéecomme moi, tu ne gagneras pas.Comment vont tes démangeaisons ?

Elle se penche en avant pourinspecter mon cou.

— Bien mieux, je crois.

Ravie de voir que ma réaction auglaçage violet disparaît, elle s’assoitsur une chaise à côté du lit. Ellepose les mains sur ses genoux et mefixe de ses yeux si semblables àceux de Derek.

— Alors... je sais qu’il y a quelquechose entre mon petit-fils et toi.Pourrais-tu m’en dire plus ?

J’éteins la télévision et luiaccorde toute mon attention.

— Hum... à vrai dire, je ne saispas. Peut-être faudrait-il demanderà Derek.

— C’est déjà fait.— Et qu’est-ce qu’il a dit ?— Mon petit-fils ne se montre

pas très coopératif lorsqu’il s’agit deme faire part de sa vie, Dieu du ciel.

— Parce que tu t’en serviraiscontre moi, réplique Derek enentrant.

Il ne porte plus son costume,mais un jogging et un T-shirt. Ilressemble davantage au Derek queje connais. Il avance au pied du litet fait un geste vers mon cou.

— Ça va ?

— Mieux, dis-je en levant la têtepour lui montrer, il n’y a plus quequelques rougeurs.

— Bien.Je me perds beaucoup trop

facilement dans son regard ; sesyeux en disent tellement plus queles mots.

— Je dois aller parler aupersonnel et m’assurer que toute lanourriture a été emballée, déclaresa grand-mère en se levant pourquitter la pièce. Laissez la porteouverte. Une fois qu’elle est partie,

Derek soulève la couette.— Décale-toi un peu, que je

m’asseye à côté de toi. Jem’exécute. Ça me fait du bien del’avoir auprès de moi à cet instant,mais nous avons beau être prochesphysiquement, dans nos espritsnous sommes à des kilomètres l’unde l’autre.

Je rallume la télé et essaie dedétendre l’atmosphère :

— Il faut que j’achète une télépour ma chambre. C’est génial, cetruc.

Nous ne disons plus rien pendantun moment. Nous regardons unfilm mais je ne fais pas attention àl’action, trop concentrée sur Derekà côté de moi.

— Je n’ai rien fait avec la fille quetu as vue ce soir, dit-il enfin. Ellevoulait que je l’emmène à l’étagemais je ne l’ai pas fait.

— Pourquoi ?Pendant un long moment, il ne

répond pas. Mais il finit par prendrela télécommande et coupe le son dela télé. Il se passe une main dans les

cheveux, je retiens ma respiration.Il se tourne alors vers moi, ses yeuxtranspercent les miens, et il ditfinalement :

— Pour toi.

CHAPITRE 47DEREK

La règle numéro un du football

américain, c’est de ne pas révélerses intentions à l’adversaire. Et jeviens de dévoiler les miennes. Cen’est pas parce qu’elle ne quitteplus mes pensées que je suis celuiqui arrangera tout dans sa vie.

— Je n’ai pas envie de te faire demal.

— Tous ceux qui me sont chersme font du mal, dit-elle. J’ai

l’habitude.— Je ne comptais pas ajouter

mon nom à la liste.— Parce que tu n’as pas envie de

t’attacher à quelqu’un qui pourraitavoir de vrais sentiments pour toi ?

Elle m’adresse un petit sourirefragile.

— Ecoute, il m’est arrivé desmerdes dans la vie dont je n’arrivepas à me débarrasser... du moins,pas encore.

— J’en ai connu aussi, Derek. Jepasse le plus clair de mon temps à

encaisser. Je me bats enpermanence, pour tout. Et toi, tu nete bats jamais pour rien. On diraitque tu cherches à te punir dequelque chose.

— Tu as raison.Cette fille indépendante, qui joue

au football et a la peau plus dureque la plupart des garçons que jeconnais, me donne envie de révélerdes choses que je n’ai jamaispartagées avec personneauparavant. Je prends une profondeinspiration et déballe ce que je

garde au fond de moi depuis silongtemps :

— Le jour où ma mère est morte,après les cours, j’ai reçu l’appeld’une infirmière de l’hôpital. Ellem’a dit que ma mère m’avaitréclamé toute la journée.

La tête en arrière, je tressaille ; ladouleur est encore tellement forte,putain ! Je ferais n’importe quoipour remonter le temps etreprendre cette journée à zéro.

— Je suis allé d’abord àl’entraînement. Ashtyn, j’ai fait

passer le football avant ma mère...je le faisais passer avant tout.Quand je suis enfin arrivé àl’hôpital, elle nous avait déjàquittés. Deux jours plus tard, on l’aenterrée. Je l’ai abandonnée. Jen’aurai jamais de seconde chance, jene pourrai jamais me racheterauprès d’elle. Alors j’ai juré de neplus jamais jouer au football aprèssa mort.

— Ce n’est pas de ta faute si elleest morte, Derek. Ashtyn pose unemain sur mon bras, ses doigts fins

me réchauffent et me réconfortent.Depuis la mort de ma m è re , jem’étais dit que, si je ne m’attachaisà rien ni à personne, je n’aurais plusà rien ressentir du tout. Çafonctionnait. Jusqu’à ce que jerencontre Ashtyn Parker.

— Tout ira bien, un jour,m’assure-t-elle.

Elle s’enfonce davantage sous lacouette et pose la tête sur un desénormes coussins, en regardant demon côté. Elle tend la main etattrape la mienne.

— Tu es fatiguée. Tu veux que jeparte ?

— Non.Elle ferme les yeux, mais ne

lâche pas ma main.— Juste pour info, murmure-t-

elle en s’endormant peu à peu, j’aivraiment été mauvaise au stagecette semaine. Landon a convaincules autres garçons de me mettre desbâtons dans les roues. Mais jerepensais toujours à ce que tu m’asdit.

— Qu’est-ce que je t’ai dit ?

— Tu peux le faire. Assis dans les gradins, j’observe

Ashtyn sur le terrain pendant lematch de vendredi. Elle ne se doutepas que je suis là et j’essaie de mefaire discret pour qu’aucun des garsne me reconnaisse. Je porte deslunettes noires et une casquette debase-ball, noyé dans la masse desparents et des recruteurs.

Elle s’étire sur la touche, on lavoit très concentrée. Dans lepremier quart du match, elle a raté

deux tirs. J’ai observé de près ceuxqui lui tenaient le ballon. Ils l’ontfait pencher au moment où elleapprochait, du coup elle l’a frappésous un angle bizarre. Plus d’unparent dans les gradins s’est moquéd’elle tandis que les autres se sontplaints qu’il ne fallait pas laisserjouer les filles.

Plus les garçons sabotent son jeu,plus j’ai envie de débouler sur leterrain pour qu’Ashtyn puisse enfinprouver à tout le monde qu’ellemérite d’être là. Mais ce n’est pas ce

qu’elle voudrait. Elle veut mener cecombat toute seule.

J’appuie mes coudes sur mesgenoux, absorbé par le match. Lesgars se donnent à fond, chacunessaie de se faire remarquer par lesrecruteurs postés sur les côtés.McKnight est le quarterback del’équipe d’Ashtyn. C’est un joueurtalentueux, je comprends pourquoielle le voulait dans son équipe. Maisil a la grosse tête et nargue lesadversaires dès qu’il marque, aulieu de rester concentré.

— Derek ! Derek ! résonne unevoix stridente dans les gradins.

Oh, non ! C’est pas vrai !Ma grand-mère est en train de se

faire remarquer par tout le monde,avec son tailleur-pantalon mauve etson ombrelle assortie, en agitant lamain comme une folle pour attirermon attention. Je fais mine del’ignorer, en espérant qu’elle s’enaille si je ne lui réponds pas. Onpeut toujours rêver. Tout le mondela regarde, dans les gradins et sur leterrain.

— Qui c’est, ça ? demandequelqu’un.

— Elizabeth Worthington, répondun gars. La propriétaire desindustries Worthington, une femmetrès influente. Son petit-fils s’estentraîné ici jusqu’à la mort de samère. Un quarterback.

— Oh, c’est trop triste.Génial. Je suis l’objet des

commérages des parents. Je mecrispe lorsque ma grand-mèreapproche en hurlant :

— Hou ! Hou ! Derek !

Tous les spectateurs, recruteurscompris, nous regardent bêtementet font des messes basses. J’auraistout aussi bien pu venir ici avec uneenseigne lumineuse DerekFitzpatrick.

Ma grand-mère ne se rendabsolument pas compte du remue-ménage qu’elle est en train decauser alors qu’elle s’assoit à côtéde moi.

— Je te prie de m’expliquerpourquoi j’ai dû apprendre de labouche de Harold que tu partais ce

matin.— Parce que je ne voulais pas que

tu viennes ici pour te donner enspectacle.

— Foutaise, rétorque-t-elle enétirant son cou pour sonder leterrain. Je ne vois pas Ashtyn depuis ce poulailler. Où est-elle ?

— Sur la touche, à côté du filet là-bas. Je te jure, si tu lui fais coucou,tu sors.

Elle garde ses mains à leur place.— Très bien, très bien, ne sois pas

si susceptible.

— Pourquoi ce soudain intérêtpour le football ? Tu n’es jamaisvenue me voir lorsque jem’entraînais chez Elite.

Elle se tourne sur son siège maisgarde les yeux sur le terrain.

— Ça, c’est ce que tu crois.— Je ne t’y ai jamais vue.Elle m’adresse cette fois un

sourire malin.— Peut-être que je ne souhaitais

pas être vue.Puis elle se racle la gorge et

reporte son attention sur le jeu.

— J’ai commis des erreurs par lepassé que je ne compte pas répéter.Tu ferais bien d’en faire autant.

Des erreurs, j’en ai déjà faitassez.

Après la partie, nous sommescernés par une foule de recruteursqui me bombardent de questions.Moi qui voulais rester incognito...Je leur répète que je n’ai aucuneintention de rejouer au football,mais certains me tendent leur carteet me disent de les appeler, sijamais je change d’avis.

Ma grand-mère annonce qu’elleva attendre Ashtyn à la sortie desvestiaires quand soudain, j’aperçoisMcKnight qui marche vers ledortoir. Je vais à sa rencontre dansles parties communes, prêt à luirentrer dedans à propos de soncomportement.

— Putain ! s’écrie Justin Wade,un arrière.

Justin et moi étions colocatairespendant ma troisième année ici.

— « Le Fitz » en personne. Hé !Fitz, qu’est-ce que tu deviens ?

Un autre joueur nommé Devonme tape dans le dos.

— Eh, mon gars, j’arrive pas àcroire que tu sois revenu. Je tecroyais parti pour jouer dans laNFL, moi. Quand j’ai appris que tuavais arrêté, j’étais choqué !

— Mon équipe s’est fait avoirpendant le match, enchaîne Justin.On aurait bien eu besoin de toi...

— Je ne suis pas là pour jouer.— Attends une seconde,

intervient Landon. C’est toi, DerekFitzpatrick ?

— Le seul et l’unique, mec,s’amuse Justin.

— Une légende locale, ajouteDevon. C’est de lui que je te parlais,l’autre soir.

— C’est pas vrai, j’y crois pas !Landon secoue la tête, se

demandant sûrement comment jepeux être le type sur les photos dumur des MVP d’Elite.

— Qu’est-ce que tu fais là ?— Je garde un œil sur Ashtyn.— Pourquoi, tu veux la garder

pour toi ? Tu as envie de te la taper

depuis le jour où tu l’as rencontrée.J’ai alors un petit rire qui

résonne dans toute la pièce.— Tu sais rien, McKnight.— Je sais tout, me chuchote-t-il à

l’oreille. Si je lui dis que je joueraipour Fremont, je peux la récupérerd’un claquement de doigts.

Je le pousse.Il me pousse à son tour et me

balance un coup de poing.Sentant mon sang bouillir, je fais

pleuvoir les coups. Lui ne manquepas une occasion de répliquer ; on y

va tous les deux sans aucuneretenue.

Un groupe de mecs tente de nousséparer, mais je résiste et les dégagevite fait.

Soudain, j’entends Ashtyn crier :— Derek !Je me tourne, découvre son

visage horrifié, et me prends unepêche en pleine mâchoire. Ça faitmal ! McKnight a quand même unsacré crochet du droit.

Comme si la situation n’était pas

déjà assez grave, les entraîneursdébarquent. Le coach Smart,l’entraîneur en chef, responsable duprogramme Elite, s’interpose.

— Qu’est-ce qui se passe ici ?McKnight essuie le sang au coin

de sa bouche du revers de la main.— Rien, coach.— On ne dirait pas. Derek, qu’est-

ce que tu fous là ? Tu es venuchercher des embrouilles à mesjoueurs ?

Ses joueurs. J’en faisais partie,autrefois.

— Pardon, coach.Il aboie des ordres à l’un de ses

assistants pour qu’ils s’occupent deMcKnight puis m’attrape par le colet me tire dans un couloir vide. Jeme dis qu’il va me dégager de làmais au lieu de cela, il me regardedroit dans les yeux comme il lefaisait lorsque j’étais sur le terrain.

— Tu étais un modèle pour lesautres, Derek...

Il m’attrape le menton, qui mefait mal, pour examiner mesblessures.

— Qu’est-ce qui t’est arrivé ? Jehausse les épaules.

— Où est ton père ?— Quelque part au milieu de

l’océan.— J’ai entendu dire que tu t’étais

fait virer d’un établissement enCalifornie. Tu préfères t’attirer desennuis plutôt que de jouer sur unterrain ?

Ashtyn apparaît à la porte, elleme scrute avec colère. Ma grand-mère et son ombrelle dépassentderrière elle.

— Tu sais que tu devraiscontinuer à jouer, n’est-ce pas ? Tun’as pas pu oublier tout le travailque tu as fourni.

— Je n’ai pas oublié, coach. Je nejoue plus. Point final.

— Tu ne peux pas mettre unpoint final à quelque chose qui n’ajamais commencé.

— Cette conversation estterminée, coach.

Je suis venu ici me battre pourAshtyn, pas pour moi.

— Pas encore. Tu sais que j’ai une

politique de tolérance zéroconcernant la violence. Tu peux tebattre sur ton propre terrain, quandça t’arrange, mais pas chez moi.

— Je m’en vais.— Ne pars pas, s’exclame alors

McKnight. Debout dans le couloir,entouré de sa clique, il lève unemain devant lui.

— Désolé, mec. Sans rancune.Je secoue la tête, dépité, et lui

passe devant. J’ouvre la porte etsuis sur le point de partir quandj’entends la voix de McKnight :

— Ce n’est pas grave, Derek. Onsait tous que tu as peur de ne pasêtre digne de ton statut de légende.

— Mon petit-fils n’a pas peur,intervient ma grand-mère quibrandit son ombrelle dans sadirection.

Je ferme les yeux. Lorsque je lesouvre à nouveau, je vois le coachSmart. Je vois McKnight et sa tribu,ma grand-mère, et enfin Ashtyn.Tous se demandent ce que je vaisfaire.

Finalement, je fais ce que j’ai

toujours fait depuis la mort de mamère.

Je m’en vais sans un regard enarrière.

CHAPITRE 48ASHTYN

Je ne peux pas le laisser partir

comme ça. Mon père prend la fuitechaque fois que les choses secompliquent. Je ne laisserai pasDerek s’en tirer aussi facilement : jeme plante devant sa voiture et luibloque le passage.

Il abaisse sa vitre et crie :— Qu’est-ce que tu fous ?— Sors de cette voiture !Il descend, mon sang ne fait

qu’un tour et je fonds sur lui àgrandes enjambées.

— Tu as tout gâché !Et je lui plante mes poings dans

la poitrine.— Arrête de crier, dit-il en

regardant les autres autour de nous.— Non, je n’arrêterai pas de crier,

j’en ai ras le bol ! Tu sais que je mecasse le cul ici, Derek. Je me batspour qu’on me traite comme lesautres. Je me bats pour prouver àtout le monde que je mérite maplace.

Je sens l’émotion monter et jeme fous que tout le monde à centmètres à la ronde m’entende :

— Je me bats depuis la secondeoù je suis arrivée chez Elite. Mets-toi bien ça dans le crâne, je n’ai pasbesoin que tu te battes pour moi. Çame rend faible aux yeux des autres,c’est tout. J’ai besoin de me battreseule, sinon ça ne sert à rien. Maismerde, Derek, quand est-ce que tuvas finir par te battre pour toi ?

— Ça n’arrivera pas.J’avale le nœud qui coince dans

ma gorge.— Ma mère est partie quand

j’avais dix ans. Elle n’en avait rien àfoutre de moi et je vis chaque jouren pensant à ça. Tu as de la chance,toi, tu sais que ta mère t’aimait.

— De la chance ? fait-il avec unrire bref et cynique. Au moins tamère est en vie, elle, et tu peux luiparler. Tu sais ce que je ferais pourreparler à ma mère, ne serait-cequ’une minute ? Une seule petiteminute ! Je me couperais le braspour une minute avec elle.

Il est temps de lui poser certainesquestions, qu’il crache enfin ce qu’ila sur le cœur :

— Tu dis que tu ne veuxt’attacher à rien mais c’estcomplètement faux. Qu’est-ce quetu attends de la vie ! Quels sont tesbuts ?

— Je n’en ai pas.— Tout le monde a un but.Il détourne la tête parce qu’il sait

que, s’il me regarde, je le percerai àjour. Des plaies qui devraientmaintenant être guéries sont encore

grandes ouvertes, à cause de lamontagne de culpabilité qu’il setrimballe depuis la mort de sa mère.Il continue de se punir pour unedécision qu’il a prise il y a trèslongtemps.

Je sais qu’il veut se battre pourquelque chose... au fond de lui, il aun désir intense à assouvir. Ça leronge de l’intérieur, de ne pasécouter ses instincts et de rester lefantôme de celui qu’il pourrait être.

S’engager dans l’armée après lelycée, c’est le moyen qu’il a trouvé

pour entretenir son esprit decompétition... il s’est battu pourmoi au dortoir mais mon conflitavec Landon n’est pas son combat,c’est le mien. Quand Landon a traitéDerek de lâche, la bataille ne meconcernait plus et Derek a fui.

Il croise alors les bras sur sapoitrine.

— Bouge de là, que je puisse m’enaller.

— Ecoute-moi, dis-je d’une voixplus douce, il nous arrive toutessortes d’emmerdes, Derek. La vie

continue, qu’on le veuille ou non.Les gens meurent, qu’on le veuilleou non. Ne t’invente pas d’excuse,comme quoi tu as arrêté le footballaméricain pour ta mère. Elle t’adonné la vie. Tu crois qu’elleaimerait voir ton esprit mourir avecle sien ?

— Ne mêle pas ma mère à tout ça.— Pourquoi pas ? Baisser les

bras, ça ne la ramènera pas. Tu disque tu n’as pas de but ? C’est desconneries ! Il faut que tu te donnesles moyens d’avancer, sans te

retenir. Quand tu te seras décidé,dis-le-moi, parce que je parieraisma couille gauche que tu as un butmais que tu ne te l’avoues pas toi-même.

Le coin de sa bouche se relèvelégèrement.

— Tu n’as pas de couille gauche,Ashtyn.

— Ouais, eh bien, tu agis commesi toi non plus tu n’en avais pas. Ilfaut que tu te pardonnes.

Après un long silence, il ditenfin :

— Je ne peux pas.Il regarde par-dessus mon épaule

et je fais volte-face. Sa grand-mèrese tient à l’autre bout du parking,faisant mine de ne pas écouternotre conversation. Quand je meretourne à nouveau, Derek a lamain dans les cheveux.

— Ma grand-mère souhaite que jevienne vivre avec elle. J’ai décidéque c’était sans doute la meilleurechose à faire pour nous deux, si jerestais au Texas et finissais le lycéeici. Je vais t’acheter un billet

d’avion pour Chicago dimanche.Une grande tristesse m’envahit la

poitrine.— C’est vraiment ce que tu veux ?— Oui, répond-il, stoïque,

indifférent. C’est ce que je veux.

CHAPITRE 49DEREK

Je roule sans but le reste de la

journée, tâchant de me faire à l’idéeque je vais rester au Texas etemménager chez ma grand-mère.Quand je rentre finalement chezelle, je la trouve assise, àm’attendre, sur un petit banc dansl’entrée.

— Où étais-tu ?— Dehors.Elle hoche la tête lentement.

— J’ai discuté avec Ashtyn aprèston départ. Elle est plutôtcontrariée.

— Ouais, ben, elle s’en remettra.— Je crois que tu n’es pas

raisonnable, fait-elle en soupirantlourdement. Elle m’a dit que tuemménageais avec moi ?

— Ah, ouais. J’ai oublié de te dire,j’emménage. Bravo, tu as eu ce quetu voulais.

Je commence à monter l’escalier.— Je ne veux que ton bonheur,

Derek. C’est ce que j’ai toujours

voulu.Elle hésite avant de poursuivre :— C’est ce que ta mère voulait.— Qu’est-ce que tu en sais ? Elle

n’est plus là pour qu’on lui pose laquestion, n’est-ce pas ? Ondemande à mon père ce qu’il enpense ? Ah, ouais, il est pas là nonplus !

— Eh bien, peu importe qui estprésent, tu dois rentrer à Chicagopour récupérer tes affaires si tu doisvenir habiter avec moi.

— Appelle des déménageurs !

— Foutaise, dit-elle bien droite,son noble nez en l’air. Tout est déjàarrangé pour que le jet del’entreprise nous emmène àChicago.

Je m’immobilise.— Nous ? Qui ça, « nous » ?— Toi, Ashtyn... et moi. Non,

non !— Désolé de te le dire, Mémé,

mais ça va pas se passer comme ça.— Oh ! que si. J’ai donné mes

instructions et tout est arrangé.Harold ira chercher Ashtyn

dimanche chez Elite et nous laretrouverons à l’aéroport.

Les bras croisés, elle me lance unregard sévère et défiant.

— Ça va se passer comme ça !

CHAPITRE 50ASHTYN

Je suis assise devant les coachs

Bennett et Smart, dimanche matin,pour mon évaluation finale. Je meretiens de me ronger les onglesalors qu’ils passent en revue messtatistiques et performances de lasemaine. Ils sont également censésme communiquer les avis desrecruteurs présents aux matchsamicaux.

— Cela a été un plaisir de t’avoir

en stage cette semaine, commencele coach Bennett. Le coach Smart etmoi-même sommes impressionnéspar ta détermination et ton énergie.

Mais pas par mes prestations.Smart acquiesce de son côté.

— Tu es la première fille acceptéedans notre programme, Ashtyn.Nous savions qu’il allait y avoir desobstacles, mais tu les as affrontéscomme il se doit. Cela demande ducourage et j’admire ça chez mesjoueurs.

Le coach Smart prend le temps de

me montrer mes statistiques ; j’entressaille.

— Tes résultats de la semaine nesont pas terribles, Ashtyn. Lesretours des recruteurs et desentraîneurs ne correspondentprobablement pas à ce que tuespérais mais le coach Bennett t’aobtenu un entretien avecl’entraîneur de Northwestern lasemaine prochaine. Cela ne garantitrien mais, au moins, quelqu’un aaccepté de te rencontrer.

Je devrais être excitée et

heureuse à la simple idée depouvoir parler avec l’entraîneurd’une des dix meilleures équipes dupays. Je ne comprends pas ce qui neva pas chez moi. C’est comme si,depuis la seconde où Derek m’aannoncé qu’il déménageait auTexas, tout s’était... éteint.

— Peu importe ce que çadonnera, nous tous, chez Elite,sommes certains que tu parviendrasà accomplir ce que tu veux.

Le coach Bennett me souritchaleureusement et me tend la

main.— Sois certaine que nous

suivrons les statistiques de tonéquipe cette saison et nous tesouhaitons le meilleur.

Je leur serre la main à tous lesdeux.

— Merci beaucoup pour cetteopportunité.

Je rassemble ensuite mes affairesau dortoir et attends que lalimousine vienne me chercher. J’aien effet revu un appel la nuitdernière : Mrs Worthington affrète

le jet de l’entreprise.Je m’assois dans le petit avion à

côté de Derek. Sa grand-mère ainsisté pour nous accompagner. Elledit qu’elle souhaite aider son petit-fils avec les cartons. Il paraît qu’il aprotesté mais elle s’en fiche.

Difficile d’ignorer la présence deDerek. Quand nous arrivons à lamaison, Julian court vers lui avecun grand sourire et ma sœurapporte des cookies sur lesquels estécrit « Bienvenue » avec du glaçagejaune. Je ne peux pas en manger. Ils

me rappellent trop la nuit dans lamaison de la grand-mère de Derek,quand ce dernier a enfin vidé sonsac.

— Je m’appelle Brandi. Vousdevez être Liz ! s’exclame Brandi.

Mrs Worthington se crispe enentendant ma sœur l’appeler Lizplutôt qu’Elizabeth ou MrsWorthington mais Brandi neremarque rien.

— C’est super que vous soyezvenue nous rendre une petite visite.Derek, c’est pas génial d’avoir ta

mamie à la maison ?— Pas vraiment, non.Mrs Worthington le tape avec

son sac à main.— Mon petit-fils pèche par son

manque de manières en société,mais je compte bien y remédier.

— Où est Papa ? je demande pourchanger de sujet.

— Il regarde la télé. Je file leretrouver.

— Papa, on est rentrés !Il fait un signe de tête, comme si

je rentrais des courses.

— La grand-mère de Derek est làaussi.

Je l’incite alors à se lever et àvenir la saluer. Il se lève, discuteavec Mrs Worthington un courtinstant puis retourne s’asseoirdevant la télévision.

— Il n’est pas très sociable,murmure-t-elle en inspectant lereste de la maison.

— Disons que mon père estintroverti.

— Hum.Mrs Worthington prend une

bouchée d’un des cookies faits parBrandi, qu’elle recrache dans uneserviette.

— Ma chère, essayez-vous denous empoisonner ou juste de nouscasser les dents ?

Brandi éclate de rire.— J’avoue, je ne suis pas une

grande cuisinière.— Ça ne fait pas de doute, dit

Elizabeth en lui caressant la joue.On va vous donner quelques coursde cuisine, ma chère. Avant quevous ne tuiez mon petit-fils.

Brandi rit, pensant sans douteque Mrs Worthington plaisante. Jecrains qu’elle ne plaisanteabsolument pas, mais il vaut peut-être mieux que ma sœur ne sacherien.

Un aboiement grave résonnedans la maison et Falkor se jette surmoi et me couvre de baisersmouillés.

— Et voici Falkor.— Pouah ! Ashtyn, ma chérie, s’il

te plaît... que cet animal cesse de telécher partout. C’est si peu

hygiénique.Derek s’agenouille et Falkor

m’abandonne sans y réfléchir àdeux fois. Mon chien roule sur ledos et Derek lui frotte le ventre etlui raconte à quel point il lui amanqué.

Une fois Mrs Worthingtoninstallée dans ma chambre, nousretrouvons les autres dans lacuisine et Derek annonce lanouvelle à ma sœur et à Julian : ildéménage au Texas.

Le sourire de ma sœur disparaît.

— Mais tu es mon frère ! s’écrieJulian. Je ne veux pas que tu aillesau Texas. Pars pas !

Brandi a l’air sous le choc, elle ale regard vitreux.

— Julian, je suis sûre que Derek abeaucoup réfléchi avant de prendresa décision, dit-elle d’une voix tristeet monotone. Il doit faire ce qu’iljuge être le mieux.

— Désolé, bonhomme.Il tend la main vers Julian mais

mon neveu l’évite et court à l’étage.Avec une mine triste, Derek monte

derrière lui.— Je vais décevoir mon mari,

murmure Brandi. Je déçois tout lemonde.

Elle semble totalement abattue.— Ce n’est pas vrai, je proteste en

la prenant dans mes bras pour laréconforter. Tu es une mère extraavec Julian, Brandi. Tu as dû tedébrouiller seule et c’est devenu unenfant intelligent et sensible.

Elle hausse les épaules et essuieles larmes qui coulent sur sonvisage pâle en forme de cœur.

— Tu m’as déjà fait comprendreque j’étais une sœur pourrie. Detoute évidence, je suis aussi unehorrible belle-mère. J’aurais dûrester en Californie.

— Non.Je la serre fort dans mes bras

tandis que des larmes coulent surmes joues. Quand elle me serre àson tour, je sanglote pour de bon.Derek emportera une partie de moiavec lui lorsqu’il partira, et je nepense pas pouvoir supporter lapeine toute seule. Je suis fatiguée,

triste, je ne veux plus être forte.— J’ai besoin de toi, Brandi. J’ai

besoin de ma grande sœur et je suistrès, très heureuse que tu sois là.

— Ça va, toi ? demande-t-elle enme tenant à bout de bras, surpriseque je pleure avec elle.

— Non.Elle essuie les larmes de mes

joues et me regarde aveccompassion.

— C’est une histoire entre Dereket toi, c’est ça ? J’acquiesce,incapable de parler.

Elle tient alors mon visage dansses mains.

— Je suis là pour toi, petite sœur.Je suis désolée, j’ai l’impressionque tout est de ma faute.

— Qu’est-ce que c’est que ceslarmes ? s’exclame MrsWorthington en nous rejoignantdans la cuisine. Je vous jure, j’ail’impression d’être dans unfunérarium tellement on pleure, parici. Vous ne connais s e z pas leremède universel ?

— Lequel ? demande Brandi.

Je sèche mes larmes et attends laréponse.

— Une séance au spa.Elle prend alors son téléphone et

compose un numéro :— Harold, utilisez ce truc-là,

Google, et trouvez-moi un sparespectable à Fremont, Illinois.Prenez un rendez-vous pour troispersonnes pour un massage et unsoin du visage ce soir.

Elle raccroche puis rappelle uneseconde après :

— J’ai bien réfléchi, prenez un

rendez-vous pour quatre. Le pèred’Ashtyn est plus grincheux quemoi, il a besoin d’aide.

— Liz, je ne crois pas que monpère nous suivra au spa, rétorqueBrandi une fois la conversationterminée.

— Oh que si ! répond la grand-mère sans la moindre hésitation.Personne ne dit non à uneWorthington. Et si vous m’appelezLiz encore une fois, je vous arracheces rajouts criards de la tête.

CHAPITRE 51DEREK

Ashtyn m’a dit que j’avais besoin

d’un but. J’en ai enfin trouvé un,même si ce n’est pas tant un butqu’une mission. J’ai décidé denettoyer le cabanon avant mondépart. Il était sale et laissé àl’abandon avant que j’arrive ici,mais je lui ai redonné vie. Je l’aidéjà repeint et j’ai réparé desplanches cassées du toit et desmurs. Ce matin, j’ai décidé de

ranger l’intérieur. Je l’aientièrement vidé, puis je suis allé àla quincaillerie acheter de nouvellesétagères solides et du contreplaquépour remplacer le vieux plancher.J’ai même recouvert le vieux plande travail pour qu’on puisse leréutiliser.

J’ai aperçu Ashtyn partir de lamaison ce matin avec Victor, venula chercher pour l’entraînement.Elle ne me parle pas. Julian nonplus. Je lui ai dit que je lui rendraivisite régulièrement, mais il s’en

fiche. Il m’a demandé de le laissertranquille et depuis, il ne meregarde plus. Ça fait deux jours.

Je recule et admire l’avancée duprojet.

— Pas mal, pour une seulejournée de travail.

Falkor, haletant, remuevigoureusement la queue à côté demoi. Il semble tout à fait d’accord.

— Doux Jésus, que fabriques-tudonc, Derek ? crie ma grand-mèredepuis le perron.

— J’arrange le cabanon.

— Engage plutôt quelqu’un pourfaire ça.

— Pourquoi engager quelqu’unalors que je peux le faire moi-même ?

Elle pointe sur moi un doigtautoritaire.

— Parce que cela contribue àl’économie. Si tu engagesquelqu’un, la personne a plusd’argent pour acheter. C’est la base,Derek.

Je reconnais volontiers lacréativité de ma grand-mère. Elle

croit véritablement aux sottises quisortent de sa bouche.

— Ben, la base, pour moi, c’est dele faire moi-même.

— Bon, soupire-t-elle, alors...lave-toi ensuite, pour ne pas avoirl’air d’un clochard.

Je ricane alors qu’elle s’éloigne.Pour être honnête, ma grand-mèreest assez marrante et de temps entemps, elle fait des choses qui merappellent ma mère : sa façon dedormir au bord du lit, la manièredont elle se couvre la bouche quand

elle rit. D’un autre côté, lorsqu’ellese comporte comme une bourge,elle peut être très agaçante et mefaire honte. Si elle a l’intention defaire de moi son clone, pendant lesneuf mois où l’on va vivreensemble, moi j’ai l’intention de ladébarrasser de son côté snob. C’estsûr, ce n’est pas gagné.

En fin de journée, ma grand-mère annonce qu’elle invite toute lafamille à dîner en ville. Elle a dûréserver au Pump Room, un endroitapprécié des célébrités à Chicago.

Au cours des deux derniers jours,Gus a appris qu’il valait mieux obéiraux ordres de ma grand-mère quede lui résister. Je crois qu’il avaitbesoin de quelqu’un comme elledepuis le début, une folle qui lefasse interagir avec la famille plutôtque de la fuir. J’y serais allévolontiers mais pour être honnête,avoir Ashtyn en face de moi toute lasoirée et savoir que je la quitte dansquelques jours ne s’annonçait pastrès agréable.

Je suis enfin parvenu à ranger

tout le cabanon quand je m’aperçoissoudain qu’il fait nuit dehors. Jeprends une lampe torche dans lamaison et installe les étagères, puisj’accroche les outils sur le mur.

— Arrêtez ou j’appelle la police !crie derrière moi une voix de filleque je connais bien.

Ashtyn se tient dansl’encadrement de la porte, avec safameuse fourche en guise d’arme. Ilfait sombre mais le faible éclat de lalampe se reflète sur le métal dansses mains.

J e lui fais un petit sourire etapproche de la fourche jusqu’àl’avoir à deux centimètres de montorse.

— Tu n’as pas vraiment envie deme planter.

— Tu as raison, admet-elle enbaissant son arme.

Je lui ôte la fourche des mains etla jette de côté, aussi loin quepossible de mon pied.

— Qu’est-ce que tu fiches là ? Jecroyais que tu étais en ville avec lesautres.

— J’ai décidé de rester.Son ton est séducteur, pas moyen

de s’y tromper.Elle avance. A la faible lumière, je

remarque qu’elle porte son maillotde hockey, et rien d’autre. Mes yeuxse posent sur son corps à moitiécouvert, incapables de s’en décoller.

Je déglutis, bruyamment. Il faitsombre et la pile de la lampe faiblitrapidement. Quand j’ai rencontréAshtyn, je ne me doutais pas de cequ’elle allait devenir pour moi.Quand elle est dans les parages, j’ai

envie de la repousser et, en mêmetemps, de l’attirer à moi. Elle parlecomme un mec mais a le corps d’unange. Elle sait que je m’en vais maiselle est là avec moi, maintenant...

— Pourquoi es-tu restée à lamaison ce soir ?

La lampe scintille avant des’éteindre complètement. Alors elleme murmure à l’oreille :

— Pour toi.

CHAPITRE 52ASHTYN

Je suis restée assise sur mon lit

pendant une heure avant de trouverle courage d’aller au cabanon, cesoir. Derek s’en va, je le sais, maisj’ai envie qu’il se rappelle lasensation d’être avec quelqu’un quil’aime inconditionnellement.J’essaie de me convaincre qu’il fautque je sois heureuse puisque nousavons cette dernière nuit ensemble.Jamais je n’aurais imaginé

m’attacher autant à quelqu’un,surtout en si peu de temps. Etpourtant...

Je n’ai jamais cru au coup defoudre, jusqu’à ma rencontre avecDerek. Ça me consumeentièrement, c’est délicieux,merveilleux et excitant. En mêmetemps, ça me rend nerveuse,émotive, et je doute de moi.L’amour existe. Je sais qu’il existeparce que je suis pleinement,follement, désespérémentamoureuse.

Je passe les bras autour de soncou et sens ses mains sur ma taille.Il m’attire à lui. Nous nousembrassons et j’ouvre la bouchepour un baiser encore plus intime.Nos langues s’entremêlent.

— Si l’on commence, je ne vaispas vouloir m’arrêter, dit-il d’unevoix rauque, profonde.

— Moi non plus.Sans un mot de plus, je ferme les

yeux pendant que ses doigtss’accrochent à mon maillot puislentement, subtilement, il fait

glisser le vêtement sur ma peausensible et le jette de côté.

Il fait noir. On ne peut rien voirmais je peux entendre sarespiration et sentir le toucher lentet sensuel de ses mains sur mapeau.

Je passe mes doigts sur sesbiceps et parcours les lignes de sesabdos et de ses pectorauxparfaitement dessinés.

— Je t’ai menti, j’avoue enbaissant la main jusqu’à saceinture.

— Hum... sur quoi ?— Je t’ai dit que je n’étais pas

troublée, ni impressionnée par toncorps.

Je l’embrasse dans le cou et sonparfum musqué d’homme envahitmes sens. Je glisse mes lèvres plusbas, sur son torse, ses abdos, plusbas.

— J’ai menti.Il jette la tête en arrière et sa

main passe dans mes cheveuxpendant que je lui montre à quelpoint j’apprécie son corps. Au son

saccadé de sa respiration, jecomprends qu’il aime ça. Beaucoup.

— A moi-même, reprend-il aubout d’un moment, d’une voixtendue.

Je pousse un petit cri de surprisequand il me soulève et me reposesur le nouveau plan de travaildevant lui.

Il m’embrasse fougueusement etje me colle à lui. J’ai envie de plus,envie de lui, envie que cette nuitdure toujours. Nos corps sontcouverts de sueur et nous haletons

tous les deux, nous nous battonspour que cela dure plus longtemps,mais je sens que nous sommes tousles deux sur le point de céder. Mesmains s’égarent sur son corpsmagnifique tandis que je goûte sabouche et lui la mienne.

Je m’allonge sur le dos et ilrecouvre mon corps avec le sien,avec douceur, avec passion. Je sensson souffle chaud sur ma peauglissante, tout mon corps est enalerte.

— Tu n’as pas idée de l’effet que

ça me fait.— Oh si, répond-il de sa voix

rauque en retirant le reste de sesvêtements.

Je l’entends alors déchirer unemballage de préservatif et moncorps se fige.

— Tu l’as sorti de tonportefeuille ?

— Ouais.— Je croyais que tu ne gardais

pas de préservatif dans tonportefeuille.

Il ricane, et je peux imaginer son

sourire espiègle.— Dans un compartiment secret.Puis je me mets au bord de

l’établi et debout entre mes jambes,il enfile le préservatif. Je pose lesmains sur son torse.

— Derek ?— Ouais ?Sa voix s’étire alors qu’il se

retient. Je suis contente qu’il fassenoir et qu’il ne puisse pas voir monvisage à cet instant précis, rouge,troublé, nerveux.

— Je ne sais pas ce que je suis en

train de faire.Il me prend la main pour me

montrer son degré d’excitation.— On dirait que si.— Non mais, je veux dire, j’ai fait

des choses avant... mais pas...— Quoi ? Je ne savais pas !Il expire un grand coup, puis pose

son front contre le mien.— On n’est pas obligés de

continuer, Ashtyn. Ta première foisne devrait pas se faire dans uncabanon.

— J’en ai envie, dis-je en prenant

son visage entre mes mains. Jet’aime, Cow-boy. Et c’est l’endroitparfait... l’endroit où l’on s’estrencontrés. Rien ne pourrait êtremieux qu’avec toi, ici, maintenant.

Alors, nous faisons l’amour.Derek est très doux.

— Ça va ? Je ne voudrais pas tefaire mal.

Je suis tellement submergée parl’émotion que j’ai du mal à réaliserce qui se passe. C’est comme sij’étais en plein rêve et je n’avais pasenvie de me réveiller. Alors dans un

murmure, je lui réponds :— Ne t’inquiète pas pour moi.— Je m’inquiète toujours pour

toi, Ashtyn. Je sais que tu escapable de te débrouiller seulemais...

Il passe ses mains sous mesfesses, m’incitant à serrer mesjambes autour de sa taille alors qu’ilme soulève de l’établi.

— Mais parfois, c’est aussi biende laisser quelqu’un s’occuper detoi, Sucre d’orge.

Je ferme les yeux et laisse Derek

prendre le dessus. I l a raison. Onne m’a jamais autant aimée etprotégée de ma vie. Il est si doux etpatient, il sait exactement quoi faireet je me mets à crier subitementson nom et lui le mien. Je sais quece rêve ne durera pas éternellementmais une partie de moi voudraittoujours l’avoir dans ma vie.

— Tu as pris une partie de moi,murmure-t-il en me serrant fortaprès.

— Bien. Et je ne te la rendraijamais.

CHAPITRE 53DEREK

Avant, je savais ce que je voulais

et je fonçais pour l’obtenir. Quandj’étais plus jeune, c’était le footballaméricain. Je faisais ce qu’il fallaitpour être le meilleur.

Le lendemain de la soirée passéeavec Ashtyn dans le cabanon, je suisdans l’avion de retour pour le Texas.Ma grand-mère est assise en face demoi avec un visage inexpressif. Jesais qu’elle s’est rapprochée de

Brandi, Jul ian et Ashtyn. Je l’aimême vue nourrir Falkor en secret,sous la table, pensant que personnene la verrait. A l’atterrissage, nousretrouvons Harold.

— Avez-vous passé un agréableséjour ? demande-t-il. Ma grand-mère et moi échangeons un regard.

— Le temps à Chicago estaffreusement chaud et humide,répond-elle d’un ton hautain. MaisFremont est une ville charmante. Jeme suis faite aux habitants, semble-t-il. N’est-ce pas, Derek ?

— Tout à fait.Je rentre dans la maison de ma

grand-mère et, soudain, rien ne va.L’endroit est trop grand, trop vide.La nuit venue, je scrute les mursblancs immaculés ; ce n’est pas icique j’ai envie d’être.

Avant le lever du soleil, jedescends l’escalier et m’étonne detrouver ma grand-mère assise dansla bibliothèque toute seule. Elletient la lettre de ma mère à la main.

— Tu ne dors pas ?Elle secoue la tête et repose la

lettre.— Ce n’est pas faute d’avoir

essayé. Et toi, Derek ?— Moi non plus, dis-je en

m’asseyant à côté d’elle. Maman temanque ?

— Oui, beaucoup.— Moi aussi.Je regarde ma grand-mère et,

pour la première fois depuis la mortde ma mère, je comprends ce que jeveux. Je veux être là pour Julian etBrandi, la famille que j’ignoraisvouloir. Je veux être proche de ma

grand-mère, même si elle a le donde me rendre dingue. Je veuxmontrer à Ashtyn ce qu’est unamour inconditionnel... parce quec’est la seule fille avec laquelle j’aienvie d’être et je ne veux plusjamais qu’elle se sente seule.

Je veux me battre pour elle, etfoncer.

Ça fait longtemps que je n’ai paspris d’initiative, mais je sens toutemon énergie revenir. Je suis excité,le sang coule dans mes veines alorsque je réfléchis à ce que je dois

faire. Ce ne sera pas facile, loin delà. Mais je suis prêt à relever le défi.

— Mémé ?— Oui, Derek ? Ne t’ai-je pas déjà

dit que je déteste quand tum’appelles comme ça ?

— C’est affectueux, c’est le signeque je t’aime, je lui rétorque tandisqu’elle m’envoie un petit coup decoude dans les côtes. Je veuxrentrer à Chicago, et j’ai envie quetu viennes avec moi.

— Je suis texane, Derek.— Moi aussi. Mais peut-être

qu’on pourrait être des Texans quis’aventurent ailleurs ?

Elle y réfléchit une minute, etfinalement acquiesce.

— Oui. Oui, je pense que nouspouvons faire un essai. Je vaisdemander à Harold de nous trouverune maison décente qui ne soit pastrop loin de chez Brandi et Ashtyn.Bien sûr, Harold et le personneldevront déménager avec nous... etje devrai revenir régulièrement afinde superviser le travail desindustries Worthington. Tu sais que

tu es l’héritier de notre entreprise,n’est-ce pas ?

— Tu me le rappelles sans cesse.— Bien.Il ne s’agit plus seulement de

réparer mes erreurs passées. Ils’agit d’apporter un sens à ma vie,quelque chose qui manquait jusqu’àprésent. Ashtyn savait qu’au fondde moi, je voulais encore mebattre... et elle m’a aidé àcomprendre que j’avais des objectifset des rêves, comme elle.

Ma grand-mère est plus que ravie

de m’aider à aller de l’avant.Quelques coups de fil à desuniversités et à des entraîneurspour lesquels j’ai déjà joué,quelques pistons que seul unhéritier des industries Worthingtonpeut se permettre. Je prends un volpour Chicago au moment où Ashtynpasse son entretien avec l’universitéNorthwestern. Je sais qu’elle nesera pas à l’entraînement. Dès quej’atterris, je file au lycée Fremont.

J’avance sur le terrain et suisenveloppé par l’odeur familière de

l’herbe fraîchement coupée.L’entraîneur est en pleineconversation avec ses assistants. Jetrottine jusqu’à eux.

— Coach Dieter !L’entraîneur se retourne et me

jette un regard de ses yeux bleusperçants.

— Oui ?Je déglutis. Soudain, je me sens

nerveux. Comment puis-je stresserautant en m’adressant simplementà l’entraîneur de l’équipe d’unepetite ville ? Probablement parce

que le moment décisif est enfinarrivé.

— Je suis nouveau à Fremont. Jecommencerai ici à l’automne et...

— Fiston, j’ai pas toute lajournée, va droit au but.

— Je veux jouer, commequarterback. Il se met à rire.

— Écoutez, je sais que vous avezperdu McKnight et que sonremplaçant n’est pas vraiment à lahauteur.

Je ne peux pas me permettre demontrer la moindre faille,

seulement mon assurance et madétermination :

— Je serai meilleur que leMcKnight des grands jours. Lecoach Dieter lève un sourcil :

— Sale petit prétentieux !Comment tu t’appelles ?

— Derek, dis-je, la main tendue.Derek Fitzpatrick. L’entraîneur meserre la main. Une prise virile, forte,du genre à tester la force de l’autre.

— Où est-ce que tu as joué ?— D’abord en Alabama, puis au

lycée Sierra en Californie. Arrivé

notamment en championnatd’État...

— Tu entres en quelle classe ?— Terminale.Il appelle alors un de ses

assistants.— Derek Fitzpatrick, je te

présente le coach Heilmann, ilcoordonne la défense. CoachHeilmann, Derek ici présent pensequ’il fera un meilleur quarterbackque McKnight.

L’entraîneur de la défense ricaneun peu puis hausse les épaules.

— Et pourquoi pas ? Qu’il essaie,Bill. Au point où on en est.

Puis il nous laisse.Dieter tapote son porte-bloc avec

son stylo.— Ce qui pourrait m’énerver,

c’est qu’un petit vantardégocentrique me fasse perdre montemps. Suis-moi, ordonne-t-il sansme laisser le temps de lui parler demes statistiques. On va te mettre entenue et voir ce que tu as dans leventre.

Je le suis dans les vestiaires où le

reste de l’équipe se prépare. Il mefait signe d’attendre hors de la piècedes équipements le temps qu’ilattrape des épaulettes et un casque.Je m’assois sur un banc et observemes futurs coéquipiers.

J’aperçois Victor. Dès qu’il mevoit, il bondit en me regardant droitdans les yeux avec haine.

— Dégage, Fitzpatrick. Tu croisque tu peux faire du mal à Ashtynpuis changer d’avis et revenir pourl’utiliser encore une fois ? Tu tegoures, mec. Je ne te fais pas

confiance, personne dans l’équipene te fait confiance, alors retourned’où tu viens.

— Je n’irai nulle part.— Ah ouais ? Si tu veux t’en

prendre à Ashtyn, tu devras d’abordpasser par chacun d’entre nous.

— Pas de souci.Peu importe, je ne ferai pas

marche arrière. Il me bouscule. Jele bouscule à mon tour. On est surle point d’y aller franco quandDieter donne un coup de sifflet.Tout le monde s’arrête et soudain

les vestiaires deviennentcomplètement silencieux. Tous lesyeux sont rivés sur moi.Évidemment, si Victor me considèrecomme l’ennemi, ils meconsidèrent tous comme l’ennemi.

— Tout le monde sur le terrain !hurle Dieter. Les choses ne vont pasêtre faciles.

Jet fait tomber mon casque dubanc.

— Ne t’attends pas à ce que l’unde nous te lèche les pompes parceque t’es censé être un prodige. On a

tous vu Ashtyn pleurer pendant desjours après ton départ. C’étaitflippant, elle n’a jamais été dans cetétat. Si t’as envie de mourir, t’es aubon endroit.

J’enfile ma tenue et cours sur leterrain. Victor s’avance sansattendre vers Dieter.

— Coach, on veut que Butter soitnotre quarterback. L’entraîneur nelève même pas les yeux de safeuille.

— Moi, je ne veux qu’une chose :que vous gagniez cette saison !

Crois-en mon expérience, rien nevaut un bon coup dans lafourmilière pour renforcer uneéquipe. Un nouveau quarterbackpourrait peut-être vous donner larage.

Victor s’énerve et ses doigts secrispent sur la grille en métal deson casque.

— Coach...— Salazar, arrête de pleurnicher.

Maintenant, bouge tes fesses et vat’échauffer ! Toi aussi, Fitzpatrick.

Victor se tourne vers l’autre bout

du terrain où le reste de l’équipesaute sur place. Quand je lui passedevant, Dieter m’attrape par lecoude.

— Il ne va pas te rendre la viefacile.

— Je n’ai pas l’habitude qu’on merende les choses faciles.

Je ferais mieux de me concentrersur le jeu, et pas sur la fille qui aenvahi mes pensées et ma vie.

Pendant l’entraînement, onm’ordonne de suivre le quarterbackactuel, Brandon Butter. Après un

premier tour, Dieter le fait venir entouche et me demande d’imiter cequ’il vient de faire. Je fais une passeclassique à Trey Matthews, quilâche le ballon à la seconde où sesmains entrent au contact du cuir.

— Qu’est-ce que tu fous ? dis-je àTrey quand il le lâche la secondefois. C’est une passe de base.

Il commence à s’éloigner.— Pour un prodige, t’es pas doué,

marmonne-t-il.— Je t’emmerde. Je suis doué.Jet non plus ne m’aide pas. Il

s’efforce de récupérer les ballons deButter à chaque fois, même lorsqueles trajectoires sont mauvaises,mais il court pratiquement dans ladirection opposée de mes lancersdès que le ballon décolle de mamain.

Les joueurs sur la ligne d’attaquelaissent un trou béant pour queVictor puisse me foncer dessus. Ilne s’en prive jamais.

— Mec, t’es vraiment nul ! lanceVictor quand on se remet enposition.

Il ricane, ravi qu’on m’empêchede montrer de quoi je suis capable.

— Je ne serais pas si nul si tescoéquipiers faisaient leur boulot.

Alors que j’ai le ballon dans lesmains, je cherche Jet du regardmais je me fais immédiatementplaquer par Victor. Personne sur laligne d’attaque n’est là pour mecouvrir.

— Ça, c’était pour Ashtyn,déclare-t-il en me jetant au sol.

Il tend alors la main pour m’aiderà me relever mais je ne l’accepte

pas. Plus énervé que jamais, je melève et le pousse un grand coup.Avec sa carrure, je ne devrais pasêtre surpris que ses pieds restentvissés au sol.

— Tu me cherches ?Jet s’interpose. Il m’attrape par le

maillot et me prévient de me tenirloin de Vie. Trop tard, le mal estfait.

— Montre-moi ce que tu as dansle ventre, Salazar. Je me prépare etcontrôle mon centre de gravité alorsqu’il essaie de me projeter au sol.

Ha ! Ce gros balaise pensait pouvoirme mettre par terre sans effort,mais je suis borné, l’adrénalinecourt dans mon corps, et je refusede perdre. Furieux, il retire soncasque et colle son visage contre lemien. Dieter donne un coup desifflet. Je crois qu’il s’époumonedepuis qu’on m’est rentré dedans,mais je l’ignore, comme tous lesautres d’ailleurs.

— Tu ne peux pas débarquer ici,claquer des doigts et croire qu’on vate servir, lance Salazar.

J’enlève moi aussi mon casque.— J’ai joué avec des collégiens

meilleurs que vous.Il se jette sur moi sous le

nouveau coup de sifflet de Dieter.Ce n’est pas facile de se battre entenue. On roule au sol en essayantchacun de prendre le dessus.

— Arrêtez ça ! hurle Dieter.Les autres nous tirent pour nous

séparer.— Fitzpatrick, sur le banc !C’est quoi ce bordel ? C’est moi

qui sors ? Merde !

— Coach, vous rigolez. Ce n’étaitpas ma...

Il pointe le doigt vers le bancsans me laisser finir.

— Que je n’aie pas à me répéter.Cette équipe... ces connards...

brisent toutes mes chances. Jem’assois, bouillant de rage ; lesautres soutiennent Butter à deuxcents pour cent alors qu’il est naze.

— Fitzpatrick, amène tes fessespar ici ! crie soudain Dieter del’autre côté du terrain. Les autres,faites un tour de terrain avant de

partir.Je ramasse mon casque et

marche jusqu’à lui. Je ne peux pasrester calme.

— Je ne suis pas venu pour êtresur la touche.

— Ecoute, Derek, malgré ce quis’est passé sur le terrain, je ne peuxpas nier que tu as des capacités.

— Si l’équipe me soutenait...— Oublie ça, dit-il en enlevant sa

casquette. J’aurais beau m’égosillerà leur dire, pour une raison ou uneautre, mes gars ne te font pas

confiance. Ils prendraient des coupspour protéger Butter. Il faut que tugagnes leur respect et leur fidélité.Quand tu y seras parvenu, on auraune bonne chance de victoire cetteannée. Tout dépend de toi. Tu esprêt à relever le défi ?

— Oui, coach.— Bien. Alors maintenant, on

limite les dégâts et vous réglez lesproblèmes que vous avez en dehorsdu terrain. Puis tu reviens ici pourl’entraînement, lundi matin.

Sur le parking, Salazar est sur le

point de grimper sur sa moto. Il secrispe en m’apercevant.

— J’essaie de récupérer Ashtyn.— Bonne chance, répond-il en

hochant la tête. Tu te fais desillusions.

— Ecoute, Salazar...Il est temps de tout déballer, je

n’aurai peut-être pas de secondechance.

— Je l’aime, dis-je en ouvrantgrands les bras. D’après toi,pourquoi je fais tout ça ? C’est pourelle, pour nous, pour moi. Je sais

pas, tu as peut-être raison, je suis leplus gros enfoiré de la planète. Maistu sais mieux que quiconque cequ’elle ressent pour moi. Même sije n’ai qu’une chance minuscule dela récupérer... il faut que je tente lecoup. Je ne t’en veux pas de vouloirme casser la gueule. Mais, Salazar,elle veut gagner avec son équipe.J’ai envie de l’aider. Toi, aide-moi.

Il baisse la tête et soupire.— Tu lui as fait mal, Fitzpatrick.

Elle pleurait dans mes bras commeun bébé. Elle est comme une sœur

pour moi et je ne te laisserai pas luifaire de mal à nouveau.

— Je n’en ai pas l’intention. Çame tue de te demander ça, mais j’aibesoin de ton aide.

— Qu’est-ce que je peux faire ?— J’ai besoin des vidéos de tous

les matchs disputés par Fremontces dernières années.

— De tous les matchs ?Victor fronce les sourcils comme

il l’a fait la première fois que l’ons’est vus, comme si j’étais unennemi dans l’équipe adverse.

— Est-ce que je peux te faireconfiance ? Je le fixe alors droitdans les yeux.

— Non. Mais j’aimerais vraimentque tu le fasses.

CHAPITRE 54ASHTYN

Je prends une profonde

inspiration en m’asseyant en facedes entraîneurs de Northwestern.C’est une grande université duMidwest, avec l’un des meilleursprogrammes de football américain.L’endroit est unique, sur les bordsdu lac Michigan. Comme j’aimeraisque Derek soit là pour me dire : «Tupeux le faire »...

Derek. J’ai beau m’employer à

enfouir son souvenir au fond de mamémoire, je n’y arrive pas. Il faitpartie de moi, qu’il ressente lamême chose ou non. Quand jeferme les yeux et repense à sa façonde me toucher délicatement levisage, de passer sa main dans mescheveux ou juste de me prendredans ses bras parce qu’il sait quej’en ai besoin, je me sens sereine,comme je ne l’avais plus été depuisle départ de ma mère.

J’ai envie d’aller au Texas et delui dire à quel point je veux qu’il me

choisisse. Mais si je le faisais, je nele laisserais pas choisir sa proprevoie. Je refuse de le forcer ou del’inciter à rester à mes côtés. Detoute évidence, il n’est pas prêt às’engager, du moins avec moi. Je nesouhaite que son bonheur. S’il estheureux sans moi là-bas, je doistrouver le moyen de l’accepter.

De qui est-ce que je me moque ?Je ne l’accepterai jamais et il memanque terriblement ! C’est monmeilleur ami, celui qui m’a apprisque je valais la peine d’être aimée.

Il a réussi à me faire comprendreque c’était ma mère qui perdait desmoments précieux.

Pour la première fois de ma vie,j’y crois vraiment.

— Si nous sommesimpressionnés par vosperformances de l’année dernière etavons reçu une impressionnantelettre de recommandation descoachs Bennett et Dieter, nous nesommes pas disposés à vous offrirune quelconque aide ou bourse,m’explique un entraîneur. Nous

avons beaucoup de candidatures dekickers, Ashtyn. Vous nousintéressez mais, pour être honnête,il y a un certain nombre de joueursplus expérimentés, et nous devonsêtre réalistes. Toutefois, nous vousremercions pour votre temps etl’intérêt que vous portez àNorthwestern. C’est une école dequalité et nous aimerions vouscompter parmi nos étudiants.

Je hoche la tête, les remercie dem’avoir consacré du temps, et voilàque l’entretien est terminé. Ça n’a

duré que quelques minutes. Dansl’ascenseur, une profonde tristesseenvahit ma poitrine quand je réalisequ’une porte vient de se fermer.

Ils ne me trouvent passuffisamment bonne.

Quand l’ascenseur s’ouvre ànouveau, j’entends la voixautoritaire d’une vieille dameacariâtre que je connais bien :

— Je vous dis que je n’ai pasbesoin de rendez-vous avecl’entraîneur ! J’ai besoin de le voirimmédiatement.

La grand-mère de Derek branditson ombrelle comme une épéedevant le visage du portier. Ellesemble prête à le découper enmorceaux si elle n’obtient pas gainde cause.

— Madame, j’ai l’ordre de nelaisser personne prendrel’ascenseur sans rendez-vous.

— Sacripant, vous n’avez aucunrespect pour l’autorité, aboieElizabeth Worthington, furieuse etincontrôlable. Maintenant laissez-moi passer, que je voie mon...

Elle abaisse son ombrelle et seracle la gorge dès qu’elle me voit.

— Bonjour, Ashtyn.C’est extrêmement réconfortant

de se retrouver dans la même pièceque cette vieille dame, même si elleest en train de menacer quelqu’un.

— Madame Worthington, qu’est-ce que vous faites là ?

— Ce maudit portier m’a misedans tous mes états. Elle soupire etfouille dans son sac à main pendu àson avant-bras, pour en sortir unmouchoir avec des initiales. Elle

éponge alors une sueur invisible deson front.

Elle évite ma question, mais il n’ya pas moyen que je la laisse s’entirer comme ça :

— Je croyais que vous étiezretournée au Texas. Qu’est-ce quevous faites là ?

Elle remet son mouchoir dansson sac et en tire un propre.

— Voilà, ma chère, une excellentequestion.

Elle se racle une nouvelle fois lagorge avant de poursuivre :

— Je vais être honnête, Ashtyn,j’ai appris que tu étais ici et je suisrevenue pour être à tes côtés. Mavoiture nous attend dehors pour teraccompagner chez toi.

Pour moi ?Elle est venue pour moi ?Personne ne revient jamais pour

moi. On part, comme ma sœur, mamère, Landon... même Derek, lapersonne qui comptait le plus. Maiscette vieille dame à l’humeurterrible est revenue pour moi.

— Ne me regarde pas de cette

façon.— Merci, dis-je d’une voix

tremblante.Mrs Worthington m’attire vers

elle. Elle déplie son mouchoirpropre et se met à essuyer meslarmes.

— Ta vie est sens dessus dessouset... Disons que là tu vas dans lemur, tu as besoin d’aide. Je suis laseule en mesure de faire de toi unedemoiselle digne de ce nom.

J’arrête sa main tremblante alorsqu’elle essuie les nouvelles larmes

qui coulent de mes yeux.— Moi aussi, je vous aime.Soudain ses yeux deviennent

humides à leur tour, mais elle sereprend.

— Cesse de pleurer, c’est bientôtmoi qui vais être sens dessusdessous, et ça ne me plaît pas.

— Je suis désolée de vous avoirtraitée de snob.

— Tu ne m’as pas traitée de snob.— Je l’ai pensé.Elle se pince les lèvres et tape

son ombrelle sur le sol comme une

canne.— Eh bien... en vérité, je suis

peut-être snob, oui. Maintenant,rentrons à la maison.

Une limousine l’attend dehors...nous attend. Je m’assois en faced’elle et remarque son sourire, lesourire malin de Derek.

Le soir venu, Brandi et MrsWorthington sortent dînerensemble tandis que je surveilleJulian. Je le mets au lit et vais dansma chambre pour téléphoner àVictor. J’ai besoin de parler de

l’entretien à Northwestern. Julianentre alors dans son petit pyjamaavec des personnages de dessinsanimés.

— Je n’arrive pas à dormir, dit-iltimidement près de mon lit.

Je raccroche et regarde monneveu.

— Tu veux dormir dans mon lit ?Il me fait oui de la tête.

Je soulève la couette et il grimpededans. Il passe un bras autour demoi tout en suçant son pouce del’autre main.

— Je t’aime, Julian.Et je l’embrasse sur le sommet

du crâne. Il sort son pouce de sabouche et me regarde avec des yeuxadorables.

— Je t’aime aussi, Tatie Ashtyn.

CHAPITRE 55DEREK

Je n’ai jamais stressé avant un

match. J’étais calme et je parvenaisà repousser tous les doutes que jepouvais avoir. J’arrivais à meconcentrer pleinement sur le jeu.J’étais toujours sûr et certain degagner, et ça se vérifiait à chaquefois.

Je n’ai jamais cru possible deperdre. Mais à cet instant précis,alors que je marche vers la maison

et aperçois le cabanon à l’arrière, jeme dis que les chances sont contremoi. L’attente me fait transpirer. Etsi je finissais par perdre ? J’ai beaume répéter d’y croire, je doute.

Tout est prêt sauf une chose.Je sonne à la porte mais

personne ne répond, du coup je mepermets d’entrer. Gus, assis sur songrand siège en cuir, regarde latélévision. Je m’assois sur lecanapé, prends la télécommande etéteins.

Gus se tourne d’un coup vers

moi.— Qu’est-ce que tu fiches ? Je

croyais que tu avais déménagé auTexas chez ta grand-mère, lacheftaine.

— Il faut que je vous parle, Gus.C’est important.

Je repose la télécommande sur latable. Il se redresse sur son fauteuilet garde les mains sur le ventre.Puis il regarde sa montre.

— Qu’est-ce que tu veux, Derek ?Tu as trois minutes chrono.

Longtemps, je me suis fichu de ce

que les gens pensaient. Maintenant,tout a son importance. Même siAshtyn n’a pas besoin del’approbation de son père, il le faut.Probablement plus qu’elle nesouhaite l’admettre.

Je m’essuie le front et prendsune profonde inspiration. J’airépété ce que j’allais dire mais j’aioublié mon discours. Je regarde lepère d’Ashtyn, toujours sombre, etme racle la gorge.

— Monsieur, j’ai des sentimentspour Ashtyn. Il lève un sourcil.

— Depuis quand ?— Depuis un moment déjà. Il me

jette un regard glacial.— Et tu veux mon

consentement ?— Oui, monsieur. Non pas que

j’en aie besoin, mais cela me feraitplaisir, oui.

Il me sonde de haut en bas ets’enfonce dans son fauteuil ensoupirant.

— Je n’ai pas fait ce qu’il fallaitavec elle. Si sa mère était là, Brandine serait pas partie et Ashtyn

n’aurait pas joué au football. Je mesuis dit que, si je n’en parlais pastrop, elle déciderait d’arrêter. Je mesuis trompé.

— Vous avez toujours lapossibilité de vous rachetez, Gus.Elle a besoin de vous. C’est une filleforte et indépendante qui se batpour ses convictions, mais ce seracarrément plus simple pour elle sivous êtes là pour l’encourager. Sivous la regardiez, vous verriez quec’est une grande joueuse. Je l’aime,monsieur, plus que tout. Et je serai

à ses côtés, avec ou sans vous.Gus hoche la tête. Je crois qu’il

vient de me donner son aval mais jene suis pas sûr. Il faudra s’encontenter.

Je retourne chez Victor pour mechanger. L’heure est arrivée. C’est lequatrième et dernier quart du jeu...le match de ma vie.

CHAPITRE 56ASHTYN

Je n’ai jamais vu quelqu’un

manger aussi lentement que MrsWorthington. Elle a insisté pourqu’on déjeune au restaurant degrillade en face du Millenium Park.Cette femme prend une bouchée deson burger et mâche jusqu’à ce quesa nourriture se liquéfiecomplètement avant de prendre unenouvelle bouchée. Elle regarde samontre toutes les deux secondes,

comme si elle se chronométrait. J’aijuste envie de rentrer à la maison,fermer les yeux et imaginer leretour de Derek. C’est inutile, jesais.

— Bon, j’ai décidé de louer unemaison dans ta drôle de petite ville,annonce Mrs Worthington avant deprendre une autre bouchée.

Hein, comment ça ?— Vous vous installez à

Fremont ?— Je t’ai dit que tu avais besoin

de moi. Tu fais désormais partie de

ma famille. Et, contrairement à ceque tout le monde pense, je prendssoin de ma famille. Ne te vexe pas,mais ta sœur est fofolle et ton pèreaurait besoin qu’on le secoue unebonne fois pour toutes. Si tu veuxmon avis, le Texas doit vous veniren aide.

Cette vieille dame vient vivreavec nous, pour garder un œil surnous, et s’assurer que tout va bien.La simple idée me met la larme àl’œil.

— Et Derek alors ?

Elle lève ses yeux bleus et vifs auciel, à la Derek.

— Mon petit-fils est un électronlibre. Je n’arrive pas à le suivre. Unjour il déménage au Texas, lelendemain il rentre en Californie.Pour autant que je sache, il pourraittout aussi bien finir à Chicago.

J’évite de répliquer que celan’arrivera pas. Ça me faitaffreusement mal de l’admettre,mais Derek a pris la décision departir et il ne reviendra pas.J’esquisse un petit sourire.

Elle vérifie à nouveau sa montre.— Je dois utiliser les

commodités, je reviens.Elle emporte son ombrelle

accrochée au dossier de sa chaise.— Vous avez besoin d’aide ? lui

dis-je, en me demandant pourquoielle aurait besoin d’une ombrelleaux toilettes.

Elle l’agite dans ma direction.— Je suis peut-être vieille mais je

n’ai certainement pas besoin d’uneescorte pour me rendre au petitcoin.

J’ai déjà appris que cela neservait à rien de résister à MrsWorthington. Elle se dirige vers lestoilettes, et je reviens à mon burger.J’ai commandé celui préparé avecune viande de vache nourrie àl’herbe fraîche. Derek serait fier. Ilne se rend pas compte del’influence qu’il a eue sur ma vie.Tout ce que je dis ou fais merappelle un souvenir du tempspassé ensemble. Est-ce que ladouleur qui ronge mon cœur s’enira un jour ou aurai-je a jamais une

plaie béante ?Avec le temps, ça ira mieux, mais

je me suis faite à l’idée que jesentirai toujours une douleur queseul Derek peut apaiser.

Soudain, une femme aux cheveuxlongs et bruns que je ne connais pass’assoit en face de moi, devant leburger de Mrs Worthington. Je suisprise au dépourvu. Je m’apprête àlui dire que la place est occupéelorsque, tout à coup, j’ai un flash.

Non. Ce n’est pas possible ! Ça nepeut pas être...

— Katie Calhoun ? je hurle.Elle se sert une frite dans

l’assiette de Mrs Worthington.— Alors comme ça Northwestern

n’a pas voulu t’offrir de bourse ?C’est vraiment dommage.

Je reste bouche bée. Je seraisincapable de parler même sij’essayais.

— Écoute, Ashtyn, est-ce que jepeux être honnête avec toi ?

J’acquiesce lentement, toujourssous le choc.

— Ne baisse pas les bras,

poursuit-elle en agitant uneseconde frite sous mon nez. Tun’imagines pas le nombre de gensqui pensaient que j’abandonnerais.Mais je ne l’ai jamais fait : mêmelorsque je n’avais pas le soutienabsolu de mes coéquipiers, je n’aipas laissé tomber.

Alors elle se penche et murmure :— Je pense que tu es plus forte

que tu ne le crois. Derek est de monavis.

Derek ? Petit à petit, jecommence à comprendre qu’il a

quelque chose à voir avec cettehistoire.

— C’est lui qui a tout organisé,n’est-ce pas ? Elle acquiesce puistourne sa chaise.

— Regarde l’écran, dit-elle enpointant vers la télé qui diffuse lesmeilleurs moments de la chaînesportive ESPN.

Katie fait un signe de tête auserveur, comme un code entre eux,et je n’ai pas la moindre idée de lasuite des événements. Là, l’écrandevient noir, et soudain « Les

meilleurs moments d’AshtynParker » apparaissent brièvementsur la télé.

Les meilleurs moments ? Déjàque je n’ai pas eu de grandmoment...

Les larmes me montent aux yeuxet mon cœur se serre à mesure quedéfilent des images de moi jouanten première année au lycée. Puisl’année suivante... Je regardechaque séquence où je réussis destirs les uns après les autres, souventsuivis des acclamations de mon

équipe.C’est Derek qui a fait tout ça. Il a

pris le temps de visionner chaquematch et a pris les extraits les plusmémorables. Il a même choisi unebande-son.

Quand l’écran redevient noir, jeme dis que c’est fini. Apparaît alors« UNE FILLE DÉVOUÉE », et desimages de moi en train dem’entraîner pendant notre voyagejusqu’au Texas. Je me plaque lamain contre la bouche. Derek nejouait pas à des jeux sur son

portable, il n’envoyait pas de textospendant que je m’entraînais. Il mefilmait avec son téléphone alors queje lui criais dessus la plupart dutemps.

Enfin, une phrase conclut lavidéo : « ASHTYN PARKER,KICKER ».

Tout le monde m’applaudit.Derek a tout organisé. Comment a-t-il trouvé Katie Calhoun ?Comment l’a-t-il fait venir ici ?Pourquoi ?

— Tu as du talent, Ashtyn, je suis

impressionnée.Je lui pose quelques questions,

elle m’adresse un dernier motd’encouragement puis se lève.

— Tu sais où est allée MrsWorthington ? lui dis-je.

— Elle est au bar.Katie salue la vieille dame, qui lui

répond avec son ombrelle.Alors que je jubile encore, Katie

pose une enveloppe sur la table et laglisse vers moi.

— Bonne chance, Ashtyn, tu astout mon soutien. Et elle s’en va.

Personne dans le restaurant ne l’areconnue alors qu’elle est une desrares femmes à avoir joué aufootball américain dans le cercleuniversitaire. C’est une pionnière,une légende.

Mes doigts planent jusqu’àl’enveloppe. Je reconnais l’écriturede Derek : « Après avoir lu cemessage, traverse la rue vers leBean. »

Le Bean est une grande sculptureen métal argenté dans le MilleniumPark. Je jette un œil vers Mrs

Worthington qui brandit notreaddition et m’invite à sortir.

Je range la lettre dans ma pocheet me précipite hors du restaurant.Je n’ai qu’une envie : courir jusqu’àDerek et le prendre dans mes bras.Il doit être là, au Bean. J’ai tout lemal du monde à ne pas courir dansla rue bondée. J’attends au feucomme tout le monde sur letrottoir, le cou étiré.

Je ne le vois pas.Je fonce de l’autre côté de la rue

quand le feu passe au vert,

cherchant désespérément un signedu garçon qui a trouvé un but...j’espère être ce but.

J’ai dit à Derek de se battre pource qu’il désire, de foncer, et il l’afait. La vérité me submerge. Je lecroyais parti alors que, depuis ledébut, il s’arrangeait pour meprouver à quel point il tient à moi.

Lorsque j’arrive enfin au Bean, jedécouvre ma sœur,

Julian, Falkor, et mon père.Julian tient une boîte de Skittlesdans les mains, qu’il me tend.

— Derek m’a dit de te donner ça.Ouvre-la. J’ouvre la boîte et regardeson contenu. Pas un seul bonbonviolet.

Brandi me montre alors un arbreau loin.

— On est censés te dired’attendre sous l’arbre là-bas.

— Attendre quoi ?Mon père hausse les épaules.— Où est Derek ?J’ai besoin de le voir, de lui

parler, de lui dire que je suis prête àme battre pour lui, pour nous.

Ensemble, on peut y arriver. Sij’attends plus longtemps, je vaisexploser.

Mais ni ma sœur, ni mon neveu,ni mon père ne me donnentd’indice, alors je suis leursinstructions. Quand j’arrive sousl’arbre, je découvre des Skittlesviolets arrangés pour former ungros cœur.

— Hé, Ashtyn ! éclate la voix deDerek à travers le parc. Lève latête !

Il apparaît tout au bout du parc,

dans un uniforme de footballaméricain du lycée Fremont, avec lecasque et les épaulettes. Et il tientdans les mains un ballon.

Avec une précision d’expert, ilenvoie la balle qui vole droit dansmes mains, parées à laréceptionner, mais je suis tropnerveuse et la laisse tomber.

Il retire son casque.— Tu l’as ratée, sourit-il.Il trottine et s’arrête devant moi ;

j’ai le souffle coupé face à ses yeuxbrillants, et ses superbes traits.

— Je sais.— C’était un lancer parfait.Il a jeté le ballon depuis l’autre

côté du parc, pratiquement del’autre côté de la rue et au-dessusde dizaines de gens. Et il a atteint sacible dans le mille.

— Pourquoi tu ne l’as pasrattrapé, Sucre d’orge ?

— Parce que je suis nerveuse etj’ai le cœur qui bat terriblement.

Le coin de sa bouche remontelégèrement.

Je contemple le joueur de

football américain devant moi.Pourtant, il ne joue plus. Peut-êtrepar le passé mais c’était avant lamort de sa mère. Je ne vais pas lepousser à revenir sur le terrain. Ilm’a dit que sa décision étaitirrévocable alors...

— Pourquoi est-ce que tu portesce maillot et tout cet équipement,Derek ? Qu’est-ce que tu fais là ?

— J’ai rejoint l’équipe, explique-t-il avec un haussement d’épaules. Jeme suis dit que c’était le seulmoyen de passer du temps avec ma

copine. Elle est kicker pour l’équipede Fremont, tu sais. Et elle estsacrement douée.

Je porte la main à son visage.— Merci pour la compilation des

meilleurs moments. Et pour avoircontacté Katie Calhoun. Je ne saispas comment tu as fait.

— Disons que tes coéquipiersaiment beaucoup leur capitaine.

Il me prend la main.— Et la lettre ?— La lettre ? dis-je en la sortant

de ma poche. Je ne l’ai pas encore

ouverte.Retrouver Derek était plus

important.Il m’invite à la lire. Je déchire

l’enveloppe et en sors un papier.Une fois que j’ai tout lu, jecomprends soudain tout ce qu’il afait cette semaine.

Je baisse la feuille et lève lesyeux vers lui.

— Tu m’as trouvé une place dansune école de première division.

— Non, tu as trouvé une placedans une école de première

division. Je n’ai fait qu’envoyer tesmeilleurs moments. Et passéquelques coups de fil.

— Tu as fait ça pour moi ?— Ashtyn Parker, je ferais

n’importe quoi pour toi. Il prendmon visage dans ses mains ets’avance plus près.

— Je t’aime.— Tu sais ce que ça signifie, pas

vrai ?— Quoi donc ?— Que tu dois te battre pour la

première place. Actuellement,

Brandon Butter a une longueurd’avance. Je ne peux pas sortir avecle quarterback remplaçant. J’ai uneréputation à défendre, tucomprends.

— Tu n’as pas confiance en moi ?— Oh, je ne doute pas que tu y

arriveras. Après tout, Cow-boy, tu asfait l’impossible, tu m’as faittomber amoureuse de toi.

— L’impossible, tiens ? Il se metà rire.

— D’après mes souvenirs, tu ascraqué la première fois que tu as

posé ton regard sur moi dans lecabanon.

— Tu réécris l’histoire, Derek. Jecrois me rappeler que je t’ai plantéune fourche dans le pied lapremière fois que j’ai posé monregard sur toi.

— Mais parce que tu étaisstupéfaite par le charme et labeauté du Fitz.

— Ça va, les chevilles ? Jetrouvais qu e tu ressemblais à uneracaille. Et si tu parles encore detoi à la troisième personne ou si tu

te fais appeler le Fitz, je te plaque.Je le sonde de haut en bas.— Même si tu es le mec le plus

sexy de la planète dans cette tenue,et si nous étions à la maison, je...je...

— Tu quoi ? dit-il en se penchantpour que ses lèvres touchent lesmiennes.

Je passe mes bras autour de soncou et l’embrasse.

— Le Fitz est de retour ! déclare-t-il, fier de lui.

— Ouais, ben tu lui diras que sa

petite amie veut qu’il gagne cettesaison.

Il me fait u n de ses irrésistiblessourires et me dit :

— Il a déjà gagné.

Merci à Emily Easton ainsi qu’àtoute l’équipe de Walker Books forYoung Readers pour avoir bravé lestempêtes lorsque j’ai reprisl’écriture de ce livre à denombreuses reprises. Je tienségalement à exprimer ma gratitudeenvers mon agent, Kristin Nelson,qui m’a vraiment tenue par la mainlorsque j’avais besoin de sesencouragements et d’un soutien

REMERCIEMENTS

inconditionnel. Je suisprobablement responsable dequelques cheveux blancs... j’en suisdésolée !

Karen Harris et Ru t h Kaufmanne sont pas seulement des amiesextraordinaires mais égalementd’excellentes critiques. Sans vousdeux, Derek et Ashtyn ne seraientsans doute pas tombés amoureux.Sincèrement, je ne trouve pas lesmots pour exprimer à quel point jesuis reconnaissante de votre amitiéet de votre aide sans borne. Vous

êtes toutes deux si généreuses etdes personnes incroyables quiresteront les amies d’une vie.

Mon assistante, Melissa Jolly,m’a aidée à trouver de nouvellesidées, m’a raisonnée, a critiqué montravail quand j’en avais besoin.Merci un million de fois depréserver ma santé mentale depuisquatre ans.

Je n’oublie pas Rob Adelman, quicontinue de me montrer que la vie,ce n’est pas ce que nous savons, quinous connaissons, ni à quoi nous

ressemblons. C’est comments’amuser en famille et avec les gensqu’on aime le plus... Rob, je n’ai pasbesoin de te dire que tu es lesummum du génial car tu me leprouves tous les jours. Je t’aime.

Ma famille mérite une grandedédicace ! Merci à Moshe,Samantha (qui est allergique aucolorant violet, comme Ashtyn),Brett et Frances, vous êtes fousmais je ne voudrais pas monter surce grand huit de la vie sans vous.

Enfin, je souhaite remercier tous

mes fans, les professeurs et lesbibliothécaires qui noussoutiennent, mes livres et moi, vousêtes la raison pour laquelle jecontinue d’écrire ! Je ne serais paslà où j’en suis aujourd’hui si vousn’en parliez pas à vos amis, vosélèves ou vos collègues.

Comme toujours, vous pouvezme retrouver sur Facebook etTwitter – à très vite !

[i] Most Valuable Player, titre du

meilleur joueur, autrefois exclusifau milieu professionnel maisrécemment étendu au cercleamateur. (NdT.)

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