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C. R. Acad. Se. Paris, t. 293 (5 octobre 1981) Série III - 245
NEUROPHYSIOLOGIE. — Période de sensibilité du cortex visuel primaire du Chat à la
suppression unilatérale des afférences proprioceptives extraoculaires. Note (*) par Yves
Trotter, Yves Frégnac et Pierre Buisseret, transmise par Pierre Buser.
Chez des Chatons élevés normalement, la suppression unilatérale partielle des afférences proprioceptivesextraoculaires passant par la branche ophtalmique du trijumeau, lorsqu'elle est pratiquée entre 4 et 8 semaines
d'âge, provoque une baisse significative de la proportion de cellules binoculaires au niveau de l'aire 17. Cette
proportion tombe à 50% après un délai postopératoire de 1 mois. Une désorganisation identique de la
« binocularité » apparaît chez des Chatons élevés dans l'obscurité et opérés à l'âge de 6 semaines. Nous en
concluons que cette perturbation de l'intégration binoculaire est provoquée par des facteurs non visuels
vraisemblablement liés à la dissymétrie entre les informations proprioceptives issues de chaques oeil.
Unilatéral suppression of exlraocular proprioceptive ajferents, which run through the ophthalmic branch of the Vth
nerve, disrupted binocular intégration in the primary Visual cortex ofnormally reared kiltens, when it was performedbetween 4 and 8 weeks of postnatal âge. One month later, half the visual cortical celis were exclusively aclivated
through one eye. A similar disorganization of binocularity was observed in visually deprived Kittens when unilatéral
lésion was performed at 6 weeks of âge. We conclude that the loss of binocular intégration is causedby non visual
factors, probably related to asymmetry between proprioceptive informations from each eye.
Au cours des premières semaines du développement postnatal, chez le Chat et le Singe
notamment, les neurones du cortex visuel primaire sont sensibles à diverses manipulations de
l'environnement. La privation monoculaire, par exemple par suture palpébrale d'un oeil,
provoque une profonde altération de l'intégration binoculaire [ 1]. Chez le Chaton, la période
de sensibilité à cette privation débute au tournant de la troisième semaine, atteint un
maximum vers la 5e-6e semaine, et se termine aux alentours de la 12e semaine ([2], [3]). En
interdisant le fonctionnement simultané ou cohérent des deux yeux par une privationmonoculaire alternée ou un strabisme chirurgical, Hubel et Wiesel ont conclu que « l'absence
de synergie dans les prises d'informations visuelles par les deux yeux suffit à provoquerde profondes altérations au niveau des connexions responsables de l'intégration bino-
culaire » [4]. Depuis, il a été démontré que les effets du strabisme résultent non seulement
d'une absence de coïncidence temporelle et spatiale entre les signaux rétiniens, mais
également d'une perturbation des signaux extrarétiniens liés à la motilité oculaire [5]. En
effet, après une section unilatérale du muscle droit interne effectuée chez des Chatons âgésde 3 semaines, placés ensuite dans l'obscurité pendant 3 mois, Maffei et Bisti ont mis en
évidence une baisse significative de la proportion de cellules binoculaires corticales. La
dissymétrie des informations proprioceptives extraoculaires pourrait ainsi contribuer aux
effets observés. Afin de préciser le rôle éventuel de la proprioception extraoculaire dans le
maintien des connexions fonctionnelles binoculaires au cours du développement, nous
avons étudié les conséquences d'une déafférentation partielle unilatérale de la musculature
extrinsèque oculaire à différents âges postnataux.
TECHNIQUES. — Chez le Chat, une partie des afférences proprioceptives de la musculature
extraoculaire emprunte la branche ophtalmique du trijumeau [6]. En pratiquant une section
de cette branche dans son trajet intracrânien, il est ainsi possible d'interrompre au moins
partiellement les afférences sensitives, sans toucher aux efférences motrices. Des sections
unilatérales de la branche ophtalmique par voie temporale ont ainsi élé réalisées chez
17 chatons d'âges se situant entre 3 et 12 semaines, soit élevés normalement (N = 13), soit
élevés dans l'obscurité (N = 4). Les effets de ces opérations sur l'intégration binoculaire des
neurones de l'aire visuelle primaire (aire 17) ont été étudiés 4 à 7 semaines plus tard. Chez
2 chatons élevés dans l'obscurité et opérés à l'âge de 6 semaines, l'analyse a été faite 4 et
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8 jours après la chirurgie. Les techniques électrophysiologiques ont été semblables à celles
déjà décrites [7]. 770 cellules ont été analysées, se répartissant en 619 cellules visuelles et
91 cellules non visuelles. Un nombre équivalent de cellules a été enregistré dans' l'hémisphèrecérébral contralatéral (« = 362) et ipsilatéral (« = 317) à la lésion. Les champs récepteurs se
situaient dans leur majorité entre 5 et 10° de l'area centralis.
RÉSULTATS. — 1. Proportion de cellules binoculaires du cortex visuel chez les Chatons élevés
normalement. — 4 à 7 semaines après une section unilatérale de la branche ophtalmique du
trijumeau, pratiquée entre les âges de 4 à 8 semaines, le taux de cellules binoculaires se situe
entre 40 et 60%, alors que des sections pratiquées en dehors de cette période critique ne
modifient pas la « binocularité » observée chez des Chatons intacts (70 à 80 %) (fig. 1). Bien
qu'aucun strabisme apparent n'ait résulté de la déafférentation unilatérale de la musculature
extraocuiaire, il nous a paru nécessaire de vérifier que les effets observés ne pouvaient en
aucune manière provenir d'une disparité visuelle discrète due à une fine incoordination de la
motilité oculaire. Pour cela, nous avons effectué une section de la branche ophtalmique chez
des Chatons privés d'expérience visuelle (avant et après la chirurgie).
2. Proportion de cellules binoculaires du cortex visuel chez les Chatons élevés dans
l'obscurité totale. — 4 chatons élevés dans l'obscurité totale depuis leur naissance ont subi
une section de la branche ophtalmique du trijumeau à l'âge de 6 semaines et ont été replacésdans l'obscurité. 1 mois environ après la chirurgie, une baisse significative du taux de cellules
binoculaires fut observée (84 cellules, 2 chatons); 50 % environ des cellules corticales étaient
Fig. 1. — Effet de la suppression unilatérale des afférences proprioceptives extraoculaires sur la proportion de
neurones binoculaires du cortex visuel primaire. — Les cellules enregistrées ont été rangées en cinq classes en
fonction des réponses excitatrices obtenues pour chaque oeil. La classe 1 regroupe les cellules activées uniquement
par l'oeil du côté de la section; la classe 2 les cellules dominées par cet oeil; la classe 3 les cellules activées également
par les deux yeux; la classe 4 les cellules dominées par l'oeil du côté opposé à la section, et la classe 5 les cellules
activées uniquement par cet oeil. Le taux de cellules monoculaires (1+5)/(l+2 + 3 + 4 + 5) est représenté en
fonction de l'âge (en semaines) auquel a été effectuée la section de la branche ophtalmique chez des Chatons élevés
soil normalement (@) soil dans l'obscurité totale (•, ). L'exploration électrophysiologique a été effectuée
4 à 7 semaines plus tard (@, ® ) sauf chez 2 chatons () dont le délai postopératoire a été de 4 et 8 jours. La
zone grisée représente les limites de variation du taux de « monocularilé » observée chez l'animal intact
(élevé normalement ou dans l'obscurité totale).
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monoculaires. Par contre, si le délai postopératoire était restreint à 1 semaine, aucune
modification de la binocularité ne pouvait être décelée; chez les 2 chatons étudiés dans cette
condition, seulement 24 % des cellules corticales étaient restées monoculaires (71 cellules)
{M 1).
3. Dissymétrie de la dominance oculaire chez les Chatons élevés normalement ou dans
l'obscurité totale. — Chez le Chaton intact, lorsqu'un nombre équivalent de cellules est
enregistré dans chaque hémisphère, la population de neurones dominés par un oeil est
équivalente à celle qui est dominée par l'autre oeil. Nous avons observé que la suppressionunilatérale des atïérences proprioceptives avait pour eiïel de perturber notablement cet
équilibre chez la plupart des Chatons étudiés ( Jig. 2). En effet, 11 chatons sur les 17 analysés
présentaient une forte dissymétrie de dominance oculaire en faveur d'un oeil et ceci
indépendamment du côté où avait été pratiquée la section. Cette dominance d'un oeil par
rapport à l'autre pouvait varier jusqu'à un facteur 9 et n'était pas liée à des différences
interhémisphériques.
CONCLUSIONS. — Chez des Chatons élevés soit en présence soit en absence d'expérience
visuelle, la suppression partielle unilatérale des afférences proprioceptives provoque4 semaines plus tard une désorganisation significative de l'intégration binoculaire des
cellules visuelles corticales. Cette modification fonctionnelle qui dépend de l'âge auquel est
etléctuée la lésion permet de décrire une période critique dont le décours temporel est
analogue à celui décrit pour une privation visuelle monoculaire ([2], [3]). Une autre
conséquence de cette déafférentalion partielle des voies proprioceptives issues de la
Fig. 2. — Effet de la section unilatérale de la branche ophtalmique du trijumeau sur la dominance relative de chaque
oeil au niveau des réponses corticales. — Le rapport du nombre de cellules dominées par l'oeil intact (classes 4 et 5)
sur le nombre de cellules dominées par l'oeil ipsilatéral à la lésion de la branche ophtalmique (classes 1 et 2), est
représenté en ordonnées logarithmiques en fonction de l'âge (en semaines) auquel a été effectuée la section
[R=(4+5)/(l+2)]. 40 cellules visuelles ont été analysées en moyenne par Chaton. Les histogrammes de
dominance oculaire établis pour chaque hémisphère sont comparables dans 14 cas sur 17. La zone grisée
représente les limites de variation de ce coefficient observée chez les Chatons intacts. Pour les symboles, voir
légende figure 1.
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musculature extraoculaire est une dominance anormale d'un oeil sur l'autre,
indépendamment du côté de la lésion et de l'âge auquel elle est effectuée.
Ces résultats conjugués à des données récentes obtenues chez l'Homme dans l'étude du
strabisme, notamment dans le cas de l'exotropie unilatérale ([8], (9]) suggèrent une
implication possible des informalions afférentes proprioceptives dans les mécanismes
responsables de l'amblyopie monoculaire. Une étude de l'acuité visuelle chez des Chats
privés unilatéralement de ces afférences devrait permettre de confirmer ou d'infirmer cette
hypothèse.
M. Imbert nous a apporté son soutien tout au long de ce travail.
(*) Reçu le 30 juillet 1981, remise le 21 septembre 1981.
[1] T. N. WIESEL et D. H. HUBEL, J. Neurophysiol., 26, 1963, p. 1003-1017.
[2] D. H. HUBEL et T. N. WIESEL, J. Physiol. (Lond.), 206, 1970, p. 419-436.
[31 C. BLAKEMORE, R. C. VAN SLUYFERS et J. A. MOVSHON, Cold Spring Harbor Symp. Quant. Biol., 40, 1975,
p. 601-609.
[4] D. H. HUBEL et T. N. WIESEL, /. Neurophysiol., 28, 1965, p. 1041-1059.
[5] L. MAFFEI et S. BISTI, Science, 191, 1976, p. 579-580.
[6] C. BATINI et P. BUISSERET, Arch. liai. Biol., 112, 1974, p. 18-32.
[7] Y. FREGNAC, Y. TROTTER, E. BIENENSTOCK, P. BUISSERET, E. GARYBOBO et M. IMBERT, Exp. Brain Res., 42,
1981. p. 453-460.
[81 Y. MITSUI, K. HIRAI, K. AKAZAWA et K. MASUDA, Jpn. J. Ophihalmol., 23, 1979, p. 227-256.
[9] T. SUZUKI, S. ISHIKAWA et K. KAWAÏ, Newo-ophthalmoL, 1, 1980, p. 63-71.
'Laboratoire de Neurophysiologie,
Collège de France, 11, place Marcelin-Berthelot, 75231 Paris Cedex 05.
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