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(1) Avocat au barreau de Bruxelles (Bazacle & Solon). Juge suppléant au tribunal de première instance du Hainaut. Maître de conférences à l’ULB. Chargé d’enseignement dans le Master en gestion fiscale de la Solvay Brussels School (SBS- EM), Doctorant à l’UCL.

(2) Loi du 17 juin 2013 portant des dispositions fiscales et financières et des dispositions relatives au développement durable, M.B., 28 juin 2013.

(3) En réalité, le vocable utilisé n’est techniquement pas exact. En effet, l’article 450, § 1er, du C.I.R. ne contient pas de nouvelle infraction pénale fiscale mais bien le faux en écriture fiscal (ou son usage). Néanmoins, pour faciliter le raisonnement, nous réunissons les deux fraudes fiscales et le faux en écriture sous le même vocable d’infractions fiscales.

(4) Notons qu’il n’y a pas de « fraude fiscale grave » insérée dans le Code des droits de succession.(5) Loi du 11 janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du

financement du terrorisme, M.B., 9 février 1993 (version coordonnée disponible sur le site de la Cellule de Traitement des Informations Financières – www.ctif- cfi.be).

(6) Loi du 15 juillet 2013 portant des dispositions urgentes en matière de lutte contre la fraude (M.B., 19 juillet 2013, 2e éd.).

DROIT PÉNAL DE L’ENTREPRISE

Fraude fiscale grave et blanchiment de capitaux : une solution venue du Grand- Duché de Luxembourg ?Arnaud Lecocq(1)

« Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice ».

(Montesquieu, Considérations sur les causes de la grandeur des Romains)

La question de la définition de la fraude fis-cale grave (« organisée ou non ») a fait couler beaucoup d’encre ces vingt dernières années. Concept, historiquement présent uniquement dans le cadre de la lutte –  préventive et répres-sive – anti- blanchiment, il fit son apparition dans les différents codes fiscaux (à l’exception du Code des droits de succession) en juin 2013(2) comme nouvelle « infraction fiscale » (nouvel art.  449, §  2, C.I.R./92 pour les impôts sur les revenus). Le droit pénal fiscal contient, depuis lors, trois infractions principales(3)  : la fraude fiscale simple (art.  449 C.I.R.), la fraude fiscale grave (art.  449, § 2, C.I.R.(4)) et la fraude fiscale aggravée (art. 450, § 1er, C.I.R.). Cette « trinité » sera un élément clé de notre raisonnement ci- dessous.

À l’occasion de « l’incrimination » de la fraude fiscale dite « grave », le législateur a remplacé le

concept historique de « fraude fiscale grave et organisée qui met en œuvre des mécanismes complexes ou qui use de procédés à dimension internationale » par la nouvelle infraction fiscale pénale tant dans le volet répressif (art. 505, al. 1er, 2° à 4°, C. pén.) que dans le volet préventif (loi du 11 janvier 1993(5))(6).

Cette décision de subroger ce concept par la nouvelle infraction fait également suite aux tra-vaux de la Commission d’enquête parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale. Selon cette Commission, « une répression efficace de la fraude permet de préserver l’État- providence social et économique, mais la lutte contre la fraude fiscale est en outre essentielle à la sauvegarde des intérêts individuels particuliers et économiques ».

Cette même Commission constate, en parlant de la « fraude fiscale grave et organisée », qu’un

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(7) A . LECOCQ et E. CECI, « Fraude fiscale “grave”, premiers éclaircissements », Act. fisc., n° 10, 2015.(8) Pour plus de précisions, voy. notamment A . LECOCQ et E. CECI, « Fraude fiscale “grave”, premiers éclaircissements », op. cit.,

n° 10, 2015.

problème caractéristique de la législation pénale fiscale est… son manque de clarté  : « La défi-nition des infractions dans le droit pénal fiscal manque parfois de précision. Le traitement des dossiers QFIE Italie a illustré le fait que la démons-tration d’une infraction est parfois difficile à établir. Il convient de clarifier la zone grise entre la voie la moins imposable et la fraude fiscale, et de prévoir des circonstances aggravantes »(7).

Nous étions à ce moment en 2013… et la question de la définition et de la portée de la « fraude fiscale grave » reste entière.

I. Recours constitutionnel

En réaction à ce manque de clarté d’une disposition désormais « pénale » et imposant des comportements administrativement sanc-tionnés aux assujettis du volet préventif anti- blanchiment, deux recours constitutionnels furent introduits(8).

Le premier, initié par la Ligue des contribuables, avait comme objectif de faire prononcer l’inconsti-tutionnalité de l’infraction fiscale nouvelle en tant que telle. Sur base du principe de légalité, était- il possible de caractériser un délit par la simple mention de sa « gravité » ?

Par un arrêt du 5 février 2015 (n° 13/2015), la Cour constitutionnelle, tout en admettant l’exis-tence d’un élément d’imprévisibilité découlant du terme « grave », rejeta le recours en affirmant que, dès l’instant où le comportement infrac-tionnel du justiciable emporte l’existence d’une fraude fiscale, et partant, l’illégalité d’un com-portement, le principe de légalité ne fait aucu-nement obstacle au pouvoir d’appréciation du juge quant au degré de gravité requis pour qua-lifier l’infraction de fraude fiscale « grave ». En somme, le curseur protégé par le droit constitu-tionnel est celui qui délimite la différence entre infraction vs. légalité.

Un second recours fut introduit par l’« Orde van Vlaamse balies », la « Fédération belge du Secteur Financier », l’« Association belge des banques et des sociétés de bourse » et l’union professionnelle agréée « Union professionnelle du crédit ». L’objectif de ce recours fut de faire

reconnaître une inconstitutionnalité liée à l’impos-sibilité pour un assujetti à la loi anti- blanchiment (préventive et répressive) de maîtriser les obli-gations qui lui incombent et qui sont – générale-ment  – sanctionnées de manière répressive (au sens de la Convention européenne des droits de l’homme) ou qui permettent de bénéficier d’une forme d’immunisation pénale (exception pour la fraude fiscale « simple » contenue à l’article 505, alinéa  3, du Code pénal en cas de respect du volet préventif ). Dans les deux cas, la distinction de base reprise tant dans le volet préventif que répressif concerne la « fraude fiscale simple » ver-sus « la fraude fiscale grave, organisée ou non ». Il était donc – constitutionnellement – essentiel de permettre une distinction claire et précise.

Malheureusement, par un arrêt du 26  mars 2015 (n° 41/2015), la Cour a rejeté les considéra-tions des parties en se référant à son arrêt fiscal précédent.

II. Tentative de définition par référence aux travaux parlementaires et à des « indicateurs »

En réaction à cette absence de définition claire et précise de ce que devrait être une « fraude fiscale » dite « grave », en comparaison avec une fraude fiscale « simple » ou en opposition à une « fraude fiscale aggravée », la doctrine fut amenée à prendre en compte différents éléments permet-tant d’éclaircir ce mystère.

Reprenons à cet effet l’excellent résumé publié par la Cellule de Traitement des Informations Financières sur son site le 17 janvier 2014, soit avant la décision de la Cour constitutionnelle :

« Suivant les travaux préparatoires de la loi du 15  juillet 2013 portant des dispositions urgentes en matière de lutte contre la fraude (Chambre des représentants –  Doc  53  2763/001  – page  5), la gravité de l’infraction fiscale doit être appréciée sur base de la confection et/ou l’usage de faux documents, mais aussi du montant élevé en jeu et du caractère anormal de ce montant, eu égard aux activités ou à l’état de fortune du client, mais également de la présence d’un des indicateurs de l’arrêté royal du 3 juin 2007.

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(9) La CTIF utilise le terme « dépend de » alors que les travaux parlementaires (53-2756/001, pp. 60-61) indiquent « le caractère grave de la fraude porte essentiellement sur », ce qui est plus aléatoire. Ce même aléa est présent dans les lois- programmes du 27 avril 2007 (Doc. parl., Chambre, n° 51-3058/1, p. 52) : « le caractère grave de la fraude porte principalement sur ».

(10) GAFI (2015), Mesures de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme en Belgique, Rapport du quatrième cycle d’évaluations mutuelles, p. 104, pt. 5.77.

Lors des discussions en Commission des finances et du budget, il a été précisément sti-pulé que ces indicateurs ont un caractère supplétif (Chambre des représentants – Doc 53 2763/005 – pages 13 et suivantes).

Les travaux préparatoires renvoient donc à diverses notions qui permettent d’apprécier le niveau de gravité de l’infraction. La gravité de l’infraction dépend de différents éléments(9)  :– la confection et/ou l’usage de faux documents

(Chambre des représentants – Doc 53 2763/001 – page 8) est l’élément matériel le plus tangible. L’usage de faux documents en vue de com-mettre la fraude fiscale peut prendre plusieurs formes  : fausses factures, fausses déclarations, fausses déclarations TVA, fausses déclarations sur les revenus, faux bilans, … ;

– le montant élevé en jeu et le caractère anormal de ce montant, eu égard aux activités ou à l’état de fortune du client (Chambre des représentants – Doc 53 2763/001 – page 8) sont des notions qui ne peuvent pas être définies par rapport à un seuil.Le caractère organisé de la fraude fiscale est

défini comme “l’utilisation d’un montage qui pré-voit des transactions successives et/ou l’interven-tion d’un ou plusieurs intermédiaires, dans lequel sont utilisés soit des mécanismes complexes, soit des procédés à dimension internationale (même s’ils sont utilisés au niveau national). Les méca-nismes complexes se traduisent par l’usage de mécanismes de simulation ou de dissimulation faisant appel notamment à des structures socié-taires ou des constructions juridiques” (Chambre des représentants – Doc 53 2763/001 – page 8).

Dans la nouvelle définition de la fraude fiscale, le degré d’organisation devient un des critères de sa gravité, sans être nécessairement requis pour la qualifier (Chambre des représentants – Doc 53 2763/001 – page 9).

En utilisant ces termes, le législateur indique clairement que le dispositif LAB/FT est destiné à lutter contre le blanchiment issu de formes graves de criminalités sous- jacentes, la gravité étant appréciée en fonction du montant en jeu ».

En somme, depuis avril  2015, la gravité ne peut être analysée que suivant les trois critères suivants  :– la confection et/ou l’usage de faux (ce qui est

donc un critère identique à celui présent pour matérialiser une fraude fiscale aggravée) ;

– le montant élevé en jeu et le caractère anormal de ce montant (sans donner de seuil) ;

– la présence d’une conjonction d’indicateurs repris dans l’arrêté royal du 3 juin 2007 portant exécution de l’article 28 de la loi du 11  janvier 1993 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme (qui est obsolète et n’a pas été remis à jour en près de dix ans).Aucun de ces critères ne permet de réellement

identifier une « fraude fiscale grave » face aux deux autres types de fraudes fiscales.

Cette préoccupation fut également mention-née au GAFI à l’occasion de la 4e  évaluation de la Belgique  : « Le secteur bancaire et assu-rance rencontré souligne des difficultés dans la détection d’opérations éventuellement liées à du blanchiment de fraude fiscale, et de ce fait dans les DOS à effectuer sur la base de tels soup-çons. La question de la définition de la nouvelle notion légale de fraude fiscale “grave, organisée ou non”, introduite par la loi du 15  juillet 2013, est avancée comme un élément d’insécurité juri-dique. Pour les autorités belges cependant, les institutions financières doivent faire une DOS dès lors qu’existe un soupçon de fraude fiscale grave (…) »(10).

Parmi les trois éléments repris ci- dessus, deux pourraient permettre de mieux cerner la portée de l’infraction, même si une définition claire reste indispensable. À l’aide des typologies publiées par la CTIF, ainsi que des travaux des experts en la matière, une actualisation de l’arrêté royal du 3 juin 2007 serait en outre un « must have ». Mais certainement pas une solution unique.

Un second critère devrait permettre d’avancer dans la clarification. Il s’agit de l’introduction d’un seuil.

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(11) Directive 2015/849/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, modifiant le règlement (UE) n° 648/2012 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 2005/60/CE du Parlement européen et du Conseil et la directive 2006/70/CE de la Commission, J.O.U.E., L 141, 5 juin 2015, pp. 73-117.

III. La Belgique confrontée à la 4e directive anti- blanchiment

La Belgique est actuellement confrontée à l’obligation de transposer avant la fin de l’année la nouvelle – 4e – directive anti- blanchiment(11).

Visant une transposition conforme, l’article  3, 4), f., de la directive visera le maintien de la fraude fiscale grave dans l’énoncé des « activités crimi-nelles » sous- jacentes du blanchiment de capitaux visé par la loi future  : « toutes les infractions, y compris les infractions fiscales pénales liées aux impôts directs et indirects et telles que définies par le droit national des États membres, qui sont punissables d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté d’une durée maximale supérieure à un an ou, dans les États membres dont le système juridique prévoit un seuil mini-mal pour les infractions, toutes les infractions qui sont punissables d’une peine privative de liberté ou d’une mesure de sûreté d’une durée minimale supérieure à six mois ».

À l’occasion de cette transposition, qui aura comme objet l’abrogation de la loi du 11  janvier 1993, le législateur aura une nouvelle fois l’occa-sion de clarifier cette infraction sous- jacente. Cela ne pourrait avoir lieu que par l’utilisation d’un outil spécifique qui viserait « l’interprétation conforme » tant de l’infraction fiscale en tant que telle que de ce vocable utilisé dans le volet pré-ventif ou répressif anti- blanchiment.

Tout comme en 2013, une interprétation devra concerner tant le volet fiscal que le volet anti- blanchiment. En cela, prendre comme optique une interprétation donnée dans les travaux par-lementaires concernant cette nouvelle loi de transposition ou dans l’exposé des motifs, serait une erreur légistique.

Il y a donc lieu, à l’occasion de ces travaux légis-latifs, à tout le moins  : (i)  d’adopter un nouvel arrêté royal contenant des indicateurs actuels et (ii) d’introduire un seuil.

IV. Grand- Duché de Luxembourg et Confédération helvétique : un seuil

Tant le Grand- Duché que la Suisse furent confrontés à cette même question liée à la fraude fiscale « caractérisée » comme infraction sous- jacente du blanchiment de capitaux.

Au niveau de la Suisse, la loi fédérale du 12  décembre 2014 sur la mise en œuvre des recommandations du Groupe d’action financière, révisées en 2012, fut adoptée par les Chambres fédérales et est entrée en vigueur en deux étapes (la dernière au 1er janvier 2016).

Suivant l’adaptation du Code pénal, le nouvel article 305bis, 1bis, prévoit désormais que  :

« 1bis. Sont considérées comme un délit fiscal qualifié, les infractions mentionnées à l’art. 186 de la loi fédérale du 14  décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct et à l’art. 59, al. 1, 1er paragraphe, de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’harmoni-sation des impôts directs des cantons et des com-munes, lorsque les impôts soustraits par période fiscale se montent à plus de 300 000 francs ».

Le seuil est clairement défini dans la législation.Au niveau du Grand- Duché de Luxembourg,

un même effort fut entrepris dans le cadre des travaux au projet de loi n°  7020 portant mise en œuvre de la réforme fiscale 2017 (déposé au Parlement le 27 juillet 2016).

Suivant ce projet, la « fraude fiscale aggra-vée » et « l’escroquerie fiscale » font leur entrée comme infractions sous- jacentes du blanchiment à l’article 506-1 du Code pénal.

L’escroquerie fiscale était déjà connue au Luxembourg mais ne faisait pas partie des infrac-tions primaires au blanchiment. Désormais, avec la création d’une nouvelle forme de « fraude fiscale », le Luxembourg comptera, comme la Belgique, trois formes d’infractions fiscales  :– la fraude fiscale simple ;– la fraude fiscale aggravée ;– l’escroquerie fiscale.

Afin de distinguer ces différentes formes, des seuils furent introduits dans la législation fiscale (suivant donc le même raisonnement en cascade que celui appliqué en 2013 en Belgique). La loi générale des impôts du 22  mai 1931 est modi-

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fiée afin d’inclure un alinéa 5 au paragraphe 396 : « si la fraude porte sur un montant d’impôt supérieur au quart de l’impôt annuel effective-ment dû sans être inférieur à 10 000  euros ou sur un remboursement indu supérieur au quart du remboursement annuel effectivement dû sans être inférieur à 10 000  euros ou si le montant d’impôt annuel effectivement dû ou le rembour-sement annuel à opérer est supérieur à la somme de 200 000 euros, elle sera punie comme fraude fiscale aggravée d’un emprisonnement d’un mois à trois ans et d’une amende de 25 000  euros à un montant représentant le sextuple des impôts éludés ou du remboursement indûment obtenu ».

L’alinéa  6 du même paragraphe reprend les éléments constitutifs de l’escroquerie fiscale  : « si la fraude porte sur un montant significatif soit en montant absolu soit en rapport avec l’impôt annuel dû ou avec le remboursement annuel dû et a été commise par l’emploi systématique de manœuvres frauduleuses tendant à dissimuler des faits pertinents à l’autorité ou à la persuader de faits inexacts, elle sera punie comme escroquerie fiscale d’un emprisonnement d’un mois à cinq ans et d’une amende de 25 000 euros à un montant représentant le décuple des impôts éludés ou du remboursement indûment obtenu ».

Comme le mentionne l’exposé des motifs : « le caractère de gravité de la fraude fiscale aggravée provient du fait qu’elle porte sur un montant signi-ficatif ; le terme “significatif” étant à comprendre au sens de “important, substantiel”. Aux fins de caractériser une fraude est désormais prise en considération la tromperie ayant conduit à ce qu’un des impôts, droits et taxes aient été élu-dés ou à ce que des remboursements d’impôts, droits ou taxes aient été indûment opérés. Afin d’être conforme à l’exigence constitutionnelle de la légalité des peines, le législateur avait retenu, lors de l’adoption de la loi du 22  décembre 1993 sur l’escroquerie en matière d’impôts, que le montant significatif devait l’être “soit en mon-tant absolu soit en rapport avec l’impôt annuel dû”. Conformément à cette exigence en ce qui concerne l’infraction de fraude fiscale aggravée, des seuils sont désormais expressément prévus par la loi. Ces seuils sont définis soit par un mon-tant absolu, soit par un pourcentage par rapport à l’impôt annuel dû ou au remboursement annuel obtenu. En cas de dépassement d’un de ces seuils, le montant de la fraude fiscale aggravée est ipso facto considéré comme significatif et des pour-suites pénales sont susceptibles d’être engagées ».

Concernant l’escroquerie fiscale, ces mêmes exposés des motifs précisent : « l’escroquerie a un caractère de gravité supplémentaire par rapport à la fraude fiscale aggravée en ce que l’auteur “a de façon systématique employé des manœuvres frau-duleuses dans l’intention de dissimuler des faits pertinents à l’autorité ou de la persuader de faits inexacts”. En somme, c’est l’astuce qui s’ajoute à la tromperie. Par manœuvres, en général, on entend les moyens employés pour surprendre la confiance d’une personne. Les manœuvres doivent encore être frauduleuses en ce sens qu’elles doivent avoir pour but de tromper le tiers, en l’occurrence l’Administration fiscale. Il résulte des travaux parlementaires relatifs à la loi du 22  décembre 1993 sur l’escroquerie en matière d’impôts que le législateur a volontairement employé l’expression “manœuvres frauduleuses” par référence au délit d’escroquerie prévu à l’article 496 du Code pénal. La doctrine a retenu que les manœuvres fraudu-leuses doivent répondre aux conditions suivantes : 1° être frauduleuses, 2°  revêtir une forme exté-rieure, 3° être déterminante de la remise, 4° avoir pour objet d’abuser de la confiance ou de la cré-dulité (cfr MARCHAL et JASPAR, Droit criminel, T.  1, n° 1306) ».

Dans cette optique, deux législations récentes introduisent des seuils afin de distinguer les types de fraudes.

Notons que cette même approche fut suivie par l’Autriche ou par la Tchéquie.

V. Conclusion

La Suisse et le Luxembourg viennent d’adop-ter des législations permettant de cerner objec-tivement la différence entre une fraude fiscale « simple » et « caractérisée ». Face à l’insécurité juridique existante depuis vingt ans en Belgique en lien avec la définition du concept, puis de l’infrac-tion de « fraude fiscale grave », il serait opportun de profiter des travaux entourant la transposition de la 4e directive anti- blanchiment pour « définir » les éléments permettant de distinguer la « fraude fiscale grave » de la « fraude fiscale aggravée » ou de la « fraude fiscale simple ».

Comme mentionné historiquement dans les travaux parlementaires, et pour maintenir une forme de pragmatisme, il est nécessaire de se baser sur les outils d’ores et déjà présents. Parmi ceux- ci figure l’arrêté royal contenant les 13  indi-cateurs –  qui devrait enfin être actualisé  – ainsi

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que les deux critères repris dans les travaux par-lementaires  : (i)  la présence d’un faux et (ii)  le montant élevé en jeu et le caractère anormal de ce montant.

En ce qui concerne ce dernier critère, les nou-velles dispositions fiscales suisses et luxembour-geoises devraient conduire le législateur belge à envisager d’introduire un seuil comme critère de base de qualification et de distinction des types de fraudes fiscales.

Cette qualification ne peut avoir lieu – comme en 2013  – que par l’adoption d’une réforme fis-cale dont découle la clarification attendue dans la législation anti- blanchiment. Nous pensons que cette réforme devrait prendre la forme d’une réé-criture générale des dispositions contenues aux articles  449 et  450, §  1er, du C.I.R. (et normes équivalentes dans les autres codes fiscaux). La fraude fiscale grave devrait être, idéalement, caractérisée par la présence d’un seuil.

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