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10/7/2014 Jean-Baptiste Carpeaux, sculpteur érotomane, arriviste et incompris
http://abonnes.lemonde.fr/culture/article/2014/07/09/jean-baptiste-carpeaux-sculpteur-erotomane-arriviste-et-incompris_4453641_3246.html 1/7
Jean-Baptiste Carpeaux, sculpteurérotomane, arriviste et incomprisLE MONDE | 09.07.2014 à 11h19 • Mis à jour le 09.07.2014 à 14h30 |
Par Philippe Dagen
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10/7/2014 Jean-Baptiste Carpeaux, sculpteur érotomane, arriviste et incompris
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De Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875), les Parisiens et les touristes –
ceux qui prennent le temps de lever les yeux – connaissent La Danse,
conçue pour l'Opéra construit par Charles Garnier, et le groupe des
quatre parties du monde sur la fontaine de l'Observatoire. En passant, ils en
admirent peut-être les nus en mouvement, mais ignorent sans doute
combien les deux sculptures ont été d'abord maltraitées.
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10/7/2014 Jean-Baptiste Carpeaux, sculpteur érotomane, arriviste et incompris
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Quand La Danse est dévoilée en 1869 , son obscénité supposée suscite une
polémique telle qu'une nuit une bouteille d'encre noire est lancée contre elle
et qu'elle aurait été retirée si la chute de Napoléon III n'avait fait oublier
l'affaire. Même drame pour la fontaine : quand le modèle final est révélé en
1872, la critique y voit « quatre femmes déshabillées, dégingandées, se
"La Danse", pierre d’Echaillon, par Jean-Baptiste Carpeaux, 420 x 298 x 145 cm
(1869). | PATRICE SCHMIDT/RMN GRANd PALAIS/MUSEE D'ORSAY
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démènent d'un air ahuri et furieux ».
PRIX DE ROME APRÈS SIX ÉCHECS SUCCESSIFS
Le titre de l'exposition très complète que le Musée d'Orsay lui consacre – la
première depuis très longtemps – contient donc un sous-entendu. C'est «
Un sculpteur pour l'Empire », et non « de l'Empire », car le pouvoir n'a pas
été pour Carpeaux le mécène et le protecteur dont celui-ci avait rêvé.
A 30 ans, ce provincial, fils d'une dentellière et d'un maçon, enfin Prix de
Rome après six échecs successifs au concours, veut furieusement être le
grand sculpteur officiel français, comblé de commandes et d'honneurs –
d'argent aussi. Il est prêt à tout faire pour y parvenir, des bustes et têtes
de Napoléon III, de l'impératrice Eugénie, de leur fils le Prince impérial, de
la princesse Mathilde et des dames de la cour. Du prince, dont il se fait
nommer professeur de dessin, il multiplie les effigies. La mère veut une
statue en pied, le père un buste. Carpeaux exécute les deux et ajoute le
chien préféré de l'enfant. Variantes et réductions en bronze ou marbre se
succèdent.
ARTISTE COMPROMIS AVEC UN RÉGIME DÉTESTÉ
Conséquence de ces manœuvres : quand l'Empire tombe, en 1870,
Carpeaux se retrouve dans la position de l'artiste compromis avec un
régime détesté et doit se réfugier un temps à Londres avec les siens,
suivant la famille impériale dans son exil. Quand il revient à Paris, il n'y a
plus, naturellement, que peu d'amis. Il meurt bientôt, couvert de dettes et
abandonné par son aristocratique épouse.
Le pire est qu'en dépit de ces preuves de docilité l'empereur l'aide assez
peu. Il défend le groupe que Carpeaux place sur le pavillon de Flore, au
Louvre, et que l'architecte Hector-Martin Lefuel veut décapiter parce qu'il
rompt les lignes de son dessin. Mais il le lâche quand La Danse est attaquée
et ne lui commande pas le buste d'Eugénie tant espéré. Si Carpeaux finit par
l'exécuter, c'est à son compte, l'impératrice posant de guerre lasse, revêche.
Ne voir dans cette histoire qu'une fable morale – le courtisan puni,
l'arriviste dégringolé – serait cependant esquiver la question principale :
pourquoi, en dépit de tous ses efforts, Carpeaux n'arrive-t-il pas à plaire ?
La réponse est dans ses dessins, ses peintures, ses modelages de terre et
nombre de ses plâtres : quand il ne se retient pas, l'art de Carpeaux est cru,
violent, dramatique ou érotique. Il ne peut pas s'en empêcher, dirait-on. Les
censeurs pudibonds de La Danse l'ont senti du fond de leur bigoterie : cet
homme n'est pas de leur côté. Il exalte la nudité féminine en pressant
l'argile comme une chair. Il réduit l'anatomie aux gorges, aux ventres, aux
cuisses.
AGRÉGATS DE NUS DES DEUX SEXES
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Des ménades acéphales se tordent ou étirent des membres longs et souples
comme les tentacules du poulpe obscène d'Hokusai. Quand il esquisse des
groupes, qu'il s'efforce ensuite de rendre moins scandaleux, ce sont des
agrégats de nus des deux sexes pressés les uns contre les autres. Quand il
peint, c'est avec une intensité expressionniste qui balafre la toile de grands
gestes rouges et ocre et change les bals masqués aux Tuileries en parades
sexuelles ou en préparatifs d'orgies.
Ses études dessinées d'après modèle ont une densité physique très sensible
et l'on ne s'étonne pas que ses deux artistes préférés soient Michel-Ange et
Géricault. Les sujets qu'il se donne hors de toute commande publique, ce
sont Ugolin – scène d'anthropophagie d'après Dante – ou un jeune Pêcheur
"Ugolin et quatre enfants", esquisse terre cuite, par Jean-Baptiste Carpeaux, 56 x 41
x 28 cm (vers 1860). | PATRICE SCHMIDT/RMN GRAND PALAIS/MUSEE D'ORSAY
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à la coquille au sourire et au geste équivoques. Le voisinage, d'une vitrine à
l'autre, dans le même espace exigu, des études réalisées à l'atelier sans
contrainte, et des oeuvres rendues publiques est plus convaincant qu'aucun
discours : Carpeaux l'officiel et Carpeaux l'obsédé s'affrontent sans répit.
Cette tension extrême se déclare avec évidence dans les autoportraits
peints, manifestes paroxystiques. Il s'y montre les yeux exaltés, dignes de
l'autoportrait en fou (Le Désespéré) de Courbet, son exact contemporain,
tout aussi érotomane que lui, comme on sait.
"Dernier autoportrait", 187 4 Jean-Baptiste Carpeaux. | HERVE LEWANDOWSKI/
RMN/ MUSEE D'ORSAY
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A quelques pas de ces tableaux tragiques se trouve un buste de marbre,
une dame à six rangées de perles et couronne de fleurs, le genre de
Carpeaux qui ne nous intéresse plus aujourd'hui. Mais le nez est cassé, le
menton écrasé, le cou coupé.
La marquise de La Valette, une dame chic, n'avait pas été contente de ce
portrait, où elle ne se jugeait pas assez rajeunie. A peine était-elle sortie de
son atelier que Carpeaux le massacra de rage à la masse. C'était en 1861, au
début de sa carrière. Que, commencée de la sorte, elle ait fini
douloureusement ne surprend donc pas. Carpeaux valait mieux que ses
ambitions sociales, bien mieux. Il est heureux qu'une exposition le rappelle
enfin.
Carpeaux, un sculpteur pour l'Empire, Musée d'Orsay, 1, rue de la
Légion-d'Honneur, Paris 7 . musee-orsay.fr (m u see-or sa y .fr ) Du mardi au
dimanche de 9 h 30 à 18 heures, le jeudi jusqu'à 21 h 45. Entrée : de 8,50 à
11 euros. Jusqu'au 28 septembre.
Philippe Dagen
Journaliste au Monde
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