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Université de Rouen U.F.R. de Psychologie, Sociologie,
Sciences de l’Education Département des Sciences de l’Education
Laboratoire CIVIIC
Scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers :
du compromis entre intégration et inclusion scolaire
à l’émergence d’un nouveau modèle éducatif
Thèse de Sciences de l’Education pour l’obtention du grade de
Docteur de l’Université de Rouen
Présentée et soutenue publiquement par M. Eric GILLES
sous la direction de M. Jean-Pierre ASTOLFI
2007
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À Karine, Vivien, Flavie,
pour leur soutien…
« La nature de l’Autre était rebelle au mélange. Pour l’unir harmoniquement
au Même, le démiurge usa de contrainte » (Platon, extrait des Dialogues)
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REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier toutes les personnes dont le concours actif a permis de mener cette étude à son terme : M. le professeur Jean-Pierre ASTOLFI pour la confiance qu’il m’a témoignée en me chargeant de cette recherche, pour sa disponibilité et ses précieux conseils. M. le professeur Jean HOUSSAYE pour son aide et son soutien dans le cadre du MASTER II qui m’ont permis de donner des bases solides à cette recherche. L’équipe des professeurs qui sont intervenus dans les différents séminaires lors de ces années de recherche et qui ont contribué à l’étayage théorique de ce travail. L’ensemble des cadres de l’Éducation nationale et des professionnels de terrain qui m’ont permis, au travers de riches échanges, de nourrir ma réflexion. Mme. Fiorella REY, Inspectrice d’académie – Inspectrice pédagogique régionale qui m’a aidé à articuler les problématiques, auxquelles est confrontée l’institution scolaire, avec cette recherche universitaire, notamment lors de mon année de formation statutaire en tant qu’Inspecteur de l’Éducation nationale premier degré. Enfin, mon entourage familial, pour la patience et le soutien qu’il m’a accordés tout au long de ces années de travail.
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TABLE DES MATIERES
Dédicace P. 3
Remerciements P. 5 Table des matières P. 7 Préface illustrée P. 11 Introduction P. 13 Première partie : Le combat pour l’éducabilité P. 19 I Enseignement et conceptions éducatives avant les Lumières P. 20 1/ Du déclin des écoles antiques à l’éducation chrétienne P. 20 2/ L’affirmation de la suprématie de l’Église en éducation P. 21 3/ La rénovation pédagogique au XVI e siècle P. 23 II Les Lumières : un tournant dans les conceptions éducatives P. 26 1/ La mise en cause du primat du religieux dans l’enseignement P. 26 2/ La situation des petites écoles P. 27 3/ Le temps de la sécularisation de l’enseignement P. 28 4/ Acquis et concessions de la période révolutionnaire en éducation P. 29 5/ La philosophie des Lumières, terreau de la modernité P. 33 III Evolution des conceptions éducatives et Humanisme P. 35 1/ L’Emile ou la contribution de Rousseau au débat éducatif P. 35 2/ Pestalozzi : de la théorie à la pratique P. 39 3/ La reconnaissance du handicap sensoriel P. 43 4/ De Diderot à Haüy : vers une approche pédagogique du handicap P. 45 5/ Itard ou les débuts de l’éducation de l’enfance inadaptée P. 48 6/ Seguin : de l’incurabilité à l’éducabilité P. 53 IV Educabilité : de l’entreprise individuelle à l’action publique P. 55 1/ La politique éducative de la Restauration à la III e République P. 55 2/ De la démonologie à l’approche psycho - thérapeutique P. 59 3/ Loi du 30 juin 1838 : entre prise en charge et exclusion P. 64 4/ Bourneville ou le combat pour la réadaptation médico-pédagogique P. 66 Première synthèse P. 71
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Deuxième partie : De l’éducation pour tous à l’inclusion scolaire P. 74 I L’Éducation pour tous : Une mission de l’État P. 75 1/ La politique éducative à l’aube du XX e siècle P. 75 2/ Les lois Ferry sur l’éducation P. 78 3/ Les idées modernes sur les enfants et la pédagogie P. 80 4/ La question de la prise en charge de l’enfance inadaptée P. 84 II La création d’un enseignement spécial en France P. 88 1/ Bourneville au cœur de la bataille de l’enseignement spécial P. 88 2/ Les conditions de l’adoption de la loi de 1909 P. 91 3/ 1909 ou la rupture à l’origine du concept d’inclusion P. 94 4/ Une autre rupture : l’opposition entre pédagogie et psychologie P. 97 III L’engagement de l’État en faveur d’une politique d’intégration scolaire P. 100 1/ Les débuts de l’enseignement spécial en France P. 101 2/ Les années 70 et l’émergence de la notion d’intégration scolaire P. 105 3/ La pédagogie au service de l’intégration scolaire P. 110 4/ Le tournant des années 90 ou la volonté d’une intégration massive P. 113 IV L’institution scolaire entre intégration et inclusion P. 115 1/ Le débat autour de l’intégration collective P. 115 2/ L’émergence du concept d’inclusion scolaire P. 119 3/ La radicalisation du débat entre intégration et inclusion P. 123 4/ L’inclusion scolaire : une réponse à la Loi du 11 février 2005 ? P. 127 Deuxième synthèse P. 130
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Troisième partie : Vers une nouvelle politique de l’intégration P. 134 I L’inclusion scolaire ou la permanence d’une conception éducative P. 135 1/ Entre refonte des annexes XXIV et Loi d’orientation de 1989 P. 135 2/ Intégration scolaire : le bilan contrasté des années 90 P. 141 3/ Le plan Handiscol’ et la relance de l’intégration scolaire P. 144 4/ Le problème de l’évaluation statistique de l’intégration scolaire P. 151 II Les supports de la politique inclusive au XXIe siècle P. 155 1/ Une évolution statistique encourageante P. 155 2/ Le développement des unités pédagogiques d’intégration P. 162 3/ L’accompagnement de l’intégration scolaire en milieu ordinaire P. 166 4/ Vers une refonte des dispositifs de l’AIS dans le 1er degré P. 174 III La relance du débat à l’aube de la loi du 11 février 2005 P. 183 1/ La question du positionnement des auxiliaires de vie scolaire P. 184 2/ Le problème de la formation des auxiliaires de vie scolaire P. 189 3/ La position des associations de parents d’enfants handicapés P. 196 4/ Des Auxiliaires de Vie Scolaire aux Emplois Vie Scolaire P. 199
IV Loi du 11 février 2005 : mise en œuvre d’une politique inclusive ? P. 203 1/ Le contexte de l’adoption de la Loi du 11 février 2005 P. 204 2/ Le débat parlementaire et l’émergence du compromis P. 211 3/ Les principes généraux de la loi du 11 février 2005 P. 224 4/ Les positions divergentes des acteurs du handicap P. 238 Troisième synthèse P. 250
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Quatrième partie : L’émergence d’un nouveau modèle éducatif P. 256 I L’expression du compromis éducatif dans les textes officiels P. 257 1/ Les décrets d’application de la loi du 11 février 2005 P. 257 2/ Application de la loi n° 2005-102 : compromis ou compromission ? P. 269 3/ La nouvelle figure du compromis dans l’institution scolaire P. 282 4/ L’ambivalence du discours ou l’expression d’une tension P. 289 II La scolarisation spéciale ou l’exception éducative française P. 295 1/ L’institution scolaire au cœur d’une double contrainte P. 297 2/ La scolarisation spéciale : un nouveau modèle éducatif P. 306 3/ L’ambivalence des dispositifs collectifs d’intégration P. 322 4/ La formation des enseignants aux besoins éducatifs particuliers P. 341 5/ La question de la spécificité des enseignants spécialisés P. 358
III Le concept de besoins éducatifs particuliers en France P. 363 1/ Les enjeux liés aux questions de terminologie P. 366 2/ Les élèves à besoins éducatifs particuliers en France P. 372 3/ Les élèves handicapés P. 373 4/ Les élèves nouveaux arrivants P. 376 5/ Les enfants du voyage P. 391 6/ Les élèves en grande difficulté P. 404 7/ Les élèves précoces P. 411 IV L’approche des besoins éducatifs particuliers en Europe P. 413 1/ Le panorama général des politiques d’intégration en Europe P. 414 2/ Le Royaume-Uni et les special educational needs P. 424 3/ L’Espagne et le développement des pratiques inclusives P. 429 4/ L’Italie à l’origine de l’inclusion scolaire P. 432 Quatrième synthèse P. 436 Conclusion P. 447
Sources et bibliographie P. 490 Glossaire des sigles P. 522 Voyages d’étude P. 540 Annexe P. 541
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Nous avons l’audace, nous, de promettre une grande didactique, je veux dire un traité de l’art complet d’enseigner tout à tous. Et de l’enseigner de telle sorte que le résultat soit infaillible. Et de l’enseigner vite, c'est-à-dire sans aucun dégoût et sans aucune peine pour les élèves et pour les maîtres, mais plutôt avec un extrême plaisir pour les uns et pour les autres.
Comenius, Didactica magna, 1632
On se plaint de l’état de l’enfance ; on ne voit pas que la race humaine eût péri, si l’homme n’eût commencé par être enfant.
J.-J. Rousseau, Emile, Livre Premier L’enfance a des manières de voir, de penser, de sentir, qui lui sont propres ; rien n’est moins sensé que d’y vouloir substituer les nôtres ; et j’aimerais autant exiger qu’un enfant eût cinq pieds de haut, que du jugement à dix ans. J.-J. Rousseau, Emile, Livre Deuxième, 1762
Le Neuhof près de Birr – Gravure colorée de J. Aeschmann d’après J. H. Schulthess – 1780
Centre de documentation et de recherche Pestalozzi – Yverdon-les-Bains - Suisse
Aucune faiblesse corporelle, aucune faiblesse de l’esprit justifient qu’un homme soit dépouillé de sa liberté et soit casé en prison ou en hôpital […], car la place de ces êtres est dans des maisons d’éducation qui doivent évaluer ce dont ils sont capables.
Pestalozzi – Neuhof – 1777
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INTRODUCTION
La scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers préoccupe les
pouvoirs publics depuis plus d’un siècle. C’est en effet en 1904, dans le
prolongement des lois Ferry sur l’Éducation, qu’une première instance officielle, la
commission Bourgeois, est instituée, pour étudier les conditions dans lesquelles les
prescriptions de la loi du 28 mars 1882 sur l’obligation de l’enseignement primaire
pourraient être appliquées aux enfants « anormaux » des deux sexes. Ce qui est
plus nouveau, en revanche, c’est l’émergence, depuis quelques années, du terme
d’inclusion. Ce concept d’origine anglo-saxonne apparaît de façon récurrente dans
les débats qui animent les professionnels de l’éducation, non seulement dans le
secteur de l’adaptation et de l’intégration scolaire (AIS), devenue en 2004 et surtout,
en 2006, l’adaptation et la scolarisation des élèves handicapés (ASH), mais aussi,
plus largement, dans les questionnements des enseignants du milieu ordinaire, en
lien avec la gestion de l’hétérogénéité. La question s’affirme comme centrale, dans la
mesure où elle concerne un très large éventail de la population scolaire, s’étendant
des enfants en situation de handicap à des enfants confrontés à l’école à de grandes
difficultés d’apprentissage, mais aussi aux élèves nouveaux arrivants non
francophones, aux enfants du voyage, et même aux élèves précoces. Et, si cette
notion d’inclusion fait ainsi irruption dans le débat éducatif, sans d’ailleurs que
l’institution scolaire ne s’en empare clairement et officiellement, c’est qu’elle recouvre
un certain nombre de principes qui semblent, a priori, pouvoir apporter une réponse
satisfaisante, immédiate et peu coûteuse à la problématique apparue dans l’histoire
de l’Éducation avec l’expérience de Pestalozzi au Neuhof, de l’accès à l’éducation
des enfants en situation de handicap, que ce dernier soit d’origine sociale, physique,
ou plus tard mentale. Cela fait en effet plus de deux cents ans que cette figure
incontournable et visionnaire de la pédagogie moderne affirmait que « les pauvres
souffrent généralement du fait qu’ils ne sont pas éduqués en vue de la satisfaction
de leurs besoins », que « l’éducation des pauvres doit se faire, dans le cadre général
de l’éducation humaine, en tenant compte de leur état » et que « l’éducation des
pauvres exige une connaissance exacte, profonde et détaillée de la pauvreté, des
besoins et des difficultés des pauvres, de la situation vraisemblable qu’ils connaîtront
à l’avenir » (Pestalozzi, 1777).
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Les conceptions dont sont porteuses ces citations extraites des Lettres écrites
par Pestalozzi, à l’époque de l’expérience du Neuhof, s’inscrivent déjà dans une
logique du traitement des difficultés auxquelles peut être confronté un enfant dans
son parcours de formation. Même si Pestalozzi évoque ici le handicap social, il n’en
restera pas à ce stade et s’intéressera, avec d’autres intellectuels, philosophes ou
pédagogues, dignes héritiers des Lumières, à tout ce qui peut constituer une entrave
à l’instruction des enfants. Ces prises de position préfigurent déjà les combats à
venir pour l’éducabilité puis pour l’intégration, et vont même au delà. En effet,
lorsqu’on considère ce que prône Pestalozzi, à savoir la « connaissance exacte,
profonde et détaillée de la pauvreté, des besoins et des difficultés des pauvres » en
préalable à leur éducation, comment ne pas y entrevoir déjà ce qui constituera l’un
des principes de l’inclusion, c’est à dire l’adaptation de l’environnement scolaire et de
l’action pédagogique, aux besoins éducatifs particuliers des élèves ?
C’est bien l’un des premiers enjeux de cette recherche : tenter de montrer que
la notion d’inclusion scolaire trouve ses racines bien antérieurement au débat récent,
à savoir à l’époque du combat pour l’éducabilité. En ce début de XXIe siècle, le
concept d’inclusion se positionne comme une réponse séduisante face aux questions
de scolarisation des enfants à besoins éducatifs particuliers. Philosophiquement,
l’inclusion emporte une adhésion large, en raison notamment des fondements
idéologiques et des conceptions éducatives sous-jacentes, que le concept recouvre
et dont il convient d’ébaucher une première définition.
L’inclusion est un concept qui est apparu dans les années 1980/1990 aux
États-Unis et dans certaines provinces canadiennes. Aujourd’hui, un bon nombre
d’États européens se le sont appropriés et l’opposent à la notion d’intégration. C’est
d’abord une conception éthique et philosophique de la différence, qui postule qu’en
chaque enfant existe un potentiel qui ne demande qu’à être développé. Cette
confiance en l’éducabilité cognitive amène à se positionner différemment face à
l’hétérogénéité des élèves, en changeant notamment de regard sur l’enfant à besoin
éducatif particulier qui n’a plus à « s’intégrer ». En effet, le concept d’inclusion
implique que c’est, en l’occurrence, au système scolaire d’englober tous les élèves et
de promouvoir leur réussite au sein même de l’école ordinaire.
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Pour définir ce que recouvre cette notion d’école efficiente dans le domaine de
l’inclusion, nous pouvons nous appuyer sur les travaux de l’Office of Standarts in
Education cité par le professeur Mel Ainscow de l’Université de Manchester : « Une
école est inclusive lorsque l’enseignement et l’apprentissage, la réussite et le bien
être de chaque jeune, constituent autant de préoccupations majeures. Les écoles
efficientes sont des écoles inclusives sur le plan éducatif. Cela n’apparaît pas
seulement à travers les performances mais aussi dans l’éthique et la volonté d’offrir
de nouvelles chances à des élèves qui ont pu rencontrer auparavant des difficultés…
Les écoles les plus efficientes ne considèrent pas l’inclusion éducative comme
donnée d’avance. Elles surveillent et évaluent constamment les progrès effectués
par chaque élève. Elles identifient tout élève qui pourrait décrocher, éprouver des
difficultés à s’investir ou se sentir d’une manière ou d’une autre à l’écart de ce que
l’école s’efforce de transmettre » (Ainscow, 2003, p. 3).
Comme nous le suggérions dans notre propre définition, les notions de
réussite et de bien être de l’enfant s’articulent et sous-tendent le concept d’inclusion.
On y trouve aussi cette dimension de conquête du progrès à partir d’un état des
lieux, d’une évaluation diagnostique qui a permis d’identifier les difficultés. Mais la
démarche inclusive implique aussi un suivi régulier des enfants afin d’adapter, si
besoin est, les formes de l’enseignement et d’optimiser l’apprentissage. D’ailleurs, la
place accordée aux protocoles d’évaluations nationales des élèves et aussi à la mise
en œuvre de projets individualisés, dont le programme personnalisé de réussite
éducative (PPRE) est l’expression la plus récente, montre que l’institution scolaire se
situe dans la même logique éducative. La définition, reprise par Mel Ainscow, évoque
aussi deux termes forts : « l’éthique » d’une part, car adopter une démarche inclusive
implique un grand professionnalisme, où l’enseignant doit s’investir dans une mission
difficile et sensible. D’autre part, « la volonté d’offrir de nouvelles chances », car cette
entreprise implique l’adhésion complète du professionnel qui devra réussir là où
d’autres ont échoué, là où « des élèves ont pu rencontrer auparavant des
difficultés ». En fait, si un concept comme l’inclusion scolaire surgit de cette manière
dans le débat autour de l’intégration scolaire, c’est que la scolarisation des élèves à
besoins éducatifs spécifiques est une mission prioritaire de l’Éducation nationale,
dont l’évaluation laisse parfois apparaître des failles plus ou moins visibles :
difficultés des personnels, frustration de certaines familles et même déscolarisation.
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Pourtant les efforts de l’institution sont indéniables : depuis cent ans voire
même cent cinquante ans, si on y englobe les Lois Ferry sur l’école laïque, gratuite
et obligatoire, les réponses apportées par l’Éducation nationale pour améliorer la
scolarisation ou la prise en charge des enfants « inadaptés », sont nombreuses et
variées. L’institution a clairement intégré les notions d’éducabilité et de perfectibilité
de ces élèves, dont elle tente de favoriser l’accès à la connaissance, tout en tenant
compte du projet individuel, autour d’une notion clé : l’intégration. Mais, le concept
même d’intégration semble en panne, comme le notait déjà Jean Houssaye, il y a
quelques années : « L’école n’a pas vraiment réussi à intégrer l’idée de la diversité
de la reconnaissance du pluralisme culturel qui implique que l’on ne discrimine pas,
mais qu’on englobe, qu’on ne classe pas, mais qu’on accepte, qui implique
l’ouverture de l’école au monde qui l’entoure, l’ouverture également aux parents »
(Houssaye, 1992, p. 299). Pour le moins, la question fait débat, comme le montre
l’effervescence actuelle autour de la remise en cause des classes d’intégration
scolaires dans le premier degré (CLIS). Celles-ci incarnent aux yeux de certains
spécialistes, restés dans l’esprit du texte, des classes spéciales qui ont pour mission
d’accueillir « de façon différenciée dans certaines écoles élémentaires ou
exceptionnellement maternelles, des élèves handicapés physiques ou handicapés
sensoriels ou handicapés mentaux qui peuvent tirer profit, en milieu scolaire
ordinaire, d’une scolarité adaptée à leur âge et à leurs capacités, à la nature et à
l’importance de leur handicap » (circulaire n°91-304, définition). Mais elles incarnent
aussi, pour d’autres, des classes destinées à éviter de scolariser, dans une classe
ordinaire, des enfants rencontrant des difficultés face aux apprentissages. De notre
point de vue, ces classes s’inscrivent dans le modèle de la scolarisation spéciale,
que nous tenterons de mettre en évidence à l’issue de ces travaux.
C’est dans ce contexte que l’inclusion scolaire s’affirme, chez certains
professionnels éminents, comme l’évolution indispensable pour garantir une
intégration effective de l’enfant dans le milieu ordinaire. Plus largement, à la lumière
de l’étude de l’histoire des idées éducatives, l’émergence du concept d’inclusion peut
apparaître comme l’aboutissement logique d’une dynamique qui a vu passer l’enfant,
du statut d’ infans, « celui qui ne parle pas », dont il fallait préserver l’âme de la
perversion, au statut d’être éducable, à la nature et au développement spécifiques.
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Un être encore dont l’éducation va progressivement intéresser quelques
philosophes, pédagogues ou médecins, qui apprendront bientôt que le
développement de ses facultés physiques ou intellectuelles est parfois entravé, mais
que cela ne doit pas remettre en cause la notion d’éducabilité et de perfectibilité de
l’individu. Et les pouvoirs publics accorderont bientôt une attention particulière à la
prise en charge de la « différence », en instituant une Éducation spéciale, incarnée
par la loi du 15 avril 1909, créant les classes de perfectionnement. L’un des objets de
cette recherche est donc bien de montrer la filiation du concept d’inclusion avec
d’autres concepts plus anciens qui ont constitué des évolutions positives dans
l’histoire de l’Éducation. Nous postulons ici que l’inclusion scolaire est le fruit d’une
lente évolution des mentalités d’abord, des connaissances sur l’enfant ensuite et de
la volonté de l’État enfin. Mais nous intégrerons également les débats parfois
virulents qui opposent, d’une part, les tenants de l’intégration et, d’autre part, les
défenseurs de l’inclusion. Cette opposition, presque philosophique, constitue en effet
un élément pouvant remettre en cause l’hypothèse de la filiation entre les concepts.
Dans une première partie, basée sur l’histoire de l’Éducation depuis les débuts
de notre ère, nous nous livrerons à un état des lieux des différentes mesures prises
en faveur de l’instruction des enfants jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Nous montrerons
de quelle manière on passe de l’infans à la notion d’éducabilité de l’enfant, puis à
celle de besoin éducatif spécifique. Nous mettrons en évidence le décalage qui
existe entre les politiques mises en œuvre par les pouvoirs publics successifs et
l’œuvre concrète de grandes figures de l’Éducation comme Pestalozzi, Itard,
Bourneville ou Buisson. Nous leur consacrerons plus de lignes parce que nous
avons la conviction qu’ils sont les artisans du changement de regard porté sur
l’enfant. Dans la deuxième partie, nous verrons de quelle façon l’institution scolaire
s’empare définitivement de la problématique de l’instruction pour tous. Nous nous
attarderons sur la période à laquelle on assiste à une transition entre des
expériences isolées et un enseignement spécial, à destination des enfants à besoins
spécifiques, conçu à une échelle plus globale. Cette partie sera notamment
l’occasion de l’étude des grands textes fondateurs de l’école de la République et de
l’enseignement spécial. Nous tenterons d’y déceler les évolutions incontournables
qui constitueront, quelques décennies plus tard, les fondements de la politique
d’intégration mais aussi le terreau du concept d’inclusion.
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Nous soulignerons les enjeux, les luttes et les contradictions qui ont entouré
l’adoption de ces lois. Nous y proposerons aussi une analyse succincte du débat qui
anime la notion d’inclusion aujourd’hui en faisant dans un premier temps un état des
lieux des conceptions des usagers de l’école, qu’ils soient parents ou enseignants.
Puis nous tenterons de mettre en évidence les ruptures et les continuités liées à
l’émergence de ce concept. Dans la troisième partie, nous mettrons en évidence la
nouvelle politique d’intégration scolaire mise en œuvre par l’état français, à partir de
la loi d’orientation de 1989, du plan Handiscol’, et jusqu’à l’adoption de la loi du 11
février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté
des personnes handicapées. Nous insisterons particulièrement sur la permanence
des conceptions inclusives notamment au début des années 2000. Nous
analyserons surtout les débats qui ont entouré la loi n° 2005-102, destinée à rénover
la loi de 1975 sur le handicap. Nous tenterons notamment de déterminer si cette loi
de février 2005 constitue une loi inclusive, incarnant l’aboutissement d’un processus
éducatif, ou si elle participe davantage d’une rupture. Enfin, dans la quatrième partie
de ces travaux, nous mettrons en lumière l’émergence d’un nouveau modèle
éducatif. Nous tenterons alors de montrer, comment la France a d’abord mis en
place un compromis entre intégration et inclusion scolaire, pour aboutir à un nouveau
modèle éducatif dans le domaine de la scolarisation des élèves handicapés. Nous
opposerons, d’une part, ce modèle aux dispositions qui entourent la scolarisation des
autres publics d’élèves à besoins éducatifs particuliers. D’autre part, nous mettrons
en perspective la politique d’intégration de l’État français avec les politiques
européennes en la matière. Et, pour mettre en évidence le passage du compromis
éducatif à l’émergence du modèle de la scolarisation spéciale, la méthodologie mise
en œuvre consistera à analyser l’ensemble des textes officiels qui régissent
l’institution scolaire, dans le domaine de la scolarisation des élèves à besoins
éducatifs particuliers, depuis la fin du XIXe siècle jusqu’à aujourd’hui. Nous
montrerons notamment comment s’exprime la rupture du processus inclusif dans ces
textes et la manière dont l’Éducation nationale traduit les nouvelles exigences
législatives concernant la prise en charge du handicap. Nous nous appuierons
également sur ces analyses pour mettre en évidence la modularité de la politique
éducative française d’intégration en fonction de la catégorie d’enfants pris en charge
et la place qu’occupe réellement la scolarisation en milieu ordinaire.
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Première partie : Le combat pour l’éducabilité
La loi du 15 avril 1909 qui institue les écoles et les classes de
perfectionnement est, de l’avis de nombreux professionnels de l’Éducation spéciale,
une date charnière pour l’adaptation et l’intégration scolaires. Elle incarne le texte
fondateur de l’enseignement spécialisé qui, pour la première fois dans l’histoire de
l’Éducation, va se préoccuper du sort des enfants « différents ».
Pourtant, le fait de postuler que ces enfants sont, pour une partie d’entre eux,
« éducables » et qu’il faut que l’Institution apporte une réponse, n’est pas une idée
nouvelle. En revanche, on peut noter que, d’une manière générale, l’intérêt pour
ceux qu’on nomme « débiles », « arriérés » ou « instables », est très variable selon
les lieux et les époques et que leur devenir est souvent lié aux préoccupations d’une
personne, souvent médecin ou pédagogue, sans que sa position reflète la posture de
l’Institution ou de l’époque dans son ensemble. Comme nous le rappelle Jean
Houssaye, l’histoire de l’Éducation se cristallise souvent autour de l’action de ces
grandes figures.
Le postulat d’éducabilité a germé chez Rousseau qui place l’enfant au centre
du processus éducatif et se concrétise quelques années plus tard chez Pestalozzi,
son disciple. C’est une véritable révolution intellectuelle qui s’opère, un renversement
dans les conceptions éducatives en vigueur depuis la naissance de l’enseignement
en France. Dans ce cadre, un bref historique de l’organisation et des principes sous-
jacents de l’enseignement avant l’entrée de la société dans le siècle des Lumières
est nécessaire pour mieux comprendre ce basculement des mentalités
principalement. La mise en évidence de l’évolution nette de la société par rapport
aux questions d’éducation permet aussi d’expliquer la raison pour laquelle nous
avons souhaité situer le point de départ du processus de modernité pédagogique au
début du XVIII e siècle, c’est à dire au siècle des Lumières.
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I ENSEIGNEMENT ET CONCEPTIONS EDUCATIVES AVANT LES LUMIERES
1/ Du déclin des écoles antiques à l’éducation chrétienne
Jusqu’à la chute, au Ve siècle de l’Empire Romain d’occident, on observe une
certaine cohabitation entre les écoles antiques qui se distinguent par leur nombre
assez élevé et leur statut public, et les écoles chrétiennes, dont l’émergence a été
favorisée au début du IV e siècle par l’Edit de Milan (313) qui proclamait la liberté de
tous les cultes. Dans le système éducatif antique, les écoles primaires tenues par
des magister, voire même des instituteurs (sous Dioclétien), accueillent des garçons
et des filles de 7 à 11/12 ans. Cet enseignement est destiné à des enfants issus de
milieux privilégiés puisqu’ils se rendent en cours accompagnés d’un esclave, sorte
de répétiteur, le paedagogus. Comme chez les Grecs et malgré les améliorations
pratiques qu’apporteront les Romains, l’enseignement revêt le plus souvent une
forme passive et coercitive. Après l’effondrement de l’empire Romain d’occident
(476), Rome accroît son prestige et son autorité, ce qui laisse à l’Éducation
chrétienne le champ libre pour se développer. Avec les invasions Barbares, l’Église
s’emploie à convertir les barbares. Pourtant, si l’expansion de l’éducation chrétienne
est indéniable à cette époque, elle a moins été dictée par des motivations
pédagogiques que par l’urgence que présentait à ses yeux l’édification des dogmes
et de la liturgie. C’est aussi pour cette raison qu’on assiste durant les premiers
siècles de notre ère à une cohabitation entre christianisme et culture classique,
pourtant d’origine païenne. En ce qui concerne le statut de l’enfant, c’est la traduction
même du terme latin infans qui semble le mieux refléter la conception bien
particulière, qu’en a la société à cette époque : « celui qui ne parle pas », une
interprétation qu’on peut, par extension, comprendre aussi comme « celui qui doit se
taire et rester à sa place ». N’oublions pas, en outre, qu’à cette époque, les pères
gaulois avaient droit de vie et de mort sur leurs enfants. Quant aux enfants
présentant un handicap, ils étaient perçus, durant l’antiquité gréco-romaine, comme
une punition infligée par les dieux. Cela justifiait, dans le meilleur des cas, une mise
à l’écart de la communauté ou, au pire, des pratiques eugénistes, visant à supprimer
de la société ces enfants « différents », qui constituaient une « menace » pour
l’espèce humaine.
21
2/ L’affirmation de la suprématie de l’Église en Éducation
À partir du VIe siècle, l’Église affirme son autorité en matière d’Éducation et la
multiplication de ses écoles est proportionnelle à l’accentuation de son autorité tout
au long du Moyen Âge.
L’une des caractéristiques de l’Éducation à cette époque est sa sévérité qui se
trouve renforcée, d’une part, par le pouvoir discrétionnaire du père sur ses enfants
et, d’autre part, par les représentations qu’a l’Église de « la nocivité du péché originel
chez le jeune être ». Cependant on peut noter que cette suspicion s’adresse surtout
à l’encontre des adolescents soumis à l’éveil de la sexualité. Et les auteurs de
l’Histoire de l’enseignement en France d’ajouter que les moines tempèrent la
discipline à laquelle sont soumis les enfants en considérant que l’enfant « ne
persévère pas dans ses colères, n’est pas rancunier, ne se délecte pas de la beauté
des femmes et dit ce qu’il pense » ! (Léon – Roche, 2003, p. 15)
Cette Éducation ne concerne là aussi qu’une frange privilégiée de la
population. Quant aux méthodes, comme à l’époque antique, elles ne tiennent
toujours pas compte du niveau de développement ou de l’âge de l’enfant, de ses
besoins ou de ses aspirations et sont toujours aussi contraignantes : approche
frontale de l’enseignement de la lecture, mémorisation de textes sacrés dès le plus
jeune âge, copie de psaumes qu’il doit apprendre puis réciter par cœur, recours au
latin. Les pauvres des campagnes, illettrés, ne bénéficient pas de cet enseignement
mais d’une initiation religieuse qui s’exprime au travers de la « prédication muette »,
c’est-à-dire qui s’appuie sur une pédagogie de l’image, sur le chant et sur la danse ;
une pédagogie adaptée en somme…
Mais cette situation n’est qu’une étape et l’Église va se lancer dans un
processus de centralisation et d’homogénéisation culturelle dont l’Éducation va
constituer l’un des leviers principaux et intervenir à la fin du VIII e siècle avec l’arrivée
de Charlemagne. L’action la plus connue de Charlemagne en matière d’Éducation
est l’ouverture d’écoles et la modification des programmes.
22
En 789, il ordonne l’établissement de classes où les enfants pourront
apprendre à lire. Mais là encore, l’enseignement est asservi à des fins religieuses. Le
souverain souhaite en effet que dans chaque monastère et dans chaque évêché, les
enfants apprennent les psaumes, les chants, le comput et qu’ils y disposent de
« livres catholiques bien corrigés ». Mais sa volonté de tisser par l’intermédiaire de
l’Église un véritable réseau d’écoles paroissiales restera un vœu pieux comme en
témoigne la célèbre Ecole du Palais qui, contrairement à la légende, n’est pas le lieu
de rencontre des différentes classes sociales de la société de l’époque mais plutôt
une « académie ambulante » où de jeunes nobles, déjà instruits, « viennent enrichir
leur culture auprès de maîtres prestigieux » (Léon – Roche, 2003, p. 17). On est bien
loin de l’école démocratique et laïque.
Avec la monarchie capétienne, l’État se centralise autour de sa capitale et le
Haut clergé renforce son emprise sur l’enseignement. L’administration scolaire relève
directement de la compétence de l’évêque dont les prérogatives se sont accrues en
même temps que se féodalisait la société. Néanmoins, et c’est une évolution
nouvelle et relativement positive, des œuvres caritatives se développent, grâce aux
richesses de l’Église, qui prévoit d’ouvrir ses écoles aux enfants pauvres. Nous
sommes à la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle quand se développe, d’une part,
au sein de chaque cathédrale, un service ecclésiastique gratuit à destination des
écoliers sans ressources et, d’autre part, les premières corporations enseignantes,
signe d’une certaine structuration de l’enseignement.
À partir du XVe siècle, sous l’impulsion du roi qui se préoccupe de plus en plus
des questions d’Éducation, les universités et les collèges se développent et avec eux
une pédagogie nouvelle (répartition des élèves par classe de niveau, exercices
physiques et récréation pour compenser la discipline de fer par exemple). À Paris, on
trouve quatre facultés dont la plus connue est la faculté des Arts qui accueille un
public très hétérogène au regard de l’âge des écoliers (enfants à partir de 7/8 ans) et
du niveau d’instruction (certains ne sachant ni lire ni écrire). Malgré la réputation de
sévérité de la discipline dans les collèges, ce n’est qu’à la fin du XVe qu’on voit « se
généraliser l’usage de verges et de la férule » (Léon – Roche, 2003, p. 27). Ce
phénomène est dû à un mouvement de régression d’établissements repliés sur eux-
mêmes et fermés à tout esprit libéral.
23
3/ La rénovation pédagogique au XVIe siècle
Le mouvement de rénovation que connaît l’Éducation au XVI e siècle s’intègre
dans un ensemble plus vaste de transformation de la société. Pour parvenir à une
« meilleure compréhension de l’homme », selon l’expression des auteurs de
l’Histoire de l’enseignement en France, on place l’homme au centre des
préoccupations morales et philosophiques, on encourage les sciences et les arts et
on doit pouvoir étudier les grandes œuvres classiques. Tout ceci a inévitablement
des répercussions sur les finalités de l’Éducation. On oppose alors à la pédagogie
scolastique des universités médiévales, la conception humaniste de l’éducation.
C’est principalement dans les collèges Jésuites que s’expriment ces nouveaux
principes pédagogiques. D’un point de vue politique, le roi continue de s’appuyer sur
le clergé catholique et la noblesse féodale mais un nouvel ordre commence à se
développer dont la monarchie ne pourra faire abstraction : la grande bourgeoisie
d’affaires. Avec l’essor économique, celle-ci se développe et va permettre d’instaurer
progressivement un renouvellement des valeurs éducatives qui s’exprime
principalement par un enseignement plus ouvert et des programmes réalistes, c’est à
dire moins asservi au prosélytisme religieux. Ces tendances « modernes »
s’expriment principalement dans les collèges Oratoriens.
Malgré ces modestes évolutions, l’enseignement primaire, lui, ne se
développe pas. Les petites écoles sont avant tout conçues comme une œuvre de
charité et ce n’est qu’à la fin de l’Ancien Régime que la nécessité de l’organisation
d’une véritable Éducation nationale verra le jour dans les esprits. La mort de
François 1er en 1547 est marquée par les premiers affrontements entre catholiques
et protestants. Ces derniers, à l’image de Luther, se préoccupent des questions
d’éducation et comme lui, ont compris que c’est dans l’instruction obligatoire que se
réalisera l’Éducation chrétienne. De nombreuses écoles en France sont
« conquises » par la nouvelle religion protestante ce qui va entraîner une réaction de
l’Église catholique.
24
Le Concile de Trente, convoqué par le Pape Paul III pour répondre au
développement de la Réforme protestante, décide, entre autres mesures, de mettre
en place dans chaque église l’enseignement d’un « Maistre choisi par l’Evesque,
avec l’avis du Chapitre, qui enseigne gratuitement la Grammaire aux Clercs & autres
pauvres Ecoliers, pour les mettre en estat de passer en suite à l’étude des saintes
Lettres, si Dieu les y appelle » (V. Session du Concile de Trente tenue le 17 juin
1546, Décret de Réformation, Chapitre I). La tenue de ce concile n’endiguera pas la
division des deux Églises et on voit bien que les répercussions de ces propositions
sur l’organisation de l’enseignement sont minimes et surtout conçues, nous l’avons
déjà évoqué, comme un instrument du prosélytisme religieux comme l’illustrent ces
quelques extraits de la première session du Saint Concile de Trente où il est
question de « l’accroissement & de l’exaltation de la Foy & de la Religion
Chrestienne ; pour l’extirpation des Hérésies ; » et de « l’humiliation & l’extinction des
Ennemis du nom Chrestien » (sic). C’est toujours sur fond de conflits d’intérêts
religieux que de nouvelles réformes éducatives voient le jour, sans qu’on ne se
préoccupe pour autant du développement ou de l’intérêt de l’enfant. Le Roi Louis XIV
va même jusqu’à proclamer en 1698 l’obligation scolaire jusqu’à 14 ans. Mais, là
encore, les fondements idéologiques ne sont pas éducatifs, philanthropiques ou
philosophiques mais stratégiques : il s’agit avant tout pour la monarchie de convertir
les enfants vivant dans les régions où s’est implantée la religion protestante.
C’est dans un contexte social caractérisé par
l’abîme séparant la pauvreté des uns et les
privilèges des autres que Jean-Baptiste de
La Salle va se consacrer à l’enseignement
désintéressé des pauvres et fonder à Reims
en 1678 l’Institut des Frères des Ecoles
chrétiennes. Au plan pédagogique, on y
abandonne le « mode individuel » au profit
du « mode simultané » qui vise à instruire en
même temps un groupe d’élèves de même
niveau en les occupant à une même activité.
J.-B. de La Salle et le « mode simultané »
Gravure en ligne sur le site www.la-communale.com
25
Pourtant, même si certains spécialistes datent de cette époque la naissance
des classes élémentaires et notent que ces initiatives contribuent à l’alphabétisation
d’un plus grand nombre d’individus, l’enfant, en tant qu’être aux besoins éducatifs
particuliers, nécessitant une pédagogie adaptée qui tienne compte de son niveau de
développement, n’a pas véritablement d’existence. À l’aube de ce XVIII e siècle si
important dans l’histoire des idées éducatives, seule compte, aux yeux de la
monarchie et du clergé, la capacité de conversion à la morale chrétienne, dont
l’enseignement peut être porteur.
L’école et la morale – Tableau de Léopold CHIBOURG - Huile sur toile (1823) – Musée nationale de l’Éducation
26
II LES LUMIERES : UN TOURNANT DANS LES CONCEPTIONS EDUCATIVES
1/ La mise en cause du primat du religieux dans l’enseignement
Le XVIII e siècle est primordial dans l’histoire de l’éducation qui va voir évoluer
son cadre de référence grâce à la volonté de plus en plus affirmée de l’État de
séculariser l’enseignement sous la pression d’ouvrages doctrinaux abordant
l’organisation de celui-ci. Parmi les contributions les plus citées, on trouve l’Essai
d’Éducation nationale (1763) du Procureur Général du Parlement de Bretagne L. - R.
Caradeuc de La Chalotais, qui dénonce l’enseignement donné par les religieux dans
les collèges en raison de son éloignement des réalités du monde. Il y a aussi
l’ouvrage de L.- B. Guyton de Morveau, Mémoire sur l’éducation publique qui
confirme, comme le précédent ouvrage cité, le vaste mouvement de séparation de
l’instruction et du religieux, incarné en 1762 par l’expulsion des Jésuites du domaine
scolaire.
Parallèlement, ces bouleversements illustrent le retour de l’initiative royale qui
crée des écoles prestigieuses (Ecole Royale, ancêtre de l’école polytechnique, Ecole
des Ponts et Chaussées ou encore Ecole des Mines) dont l’enseignement plus
proche des réalités et des évolutions scientifiques est censé servir les besoins de
l’administration civile et militaire. Une nouvelle fois, ce n’est pas l’intérêt de l’élève qui
dicte l’élaboration des orientations éducatives, mais bien un intérêt supérieur qui
passe cette fois de la raison religieuse à la raison d’État. Comme Rousseau à
l’époque de l’Emile, des intellectuels comme La Chalotais pensent qu’une Éducation
de masse n’est pas utile. Le seul acquis au final de cette période est que l’Église
perd son monopole sur l’enseignement et qu’on débat enfin de la responsabilité de
l’État en matière d’éducation.
27
2/ La situation des petites écoles
La question de la démocratisation du système n’est pas tranchée au siècle
des Lumières et deux types de positions s’opposent. D’un côté, les philosophes
comme Rousseau ou Voltaire estiment que les gens du peuple et les pauvres n’ont
pas besoin d’instruction, sans doute par crainte des éventuelles velléités
d’émancipation sociale. De l’autre côté, les hommes politiques retournent l’argument
et considèrent au contraire que la généralisation de l’enseignement élémentaire peut
être un moyen pour maintenir l’ordre social. Quoi qu’il en soit, les petites écoles
cristallisent toutes les ségrégations de la société à la veille de la Révolution. Elles ne
fonctionnent pas en continuité avec le collège et s’adressent à des publics différents.
On sait par exemple qu’un élève (pauvre) scolarisé dans une de ces écoles a peu de
chances d’accéder à l’enseignement secondaire. Elles sont victimes de l’irrégularité
de la fréquentation scolaire en raison des besoins de main d’œuvre saisonnière. De
plus, le principe d’éducation mixte est rejeté, ce qui aboutit, dans certaines
communes qui ne peuvent entretenir deux écoles, à la scolarisation des seuls
garçons au détriment des filles.
Cependant la situation va s’améliorer dans la deuxième moitié du XVIII e siècle
en raison de l’accroissement des exigences intellectuelles de nombreux métiers.
L’histoire de l’éducation est une histoire d’hommes mais aussi une histoire
d’évolution économique et technique. Ainsi, les enfants de toutes conditions se
verront ouvrir une nouvelle perspective : celle d’accéder, après l’instruction
dispensée dans les petites écoles, à un enseignement technique dont l’émergence
symbolise en même temps les progrès d’une pédagogie concrète, réaliste et moins
discriminante. L’étude des cahiers de doléances des États généraux nous montre
que c’est aussi que l’éducation devient, durant la période révolutionnaire, une
préoccupation des citoyens. On y évoque notamment les questions de l’obligation et
de la gratuité scolaires dont on peut supposer qu’elles vont s’affirmer comme deux
principes incontournables de la politique éducative. L’analyse de cette période va
nous montrer le contraire, ce qui permet de dire que l’histoire de l’éducation ne suit
pas un déroulement linéaire, mais qu’elle est au contraire sans cesse perturbée par
les soubresauts politiques auxquels est soumise la société. La volonté de certains de
généraliser l’instruction du peuple se heurte souvent à des objections d’ordre social.
28
3/ Le temps de la sécularisation de l’enseignement
Pourtant l’enjeu est d’importance car la thèse que nous défendons dans ce
mémoire est qu’un concept éducatif comme l’inclusion scolaire est l’aboutissement
logique d’une évolution lente mais régulière des mentalités et des conceptions
éducatives qui sont elles – mêmes issues de l’idée d’éducabilité de l’enfant, de tous
les enfants. Or l’étude de cette période fait davantage référence, nous allons le voir,
à une régression de ces conceptions démocratiques et progressistes de la notion
d’instruction publique, alors que la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et
du Citoyen entrée en vigueur en 1789 proclamait expressément « le droit à
l’éducation et à la culture pour tous ». Notons d’ailleurs sur ce point que ce texte
continue d’être mis en avant en ce début de XXI e siècle notamment par les
associations de parents d’enfants en situation de handicap ou même confrontés à
des difficultés d’adaptation dans le milieu ordinaire.
Lorsque l’on considère cette période, on s’aperçoit, du côté des positions de
l’État et des décrets publiés, que l’on ne se préoccupe pas de la situation des enfants
à besoins éducatifs spécifiques, bien que le débat éducatif soit très dense. Au delà
de ce constat, on assiste même à un certain recul des dispositions dans le domaine
éducatif pendant la période post-révolutionnaire comme si la concrétisation de la
pensée des Lumières était douloureuse. En fait, le XVIII e siècle a pensé ce que le
XIX e réalisera quelques décennies plus tard.
Au départ, il y a une volonté affirmée du pouvoir révolutionnaire de faire table
rase de l’ancienne organisation scolaire parce qu’elle est une émanation de l’Ancien
Régime. Dès lors, le champ semble libre pour l’édification d’institutions nouvelles
comme le laisse supposer la Constitution du 3 septembre 1791, qui proclame qu’ « il
sera créé une Instruction publique, commune à tous les citoyens, gratuite à l’égard
des parties d’enseignement indispensables pour tous les hommes ». On fait ici
référence à une sorte de « socle commun » auquel chacun aurait le droit d’avoir
accès quelle que soit sa condition. Ce mouvement se concrétisera d’ailleurs par un
nombre assez important de plans en faveur de l’Éducation qui, malheureusement, ne
seront jamais mis en application, du moins dans leur intégralité.
29
4/ Acquis et concessions de la période révolutionnaire en éducation
Cette situation instable aura, nous le verrons par la suite, des répercussions
importantes sur l’action de figures marquantes de l’éducation comme Valentin Haüy.
Parmi les multiples plans qui vont voir le jour, la contribution de Condorcet semble
essentielle. Alors que le rapport Talleyrand (septembre 1791) prévoit la création
d’une Commission générale de l’Instruction publique, que le but de l’éducation
devient « d’apprendre à vivre heureux et utile » (Léon – Roche, 2003, p. 52) et que,
dans ce cadre, la vocation de conversion religieuse semble s’estomper, les principes
d’obligation scolaire et de laïcité ne sont toujours pas promulgués lorsque Condorcet
présente son plan à l’assemblée en avril 1792.
Ce plan comprend de réelles avancées. Fidèle à l’esprit des encyclopédistes,
il fixe des fins à l’éducation : celle de développer les capacités individuelles et celle
de contribuer au perfectionnement de l’espèce humaine. Les propositions de ce
républicain convaincu, disciple de Rousseau, s’avèrent d’une grande originalité pour
l’époque et surtout d’une grande actualité. En témoignent ces extraits du discours sur
les principes de l’instruction publique prononcé devant l’Assemblée en février 1792 :
« […] établir entre les citoyens une égalité de fait, et rendre réelle l’égalité politique
reconnue par la loi : tel doit être le premier but d’une instruction nationale ; […] Nous
avons observé, enfin, que l’instruction ne devrait pas abandonner les individus au
moment où ils sortent des écoles ; qu’elle devait embrasser tous les âges».
Condorcet souhaite en outre que l’école soit un organe de la République sans être
un rouage du pouvoir politique. Au niveau pédagogique, cela implique pour chaque
enfant une instruction civique qui s’appuiera sur la méthode suivante : le maître lira
ou racontera de courtes histoires morales et c’est à l’enfant qu’il appartiendra de
donner du sens. Au sujet de cette « transposition narrative », Condorcet indique
dans le second Mémoire de son plan que la méthode employée est nécessaire dans
l’enseignement de la morale, parce que les idées ne se forment ni par la vue d’objets
concrets ni par des combinaisons précises d’idées abstraites mais par la réflexion de
chaque individu sur son « sentiment intérieur ».
30
Cette part de la réflexion dans l’instruction, ce « regard réflexif sur la parole »
comme dirait Bernard Rey (1986, p. 206), représente une évolution importante par
rapport aux conceptions pédagogiques de l’époque. Condorcet apporte au travers de
ce plan la notion de progressivité et de sens dans l’instruction : l’enfant écoute, lit,
comprend puis explique les principes moraux. Ainsi la République et l’Ecole seront à
la fois indépendantes l’une de l’autre et s’articuleront l’une l’autre car « le but de
l’instruction n’est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais
de les rendre capables de l’apprécier et la corriger » (extrait du premier Mémoire du
plan de Condorcet). Enfin, pour garantir cette complémentarité entre la République,
les citoyens et l’école, Condorcet introduit quatre principes :
• l’égalité scolaire (l’Ecole républicaine s’adresse à tous les enfants) • la gratuité (au nom de l’égalité sociale) • la laïcité (les savoirs élémentaires font abstraction des idées religieuses) • la citoyenneté éclairée (les citoyens peuvent critiquer les institutions
publiques).
Ce plan est éminemment politique et tente de faire basculer définitivement les
questions d’éducation dans le giron de l’état. Pourtant, même si ses conceptions
éducatives et les principes véhiculés dans ses textes influenceront
considérablement, un siècle plus tard, les textes fondateurs de l’école gratuite et
laïque, même si les déclarations d’intention prônant l’accessibilité du plus grand
nombre à l’éducation restent nombreuses, le plan proposé par Condorcet reste lettre
morte. Il est en effet vivement critiqué au niveau notamment des dispositions sur
l’enseignement primaire qui ne satisfont pas des révolutionnaires comme
Robespierre. Ce dernier, déplorant l’inégalité persistante dans l’accès à l’instruction
entre les enfants des campagnes et ceux des villes, souhaite aller plus loin. Il affirme
notamment que « depuis l’âge de 5 ans jusqu’à 12 ans pour les garçons et jusqu’à
11 ans pour les filles, tous les enfants sans distinction et sans exception » seront
élevés « aux dépens de la République » et que « tous, sous la sainte loi de l’égalité,
recevront les mêmes vêtements, même nourriture, même instruction, mêmes soins ».
C’est à cette époque qu’on commence aussi à parler de « maisons d’Éducation
nationale » (Léon – Roche, 2003, p. 56).
31
La nécessité d’offrir une instruction à l’enfant, dès le plus jeune âge, semble
devenir un acquis solide. Nous ne pouvons cependant pas nous empêcher d’attirer
l’attention sur les contradictions éducatives de la période en évoquant quelle vision
de l’enfant prédomine chez les décideurs de l’époque. S’éloignant à bien des égards
de la philanthropie des Lumières, elle s’oppose clairement aux idées modernes sur
l’Éducation qui animaient des intellectuels comme Condorcet, Rousseau ou
Pestalozzi. Nous en voulons pour témoignage ce qu’en rapportent les auteurs de
l’Histoire de l’enseignement en France qui nous relatent par exemple que « des
sanctions sociales – isolement, humiliation publique – sont prévues à l’égard des
élèves dont le rendement n’atteindrait pas la norme » ! (Léon et Roche, 2003, p. 56).
À la sévérité des dispositions prévues s’ajoute la terminologie employée comme
l’illustrent ces propos de Robespierre à l’endroit des adolescents se destinant aux
professions manuelles : « ce n’est plus dans les écoles qu’il faut les enfermer ; c’est
dans les divers ateliers, c’est sur la surface des campagnes qu’il faut les répandre ».
C’est bien la fonction sociale et économique et non un quelconque intérêt éducatif
qui détermine la scolarisation de l’enfant, réduit ici à un vulgaire moyen de
production. Ces éléments symbolisent toute la contradiction de cette période où
l’instruction n’est qu’une façon comme une autre de mener la politique décidée par le
pouvoir. Ainsi, les préoccupations au départ égalitaires ne suffisent pas à améliorer
la situation éducative de la France, comme en atteste la suite des événements
suivants : la fin du XVIII e et le début du XIX e siècle vont en effet connaître un certain
nombre de mesures qu’on pourrait qualifier de régressives.
C’est le cas avec la Législation Lakanal tout d’abord (novembre 1794) qui
conserve la liberté de l’enseignement et la gratuité mais supprime l’obligation
scolaire, préalable indispensable à toute politique éducative ambitieuse. Que dire
aussi de la création de l’Ecole normale supérieure de Paris dont l’ouverture date de
janvier 1795 et qui n’accorde aucune place à la pédagogie ? Mais le coup de grâce
vient sans doute de la Législation Daunou (août 1795) qui supprime à la fois
l’obligation scolaire et la gratuité ! La situation de l’enseignement primaire est
qualifiée alors de catastrophique et, signe de ce délabrement, le secteur privé recrute
un plus grand nombre d’enfants que le secteur public. Malgré cela, l’État poursuit ses
efforts de sécularisation de l’enseignement scolaire et, sous le Consulat, parvient,
malgré tout, à renforcer les structures de l’enseignement public.
32
L’enseignement primaire continue en revanche de stagner, notamment en
raison de sa mise au ban d’une organisation scolaire centrée sur les Universités qui
ne réservent par exemple aucune place aux maîtres d’école dans la hiérarchie, signe
que ce degré n’est pas considéré comme un échelon essentiel de instruction
publique. Le latin, comme les préceptes de la religion chrétienne, continue à former
la base de l’éducation et les filles sont toujours exclues des établissements gérés par
l’État. En outre, les faveurs du pouvoir vont toujours aux Frères des Ecoles
chrétiennes, une institution fondée plus de cent ans auparavant par J-B. de La Salle.
Jusqu’à la fin du XVIII e. siècle et même jusqu’à la fin du règne de Napoléon,
la situation de l’enseignement primaire n’est pas stabilisée . D’une part,
quantitativement, puisqu’une majorité d’enfants n’a pas accès à une instruction
primaire (c’est le cas des pauvres et des filles). D’autre part, qualitativement, puisque
les préceptes de la religion chrétienne restent à la base de l’éducation et, même
quand le mouvement de sécularisation amorcée par la Révolution donne l’impression
que l’Instruction ne sera plus asservie à l’intérêt religieux, la raison d’État et les
enjeux économiques prennent le relais et placent au second plan l’intérêt de
l’individu. Enfin, c’est l’amalgame et l’exclusion qui prévalent : qu’ils soient pauvres,
arriérés, vagabonds, aliénés ou criminels, toute personne, y compris les enfants,
vivant en marge de la société, se retrouve dans des hospices, qui sont, en réalité,
des lieux d’enfermement insalubres, inadaptés aux besoins des internés.
Malgré tout, l’éducation des enfants devient la préoccupation majeure de
l’époque et quelques grandes figures, penseurs, médecins ou philosophes vont
contribuer à poser les bases d’une rénovation éducative d’envergure : d’une
pédagogie au service de l’édification des âmes, on passe peu à peu à de nouvelles
démarches pédagogiques centrées sur l’enfant où priment l’observation et
l’expérience. D’une éducation censée brider l’affectivité des enfants au nom de la
morale chrétienne, on commence à tenir compte des contributions de la psychologie
dans la pédagogie : la philosophie des Lumières facilite la propagation de ces
conceptions qui attendent maintenant leur mise en pratique.
33
5/ La philosophie des Lumières, terreau de la modernité
Ce terme de « Siècle des Lumières » est tout d’abord utilisé par de nombreux
écrivains et intellectuels, persuadés qu’ils viennent d’émerger d’une époque
d’obscurité et d’ignorance pour entrer dans le siècle de la connaissance, des
sciences et de la raison. Le siècle des Lumières désigne ainsi une période de
l’histoire de la culture européenne, dont la France va représenter la tête de pont et
qui est marquée au niveau idéologique par le rationalisme philosophique et
l’exaltation des sciences. D’un point de vue politique, on assiste à une remise en
cause de l’ordre social et de la hiérarchie religieuse : on comprend mieux la raison
pour laquelle ce mouvement aboutira à la Révolution Française.
Dans le débat d’idées qui anime la société, il est un sujet dont s’emparent
rapidement les intellectuels de l’époque : l’éducation. L’État et l’Église verrouillent à
cette époque le système éducatif autour d’un lieu de formation unique (l’école
paroissiale), un programme, des contenus et surtout des méthodes similaires faisant
parcourir à l’enfant le même cursus en fonction de sa classe d’âge. Les objectifs
éducatifs de l’époque s’inspirent, en France comme dans toute l’Europe, des
objectifs définis par Luther en 1524 dans son ouvrage Libellus de instituendis pueris
qui est un véritable plaidoyer pour l’instruction obligatoire : « Vous le comprenez, il
nous faut en tous lieux des écoles pour nos filles et nos garçons, afin que l’homme
devienne capable d’exercer convenablement sa profession, et la femme de diriger
son ménage et d’élever chrétiennement ses enfants. Et c’est à vous, Seigneurs, de
prendre cette œuvre en main, car si l’on remet ce soin aux parents, nous périrons
cent fois avant que la chose ne se fasse. » (Luther, 1558, pp. 438-447). Pour
Montaigne aussi, une « institution des enfants » est nécessaire car l’homme n’arrive
pas tout fait. Mais pour le philosophe, précurseur de l’Éducation nouvelle et de
Rousseau, Il faut en plus doter l’élève d’une capacité de jugement, lui apprendre à
douter pour former son intelligence. Dans Les essais, écrits en 1595, il insiste sur
cette dimension en préconisant que le maître ne demande pas seulement à l’enfant
« compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance, et qu’il juge du
profit qu’il en aura fait, non par le témoignage de sa mémoire, mais de sa vie… que
rien ne loge en sa tête par simple autorité et à crédit » (Montaigne, Les Essais, 1595,
Livre I, Chapitre XXVI).
34
Même si la conviction qu’il faut donner du sens aux apprentissages progresse,
même si on assiste à une tentative de structuration de l’enseignement du peuple qui
prévoit l’obligation légale de scolarisation des enfants et la prise en charge des frais
d’instruction par l’État ou la commune, il n’en demeure pas moins que cette
Éducation possède avant tout des fondements religieux, que l’enseignement ne tient
absolument pas compte du développement de l’enfant et que le latin est la base de
toute instruction ! Deux cents ans après Luther, le XVIII e siècle et les Lumières vont
constituer un tournant en matière de théorie éducative. Une nouvelle vision du
monde centrée sur l’homme et de nouveaux domaines de connaissances vont
apparaître. Parmi ces derniers on trouve la philosophie, la linguistique et ce qui nous
intéresse en premier lieu ici, la psychologie et la pédagogie. Le rationalisme et
l’esprit critique se développent parallèlement à la diffusion des sciences dans la
société, ce qui va induire de nouvelles démarches pédagogiques. Sous la pression
d’intellectuels comme John Locke qui souhaite substituer à l’enseignement des mots
celui des choses par l’observation et l’expérience, un vent éducatif nouveau souffle
sur toute l’Europe qui tend à se détacher de l’emprise religieuse incarnée par
l’éducation traditionnelle dispensée par les Jésuites et met en valeur l’unicité du
corps et de l’esprit chez l’enfant.
Mais le pouvoir politique, à partir de 1789, ne va pas parvenir à orchestrer ces
avancées conceptuelles issues de la philosophie des Lumières. Il ne va pas non plus
réussir à accompagner le mouvement de démocratisation de l’enseignement. Les
encyclopédistes ne font en fait qu’effleurer les questions d’éducation. Le rapport sur
l’instruction publique présenté par Condorcet entérine bien la volonté de l’État de
généraliser l’enseignement. On décide même qu’une école sera créée pour chaque
village de plus de 400 habitants et, pour la première fois dans l’histoire de
l’enseignement, le terme d’ « instituteur » apparaît pour désigner le maître d’école.
Pourtant, cette dynamique sera rapidement dévoyée par Napoléon Premier qui
instaurera un enseignement totalement asservi aux intérêts de son pouvoir. Il
abandonnera le premier degré (primaire) à l’institution des Frères des écoles
chrétiennes. Face à ces aléas politiques, le combat pour l’éducabilité ne sera donc
pas livré par l’État mais bien par quelques personnalités qui tenteront de faire
émerger les vertus des sciences et de l’éducation pour tous. Cette lutte se déroulera
en dehors de l’école toujours verrouillée par le clergé et le pouvoir politique.
35
III EVOLUTION DES CONCEPTIONS EDUCATIVES ET HUMANISME
1/ L’Emile ou la contribution de Rousseau au débat éducatif
L’une des contributions majeures dans le débat sur l’Éducation en ce milieu de
XVIII e siècle est incarnée en 1762 par l’œuvre de Jean-Jacques Rousseau Emile ou
De l’Éducation même si, on le verra, les théories éducatives qu’il développe
provoquent des réactions d’opposition virulentes chez ses contemporains, y compris
chez ses amis philosophes. L’Emile s’inscrit tout d’abord dans une pléiade
d’ouvrages de littérature pédagogique ainsi que de livres pour enfants qui montrent
que l’Éducation des enfants est la grande préoccupation de l’époque. Initié par Locke
à la fin du XVII e siècle avec ses Pensées sur l’Éducation, l’œuvre de Rousseau
s’intègre dans un genre nouveau, celui du traité d’éducation. Le traité de Rousseau
n’est que théorie car tous ses personnages sont fictifs et le récit n’est pas le reflet de
la mise en pratique de principes éducatifs.
Cela dit, ces théories constituent autant d’éléments fondateurs de la
pédagogie moderne que des pédagogues comme Johann Heinrich Pestalozzi,
disciple de Rousseau, vont s’efforcer de mettre en pratique. L’Emile est le moyen
pour Rousseau de mettre en relief quelques aspects de ses conceptions
pédagogiques : il postule notamment la bonté originelle de l’homme, mais aussi la
nécessaire dénaturation de cette bonté tout en affirmant la faculté qu’a l’homme de
se perfectionner. Ce postulat de perfectibilité est essentiel et nous rappelle le
postulat d’éducabilité, notion fondamentale du concept d’inclusion. Rousseau attribue
à l’éducation une fonction de médiation entre la nature et la société, dans laquelle
l’enfant devra nécessairement s’intégrer. Une fonction de médiation qu’il assigne
aussi au précepteur de l’enfant qui doit rester en retrait et se contenter d’organiser
les conditions d’un apprentissage réussi. Pour Rousseau, l’enfant doit en effet faire
ses découvertes par lui-même grâce à l’expérience, point de départ de toute étude.
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Le deuxième principe fondateur de cette «Éducation naturelle », chère à
Rousseau et qui intéresse particulièrement le sujet de notre étude, est le suivant :
l’enfant n’est pas un adulte en réduction, c’est un être aux besoins particuliers qui
manifeste des satisfactions spécifiques. Face à cette spécificité, le pédagogue doit,
là aussi, savoir se mettre en retrait et se limiter à observer les aptitudes de l’enfant
en cherchant à favoriser son développement. « On façonne les plantes par la culture
et les hommes par l’éducation » nous rappelle Rousseau qui assigne en outre
comme finalité à l’éducation de laisser le temps à l’enfant de se développer. La
méthode employée est intitulée par Rousseau « l’éducation négative », qui consiste
à « suivre la marche de la nature » en adaptant l’action pédagogique aux différents
stades de développement de l’enfant.
Cette action pédagogique est censée préserver la conscience de l’enfant ainsi
que sa liberté naturelle et c’est en cela que Rousseau s’oppose aux philosophes
comme Condillac, représentant français du courant sensualiste, qui voit dans la
sensation l’intégralité de l’origine des faits psychiques. Rousseau critique l’image
selon laquelle la conscience se verrait passivement et inexorablement imprimer les
facultés supérieures de l’esprit. Dans ce cadre, nous l’avons déjà évoqué, le
pédagogue doit savoir rester en retrait et se cantonner à l’organisation de
l’environnement de l’enfant et à la mise en place d’outils pédagogiques. Ainsi les
actions de l’enfant ne dépendront pas de l’adulte, mais tout d’abord de la nécessité
de l’action, puis de son utilité et enfin de la raison. On voit clairement apparaître
avec l’Emile de Rousseau l’idée de développement progressif des facultés de
l’enfant, à l’endroit même où Condillac affirmait que « les facultés de l’entendement »
sont les mêmes chez un enfant que chez un homme et que Nihil est in intellectu,
quod non antea fuerit en sensu (c’est à dire qu’il n’y a rien dans l’intelligence qui ne
fût auparavant dans les sens). En d’autres termes, là où les représentants du courant
sensualiste prônaient le tout sensoriel, le passage du concret à l’abstrait, Rousseau
pensait que les méthodes devaient être avant tout pratiques et fonctionnelles et
répondre aux besoins vitaux de l’enfant.
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Cette confiance en la bonté naturelle de l’enfant va d’ailleurs avoir des effets
sur la pédagogie et va inspirer de nombreux pédagogues contemporains. C’est le
cas du refus de la contrainte, de la valorisation de la spontanéité et de l’initiative chez
l’enfant. Les méthodes sur lesquelles va s’appuyer cette pédagogie sont attrayantes,
progressives et basées sur les besoins de l’enfant. En cela, elles ne sont pas si
éloignées de la philosophie des Lumières, même si elles s’opposent quelque peu à
l’optimisme pédagogique de l’époque que portent des encyclopédistes comme
Diderot. Notons enfin que les théories éducatives de Rousseau contribuent à
« laïciser » l’éducation en repoussant l’éducation religieuse de l’enfant à
l’adolescence, ce qui dépossède de fait l’Église de l’une de ses prérogatives.
Au travers de cette incursion dans l’œuvre de Jean Jacques Rousseau, on
remarque que, si on ne peut encore parler d’un intérêt pour l’éducation des enfants à
besoins éducatifs spécifiques, il n’en demeure pas moins qu’on a affaire à un texte
fondateur d’une idée moderne de l’éducation de l’enfant. Celle-ci devrait en effet
relever de démarches pédagogiques spécifiques et adaptées aux différentes phases
de son développement biologique. L’Emile met en valeur le rôle de l’observation
psychologique des enfants et exige des méthodes éducatives qui intègrent deux
principes : l’existence d’une nature enfantine, ainsi que la nécessité de centrer la
pédagogie sur l’apprenant. Enfin, et ce n’est pas la moindre des contributions de
l’œuvre, l’Emile permet d’abandonner la conception négative de l’éducation visant à
empêcher les perversions de l’âme de l’enfant, et permet d’insuffler une conception
plus positive, convaincue des potentialités et de la bonté naturelle de l’enfant.
Même si l’omniprésence de la nature dans l’approche éducative de Rousseau
heurte ses contemporains, ses conceptions basées sur le respect des
développements psychique et physique de l’enfant, accompagnées des progrès de la
médecine enfantine de la deuxième moitié du XVIII e siècle, continuent de nourrir le
débat éducatif aujourd’hui et ont même favorisé au XIX e siècle l’émergence d’un
enseignement adapté à la petite enfance (l’école maternelle) ainsi que l’avènement
d’une spécialité médicale : la pédiatrie.
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Dans cette réflexion autour de l’émergence du concept d’inclusion scolaire, il
était indispensable de passer en revue les apports de la théorie de Rousseau sur
l’éducation, dont l’Emile est encore une source de réflexion pour la pédagogie
moderne. Roger Gal, directeur du département de recherche de l’institut
pédagogique national en 1962 affirmait d’ailleurs à son propos que l’œuvre de
Rousseau était tout entière à l’origine de l’Éducation nouvelle développée au XX e
siècle par les pédagogues réformateurs, « ne serait-ce que par ce renversement qui
met l’enfant au centre de tout […], qui, au lieu de partir des buts à atteindre, des
connaissances à donner, part de l’enfant, de ce qu’il est, de son évolution, de ses
intérêts, de ses capacités » (Gal, 1962, pp. 77-78).
Les écrits de Rousseau ont posé les fondements d’un changement de regard
sur l’enfant et, par extension, ont amorcé le changement de regard sur les enfants
dont le développement, physique d’abord puis psychique, n’était pas dans la norme.
C’est précisément pour cette raison que nous avons intégré l’œuvre de Rousseau
dans cette étude sur l’émergence du concept d’inclusion car, comme les théories de
Rousseau, l’inclusion est avant tout une philosophie de l’éducation, la conviction
profonde que non seulement tout enfant mérite d’être éduqué, mais que, au delà, il
est perfectible à condition de respecter le rythme de son développement et de veiller
à lui fournir un environnement à la fois adapté et stimulant. L’inclusion ira bien sûr
plus loin en prônant l’immersion des enfants à besoins éducatifs spécifiques dans
des classes ordinaires, ce qui était à l’époque bien éloigné des conceptions de
Rousseau. Ce dernier affirmait notamment dans l’Emile que « le pauvre n’a pas
besoin d’éducation ». Pourtant, à travers son œuvre, on perçoit tout le modernisme
de sa pensée, fondatrice de la pédagogie moderne qui, elle-même, est en phase
avec le concept d’inclusion scolaire.
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2/ Pestalozzi : de la théorie à la pratique
« Pestalozzi apprend à compter aux enfants » – Gravure sur bois d’après un dessin d’Albert Anker Centre de documentation et de recherche Pestalozzi – Yverdon-les-Bains – Suisse
«L’expérience m’a montré que des enfants totalement découragés, faibles et
pâles à force d’oisiveté et de mendicité, malades, retrouvaient cependant très vite
leur bonne humeur, leur santé et une belle croissance, grâce au travail régulier
auquel ils n’étaient pourtant pas habitués, simplement parce que leur situation avait
changé et qu’ils avaient été éloignés des sources de leurs passions. L’expérience
m’a montré qu’ils passaient très vite des rudesses d’une profonde misère à des
sentiments d’humanité, de confiance et d’amitié, ce qui prouve qu’une attitude
humaine envers les êtres les plus humbles élève leur âme. L’étonnement sensible
qui fait briller le regard d’un malheureux enfant abandonné quand, après des années
d’adversité, une main humaine s’offre doucement à le guider – telle est l’expérience
qui m’a montré qu’au sein de la misère il reste une sensibilité qui peut être de la plus
grande conséquence pour la moralité et l’éducation des enfants » (Pestalozzi, 1775,
Ecrits sur l’expérience du Neuhof). Voilà ce qu’écrit, en 1775, Johann Heinrich
Pestalozzi, le père de la pédagogie moderne, dans son Appel aux philanthropes et
aux bienfaiteurs de l’humanité en faveur d’un institut d’éducation et de travail pour les
enfants pauvres de la campagne, dans le cadre de l’expérience du Neuhof.
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Non seulement ces propos illustrent une évolution par rapport à l’opinion de
Rousseau sur l’éducation des pauvres, mais ils confirment en outre le changement
de regard porté sur l’enfant dans la pratique. Pestalozzi est en effet celui qui tente de
mettre en application les principes éducatifs développés par Rousseau dans l’Emile
et notamment avec son fils Jacob qu’il aurait voulu voir incarner le héros de l’œuvre
de Rousseau. Mais le disciple de Rousseau va plus loin encore : son entreprise
d’éducation, centrée sur l’enfant, respectant son développement, le valorisant,
s’adresse pour la première fois à des enfants exclus de la société Suisse et a fortiori
du système éducatif parce qu’ils viennent de la campagne et parce qu’ils sont
pauvres. Il affirme ainsi qu’un enfant, même meurtri par les avatars de la vie, peut
être éduqué et peut progresser à la condition qu’on l’aide, qu’on l’accompagne en y
consacrant du temps. Même si l’expérience de « l’entrepreneur-éducateur » du
Neuhof, comme le nomme Michel Soëtard (2001, p.120), fondée sur le travail social
conçu comme l’instrument de désaliénation du processus éducatif, connaît un échec
retentissant parce que les exigences de rentabilité de l’atelier finissent par prendre le
pas sur les buts éducatifs de l’expérience, elle illustre en même temps le
bouillonnement d’idées sur l’éducation qui anime l’Europe en ce siècle. Elle illustre le
combat pour l’éducabilité qui s’oppose à l’attitude dominante d’exclusion, qui prévaut
dans la société. Ce combat est le fait de personnalités isolées comme Pestalozzi qui
l’exercent en dehors de l’école, verrouillée encore par le pouvoir politique et le
clergé. C’est un combat pour l’enfant mais aussi pour tous les laissés pour compte.
C’est une évolution lente mais une évolution qui marque l’amorce d’un changement
dans les mentalités, sans doute à l’origine du regard contemporain porté sur la
différence et sur la conviction que chacun peut se perfectionner grâce à l’éducation.
Entre l’Emile et l’expérience du Neuhof, dix années se sont écoulées et pourtant
l’évolution est sensible entre la sentence de Rousseau qui affirmait que « le pauvre
n’a pas besoin d’éducation » et la volonté de Pestalozzi de proposer à ces mêmes
enfants un institut d’éducation par le travail. Dès lors, on peut dire qu’en cette fin de
XVIII e siècle s’amorce un mouvement qui va poser les bases de l’organisation que
nous connaissons aujourd’hui, au rythme de l’évolution des mentalités, des progrès
de la science qui enrichit nos connaissances sur l’enfant en particulier, et enfin des
impulsions décisives données par de grandes figures de l’éducation à partir de la
période des Lumières. Au delà de l’échec qu’elle a constitué, l’expérience du Neuhof
a mis en avant la posture pédagogique de Pestalozzi
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Car, comme le rappelle Loïc Chalmel, « si l’on veut bien accepter l’idée selon
laquelle, en pédagogie le faire est la source du dire, alors les écrits du Neuhof sont
éminemment pédagogiques et la posture épistémologique traduite par le discours
pestalozzien nous présente de fait une figure charismatique jusqu’à la caricature d’un
pédagogue qui tente de s’ériger en analyste de sa propre pratique » (Chalmel, 2001,
p.136). Ce qui est intéressant dans l’œuvre de Pestalozzi, c’est qu’elle constitue la
première démarche réellement pédagogique, centrée sur l’enfant, qui ne se contente
pas de l’expérience pragmatique sur les pauvres ou des orphelins mais remet
constamment en cause son modèle éducatif. C’est une problématique qu’on retrouve
dans le concept d’inclusion où les ajustements sont constants pour coller aux
besoins des enfants.
Lorsque le conseil municipal d’Yverdon offre à Pestalozzi la possibilité de
mettre de nouveau en pratique son savoir-faire pédagogique et lui offre le château
permettant d’ouvrir l’institut en 1805 qui acquerra rapidement une réputation
européenne, on se presse pour découvrir la « méthode Pestalozzi ». Pourtant on ne
peut parler de méthode au sens des outils censés l’accompagner : il n’y a ni matériel,
ni techniques spécifiques et encore moins de théorisation des méthodes. Comme le
dit Michel Soëtard dans des écrits consacrés au grand pédagogue, Pestalozzi n’a
rien inventé et « son expérience s’inscrivait dans un vaste mouvement de rénovation
de l’enseignement qui touchait jusqu’au plus humble pasteur de village » (Soëtard,
1994, p. 5). Comme pour le concept d’inclusion, la méthode Pestalozzi réside avant
tout dans un certain état d’esprit qui se traduit dans la pratique par une attitude ; et
Soëtard d’ajouter que « Pestalozzi a saisi que la méthode et toutes ses composantes
ne devraient jamais être plus que des instruments entre les mains du pédagogue,
afin que celui-ci produise « quelque chose » qui n’est pas dans la méthode et se
révèle d’une tout autre nature que son processus mécanique : la liberté autonome »
(Soëtard, 1994, p. 6). La méthode n’est pas pour autant un instrument inutile de
l’éducation et peut se traduire par des principes concrets comme la nécessité
d’observer l’enfant, d’en dégager les lois de son développement, de mettre en place
un environnement apte à stimuler ce développement et de permettre à l’enfant d’agir.
Sur le terrain, on peut ainsi voir des enfants travailler en petits groupes après avoir
travaillé en classe entière (selon les disciplines), pratiquer la gymnastique, cultiver un
jardin à un rythme journalier soutenu (environ dix heures de leçon par jour).
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Mais la variété des activités, le recours à des formes ludiques de travail, les
sorties éducatives ainsi qu’un suivi très rigoureux des élèves par des maîtres qui se
réunissent fréquemment, sans oublier le suivi médical, permet à l’institut d’Yverdon
de connaître un grand succès qui fait oublier l’expérience désastreuse du Neuhof.
On voit bien les répercutions qu’ont pu avoir de telles conceptions chez des
pédagogues comme Montessori ou Freinet. Ces derniers se sont d’ailleurs employés
à les décliner techniquement et à en faire des règles, ce qui mène au concept
d’inclusion qui, lui aussi, se caractérise avant tout par u
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