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UNIVERSITE OMAR BONGO REPUBLIQUE GABONAISE
************* Union-Travail-Justice
**********
FACULTE DE DROIT
ET DES SCIENCES ECONOMIQUES
**************
DEPARTEMENT DE DROIT PRIVE
**************
ANNEE ACADEMIQUE
2016-2017
NOTES DE COURS
INTRODUCTION AU DROIT CEMAC ET OHADA
2e Partie : Le droit matériel de la CEMAC et de l’OHADA
Pr ETIENNE NSIE
Agrégé de droit privé
Faculté de Droit et des Sciences Economiques
Université Omar BONGO
2e partie : Le droit matériel CEMAC et OHADA
1
Le droit matériel désigne les domaines d’intervention ratione materiae des Traités
CEMAC et OHADA. A travers l’étude du droit matériel, il s’agit de déterminer les domaines
de l’harmonisation des activités économiques et financières ou du droit des affaires.
Pour ce faire, il convient de déterminer les sources du droit de la CEMAC et de
l’OHADA (chapitre 1) et de s’interroger sur les rapports entre les organisations d’intégrations
en Afrique centrale.
Chapitre 1 : Les sources du droit de la CEMAC et de l’OHADA
Le droit CEMAC et le droit OHADA ont deux sources qui se complètent. Il y a, d’une
part, les sources primaires et, d’autre part, les sources dérivées.
Section 1 : Les sources primaires
S’il existe une pluralité de sources primaires du droit CEMAC, le droit OHADA, en
revanche, n’a comme source primaire que le traité constitutif.
§1 : Les sources primaires du droit de la CEMAC
Il existe plusieurs sources du droit primaire CEMAC. C’est ce qui ressort de l’article
11 du Traité CEMAC selon lequel les institutions, organes et institutions spécialisées de la
CEMAC agissent en application du Traité et de son additif, des conventions créant l’UEAC et
l’UMAC ainsi que par les statuts et autres textes respectifs de ces institutions et organes.
Ainsi, le droit primaire CEMAC doit être recherché dans le traité et son additif, les actes
additionnels et les conventions prises en application du Traité.
I : Le Traité CEMAC et son additif
Le Traité CEMAC et son additif constituent les actes fondateurs de la Communauté
dont ils décrivent le système institutionnel et juridique. Ce système s’applique dans un champ
spatial et matériel déterminé.
A : Le champ spatial du Traité et de son additif
Le traité et son additif s’appliquent sur le territoire des Etats signataires qui sont
désignés comme Etats membres. Ces Etats membres sont cités dans le préambule du Traité. Il
s’agit, dans l’ordre alphabétique, du Cameroun, de la République Centrafricaine, du Congo,
du Gabon, de la Guinée Equatoriale et du Tchad. Ce champ spatial est confirmé par l’article
52 de l’additif au traité CEMAC relatif au système institutionnel et juridique de la
Communauté qui s’applique « sur le territoire de chacun des Etats signataires". Il en est
encore ainsi de l’additif au Traité CEMAC relatif à la transformation du Secrétariat Exécutif
en Commission. Cet additif est aussi applicable dans tous les Etats membres. Il résulte du
Traité et de ses additifs que l’Etat membre de la CEMAC est un des Etats signataires du Traité
et de ses additifs.
2
Le champ spatial du Traité CEMAC peut être élargi en application de l’article 55 du
Traité qui permet l’adhésion à la CEMAC de tout Etat africain qui partage les mêmes valeurs
et idéaux que les Etats fondateurs de la CEMAC.
Par ailleurs, la CEMAC peut conclure des conventions d’association avec des Etats
non membres de la CEMAC. Ces conventions portent sur la participation d’un Etat non
membre à une ou plusieurs politiques de la Communauté. Les accords d’association ne
rendent pas le traité et son additif applicables dans l’Etat non membre.
B : Le champ matériel du Traité et de son additif
Le champ matériel désigne les domaines dans lesquels intervient la Communauté. Ces
domaines ont un rapport direct avec l’économie puisque le traité instituant la CEMAC met
l’accent sur la relation étroite entre le droit et l’économie. C’est parce que le droit permet la
réalisation du progrès économique que l’édification de la CEMAC passe par une unification
de la législation encadrant les activités économiques et financières. L’unification du droit
commercial est alors une condition de l’unification économique et monétaire.
Dans cette optique, le traité CEMAC vise, d’une manière générale, l’unification des
activités économiques et financières. Cette unification prend la forme de règlements (Voir les
articles 2-a, 4-a et 7 de la convention instituant l’UEAC ainsi que les articles 5-d et 31 à 34 de
la convention régissant l’UMAC).
II : Les Actes additionnels CEMAC
Selon les article 41 du Traité et 21 de son additif, l’acte additionnel est annexé au
Traité qu’il complète sans le modifier. L’acte additionnel est adopté en application de l’article
40 du Traité et 20 de son additif par la Conférence des Chefs d’Etat. Dans les faits, on
distingue les actes additionnels normatifs des actes additionnels décisionnels.
A : Les Actes additionnels normatifs
Les actes additionnels normatifs sont ceux qui complètent le Traité sans le modifier.
Ils constituent une source du droit primaire CEMAC en ce qu’ils régissent le système
institutionnel ou juridictionnel de la CEMAC. A ce titre, constituent par exemple des actes
additionnels normatifs :
- l’Acte Additionnel N° 06/00/CCE-041-CCE-CJ-02 portant Statut de la Chambre
judiciaire ;
- l’Acte Additionnel N° 07/00/CCE-041-CCE-CJ-02 portant Statut de la Chambre des
comptes ;
- Acte additionnel n° 05/CEMAC-176- CCE-11 du 25 juillet 2012 harmonisant la durée
des mandats des responsables des institutions, organes et institutions spécialisées de la
CEMAC ;
- Acte additionnel prorogeant le mandant des juges de la Cour de Justice de la CEMAC.
3
Seuls ces actes font partie du droit primaire CEMAC, à l’exclusion des actes
additionnels décisionnels.
B : Les Actes additionnels décisionnels
A la différence des actes additionnels normatifs, les actes additionnels décisionnels ne
complètent ni a fortiori ne modifient le Traité. Ils ne contiennent pas des dispositions visant à
compléter le système institutionnel ou juridique de la Communauté. Les actes additionnels
décisionnels contiennent plutôt des mesures individuelles prises par la Conférence des Chefs
d’Etat. En effet, c’est par un acte additionnel que les Chefs d’Etat nomment ou prorogent les
mandants des responsables Institutions, des Organes et des Institutions spécialisées de la
CEMAC. Il en est par exemple ainsi des actes additionnels :
- n° 2 ou n° 3 CEMAC portant respectivement nomination du Président et du Vice-
Président de la Commission de la CEMAC ;
- n° 8 ou n° 9 portant nomination des Commissaires à la Commission de la CEMAC.
III : Les conventions
Les conventions sont prises en application de l’article 10 du Traité CEMAC pour régir
les Institutions, Organes et Institutions spécialisées de la Communauté. On distingue les
conventions institutionnelles des conventions organiques.
A : Les conventions institutionnelles
Ce sont celles qui régissent les 5 institutions prévues par l’article 10 du Traité. Il s’agit
des conventions suivantes :
- La Convention régissant l’Union économique de l’Afrique Centrale ;
- La Convention régissant l’Union monétaire de l’Afrique Centrale ;
- La Convention régissant la Cour de Justice Communautaire ;
- La Convention régissant la Cour des Comptes Communautaire ;
- La Convention portant création du Parlement communautaire.
Outre le Traité et son additif, c’est dans ces conventions qu’il faut rechercher les règles
applicables aux instituons qu’elles régissent.
B : Les conventions organiques
Les conventions organiques sont celles qui régissent les organes prévus par l’article 10
du Traité. Certaines conventions organiques ont été conclues dans le cadre de l’UDEAC pour
régir le système bancaire de la Communauté. Il s’agit de :
- La Convention portant création de la Commission bancaire de l’Afrique Centrale ;
- La convention portant création de BEAC.
D’autres conventions organiques ont été adoptées qui régissent les autres organes de la
Communauté. Il s’agit par exemple de la Convention portant création de la Banque de
Développement des Etats de l’Afrique Centrale.
4
§2 : Le droit primaire OHADA
Il est constitué du Traité OHADA et des règlements et décisions pris en application du
Traité.
I : Le Traité de l’OHADA
Le droit primaire de l’OHADA est issu du Traité constitutif de l’Organisation dont il
faut déterminer le champ spatial et le champ matériel.
A : Le champ spatial du Traité
Le Traité OHADA est applicable sur le territoire des 16 Etats signataires. En
application de l’article 53, le Traité est aussi applicable à tout Etat qui y adhère comme l’a fait
la RDC en février 2010. Le Traité et les Actes uniformes de l’OHADA sont entrée en vigueur
en RDC en septembre 2012, après le dépôt des instruments de ratification auprès de la
République du Sénégal.
Le champ spatial de l’OHADA est confirmé par les différents Actes uniformes qui
déterminent leur champ d’application spatial. Ce champ est identique dans tous les Actes
uniformes qui sont applicables sur le territoire des Etats parties au traité OHADA. Ainsi du
point de vue géographique, le traité et les Actes uniformes de l’OHADA sont applicables dans
tous les Etats signataires.
B : Le champ matériel du Traité
Le champ d’application matériel de l’OHADA est déterminé par les articles 1 et 2 du
Traité. Selon le premier texte, l’OHADA vise à harmoniser le droit des affaires dans les Etats
membres. Le second texte précise ce qu’il faut entendre par droit des affaires en énumérant
les matières que le Conseil des ministres devra harmoniser. C’est l’ensemble de ces matières
qui constitue le champ matériel du droit OHADA. L’article 2 du Traité OHADA énumère les
matières suivantes :
- Le droit des sociétés commerciales et le GIE ;
- Le droit commercial général ;
- Le recouvrement des créances et les voies d’exécution ;
- Le droit des sûretés ;
- Le droit des procédures collectives ;
- Le droit de l’arbitrage ;
- Le droit du travail ;
- Le droit bancaire ;
- Le droit de la vente et le droit des transports.
En application de l’article 2, le Conseil des Ministres de l’OHADA est habilité à
étendre le champ matériel en y incluant des matières autres que celles qui sont prévues par le
Traité. Par une décision du 30 mars 2001, le Conseil des Ministres de l’OHADA a étendu le
champ d’application matériel du Traité aux matières suivantes :
5
- droit bancaire ;
- droit de la concurrence ;
- droit de la propriété intellectuelle ;
- droit des sociétés coopératives et mutualistes,
- droit des sociétés civiles, le droit des contrats et le droit de la preuve.
II : Les règlements d’application et les décisions
Il s’agit de règlements d’application et des décisions prévus par l’article 4 du Traité
OHADA.
Prévus par l’article 4 du Traité OHADA, Les règlements et les décisions pris en
application du Traité visent à assurer l’organisation et le fonctionnement des organes et
institutions de l’OHADA.
Les règlements d’application et décisions sont adoptés à la majorité absolue par le
Conseil des Ministres de l’OHADA. Ils sont soumis, avant leur adoption, au contrôle de la
CCJA. D’ailleurs, la CCJA assure leur application et leur interprétation.
Depuis qu’elle a été créée, l’OHADA a adopté les deux principaux règlements
suivants :
- Règlement de procédure de la CCJA ;
- Règlement d’arbitrage de la CCJA.
Parmi les décisions prises par le Conseils des Ministres de l’OHADA, on peut
notamment citer la décision du 23 mars 2001 relative au programme d’harmonisation du droit
des affaires.
Section 2 : Les sources dérivées
Les sources dérivées sont constituées des actes juridiques pris par les organes
normatifs de la CEMAC ou de l’OHADA en application des traités respectifs des deux
Organisations. Ces actes juridiques sont adoptés dans les domaines de compétence et selon les
procédures définis par chacun des deux Traités. Dans les deux Organisations, il existe des
sources dérivées principales auxquelles s’ajoutent d’autres sources dérivées.
§1 : Les principales sources dérivées
Si le règlement est la principale source dérivée du Traité CEMAC, en revanche, en
droit OHADA, l’Acte uniforme constitue la source dérivée par excellence.
I : Les règlements CEMAC
Pour la mise en œuvre du programme d’harmonisation des activités économiques et
financières dans la CEMAC, le Conseil des Ministres adopte, en application de l’article 40 du
Traité, des règlements.
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Le règlement CEMAC est un texte de portée générale qui contient des dispositions
relevant de la loi en droit interne et qui est directement et obligation applicable dans chaque
Etat membre. C’est à travers le règlement que sont adoptées les règles communes encadrant
les activités monétaires, bancaires et financières dans la zone CEMAC. Le règlement
constitue ainsi le droit dérivé ou matériel de la CEMAC. Depuis l’entrée en vigueur du Traité
CEMAC, les règlements suivants ont été adoptés, selon les cas, par le Conseil des Ministres
de l’UEAC ou le Comité Ministériel de l’UMAC :
• Le droit bancaire issu de la convention portant harmonisation de la réglementation
bancaire le 17 janvier 1992. De nombreux règlements fixant le régime des
établissements de crédit et des opérations financières sont dérivés de cette convention.
Quant au contrôle du respect de la réglementation bancaire, il est assuré dans l’espace
CEMAC par la Commission des Opérations Bancaires de l’Afrique Centrale créée par
la convention du 16 octobre 1990.
- Le droit communautaire de la concurrence issu du Règlement n° 1/99/UEAC-CM-
639 du 25 juin 1999 portant réglementation des pratiques commerciales
anticoncurrentielles ;
- Le droit des transports de marchandises issu du règlement n° 08/12-UEAC-088-
CM-23 du 22 juillet 2012 portant Code communautaire de la marine marchande ; de
l’acte n° 4/96-UDEAC-611-CE-31 du 05 juillet 1996 portant convention Inter-Etats de
transport multimodal de marchandises ; de la Convention Inter-Etats de Transport
Routier de Marchandises Diverses (CIETRMD), adoptée par le conseil des chefs
d’Etats suivant acte n°15/84 UDEAC-146 du 19 décembre 1984 ; du règlement n°
2/99/UEAC-CM-654 du 25 juin 1999 portant réglementation du transport des
marchandises dangereuses par route ; du Règlement n° 10/00-CEMAC-066-CM-04
du 21 juillet 2000 portant adoption du Code de l'Aviation Civile de la CEMAC ; du
règlement n°14/99/CEMAC-036-CM-03 du 17 Décembre 1999 portant Code de
la Navigation Intérieure CEMAC-RDC
- Le droit douanier issu de l’acte N° 8/65-UDEAC-37 du 14 décembre 1965 portant code des douanes de la CEMAC ;
- Le droit boursier issu du Règlement 06/03-CEMAC-UMAC du 12 novembre 2003
portant organisation, fonctionnement et surveillance du marché financier de l’Afrique
centrale.
- Le droit des instruments de crédit et de paiement issu du règlement du 04 avril
2003 relatif aux systèmes, moyens et incidents de paiement.
Cette énumération montre que l’unification par la CEMAC n’a conservé qu’un
nombre restreint de matières, ce qui n’est pas le cas de l’OHADA qui a adopté de nombreux
Actes uniformes.
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II : Les Actes uniformes de l’OHADA
Selon l’article 5 du Traité OHADA, on entend par Acte uniforme tout Acte pris pour
l’adoption des règles communes prévues par l’article 1er du Traité. C’est à travers l’adoption
des Actes uniformes que le Conseil des Ministres harmonise le droit des affaires dans les Etats
membres.
Les Actes uniformes sont adoptés selon une procédure particulière décrite par le Traité
OHADA. Le projet d’Acte uniforme est préparé par le Secrétariat Permanent de l’OHADA,
en concertation avec les États membres dont il recueille les observations écrites, avant de
consulter pour avis la CCJA, le tout dans les délais prescrits par le Traité88. À la fin de ce
processus, le Secrétariat Permanent rédige le texte définitif du projet et propose son
inscription à l’ordre du jour du prochain Conseil des Ministres. Depuis le 1er janvier 1998, le
Conseil des Ministres a adopté les Actes uniformes suivants :
• Le droit des sociétés commerciales et du GIE (révisé) ;
• Le droit commercial général (acte uniforme révisé);
• Le droit des sûretés (acte uniforme révisé) ;
• Les procédures simplifiées de recouvrement et voies d’exécution ;
• Le droit des procédures collectives d’apurement du passif (révisé) ;
• Le droit de l’arbitrage ;
• Le droit comptable et l’information financière (révisé) ;
• Le droit des transports de marchandises ;
• Le droit des sociétés coopératives.
§2 : Les autres sources dérivées
Ces sources dérivées sont principalement prévues par le traité CEMAC. Il s’agit, d’une
part, des directives et, d’autre part, des décisions, recommandations et avis.
I : Les directives
La directive vise à rapprocher les législations en laissant aux Etats membres le soin de
l’adapter en droit interne. Cette adaptation se fait par une transposition de la directive en droit
interne. Mais chaque Etat conserve sa compétence en ce qui concerne la forme, les moyens et
le moment de la transposition.
Les directives sont prises, selon les cas, par le Conseil des Ministres et
le Comité Ministériel.
8
II : Les décisions, recommandations et avis
La décision n’a pas un caractère général. Son caractère normatif ne vaut qu’à l’égard de son destinataire qui peut s’en prévaloir devant la
juridiction communautaire en cas de violation.
Les décisions sont prises par la Conférence des Chefs d’Etat, le Conseil des Ministres, le Comité Ministériel, les premiers responsables des Institutions, organes et Institutions spécialisées de la Communauté.
Les recommandations et les avis n’ont aucun caractère normatif. Par
la recommandation, les Etats membres sont invité à agir dans un certain
déterminé.
A travers un avis, les organes ou les institutions de la Communauté émettent une opinion au sujet d’une question qui leur est posée. Comme la recommandation, l’avis n’a pas de force exécutoire.
Le Conseil des Ministres, le Comité Ministériel, les premiers
responsables des Institutions, organes et Institutions spécialisées de la
CEMAC formulent des recommandations et des avis.
9
Chapitre 2 : Les rapports juridiques entre les organisations
La coexistence de plusieurs ordres juridiques supranationaux sur un même territoire
pose la question des rapports qu’ils entretiennent entre eux. Mais la détermination de ces
rapports nécessite au préalable que soit déterminée la nature juridique de chaque organisation.
Section 1 : La nature juridique de la CEMAC et de l’OHADA
Pour déterminer la nature juridique de la CEMAC et de l’OHADA, il convient au
préalable de se prononcer sur la nature des deux Organisations. C’est seulement après avoir
déterminé la nature de chaque organisation que l’on pourra qualifier le droit que secrète
chaque organisation.
§ 1 : La nature des Organisations
Au regard des objectifs des deux Traités constitutifs, on peut dire que la CEMAC et
l’OHADA sont deux organisation d’intégration de nature différente.
I : La nature de la CEMAC
La CEMAC est une organisation d’intégration économique et monétaire. Une telle
organisation a pour but la construction d’un marché commun ou, de façon plus achevée, un
marché intérieur par l’abolition des frontières entre États membres. Pour atteindre cet objectif,
la communauté harmonise les législations des États membres ayant un lien avec les activités
économiques et financières. Autrement dit, l’uniformisation des règles est non pas le but de
l’organisation mais un moyen de parvenir à la constitution d’un marché commun. S’il existe
de nombreux exemples de communautés économiques (citer par exemple le MERCOSUR ou
l’Accord de Libre-Échange Nord-Américain (ALENA) ou l’Association des Nations du Sud-
Est Asiatique (ASEAN), c’est véritablement l’Union européenne qui constitue le modèle de
référence de l’organisation d’intégration économique et/ou politique.
Historiquement, c’est avec le Traité de Rome du 25 mars 1957 qu’a été créée la
Communauté économique européenne, qui visait à mettre en place un marché commun en
rapprochant les politiques économiques nationales et en permettant la libre circulation des
marchandises. Le Traité de Rome a été complété par l’Acte unique européen qui a étendu le
principe de la libre circulation aux personnes et aux capitaux. Il en est résulté un marché
unique européen que le Traité de Maastricht a transformé en Union économique et monétaire.
À cette occasion, les pouvoirs des institutions européennes ont été élargis et l’Union a été
dotée d’une monnaie unique. On est ainsi progressivement passé d’une Europe économique et
monétaire à une union politique, aujourd’hui dénommée Union européenne, qui va au-delà de
la simple intégration. C’est pour parvenir à cette Union que les législations des États membres
sont harmonisées.
Ce modèle d’intégration économique et monétaire a été repris en Afrique centrale et de
l’ouest où ont été respectivement créées la CEMAC et de l’UEMOA. Il s’agit de
communautés constituées, chacune, en une organisation interétatique ayant pour but de
parvenir à l’intégration économique de ses membres par la création d’un marché commun ou
10
d’un espace économique unifié. Comme dans le cadre de l’Union européenne,
l’harmonisation des législations des États membres est un moyen de parvenir à la création du
marché commun.
C’est parce que le marché commun constitue le but premier de la communauté ou de
l’union économique que les frontières internes sont abolies. Ainsi est appliqué, en principe,
dans les zones CEMAC et UEMOA, le principe de la libre circulation des personnes30, des
biens et des services, et des capitaux, mais aussi la liberté d’établissement31 des ressortissants
de la communauté. C’est dans cette optique que la communauté réglemente la concurrence
entre États membres32. Cette réglementation s’inscrit normalement dans un processus de
construction d’une union économique pour permettre la libre circulation, sur le territoire de la
communauté, des biens et des capitaux. Comme la communauté garantit aussi la libre
circulation des personnes, la boucle est pour ainsi dire bouclée et le processus d’intégration
achevé33. C’est ce que l’on observe dans le cadre de l’UEMOA et, dans une moindre mesure,
de la CEMAC34. Comme ces deux organisations ont pour ambition de constituer un marché
commun35, elles ont réglementé, dans leurs espaces communautaires respectifs, le droit de la
concurrence.
Reste alors la question des frontières externes de la communauté qui commerce avec
des États tiers. Les libertés de circulation, commerciales et d’établissement ne s’appliquent
qu’aux ressortissants de la communauté ou de l’union économique. Dès lors que l’on sort de
ses frontières, la communauté applique un tarif extérieur commun auquel sont soumis tous les
États non membres.
II : La nature de l’OHADA
L’OHADA est une organisation d’intégration juridique qui ne présente pas les
caractéristiques fondamentales de la communauté ou de l’union économique. En effet, à la
différence de celle-là, l’OHADA n’a pas pour objet la constitution d’un marché commun.
Alors que l’harmonisation des législations n’est qu’un moyen qu’utilise la communauté ou
l’Union économique pour atteindre son objectif d’intégration économique par la constitution
d’un marché commun, l’OHADA, en revanche, procède à une telle harmonisation36 sans
poursuivre le but de constitution d’un marché commun.
Certes, en application de l’article 2 du Traité, le Conseil des Ministres de l’OHADA a
étendu le champ de l’harmonisation au droit de la concurrence. L’exégète pourrait alors
penser que, à l’instar de la CEMAC et de l’UEMOA, l’OHADA poursuivrait désormais un
objectif de création d’un marché commun. Si tel était le cas, la nature juridique de
l’organisation pourrait s’en trouver modifiée et le droit qui en serait issu requalifié en droit
communautaire38. Mais une telle conclusion serait hâtive car l’objectif prioritaire de
l’OHADA n’a pas évolué39. Il en est de même, conséquemment, de la qualification de
l’organisation, qui n’est pas non plus une union politique.
En effet, L’OHADA n’est pas une union politique entre les États membres et ayant des
objectifs politiques clairement définis dans le Traité constitutif. Dans la théorie des
organisations d’intégration, l’union politique est le stade ultime qui permet de doter
11
l’organisation commune d’une constitution ou, à tout le moins, de renforcer, comme dans le
cadre de l’Union européenne, les pouvoirs des institutions de la communauté. L’OHADA ne
poursuit pas un tel objectif et ne peut donc être considérée comme une union politique.
Certes, on s’est interrogé sur le rôle politique et judiciaire respectivement dévolus par
le Traité au Conseil des Ministres et à la CCJA. Mais le rôle politique du Conseil des
Ministres était limité au domaine de l’harmonisation du droit des affaires, seule compétence
législative que les États membres ont accepté de transférer à l’Organisation commune. Plus
problématique paraît la construction d’un espace judiciaire de l’OHADA, la CCJA imposant,
par ses avis41 et décisions, une interprétation et une application uniformes du nouveau droit.
Toutefois, ce rôle fondamental de la CCJA ne peut transformer en union politique une
organisation internationale interétatique dont l’unique but est d’harmoniser le droit des
affaires dans les États membres. Parce qu’elle n’est pas une union politique, l’OHADA ne
peut donc secréter un droit communautaire43.
Toutefois, l’institution, en 2008, de la Conférence des Chefs d’État et de
Gouvernement de l’OHADA a contribué à complexifier la détermination de la nature
juridique de l’OHADA. En effet, le Traité révisé de 2008 a modifié la structure
institutionnelle de l’OHADA en consacrant la Conférence des Chefs d’État et de
Gouvernement comme l’organe suprême de l’organisation. Il faut lire M. KAMTO qui nous
apprend qu’il ressort du « Compte rendu de la réunion du Conseil des Ministres » tenue à
Malabo, en Guinée Équatoriale, du 12 au 14 septembre 2014, qu’un État membre et les
experts de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) ont initialement été
réticents à l’idée d’instituer cet organe44. Ils se fondaient notamment sur le fait qu’une telle
institution pourrait « transformer l’OHADA en organisation politique alors qu’elle a été
conçue à l’origine comme un organe technique d’intégration juridique »45. D’ailleurs,
ajoutaient-ils, « ni l’OAPI, ni la CIMA, qui ont la même finalité d’intégration juridique, ne
sont dotés d’un tel organe ». Certes, le risque redouté47 d’une évolution vers une organisation
politique semble avoir été conjuré par l’article 27, qui précise que le nouvel organe se réunit
en tant que de besoin et limite son champ de compétence à toute question relative au Traité48.
Mais la crainte de transformer l’OHADA en une union politique n’est pas sans fondement49,
la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement faisant « perdre un peu plus à l’OHADA
son caractère de simple outil technique ».
Quoiqu’il en soit, l’institution de la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement
a relancé le débat sur la nature juridique de l’OHADA et, par voie de conséquence, sur la
qualification du droit qu’elle secrète. Ce risque d’une évolution vers une union politique
semble toutefois maîtrisé. En effet, la conférence des Chefs d’État et de Gouvernement
présente un intérêt pratique car elle aura pour principales missions de « définir les grandes
orientations de la politique d’harmonisation, donner une impulsion à l’action de l’OHADA et
coordonner celle-ci avec celles des autres organisations africaines d’intégration économique ;
elle pourrait également veiller au bon fonctionnement des organes et des institutions de
l’organisation »51. En somme, le nouvel organe suprême de l’organisation pourrait se
contenter de « traduire une volonté politique pour pérenniser le modèle OHADA et non
d’intervenir directement dans le fonctionnement de l’OHADA. Si tel est le cas et il est
12
souhaitable qu’il soit toujours ainsi, la conception de l’OHADA comme outil technique reste
sauve ». Il en résulte que la qualification retenue en application du Traité originel n’a pas
changé avec la révision intervenue en 2008.
LA QUALIFICATION RETENUE
L’intégration juridique n’est qu’un objectif incident des organisations d’intégration
économique. Les traités constitutifs de la CEMAC et de l’UEMOA visent, en effet, la création
d’un marché commun. C’est cet objectif qui induit l’harmonisation des législations des États
membres. Ce processus est totalement inversé avec l’OHADA dont le but n’est pas de
constituer un marché commun. Le Traité de Port-Louis révisé au Québec assigne à
l’organisation commune la mission de réaliser l’intégration juridique des États membres.
Cette mission influe sur la qualification de l’OHADA, qui est une organisation d’intégration
juridique dont l’unique mission est d’harmoniser le droit des affaires des États membres.
Une organisation d’intégration juridique
On pourrait reprendre, pour bien faire ressortir la caractéristique fondamentale de
l’OHADA, la phrase évocatrice du Professeur POUGOUE : « l’Organisation pour
l’Harmonisation en Afrique du
Droit des Affaires (OHADA), ce n’est que du droit ». Ainsi, depuis l’adoption des premiers
Actes uniformes en 1998, l’OHADA est « plus de 2000 articles et une jurisprudence
abondante »54. Tel est le produit de l’harmonisation du droit des affaires par l’OHADA.
Traditionnellement, c’est dans le cadre d’une organisation d’intégration économique ou
politique, qui postule une communauté économique ou politique, que le droit est harmonisé.
C’est ce que l’on observe dans le cadre de la CEMAC et de l’UEMOA, qui se rapprochent du
modèle d’intégration de l’Union Européenne. Pour aboutir à la création d’un marché commun
ou d’un marché intérieur, les États membres coordonnent leurs politiques économiques et
mettent en oeuvre les principes de libre circulation des personnes, des biens, des services et
des capitaux. C’est la volonté d’atteindre ces objectifs économiques qui conduit à
l’harmonisation du droit qui a nécessairement une nature communautaire.
La logique est inversée avec l’OHADA, qui vise à doter les États membres, qui se sont
engagés à les appliquer, de règles communes, identiques, simples et adaptées à leurs
économies. À la différence des organisations d’intégration économique qui tentent de
coordonner les politiques économiques en vue de créer un marché commun, l’OHADA, en
revanche, est une organisation internationale intergouvernementale dont la mission est de
coordonner la politique d’harmonisation du droit
des affaires décidée par les États membres56. Il ne s’agit nullement de donner naissance à une
communauté ou une union politique et, par voie de conséquence, à un droit communautaire57.
D’ailleurs, pour bien marquer la différence avec les organisations d’intégration économique,
l’OHADA est souvent qualifiée « d’espace »58, traduisant ainsi l’idée d’une absence de
communauté économique ou politique.
Si l’OHADA diffère fondamentalement de la CEMAC et de l’UEMOA,
l’Organisation se rapproche, en revanche, d’autres organisations d’intégration juridique dans
le domaine du droit des affaires. Parmi ces organisations on peut principalement citer
l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI)59 et la Conférence
Interafricaine des Marchés d’Assurance (CIMA)60, qui ont respectivement doté les États
membres d’un régime uniforme de protection de la propriété littéraire et artistique et de la
propriété industrielle61 et d’un droit des assurances62, directement et obligatoirement
13
applicable dans les États membres. Certes, l’OAPI et la CIMA, à la différence de l’OHADA,
ont un champ d’application que les traités constitutifs limitent à la propriété intellectuelle et
au droit des assurances63. Mais ces deux organisations ont la même nature juridique que
l’OHADA. Il s’agit d’organisations d’intégration juridique64 qui diffèrent fondamentalement
des organisations d’intégration économique et monétaire comme la CEMAC et l’UEMOA.
L’article 1er du Traité de l’OHADA confirme cette analyse, qui confère à l’organisation la
mission exclusive d’harmoniser le droit des affaires des États membres.
La mission unique : l’harmonisation du droit des affaires
Si l’organisation d’intégration économique vise à créer un marché commun et
harmonise, pour ce faire, le droit des activités économiques, l’OHADA ne poursuit pas cet
objectif économique. Les États membres ont accepté de confier à l’organisation commune une
compétence exclusive consistant à élaborer, à leur profit, des règles communes, interprétées
selon des procédures judiciaires appropriées65. Cette mission, qui n’a pas évolué avec la
révision de 2008, a nécessité la création d’un organe normatif, le Conseil des Ministres,
chargé d’édicter les règles communes avec l’assistance d’un organe exécutif, le Secrétariat
Permanent, et d’un organe juridictionnel, la CCJA, ayant pour mission principale d’assurer
l’interprétation et l’application uniformes des règles communes. C’est parce que ces organes
ont une fonction technique que l’on qualifie l’OHADA d’organisation internationale, ayant «
un caractère intergouvernemental et technique », qui est « chargée de coordonner la
coopération entre les États membres dans le domaine de l’harmonisation du droit des affaires
». Même la personnalité juridique internationale prévue par l’article 46 du Traité ne suffit pas
à changer la nature juridique de l’OHADA. C’est peut-être parce que son unique et exclusive
mission est d’harmoniser le droit des affaires dans les États membres que l’œuvre
d’harmonisation de l’OHADA est quantitativement plus importante que celle de la CEMAC
ou de l’UEMOA. En effet, malgré un domaine d’harmonisation qui englobe les activités
économiques et financières70, la CEMAC et l’UEMOA n’ont harmonisé que les domaines
relatifs au droit bancaire71, au droit monétaire72, au droit financier73, à la comptabilité des
entreprises privées74 et au droit de la concurrence75 dans le marché communautaire.
L’étroitesse des matières harmonisées contraste avec l’harmonisation généralisée du droit
commercial dans le cadre de l’OHADA. Même si le champ des matières à harmoniser a été
étendu par le Conseil des Ministres, d’une révision à l’autre, la mission unique de l’OHADA
reste cantonnée à l’intégration juridique des États membres. Il s’ensuit que la nature juridique
de l’organisation reste inchangée, avec les conséquences qui s’en infèrent sur la qualification
du droit que secrète l’organisation commune.
§ 2 : La nature des droits
La qualification des droits dépend étroitement de la qualification des organisations qui
secrètent ces droits. Ce raisonnement s’applique pour la détermination de nature du droit
CEMAC et du droit OHADA.
I : La nature du droit CEMAC
Parce qu’il est secrété par une organisation d’intégration économique et monétaire, le
droit CEMAC est un droit communautaire. La notion de droit communautaire a initialement
servi à qualifier le droit de l’Union européenne dont le modèle d’intégration, fondé sur la
constitution d’un marché commun ou d’un marché intérieur, a inspiré la CEMAC et
l’UEMOA. Pour cette raison, la CEMAC et l’UEMOA sont des organisations d’intégration
économique et monétaire.
14
Le droit CEMAC présente les caractères qui font la spécificité du droit
communautaire. En effet, en application de l’article 44 du Traité, le droit CEMAC est
d’application directe et obligatoire dans tous les Etats membres, nonobstant toute disposition
nationale contraire, antérieure ou postérieure. C’est le principe de supranationalité qui fonde
la suprématie du droit communautaire CEMAC sur les droits internes des pays membres.
II : La nature du droit OHADA
Comme l’OHADA n’est ni une organisation d’intégration économique et monétaire ni
une organisation politique, le droit que secrète l’organisation en peut être qualifié de droit
communautaire. Il s’agit plutôt d’un droit uniforme ou supranational.
Toutefois, le droit OHADA est parfois à tort qualifié de droit communautaire parce
qu’il emprunte les caractères de ce droit. En effet, en application de l’article 10 du Traité
OHADA, le droit OHADA est directement et obligatoirement applicable dans les Etats
membres. Ainsi, comme l’article 44 du Traité CEMAC, l’article 10 du Traité OHADA
contient le principe de la supranationalité du droit OHADA qui fonde sa supériorité sur les
droits internes des pays membres. C’est cette similitude de caractères qui conduit certains à
qualifier, à tort, le droit OHADA de droit communautaire. Il s’agit en réalité d’un droit
uniforme ou supranational qui est le même dans les Etats membres de l’Organisation.
Cette caractéristique fondamentale du droit CEMAC et OHADA traduisent la création
par chaque organisation d’un ordre juridique.
Section 2 : Les ordres juridiques CEMAC et OHADA
Dès lors que l’existence des ordres juridiques CEMAC et OHADA est établie, il
convient, d’une part, de déterminer les rapports que ces ordres juridiques entretiennent avec
les ordres juridiques nationaux et, d’autre part, entre ordres juridiques supranationaux.
§1 : L’existence des ordres juridiques
Dans la limite des pouvoirs qui leur sont conférés par leurs Traités respectifs, la
CEMAC et l’OHADA jouissent d’une autonomie normative et juridictionnelle. Cette double
autonomie permet de conclure à l’existence d’un ordre juridique dans chaque espace.
I : L’autonomie normative des ordres juridiques
L’autonomie normative signifie que la CEMAC et l’OHADA possèdent leurs sources
normatives propres radicalement différentes des sources de la loi en droit interne et des
sources du droit international.
La CEMAC et l’OHADA possèdent leurs sources normatives propres, radicalement
différentes des sources de la loi en droit interne et des sources du droit international. Cette
autonomie se résume en quelques éléments qui mettent en exergue la spécificité des droits
CEMAC et OHADA. En premier lieu, les Traités CEMAC et OHADA, comme tous les
Traités internationaux, s’intègrent dans l’ordonnancement juridique interne des États dès leur
ratification et leur publication dans le journal officiel des États signataires. Mais là s’arrête
15
l’analogie avec le droit international car, outre leur durée illimitée, les Traités CEMAC et
OHADA créent des organes – La Conférence des Chefs d’État de Gouvernement, le Conseil
des Ministres et le Secrétariat permanent – chargés respectivement de faire fonctionner et de
représenter l’Organisation. En second lieu, l’autonomie normative de la CEMAC et de
l’OHADA s’infèrent de la procédure spécifique d’adoption des règlements CEMAC et des
Actes uniformes de l’OHADA.
Par exemple, en ce qui concerne l’OHADA, tout projet d’Acte uniforme est préparé
par le Secrétariat Permanent de l’OHADA, en concertation avec les États membres dont il
recueille les observations écrites, avant de consulter pour avis la CCJA, le tout dans les délais
prescrits par le Traité. À la fin de ce processus, le Secrétariat Permanent rédige le texte
définitif du projet et propose son inscription à l’ordre du jour du prochain Conseil des
Ministres. Il s’ensuit que le Conseil des Ministres légifère directement en adoptant des actes
qui s’imposent aux États membres et créent des droits et obligations au profit ou à l’encontre
de leurs sujets de droit, sans que, à un moment quelconque dans le processus, le législateur
national n’intervienne.
L’autonomie normative se manifeste, enfin, dans les modes de production des droits
CEMAC et OHADA qui prennent respectivement la forme juridique de règlement et d’Actes
uniformes intervenant dans les domaines traditionnellement réservés à la loi en droit interne.
II : L’autonomie juridictionnelle des ordres juridiques
L’autonomie normative de la CEMAC et de l’OHADA est complétée par une
autonomie juridictionnelle qui est fondée sur l’objectif de sécurité judiciaire dans les deux
espaces. Cette autonomie se manifeste par la création de la Cour de Justice de la CEMAC et
de la CCJA qui sont chargées, chacune en ce qui la concerne, d’interpréter et de contrôler
l’application uniforme du droit CEMAC et du droit OHADA. Le rôle de la CJ de la CEMAC
et de la CCJA parachève la construction de l’autonomie institutionnelle des droits CEMAC et
OHADA. Ces juridictions supranationales sont chargées d’unifier l’application et
l’interprétation de leurs droits respectifs.
Les techniques d’interprétation du droit supranational
Pour atteindre les objectifs qu’ils se fixent, les législateurs CEMAC et OHADA
instituent des techniques diverses qui permettent d’assurer la supériorité des juridictions
supranationales et l’unité d’interprétation du droit des deux organisations. Ces mécanismes
sont mis en œuvre par les juridictions supranationales instituées par le droit primaire. Ces
juridictions ont l’exclusivité de l’interprétation de la législation supranationale. Toutefois,
l’on constate que la souveraineté judiciaire des Etats n’est pas complètement remise en cause.
Il existe, en effet, une sorte de dialogue entre les juridictions nationales et les juridictions
supranationales. Ce dialogue est instauré sous la forme d’une répartition des compétences sur
le plan fonctionnel. Seules diffèrent les modalités visant à assurer cette répartition des
compétences. A la subordination hiérarchique qui prévaut dans les rapports entre la CCJA et
les juridictions nationales s’oppose le principe de coopération entre la CJ CEMAC et les
juridictions nationales. Ce dialogue entre juridictions supranationales et juridictions nationales
peut prendre la forme d’une cassation sans renvoi ou d’un recours préjudiciel.
16
La cassation sans renvoi en droit OHADA
Traditionnellement, la cour de cassation n’est pas un troisième degré de juridiction. Sa
mission essentielle consiste à unifier l’application et l’interprétation de la règle de droit. En
tant que Cour régulatrice, elle vérifie par conséquent la bonne application de la règle de droit
par les juridictions inférieures et assure, par la censure qu’elle opère, le cas échéant, l’unité
d’application et d’interprétation de la législation Certes, il existe des cas de cassation sans
renvoi en droit interne. Mais outre qu’il s’agit d’une faculté, les hypothèses retenues par le
législateur montrent que la Cour régulatrice n’est pas conduite à examiner à nouveau les faits
qui restent de la compétence des juges du fond. Enfin, il convient de noter que les cas de
cassation sans renvoi sont limitativement énumérés par la loi. La cassation sans renvoi
apparaît donc comme une exception au principe du renvoi devant une juridiction inférieure.
C’est ce système d’unification de l’application et de l’interprétation de la règle de droit qui est
en vigueur devant les juridictions judiciaires des pays francophones membres de de la
CEMAC ou de l’OHADA.
Force est alors de reconnaître que le système retenu par le traité de l’OHADA tranche
singulièrement avec les règles traditionnelles. En effet, dans le cadre de la phase contentieuse,
la cassation sans renvoi est la technique d’unification par excellence de la jurisprudence
OHADA retenue par le législateur de l’OHADA. Elle consiste pour la CCJA à évoquer et
statuer au fond chaque fois qu’elle casse une décision rendue par la juridiction d’appel d’un
Etat membre dans toutes les questions relatives à l’application du droit dérivé. Autrement dit,
il revient à la CCJA, chaque fois qu’elle annule une décision qui lui est soumise, de trancher
le litige. A rebours de la règle classique, les rédacteurs du traité de l’OHADA ont clairement
opté pour la jonction des faits et du droit devant la CCJA. L’article 14 qui prévoit cette règle
érige donc la CCJA en troisième degré de juridiction. Non seulement elle examine les moyens
de droit, mais elle est aussi autorisée à se prononcer sur le fond de l’affaire chaque fois qu’elle
annule une décision d’une juridiction nationale. Autrement dit, en cas de cassation, la CCJA
ne renvoie pas l’affaire devant un juge national.
Cette caractéristique fondamentale place les juridictions nationales sous la
subordination hiérarchique de la CCJA. Craignant la cassation de leurs décisions par la Haute
juridiction, les juridictions nationales seront nécessairement conduites à rendre des décisions
en tenant compte de la doctrine de la CCJA. A priori, le système retenu par le législateur de
l’OHADA est singulier car il n’est utilisé par aucune autre juridiction supranationale pour
unifier l’interprétation du droit uniforme.
On constatera, par exemple, que les Cours de Justice de la CEMAC, de l’UEMOA ou
des communautés européennes utilisent la procédure du recours préjudiciel. Peut-être faut-il
voir dans l’innovation du législateur de l’OHADA l’empreinte de l’ampleur de l’unification
du droit commercial ainsi qu’un signal fort en direction des opérateurs économiques rassurés
par l’existence d’un juge de cassation unique à l’échelle communautaire qui tranche les litiges
sans renvoyer devant une juridiction inférieure.
17
Pour promouvoir une technique aussi novatrice dans l’espace judiciaire en Afrique
francophone, le législateur de l’OHADA a dû tenir compte de la nécessité d’assurer la
cohérence, l’efficience et l’unité de l’ordre juridique OHADA. Pour ce faire, sur le plan
judiciaire, il a opéré une répartition des compétences entre la CCJA et les juridictions
nationales. A cet égard, il convient de signaler que les Etats membres ont accepté une
compétence territoriale limitée en ce qui concerne l’application du droit dérivé. C’est ce
qu’exprime l’article 13 du traité selon lequel le contentieux relatif à l’application des actes
uniformes est réglé en première instance et en appel par les juridictions des Etats parties.
En cas de pourvoi, l’article 14 du traité fait de la CCJA l’unique Cour de cassation,
habilitée à se prononcer sur le fond de l’affaire. Cette limitation territoriale de la souveraineté
judiciaire des Etats est une conséquence directe du principe de la supranationalité du droit
OHADA, tel qu’il découle de l’article 10 du traité de l’OHADA. Sur le plan judiciaire, cette
supranationalité induit des abandons de souveraineté judiciaire au profit de la CCJA qui
assure l’unité d’interprétation du droit OHADA. De ce fait, la doctrine de la Haute juridiction
a vocation à devenir l’unique source prétorienne du droit OHADA.
A travers le mécanisme de la cassation sans renvoi, le dessein avoué est de faire en
sorte que la CCJA joue un rôle fondamental dans la formation de la jurisprudence
commerciale, ce qui devrait aussi lui permettre d’œuvrer à la diversification des sources du
droit commercial. Si l’on y ajoute la primauté absolue reconnue aux sources supranationales,
il s’agit, en perspective, d’un véritable bouleversement des sources du droit commercial dans
tous les pays membres de l’OHADA. Ce bouleversement est d’autant plus plausible que, à
l’instar des autres juridictions supranationales, la CCJA peut aussi mettre en œuvre la
procédure du recours préjudiciel.
Le recours préjudiciel devant la CCJA et la CJ de la CEMAC
Le recours préjudiciel aussi dénommé question préjudicielle consiste pour une
juridiction confrontée à un problème d’interprétation d’une norme à interroger une autre
juridiction qui se prononcera sur l’interprétation de la norme. Ainsi la juridiction saisie de la
question principale doit surseoir à statuer jusqu’à ce que la juridiction compétente pour
trancher la question préjudicielle se prononce. Cette caractéristique fondamentale de la
question préjudicielle interdit de la confondre avec la question préalable. En effet, si celle-ci
est tranchée par la juridiction saisie, celle-là, en revanche, ne peut être connue que par une
juridiction autre que celle qui a été saisie de la question principale. C’est cette technique de la
question préjudicielle en interprétation qui a été retenue par les traités CEMAC et OHADA
pour unifier l’interprétation du droit qu’ils secrètent.
Si à l’occasion d’un litige devant le juge national survient un problème d’interprétation
du droit supranational, ce dernier diffère sa décision et interroge le juge supranational, seul
habilité à se prononcer sur la question préjudicielle. Le procès ne reprend que lorsque le juge
national reçoit la réponse du juge supranational.
La question préjudicielle en interprétation diffère de la question préjudicielle en
validité d’un acte supranational. La question préjudicielle en interprétation sert à conjurer ce
18
risque d’interprétation plurielle de la norme supranationale. Cette technique permet ainsi
d’assurer la primauté du droit et de l’ordre juridique supranationaux sur le droit et l’ordre
juridique internes. Cette primauté s’instaure en douceur car le mécanisme de la question
préjudicielle aboutit à une coopération entre le juge national et le juge supranational.
Dans le cadre de l’OHADA, le recours préjudiciel est facultatif. Il résulte de la mission
d’interprétation et d’application du droit OHADA confiée à la CCJA par l’article 14 du traité.
Il prend la forme d’avis sollicités par une juridiction nationale de fond sur tout contentieux
relatif à l’application des Actes uniformes.
Sur le fondement de ce texte, et à la demande de certaines juridictions nationales ou
d’un Etat membre, la CCJA a rendu divers avis, notamment sur le régime des nullités ou la
compétence du juge des urgences dans le cadre de l’Acte uniforme relatif aux procédures
simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution ou sur la portée et l’effet abrogatoire de
la législation interne par le droit uniforme, en application de l’article 10 du traité instituant
l’OHADA.
Dans un avis rendu à la demande du TPI de Libreville, la CCJA a clairement défini
son rôle dans le cadre d’une procédure préjudicielle. (CCJA, Avis n° 001/99/JN du 7 juillet
1999). Pour la Haute juridiction supranationale, les avis qu’elle émet doivent permettre « aux
juridictions nationales de bien rendre le droit suivant la jurisprudence qu’aura à unifier la
Haute Cour, surtout dans l’incertitude de la règle ou du principe à appliquer dans laquelle
elles pourront se trouver. Désormais, grâce à cette procédure d’avis, on peut penser que les
juridictions nationales épargneront les justiciables des décisions les plus fantaisistes ».
La CCJA admet clairement que l’avis qu’elle rend est « dépourvu de tout effet
décisoire découlant de l’autorité de la chose jugée et la force de chose jugée ». Dans le
principe, ni la CCJA ni la juridiction nationale demanderesse ne sont liées par un avis.
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue la mission d’unification de la jurisprudence confiée à la
CCJA. Les avis rendus par la Cour dans le cadre d’une procédure préjudicielle poursuivent cet
objectif.
D’ailleurs, la CCJA affirme elle-même qu’il serait difficilement compréhensible
qu’elle se déjuge si, saisie de la même question par la voie contentieuse, elle rendait une
décision contraire à son avis (CCJA, Avis n° 001/99/JN du 7 juillet 1999). On voit ainsi que,
même facultative, la procédure du recours préjudiciel met en évidence le rapport hiérarchique
qui existe entre la CCJA et les juridictions nationales, ce qui contraste singulièrement avec le
recours préjudiciel organisé par le traité instituant la CEMAC.
, En effet, si les rapports entre les juridictions nationales et la CCJA sont dominés par
la logique de la subordination hiérarchique, il n’en va pas de même des rapports que la Cour
de Justice de la CEMAC entretient avec les juridictions nationales. Ces rapports ressortissent
plutôt d’une logique de coopération.
S’il survient une question d’interprétation de la loi communautaire CEMAC à
l’occasion d’un procès devant le juge national statuant en dernier ressort, ce dernier surseoit à
19
statuer et renvoie la question devant la CJ de la CEMAC qui indique le sens de
l’interprétation. Le juge national statuant en dernier ressort saisit obligatoirement la Cour
communautaire qui dégage le sens de la norme considérée.
A la différence de la procédure prévue dans le cadre de l’OHADA, le juge national est
lié par l’interprétation de la règle. Il doit en faire application dans le litige qui lui est soumis.
Ce faisant, il assure, en collaboration avec la CJ de la CEMAC, l’homogénéité de
l’interprétation du droit CEMAC. C’est en se fondant sur ces différents principes que la
CCJA et la Cour de Justice de la CEMAC construisent actuellement leur jurisprudence qui
constituera, au regard de sa force obligatoire, une importante source formelle du nouveau
droit commercial.
§ 2 : Les rapports avec les ordres juridiques nationaux
Il existe une hiérarchisation entre les ordres juridiques nationaux et les ordres
juridiques supranationaux au profit de ces derniers. Cette hiérarchie se manifeste par la
suprématie des normes et de la jurisprudence supranationales.
I : La suprématie des normes supranationales
Elle est assurée par le principe de la supranationalité duquel s’infère l’application
directe et obligatoire des droits CEMAC et OHADA.
A : Le principe de l’application directe
Selon le Cour de Justice des Communautés Européennes, l’application directe suppose
que les normes communautaires ou supranationales « doivent déployer la plénitude de leurs
effets d’une manière uniforme dans tous les Etats membres, à partir de leur entrée en vigueur,
et pendant toute la durée de leur validité ; qu’ainsi, ces dispositions sont une source
immédiate des droits et obligations pour tous ceux qu’elles concernent, qu’il s’agisse des
Etats membres ou des particuliers qui sont parties à des rapports juridiques relevant du droit
communautaire ».
Cette définition de l’application directe par le juge communautaire européen est
parfaitement transposable en droit CEMAC et OHADA car elle fait ressortir les deux aspects
fondamentaux de ces droits : un aspect formel et un aspect matériel. L’aspect formel permet
l’insertion des droits CEMAC et OHADA dans l’ordre juridique interne sans le support d’une
norme de droit interne. Tel est bien le cas des règlements CEMAC et des Actes uniformes de
l’OHADA. Quant à l’aspect matériel, il renvoie à la création par les droits CEMAC et
OHADA, à l’instar de la loi nationale, de droits et obligations au bénéfice ou à la charge des
particuliers. Cette analyse se vérifie quand on s’intéresse aux différents fondements textuels
de l’application directe du droit dérivé.
Dans l’espace CEMAC, l’unification des règles encadrant les activités économiques et
financières est réalisée par le biais de règlements. Or, l’article 21 de l’additif au traité
CEMAC relatif au système institutionnel et juridique de la communauté définit le règlement
20
comme un texte de portée générale directement applicable dans tout Etat membre. Tel est
aussi le cas des actes uniformes OHADA qui sont directement applicables dans tous les Etats
parties en vertu de l’article 10 du traité de l’OHADA.
Ainsi, à l’instar de la CJCE (CJCE. ; 15 juillet 1964, Aff. 6/64, Costa, Rec. P. 1141; 0
mars 1978, aff 106/77 Simmental, Rec 1978, p. 629) et du juge français (Cass. Com, 20
octobre 1998, RJDA 1999, p. 292, n° 366), on peut affirmer que l’établissement d’un ordre
juridique supranational indépendant des ordres juridiques nationaux commande l’application
directe et obligatoire du droit supranational. On retrouve ainsi les principes qui fondent
l’applicabilité en droit interne des règles supranationales.
B : Le principe de l’application obligatoire
Le principe de l’application obligatoire vient compléter le caractère direct et permet
d’assurer la primauté de l’ordre juridique supranational sur l’ordre juridique interne. En effet,
l’unité juridique de l’ordre supranational et son indépendance par rapport aux ordres
juridiques nationaux ne peuvent être réalisées que si le droit supranational revêt un caractère
obligatoire. Ce caractère obligatoire permet une hiérarchisation des ordres juridiques au profit
de l’ordre juridique supranational.
C’est dans cette optique que les traités instituant la CEMAC (article 21) et l’OHADA
(article 10) contiennent le principe de l’application obligatoire du droit dérivé. Ce caractère
obligatoire est fondé sur la supranationalité de la législation supranationalité. Dans quatre
arrêts rendus entre 2001 et 2002 (CCJA, arrêt n° 2 du 11 octobre 2001, Juris OHADA n°
1/02, p. 24 ; arrêt n° 3 du 10 janvier 2002, Juris OHADA n°2/02, p. 23 ; arrêt n° 12 et 13 du
18 avril 2002, Juris OHADA n° 3/02, p. 3 et 10 ; arrêt n° 18 du 27 juin 2002, Juris OHADA
n° 41021, p. 52), la CCJA a clairement affirmé, en application de l’article 10 du traité, ce
caractère obligatoire qui induit la suprématie de la législation supranationale sur le droit
interne des pays membres.
APPLICATION N° 1 : LA SUPRANATIONALITE DU DROIT OHADA (CCJA,
avis du 30 avril 2001)
Il était demandé à la CCJA de donner l’interprétation de l’article 10 du traité de
l’OHADA ainsi rédigé : « Les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires
dans les Etats parties nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou
postérieure ».
Réponse de la CCJA
L’article 10 énonce le principe de la supranationalité du droit OHADA parce qu’il
prévoit l’application directe et obligatoire de ce droit. Par ailleurs, il consacre la suprématie de
ce droit sur le droit interne. Il en résulte qu’en application de l’article 10, toute disposition
contraire de droit interne, antérieure ou postérieure, est purement et simplement abrogée. En
outre, les Etats s’interdisent de légiférer dans le même domaine que le droit OHADA. Ainsi
sont interdites les dispositions de droit interne, présentes ou à venir, ayant le même objet que
les Actes uniformes et étant contraires à celles-ci. Cette interdiction concerne aussi les
21
dispositions de droit interne identiques à celles des Actes uniformes. Par disposition, il faut
entendre un article d’une loi, un alinéa ou une phrase de cet article. Certes, l’avis rendu par la
CCJA n’a pas un caractère obligatoire. Mais la Cour ne se déjugera pas si la question lui était
posée dans un cadre contentieux.
Sanction du non-respect du principe de la supranationalité
En application du principe de la supranationalité, toutes les dispositions modifiant,
complétant ou contraires aux Actes uniformes sont réputées non écrites. Dans le principe,
elles ne peuvent donc recevoir application.
APPLICATION N° 2 : CCJA, arrêt n° 043/2005 du 7 juillet 2005, Affaire A. Y et
autres c/ Sté TOGO TELECOM. L’immunité d’exécution des entreprises publiques
Pour obtenir le paiement d’une somme de 118 970 213 millions de Francs CFA qui
leur était due, des créanciers ont procédé à une saisie-attribution de créances entre les mains
de divers établissements financiers de Lomé sur les comptes de leur débiteur TOGO
TELECOM qui est une société détenue à 100% par l’Etat togolais.
Contestant les saisies pratiquées, TOGO TELECOM prétendait qu’étant une entreprise
publique, elle bénéficiait de l’immunité d’exécution prévue par l’article 30, alinéa 1, de l’Acte
uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies
d’exécution. D’après TOGO TELECOM, cette immunité d’exécution s’oppose à ce que les
entreprises publiques fassent l’objet d’une mesure d’exécution forcée.
A la suite du Tribunal de Première Instance, la Cour d’appel de Lomé adopte ce
raisonnement et ordonne la mainlevée de toutes les saisies-attribution pratiquées sur les
comptes bancaires de TOGO TELECOM.
La CCJA approuve les juges togolais d’avoir ordonné la mainlevée desdites saisies. En
effet, pour la Haute juridiction, l’article 30 précité pose le principe général d’immunité
d’exécution des personnes morales de droit public et des entreprises publiques. Il en résulte
qu’aucune exécution forcée ni mesure conservatoire ne sont applicables à ces personnes ou
entreprises. Les saisies pratiquées sur les comptes de TOGO TELECOM contredisaient donc
ce principe. C’est pour cette raison que la mainlevée a été prononcée.
La CCJA ajoute que les créanciers plaignants ne pouvaient recouvrer leurs créances
qu’en mettant en œuvre les dispositions de l’alinéa 2 de l’article 30. Ce texte atténue le
principe général de l’alinéa 1 en prévoyant une compensation avec les dettes certaines,
liquides et exigibles des entreprises publiques. Autrement dit, si la société TOGO TELECOM
était débitrice des plaignants, la somme qu’ils réclamaient serait venue en déduction de celle
qu’ils devaient à TOGO TELECOM.
Seul le mécanisme de la compensation permet à un créancier de recouvrer les
créances qu’il détient sur une personne morale de droit public ou une entreprise
publique. En l’absence de dettes réciproques, le créancier ne peut user à l’encontre d’une
22
entreprise publique des mesures traditionnelles de recouvrement prévues par l’Acte uniforme
portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution.
Par ailleurs, les créanciers plaignants se fondaient sur la loi togolaise du 4 décembre
1990 portant réforme du cadre institutionnel et juridique des entreprises publiques. L’article 2
de cette loi soustrait les entreprises publiques du régime de droit public pour les soumettre au
droit privé. Autrement dit, TOGO TELECOM ne bénéficiait plus de l’immunité d’exécution
depuis le 4 décembre 1990. Cette argumentation est rejetée par la CCJA qui applique le
principe de la supranationalité du droit uniforme.
En vertu de ce principe contenu dans l’article 10 du traité de l’OHADA et dans
l’article 332 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de
recouvrement et des voies d’exécution, la législation OHADA s’applique obligatoirement
dans tous les Etats membres de l’OHADA et abroge toutes les dispositions contraires des lois
nationales. Il en résulte que dès son entrée en vigueur, l’article 336 de l’Acte uniforme précité
a nécessairement abrogé l’article 2 de la loi togolaise plaçant les entreprises publiques sous un
régime de droit privé. En d’autres termes, l’immunité d’exécution prévue par l’article 30
de l’Acte uniforme ne peut être remise en cause par un législateur national.
Application n° 3 : Le caractère d’ordre public de l’Acte uniforme relatif au droit
des sociétés commerciales (CCJA, avis du 26 avril 2000)
Question posée à la CCJA par l’Etat sénégalais : les SA régies par l’Acte uniforme
relatif au droit des sociétés commerciales et au GIE peuvent-elles créer un poste de vice-
président dans les organes dirigeants de la société ?
Réponse de la CCJA
Une telle démarche serait contraire à l’article 909 de l’acte uniforme relatif à la mise
en harmonie des statuts des sociétés commerciales avec l’Acte uniforme. Autrement dit,
l’article 909 circonscrit le cadre de l’harmonisation et les associés ne peuvent aller au-delà des
dispositions de ce texte.
Application n° 4 : la modification du code des participations au Gabon
(Ordonnance n° 3/2008 du 18 janvier 2008)
Les articles 1, 14, 15, 17, 20, 21 et 22 du code des participations issu de la loi n° 8/83
du 31 décembre 1983 ont été modifiés par l’ordonnance n° 3/2008 du 18 janvier 2008.
L’examen des dispositions modifiées révèle que le législateur national a méconnu le principe
de la supranationalité du droit OHADA déduit de l’article 10 du traité OHADA. Sont
principalement concernés, les articles 14, 17, 20, 21 et 22 de l’ordonnance. On s’en tiendra
aux exemples tirés des articles 14 et 17 de l’ordonnance de 2008.
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Article 14
Les dividendes dus à l’Etat doivent être acquittés dans un délai de 9 mois suivant la
clôture de l’exercice (alinéa 3), toute prorogation de ce délai devant être demandée au juge 15
jours au plus tard avant l’expiration du délai de 9 mois (alinéa 4). La prorogation consentie
par le juge ne peut excéder 3 mois (alinéa 5), ce qui signifie que la mise en paiement des
dividendes dus à l’Etat ne peut, prorogation comprise, excéder un délai de 12 mois.
Commentaire
L’article 146, alinéa 2, de l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et
au GIE prévoit que tous les dividendes, non pas seulement ceux dus à l’Etat, doivent être mis
en paiement dans le même délai de 9 mois à compter de la clôture de l’exercice. En outre, le
juge peut accorder une prorogation qui ne peut excéder trois (3) mois. En prévoyant des
dispositions similaires ou en les complétant, l’article 14 méconnaît le principe de la
supranationalité du droit OHADA qui interdit aux Etats membres de prendre des dispositions
modifiant, complétant ou ayant le même objet que les Actes uniformes.
Article 17
Toute augmentation ou réduction de capital est soumise à l’agrément préalable du
ministre en charge des participations, après avis de la Direction des participations.
Commentaire
Dans la SARL comme dans la SA, les modifications de capital sont de la compétente
exclusive de l’assemblée générale extraordinaire (AGE). Celle-ci se prononce à la majorité
des associés représentant au moins les trois quarts (3/4) du capital social (article 358 pour la
SARL) ou des deux tiers (2/3) des voix exprimés (articles 554 pour la SA). Une société
commerciale, même à participation financière publique, ne peut procéder à une modification
de capital que dans les conditions fixées par l’Acte uniforme. L’article 17 est contraire aux
dispositions de l’Acte uniforme relatives aux variations du capital et porte atteinte au principe
de la supranationalité du droit OHADA.
Application n° 5 : La rémunération des dirigeants des sociétés publiques et para-
publiques (Décret n° 0295 du 30 juin 2010)
L’article 1er de ce texte plafonne la rémunération des « Présidents, vices présidents,
des conseils d’administration et des personnels de direction des établissements publics, des
entreprises publiques et des sociétés d’Etat ». Les sommes plafonnées figurent dans un
tableau en annexe du décret, selon la répartition suivante :
PCA : de 1 500 000 à 3 000 000
Vice-Président du conseil d’administration : de 1 000 000 à 2 500 000
P-DG : de 3 000 000 à 5 000 000
DG : de 2 500 000 à 5 000 000
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DGA : de 2 500 000 à 3 500 000
Commentaire
La rémunération des dirigeants visés dans le décret de 2010 est en principe régie par
l’Acte uniforme OHADA relatif au droit des sociétés commerciales et du GIE.
Rémunération du Président-Directeur Général (P- DG)
Article 467 : les modalités et le montant de la rémunération du P-DG sont fixés par le
Conseil d’Administration (CA) dans les conditions de l’article 430.
Article 430 : hormis les sommes perçues dans le cadre d’un contrat de travail, les
administrateurs ne peuvent recevoir, au titre de leurs fonctions, aucune autre rémunération,
permanente ou non, que celles visées aux articles 431 et 432 du présent Acte uniforme.
Toute clause statutaire contraire est réputée non écrite. De même, toute décision
contraire est nulle.
Rémunération du Président du Conseil d’Administration (PCA)
Article 482 : Le CA fixe les modalités et le montant de la rémunération de son
président dans les conditions prévues à l’article 430 du présent Acte uniforme.
Rémunération du Directeur Général (DG) et du Directeur Général Adjoint
(DGA)
Article 490 : Les modalités et le montant de la rémunération du DG sont fixés par le
CA qui le nomme.
A la lecture de ces dispositions, il ressort clairement que le CA est le seul organe
habilité à fixer le montant et les modalités de la rémunération des dirigeants sociaux. Ces
principes s’appliquent à toutes les sociétés commerciales installées dans l’espace OHADA,
même aux sociétés dans lesquelles l’Etat ou une personne morale de droit public est associé.
En d’autres termes, les sociétés publiques, para-publiques ou les sociétés d’Etat sont soumises
à l’Acte uniforme dès lors qu’elles ont la forme d’une société commerciale.
En conséquence, le décret du 30 juin 2010 plafonnant la rémunération des dirigeants
des entreprises publiques et des sociétés d’Etat contredit le principe de la supranationalité du
droit OHADA ainsi que les dispositions pertinentes de l’Acte uniforme sur les sociétés
commerciales. Parce qu’elles sont contraires au droit uniforme, ces dispositions sont réputées
non écrites.
II : La suprématie de la jurisprudence supranationale
La cohérence des ordres juridiques CEMAC et OHADA n’aurait pu être assurée si les
juridictions nationales avaient conservé la plénitude de leurs pouvoirs en matière
d’interprétation de la loi commerciale. Ainsi, aux abandons de souveraineté législative se sont
ajoutés des abandons de souveraineté judiciaire, l’interprétation de la loi uniforme étant
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confiée à des organes juridictionnels supranationaux. Pour permettre l’application directe,
obligatoire et exclusive de la jurisprudence supranationale dans les Etats membres, tous les
traités instituant des juridictions supranationales accordent l’autorité de la chose jugée et la
force exécutoire aux décisions qu’elles rendent.
A : L’autorité de forcée jugée des décisions
L’autorité de la chose jugée attachée aux décisions de justice signifie que, sous réserve
des voies de recours, elles ont la force de la vérité légale qui empêche que la même cause soit
à nouveau jugée entre les mêmes parties dans un nouveau procès. Toutes les décisions
rendues par les cours de la CEMAC (article 5 de la convention régissant la Cour de Justice de
la CEMAC) et de l’OHADA (articles 20 du traité de l’OHADA ; 47 et 49 du règlement de
procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage) revêtent cette autorité.
Même s’il semble confondre l’autorité de la chose jugée avec la force de chose jugée
attachée à une décision, le législateur communautaire a voulu signifier que les Cours de
justice communautaires ont un pouvoir juridictionnel autonome qui les soustrait à tout
contrôle interne. Les décisions qu’elles rendent s’appliquent dans les Etats membres sans le
secours d’une convention internationale d’entraide judiciaire.
La CCJA confirme, a contrario, cette caractéristique fondamentale des arrêts qu’elle
rend. En effet, en affirmant que ses avis n’ont ni l’autorité de la chose jugée ni la force de
chose jugée, elle laisse entendre que les arrêts rendus en application des articles 14 et 15 du
traité de l’OHADA revêtent ces caractères.
Parce que les Cours supranationales ont l’exclusivité de l’interprétation du droit
uniforme dans leurs domaines respectifs, le législateur supranational a craint que les Etats ne
mettent en échec les décisions supranationales, c’est-à-dire l’interprétation uniforme de la loi
uniforme. C’est la raison pour laquelle, à l’autorité de la chose jugée, s’ajoute la force
exécutoire que les traités étudiés attachent aux décisions des juridictions supranationales.
B : La force exécutoire des décisions
La force exécutoire est un ordre par lequel les autorités ordonnent l’exécution d’un
acte ou prêtent leur concours à cette exécution. Seules les décisions rendues par les
juridictions nationales ont en principe la force exécutoire. En raison de la souveraineté des
Etats, les décisions rendues par une juridiction étrangère n’acquièrent cette force sur le
territoire d’un autre Etat qu’à la suite d’une décision d’exequatur rendue par le juge national.
L’exequatur permet donc l’application dans un pays d’une décision rendue par une juridiction
étrangère. Or la décision d’exequatur est rendue après une longue procédure qui occasionne,
en outre, des frais importants. Enfin, les Etats peuvent mettre en échec la décision rendue par
une juridiction étrangère en refusant de l’appliquer.
Pour éviter cet inconvénient, les traités CEMAC et OHADA confèrent la force
exécutoire aux décisions rendues par les juridictions supranationales. Ces décisions sont ainsi
appliquées dans tous les Etats membres dans les mêmes conditions que les décisions des
juridictions nationales. Il en résulte qu’une décision d’exequatur n’est pas nécessaire et que
les autorités nationales sont tenues d’apposer la formule exécutoire en procédant à la seule
vérification de l’authenticité de la décision. L’abandon de souveraineté judiciaire conduit
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donc à assimiler les décisions supranationales à celles qui sont rendues par les juridictions
nationales.
Cette assimilation ne concerne toutefois que les conditions d’application des décisions
supranationales. Dans le principe, ces décisions bénéficient d’un imperium supranational,
comme si le juge communautaire détenait une fraction de la puissance publique à l’intérieur
de chaque Etat membre, c’est-à-dire, entre autres, du pouvoir de requérir la force publique ou
d’ordonner une astreinte.
Toute velléité de résistance des autorités ou des juridictions nationales est d’ailleurs
annihilée puisque la force exécutoire est complétée par l’interdiction formelle faite à tous les
Etats membres d’appliquer sur leur territoire une décision contraire à la jurisprudence
supranationale. La force exécutoire assure la supériorité des juridictions supranationales et
permet, en conséquence, la construction sereine de leur œuvre prétorienne.
Le principe de la supranationalité qui induit la force obligatoire et la force abrogatoire
du droit et de la jurisprudence de la CJ de la CEMAC et de la CCJA de l’OHADA assure la
cohésion, la cohérence et l’unité des ordres juridiques créés par chaque organisation.
Reste alors à savoir, dans les rapports avec l’ordre juridique interne, si les droits
CEMAC et OHADA ont une valeur supra-constitutionnelle qui leur donneraient la primauté
sur les normes constitutionnelles contraires. Le Conseil constitutionnel du Sénégal est en ce
sens approuvé par une doctrine qui estime, s’agissant du droit OHADA, que « la supériorité
du droit international sur le droit constitutionnel semble préférable en tant que correspondant
à l’évolution et à l’efficacité du droit international, spécialement en présence d’un processus
d’intégration, comme c’est le cas de l’OHADA… ». Cette doctrine suggère cependant que la
supériorité des droits issus des organisations d’intégration comme la CEMAC et l’OHADA
sur les normes constitutionnelles contraires soit conditionnée à la nécessité de respecter «
l’identité constitutionnelle » des États membres.
§ 3 : Les rapports entre les ordres juridiques supranationaux
La coexistence, dans un même Etat, de plusieurs ordres juridiques supranationaux
pose la question des rapports entre ces ordres juridiques supranationaux. Si le principe de leur
indépendance se situe dans l’ordre des choses, il reste que certains plaident pour une
suprématie de l’ordre juridique OHADA.
I : L’indépendance de principe des ordres juridiques
En principe, chaque corps de règles détermine « sa sphère d’applicabilité matérielle et
spatiale et celle-ci s’impose aux ordres juridiques internes des États membres. Aucune norme
communautaire ne peut davantage régler la question de l’applicabilité du droit communautaire
produit par les autres institutions que celle qui a produit la norme. Ainsi, il ne revient pas à
une norme CEDEAO ou OHADA de traiter de l’applicabilité d’une norme UEMOA ». Il
s’ensuit que les ordres juridiques supranationaux sont indépendants les uns des autres. Chaque
ordre juridique supranational a ses propres sources normatives et juridictionnelles qui sont
irréductibles à celles d’un autre ordre juridique supranational.
II : L’affirmation de la suprématie de l’ordre juridique OHADA
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Malgré l’indépendance de principe des ordres juridiques supranationaux fondée sur
une approche formaliste, le droit OHADA apparaît de plus en plus comme un droit
supranational qui, en vertu d’une approche finaliste, prime toutes les normes internes, les
droits communautaires CEMAC et UEMOA ainsi que les normes issues des régimes spéciaux
de l’OAPI et de la CIMA. Cette autorité absolue du droit OHADA sur les droits
communautaires CEMAC et UEMOA ne fait cependant pas l’unanimité car elle envisage les
rapports entres les droits supranationaux sous un angle hiérarchique.
Peut-être conviendrait-il, en dernière analyse, de repenser les rapports entre, d’une
part, le droit OHADA et les droits internes et, d’autre part, le droit OHADA et les droits
CEMAC et UEMOA, pour aboutir à une nouvelle articulation qui conduirait à admettre la
pluralité et la complémentarité des ordres juridiques dans l’espace OHADA. Une telle
approche consacrerait le dépassement de l’État-nation devenu État membre quand il
abandonne à une organisation commune une partie de sa souveraineté législative et judiciaire.
La nature supranationale du droit OHADA s’en trouverait confortée, sans d’ailleurs que soit
remise en cause la qualification du droit que l’on pourra déduire du champ d’application des
Actes uniformes.
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