32
Je suis humain Photographies de Virginie Nguyen Hoang Frédéric Pauwels Olivier Papegnies Johanna de Tessières

"Je suis humain" : le supplément

  • Upload
    lalibre

  • View
    1.286

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: "Je suis humain" : le supplément

Jesuishumain

Photographies de Virginie Nguyen Hoang Frédéric Pauwels Olivier Papegnies Johanna de Tessières

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 1 15/06/17 23:58

Page 2: "Je suis humain" : le supplément

→Port de Zeebrugge, Belgique, 19 janvier 2016,Olivier Papegnies, collectif Huma.

Zeebrugge est une des voies par laquelle les migrants tentent de rejoindre la Grande-Bretagne. Ils se cachent dans les dunes afin d’esquiver les policiers qui patrouillent dans les parages. Une fois la nuit tombée, les migrants se sont comme volatilisés. Ils laissent derrière eux leurs biens, leurs papiers d’identité et de trans-port et escaladent les grillages qui les séparent des navires en partance pour leur eldorado. Quelques-uns de ces migrants sont ce qu’on appelle des « cas Dublin », ils ont introduit une demande d’asile dans un autre pays de l’Union européenne et y ont parfois séjourné avant de se diriger vers la Belgique. Tous ces objets abandonnés et ces documents déchiquetés sur le sol témoignent de leur présence récente près du port belge et de leur enregistrement dans un autre pays.

Introduction #JeSuisHumain, c’est le travail du collec-tif belge Huma de photographes qui s’est associé à Amnesty International pour do-cumenter la faculté de résilience de ces hommes, femmes et enfants contraints de fuir les violences et les persécutions, et de partir chercher protection, ailleurs. Ces personnes appelées « réfugiées », « mi-grantes » ou « demandeuses d’asile » qui n’ont eu d’autres choix que celui de re-bondir au sein d’une société le plus sou-vent hostile à leur accueil.

Les photographes du collectif sont par-tis à leur rencontre « là-bas » dans les camps de réfugiés au Liban, en Jordanie, mais aussi ici en France et en Belgique. À Calais, ils ont documenté leur vie quo-tidienne dans la jungle avant son déman-tèlement lors duquel ils étaient d’ailleurs présents. En Belgique, ils ont aussi bien sillonné la côte (la Panne, Zeebrugge) que l’Office des étrangers avec ceux qui y font la file en pleine nuit, pour photo-graphier ce manque d’humanité quand il s’agit de leur accueil. Et puis, ils ont suivi quelques-uns des plus jeunes d’entre eux arrivés en Belgique, où ils ont commen-cé à reconstruire leur vie, faisant preuve d’une détermination qui force le respect.

Au-delà du drame humain de ce parcours migratoire, c’est la résilience de ces réfu-giés et demandeurs d’asile qui est ici pho-tographiée. Cette capacité à surmonter les moments douloureux de l’existence et à se développer en dépit de l’adversité.

En présentant ce reportage, le collec-tif Huma et Amnesty International veulent créer des ponts entre le public belge et ces hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, qui vivent « chez nous ». Ils cherchent à les présenter non pas comme des victimes, mais comme des acteurs de leur propre vie.

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 2 15/06/17 23:58

Page 3: "Je suis humain" : le supplément

Zeebrugge est une des voies

tentent de rejoindre la Grande-Bretagne. Ils se cachent dans

policiers qui patrouillent dans

tombée, les migrants se sont comme volatilisés. Ils laissent derrière eux leurs biens, leurs

-port et escaladent les grillages qui les séparent des navires en

Quelques-uns de ces migrants cas

demande d’asile dans un autre

et y ont parfois séjourné avant de se diriger vers la Belgique.

et ces documents déchiquetés

présence récente près du port belge et de leur enregistrement

tif Huma et Amnesty International veulent

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 3 15/06/17 23:58

Page 4: "Je suis humain" : le supplément

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 4 15/06/17 23:58

Page 5: "Je suis humain" : le supplément

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 5 15/06/17 23:58

Page 6: "Je suis humain" : le supplément

Amer

Amer court. À 20 ans, il est déjà

champion de décathlon junior, il était au-paravant membre de l’équipe nationale irakienne. Amer court. Il court derrière son rêve de vivre en sécurité en Belgique et de pouvoir réaliser son seul et unique projet : être un athlète, gagner. C’est sans doute cette compétition-là qui sera la plus difficile. Amer a quitté l’Irak parce que, dans son pays, dit-il, certains n’ai-ment pas les sportifs de haut niveau. Sa maison a été incendiée, on a cassé les jambes de son frère qui, pour son mal-heur, lui ressemble beaucoup. « Si j’étais resté, je serais mort à l’heure actuelle », affirme-t-il. Son parcours est celui de la majorité des réfugiés irakiens et syriens : la Turquie, la dangereuse traversée entre la Turquie et la Grèce puis la route vers l’Europe : Macédoine, Croatie, Slovénie,

Autriche, Allemagne, Belgique. Amer est encore très jeune. Il est d’un tempé-rament optimiste et insouciant, mais il n’oubliera jamais la traversée sur le ba-teau pneumatique vers la Grèce : les en-fants qui pleurent, les vagues qui me-nacent à tout moment de renverser l’em-barcation. « Notre pilote était habile. Ceux qui ont traversé juste après nous ont cha-viré. » Tout au long de son voyage, Amer a continué... à courir. Comme si son en-traînement avait seulement été interrom-pu, comme si sa vie dépendait aussi de sa condition physique future. Et quand les autorités belges l’ont installé en oc-tobre 2015 dans le centre très délabré de Bredene (fermé depuis lors), il a conti-nué à courir qu’il vente ou qu’il pleuve. Mieux : il s’est trouvé un club d’athlétisme pour l’accueillir, celui de Louvain. Tout au

long de l’examen de sa demande d’asile, Amer a fait la navette quotidienne entre Bredene et Louvain, soit une heure trente de trajet en bus. Le jeune Irakien a per-du près de huit kilos en un an, depuis son départ d’Irak, mais il continue à s’entraî-ner. Il a même commencé à faire du judo à Louvain, mais sa spécialité, dit-il, c’est le 400 mètres haies. Amer rêve de de-venir champion du monde de décath-lon et il est convaincu qu’un jour, il pour-ra rapporter des médailles à la Belgique. Alors, quand, en ce mois de février 2017, sa seconde demande d’asile a été reje-tée par le Commissariat général aux réfu-giés (CGRA), le coup a été rude. Sa ville natale n’est pas identifiée comme une zone à risques. Mais lui, dit-il, a été me-nacé en tant que sportif. Amer a subi une défaite, mais il a repris l’entraîne-

ment et va se battre pour obtenir sa régu-larisation. Le CGRA n’a pas cru le jeune Irakien, mais son entraîneur à Louvain croit en lui. Il va l’aider à gagner cette course au droit de séjour. Amer entraîne désormais les jeunes du club d’athlétisme de Louvain, ce qui lui permettra de payer les frais d’avocat, avancés par son entraî-neur. « Amer est très apprécié », constate Nacéra qui l’a hébergé après son départ de Bredene. « Il se lie facilement avec les autres et, au club de Louvain, les gens l’adorent. » Amer, lui, aime surtout le côté « très humain des Belges ». Les haies ne se franchissent pas que sur les stades.

Bruxelles, le 1 janvier 2017, photographies Frédéric Pauwels,interview Martine Vandemeulebrouck.

→Plaine de la Bekaa, Liban, 30 juillet 2015,Olivier Papegnies, collectif Huma.

Des réfugiés syriens dans un camp de la plaine de la Bekaa au Liban, durant l’été 2015. Le Liban compte environ 1,5 mil-lion de réfugiés syriens. Dans ce pays de 4 millions d’ha-bitants, les exilés s’installent dans des camps « informels », seuls tolérés par l’État libanais, c’est-à-dire des terrains privés loués – souvent à des tarifs prohibitifs – par des proprié-taires libanais aux réfugiés ve-nus de Syrie. Dans ces camps, les hommes sont désœuvrés, car le travail légal est interdit aux réfugiés syriens au Liban. Pour ces personnes, il est très difficile de conserver leur di-gnité, car la guerre et l’exil les ont privés du rôle social de soutien de famille.

→Camps de réfugiés syriens de Zaatari, Jordanie, octobre 2013,Johanna de Tessieres, collectif Huma.

Une famille syrienne sort du dispensaire de Handicap International. La population sy-rienne est quotidiennement prise pour cible par les bom-bardements qui visent des zones peuplées. Traumatisée physiquement et psycholo-giquement, elle est la pre-mière victime de la violence du conflit. Sur les plus de 150 000 personnes prises en charge par l’association en quatre ans, 21% sont des enfants.

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 6 15/06/17 23:58

Page 7: "Je suis humain" : le supplément

ment et va se battre pour obtenir sa régu-

course au droit de séjour. Amer entraîne désormais les jeunes du club d’athlétisme de Louvain, ce qui lui permettra de payer les frais d’avocat, avancés par son entraî-

», constate Nacéra qui l’a hébergé après son départ

Il se lie facilement avec les

» Amer, lui, aime surtout le côté ». Les haies ne

interview Martine Vandemeulebrouck.

Plaine de la Bekaa, Liban,

Des réfugiés syriens dans un camp de la plaine de la Bekaa au Liban, durant l’été 2015. Le Liban compte environ 1,5 mil-lion de réfugiés syriens. Dans

», seuls tolérés par l’État libanais, c’est-à-dire des terrains privés

taires libanais aux réfugiés ve-nus de Syrie. Dans ces camps, les hommes sont désœuvrés,

aux réfugiés syriens au Liban. Pour ces personnes, il est très

gnité, car la guerre et l’exil les

Camps de réfugiés syriens

International. La population sy-

-

zones peuplées. Traumatisée

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 7 15/06/17 23:58

Page 8: "Je suis humain" : le supplément

Rand « En débarquant du bateau,

j’ai réalisé à quel point ma vie était pré-cieuse et j’ai senti tout ce pouvoir que j’ai en moi. » Rand a connu une autre vie en Syrie. Heureuse d’abord quand elle est partie étudier la flûte traversière au conservatoire de Damas. « Damas était une ville extraordinaire, pleine de vie, de gens cultivés et généreux. Elle m’a rendue sensible à la musique, aux arts, à la vie. Damas m’a permis de réaliser des projets et de cultiver mon humanité. » Mais l’in-humanité de la guerre a fait basculer tous les rêves de Rand. « Tout a commencé le 21 mars 2015, je revenais d’un cours de musique que je donnais à des enfants. Je me suis retrouvée face à une vision d’hor-reur. Les bombes pleuvaient par cen-taines sur la ville. » Rand annonce alors à ses parents, restés à Swaida, sa ville na-

tale, qu’elle va prendre « la route des mi-grants » (Turquie, Grèce, Macédoine, Serbie ). Tant qu’à risquer de mourir tous les jours, autant tenter d’atteindre l’Eu-rope. Là, elle n’aura plus à survivre, elle pourra vivre. Rand a d’abord été héber-gée avec quatre autres Syriens dans une famille belge. Cette famille lui a donné tout ce dont elle avait besoin : de la com-préhension, de l’écoute…et une flûte. « Ils m’ont fait découvrir la culture belge et un nouvel univers. J’ai commencé à apprendre la photographie. » Rand s’in-vestit aujourd’hui dans différentes initia-tives artistiques et de soutien à d’autres migrants. « Ce dont un réfugié a besoin, dit-elle, ce n’est pas tant de vêtements et de tentes, mais c’est d’être en sécu-rité, qu’on l’aide à reprendre pied en re-connaissant et en valorisant son poten-

tiel. Chacun devrait être considéré pour ce qu’il est sans être réduit à son expé-rience en tant que réfugié. » Face à la mé-fiance qu’elle rencontre parfois à l’égard des réfugiés, Rand estime que : « Nous ne nous mettons pas assez à la place des autres. Tout le monde parle de nous, mais qui nous connaît ? Parfois, je me sens considérée comme une zombie en quête d’argent, d’un job à voler. » Elle-même re-connaît que quand elle était en Syrie, elle n’avait pas « vraiment conscience de ce que vivent des personnes qui fuient des zones de guerre ». La jeune femme n’avait jamais imaginé un jour « passer de l’autre côté de la barrière ». À présent, elle ne de-mande rien pour elle-même, mais elle at-tend des gouvernements européens une implication plus active dans la recherche de solutions politiques et humanitaires au

conflit syrien. Rand n’oublie pas ses pa-rents. Elle se bat pour qu’ils puissent la rejoindre et vivre eux aussi en sécurité. En attendant, tous ses efforts se focalisent sur l’apprentissage du français. « Mon mot préféré, c’est “bougie”. C’est joli et j’ai étudié à la bougie. » L’année prochaine, elle veut commencer des études scien-tifiques. Et puis, il y a aussi la photogra-phie, apprise ici… et la flûte dont elle re-joue petit à petit. Rand sait que son ave-nir est encore incertain, mais, dit-elle, ses décisions futures seront guidées par un souci : « Comment puis-je faire pour être un être humain bon ? »

Bruxelles, le 1 janvier 2017, photographies Frédéric Pauwels,interview Laure Derenne.

Rand

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 8 15/06/17 23:58

Page 9: "Je suis humain" : le supplément

rejoindre et vivre eux aussi en sécurité. En

mot préféré, c’est “bougie”. C’est joli et j’ai

--

nir est encore incertain, mais, dit-elle, ses

Comment puis-je faire pour être

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 9 15/06/17 23:58

Page 10: "Je suis humain" : le supplément

Yara, 28 ans, vivait au Koweït avec ses

parents lorsque la guerre en Syrie a écla-té en 2011. « Mes parents tentaient de se convaincre qu’on rentrerait au pays, mais les nouvelles étaient des plus inquié-tantes », raconte la jeune femme. Un coup de téléphone de sa tante finit par ruiner les espoirs : une bombe est tombée sur la maison familiale et la terreur s’est installée dans le village. La famille de Yara compte de nombreux médecins qui viennent en aide aux civils blessés, de quoi les dési-gner comme cibles aux yeux du régime. Certains sont enlevés, d’autres tués.

Tout pousse la jeune femme à deman-der un visa pour la Belgique, car elle pos-sède une chose rare : une offre d’emploi. On recherche une personne parlant arabe dans le domaine du design. Autour d’elle, personne n’y croit, mais le précieux sé-same arrive et Yara entre en Belgique en

2015 pour demander l’asile. Elle se sou-vient des files devant l’Office des étran-gers et de l’inquiétude sur le visage de ceux qui attendent. « On se pose tous la même question. Pourra-t-on rester ? Vont-ils nous renvoyer dans notre pays ? » Yara se rappelle aussi sa rencontre avec le fonctionnaire de l’Office des étrangers, son impression de devoir le convaincre qu’elle est un être humain doté d’intelli-gence et qu’elle n’a pas l’intention d’al-ler se faire exploser en plein Bruxelles. De l’étonnement de son interlocuteur de-vant ses diplômes en design et stratégies du design. Oui, même les Syriennes font des études universitaires. « J’ai compris sa réaction. Tout ce qui passe à la télévi-sion donne cette image uniquement vio-lente de mon pays », raconte-t-elle. « Mes diplômes m’ont aidée. » Yara s’installe à Anvers et est engagée comme consul-

tante par Deloitte Digital, ce qui fait la fier-té de ses parents, mais ne la séduit pas. Ce qu’elle veut, c’est pouvoir aider les autres, être un acteur social. Elle démis-sionne de son poste après un an et demi. Un matin, dans un train, Yara aperçoit une femme, avec quatre enfants, qui a l’air complètement perdu. Elle se nomme Harlam, elle est aussi syrienne. Elle lui ra-conte son histoire, elle a dû fuir la ville de Homs alors qu’elle était enceinte de huit mois avec ses enfants et son mari. C’est par cette rencontre entre deux exi-lées que l’asbl « From Syria with love » est née. D’autres femmes vont rejoindre l’as-sociation comme Sabah et Abeer. Toutes savent cuisiner pour des grandes fa-milles et vont proposer un concept origi-nal : un service traiteur de nourriture sy-rienne. Très vite, les commandes arrivent. Pour Yara, l’asbl est surtout l’occasion de

parler de son pays et de le faire connaître autrement que par les mots « guerre » et « violence ». « La nourriture, c’est ce qui aide à briser la glace, c’est le langage du cœur. » Tout récemment, le festival Mona du film à Anvers lui demandé de restau-rer 200 invités. Un succès, mais sa fon-datrice veut aller plus loin. « From Syria with love » doit aussi servir à rendre aux femmes leur autonomie. « On travaille dur, mais cela donne du sens à notre vie », ex-plique Yara. La jeune femme veut chan-ger l’image des réfugiés. « Ce travail, c’est notre indépendance. L’aide sociale nous fait suffoquer. Un réfugié n’a pas besoin de pitié. Il a besoin qu’on lui laisse l’op-portunité de montrer ce qu’il sait faire. »

Bruxelles, le 1 janvier 2017, photographies et interviewJohanna de Tessières.

→ Centre Bonvena, Hennuyères, Belgique, septembre 2016,Johanna de Tessières, collectif Huma.

Le centre Bonvena accueille les mineurs étrangers non ac-compagnés. On est dimanche et Assama, 15 ans, vient de terminer ses devoirs. Il profite du reste de l’après-midi pour jouer avec ses amis et s’entraî-ner sur le mur d’escalade. Une visite de Bruxelles est prévue en fin d’après-midi. Les MENA sont des personnes mineures qui arrivent en Belgique sans être accompagnées par une personne exerçant sur eux l’autorité parentale ou la tu-telle civile. Ils ont parfois été confiés à un membre de la famille ou à un adulte qui s’est engagé à les amener en Belgique et poursuit ensuite son exil. Leur prise en charge dans le cadre du plan MENA concerne en grande majori-té des jeunes mineurs étran-gers non accompagnés qui ont les plus grandes chances d’obtenir un titre de séjour en Belgique – principalement de jeunes Afghans.« On observe un apaisement des émotions. Certains pleu-raient toutes les nuits, à cause des horreurs qu’ils avaient vues dans leur pays et vécues au cours de leur exil. Du fait de vivre en groupe, d’avoir un cadre sécurisant, un accom-pagnement et une écoute, ils sont plus apaisés, même si le traumatisme est encore pré-sent. Dans leur comportement, ils sont désormais plus en lien, entre eux et avec les adultes », explique le directeur du centre.

Yara

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 10 15/06/17 23:59

Page 11: "Je suis humain" : le supplément

parler de son pays et de le faire connaître » et

aide à briser la glace, c’est le langage du » Tout récemment, le festival Mona

--

On travaille dur, », ex-

Ce travail, c’est notre indépendance. L’aide sociale nous fait suffoquer. Un réfugié n’a pas besoin

les mineurs étrangers non ac-compagnés. On est dimanche

terminer ses devoirs. Il profite du reste de l’après-midi pour jouer avec ses amis et s’entraî-ner sur le mur d’escalade. Une visite de Bruxelles est prévue en fin d’après-midi. Les MENA sont des personnes mineures qui arrivent en Belgique sans

s’est engagé à les amener en

son exil. Leur prise en charge dans le cadre du plan MENA

ont les plus grandes chances d’obtenir un titre de séjour en Belgique – principalement de

raient toutes les nuits, à cause

vues dans leur pays et vécues

de vivre en groupe, d’avoir un

pagnement et une écoute, ils sont plus apaisés, même si le

sent. Dans leur comportement, ils sont désormais plus en lien,

», explique le directeur du centre.

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 11 15/06/17 23:59

Page 12: "Je suis humain" : le supplément

→ La Panne, Belgique, février 2016,Johanna de Tessières, collectif Huma.

Un jeune garçon irakien, origi-naire de la ville de Kirkuk prend le bus avec ses parents. La famille épuisée compte re-joindre la « jungle » de Calais en France. Ce jour-là de nom-breux contrôles de police ont lieu à la Panne, suite à la déci-sion de la France d’évacuer le bidonville de Calais. Le mi-nistre de l’Intérieur, Jan Jambon, a déployé environ 300 policiers afin d’éviter l’ins-tallation de camps comme ce-lui de la « jungle ». Les contrôles visent également les personnes prenant les bus qui permettent de relier Calais à La Panne. « S’ils n’ont pas de papiers, ils sont envoyés au commissariat où ils recevront un ordre de quitter le terri-toire », explique l’un des agents.

← La « jungle » de Calais, France, 18 février 2016,Olivier Papegnies,collectif Huma.

La petite Rosita est née dans la « jungle » de Calais. Ses pa-rents, Mariam et Amir, habitent le bidonville depuis cinq mois. Leur amour les a contraints à quitter l’Iran, car ils ont com-mis la faute suprême : outre-passer les prescrits religieux. Mariam est musulmane alors qu’Amir est chrétien. « L’État allait m’arrêter et me trancher la tête et ma femme aurait été contrainte d’avorter », raconte ce père de 29 ans. Le jeudi 25 février 2016, le tribunal admi-nistratif a validé l’arrêté d’ex-pulsion du sud de la « jungle » de Calais.

← Camp d’accueil Jules Ferry, Calais, France, 13 octobre 2016,Olivier Papegnies, collectif Huma.

Dans le camp d’accueil Jules Ferry, situé dans la « jungle », une file est réservée aux mi-neurs étrangers non accompa-gnés (les MENA) pour la dis-tribution des repas. Ils doivent montrer une carte verte plasti-fiée pour recevoir leur petit co-lis alimentaire préparé par des bénévoles de « Vie active ». Certains mineurs se remettent dans la file dans l’espoir de re-cevoir deux sachets de provi-sions. Deux jeunes Afghans consomment une préparation à base de riz à proximité d’un ancien bunker.

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 12 15/06/17 23:59

Page 13: "Je suis humain" : le supplément

Un jeune garçon irakien, origi-

prend le bus avec ses parents. -

en France. Ce jour-là de nom-breux contrôles de police ont lieu à la Panne, suite à la déci-sion de la France d’évacuer le

300 policiers afin d’éviter l’ins-tallation de camps comme ce-

contrôles visent également les personnes prenant les bus qui

S’ils n’ont pas de

commissariat où ils recevront

La petite Rosita est née dans » de Calais. Ses pa-

rents, Mariam et Amir, habitent le bidonville depuis cinq mois. Leur amour les a contraints à

--

passer les prescrits religieux. Mariam est musulmane alors

allait m’arrêter et me trancher la tête et ma femme aurait été

», raconte ce père de 29 ans. Le jeudi 25

-

»

Camp d’accueil Jules Ferry,

Dans le camp d’accueil Jules »,

neurs étrangers non accompa--

tribution des repas. Ils doivent montrer une carte verte plasti-fiée pour recevoir leur petit co-lis alimentaire préparé par des

Certains mineurs se remettent dans la file dans l’espoir de re-

-

consomment une préparation à base de riz à proximité d’un

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 13 15/06/17 23:59

Page 14: "Je suis humain" : le supplément

← Camps de réfugiés syriens de Zaatari, Jordanie, 7 février 2016,Olivier Papegnies, collectif Huma.

Selon une étude du HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés) plus de 50  % des Syriens déplacés internes ou réfugiés sont des enfants, et 75  % de ceux-ci ont moins de 12 ans. Certains ont été bles-sés et beaucoup ont été té-moins du conflit ou ont assisté à la destruction de leurs mai-sons et de leurs communau-tés, en survivant aux déplace-ments forcés, à la séparation familiale et aux violences ré-currentes. S’échapper de sa tente, jouer et créer des rela-tions avec les autres sont des parenthèses d’insouciance pour les enfants. À Zaatari, des activités autour du football permettent aux enfants, pen-dant quelques heures, de re-nouer avec leur vie d’enfant.

← Mafraq, Jordanie, octobre 2013Johanna de Tessières, collectif Huma.

Comme 46 écoles au nord de la Jordanie (en 2013), celle de Al Rubi Bint Muatr, dans la ville de Mafraq, ac-cueille les enfants réfugiés sy-riens. Le matin, ce sont 900 élèves jordaniens qui étudient et l’après-midi, l’école accueille 900 Syriens. Elle a été la pre-mière de la ville à ouvrir ses portes à ceux qui ont fui la guerre. « Les Syriens sont nos frères », nous explique la direc-trice. Les enfants ont raté des mois d’école, ils n’ont ni habits ni matériel scolaire. Beaucoup ont vu des horreurs et ont déjà des cheveux blancs, mais, dans leurs dessins, on sent qu’ils vont mieux. Il n’y a pas beaucoup de garçons, car ils doivent parfois travailler pour gagner finalement très peu d’argent. C’est l’Unicef qui paie les professeurs, les frais de fonctionnement. Parce que l’éducation est une urgence humanitaire.

Mouhmin Safwan Ahmed, âgé de 13 ans, est allongé sur un lit de l’hôpital d’urgence d’Erbil après avoir été blessé dans un attentat à la voiture piégée perpétré par Daesh à Mossoul. Ses parents sont décédés dans l’attaque.

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 14 15/06/17 23:59

Page 15: "Je suis humain" : le supplément

Camps de réfugiés syriens

Syriens déplacés internes ou

75  % de ceux-ci ont moins de -

moins du conflit ou ont assisté -

tés, en survivant aux déplace-ments forcés, à la séparation

-tions avec les autres sont des

des activités autour du football --

cueille les enfants réfugiés sy-

élèves jordaniens qui étudient et l’après-midi, l’école accueille

-

Les Syriens sont nos », nous explique la direc-

trice. Les enfants ont raté des mois d’école, ils n’ont ni habits ni matériel scolaire. Beaucoup ont vu des horreurs et ont déjà

qu’ils vont mieux. Il n’y a pas beaucoup de garçons, car ils doivent parfois travailler pour

paie les professeurs, les frais de fonctionnement. Parce que

→ Hôpital d’Erbil, Irak, décembre 2016,Virginie Nguyen Hoang, collectif Huma.

Mouhmin Safwan Ahmed, âgé de 13 ans, est allongé sur un lit de l’hôpital d’urgence d’Er-bil après avoir été blessé dans un attentat à la voiture piégée perpétré par Daesh à Mossoul. Ses parents sont décédés dans l’attaque.

→ La « jungle » de Calais, France, octobre 2016, Olivier Papegnies, collectif Huma.Ce lundi 24 octobre 2016 sonne la fin de la « jungle » de Calais. Le démantèlement a commencé et, dès 6 h du matin, les migrants, chargés de leurs biens personnels, sont nombreux à faire la file à proximité du camp. Un bracelet de couleur sur lequel est annoté un numéro est attaché autour de leur poignet. Celui-ci indique le centre qui leur a été attribué parmi les 454 répartis sur le territoire français. À l’extérieur du bâtiment, il n’est pas rare d’être confronté à des adieux déchirants. Bien que la préfecture assure tenter de diriger les groupes d’amis vers les mêmes centres, ce n’est pas toujours possible. Les amis de longue date ou ceux qui se sont rencontrés dans la « jungle » se prennent dans les bras de longs moments.

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 15 15/06/17 23:59

Page 16: "Je suis humain" : le supplément

Bassel est violoncelliste. En 2015, dans

une Syrie en guerre, il fonde le projet Qotob. Avec trois amis, il compose un al-bum pour montrer au monde que Damas est encore vivante.

En août, il doit quitter son pays. Alors qu’il s’était imaginé rejoindre une Europe « des droits de l’Homme », Bassel se voit empêtré dans une longue procédure de demande d’asile. Sa vie est comme « sus-pendue ». Il loge dans un centre d’accueil qu’il compare à « une prison au milieu de nulle part ». Bassel sait que ça peut pa-raître ingrat, mais souligne qu’il n’a pas choisi de devenir un réfugié et qu’il s’est senti mal considéré. Il est finalement ac-cueilli par une famille pendant un an. « Je n’ai peut-être pas vu les droits de l’Homme en arrivant, mais il y a eu ma fa-mille belge, symbole d’humanité. Ils ont

changé mon chemin, mes valeurs ... Ils m’ont donné un toit, de l’amour, une sé-curité. Tout. » Aujourd’hui, Bassel loue un appartement et retrouve un peu de sta-bilité. Avant ça, il y avait toujours un pro-blème à résoudre : survivre, partir, obte-nir des papiers, trouver un logement et un travail, apprendre le néerlandais, etc. Bassel s’est toujours concentré sur son avenir. À 20 ans, il fait un maximum pour assurer son indépendance financière : « Je sais ce que je veux faire et mon parcours m’a rendu encore plus déterminé. Je suis heureux de ce que j’ai déjà pu accom-plir comme le fait de jouer à l’Ancienne Belgique ou dans des festivals connus. » D’un autre côté, Bassel pense plus sou-vent à son passé et des souvenirs trau-matisants ressurgissent : « J’avais 14 ans quand la guerre a commencé. Je vivais

dans un petit quartier qui a été frappé par 25 voitures piégées et 3200 roquettes en cinq ans. Au début, c’est effrayant et puis tu t’habitues. Il y a des jours où tu es sous pression, tu dois trouver de quoi man-ger, protéger les tiens. Et puis, des jours où tu dis “Il y a encore eu une roquette. Et sinon, on fait quoi ce soir ? On joue aux cartes ?” En fait, ta vie ne tient qu’à un fil. Si tu survis tel jour, c’est juste parce qu’un ami t’a arrêté un moment en rue pour causer un peu. Ou parce que tu as pris un peu plus de temps que d’habitude pour t’habiller. » Aujourd’hui, Bassel sent qu’il a besoin d’être plus souvent seul. « Il y a des jours où je n’arrive pas à trouver l’énergie de me lever. » Face à ce tourbil-lon émotionnel, il tente de se fixer des ob-jectifs simples et progressifs. Bassel té-moigne de son parcours, mais reste as-

sez pessimiste. « J’apprécie toutes les ini-tiatives qui tendent vers plus d’humani-té. Ça peut changer des vies, ça a chan-gé la mienne. Si cette expo peut susci-ter des réflexions, tant mieux. Ça rendra les choses meilleures. Ou moins mau-vaises. » Ce qu’il aurait à dire au secrétaire d’État à l’Asile et la Migration ? Un peu dé-sabusé, Bassel ne se sent pas l’âme d’un porte-parole. Mais il répond avec un sou-rire : « Si je rencontrais Théo, je lui offrirais mon CD. J’espère que ça lui apportera un peu de joie. Peut-être même qu’il se dira : “ Ça déchire, ce Bassel assure grave ! ” ».

Bruxelles, le 1 janvier 2017, photographies Johanna de Tessières,interview Laure Derenne.

Bassel → La « jungle » de Calais, France, janvier 2016, Olivier Papegnies, collectif Huma.Installés sur une ancienne décharge, les migrants ne disposaient à l’ouverture d’aucune infrastructure sanitaire. Les tentes ne suffisent généralement pas aux migrants à se protéger des intempéries. Ils fixent des bâches par-dessus leur logement de fortune. Bien que le soleil fasse parfois son apparition au-dessus de la « jungle », le vent de la Côte vient frapper les tentes fragiles. Il n’est pas rare de croiser des migrants habillés de couvertures pour se protéger du froid, mais pourtant chaussés de simples tongs.

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 16 15/06/17 23:59

Page 17: "Je suis humain" : le supplément

J’apprécie toutes les ini-

-

ter des réflexions, tant mieux. Ça rendra

» Ce qu’il aurait à dire au secrétaire ? Un peu dé-

sabusé, Bassel ne se sent pas l’âme d’un porte-parole. Mais il répond avec un sou-

Si je rencontrais Théo, je lui offrirais mon CD. J’espère que ça lui apportera un peu de joie. Peut-être même qu’il se dira :

».

Installés sur une ancienne décharge, les migrants ne

suffisent généralement pas aux migrants à se protéger

des bâches par-dessus leur logement de fortune. Bien

rare de croiser des migrants

mais pourtant chaussés de

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 17 16/06/17 00:00

Page 18: "Je suis humain" : le supplément

←Église Saint Roch, Belgique, novembre 2015,Virginie Nguyen Hoang, collectif Huma.

Des réfugiés dorment dans la pièce principale de l’église Saint Roch. Depuis le début de l’hiver, l’église Saint Roch accueille environ 150 réfu-giés chaque nuit. La plupart d’entre eux viennent d’Afgha-nistan, d’Irak et de Syrie. L’église Saint-Roch se trouve à moins de cent mètres de l’Of-fice des étrangers. Elle a été en première ligne lors de la crise de l’accueil. Quelques 150 personnes y ont trou-vé un refuge pendant près de trois mois. Les volontaires de la Plateforme Citoyenne se re-layaient tous les soirs pour leur apporter à manger. Des pa-roissiens aussi.

← Plaine de la Bekaa, Liban, 31 juillet 2015,Olivier Papegnies, collectif Huma.

Sobhye Omysh, 50 ans, ren-contrée durant l’été 2015 dans un camp de réfugiés syriens, au Liban, à Qabelias, dans la plaine de la Bekaa. Cette Syrienne a tenté de faire de sa tente précaire un lieu coquet, en recouvrant l’intérieur de tis-sus colorés. Sobhye Omysh a fui la Syrie avec son mari et ses enfants, après avoir été touchée au bras et à la jambe par une balle perdue, lors de combats dans son village. Elle est restée alitée pendant un an et demi à la suite de cette blessure.

Des enfants syriens dans un camp de réfugiés de la plaine de la Bekaa, au Liban, durant l’été 2015. Au Liban, seuls 40  % des enfants syriens sont scolarisés. Pas facile de trouver une place dans les écoles qui alternent les horaires scolaires afin d’accueillir les écoliers libanais et syriens au sein des mêmes établissements. Certains réfugiés syriens, professeurs, enseignent dans ces camps. «garantir un futur à ces enfants, mais aussi de leur permettre de s’évader de l’ambiance familiale où les discussions autour de la guerre sont omniprésentesprofesseurs.

Les tentes à l’avant-plan parmi les gratte-ciels du centre-ville de Bruxelles ont transformé le parc Maximilien. Celui-ci accueille plusieurs centaines de réfugiés qui campent dans le parc en attendant de pouvoir s'enregistrer à l'Office des étrangers. Les conditions sont difficiles, et sur place, des bénévoles de la Plateforme Citoyenne veillent à ce que la situation ne vire pas au drame. Un appel aux dons a été lancé, ce qui a permis aux associations de commencer à fabriquer quelques infrastructures solides.

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 18 16/06/17 00:00

Page 19: "Je suis humain" : le supplément

Église Saint Roch, Belgique,

-

L’église Saint-Roch se trouve à moins de cent mètres de l’Of-

vé un refuge pendant près de trois mois. Les volontaires de la Plateforme Citoyenne se re-layaient tous les soirs pour leur

Plaine de la Bekaa, Liban,

contrée durant l’été 2015 dans un camp de réfugiés syriens,

Syrienne a tenté de faire de sa tente précaire un lieu coquet, en recouvrant l’intérieur de tis-

a fui la Syrie avec son mari et

touchée au bras et à la jambe par une balle perdue, lors de combats dans son village. Elle

an et demi à la suite de cette

→Plaine de la Bekaa, Liban, 30 juillet 2015,Olivier Papegnies, collectif Huma.

Des enfants syriens dans un camp de réfugiés de la plaine de la Bekaa, au Liban, du-rant l’été 2015. Au Liban, seuls 40  % des enfants syriens sont scolarisés. Pas facile de trou-ver une place dans les écoles qui alternent les horaires sco-laires afin d’accueillir les éco-liers libanais et syriens au sein des mêmes établissements. Certains réfugiés syriens, pro-fesseurs, enseignent dans ces camps. « C’est une façon de garantir un futur à ces enfants, mais aussi de leur permettre de s’évader de l’ambiance fa-miliale où les discussions au-tour de la guerre sont omnipré-sentes », explique un de ces professeurs.

→ Parc Maximilien de Bruxelles, Belgique, 6 septembre 2015, Frédéric Pauwels, collectif Huma.

Les tentes à l’avant-plan par-mi les gratte-ciels du centre-ville de Bruxelles ont transfor-mé le parc Maximilien. Celui-ci accueille plusieurs centaines de réfugiés qui campent dans le parc en attendant de pou-voir s'enregistrer à l'Office des étrangers. Les conditions sont difficiles, et sur place, des bénévoles de la Plateforme Citoyenne veillent à ce que la situation ne vire pas au drame. Un appel aux dons a été lan-cé, ce qui a permis aux asso-ciations de commencer à fa-briquer quelques infrastruc-tures solides.

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 19 16/06/17 00:00

Page 20: "Je suis humain" : le supplément

Abdalla est le dernier d’une famille sy-

rienne de sept enfants. Malgré leurs re-venus moyens, ses parents lui ont permis d’étudier la littérature anglaise et l’art vi-suel tout en développant son talent pour la peinture. En 2011, les premières ma-nifestations éclatent pour « enfin dire non au pouvoir dictatorial ». Abdalla se sou-vient d’une période exaltante : « Pour la première fois, nous étions capables de faire savoir ce que nous voulions et ce que nous ne voulions plus. Nous croyions énormément au changement. » Jusqu’à ce que toute cette « idée romantique » s’effondre avec les violences qui s’en sont suivies. « La belle histoire était finie, la guerre était là. »

La carrière d’Abdalla prend alors un nouveau tournant. « Avant, je pei-gnais pour moi, des choses très person-nelles. J’ai commencé à exposer des por-traits d’enfants en montrant les effets de la guerre. » Ces peintures n’ont évidem-ment pas plu au régime qui arrêtait la plu-

part des activistes et des manifestants. « Mon galeriste à Damas m’a prévenu que des hommes étaient venus lui poser des questions sur moi. » Ajoutant à cette menace le fait qu’il était appelé au ser-vice militaire et qu’il était hors de ques-tion pour lui de participer aux violences, Abdalla en arrive à cette conclusion inévi-table : il doit quitter le pays.

Tout s’est fait très vite. Il plie l’essentiel de sa vie en trois valises et un petit sac contenant un disque dur, la mémoire de ses « sept dernières années ». Abdalla ne se souvient pas bien de ce qu’il a ressen-ti à l’instant où il a dit au revoir à sa mère avant qu’un taxi ne l’emmène à la fron-tière : « Je ne savais pas comment réagir. C’était irréel. Je ne voulais pas penser que ce serait peut-être la dernière fois que je la verrais. Je crois qu’elle pleurait, mais j’ai regardé ailleurs, j’ai évité son regard. »

Abdalla arrive d’abord en Géorgie où il reste deux ans. Puis en Belgique, où il reçoit un permis de résidence trois mois

après sa demande d’asile. Il se souvient de ses premières impressions : « Je suis arrivé à Bruxelles par la gare du Midi, j’ai été frappé par le cosmopolitisme ambiant. Une adolescente, que sa maman venait chercher en voiture, m’a proposé de l’aide pour me conduire à un hôtel. Je me sou-viendrai toujours de ces quelques minutes d’échange chaleureux. »

Abdalla réalise à quel point des évé-nements incontrôlables ont eu un impact énorme sur sa vie ces cinq dernières an-nées : « Tu ne fais plus de choix, ils sont faits pour toi. » Il pense à celles et ceux qui continuent d’arriver après avoir été for-cés de quitter leur pays pour la première fois de leur vie. « Ces personnes savent qu’elles ont tout à recommencer et sont conscientes des efforts énormes qui les attendent. Elles sont déterminées et en même temps démunies. Tout leur est in-connu. La façon dont elles se sentent ac-cueillies est cruciale. Chaque être hu-main réagit en fonction de son expé-

rience et de la manière dont il est traité. » La confiance, l’empathie et la responsa-bilisation : voilà ce qu’Abdalla a ressen-ti en Belgique. « Les réfugiés sont parfois ignorés par les gens qui se disent “c’est au gouvernement de gérer, je paie des taxes pour ça”. En fait, il est important de comprendre que chacun peut faciliter les choses et que ça passe par de tout pe-tits gestes. »

Abdalla avait déjà une certaine recon-naissance artistique lorsqu’il est arrivé en Belgique. Celle-ci n’a fait que grandir. Un de ses tableaux représente Obama en sans-abri et démarre une série intitulée « Vulnérabilité ». Parce que « le fait de se présenter à l’autre, désarmé et vulnérable est l’un de nos pouvoirs les plus pré-cieux. » Cette peinture est aujourd’hui ex-posée à l’Institut du monde arabe à Paris et bientôt à Dubaï.

Bruxelles, le 1 janvier 2017, photographies Virginie Nguyen Hoang,interview Laure Derenne.

→ La « jungle » de Calais, France, 2015-2016,Olivier Papegnies, collectif Huma.

Tahed, 8 ans, téléphone à sa maman restée en Afghanistan. Il a quitté son village afghan il y a un an. L’enfant a traversé l’Iran, la Turquie, le sud-est de l’Europe avant d’échouer sur les bords de la Manche avec un objectif en vue : passer au Royaume-Uni. Pourquoi ? « Parce que j’ai appris l’anglais pendant deux ans », élude-t-il. Tahed a vécu ici un mois avec son « oncle pakistanais ». Il a déjà tenté de traverser, mais a échoué à trois reprises. La quatrième aura été la bonne : le 3 juillet, le petit afghan a sauté d’un camion sur le sol anglais.

→ Calais, France, octobre 2016,Johanna de Tessieres, collectif Huma.

Lors du démantèlement de Calais un groupe de per-sonnes d’Érythrée et d’Éthio-pie marchent vers les bus qui les achemineront vers dif-férents centres d’accueil en France. Ceux qui ont décidé de rester ou de partir plus tard soutiennent ceux qui partent. C’est un moment particuliè-rement difficile pour ces per-sonnes qui ne savent pas où elles vont et qui doivent quit-ter une fois de plus les per-sonnes qui leur sont proches. L’Erythrée est considérée comme l’une des dictatures les plus brutales au monde.

Abdalla

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 20 16/06/17 00:00

Page 21: "Je suis humain" : le supplément

»

Les réfugiés sont parfois

taxes pour ça”. En fait, il est important de comprendre que chacun peut faciliter les

-naissance artistique lorsqu’il est arrivé en Belgique. Celle-ci n’a fait que grandir. Un

le fait de se présenter à l’autre, désarmé et vulnérable

» Cette peinture est aujourd’hui ex-posée à l’Institut du monde arabe à Paris

photographies Virginie Nguyen Hoang,

Tahed, 8 ans, téléphone à sa maman restée en Afghanistan. Il a quitté son village afghan il

l’Iran, la Turquie, le sud-est de

au Royaume-Uni. Pourquoi ? Parce que j’ai appris l’anglais

», élude-t-il. Tahed a vécu ici un mois avec

-pie marchent vers les bus qui

de rester ou de partir plus tard soutiennent ceux qui partent.

-

sonnes qui leur sont proches.

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 21 16/06/17 00:00

Page 22: "Je suis humain" : le supplément

Gailan, 24 ans, vit à Bruxelles depuis

trois ans. Le premier mot qui lui vient à l’esprit au sujet de sa ville d’adoption, c’est « merci » : « Merci d’avoir permis au Gailan un peu perdu que j’étais de s’ex-primer, de s’écouter, de savoir clairement ce qu’il veut faire dans sa vie et de trouver des moyens pour y arriver. »

Arrivé avec son frère en Belgique via l’aéroport de Charleroi, Gailan a deman-dé l’asile au vu des risques qu’il cou-rait dans son pays natal, l’Irak. Il a obte-nu un avis positif en une dizaine de jours. Alors qu’il a droit au CPAS, Gailan refuse d’y faire appel : « Je vais bien, je peux me débrouiller et travailler. D’autres en ont plus besoin que moi. » Il noue rapidement contact avec un autre Irakien qui le sou-tient dans ses démarches pour trouver un logement et qui compte aujourd’hui parmi ses cinq meilleurs amis.

Gailan aime chanter et réunir ses amis autour de la musique. « C’est un don que j’ai envie de partager et d’offrir aux autres. J’aime voir les gens danser, rire,

partager un moment de fête et de joie. » Gailan chante de plus en plus en français. Avec un ami, il aimerait enregistrer une chanson franco-arabe pour « l’offrir aux Bruxellois ». Grâce au français, Gailan es-père pouvoir entrer à l’université l’an pro-chain, en tant qu’ingénieur en électromé-canique. Quant à son frère, il vient d’être accepté dans une formation à Charleroi pour devenir pilote : « Il travaille dans un snack de 6 à 14h, puis il va à sa forma-tion. Il dort dans le train de retour et re-part travailler. C’est fatigant, mais il va y arriver. Moi aussi, je réaliserai mes rêves. Parce qu’ici, en Belgique, si on veut, on peut. »

Gailan a rencontré Olivia, avec qui il vit depuis quelques mois : « C’est mon al-ter ego, on a une connexion très forte. Je me sens vraiment chanceux de l’avoir ren-contrée : elle est magnifique, elle a un grand cœur. » Ensemble, ils sont allés en Italie : « On est passé par la route. J’avais oublié mes papiers, mais nous n’avons pas croisé une seule personne en uni-

forme. C’est quelque chose d’incroyable pour moi. » Gailan se souvient d’une autre anecdote surprenante : « Un jour, j’ai vu le roi Philippe et sa famille passer dans Bruxelles. Il n’avait pas d’escorte visible. Je lui ai fait un signe de la main et il m’a répondu. »

Quand il pense à l’Irak, Gailan ex-plique : « Je voudrais tellement que mon pays aille bien. C’est comme quelque chose que tu veux vraiment très fort, mais que tu ne peux pas avoir... » Et d’ajou-ter : « Saddam Hussein était un sale type, mais aujourd’hui, c’est comme s’il y avait 100 Saddam Hussein dans mon pays. Quand j’ai mon père au téléphone, il me dit combien il est désolé que j’aie dû fuir. Je lui réponds que je vais bien ici, que c’est moi qui suis désolé de la si-tuation qu’il subit là-bas. Même pour al-ler voir son propre père qui vit à deux ki-lomètres, c’est très compliqué. La plupart du temps, les gens se terrent chez eux, il n’y a aucune liberté. » Le plus grand rêve de Gailan est que sa famille puisse le re-

joindre. « C’est difficile, je ne sais pas si ce sera possible un jour. » Gailan sou-haite de tout cœur que l’Europe par-vienne à préserver ses valeurs de démo-cratie et d’ouverture. « Je suis Arabe mu-sulman. Parfois, je me fais aborder par des inconnus dans la rue qui me tiennent des propos anti-chrétiens ou anti-occi-dentaux. Ça me révolte. Je ne comprends pas qu’on puisse faire ça dans un pays qui te donne toutes les possibilités. Le jour des attentats de Bruxelles, j’ai pleuré. J’ai fui Daech, ce qu’ils font est terrible. Je ne veux pas que l’Europe connaisse ça. » Gailan considère la Belgique comme son pays à part entière, au même titre que l’Irak. Il conclut comme il a commencé : « Encore merci ! Pour tout. Tout ce que j’ai gagné à l’intérieur de moi en venant ici. »

Bruxelles, le 1 janvier 2017, photographies Olivier Papegnies,interview Laure Derenne.

Gailan

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 22 16/06/17 00:00

Page 23: "Je suis humain" : le supplément

--

des inconnus dans la rue qui me tiennent

dentaux. Ça me révolte. Je ne comprends

jour des attentats de Bruxelles, j’ai pleuré. J’ai fui Daech, ce qu’ils font est terrible. Je

» Gailan considère la Belgique comme son

! Pour tout. Tout ce que j’ai »

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 23 16/06/17 00:00

Page 24: "Je suis humain" : le supplément

Hussein, joueur de luth oriental,

quitte l’Irak par la « route des migrants » (Turquie, Grèce, Macédoine, Hongrie, Serbie, Autriche, Allemagne). Il arrive à Bruxelles pendant l’été 2015 et se re-trouve au parc Maximilien. Une impor-tante mobilisation citoyenne s’est mise en place pour améliorer les conditions d’ac-cueil des personnes qui dorment dans le parc en attendant de pouvoir introduire une demande d’asile. Dès son deuxième jour en Belgique, Hussein rejoint les bé-névoles : « J’ai vu plein d’Européens ai-der et j’ai eu envie de faire partie de ce mouvement. » Il obtient une place dans un centre d’accueil de Fedasil près de Ciney. Il noue des contacts avec de nom-breux demandeurs d’asile, mais les pos-sibilités d’échange avec des Belges, en particulier d’autres jeunes, sont plus li-mitées. Obtenant un statut de réfu-gié, Hussein retourne vivre à Bruxelles et prend part à des projets artistiques,

dont celui de Muziekpublique « Refugees for refugees ». Il intègre une tournée de concerts et participe à l’enregistrement d’un CD qui rassemble des virtuoses ve-nus de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan, du Pakistan et du Tibet. Hussein porte la profonde conviction que la migration est une chance lorsqu’elle permet la ren-contre entre des êtres humains ouverts les uns aux autres. Il aime profondément découvrir et apprendre des autres. Ses nombreux sourires appuient sa pensée : la confiance, la générosité, l’engagement sont des clés. « C’est un peu comme si tu étais à une fête. Tu peux choisir de dan-ser avec les autres ou de rester dans ton coin. » Hussein apprécie Bruxelles et le dynamisme culturel qui y règne. Selon lui, l’éducation et la culture sont les pi-liers d’une société. Ce sont des moyens d’offrir à chacun un espace d’expression et de réalisation de son potentiel. Sa mu-sique, Hussein désire la mettre au ser-

vice de rencontres. Depuis 2016, il ras-semble autour de lui des artistes de dif-férentes tendances (classique, jazz, tra-ditionnelle) pour monter son propre pro-jet « Nawaris » : « Mouettes » en arabe. Un symbole qui fait référence à un monde où les hommes pourraient eux aussi tra-verser les mers pour se rapprocher de leurs rêves sans se soucier des frontières. « Je pense que la musique peut chan-ger beaucoup de choses et rapprocher les gens », souligne Hussein. Le 22 mars, il est allé jouer du luth à la Bourse de Bruxelles. « Quelqu’un m’a filmé et a par-tagé la séquence qui a été vue par des milliers de personnes. Je n’ai pas parti-culièrement bien joué ce jour-là, mais ce moment, ce message, a ému pas mal de monde. Peut-être aussi que ça a changé certains points de vue. » C’est aussi grâce à la musique qu’Hussein vit une belle his-toire d’amour avec Juliette, une violoncel-liste bordelaise qui l’a rejoint dans l’aven-

ture « Nawaris ». Elle raconte : « Nous étions tous les deux à une fête et nous avons joué de la musique ensemble. C’est ce qui nous a connectés. » Elle ajoute, le sourire aux lèvres : « Mes années d’école en anglais étaient bien loin, mais j’ai été très motivée pour réapprendre à parler ra-pidement. » Hussein aimerait pouvoir faire des projets musicaux en Irak, mais la si-tuation est encore trop difficile et impré-visible. « C’est une zone pleine d’intérêts stratégiques. La guerre est un business qui a détruit tant de rêves et d’opportuni-tés. » En Belgique, Hussein se sent libre et veut contribuer à cultiver la démocratie en prenant part activement à cette société plurielle et ouverte.

Bruxelles, le 1 janvier 2017, photographies Frédéric Pauwels,interview Laure Derenne.

→ Camps de réfugiés syriens de Zaatari, Jordanie, 8 octobre 2013,Johanna de Tessières, collectif Huma.

Fahti Addad Ibrahim, 60 ans reçoit des soins de l'ONG Handicap International. Avant la guerre, Fahti était berger dans la région de Al Zour. Il a été blessé par un tir de sni-per et a dû fuir son village. Il vit sous cette tente avec sa femme et ses deux enfants. En attendant, avec anxiété, des nouvelles du reste de sa famille.

→ Office des étrangers de Bruxelles, Belgique, décembre 2015,Johanna de Tessières, collectif Huma.

Des jeunes Afghans, Syriens et Irakiens font la file toute la nuit sous la pluie et dans le froid devant l’Office des étrangers afin de remplir les premières formalités de leur demande d’asile. Certains devront reve-nir faire la file la nuit suivante. « Ce moment est très impor-tant pour moi. Mon avenir se joue aujourd’hui, dans cette file. Dans deux heures, si j’ai de la chance, je pourrai être interrogé et les dés seront je-tés », nous confie l’un deux.

Hussein

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 24 16/06/17 00:00

Page 25: "Je suis humain" : le supplément

avons joué de la musique ensemble. C’est » Elle ajoute, le

Mes années d’école

très motivée pour réapprendre à parler ra-» Hussein aimerait pouvoir faire

--

C’est une zone pleine d’intérêts

qui a détruit tant de rêves et d’opportuni-» En Belgique, Hussein se sent libre

et veut contribuer à cultiver la démocratie en prenant part activement à cette société

Camps de réfugiés syriens

Handicap International. Avant

-

Des jeunes Afghans, Syriens et Irakiens font la file toute la nuit

-nir faire la file la nuit suivante.

tant pour moi. Mon avenir se

-

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 25 16/06/17 00:00

Page 26: "Je suis humain" : le supplément

Chinara Si vous pouviez rencontrer

Chinara, elle aimerait certainement vous écouter parler de votre histoire et de ce que vous pourriez lui apprendre. Elle vien-drait chercher ce qu’il y a de plus humain en vous en s’intéressant à ce qui vous plaît dans la vie, à ce que vous trouvez important.

Son ouverture et sa sensibilité, Chinara la tient sans doute de sa propre histoire qu’elle partage à sa manière, à travers ses dessins et ses peintures : « Tous mes ta-bleaux racontent quelque chose. C’est ma façon de m’exprimer sur mon vécu et ma vision du monde. » Chinara dé-crit par exemple une œuvre sur laquelle on voit une maison dans un paysage as-sez sombre. Des fleurs colorées sont en train de grimper au bas du tableau. Dans le ciel, il y a un nuage qui a la forme de la Belgique. Et tout en bas, dans un coin, une coccinelle. « Une coccinelle, c’est pe-tit. Beaucoup de gens passeraient près d’elle sans y faire attention. Certains trou-

veraient ça mignon, d’autres seraient em-bêtés. Mais si on la laisse voler, cette coc-cinelle peut embellir le paysage et aller plus loin. Cette coccinelle, c’est moi. » Elle poursuit : « La Belgique est dans le ciel parce que la décision de savoir si je pour-rai continuer à vivre dans ce pays viendra de là-haut. »

Arrivée avec sa famille d’Azerbaïdjan en 2014, Chinara attend une réponse à sa troisième demande d’asile. « Mon pays n’est pas en guerre, mais notre vie était devenue impossible. Quand j’étais enfant, ma mère, musulmane, a épousé en se-cond mariage un chrétien que je consi-dère comme mon père. Les mariages mixtes sont très mal vus. Nous avons fait l’objet de harcèlement, de rejet et de me-naces quotidiennes. Tout ça nous a vrai-ment cassés. » Chinara se souvient du jour du départ : « On a confié nos vies à quelqu’un qu’on ne connaissait absolu-ment pas et on a roulé en voiture pen-dant cinq jours, sans savoir où on allait.

Malheureusement, on nous a menti en nous disant que mon père nous suivait. Il n’est jamais arrivé. Nous n’avons pas de nouvelles de lui. »

Face à l’adversité, Chinara a toujours gardé l’espoir et la force de se mettre en mouvement. En Belgique, elle s’est vite entourée d’amis et s’est investie dans 1001 projets. Elle qui parlait déjà quatre langues, maîtrise maintenant le français et s’est mise au néerlandais. Elle aime dé-couvrir la culture et l’histoire belge en vi-sitant des villes ou des musées. Elle a aussi rencontré Mohammed, un homme qui partage ses valeurs de bienveillance et d’optimisme, avec qui elle se mariera dans quelques mois.

Particulièrement attentive au bien-être des autres, Chinara rêve d’étudier la psy-chologie tout en continuant à développer son art. Grâce à « Refugees got talent », Chinara a pu participer à de nombreuses expositions. Elle a déjà vendu quelques tableaux. Dont un sur lequel on voit une

maison à l’envers. « J’aime la vie, j’aime les gens, mais des fois, je me dis vrai-ment qu’on fait tout le contraire de ce qui compte vraiment pour nous en tant qu’êtres humains. On vit de plus en plus comme des robots, déconnectés les uns des autres, repliés sur nous-mêmes et sur nos propres intérêts. L’argent devient un moteur trop important et nous fait perdre le vrai sens des choses. »

Chinara veut mettre son art et sa per-sonnalité au service d’un monde meilleur, mais pas seule ! C’est pour ça qu’elle par-ticipe à l’exposition « #JeSuisHumain ». Elle montre une de ses mains : « Tu vois, avec une main, je ne peux pas faire de bruit. Avec deux mains, je peux produire un son. Et si on était des millions à s’unir au-delà de nos différences, tu imagines quelle voix pourrait sortir de nous. »

Bruxelles, le 1 janvier 2017, photographies Olivier Papegnies,interview Laure Derenne.

→ Calais, Belgique, janvier 2016, Olivier Papegnies, collectif Huma.

La « Jungle » compte plusieurs quartiers, eux-mêmes com-posés de micro-campements de quelques tentes d’amis, re-groupées ensemble. Les mi-grants se lavent sommaire-ment dans leur campement, penchés au-dessus de bas-sines d’eau glacée et s’en-traident lorsqu’il s’agit de se couper les cheveux. Bien qu’ils logent dans des condi-tions extrêmes, ils continuent à prendre soin de leur image afin de garder leur dignité.

Calais, Belgique, octobre 2016, Johanna de Tessières, collectif Huma.

Calais, premier jour du dé-mantèlement de la jungle, de jeunes garçons jouent avec un tigre en peluche. Malgré l’am-biance lourde du départ vers de nouvelles incertitudes, les rires fusent.

Chinara

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 26 16/06/17 00:00

Page 27: "Je suis humain" : le supplément

qu’êtres humains. On vit de plus en plus comme des robots, déconnectés les uns des autres, repliés sur nous-mêmes et sur nos propres intérêts. L’argent devient un moteur trop important et nous fait perdre

-sonnalité au service d’un monde meilleur,

! C’est pour ça qu’elle par-

Tu vois,

bruit. Avec deux mains, je peux produire un son. Et si on était des millions à s’unir

» compte plusieurs

posés de micro-campements de quelques tentes d’amis, re-

tions extrêmes, ils continuent

mantèlement de la jungle, de jeunes garçons jouent avec un tigre en peluche. Malgré l’am-biance lourde du départ vers de nouvelles incertitudes, les

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 27 16/06/17 00:00

Page 28: "Je suis humain" : le supplément

Mafraq, Jordanie 10 octobre 2013,Johanna de Tessières, collectif Huma.

Voici le logement de Rania,de son mari Mahmoud et de leurs trois enfants. En juin 2013, ils ont été contraints de fuir leur maison située dans la ville de Homs. Ils ont passé un mois dans le camp de réfugiés de Zaatari situé à la frontière entre les deux pays. La famille a dé-cidé de quitter le camp en rai-son des conditions de vie trop précaires. En Syrie, Mahmoud était boulanger, mais il a reçu une balle dans le ventre et ne peut plus travailler. La famille peine à réunir les 150 dollars de loyer, un montant 50% plus élevé que pour une famille jor-danienne, pour un logement insalubre

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 28 16/06/17 00:01

Page 29: "Je suis humain" : le supplément

Voici le logement de Rania,de son mari Mahmoud et de leurs trois enfants. En juin 2013, ils ont été contraints de fuir leur maison située dans la ville de

Zaatari situé à la frontière entre les deux pays. La famille a dé-cidé de quitter le camp en rai-son des conditions de vie trop précaires. En Syrie, Mahmoud était boulanger, mais il a reçu une balle dans le ventre et ne peut plus travailler. La famille peine à réunir les 150 dollars de loyer, un montant 50% plus élevé que pour une famille jor-

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 29 16/06/17 00:01

Page 30: "Je suis humain" : le supplément

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 30 16/06/17 00:01

Page 31: "Je suis humain" : le supplément

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 31 16/06/17 00:02

Page 32: "Je suis humain" : le supplément

Ces entretiens ont été réalisés en jan-vier et février 2017 par le collectif belge Huma, composé de six photographes et d’une rédactrice. Passionnés par l’his-toire, la grande et la petite, celle qui se construit au quotidien, motivés par une soif de comprendre, ils montrent ceux dont la vie a basculé par un engrenage de coups durs, une rupture, par une pho-tographie respectueuse, qui parle d’hu-manité. Une photographie intime, émo-tionnelle qui montre de près pour com-prendre de loin. Huma s’attache aussi à capter les ressorts de la résilience so-ciale ou individuelle : au travers des ob-jectifs, traquer la joie et le bonheur là où ils surgissent, parfois de façon inatten-due, parce que convaincus que le monde a besoin d’optimisme. www.collectifhuma.com

Photo de couverture : La « jungle » de Calais, France, 2015-2016,Olivier Papegnies,collectif Huma.

Les membres du Collectif Huma qui parti-cipent à ce projet :

Virginie Nguyen Hoang : À travers ses photos, elle raconte des histoires touchant à l’exclusion sociale et aux conséquences d’un confl it sur une population locale. En 2012, elle reçoit un Nikon Press Award Benelux dans la catégorie Young Promising photographer-Stories avec son sujet sur les Roms à Bruxelles. Elle vient de publier « Gaza the aftermath » aux édi-tions CDP. Elle a reçu le prix des lycéens et apprentis de Normandie, catégorie té-lévision au festival Bayeux des correspon-dants de guerre.

Frédéric Pauwels : Membre fonda-teur de Huma et professeur à l’Ate-lier Obscura. Persuadé que la photo-graphie dénonce mieux que les mots, il aime travailler sur le long terme. Il s’inté-resse entre autres au quotidien du milieu de la prostitution ainsi qu’aux stigmates de la première et deuxième guerre mon-diale. Il est lauréat du 16e Prix National Photographie Ouverte avec le prix du Patrimoine / Amis de l’Unesco pour son travail sur Doel.

Olivier Papegnies : Ses reportages sont publiés dans la presse belge et internatio-nale. Il collabore avec La Libre Belgique, Le Monde ainsi qu’avec différentes ONG telles que Médecins du Monde, Special Olympics. Il a reçu le Prix Dexia en 2009, le Nikon Photo Press Awards 2010 pour son reportage sur le tremblement de terre en Haïti, le Prix du journalisme du Parlement Wallonie-Bruxelles en 2012 pour son travail sur l’amour, la sexualité et le handicap mental.

Johanna de Tessières : Elle photo-graphie régulièrement pour La Libre Belgique ainsi que pour la presse interna-tionale. Elle collabore avec des ONG telles que Handicap International et Amnesty International. Sa photographie est souvent centrée sur les questions humanitaires et les droits de l’Homme à travers le monde. Elle a travaillé sur le viol comme arme de guerre en RDC et s’est rendue en Iraq afi n de récolter les témoignages des femmes Yezidis enlevées par Daech. Elle a publié un livre sur les petites mains de la Haute Couture Française et n’hésite pas à pas-ser d’un univers à l’autre avec curiosité.

Laure Derenne : Formée en psycholo-gie et impliquée dans le milieu associatif, Laure aime aller à la rencontre d’histoires personnelles et découvrir des projets col-lectifs porteurs de sens. Par ses textes, elle fait écho à ce qui peut nous inspirer dans la construction d’un monde plus hu-main et plus durable.

Retrouvez l’ensemble de l’exposition dans sa version digitale sur www.jesuishumain.be Pour plus d’informations sur les exposi-tions itinérantes #JeSuisHumain à par-tir de janvier 2018 : www.amnesty.be/je-suishumainLes témoignages recueillis par le collectif Huma n’ont pas fait l’objet d’une enquête spécifi que de la part de l’organisation de défense des droits humains.

Une publication d’Amnesty International Belgique francophone,en association avec La Libre Belgique. Design éditorial : SpeculoosÉditeur responsable : François Graas Tous droits de reproduction réservés.

jesuishumain.be#jesuishumain

Vous avez plus de pouvoir que vous ne le pensez.Amnesty International BE85 0012 0000 7006avec la communication« je suis humain ».

layout-catalogue-humain-4961-20-s.indd 32 16/06/17 00:02