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Note de synthèse Mai 2007 Page 1 sur 7 1 « Vers un nouveau mode de gouvernance- modernisation d’une entreprise publique », 15 février 2007 lors des « rendez-vous » du Centre des Hautes Etudes de l’Armement, Ministère de la Défense, DGA 2 Nous nous réfèrerons principalement à la théorie de l’agence et à la théorie des coûts de transaction. 3 Enron, Worldcom, Vinci, Airbus-EADS, etc. 4 The modern corporation and private property, New York, Mac Millan, 1932 La Gouvernance d’Entreprise Que nous apprend la littérature économique ? Lors d’une intervention récente consacrée à la modernisation des entreprises publiques 1 , Jean-Paul Bailly, président du groupe La Poste, expliquait comment la dynamique de transformation des entreprises publiques entrainait une évolution de leur gouvernance. Dans le cas du groupe La Poste, ces évolutions se traduisent ainsi : « Créer un climat de confiance avec les partenaires et les parties prenantes (stakeholders) de l’entreprise (élus locaux, syndicats...) est au cœur de notre méthode ». Cette conception de la gouvernance d’une grande organisation intégrant les parties prenantes est assez récente. En effet, pendant longtemps les débats autour de la gouvernance d’entreprise insistaient sur la primauté des relations unissant les actionnaires aux managers, dans une gouvernance actionnariale (de type shareholder). L’objet de cette note est justement de s’intéresser à l’évolution du concept de « gouvernance d’entreprise » au travers d’une revue de la littérature économique 2 . Propriété et Contrôle Depuis le scandale Enron en 2001, de nombreuses affaires 3 ne cessent d’agiter les milieux économiques des pays développés et suscitent de multiples controverses relatives à la rémunération des dirigeants, leurs responsabilités et celles des administrateurs, la composition et le rôle des conseils d’administration ou encore le rôle des actionnaires. Tous ces aspects relèvent du gouvernement ou de la gouvernance d’entreprise. La gouvernance d’entreprise renvoie en effet à l’ensemble des dispositifs institutionnels (structures et procédures) qui gouvernent la conduite des dirigeants et qui définissent leur espace discrétionnaire. Pour résumer, la gouvernance traite du management du management, en définissant les règles du jeu managérial. L’émergence des questions ayant a trait à la gouvernance dans la littérature économique remonte à l’ouvrage d’A.Berle & G.Means (1932) 4 dont la thèse centrale est d’expliquer que le développement n°26 Mai 07

La Gouvernance d'Entreprise, Note de synthèse, n°26, Mai 2007

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1 « Vers un nouveau mode de gouvernance- modernisation d’une entreprise publique », 15 février 2007 lors des « rendez-vous » du Centre des Hautes Etudes de l’Armement, Ministère de la Défense, DGA 2 Nous nous réfèrerons principalement à la théorie de l’agence et à la théorie des coûts de transaction. 3 Enron, Worldcom, Vinci, Airbus-EADS, etc. 4 The modern corporation and private property, New York, Mac Millan, 1932

La Gouvernance d’Entreprise Que nous apprend la littérature économique ?

Lors d’une intervention récente consacrée à la modernisation des entreprises publiques1, Jean-Paul Bailly, président du groupe La Poste, expliquait comment la dynamique de transformation des entreprises publiques entrainait une évolution de leur gouvernance. Dans le cas du groupe La Poste, ces évolutions se traduisent ainsi : « Créer un climat de confiance avec les partenaires et les parties prenantes (stakeholders) de l’entreprise (élus locaux, syndicats...) est au cœur de notre méthode ». Cette conception de la gouvernance d’une grande organisation intégrant les parties prenantes est assez récente. En effet, pendant longtemps les débats autour de la gouvernance d’entreprise insistaient sur la primauté des relations unissant les actionnaires aux managers, dans une gouvernance actionnariale (de type shareholder).

L’objet de cette note est justement de s’intéresser à l’évolution du concept de « gouvernance d’entreprise » au travers d’une revue de la littérature économique2.

Propriété et Contrôle

Depuis le scandale Enron en 2001, de nombreuses affaires3 ne cessent d’agiter les milieux économiques des pays développés et suscitent de multiples controverses relatives à la rémunération des dirigeants, leurs responsabilités et celles des administrateurs, la composition et le rôle des conseils d’administration ou encore le rôle des actionnaires. Tous ces aspects relèvent du gouvernement ou de la gouvernance d’entreprise. La gouvernance d’entreprise renvoie en effet à l’ensemble des dispositifs institutionnels (structures et procédures) qui gouvernent la conduite des dirigeants et qui définissent leur espace discrétionnaire. Pour résumer, la gouvernance traite du management du management, en définissant les règles du jeu managérial. L’émergence des questions ayant a trait à la gouvernance dans la littérature économique remonte à l’ouvrage d’A.Berle & G.Means (1932)4 dont la thèse centrale est d’expliquer que le développement

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de la grande entreprise par actions a entrainé la séparation de la propriété et du contrôle. Pour eux, ce mode d’organisation dit « firme managériale », caractérisé par une direction professionnalisée ne détenant pas le contrôle patrimonial de l’entreprise et un actionnariat dispersé, est supposé supérieur aux autres car il permettrait d’obtenir la meilleure allocation des ressources. Le concept de gouvernance renvoie donc directement à l’influence des décisions stratégiques sur la création de valeur.

Depuis, les débats sur la gouvernance d’entreprise se sont construits autour de cette dialectique : propriété versus contrôle, insiders versus outsiders, pouvoir managérial versus pouvoir actionnarial débouchant sur deux conceptions du système de gouvernement d’entreprise : le modèle shareholder centré sur la création de valeur pour l’actionnaire et le modèle stakeholder visant à créer de la valeur pour l’ensemble des parties prenantes.

Avant de détailler les caractéristiques associées à chaque modèle et d’en étudier les limites, nous présentons dans un premier temps les différents composants d’un système de gouvernance en nous appuyant sur la théorie de l’agence et la théorie des coûts de transaction.

Relations d’agence et conflits d’intérêts

A la suite de Berle et Means, les travaux de M.C. Jensen et W.H. Meckling (1976) étendent le cadre d’analyse en introduisant la notion de relation d’agence. Ils définissent une relation d’agence comme un contrat par lequel un acteur (le principal) compte sur un autre (l’agent) pour

travailler ou fournir des services qui servent ses intérêts. Quand il est difficile de contrôler et de vérifier les actions des agents, ces derniers peuvent faire preuve d’opportunisme en agissant dans leur propre intérêt plutôt que dans celui du principal. A partir du moment où les actionnaires délèguent leurs pouvoirs décisionnels aux dirigeants, des conflits d’intérêts risquent d’apparaître menant à des décisions sous-optimales. Typiquement, la théorie de l’agence envisage la relation actionnaires-managers de la manière suivante : i) l’actionnaire engage le manager pour gérer au quotidien l’entreprise, ii) le manager dispose d’informations (sur la vie de l’entreprise, les choix opérés…) qui échappent à l’actionnaire, l’information est donc asymétrique, iii) les objectifs des deux parties divergent : l’actionnaire a un objectif de profit, le manager un objectif de maximisation de sa rémunération.

Lorsque cette relation s’établit avec une certaine pérennité, elle impose la mise en place de mécanismes visant à garantir que l’action des mandataires réponde de façon appropriée aux objectifs des mandants. L’ouverture et la dispersion du capital d’une entreprise supposent un partage du profit entre différents actionnaires et vont créer des relations d’agence et accentuer les conflits d’intérêt entre les dirigeants et les actionnaires ou encore les créanciers. Dans la théorie de l’agence, le système de gouvernance recouvre l’ensemble des mécanismes ayant pour objet de discipliner les dirigeants et de réduire les coûts d’agence. Les différents travaux convergent pour distinguer les mécanismes externes (principalement les marchés) des mécanismes internes (contrôle exercé par les actionnaires, surveillance

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mutuelle entre les dirigeants, conseil d’administration). On peut distinguer trois types de dispositifs constitutifs du système de gouvernance. D’une part, des procédures et des outils d’information conduisant les gestionnaires à rendre de compte de leurs actions et résultats. Ils permettent aux mandants de se tenir informés du fonctionnement de la délégation qu’ils ont consentie et de vérifier que les actions engagées convergent avec leurs objectifs. En plus de ces outils de d’information et de contrôle, ils disposent d’outils d’incitation visant à encourager les dirigeants à poursuivre les objectifs fixés. Enfin, le fonctionnement d’instances internes ou externes de contrôle et de régulation qui assure l’ajustement entre les ayants droits et les dirigeants en prévenant les conflits éventuels, et en les dénouant lorsqu’ils ne peuvent être évités.

Minimiser les coûts de transaction

La théorie des coûts de transaction prend comme unité d’analyse la transaction6 et retient la spécificité des actifs comme caractéristique7 principale. La spécificité renvoie à la valeur d’un actif dans une transaction considérée. On dit qu’un actif est spécifique lorsque sa valeur dans une transaction considérée est supérieure à la valeur qu’il aurait dans des usages alternatifs (moins un actif est spécifique et plus il est facilement redéployable vers d’autres usages sans perte de valeur). En recherchant le maximum d’efficacité, O.E Williamson analyse les mécanismes organisationnels permettant de gérer

les différentes transactions en fonction de leur capacité à minimiser ces coûts de transaction. La théorie des coûts de transaction va alors distinguer les mécanismes intentionnels, issus d’une volonté de contrôle de la transaction, des mécanismes spontanés de nature contractuelle8.

Ainsi, les transactions mettant en jeu des investissements très spécifiques sont gérées plus efficacement par des mécanismes intentionnels. Par exemple, le conseil d’administration interviendrait pour contrôler des transactions avec les actionnaires, concernant des investissements spécifiques à la firme. Ces mécanismes sont conçus dans le but de contrôler ou de limiter l’espace décisionnel des dirigeants. A l’inverse, des relations de prêt associées au financement d’actifs redéployables seraient plus efficacement gérées par l’intermédiaire de mécanismes contractuels, sous formes de clauses ou de garanties. Dans la théorie des coûts de transaction, les mécanismes intentionnels sont efficaces pour contrôler alors que les mécanismes de nature contractuelle le seraient plus pour inciter.

Le recoupement des conceptions de la théorie de l’agence et des coûts de transaction permet à G. Charreaux (1997) de proposer une typologie des mécanismes de gouvernance selon qu’ils soient externes ou internes et intentionnels ou spontanés. Parmi ces différents mécanismes de gouvernance, le conseil d’administration et l’environnement institutionnel ont particulièrement intéressé la littérature économique.

6 Une transaction est définie comme le transfert de droits (propriété, décision) entre des entités technologiquement séparables. 7 La spécificité est l’une des caractéristiques remarquable de la transaction, il en existe deux autres qui

sont la fréquence et l’incertitude

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Structure et composition du conseil d’administration

Le conseil d’administration est en effet le mécanisme clé qui contrôle l’opportunisme des dirigeants. L’une des variables à la base de son efficacité est son degré d’indépendance. Pour mesurer l’indépendance, on se réfère principalement à la répartition entre membres externes (ceux qui ne sont pas employés ou anciens employés de l’entreprise, et qui n’ont pas de relations d’affaire avec elle) et membres internes (exécutifs). Plus le ratio externes/internes est élevé et plus l’indépendance du conseil serait garantie. En principe, les membres externes n’expérimenteraient pas les mêmes conflits d’intérêts potentiels qui affectent les jugements des membres internes.

Du point de vue de son fonctionnement, l’indépendance du conseil peut également être renforcée lorsqu’il délègue l’examen de certaines questions à des comités internes. Ces comités composés majoritairement de membres externes ont pour rôle de traiter de questions spécifiques (vérification, nomination, rémunération etc.) et de faire des propositions au conseil.

Enfin, un autre aspect a trait à la structure de son leadership. Pour la théorie de l’agence, les coûts d’agence peuvent être réduits en séparant les fonctions de gestion de celles de contrôle à la tête du conseil. En effet, une concentration du pouvoir entre les mains du chef de direction pourrait accroître son opportunisme et l’amener à ne pas agir dans l’intérêt des actionnaires. Pour les tenants de la théorie des coûts de transaction, l’effet de la dualité des postes de chef de direction et de président du conseil est plus ambigu, puisque la concentration

des pouvoirs est également susceptible de renforcer le leadership à la tête de l’organisation, et les mécanismes de contrôle qui y sont associés.

L’environnement institutionnel

Si on se réfère à D. North (1994), les institutions sont « l’ensemble des contraintes d’origine humaine qui structurent les interactions entre individus ». Traditionnellement, on oppose les systèmes juridiques de civil law et de common law (basé sur la jurisprudence). L’approche de R. La Porta, F. Lopez, A.Shleifer et R.W Vishny (1998), approche dite LLSV, souligne que l’essentiel des différences entre les systèmes de gouvernance résulte des écarts dans la nature des obligations légales des dirigeants vis-à-vis des investisseurs ainsi que des différences dans la façon dont les tribunaux font appliquer et interprètent ces obligations. Selon eux, les systèmes reposant sur le droit civil auraient une qualité de protection légale des investisseurs et d’application des lois plus faible que les systèmes de common law. En d’autres termes, LLSV nous indique que les pays de droit civil sont caractérisés par un plus faible niveau d’efficacité des mécanismes de gouvernance d’entreprise.

A niveau inférieur, on retrouve les lois qui visent spécifiquement à la mise en place de règles assurant la « bonne gouvernance d’entreprise ». En France, la loi sur les nouvelles régulations économiques (2001) complétée par la loi de sécurité financière (2003) a modifié le fonctionnement du conseil d’administration. D’une part en séparant les fonctions exécutive et de contrôle, et d’autre part en renforçant l’indépendance des administrateurs face au président du conseil. Aux Etats-Unis, dans le foulée du scandale Enron,

8 Les mécanismes spontanés renvoient à une coordination par le marché alors que les mécanismes intentionnels renvoient à un mode de coordination propre à l’organisation intégrée.

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la loi Sarbanes-Oxley adoptée en 2002 a également pour but de clarifier la gouvernance des entreprises, en imposant aux entreprises cotées de présenter des comptes certifiés par les dirigeants à la commission américaine des opérations de bourse, et en renforçant l’indépendance des auditeurs. D’où l’obligation, depuis, de séparer strictement les activités d’audit et de conseil9. Ces lois qui instituent des règles très détaillées avaient pour objectif de mettre fin au système de l’autorégulation.

Shareholder versus Stakeholder : vers une alternative à la valeur actionnariale

Le dénominateur commun de ces deux systèmes de gouvernance est la recherche de la maximisation de la valeur créée. Ils se distinguent par la définition du cadre pertinent : les tenants du shareholder, tendance dominante, considèrent qu’il est exclusivement constitué des relations actionnaires-managers alors que ceux du système stakeholder considèrent que les salariés et les clients doivent être impliqués.

Shareholder ou la régulation par les marchés

La gouvernance de type shareholder, visant à maximiser la valeur pour les actionnaires, est plus fréquente dans les pays de culture anglo-saxonne caractérisés par des entreprises ayant massivement recours aux marchés financiers et à l’actionnariat diffus. Ce profil correspondant typiquement à la grande « firme managériale » décrite par Berle & Means. Ce mode d’organisation régulé par les marchés doit permettre un meilleur traitement

de l’information. Les mécanismes internes jouent faiblement ce qui serait coûteux en termes de coûts d’agence. Il privilégie une optique d’investissement à court terme ce qui permet une flexibilité (adaptabilité) importante.

Le fondement principal du modèle shareholder peut se résumer ainsi : si l’équipe dirigeante est effectivement l’agent des actionnaires, sa mission première est de servir au mieux leur intérêt.

Pourquoi se cantonner uniquement à l’analyse des relations actionnaires-managers ?

L’argument généralement avancé consiste à dire que les droits et les devoirs des autres parties prenantes de l’entreprise (salariés, clients, fournisseurs) sont clairement définis par des contrats leur permettant d’interrompre leur investissement dans l’entreprise. Les apporteurs de capitaux, en revanche, ne pourraient pas interrompre leur investissement, d’autant moins qu’ils sont spécifiques. Ainsi pour qu’ils acceptent de financer l’investissement, il faut leur octroyer les droits de contrôle sur l’entreprise, et les autoriser à s’approprier le surplus généré. Cette argumentation, tout en restant dominante dans la littérature économique, est de plus en plus critiquée. En effet, l’entreprise peut être appréhendée comme un système de coopération entre des actifs spécifiques, chacune des parties prenantes co-spécialisant une partie de ses actifs avec l’entreprise. Exclure a priori du débat sur la gouvernance les clients, fournisseurs et salariés serait donc contestable et il conviendrait de les intégrer en développant une analyse stakeholder.

9 Dans l’affaire Enron, le cabinet d’audit qui a validé les comptes de l’entreprise (qui se révèleront truqués) comptait également Enron comme client dans son activité de conseil.

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De l’ensemble de ces analyses, il ressort que la pratique des horaires irréguliers r

Stakeholder ou la régulation interne

Traditionnellement, on associe le modèle stakeholder aux systèmes allemand et japonais, le système latin, et en particulier le système français, constituant une forme hybride. Ce mode d’organisation vise à maximiser la valeur pour l’ensemble des parties prenantes : actionnaires, créanciers, dirigeants, salariés, clients, fournisseurs… Dans une acceptation large, une partie prenante est tout acteur concerné par la bonne marche de l’entreprise. Si on se réfère à la typologie de Charreaux, la régulation s’effectue essentiellement par des mécanismes internes. La coopération et l’investissement à long terme sont favorisés, ce qui rendrait ce modèle plus rigide (diminue le potentiel d’adaptation) que le système shareholder.

Pourquoi intégrer les parties prenantes ?

L’idée que les relations entre les actionnaires et l’entreprise seraient différentes de celles des autres parties prenantes est critiquable. En effet, les salariés des entreprises accumulent, au fur et à mesure du processus de production, un ensemble de savoirs et de savoir-faire spécifiques qui les spécialisent dans un domaine de compétence. Ils accumulent ainsi du capital humain spécifique qui, en cas de rupture de la relation de travail, n’est pas nécessairement redéployable dans un autre contexte productif. De la même manière, un sous-traitant doit souvent investir dans du matériel spécifique pour répondre aux commandes de son donneur d’ordre. En cas d’interruption de la relation, le redéploiement des actifs physiques

et/ou humains peut être difficile. Le coût de l’investissement initial peut donc s’avérer en partie irrécupérable. Finalement, du point de vue de la spécificité, les relations entre les actionnaires et l’entreprise sont comparables aux autres parties prenantes.

Néanmoins, lorsque l’on souhaite élargir le cercle des parties prenantes, on se heurte à de nouveaux problèmes. Le premier concerne le périmètre. Certains auteurs pensent qu’il est judicieux d’inclure seulement les salariés en plus des actionnaires et des dirigeants, d’autres vont plus loin et intègrent les clients-fournisseurs, voire l’ensemble des autres agents affectés par les comportements des entreprises à travers des externalités négatives. Il convient ensuite de prendre en compte simultanément les intérêts d’une pluralité d’individus, ce qui s’avère être un exercice délicat. En comparaison, un objectif unique de création de valeur pour l’actionnaire a le mérite de la simplicité. Enfin, une autre série de difficultés concerne les modalités d’intégration des parties prenantes dans les processus de décisions de l’entreprise. L’élément fondamental est que chaque partie prenante ait la possibilité ex post de s’assurer de la prise en compte de ses intérêts. Autrement dit, il faut que les parties prenantes disposent d’un pouvoir de contrôle sur la direction. Ce contrôle effectif suppose une ouverture des organes stratégiques (conseil d’administration ou conseil de surveillance) aux représentants des parties prenantes. Si l’intégration des salariés aux organes directeurs de l’entreprise est possible, et se pratique déjà, cette intégration devient en revanche de moins en moins évidente au fur et à mesure que le cercle des

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parties prenantes s’élargit. Ou alors, la prise en compte de leurs intérêts se fera de manière plus informelle.

Pour Charreaux, chaque système présente simultanément des avantages et des inconvénients, ce qui justifie la survivance des deux formes correspondant à deux types d’équilibre organisationnel. D’autres études posent la question de la convergence, ce qui supposerait qu’un système soit par nature plus efficace qu’un autre. L’éventualité de cette évolution renvoie à un alignement de l’ensemble des pays sur l’exemple anglo-américain, c'est-à-dire, des entreprises ayant massivement recours aux marchés financiers, à l’actionnariat diffus dans le cadre d’une gouvernance actionnariale.

C’est bien là tout le paradoxe des débats sur la gouvernance d’entreprise. Alors que le modèle stakeholder semble favorable à une gestion plus éthique et responsable de l’entreprise, il demeure plus complexe à mettre en œuvre, et c’est donc la création de valeur pour l’actionnaire qui reste encore le système dominant. Le glissement vers un système intégrant d’avantage les parties prenantes suppose de définir de manière concrète les modalités de cet élargissement. Et notamment de répondre à la question :

• Faut-il doter certaines parties prenantes d’un pouvoir d’intervention dans les processus décisionnels ? Si oui, quelles parties et de quelles manières ?

Conclusion

Les déterminants d’un système de gouvernance se situent donc à trois niveaux : à un niveau interne tout d’abord, au travers des mécanismes de contrôle et de surveillance de la firme (comme le conseil d’administration), à un niveau externe à la firme ensuite (mécanismes incitatifs liés aux marchés), au niveau de l’environnement institutionnel enfin au travers du cadre juridique. C’est de l’articulation et de la cohérence de ces trois niveaux que vont dépendre les conditions d’une «bonne gouvernance».

En France, le rapport Viénot I a mis en avant la notion « d’intérêt social » de l’entreprise comme « l’intérêt supérieur de la personne morale elle-même, c’est-à-dire de l’entreprise considérée comme un agent économique autonome, poursuivant des fins propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de ses salariés, de ses créanciers (…), de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à leur intérêt général commun qui est d’assurer la prospérité et la continuité de l’entreprise ». L’intérêt social est une piste de réflexion intéressante qui pourrait permettre de surmonter les divergences potentielles d’intérêts entre les différentes parties prenantes. Reste maintenant à définir clairement les modalités de son application.