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Mémoire de master 2 " urbanisme et aménagement " parcours Opérateurs Urbains (OU), spécialité Expertise Internationale des Villes en Développement (EIVD) Année 2010 Le projet de rénovation de Süleymaniye entre intervention urbaine et politique : La mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internationaux Lucie Renou Encadrants : - A. Deboulet (IFU) - M.-F. Gribet (IFU) - Y. Morvan (IFEA) - J.-F. Pérouse (IFEA) - N. Seni (IFEA) Université de Paris Est Marne la Vallée Institut Français d’Urbanisme

Lucie renou projet de rnovation de suleymaniye - ifu - 2010

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Mémoire de master 2 " urbanisme et aménagement "parcours Opérateurs Urbains (OU), spécialité Expertise Internationale

des Villes en Développement (EIVD)

Année 2010

Le projet de rénovation de Süleymaniye entre intervention urbaine etpolitique : La mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux

identitaires et internationaux

Lucie Renou

Encadrants : - A. Deboulet (IFU)- M.-F. Gribet (IFU)- Y. Morvan (IFEA)- J.-F. Pérouse (IFEA)- N. Seni (IFEA)

Université de Paris Est Marne la ValléeInstitut Français d’Urbanisme

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Remerciements

Au moment où j’écris ces lignes, mon mémoire se termine, et avec lui, mon cursusuniversitaire s’achève. J’adresse donc dans un premier temps, mes remerciements à toutel’équipe enseignante de l’IFU pour m’avoir guidé tout au long de ma formation en urba-nisme (et particulièrement aux professeurs des options Opérateurs Urbains et ExpertiseInternationale des Villes en Développement que j’ai suivies).

Dans un second temps, ce mémoire est le fruit de nombreuses interactions et ren-contres. Les personnes à remercier sont nombreuses. Je tiens ici à remercier particulière-ment :

– Les professeurs et chercheurs, qui ont encadré ce mémoire, m’ont conseillé et mo-tivé tout au long de sa réalisation : Agnès Déboulet, Marie-Françoise Gribet, YoannMorvan, Jean-François Pérouse et Nora Seni.

– Plus généralement toute l’équipe de l’IFEA, les chercheurs, les doctorants ainsique les stagiaires pour l’ambiance de travail agréable, mais aussi pour toutes cesdiscussions enrichissantes qui ont participé à l’orientation de ce mémoire : Eloïse,Brian, Clémence, Annabelle, Jonathan et tous les autres.

– Toutes les personnes à Istanbul qui ont accepté de me recevoir, de partager leursconnaissances avec moi et surtout Ali, Julia, Derya, Hülya, Cihan et Murat Güvençpour le temps que vous m’avez accordé, votre patience et votre générosité.

– Vanessa ! Pour m’avoir consacré quinze jours de tes vacances et sans qui mon en-quête de terrain n’aurait pas été possible. En même temps, je remercie tous les ha-bitants et travailleurs de Süleymaniye qui ont participé à cette petite enquête, mercipour votre hospitalité.

– Enfin, je remercie très chaleureusement mes amis et ma famille qui m’ont soutenuet m’ont mené jusqu’ici, particulièrement mes parents, Cam, Flo et Viv, et enfinAdrien, sans l’aide de qui la mise en page de ce mémoire n’aurait pas été la même...J’espère que vous l’apprécierez.

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REMERCIEMENTS

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Table des matières

Remerciements 3

Table des matières i

Table des figures iii

Introduction 1A Le projet de rénovation de Süleymaniye entre intervention urbaine et po-

litique : la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaireset internationaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

B Istanbul, une mégapole en pleine croissance . . . . . . . . . . . . . . . . 6

C Le projet de rénovation de Süleymaniye, continuité ou rupture avec lesprojets précédents ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

D Méthodologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

I Comprendre le projet de rénovation de Süleymaniye 19A Injonction internationale à la restructuration urbaine . . . . . . . . . . . . 19

B Süleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire. . . . . . . 24

C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé . . . . . . . . 30

II Dimension politique du projet critiquée 49A Le projet vu à travers ses discours : quels objectifs . . . . . . . . . . . . . 49

B La loi 5366 comme outil puissant de la politique de Kentsel Dönüsüm . . 59

C Critiques : les réactions de la société civile . . . . . . . . . . . . . . . . . 65

III Des modalités d’application radicales au service d’enjeux privés et identi-taires 71A Façadisme et néo-ottomanisme : une vision singulière du patrimoine . . . 71

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TABLE DES MATIÈRES

B Enjeux économiques : l’immobilier à l’heure de la spéculation. . . . . . . 84C Enjeux sociaux : pour une moralisation de la péninsule. Un processus

d’expropriation violent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

Conclusion 105

Bibliographie 109

ii

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Table des figures

1 Carte de la croissance urbaine d’Istanbul. Source fond de carte (Pé-rouse, 2001) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

I.1 Süleymaniye, un quartier dominant. Source : photo prise en juin 2010 . 25

I.2 Fonctions du quartier de Süleymaniye par zone. Source : d’après unrelevé effectué les 11 et 12 juillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

I.3 Fonctions du quartier de Süleymaniye par parcelle. Source : d’aprèsun relevé effectué les 11 et 12 juillet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

I.4 Etat du bâti. Source : d’après un relevé effectué les 11 et 12 juillet . . . . 33

I.5 les différentes catégories de bâti. (a) dégradé, (b) bon état ou passable,(c) détruit, (d) réhabilité. Source : photos prises en juin 2010 . . . . . . 34

I.6 Niveau scolaire des habitants par sous-quartier. Source : Données four-nies par Murat Güvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

I.7 Taille des ménages des habitants par sous-quartier. Source : Donnéesfournies par Murat Güvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

I.8 Répartition des activités professionnelles des habitants. Femmes àgauche ; Hommes à droite. Source : Données fournies par Murat Gü-venç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

I.9 Répartition des secteurs d’activités des habitants. Hommes à gauche ;Femmes à droite. Source : Données fournies par Murat Güvenç . . . . . 38

I.10 Statut d’occupation par sous-quartier. Source : Données fournies parMurat Güvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

I.11 Lieux de naissance des habitants. Source : Données fournies par MuratGüvenç . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

I.12 Le Küçükpazar. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . 44

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TABLE DES FIGURES

II.1 Kentsel yenileme alanı (secteur de rénovation urbaine). Source : KIP-TAS, Süleymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

II.2 Ancienne photo de Süleymaniye. Source : KIPTAS, Süleymaniye Su-num, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

II.3 Périmètre du projet prioritaire. Source : KIPTAS, Süleymaniye Sunum,30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52

II.4 Situation de l’îlot 565 dans le quartier. Source : KIPTAS, SüleymaniyeSunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53

II.5 Présentation de l’îlot 565 avant et après projet. Source : KIPTAS, Sü-leymaniye Sunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54

II.6 Situation hier, aujourd’hui, demain. Source : KIPTAS, SüleymaniyeSunum, 30.12.2009 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

II.7 Carte des projets de rénovation sur la rive européenne. Source : (AGFE,2009) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

III.1 Exemple de façadisme. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . 72III.2 Façade rénovée par KUDEB. Source : photo prise en juin 2010 . . . . . 73III.3 Réhabilitation privée d’une rue par l’architecte Monsieur Y. Source :

photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75III.4 Réhabilitation d’une rue réalisée par KUDEB. Source : photo prise en

juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76III.5 Maison réhabilitée disproportionnée. Source : photo prise en juin 2010 77III.6 Exemples de logements construits de KIPTAS. Source : http ://www.kiptas.com.tr

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87III.7 Organigrammes du projet de Balat. Source : D’après les entreriens avec

D. Aslan et H. Gargin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91III.8 Organigrammes du projet de Süleymaniye. Source : D’après les entre-

riens avec D. Aslan et H. Gargin et Melle Z . . . . . . . . . . . . . . . . 92III.9 Etat d’un ilôt après de multiples destructions illégales. Source : photo

prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96III.10Des enfants jouent dans les ruines d’un immeuble. Source : photo prise

en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98III.11Des enfants jouent dans les ruines d’un immeuble. Source : photo prise

en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99III.12Source : photo prise en juin 2010 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103

iv

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Introduction

A Le projet de rénovation de Süleymaniye entre inter-vention urbaine et politique : la mise aux normes d’unquartier au service d’enjeux identitaires et internatio-naux

« Réactiver la culture ottomane », « retrouver le quartier de Süleymaniye » . . . telssont les slogans portés par les défenseurs du projet de rénovation de Süleymaniye.

Süleymaniye est un quartier de la péninsule historique d’Istanbul. Il est reconnu pourla richesse de son patrimoine architectural, aussi bien monumental (la mosquée de Soli-man le Magnifique) que vernaculaire (les maisons en bois). Mais il est surtout le symbolede la grandeur ottomane. Au XVIème siècle, Süleymaniye est connu pour être le lieude résidence des vizirs et des grands juges. Cette caractéristique identitaire se perpétueaujourd’hui par la présence de fondations religieuses dans le quartier. Or, il est aussi unquartier très dégradé et stigmatisé. Dégradé, car l’état du bâti, et a fortiori, des conditionsde vie, y est déplorable. Stigmatisé, car le nom du quartier est aujourd’hui associé auxchambres de célibataires qui le composent. Ces chambres sont louées à des jeunes tra-vailleurs qui la partagent le temps d’accumuler de l’argent pour envoyer à leur famille,dans l’est du pays, en Anatolie ou encore dans la région de la mer Noire. Le quartier deKüçükpazar à Süleymaniye, est un des plus emblématiques de cette population immigrée

(de l’intérieur). Ainsi, l’état physique et le profil social du quartier en font depuis lesannées 2000 un terrain de projet.

En 2006, la municipalité de l’arrondissement de Fatih déclare que Süleymaniye estdésormais classé zone de renouvellement. Si la nécessité d’une intervention n’est pas re-mise en question, les modalités de ce projet sont pour le moins à interroger. Le tissuurbain de Süleymaniye est classé depuis 1985 au patrimoine de l’UNESCO. Pourquoi la

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INTRODUCTION

municipalité prévoit-elle un projet de rénovation plutôt qu’un projet de réhabilitation ?Cette question se pose d’autant plus que le projet prévoit de reconstruire des maisonsottomanes conformément à des photographies anciennes du quartier. Entre démolition etpatrimonialisation, quelles sont les motivations et les ambitions de la municipalité ? Enoutre, pourquoi choisir le retour aux maisons ottomanes ? Quelle clientèle ce projet vise-t-il ?

A.1 Un projet de rénovation et d’expulsion

La démolition fait partie intégrante du processus du projet. Sur les parcelles vidéesdu bâti antérieur, naîtront de nouvelles konaks, ou maisons ottomanes. Il s’agit dès lorsde s’interroger sur le type de projet auquel on a affaire. Restauration ? Rénovation ? Desréférences sont faites aux deux notions.

D’après le dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés (Lévy, Lussault,2003), la restauration comme la rénovation sont des « types d’intervention architecturaleou urbanistique sur des espaces construits », en ce qui concerne le vocabulaire adminis-tratif et opérationnel français bien sûr. Dans le cas de la restauration, il s’agit essentielle-ment d’ « un rapport admiratif au passé qui vise à la conservation et implique une actionde reconstruction à l’identique »(Lévy, Lussault, 2003, p 788). Le projet de Süleymaniyesemble être dans cet esprit. Le fait qu’il ne prévoit la construction uniquement de konaksmontre bien le rapport idéalisé au passé ottoman. Toutefois, si le projet vise bien la re-construction à l’identique, par diverses photographies anciennes du quartier, on ne peutque remarquer qu’il ne s’agit pas de conservation, ni de réhabilitation, mais de destructiondans un premier temps. Néanmoins, la référence à la restauration ne s’arrête pas à un rap-

port admiratif -voire nostalgique- au passé. D’une part, la restauration est une pratiquequi a des fins ludiques et touristiques. Elle utilise et appréhende l’espace urbain commeun décor. Il s’agit bien, là, du projet de Süleymaniye dont un des premiers objectifs est depromouvoir sur la scène internationale l’image d’une ville moderne, promotion qui passeégalement par la touristification de la ville. D’autre part, elle est « un levier de gentrifica-tion » (ibid.), utilisée essentiellement dans les centres-ville dégradés et paupérisés par ledépart des propriétaires en périphérie et permet ainsi la réalisation de plus value immobi-lière. Ce qui est également le cas à Süleymaniye où nous sommes confrontés à un quartierdégradé du centre ancien, dont le potentiel foncier et immobilier est très important.

En ce qui concerne l’action sur le bâti, la référence à la rénovation est aussi pertinentepuisque celle-ci fait « table rase pour édifier selon les normes en vigueur » (Lévy, Lus-

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.A Le projet de rénovation de Süleymaniye entre intervention urbaine et politique :la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internationaux

sault, 2003, p789). Afin de justifier cette opération radicale, des références sont faites dansles discours à la dégradation du bâti et au risque sismique. Lussault souligne le fait que« la rénovation – alias destruction-reconstruction – se fait presque toujours au détrimentdes populations en place et il en résulte d’importants changements de statuts fonctionnelset sociaux de l’espace » (ibid.). C’est pourquoi cette pratique a rapidement été critiquéeen France, notamment avec l’arrivée de la loi Malraux sur les secteurs sauvegardés quidénonce ces pratiques bulldozers. Néanmoins, elle est toujours utilisée, même s’il s’agitsouvent d’espace moins sacré, comme dans des reconversions industrielles ou des requa-lifications de grands ensembles. . .

Ainsi, le projet oscille entre deux pratiques radicales, qui sont souvent présentéescomme opposées, mais qui, dans le cadre du projet de Süleymaniye, semblent para-doxalement complémentaires. En effet, l’esprit et les objectifs du projet relèvent de larestauration. Est-ce l’influence des méthodes européennes et leur souci d’un retour àl’authentique ? À ce propos, notons que cette idéologie n’est pas universelle. Les villesasiatiques ont plus souvent opté pour un engagement dans des constructions modernesqui soulignent une rupture avec le passé. Cette volonté, de la part des autorités turques,de rappeler le passé ottoman se répand à plusieurs niveaux. Certains parlent même denéo-ottomanisme ou d’ottomanisation. Ce qui pourrait être une particularité du projet.Toutefois, il s’agit de noter que cette référence au patrimoine fait partie des pratiquesmondialisées et des atouts de ce que pourrait être une ville internationale. Enfin, il est in-déniable que le projet emprunte les méthodes de la rénovation, qui passe par la destructionet implique dès lors des conséquences sociales et fonctionnelles que nous analyserons.

Remarquons somme toute qu’aucune référence n’est faite à la réhabilitation dans leprojet de la municipalité. Elle est pourtant une pratique plus modérée qui vise « le réta-blissement d’un édifice ou d’un ensemble d’immeubles dans ces capacités à abriter desactivités et des habitants ». Elle sous-entend que « les principales caractéristiques de l’ob-jet sont préservées et insérées dans un nouveau fonctionnement adapté au temps présent ».Or, si la mairie ne s’y réfère pas pour le projet prioritaire de Süleymaniye (périmètre KIP-TAS 1), il s’agit de noter que des expériences de réhabilitations ont néanmoins eu lieu pardivers acteurs comme l’agence métropolitaine KUDEB 2 et les propriétaires eux-mêmes.

1. La situation géographique du quartier de Süleymaniye, ainsi que le périmètre du projet sont présentésen annexe B, p 115

2. KUDEB est la direction de mise en oeuvre et de contrôle de la conservation. Elle est une agencemunicipale qui a comme mission de délivrer les permis de construire pour des travaux mineurs de réparation.Elle est souvent invitée à réaliser ces travaux, lorsqu’ils sont mineurs. Ils concernent souvent la façade dubâtiment. Pour plus d’informations sur cette agence, se reporter à l’annexe C qui présente les différents

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INTRODUCTION

On note également une réhabilitation. Celle de la mosquée de Soliman le Magnifiquelancée par la grande municipalité d’Istanbul (IBB), à l’occasion de l’événement Istanbul,

Capitale Européenne de la Culture 2010. Ceci montre un rapport différent à l’architecturemonumentale et à l’architecture vernaculaire.

De fait, malgré les différents plans de sauvegarde, l’UNESCO menace de placer Is-tanbul sur la liste du patrimoine en danger depuis 2004. Sont remises en cause les restau-rations mal faites et les projets destructeurs qui se développent depuis les années 2000.En cette année 2010, alors qu’Istanbul est Capitale européenne de la Culture, l’UNESCOa placé Istanbul sur la liste du patrimoine en danger pour une durée limitée fin juillet. Lecomité est revenu sur sa décision depuis le mois d’août, mais il demande impérativementque des changements soient faits pour février 2011 dans plusieurs projets urbains. Parmiles quatre principaux reproches énoncés par l’UNESCO se trouve la politique de rénova-tion urbaine accélérée par la loi 5366, qui confère aux municipalités le droit et le pouvoird’exproprier à l’intérieur de « zones de renouvellement ». Comment, à travers ce projet,les autorités turques font-elles la promotion d’un patrimoine architectural reconstitué audétriment de la population locale et du patrimoine mémoriel, immatériel ?

A.2 Un projet politique et identitaire

Seules les illustrations de belles konaks 3 nous indiquent le type de public attendu.En effet, ces demeures étaient réservées à l’aristocratie ottomane ou construites par deriches particuliers. La volonté de « ré »-introduire ce genre de résidence dans le quartierde Süleymaniye montre bien l’ambition d’en changer le profil social. Toutefois, rien n’estmentionné quant à la composition sociale du quartier. Aucun équipement n’est prévu.Ce projet semble être uniquement architectural, mais dans le choix de l’architecture, leskonaks, le message semble clair : il s’agit de « réanimer la culture ottomane » 4.

Ainsi, il semble d’emblée que ce projet soit un projet résidentiel pour une catégoriesociale bien spécifique, aisée et en lien avec la culture ottomane. On note qu’une bour-geoisie islamique émerge dans les années 1980. Elle est liée au pouvoir par un modede vie commun, une esthétique commune, une affinité historique, et des intérêts écono-miques concrets. Dès lors la dimension politique du projet doublerait, ou du moins serait

acteurs intervenant dans le projet.3. Les konak sont les palais, résidences ou grandes maisons construites durant dans l’Empire ottoman

par de riches particuliers ou membres de l’aristocratie. Elles sont souvent réalisées en bois, et comprennentune çikma (une avancée en encorbellement qui surplombe la rue et agrandit l’espace intérieur), et une entréesurélevée par rapport au trottoir.

4. « Osmanli Kültürünü yeniden Canlandirmak », l’express, Ayse Cavdar.

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.A Le projet de rénovation de Süleymaniye entre intervention urbaine et politique :la mise aux normes d’un quartier au service d’enjeux identitaires et internationaux

lié à, son caractère identitaire. Le parti au pouvoir depuis 2002 est l’AKP. Il est le parti

de la justice et du développement. Il naît de la scission en 2001 du parti islamiste le Re-fah, parti du bien-être, de N. Erbakan. Remarquons qu’en 2002, l’AKP obtient, avec prèsde 35% des voix, la majorité absolue au Parlement turc. Il occupe dés lors 363 des 550sièges à la grande Assemblée nationale. « Idéologiquement, il n’est pas facile de quali-fier l’AKP. Parti islamique, parti d’islamistes, parti de l’Islam politique, Islam modéré,néo-islamisme, démocratie musulmane. . . qui se définit officiellement comme démocrateconservateur » (Chenal, 2005). Il s’agit de souligner que très récemment, le 12 septembre2010, la montée en puissance de l’AKP a été confirmée. Le référendum proposant de ré-viser certaines dispositions de la Constitution de 1982 a été approuvé à 58% des voix.Ce référendum proposait en particulier de « restructurer la hiérarchie judiciaire et de sou-mettre un peu plus l’autorité militaire à l’État de droit » (OVIPOT, Marcou, 2010). Cettevictoire aurait pour conséquences d’affaiblir l’établissement militarojudiciaire, seule ins-tance susceptible de gêner les actions de l’AKP d’après J. Marcou (ibid.).

« Le monde de l’AKP est un monde qui se pose en tant que bourgeoisie concurrentede celle née après la 2nde Guerre mondiale. Leur position est concurrentielle. Ils ontdécidé de la vivre en y mettant une esthétique concurrente (foulards, architecture “néo-ottomane”. . .). On peut parler d’un entre soi de cette bourgeoisie non kémaliste 5, qui nese voit pas fondée sur les valeurs kémalistes (de la république des années 1920, jusqu’auxannées 1950). En termes de chiffres, cette bourgeoisie AKP ne représente encore que 10% des 500 familles turques qui paient le plus d’impôts » (D’après un entretien avec NoraSeni, juillet 2010). Mais, il semble qu’elle se développe.

La question identitaire est très importante ici. En ce sens, le projet serait instrumenta-lisé par la politique de l’AKP. La rénovation urbaine est ici l’instrument d’enjeu politiqueà court terme (élections), et d’une question identitaire à plus long terme (imposer unenouvelle esthétique, des symboles de reconnaissance, de nouvelles valeurs). L’AKP, parce projet, se lierait à ses partisans en leur offrant un environnement symbolique.

Il s’agit dès lors de présenter en introduction les enjeux urbains que connaît la méga-pole stambouliote aujourd’hui, ainsi que les projets précédents appliqués à la péninsulehistorique afin de mettre en perspective le projet. Se fait-il en continuité ou rupture avecles plans précédents ?

Dans le corps de ce mémoire, nous essaierons dans un premier temps de comprendre

5. Les kémalistes sont les partisans de la République introduite en 1923 par Mustafa Kemal Atatürk.

5

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INTRODUCTION

les motivations du projet en partant d’une mise en contexte du quartier de Süleymaniyecomme quartier dégradé d’une ville internationale, symbole de l’Empire ottoman, maisaussi lieu stigmatisé par sa population. Dans un second temps, il s’agira d’analyser leprojet que propose la mairie, à travers ses différents discours et le cadre politique et ju-ridique dans lequel il s’inscrit. Enfin, nous essaierons de comprendre les enjeux socio-économiques et symboliques du projet qui ressortent à travers ses modalités s’application.

B Istanbul, une mégapole en pleine croissance

Trois éléments majeurs doivent être pris en considération pour comprendre la pressionfoncière que connaît la ville d’Istanbul aujourd’hui, et, a fortiori, pour comprendre lesenjeux des projets de renouvellement.

B.1 Croissance démographique élevée

D’après les critères de l’ONU, Istanbul est une mégapole à l’échelle de la Turquieet du bassin méditerranéen. En 2008, elle est une agglomération urbaine rassemblantprès de quinze millions d’habitants, soit plus que la population de l’Ile de France. Entermes démographiques, on note bien une « mégapolisation » d’Istanbul : sa populationa presque triplé depuis les années 1980 6. En outre, la place d’Istanbul dans l’armatureurbaine turque va en s’affirmant. Son aire urbaine a rattrapé les départements limitrophes,elle s’étend sur plus de 140 km de part et d’autre du Bosphore, comme l’Ile de France quis’étale sur plus de 130 km d’est en ouest.

Depuis les années 1980, « un spectaculaire changement de dimension s’est opéré :Istanbul est devenue une région urbanisée » (Pérouse, 2001, p 205). Sa croissance an-nuelle varie autour de 4 % par an, de 250000 à 350000 habitants (à titre de comparaison,la ville de Nantes compte plus de 290000 habitants), croissance comprenant une part dé-terminante de dynamique migratoire. « En 1997, 63 % des habitants du département n’yétaient pas nés » (ibid.). Une des raisons qui explique cette croissance démographiqueréside dans le fait qu’Istanbul est un pôle migratoire majeur. Si depuis les années 1980,on note que les migrants sont globalement plus urbains que ruraux, on observe que lesflux n’ont de cesse. Un flux migratoire important en provenance des régions kurdes à l’estdu pays se fait ressentir en réaction aux troubles qui sévissent dans ces régions. D’autrepart, une proportion non négligeable de migrants est composée d’étrangers en transit qui

6. On passe de 4,7 millions à plus de 15 millions d’habitants dans le département aujourd’hui.

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.B Istanbul, une mégapole en pleine croissance

tentent de gagner l’Europe (Pérouse, 2002). Ces étrangers de passage deviennent souventdes étrangers clandestins qui peuvent rester très longtemps dans la capitale afin d’obtenirles visas et faux papiers.

Ce phénomène migratoire important induit de nouveaux modes d’habiter plus oumoins temporaires, dans la capitale. Ils traduisent des mobilités entre le départementd’origine et la métropole, voire entre la métropole et l’étranger. Une des particularitésd’Istanbul est cette « population en mouvement » qui échappe au recensement (Pérouse,2001).

B.2 Croissance économique et culturelle : volonté de faire une villeinternationale de premier rang

Istanbul concentre et produit une grande part de la richesse turque si on prend encompte le Grand Istanbul qui va jusqu’à Izmit. Cette donnée est toutefois à nuancer parle fait que le département d’Istanbul est classé au sixième rang national en fonction durevenu annuel par tête d’habitants. En 1998, le Grand Istanbul concentre deux tiers descinquante plus grands groupes industriels de la Turquie (Philsa, Arçelik. . .). Sur les 10plus grands groupes, 9 ont leur siège et leur principale unité de production dans le GrandIstanbul. Ces chiffres officiels peuvent être revus à la hausse si on ajoute le secteur in-formel qui est considérable à Istanbul. La moitié des secteurs industriels ou tertiaires neseraient pas déclarés (OCDE, 2008).

La présence des grandes holdings turques donne forme à une polarisation financière àIstanbul. La présence boursière est également forte, l’une des plus attractives au Procheet Moyen orient. Selon Morgan Stanley, la Turquie était même au 2e rang mondial des «marchés financiers émergents » en 1996. En outre, l’affirmation d’ambitions internatio-nales se fait ressentir, même si l’opacité et le dysfonctionnement administratifs freinentcet engouement.

Ces évolutions se traduisent dans l’espace. Depuis 1985, on observe une verticalisa-tion du bâti. Une multitude de tours dessine l’« Istanbul Manhatani » sur l’avenue Büyük-dere qui concentre la plupart des sièges sociaux des holdings. (Alarko, Banque Turc duTravail...) Dans les années 1980, l’architecture commerciale se diffuse. Les Turcs fontréférence aux « centres commerciaux géants » (cf. Akmerkez d’Etiler). Les nouvellesautoroutes et voies express également marquent et fracturent le paysage.

En outre, Istanbul maintient et accroît son rôle de centre culturel et attractif. 60 %des foires et expositions turques ont lieu à Istanbul en 1997. La ville dispose des infra-

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INTRODUCTION

structures les plus importantes (Pérouse, 2007). Dans ce contexte, le tourisme d’affaire,et de congrès explose. Le rôle touristique d’Istanbul est aussi probant pour la Turquie. Oncompte 2 millions de touristes étrangers en 2000 à Istanbul sur les 9 millions accueillisdans toute la Turquie. Les quartiers touristiques sont essentiellement concentrés dans lecentre ancien, dans les arrondissements de Fatih, Eminönü, Beyoglu, Besiktas. . . Ce tou-risme prend la forme de gros investissements, des hôtels de standing, même dans les sitesprotégés et classés des rives du Bosphore, en même temps que sont prônés des effortsen matière de qualité environnementale et de valorisation du patrimoine bâti. De 1980 à2007, la capacité d’accueil des hôtels cinq étoiles passe de 2000 à 10199. De même, lescentres commerciaux se multiplient (AGFE, 2009). Cette ville de 8000 ans d’histoire estpeu à peu transformée en ville globale.

En 2010, Istanbul est capitale européenne de la culture. Près de 500 projets artis-tiques sont prévus dans l’agglomération. L’organisation d’un tel événement est un granddéfi pour la Turquie entière, qui est candidate à l’entrée dans l’Union Européenne. C’estl’occasion rêvée pour les autorités politiques de lancer des projets de « transformationsurbaines ». Il s’agit de valoriser le patrimoine, et de se montrer sur la scène internationalecomme étant une métropole moderne, contemporaine, occidentale. Toutefois, on note quele choix des monuments et des sites concernés par la restauration, fait souvent polémique.Korhan Gümüs, qui était directeur des projets urbains au sein du comité d’organisationd’Istanbul 2010, met en garde contre une tendance dans laquelle « la culture a tendance àêtre reléguée au rayon loisirs, ou utilisée pour servir une idéologie. Il y a deux risques :essayer de vendre un passé glorifié, et utiliser les fonds publics accordés à la culture pourdévelopper le tourisme et les capacités économiques de la ville » (Perrier, le 17/01/2010,Le Monde). En effet, on remarque dans cet événement que les dimensions marchandeet touristique prévalent sur l’éthique historique ou urbaine. Or, cette ambition d’interna-tionalisation de la ville semble déplacée au regard des préoccupations de la majorité deshabitants, qui ne bénéficient pas de ces mutations.

D’autre part, les multiples projets ne s’inscrivent pas jusqu’à présent dans une stratégieurbaine à l’échelle de l’agglomération, mais se font plutôt selon les opportunités foncières,à coup de délégations aux investisseurs privés.

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.B Istanbul, une mégapole en pleine croissance

B.3 Privatisation, spéculation et étalement urbain : une croissanceurbaine non contrôlée

Depuis les années 2000, l’État turc adopte une posture de privatisation et vend peu àpeu ses biens immobiliers et fonciers à des investisseurs privés. Cette dérégulation a pourconséquences de multiplier les projets et la croissance urbaine au coup par coup, mais elleprovoque également une envolée des prix du foncier, due à la spéculation. On voit naîtredes projets « spectaculaires » de tours de bureaux, de logements de standing ou encorede centres commerciaux géants. Ces projets ne se font pas sans autorisations : ce sont lesmairies d’arrondissement qui délivrent les permis de construire. Toutefois, il faut noterque ces mairies sont en concurrence les unes avec les autres pour accueillir les d’investis-seurs, elles ne freinent pas cette dynamique (Pérouse, 2006). Un des signes de la difficultéà gérer la croissance urbaine est la multiplication des cités privées. La production de laville est aux mains d’opérateurs privés qui construisent des « ensembles résidentiels com-posés de villas et/ou d’immeubles, fermés par une enceinte protégée et dotés de serviceset équipements le plus souvent réservés » (Pérouse, 2002, p27). Leur gestion échappe auxpouvoirs publics. En 2001, on dénombre 270 cités privées, qui pourraient représenter prèsde 100000 logements. Les publics cibles de ces résidences sont les « gens de la financeet salariés des grands groupes internationaux » qui peuvent s’offrir des villas de 500000à 2M de $ (ibid.). Dans ces cités, les habitants vivent entre eux, comme « préservés », ilsadoptent les mêmes modes de vie, achètent les mêmes voitures, mettent leurs enfants dansles mêmes écoles. L’homogénéité et le mimétisme marquent ces quartiers qu’on promeutcomme étant sécuritaires, à haute garantie de civilité, d’environnement agréable. Chaqueopération est conçue dans l’ignorance totale de son environnement proche, ce qui produitun paysage composite et hétéroclite. Ces cités sont l’expression de l’éclatement socio-spatial d’Istanbul. Elles sont très liées au dépérissement des arrondissements centraux(Pérouse, 2002).

La figure 1 montre l’évolution de l’urbanisation d’Istanbul, de la ville byzantine àla mégapole d’aujourd’hui. On remarque que la croissance urbaine explose à partir duXXème siècle. En effet, le schéma de l’évolution de la population interne à Istanbul estsimple. On observe une certaine dépopulation du centre-ville et un développement trèsrapide des arrondissements périphériques. Par exemple, le quartier central d’Eminönü 7

perd 4,84 % de sa population entre 1990 et 1997 tandis que celui de Büyükçekmece, en

7. Il faut noter que l’arrondissement d’Eminönü n’existe plus depuis 2009, il a fusionné avec celui deFatih.

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INTRODUCTION

FIGURE 1: Carte de la croissance urbaine d’Istanbul. Source fond de carte (Pérouse,2001)

périphérie sud-ouest en a gagné 14, 5 % (Pérouse, 2001).

Plusieurs logiques contribuent à cela :

– La « citysation » de certains quartiers centraux convertis en activités commercialesou de bureaux, à plus grosse valeur ajoutée, au détriment de quartiers résidentiels.

– La logique de muséification du centre-ville à des fins touristiques.– Une fuite des riches vers la périphérie pour jouir de quartiers de standing qui s’ac-

compagne d’une forte dégradation du bâti ancien. Dans l’hypercentre, un logementsur quatre serait vacant dans le quartier de Beyoglu.

En 1990, dix arrondissements sont créés aux marges de l’aire urbaine. Leur morpho-logie est en discontinuité avec les espaces centraux et ils sont reliés au centre par des au-toroutes qui traversent de nombreux no man’s land. C’est ce qu’on appelle le phénomènede périurbanisation incontrôlée 8, de mitage de plus en plus lointain impulsé par les pro-moteurs qui cherchent les meilleures opportunités foncières. Notons que ce phénomèneest source de surcoût en termes de réseaux et d’équipements de base ainsi que d’étalementurbain. Il traduit un décalage entre la croissance démographique et la croissance urbaine,cette dernière ayant explosé.

8. Il s’agit du phénomène de métropolisation, dans l’acceptation anglo-saxonne du terme.

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.C Le projet de rénovation de Süleymaniye, continuité ou rupture avec les projetsprécédents ?

En effet, depuis les années 2000, on note un paradoxe : alors que la croissance dé-mographique ralentit, le parc de logement croît très rapidement. Il pourrait accueillir prèsde 25 millions de personnes, ce qui représente presque le double de la population re-censée en 2008. Ce phénomène s’explique en partie par l’arrivée de nouveaux modèlesfamiliaux et l’augmentation relative du niveau de vie des stambouliotes qui s’accompagned’un phénomène de décohabitation, de desserrement des ménages. Or, la plupart des nou-velles opérations de promotion immobilière sont luxueuses et ne correspondent pas à lademande d’une grande partie de la population non solvable. On observe alors un hiatusentre la production du bâti et la demande. La démission des pouvoirs publics en termesde stratégie foncière n’a fait qu’accélérer le développement de l’aire urbaine qui s’étalede plus en plus (Pérouse, 2006).

C Le projet de rénovation de Süleymaniye, continuité ourupture avec les projets précédents ?

C.1 La politique de transformation urbaine comme outil de gestionde l’urbanisation depuis les années 2000

Certains quartiers d’Istanbul se dégradent à grande vitesse. En effet, la ville d’Istan-bul s’est développée très rapidement avec les différentes vagues d’immigration de 1950 etde 1970. Cet afflux de population a engendré une urbanisation informelle, dans les quar-tiers centraux pour la première vague surtout, dans les quartiers périphériques pour lesvagues d’immigration plus récentes. Or, comme vu précédemment, les quartiers centrauxperdent de la population. Ce sont notamment les populations les plus aisées qui partentdu centre pour vivre en périphérie, dans des quartiers de standing. Ainsi, on observe deuxphénomènes. D’une part, une dégradation du bâti ancien est à l’œuvre dans ces quartierscentraux comme Fatih. D’autre part, le bâti informel, souvent construit avec des matériauxde récupération et de bois, est mal perçu par les autorités publiques. Cela va conduire lapuissance publique à mener une politique de transformation urbaine, kentsel dönüsüm enturc. Ce type de bâti populaire irait à l’encontre des ambitions d’internationalisation et demodernité d’Istanbul d’après les élites politiques.

Depuis son arrivée au pouvoir, le maire Kadir Topbas encourage les « grands projetsurbains ». Il tend à remodeler le tissu urbain pour lui conférer une image plus contempo-raine. Les grands événements nationaux et internationaux sont dans ce contexte le prétexte

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INTRODUCTION

pour « moderniser » la ville. C’est dans ce cadre qu’une loi est votée en 2005 sur la « réno-vation pour la préservation et le réemploi des biens historiques et culturels immobiliers endélabrement ». On l’appelle plus fréquemment la loi 5366. Son objectif est de permettre àtoutes les administrations de reconstruire et restaurer 9 -rénover en réalité- des biens his-toriques et culturels immobiliers classés par le Conseil de protection des biens culturelset naturels. Ces "zones de renouvellement" sont désignées par l’assemblée municipale, etles projets sont réalisés par la municipalité concernée. Elle peut toutefois déléguer ce rôleà toute autre personne morale, comme le TOKI par exemple. Le TOKI est l’administra-tion du logement collectif. Depuis le milieu des années 1990, le TOKI s’intéresse aussiau parc de logements anciens dans les tissus historiques 10(electrOUI, 2006).

D’après l’article 51 de cette loi sur la rénovation, des conseils locaux devaient êtrecréés pour suivre les travaux localement, à l’échelle du projet. L’évacuation, et la des-truction du bâti doivent se faire d’un commun accord avec le propriétaire. Toutefois, encas de désaccord, l’expropriation est tout à fait possible et prévue. Ce projet de rénova-tion urbaine s’inscrit dans une démarche de planification stratégique de la municipalitémétropolitaine, IBB 11, qui intervient dans les quartiers historiques précaires tels que Sü-leymaniye, Sulukule, Balat et bien d’autres... Pour le seul arrondissement de Fatih, unedizaine de projets sont prévus, ce qui est considérable. Or, on remarque rapidement queces projets de rénovation ne tiennent pas compte des réalités historiques de la ville. Ils sefont surtout dans le souci de procurer une image européenne 12 à Istanbul.

Ces projets sont pour la plupart des projets de destruction, reconstruction et ne pré-voient pas de procédure de relogement pour les habitants. « Expropriations et démolitionsdemeurent en effet le lot commun de millions de résidents dans le monde (Un-Habitat,2003). Il s’agit d’un phénomène aussi massif que peu étudié, à contre-courant du credode régularisation -des quartiers irréguliers- martelés dans les instances internationales.On doit ajouter que ses effets sont aujourd’hui décuplés par l’éviction du logement parle secteur privé (Durand-Lasserve, 2006) dans les métropoles les plus tendues sur le planfoncier et immobilier, où s’opposent constamment éviction et empiètement silencieux par

9. Le terme restaurer est employé par la grande municipalité d’Istanbul (IBB) et les défenseurs de cettepolitique de transformation urbaine, mais il s’agit en réalité de rénovation, puisque l’étape de la destructionde l’existant est omniprésente.

10. Pour plus d’informations sur le TOKI, se reporter à l’annexe C qui présente les acteurs intervenantdans le projet de rénovation

11. Istanbul Büyüksehir Belediyesi12. L’expression image européenne est paradoxale. Elle est utilisée ici dans le sens où les projets ont

pour objectif de donner une image moderne à Istanbul, et in fine montrer que la mégapole a sa place dansl’Europe. Or, bien sûr, le passé historique revendiqué est ottoman.

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.C Le projet de rénovation de Süleymaniye, continuité ou rupture avec les projetsprécédents ?

les populations privées de logement régulier (Bayat, 1997) » (Deboulet, 2009, p1).

Comment cela se concrétise-t-il à Istanbul ? Comment l’espace urbain de ces quar-tiers décrétés de rénovation est-il en pleine reconfiguration sociologique ? Les stratégiesd’action sont-elles les mêmes dans ces quartiers ? Quels sont les différences ou pointscommuns de l’application des projets de rénovation dans ces quartiers ? Une fois, lesprincipaux enjeux urbains stambouliotes posés, il s’agit de se centrer un peu plus sur lequartier à l’étude, et plus généralement sur la péninsule historique.

C.2 Des plans de protection du patrimoine qui visent le développe-ment touristique de la péninsule historique

En 1985, l’UNESCO classe la péninsule historique au patrimoine mondial de l’Huma-nité, d’abord par l’intermédiaire de quatre quartiers : Sultanahmet, Süleymaniye, Zeyreket les Murailles de Théodose II. Dix ans après, en 1995, toute la péninsule est classée. Cessecteurs doivent alors être protégés, sauvegardés : c’est la condition. Ce n’est qu’après cepremier classement, par une instance internationale, que la péninsule historique est ins-crite sur le registre des biens nationaux. Plusieurs plans de protection sont alors conçusen 1990, 1998, 2003, et enfin, en 2004 la municipalité lance le projet « Istanbul-VilleMusée » (Istanbul Müze Kent Projesi, soit IMÜKEP). Ces plans ont comme objectif deprotéger le patrimoine. Toutefois, s’ils sont dits de « sauvegarde », ces plans n’opèrent pasde choix clair en général. En ce qui concerne le plan de 2003 notamment, quatre scéna-rios sont proposés, tous sont plus ou moins subordonnés à des objectifs touristiques, maisreste construit selon des identités différentes. L’accent est mis sur les zones de logement,de commerces, d’équipement ou de tourisme. Comment mettre en avant une fonction dela ville au détriment des autres ? Le fait que la municipalité ne choisisse pas un seul desquatre scénarios rend le plan inapplicable dans la pratique, car ses schémas sont contra-dictoires sur plusieurs aspects. On note une absence de proposition concrète, ce qui remeten question de la légitimité du plan. De plus, ces plans gardent une approche fonctionnelle(et non territoriale). Ils ne prévoient pas d’articulation avec le grand Istanbul, la péninsulehistorique y est considérée comme isolée de son contexte (Özel, 2004).

Enfin, en ce qui concerne le projet IMÜKEP, Erdogan, le premier ministre, déclaredébut 2004 qu’il faut « sauver et préserver la péninsule historique, la faire « regagner »aux Stambouliotes, à la Turquie et à l’humanité » ; il déclare également que les quartiersde Beyoglu, Süleymaniye, Zeyrek, Fener et Balat sont part importante des projets prévus.Pour cela, les ateliers créateurs de « pollution visuelle » seront transférés. Les « édifices

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INTRODUCTION

ayant perdu leur identité » seront réhabilités. La presse annonce que pour Eminönü 4834ateliers doivent fermer et déménager (Pérouse, 2007). Il s’agit de faire du centre-ville his-torique, un lieu protégé et touristique avant tout. Comme zones pilotes sont choisis lesquartiers de Zeyrek et Süleymaniye. Mais ce projet n’a jamais été mis en œuvre concrète-ment. Les projets de rénovation l’ont doublé. En outre, on remarque que depuis l’arrivéeau pouvoir de l’AKP dans les années 1990-2000, un seul aspect du patrimoine est reven-diqué : celui de la période ottomane. « La chambre des architectes dénonce fermementune conception sélective de la protection du patrimoine dans ce plan de sauvegarde. Uneconception nationaliste qui tend à protéger tout ce qui concerne la période ottomane etrien d’autre » (Özel, 2004).

Ainsi, les projets précédents sont essentiellement des projets à des fins de protectiondu patrimoine et de développement touristique. Le projet de rénovation s’inscrit-il danscette politique ?

C.3 Un projet résidentiel qui semble inédit

Afin d’introduire le projet de Süleymaniye, partons de la source principale et premièredu projet : son document de promotion. En effet, le projet en tant que tel n’est absolumentpas communiqué par les instances municipales. Il s’agit de s’en tenir à la promotion quien est faite sur le site internet de la mairie de l’arrondissement de Fatih, d’analyser cettesource publique, de la mettre en perspective, de la relativiser et d’en comprendre les li-mites, sa dimension marketing. Quelle clientèle ce document vise-t-il ? À qui vend-on ceprojet ?

Tout d’abord, ce document est situé sur le site internet de la municipalité de Fatih, etnon de la grande municipalité d’Istanbul. On peut alors en conclure que c’est la munici-palité d’arrondissement qui est à l’initiative du projet, qu’elle en est le maître d’ouvrage.Ceci est possible depuis la loi 5366 de 2005 présentée en amont. On trouve ce documentdans la rubrique projeler, (projets), et dans le chapitre Yenileme projeleri (projets de réno-vation). Le document présenté est daté du 28 octobre 2009, ce qui est très tardif comparéà la mise en œuvre du projet qui commença dès 2006. Cela souligne un manque de com-munication remarquable de la part de la mairie. Le projet intervient dans le cadre d’unepolitique de kentsel dönüsüm, qui signifie « transformation urbaine » 13. Cette politiqueest symptomatique de l’intervention urbaine par les instances publiques depuis les années2000. Elle est à l’origine de tous les projets de rénovation lancés depuis le vote de la loi

13. Nous détaillerons cette notion dans la partie 1

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.C Le projet de rénovation de Süleymaniye, continuité ou rupture avec les projetsprécédents ?

5366. « Le projet porte sur le patrimoine historique et culturel de Süleymaniye, zone dé-clarée de renouvellement le 24/06/2006 (publié au JO 2006/10501), il a pour ambition derenouveler l’utilisation du patrimoine immobilier » 14.

À la suite de ce préambule, un paragraphe retrace brièvement l’histoire du quartierafin d’en montrer l’importance et le symbole. C’est un quartier né avec la construction dela grande mosquée et du complexe de Süleymaniye, tous deux commandés par Solimanle Magnifique au XVIe siècle. Le texte exprime clairement que ce quartier était réservéà une classe spécifique et riche durant l’Empire ottoman, et que depuis le XXe siècle, ils’est paupérisé et a connu des dégradations, des incendies. . . Mais qu’aujourd’hui des «priorités » touristiques ont gagné le quartier.

Les objectifs du projet sont de « créer un système fiable, un habitat vivable et du-rable ; lutter contre les dangers et risques des dégradations de l’architecture ; et de profiterde l’effet positif national et international de la nomination d’Istanbul comme capitaleeuropéenne de la culture pour développer les valeurs historiques et culturelles de Fatih(en développant les secteurs des services, commercial, touristique et culturel) ». Et ce,en suivant trois règles : « savoir gérer le changement, respecter les valeurs humaines ethistoriques, et enfin, avoir une approche globale et participative » 15. Voilà la déclarationd’intention de la mairie. Elle est illustrée de quelques plans, coupes et perspectives mon-trant « hier », « aujourd’hui » et « demain ». Notons que rien n’est mentionné quant àl’aménageur, le maître d’œuvre, les financements, les temps et les modalités du projet.À ce stade, il apparaît que le projet de rénovation s’inscrit bien en continuité avec lesplans précédents. Il s’agit avant tout d’embellir le quartier à des fins touristiques. Cepen-dant, rien n’est mentionné sur le public visé. Pour en savoir plus, il s’agit d’analyser laprogrammation du projet.

D’après un entretien avec une architecte de KIPTAS 16 il apparaît que le projet soitessentiellement résidentiel. A priori, quasiment aucun équipement touristique ne seraitprévu. Comme vu en amont, ce projet serait destiné à une catégorie sociale bien spéci-fique, aisée et en lien avec la culture ottomane 17. C’est cet enjeu identitaire du projet quisemble créer une rupture avec les plans précédents et même avec les autre projets de ré-novation. Il s’agit dès lors de s’interroger sur les fondements, les cadres et les modalités

14. Traduction du site internet de la municipalité de Fatih consulté le 10 mai 2010.15. Traduction du site internet de la municipalité de Fatih consulté le 10 mai 2010.16. KIPTAS la société immobilière de construction d’Istanbul, elle appartient à 50% à la grande munici-

palité d’Istanbul, (IBB). Pour plus de détails, se reporter à l’annexe C. Le chapitre III-C fait aussi l’analysede cet acteur.

17. L’analyse des discours et de la programmation du projet est plus détaillée dans le chapitre II-A, p49.

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INTRODUCTION

d’application de ce projet.

D Méthodologie

Ce mémoire a été rédigé à l’issue d’un stage de trois mois à l’IFEA (Institut Françaisd’Etudes Anatoliennes) à Istanbul, du 21 avril au 23 juillet. C’est grâce à ce stage que lesdonnées concernant le projet de Süleymaniye ont pu être récoltées et analysées.

En effet, les données qu’elles soient sur le quartier de Süleymaniye ou sur le projetlui-même sont rares. Tandis que d’autres projets de rénovation comme ceux de Balat ou deSulukule ont été beaucoup traités, aucun article francophone ou anglophone n’a été écritsur le projet de Süleymaniye. Le contraste entre ce quartier et d’autres est remarquable.On ressent une certaine concentration des recherches européennes sur quelques quartiers,plus médiatisés, ou qui portent un intérêt plus symbolique d’un point de vue européen.Par exemple, Sulukule était l’un des plus vieux quartiers d’implantation Rom. En outre,les données socio-économiques locales officielles semblent inaccessibles étant donné lesproblèmes auxquels est confronté le quartier. La municipalité ne communique aucunedonnée comme les recensements, les enquêtes, ni même les projets de façon précise. J’aiainsi appréhendé le projet grâce à des entretiens avec divers acteurs.

Deux moments d’enquête sont à dissocier dans mon travail de terrain. D’une part, unesérie d’entretiens a été menée auprès d’acteurs en lien plus ou moins étroit avec le projet.Il s’agit d’acteurs municipaux, de professionnels de l’aménagement, de chercheurs ouencore de mouvement en réaction à ce projet. . . etc 18. Ces entretiens ont le plus souventété réalisés en anglais et à deux, avec Annabelle Lopez réalisant le même travail surun autre quartier de la péninsule historique. D’autre part, une courte enquête auprès deshabitants a été menée sur place. Ce travail dans le quartier a été mené sur une période dequinze jours. Sur cette période, cinq jours entiers ont été consacrés à un travail d’enquêteauprès des habitants, commerçants et autres personnes fréquentant le quartier, soit les 3,8, 9, 15 et 17 juin. Pour ce travail, une étudiante en sociologie, turque et francophone,m’a accompagnée. Elle me traduisait régulièrement le sujet de la conversation pour que jepuisse réagir le cas échéant, mais nous veillions à ne pas casser l’entretien. Nous faisionsun point à chaque fin d’entretien pour prendre en notes tout ce qui avait été mentionné,surtout quand l’entretien n’avait pas pu être enregistré. Notons également que nous avonschoisi un point de repère, une lokanta (restaurant populaire) où nous allions à chaque

18. Voir la liste des personnes interviewées en annexe.

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.D Méthodologie

fois. Nous avons ainsi pu interroger le tenant de cette lokanta, un client habitué... Cerepère nous a été précieux pour un certain nombre d’informations et de contacts.

Ces entretiens ont été de réelles sources pour mon mémoire, et revêtent deux dimen-sions : un aspect informationnel et un aspect qualitatif. L’aspect informationnel est surtoutvalable pour la première série d’entretiens qui m’a donné des informations sur le contextedes projets de la péninsule historique et le cadre juridico-politique du projet. Toutefois, leprojet de Süleymaniye reste très peu connu, même à l’échelle de ces acteurs. L’aspect qua-litatif est surtout valable pour l’enquête de terrain dans laquelle quatre thèmes ressortentdu croisement des entretiens :

– les parcours personnels et résidentiels des personnes interrogées– leur rapport au quartier et l’histoire récente - les évolutions récentes – qu’ils en font– leur appréhension du projet– leur connaissance des détails du projet

Il s’agit désormais de souligner l’utilisation d’autres sources comme les sources biblio-graphiques, la presse, les sites internet des municipalités et de leurs entreprises, et enfinles rapports officiels de certaines institutions comme l’UNESCO, l’OCDE, Un-habitat. . .Elles ont également été prises en compte et analysées. À cet égard, une monographie surIstanbul a été rédigée avant de partir en stage, dans le cadre de l’option Expertise Interna-tionale des Villes en Développement. Elle nous a permis de construire une bibliographiepréalable au stage. La base de données de l’IFEA, fut sur place, d’un grand soutien.

Enfin, d’autres sources moins formelles ont aussi influencé mon travail en m’aidant àm’imprégner du contexte stambouliote. Il s’agit d’échanges avec d’autres étudiants, sta-giaires, doctorants, chercheurs, concernant de près ou de loin le sujet ; de la participationà des visites (excursions urbaines et expositions), des forums (comme le forum social eu-ropéen), des conférences, encadrées ou non par l’IFEA, des évènements de solidarité. . .A ce titre le personnel administratif, les stagiaires et surtout les chercheurs présents àl’IFEA, ainsi que les professeurs qui encadrent ce mémoire, m’ont été d’une grande aide.Les conseils donnés, tant au niveau du travail de terrain qu’au niveau de l’organisation dumémoire, m’ont été précieux. Ce mémoire est donc le fruit d’une étude encadrée et menéesur sept mois, dont trois mois sur place. Les recherches sur les projets de rénovation engénéral à Istanbul ont commencé dès fin janvier dans le cadre de l’option EIVD et se sontperpétuées jusqu’à la fin de la rédaction du mémoire en septembre 2010.

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INTRODUCTION

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Chapitre I

Comprendre le projet de rénovation deSüleymaniye

Dans ce chapitre nous essaierons de déterminer les principales causes ou motivationsdu projet. Pourquoi Süleymaniye, qui est terrain de projet de protection depuis de nom-breuses années, fait-il depuis 2006 l’objet d’un projet de rénovation ? Il s’agit de montrerdans un premier temps que le contexte de la mondialisation pousse, depuis les années1990, à des projets de restructuration dans les villes dites internationales. Toutefois, lequartier de Süleymaniye n’est pas ordinaire, ni pour Istanbul ni pour le pouvoir en place,il est le symbole du passé ottoman de la ville. Son projet sera donc d’autant plus sin-gulier. Enfin, quel état physique, fonctionnel et sociologique peut-on dresser du quartieraujourd’hui ?

A Injonction internationale à la restructuration urbaine

A.1 L’injonction au marketing urbain. . .

D’après les auteurs de l’ouvrage villes internationales publié en 2007, un des effetsde la mondialisation est l’injonction au marketing urbain qui impose des restructurationsaussi bien urbaines qu’économiques, et donc des marchés de l’emploi, dans les villes ditesinternationales. Une compétition internationale est à l’œuvre, notamment dans les villesémergentes, pour donner une image moderne. « De nombreuses métropoles du Sud par-ticipent pleinement à des manifestations multiformes d’internationalisation qui dépassentles seuls échanges économiques » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007,

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CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DESÜLEYMANIYE

p8). Il s’agit de se situer dans le réseau archipel de grands pôles économiques afin d’atti-rer les flux internationaux d’investissements (Veltz, 1996). Cette internationalisation passepour Istanbul par la reconquête du centre historique et des territoires indûment accaparés,la reproduction d’archétype architecturaux comme le néo-ottomanisme, l’établissementde population aux revenus élevés pour qui sont destinés ces projets, la promotion del’atout culturel, confirmé par le fait qu’en 2006 Istanbul est élue capitale européenne de laculture pour 2010. . . D’ailleurs, l’événement Istanbul, Capitale Européenne de la Culture2010, montre bien un paradoxe. A la fois, en cette année 2010 on prône les valeurs mul-ticulturelles d’Istanbul. A ce titre, un festival tzigane, le festival hidrillez, est reprit parl’organisation Istanbul 2010. Et, en même temps, on expulse des milliers de roms de leurquartier avec le projet de Sulukule... Comme pour les autres métropoles en compétitionsur la scène mondiale, on note à Istanbul une certaine uniformisation des modèles urba-nistiques et la croissance du rôle des organismes transnationaux et des entreprises privéesdans l’application de ces politiques urbaines. D’après JF Pérouse, il s’agit d’une « miseaux normes, mise en marque » qui se traduit par trois déclinaisons : l’inflation de projetsde transformation urbaine, le déploiement d’une politique de tourisme international, d’af-faires et de congrès, et enfin le développement de technopôles comme outils de prestige.Cette internationalisation dirigée par les autorités turques depuis les années 1990 vise àpourvoir Istanbul d’un certain nombre d’ « atouts distinctifs sans lesquels elle ne pourraitparticiper à la grande compétition » (Pérouse, 2007, p32). L’argument du risque sismiqueest ici mis à profit pour justifier cette politique qui touche aussi bien les centres histo-riques dégradés que les quartiers spontanés, gecekondu, en périphérie. En effet, d’aprèsun document de promotion de la politique de kentsel dönüsüm 1 réalisé par la mairie del’arrondissement de Fatih en 2007 :

« Les problèmes qui doivent être résolus en termes de construction et

d’urbanisme sont les suivants :

– L’urbanisation non planifiée

– Le fait que notre arrondissement possède les caractéristiques physiques

et sociales négatives de zones gâchées à cause des vagues de migra-

tions depuis les années 1950 et d’une mauvaise économie.

– Le risque sismique.

/.../ Des solutions durables sont nécessaires pour créer des établissements

en sécurité et protéger les bâtiments historiques. À cet égard, les secteurs

1. Kentsel Dönüsüm signifie transformation urbaine, le développement de cette notion depuis les années2000 est étudié dans le chapitre II-B.

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I.A Injonction internationale à la restructuration urbaine

ayant besoin d’une intervention urgente ont été déclarés zones de rénovation

». (Mairie de Fatih, 2007).

Cette présentation montre que trois caractères pèsent sur l’image et l’ambition d’in-ternationalisation de la part de mairie de Fatih : le risque sismique, les caractéristiquesphysiques et sociales et enfin le caractère non planifié de la ville. En ce qui concerne lescaractéristiques physico-sociales du quartier, il s’avère que le profil social semble poserproblème et être responsable de l’état de dégradation du quartier. Le discours de la mairiede Fatih est conservateur, il s’agit de :

– Réduire l’insécurité– Réduire le risque sismique– Récréer un environnement ottoman en protégeant les monuments historiques.– « Remoraliser » la péninsule historique.

En ce qui concerne le fait que l’urbanisation soit non planifiée, deux plans de pla-nification, un élaboré en 2006 et un en 2009, ont été présentés. Or, ils n’ont jamais étératifiés, notamment à cause des contestations des agences traditionnelles de planificationset d’urbanisme, comme la chambre des architectes (IMMOB). Istanbul reste dans un videde planification. C’est pourquoi des projets opportunistes comme celui du pont du futurmétro sur la Corne d’Or peuvent se réaliser. Cet exemple montre comment la logiquede projet est utilisée pour produire la ville à Istanbul. Il prévoit de dresser deux cornesdorées de plus de 100m de haut de part et d’autre du pont, sans prendre en compte sonenvironnement. Il a été fortement critiqué par les professionnels de l’urbanisme qui luireprochent de faire fi de la silhouette de la péninsule historique. Ce projet se glisse dansles failles du système. De même, les projets de rénovation sont prévus et menés à l’échellede l’arrondissement au mieux, sans cohérence globale. L’ambition de la municipalité deFatih de pallier au manque de planification est justifiée. En revanche, il semble qu’elle nese pose pas à l’échelle de l’arrondissement, mais plutôt du Grand Istanbul.

On retrouve également cette injonction à la restructuration dans le discours du Prof.Dr. Ilber Ortayli, qui pointe en 2005 les dévastations de la péninsule historique, et déclarequ’il faut absolument opérer « un nettoyage physique et de la population » (Demirci S.,17.09.2009, Milliyet) dans le quartier de Süleymaniye. Ainsi, il s’agit bien comme lesouligne JF Pérouse d’une volonté de nettoyer Istanbul qui passe par la restructurationurbaine afin de lui donner un caractère plus international, plus moderne (Pérouse, 2007).Or, il s’avère que ces restructurations suscitent « la mise en tension » d’une fractionimportante de la population (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). Elles

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CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DESÜLEYMANIYE

affecteraient le rapport des individus au marché du travail ainsi qu’au logement.

A.2 . . . Au détriment des populations fragiles.

D’après l’ouvrage villes internationales, trois types de politiques sont les cibles de cesrestructurations : la politique de l’emploi, la politique migratoire et la politique urbaine.Ainsi, les espaces migratoires, la précarisation du travail et la mutation de la ville sontautant de cadres instables qui participeraient à la division socio-spatiale des villes inter-

nationales. Istanbul correspond bien ici à la figure de la ville internationale. Comme vuen introduction, elle est un pôle migratoire important et s’est engagée depuis les années2000 dans une politique de rénovation urbaine, kentsel dönüsüm en turc, qui touche enparticulier « les secteurs paupérisés, dégradés ou à reconquérir et sollicitent la mobilitécontrainte des riverains, des populations flottantes ou migrantes, faiblement stabilisées »(Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). Une certaine « pression au chan-gement » serait mise en œuvre par ces projets ponctuels de restructuration et se traduitnotamment par l’augmentation des valeurs foncières et immobilières. Les villes seraienten quelques sortes devenues otages d’une urgence esthétique et les habitants contraintspar « la conformité et l’adaptation coûteuse à ces logiques de restructuration » (ibid.).

Toutefois, face à cette pression s’imposent de plus en plus de nouveaux réseaux inter-nationaux pour défendre les droits des habitants, le droit à la ville. A Istanbul, les confron-tation entre les activistes qui soutiennent les habitants et les autorités stambouliotes sontde plus en plus ouvertes. JF Pérouse relate quelques expériences qui ont permis d’arrê-ter des opérations commerciales et immobilières grâce à la mobilisation des habitants àl’aide de chambres de professionnels, comme la chambre des architectes. Ces revendica-tions ont majoritairement pour cible la loi 5366, qui permet l’application de ces projetsde rénovation depuis 2005 2. En effet, les habitants concernés par ces projets se sentent deplus en plus ségrégués, menacés d’éviction à des fins de revalorisation de l’image de lamétropole. Ces populations sont « confrontées à des expériences d’injustice urbaine [. . .] et vivent des lésions identitaires au cours desquelles leur rapport positif à elles-mêmesest mis en péril, [ce] qui les conduit dans certains cas à réagir, se mobiliser, lutter, dansd’autres cas à subir, souffrir » (Berry-Chikhaoui, Deboulet, Roulleau-Berger, 2007). AIstanbul notamment, la politique de kentsel dönüsüm est teintée de discours stigmatisantl’immigration anatolienne et faisant la promotion d’une identité stambouliote moderne.Cette volonté repose d’après JF Pérouse sur « une vision élitiste et sélective de l’interna-

2. Les revendications ainsi que la loi seront présentés en partie II.

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I.A Injonction internationale à la restructuration urbaine

tionalité » (Pérouse, 2007).Ainsi, le projet de rénovation de Süleymaniye, quartier dégradé du centre historique,

est bien l’expression d’une certaine volonté de moderniser, voire d’occidentaliser Istanbul,dans le but que la métropole soit toujours plus compétitive sur la scène internationale.Toutefois, le projet semble également revêtir d’autres origines.

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CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DESÜLEYMANIYE

B Süleymaniye, un symbole pour le parti : la questionidentitaire.

« Süleymaniye, ce domaine de 1,5 kilomètres carrés

Est notre identité, notre passeport.

C’est le titre de propriété de notre patrie.

Notre comportement est imprudent ici,

- D’abandonner ce domaine pour le tumulte de la grande ville au loin,

Est un simple suicide.

Et il est nécessaire de dire que c’est un suicide

Et que nous devrions avoir honte pour les générations futures » 3

Surplombant la corne d’or et coiffé par la mosquée de Soliman le magnifique, le quar-tier de Süleymaniye, jadis peuplé de la haute société ottomane est aujourd’hui majori-tairement habité par des immigrés. Comme le mentionne Ilber Ortayli 4, Süleymaniye estbien plus qu’un quartier, il serait la "carte d’identité" des Turcs. Une identité pourtant bienmise de côté pendant le siècle républicain. Süleymaniye, de par son histoire, et le sym-bole qu’il représente pour l’Empire ottoman, est un quartier à part. Le projet de rénovationqu’il connaît est dès lors d’autant plus singulier.

B.1 Süleymaniye comme symbole de l’empire ottoman

Le quartier est construit sur une colline, connue pour être la plus haute des sept collinesinitiales d’Istanbul. La mosquée de Soliman le Magnifique datant du XVIème siècle estl’éponyme du quartier. Elle est le chef-d’œuvre du célèbre architecte Mimar Sinan. Prèsd’un siècle après la conquête ottomane de la ville en 1453, la péninsule historique étaittrès peuplée, à la fois de nouveaux habitants et de fondations religieuses. La constructiondu complexe de Süleymaniye vers 1550 nécessita des délocalisations, ce qui augmenta lavaleur du quartier. De même, il faut souligner que la construction du complexe engendraune concentration d’institutions éducatives et religieuses de prestige, qui participa à larichesse du quartier. C’est sans doute une des raisons expliquant pourquoi le quartierde Süleymaniye avait la réputation d’être riche. Süleymaniye aux XVIème et XVIIème

3. Poème extrait de Osmanli’yi Yeniden Kesfetmek, écrit par Ilber Ortayli, 2006, p. 25. Ce passage esttraduit du turc vers l’anglais par Julia Strutz,(Strutz, 2009).

4. Nous avons déjà cité Ilber Ortayli au début du chapitre alors qu’il revendiquait le besoin de faire unnettoyage physique et social de la péninsule historique.

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I.B Süleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire.

FIGURE I.1: Süleymaniye, un quartier dominant. Source : photo prise en juin 2010

siècles est connu pour être « le lieu des vizirs et des plus grands juges » (Strutz, 2009,p45). Toutefois, « la nature de cette richesse reste bien peu connue [mais] (. . .) il semblequ’il existe un accord sur la richesse et l’intégrité sociale du quartier tout au long dequatre siècles » (ibid. p47). Dans le discours actuel, Süleymaniye est devenu un symbole,un lieu de mémoire, au moins pour une certaine couche de la société turque - la civilisationislamique. Comment l’espace urbain était-il perçu et organisé dans la société ottomane 5 ?Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?

La structure du mahalle, du quartier, est un bon exemple d’héritage ottoman qui per-dure aujourd’hui. Le mahalle à l’époque ottomane est un quartier organisé sur base com-munautaire avec un Imam et un Muezzin. Ce sont ces mahalles qui font office de sociétécivile durant l’empire. Ils se forment sur la base d’une identité religieuse et ethniqueexerce un contrôle social et familial remarquable. Leur image persiste encore aujourd’huiquand on pense aux quartiers de Süleymaniye, Fener, et Balat. En effet, ces quartiers

5. L’usage de l’espace urbain est règlementé par l’État ottoman jusqu’au XIXème siècle. En 1881 eneffet, paraît encore une circulaire (un édit royal) règlementant l’usage que font les femmes ainsi que lesminorités ethnicoreligieuses de l’espace urbain. Il est interdit aux femmes « de paraître dans les lieux publics(. . .) de se promener dans les quartiers de Beyazit, de Shehzadebasi et d’Aksaray, (. . .) de se rassembler engroupe en public ». D’autre part, des normes vestimentaires régissent leur accoutrement. Les minoritésethnicoreligieuses se voient attribuer « à chaque minorité (. . .) une couleur de turban, de manteau et debottines » (Seni, 1984).

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CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DESÜLEYMANIYE

ont des identités fortes. Süleymaniye est un symbole de la civilisation ottomane, tandisque Balat est connu pour être un quartier juif. . . C’est pourquoi Istanbul est divisée ensous agglomération et en sous-quartier d’habitation jusqu’à la fin XVIII. Le mahalle estun voisinage qui partage le même culte et communique par la même langue. Dans cesquartiers, se côtoient les maisons chics et les maisons nécessiteuses, les quartiers chicsn’apparaissent qu’au XIX. Cette structure communautaire est le relais du pouvoir central.Il est important de souligner que le mahalle est un quartier résidentiel pour les familles.Les célibataires n’y habitent pas, mais plutôt dans des chambres ou immeubles de céliba-taires (bekar odalari / hanlari), dans des centres commerciaux ou en périphérie urbaine(Seni, 1984). Ce qui explique en partie la « honte », qu’exprime Ilber Ortayli, de voirque le quartier fondateur de la culture ottomane, « titre de propriété de [leur] patrie » estaujourd’hui connu pour ses chambres de célibataires. Il s’agit de noter que les mahalles

gardent une fonction importante aujourd’hui. En effet, le mahalle est une unité adminis-trative encadrée par le muhtar, élu au suffrage universel direct pour cinq ans 6. Mais ilest considéré en Turquie comme une réalité urbaine définissant fortement la compositionet l’appropriation de l’espace par ses habitants. Ces « microstructures » constituent unmilieu urbain très important aux yeux des habitants. C’est à cette échelle que l’on trouveles commerces de proximité, les petites activités économiques, les centres culturels, lescafés, les écoles, les associations de quartier. . . Les principales compétences de la mairiede quartier sont les questions liées à l’état civil. Ainsi, les huit mahalles qui composent lequartier Süleymaniye, sont des héritages du passé ottoman. La municipalité de Fatih, parl’intermédiaire du projet, revendique cette identité ottomane. Un autre héritage de l’em-pire marque également le quartier de Süleymaniye. Il s’agit des fondations religieuses.

B.2 L’implantation de fondations religieuses comme signe actuel durôle symbolique de Süleymaniye

Plusieurs fondations religieuses, reconnues comme telle ou non, sont implantées àdans le quartier. Elles prônent la nécessité du projet, rendre à Istanbul son quartier fon-dateur, retrouver un profil de population plus moral. Il s’agit par exemple des fondationsKOCAV (Kültür Ocagi Vakfi, fondation de la culture) et BISAV (Bilim ve Sanat Vakfi,fondation des sciences et des arts).

La présence de ces fondations à Süleymaniye est un signe du rôle symbolique qui seperpétue aujourd’hui dans le quartier. D’après F. Bilici, « la régression des idéologies,

6. Pour plus de détails sur le système de gouvernance stambouliote, se reporter à l’annexe C

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I.B Süleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire.

la crise de légitimité qui frappe les États et l’échec de l’importation des modèles occi-dentaux incitent les sociétés musulmanes à instrumentaliser les références historiques,imaginaires ou réelles, tout en essayant de leur trouver des justifications dans le répertoiredes systèmes occidentaux. (. . .) Avec le vakıf 7 turc, nous sommes précisément devant unproduit historique (traditionnel), cristallisant le montage d’un système social juridique etparticulier » (Bilici 1993). Le vakıf dans ce contexte tenterait de remplir un espace socialvacant dû à la légitimité encore faible d’autres formes d’organisation sociale comme lesassociations, les syndicats, les partis politiques, les clubs. . . etc.

L’institutionnalisation du vakıf, depuis les vingt dernières années, montre l’émergenced’une classe d’entrepreneurs culturels et politiques turcs qui ont dépassé le stade d’imi-

tation à tout prix de toutes formes de mobilisation sociale occidentale. Cette périoded’imitation est datée d’après F. Bilici de la fin du XIXème siècle, jusqu’aux années 1950.Elle correspond à la période républicaine et kémaliste. Le grand retour des vakıfs seraitdonc le signe d’une ré-ottomanisation. Leur présence à Süleymaniye, à cet égard, n’estpas un hasard. « Le vakıf turc en général participe non pas à un retour, mais plutôt d’uneréactivation de la tradition sous forme moderne, montrant des capacités d’adaptation desociétés musulmanes » (Bilici, 1993). Ces fondations seraient à mi-chemin entre la fon-dation américaine et l’association française. Elles se concrétisent en une forme d’orga-nisation et de structure juridique tirant sa légitimité du droit et des traditions islamiques,acquis durant une longue période ottomane, et des codes civils occidentaux. D’après l’au-teur, ces vakıfs se montrent d’ « une vitalité exceptionnelle, tant sur le plan économiqueque sociologique » en Turquie, plus que dans d’autres pays musulmans. Elles sont super-visées par la Direction Générale des Vakıfs dépendant du premier ministre et du ministèredes Finances. Leur développement exceptionnel depuis les années 1980 correspondraità l’idéologie ultralibérale en vigueur accordant une grande liberté d’action à l’initiativeprivée afin qu’elle assume une partie des fonctions de l’État et se répande dans la so-ciété. Elles sont de plus en plus fondées par des musulmans pratiquants et ont trouvé unappui financier considérable auprès de la bourgeoisie turque et des sociétés financièressaoudiennes et koweitiennes introduites en Turquie dans les années 1983. L’hypothèsequ’émet l’article est que « ces vakıfs sont utilisées par différents courants islamistes turcs

7. « Le mot vakıf signifie arrêter, immobiliser. En termes juridiques, constituer un vakıf, c’est immobi-liser un bien et affecter son produit à une œuvre pieuse ou charitable, dotée de la personnalité morale. Celuiqui constitue le vakıf est nommé vâkif ; l’acte de fondation est appelé vakfiye. Dans le droit musulmanclassique, le bien immobilisé est normalement et théoriquement « consacré à Dieu ». A ce titre, il devientinaliénable, c’est-à-dire qu’il ne peut plus faire l’objet de vente, achat , expropriation, hypothèque, saisie. »(Bilici, 1993)

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CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DESÜLEYMANIYE

comme base juridique, économique, sociale et politique pour une réislamisation par le basou en profondeur de la société musulmane » (Bilici, 1993).

En effet, l’émancipation de ces fondations se cristallise, dans le cas turc, dans l’im-plosion du système politique kémaliste de la République, basé sur un contrôle strict dureligieux. Elle témoignerait également de la naissance d’une nouvelle élite islamiste. En1970, on note effectivement la naissance du premier parti islamiste. Il a été dissout plu-sieurs fois et s’est réorganisé finalement en 1983 sous le nom de parti de Prospérité : leRefah. Il est re-dissout en 1998. De cette nouvelle scission naîtra deux partis actuels :l’AKP, au pouvoir, parti pour la justice et le développement, et le Saadet, parti de la féli-cité. Les vakıfs islamiques ont été largement aidées par l’arrivée des sociétés arabes et isla-miques à partir de 1983, comme Al-Braka turkish finance house, Saudi american bank. . .Elles prennent alors la forme de fondations islamiques d’entraide, de solidarité et d’édu-cation destinées aux jeunes de milieu populaire, ou encore de fondations de recherche,d’études islamiques, donnant lieu à des publications d’ouvrages savants, de revues. . . Lesdeux fondations de Süleymaniye appartiennent à cette seconde catégorie. Elles se disentfondations pour la culture, ou pour la science, mais elles publient et commercialisent desouvrages à tendance islamique, voire islamiste. Un Symposium est organisé en 2007 parla fondation BISAV (Bilim ve Sanat Vakfi, fondation des sciences et des arts) pour prônerla nécessité et les biens faits du projet de rénovation de Süleymaniye.

Enfin, d’après F. Bilici, ces fondations seraient les « antichambres des partis politiques(. . .) Elles fonctionnent par un système de coopération, de clientélisme et de reproduction». Nombreuses sont celles fondées par des hommes politiques, du parti de l’ANAP enparticulier. Le parti de l’ANAP est le parti de la mère patrie. Il fusionne en 2007 avec leparti de la juste voie pour former le parti démocrate. L’auteur souligne que ces fondationssont utilisées par les islamistes comme des instruments de légitimation et d’action sociale.Elles joueraient plus ou moins le rôle de vecteur de sociabilité que ne jouent plus ni lamosquée, ni les associations. Elles propageraient un Islam social par leurs multiples ac-tivités et leur dynamisme (publication, réunion, conférence. . .) et grignoteraient ainsi peuà peu les fonctions de l’État. Ce qui est d’après F. Bilici une caractéristique fondamen-tale de la politique turque et particulièrement des partis conservateurs. Notons à cet égardque le parti au pouvoir, l’AKP est un parti islamo-conservateur. Il ne cesse de monter enpuissance depuis 2002.

Ainsi, à travers l’exemple des fondations religieuses, nous pouvons voir que Süley-maniye occupe toujours une place symbolique et idéologique aux yeux du parti et despartisans de l’AKP. Rappelons désormais rapidement l’assise qu’à ce parti en Turquie.

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I.B Süleymaniye, un symbole pour le parti : la question identitaire.

Dès 1950, le parti républicain du peuple, kémaliste, perd le pouvoir. C’est à partir de làque les mesures laïques sont assouplies. L’appel à la prière et l’enseignement coraniqueen arabe sont rétablis, l’éducation religieuse dans les écoles publiques réintroduite, la po-lygamie et les usages vestimentaires traditionnels sont tolérés. . . « Force est de constaterqu’au cours du XXème siècle, la laïcité en Turquie a le plus souvent été imposée ou réta-blie par la force et l’intervention répétée de l’armée (1913, 1923-4, 1971, 1980), alors queles avancées de la démocratie participative sont plutôt traduites par un retour de la tradi-tion religieuse (1950-1983) » (Marcou, Burdy, 1994). Le projet de Süleymaniye serait icil’occasion pour les autorités turques au pouvoir de mettre la main sur un quartier chargésymboliquement. Cette dimension identitaire est en partie à l’origine du projet. Or, qu’enest-il de l’état du quartier ?

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CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DESÜLEYMANIYE

C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stig-matisé

Après avoir présenté le contexte international et la dimension symbolique du projet, ils’agit de s’interroger sur l’état local du quartier. Aux vues des caractéristiques physique,fonctionnelle et sociale du quartier, une rénovation est-elle nécessaire ?

C.1 Approche statistique

C.1.1 Un quartier résidentiel et industriel

FIGURE I.2: Fonctions du quartier de Süleymaniye par zone. Source : d’après unrelevé effectué les 11 et 12 juillet

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I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé

FIGURE I.3: Fonctions du quartier de Süleymaniye par parcelle. Source : d’après unrelevé effectué les 11 et 12 juillet

On remarque avec les figures I.2 et I.3 que le quartier s’il est résidentiel en son centre,est entouré de commerces et d’ateliers. Les bâtiments IMC, notamment, Istanbul Manu-

fakturcilar Carsisi, sont les quatre gros blocs dans lesquels se fait le commerce de gros dela ville. Ces bâtiments ont été conçus dans les années 1950 par Dogan Tekeli et Sami Sisa,deux architectes républicains. Ils bordent le quartier à l’ouest et servent d’espace tamponentre la zone résidentielle du quartier et le boulevard Atatürk. Les ateliers, très nombreux,sont pour la plupart informels. Les branches en priorités concernées pour l’ancien arron-dissement d’Eminönü sont : « accessoires pour automobile, chimie, agroalimentaire et

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CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DESÜLEYMANIYE

commerce de gros alimentaire, quincaillerie en gros, production textile, meuble, papiers,imprimerie, travail de l’or et de l’argent, plasturgie, métallurgie et entrepôt » (Pérouse,2007). Le quartier a donc une fonction commerciale et industrielle non négligeable, cequi est confirmé par le profil social de la population. Le type de commerce est en généraldu commerce de gros lié aux ateliers voisins. On y confectionne des cuillères, des cein-tures, des pièces spéciales, des balances, des machines à coudre. . . qui sont vendues dansle quartier. C’est là que viennent se fournir de nombreux artisan, restaurateur ou autresvendeurs d’Istanbul. Dès lors se pose la question de l’implantation de ces ateliers encentre-ville. Sont-ils implantés dans ce quartier pour la main d’oeuvre, le prix du foncierou bien la proximité d’un marché ? Les ateliers implantés dans le centre d’une mégapolecomme Istanbul doivent avoir une grande raison d’être, une grande valeur ajoutée (commela haute couture par exemple).

Des décisions de décentralisation à propos des petites entreprises d’Eminönü étaientprévues dans le plan de protection de 2003. Or, d’après Alev Erkilet, sociologue à l’agencede planification du grand Istanbul (IMP 8), l’arrondissement d’Eminönü est sujet à unetransformation duelle : les grosses entreprises voient la décentralisation comme une op-portunité pour grossir et d’augmenter leur capacité, en revanche les petites entreprisesn’ont « nulle part où aller », et « pas assez de capital » pour déménager. La plupart n’ontpas de véhicules et ont à peine le capital suffisant pour payer leurs charges. D’autre part,les locaux commerciaux prévus pour accueillir les activités en périphéries sont très grandset inadaptés aux petits entrepreneurs locaux. Les loyers élevés, les faibles marges béné-ficiaires possibles et les coûts de transport rendent impossible de quitter les magasins àbas prix du centre-ville pour les petits fabricants (Erkilet, 2009). La question du devenirde ces ateliers se pose, leur conservation n’étant absolument pas prévue par le projet derénovation. Au contraire, ce caractère industrieux du quartier paraît gêner les autoritéslocales.

C.1.2 Un quartier dégradé et en partie détruit

La figure I.4 montre, sur un échantillon important du périmètre du projet, la forte dé-gradation du bâti. Elle montre également l’avancée des destructions effectuées par KIP-TAS au mois de juillet en 2010. Nous remarquons bien ici le tracé du futur métro évoquéen introduction. Il sera en partie souterrain mais ressortira, comme le tracé des destruc-tions l’indique, au pied de la colline et se dirigera vers la Corne d’Or. Ce projet de métro,

8. Pour plus de détails sur l’IMP, se reporter à l’annexe C

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I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé

FIGURE I.4: Etat du bâti. Source : d’après un relevé effectué les 11 et 12 juillet

ou plutôt, le fait qu’il traverse la Corne d’Or sur un pont démesuré, est fortement critiquépar l’UNESCO comme par les professionnels de l’urbanisme. Nous pouvons égalementvoir sur la carte, la seule rue qui a été réhabilitée (en bleu). Nous évoquerons ces réha-bilitations ultérieurement. La figure I.5 montre des exemples d’état de bâti pour chaquecatégorie. Notons que les maisons en bois de Süleymaniye, classées aux registres desbiens nationaux et au patrimoine mondial de l’UNESCO, représentent les 2/3 des mai-sons en bois restantes à Istanbul. Elles sont malgré tout très dégradées. La plupart serontdétruites comme le prévoit le projet de rénovation (un grand nombre l’a déjà été).

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CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DESÜLEYMANIYE

(a) (b)

(c) (d)

FIGURE I.5: les différentes catégories de bâti. (a) dégradé, (b) bon état ou passable,(c) détruit, (d) réhabilité. Source : photos prises en juin 2010

L’état de dégradation physique du quartier pourrait justifier à lui seul l’initiative d’unprojet d’amélioration du cadre bâti. L’opportunité de la rénovation sera discuttée dans lechapitre trois. Toutefois, il s’agit de noter que le quartier se dégrade et se détruit d’autantplus vite depuis le début du projet en 2006 qui marque le départ des propriétaires. Enoutre, on peut s’interroger sur l’origine de ces dégradations. S’il n’y a pas eu d’actionmenée sur le bâti avant le projet de rénovation, c’est probablement parceque la dimensionphysique n’est pas la plus importante aux yeux des autorités.

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I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé

C.1.3 Un profil social gênant

Les données statistiques sont rares, ou bien très peu communiquées. Les résultats durecensement ne sont pas publics et très difficilement accessibles. Après plusieurs vainestentatives auprès de la mairie de Fatih pour se procurer des données démographiquessur le quartier de Süleymaniye, nous avons pris contact avec un professeur cartographe :Murat Güvenç. Ce dernier a développé toute une cartographie d’Istanbul en fonction dedonnées sociodémographiques. Son travail de fourmi se concrétise en un véritable at-las de la ville d’Istanbul. Il est mis en scène dans l’exposition Istanbul 1910-2010, quia lieu ce septembre 2010. Grâce à son aide, nous avons pu récolter quelques donnéestrès précises, mais difficilement manipulables concernant le quartier de Süleymaniye. Cesdonnées ont été recensées en 2000 par un type particulier de recensement qu’est le re-censement de facto. Le recensement de facto comptabilise la population présente et nonla population légale comme le ferait un recensement de jure effectif en France ou autrespays développés, qui s’appuie sur une base de population enregistrée. Le recensement de2000 est le dernier recensement de facto de Turquie. Les figures I.6 I.7 I.8 I.9 I.10 I.11 ontété construite à partir des données fournies par Murat Güvenç. Il est important de noterque ces figures font référence aux huit mahalles de Süleymaniye, dont un est égalementnommé Süleymaniye.

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CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DESÜLEYMANIYE

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I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé

Taille des ménages 1 à 3 pers 4 à 6 pers 7 à 9 pers 10 et plus Total ménagesDemirtas 38 44 10 5 97Hacı Kadin 77 91 46 14 228Hoca Gıyasettin 161 171 61 29 422Kalenderhane 24 37 3 0 64Molla Husrev 50 72 27 6 155Sarı Demir 1 1 0 0 2Süleymaniye 39 38 17 2 96Yavuz Sinan 41 32 12 11 96Totaux 431 (37%) 486 (42%) 176 (15%) 67 (6%) 1160Total habitants 5445

FIGURE I.7: Taille des ménages des habitants par sous-quartier. Source : Donnéesfournies par Murat Güvenç

La répartition de la population dans les différents mahalles est assez inégale. On voitque les quartiers concernés par le projet prioritaire sont les plus peuplés (Hacı Kadin,Hoca Gıyasettin, Demirtas et Yavuz Sinan). Ils représentent à eux seuls 74% de la popu-lation de Süleymaniye. Le mahalle de Sarı Demir est très faiblement représenté. En effet,il borde la Corne d’Or et reste très peu urbanisé. Comme le montre la figure I.7, la taillemoyenne de ménage est de 4 à 6 personnes.

FIGURE I.8: Répartition des activités professionnelles des habitants. Femmes àgauche ; Hommes à droite. Source : Données fournies par Murat Güvenç

Les deux professions dominant le quartier sont les employés dans le commerce et lavente ainsi que les ouvriers industriels, dans tous mahalles confondus. Ceci est confirmé

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CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DESÜLEYMANIYE

FIGURE I.9: Répartition des secteurs d’activités des habitants. Hommes à gauche ;Femmes à droite. Source : Données fournies par Murat Güvenç

par la domination des secteurs d’activités du commerce, de la production et de l’industrieque l’on peut voir dans la figure I.9 et également par la présence de nombreux ateliers etde commerces de gros dans le quartier.

Enfin, en ce qui concerne le type de propriété, on note d’une part qu’une écrasante ma-jorité des habitants sont locataires. Or, nous avons vu dans les documents de promotiondu projet que la municipalité ne s’adressait qu’aux propriétaires. D’autre part, à Istanbul,et ceci a été confirmé par les muhtars 9 à Süleymaniye, il y a beaucoup de « share pro-perties », de propriétés partagées entre plusieurs actionnaires. C’est un système originalmais très fréquent en Turquie. Un même bien foncier ou immobilier a souvent plusieurspropriétaires. Cela peut arriver quand les propriétaires d’une maison décèdent et lèguentla propriété à leurs enfants. Le processus de morcellement de la propriété commence là.Les enfants sont ensuite libres de revendre leur part à des particuliers. . . etc.

9. Les muhtars sont les maires de quartier. Leur unité administrative est le mahalle et leur compétenceconcerne essentiellement l’état civil. Cf. Annexe C

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I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé

Statut d’occupation Propriétaires Locataire Autres Non définiDemirtas 14 75 8 0Hacı Kadin 24 163 38 3Hoca Gıyasettin 67 323 22 10Kalenderhane 18 27 12 7Molla Husrev 41 85 23 6Sarı Demir 0 1 1 0Süleymaniye 21 63 11 1Yavuz Sinan 4 79 12 1Totaux 189 (16%) 816 (70%) 127 28Total population : 1160

FIGURE I.10: Statut d’occupation par sous-quartier. Source : Données fournies parMurat Güvenç

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CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DESÜLEYMANIYE

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I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé

Nous avons construit ces tableaux à partir des résultats du recensement que Murat Gü-venç nous a livrés. Or, on se rend vite compte que les données semblent soit erronées, soitcontradictoires. En effet, si l’on tente de comptabiliser la population totale du quartier, oncompte 10 270 personnes d’après les tableaux sur le niveau d’éducation de la population,5 378 d’après celui sur la taille des ménages, 4 879 d’après le tableau sur le type de pro-fession ou de secteur d’activité et enfin 1 160 d’après celui du type de propriété. Or, lesmuhtars du quartier disent que la population de Süleymaniye est comprise entre 3000 et6000 habitants.

J’émets l’hypothèse que comme ces données ont été relevées lors d’un recensementde facto, il est possible que les données acquises comprennent la population travaillantdans le quartier, et non la seule population habitant le quartier. Ainsi, toute la populationtravaillant et habitant le quartier aurait répondu aux questions relatives au niveau d’édu-cation et aux secteurs d’activité, totalisant environ 10 000 personnes, (environ 5 000 sanscomprendre les enfants ou personnes ne travaillant pas). Les questions relatives au do-micile, comme celles sur le type de propriété et celles sur la taille du ménage révèlentune population habitante d’environ 5 000 personnes. En effet, si on multiplie le nombrede propriétés (1 160), par la taille moyenne des ménages (5,5), on obtient une populationd’environ 5 500, ce qui confirme le nombre d’habitants donné par le tableau sur la tailledes ménages de 5 378 personnes.

Toutefois, même cette hypothèse s’avérait être juste, les chiffres datent de 2000. Leprojet ayant commencé en 2006, la situation a énormément changé depuis. Le nombred’électeurs du quartier le plus peuplé (Hoca Giyasettin) « est passé de 2300 à 800 de2007 à 2009 » 10. Néanmoins, le profil social du quartier se dessine : une majorité de lo-cataires, à faible niveau d’éducation, travaillant dans la vente, la production ou l’industrie.Il est nécessaire d’ajouter que la plupart sont également immigrés, internes ou internatio-naux.

L’enquête menée dans le quartier de Süleymaniye durant la première quinzaine de juina permis de recueillir les propos d’une dizaine de personnes sur le projet, mais égalementsur leur perception et leur rapport à ce quartier et à son histoire. Voyons si ces propos vontou non dans le sens des données statistiques.

1. L’origine des habitants

L’échantillon enquêté indique en effet que la plupart des habitants de Süleymaniye,

10. D’après l’entretien passé le 20 juillet 2010 avec la muhtar d’Hoca Giyasettin

41

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CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DESÜLEYMANIYE

ne sont originaires ni du quartier, ni d’Istanbul. Régions d’origines :

– Mer noire : 3– Sud est : 3– Konya : 1– Istanbul : 1– Süleymaniye : 2 (dont un seul de plus de deux générations)– Non renseignée : 1

Sur les 11 personnes interrogées, 9 ne sont pas originaires du quartier. Nous ajou-tons à cette remarque les observations de terrain : il y a beaucoup de dénominationsde «Konya », de « mer Noire », de « Malatya » pour ce qui concerne les commerceset les restaurants. Le profil immigré de la population du quartier se ressent d’em-blée. Nous demandons à Monsieur A quel genre de clientèle fréquente sa lokanta(restaurant) : « Des habitués. Des gens qui n’ont pas les moyens de cuisiner chezeux, qui vivent dans des hôtels, dans des chambres de célibataires. » Monsieur A.

Depuis quand habitent-ils le quartier ?

– Depuis toujours : 2– Avant 1985 : 3– 1992-3 : 3– 1997-8 : 2– 2001 : 1

La plus grosse vague d’immigration s’est faite dans les années 1990

Motifs d’installation, d’immigration :

– Pour le travail : 7– Lien affectif et familial : 2– Opportunité foncière : 1 [supposition]– Environnement paysager et architectural : 1– Localisation centrale : 2– Environnement religieux : 0

2. Les fonctions économiques du quartier

Qui y travaille, qui y habite ?

– Population active dans le quartier : 11/11 (dont une retraitée)– Population habitant le quartier : 8/11

Les propos recueillis semblent confirmer que le quartier est aussi bien un quartierrésidentiel qu’économique.

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I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé

C.2 Approche qualitative

C.2.1 Süleymaniye, un quartier d’immigrés

Comme dit en introduction, Istanbul est un pôle migratoire très important. Les ar-rondissements centraux de Fatih et Eminönü sont connus pour être le lieu d’arrivée desimmigrés, internes ou internationaux. À Süleymaniye, l’immigration kurde est notable.

« On ne peut pas distinguer les étrangers qui transitent par la Turquie et Istanbulen particulier, des citoyens turcs, pour la plupart d’origine kurde, qui, poussés par desnécessités de divers ordres, souhaitent aussi gagner l’eldorado européen. Les uns et lesautres empruntent les mêmes filières, comme en témoigne la composition nationale desbateaux qui partent de Turquie vers l’Europe. Les uns et les autres vivent dans les mêmesmeublés sordides et les mêmes chambres pour célibataires d’Eminönü ou de Fatih. Dèslors, on peut estimer qu’Istanbul fonctionne pour les Kurdes de Turquie un peu commepour les Kurdes des autres pays » (Pérouse, 2006)

Le quartier de Küçükpazar, dans le quartier de Süleymaniye, est un des plus embléma-tiques de cette population immigrée. Le Küçükpazar est le quartier qui traverse d’ouest enest le quartier à partir du premier bloc IMC 11. La rue Küçük Pazar Cad. fait la frontièreentre le mahalle de Yavuz Sinan et ceux de Haci Kadin, Hoca Giyasettin et Demirtas. Lequartier est donc situé entre le pont de Galata et le pont Atatürk (tous deux sur la Corned’Or), le long d’une rue principale et de ses perpendiculaires. « On a noté près d’une cen-taine de petites pensions avec les responsables desquelles il a été impossible de discuterdirectement. » (Pérouse, 2006).

Süleymaniye est connu pour être le quartier des chambres de célibataires. Ces chambressont louées à 5 ou 7 jeunes travailleurs qui la partagent le temps d’accumuler de l’argentpour envoyer à leur famille, dans l’est du pays, en Anatolie ou encore dans la région de lamer Noire. Il s’agit de se partager une chambre de 30m2, sans salle de bain ni toilette. Laplupart d’entre eux se connaissent (relation père-fils, oncle-cousin, frères. . .). Ceux quisont mariés vont visiter leur famille tous les 2 ou 3 mois pour une semaine, et reviennentensuite. Souvent ils n’ont pas été à l’école et sont venus à Istanbul depuis leur jeune âge.Ils sont généralement colporteurs ou récupérateurs de déchets pour recueillir des produitsprécieux comme du papier, des canettes, des plastiques, certains métaux, etc. Ils n’ont nisécurité sociale, ni sécurité de l’emploi. Leur revenu mensuel oscille entre 300 et 400 TL.

11. Pour rappel, les blocs IMC sont les bâtiments conçus à l’époque républicaine pour concentrer lecommerce de gros. Ils bordent le quartier à l’ouest. Leur fonction est très importante pour assurer unetransition vers le boulevard Atatürk. Or, ces bâtiments sont aussi menacés par le projet

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Page 52: Lucie renou   projet de rnovation de suleymaniye - ifu - 2010

CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DESÜLEYMANIYE

FIGURE I.12: Le Küçükpazar. Source : photo prise en juin 2010

(Erkilet, 2009).

Les immigrés étrangers quant à eux espèrent accumuler un capital suffisant et despapiers nécessaires à un voyage vers l’Europe. Ils participent en attendant au marché dutravail clandestin d’Istanbul. Quelques secteurs d’activité sont prisés : « pour les hommes,il s’agit du bâtiment, du portage, de la manutention, de la confection, de la petite industriechimique, de la restauration, de la pêche, et de l’économie de la récupération ; pour lesfemmes, hormis la prostitution et ses formes plus ou moins déguisées, citons les servicesdomestiques, la garde d’enfants et l’industrie (c’est parfois un grand mot) du textile. »(Pérouse, 2006)

La situation n’est pas soutenable : «Périodiquement, la chronique stambouliote estalertée par des affaires d’incendie ou d’effondrement de bâtiments, suivies de la dé-

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I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé

couverte d’occupants clandestins. Ainsi dernièrement, dans l’arrondissement d’Eminönü,trente Bengalis sont sortis des ruines fumantes d’un immeuble que l’on croyait inoccupédepuis longtemps, ravagé par un incendie » (Pérouse, 2006). C’est pourquoi le projet ale mérite d’exister. Toutefois, si ces travailleurs sont expulsés, on peut se poser la ques-tion de qu’il adviendra de leur sort. Aujourd’hui, Süleymaniye n’est pas un quartier plusinsécure que Dolapdere ou Tarlabası, mais les problèmes d’insécurité pourraient s’avérerplus sérieux s’il y a une réduction du contrôle social. En effet, les immigrés entrent dansce quartier par réseau familial. Le contrôle social y est donc fort. Or, s’ils en sont expul-sés sans prise en charge sociale, d’une part le réseau social et a fortiori le contrôle socialse dissiperont, et d’autre part, en les privant de travail, il est probable que ces jeunestravailleurs tombent dans des réseaux plus dangereux. La question de l’immigration, etnotamment interne, est un véritable enjeu pour Istanbul et pour la Turquie.

C.2.2 Süleymaniye, l’histoire récente d’un quartier qui se dégrade

D’après les propos recueillis lors de l’enquête, il semble que le quartier de Süley-maniye ait été un quartier agréable et familial jusque dans les années 1990. Toutes lespersonnes interviewées semblent avoir la nostalgie de l’âge d’or du quartier familial desannées 1980. Il ressemblait alors à un village, d’après le vocabulaire employé pour ledécrire.

« Les fêtes, les mariages et même les décès étaient vécus ensemble. »Madame E.

« Dans chaque quartier, tous se connaissaient, il y avait beaucoup de

discussions devant la porte. » Muhtar de Yavuz Sinan.

Plusieurs éléments semblent être mis en avant pour expliquer le processus de dégra-dation du quartier, qui dure, d’après la plupart, depuis les années 1990. L’argument quisemble revenir le plus souvent est celui des vagues d’immigration et du choc culturelqu’elles ont impliqué. En effet, d’après J-F Pérouse, ces différentes vagues d’immigrationauraient provincialisé Istanbul. L’anatolien ferait mauvaise impression. « Le discours do-minant sur les immigrations internes est quasiment inchangé depuis les années 1950 quimarquent le début de l’exode rural (...) Il stigmatise le migrant comme arriéré et prisonnierd’une culture réactionnaire qui les empêche de s’intégrer et le tire inexorablement vers unpassé et des origines obscurantistes.» (Pérouse, 2007, p54) Ce discours stigmatisant estaussi tenu par les élus qui ne sont eux-mêmes pas originaires d’Istanbul. « Un tel discourspermet évidemment de faire l’économie d’une analyse des causes et responsabilités des

45

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CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DESÜLEYMANIYE

phénomènes dénoncés (violence, bruit, délinquance) en rejetant sur un quasi-ennemi de

l’intérieur l’ensemble des dysfonctionnement décriés» (ibid.).

« Avant les années 1970, ce n’était que des familles qui habitaient ici.

Il n’y avait pas de lieux de travail. Après, ils ont accepté des vagues de mi-

grations, et ceux qui possédaient une vache l’ont vendu pour venir travailler

à Istanbul. Ils n’ont rien à perdre à venir ici. Mais ces gars qui ont gagné

un peu d’argent en venant ici, ils ne se sont pas adaptés à Istanbul, ils ont

persisté dans leur culture. Ils ne se posent pas le problème de l’adaptation,

c’est comme les Turcs en Allemagne. Dans les années 1970, avec l’arrivée

d’immigrés, des ateliers se sont ouverts à la place de résidence. Les maires

d’Istanbul n’ont jamais été originaires d’Istanbul (Malatya. . .) c’est pour ça

qu’ils donnent la permission à leurs ‘’frères” de venir, d’ouvrir des ateliers.

Mais après il faut loger ces ouvriers. Des familles ont préféré partir loin

des ateliers, et les propriétaires ont commencé à louer leurs chambres à des

célibataires. » Monsieur F.

« En 1990, avec l’augmentation des mouvements terroristes dans l’est,

avec le PKK . . . il y eut une grande vague d’immigration venant du sud-est

[kurdes]. Entre les anciens immigrés et les nouveaux, le contact s’est assez

mal fait. Les nouveaux arrivants ne s’impliquaient pas du tout dans la vie du

quartier, dans son identité. . . Par exemple, moi-même j’ai trois fils et je les

ai appelé Yavuz, Sinan, et Fatih. Avant, comme il n’y avait pas d’eau dans

les maisons, les femmes se regroupaient autour des fontaines, et même s’il

y avait des gens moins sociables que d’autres, ils n’ont jamais posé de pro-

blème. Aujourd’hui c’est le processus inverse qui se produit. Les immigrés

viennent ici, car c’est un quartier du centre d’Istanbul, pas cher, car défavo-

risé et un peu dégradé, c’est pour ça qu’ils viennent, mais ils n’investissent

pas dans leur maison, dans leur quartier. C’est pour ça que KIPTAS veut

rénover désormais. » Muhtar de Yavuz Sinan.

Les explications sont ensuite variées. Certains mettent en avant plusieurs conséquencesissues de ces vagues d’immigrations qui auraient ensuite accéléré le départ des familleset amplifié la dégradation du quartier :

– Le manque de sécurité– L’arrivée d’ateliers, bruyants et polluants– Les troubles liés aux chambres de célibataires

46

Page 55: Lucie renou   projet de rnovation de suleymaniye - ifu - 2010

I.C Diagnostic : Süleymaniye, un quartier dégradé et stigmatisé

« La plupart des autres familles ont déménagé à cause des troubles qu’ont

amenés les chambres de célibataires. Avant, Süleymaniye était un quartier

familial calme. Cela a amené des bagarres, des problèmes entre différents

groupes de chambres de célibataires. Il y a eu un choc des cultures. Les fa-

milles étaient habituées au calme, elles ont commencé à partir quand les

immigrés sont arrivés, avec leurs cousins. . . » Muhtar de Süleymaniye« Il y avait beaucoup de familles, mais ils ont vendu leur maison et depuis

il n’y a que des voleurs, des voyous dans la rue, même des trafiquants de

drogue (. . .) Ces hommes menacent les propriétaires et la sécurité du quartier.

» Madame E.

D’autres soulignent le fait que le départ des propriétaires était parfois opportuniste etaurait été en partie responsable de la dégradation du quartier.

« Des familles ont préféré partir loin des ateliers, et les propriétaires ont

commencé à louer leurs chambres à des célibataires. C’est plus valable. À

sept par chambres, chacun payant 100TL, ça revient à 700TL la chambre. Ils

ne pourraient jamais louer ce prix là à des familles. Et puis ils n’ont plus

investi dans leur propriété. » Monsieur F.« En ce qui concerne les chambres de célibataires, cela ne posait pas de

problèmes avant, car ils venaient essentiellement pour envoyer de l’argent à

leur famille, à leur village. Beaucoup venaient de Malatya, ils étaient organi-

sés par immeubles selon leur région d’origine. Il y avait de la solidarité dans

ces maisons [il nous parle du documentaire dans lequel apparaît Alev Erki-

let]. Le problème est que les propriétaires n’ont pas entretenu ces bâtiments.

Souvent il n’y avait ni toilette, ni douche. Ça donne une mauvaise image du

quartier. » Muhtar de Yavuz Sinan.

Enfin, deux muhtars mettent l’accent sur le fait que le quartier de Süleymaniye estclassé au patrimoine historique de la nation et que, par conséquent, de très lourdes procé-dures administratives étaient requises pour réaliser les moindres travaux de rénovation oud’entretien du bâti. Ces procédures sont ici remises en cause et seraient en partie respon-sable de la dégradation, ou plutôt du non entretien, de Süleymaniye.

« Il y a 20 ans, ce quartier était en très bonne condition. Mais les gens

sont peu à peu partis. Et puis, par exemple lorsque les vieux propriétaires

décédaient, les enfants sont partis et ont loué la maison. Et puis ici, beau-

coup de maisons sont en bois, ce qui nécessite un entretien particulier. Or, à

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CHAPITRE I. COMPRENDRE LE PROJET DE RÉNOVATION DESÜLEYMANIYE

l’époque, pour tous travaux on avait besoin de l’autorisation du conseil de

protection. Procédure longue et chère. » Muhtar de Hoca Giyasettin.« Mais, à cause de la loi de réhabilitation, pour entretenir sa maison, il

fallait des autorisations longues et chères. . . Le bâti s’est peu à peu dégradé.

Et les familles sont parties et ont laissé place aux chambres de célibataires.

Certains propriétaires ont même détruit eux-mêmes leur maison pour en faire

des otoparks. C’est assez rentable. » Muhtar de Demirtas.

Pour conclure, la situation du quartier de Süleymaniye à l’aube du XXIème siècle estcelle d’un quartier en cours de dégradations. Les habitants, pour la plupart locataires, nonoriginaires d’Istanbul, y sont logés dans des habitations vétustes et mènent des conditionsde vie déplorables, en particulier les immigrés ponctuels rassemblés dans des chambres decélibataires. Le fait que les familles aient quitté le quartier revient dans tous les discours.Dans cette perspective, une intervention de la puissance publique semble nécessaire pouraider au redéveloppement du quartier et pallier à la dégradation du bâti et des conditionsde vie.

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Chapitre II

Dimension politique du projet critiquée

Au vu des trois fondements potentiels du projet - à savoir l’injonction internationaleau marketing urbain, la dimension symbolique de Süleymaniye pour le parti AKP, et l’étatdégradé et stigmatisé du quartier - il s’agit désormais de présenter le projet afin de com-prendre quelles ont été les causes les plus influentes, et d’en saisir ainsi les principauxobjectifs. Nous analyserons ensuite le cadre juridico-politique dans lequel s’inscrit le pro-jet. Il s’agira de mesurer l’ampleur des projets de rénovation à Istanbul et de mieux com-prendre les critiques et réactions qu’ils suscitent.

A Le projet vu à travers ses discours : quels objectifs

Quatre discours seront mobilisés ici : celui de la municipalité, à travers la présentationinternet du projet ; celui du maître d’oeuvre KIPTAS 1, à travers une présentation power-point du projet ; celui d’autres défenseurs du projet issu de la presse ; et enfin, celui d’unearchitecte de l’agence KIPTAS qui travaille concrètement sur le projet.

Le document public de promotion du projet, fait par la mairie, ayant déjà été présentéen introduction, nous nous attacherons essentiellement à analyser les trois autres discours.Seulement, rappelons les objectifs affichés par la municipalité « Créer un système fiable,un habitat vivable et durable ; lutter contre les dangers et risques des dégradations del’architecture ; et profiter de l’effet positif national et international de la nomination d’Is-tanbul comme capitale européenne de la culture pour développer les valeurs historiques etculturelles de Fatih (en développant les secteurs des services, commercial, touristique etculturel) ». Et ce, en suivant trois règles : « savoir gérer le changement, respecter les va-

1. Pour la présentation de cet acteur, se reporter à l’annexe C

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CHAPITRE II. DIMENSION POLITIQUE DU PROJET CRITIQUÉE

leurs humaines et historiques, et enfin, avoir une approche globale et participative ». Cetobjectif semble d’emblée appartenir à une rhétorique mondialisée faisant appel à la par-ticipation, la patrimonialisation, la durabilité, les évènements internationaux. . . L’originedu projet comme injonction mondialisée au marketing urbain semble être ici confirmée.

A.1 La présentation uniquement architecturale du projet de KIP-TAS

Le document de présentation (Süleymaniye Sunum, 30.12.2009) de KIPTAS ne com-prend quasiment aucun texte. C’est le document PowerPoint d’une présentation orale lorsd’une réunion avec la mairie, que nous avons pu nous procurer de manière officieuse.L’argumentaire est toutefois sous-entendu par les images.

FIGURE II.1: Kentsel yenileme alanı (secteur de rénovation urbaine). Source : KIP-TAS, Süleymaniye Sunum, 30.12.2009

Cette carte, en deuxième page du document, situe le quartier de Süleymaniye dansl’ancien arrondissement d’Eminönü 2 . On remarque que pour ce seul arrondissement

2. Depuis 2009, les arrondissements d’Eminönü et de Fatih ont fusionné en un seul : le nouvel arron-dissement de Fatih, qui occupe toute la péninsule historique jusqu’aux Murailles de Théodose II. Fatih

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II.A Le projet vu à travers ses discours : quels objectifs

quatre secteurs de rénovation urbaine (kentsel yenileme analı) sont prévus et occupent,en termes de surface, plus de la moitié d’Eminönü. Le quartier de Süleymaniye, secteurn˚1, en haut à droite, comprend une autre zone : c’est la zone de rénovation prioritaire,le projet confié à KIPTAS. Le quartier de Süleymaniye est situé d’est en ouest entre leboulevard Atatürk et l’université d’Istanbul et du nord au sud, entre le boulevard Sehza-debagı jusqu’aux bords Corne Or.

Huit pages sont ensuite consacrées à d’anciennes photographies du quartier, exprimantla nostalgie d’une grandeur ottomane perdue. La mosquée ou le complexe de Süleyma-niye apparaissent sur chacune des photographies. Ainsi, le fait que Süleymaniye soit unsymbole pour l’Empire ottoman aurait également influencé le développement du projet.

FIGURE II.2: Ancienne photo de Süleymaniye. Source : KIPTAS, Süleymaniye Sunum,30.12.2009

Voici la zone de projet déléguée à KIPTAS :– « Zone de projet : 10,2 ha 3

– Travaux de construction prévus par le projet sur 40 îlots– Nombre de bâtiments de la zone d’étude - anciens : 326– Nombre de bâtiments de la zone d’étude - récents : 381– Nombre de bâtiments de la zone d’étude – patrimoniaux : 26 (Fontaines mosquées,

Han, citerne)

représente désormais la quasi-totalité de la ville historique.3. Ce qui correspond à environ 1/4 de la surface du quartier de Süleymaniye. Toutefois, c’est la zone la

plus densément peuplée et active du quartier.

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CHAPITRE II. DIMENSION POLITIQUE DU PROJET CRITIQUÉE

FIGURE II.3: Périmètre du projet prioritaire. Source : KIPTAS, Süleymaniye Sunum,30.12.2009

– Nombre de Mahalles compris dans la zone d’étude : 4 (Demirtas, Hocagıyasettin,Hacıkadın, Yavuzsinan) 4 »

Aucun détail n’explicite ce qui est entendu par bâtiments « récents » ou par bâtiments« anciens ». L’entretien avec une architecte de KIPTAS nous a révélé que la frontière entrel’ancien et le récent se faisait sans doute aux années 1950. Grâce à cette carte, nous voyonsl’ampleur du projet de rénovation prioritaire, par rapport au reste du quartier de Süleyma-niye. Il concerne la zone la plus centrale, la plus urbanisée et également le secteur le plus

4. Le projet concerne 4 mahalles, unités administratives, parmi les 8 du quartier de Süleymaniye. Ces8 Mahalles sont : Kalenderhane, Süleymaniye, Demirtas, Sarıdemir, Hoca Gıyasetttin, HacıKadın, YavuzSinan, Molla Hüsrev.

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II.A Le projet vu à travers ses discours : quels objectifs

peuplé. Nous remarquons également que les propriétés rachetées par KIPTAS (221, enrose sur la carte) représentent en surface autant, voire plus, que ce qu’il reste de proprié-tés privées (en beige). Ainsi, en intervenant dans ce périmètre, qui est le plus densémentpeuplé, et le plus dégradé du quartier, la municipalité montre bien que son ambition estde pallier aux dégradations du bâti. Toutefois, quelle est sa première motivation ? Est-ceune volonté d’améliorer les conditions de vie dans le quartier, ou bien de moderniser lequartier afin de promouvoir une image moderne et internationale d’Istanbul ?

Le reste de la présentation, ou plutôt, les deux tiers sont consacrées aux propositionsarchitecturales du projet. Prenons l’exemple de l’îlot 565 :

FIGURE II.4: Situation de l’îlot 565 dans le quartier. Source : KIPTAS, SüleymaniyeSunum, 30.12.2009

La figure II.5 laisse apparaître un parcellaire fin et allongé. Il permet d’avoir des mai-sons accolées et relativement étroites côté rue et une cour intérieure en cœur d’îlot. Lorsde l’enquête, un commerçant nous a fait entrer dans sa cour intérieure. Elle était en grandepartie construite et il y hébergeait des immigrés célibataires dans des chambres sans sallede bain ni toilettes. On observe que les plans de KIPTAS sont incomplets à cet égard. Ilsne mentionnent pas ce bâti. Est-ce une erreur de mise à jour des plans parcellaires, ouune volonté d’ignorer ces constructions ? Dans les deux cas, la municipalité a sans doutel’intention de mettre fin à ces constructions, et les pratiques qu’elles impliquent, avec leprojet. En effet, un grand parc est prévu à cet emplacement. Il semble également d’après

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CHAPITRE II. DIMENSION POLITIQUE DU PROJET CRITIQUÉE

FIGURE II.5: Présentation de l’îlot 565 avant et après projet. Source : KIPTAS, Sü-leymaniye Sunum, 30.12.2009

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II.A Le projet vu à travers ses discours : quels objectifs

cette figure que le parcellaire sera en grande partie laissé comme tel. Ce qui témoigned’un volonté de conserver le tissu urbain.

Il s’agit pour KIPTAS de construire des konaks, ou maisons ottomanes. On le voitdans l’exemple de l’îlot 565, les bâtiments « récents », ou post 1950, sont remplacéspar des constructions de maisons ottomanes. Les méthodes employées pour passer de lasituation actuelle à la réalisation du projet ne sont pas mentionnées dans le document.Restauration (Koruma) ou rénovation (yenileme) ? Les termes se confondent. Toutefois,toutes les images qui montrent l’évolution du quartier en suivant la chronologie « hier »,« aujourd’hui », « demain » dévoilent que l’étape de la destruction est incontournable etdéjà engagée.

FIGURE II.6: Situation hier, aujourd’hui, demain. Source : KIPTAS, Süleymaniye Su-num, 30.12.2009

Lorsqu’un projet de transformation urbaine prévoit la destrcution de l’existant, commec’est le cas dans ce projet, on parle de rénovation. La restauration tend à améliorer l’exis-tant en le conservant. A la place du bâti actuel sera reconstruit de nouvelles konaks confor-mément à des photographies de l’ancien quartier, à « l’identité historique du quartier ». Ici,les dimensions symbolique et internationale du projet ressortent. En effet, la volonté depatrimonialiser le quartier est paradoxalement une des façons d’en moderniser l’image.En outre, le choix de l’architecture des konaks montre qu’une seule origine culturelle ethistorique est prise en compte, l’origine ottomane.

A.2 Promotion du projet dans la presse

Dans la presse, il est possible de reconstituer une partie du discours des protagonistesdu projet. Nevzat Er, notamment, ancien maire d’Eminönü, déclare en 2007 que KIPTAS(Société de construction liée à la grande municipalité d’Istanbul) détruira approximative-

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CHAPITRE II. DIMENSION POLITIQUE DU PROJET CRITIQUÉE

ment 700 bâtiments à Eminönü et construira à la place des bâtiments « conformes à l’ar-chitecture ottomane ». La municipalité d’Eminönü, quant à elle, détruira 100 bâtimentsen béton armé, qui n’auraient pas leur place au sein du tissu historique. À Süleymaniye,on compte 208 îlots, 2800 bâtiments, la majorité sera détruite.

« 700 de ces bâtiments sont sous notre responsabilité. Nous avons notifié les proprié-taires. Nous avons dit “Ou tu rends le bâtiment conforme au tissu historique ou bien c’estnous qui allons venir, le détruire et le refaire.” Nous n’écoutons pas les excuses du genre“je n’ai pas d’argent, j’ai des moyens limités”. Ce projet sera mis en place rapidement, dèsles premiers jours de 2008. Notre premier objectif est de compléter 100 bâtiments durant2008. Après quelques années, ce chiffre atteindra 700. Les citoyens qui verront la beautéde ce projet s’investiront et ce chiffre augmentera encore. D’autre part, nous reconstrui-rons à leur emplacement les monuments historiques disparus. Les han de la zone serontréaménagés. Ce seront en majorité des butik otel. Rues et trottoirs seront remodelés enprenant en considération l’histoire. Une dépense de 3 milliards de dollars est prévue pourle projet total. Cela sera rendu possible avec une aide de l’État. /. . ./ La formule yap-sat 5

nous permettra de réaliser le projet. Il est prévu que les 2100 bâtiments revenant à l’IBBsoient réalisés avec la même méthode. » (S. Demirci, Millliyet, 17/09/2007, 6 ) Le mairedu grand Istanbul, Kadir Topbas, a fait savoir qu’il avait réservé un fond de 100 millionsd’YTL annuels pour le projet.

Voici un discours moins feutré sur le projet, mais qui confirme tout aussi bien lesconclusions tirées par rapport aux influences du projet. Ici, il n’est plus question de risquesismique, de risque lié à la dégradation du bâti, mais plutôt d’embellissement, de tourisme,de butik otel. . . On parle également d’un tissu historique à préserver, mais en même temps,on annonce que « les rues et trottoirs seront remodelés » et 700 bâtiments seront détruits.Malgré des priorités différentes ciblées dans ces différents discours, on remarque que la« prise en considération de l’histoire » est omniprésente, même si celle-ci passe par ladestruction de l’existant. La municipalité et KIPTAS entendent recréer du patrimoine enconstruisant du neuf conformément à d’anciennes photographies du quartier, datant de lapériode ottomane.

5. « Système de "Yap-Sat" (mot à mot "Fais-Vends") où l’entrepreneur vend au fur et à mesure qu’ilconstruit, au coup par coup, s’autofinançant par là même ». (Pérouse, 1997)

6. « Süleymaniye eski günlerine dönüyor», (Süleymaniye est de retour au bon vieux temps)

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II.A Le projet vu à travers ses discours : quels objectifs

A.3 Le point de vue d’une architecte de KIPTAS

D’après Madame X, jeune architecte du projet et la seule à KIPTAS qui ait acceptéde me recevoir, chaque architecte reçoit un îlot sur lequel il doit dessiner le projet de ré-novation, décider quels bâtiments conserver, réhabiliter, détruire et reconstruire. Selon lesdirectives de la mairie, les architectes, dont Madame X, sont « invités à programmer la

destruction des bâtiments post 1950, et à conserver les bâtiments ottomans en relative-

ment bon état pour les restaurer. Il s’agit de conserver un ou deux bâtiments par îlot. » Lesbâtiments seront reconstruits neufs en style ottoman (avec une Çikma 7, et des marches de-vant la porte d’entrée). Les fontaines (Çesme) seront réhabilitées. L’objectif de la mairie,d’après Madame X, serait clairement de changer de population et d’accueillir des famillesde classe supérieure, voire très supérieure, qui pourrait « profiter » de la vue sur la Corned’Or. D’après elle, la mairie pourrait revendre ces nouveaux appartements 1 million dedollars (et ainsi contribuer au développement économique et touristique du quartier). Cetentretien et ce discours montrent enfin que le diagnostic du quartier a lui aussi influencé leprojet. Le profil social de la population semble gêner les autorités turques. Ainsi, il s’agitde pallier aux dégradations et de reconstruire un quartier moderne pour un public plussolvable et non d’améliorer les conditions de vie des résidants en place. Le projet vise àfaire table rase de l’existant.

« Le projet a été initié par KIPTAS, entreprise de construction liée à la municipalité,il est donc réalisé par cette même institution. La mairie l’en a chargé directement – sansappel d’offre à ma connaissance. (. . .) Ils pensent à un projet résidentiel. L’îlot que je des-sine par exemple, comprends du logement à l’étage et des boutiques en rez-de-chaussée.Ces boutiques augmenteront le trafic dans la rue. Mais attention, les magasins qu’ils pré-voient vont être chics et appartiendront à de nouveaux propriétaires, ce ne sera plus lesanciennes manufactures produisant des ceintures, travaillant le cuir... Elles seront de toutefaçon détruites. Ainsi, quand le projet sera fini, la population et l’aspect du quartier aurontradicalement changé. Ce qui ne sera pas forcément bon pour le tourisme. . . Est-ce que lequartier sera encore touristique après le projet ? Je ne suis pas sûre, car quand il sera fini,le quartier aura perdu toute son originalité, son authenticité, ses habitants. . . et aussi, ilsera complètement faux – fake ? Si cela ne tenait qu’à moi, je conserverais bien quelquesbâtiments post 1950, certains ne sont pas très dégradés. Ils appartiennent à l’histoire au-tant que les autres. »

7. Les çikma, sont des oriels, des avancées en encorbellement traditionnelles et caractéristiques desmaisons ottomanes.

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CHAPITRE II. DIMENSION POLITIQUE DU PROJET CRITIQUÉE

Ainsi, en ce qui concerne la programmation du projet, il s’agirait d’un projet rési-dentiel avec des commerces en rez-de-chaussée. Comme l’a souligné Madame X, celasous-entend que les activités artisanales et industrielles du quartier vont être délocalisées,ou du moins leur locaux seront détruits. Les bâtiments changeront de fonction. Le dis-cours tenu par Madame X contraste avec la volonté affichée de la mairie de « savoir gérerle changement, respecter les valeurs humaines et historiques, et enfin, avoir une approcheglobale et participative ». Aussi est-il nécessaire de souligner que l’expression restaura-tion est souvent utilisée. Alors que, dans la grande majorité des interventions, il s’agit derénovation (destruction – construction de neuf). Les termes sont confondus et rendent lesméthodes employées moins visibles. Toute une rhétorique, tout un discours a été déve-loppé par les différents acteurs du projet, le rendant difficilement lisible. Des argumentsdifférents sont mis en avant par les acteurs du projet. La mairie semble prôner un projetpour les habitants. Elle met en avant la rhétorique mondialisée de la participation, de lagestion du changement... Même si dans les faits, il s’agit d’un projet architectural. C’estce que présente KIPTAS. D’après le document de KIPTAS, on fait fi de l’existant, aussibien du bâti que des habitants. Les discours ressortant de la presse vont également dansce sens. On parle d’embellissement, de tourisme, de prise en compte de l’histoire. Enfin,le discours de l’architecte semble indiquer que la motivation principale du projet seraitde spéculer, d’accueillir une population plus riche, et ainsi de jouir d’une image plus mo-derne.

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II.B La loi 5366 comme outil puissant de la politique de Kentsel Dönüsüm

B La loi 5366 comme outil puissant de la politique deKentsel Dönüsüm

Le projet de Süleymaniye n’est pas isolé à Istanbul. Il répond à une politique plus gé-nérale de transformation urbaine, ou kentsel dönüsüm, qui touche principalement les quar-tiers dégradés du centre-ville et les quartiers spontanés en périphérie. La carte ci-aprèsdonne un aperçu de l’ampleur de cette politique de transformation à Istanbul. Il s’agitdésormais de comprendre cette politique et le cadre juridique sur lesquels elle s’appuie,afin de mieux comprendre ses critiques. Comment le projet de Süleymaniye répond-il àce cadre politico-juridique ?

FIGURE II.7: Carte des projets de rénovation sur la rive européenne. Source : (AGFE,2009)

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CHAPITRE II. DIMENSION POLITIQUE DU PROJET CRITIQUÉE

B.1 La notion de Kentsel Dönüsüm

L’expression « Kentsel Dönüsüm » signifie littéralement « transformation urbaine ».Elle est utilisée depuis 2001, date qui correspond à la montée en puissance de l’AKP. Laréférence est anglaise. Cette notion emprunte plus à l’urban regeneration qu’au renouvel-lement urbain français dans la mesure où même si l’initiative du projet est publique, saconduite est souvent déléguée à une entreprise privée (Pérouse, 2007). L’idée de transfor-mation urbaine est plus radicale que celle de régénération urbaine. Dans la notion de «régénération », on perçoit l’idée de réactiver des ressources existantes, l’idée de transfor-mation est plus profonde. Quatre étapes sont à retenir dans l’émergence du terme, de lanotion et des projets de rénovation :

– 2001-2003 : Les municipalités de Küçükçekmece et de Zeytinburnu font appel àcette expression pour la première fois pour exprimer leur projet de rénovation. Dansle cas de Küçükçekmece, il s’agit de réaliser une mise aux normes d’un bâti illé-gal, alors que dans le cas de Zeytinburnu, l’argument est de pallier aux risquessismiques.

– En mars 2004, l’AKP 8 est élu et connaît un grand succès aux élections locales. Cesélections sont suivies en septembre d’un colloque à Küçükçekmece qui insiste surla nécessité de nettoyer la ville. La politique de Kentsel Dönüsüm est annoncée etlégitimée. C’est à partir de ce moment que les projets de rénovation explosent danstout le grand Istanbul.

– 2004-2005. La montée en puissance de deux Institutions s’opère : le TOKI, quis’approprie ce slogan, cette politique ; et l’IBB (Municipalité du Grand Istanbul) quicréé fin 2004 une "direction des transformations urbaines". Cette nouvelle structureremplace la "direction des nouvelles implantations".

– Enfin, en 2005 apparaît l’IMP (agence de planification de la ville), qui planifie entreautres les zones de renouvellement urbain. Cette agence de planification est financéepar BIMTAS qui est la plus importante des entreprises privées de la mairie. On luiconfie la planification et le "design urbain". Il est d’ailleurs intéressant de noter ceglissement entre planification et design urbain (ou façadisme). Ces dénominationssont significatives.

Le sens donné à cette expression éclate. Elle prend quatre dimensions :

8. L’AKP est le Parti pour la justice et le développement (Adalet ve Kalkinma Partisi). C’est un partiislamo-conservateur. Il est au pouvoir en Turquie depuis 2002 avec les élections parlementaires. Son succèsest confirmé en 2004 avec les élections locales. Son président, l’ancien maire d’Istanbul Recep TayyipErdogan, est depuis le 14 mars 2003 le premier ministre de la Turquie.

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II.B La loi 5366 comme outil puissant de la politique de Kentsel Dönüsüm

– Kentsel Dönüsüm en tissu urbain historique (pour la péninsule historique)– Kentsel Dönüsüm pour lutter contre risque sismique (c’est l’exemple Zeytinburnu)– Kentsel Dönüsüm pour la transformation du tissu urbain spontané (comme à Kü-

çükçekmece)– Kentsel Dönüsüm pour la désindustrialisation (pour l’arrondissement de Kartal par

exemple) 9

Deux étapes clés sont à noter dans le développement de cette politique. D’une part,l’étape juridique qui constitue peu à peu un cadre propice au développement des projets detransformation par les municipalités d’arrondissement. Plusieurs lois sont votées depuisl’arrivée au pouvoir de l’AKP qui accroissent les compétences des municipalités et deTOKI en matière de gestion foncière, de planification urbaine. . . 10 La plus emblématiqueétant la loi 5366.

D’autre part, la municipalité du grand Istanbul (IBB) a organisé en novembre 2004un évènement s’intitulant : « Istanbul 2004 International Urban Regeneration Sympo-sium ». Ce colloque, préparé par IBB, la municipalité de Küçükçekmece et la chambredes planificateurs urbains d’Istanbul (SPOIST) 11 , devait permettre à ces acteurs turcs del’urbanisme de définir la notion de « Kentsel Dönüsüm » (transformation urbaine), ainsique ses modalités d’application. C’est d’abord cet évènement, avant le vote de la loi, quiassoit l’expression et la politique de Kentsel Dönüsüm à Istanbul. L’argument qui est misen avant durant ce colloque est notamment la lutte contre le risque sismique, argumentutilisé par les pouvoirs publics pour justifier divers projets urbains depuis le tremblementde terre de 1999 qui marqua les esprits. Ce colloque a notamment permis aux pouvoirspublics turcs de faire du problème des gecekondus un obstacle aux ambitions de compé-titivité sur la scène mondiale. Erdogan Bayraktar, président de TOKI, a d’ailleurs déclaréen 2007 : « La Turquie ne peut pas évoquer le développement sans résoudre le problèmedu gecekondu. Les racines du terrorisme, du stupéfiant, de la réaction envers l’État, despsychologies négatives, du manque d’éducation et des problèmes de santé se trouvent,comme on le sait, dans les gecekondu. La Turquie doit être sauvée de l’urbanisme illégal

9. Les anciens sites industrialo-portuaires de Pendik, dans l’arrondissement de Kartal font l’objet d’unprojet de rénovation réalisé cette fois par Zaha Hadid, architecte à la renommée internationale. Il s’agit defaire de cet ancien site un quartier pour le développement du tertiaire supérieur, comprenant des businesstowers, des restaurants et hotels de standing, une marina...etc.

10. La référence est faite aux lois 5393 : la nouvelle loi sur les municipalités, Loi sur le Transfert de laDirection générale du Bureau du foncier modifiant les lois sur le Logement collectif et sur le Bureau dufoncier, n˚5273, toutes deux votées en 2004.

11. Cette chambre de professionnels de l’urbanisme est à ne pas confondre avec la chambre des archi-tectes qui est totalement opposée à la politique de renouvellement urbain.

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CHAPITRE II. DIMENSION POLITIQUE DU PROJET CRITIQUÉE

et des constructions qui ne résisteraient pas à un tremblement de terre » (ElectrOUI n˚31,traduction française : Hamdi Gargin). Enfin, le rapport officiel du colloque conclut endisant qu’ « un des problèmes les plus importants dans la rénovation urbaine est l’ajuste-ment sociologique. Nos villes ont été sujettes à d’énormes vagues d’immigration durantles 25 dernières années. La majorité des migrants viennent de régions rurales et se sontimplantés de préférence à côté de ceux qui avaient la même origine qu’eux. La plupart ontomis de reconnaître la culture du vivre en ville bien qu’ils aient été des habitants urbainsdepuis longtemps. C’est le plus gros obstacle à la rénovation urbaine » 12. La compositionsociale des quartiers est ici vu comme un obstacle et non comme un objectif. Les autoritésturques confirment leur engagement dans cette politique en se dotant d’un outil puissanten 2005 : la loi 5366.

B.2 La loi 5366 comme outil puissant favorisant l’application de lapolitique de transformation

La loi 5366 sur « la régénération, la protection, et le renouvellement des biens immobi-liers culturels et historiques dégradés » est votée le 16 juin 2005 par la Grande Assembléenationale turque (TBMM) dans la perspective de légitimer la politique de renouvellementà l’œuvre depuis les années 2000. Elle légalise, officialise et légitime les interventions derenouvellement urbain de plus en plus radicales par les pouvoirs publics turcs à l’encontredes quartiers spontanés, mais aussi des quartiers historiques dégradés. Cette tendance aurenouvellement urbain découle des ambitions des autorités turques de « promouvoir Is-tanbul au rang de "ville internationale", "attractive" et "compétitive" » sur la scène mon-diale, en « mettant l’organisme urbain aux normes internationales » (Pérouse, 2007). Elles’illustre par une nette augmentation du nombre de démolitions depuis les années 2000.

C’est dans ce « mégaprojet urbain » qui vise à internationaliser l’économie stambou-liote que s’inscrit dorénavant la politique de transformation urbaine qui consiste à rénover

– à démolir en réalité – les quartiers classés zone de renouvellement. Ces quartiers ne cor-respondent pas à l’image d’une ville « moderne » que les autorités politiques veulentdonner (Petit, 2009).

Dans le texte, la loi stipule notamment que 13 :

– Les zones à rénover sont déterminées au niveau municipal, puis votées en conseildes ministres. Notons que depuis un amendement datant de juillet, l’approbation de

12. The International Symposium On Urban Regeneration, a Küçükçekmece Workshop, 200413. D’après la traduction du texte législatif par Hamdi Gargin dans l’ElectrOUI n˚26.

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II.B La loi 5366 comme outil puissant de la politique de Kentsel Dönüsüm

la zone en conseil des ministres n’est plus nécessaire jusqu’à une certaine taille.– La mise en œuvre de ces projets peut être effectuée par la mairie ou déléguée à toute

personne morale comme le TOKI, ou KIPTAS.– L’évacuation, la destruction et l’expropriation des bâtiments à l’intérieur des zones

de renouvellement se font de communs accords. En l’absence d’un accord, les bienspeuvent être expropriés.

– Les zones à renouveler sont exemptes des obligations de la loi 4734 sur les appelsd’offres (Kamu Ihale Kanunu).

– Toutes les lois locales contredisant la loi 5366 ne sont pas exécutoires dans la zonedésignée de restauration et de conservation

Ainsi, la loi 5366 contrevient à la loi 2863, sur la protection et la conservation dessites et monuments historiques, en la rendant inapte dès lors qu’on se situe en « zone derenouvellement ». Cette loi 2863 était liée à un acteur central : le Conseil de protection auministère de la Culture et du Tourisme, qui se voit désormais doublé, en situation de zonede renouvellement, par le Conseil du renouvellement. Le vote de cette loi court-circuitealors un jeu d’acteurs et un système de protection en place.

C’est ce colloque et la loi qui légitiment a posteriori les projets de transformationmenés depuis les années 2000 et accélèrent le processus. Enfin, notons que cette politiqueest aussi largement liée au tourisme et aux ambitions de faire d’Istanbul une ville moderneet internationale. Elle est révélatrice d’une compréhension de la notion de patrimoinedifférente de l’acceptation européenne.

B.3 De la planification au design urbain

Cette loi, transférant de grandes responsabilités aux mairies d’arrondissement, parti-cipe à assoir le glissement qui se fait de la planification générale vers le projet ponctuel, àl’échelle de l’îlot, de la rue. On l’appelle aussi design urbain. En effet, les projets conçusdans le cadre de cette politique ou de cette loi ne sont pas soumis à la conformité nimême la compatibilité d’un plan plus général, les encadrant. La planification s’est peu àpeu soustraite à la décoration urbaine. Par exemple, depuis 2004, l’UNESCO demandequ’un plan intégré de gestion soit mis en œuvre sur la péninsule historique, échelle res-tant relativement modeste. Il n’a jamais été conçu. À la place de ce plan, sont lancés desprojets ponctuels de restauration, de construction. . . On note un glissement de la planifi-cation urbaine vers le design urbain à des fins économiques. Globalement, les travaux del’agence de planification de la municipalité métropolitaine (IMP) connaissent également

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CHAPITRE II. DIMENSION POLITIQUE DU PROJET CRITIQUÉE

depuis 2007 un glissement vers des projets de rénovations ponctuels utilisant le faça-disme (placage en bois cachant une armature en béton, colonnades, frontons. . .) Ainsi,parcelle par parcelle, la péninsule historique connaît un nouvel âge de rénovation. Le bâtiou l’architecture « banal » connaît sa quatrième phase de transformation (après incendie,reconstruction des années 30-40, puis 60-70). La « Politique de Yenileme » (-rénovation)ou de Kentsel Dönüsüm (-transformation urbaine) va également dans ce sens puisqu’ils’agit d’agir à coup de « zone de renouvellement » et non pas par un « plan de gestionintégré ». La loi 5366 sur le renouvellement des zones historiques légitime ça en donnantle pouvoir aux municipalités de créer leurs zones de renouvellement.

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II.C Critiques : les réactions de la société civile

C Critiques : les réactions de la société civile

Enfin, la dimension politico-juridique des projets est fortement critiquée. De nom-breuses réactions, oppositions et manifestation de la société civile sont remarquables de-puis les années 2000. Si les municipalités semblent très puissantes, armées de la loi 5366,il leur arrive de reculer face à l’organisation de mouvements pour la défense des droitsdes habitants. Des groupes d’activistes, des professionnels, ou même des organisationsinternationales se sont formés et tentent de lutter contre ces projets de rénovation danstout Istanbul. Un signe de la visibilité de ces réactions est le fait que les projets semblentde plus en plus médiatisés. Les exemples de Sulukule, Fener et Balat ou encore Ayazmaen périphérie, ont eu des échos jusqu’en Europe. Cela s’explique d’une part, car ils sontmajoritairement des quartiers de minorités ethniques ou religieuses. Sulukule était connupour être le plus ancien lieu d’implantation Rom, Fener et Balat étaient les quartiers grecet juif de la péninsule historique. . . D’autre part, ces projets ont été médiatisés, car ilsont subi de fortes oppositions de la part de la société civile qui s’est organisée contre cesprojets et s’est vue soutenue par des organisations internationales. Il s’agit toutefois denoter que, mis à part ces quelques projets, les projets de transformation restent en généraltrès peu médiatisés et connus. Quels sont ces cadres de la société civile ? Qu’en est-il deSüleymaniye où les habitants eux-mêmes ne sont pas mobilisés ?

C.1 Les organisations stambouliotes

C.1.1 La chambre des architectes comme contre balancier des projets

14

La chambre des architectes est une chambre professionnelle publique. Son directeurest élu et sa mission est de défendre les intérêts publics. Elle est engagée contre les projetsde rénovation et surtout contre la loi 5366 qui ne tient pas compte des lois précédentes,et notamment de la loi 2863 sur la protection des monuments historiques. Sachant queseul un parti politique peut lancer un procès contre une loi, la chambre des architectescontourne ce obstacle. Elle lance des procès contre les projets de rénovation et contreles mesures d’expropriation pour essayer de faire supprimer la loi 5366. Par exemple, en2007, La chambre lance un procès auprès du Tribunal administratif d’Istanbul, contre laprocédure d’"expropriation urgente", employée dans le cadre du projet de rénovation de

14. D’après un entretien avec Mücella Yapıcı, membre de la chambre des architectes. Entretien le 21 juin2010.

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CHAPITRE II. DIMENSION POLITIQUE DU PROJET CRITIQUÉE

Sulukule. L’expropriation urgente n’est normalement utilisable qu’en cas de catastrophenaturelle ou de guerre. La chambre des architectes a obtenu gain de cause et, grâce à ceprojet, les procédures d’expropriations inhérentes aux projets de rénovation, ne peuventplus être d’urgence. La chambre reproche également aux Conseils de renouvellement,qui prend la place du Conseil de protection depuis la loi, de n’être composés que de trèspeu d’experts en urbanisme. Sur sept personnes, seuls trois sont experts en urbanisme ouarchitecture. Enfin, ils n’ont pas lancé de recours contre le projet de Süleymaniye, car ilsont très peu d’éléments sur ce projet et le fait que les habitants ne soient pas mobilisés neles encourage pas.

C.1.2 Les associations d’activistes : IMECE, DA. . .

Depuis le vote de la loi, mais de façon générale, depuis les années 2000, de nombreuxindividus se sont mobilisés contre les différents projets de rénovation. Ils sont majoritai-rement de jeunes intellectuels de l’urbanisme, étudiants, professionnels ou universitairesqui militent pour la protection et la défense du patrimoine historique et culturel, des res-sources naturelles et de la diversité sociale d’Istanbul. Souvent de sensibilité politiquede gauche et de références idéologiques marxistes, ils condamnent les politiques écono-miques et foncières néolibérales mises en œuvre à Istanbul. Ils sont opposés politiquementau parti AKP et à ses principales figures – Recep Tayyip Erdogan (président de l’AKP,premier ministre et maire du Grand Istanbul de 1994 à 1998), Kadir Topbas (maire duGrand Istanbul depuis 2004) ou encore Erdogan Bayraktar (président de TOKI depuis2002) – jugés responsables de l’élaboration et de la mise en œuvre de cette politique detransformation urbaine d’Istanbul. Ces mouvements s’appuient sur les mobilisations deshabitants pour lutter contre les projets de rénovation. Ils ont pour ambition de mettre enlien les quartiers touchés, et ainsi leurs habitants afin qu’ils agissent tous ensemble en neportant qu’une voix. (Petit, 2009)

Or, malgré ces ambitions communes et leur proximité idéologique, ces mouvementspeinent à travailler ensemble. Leur méthode et échelle d’action diffèrent et sont ainsi desobstacles à leur travail en coopération. Par exemple, l’IMECE (Mouvement d’urbanismede la société) et le Dayanısmacı Atölye (Atelier solidaire) sont deux mouvements trèsactifs dont les mobilisations se font plus sur un registre concurrentiel que coopératif. Lepremier est une organisation politisée et radicale qui prône une politisation des actions,tandis que le deuxième se revendique être une initiative civile. L’IMECE prône une coa-lition avec les syndicats ou partis politiques, c’est en partie cela qui les sépare des autres

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II.C Critiques : les réactions de la société civile

mouvements urbains. Le DA préfère soutenir la mobilisation des habitants en les aidant àconstruire leur propre plan urbain pour négocier avec la municipalité.

Dans les deux cas, ces groupes sont plus des rassemblements de militants que desassociations à fort capital. Lancer des procès contre les projets ne leur est pas possible.L’IMECE a gagné quelques ressources grâce à la labellisation en 2008 d’un documen-taire réalisé sur le projet d’Ayazma. Cela leur permet de soutenir des campagnes de ré-sistance face aux projets 15. Ces deux mouvements viennent en soutien des mobilisationsdes habitants et les aident dans leur démarche. Pour cette raison, ils n’interviennent pas àSüleymaniye.

C.2 Les institutions ou collectifs internationaux (UNESCO, UN-Habitat,No-Vox. . .)

C.2.1 L’UNESCO

Plusieurs institutions internationales comme l’UNESCO ou UN-Habitat font part dece débat. Les rapports de missions de 2006, 2008 et 2009 de l’UNESCO montrent biencomment le comité de patrimoine mondial menace depuis 2004 de placer Istanbul sur laliste du patrimoine en danger, en partie à cause de ces projets de rénovation qui se font,d’après ces rapports, dans l’irrespect des aspects sociaux et historiques de la péninsule.Dans le rapport de 2009 notamment, le comité du patrimoine mondial déclare que : «Parmi les nouvelles dispositions financières et juridiques mises en place récemment [enTurquie], les projets conçus et mis en œuvre dans le cadre de la loi 5366 (. . .) sont aucentre des préoccupations, car ils pourraient entraîner de graves pertes d’authenticité dessites concernés. Les démolitions des maisons de la minorité rom à Sulukule indiquentle potentiel destructeur de tels projets. » (Mission report 2009, p 139) Cette loi mena-cerait alors les quartiers de Sulukule, Süleymaniye, Yenikapı, Fener-Balat et Tarlabası.D’ailleurs en 2006, le comité du patrimoine mondial déclare « [constater] avec inquié-tude la dégradation et la disparition des maisons en bois de Zeyrek et Süleymaniye (...)[le comité demande à l’État turc d’appliquer d’urgence les recommandations telles que]soumettre, avant 2008, un projet révisé de rénovation de Süleymaniye pour établir un plande mise en œuvre de la conservation de Süleymaniye, dorénavant centré sur la conserva-tion des bâtiments existants possédant une valeur patrimoniale » 16 Pour confirmer ces

15. D’après un entretien avec Ezgi BAKÇAY ; membre fondatrice deI MECE et réalisatrice du documen-taire de 2008 ; entretien le 10 juillet 2010.

16. whc.unesco.org/fr/decisions/1159.

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CHAPITRE II. DIMENSION POLITIQUE DU PROJET CRITIQUÉE

remises en cause, la politique de renouvellement, initiée par la loi 5366, figure parmiles quatre causes retenues du classement d’Istanbul sur la liste du patrimoine danger enjuillet 2010. Dès lors, il s’agit de se demander quel rôle peuvent avoir de telles institu-tions. L’UNESCO, ici, semble n’être qu’une force morale. Ses menaces sont effectivesdepuis 2004 et n’ont pas changé la politique menée par Fatih. Notons par ailleurs que cedéclassement n’a été que temporaire en juillet 2010. La rapidité du retour sur sa décisiondu comité du patrimoine mondial interroge.

C.2.2 UN-Habitat

En ce qui concerne UN-Habitat, une mission 17 sous la direction du professeur YvesCabannes remet également en cause le vote de la loi 5366. Trois points d’achoppementressortent de la mission :

– Une dimension sociale négligée. D’après le groupe consultatif, la loi ne prendrait enconsidération que la dimension physique, voire architecturale, des quartiers, alorsmême que dans la loi 5226 de 2004 est introduit la nécessité de penser le dévelop-pement économique en même temps que le développement social dans des plans

de gestion de site.– Le manque de participation et la toute-puissance de la municipalité d’arrondisse-

ment. La mairie est le seul acteur dominant du processus de rénovation. Elle décidede la localisation de la zone de renouvellement, produit, approuve et met en œuvreles projets.

– La violation du droit de propriété. Le pouvoir d’exproprier mentionné dans la loilaisse deux options aux propriétaires. D’une part, le propriétaire peut accepter leprojet et en devenir partenaire en acceptant les travaux et en payant la différenceà la municipalité. Si cela est au-delà de ses moyens, ce qui est quasiment toujoursle cas d’après le groupe consultatif, il peut vendre son bien à la municipalité etquitter le quartier. « Aucun résident ne peut devenir partenaire du projet et presquetous vendent et déménagent, ce qui ressemble à un accord avec la municipalité,mais qui est en fait le processus d’une éviction forcée » (AGFE, 2010). En outre,le rapport de mission critique le fait qu’en plus d’avoir le pouvoir d’exproprier, lesautorités locales peuvent revendre les biens acquis à un tiers. Cette remarque remeten question la question de l’intérêt public des projets de transformation.

17. un groupe consultatif (AGFE, Advisory group on forced evictions) mena une mission, du 8 au 12 juin2009, dans tout le Grand Istanbul concernant les évictions forcées

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II.C Critiques : les réactions de la société civile

Ainsi, par l’intermédiaire de cette mission, UN-Habitat condamne également cette loi.Or, contrairement à l’UNESCO qui a demandé à plusieurs reprises aux autorités turquesnationales et locales de revoir leur politique de transformation urbaine, UN-Habitat apublié ce rapport. Un entretien avec Cihan BAYSAL, membre du groupe consultatif, nousa révélé que le groupe de la mission avait alerté la direction d’UN-Habitat des pratiquesdes autorités turques, du gouvernement et de la ville, et lui avait demandé d’intervenir. Ladirection n’aurait pas tenu compte de cette demande. D’après Cihan, le plus déplorableest qu’UN-Habitat a attribué un Award de Best Practises en 2009 à l’agence TOKI pourun projet de transformation dans un quartier entre l’aéroport d’Ankara et le centre-ville. «Ils ont construit des immeubles à la place de gecekondu et y ont replacé une grande partiedes habitants, c’est sans doute pourquoi ils ont reçu le prix. Sauf que dans la réalité, çane se passe pas comme ça. Les gens n’ont pas pu payer les loyers, ils ont rendu les cléset sont partis faire d’autres gecekondus du côté d’Edirne, comme ce qu’il s’est passé àSulukule finalement, les gens sont revenus autour. Ils ne peuvent pas payer ces loyers, etaussi, ils ne peuvent pas vivre du jour au lendemain dans les immeubles de 15 étages.Des enfants se sont défenestrés comme à Tasoluk. Ils ont mis le feu en cuisinant. . . Etpsychologiquement c’est violent pour eux. » 18

C.2.3 Le Forum Social européen

Enfin, des manifestations internationales comme le Forum Social européen (FSE)s’inscrivent aussi dans ce débat. Contrairement aux institutions internationales présentéesen amont, les manifestions internationales sont souvent militantes et ont pour objectifsde coordonner plusieurs organisations, de mutualiser leurs expériences et d’organiser desluttes collectives contre le néo-libéralisme témoignant d’une solidarité internationale. LeFSE, cette année 2010, s’est tenu à Istanbul du 1er au 4 juillet. No-Vox, Plateforme fran-çaise créée à Florence lors du premier FSE en 2002, se définit comme un réseau de mou-vements et d’associations de luttes de base contre le néo-libéralisme et pour la défensedes droits humains, qui cherche à faire émerger une identité commune des Sans (sans tra-vail, sans toit, sans terre, sans papier, sans ressource, etc.) à travers la construction d’unmouvement mondial. Ayant eu connaissance du documentaire réalisé en 2008 par IMECE- le mouvement d’urbanisme de la société, No-Vox s’est intéressé au sort d’Istanbul et aparticipé à des actions communes (visites, débats, projection de documentaires) avec les

18. Cihan BAYSAL, membre de l’AGFE, experte en droit et sciences politiques. Entretien mené le 20juillet.

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CHAPITRE II. DIMENSION POLITIQUE DU PROJET CRITIQUÉE

associations de quartier et d’autres collectifs comme IMECE.

Pour conclure, notons que la loi 5366 est fortement critiquée, et ce, au-delà des fron-tières. Ces réactions de la société civile prennent diverses formes. Certains militent, d’autresnégocient, ou introduisent des recours en justice, ou encore publient des rapports. Les ef-fets de ces mobilisations sont encore limités, elles n’entravent pas, comme elles le souhai-teraient, la politique de transformation urbaine. Nous voyons à cet égard que les projetsse multiplient dans tout le Grand Istanbul (cf. Carte des projets). Toutefois, elles restentfédératrices et parviennent quelquefois à retarder les projets ou à les médiatiser, comme àSulukule par exemple. En ce qui concerne Süleymaniye, il est clair que le fait que les ha-bitants ne se soient pas mobilisés rend le projet moins visible et plus difficile à gérer auxyeux des activistes. La loi 5366 est la force des projets de rénovation dans le sens où elledonne quasiment tous les pouvoirs aux mairies d’arrondissement qui peuvent réaliser cesprojets de manière efficace. Or, elle en sera peut-être la faiblesse, dans le sens où de plusen plus d’organisations stambouliotes ou internationales s’y opposent et la condamnent.

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Chapitre III

Des modalités d’application radicalesau service d’enjeux privés et identitaires

Enfin, le projet de Süleymaniye s’il s’inscrit complètement dans le cadre de la po-litique de transformation urbaine qui se déploie depuis les années 2000, reste singulier.Comme vu dans la première partie, le quartier revêt une dimension symbolique et identi-taire qui lui est propre. Comment ce projet se déploie-t-il dans un contxte aussi particu-lier ? Nous verrons dans ce chapitre que si le principe de la rénovation est difficilementcriticable, ses modalités d’action semblent être particulièrement brutales.

A Façadisme et néo-ottomanisme : une vision singulièredu patrimoine

Comme défini en introduction, les acteurs du projet de Süleymaniye font aussi bien ré-férence à la restauration dans le discours, qu’à la rénovation, pour ce qui est des méthodes.Il s’agit désormais de regarder comment sont mis en œuvre ces pratiques.

A.1 Les méthodes de la rénovation critiquée

Si la référence au patrimoine ottoman est perceptible dans le discours, on remarque ra-pidement que la conservation ne sera pas la méthode employée. À Süleymaniye, ce mixteentre restauration et rénovation prend la forme de ce que certains appellent le façadisme,et que nous appellerons le style néo-ottoman. En effet, le façadisme suppose qu’on gardela façade originale du bâti et qu’on change le reste (l’intérieur, la fonction. . .). Par néo-

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

ottoman, nous entendons la reprise des principes architecturaux de la maison ottomane,ou konak, mais en modifiant les matériaux et en agrandissant les proportions 1. Certainsartciles de journaux titrent : le dysneyland ottoman (Hürriyet, le 6.08.2010, Cengiz Ak-tar). Toutefois, pour certaines réhabilitations effectuées par le KUDEB, les méthodes em-ployées s’apparentent à du façadisme comme le montre la figure III.1. Seule la façadeest rénovée en néo-ottoman, le reste du bâti demeure tel quel, à la charge du propriétaire.Encore une fois, ici, la façade est rénovée et non réhabilitée, elle est souvent détruite puisreconstruite. Mais l’expression façadisme est utilisable dans le sens où l’agence KUDEBne s’occupe en général que de la façade.

FIGURE III.1: Exemple de façadisme. Source : photo prise en juin 2010

L’enquête semble aller dans le sens de cette intuition.

« Quand on dit qu’on refait la façade, ce n’est même pas en fonction

de l’état initial. On utilise des matériaux non nobles pour tirer les prix vers

1. À l’image des maisons construites à Bussy-St-George par l’EPAMARNE pour lesquelles on reprendles principes de l’architecture haussmannienne, avec des matériaux différents de la pierre de taille, façoncarton-pâte.

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III.A Façadisme et néo-ottomanisme : une vision singulière du patrimoine

FIGURE III.2: Façade rénovée par KUDEB. Source : photo prise en juin 2010

le bas. Mais dans 10 ans, ça ne vaudra plus rien ! Quand tu frappes sur le

bois, ça ne fait pas le bruit du bois. Il y a de l’air à l’intérieur. Dans deux

ans, ça commencera à se dégrader. Ce projet c’est de l’arnaque. On dit qu’il

s’agit de reconstruire l’ancien Süleymaniye. Et pour faire ça, ils construisent

des façades sur des bâtiments en béton. À côté de chez moi par exemple, ils

n’ont rénové que la façade, le corps du bâtiment est resté tel quel en béton. »Monsieur F

« KIPTAS est l’agence métropolitaine qui est chargée de concevoir le pro-

jet de rénovation urbaine. Il prévoit la destruction des bâtiments post 1950,

où des bâtiments qui paraissent ne pas être « Ottoman ». Or, beaucoup de

demeures sont détruites pour leur apparence extérieure en béton, alors que

cette façade était accolée à une façade en bois plus ancienne. Les architectes

de KIPTAS ne rentrent (même) pas à l’intérieur de la maison pour décider si

le bâtiment peut être rénové, réparé ou pas. Sur certaines maisons le crépi

dégradé laisse entrevoir une façade en bois antérieure. Ainsi, ce projet dras-

tique ne tend à conserver qu’une part infime de l’histoire ; une idée, un mo-

ment de l’architecture ottomane qui ne sont absolument pas fondés sur une

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

quelconque vérité historique. Mais également, il en détruit une grande part

par négligence [KIPTAS ne vérifie pas si le bâti est initialement construit en

bois ou en ciment] ou volontairement. » Monsieur Y.

Dès lors, il s’agit de s’interroger sur ces méthodes. Il en résulte une perte irrémédiabledu patrimoine de Süleymaniye. Les maisons en bois du quartier sont classées aux registresnationaux et au patrimoine mondial de l’UNESCO. Toutefois, l’état du bâti dans le quar-tier est très dégradé comme nous l’avons montré dans le chapitres I.C. Il s’agit dès lors dese demander si réhabiliter une bâtisse en bois est réalisable et dans quelles conditions.

Quelques réhabilitations privées -très peu en définitive- ont été effectuées dans le quar-tier par les propriétaires eux-mêmes. Cela montre que ces maisons en bois peuvent enpartie être réhabilitées. L’expérience de Monsieur Y à ce sujet est révélatrice d’un jeud’acteur particulier. Monsieur Y est un architecte qui a acheté une maison à Süleymaniyepour la réhabiliter lui-même. Il a également réhabilité celle de son voisin. Le Conseil deprotection ne leur a jamais donné de permission pour effectuer les travaux. Ils sont restésun an sans nouvelles. Ce n’est que lorsque Süleymaniye est passé en zone de renouvelle-ment en 2006 qu’ils ont reçu le permis pour réaliser la réhabilitation. À cette occasion, lamairie a décidé à son tour de réhabiliter les trois autres maisons de la rue. Cette rue est laseule rue de Süleymaniye où les maisons sont réhabilitées.

«Cette réhabilitation a été de notre propre initiative, moi et mon voisin.

Nous avons voulu réhabiliter trois maisons, les nôtres plus une autre de la

rue. Ça a commencé en 2005. Pour cela, on s’est tourné vers le conseil de

protection des monuments historiques. Ils nous ont laissés sans réponse pen-

dant 13 mois ! Sans rien. Et en 2006, Süleymaniye est déclaré zone de renou-

vellement avec la loi 5366. Notre rue fait partie du périmètre. Le KUDEB a

demandé à nous voir, et ils nous ont donné la permission en un mois. On a été

très étonné que ça aille si vite. Avant c’était complètement bloqué, peut-être

parce qu’ils savaient que ça deviendrait une zone de renouvellement. Donc

on a pu commencer le projet de restauration vers 2006. Et la municipalité

a voulu poursuivre notre action sur les trois autres maisons de la rue, avec

KUDEB. En ce qui nous concerne, on n’a rien reçu comme aide ou soutien

financier ou autre de la part de la mairie ou KUDEB, seulement leur permis-

sion. En revanche, ils ont poursuivi la réhabilitation de trois autres maisons

sur leur budget, ou grâce à des sponsors, on ne sait pas trop. » Monsieur Y.

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III.A Façadisme et néo-ottomanisme : une vision singulière du patrimoine

FIGURE III.3: Réhabilitation privée d’une rue par l’architecte Monsieur Y. Source :photo prise en juin 2010

Bien que la réhabilitation de ces maisons ait été faite et approuvée par l’agence KU-DEB en 2006, l’architecte reste inquiet de la tournure du projet.

« Votre maison étant dans le périmètre de KIPTAS, pensez-vous que vouspourriez être menacé de devoir changer quelque chose ? - Oui bien sûr j’ai

cette crainte. Même si on est en règle. Je ne vois pas ce qu’ils pourraient

nous reprocher. On a un peu peur aussi du conseil de protection, qui ne nous

a jamais donné d’autorisation puisqu’il a été squeezé par le conseil de re-

nouvellement » Monsieur Y.

En outre, une association pour la sauvegarde des maisons en bois existe. Elle a mon-tré qu’il était possible de réhabiliter les maisons en bois avec des nouvelles technologiesen réparant deux konak à Zereyk. Faute de budget l’association tente désormais d’orga-

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

FIGURE III.4: Réhabilitation d’une rue réalisée par KUDEB. Source : photo prise enjuin 2010

niser des workshops, des formations pour sensibiliser la population aux techniques deréhabilitation des maisons en bois. Son rôle reste malgré tout très faible 2. La population,majoritairement locataire, n’est par ailleurs pas intéressée par ces workshops ou forma-tions. D’après Monsieur Y, en cas de tremblement de terre, les maisons en bois seraientbien plus flexibles que les autres. Ce propos remettrait ainsi en cause l’argument principalde la municipalité. Très peu de personnes vivant dans des maisons en bois auraient ététuées lors des différents tremblements de terre d’après lui. D’autre part, il souligne que laqualité de vie, de l’environnement, serait bien meilleure dans une maison en bois (moinsd’humidité. . .).

Enfin, si ces maisons sont, dans la pratique, réhabilitable, le choix de la mairie dedémolir, puis reconstruire, laisse penser que la réhabilitation coûte plus cher que la réno-vation. Nous n’avons pas pu avoir d’élément à ce sujet. Une autre hypothèse est à prendreen compte : l’option de la rénovation permet à la municipalité de construire des maisonsplus spatieuses. En effet, la figure III.5 le montre.

Pour conclure, les motivations de la municipalité pour employer les méthodes de larénovation restent floues. Cette pratique a été fortement critiquée par l’UNESCO et la

2. Ces informations ont été obtenues lors d’un entretien avec Emine Erdogmus, membre de l’associationpour la sauvegarde des maisons en bois, Turkish Timber Association.

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III.A Façadisme et néo-ottomanisme : une vision singulière du patrimoine

Cette maison est tout à fait disproportionnée par rap-port aux autres maisons et au style ottoman original.On remarque que la Cikma est bien plus haute et im-posante que les autres dans la même rue. De même,on note qu’il y a plus de dix marches à l’entrée au lieudes cinq traditionnelles. Le risque est que ces maisonsdisproportionnées se répandent, et modifient le tissuurbain.

FIGURE III.5: Maison réhabilitée disproportionnée. Source : photo prise en juin 2010

chambre des architectes. Toutefois, si ces méthodes sont critiquables, elles ne sont paschoquantes. La plupart des pays ont eu recours et ont encore recours à la rénovation,que ce soit en centre-ville ou en périphérie. En revanche ce qui nous interpelle dans cemémoire, c’est plutôt la violence de la mise en œuvre de ces méthodes auprès de la popu-lation et les évictions qu’elle implique.

Néanmoins, après les évènements de juillet 2010, le classement temporaire d’Istanbulsur la liste du patrimoine en danger, il s’agit de s’interroger rapidement sur les consé-quences d’un potentiel déclassement d’Istanbul de la liste du patrimoine mondial. Lecomité de l’UNESCO peut-il avoir une influence sur les méthodes employées ?

Une étude réalisée en 2008 sur les impacts socio-économiques de l’inscription d’un

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

site sur la liste du patrimoine mondial 3 a permis de montrer que l’inscription « n’a pasd’impact décisif sur le développement d’un site » (Prud’homme, 2008). Elle est perçuecomme une reconnaissance par ceux qui l’obtiennent. L’hypothèse qu’il existe une rela-tion de cause à effet entre l’inscription d’un site et son développement touristique est fortedans les esprits, d’après cette étude. Elle n’est cependant pas prouvée en réalité. L’étudemontre cela en comparant des binomes de sites à potentiel patrimonial équivalent, dontun seulement est inscrit au patrimoine mondial. Quatre exemples turcs sont analysés, dontdeux villes ottomanes que sont Safranbolu, classée à l’UNESCO, et Beypazarı, non enre-gistrée. La comparaison de ces deux villes, toutes deux composées de maisons ottomanesdu XVIIIème siècle, révèle que la labellisation UNESCO apporte une caution culturelle,et ce, surtout à des fins de promotion internationale. Cependant, elle implique égalementdes restrictions au nom de la protection du site. En effet, des règles sont à respecter entermes de constructions, de travaux, d’activités. . . Elles peuvent entraver certaines activi-tés économiques qui ne sont pas forcément contradictoires avec l’économie touristique.Beypazarı a su développer une filière commerciale de produits locaux qui participe vi-vement à son attractivité, même si celle-ci est plutôt locale, voire nationale. Enfin, cetteanalyse montre que l’inscription en elle-même a peu d’impacts socio-économiques. Tou-tefois, elle est souvent gage d’une caution culturelle sur la scène internationale, et en cesens peut-être facteur de promotion et d’attractivité. Le fait qu’Istanbul pourrait être pla-cée sur la liste du patrimoine en danger semblerait dès lors ne pas avoir de grandes consé-quences. Néanmoins, le non-classement, et le déclassement sont deux choses distinctes.Le déclassement montre implicitement qu’Istanbul n’a pas été digne de cette labellisation.La médiatisation de cet événement pourrait in fine nuire à son image.

A.2 Le choix du retour aux konaks paradoxal. . .

Le fait que les méthodes de rénovation soient critiquées ne fait pas l’originalité duprojet de Süleymaniye. En revanche, la volonté de la municipalité de « retrouver les an-ciennes konaks de Süleymaniye 4 » malgré ces méthodes est, elle, singulière. Pourquoivouloir reconstruire, ou plutôt construire, de l’ancien ?

La reconstruction du patrimoine est un phénomène qui prend de l’importance en Eu-rope tout au long du XXème siècle, notamment dans les pays de l’Est suite aux des-

3. Cette étude, commanditée par l’UNESCO, est réalisée par six chercheurs Rémy Prud’homme, MariaGravari-Barbas, Sébastien Jacquot, Magali Talandier, Bernard Henri Nicot et Burcu Ödzirlik (Prud’homme,2008)

4. Expression reprise de la presse.

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III.A Façadisme et néo-ottomanisme : une vision singulière du patrimoine

tructions de la Seconde Guerre mondiale. Des villes comme Ypres, Varsovie, Hambourg,Dresde, Berlin, Kiev, Moscou ont choisi de reconstruire ce qui avait été complètementdétruit par les guerres et les incendies. Plusieurs enjeux se mêlent ici : identitaires et pa-trimoniaux, esthétiques et architecturaux, touristiques et économiques. . . Ces enjeux sontbien souvent entrelacés, et il est difficile de les isoler les uns des autres. Toutefois, la ques-tion identitaire est d’autant plus à considérer que nous avons montré que Süleymaniye estun symbole pour l’Islam et le parti. Le patrimoine contribue à la construction de l’identitéd’un groupe, d’une génération. Dans la notion de patrimoine, la question de l’héritageest prégnante. Le patrimoine sert de lien entre les différentes générations, il perdure dansle temps et est un facteur de lien intergénérationnel (Choay, 1999). D’après F. Choay, lemonument est ce qui « interpelle la mémoire (. . .) Sa spécificité tient à son mode d’actionsur la mémoire ». Il aurait une dimension affective et contribuerait à maintenir l’identitéd’une communauté « en luttant contre l’angoisse de la mort et de l’anéantissement »,en assurant la continuité. Mais son rôle contemporain aurait changé et serait désormaissurtout d’ordre esthétique, sans épaisseur. En analysant les évolutions sémantiques du pa-trimoine, F. Choay en fait un problème de société, une clé d’entrée pour analyser la sociétémoderne et son devenir. « La valeur d’ancienneté tend à investir l’espace social qui étaittraditionnellement occupé par la religion » (A. Rielg, 1984, p128). En ce sens, l’ambitionde reconstruire des konaks serait une forme de lutte, à la fois esthétique et identitaire,contre l’oubli des valeurs musulmanes et ottomanes.

Korhan Gümüs 5 parle d’ « usages et mésusages du passé pour transformer la ville au-jourd’hui » (Gümüs, 2009). D’après lui, deux mouvements contradictoires ont influencéles aménagements urbains au XXème siècle en Turquie : l’ère républicaine et le retouraux nouveaux ottomans. La République est déclarée en Turquie en 1923. Cela marque unbouleversement pour Istanbul qui après avoir connu plusieurs ères religieuses, doit revê-tir un caractère laïc. Ankara prend sa place en tant que capitale administrative. C’est leprésident Mustafa Kemal Atatürk qui décide de changer de capitale, en partie pour desraisons politiques et symboliques. La République veut se séparer de l’Ancien Régime etde ses symboles, notamment celui de la capitale impériale. La basilique Sainte Sophie,devenue mosquée sous l’Empire ottoman, est transformée en musée depuis la proclama-tion de la République. Jusqu’aux années 1970, des aménagements urbains ayant commeambition de copier les capitales européennes se développent. Un changement politique et

5. Architecte, K. Gümüs était directeur des projets urbains au sein de l’agence 2010, pour l’événementIstanbul, Capitale européenne de la Culture 2010. Il participe également à des chroniques radio et publiedans des quotidiens turcs et des revues d’architecture.

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

de fait idéologique s’opère dans les années 1970. La République kémaliste est de plus enplus remise en cause. Nous développerons ce changement politique ultérieurement. Cequi importe ici est qu’il se traduit par des aménagements revendiquant le passé ottoman,plus ou moins dissimulé les années précédentes. Lors de l’ouverture d’un parc urbain,Erdogan, à cette époque maire d’Istanbul, déclare en 1997 : « La Turquie a besoin d’unnouvel esprit de conquête. Nous ne voulons pas que notre jeunesse grandisse avec unsentiment d’infériorité ; au contraire, nous voulons une jeunesse qui grandisse avec unevéritable confiance en elle. Et grâce à ce parc, elle le pourra. Nos enfants regarderont versle futur à travers notre glorieuse histoire et ils diront : voilà ce dont nous étions capables.

» Il ajoute « Ici, c’était une décharge publique. C’était une zone où rôdaient les sniffeursde solvants, les bandits urbains et les escrocs (. . .) C’est la porte par laquelle le 29 mai1453, ce glorieux chef victorieux [Topkapı], ce fameux militaire est entré dans Istanbul.C’est l’endroit où le premier soldat à franchir les remparts a planté le drapeau turc » 6

(Gümüs, 2009). Ce discours eut lieu juste avant le coup d’État postmoderne du 28 février1997, opéré par le mouvement islamiste turc, le Milli Görüs. Erdogan sera condamné àune peine de prison l’année suivante, après un second discours qualifié d’incitation à lahaine 7. D’après K. Gümüs le concept de conquête est une « métaphore puissante d’unnouveau siège du pouvoir des élites rejetées dans l’opposition, et exclues de la sphère di-rigeante ». Cette métaphore se concrétise avec la réalisation au sein de ce parc du fameuxmusée de la conquête. « Quel message peut-on chercher à transmettre aux Stambouliotes,aux enfants d’ici, dans le musée du Conquérant, avec ces flèches plantées dans les torses,ces têtes et ces bras coupés, et ces hommes dépecés et écrasés sous les remparts (. . .) ?L’un de ces soi-disant artistes ne pourrait-il pas interpréter l’événement sous un anglesubjectif, pacifiste ? » (Gümüs, 2009).

A.3 . . . en lien avec la montée en puissance de l’AKP

La dimension identitaire du choix des konaks est dès lors doublée d’une dimensionpolitique : assoir la domination du parti. Si nous avons montré dans la première partieque l’AKP était en train de monter en puissance, l’enquête révèle que le projet se seraitaccéléré depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP. Les qualités topographiques du site sontmises en avant pour exprimer l’attractivité, et les potentiels économique et touristique du

6. D’après la retranscription de K. Gümüs dans l’article susmentionné.7. « Les minarets seront nos baîllonnettes, les mosquées nos casernes, les croyants nos soldats », extrait

du discours qui valu à Erdogan une peine de prison en 1998. Souce : Wikipédia, consulté le 17 septembre2010.

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III.A Façadisme et néo-ottomanisme : une vision singulière du patrimoine

quartier.

« Ça va faire cinq ans que je suis au courant de ce projet. Depuis que la

municipalité n’est plus aux mains du Saadet et que c’est l’AKP qui détient le

pouvoir, le projet a accéléré » Monsieur A.

« Depuis 1985, il y a des projets prévus pour ce quartier par les mairies de

Fatih et Eminönü, mais rien de sérieux jusqu’à ce dernier. Il y avait des visites

et des paroles, mais là, ils ont détruit, exproprié. . . » Muhtar de Süleymaniye.

«Ce projet a été dessiné [initié] quand Erdogan était à la mairie, dans

les années 1990. Aujourd’hui qu’il est au pouvoir, ils peuvent le réaliser. Ce

projet des konaks de Süleymaniye date des années 1990 parce que Süleyma-

niye a une particularité. On dit qu’Istanbul a été construit sur des collines.

Süleymaniye est la plus haute de ces collines. Quand on est en haut de Sü-

leymaniye, on peut voir les quatre ponts : Galata, Unkapanı, Haliç, Bogaz.

Donc, ils vont construire des maisons très hautes pour les vendre vraiment

très cher. » Monsieur F.

En outre, l’objectif dissimulé de la mairie serait de loger dans ces konaks la bourgeoi-sie islamique émergente, les partisans du parti.

« On continue à jouer un jeu : on fait croire aux gens qu’on restaure,

mais ce n’est pas de la restauration. Le but est de délocaliser les gens d’ici et

de faire venir leurs partisans, devenus riches grâce au parti. Par exemple, la

pharmacie d’à côté garde son panneau Eczane 8 et fait ce qu’elle veut avec

son bâtiment, car ils sont partisans AKP » Monsieur F.

K. Gümüs a montré comment ce contexte politique pouvait se lire dans les aménage-ments urbains d’Istanbul. Comment pouvons-nous le lire dans le quartier de Süleymaniyeet son projet de rénovation ? Comme vu en première partie, la présence et les activitésdes deux fondations religieuses, KOCAV (Kültür Ocagı vakfı, fondation de la culture) etBilim vesana vakfi (fondations religieuses des sciences) est le signe que Süleymaniye oc-cupe toujours une place symbolique et idéologique aux yeux du parti et des partisans del’AKP. Un colloque sur le néo-ottomanisme, ou plutôt un symposium, s’est tenu à la BVVen 2007. Il prônait alors les bienfaits du projet. Ces deux fondations sont pour le projet,elles le défendent.

8. Eczane signifie pharmacie en turc. Monsieur F fait cette référence en comparaison à sa propre phar-macie. Il a reçu plusieurs amendes et menaces de la part de la municipalité qui l’obligent à vendre et partir.

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

Nous leur demandons s’ils connaissent le projet. « Bien sûr que je le

connais, car Süleymaniye est le quartier le plus historique d’Istanbul, c’est

comme un paradis sur terre, c’est le foyer de l’histoire ottomane, il faut re-

mettre la main dessus. Il est bien trop dégradé aujourd’hui.» (KOCAV)« La fondation KOCAV est une association de ‘’prostitués intellectuels”.

Malgré qu’ils sachent ce qui se passe, ils vendent des espoirs vains au peuple.

Ils font ça pour leur bénéfice. KOCAV c’est comme un autre bras de la mairie.

Ils sont soutenus par la mairie. » Monsieur F.« La première rangée de maisons qui a une vue sur la Corne d’Or ap-

partient à la fondation Eminonu Hizmet Vakfi, (Ahmet Celinsaya). Cette fon-

dation est un instrument de corruption, car elle est liée à la mairie : quand

les adhérents font un don à l’association, c’est comme s’ils le faisaient à la

mairie ! Ils récupèrent des maisons avec les dons, et essaient de placer leurs

adhérents (. . .) Je pense qu’ils [la mairie et KIPTAS] veulent faire un Nisan-

tası 9 pour les religieux. C’est une façon moderne de faire un ghetto pour

riches. Toute la péninsule historique sera à terme une énorme gated commu-

nities. Ils virent peu à peu les pauvres et les activités. On a essayé d’empê-

cher ça il y a longtemps. Mais on ne peut rien faire en fait. Les intérêts des

propriétaires et des locataires sont tellement différents. Regardez les prix du

café Haliç par exemple ! C’est complètement inapproprié au quartier ! Mais

peut-être que ça le deviendra. Le propriétaire du Haliç a dit que ce quartier

deviendrait le 2ème Ortaköy 10. Ce serait un désastre. Mais je ne pense pas

que ça arrive, car les riches ne voudront pas venir. Ils ont besoin de leur

voiture. . . Il n’y a pas de garage dans les maisons ottomanes. » Monsieur Y.

Pour conclure, les méthodes employées de la rénovation sont critiquées. Les destruc-tions, même si elles se font au détriment d’un patrimoine bâti reconnu, ne sont pas cequi rend le projet de Süleymaniye original. Tous les projets de rénovation d’Istanbul pré-voient cette étape. Néanmoins, le fait que la mairie prévoit d’y reconstruire des maisonsottomanes est plus singulier. Cela témoigne d’une ambition de créer un quartier identi-taire, symbolique. Il s’agit comme le slogan du projet l’annonce de « réanimer la cultureottomane ». Voyons désormais les enjeux économiques du projet et les modalités de son

9. Nisantası est un quartier bourgeois qui s’est développé à partir de la fin du XIXème siècle à Istanbul.C’est dans ce quartier que se trouvent la plupart des boutiques luxueuses comme Gucci, Louis Vuitton,Hugo Boss, Escada, Kenzo, Prada, Cartier, Hermes, Chanel. . .

10. Ortakoÿ est un quartier bordant le Bosphore en rive européenne. Monsieur Y y fait référence ici, caril est devenu au XXème siècle un véritable petit quartier touristico balnéaire.

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III.A Façadisme et néo-ottomanisme : une vision singulière du patrimoine

application auprès des populations locales.

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

B Enjeux économiques : l’immobilier à l’heure de la spé-culation.

Le maître d’œuvre du projet, KIPTAS, est une entreprise de la municipalité du grandIstanbul. C’est une société immobilière de construction. KIPTAS est à Istanbul ce queTOKI est à la Turquie. Nous nous inspirerons donc du contexte de la mise en place duTOKI en Turquie pour comprendre le rôle de KIPTAS à Istanbul et plus particulièrementdans le projet de Süleymaniye.

B.1 De l’administration du logement de masse à l’entreprise immo-bilière la plus puissante de Turquie

L’administration du logement de masse, ou TOKI (Toplu Konut Idaresi) est une ins-titution gouvernementale formée en 1984 pour réguler le secteur de l’habitat et prévenirde l’expansion des gecekondu, ainsi que pour apporter des solutions durables à la pénu-rie de logement dans les villes turques. D’après Tuna Kuyucu, qui a rédigée sa thèse surle TOKI, jusqu’en 2001, le TOKI façonna le marché de l’habitat en donnant des sub-ventions d’État aux coopératives d’habitat. Les ressources pour alimenter ces crédits desubventions venaient du fond pour le logement de masse (Mass housing Fund) et de labanque d’Etat Real Estate Bank, lesquels furent abolis après la crise économique de 2001qui décima l’économie turque. Entre 1984 et 2001, le TOKI délivra des petits crédits pour950 000 unités de logement en Turquie et en construisit lui-même 45 000. Or, la plupart deces crédits ont profité aux classes moyennes, voire supérieures, et ainsi ne répondent pasaux besoins de logements des plus défavorisés. Une des conséquences de cette politiquedans les années 1980-90 fut une augmentation considérable du nombre de gecekondu.Le fait qu’un montant important des fonds publics fut administré aux classes moyennesaugmenta également les inégalités économiques au sein de la société turque. (Kuyucu,2009)

Or, à partir de la fin des années 1990, le TOKI connaît une profonde crise financièredue « à la diminution des ressources de l’État, et des montants importants de corruptionqui se passaient dans ses pratiques de prêts » (Kuyucu, 2009). La crise économique de2001 l’acheva.

C’est avec l’arrivée au pouvoir du parti AKP en 2002 que le TOKI s’est vu restruc-turé et connaît depuis une relance de ses activités. La politique néolibérale de l’AKP eutdes implications très importantes pour le secteur de la construction et pour le marché de

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III.B Enjeux économiques : l’immobilier à l’heure de la spéculation.

l’immobilier. D’après Tuna Kuyucu c’est pour réactiver l’économie, et notamment le sec-teur de la construction, que le parti lança d’importants projets de rénovation. Ces projetsseraient censés tirés les autres secteurs économiques vers le haut.

Pour ce faire, l’AKP fit du TOKI la plus puissante institution de la reconstruction desmarchés immobiliers et du secteur de la construction. Une série de réformes institution-nelles ont été passées courant 2008 l’autorisant désormais à :

1. « Réguler le zonage et vendre les terrains urbains de l’État.

2. Former des entreprises de constructions filiales ou engager des partenariats avec desentreprises de construction privées.

3. Faire des profits sur des constructions dans l’objectif de les réinvestir dans du loge-ment social.

4. Vendre ses créances hypothécaires à des entreprises de courtage hypothécaire.

5. Exécuter des projets de renouvellement urbain et de transformation des gecekondu.

6. Réviser les plans et zonages des zones de transformation. » (Kuyucu, 2010)

Avec ces réformes, le TOKI devient l’« entreprise la plus puissante du marché immo-bilier en Turquie. » De 2002 à 2008, 66 millions de m2 ont été transferés au TOKI sansfrais. Le fait qu’il ait un pouvoir si vaste pour intervenir dans le marché immobilier a ététrès critiqué par les chambres de professionnels, les ONGs, les académiciens. . . Les troisgrandes critiques qui ressortent sont : la centralisation du pouvoir immobilier, l’utilisationd’argent public pour construire des logements non abordables aux plus pauvres et enfin laghettoïsation des pauvres en périphérie. Ce cadre ayant montré comment l’administrationnationale du logement de masse est devenue l’entreprise la plus puissante du marché im-

mobilier de Turquie, il s’agit désormais de comparer cette évolution à celle de KIPTAS,société immobilière de construction d’Istanbul.

La firme est née en 1987 avec la participation de capitaux et associés étrangers sousle nom d’Imar Weidleplan, dans le but de produire des projets architecturaux conformé-ment aux besoins de logements planifiés. Il s’agit ici également de prévenir la formationde gecekondu. Cette première société est liquidée à la suite d’une crise en 1989. Elle estrétablie en 1994 par la mairie d’Istanbul sous le nom de KIPTAS (Konut Imar Plan Sa-

nayi ve Ticaret A.S, Société anonyme de construction, de planification et de commerce)afin de participer à la résolution du problème des bidonvilles 11. La Grande Municipalitémétropolitaine d’Istanbul a signé en 1995 un contrat de sous-traitance avec cette société

11. http ://www.kiptas.com.tr

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

de construction qui lui appartient à 50%. KIPTAS est donc semi-privée. Elle serait l’équi-valent d’une société d’économie mixte (SEM) en France 12 . On peut la considérer commeune filiale de la mairie pour la construction de logements collectifs. Elle est la plus grosseentreprise de construction du genre à Istanbul, et n’a presque pas de concurrence. En ef-fet, elle a la garantie de recevoir des commandes de la ville et d’avoir des facilités pouracquérir les terrains publics. Elle pourrait jouir d’une situation de quasi-monopole, si sonmarché n’était pas investi par le TOKI qui tient également à assurer sa présence à Istanbul.Malgré tout, KIPTAS reste le principal constructeur pour l’agglomération d’Istanbul et aconstruit quasiment 20 000 logements de 1995 à 2002.

Notons que, comme pour le TOKI, il s’agit au départ de construire des logements col-lectifs publics qui sont vendus avec des facilités financières. Par exemple, le financementde ces logements peut s’étaler de 48 à 60 mois en versant tous les mois un montant fixéà l’avance à la Vakı f Bank (la banque partenaire de KIPTAS). Or, une nouvelle fois, cesystème de crédit logement n’est pas accessible aux personnes ne possédant pas de créditde départ. D’après une étude menée par M. Texeire, le client moyen de KIPTAS gagneplus de 2 000 de YLT par mois (soit plus de 1 000 Euros), ce qui est considérable enTurquie, cela concernerait des bureaucrates, des artisans indépendants, des commerçants,etc.

Il s’agit de remarquer que la plupart des projets de KIPTAS se trouvent à Ikitelli prèsde l’aéroport international d’Istanbul sur des terrains moins soumis aux risques sismiqueset qui sont assez convoités. Le cas de Süleymaniye est une grande nouveauté pour cette en-treprise, habituée aux projets en périphérie. Les figures III.6 montrent quelques exemplesreprésentatifs des logements construits par KIPTAS.

D’après l’étude de M Texiere, les logements bon marché que KIPTAS propose sontceux de 60 m2 - la surface la plus petite - car ils coûtent le moins cher à construire. Ce-pendant, ils ne seraient pas assez rentables, car "les pauvres n’achètent pas, ils préfèrent

rester en gecekondu" (elle cite la direction commerciale de KIPTAS). C’est pourquoi de-puis quelques années KIPTAS ne construirait plus que des logements visant un public de"classes moyennes supérieures".

Tout comme TOKI, KIPTAS a évolué du statut de constructeur de logements sociaux(ce qui signifie logements collectifs en Turquie) à celui d’entreprise immobilière d’uncertain standing. En outre, il semblerait qu’une pénurie de terrains publics se serait fait

12. Notons toutefois que dans le cas français des SEM, la municipalité doit avoir entre 51 et 85% desparts de la société, soit plus de la moitié ; mais surtout, les missions réalisées par les SEM doivent servirl’intérêt général, ce qui n’est pas toujours le cas pour KIPTAS.

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III.B Enjeux économiques : l’immobilier à l’heure de la spéculation.

FIGURE III.6: Exemples de logements construits de KIPTAS. Source :http ://www.kiptas.com.tr

ressentir dans les années 2000-2005. D’après plusieurs chercheurs, c’est dans ce cadreque la loi 5366 aurait été votée, afin de donner une occasion à la mairie, mais surtoutà KIPTAS de trouver de nouveaux terrains à construire. « La loi 5366 de 2005 permetaux municipalités d’exproprier. En pratique, elle leur donne le moyen de créer du terrainà construire dans la ville en créant des zones de renouvellement, car il n’y a plus deplace dans les arrondissements centraux ; c’est un moyen de créer des m2 à construire,à vendre ou à louer en BE (bail emphytéotique), cherche des surfaces commerciales àcommercialiser. » (Hamdi Gargin, lors de l’entretien le 26.05.2010) L’objectif principalpour KIPTAS est de produire des m2 à construire, la place manquant à Istanbul, ils créentdes zones de renouvellement dans le centre historique, sites qui ont le plus de potentieléconomique.

B.2 Le choix de KIPTAS

En comparant le projet de Süleymaniye à d’autres projets de rénovation, on s’aperçoitqu’il est le seul à être sous la direction de KIPTAS. Cela est d’autant plus étonnant qu’àl’inverse, Süleymaniye semble être le seul projet de KIPTAS en centre-ville. En effet,le projet de Balat est dirigé par GAP, filiale construction du grand groupe Calik ; celui

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

de Sulukule était mené par le TOKI. . . Pourquoi la municipalité a-t-elle choisi KIPTAS ?Comparons les deux organigrammes des projets de Balat et de Süleymanie (Cf. FigureIII.7 et III.8 p90-91). Ils ont été consruit à la suite de deux entretiens. L’un, avec undes architectes du projet de Balat, Monsieur W, porta sur le jeu d’acteur qui s’exerce enamont des projets. L’autre, avec Hamdi Gargin, concerna les imbrications qui existententre le secteur économique de la promotion et la décision des projets de rénovation. Leplus remarquable dans ces deux exemples est que, dans un cas, même si GAP serait àl’initiative du projet, les autorités turques passent, en apparence en tout cas, un appeld’offre. Dans l’autre cas, aucune procédure d’appel n’est prévue.

On peut émettre l’hypothèse que KIPTAS s’est vu attribuer le projet, car c’est une en-treprise très proche de l’AKP. Elle appartient à la municipalité d’Istanbul et partage doncles mêmes valeurs. Ainsi, elle pourra mieux servir le projet identitaire de Süleymaniye.La municipalité voudrait en quelque sorte garder une main mise sur la transformation duquartier, sur l’image de Süleymaniye. Ce choix révèlerait en quelque sorte l’originalité duprojet de Süleymaniye et son importance aux yeux du parti AKP.

Toutefois, une rumeur évoquée aussi bien par les habitants du quartier, que par certainschercheurs, prétend que KIPTAS aurait revendu des terrains à bâtir du projet à Gap ou àAlbayrak, deux grands groupes privés de la construction 13.

« Si la mairie veut acheter votre maison et que vous lui vendez, vous pen-

sez vendre à la mairie. Mais en fait, la mairie l’a déjà vendu à un privé. Tu

revendiques l’avoir vendu à la municipalité, au pouvoir public, mais en fait

non. Alors, ils rassurent tout le monde en disant, ne vous inquiétez pas, on

connaît ce privé. Mais entre temps, lui, l’a déjà revendu à autre . . . etc. On

partage déjà les maisons entre plusieurs privés en ce moment [juin 2010]. Le

conseiller du projet détient 10 tapu 14 pour lui seul [Hamit Çalısır]. Et puis,

ils rachètent des maisons sous le nom de KIPTAS mais ce sont des privés

derrière tout ça. Dès le début, on a dit que KIPTAS s’occuperait du pro-

jet, mais Calik et Albayrak sont impliqués dans le processus. Calik c’est le

gendre d’Erdogan, et Albayrak, son beau-père. [Ils auraient reçu des maisons

à construire]. » Monsieur F.

Si cette rumeur se révèle être vraie, on peut se demander comment évoluera l’autono-mie marchande de ces acteurs et surtout comment évoluera la logique locale et identitaire

13. Deux groupes privés certes, mais liés au parti. Çalik (et donc Gap) appartient au gendre du premierministre Erdogan par exemple.

14. Les tapus sont les titres de propriété

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III.B Enjeux économiques : l’immobilier à l’heure de la spéculation.

du projet.

B.3 Impacts en termes de valorisation foncière à Süleymaniye.

Comme mentionnée précédemment, la spéculation foncière serait une des motivationsnon officielles du projet. L’enquête de terrain menée au mois de juin 2010 révèle l’ampleurde la valorisation foncière en cours dans le quartier.

« Avant le projet on pouvait acheter une maison en bois pour 15 000TL,

désormais, ils les vendent 200 000 TL. Les loyers aussi suivent cette augmen-

tation. Beaucoup de privés rachètent ces maisons. Par exemple, Cat Steevens,

récemment converti en Yusuf Islam, voulait une résidence près d’une grande

mosquée stambouliote, mais aussi Sabri Ülker, Albairak. . . Des professeurs

d’université aussi : achètent des maisons en bois pour avoir le sentiment

d’habiter un quartier, veulent vivre la culture du bois (milieu plus sain).»

Muhtar de Süleymaniye.

« Il y a eu une explosion des prix du foncier et de l’immobilier ! Comme je

l’ai dit tout à l’heure, j’ai acheté en 2001 ma maison à 30 000 YTL (15 000E),

c’est le prix d’une voiture pour les classes supérieures. Deux ans après, elle

en valait 100 000 YTL (Prix pour une maison de 80m2). KIPTAS achète plus

ou moins à 3000TL du m2. Maintenant que les gens ont compris que le quar-

tier prenait de la valeur, ils en demandent 5000. Ce qui est complètement

démesuré ! Ces prix sont comparables à Bebek [quartier balnéaire en bord

du Bosphore, bourgeois]. D’autant plus que depuis deux ans on est en crise

économique. Hakam Kiran, l’architecte du projet du métro a aussi acheté

deux grosses maisons dans le projet. » Monsieur Y.

D’après les prix mentionnés dans l’enquête, le marché immobilier à Süleymaniye au-rait subi une augmentation de 233% de 2001 à 2003, soit de 30 000 YTL à 100 000 YTLpour une maison d’environ 80m2 d’après Monsieur Y (+233%) ; et de 1 233% de 2001 àaujourd’hui, soit de 15 000 YTL à 200 000 YTL d’après le muhtar de Süleymaniye (+1233%).

« Les premières familles ont vendu leur maison à 750TL/m2. Je ne sais

pas comment c’est possible, comment ils ont pu vendre à ces conditions là.

Aujourd’hui, ils rachètent les maisons à 4000TL/m2 ! Les premiers se sont

fait avoir. » Muhtar de Hocagiyasettin.

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

« KIPTAS a acheté 150-200 maisons dans le quartier, ils possèdent presque

tout maintenant. Les maisons qu’il reste appartiennent à des propriétaires qui

ont les moyens de rénover eux-mêmes leur maison avec KUDEB 15. Ce qui

est rare. (. . .) KIPTAS rachète les maisons/immeubles pour env. 250 000 TL

pour 90m2. Ils ont arrêté d’acheter maintenant. Ils sont censés commencer le

projet dans 5 îlots à partir du 21 juin. » Muhatr de Yavuz Sinan.

Ainsi, KIPTAS semble avoir racheté une grande partie des propriétés. D’après lemuhtar de Hocagiyasettin, l’entreprise aurait essayé de racheter les maisons au rabais(à 750TL/m2), au début du projet en tout cas. Enfin, il semble possible d’affirmer que lavalorisation foncière du quartier est en cours et qu’elle a été fortement encouragée par lespouvoirs publics. L’enjeu économique est un bien un enjeu du projet.

15. Le KUDEB est l’agence métropolitaine pour la restauration. Ils interviennent sous la demande despropriétaires pour les aider à restaurer leur maison. Ils prennent en charge les travaux d’importance moindrecomme la façade.

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III.B Enjeux économiques : l’immobilier à l’heure de la spéculation.

ORGANIGRAMME DES ACTEURS DU PROJET DE BALAT   

   

 

 

                                                                                                     

                

                                          

                                                             

Conseil de Protection des monuments historiques  

 Valide 

normalement les projets urbains dans les zones 

protégées/au sein de la péninsule historique 

 Ministère de la Culture et du 

Tourisme 

Conseil de renouvellement 

urbain (créé en 2005) Valide le projet des architectes dans la 

zone de ll

1er ministre – ERDOGAN (AKP)A l’initiative du projet 

Holding çalik  Financeur du projet 

IBB (Municipalité du Grand Istanbul)  

Propose la zone de renouvellement urbain 

Conseil des ministres Approuve la zone de 

renouvellement urbain 

Municipalité de Fatih(Mustafa Demir ‐ AKP) Lance l’appel d’offre  

GAP INSAAT (filiale du groupe Calik) Promoteur du projet  

8 cabinets d’architectes/paysagistes Chaque cabinet réalise une partie du projet  

Le cabinet DS Landscape s’occupe de l’aménagement paysager de la Corne d’Or  

Habitants (Propriétaires) Négocient avec la mairie – Soit ils 

revendent leur logement et partent, soit ils récupèrent un logement plus 

petit dans la même zone  

Association FEBAYDER Défend les droits des propriétaires et des 

locataires  

Chambre des architectes et des urbanistes 

Lance un procès contre le projet ? 

Habitants (Locataires) Ne sont pas pris en compte 

FIGURE III.7: Organigrammes du projet de Balat. Source : D’après les entreriens avecD. Aslan et H. Gargin

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

ORGANIGRAMME DES ACTEURS DU PROJET DE SÜLEYMANIYE   

   

 

 

                                                                                                     

                

                                          

                                                             

Conseil de Protection des monuments historiques  

 Valide 

normalement les projets urbains dans les zones 

protégées/au sein de la péninsule historique 

 Ministère de la Culture et du 

Tourisme 

Conseil de renouvellement 

urbain (créé en 2005) Valide le projet des architectes dans la 

zone de ll

1er ministre – ERDOGAN (AKP)A l’initiative du projet 

KIPTAS Financeur du projet 

IBB (Municipalité du Grand Istanbul)  

Propose la zone de renouvellement urbain 

Conseil des ministres Approuve la zone de 

renouvellement urbain 

KIPTASPromoteur du projet  

Hamit Çalışır 

Employé informellement par IBB pour acheter les maisons aux 

propriétaires au nom de KIPTAS 

Agence d’architecture de 

KIPTAS Chaque architecte dessine un îlot du projet et décide des bâtiments à 

garder ou détruire 

Habitants (Propriétaires)  Négocient avec la mairie – Soit ils 

revendent leur logement et partent, soit ils récupèrent un logement plus 

petit dans la même zone  

Habitants (Locataires)  Ne sont pas pris en compte 

Se voient dans l’obligation de partir 

FatihResponsable de la mise en œuvre du 

projet 

FIGURE III.8: Organigrammes du projet de Süleymaniye. Source : D’après les entre-riens avec D. Aslan et H. Gargin et Melle Z

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III.C Enjeux sociaux : pour une moralisation de la péninsule. Un processusd’expropriation violent

C Enjeux sociaux : pour une moralisation de la pénin-sule. Un processus d’expropriation violent

Le profil social du quartier semble gêner. On a pu s’en rendre compte avec les dé-clarations d’Ilber Ortaylıqui évoquent le « nettoyage physique et social » de la péninsulehistorique. Nous pouvons désormais nous demander comment se sont passées les pro-cédures d’expropriation. Qui ont-elles réellement ciblé ? Quelles sont les procédures derelogement ?

C.1 Des procédures d’expropriation douteuses

Les procédures d’expropriation du projet montrent bien la violence de sa mise enoeuvre. Seuls les propriétaires sont consultés et concernés, ce qui n’est pas original. Enoutre, on s’aperçoit que les négociations pour le rachat des maisons par KIPTAS se sontfaites de manière non officielles, souvent avec des méthodes d’intimidation et de désin-formation pour faciliter les rachats au rabais. Enfin, ce projet est original dans le fait qu’ilne prévoit aucune procédure de relogement, ni de dédomagement. Comment les habitantsréagissent-ils face à ce projet ?

C.1.1 Un projet qui s’adresse aux propriétaires.

En ce qui concerne les procédures d’expropriation et de relogement des habitants,les informations ne sont pas diffusées par la mairie. Et ce, d’autant plus que le projetde Süleymaniye se fait parcelle par parcelle, « plot by plot », contrairement aux autresprojets de rénovation comme Sulukule par exemple, qui s’est fait d’un seul coup. Tousles habitants ont été concernés en même temps, ils ont reçu une lettre d’expropriationurgente, et les destructions ont eu lieu sur un temps assez court. À Süleymaniye, il sembleque le projet se fasse au coup par coup, parcelle par parcelle. Pour cela, KIPTAS, appuyépar la municipalité, rachète les propriétés du quartier petit à petit. La procédure sembleêtre la suivante : les propriétaires reçoivent une lettre leur laissant trois choix.

– Vendre leur maison à la municipalité selon sa valeur actuelle.– Faire la réhabilitation eux-mêmes en suivant les règlementations de KIPTAS– Laisser KIPTAS faire les travaux, cette dernière leur retournera une part de la nou-

velle maison équivalente à la valeur de l’ancienne maison, soit 1/4 ou 1/6.

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

Les deux derniers choix ne sont en fait pas accessibles à la population au regard duprofil social du quartier que nous avons dressé dans le chapitre I.C. Dès lors, pour laplupart, si les propriétaires refusent de vendre leur maison, ils sont expropriés. D’après lemuhtar de Hocagiyasettin :

« Après 2006, la mairie d’Eminönü a convoqué officiellement tous les

propriétaires grâce aux titres de propriété qui étaient enregistrés et Hamit

Calisir a mené avec eux les négociations à l’étage. Je n’y étais pas. Mais

après cette réunion, nous [muhtars] avons reçu une liste de propriétés men-

tionnant qu’elles appartenaient désormais à la mairie et demandant un do-

cument prouvant que les maisons ont été libérées. Certains ont vendu direc-

tement, certains l’ont fait sous la menace de l’expropriation. Certains ont

résisté, n’ont pas voulu vendre. Mais il faut considérer qu’ici il y a une ma-

jorité de locataires. Et que même dans les propriétés, il y a ce qu’on appelle

des share holders. C’est-à-dire qu’il y a plusieurs actionnaires sur une même

propriété. Et dans la plupart de ces cas, les propriétaires qui n’habitaient pas

au quartier se sont approchés assez rapidement des propositions de vente. »

Le rachat des propriétés ici « ne s’apparente[nt] pas aux procédures de préemptionfrançaises, car la préemption revêt un caractère exceptionnel (. . .) La situation stambou-liote est originale non pas dans l’existence de ce genre de projets de rénovation, qui sefont partout dans le monde, mais par leur démesure, et le fait qu’il n’y ait pas de mesurepour le relogement des populations. Les seuls interlocuteurs sont les propriétaires. Le casdes locataires pose un gros problème, surtout dans la Péninsule historique où ils sont unemajorité »» (Hamdi Gargin, entretien le 26 mai 2010).

En effet, ce type de projet de rénovation se multiplie dans le monde et dans la plupartdes cas, les locataires ne sont pas pris en compte par les projets. Le cas stambouliote n’estpas original à ce niveau. Toutefois, il l’est peut-être comme l’a souligné Hamdi Gargindans sa démesure. Comme on l’a vu avec la loi de 5366, toutes les municipalités du GrandIstanbul peuvent à tout moment créer une zone de renouvellement et procéder à ces projetsde rénovation, sans contrôle ni restriction.

C.1.2 Des intermédiaires troubles et des négociations non officielles

Pour une grande partie, les négociations pour le rachat des maisons n’ont pas étémenées par KIPTAS mais par un intermédiaire, une personne trouble qui n’apparaît suraucun document, mais qui est présente sur le terrain, auprès des propriétaires. Ce genre de

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III.C Enjeux sociaux : pour une moralisation de la péninsule. Un processusd’expropriation violent

pratique est très peu étudié, ou reste très peu connu. Un seul article mentionne ce phéno-mène, c’est celui d’Ayse Cavdar, publié dans l’express (A. Cavdar, L’Express, 18.02.2010).Cet article concerne Süleymaniye. Nous pouvons dès lors nous demander s’il s’agit d’unespécialité de Süleymaniye ou bien si les autres exemples restent inconnus.

Cet intermédiaire à Süleymaniye porte le nom d’Hamit Çalısır. Lors de l’enquête, il aété mentionné par deux des muhtars et un propriétaire.

« Il y a beaucoup de maisons qui ont été rachetées par KIPTAS, mais

est-ce que c’est vraiment KIPTAS qui a tout acheté ou bien est-ce que Hamit

Çalısır en a acheté pour eux. . . Mais on a reçu une lettre de la mairie disant

qu’il ne reconnaissait pas cet homme, qu’il ne travaillait pas pour eux. Mais

quand même, il venait toujours avec du personnel municipal, les titres de

propriété, les plans du projet. . . Comment aurait-il eu tout ça sans travailler

à la mairie ? Aujourd’hui, la mairie dit qu’il n’avait pas de mission officielle,

mais qu’il était un conseiller auprès de KIPTAS » (Muhtar d’Hocagiyasettin.)

D’après un entretien avec Melle Z 16 , Hamit Çalısır aurait été l’assistant informel deKadir Topbas (maire d’Istanbul) durant les années 2003-2006. « Il fait ce que la muni-cipalité lui demande de faire, sans être déclaré. Sa principale mission est de trouver desterrains pour les projets urbains, d’acheter les maisons, de négocier avec les propriétairesdans les zones de renouvellement. Il a ainsi acheté beaucoup de maisons pour KIPTAS,mais aussi pour son propre compte à Süleymaniye. Il s’agissait de convaincre un maxi-mum de propriétaires pour que la parcelle soit vendable et vendue. Tous les moyens dansces négociations étaient bons, menace d’expropriation, rachat au rabais. . . Lorsque lesmaisons étaient vendues, mais que les locataires ne partaient pas, il coupait eau et électri-cité.»

En effet, l’enquête confirme que les moyens utilisés étaient divers pour amener lespropriétaires à vendre. Monsieur F 17 nous livre lors d’un entretien le 17 juin qu’HamitÇalısır a d’abord tenté d’acheter sa propriété au rabais, à 1000 TL le m2, puis, il lui auraitenvoyé des actes administratifs ou des amendes. Un commerçant 18, lui, s’est vu retiré salicence d’exercer. . . Il est à l’heure actuelle en procès contre la municipalité.

16. Melle Z est une jeune urbaniste membre du D.A (atelier solidaire). Elle a travaillé trois mois àl’agence Tamir de projets urbains (ouverture en 2006) dont le dirigeant officieux est Hamit Çalısır. « Offi-cieux », car l’agence est mise au nom de ses deux fils, qui n’y travaillent pas. Il ne veut pas être (re-)connu.Entretien mené le 20 juillet 2010.

17. cf. la liste des personnes interviewées en annexe.18. Id.

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

Enfin, l’enquête, ainsi que plusieurs entretiens avec des cadres institutionnels indiquentque des incidents tels que des incendies auraient été multipliés depuis le début du projet.

FIGURE III.9: Etat d’un ilôt après de multiples destructions illégales. Source : photoprise en juin 2010

Les deux maisons entre ces immeubles verts ont été incendiées, d’après Monsieur Y «il y avait trop de coïncidences pour que l’on puisse penser que ce soit un accident : l’eaua été coupée, les habitants expropriés, des bonbonnes de gaz ont explosé. » C’est suite àcet événement qu’Emine Erdogmus, présidente de l’association pour la préservation desmaisons en bois, a lancé un procès contre la mairie de Fatih reprochant d’avoir détruit cesbâtiments sans autorisation. La mairie a tenu le maire responsable, mais sans conséquenceparticulière.

« Non, mais beaucoup de maisons ont été détruites, dont certaines clas-

sées aux monuments historiques. Dans les propriétés de KIPTAS, il y eut

beaucoup d’incendies, il n’y en avait pas autant avant. Il y en avait même

quand des gens étaient encore à l’intérieur. Les habitants se sont enfuis. Une

maison sur la pente de Mehmet Pasa et une grande Konak ont fini en cendres.

Le maire a dit, pour contrer les accusations, qu’on ne peut pas imaginer que

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III.C Enjeux sociaux : pour une moralisation de la péninsule. Un processusd’expropriation violent

quelqu’un mette le feu dans les maisons où vivent encore des personnes. »(Muhtar d’ Hocagiyasettin)

C.1.3 Désinformation volontaire

Comme autre pratique, il semblerait qu’il y ait eu une désinformation importante.D’une part, les propriétaires n’ont pas été informés qu’ils pouvaient prendre des crédits àlong terme de la part de l’administration spéciale du département pour réparer et rénoverleur maison. D’autre part, les travaux de construction n’auraient pas commencé, d’aprèsdeux des muhtars, pour ne pas que les propriétaires se rendent compte de la valeur de leurmaison.

« J’ai été voir le maire d’Eminönü pour lui demander pourquoi ne pas

restaurer quelques-unes des maisons pour que les propriétaires voient un

bout du projet. Ils pourraient vouloir faire eux-mêmes les rénovations après.

Le maire m’a répondu à l’époque : ‘’je ne suis pas fou, après ils ne vou-

dront plus vendre, ou ils se rendront compte de la valeur de leur maison” ».(Muhtar d’ Hocagiyasettin)

C.1.4 Aucun relogement prévu, pour les propriétaires comme pour les locataires

Ce qui fait la singularité de ce projet est outre la démesure du phénomène qu’il ne pré-voit aucun relogement prévu en dépit des destructions qui ont lieu. Les habitants subissentbien une éviction 19. L’enquête révèle néanmoins qu’au départ, une aide était prévue pourles locataires. Or, celle-ci se faisant illégalement aurait été bien vite arrêtée.

« Les locataires au départ ont touché une aide de l’ordre de 1000-1500TL

pour partir. Or, cet argent a été délivré par « Eminönü social help fondation

», qui aide habituellement les sans-emplois, les handicapés, les malades. . .

Cet organisme et cet argent n’avaient rien à voir avec le projet. Ils ont arrêté

de donner ces aides assez rapidement, car sans doute que cela leur coûtait

trop cher, mais surtout, ils ont eu peur, car c’était contre la loi. D’ailleurs,

aucun document officiel ne mentionne ça. » Muhtar d’ Hocagiyasettin.

19. D’après le littré, «Terme de jurisprudence qui exprime une dépossession que l’on subit, en vertud’une sentence ou d’un droit exercé de quelque autre façon, d’une chose qu’on avait acquise de bonne foi.Subir l’éviction.»

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

Ainsi, aucun dédommagement n’est prévu pour les locataires du quartier. Les pro-priétaires subissent une grande pression pour vendre leur bien, tandis que les locatairesdoivent partir.

FIGURE III.10: Des enfants jouent dans les ruines d’un immeuble. Source : photoprise en juin 2010

C.2 Les réactions des habitants

Les réactions des habitants sont diverses selon leur situation.

D’après l’enquête :– Engagés contre : 5 (dont deux muhtars, un commerçant et deux propriétaires qui ne

souhaitaient pas vendre.)– Pour : 2 (dont 2 femmes, une propriétaire et une muhtar)– Plutôt pour, mais avec réserves : 2 (dont un muhtar et un commerçant)– Sans engagement mais résignés : 2 (dont un électricien et une commerçante).

En ce qui concerne les habitants engagés contre le projet, on observe qu’ils ne sontpas contre son principe, mais contre ses modalités de mises en oeuvre. D’après MonsieurY « La situation n’est pas soutenable (« sustainable »). Des actions sociales doivent être

menées, mais pas de cette manière. (...) Depuis la sortie de la loi 5366, le projet a pris

une tournure accélérée et quasi incontrôlable.»

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III.C Enjeux sociaux : pour une moralisation de la péninsule. Un processusd’expropriation violent

FIGURE III.11: Des enfants jouent dans les ruines d’un immeuble. Source : photoprise en juin 2010

Le muhatr d’Hoca Giyasettin ajoute : « Bien sûr qu’on sait que les conditions de vie

sont mauvaises ici, mais il y a une différence entre vouloir servir l’intérêt public et servir

les intérêts privés. Je me suis tout de suite méfié de ce projet. »

Ils dénoncent notamment le manque d’information et l’utilisation de procédures dou-teuses. «Cette loi (5366) pourrait être contournée si les propriétaires ou les habitants

avaient de bons avocats. En effet, beaucoup de destructions sont illégales, car le bâti

est classé, ou parce que la municipalité n’utilise pas de permis de détruire, ils brûlent les

étapes. Or, les habitants sont en majorité locataires et n’ont aucune prise sur la décision.»Monsieur Y.

« Le projet a commencé officiellement à partir de 2006-2007, nous en avons eu

connaissance à cette date, mais bien sûr, il était déjà fait depuis longtemps. Hamit Çalısır,

qui travaillait pour la grande mairie et aussi Eminönü, a convoqué tous les muhtars de

Süleymaniye dans une réunion. C’est là qu’ils nous ont expliqué le projet de rénovation.

Ils nous ont dit que les propriétaires devraient soit rénover, soit vendre, soit ils seront

expropriés. À ce moment-là, je leur ai dit que la meilleure manière serait de le faire avec

les propriétaires, avec les habitants, sans leur imposer de tels choix.» Muhtar de HocaGiyasettin.

Celles (il s’agit de deux femmes) qui sont pour le projet, voient dans un premiertemps qu’il est nécessaire de pallier aux dégradations. La question de la sécurité est aussi

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

abordée comme étant un problème à résoudre. Dans ce sens, le fait qu’une population plussolvable soit visée par le projet soulage ces habitants : «Je pense que le projet est bon, car

il va améliorer le bâti et les conditions de vie » Muhtar de Demirtas.

« le projet va être bon pour le quartier. Il va devenir le nouveau Levent. L’élite conser-

vatrice, islamiste, mais aussi éduquée et riche va venir habiter à Süleymaniye ». MadameE. Dans ces deux cas, les femmes, relativement âgées, semblent se sentir menacée, agres-sée par l’environnement actuel qu’offre le quartier, et qui est différent des temps qu’ellesont connu dans les années 1990.

Les autres positions sont moins radicales. Un commerçant n’habitant pas le quartiervoit ce projet à la fois comme une aubaine pour son activité économique, mais aussicomme une menace : « Ce projet est bon, car il va attirer plus de touristes, de gens riches,

on va gagner plus d’argent. Mais j’ai un peu peur quand même, car je suis locataire et

si quelqu’un propose un loyer plus élevé à mon propriétaire, je devrais partir. Les loyers

risquent d’augmenter.» Monsieur A.

En outre, un manque de confiance dans les réalisations du projet est notable. Le faitque le projet soit engagé depuis 2006 et qu’aucune constructions n’aient été réaliséesinquiète, ou interroge. « Depuis trois ans, ils disent qu’ils vont reconstruire en avril pro-

chain, en avril prochain . . . mais c’est repoussé à chaque fois. Je ne crois plus trop à ces

reconstructions. D’autant plus que cela pose des problèmes sanitaires maintenant, ces

destructions sont devenues des poubelles, et l’été, il y a beaucoup de moustiques. Si ce

projet se réalise, ce sera bien. Mais ça avance mal. » Muhtar de Süleymaniye.

« En même temps, je n’ai pas très confiance dans la réalisation de ce projet parce qu’il

nécessite beaucoup d’argent et je ne pense pas que la municipalité le tiendra jusqu’au

bout.» Monsieur A.

Enfin, deux des interviewés semblent complètement résignés. Or, on remarque que cesdeux personnes représentent le mieux le profil social du quartier. Ils sont deux locataires,commerçante ou électricien. Leur niveau d’éducation semble faible. Ils ne se sentent pasconcernés par ce projet. D’après la commerçante, KIPTAS détruit des vieilles maisonspour pouvoir construire des gratte-ciels et faire en sorte que Süleymaniye devienne « uneville ». Elle ne se sent pas menacée par le projet, car son propriétaire n’a pas vendu lamaison. Et s’il le faisait, elle n’aurait qu’à déménager « une fois de plus ». « Quand l’État

vous demande de partir, il faut partir, il n’y a pas de moyens, de raisons de s’y opposer ?

Nous n’avons aucun poids ». L’électricien.

Etant donné la diversité des positions de la société civile, aucune association ne s’est

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III.C Enjeux sociaux : pour une moralisation de la péninsule. Un processusd’expropriation violent

formée pour lutter contre ce projet, à la différence de nombreux autres quartiers, danslesquels la part des propriétaires est plus importante. Les résultats de l’enquête soulignele fait que le profil social de la population du quartier ne favorise pas le rassemblementdes habitants. En effet, beaucoup mettent en avant que la grande majorité des habitants estlocataire, d’origine immigrée, voire kurde, que leur activité est souvent informelle. Leshabitants seraient dès lors exclus de toute décision, négociation. Cela ne risque-t-il pasd’animer en eux un sentiment de relégation, d’exclusion, et de mépris social ?

« Les habitants sont en majorité locataires et n’ont aucune prise sur la décision. D’une

part, ils sont souvent immigrés d’origine kurde et s’emploient plus à faire valoir leur droit

en tant que citoyen turc ou dans des mouvements kurdes, plutôt qu’en tant qu’habitants

pour leur quartier. D’autre part, certains sont logés informellement et n’ont donc aucune

prise sur la décision (cf. quartier des célibataires de Kücükpazar). Ces immigrés viennent

seuls pour gagner de l’argent temporairement, ils sont entassés dans des chambres à 5-7

et travaillent dans les entreprises informelles du quartier. Les magasins qui sont souvent

informels également ne peuvent absolument résister au projet. Ils sont sans permission

et reçoivent des menaces informelles. L’économie du quartier est largement informelle. »Monsieur Y.

« Les locataires ont un peu résisté à partir, car ils voulaient attendre la fin de l’année

scolaire, pour les enfants au moins. Mais ils n’ont eu aucun pouvoir et n’ont pas constitué

d’association, car ils ne sont que locataires. Ils pensent n’avoir aucune force, aucune

légitimité, aucun droit. Par exemple à Tarlabası, le projet aussi se fait « plot by plot »,

mais ils sont un grand nombre de propriétaires et ont pris les locataires avec eux pour

avoir plus de poids. Ici, les proportions sont inversées. » Muhtar de Hoca Gıyasettin

« Non [il n’y a pas d’association] et ça manque. Il y a une peur de la police. Depuis

les années 1992-3, il y a beaucoup de migrations. Quand les gens viennent pour parler

du projet et éventuellement protester et monter une association, la mairie présente leurs

revendications autrement (mouvements kurdes ? par exemple). L’autre partie de la popu-

lation est d’accord avec le projet. Par exemple, ils n’ont même pas signé la pétition contre

le rattachement d’Eminönü à Fatih, alors qu’ils étaient contre. . . » Muhtar de Hoca Gıya-settin, par Ayse Çavdar dans l’express.

Enfin, il s’agit de mettre en perspective ce projet à travers d’autres exemples de réno-vation. Des millions de personnes sont déplacées à la suite de mégaprojets urbains dontles motifs peuvent être variés (événements internationaux, remise aux normes. . .), et ce,particulièrement dans les pays en développement. En France, l’expérience de la réno-

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

vation est plus longue et a été fortement critiquée. En 1962 est instituée la loi Malrauxqui aide les propriétaires à restaurer ou réhabiliter leurs biens. Malraux dénonçait cespratiques bulldozers. En 1977, les Opérations Programmées d’Amélioration de l’Habitat(OPAH) sont mises en place à la suite de protestations. La reconquête des centres-villepasse dorénavant plus par des mesures de restauration que par la destruction. Les démoli-tions prévues par Programme National de Rénovations Urbaines (PNRU) en France sontdésormais soumises à un principe de relogement. Même si cela n’est pas synonyme dumaintien des populations en place. « Les immeubles sont préalablement vidés de leursoccupants » (Deboulet, 2009). Par exemple, la rénovation de la rue de la République àMarseille montre bien comment les immeubles sont rachetés par des groupes industrielsou financiers mondiaux (Deboulet, 2009). Ces immeubles sont vidés pour les travauxd’embellissement et le public attendu par l’opération est plus solvable que la populationinitiale. Cet exemple français confirme bien que nous nous trouvons dans « contexte ur-bain de valorisation immobilière, adossée à une mondialisation des enjeux patrimoniaux» (ibid.). Ce phénomène de rénovation urbaine est globalisé. On voit de plus en plus ap-paraître de réactions, de mouvements collectifs parfois même internationaux, contre cesévictions. Mais, il apparaît que souvent ces réactions ne s’opposent pas au principe dela démolition, mais plutôt à ses modalités. Agnès Deboulet cite quatre arguments utiliséscontre la démolition en France :

– L’argument politique qui souligne le manque de logements sociaux et qui considèreainsi la destruction massive de logements comme amorale.

– La critique sociospatiale qui met en avant que les tensions sociales ne se résoudrontpas par « l’anéantissement physique des lieux à problèmes »

– La critique économique et environnementale qui tend à montrer que la destructionest un gaspillage d’argent et de matériaux.

– L’argument lié au manque de concertation et de communication. Les habitantsconcernés ont le sentiment que la démolition, et leur départ ne sont pas négociables.Ce qui anime souvent « un sentiment de relégation et de mépris social », perçucomme un refus du changement, « un immobilisme suspect ». (ibid.)

« Les conflits de représentations ne portent finalement pas plus sur le risque de gen-trification de quartiers populaires que sur la confiscation d’un droit à la ville comme d’undroit au logement (. . .) Parlant de l’opération de la rue de la République à Marseille, unhabitant engagé souligne : ce n’est pas une réhabilitation, c’est une opération immobilière

» (ibid.).

Cet exemple, comme celui du projet de Süleymaniye, montre bien comme ce sont les

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III.C Enjeux sociaux : pour une moralisation de la péninsule. Un processusd’expropriation violent

modalités d’actions des opérations, bien plus que les principes mêmes de l’action, quisont critiquées.

FIGURE III.12: Source : photo prise en juin 2010

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CHAPITRE III. DES MODALITÉS D’APPLICATION RADICALES AUSERVICE D’ENJEUX PRIVÉS ET IDENTITAIRES

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Conclusion

« Aujourd’hui la seule certitude est celle d’une ville incontrôlée où chaque acte en vue

de la satisfaction des besoins quotidiens détruit un peu plus la possibilité d’y vivre dans

le futur. La lutte pour la survie de dix millions de fourmis dans la peau du dragon mort

transforme celui-ci en un monstre erratique et c’est cela, plus que Sainte Sophie ou le

Bosphore, qui compose aujourd’hui l’aspect fascinant de l’agglomération stambouliote.

La juxtaposition d’une infinité de réalités quotidiennes dans un ensemble où personne ne

devine les contours et ne dispose des clés nécessaires pour l’interpréter, est générateur de

légende qui tiennent lieu de certitude sur le présent et l’avenir de la ville. » (Yérasimos,1997)

Istanbul, décrite comme une cité à la dérive, est aujourd’hui une mégapole qui revêtde multiples enjeux tant socio-économiques, que politique ou urbanistique. Le projet derénovation de Süleymaniye, « mélange d’intérêts spéculatifs et de besoins à soulager »(ibid.) peut-être considéré comme une illustration concrète de ces enjeux qui interfèrentà Istanbul, dans un quartier donné. L’analyse du projet de Süleymaniye fait ressortir eneffet plusieurs points.

D’une part, elle met en évidence plusieurs caractéristiques de la gestion urbaine dansles mégapoles des pays en développement. Il semble que la ville soit de plus en plus gé-rée en mode de projet urbain. Dans les villes développées, le projet s’inscrit souvent dansune planification stratégique, ou un plan d’aménagement général. Or, dans les grandesvilles des pays en développement, le projet urbain remplace bien souvent la planifica-tion. Il s’agit de faire des projets visibles et modernes, reprennant les standarts occiden-taux, ou plutôt mondialisés. Pour cela, les édiles politiques font appel à des architectesde renommée internationale. C’est le cas à Istanbul du projet des waterfronts de Pendikdessiné par la célèbre Zaha Hadid. L’idée est de promouvoir Istanbul au rang de ville"mondiale". Cette revendication de l’internationalité, élitiste et sélective (Pérouse 2007),se ressent également dans les projets de rénovation et en particulier dans celui de Süley-maniye. Il s’agit de "nettoyer", comme l’annonce Ilber Ortayli, la péninsule historique,

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CONCLUSION

afin d’en promouvoir une image plus moderne. Ces projets lissés et stéréotypés tendent àfaire d’Istanbul, dont la qualité urbaine a été tant vanté, une ville internationale commeles autres, avec des quartiers de standing, des centres commerciaux, des productions ar-chitecturales... Dans ce contexte, l’influence des secteurs économiques de l’immobilier etde la construction est particulièrement importante. Les pouvoirs publics visent avant toutles terrains à fort potentiels économiques et spéculatifs.

D’autre part, comme beaucoup de projet de transformation urbaine, le projet de Sü-leymaniye se caractérise par des modalités de mise en oeuvre radicales. Elles tendent àchanger le profil social de la population locale. Il s’agit de souligner qu’une fois de plus,les locataires sont complètement absents des sphères de négociations alors que les auto-rités municipales porte un discours participationiste. Les pouvoirs publics freinent toutecommunication et des négociations douteuses sont employées. Ces pratiques de désin-formation ne sont hélas pas originales au projet de Süleymaniye. Ce phénomène de ré-novation urbaine est globalisé. Néanmoins, l’absence de procédures de relogement est àsouligner. Le nombre de projets de rénovation à Istanbul qui ne prévoient pas le reloge-ment des habitants est alarmant. Il formerait le caractère singulier de la politique turquede transformation urbaine d’après plusieurs chercheurs. La question de la justice urbaineet du droit à la ville se pose. A ce titre, de plus en plus d’organisations qui défendent lesdroits des habitants se développent, et ce, au delà des frontières. A Istanbul, la confronta-tion entre les activistes qui soutiennent les habitants et les autorités stambouliotes est deplus en plus ouverte. Néanmoins, ce n’est pas le cas à Süleymaniye où les habitants sontpour la plupart résignés. On peut se demander où vont ces habitants. Qu’advient-il de cesrésidants ?

Enfin, l’étude du projet de Süleymaniye pointe du doigt -de manière inattendue- unequestion spécifiquement turque : celle du néo-ottomanisme. L’aspect symbolico-identitairedu quartier ressort vivement des discours du premier ministre Erdogan, de la municipalitéde Fatih et des fondations religieuses en place. Le rapport admiratif au passé ottoman estcristalisé dans le projet qui prévoit de construire de konaks, conformément à des photosanciennes du quartier. C’est ce qui fait la singularité du projet de Süleymaniye parmistous les autres projets de rénovation stambouliotes. On peut supposer que c’est ce qui luivaut un montage particulier. En effet, c’est le seul projet de rénovation en centre-ville quiest réalisé par KIPTAS. Coïncidence ou main mise de la municipalité sur le projet ?

Ce projet se révèle ainsi être au centre des enjeux urbains que connaît Istanbul, à lafois en tant que mégapole d’un pays en développement, et à la fois en tant que métropoleturque. La comparaison plus profonde de ce projet avec d’autres projets de rénovation

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CONCLUSION

d’Istanbul, et d’autres mégapoles permetterait d’affiner ces remarques conclusives. Com-ment les projets de rénovation se déploient-ils dans d’autres pays, d’autres villes ? Desoutils aussi puissants sont-ils mis en oeuvre ? Comment sont pris en compte les habi-tants ? Quel public est visé par ces projets ?

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CONCLUSION

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sous-titrés en anglais sur quelques projets de rénovation.

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Annexe A : Liste des personnesinterviewées

A Entretiens planifiés, semi-directifs (hors enquête de ter-rain) :

– Alev Erkilet, sociologue à l’agence de planification de la ville, IMP. Le 11 mai2010. L’entretien porte sur le rôle de l’IMP dans l’aménagement de la péninsulehistorique.

– Madame X, architecte à l’agence KIPTAS, le 12 mai 2010. L’entretien concerne sonrôle dans le projet de rénovation et mais aussi plus généralement celui de KIPTAS,leurs ambitions, leurs méthodes...

– David Michelmore, représentant d’ICOMOS Turkey et Emine Erdogmus, membrede l’association pour la sauvegarde des maisons en bois. Le 20 mai 2010. L’entre-tien porte sur le rôle de l’UNESCO et de l’association dans le projet de Süleyma-niye.

– Monsieur Y, architecte et habitant de Süleymaniye. Le 21 mai et le 18 juin 2010.L’entretien porte sur son avis sur le projet de rénovation qui concerne son quartier.

– Deniz Aslan, architecte du projet de Balat. Le 27 mai 2010. L’entretien concernele déroulement du projet de rénovation de Balat, et des projets de rénovation engénéral, à travers un jeu d’acteur modifié depuis la loi 5366.

– Hamdi Gargin, politologue ayant travaillé à l’IFEA, travaille actuellement à l’agence2010. Le 26 mai 2010. L’entretien porte sur l’implication de l’agence Istanbul 2010dans les projets urbains, et sur le jeu d’acteur qui intervient dans les projets depuisl’arrivée au pouvoir de l’AKP.

– Kohran Gümüs, architecte, travaille actuellement à l’agence 2010, et Isik AydemirProfesseur, membre d’ICOMOS Turkey et d’Europa Nostra. Le 28 mai 2010. L’en-

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ANNEXE A : LISTE DES PERSONNES INTERVIEWÉES

tretien concerne leur vision des projets de rénovation.– Erhan Erpamir, archéologue à l’agence KUDEB. Le 1er juin 2010. Il s’agit d’une

présentation de l’agence pour comprendre ses différences et points communs avecKIPTAS.

– Julia Strutz, membre de l’atelier solidaire et étudiante ayant écrit son mémoire surl’histoire de Süleymaniye au XIXème siècle. Le 15 juin 2010.

– Mücella Yapici, membre de la chambre des architectes d’Istanbul. Le 21 juin 2010.L’entretien concerne le rôle de la chambre des architectes dans l’opposition auxprojets de rénovation et à la loi 5366 et leur avis sur ces questions.

– Ezgi Bakçay, activiste dans le mouvement IMECE. Le 8 juillet 2010. L’entretienporte sur les actions de l’IMECE en rapport aux projets de rénovation, et leur diffé-rence avec d’autres mouvements d’activistes.

– Madame Z, membre de l’atelier solidaire et jeune urbaniste ayant travaillé avecMurat Çalisir. Le 17 juillet 2010.

– Murat Güvenç, professeur cartographe de l’université de Bilgi. Les 8, 13 et 20 juillet2010. Rencontres au cours desquelles Murat nous a donné et conseillé sur les don-nées socio-démographiques du quartier de Süleymaniye.

– Cihan Baysal, membre du groupe de mission d’UN-Habitat concernant les évictionsà Istanbul. Le 21 juillet 2010. Il s’agit d’une journée passée sur le terrain. Elle m’aaidé à rencontrer et interviewer deux muhtars. J’ai également recueilli son avis surle projet et le rôle d’UN-Habitat.

B Entretiens non planifiés, (enquête de terrain) dans l’ordre,menés les 3, 8, 9, 15 et 17 juin 2010 :

– Monsieur A, restaurateurIl travaille ici depuis 1994 ans, n’y vit pas, et est originaire de la mer noire.

– Madame B, commerçanteElle travaille et vit ici, elle est originaire du sud-est [kurde ?].

– Monsieur C, commerçant, en procès contre la municipalité qui veut l’exproprier.Il travaille ici depuis 1997, n’y vit pas, et est originaire de la mer noire.

– Monsieur D, électricienIl travaille ici depuis 1998 ans, n’y vit pas, est originaire de Konya

– Cuma Karadag, muhtar de Süleymaniye

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.B Entretiens non planifiés, (enquête de terrain) dans l’ordre, menés les 3, 8, 9, 15et 17 juin 2010 :

Il vit ici depuis 1992, est muhtar depuis 12 ans, originaire de Malatya– Madame E, propriétaire retraitée dont la façade est réhabilitée par KUDEB

Elle vit ici depuis toujours (est née dans le quartier), ne semble pas être stambouliotede plus de deux générations.

– Hüseyin Öztürk, muhtar de Yavuz SinanIl est muhtar depuis 1985 ans, vit ici, est originaire de la mer noire. (Partisan duSaadet)

– Monsieur F, doyen du quartier, pharmacienIl vit et travaille ici depuis toujours (est né dans le quartier), est stambouliote depuisplusieurs génération.

– Monsieur Y, architecte.Il vit ici depuis 2001, architecte, originaire de la rive asiatique d’Istanbul.

– Musa Calihan, muhtar de HocagiyasettinIl vit au Küçükpazar depuis 1975, kurde.

– Sümer Yükselen, muhtar de DemirtasElle vit dans ce quartier depuis 1960 ans

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ANNEXE A : LISTE DES PERSONNES INTERVIEWÉES

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Annexe B : Situation géographique duquartier

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ANNEXE B : SITUATION GÉOGRAPHIQUE DU QUARTIER

FIGURE 13: Situation du quartier de Süleymaniye dans Istanbul. Source fond decarte : http ://sehirrehberi.ibb.gov.tr/map.aspx

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ANNEXE B : SITUATION GÉOGRAPHIQUE DU QUARTIER

FIGURE 14: Zone du projet de rénovation dans le quartier de Süleymaniye. Sourcefond de carte : http ://sehirrehberi.ibb.gov.tr/map.aspx

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ANNEXE B : SITUATION GÉOGRAPHIQUE DU QUARTIER

FIGURE 15: Le Küçükpazar vu du dessus. Source : photo prise en juin 2010

FIGURE 16: Une rue représentative de l’état de Süleymaniye aujourd’hui. Source :photo prise en juin 2010

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ANNEXE B : SITUATION GÉOGRAPHIQUE DU QUARTIER

FIGURE 17: Le panorama qu’offre les hauteurs de Süleymaniye. Source : photo priseen juin 2010

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ANNEXE B : SITUATION GÉOGRAPHIQUE DU QUARTIER

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Annexe C : Les acteurs stambouliotes

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ANNEXE C : LES ACTEURS STAMBOULIOTES

FIGURE 18: Tableau des acteurs publics stambouliote. Source : D’après Houzé 2007,et Lopez, Renou 2010.126

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ANNEXE C : LES ACTEURS STAMBOULIOTES

FIGURE 19: Exemples d’autres acteurs intervenants dans les projets de rénovation.Source : Kuyucu 2009 sur TOKI, Tixeire 2003 sur KIPTAS, entretien avec Hamdi Gargin

sur l’IMP, et Erhan Erpamir sur KUDEB, juin 2010

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