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Travail et Emploi 142 (avril-juin 2015) Les institutions du travail : quelles réévaluations ? ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Christine Erhel et Thierry Kirat Les institutions du travail : quelles réévaluations ? Introduction ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Avertissement Le contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive de l'éditeur. Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sous réserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluant toute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue, l'auteur et la référence du document. Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'édition électronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV). ................................................................................................................................................................................................................................................................................................ Référence électronique Christine Erhel et Thierry Kirat, « Les institutions du travail : quelles réévaluations ? », Travail et Emploi [En ligne], 142 | avril-juin 2015, mis en ligne le 01 avril 2015, consulté le 19 janvier 2016. URL : http:// travailemploi.revues.org/6608 Éditeur : La documentation française http://travailemploi.revues.org http://www.revues.org Document accessible en ligne sur : http://travailemploi.revues.org/6608 Ce document est le fac-similé de l'édition papier. Cet article a été téléchargé sur le portail Cairn (http://www.cairn.info). Distribution électronique Cairn pour La documentation française et pour Revues.org (Centre pour l'édition électronique ouverte) © La documentation française

Les analyses comparatives de la satisfaction au travail soulignent l hétérogénéité des niveaux et facteurs déterminant la satisfaction au travail entre les pays, même si

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Travail et Emploi142  (avril-juin 2015)Les institutions du travail : quelles réévaluations ?

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Christine Erhel et Thierry Kirat

Les institutions du travail : quellesréévaluations ?Introduction................................................................................................................................................................................................................................................................................................

AvertissementLe contenu de ce site relève de la législation française sur la propriété intellectuelle et est la propriété exclusive del'éditeur.Les œuvres figurant sur ce site peuvent être consultées et reproduites sur un support papier ou numérique sousréserve qu'elles soient strictement réservées à un usage soit personnel, soit scientifique ou pédagogique excluanttoute exploitation commerciale. La reproduction devra obligatoirement mentionner l'éditeur, le nom de la revue,l'auteur et la référence du document.Toute autre reproduction est interdite sauf accord préalable de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législationen vigueur en France.

Revues.org est un portail de revues en sciences humaines et sociales développé par le Cléo, Centre pour l'éditionélectronique ouverte (CNRS, EHESS, UP, UAPV).

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Référence électroniqueChristine Erhel et Thierry Kirat, « Les institutions du travail : quelles réévaluations ? », Travail et Emploi[En ligne], 142 | avril-juin 2015, mis en ligne le 01 avril 2015, consulté le 19 janvier 2016. URL : http://travailemploi.revues.org/6608

Éditeur : La documentation françaisehttp://travailemploi.revues.orghttp://www.revues.org

Document accessible en ligne sur : http://travailemploi.revues.org/6608Ce document est le fac-similé de l'édition papier.

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Les institutions du travail : quelles réévaluations ? Introduction

Christine Erhel (*), Thierry Kirat (**)

Évoquer les institutions du travail conduit à envisager un ensemble large de règles, d’acteurs et de poli‑tiques : outre les règles du droit du travail, encadrant les licenciements ou posant les bases du droit syndical et de la négociation collective, ce champ inclut également les politiques de l’emploi (indemnisation du chômage, formation, emplois aidés, aide à la recherche d’emploi des chômeurs, etc.). Dans une perspective large, on peut de plus prendre en compte certaines politiques sociales influençant l’offre de travail (incitations finan‑cières à l’emploi par des impôts négatifs ou des minima sociaux) ou la demande de travail (baisses de charges des entreprises, politiques de soutien au développement économique). Cet ensemble d’institutions se situe bien souvent au cœur du débat politique, dans un contexte de chômage élevé et persistant où de nombreuses réformes ou mesures nouvelles ont été adoptées au cours des dernières décennies. Dans le champ académique, et notamment pour les approches économiques, une question centrale porte sur les liens entre institutions du marché du travail et performances économiques et sociales (croissance, emploi et chômage, bien‑être des sala‑riés, etc.). Cette question a connu d’importants développements depuis les années 1980, avec un élargissement par rapport au débat traditionnel longtemps resté centré sur la question du salaire minimum et des « rigidi‑tés » exogènes au marché du travail. Ces développements s’orientent vers différents axes de recherche, dont témoigne ce numéro de Travail et Emploi.

Les principales orientations de recherche sur les institutions du travail

Dans la perspective de la théorie économique standard, les analyses en termes de chômage d’équilibre (WS‑PS, appariement, etc.) ont conduit à analyser les effets des institutions sur les comportements des agents économiques dans un univers de concurrence imparfaite. Dans ce cadre, les institutions affectent les perfor‑mances du marché du travail et, plus largement, de l’économie. Par exemple, dans le modèle WS‑PS (1), les cotisations sociales portant sur les salaires, le salaire minimum, le pouvoir des syndicats, la protection de l’emploi, la générosité des allocations chômage ou des prestations sociales augmentent, toutes choses égales par ailleurs, à la fois le salaire et le taux de chômage d’équilibre. Les politiques « actives » de l’emploi (par exemple la formation, l’aide à la recherche d’emploi des chômeurs (2)) tendent au contraire à les réduire. Ce modèle conduit ainsi à recommander une dérégulation du marché du travail, et a largement été utilisé pour fonder les recommandations de politique économique de l’OCDE (3) du début des années 1990 à aujourd’hui. Dans ses développements récents, il inclut le principe d’interactions entre les institutions : par exemple, une indemnisation du chômage généreuse peut ne pas avoir d’effets défavorables sur l’emploi si elle s’accompagne de politiques actives de retour à l’emploi (4), cette situation renvoyant en pratique au cas emblématique de la « flexicurité » danoise.

En parallèle, les renouvellements de l’analyse institutionnaliste autour des « variétés du capitalisme (5) », au croisement de l’économie et de la science politique, soulignent d’emblée l’importance de ces interrelations et des complémentarités institutionnelles : une même institution n’aura pas nécessairement le même impact dans un contexte institutionnel différent, et deux combinaisons différentes d’institutions peuvent produire des effets similaires. Il n’est donc pas possible d’associer une institution prise isolément et un effet sur le chômage ou l’emploi, et l’analyse doit se concentrer sur les « modèles » nationaux et leurs évolutions. En se

(*) Université Paris‑1, Centre d’économie de la Sorbonne et Centre d’études de l’emploi (CEE) ; erhel@univ‑paris1.fr(**) Institut de recherche interdisciplinaire en sciences sociales (Irisso), université Paris‑Dauphine ; [email protected](1) Layard R., Nickell S. (1986), « Unemployment in Britain », Economica, New series, vol. 53, n° 210, pp. S121‑S169.(2) Ces politiques renvoient plus globalement à l’ensemble des mesures visant à aider au retour à l’emploi des chômeurs ou à améliorer le fonctionnement du marché du travail, par opposition aux politiques de soutien au revenu des chômeurs (dites « passives »). La revue a consacré récemment un numéro à l’évaluation de ces politiques : Simonnet V. (coord.) (2014), « Évaluation des politiques actives du marché du travail », Travail et Emploi, n° 139.(3) Organisation de coopération et de développement économiques.(4) OCDE (2006), Perspectives de l’emploi, Paris, éditions de l’OCDE.(5) Hall P. A., Soskice D. (eds.) (2001), Varieties of capitalism. The institutional foundations of comparative advantage, Oxford (Royaume‑Uni), New York, Oxford University Press ; Amable B. (2005), Les cinq capitalismes. Diversité des systèmes économiques et sociaux dans la mondialisation, Paris, Le Seuil.

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concentrant sur le marché du travail, on peut identifier trois types de modèles principaux d’institutions du travail (6). Le modèle libéral (Royaume‑Uni, États‑Unis) se caractérise globalement par une faible indemnisa‑tion du chômage, une forte flexibilité du contrat de travail, des politiques salariales fortement décentralisées et des politiques de l’emploi concentrées sur la formation et l’aide à la recherche d’emploi. Le modèle nordique (Suède, Danemark, Norvège, etc.) s’appuie au contraire sur une indemnisation du chômage généreuse, arti‑culée avec des politiques actives de l’emploi très développées incluant un effort de formation tout au long de la vie. Historiquement, les salaires y sont déterminés par une négociation salariale centralisée, impliquant des syndicats forts. Enfin, le modèle continental (France, Allemagne, Belgique, Italie, etc.) repose sur une tradition d’assurances sociales et implique un financement par cotisations sociales. La place des syndicats est relative‑ment importante et la protection de l’emploi élevée. Les politiques de l’emploi ont plus souvent eu recours aux mesures de retrait d’activité dans les années 1980 (préretraites) et de baisse du coût du travail dans les années 1990. Même si leurs caractéristiques principales demeurent, ces modèles évoluent, avec une tendance générale à la flexibilisation du marché du travail (par la réforme du droit du travail et la réduction des coûts de licen‑ciement) et à l’« activation » (incitations à l’emploi, réduction de la générosité de l’assurance‑chômage, etc.).

Dans les deux types d’approche, on observe un élargissement de l’angle retenu pour analyser les effets des institutions. Outre le chômage et l’emploi, des indicateurs de bien‑être des salariés ou de qualité de l’emploi sont également pris en compte. Ainsi, il existe un débat sur les liens entre protection de l’emploi et sentiment de sécurité des travailleurs, certaines études empiriques suggérant que la protection de l’emploi diminue le sentiment de sécurité (7). Les analyses comparatives de la satisfaction au travail soulignent l’hétérogénéité des niveaux et facteurs déterminant la satisfaction au travail entre les pays, même si elles ne peuvent discriminer entre les effets des institutions et ceux de la culture locale dans ces perceptions (8). Dans une perspective de type institutionnaliste, Duncan Gallie (9) analyse les liens entre régimes d’emploi et qualité de l’emploi (définie selon une approche multidimensionnelle incluant les conditions de travail et d’emploi – types de contrats, accès à la formation, etc.) : les pays nordiques s’opposent aux pays libéraux où le niveau global de qualité de l’emploi serait plus faible, avec des inégalités importantes entre professions et classes sociales ; les pays conti‑nentaux seraient dans une situation intermédiaire, avec une prédominance d’inégalités individuelles (genre, éducation notamment) en matière de qualité de l’emploi.

La question des institutions du marché du travail constitue ainsi un champ de recherches et de débats acadé‑miques particulièrement riche, dont la portée pour les politiques économiques est directe. Les articles de ce numéro apportent un éclairage international et des éléments nouveaux, tant sur le plan des effets des institutions sur le marché du travail que du point de vue de l’analyse des réformes institutionnelles les plus récentes dans différents contextes. Les articles réunis portent en effet soit sur un pays (la France, l’Allemagne, la Turquie), soit sur une comparaison entre deux pays (la France et l’Italie, la France et les États‑Unis).

Un premier parcours de lecture du numéro

Paul Osterman analyse les enjeux des politiques de lutte contre l’emploi à bas salaire aux États‑Unis. Sa contribution procède de l’élargissement de la perspective sur les liens entre institutions du travail et perfor‑mances du marché du travail, en incluant la question de la qualité de l’emploi. Dans ce pays, les emplois de faible qualité sont principalement identifiés par le critère du salaire. Au-delà des débats sur le seuil à retenir pour définir l’emploi à bas salaire, l’auteur montre la prégnance de ce type d’emplois sur le marché du travail américain : 20 à 30 % des travailleurs sont concernés, avec une forte dispersion selon les secteurs et branches d’activité, même si les plus touchés sont les salariés des services. L’analyse des politiques américaines récentes met en lumière différents leviers d’intervention. Les outils traditionnels reposent principalement sur la fixa‑tion de normes (salaire minimum notamment) et le rôle de contre‑pouvoirs tels que les syndicats. Ces outils conservent leur pertinence mais évoluent : ainsi, face à la perte de terrain des syndicats aux États‑Unis (le taux de syndicalisation s’établit à 7 %), des formes alternatives d’organisation des travailleurs se sont développées, telles que les community organizations ou les worker centers, qui proposent des services juridiques et sociaux pour les travailleurs à bas salaires. Le salaire minimum demeure un outil très important, certains États ou certaines villes choisissant de fixer son niveau au-dessus du niveau fédéral (par exemple à 15 dollars par heure à Seattle). En parallèle, de nouvelles formes d’interventions publiques ont été mises en œuvre à l’échelon local : il s’agit notamment de la mise en place de « salaires décents » (living wage ordinances) s’appliquant aux

(6) Erhel C. (2014), Les politiques de l’emploi, 2e éd., Presses universitaires de France, coll. « Que sais‑je ? » et Erhel C. (2010), « Institutions et marché du travail », Idées, n° 159, pp. 41‑45.(7) Postel-Vinay F., Saint-Martin A. (2004), « Comment les salariés perçoivent-ils la protection de l’emploi ? », Économie et statis-tique, n° 372, pp. 41‑59.(8) Clark A., Etilé F., Postel‑Vinay F., Senik C., Van der Straeten K. (2005), « Heterogeneity in reported well‑being: evidence from twelve European countries », The Economic journal, vol. 115, n° 502, pp. C118‑C132 ; Davoine L. (2012), L’économie du bonheur, Paris, La Découverte, coll. « Repères », n° 592.(9) Gallie D. (ed.) (2007), Employment regimes and the quality of work, Oxford, New York, Oxford University Press.

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LeS iNStitutioNS du trAvAil : quelleS réévAluAtioNS ?

employés des collectivités locales ou à leurs prestataires, ou de la fixation de critères pour les entreprises béné‑ficiant d’aides au développement économique (community benefit agreements). De manière générale, l’analyse souligne l’importance des interventions locales dans un objectif de qualité de l’emploi et, de ce fait, l’ampleur de la diversité interne au sein d’un modèle globalement libéral qui reste marqué par un faible niveau de régu‑lation fédérale.

Charlotte Levionnois étudie les différences de qualité du travail et de l’emploi entre la France et les États‑Unis, qui représentent deux modèles différenciés d’institutions du travail. Elle s’intéresse en particulier aux descendants de l’immigration dans les deux pays. À partir d’indicateurs ad hoc relatifs à trois dimensions de la qualité de l’emploi (le salaire, la sécurité de l’emploi, le temps de travail), l’auteure cherche à faire ressor‑tir le rôle de l’origine sur la qualité de l’emploi. Elle met en évidence que la qualité de l’emploi des enfants d’immigrés est en moyenne inférieure à celle des natifs dans les deux pays. Mais elle montre également l’hété‑rogénéité, selon les origines, de la qualité de l’emploi. Cette hétérogénéité est plus forte en France qu’aux États-Unis, où elle est néanmoins non négligeable. Les institutions du travail françaises, protectrices et inclu‑sives, assurent certes un niveau de qualité de l’emploi supérieur à celui des États‑Unis, mais elles portent aussi de fortes inégalités d’accès à l’emploi entre natifs et descendants d’immigrés. Aux États‑Unis, les inégalités concernent moins l’accès à l’emploi que les salaires et le temps de travail. En arrière‑plan, se trouve bien sûr la question des modèles d’intégration des immigrés et de leurs descendants.

Gürdal Aslan et Djamel Kirat s’intéressent pour leur part aux effets du salaire minimum en Turquie, pays qui se caractérise par une forte part d’emploi informel (37 % de l’emploi total en 2013). Dans ce contexte, les effets potentiels du salaire minimum n’affectent pas seulement le niveau d’emploi, mais également la structure de l’emploi et de l’économie (entre secteurs formel et informel). Sur la base de données macroéconomiques portant sur la période 1998‑2013, les auteurs obtiennent un effet négatif du salaire minimum sur l’emploi total, en conformité avec le modèle néoclassique standard. Toutefois, l’effet obtenu est faible : une hausse de 10 % du salaire minimum conduirait à une baisse de l’emploi de 2,6 % selon leurs estimations. En distinguant emploi formel et emploi informel, les auteurs mettent de plus en évidence un effet positif sur l’emploi formel, et négatif sur l’emploi informel, qu’ils interprètent comme le résultat d’un déplacement de l’offre de travail du secteur informel vers le secteur formel. Suivant leur analyse, il convient donc de relativiser les effets potentiel‑lement négatifs du salaire minimum sur les économies des pays émergents. Au contraire, le salaire minimum serait un outil de promotion de la qualité de l’emploi et de soutien au développement du secteur formel.

Raphaël Dalmasso confronte, quant à lui, les réformes successives du droit du licenciement réalisées en France et en Italie. À travers une perspective juridique comparative, l’auteur attire l’attention sur l’importance des dimensions procédurales, qui s’avèrent au moins aussi décisives que la substance des règles de droit rela‑tives aux licenciements. L’auteur met en lumière une pluralité de moyens juridiques permettant de parvenir à une plus grande flexibilité du droit du travail, pluralité qui se concrétise en particulier par des places diffé‑rentes accordées au juge dans les deux pays. Il attire également l’attention sur l’écart entre la justification de la loi (sécuriser le licenciement pour l’employeur) et son usage (hausse prévisible, ou du moins probable, du contentieux administratif). Cette analyse apporte des éléments utiles de réflexion à l’heure de la relance de la discussion publique sur le Code du travail en France (10).

Camille Signoretto complète l’article de Dalmasso dans la mesure où elle s’attache à la question de savoir comment les règles, en l’occurrence celles relatives à la rupture du contrat de travail, sont utilisées. Les normes juridiques ne peuvent être considérées comme un descripteur direct des réalités. Leur usage est un problème empirique, qui appelle une stratégie empirique que l’auteure met en œuvre dans le cas français. Alors que le rapport entre licenciement pour motif personnel et licenciement économique a jusqu’alors été considéré comme un rapport de substitution, l’auteure, en élargissant la focale pour prendre en compte d’autres modes de rupture du contrat de travail (démissions, ruptures conventionnelles), montre plutôt que les ruptures s’ins‑crivent dans des pratiques différenciées de gestion de la main‑d’œuvre. En estimant le recours aux différentes modalités de rupture et leur intensité, l’auteure met de plus en évidence des profils différenciés de rotation de la main‑d’œuvre, par secteur et taille d’établissement.

Bruno Amable et Baptiste Françon évaluent enfin les effets de la réforme de l’indemnisation du chômage en Allemagne en 2005, qui a conduit à la baisse de la générosité de l’assurance‑chômage pour les plus de 45 ans. Du point de vue théorique, les effets d’une telle mesure sont ambigus. Selon la logique des modèles de recherche d’emploi, cette réforme est susceptible d’augmenter l’emploi via une réduction du salaire de réserve des personnes en emploi et une baisse de la durée du chômage. Toutefois, elle peut également avoir un impact négatif sur la productivité et la durée des emplois retrouvés (si elle conduit les chômeurs à accepter des emplois ne correspondant pas à leurs compétences). Compte tenu du fait que cette réforme n’a concerné que les plus de 45 ans, les auteurs utilisent une méthode de différence‑de‑différences, en effectuant des comparaisons avec le

(10) Cf. le débat lancé par Robert Badinter et Antoine Lyon‑Caen au printemps 2015 (Le travail et la loi, Fayard, 2015).

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groupe d’âge des 35‑44 ans. Ils obtiennent un effet de baisse de la durée du chômage pour les plus de 50 ans, et plus particulièrement pour les hommes de 55‑59 ans. Ces derniers connaissent également un accroissement de la durée de l’emploi retrouvé. Les auteurs font l’hypothèse que cet effet est imputable à la disparition d’une filière de retraite anticipée qui existait préalablement en Allemagne et faisait l’objet d’un usage assez large pour des travailleurs ayant suffisamment d’ancienneté. Il ne peut être dissocié de réformes plus larges visant à augmenter les taux d’emploi des seniors et, notamment, du recul de l’âge minimum de la retraite. Par ailleurs, on relève des effets défavorables de la réforme en matière de qualité de l’emploi, avec une intensification des sorties vers l’emploi à temps partiel, en particulier pour les femmes. Là encore, cet effet relève d’autres transformations du marché du travail allemand, avec le développement de l’emploi à temps partiel depuis les réformes Hartz. Au total, cet article invite à éviter une interprétation des effets d’une réforme sans prise en compte du contexte et des autres transformations des institutions et des politiques du marché du travail (au sens large, incluant par exemple les dispositifs de retraite).

Pour conclure la présentation des articles réunis dans ce numéro de Travail et Emploi, nous pouvons mettre en exergue quelques‑uns des résultats transversaux de ces contributions :

– Les institutions sont diverses et leurs effets ne sont pas neutres quant au fonctionnement du marché du travail ; surtout, ils sont loin d’être uniformément négatifs. Cet enseignement relativise la validité des modèles théoriques qui tendent à soutenir, peut‑être hâtivement, une telle conception.

– Les effets des institutions du travail sont complexes et dépendent des contextes économiques, locaux, régionaux ou nationaux, professionnels ou sectoriels, mais également des interactions avec d’autres institu‑tions et politiques.

– Ils supposent donc, pour être compris, que les sciences économiques se dotent de moyens d’analyse comparative contextualisée de l’ensemble des institutions concernées, en prenant au sérieux la compréhension de leur fonctionnement.

Ainsi, alors qu’un important mouvement de déréglementation est en marche en Europe (cf. les articles de Dalmasso et de Signoretto pour les ruptures conventionnelles), les articles d’Osterman, Levionnois, Aslan et Kirat, ou encore Amable et Françon, montrent de manière convaincante que des institutions du travail protec‑trices paraissent essentielles à la qualité du travail et n’ont pas d’effets uniformément négatifs sur l’emploi.

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Paul Osterman

Les politiques de lutte contre le travailà bas salaireCe que nous enseigne l’expérience américaine................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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Référence électroniquePaul Osterman, « Les politiques de lutte contre le travail à bas salaire », Travail et Emploi [En ligne], 142 | avril-juin2015, mis en ligne le 01 avril 2017, consulté le 19 janvier 2016. URL : http://travailemploi.revues.org/6610

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Les politiques de lutte contre le travail à bas salaire : ce que nous enseigne l’expérience

américaine (*)

Paul Osterman (**)

Sur le marché du travail américain, 20 à 30 % des travailleurs occupent des emplois à bas salaire (selon le seuil retenu par l’auteur), qui se situent le plus souvent dans le secteur des services, tout en concernant un grand nombre d’activités et de professions. Dans ce contexte, la lutte contre les emplois à bas salaire et de faible qualité constitue un enjeu important pour les politiques publiques. Aussi, plusieurs leviers d’intervention sont-ils mis en œuvre aux États-Unis : outre la fixation de normes en matière de rémunération (salaire minimum – fixé au niveau des États – et autres standards), les syndicats et d’autres organisations ciblant les travailleurs (community organizations et worker centers) peuvent se mobiliser pour soutenir les salaires. En parallèle, des outils innovants ont été développés à l’échelon local, tels que la mise en place de « salaires décents » s’appliquant aux salariés des collectivités locales ou à leurs prestataires, et la fixation de critères de sélection afin que les entreprises bénéficiant d’aides au développement économique s’engagent à faire progresser leur politique en matière d’emploi.

L’augmentation et la persistance des inégalités occupent une place de plus en plus importante dans le discours politique et économique aux États‑Unis. Au début de la seconde période de son mandat, le président Obama, en parlant des inégalités, les a décrites comme « une menace fondamentale envers le rêve américain, envers notre mode de vie et ce que nous représentons à travers le monde (1) ». Or, toute action engagée contre les inégalités passe nécessairement par une amélioration de la qualité de l’emploi, dans la mesure où, pour la plupart des gens, le travail constitue la principale source de revenus. Au cours des dernières décennies, le gouvernement fédéral, mais aussi de nombreuses collectivités locales, associations et community organizations (2) ont expérimenté différentes stra‑tégies pour faire progresser la qualité de l’emploi. Le but de cet article est de présenter de façon synthétique à la fois l’ampleur du problème de

(*) Titre original en anglais : « Policies to address low wage work: some lessons from the United States experience ». Traduction réalisée par Hélène Boisson.(**) MIT Sloan School ; [email protected](1) Citation extraite de l’article de Zachary A. Goldfarb, « With Democrats split on inequality issues, Obama shifts talk away from income gap », Washington Post, 4 juillet 2014, dispo‑nible en ligne à l’adresse : http://www.washingtonpost.com/politics/with‑democrats‑split‑on‑inequality‑issues‑obama‑shifts‑talk‑away‑from‑income‑gap/2014/07/04/102f1f32‑02be‑11e4‑b8ff‑89afd3fad6bd_story.html ; consulté le 21 août 2015.(2) Pour une première définition de ce que recouvrent les community organizations, voir le Merriam-Webster, disponible en ligne ici : http://www.merriam‑webster.com/dictionary/community%20organization ; page consultée le 21 août 2015.

l’emploi à bas salaire aux États‑Unis et la variété des méthodes mises en œuvre pour tenter d’y répondre. Une première partie dressera un constat de la prévalence et des caractéristiques du travail peu rémunéré dans l’économie américaine. La suivante identifiera un certain nombre de leviers susceptibles de réduire l’étendue du phénomène. Enfin, la troisième et dernière partie mentionnera quelques-uns des défis qu’ont à affronter les poli‑tiques conduites.

Le niveau du travail faiblement rémunéré dans l’économie américaine

Qui sont les travailleurs à bas salaire ?

Définir ce qu’est un emploi à bas salaire consti‑tue une démarche normative. Une première solution consiste à se fonder sur des critères relatifs, comme le fait l’Union européenne en fixant un seuil de pauvreté au niveau des deux tiers du salaire moyen. La logique qui sous‑tend cette approche est celle de l’inclusion sociale : les personnes dont les revenus sont excessivement inférieurs à la norme statistique risquent de ne pas être des citoyens à part entière, du point de vue économique comme du point de vue civique. Une approche alternative consiste à définir un standard absolu. Aux États‑Unis, le « seuil de pauvreté » (poverty line) est une première étape en ce sens. Cette mesure de la précarité économique est largement utilisée ; cependant, elle n’est pas sans

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poser problème, puisque l’ensemble des commen‑tateurs, quelle que soit leur orientation, s’accordent à reconnaître que cette limite est excessivement basse (3). Par exemple, en 2013, le seuil fédéral de pauvreté pour une famille de trois personnes (un parent et deux enfants) se situait à 18 769 $, soit une somme largement inférieure aux estimations des besoins de base. Pour remédier à ce problème, nous prendrons ici comme limite le salaire horaire avec lequel un actif travaillant à temps plein sur l’année complète assurerait à cette famille de trois personnes un niveau de vie compris entre 125 et 150 % du seuil de pauvreté fédéral. Pour l’année 2013, ce salaire horaire était respectivement compris entre 11,27 et 13,53 $.

Sur la base de ces valeurs, en 2013, les adultes âgés de 25 à 64 ans étaient 20,6 % à toucher un salaire horaire inférieur à 125 % du seuil de pauvreté pour une famille de trois personnes sur la base d’une année complète à plein‑temps, et 30,8 % à gagner moins de 150 % du salaire équivalant au seuil de pauvreté (4). En bref, entre 20 et 30 % des travailleurs américains adultes exerçaient alors un emploi manifestement inférieur à la norme salariale. Plus des deux tiers (67,4 %) travaillaient à plein‑temps, soit une proportion à peine inférieure à celle observée chez les actifs adultes dont les revenus dépassent le seuil de pauvreté retenu (84,5 %).

La répartition démographique est largement conforme à ce que l’on pouvait attendre : les femmes sont plus susceptibles que les hommes de se trouver en dessous des standards (35,8 % contre 26,2 %) et les Africains‑Américains (41,5 %) et Hispaniques (49 %) affichent des taux très supérieurs à ceux des Blancs non hispaniques (24,1 %). Naturellement, les Blancs non hispaniques étant les plus nombreux dans la population, ceux‑ci sont malgré tout majori‑taires en proportion de la population des travailleurs à bas salaires (52,3 %).

On s’intéressera enfin à la question de la mobi‑lité permettant de sortir du marché des emplois à bas salaire. Si ces emplois n’étaient occupés que de façon transitoire par les actifs adultes et débou‑chaient ensuite sur de meilleures opportunités, que ce soit par le biais de la formation ou plus simple‑ment de l’expérience acquise, leur existence serait moins préoccupante. Or, force est de constater qu’il en va tout autrement. Une importante série de recherches montre au contraire que la plupart des adultes occupant un emploi inférieur aux standards

(3) Voir par exemple, Greenberg M. (2009), It’s time for a better poverty measure, Center for American Progress, Washington D. C. ; memo disponible en ligne à l’adresse : https://www.americanprogress.org/issues/poverty/report/2009/08/25/6582/its‑time‑for‑a‑better‑poverty‑measure/ ; consulté le 21 août 2015.(4) Ces calculs se fondent sur le Outgoing rotation groups of the Current Population Survey. Pour une description détail‑lée de la méthode de traitement des données utilisée, voir Osterman, sChulman (2011).

définis ci-dessus restent prisonniers de ce type d’em‑plois (hOlzer, 2004 ; BradBury, 2011 ; KOpCzuK et al., 2010).

Où travaillent-ils ?

Pour s’attaquer au défi du travail à bas salaire, il convient d’abord de s’interroger sur la distribution sectorielle des emplois concernés. Le tableau 1 illustre leur répartition entre secteurs public et privé.

L’incidence des emplois à bas salaire est plus faible dans le public que dans le privé. Il n’en demeure pas moins vrai qu’un peu plus de 10 % de l’ensemble des emplois à bas salaire s’y situent. Qui plus est, cette proportion augmenterait encore si l’on prenait en compte les entreprises privées sous contrat avec des institutions publiques, qui n’apparaissent pas dans les totaux du secteur public représentés dans le tableau. Plus de 40 % des salariés à bas salaire du secteur public travaillent dans l’éducation, 8 % dans la santé, 5 % dans les transports, 4 % dans les services sociaux, le reste étant dispersé dans les autres secteurs. Mettre en place des stratégies de transformation des emplois privés ne va évidemment pas de soi ; en revanche, il devrait en principe être plus aisé d’élever les standards des emplois publics jusqu’à un niveau de revenu décent. Par ailleurs, le président Obama a également pris des mesures en faveur des sala‑riés des sous‑traitants passant des contrats avec le gouvernement fédéral.

Tableau 1 : Répartition par secteur, 2013

Part du secteur en

matière d’emplois à bas salaire

Part du secteur en

matière d’emploi

totalSecteur public fédéral 1,3 % 3,2 %Secteur public États 3,5 % 5,2 %Secteur public local 6,4 % 8,8 %Secteur privé à but lucratif 82,8 % 75,7 %Secteur privé à but non lucratif 5,8 % 7,0 %

Note : 1,3 % des emplois à bas salaire se trouvent dans le secteur public fédéral, qui représente par ailleurs 3,2 % de l’emploi total.

Source : Census Outgoing Rotation Group, analyse des données par l’auteur. Voir note 3.

Le tableau 2 présente les activités du secteur privé où se concentrent les emplois à bas salaire. Seules sont représentées les activités totalisant au moins 3 % de ces emplois.

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Tableau 2 : Répartition et incidence par branche d’activité (secteur privé), 2013

Part de la branche

en matière d’emplois à bas salaire

Proportion des salariés

de la branche qui sont à bas

salaireProduction industrielle 11,5 % 26,2 %Construction 5,0 % 26,4 %Commerce de détail 17,7 % 49,1 %Transport et logistique 4,1 % 30,7 %Administration 6,9 % 52,7 %Éducation 7,0 % 22,2 %Santé 12,6 % 29,1 %Cafés restaurants 11,2 % 72,7 %

Note : 11,5 % des emplois à bas salaire se trouvent dans la branche de la production industrielle, où ces salariés représentent 26,2 % de l’emploi.

Source : Census Outgoing Rotation Group, analyse des données par l’auteur. Voir note 3.

Le tableau ci‑dessus met en évidence la disper‑sion des emplois à faible rémunération dans toute une série d’activités, des ouvriers aux employés, de l’industrie aux services. On remarque également la grande disparité des situations selon les branches concernées. Ainsi, dans la production industrielle, où les rémunérations sont élevées, l’incidence des bas salaires est inférieure à la moyenne ; cependant, eu égard à ses effectifs considérables, la branche représente une part importante de l’ensemble des bas salaires. Les cafés‑restaurants regroupent à peu près le même nombre de travailleurs faiblement rému‑nérés, mais il s’agit principalement d’une branche à faible rémunération, où l’incidence des bas salaires est particulièrement forte (72,7 %). Dans cette acti‑vité, comme dans celle du commerce de détail, le grand nombre de petits employeurs pose également des problèmes particuliers quant aux politiques à mettre en œuvre.

Le constat selon lequel 30 % des adultes occupent un emploi synonyme de pauvreté constitue un précieux indicateur quant à la performance du marché du travail américain. Mais avant de songer aux actions à mener pour lutter contre la pauvreté laborieuse, on peut se demander si la proportion actuelle des bas salaires représente un progrès ou une dégradation par rapport à la situation anté‑rieure, ou encore une stagnation. Si l’on constatait, par exemple, que la tendance est à une réduction constante de l’emploi mal payé, une action plus offensive apparaîtrait peut‑être moins urgente.

Le tableau 3 représente la proportion de salariés à bas salaire en 2013, 2007 et 2001. Les années 2007 et 2001 sont des points hauts du cycle économique, et l’année 2013 semble s’approcher du haut du cycle actuel.

Deux conclusions peuvent être tirées des données. La première est que la situation ne va pas

en s’aggravant ; la crainte de voir une part croissante des emplois devenir de « mauvais » emplois est donc sans fondement. Ceci posé, le résultat à retenir est surtout l’absence d’amélioration. En effet, d’année en année, près de 30 % des emplois occupés par un adulte ne lui permettent pas de gagner un salaire décent. Rien ne garantit, d’après les données dont nous disposons, que le temps, l’évolution du marché du travail ou la croissance économique permettront à eux seuls de rendre la situation moins préoccupante.

Tableau 3 : Incidence par année

2001 2007 2013Proportion de salariés à bas salaire (au-dessous de 150 % du seuil de pauvreté)

29,6 % 30,1 % 30,8 %

Note : Comme nous l’avons noté plus haut, le seuil de pauvreté défini au niveau fédéral se fonde sur des données de pouvoir d’achat. Il fait l’objet d’une révision annuelle afin de tenir compte de l’infla-tion. La plupart des chercheurs, considérant ce seuil comme dépassé et excessivement bas, se réfèrent à 150 % de ce montant.

Source : Census Outgoing Rotation Group, analyse des données par l’auteur. Voir note 3.

Quels leviers pour réduire l’emploi à bas salaire ?

La formation : une efficacité relative

Dans le discours communément tenu aux États‑Unis, le problème des bas salaires renvoie en premier lieu à la formation : la solution résiderait dans l’élévation du niveau de compétences des travail‑leurs. Cette idée entre en résonance avec la culture de la responsabilité individuelle, et a peu d’inci‑dence sur les acteurs en place du marché du travail. Cependant, la question de l’efficacité réelle de cette option ne doit pas être éludée : investir davantage dans l’éducation et la formation permet‑il de réduire efficacement l’incidence des emplois sous-payés ? La question est complexe, et requiert une réponse nuancée. Deux niveaux sont en effet à distinguer. Au niveau des individus, l’investissement dans les études constitue un choix rationnel. Au niveau de la société, il existe aussi d’excellentes raisons de tirer vers le haut le niveau général de formation et de compétences, depuis les avantages sociaux de l’instruction jusqu’à ses retombées économiques. Néanmoins, à un horizon raisonnablement proche, une stratégie purement tournée vers l’éducation et la formation ne saurait suffire à métamorphoser la répartition actuelle de la qualité des emplois.

Le premier constat – chaque individu a intérêt à améliorer sa formation générale ou profession‑nelle – s’impose au vu des données concernant la répartition des revenus en fonction du niveau de qualification. En effet, bien qu’ils aient subi une stagnation, les revenus des diplômés de l’ensei‑gnement supérieur restent largement supérieurs à ceux du reste de la population active ; en outre,

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les diplômés sont moins exposés au chômage. Cependant, il faut comprendre que si ce résultat est valable à l’échelle d’un individu, sa généralisa‑tion à l’ensemble des actifs ne saurait éliminer une fois pour toutes les emplois à bas salaire. Chacun a intérêt à se former pour progresser plus vite dans la file d’attente ; mais la file, elle, ne disparaît pas pour autant.

Ceci dit, les arguments ne manquent pas, à l’échelle de la société, pour investir durablement dans l’éduca‑tion et la formation. De nombreux travaux mettent en évidence l’effet bénéfique de l’instruction sur la qualité de vie, bien au‑delà de son intérêt purement économique. Le progrès constant de la technologie exige une main-d’œuvre toujours plus qualifiée : ce processus entamé depuis un siècle ne semble pas près de prendre fin. Toutefois, cette avancée tech‑nologique s’accomplit sur le long terme et de façon continue, et il est difficile de déceler une accélération du phénomène. Cette observation a son importance à l’heure où est volontiers annoncée, à tort, une trans‑formation radicale du marché du travail, le progrès technologique menaçant même de mettre les « bons emplois » hors de portée de la plupart des Américains (Osterman, Weaver, 2014 ; Cappelli, 2015).

Plus généralement, un cadre politique misant uniquement sur l’éducation et la formation profes‑sionnelle ne permettrait pas de réduire la proportion des emplois de faible qualité. Une simple observa‑tion de bon sens montre que la demande de soins de santé, de services à la personne, de restauration et de tant d’autres activités synonymes de bas salaires, continuera à exister, indépendamment de l’éléva‑tion du niveau de compétences de la population active. Même si l’élévation du niveau d’instruction est susceptible à long terme de modifier la répar‑tition sectorielle de l’économie, cette évolution ne s’effectue ni à une échelle, ni à un rythme permet‑tant de modifier la vie quotidienne des travailleurs.

La meilleure preuve des limites d’une stratégie misant seulement sur la formation est précisément l’absence de baisse constatée de l’emploi à bas salaire alors même que le niveau de qualifica‑tion de la population active s’est accru de façon constante au cours des dernières décennies. Ainsi, la proportion des 25‑29 ans ayant fréquenté même brièvement l’enseignement supérieur est passée de 45 % en 1991 à 58 % en 2000, pour atteindre 63 % en 2012, mais l’emploi mal rémunéré n’a pas reculé.

Les types d’intervention en faveur d’une amélioration de la qualité de l’emploi

Il existe toute une série d’outils permettant d’in‑fléchir la politique adoptée par les entreprises en matière d’emploi. Nous en dresserons ici une typo‑logie sommaire. On commencera par distinguer ce qui relève de la fixation de normes ou standards, d’une part, de l’assistance technique ou de la mise en place de dispositifs spécifiques, d’autre part. La

première catégorie regroupe par exemple l’action syndicale, la législation sur le salaire minimum et le salaire décent, ou encore les contrats de déve‑loppement local (community benefit agreements ou CBA). La seconde catégorie comprend les plans de formation propres à un secteur d’activité, l’inter‑vention d’intermédiaires sur le marché du travail et les différents types de services d’aide au développe‑ment des entreprises.

Il convient également de distinguer les mesures visant à améliorer la qualité des emplois existants (transformer les mauvais emplois en bons emplois) de celles qui ont pour but de créer des emplois de qualité. La première série de mesures consis‑tera par exemple en un effort d’augmentation des rémunérations, ou de création d’une échelle des salaires s’appliquant à des emplois déjà existants, notamment dans le commerce, la santé où l’hôtel‑lerie‑restauration. La deuxième série comprend les dispositifs de développement économique utili‑sant les politiques de l’emploi pour attirer les bons emplois ou aider les entreprises à accroître leur compétitivité et, en conséquence, à préserver les emplois de qualité qu’elles offrent déjà.

Le tableau 4 présente les différentes mesures en fonction des caractéristiques ci‑dessus.Tableau 4 : Typologie des interventions en faveur de

la qualité de l’emploi

Mise en place de normes

Mise en place de dispositifs

Améliorer les emplois existants

Salaire minimumSalaire de

subsistanceSyndicalisation

Échelles de carrièreIntermédiaires du marché du travail

Dispositifs sectoriels

Créer des emplois de qualité

Community Benefit Agreements

Incitations fiscales contrôlées

Plans par secteurConsortiums

ou partenariats sous l’égide des

entreprises ou des syndicats

Les paragraphes suivants proposent une analyse plus détaillée des contenus correspondant aux diffé‑rentes politiques, en les illustrant par quelques exemples.

La fixation de normes : salaire minimum et autres standards

Le travail de fixation de normes (standard-setting policies) a pour but de définir un niveau « plancher » de qualité de l’emploi. Les deux points forts de cette approche tiennent, d’une part, à son aspect relati‑vement simple et direct, d’autre part, à sa portée potentielle, bien supérieure à celle des actions incitatives.

Les politiques de fixation de standards peuvent être classées en deux catégories : celles qui sont mises en place par le gouvernement (comme les salaires minima) et celles qui émanent de l’initiative privée

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(par exemple celle des syndicats). Si l’on s’intéresse d’abord aux politiques publiques, le standard le plus connu, et de loin, est le salaire minimum (minimum wage). La valeur réelle du salaire minimum fédéral se situe aujourd’hui bien en dessous du sommet atteint en 1968. Face à la récession de 2007‑2008, certains États ont choisi de réagir : une trentaine d’entre eux ont fixé des minima supérieurs à ce que prévoit la loi fédé‑rale. Le président Obama a proposé de revaloriser le minimum actuel, soit 7,25 $ de l’heure, pour le porter à 10,10 $. En 2013, plusieurs États et municipalités ont considérablement augmenté les salaires minima locaux, l’exemple le plus marquant étant celui de la ville de Seattle, qui a choisi de le fixer à 15 $.

Or, la notion de salaire minimum ne correspond pas uniquement à un niveau de rémunération. En effet, une hausse du salaire minimum peut conduire les employeurs à modifier en profondeur leurs pratiques en termes de ressources humaines. Dans un autre contexte, celui de l’action syndicale, cette idée est déjà présente : c’est celle de l’« effet de choc » (shock effect) quand un syndicat est présent dans une entreprise. L’argument est que lorsque les salariés bénéficient de salaires garantis satisfai‑sants, les entreprises sont incitées à reconsidérer et à modifier leur système d’emploi et de production pour gagner en efficacité, la productivité qui en résulte permettant justement de garantir ces niveaux de salaire. Plus récemment, des théoriciens de l’éco‑nomie, en étudiant la manière dont les entreprises décident du volume de formation offert à leurs employés, ont avancé que l’existence d’un salaire minimum, en resserrant la structure des salaires propre à l’entreprise, accroît du même coup les opportunités de formation offertes à ceux qui sont au bas de l’échelle (aCemOglu, pisChKe, 1998).

Le gouvernement fédéral dispose d’autres outils que le salaire minimum pour imposer des normes en termes d’emploi. Le Fair Labor Standards Act (loi promulguée en 1938) exige le paiement des heures supplémentaires ; la Wage and Hours Division du département fédéral du Travail se montre désormais plus résolue à faire appliquer ces dispositions. En outre, le président Obama a promulgué plusieurs décrets incitant les sous‑traitants de l’État fédéral à améliorer la qualité de l’emploi : les contrats avec des entreprises contrevenant de façon répétée à la législation en la matière sont désormais rejetés. Plus spectaculaire, une décision récente du Conseil général du National Labor Relations Board rend la société McDonald’s conjointement responsable des conditions d’emploi et de travail chez tous ses franchisés. Si cette décision se voit confirmée par le Labor Relations Board dans son ensemble (ce qui est probable) et par les tribunaux fédéraux (ce qui est moins sûr), elle aura un impact considérable sur les nombreux secteurs d’activité fondés sur le principe de la franchise, en permettant une meil‑leure application des normes et peut‑être un certain nombre d’avancées syndicales.

Le rôle des contre-pouvoirs : syndicats et autres acteurs sociaux

Outre l’instauration d’un salaire minimum, une autre méthode a largement fait ses preuves pour améliorer les conditions d’emploi sur le marché du travail à bas salaire : l’action collective organisée pour contraindre les employeurs à faire progresser leur politique en matière d’emploi.

Ces dernières années, l’augmentation du taux de syndicalisation dans les secteurs à faible rému‑nération, et notamment ceux où les immigrés sont nombreux, constitue l’un des rares motifs de satis‑faction pour les organisations syndicales. Le succès remporté par le mouvement Justice for Janitors en est un exemple remarquable ; le syndicat de l’hô‑tellerie‑restauration Hotel and Restaurant Workers Union (HERE) organise également des campagnes de ce type. Les syndicats porteurs de ces mouve‑ments centrent explicitement leurs efforts sur les salariés mal payés, le plus souvent issus de l’im‑migration ; dans le secteur des services, le Service Employees International Union (SEIU) a été l’un des rares syndicats américains à voir ses effectifs augmenter. D’autres organisations, comme l’Ame-rican Federation of State, County and Municipal Employees (AFSCME), sont parvenues à fédérer les salariés les moins payés du secteur public et ont remporté un certain nombre de victoires.

Dans la lutte contre les bas salaires aux États‑Unis, les principales limites de l’intervention syndicale résident dans son faible taux de réussite. Dans le secteur privé, le taux de syndicalisation a chuté de 25 % en 1973 à 7 % à peine aujourd’hui. S’il est difficile de disposer de données sur les retombées des campagnes de syndicalisation, des recherches récentes montrent que parmi les mouve‑ments qui aboutissent à des élections syndicales (ce qui ne se produit qu’une fois sur deux environ), un sur cinq seulement débouche sur la signature d’un premier accord d’entreprise (FergusOn, 2008).

Comme le réclamaient les syndicats, des formes alternatives d’organisation et de représentation des salariés peu rémunérés se sont récemment développées sur une base territoriale. On note tout particulièrement l’émergence de puissantes community organizations et de centres dédiés aux travailleurs (worker centers) (Osterman, 2002 ; Fine, 2006).

Différents réseaux fédèrent à l’échelon natio‑nal les community organizations qui interviennent localement auprès des travailleurs mal payés et mettent au point des actions autour de probléma‑tiques économiques. Particulièrement actives dans les luttes pour la revalorisation du salaire minimum fédéral et la promotion d’un salaire décent, elles s’efforcent aussi d’exercer un contrôle sur les subventions d’aide au développement économique versées aux entreprises. En outre, elles proposent

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des formations professionnelles et d’autres services destinés aux salariés peu rémunérés. Ainsi, l’un des plans de formation les plus efficaces du pays, le projet Quest (5) a été mis en place par une orga‑nisation de la ville de San Antonio (Texas), puis le réseau regroupant les community organizations affi‑liées l’a ensuite importé à l’identique dans plusieurs autres grandes villes du sud‑ouest des États‑Unis.

Les worker centers sont des structures fournissant des services juridiques et sociaux aux travailleurs à bas salaire, souvent récemment immigrés, travail‑lant pour les petites entreprises qui emploient la majorité de cette main‑d’œuvre bon marché et qui, dispersées, ne constituent pas des cibles intéres‑santes pour les syndicats traditionnels. Outre leur fonction de fournisseur de services, certains de ces centres s’efforcent de se substituer aux embauches directes en gérant des bureaux de placement, l’idée étant d’unifier les niveaux de salaire des emplois proposés. Ils montent par ailleurs des campagnes dénonçant les pratiques de tel ou tel employeur. Certains d’entre eux adoptent également un agenda législatif. Ainsi, le Workplace Project de Long Island est parvenu à imposer le New York Unpaid Wages Prohibition Act, une loi visant à empêcher les employeurs de diminuer des salaires promis aux populations vulnérables.

Il est clair qu’au niveau national, les worker centers ne sauraient obtenir des résultats spectacu‑laires. Cependant, si l’on fait la somme de toutes les formes de représentation passant par d’autres canaux que les syndicats classiques – community organizations et worker centers –, l’activité est importante. Une question centrale reste ouverte : dans quelle mesure ces nouveaux modes d’orga‑nisation des travailleurs peuvent‑ils joindre leurs forces à celles des syndicats traditionnels, afin de peser davantage dans le rapport de forces et d’avoir un véritable impact ?

Enfin, les campagnes ciblées sur une entreprise constituent un autre mode de pression. La plus connue est sans doute celle menée par un collectif associant des salariés des supermarchés Wal‑Mart, des groupes de défense des intérêts locaux et des représentants syndicaux pour contraindre l’entre‑prise à améliorer les salaires et les avantages sociaux. Certes, le but ultime est d’aboutir à une organisation syndicale traditionnelle, ce qui n’est pas envisa‑geable dans l’immédiat. À plus court terme, la campagne vise à mobiliser l’opinion publique, que ce soit par le biais d’articles de presse ou de journées de mobilisation des employés (one-day walkouts), afin de pousser Wal-Mart à modifier sa politique sociale (hOCquelet, 2014). Les campagnes de ce type se sont désormais étendues à toute une série de secteurs employant une main‑d’œuvre bon marché,

(5) Quality Employment through Skills Training (voir présen‑tation infra).

notamment les restaurants (autour du Restaurant Opportunity Center) et les taxis. La dernière en date est celle lancée en 2012 par les employés des fast‑foods, qui ont organisé cinq journées de débrayage et récemment conduit le conseil général du National Labor Relations Board à déclarer la société McDonald’s coresponsable, avec ses franchisés, de la politique sociale que ceux‑ci appliquent. Il est encore trop tôt pour savoir quelle sera l’efficacité des actions ciblant une entreprise en particulier. En règle générale, elles ne mobilisent qu’une très petite fraction des travailleurs concernés, et dépendent des syndicats officiels pour leur financement. Mais les entreprises, y compris Wal‑Mart, font preuve d’une sensibilité accrue aux retombées possibles de telles actions en termes de relations publiques, et des avancées ont ainsi déjà été obtenues.

Normes et innovation : les nouvelles stratégies locales

Depuis quelques années, les dispositifs initiés aux États‑Unis par les acteurs locaux (villes et États) témoignent d’une grande créativité. C’est à ces mêmes niveaux de décision qu’ont été expéri‑mentées les formes les plus novatrices de fixation de normes salariales. Ces actions comprennent les campagnes en faveur du « salaire décent » et du relèvement du minimum fédéral, mais aussi les Community Benefit Agreements (cf. infra), ou encore le conditionnement des aides au développement économique. Toutes contribuent dans l’ensemble du pays à un mouvement important et continu appelant à actionner des leviers politiques pour augmenter les salaires.

Les réglementations locales sur le salaire décent (living wage ordinances) garantissent un « mini‑salaire minimum ». Elles fixent des standards de rémunération pour des groupes de salariés stric‑tement définis, le plus souvent employés des collectivités locales ou prestataires de services travaillant pour ces collectivités. La première régle‑mentation de ce type a vu le jour à Baltimore en 1994 ; aujourd’hui, plusieurs centaines, compa‑rables, sont en vigueur à travers le pays. Elles varient considérablement dans leur structure et dans le statut des salariés couverts, la majorité concernant soit des contractuels employés par les municipa‑lités, soit directement des agents municipaux, soit les deux. Un nombre plus restreint de ces règles salariales s’adressent à des entreprises recevant des aides publiques.

Les mouvements en faveur du salaire décent, comme les ordonnances qui en découlent, pour‑suivent des objectifs multiples. Au‑delà de leur effet direct, ils visent notamment à encourager l’organi‑sation des salariés et à imposer dans le débat public la question de l’équité économique. Si le résultat est évidemment difficile à mesurer, les campagnes engagées semblent jouer un rôle significatif.

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De plus en plus de travaux sont actuellement consacrés à l’évaluation des campagnes de promo‑tion du salaire décent. On remarquera que même les plus sceptiques admettent l’efficacité des ordon‑nances locales sur le relèvement des salaires. Le débat porterait plutôt sur les éventuelles consé‑quences négatives qu’elles pourraient avoir sur l’emploi ; mais là encore, les plus dubitatifs recon‑naissent que même dans ce cas, les gains en termes de salaires compensent les coûts. On peut donc parler d’un bénéfice net du côté des populations faiblement rémunérées (pour une synthèse de cette littérature, voir thOmpsOn, Chapman, 2006). Les études évaluant l’impact de ces mesures sur les entreprises ne décèlent pas d’effets négatifs impor‑tants ; certaines suggèrent même que la hausse des salaires est un outil efficace pour réduire le turn-over. En résumé, les lois sur le salaire décent semblent remplir correctement leur mission, mais leur portée demeure limitée.

Suivant le concept du salaire décent garanti localement, on peut tenter de fixer des normes salariales et/ou de protection sociale à l’échelle d’un secteur d’activité entier. Ainsi, dans de nombreuses villes, des lois locales sur les salaires et les prestations sociales cherchent à encadrer les pratiques des « grandes surfaces » (big box retai-lers). Implicitement, ces dispositions visent souvent l’entreprise Wal‑Mart. Elles suscitent toutefois d’importantes critiques, et il n’est pas rare de voir un conseil municipal les adopter avant que le maire lui‑même oppose son veto. Ceci dit, elles parti‑cipent néanmoins du vaste effort actuellement mené (et décrit plus loin) pour contraindre telle ou telle entreprise à améliorer la qualité de ses emplois.

Une autre initiative pour améliorer la qualité de l’emploi à l’échelon national comme local porte sur l’encadrement de l’attribution des aides au développement économique. Le soutien largement apporté aux employeurs par l’État comme par les communes se traduit par toute une série d’avantages fiscaux et de primes encourageant l’installation et la croissance des entreprises. Jusqu’à une époque récente, les termes de ces accords entre entreprises privées et institutions suscitaient peu d’intérêt et de débats dans l’espace public. Selon l’estimation la plus récente, 43 États, 41 municipalités et 5 comtés ont mis en place des conditions restrictives pour au moins un de leurs programmes de subventions (les villes ou les États pouvant mener de front plusieurs programmes de soutien aux entreprises, ceci ne permet toutefois pas d’estimer quel pourcentage de leurs programmes est soumis à des conditions sala‑riales). En outre, dix États exigent des entreprises bénéficiant d’une subvention un rapport public indiquant le nombre d’emplois que ces fonds ont permis de sauvegarder ou de créer, ainsi que les salaires prévus pour chacun de ces emplois (lerOy, mattera, 2008).

On peut considérer les Community Benefit Agreements comme des dispositifs combinant l’ef‑fort de contrôle des subventions à l’installation et les campagnes en faveur du salaire décent. Le principe de ces accords est de repérer en amont un important projet de développement nécessitant l’accord des autorités municipales, puis de former un collectif d’organisations locales pour mener une négocia‑tion avec le porteur du projet sur un certain nombre de points : embauches locales, niveaux de salaires, mais aussi création de divers équipements destinés aux habitants : logements à des tarifs accessibles, facilités de stationnement, infrastructures de loisirs, etc. Dans le cas où un accord est signé, la coalition appuie ensuite l’initiateur du projet pour l’obtention des autorisations nécessaires. Parmi les localités les plus actives, citons la ville de Los Angeles, où des groupements organisés et soutenus par la Los Angeles Alliance for a New Economy (LAANE) ont négocié des accords au moment du développement de l’aéroport de Los Angeles, du Staples Center et du Century Boulevard. Des actions comparables ont été menées à Denver, Milwaukee, Boston, Seattle et Chicago. Aussi intéressantes que puissent être ces initiatives, elles ont aussi leurs limites. En général, elles ne profitent qu’aux riverains des grands projets locaux ; d’autre part, leurs ambitions restent modestes en termes de niveaux de salaires. Elles constituent toutefois un outil original qui contribue au mouvement général associant pouvoir politique et organisations locales pour tirer vers le haut la qualité de l’emploi.

Enfin, un problème important se pose concernant la fixation de normes au bas de l’échelle salariale, celui de l’application effective des standards exis‑tants. En effet, certains défenseurs de ce mouvement font état d’un déclin des efforts de contrôle au cours des dernières années. Il est difficile d’étayer ce senti‑ment par des données, mais une récente synthèse des situations rencontrées à New York souligne bel et bien des problèmes réels, notamment quant au paiement des heures supplémentaires et au respect du salaire minimum (6). Remédier à cette situation relève de la responsabilité conjointe du gouver‑nement fédéral et de la direction du Travail de chaque État. Sous la présidence de Barack Obama, le département d’État chargé du Travail a renforcé son action de contrôle, tandis que certains États et municipalités, comme celle de Miami, ont récem‑ment adopté des dispositions législatives pénalisant le non‑respect du salaire minimum.

(6) Plusieurs enquêtes révèlent que 67 % des salariés à domi‑cile ne sont pas payés pour leurs heures supplémentaires ; 59 % des salariés des restaurants font face au même problème, tandis que les petits commerces de Brooklyn enfreignent de façon régulière la législation sur les salaires et la durée du travail. Voir Brennan Center for Justice (2006), Protecting New York’s Workers, report, p. 2 ; disponible en ligne à l’adresse : http://brennan.3cdn.net/97857ff03d80aae74e_5lm6b9tdl.pdf ; consulté le 21 août 2015.

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Nouvelles politiques, nouveaux problèmes (7)

Comme le montre clairement ce qui précède, une énergie considérable est actuellement consa‑crée, dans l’ensemble du pays, à améliorer la qualité des emplois à bas salaire. Cette activité intense, si elle se réfère à une ambition commune, se présente sous des formes variées. Pour rendre compte de ces différentes contributions et évaluer leur issue probable, il convient d’examiner en quoi consistent ces divergences. Deux axes seront ici distingués : on s’intéressera d’abord aux objectifs poursuivis, puis aux stratégies mises en place pour les atteindre.

Des objectifs pluriels

Pour mieux distinguer les différentes attentes des politiques conduites, on peut considérer conjointe‑ment deux des démarches collectives présentées plus haut : d’une part, les actions en faveur de la hausse du salaire minimum fédéral et, d’autre part, les campagnes sur le salaire décent initiées par des community organizations affiliées au réseau national de l’IAF (Industrial Areas Foundation). À première vue, ces deux initiatives ont de nombreux points communs dans la mesure où elles visent, l’une et l’autre, le relèvement des bas salaires par le biais d’actions législatives. Toutefois, les différences entre ces deux interventions sont importantes. En règle générale, les campagnes de promotion du salaire minimum sont menées par une coalition regroupant différentes structures : syndicats, community organizations, associations d’utilité publique ou organisations militantes. Leur objectif est simple : faire voter et appliquer une loi. L’alliance conclue pour l’occasion ne présente pas d’unité, et sa géométrie peut évoluer en cours de route, en fonction des problématiques abordées. Au contraire, l’IAF, tout en menant campagne pour l’établissement d’un salaire décent, cherche principalement à construire une capacité orga‑nisationnelle pérenne. Cette orientation est bien perceptible dans son slogan « le pouvoir d’abord, la politique ensuite » (power before policy). La lutte pour l’application de telle ou telle politique est d’abord considérée comme un moyen d’édu‑quer, de mobiliser les membres de l’organisation et d’étendre son champ d’action. Jusqu’à un certain point, ces différences importent peu ; il s’agit bel et bien de faire progresser le niveau de rémunération des salariés.

C’est sur le long terme que les divergences appa‑raissent. En règle générale, une coalition de défense du salaire minimum n’a pas vocation à survivre à

(7) Cette section s’appuie sur un travail mené en collaboration avec Annette Bernhardt.

la cause qui l’a fait naître pour mener de nouvelles batailles. Ajoutons que la mise en place d’une telle plate‑forme de revendications communes demande une bonne dose d’énergie, difficile à maintenir sur le long terme. Ce problème ne se pose pas de la même façon à l’IAF, conçue comme une organisa‑tion durable, appelée à de multiples interventions successives. Étant donné que le travail effectif au sein d’une coalition regroupant différents acteurs peut s’avérer difficile, l’IAF, qui se concentre fortement sur la mobilisation et l’organisation, a souvent tendance à faire cavalier seul, stratégie qui, à long terme, pourrait constituer un frein à son action.

En termes de stratégie, on peut effectuer une seconde distinction entre les campagnes explicite‑ment concentrées sur la hausse des bas salaires, et celles pour qui la revalorisation du bas de l’échelle salariale n’est qu’un objectif parmi d’autres. C’est l’opposition classique entre action ciblée et action généraliste, qui peut être replacée dans le contexte plus large des politiques sociales, où l’on établit une différence entre les dispositifs restreints et ceux touchant un public plus large (sKOCpOl, 1991). Le régime national des retraites est un exemple type de dispositif qui participe à la redistribution aux États‑Unis et est largement soutenu par la population. Parce que tout le monde peut en bénéficier, les poli‑tiques y sont largement favorables ; le fait est qu’il a permis de réduire de façon drastique la pauvreté chez les personnes âgées. Pour cette même raison, le programme Medicare et, dans une moindre mesure, le système public d’éducation, jouissent d’un soutien comparable. La question est de savoir si on peut envisager des politiques du marché du travail pourvues des mêmes caractéristiques tout en étant capables d’atteindre leur objectif majeur, à savoir améliorer la qualité des emplois les moins bien rémunérés.

Les acteurs engagés dans les initiatives d’amélioration de la qualité de l’emploi

Entre ces deux types d’actions, on observe égale‑ment des différences que l’on pourrait qualifier de tactiques plutôt que de stratégiques, encore qu’il ne soit pas toujours évident de distinguer ces deux aspects. Quoi qu’il en soit, les différences d’ap‑proche sont manifestes.

La base sous‑jacente aux différentes actions peut varier ; dans certains cas, elle est fortement liée à une identité ethnique, dans d’autres encore, à une identité locale, dans d’autres enfin, à un lieu ou à un cadre commun de travail. Le mouvement Justice for Janitors – une initiative particulièrement effi‑cace basée à Los Angeles et destinée à améliorer les conditions de travail du personnel d’entretien – était au départ majoritairement constitué par des Latinos, et s’inspirait librement d’une culture acquise lors des mouvements de revendications des salariés

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agricoles. On se souvient notamment du slogan à succès « Si se puede » (« Oui, on peut »). Or, cette dimension ethnique a contribué tout à la fois à entretenir le dynamisme et la solidarité au sein du mouvement, et à légitimer cette action aux yeux de l’opinion publique (milKman, 2006). Au contraire, l’IAF est volontairement ouverte à tous sans distinction ; elle évite de s’identifier à un groupe en particulier et cherche à mobiliser à l’échelle d’un quartier ou d’une paroisse (Osterman, 2002). Les problèmes abordés par chacune des deux orga‑nisations sont généralement très ancrés dans la situation d’une aire géographique donnée. Pourtant, la lutte menée par les employés des fast‑foods, les campagnes visant les supermarchés Wal‑Mart ou encore les Restaurant Opportunity Centers sont autant de mouvements qui, en se concentrant sur un même cadre de travail, transcendent les distinctions ethniques et géographiques.

Une autre distinction porte sur la cible principale des actions : certaines visent avant tout à peser sur la décision publique, tandis que d’autres cherchent à susciter une réaction de la part des entreprises. Les actions prenant pour thème le salaire minimum, le salaire décent ou le développement équitable ciblent le gouvernement, tandis que la défense des sala‑riés des fast‑foods ou des magasins Wal‑Mart vise les employeurs eux‑mêmes. Naturellement, le but commun de toutes ces actions est de voir la qualité de l’emploi augmenter ; les différences se situent du côté de la voie choisie pour y parvenir. Il faut encore noter que pour ainsi dire toutes les campagnes menées en direction des pouvoirs publics le sont soit à l’échelle des différents États, soit à l’échelle des municipalités. Ces initiatives locales sont‑elles à même de se fédérer pour gagner une efficacité au niveau national, et de quelle manière cette conver‑gence pourrait‑elle s’organiser ? C’est ce que nous examinerons plus loin.

Enfin, ces différents types d’action peuvent être classés en fonction du lien entretenu avec les orga‑nisations syndicales. Comme nous l’avons rappelé, le militantisme syndical a été jusqu’ici le chemin le plus sûr pour faire progresser la qualité de l’emploi, aussi bien pour les employés des classes moyennes que pour ceux qui se situent au bas de l’échelle. Mais l’affaiblissement du syndicalisme tradi‑tionnel nous invite à prendre en compte d’autres formes de mobilisation et ce, y compris pour des campagnes que l’on peut considérer comme liées à des syndicats. Ainsi, une organisation syndi‑cale du commerce et de la restauration comme la United Food and Commercial Workers Union a soutenu directement les campagnes visant la société Wal‑Mart ; dans l’hôtellerie, la Hotel and Restaurant Employees Union appuie les actions du Restaurant Opportunities Center. Bien qu’elle ne soit pas habilitée à mener des négociations, la Taxi Drivers Union est affiliée à la grande fédération syndicale

AFL‑CIO (8). Si les syndicats apportent leur soutien à de telles organisations, c’est, d’une part, au nom de la défense d’intérêts communs et, d’autre part, parce qu’ils voient en elles le moyen de gagner de nouveaux adhérents, ou d’accentuer la pression sur les entreprises dépourvues de représentants syndicaux, afin d’éviter qu’elles ne se livrent à un dumping salarial en versant des salaires inférieurs aux seuils syndicaux. Quant aux organisateurs des mouvements alternatifs, ils voient dans les syndi‑cats une source non négligeable de ressources et de pouvoir. Néanmoins, certaines actions entretiennent des liens moins étroits avec les organisations syndi‑cales. Les syndicats peuvent ainsi participer à telle ou telle coalition au niveau d’un État sans être pour autant la force motrice du projet. Dans certains cas, enfin, les community organizations se tiennent volontairement à distance des syndicats, que ce soit par souci d’indépendance ou en raison d’une mésen‑tente ancienne entre milieu associatif et syndicats.

Travailler avec les entreprises

Tous les efforts décrits plus haut ont pour objet de faire pression sur les employeurs pour qu’ils améliorent la qualité des emplois propo‑sés. Cependant, une solution alternative consiste à travailler main dans la main avec les entrepreneurs pour parvenir à ce même but. Ainsi, de nouveaux programmes, intitulés « intermédiaires » ou « secto‑riels », se proposent d’améliorer la qualité de l’emploi en mettant en place, conjointement avec les entreprises, des perspectives d’évolution en interne pour les salariés les moins rémunérés. Ces efforts se présentent sous des formes diverses : catégories de salariés visés, institutions pilotant le projet, nature des services offerts peuvent varier. On retiendra cependant une volonté commune de privi‑légier les « bonnes pratiques », à savoir un ensemble d’éléments qui font l’intérêt de ces nouveaux programmes ambitieux et les différencient des plans de formation professionnelle classiques.

Les acteurs de ces nouveaux programmes ont compris que leurs efforts seront d’autant plus effi‑caces qu’ils auront su mettre en lien les deux parties prenantes du marché du travail : les employeurs d’un côté, les salariés de l’autre. Ils s’efforcent donc d’acquérir une réelle connaissance des besoins des entreprises en termes de ressources humaines, et même, dans certains cas, cherchent à accroître leur compétitivité. En bref, il ne s’agit plus de solliciter les entreprises sous l’angle de l’aide sociale ou des relations publiques, mais sous l’angle du business.

En outre, ces programmes centrés sur les bonnes pratiques s’engagent de façon importante pour leurs bénéficiaires, en rejetant les formations trop brèves et de qualité médiocre, les investissements à court

(8) American Federation of Labor – Congress of Industrial Organizations.

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terme, l’accompagnement sommaire à la recherche d’emploi. Au contraire, des formations longues, un engagement durable auprès des entreprises et des services d’assistance financière et de conseil vérita‑blement adaptés sont mis en place.

Des différences non négligeables existent au sein de ces programmes. Nombreux sont ceux qui s’ap‑puient sur les community colleges (établissements d’enseignement supérieur de premier cycle) pour le volet formation, et concentrent leurs efforts sur le soutien apporté aux stagiaires et sur la collaboration avec les employeurs. D’autres, moins nombreux, ont développé leur propre offre de formation. Les initia‑teurs et porteurs de ces projets varient également : associations locales, syndicats, community colleges, organisations patronales, ou encore gouvernement d’État. Enfin, certains de ces dispositifs s’adressent uniquement ou majoritairement aux salariés déjà en poste, tandis que d’autres sont accessibles aux demandeurs d’emploi.

Du côté des actions menées en collaboration avec les entreprises, deux grandes stratégies se dégagent. La première consiste à redéfinir les profils de poste afin d’établir une échelle des carrières, ou d’élargir à d’autres tâches les emplois existants. Ceci suppose que soit conduite une réorganisation du travail avec les instances managériales, ainsi qu’une formation et un accompagnement des salariés confrontés à ces nouvelles responsabilités, afin de faciliter leur progression au sein de l’entreprise. La seconde, moins ambitieuse, se borne à encourager les entre‑prises partenaires à rendre davantage de formations accessibles à leurs salariés les moins rémunérés, dans l’espoir que ceci suffira à faire avancer leur carrière.

Plusieurs évaluations nationales de ces programmes sont en cours ; dans l’immédiat, il faut se contenter des quelques études prudentes consa‑crées à tel ou tel projet. Notons toutefois que les premiers retours semblent positifs. On prendra pour exemple l’évaluation par répartition aléa‑toire de trois programmes « sectoriels » offrant une formation de base adaptée au secteur concerné (en l’occurrence la santé, la production industrielle et les technologies de l’information) à des personnes présentant de multiples handicaps à l’embauche et gagnant en moyenne moins de 10 000 $ par an avant d’entrer dans le dispositif (maguire et al., 2010). Après avoir suivi l’ensemble du programme, les revenus du groupe de traitement dépassaient ceux du groupe témoin de plus de 4 000 $.

Un autre exemple parlant est celui du projet Quest mené dans la ville de San Antonio, emblématique à maints égards des fameuses « bonnes pratiques ». Un travail est mené auprès des employeurs pour antici‑per leurs besoins en main‑d’œuvre. Les entreprises sont souvent impliquées dans la mise au point de nouvelles offres de formation. Les bénéficiaires du programme sont correctement accompagnés par le

biais de conseils personnalisés, mais aussi de petits coups de pouce financiers. Enfin, le programme se déploie sur une durée relativement longue : l’investissement sur les personnes concernées est donc significatif. Les participants au projet Quest gagnent en moyenne 5 000 $ de plus que le groupe témoin (lautsCh, Osterman, 1998). Capital Idea, un programme similaire lancé dans la ville d’Austin (Texas), a abouti à des résultats comparables (King et al., 2009).

* * *

On peut se réjouir de ce qu’au cours des deux dernières décennies, bon nombre de stratégies de lutte contre les bas salaires ont déjà été expé‑rimentées, ce qui a permis d’acquérir une solide connaissance de ce qui fonctionne et de ce qui pourrait fonctionner. L’autre sujet de satisfaction est le dynamisme avec lequel le problème est pris à bras‑le‑corps dans de nombreuses communau‑tés. Outre sa créativité, l’ampleur géographique de ce mouvement est tout à fait remarquable : autant d’initiatives contrastent avec l’image d’un marché du travail américain purement libéral, et mettent en évidence l’importance des initiatives locales et de l’investissement des entreprises elles‑mêmes dans les stratégies de lutte contre la mauvaise qualité de l’emploi.

En dépit de ces points positifs, une question épineuse demeure : quel est le résultat global de toutes ces actions ? Peut‑on considérer qu’au bout du compte, les conditions de vie des travailleurs mal payés s’en trouvent transformées de façon signifi‑cative ? Un certain nombre de signes suggèrent une réponse positive. À Seattle, les salariés à bas revenus disposent désormais d’un minimum horaire de 15 $, ce qui est bien au‑dessus de la limite retenue dans cet article. Dans les localités où ont été signés des Community Benefit Agreements avan‑tageux, des emplois de qualité sont créés qui ne l’auraient sans doute pas été précédemment. Mais le marché de l’emploi des États‑Unis est immense, et le nombre d’adultes occupant un emploi sous‑payé, actuellement de l’ordre de trente millions, n’est apparemment pas en voie de diminution. Les louables efforts que nous avons décrits ne suffisent pas à inverser la tendance.

Pour espérer agir avec efficacité, tous les efforts locaux doivent se greffer sur une politique d’enver‑gure nationale. L’expérience a montré que l’on peut y parvenir de deux manières : soit par un mouve‑ment syndical fort, doté d’une réelle puissance d’action, soit par une politique fédérale résultant de la conviction des élus – ou plus vraisemblablement, des pressions exercées sur eux par différents groupes d’intérêts, comme ceux qui font valoir les droits

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des minorités raciales, des femmes, des personnes handicapées ou des homosexuels. Aujourd’hui, le syndicalisme n’est plus en position de force comme il a pu l’être par le passé ; isolés, les défenseurs des travailleurs à bas salaires agissent en ordre dispersé.

Les organisateurs de ces initiatives parfois impres‑sionnantes doivent chercher à unir les efforts de tous et à s’assurer un large soutien de la base. Ce n’est qu’en relevant ce défi que ces acteurs de terrain rendront possible une évolution en profondeur.

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Travail et Emploi142  (avril-juin 2015)Les institutions du travail : quelles réévaluations ?

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Charlotte Levionnois

Une lecture institutionnelle desdifférences de qualité du travail et del’emploi entre la France et les États-Unis................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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Référence électroniqueCharlotte Levionnois, « Une lecture institutionnelle des différences de qualité du travail et de l’emploi entre laFrance et les États-Unis », Travail et Emploi [En ligne], 142 | avril-juin 2015, mis en ligne le 01 avril 2017, consultéle 19 janvier 2016. URL : http://travailemploi.revues.org/6617

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Une lecture institutionnelle des différences de qualité du travail et de l’emploi entre la France

et les États-UnisCharlotte Levionnois (*)

Cet article propose une comparaison franco-américaine de la qualité de l’emploi des enfants d’immigrés. En utilisant l’enquête Emploi en continu et l’enquête sur la population américaine (Current Population Survey) entre 2008 et 2012, nous analysons trois dimensions de la qualité du travail et de l’emploi : le salaire, la sécurité de l’emploi et le temps de travail. L’analyse met en évidence une qualité de l’emploi des enfants d’immigrés en moyenne inférieure à celle des natifs dans les deux pays, et qui est par ailleurs très hétérogène au sein du groupe des descendants d’immigrés. Nous montrons que les écarts observés sont plus souvent imputables à l’origine géographique en France qu’aux États-Unis. Nos résultats laissent penser que si les institutions françaises assurent un niveau de qualité de l’emploi globalement supérieur, elles s’accompagnent d’inégalités plus marquées entre natifs et descendants d’immigrés et impliquent une plus forte barrière à l’entrée dans l’emploi.

De nombreuses études comparatives montrent que la qualité de l’emploi, concept multidimen‑sionnel abordé ici dans une perspective de sécurité socio‑économique, est hétérogène au sein des pays de l’Organisation de coopération et de dévelop‑pement économiques (OCde, 2013a ; sChmitt, 2012). Des liens entre qualité de l’emploi et insti‑tutions du marché du travail ont notamment été mis en évidence : la dépense publique par chômeur (qui correspond aux politiques de l’emploi) ou l’existence d’un salaire minimum relativement élevé contribuent par exemple à réduire les risques de dégradation de la qualité de l’emploi des indi‑vidus (gautié, sChmitt, 2010). Par ailleurs, les travaux sur ce sujet mettent en lumière une hétéro‑généité entre individus d’un même pays. Certaines caractéristiques individuelles sont défavorables en matière de qualité de l’emploi : les femmes et les peu qualifiés ont généralement une qualité de l’emploi inférieure aux autres individus dans l’ensemble des économies développées (OCDE, 2013a). Cette hétérogénéité est d’autant plus marquée dans les pays libéraux, où les institutions du marché du travail sont théoriquement « peu inclusives (1) ».

(*) Centre d’économie de la Sorbonne ; Centre d’études de l’emploi ; charlotte.levionnois@univ‑paris1.fr(1) « Les systèmes dits “inclusifs” utilisent la négociation collective, le droit national, et même les normes sociales – des mécanismes volontaires qui régissent le comportement des entreprises – pour étendre le pouvoir de négociation indi‑viduelle et collective des travailleurs à hauts salaires à ceux faiblement rémunérés, ce qui permet souvent à ces travailleurs à bas salaires de franchir les seuils de bas salaires. » (appelBaum, sChmitt, 2009, p. 1909 ; nous traduisons.)

La qualité de l’emploi des populations immi‑grées et issues de l’immigration a fait l’objet de peu d’études en soi. Pourtant, même si les positions sur le marché du travail des descendants d’immi‑grés sont meilleures que celles de leurs parents, des inégalités entre populations descendant de l’immigration et natives peuvent être relevées dans la littérature. Les inégalités apparaissent dès la spécialisation par le diplôme et le niveau d’étude (alBa, hOldaWay, 2013). Elles se retrouvent ensuite sur le marché du travail : certaines études ont par exemple mis en lumière les discrimina‑tions à l’embauche envers les immigrés et leurs descendants par rapport aux natifs. Ces inégalités dans l’accès à l’emploi peuvent être favorisées par une réglementation peu contraignante du travail, comme dans les pays libéraux, notamment aux États‑Unis (OCde, 2013b ; sChmitt, 2012). Elles peuvent également renvoyer à d’autres politiques publiques, comme celles portant plus spécifique‑ment sur l’intégration des populations issues de l’immigration.

L’analyse comparative de la qualité de l’em‑ploi des descendants d’immigrés proposée dans cet article s’intéresse à la France et aux États‑Unis. Ces deux pays présentent des similarités démographiques puisque la proportion d’enfants d’immigrés est en 2012 de 9,8 % dans la popula‑tion française en âge de travailler et de 8,4 % dans la population américaine correspondante (cf. infra pour une présentation des données utilisées dans l’article). La France et les États‑Unis ont à l’in‑verse deux ensembles très différents d’institutions du marché du travail, qui sont protectrices mais

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duales (2) en France et nettement moins protec‑trices aux États‑Unis (gallie, 2007), et de deux modèles d’intégration à bien des égards opposés : l’un étant « républicain » (en France) quand l’autre est « multiculturaliste » (aux États‑Unis ; Weil, 2003). Les effets attendus de la combinaison des institutions du marché du travail et des modèles d’intégration sur les inégalités en termes de qualité de l’emploi des descendants d’immigrés sont complexes. Comment les effets protecteurs des institutions du marché du travail françaises influencent-ils les différences de qualité de l’emploi entre sous‑populations ? Est‑ce que les politiques américaines d’intégration plus volon‑taristes permettent d’améliorer les écarts selon l’origine des parents ?

Dans cet article, nous tentons de préciser empi‑riquement les différences de qualité de l’emploi existant entre descendants d’immigrés et natifs. Nous testons ensuite l’existence d’inégalités de qualité reposant sur des critères d’origine et proposons des hypothèses d’interprétation de nature institutionnelle. Nous ne prétendons pas à une analyse causale des liens entre institutions et qualité de l’emploi des descendants d’immigrés, mais soumettons à la discussion plusieurs hypo‑thèses expliquant les différences entre les deux pays.

Pour ce faire, la première partie revient sur le concept de qualité de l’emploi et ses composantes, puis présente un état de la littérature consacrée à l’intégration sur le marché du travail des enfants d’immigrés. Dans une deuxième partie, nous détail‑lons nos données et la stratégie empirique adoptée. Enfin, la troisième partie propose une analyse économétrique des effets de l’origine sur l’accès à l’emploi et la qualité de l’emploi en France et aux États‑Unis, suivie d’une discussion des résul‑tats à partir d’un cadre d’analyse institutionnel comparatif.

La qualité de l’emploi en France et aux États-Unis

La qualité de l’emploi : une notion multidimensionnelle

La littérature économique et les organisations internationales s’accordent pour considérer la qualité de l’emploi comme un concept multidi‑mensionnel. Nous mettons ici l’accent sur trois dimensions essentielles liées à la sécurité socio‑économique retenues dans les travaux académiques

(2) Le dualisme du marché du travail peut par exemple être défini par une « coexistence d’un secteur primaire caractérisé par de hauts salaires et la sécurité de l’emploi, et un secteur secondaire dans lequel les salaires sont faibles et le risque de chômage important. » (CahuC, zaJdela, 1991, p. 469.)

et les définitions proposées par les organisa‑tions internationales (UneCe, 2010 ; ILO, 2012) : le salaire, la sécurité de l’emploi et le temps de travail.

Le salaire constitue la composante la plus souvent intégrée à l’analyse de la qualité de l’emploi dans la mesure où il peut permettre aux travailleurs d’acquérir un niveau de vie décent. De nombreux travaux se sont concentrés sur le low-wage work (appelBaum, sChmitt, 2009 ; CarOli, gautié, 2009 ; gautié, sChmitt, 2010), en particu‑lier aux États‑Unis où les inégalités de revenu et de salaire ont explosé au xxe siècle (piKetty, saez, 2003). Plus de 20 % des travailleurs y gagnent un salaire inférieur au seuil de pauvreté (Osterman, shulman, 2011 ; article de Paul Osterman dans ce numéro). Cette littérature souligne qu’en France, la part de travailleurs pauvres est plus faible en raison d’institutions du marché du travail plus « inclusives » et notamment de l’existence et du niveau du salaire minimum (appelBaum, sChmitt, 2009).

Un deuxième pan de la littérature établit une distinction entre good jobs et bad jobs, qui est principalement déterminée par le niveau de sécu‑rité de l’emploi. En plus d’envisager les niveaux de salaire, les analyses prennent ainsi en compte le type de contrat de travail, en distinguant les emplois temporaires des emplois à durée indé‑terminée (CDI). En France, cette distinction est particulièrement pertinente étant donné la différence de sécurité de l’emploi existant entre emplois à durée indéterminée (CDI ou titulaires de la fonction publique) et déterminée (CDD, contrats saisonniers, contrats d’intérim ou de travail temporaire, contrats d’apprentissage, contrats en alternance). Aux États‑Unis, l’écart de sécurité entre les différents emplois ne se joue pas tant sur le contrat de travail que sur l’accès à l’assurance‑santé. Alors qu’en France l’assu‑rance‑santé est universelle, cette dernière varie en fonction du contrat de travail aux États‑Unis. C’est donc l’accès à ces formes de prestations sociales associées au contrat de travail, les benefits (3), qui constitue, pour les Américains, un critère détermi‑nant de la sécurité de leur emploi (KalleBerg et al., 2000 ; sChmitt, JOnes, 2012).

Les deux premières dimensions de la qualité de l’emploi (salaire et sécurité de l’emploi) sont inti‑mement liées à une troisième, le temps de travail. En effet, malgré leur diversité (ulriCh, zilBerman, 2007), les emplois à temps partiel assurent géné‑ralement un salaire assez faible en raison du faible nombre d’heures travaillées et offrent moins de sécurité – que ce soit aux salariés français, qui

(3) Les benefits sont des prestations annexes versées par l’employeur telles qu’une contribution à une assurance‑maladie ou une pension complémentaire retraite.

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sont moins souvent en contrat à durée indéter‑minée, ou aux travailleurs américains en termes d’accès aux benefits. Les emplois à temps partiel sont de plus en plus utilisés par les entreprises dans une logique de flexibilité (ILO, IILS, 2008). Ils peuvent constituer des emplois précaires, que les travailleurs choisissent parfois pour des raisons personnelles mais qu’ils subissent lorsque leurs opportunités d’emploi à temps plein sont inexistantes.

Les apports de la littérature sur les inégalités selon l’origine

Dans les deux pays, l’intégration des descendants d’immigrés sur le marché du travail a fait l’objet de nombreuses recherches : de leur employabilité à certaines caractéristiques spécifiques de leurs emplois, l’objet principal d’investigation restant toutefois leur salaire. Ces études, qui comparent la situation des natifs à celle des descendants d’immi‑grés, ont mis en évidence l’existence d’inégalités liées à l’origine, notamment dans l’accès à l’emploi ou sur le salaire.

Cette hétérogénéité des situations en fonction de l’origine se retrouve dans les deux pays ; d’abord aux États‑Unis, où les premiers travaux sur l’ethni‑cité ont vu le jour, avec l’ouvrage de Nathan Glazer et Daniel P. MOynihan (1963). En France, Roxane SilBerman et Irène FOurnier (2006) ont mis en évidence une « pénalité ethnique (4) » pour les descendants d’immigrés, dont les plus touchés sont les Maghrébins, les Turcs et les Africains origi‑naires de la zone subsaharienne. Les études sur le degré de sécurité de l’emploi indiquent par ailleurs une plus forte vulnérabilité à l’emploi précaire de certains descendants d’immigrés : plus de 25 % de ceux ayant une origine maghrébine ou subsaha‑rienne occupent des emplois précaires (meurs, et al., 2006). À l’inverse, certaines populations issues de l’immigration (première et seconde génération) sont relativement bien intégrées professionnelle‑ment, par exemple celles venant du Portugal (meurs et al., 2006).

La littérature souligne l’importance de la structure des emplois pour expliquer ces inéga‑lités entre natifs et descendants d’immigrés mais aussi entre groupes d’origine différente (ButCher, dinardO, 1998 ; aeBerhardt, pOuget, 2007). Romain AeBerhardt et ses coauteurs (2010) chiffrent l’écart salarial entre les descendants d’immigrés maghrébins et les natifs à 13 %, l’hypothèse d’une ségrégation professionnelle plutôt qu’une discrimination salariale étant par

(4) La « pénalité ethnique » consiste en « des désavantages rencontrés sur le marché du travail par les minorités ethniques, par rapport à des groupes dits majoritaires, à niveau de capital humain et social égal. » (hasmath, 2012, p. 5 ; nous traduisons, voir aussi heath, ridge, 1983.)

ailleurs avancée comme principale explication (aeBerhardt, pOuget, 2007). C’est aussi ce que suggèrent Dominique Meurs et ses coauteurs (2006) à l’aide de l’enquête Étude de l’histoire familiale, mettant en évidence une ségréga‑tion professionnelle de certains descendants d’immigrés dans les emplois peu rémunérés. Dans certains secteurs d’activité, on compte de nombreux descendants d’immigrés d’une même origine, ce qui induit une spécialisation de fait : en France, tel est le cas des immigrés portugais et de leurs descendants dans la construction et les secteurs de petite industrie ou des jeunes hommes d’origine maghrébine dans le secteur des services (lainé, OKBa, 2005). Ces orientations peuvent à terme conduire les travailleurs à occuper des emplois dans des secteurs à la qualité de l’emploi très variable.

Dans l’ensemble, la littérature suggère ainsi une forte hétérogénéité entre origines, qu’il conviendra de tester dans notre analyse empirique non seule‑ment s’agissant de l’accès à l’emploi mais aussi des caractéristiques de ce dernier.

Comparaison franco-américaine des composantes de la qualité de l’emploi

Données et méthode

La mesure de la qualité de l’emploi en pratique

Notre comparaison empirique repose sur l’exploitation de deux bases de données. D’une part, nous utilisons l’enquête Emploi en continu (EEC) de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) pour la France de 2008 à 2012, ce qui nous permet de disposer d’un échantillon représentatif, adapté aux décomposi‑tions selon l’origine des parents. D’autre part, et de façon similaire, nous utilisons le supplément mensuel de mars de la Current population survey (CPS), intitulé Annual Social and Economic (Asec) de 2008 à 2012 pour les États‑Unis. L’enquête CPS est conduite mensuellement par le Census Bureau (CB) et fournit plus précisément, dans le supplément de mars, des informations détaillées sur les caractéristiques des individus et leur situation sur le marché du travail. Ces deux bases de données permettent l’identifica‑tion précise des descendants d’immigrés (voir encadré).

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Encadré

Les descendants d’immigrés dans l’enquête Emploi en continu et la Current

Population Survey

Un descendant d’immigré est, dans le cas fran-çais, une personne résidant en France et née en France d’au moins un parent immigré, c’est-à-dire né étranger à l’étranger. De la même manière, aux États-Unis, un descendant d’immigré réside dans le pays, y est né, et a au moins un de ses parents qui est immigré.

En France, contrairement à la plupart des pays et à la pratique internationale qui se base sur le pays de naissance indépendamment de la natio-nalité à la naissance, une personne présente en France, née à l’étranger mais de nationalité fran-çaise à la naissance n’est pas considérée comme immigrée (1).

Dans cet article, le pays de naissance du père ou de la mère immigré(e) détermine l’origine géographique. Dans les cas où les deux parents sont immigrés, c’est le pays du père qui est choisi (Minni, Okba, 2014). Nous nous concentrons ici sur les situations des descendants d’immigrés par rapport à celles des natifs, c’est-à-dire des personnes nées en France dont aucun des deux parents n’est immigré.

(1) « Il existe un cas particulier quand les parents sont nés en Algérie avant l’indépendance (1962) mais ont décidé de rester en Algérie et de garder la nationalité algérienne à ce moment. En cas de questions sur leurs origines, ces parents doivent se déclarer algériens de naissance nés en Algérie (la question du pays de naissance concerne toujours les pays dans leurs frontières actuelles), soit étrangers nés à l’étranger. S’ils ont migré en France par la suite et ont donné naissance à un enfant, ce dernier naît français selon le principe du double droit du sol (les parents et l’enfant sont nés en France, l’Algérie étant un département français avant 1962). » (Breem, 2010, p. 3.)

Notre étude de la qualité de l’emploi repose sur l’analyse des trois dimensions présentées dans la section précédente (salaire, sécurité de l’emploi, temps de travail) (5). Travailler sur des dimensions désagrégées permet de conserver au maximum l’information disponible (guergOat-larivière, marChand, 2012 ; Osterman, 2013). Ces trois dimensions correspondent aux caractéristiques de l’emploi mais ne couvrent pas celles intrinsèques du travail, comme les conditions de travail, notam‑ment en raison de la disponibilité des données. Ne sont par ailleurs considérés que les emplois du secteur privé, les fonctionnaires étant exclus du champ d’étude.

(5) L’analyse est réalisée pour l’emploi principal des individus. Les emplois secondaires ne sont pas étudiés.

Les mesures de ces dimensions peuvent différer entre la France et les États‑Unis en raison des spéci‑ficités institutionnelles nationales. Par exemple, pour la France, la dimension sécurité de l’emploi s’appuie sur la nature du contrat de travail, avec deux modalités : l’une pour laquelle l’emploi a une sécurité élevée (les CDI) et l’autre, à faible sécurité de l’emploi, qui comprend les CDD, les contrats saisonniers, les contrats en apprentissage et en alternance et les contrats de travail temporaire et d’intérim. Aux États‑Unis, la dimension relative à la sécurité de l’emploi repose sur la mise à disposition de la part des employeurs d’une assurance‑santé. La dimension temps de travail est construite de façon proche dans les deux pays grâce à une variable à deux modalités : l’une qui comprend le temps complet (6) et le temps partiel choisi et l’autre, le temps partiel subi. Pour le salaire, nous utilisons la même variable de salaire net mensuel en France et aux États‑Unis.

La mise en évidence du rôle de l’origine sur la qualité de l’emploi et la prise en compte de la sélection à l’entrée

Notre stratégie empirique repose sur un modèle d’Heckman (heCKman, 1998) qui permet de tenir compte du degré différent de sélection (7) des natifs et des descendants d’immigrés pour accéder à un emploi. Dans une première étape, une régression de type probit binomial est réalisée pour estimer la probabilité d’être en emploi avec l’introduction d’une variable de sélection. À la suite de nombreux travaux consacrés à l’estimation de modèles de participation au marché du travail, nous utilisons les caractéristiques du ménage – situation matrimoniale et nombre d’enfants – comme variables d’exclusion (mrOz, 1987 ; hyslOp, 1999 et BuChinsKy et al., 2010). Nous distinguons d’abord dans notre modèle les descendants d’immigrés des natifs puis, pour prendre en compte l’hétérogénéité entre origines, l’analyse est désagrégée par origine des parents. Dans une seconde étape, nous estimons trois régres‑sions de qualité de l’emploi : une régression linéaire pour le salaire et deux probits binomiaux (8) pour la sécurité de l’emploi et le temps de travail.

Nous introduisons de nombreux contrôles dans les analyses économétriques. D’abord, nous contrôlons par le genre, les femmes étant largement pénalisées en termes de qualité de l’emploi en France mais aussi aux États‑Unis (davOine, erhel, 2007 ; KalleBerg et al., 2000). Nous contrôlons par ailleurs par l’âge,

(6) Aux États-Unis, le temps plein est défini comme un emploi de 35 heures par semaine (temps de travail plein fédéral) même si, en pratique, cette durée est parfois considé‑rée comme partielle (voir le glossaire en ligne du Bureau of Labor Statistics : http://www.bls.gov/bls/glossary.htm#F ; page consultée le 24 août 2015).(7) On postule la normalité jointe des termes d’erreur.(8) Dans le cas où la variable expliquée est qualitative et binaire, on parle de probits bivariés avec sélection.

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ce qui permet à la fois de tenir compte de la struc‑ture d’âge différente des populations et de capter les difficultés rencontrées par les jeunes notamment (le rhun, minni, 2012). Supposant que l’âge n’a pas un impact linéaire – les seniors se trouvent également en difficulté (ibid.) – nous contrôlons par l’âge sous une forme quadratique. Nous prenons aussi en compte le niveau de diplôme afin de considérer les effets de structure, puisque les individus les plus diplômés ont en moyenne une meilleure qualité de l’emploi (le rhun, pOllet, 2011) (9). Une variable sur le fait d’avoir au moins un parent non immigré (i.e. fran‑çais ou américain) est construite afin de contrôler du potentiel différentiel d’intégration selon que l’indi‑vidu ait bénéficié ou non de la culture française ou américaine par au moins l’un de ses parents (algan et al., 2012). En raison des disparités territoriales dans les deux pays (rathelOt, 2010 ; BOrJas, 1995), une variable de résidence est introduite : elle tient compte du fait de vivre dans une aire métropolitaine aux États‑Unis et, en France, de celui d’habiter en région parisienne et en zone urbaine sensible (ZUS). Enfin une dernière variable de contrôle portant sur le secteur d’activité de l’emploi a été ajoutée pour contrôler des disparités sectorielles en termes de qualité de l’emploi.

Qui sont les descendants d’immigrés ?

Portrait des descendants d’immigrés

Dans le cadre de cette comparaison institution‑nelle, nous nous concentrons sur les descendants d’immigrés, qui représentent une frange importante de la population des deux pays et présentent des caractéristiques sociodémographiques spécifiques.

Graphique 1 : Répartition des descendants d’immigrés selon l’origine de leurs parents

en France

Insérer illustration n° 1

Champ : Descendants d’immigrés, de 20  à 60 ans, en France métropolitaine.Source : Enquête Emploi en continu 2012, Insee.

(9) L’hypothèse d’un effet de composition a aussi été testée au moyen de deux contrôles supplémentaires (part des jeunes et part des non‑diplômés) dans des régressions non incluses dans l’article pour des contraintes de place.

Graphique 2 : Répartition des descendants d’immigrés selon l’origine de leurs parents

aux États-Unis

Insérer illustration n° 2

Champ : Descendants d’immigrés, de 20 à 60 ans, aux États-Unis.Source : Current Population Survey 2012, BLS.

La France et les États‑Unis ont connu de fortes vagues migratoires entre le xixe et le début du xxe siècle puis, de nouveau et surtout, dans les années 1960 (green, 1991). Les descendants des immigrés d’après‑guerre sont aujourd’hui nombreux sur le marché du travail des deux pays (voir graphiques 1 et 2 pour une répartition des enfants d’immigrés par origine). Ils sont en moyenne plus jeunes que les natifs (les descen‑dants d’immigrés sont dans les deux pays plus nombreux à avoir moins de 25 ans, et moins nombreux au‑delà de 35 ans en France et de 45 ans aux États‑Unis [voir tableaux 1 et 2]). Ils ont également un niveau d’éducation plus faible : les tableaux 1 et 2 montrent que, par rapport aux natifs, une part plus importante des descendants d’immi‑grés est non diplômée (i.e. le certificat d’études primaires ou moins en France, et sortie du système scolaire au niveau de l’équivalent de la quatrième, sans diplôme, aux États‑Unis) et qu’une part moins importante est diplômée du supérieur dans les deux pays. Enfin, les descendants d’immigrés habitent plus fréquemment en zone urbaine aux États-Unis et en zone urbaine sensible et/ou région parisienne en France.

Maghreb32 %

Europe du Sud43 %

Reste de l’Afrique8 %

Europe de l’Est7 %

Europe du Nord10 %

Mexique27 %

Porto Rico8 %

Asie10 %

Canada7 %

Europe du Nord16 %

Europe du Sud12 %

Europe de l’Est4 %

Caraïbes3 %

Amérique latine5 %

Autre8 %

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Tableau 1 : Portrait statistique des enfants d’immigrés en France en 2012

En %Français nés de parents

français

Enfants d’immigrés

Dont

Maghreb Europe du Sud

Reste de l’Afrique

Europe de l’Est

Europe du Nord

SexeFemme 52,2 53,9 54,1 52,6 55,1 54,2 52,7Homme 47,8 46,1 45,9 47,4 44,9 45,8 47,3ÂgeMoins de 25 ans 12,6 17,1 19,5 11,0 40,5 4,9 14,1De 26 à 35 ans 24,1 28,3 37,0 22,7 36,4 14,5 20,0De 36 à 45 ans 26,1 24,4 27,8 29,6 11,0 18,5 19,4De 46 à 60 ans 37,3 30,3 15,7 36,7 12,1 62,2 46,6DiplômePas de diplôme 14,1 19,3 23,8 17,2 15,7 17,8 13,3BEPC ou Brevet des collèges 6,9 9,0 9,0 7,9 8,9 10,9 7,3CAP-BEP* 25,1 23,8 21,5 28,3 9,6 29,3 21,7Baccalauréat professionnel 7,1 7,1 7,5 8,6 6,3 2,8 5,2Baccalauréat technologique 4,9 4,9 5,5 4,8 8,4 3,1 4,8Baccalauréat général 8,5 9,9 8,0 8,5 21,9 10,4 12,0Formations de santé (Bac + 2) 2,8 1,7 1,5 2,1 1,1 0,8 2,3BTS-DUT** 11,0 9,4 9,6 10,0 9,0 9,2 9,9Université : Bac + 2 1,3 1,4 1,6 1,5 0,5 3,3 0,8Université : Bac + 3 5,6 3,9 4,5 2,8 4,8 3,9 5,9Université : Bac + 4 3,3 2,6 2,2 2,7 1,5 1,7 2,2École (Bac + 3 et plus) 3,9 2,3 1,9 1,9 0,8 2,1 6,2Bac + 5 et plus 5,6 4,8 3,4 3,7 11,5 4,7 8,4Type de ménageHomme célibataire sans enfant 14,7 12,7 11,7 13,5 12,8 10,0 14,2Femme célibataire sans enfant 13,0 12,5 8,7 13,5 11,4 17,7 12,8Homme célibataire avec enfants 13,3 16,9 18,1 16,8 23,6 12,2 11,2Femme célibataire avec enfants 15,6 18,9 22,2 16,4 28,0 12,9 12,9Homme en couple sans enfant 5,5 4,0 2,6 4,7 2,0 6,1 5,9Femme en couple sans enfant 6,9 6,1 4,6 5,7 4,5 11,0 9,9Homme en couple avec enfants 14,3 12,6 13,5 12,4 6,6 17,6 16,0Femme en couple avec enfants 16,7 16,4 18,6 17,0 11,3 12,7 17,1Lieu de résidenceHabite en province, hors d’une ZUS 83,1 69,8 60,7 78,7 42,8 79,4 81,9Habite en Île-de-France, hors d’une ZUS 16,0 27,6 33,3 20,8 54,4 19,0 17,1Habite en province, dans une ZUS 0,8 1,7 3,4 0,5 1,7 1,1 1,0Habite en Île-de-France, dans une ZUS 0,2 1,0 2,7 0,0 1,1 0,5 0,0Situation sur le marché du travailActif occupé 77,0 66,6 56,2 76,4 60,7 71,1 70,1Chômeur (à la recherche d’un emploi) 7,5 11,2 16,4 8,5 12,5 8,7 7,1Autre chômeur au sens du BIT*** 0,4 0,5 0,3 0,3 0,6 0,0 0,8Autre personne sans emploi 15,1 21,7 27,1 14,8 26,3 20,3 22,0Nombre d’observations 29 195 3 376 1 092 1 473 261 225 325

* : Certificat d’aptitude professionnelle – Brevet d’études professionnelles.** : Brevet de technicien supérieur – Diplôme universitaire de technologie.*** : Bureau international du travail.

Lecture : Parmi les Français dont les parents sont nés français, 5,64 % sont titulaires d’un diplôme de niveau Bac + 5 et plus.

Champ : Individus de nationalité française, ayant entre 20 et 60 ans, vivant en logement ordinaire et qui ne sont ni étudiant, ni retraité, ni travail-leur indépendant.

Source : Enquête Emploi en continu 2012, Insee.

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Tableau 2 : Portrait statistique des enfants d’immigrés aux États-Unis en 2012

En %

Am

éric

ains

s de

pare

nts

amér

icai

ns

Enf

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d’

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Dont (pays ou région d’origine des parents)

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Aut

res

SexeFemme 50,1 51,5 51,8 56,8 49,6 49,2 49,2 52,6 43,0 59,5 54,7 52,7Homme 49,9 48,5 48,2 43,2 50,4 50,8 50,8 47,4 57,0 40,5 45,3 47,3ÂgeMoins de 25 ans 3,4 6,6 12,4 2,5 5,5 3,1 2,5 2,2 0,3 4,0 15,9 8,1De 26 à 35 ans 20,5 29,3 38,1 23,5 46,2 15,6 20,4 18,7 12,0 39,8 42,0 27,4De 36 à 45 ans 28,5 29,5 29,9 33,3 27,4 28,7 26,8 33,2 23,4 42,8 24,4 29,8De 46 à 60 ans 47,6 34,6 19,6 40,7 21,0 52,6 50,3 45,9 64,3 13,4 17,8 34,8DiplômePas de diplôme 0,4 1,1 3,0 1,7 0,5 0,4 0,0 0,0 0,0 2,3 0,5 0,3Sortie du lycée sans diplôme 3,8 4,9 11,7 8,7 0,0 3,2 1,7 1,8 1,3 2,0 1,4 2,4Diplôme du lycée 46,6 42,2 55,1 52,2 22,9 42,8 36,7 33,5 32,7 30,6 55,3 36,4Associate degree (Bac + 2, professionnel) 5,5 4,6 5,1 7,8 2,7 3,6 5,6 6,6 0,7 2,4 3,0 2,4Associate degree (Bac + 2, académique) 7,0 6,4 5,6 5,7 6,9 6,7 6,9 6,8 10,3 8,0 3,8 5,9Bachelor’s degree (Bac + 3) 24,0 24,4 14,2 13,5 40,0 22,6 31,3 29,5 26,3 25,1 23,6 30,2Master’s degree (Bac + 5) 9,6 11,6 4,4 8,9 13,9 15,1 14,4 13,9 20,1 22,5 11,0 14,8Formations professionnelles (Bac + 2) 1,7 2,9 0,6 1,3 9,6 2,8 1,6 5,4 3,0 6,1 0,1 4,2Doctorat 1,5 1,9 0,4 0,4 3,6 2,9 1,8 2,5 5,6 1,1 1,4 3,3Type de ménageHomme célibataire sans enfant 7,4 6,4 5,2 8,2 5,0 6,0 6,6 4,4 12,3 10,7 9,3 7,1Femme célibataire sans enfant 7,9 6,4 6,1 7,9 3,8 8,8 5,2 8,7 6,7 4,5 4,0 8,4Homme célibataire avec enfants 1,5 1,6 1,7 1,4 1,0 1,5 2,0 0,8 0,6 0,0 1,0 4,1Femme célibataire avec enfants 4,7 5,8 8,5 10,4 1,8 3,2 5,0 4,2 1,8 9,6 7,0 3,3Homme en couple sans enfant 18,4 15,4 12,1 13,1 21,5 22,8 17,0 13,9 21,6 8,2 14,9 13,5Femme en couple sans enfant 18,8 16,3 10,5 14,2 20,9 17,1 20,3 16,5 21,1 13,2 16,9 21,0Homme en couple avec enfants 22,6 25,1 29,2 20,5 23,0 20,4 25,3 28,3 22,5 21,7 20,2 22,6Femme en couple avec enfants 18,7 23,1 26,7 24,4 23,1 20,1 18,7 23,3 13,3 32,3 26,8 19,9Lieu de résidenceHabite en métropole 81,5 93,8 93,5 95,4 96,6 91,5 90,8 95,8 89,4 98,4 99,0 91,9Habite hors métropole 18,5 6,2 6,5 4,6 3,4 8,5 9,3 4,2 10,7 1,7 1,0 8,1Situation sur le marché du travailActif occupé 92,3 92,2 90,5 90,4 93,4 92,9 92,9 93,4 93,0 88,2 91,7 95,8Chômeur (à la recherche d’un emploi) 3,4 4,1 5,1 4,8 3,7 1,9 4,5 2,6 6,4 5,6 5,5 1,4Autre chômeur 0,7 0,5 0,7 0,8 0,3 0,1 0,3 0,3 0,0 0,0 1,2 0,6Autre personne sans emploi 3,6 3,2 3,6 4,0 2,6 5,2 2,3 3,7 0,6 6,2 1,7 2,2Nombre d’observations 42 354 3 406 916 253 324 248 537 412 147 98 184 287

Lecture : Parmi les Américains dont les parents sont nés américains, 1,47 % sont titulaires d’un doctorat.

Champ : Individus de nationalité américaine, ayant entre 20 et 60 ans, vivant en logement ordinaire et qui ne sont ni étudiant, ni retraité, ni travailleur indépendant.

Source : Current Population Survey 2012, BLS.

L’intégration sur le marché du travail

L’examen des statistiques descriptives de la qualité de l’emploi met en lumière une pénalité pour les descendants d’immigrés dans l’accès à l’emploi et la plupart des dimensions de la qualité de l’emploi étudiées, à l’exception du salaire aux États‑Unis.

Dans les deux pays, il existe de forts écarts d’insertion dans l’emploi selon les origines. Le tableau 1 montre en France un écart de 10 points de pourcentage entre les natifs en emploi et les descen‑dants d’immigrés en emploi. L’écart est encore plus élevé lorsqu’il s’agit des descendants d’immigrés

maghrébins, puisque les actifs occupés ne repré‑sentent que 56 % d’entre eux contre 77 % des natifs. Aux États‑Unis, les écarts entre natifs et descendants d’immigrés sont d’ampleur moindre. La décompo‑sition entre origines dépeint néanmoins des écarts significatifs, allant jusqu’à 4 points de pourcentage pour les descendants d’immigrés portoricains par rapport aux natifs ; et contrairement au cas français, les actifs occupés descendants d’immigrés peuvent être surreprésentés dans l’emploi aux États‑Unis (c’est par exemple le cas des descendants d’immi‑grés d’Asie, d’Europe ou du Canada).

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• 28 • Travail et Emploi n° 142

Tableau 3 : Les caractéristiques de l’emploi selon l’origine en France

Français nés de

parents français

Enfants d’immigrés

Dont

Maghreb Europe du Sud

Reste de l’Afrique

Europe de l’Est

Europe du Nord

Salaire mensuel moyen en euros 1 902 1 743 1 629 1 761 1 485 1 888 2 036Type de contrat de travail (en %)CDI 88,5 85,5 82,7 89,4 73,7 89,0 86,6CDD (ou autres contrats à durée déterminée) 11,6 14,5 17,3 10,6 26,3 11,0 13,4Temps de travail (en %)Temps plein 82,2 81,5 80,9 83,1 76,5 83,9 78,7Temps partiel non subi 0,9 1,2 0,5 1,0 2,7 0,7 3,6Temps partiel subi 16,9 17,3 18,6 16,0 20,8 15,4 17,7Nombre d’observations 22 505 2 531 597 1 080 133 170 240

Lecture : Parmi les Français dont les parents sont nés français, 82,24 % travaillent à temps plein.

Champ : Individus de nationalité française, ayant entre 20 et 60 ans, vivant en logement ordinaire et qui ne sont ni étudiant, ni retraité, ni travail-leur indépendant.

Source : Enquête Emploi en continu 2012, Insee.

Tableau 4 : Les caractéristiques de l’emploi selon l’origine aux États-Unis

Am

éric

ains

s de

pare

nts

amér

icai

ns

Enf

ants

d’

imm

igré

s

Dont

Mex

ique

Port

o R

ico

Asi

e

Can

ada

Eur

ope

du

Nor

d

Eur

ope

du

Sud

Eur

ope

de

l’Est

Car

aïbe

s

Am

ériq

ue

latin

e

Aut

res

Salaire mensuel moyen en dollars 4 698 4 755 3 677 3 464 5 725 4 895 5 102 6 500 5 473 4 049 3 912 5 204Type de contrat de travail (en %)Avec assurance-santé 60,7 58,9 52,0 57,8 67,5 60,2 61,9 61,5 65,1 64,6 56,6 58,3Sans assurance-santé 39,3 41,1 48,0 42,2 32,5 39,8 38,1 38,5 34,9 35,4 43,4 41,7Temps de travail (en %)Temps plein 71,1 70,4 71,8 64,5 74,9 66,2 67,9 70,7 74,0 72,1 70,0 72,4Temps partiel non subi 20,6 19,8 18,4 26,9 15,6 23,1 21,4 19,2 18,1 18,7 19,9 19,4Temps partiel subi 8,4 9,7 9,8 8,7 9,5 10,7 10,7 10,1 7,9 9,3 10,1 8,2Nombre d’observations 39 295 3 150 840 243 320 258 505 378 109 78 174 245

Lecture : Parmi les Américains dont les parents sont nés américains, 71,1 % travaillent à temps plein.

Champ : Individus de nationalité américaine, ayant entre 20 et 60 ans, vivant en logement ordinaire et qui ne sont ni étudiant, ni retraité, ni travailleur indépendant.

Source : Current Population Survey 2012, BLS.

Comme le montre le tableau 3, les descendants d’immigrés ont des salaires inférieurs en moyenne à ceux des natifs en France. On observe une fois encore une hétérogénéité très marquée entre les origines des parents. Ainsi, les descendants d’im‑migrés maghrébins ou d’Afrique subsaharienne ont par exemple un salaire mensuel moyen infé‑rieur aux natifs, respectivement de 273 et 417 €. Seuls les descendants d’immigrés d’Europe du Nord ont des salaires en moyenne supérieurs à ceux des natifs de 134 €. Aux États‑Unis, la conclusion est différente puisque les descendants d’immigrés ont dans l’ensemble des salaires supérieurs aux natifs (tableau 4). Cet écart positif peut renvoyer à des différences de durée du travail, de secteurs d’activité ou de métiers (OCDE, 2010), voire à

des conditions de travail plus difficiles (suivant la théorie des différences compensatrices (10)). Par ailleurs, les fortes inégalités ethnocommunautaires au sein même du groupe des natifs (notamment entre les « Noirs » et les « Blancs ») peuvent égale‑ment expliquer cet écart positif : il pourrait ainsi voiler de fortes inégalités entre natifs selon leur couleur de peau. Pour les non‑natifs, les inégalités salariales entre origines sont de fait plus marquées aux États‑Unis qu’en France. Les descendants d’immigrés asiatiques ou européens ont des

(10) « La théorie des différences compensatrices indique que le libre jeu de la concurrence sur les marchés doit conduire à des différences de salaire uniquement induites par des différences de pénibilité des tâches et de compétence. » (CahuC, 2001, p. 14.)

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Travail et Emploi n° 142 • 29 •

DifféreNceS frANco-AméricAiNeS de quAlité du trAvAil et de l’emploi

salaires moyens près de deux fois plus élevés que les descendants d’immigrés hispaniques (origi‑naires du Mexique, de Porto Rico ou d’Amérique latine). Ces fortes différences aux États‑Unis peuvent en partie s’expliquer par les structures d’âges et de diplômes, plus disparates selon l’ori‑gine qu’en France (voir tableaux 1 et 2) ainsi que par les inégalités de salaires plus importantes aux États‑Unis (piKetty, saez, 2003).

En France, l’accès au CDI est fortement inégali‑taire selon les origines. Le tableau 3 met en lumière la surreprésentation des Africains (du Maghreb ou de la zone subsaharienne) dans les emplois à durée déterminée. À l’inverse, les descendants d’immigrés d’Europe de l’Est et du Sud sont en moyenne plus en CDI que les natifs. La sécurité de l’emploi, mesurée par l’accès à l’assurance‑santé obtenu par l’employeur, est en moyenne légère‑ment plus faible pour les descendants d’immigrés que pour les natifs aux États‑Unis – de seulement deux points de pourcentage – mais l’hétérogé‑néité entre les origines est ici aussi marquée (voir tableau 4) : les descendants d’immigrés asiatiques sont les moins touchés puisqu’ils bénéficient globalement d’une meilleure sécurité de l’emploi que les natifs, au contraire des descendants d’im‑migrés mexicains par exemple.

Au niveau agrégé, les inégalités entre natifs et descendants d’immigrés en France en termes de temps de travail sont faibles (voir tableau 3). Les descendants d’immigrés d’Afrique subsaharienne ou d’Europe du Nord restent néanmoins proportion‑nellement plus en temps partiel subi, tandis que les descendants d’immigrés d’autres origines le sont parfois moins que les natifs (cas des descendants d’immigrés maghrébins ou d’Europe de l’Est). Aux États‑Unis, le temps partiel subi touche également davantage les descendants d’immigrés, tandis que l’emploi à temps plein les concerne en moyenne moins (voir tableau 4). Les descendants d’immigrés hispaniques ou africains sont notamment parmi les plus touchés par le temps partiel subi, tandis que les descendants d’immigrés asiatiques occupent relativement plus d’emplois à temps plein que la moyenne des natifs.

Une pénalité liée à l’origine sur l’accès à l’emploi et sur sa qualité

Les statistiques descriptives ont mis en évidence de fortes inégalités entre natifs et descendants d’immigrés, puis entre descendants d’immigrés de différentes origines. L’analyse économétrique cherche à déterminer ici le rôle joué par l’origine en tenant compte de la sélection à l’entrée dans l’emploi dans chacun des deux pays, étant notam‑ment donné la discrimination à l’embauche dont sont potentiellement victimes les descendants

d’immigrés (OCDE, 2012). Un modèle d’Heckman est donc estimé avec pour conditions d’exclusion les caractéristiques du ménage. Conformément aux liens théoriques avancés dans la littérature (mrOz, 1987 ; hyslOp, 1999 ; BuChinsKy et al., 2010), les variables d’exclusion sont significatives dans les deux pays.

Le rôle de l’ascendance migratoire plus élevé en France

Les résultats de nos estimations indiquent d’abord un effet négatif d’être descendant d’im‑migré sur la probabilité d’entrer en emploi en France alors que cet effet n’est pas significatif aux États‑Unis. Ensuite, être descendant d’immi‑gré en France augmente le salaire (voir tableau 5) mais affecte négativement la sécurité de l’emploi et le temps de travail. Aux États‑Unis, comme en France, un coefficient positif est associé au salaire alors que les autres dimensions ne sont pas significativement influencées par l’ascendance migratoire (voir tableau 6). Un examen plus précis des variables de contrôle peut également illustrer nos hypothèses (11).

Dans les deux pays, être une femme conduit à un effet négatif sur la qualité de l’emploi et sur la probabilité d’entrer en emploi. L’âge a, lui aussi, l’effet attendu, c’est‑à‑dire un effet positif à la fois sur la probabilité d’entrer en emploi et sur sa qualité ensuite. De même, les diplômes semblent avoir un effet protecteur puisque plus le diplôme est élevé, plus la probabilité d’être en emploi et la qualité de l’emploi augmentent. Le lieu de résidence est également significativement lié à l’entrée dans l’emploi et à sa qualité. En France, habiter dans une ZUS décroît la probabilité d’entrer en emploi (FitOussi et al., 2004) ; les effets sur la qualité de l’emploi sont variables selon que la ZUS est en région parisienne ou non (voir tableau 5). Aux États‑Unis, le fait d’habiter dans une métropole est négativement lié à la qualité de l’emploi et à la probabilité d’entrer en emploi. Ce résultat tend à confirmer les précédentes études sur la plus faible qualité des emplois dans les grandes villes ou métropoles (Bernhardt et al., 2013). Enfin, en France, l’effet d’avoir uniquement un parent immigré est positif sur l’entrée dans l’emploi et sur le salaire, ce qui peut renvoyer à l’hypothèse d’un rôle « intégrateur » du deuxième parent natif (algan et al., 2012). À l’inverse, aux États‑Unis, l’effet de n’avoir qu’un seul parent immigré est moins net sur la qualité de l’emploi : nous trou‑vons un effet négatif mais faible sur le temps de travail, et aucun effet sur la probabilité d’entrer en emploi.

(11) Tous les contrôles ne sont pas reportés dans les tableaux mais sont disponibles sur demande (âge², secteur, année).

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• 30 • Travail et Emploi n° 142

Tableau 5 : Estimations des déterminants de la qualité de l’emploi en France avec une correction de l’endogénéité

Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3Variable

Salaire Entrée dans l’emploi

Temps de travail

Entrée dans l’emploi

Sécurité de l’emploi

Entrée dans l’emploi

Non‑issu de l’immigration Ref. Ref. Ref. Ref. Ref. Ref.

Descendant d’immigré 0,027*** ‑0,27*** ‑0,17*** ‑0,32*** ‑0,06** ‑0,31***(‑0,007) (‑0,02) (‑0,02) (‑0,02) (‑0,03) (‑0,02)

Être une femme ‑0,221*** ‑0,21*** ‑0,83*** ‑0,30*** ‑0,09*** ‑0,29***(‑0,003) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Âge 0,047*** 0,01*** 0,05*** 0,01*** 0,19*** 0,01***(‑0,001) (0,00) (0,00) (0,00) (0,00) (0,00)

Sans diplôme ‑0,209*** ‑0,40*** ‑0,38*** ‑0,46*** ‑0,19*** ‑0,45***(‑0,005) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01)

Brevet des collèges/BEPC ‑0,095*** ‑0,14*** ‑0,14*** ‑0,16*** ‑0,10*** ‑0,16***(‑0,006) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01)

BEP/CAP ‑0,156*** 0,03*** 0,01 0,04*** ‑0,08*** 0,05***(‑0,004) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01)

Baccalauréat Ref. Ref. Ref. Ref. Ref. Ref.

Bac + 2 0,092*** 0,30*** 0,25*** 0,36*** 0,09*** 0,37***(‑0,005) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01)

Licence ou plus 0,294*** 0,33*** 0,28*** 0,34*** 0,09*** 0,33***(‑0,005) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01)

Habiter en province hors d’une ZUS Ref. Ref. Ref. Ref. Ref. Ref.

Habiter en région parisienne hors d’une ZUS 0,169*** 0,08*** 0,24*** 0,08*** 0,15*** 0,09***(‑0,004) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01)

Habiter en province dans une ZUS 0,008 ‑0,24*** ‑0,18*** ‑0,26*** ‑0,09*** ‑0,25***(‑0,009) (‑0,02) (‑0,02) (‑0,02) (‑0,03) (‑0,02)

Habiter en région parisienne dans une ZUS 0,078*** ‑0,06* 0,18*** ‑0,05 0,08 ‑0,04(‑0,016) (‑0,03) (‑0,05) (‑0,04) (‑0,06) (‑0,04)

Avoir un seul parent immigré 0,021** 0,02 0,00 0,04* 0,04 0,02(‑0,010) (‑0,02) (‑0,03) (‑0,02) (‑0,03) (‑0,02)

Ne pas avoir d’enfant Ref. Ref. Ref.

Avoir un enfant 0,04*** 0,10*** 0,08***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Deux enfants 0,09*** 0,23*** 0,16***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Trois enfants ‑0,14*** 0,02 ‑0,17***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Être en couple 0,18*** 0,18*** 0,23***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Constante 6,437*** 0,42*** ‑0,09 0,38*** 2,50*** 0,44***(‑0,019) (‑0,02) (‑0,06) (‑0,02) (‑0,08) (‑0,02)

Rho 0,846*** 0,845*** 0,451***Observations 116 459 153 422 116 440 153 422 116 440 153 422

Variables contrôlées disponibles sur demande : âge², secteur d’activité, année.

Notes : La régression sur le salaire est linéaire (MCO), les régressions sur le temps de travail et sur la sécurité de l’emploi sont des probits bino-miaux. Les symboles *, ** et *** représentent les seuils de significativité statistique à respectivement 10, 5 et 1 %.

Champ : Natifs et descendants d’immigrés en emploi, de 20 à 60 ans, en France métropolitaine.

Source : Enquêtes Emploi en continu 2008-2012, Insee.

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Travail et Emploi n° 142 • 31 •

DifféreNceS frANco-AméricAiNeS de quAlité du trAvAil et de l’emploi

Tableau 6 : Estimations des déterminants de la qualité de l’emploi aux États-Unis avec une correction de l’endogénéité

Modèle 1 Modèle 2 Modèle 3Variable

Salaire Entrée dans l’emploi

Temps de travail

Entrée dans l’emploi

Sécurité de l’emploi

Entrée dans l’emploi

Non‑issu de l’immigration Ref. Ref. Ref. Ref. Ref. Ref.

Descendant d’immigré 0,040*** 0,01 0,00 0,02 0,00 0,03(‑0,010) (‑0,02) (‑0,02) (‑0,02) (‑0,02) (‑0,02)

Être une femme ‑0,483*** ‑0,05*** ‑0,45*** ‑0,10*** ‑0,40*** ‑0,12***(‑0,004) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Âge 0,068*** 0,01*** 0,04*** 0,01*** 0,02*** 0,01***(‑0,001) (0,00) (0,00) (0,00) (0,00) (0,00)

Sans diplôme ‑0,390*** ‑0,17*** ‑0,35*** ‑0,30*** ‑0,52*** ‑0,29***(‑0,025) (‑0,04) (‑0,05) (‑0,04) (‑0,04) (‑0,04)

Sortie du lycée en fin de cycle sans diplôme ‑0,230*** ‑0,28*** ‑0,20*** ‑0,37*** ‑0,41*** ‑0,36***(‑0,010) (‑0,02) (‑0,02) (‑0,02) (‑0,01) (‑0,02)

Diplôme du lycée (éq. Bac) Ref. Ref. Ref. Ref. Ref. Ref.

Bac + 2 0,151*** 0,16*** 0,02 0,20*** 0,14*** 0,19***(‑0,006) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Licence ou plus 0,490*** 0,39*** 0,20*** 0,37*** 0,31*** 0,35***(‑0,004) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Habiter dans une métropole ‑0,181*** ‑0,02* ‑0,07*** ‑0,01 ‑0,05*** ‑0,01(‑0,004) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Avoir un seul parent immigré 0,000 0,02 0,07** 0,01 0,00 0,01(‑0,013) (‑0,03) (‑0,03) (‑0,03) (‑0,02) (‑0,03)

Ne pas avoir d’enfant Ref. Ref. Ref.

Avoir un enfant 0,08*** 0,07*** 0,08***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Deux enfants 0,13*** 0,11*** 0,14***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Trois enfants 0,06*** 0,00 0,06***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Être en couple 0,19*** 0,20*** 0,27***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Constante ‑13,86*** 7,54 69,86*** 14,47*** 37,61*** 9,53*(‑2,484) (‑5,09) (‑5,94) (‑5,43) (‑3,74) (‑5,41)

Rho ‑0,848*** ‑0,722*** ‑0,932***Observations 153 422 244 701 153 422 244 701 153 422 244 701

Variables contrôlées disponibles sur demande : âge², secteur d’activité, année.

Notes : La régression sur le salaire est linéaire (MCO), les régressions sur le temps de travail et sur la sécurité de l’emploi sont des probits bino-miaux. Les symboles *, ** et *** représentent les seuils de significativité statistique à respectivement 10, 5 et 1 %.

Champ : Natifs et descendants d’immigrés en emploi, de 20 à 60 ans, aux États-Unis.

Source : Current Population Surveys 2008-2012, BLS.

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• 32 • Travail et Emploi n° 142

L’hétérogénéité entre origines

Compte tenu de l’hétérogénéité selon l’origine mise en évidence dans la littérature, la variable descendant d’immigré a été, dans une seconde étape, désagrégée par origine. Cette désagrégation révèle d’abord en France un effet négatif de toutes les origines sur la probabilité d’entrer dans l’emploi sauf pour les descendants d’immigrés d’Europe du Sud, pour lesquels aucun effet significatif ne peut être relevé. Être descendant d’immigré africain décroît ainsi d’environ 35 % la probabilité d’entrer en emploi, tandis que ce pourcentage avoisine les 15 % pour les descendants d’immigrés d’Europe de l’Est ou du Nord. De plus, la pénalité liée à l’origine est plus importante dans l’accès à l’emploi que sur sa qualité (voir tableau 7). Les descendants d’immi‑grés maghrébins, après une sélection significative, ont un effet négatif lié à leur origine de 14 % sur la dimension sécurité de leur emploi et de 23 % sur le temps de travail, tandis qu’un effet positif est trouvé sur le salaire. Ce résultat peut s’expliquer par la plus forte sélection à l’entrée dans l’emploi de ce groupe. Aucun effet négatif lié à l’origine n’apparaît sur le salaire sauf pour les descendants d’immigrés d’Europe du Sud qui sont par ailleurs les seuls à ne pas subir de sélection négative et significative à l’entrée dans l’emploi.

À l’inverse, aux États-Unis, aucun coefficient n’est significatif à l’entrée dans l’emploi, à part pour les descendants d’immigrés caribéens et d’Europe de l’Est, avec des effets de sens opposés pour ces deux populations (un effet négatif d’environ 25 % pour les premiers et positif avoisinant 22 % pour les seconds). On relève des effets positifs, principale‑ment sur le salaire, pour les différentes dimensions de la qualité de l’emploi. Ainsi, ce sont plutôt pour les descendants des vagues d’immigration non hispanophones que l’on obtient des effets positifs sur le salaire (Asie, Canada, Europe) ; toutefois, ils restent plus faibles que ceux relevés en France puisqu’ils sont compris entre 8 et 14 %. Quelques effets positifs sont notables sur la sécurité de l’em‑ploi des descendants d’immigrés portoricains et asiatiques mais restent faibles (i. e. compris entre 6 et 8 %). Enfin, être descendant d’immigrés cari‑béens accroît de 28 % la probabilité d’occuper un emploi à temps plein.

Dans l’ensemble, ces résultats confirment l’hété‑rogénéité de la situation sur le marché du travail et de la qualité de l’emploi au sein des descendants d’im‑migrés dans les deux pays, au‑delà d’inégalités selon l’origine, globalement plus marquées en France (12). Cette hétérogénéité prend toutefois des formes bien

(12) Peu de changements sont observables sur les variables de contrôle (tableau 1 et 2 en annexe). En France, l’effet « intégra‑teur » dans l’emploi du fait d’avoir un parent non immigré se reporte sur l’entrée dans l’emploi. Aux États‑Unis, seul le coef‑ficient négatif associé au fait d’avoir un seul parent immigré se déplace du temps de travail vers le salaire lorsqu’on désagrège.

différentes dans les deux pays : elle témoigne d’une forte sélection dans l’accès à l’emploi en France alors qu’elle se traduit davantage en termes de qualité (notamment salariale) aux États‑Unis.

Discussion des liens entre institutions et inégalités liées à l’origine

Pour interpréter ces résultats, on peut faire l’hy‑pothèse d’une influence des différents ensembles institutionnels des deux pays, d’une part, sur les niveaux et les écarts d’accès à l’emploi, d’autre part, sur la qualité de l’emploi.

Le rôle potentiel des institutions du marché du travail dans les niveaux et les écarts de qualité de l’emploi

La littérature sur les différentes variétés de capi‑talisme (gallie, 2007 ; amaBle, 2005) met en avant le rôle des institutions dans la détermination des niveaux et des écarts de qualité de l’emploi. Plus précisément, Duncan gallie (2007) prédit une qualité de l’emploi plus faible dans les pays dits libéraux comme les États‑Unis ; les écarts selon les caractéristiques individuelles y seraient moindres que dans les pays continentaux comme la France, qui assureraient certes un niveau de qualité de l’em‑ploi plus élevé mais s’accompagnant d’inégalités plus marquées. Dans cette perspective, les institu‑tions du marché du travail influençant les différentes dimensions de la qualité de l’emploi sont multiples.

En premier lieu, les modèles français et améri‑cains se différencient par le niveau de centralisation des négociations collectives et par le taux de couver‑ture conventionnelle, qui est nettement plus élevé en France qu’aux États‑Unis (ilO, iils, 2008). L’existence d’un salaire minimum également plus élevé en France qu’aux États‑Unis implique une meilleure rémunération des emplois peu qualifiés et, en association avec la couverture conventionnelle, globalement de meilleurs salaires. En raison de la part relativement importante des peu diplômés au sein des descendants d’immigrés (alBa, hOldaWay, 2014), le salaire minimum peut permettre de réduire l’écart salarial avec les natifs. Toutefois, ces hauts niveaux induisent un coût du travail plus élevé pour les employeurs qui peuvent être plus réticents à embaucher (CahuC, Kramarz, 2004 ; aBOWd et al., 2000). In fine, on peut penser que ces institu‑tions françaises vont accroître la sélection à l’entrée dans l’emploi des descendants d’immigrés tout en permettant une réduction de l’écart salarial.

Les deux pays présentent ensuite des différences en termes de protection de l’emploi, qui auront des répercussions sur la sécurité de l’emploi. Selon l’OCDE, le niveau global de protection de l’em‑ploi est plus élevé en France qu’aux États‑Unis ; de plus, la France se distingue de l’ensemble des pays de l’OCDE par un niveau élevé de protec‑tion des emplois temporaires (OCDE, 2013a).

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Travail et Emploi n° 142 • 33 •

DifféreNceS frANco-AméricAiNeS de quAlité du trAvAil et de l’emploi

Tableau 7 : Estimations des déterminants de la qualité de l’emploi selon l’origine en France avec une correction de l’endogénéité

VariableModèle 1 Modèle 2 Modèle 3

Salaire Entrée dans l’emploi

Temps de travail

Entrée dans l’emploi

Sécurité de l’emploi

Entrée dans l’emploi

Non‑issu de l’immigration Ref. Ref. Ref. Ref. Ref. Ref.Maghreb 0,034*** ‑0,32*** ‑0,23*** ‑0,37*** ‑0,14*** ‑0,35***

(‑0,010) (‑0,02) (‑0,03) (‑0,02) (‑0,03) (‑0,02)Europe du Sud ‑0,028*** 0,01 0,04 0,01 ‑0,01 0,01

(‑0,009) (‑0,02) (‑0,03) (‑0,02) (‑0,03) (‑0,02)Reste de l’Afrique ‑0,023 ‑0,33*** ‑0,33*** ‑0,41*** ‑0,05 ‑0,38***

(‑0,021) (‑0,04) (‑0,05) (‑0,04) (‑0,07) (‑0,04)Europe de l’Est 0,010 ‑0,14*** ‑0,10* ‑0,18*** ‑0,11 ‑0,18***

(‑0,019) (‑0,04) (‑0,05) (‑0,05) (‑0,07) (‑0,05)Europe du Nord 0,006 ‑0,13*** ‑0,11** ‑0,15*** ‑0,11* ‑0,16***

(‑0,018) (‑0,04) (‑0,05) (‑0,04) (‑0,06) (‑0,04)Constante 6,434*** 0,44*** ‑0,11* 0,39*** ‑2,51*** 0,46***

(‑0,019) (‑0,02) (‑0,06) (‑0,02) (‑0,08) (‑0,02)Rho ‑0,845*** 0,864*** ‑0,443***Observations 144 591 152 472 144 591 152 472 144 591 152 472

Variables contrôlées disponibles en annexe : voir tableau A1.

Notes : La régression sur le salaire est linéaire (MCO), les régressions sur le temps de travail et sur la sécurité de l’emploi sont des probits bino-miaux. Les symboles *, ** et *** représentent les seuils de significativité statistique à respectivement 10, 5 et 1 %.

Champ : Natifs et descendants d’immigrés en emploi, de 20 à 60 ans, en France métropolitaine.

Source : Enquêtes Emploi en continu 2008-2012, Insee.

Tableau 8 : Estimations des déterminants de la qualité de l’emploi selon l’origine aux États-Unis avec une correction de l’endogénéité

VariableModèle 1 Modèle 2 Modèle 3

Salaire Entrée dans l’emploi

Temps de travail

Entrée dans l’emploi

Sécurité de l’emploi

Entrée dans l’emploi

Non‑issu de l’immigration Ref. Ref. Ref. Ref. Ref. Ref.Mexique ‑0,010 0,00 0,03 0,03 ‑0,01 0,04

(‑0,014) (‑0,03) (‑0,03) (‑0,03) (‑0,02) (‑0,03)Porto Rico ‑0,020 0,01 0,01 0,07 0,06* 0,07

(‑0,024) (‑0,05) (‑0,06) (‑0,05) (‑0,04) (‑0,05)Asie 0,144*** 0,05 ‑0,03 0,04 0,06* 0,04

(‑0,023) (‑0,05) (‑0,06) (‑0,05) (‑0,04) (‑0,05)Canada 0,065** 0,06 ‑0,05 0,08 ‑0,02 0,05

(‑0,025) (‑0,05) (‑0,06) (‑0,06) (‑0,04) (‑0,06)Europe du Nord 0,078*** 0,03 0,01 0,01 ‑0,05 0,01

(‑0,020) (‑0,04) (‑0,05) (‑0,05) (‑0,03) (‑0,05)Europe du Sud 0,129*** 0,04 ‑0,08 0,00 0,03 ‑0,01

(‑0,021) (‑0,04) (‑0,05) (‑0,05) (‑0,03) (‑0,05)Europe de l’Est 0,098*** 0,13 ‑0,01 0,22** ‑0,07 0,22**

(‑0,033) (‑0,08) (‑0,08) (‑0,09) (‑0,05) (‑0,09)Caraïbes 0,071 ‑0,25*** 0,28** ‑0,28*** ‑0,08 ‑0,25***

(‑0,044) (‑0,07) (‑0,12) (‑0,08) (‑0,06) (‑0,08)Amérique latine 0,015 ‑0,01 0,02 0,00 ‑0,07 0,00

(‑0,032) (‑0,06) (‑0,08) (‑0,07) (‑0,05) (‑0,07)Autres 0,078*** 0,04 ‑0,11* 0,05 ‑0,08** 0,06

(‑0,026) (‑0,05) (‑0,06) (‑0,06) (‑0,04) (‑0,06)Constante ‑13,920*** 7,45 69,95*** 14,43*** 37,63*** 9,49*

(‑2,483) (‑5,09) (‑5,95) (‑5,43) (‑3,74) (‑5,41)Rho ‑0,848*** ‑0,725*** 0,932***Observations 153 422 244 701 153 422 244 701 153 422 244 701

Variables contrôlées disponibles en annexe : voir tableau A2.

Notes : La régression sur le salaire est linéaire (MCO), les régressions sur le temps de travail et sur la sécurité de l’emploi sont des probits bino-miaux. Les symboles *, ** et *** représentent les seuils de significativité statistique à respectivement 10, 5 et 1 %.

Champ : Natifs et descendants d’immigrés en emploi, de 20 à 60 ans, aux États-Unis.

Source : Current Population Surveys 2008-2012, BLS.

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Cette protection concourt à la meilleure qualité de l’emploi pour les salariés permanents en France mais, selon les approches néoclassiques, peut s’accompagner d’un frein sur les créations d’em‑plois : les ruptures d’emplois étant plus difficiles, les embauches seraient plus coûteuses pour les employeurs (CahuC, Kramarz, 2004). Dans un marché du travail dual, les premiers touchés sont les peu diplômés, au sein desquels on compte de nombreux descendants d’immigrés (alBa, hOldaWay, 2014). Aux États‑Unis, la protection de l’emploi est plus souple pour l’ensemble des contrats, ce qui contribue à diminuer mécanique‑ment la qualité de l’emploi mais peut faciliter les embauches. Cette plus faible protection pour l’en‑semble des contrats peut favoriser une diminution des écarts de qualité de l’emploi entre travailleurs. En France, les différences de sécurité de l’emploi entre les contrats à durée déterminée et indétermi‑née peuvent, à l’inverse, renforcer les inégalités de qualité de l’emploi entre travailleurs – nos résultats tendent à valider cette hypothèse.

Pour finir, les différences institutionnelles entre travailleurs à temps partiel et à temps complet peuvent accentuer les inégalités de qualité de l’em‑ploi entre travailleurs. L’accès à des mesures de formation continue n’est ainsi pas toujours assuré aux travailleurs à temps partiel, dans les pays libéraux par exemple. De même, l’indemnisation chômage n’est effective qu’à partir de 610 heures travaillées sur les 28 derniers mois en France (13), ce qui défavorise les salariés à temps partiel.

Dans l’ensemble, les institutions du marché du travail françaises semblent assurer une meilleure qualité de l’emploi, en particulier grâce à leur rôle protecteur sur le salaire, par rapport aux institu‑tions américaines – nos résultats mettent en effet en lumière des écarts de salaire entre les natifs et les différents groupes de descendants d’immigrés plus importants aux États‑Unis –, tout en favorisant les écarts au sein de l’emploi, notamment selon le type de contrat de travail. Les institutions françaises tendent par ailleurs à accroître les inégalités entre les individus en emploi, d’une part, et les inactifs ou les chômeurs, d’autre part, en rendant l’accès à l’emploi plus contraignant (voir les résultats du modèle de sélection). Dès lors, les inégalités qui découlent des institutions du marché du travail diffèrent selon les pays, avec plus de chômage en France et davantage de travailleurs pauvres aux États‑Unis.

(13) « Au cours des 28 mois qui précèdent la fin du contrat de travail (terme du préavis) pour les moins de 50 ans [ou des] 36 mois qui précèdent la fin du contrat de travail (terme du préavis) pour les 50 ans et plus » (site de Pôle emploi : http://www.pole‑emploi.fr/candidat/les‑conditions‑d‑attribution‑de‑l-aide-au-retour-a-l-emploi-@/article.jspz?id=60580 ; consulté le 24 août 2015).

Une prise en compte plus large des institutions : le cas des descendants d’immigrés

La littérature sur les différentes variétés de capi‑talisme plaide toutefois pour une prise en compte plus large des institutions lorsque l’on s’intéresse à la qualité de l’emploi (gallie, 2007). Plus spéci‑fiquement, considérer les descendants d’immigrés implique d’examiner l’effet des politiques d’immi‑gration. Ces inégalités selon l’origine font ainsi écho à des politiques de sélection migratoire différentes dans les deux pays (Weil, 2003). Aux États‑Unis, les niveaux de diplômes des immigrés sont histo‑riquement plus élevés qu’en France (dOOmerniK et al., 2009 ; Weil, 2003). La sélection accrue de l’immigration selon des critères de capital humain a pour conséquence une transmission intergéné‑rationnelle de capital (humain, économique) plus importante pour les populations sélectionnées au titre de l’immigration du travail et une potentielle réduction des inégalités selon l’origine. La relative‑ment meilleure intégration sur le marché du travail de certains groupes de descendants d’immigrés par rapport aux natifs aux États‑Unis, mise en évidence dans notre analyse, pourrait s’expliquer ainsi.

Pour contrecarrer les niveaux plus faibles d’édu‑cation et de capital humain de certains mouvements d’immigration, l’institution scolaire est suscep‑tible de jouer un rôle redistributif et de réduction des inégalités liées à l’origine. En France, l’école laïque, gratuite et obligatoire, propre au modèle républicain, permet à la fois aux descendants d’im‑migrés d’accéder à l’instruction (et à la langue du pays) de manière relativement plus homogène et a priori indépendamment de leur milieu d’origine, et, in fine, d’élargir leurs possibilités d’orienta‑tion scolaire. Aux États‑Unis, à l’inverse, l’école maternelle est payante et l’enseignement supé‑rieur nettement plus coûteux qu’en France (OCDE, 2014). On pourrait ainsi supposer des écarts d’inté‑gration dans l’emploi et de qualité de l’emploi plus réduits en France qu’aux États‑Unis. Toutefois, de nombreuses études ont montré la capacité limitée de l’institution scolaire à diminuer les inégalités liées aux niveaux de capital transmis par les parents (alBa, hOldaWay, 2014) ; la sélection migratoire initiale semble donc jouer un rôle majeur dans les inégalités entre natifs et descendants d’immigrés.

Par ailleurs, les États‑Unis ont déployé depuis les années 1970 une politique de discrimination positive (affirmative action) en réponse aux discriminations observées (maguain, 2006), qui a pu contribuer à améliorer l’intégration de certains descendants d’im‑migrés (voir tableau 8). Différentes mesures ont été mises en place dans l’éducation (telles que les quotas en fonction de l’origine dans les universités) ou sur le marché du travail qui facilitent la diminution des inégalités entre natifs et descendants d’immigrés (hOlzer, neumarK, 2006). En France, l’approche républicaine de citoyenneté et d’égalité devant la loi

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rend difficile ce type de mesure, même si certains dispositifs récents de discrimination positive ont été mis en œuvre, à titre expérimental et suivant des critères de sélection d’ordre socio‑économique ou de genre (comme les CV anonymes par exemple, Behaghel et al., 2011 ou encore les quotas de femmes dans les conseils d’administration (14)).

En France, l’association d’institutions du marché du travail duales à des politiques ciblées d’intégration moins développées suggère une qualité de l’emploi plus élevée en moyenne qu’aux États‑Unis, mais des inégalités liées à l’origine plus importantes (gallie, 2007). À l’inverse, les institutions du marché du travail libérales aux États‑Unis mèneraient a priori à des niveaux de qualité de l’emploi plus faibles mais ne favoriseraient pas les inégalités liées à l’origine. En outre, les mesures plus volontaristes d’intégration des populations immigrées et de leurs descendants concourent à réduire les inégalités liées à l’origine. Au niveau agrégé, nos résultats traduisent effectivement des inégalités entre natifs et descendants d’immigrés plus marquées en France qu’aux États‑Unis.

* * *

L’objectif de notre article était double. Il s’agissait, d’une part, de comparer les modèles institutionnels

(14) Voir la présentation de la « loi du 27 janvier 2001 rela‑tive à la représentation équilibrée des hommes et des femmes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle » : http://www.vie‑publique.fr/actualite/panorama/texte‑vote/loi‑relative‑representation‑equilibree‑femmes‑hommes‑au‑sein‑conseils‑administra‑tion‑surveillance‑egalite‑professionnelle.html, consultée le 28 juillet 2015.

de la France et des États‑Unis en nous intéressant à une population spécifique – les descendants d’immi‑grés – rarement étudiée sous cet angle ; d’autre part, de prendre en compte plusieurs critères de qualité de l’emploi afin de contribuer à la littérature sur l’inté‑gration des descendants d’immigrés dans l’emploi.

L’article a ainsi d’abord mis en lumière les fortes inégalités dans l’emploi entre natifs et descendants d’immigrés dans les deux pays. L’analyse écono‑métrique a ensuite montré l’existence de plus fortes inégalités liées à l’origine en France qu’aux États‑Unis sur l’accès à l’emploi, et une prédominance de ces inégalités liées à l’origine sur les dimensions salariale et de sécurité de l’emploi plus que sur celle du temps de travail. La désagrégation des origines a enfin mis en évidence une plus forte hétérogénéité selon l’origine en France par rapport aux États‑Unis, où cette hétérogénéité reste néanmoins marquée.

Une lecture institutionnelle de nos résultats donne des éléments d’explication à ces niveaux et écarts de qualité de l’emploi. En effet, les institutions duales du marché du travail françaises semblent contribuer à accroître les inégalités entre groupes sociaux – ici les descendants d’immigrés – tout en garantissant dans l’ensemble des niveaux de qualité de l’emploi supérieurs à ceux assurés par les institutions du marché du travail américaines. Les institutions liées à l’intégration semblent jouer dans le même sens.

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(Travail et emploi) n° 142 III.indd 36 25/11/2015 10:46:00

Page 35: Les analyses comparatives de la satisfaction au travail soulignent l hétérogénéité des niveaux et facteurs déterminant la satisfaction au travail entre les pays, même si

Travail et Emploi n° 142 • 37 •

DifféreNceS frANco-AméricAiNeS de quAlité du trAvAil et de l’emploi

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OCDE (2014), Regards sur l’éducation 2014 : les indicateurs de l’OCDE, Paris, OCDE.

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(Travail et emploi) n° 142 III.indd 37 25/11/2015 10:46:00

Page 36: Les analyses comparatives de la satisfaction au travail soulignent l hétérogénéité des niveaux et facteurs déterminant la satisfaction au travail entre les pays, même si

• 38 • Travail et Emploi n° 142

Annexes

Tableau A1 : Estimations des déterminants de la qualité de l’emploi selon l’origine en France avec une correction de l’endogénéité (avec variables de contrôle)

VariableModèle 1 Modèle 2 Modèle 3

Salaire Entrée dans l’emploi

Temps de travail

Entrée dans l’emploi

Sécurité de l’emploi

Entrée dans l’emploi

Non‑issu de l’immigration Ref. Ref. Ref. Ref. Ref. Ref.

Maghreb 0,034*** ‑0,32*** ‑0,23*** ‑0,37*** ‑0,14*** ‑0,35***(‑0,010) (‑0,02) (‑0,03) (‑0,02) (‑0,03) (‑0,02)

Europe du Sud ‑0,028*** 0,01 0,04 ‑0,01 ‑0,01 0,01(‑0,009) (‑0,02) (‑0,03) (‑0,02) (‑0,03) (‑0,02)

Reste de l’Afrique ‑0,023 ‑0,33*** ‑0,33*** ‑0,41*** ‑0,05 ‑0,38***(‑0,021) (‑0,04) (‑0,05) (‑0,04) (‑0,07) (‑0,04)

Europe de l’Est 0,010 ‑0,14*** ‑0,10* ‑0,18*** ‑0,11 ‑0,18***(‑0,019) (‑0,04) (‑0,05) (‑0,05) (‑0,07) (‑0,05)

Europe du Nord 0,006 ‑0,13*** ‑0,11** ‑0,15*** ‑0,11* ‑0,16***(‑0,018) (‑0,04) (‑0,05) (‑0,04) (‑0,06) (‑0,04)

Être une femme ‑0,221*** ‑0,21*** ‑0,82*** ‑0,30*** ‑0,09*** ‑0,29***(‑0,003) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Âge 0,047*** 0,01*** 0,04*** 0,01*** 0,19*** 0,01***(‑0,001) (0,00) (0,00) (0,00) (0,00) (0,00)

Sans diplôme ‑0,211*** ‑0,40*** ‑0,38*** ‑0,45*** ‑0,20*** ‑0,45***(‑0,005) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01)

Brevet des collèges/BEPC ‑0,096*** ‑0,14*** ‑0,14*** ‑0,16*** ‑0,10*** ‑0,15***(‑0,006) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01)

BEP/CAP ‑0,156*** 0,03*** 0,01 0,04*** ‑0,08*** 0,04***(‑0,004) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01)

Baccalauréat Ref. Ref. Ref. Ref. Ref. Ref.

Bac +2 0,093*** 0,30*** 0,26*** 0,36*** 0,09*** 0,37***(‑0,005) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01)

Licence ou plus 0,294*** 0,33*** 0,28*** 0,33*** 0,10*** 0,33***(‑0,005) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01)

Habiter en province hors d’une ZUS Ref. Ref. Ref. Ref. Ref. Ref.

Habiter en région parisienne hors d’une ZUS 0,168*** 0,09*** 0,24*** 0,09*** 0,15*** 0,10***(‑0,004) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,02) (‑0,01)

Habiter en province dans une ZUS 0,004 ‑0,22*** ‑0,17*** ‑0,24*** ‑0,08*** ‑0,23***(‑0,009) (‑0,02) (‑0,02) (‑0,02) (‑0,03) (‑0,02)

Habiter en région parisienne dans une ZUS 0,074*** ‑0,03 0,21*** ‑0,01 0,09 0,01(‑0,016) (‑0,04) (‑0,04) (‑0,04) (‑0,06) (‑0,04)

Avoir un seul parent immigré 0,027** ‑0,03 ‑0,04 ‑0,03 0,02 ‑0,04(‑0,011) (‑0,02) (‑0,03) (‑0,02) (‑0,04) (‑0,02)

Ne pas avoir d’enfant Ref. Ref. Ref. Ref. Ref. Ref.

Avoir un enfant 0,04*** 0,10*** 0,08***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Deux enfants 0,09*** 0,23*** 0,16***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Trois enfants ‑0,14*** 0,03*** ‑0,16***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Être en couple 0,18*** 0,18*** 0,23***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Constante 6,434*** 0,44*** ‑0,11* 0,39*** ‑2,51*** 0,46***(‑0,019) (‑0,02) (‑0,06) (‑0,02) (‑0,08) (‑0,02)

Rho ‑0,845*** 0,864*** ‑0,443***Observations 144 591 152 472 144 591 152 472 144 591 152 472

Variables contrôlées disponibles sur demande : âge², secteur d’activité, année.

Notes : La régression sur le salaire est linéaire (MCO), les régressions sur le temps de travail et sur la sécurité de l’emploi sont des probits bino-miaux. Les symboles *, ** et *** représentent les seuils de significativité statistique à respectivement 10, 5 et 1 %.

Champ : Natifs et descendants d’immigrés en emploi, de 20 à 60 ans, en France métropolitaine.

Source : Enquêtes Emploi en continu 2008-2012, Insee.

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Travail et Emploi n° 142 • 39 •

DifféreNceS frANco-AméricAiNeS de quAlité du trAvAil et de l’emploi

Tableau A2 : Estimations des déterminants de la qualité de l’emploi selon l’origine aux États-Unis avec une correction de l’endogénéité (avec variables de contrôle)

VariableModèle 1 Modèle 2 Modèle 3

Salaire Entrée dans l’emploi

Temps de travail

Entrée dans l’emploi

Sécurité de l’emploi

Entrée dans l’emploi

Non‑issu de l’immigration Ref. Ref. Ref. Ref. Ref. Ref.

Mexique ‑0,010 0,00 0,03 0,03 ‑0,01 0,04(‑0,014) (‑0,03) (‑0,03) (‑0,03) (‑0,02) (‑0,03)

Porto Rico ‑0,020 0,01 0,01 0,07 0,06* 0,07(‑0,024) (‑0,05) (‑0,06) (‑0,05) (‑0,04) (‑0,05)

Asie 0,144*** 0,05 ‑0,03 0,04 0,06* 0,04(‑0,023) (‑0,05) (‑0,06) (‑0,05) (‑0,04) (‑0,05)

Canada 0,065** 0,06 ‑0,05 0,08 ‑0,02 0,05(‑0,025) (‑0,05) (‑0,06) (‑0,06) (‑0,04) (‑0,06)

Europe du Nord 0,078*** 0,03 0,01 0,01 ‑0,05 0,01(‑0,020) (‑0,04) (‑0,05) (‑0,05) (‑0,03) (‑0,05)

Europe du Sud 0,129*** 0,04 ‑0,08 0,00 0,03 ‑0,01(‑0,021) (‑0,04) (‑0,05) (‑0,05) (‑0,03) (‑0,05)

Europe de l’Est 0,098*** 0,13 ‑0,01 0,22** ‑0,07 0,22**(‑0,033) (‑0,08) (‑0,08) (‑0,09) (‑0,05) (‑0,09)

Caraïbes 0,071 ‑0,25*** 0,28** ‑0,28*** ‑0,08 ‑0,25***(‑0,044) (‑0,07) (‑0,12) (‑0,08) (‑0,06) (‑0,08)

Amérique latine 0,015 ‑0,01 0,02 0,00 ‑0,07 0,00(‑0,032) (‑0,06) (‑0,08) (‑0,07) (‑0,05) (‑0,07)

Autres 0,078*** 0,04 ‑0,11* 0,05 ‑0,08** 0,06(‑0,026) (‑0,05) (‑0,06) (‑0,06) (‑0,04) (‑0,06)

Être une femme ‑0,482*** ‑0,0503*** ‑0,45*** ‑0,10*** ‑0,40*** ‑0,12***(‑0,004) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Âge 0,067*** 0,01*** 0,04*** 0,01*** 0,02*** 0,01***(‑0,001) (0,00) (0,00) (0,00) (0,00) (0,00)

Sans diplôme ‑0,385*** ‑0,17*** ‑0,36*** ‑0,30*** ‑0,52*** ‑0,30***(‑0,025) (‑0,04) (‑0,05) (‑0,04) (‑0,04) (‑0,04)

Sortie du lycée sans diplôme ‑0,228*** ‑0,28*** ‑0,20*** ‑0,37*** ‑0,41*** ‑0,36***(‑0,010) (‑0,02) (‑0,02) (‑0,02) (‑0,01) (‑0,02)

Diplôme du lycée Ref. Ref. Ref. Ref. Ref. Ref.

Bac + 2 0,151*** 0,16*** 0,02 0,20*** 0,14*** 0,19***(‑0,006) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Licence ou plus 0,488*** 0,39*** 0,20*** 0,37*** 0,31*** 0,35***(‑0,004) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Résidence ‑0,182*** ‑0,02* ‑0,07*** ‑0,01 ‑0,05*** ‑0,01(‑0,004) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Avoir un seul parent immigré ‑0,030** 0,00 ‑0,05 ‑0,02 0,02 ‑0,02(‑0,015) (‑0,03) (‑0,03) (‑0,03) (‑0,02) (‑0,03)

Ne pas avoir d’enfant Ref. Ref. Ref.

Avoir un enfant 0,08*** 0,07*** 0,08***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Deux enfants 0,13*** 0,11*** 0,14***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Trois enfants 0,06*** 0,00 0,06***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Être en couple 0,19*** 0,20*** 0,27***(‑0,01) (‑0,01) (‑0,01)

Constante ‑13,920*** 7,45 69,95*** 14,43*** 37,63*** 9,49*(‑2,483) (‑5,09) (‑5,95) (‑5,43) (‑3,74) (‑5,41)

Rho ‑0,848*** ‑0,725*** 0,932***Observations 153 422 244 701 153 422 244 701 153 422 244 701

Variables contrôlées disponibles sur demande : âge², secteur d’activité, année.

Notes : La régression sur le salaire est linéaire (MCO), les régressions sur le temps de travail et sur la sécurité de l’emploi sont des probits bino-miaux. Les symboles *, ** et *** représentent les seuils de significativité statistique à respectivement 10, 5 et 1 %.

Champ : Natifs et descendants d’immigrés en emploi, de 20 à 60 ans, aux États-Unis.

Source : Current Population Surveys 2008-2012, BLS.

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Travail et Emploi142  (avril-juin 2015)Les institutions du travail : quelles réévaluations ?

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Gürdal Aslan et Djamel Kirat

L’impact du salaire minimumsur l’emploi dans les pays endéveloppementLe cas de la Turquie................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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Référence électroniqueGürdal Aslan et Djamel Kirat, « L’impact du salaire minimum sur l’emploi dans les pays en développement », Travailet Emploi [En ligne], 142 | avril-juin 2015, mis en ligne le 01 avril 2017, consulté le 19 janvier 2016. URL : http://travailemploi.revues.org/6624

Éditeur : La documentation françaisehttp://travailemploi.revues.orghttp://www.revues.org

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Travail et Emploi n° 142 • 41 •

L’impact du salaire minimum sur l’emploi dans les pays en développement : le cas de la Turquie

Gürdal Aslan (*), Djamel Kirat (**)

Cet article traite du salaire minimum en Turquie et de son rôle dans un marché du travail marqué par des taux d’activité et d’emploi très faibles (y compris en tenant compte de l’importante part du travail informel) et par un taux de chômage élevé. Il évalue empiriquement l’impact du salaire minimum sur le nombre d’emplois salariés non agricoles pour la période 1988-2013. Plus spécifiquement, il distingue les effets du salaire minimum sur l’emploi des hommes et des femmes et sur l’emploi formel et informel. Conformément aux prédictions de la théorie néoclassique, les résultats montrent une relation négative entre emploi salarié total et salaire minimum pour les hommes comme pour les femmes. Mais ils montrent également que si le salaire minimum a un effet négatif sur l’emploi salarié informel, il a un effet positif sur l’emploi salarié formel. Ce dernier résultat, bien qu’à l’opposé de ce que prédit le modèle théorique traditionnel du salaire minimum à deux secteurs, est conforme aux résultats de la littérature empirique sur les pays en voie de développement. Nous l’interprétons par le déplacement de l’offre de travail du secteur informel vers le secteur formel, ce qui est un des objectifs des politiques publiques.

Le salaire minimum est une mesure phare de la protection des travailleurs en vigueur dans de nombreux pays. Il a pour vocation principale d’assu‑rer un niveau de vie décent aux salariés. Sa mise en place passe habituellement par la loi ou par la négo‑ciation collective. Il peut constituer un rempart contre l’absence, ou la faiblesse, de la négociation collective dans les pays où la syndicalisation est faible.

L’efficacité du salaire minimum fait l’objet de débats permanents. L’accroissement des inégalités et de la pauvreté ainsi que la multiplication des emplois à bas salaire posent régulièrement la question de son rôle dans la lutte contre les bas revenus (cf. l’article de Paul Osterman dans ce numéro). Aux États‑Unis et dans beaucoup de pays développés, les débats se sont focalisés sur son impact pour l’emploi des jeunes. Dans de nombreux pays en développement, son importance est encore plus grande du fait de la dualité de leur marché du travail entre emploi formel et informel.

Dans un pays comme la Turquie, la négociation collective est limitée. Les indicateurs d’inégalités et de pauvreté sont élevés, la fiscalité et les transferts sociaux ne sont pas réellement redistributifs. Par conséquent, les attentes à l’égard du salaire minimum sont fortes. Le cas de ce pays est particulièrement intéressant car il obtient des résultats économiques encourageants,

qui le placent au 17e rang des puissances économiques mondiales et ce, alors que certains indicateurs relatifs au marché du travail tendent à le positionner en bas de l’échelle mondiale. En effet, le taux d’emploi total (travail informel inclus) de la population de plus de 15 ans est de 46 % en 2013 (65 % pour les hommes, 27 % pour les femmes et 32 % pour les jeunes de moins de 24 ans). Le taux d’activité de la population de plus de 15 ans est également très faible (51 % en 2013). L’emploi informel (1) représente 37 % de l’emploi total et 23 % de l’emploi non agricole. Dans ce contexte, de nombreuses études expliquent l’importance du travail informel et la faiblesse du taux d’emploi par la rigidité du marché du travail et par le niveau élevé du salaire minimum (OCDE, 2010).

Les fortes revalorisations du salaire minimum durant les années 2000, surtout en 2004, ont engen‑dré de sérieux débats sur ses effets, qu’ils soient recherchés ou non, directs ou indirects, sur l’emploi formel et informel, l’activité économique, le niveau de vie des salariés ou encore les inégalités. Notre analyse se concentre sur ses effets sur l’emploi. Dans cet article, nous confrontons précisément les prédictions théoriques relatives aux effets du salaire minimum sur l’emploi à la réalité économique turque. La première partie dresse un panorama du salaire minimum en Turquie en présentant ses fondements législatifs et son fonctionnement. Elle

(1) Selon l’Institut national de statistique turc, un salarié occupe un emploi formel s’il est affilié à la Sécurité sociale, alors qu’un salarié occupe un emploi informel s’il n’est pas inscrit à un organisme de Sécurité sociale.

(*) Centre d’économie de la Sorbonne (CES), Université Paris‑1 Panthéon‑Sorbonne ; gurdal.aslan@univ‑paris1.fr(**) Université d’Orléans, Laboratoire d’économie d’Orléans (LEO‑CNRS, UMR 7322) ; djamel.kirat@univ‑orleans.fr

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rappelle aussi les mécanismes de sa fixation, son champ d’application et les débats socio‑écono‑miques qu’il suscite. La seconde partie propose une analyse économétrique de l’impact du salaire minimum sur l’emploi salarié non agricole sur la période 1988‑2013. Elle distingue les effets du salaire minimum sur l’emploi des hommes et des femmes, et sur l’emploi formel et informel.

Réalité et enjeux du salaire minimum en Turquie

L’analyse de l’impact du salaire minimum sur l’emploi en Turquie nécessite l’exploration de ses grandes caractéristiques et de son articulation avec le dialogue social et les relations professionnelles (voir encadré 1 pour un bref historique).

Le salaire minimum comme instrument de politique économique et sociale

Les gouvernements turcs se sont servis du salaire minimum à des fins économiques et sociales. Entre 1963 et 1977, les plans quinquennaux de l’Or‑ganisation de planification d’État (Devlet Planlama Teşkilatı, DPT) avaient pour but la mise en place d’une politique d’industrialisation qui permettrait de se passer des importations (ISI). Dans ce cadre, le salaire minimum avait des objectifs essentiellement sociaux jusqu’en 1980. Il servait, entre autres, à fournir un niveau de vie convenable aux travailleurs et à leurs familles. Il était perçu comme un instrument efficace de lutte contre la pauvreté et les inégalités de revenus. Les mesures économiques du 24 janvier 1980 marquèrent une rupture totale avec la politique d’ISI au profit de politiques économiques libérales d’ouverture et de plans de stabilisation proposés par le Fonds monétaire international (FMI). Le salaire minimum devint alors un instrument de stabilisa‑tion économique permettant de limiter l’inflation, et les plans quinquennaux ne firent désormais plus référence à ses objectifs sociaux (2). Actuellement, il sert de référence à l’indexation de nombreux dispo‑sitifs économiques (voir encadré 2).

Encadré 2

Salaire minimum et dispositifs de politique sociale

Le montant du salaire minimum est utilisé comme base de calcul dans de nombreux dispositifs de la politique sociale. Ainsi, les montants des heures supplémentaires, des indemnités de licenciement, des cotisations d’assurances sociales, des presta-tions de Sécurité sociale et des amendes infligées aux entreprises sont tous liés au salaire minimum.

Par exemple, le montant minimum de la pension d’invalidité et de la pension vieillesse ne peut être inférieur à 35 % du salaire minimum mensuel. Les frais médicaux des personnes non couvertes par la Sécurité sociale et dont le revenu n’excède pas un tiers du salaire minimum net mensuel sont pris en charge par l’État. Et une entreprise fraudeuse faisant travailler des salariés sans les déclarer doit payer, par travailleur et pour une année de travail, une amende allant de 29 à 38 fois le salaire minimum brut mensuel selon le type d’entreprise.

Par ailleurs, le niveau du salaire minimum sert aussi de référence (comme plancher) dans les négo-ciations collectives portant sur la revalorisation des salaires.Source : aslan (2013).

Le salaire minimum concerne l’ensemble des sala‑riés en Turquie. Dans le secteur privé, les entreprises ont très souvent recours à des rémunérations de ce

(2) Toutefois, selon la législation turque actuelle (article 6 de la loi sur le salaire minimum), le montant de ce salaire doit toujours au moins couvrir les besoins vitaux journaliers de l’ouvrier.

Encadré 1

Histoire et développement du salaire minimum turc

Les guerres ayant détruit la plupart des indus-tries, quelques principes importants régissant l’acti-vité économique furent posés après la proclama-tion de la République en 1923. Ils avaient pour but d’assurer la réindustrialisation du pays en favori-sant une bourgeoisie nationale de type capitaliste (1) (HilMi, Safa, 2008), ce qui nécessitait une régulation du marché du travail (Öngün, 2005). Le vote d’une loi réglementant le travail fut souhaité dès 1924 mais son adoption attendit 1936. Son objectif était de donner plus d’élan à l’industrie naissante et « d’obtenir de la masse ouvrière le meilleur rende-ment possible », selon les termes du ministre du Commerce de l’époque (andac, 1976).

La loi « du travail » de 1936 (n°  3008) intro-duisit un salaire minimum national en Turquie. Elle prévoyait que la fixation des salaires minimaux, par ville et par branche d’activité, relèverait de commis-sions locales. Cette loi, appliquée seulement à partir de 1951, n’ayant pas apporté les résultats attendus (kutal, 1969), les commissions locales furent rempla-cées par une commission centrale pour la fixation du salaire minimum en 1969. À partir de 1974, toutes les différences territoriales furent supprimées pour les salariés du secteur non agricole, les régimes des secteurs agricole et non agricole restant distincts jusqu’en 1989. En 2003, une loi (n° 4857) garantit un salaire minimum commun à tous les salariés sans autre exception que celle liée à l’âge. Les salariés de moins de 16 ans avaient un salaire minimum spécifique minoré (70 % du salaire minimum plein d’abord, puis autour de 85 % de celui-ci à partir de 1999). En 2014, le taux minoré appliqué aux salariés de moins de 16 ans a été supprimé.

(1) Les sociétés étrangères ont été achetées, les ressources minières, les matières premières et l’industrie ont été placées sous contrôle de l’État, les chemins de fer ont été nationa‑lisés et l’agriculture a été encouragée (hilmi saFa, 2008).

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L’impAct du SAlAire miNimum Sur l’emploi eN turquie

niveau. Quant au secteur public, même éloignés du salaire minimum, les revenus sont impactés en raison des réductions spéciales d’impôt qui en dépendent (3).

Les modalités d’application du salaire minimum

Le salaire minimum turc est universel : il est obligatoire et doit s’appliquer toute profession et région confondues. Il est fixé par une commission tripartite appelée commission de détermination du salaire minimum, composée de quinze membres : cinq représentent le gouvernement, cinq le syndicat patronal Tisk (4) et cinq le syndicat des travailleurs Türk-İş (5). Les décisions de revalorisation du salaire minimum sont prises à la majorité et le gouverne‑ment joue un rôle d’arbitre, avec de fait un poids considérable dans les décisions. La réglementation impose à cette commission de tenir compte de la situation économique et sociale du pays, du coût de la vie, des niveaux de salaires et des conditions de vie. Dans les faits, depuis 1989, le taux d’inflation visé par la Banque centrale est l’élément principal pris en compte dans les revalorisations du salaire minimum, qui sont donc indépendantes du marché du travail et des conditions de vie des travailleurs. Elles suivent un rythme assez régulier d’une à deux revalorisations par an depuis les années 1990.

Le taux de couverture du salaire minimum

En Turquie, la proportion de salariés couverts par des conventions collectives est très faible (6), en raison notamment de la mise en œuvre de politiques néolibérales, des privatisations massives et des limi‑tations des libertés syndicales. Le salaire minimum est perçu comme un moyen de pallier l’absence de la négociation collective. La question du nombre de salariés réellement payés au salaire minimum reste cependant posée.

Les données du ministère du Travail et de la Sécurité sociale indiquent qu’en décembre 2008, 41,1 % des travailleurs déclarés sont rémunérés au salaire minimum, soit environ 4 millions de personnes. Cependant, il convient d’être prudent avec ces chiffres, l’identification des salariés payés

(3) Depuis 2008, l’État fait bénéficier les salariés (du secteur privé et public) d’une réduction spéciale d’impôts en fonction de la situation familiale et du nombre d’enfants. Cette réduc‑tion est calculée en fonction du montant du salaire minimum. Selon le nouveau régime de l’impôt sur les salaires, 50 % du revenu annuel brut du salaire minimum est exempté de l’impôt sur le revenu. Le niveau de l’exemption (50 %) est augmenté de 10 % pour les couples mariés, de 7,5 % pour chacun des deux premiers enfants et de 5 % de plus pour les enfants restants. Par ailleurs, chacune des augmentations du salaire minimum entraîne une réduction d’impôt pour tous les fonctionnaires.(4) Confédération des syndicats d’employeurs de Turquie (Tisk), le plus représentatif.(5) Confédération des syndicats de travailleurs de Turquie (Türk-İş), le plus représentatif.(6) En 2009, elle représentait seulement 740 000 salariés décla‑rés sur les 12 millions au total, soit autour de 6 % des salariés.

au salaire minimum étant des plus délicates. Ni leur nombre ni leurs caractéristiques ne font l’objet d’un suivi statistique par l’Institut national de statistique turc (Tüik). D’une part, les statistiques du ministère du Travail s’appuient uniquement sur le nombre d’inscrits au système d’assurance sociale. Or, près du tiers des salariés n’y sont pas déclarés (voir encadré 3). D’autre part, il existe un phénomène d’ampleur, qui consiste à dissimuler une partie des salaires mensuels réellement versés aux employés déclarés. Comme l’ensemble des cotisations et l’impôt sur le revenu sont retenus à la source, les employeurs déclarent que leurs employés sont rémunérés au salaire minimum pour payer un minimum de charges, ce qui entraîne une surévalua‑tion du nombre de travailleurs effectivement payés au salaire minimum.

Encadré 3

Travail informel en Turquie

Le travail informel et le travail non déclaré occupent en Turquie une place importante dans l’ensemble des emplois (salariés et non salariés) et dans tous les secteurs d’activité. Les emplois informels sont concentrés, par ordre d’importance décroissante, dans l’agriculture, la construction, les services domestiques, l’hôtellerie et la restauration et enfin, dans le commerce de gros et de détail.

En 2013, sur 25,5  millions des travailleurs, 9,4  millions étaient des travailleurs informels (non déclarés). 3,3 millions d’entre eux, soit 35 %, étaient des salariés (réguliers ou occasionnels (1), le reste étant des travailleurs indépendants ou des travail-leurs familiaux non rémunérés.

La part de l’emploi informel dans l’emploi total est passée de 50 % en 2004  à 37 % en 2013. La tendance est la même lorsque l’on écarte les emplois agricoles (où 90 % des emplois sont informels), avec une proportion passant de 34 % en 2004  à 23 % en 2013. Malgré une tendance à la baisse depuis quelques années, le taux d’emploi informel dans les activités non agricoles reste donc élevé, la dimi-nution de la part de l’emploi informel dans l’emploi total s’expliquant principalement par la transforma-tion du marché du travail turc (la part de l’agriculture dans l’emploi total a diminué progressivement avec la croissance économique du pays).Source : aslan (2013).

(1) Un emploi occasionnel est un emploi temporaire (jour‑nalier ou saisonnier).

Pour évaluer le nombre de travailleurs rémunérés au salaire minimum, nous utilisons les informa‑tions recueillies par l’enquête Budget des ménages de 2005. Nous appelons « salariés payés au voisi‑nage du salaire minimum » les salariés du secteur non agricole de plus de 16 ans travaillant à temps plein (35 heures et plus par semaine), dont la rému‑nération mensuelle totale se situe entre 0,9 et 1,1

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du salaire minimum mensuel (7). Nous estimons les proportions des salariés rémunérés au salaire minimum à 15,7 % dans l’emploi informel et 15,6 % dans l’emploi formel. Bien que le salaire minimum ne s’applique pas à la sphère informelle, la très forte similitude de ces pourcentages témoigne de la diffu‑sion de la norme qu’il constitue au‑delà des emplois ouvrant droit à une couverture sociale. Utilisant également les enquêtes Budget des ménages de 2003 à 2006, Selin peleK et Oana CalavrezO (2011) évaluent à 12,6 % la proportion de salariés rémuné‑rés au salaire minimum dans l’emploi informel et à 13,2 % dans l’emploi formel. Cette différence de 2 à 3 points de pourcentage avec notre estimation peut provenir d’une définition différente des salariés à temps plein (8). Toutefois, comme ces auteures, nous trouvons que les catégories suivantes constituent le bas de l’échelle salariale : les femmes, les jeunes, les actifs peu qualifiés, les actifs peu diplômés, les actifs ne travaillant pas en contrat à durée indéter‑minée (CDI), les actifs inexpérimentés et les actifs travaillant dans les petites entreprises (moins de 10 salariés).

Le niveau et l’évolution du salaire minimum turc

Le niveau du salaire minimum peut avoir un impact important sur l’emploi et les revenus. Le graphique 1 présente l’évolution du salaire minimum brut réel turc sur la période 1969‑2013 (9). Il montre une tendance de long terme à la hausse, avec beaucoup de fluctuations à plus court terme.

Graphique 1 : Évolution du salaire minimum brut réel (mensuel)*

Insérer illustration n° 3

* 1969 = 100

Source : Auteurs, à partir des données sur le salaire minimum four-nies par le ministère du Travail et de la Sécurité sociale. Données sur l’inflation fournie par Tüik (Institut national de statistique turc).

(7) Cette démarche est suivie dans la littérature sur les sala‑riés rémunérés au salaire minimum. Par exemple, l’OCDE (2008) définit pour les travailleurs à plein-temps trois catégo‑ries d’intervalle pour estimer le nombre de salariés rémunérés au voisinage du salaire minimum : i) entre 0,9 et 1,1 du salaire minimum mensuel ; ii) entre 0,95 et 1,05 du salaire minimum mensuel ; iii) entre 0,99 et 1,01 du salaire minimum mensuel.(8) Ces auteures limitent leur échantillon aux salariés qui travaillent entre 37,5 heures et 66 heures pendant la semaine de référence alors que dans les enquêtes Budgets des ménages les salariés à temps plein sont définis comme travaillant 35 heures et plus pendant la semaine de référence.(9) Le salaire minimum est devenu national et unique en 1969.

Le contexte politique, économique et social explique ces mouvements. Les changements de politique économique dans les années 1980 ont conduit à la diminution ou au gel du salaire minimum réel. Les mouvements sociaux des années 1970 et 1990 ont débouché sur des augmentations, tout comme la pression populaire dans les périodes suivant les crises. Inversement, les coups d’État militaires de 1971 et 1980, les crises économiques et financières de 1994 et 2001, ont entraîné des baisses du salaire minimum réel. Dès 2002, la Turquie renoue avec une croissance économique soutenue (le produit intérieur brut [PIB] réel a progressé de 7 % par an en moyenne entre 2002 et 2006). Elle suit une politique de désinflation sans précédent : l’inflation, de 54,4 % en 2001 tombe à 8,8 % en 2007 (voir tableau 1). Le salaire minimum brut réel augmente de 74 % entre 2002 et 2013. À la veille des élections régionales de 2004, la reva‑lorisation atteint 30 % en termes réels, facilitée par la croissance économique et par la volonté politique du Parti pour la justice et le dévelop‑pement (AKP), le parti au pouvoir depuis 2002. Élu après la crise économique et sociale de 2001, l’AKP est de fait devenu le réceptacle des espoirs des classes populaires, notamment dans les péri‑phéries des villes (Karayel, math, 2006), et a donc essayé de répondre à leurs attentes.

Tableau 1 : Salaire minimum et inflation

AnnéesSalaire

minimum brut mensuel (TL)

Salaire minimum net mensuel (TL)

Taux d’inflation

( %)2001 151,6 110,62 54,42002 236,5 173,91 452003 306 226 18,42004 433,5 310,6 9,32005 488,7 350,1 7,72006 531 380,5 9,72007 573,8 411,1 8,42008 623,6 492,4 10,12009 680 536,8 6,52010 744,8 587,8 6,42011 816,8 644,3 10,52012 913,5 720,5 6,22013 1 000 788,3 7,4

Note : La durée hebdomadaire légale du travail en Turquie est de 45 heures. Cette durée peut être librement répartie sur les 7 jours de la semaine, le dimanche inclus, sous réserve d’un jour de repos par semaine, ce qui fait 7 h 30 de travail par jour.

Lecture : En 2001, le salaire minimum brut mensuel était de 151,6 livres turques.

Source : Calculs des auteurs à partir des données sur le salaire minimum fournies par le ministère du Travail et de la Sécurité sociale.

En 2001, le salaire minimum représentait 52 % du salaire médian. Ce pourcentage a augmenté après des revalorisations importantes entre 2002 et 2005 pour atteindre un niveau proche de 75 %.

60 80

100 120 140 160 180 200 220

1969

1971

1973

1975

1977

1979

1981

1983

1985

1987

1989

1991

1993

1995

1997

1999

2001

2003

2005

2007

2009

2011

2013

SM brut réel

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L’impAct du SAlAire miNimum Sur l’emploi eN turquie

En 2013, le salaire minimum brut représente 71 % du salaire médian, ratio le plus élevé parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développe‑ment économique (OCDE), légèrement devant la France.

Les représentants des travailleurs considèrent que le niveau du salaire minimum est insuffisant. En raison de la participation réduite des femmes au marché du travail, l’organisation familiale repose largement sur le modèle de « Monsieur Gagne‑pain » (Male-breadwinner) : le salaire des hommes est le principal, et le plus souvent l’unique, revenu du ménage, dont la taille la plus fréquente est de quatre personnes. Les représentants des travailleurs estiment que le salaire minimum doit couvrir les besoins de toute la famille du travailleur confor‑mément à la convention n° 131 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Or, la commission de fixation du salaire minimum turc ne prend en compte que les besoins du travailleur, non ceux de sa famille (erdOgdu, 2010). Certes, la Turquie n’a toujours pas ratifié la convention n° 131 de l’OIT, mais elle a entériné la charte sociale du Conseil de l’Europe, dont l’article 4 sur le « droit à une rému‑nération équitable » stipule également que cette rémunération doit couvrir les besoins du travail‑leur et de sa famille (« en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à une rémunération équitable, les parties s’engagent […] à reconnaître le droit des travailleurs à une rémunération suffisante pour leur assurer, ainsi qu’à leurs familles, un niveau de vie décent »).

Le salaire minimum dans les débats entre partenaires sociaux

De nombreux débats ont lieu entre les partenaires sociaux en Turquie sur les objectifs, le fonctionne‑ment et l’efficacité du salaire minimum. Cependant, le taux de syndicalisation réel se situe aujourd’hui autour de 10 % (erdOgdu, 2010) (10) et les négocia‑tions collectives couvrent, comme nous l’avons dit, une faible proportion de la population active. Elles concernent environ 700 000 travailleurs, apparte‑nant pour la plupart au secteur public (WOrld BanK, 2006). Malgré l’existence d’organisations syndi‑cales, la Confédération syndicale internationale (CSI), l’OIT et la Commission européenne estiment que le cadre juridique turc n’est pas conforme aux normes de l’Union européenne et aux conventions de l’OIT en matière de liberté d’association, de droits d’organisation, de grève et de négociation

(10) Nous ne prenons pas en compte les chiffres du ministère du Travail et de la Sécurité sociale sur le taux de syndicalisation et la négociation collective car ces données portent uniquement sur le nombre de travailleurs déclarés, ce qui amène à forte‑ment surestimer le taux de syndicalisation et de négociation collective.

collective. Ainsi, selon l’indice de la CSI (11), les droits des travailleurs ne sont pas garantis en Turquie (12).

La seule confédération patronale considérée comme représentative, le Tisk, dénonce le coût élevé du salaire minimum pour les employeurs (13). Elle estime que les augmentations successives ont des effets négatifs sur l’investissement, la compétitivité des entreprises, les prix et l’emploi. Elle dénonce aussi leur rôle dans l’augmentation du travail informel. Le Tisk a long‑temps milité en faveur d’un salaire minimum régional et reste aujourd’hui favorable à une différenciation du salaire minimum selon que l’entreprise est assujettie ou non à une convention collective. Il est opposé à la prise en compte des besoins de la famille du travailleur dans sa réévaluation.

Les trois confédérations des travailleurs du secteur privé (Türk-İş, Disk et Hak-İş,) s’entendent, quant à elles, sur les principes généraux d’un salaire minimum qui doit (i) être national et interprofessionnel, (ii) tenir compte de la situation familiale et garantir un niveau de vie suffisant à la famille, (iii) être déterminé sur une base nette, hors cotisations et impôts sur le revenu, par la Commission tripartite ayant cette mission et (iv) être exonéré d’impôt sur le revenu.

Les principales revendications des syndi‑cats portent sur les droits individuels et collectifs restreints accordés par le droit du travail. Le salaire minimum est considéré comme un élément de promotion du dialogue social et perçu par les parte‑naires sociaux comme un moyen de pallier l’absence de négociations collectives. Il est même devenu le principal déterminant des salaires dans l’ensemble de l’économie (KOçer, visser, 2009).

Comme nous l’avons dit, sa large diffusion et ses impacts potentiels font de lui un outil important de poli‑tique sociale. Les débats entre partenaires sociaux ne remettent pas en cause le principe du salaire minimum, ils portent sur son rôle, son niveau, son coût pour l’employeur et ses effets potentiels sur l’économie.

(11) L’indice CSI (Confédération syndicale internationale) des droits dans le monde permet d’évaluer les pays en fonction de leur respect des droits des travailleurs : 139 pays sont classés dans des catégories allant de 1 à 5 en fonction du degré de respect des droits des travailleurs. Les droits des travailleurs n’existent pour ainsi dire pas dans les pays de catégorie 5, tandis que dans ceux relevant de la catégorie 1, les violations ne surviennent que de manière sporadique. La Turquie est classée dans la 5e catégorie (pour en savoir plus, voir la présentation de l’indice CSI sur le site de la Confédération syndicale interna‑tionale : http://survey.ituc‑csi.org/ITUC‑Global‑Rights‑Index.html?lang=fr ; consultée le 25 août 2015).(12) Voir la page consacrée à la Turquie sur le site de la CSI : http://survey.ituc-csi.org/Turkey.html?lang=fr ; consultée le 25 août 2015.(13) En 2013, le coût total d’un salarié célibataire de plus de 16 ans et travaillant à plein‑temps payé au salaire minimum est de 1 177 TL ; son salaire minimum brut est de 1 000 TL et son salaire minimum net est de 788 TL. L’ensemble des cotisations et l’impôt (qui est prélevé à la source) représentent 33 % du coût total du salaire minimum pour l’employeur.

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Bien qu’inscrit dans le paysage économique et social turc, son fonctionnement continue ainsi de soulever des questions. Les représentants des employeurs et certaines organisations internationales partagent l’idée évoquée par certains modèles théoriques (par exemple, le modèle néoclassique à deux secteurs), selon laquelle des hausses importantes du salaire minimum peuvent générer emploi informel et chômage.

Les effets du salaire minimum sur l’emploi

La relation entre le salaire minimum et l’emploi constitue l’un des sujets les plus controversés de la littérature économique. L’intérêt pour le salaire minimum s’est accru durant les années 1990 et 2000 (BIT, 2009). Il est devenu un instrument essentiel de lutte contre l’accroissement des inégalités sala‑riales, de la pauvreté des travailleurs et des nouvelles formes d’emplois atypiques qui sont habituellement associées aux salaires très bas. Ce regain d’intérêt a conduit à une hausse importante de la valeur réelle du salaire minimum : + 6,5 % par an entre 2001 et 2007 dans les pays en voie de développement, contre + 3,8 % par an entre 2001 et 2007 dans les pays déve‑loppés (BIT, 2009). En Turquie, comme nous l’avons vu, l’augmentation du salaire minimum brut réel a été très importante : + 146 % entre 1988 et 2013. Or, sur la même période, le marché du travail turc a continué de se distinguer par des taux d’activité et d’emploi très faibles (notamment des femmes et des jeunes), tandis que la part de l’emploi informel non agricole est restée élevée (voir tableau 2).

Tableau 2 : Marché du travail turc, 1988-2013

1988 1990 1995 2000 2005 2010 2013Taux d’activité total* (emploi informel inclus)Hommes 81,2 79,7 77,8 73,7 70,6 70,8 71,5Femmes 34,3 34,1 30,9 26,6 23,3 27,6 30,815-24 ans 56 54,7 48,6 42,5 37,7 38,3 39,6Ensemble 57,5 56,6 54,1 49,9 46,4 48,8 50,8Taux d’emploi total (emploi informel inclus)Hommes 75,1 73,5 71,7 68,9 63,2 62,7 65,2Femmes 30,6 31,2 28,7 24,9 20,7 24 27,115-24 ans 46,2 45,9 41 37 30,2 30 32,2Ensemble 52,6 52,1 50 46,7 41,5 43 45,9Composition de l’emploi total entre formel et informelFormel 41,9 44,9 46,5 49,4 51,8 56,7 63,3Informel 58,1 55,1 53,5 50,6 48,2 43,3 36,7Composition de l’emploi hors agriculture entre formel et informelFormel 72,6 74,5 73,1 70,8 65,7 70,9 77,6Informel 27,4 25,5 26,9 29,2 34,3 29,1 22,4

* Taux d’activité = Part des personnes en emploi ou à la recherche d’un emploi.

Lecture : En 1988, le taux d’activité des hommes était de 81,2 %.

Champ : Population adulte. Le taux d’activité et le taux d’emploi sont calculés sur l’ensemble de la population de plus de 15 ans.

Source : Enquêtes sur l’emploi du Tüik, 1988-2013.

Comme dans d’autres pays émergents, le marché du travail turc est caractérisé par une structure duale entre travail formel et informel. L’emploi informel représente près de 37 % de l’emploi total (agricul‑ture comprise) en 2013. Le clivage entre les deux Turquie, rurale/urbaine et formelle/informelle, se traduit par de fortes disparités au niveau des revenus, de l’accès à l’éducation et aux soins. Dans ce contexte, le débat quant aux effets potentiels du salaire minimum sur l’emploi a été fortement relancé.

Une revue de littérature sur les liens entre salaire minimum et emploi

Selon le modèle néoclassique de la concurrence parfaite, si le salaire minimum est fixé au-dessus du taux de salaire d’équilibre, les entreprises réduisent, toutes choses égales par ailleurs, leur demande de main‑d’œuvre (14), ce qui conduit en théorie à une baisse de l’emploi pour l’ensemble des catégories de travailleurs rémunérés au salaire minimum et donc à une augmentation du chômage. Dans ce modèle, les entreprises ne fixent pas les prix et ne peuvent influencer les salaires (neumarK, WasCher, 2008). Inversement, les modèles de monopsone estiment que les marchés ne sont jamais parfaitement concur‑rentiels et que les entreprises ont toujours un certain pouvoir sur eux. Ainsi, Alan manning (2010) montre que dans ces conditions de concurrence imparfaite, un salaire minimum plus élevé n’entraîne pas forcé‑ment une baisse de l’emploi et que l’existence d’un salaire minimum peut empêcher les employeurs en position de force sur le marché de faire pression sur les salaires.

Ces modèles demeurent insuffisants dès lors que l’on entend prendre en compte la dualité du marché du travail entre emploi formel et emploi informel. Le modèle néoclassique à deux secteurs permet d’intégrer cette caractéristique : il prédit un impact négatif du salaire minimum sur l’emploi formel et un impact positif sur l’emploi informel (WelCh, 1976 ; gramliCh et al., 1976 ; minCer, 1976). Mais les estimations empiriques s’écartent de ces prédictions. Au cours des dix dernières années, un certain nombre d’études ont testé l’hy‑pothèse du modèle standard à deux secteurs dans les pays en voie de développement, notamment au Brésil (FaJnzylBer [2001] ; lemOs [2004, 2006]), au Costa‑Rica ou en Indonésie, pays comparables à la Turquie. Pablo FaJnzylBer (2001) trouve des élasticités négatives de l’emploi par rapport au salaire minimum pour la plupart des travail‑leurs à bas salaire : une hausse de 1 % du salaire minimum peut faire reculer l’emploi de l’ordre de ‑0,1 % et ‑0,25 % respectivement pour l’emploi

(14) La diminution de la demande de main‑d’œuvre peut se traduire par des licenciements ou une absence de recrutements, et donc par une baisse de l’emploi, ou par une moindre durée du travail (sKOurias, 1995).

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L’impAct du SAlAire miNimum Sur l’emploi eN turquie

formel et l’emploi informel. Sur des panels provin‑ciaux, Sara lemOs (2004) montre que les signes de l’effet sur l’emploi et les heures travaillées varient en fonction des régions mais sont rarement statistiquement significatifs. Distinguant emploi formel et informel, la même auteure constate que les hausses du salaire minimum n’ont pas entraîné de diminution de l’emploi ou des heures travaillées (lemOs, 2006). Étudiant la même question pour le Costa Rica, Fatma el-hamidi et Katherine terrell (2001) relèvent qu’une hausse du salaire minimum de 1 % par rapport au salaire moyen augmente le niveau de l’emploi formel de 0,5 % et reste sans effet significatif sur l’emploi informel. Sur le même pays, Thomas H. gindling et Katherine terrell (2004) trouvent des résultats différents. Ils montrent qu’une augmentation de 10 % du salaire minimum réduit l’emploi formel de 1,09 % et les heures travaillées de 0,6 %. Ils ne découvrent pas d’impact significatif sur les heures travaillées dans le secteur informel. Au total, les résultats de ces études empiriques sur des pays comparables ne permettent donc pas de valider l’hypothèse d’un effet défavorable sur l’emploi formel.

À notre connaissance, il y a peu d’études sur les effets du salaire minimum en Turquie. Les premières proposent des tests de causa‑lité sur la relation entre le salaire minimum et d’autres variables, tels le salaire moyen, le chômage ou l’inflation. Şahabettin gunes (2007) met en évidence une relation d’équi‑libre de long terme entre salaires minimum et moyen. L’auteur trouve que la hausse du salaire minimum provoque une augmentation du salaire moyen dans le secteur privé. Adem KOrKmaz et Orhan COBan (2006) mènent des tests de causa‑lité pour analyser les relations entre le salaire minimum, le chômage et l’inflation et mettent en lumière un lien de causalité bidirectionnel entre le taux d’inflation et le salaire minimum. Ils constatent aussi que le salaire minimum ne cause pas, au sens de Granger (15), une élévation du chômage. Rüya Gökhan KOçer et Jelle visser (2009) examinent pour leur part le rôle direct de l’État dans les relations industrielles, en se concentrant sur la base politique des décisions concernant le salaire minimum. Ils montrent qu’en cas d’absence de négociation collective efficace, c’est le gouvernement qui, en cas de conflit entre les syndicats de salariés et d’em‑ployeurs, devient le déterminant principal du niveau du salaire minimum, en prenant la déci‑sion de le revaloriser en fonction de la situation économique du pays.

(15) Une variable X cause Y au sens de Granger, si le fait de connaître l’historique de X améliore la prévision de Y.

Enfin, Kerry L. papps (2012) analyse l’impact de la hausse du coût total du salaire minimum sur l’emploi entre 2002 et 2005. L’auteur montre que l’augmentation du coût total du salaire minimum due à un accroissement des cotisations de sécurité sociale donne lieu à une baisse accrue de l’emploi total par rapport à une hausse de même ampleur du coût total du salaire minimum induite par la reva‑lorisation de son montant nominal. L’auteur en conclut que les travailleurs réagissent à la hausse du salaire minimum en intensifiant leurs niveaux d’effort.

Données et modèles

Nous nous intéressons au niveau de l’emploi salarié hors agriculture en Turquie et ses détermi‑nants en accordant une attention particulière au salaire minimum réel. Nous disposons pour cela du nombre d’emplois salariés non agricoles, des données du PIB réel (en base 1998) et de celles de la population active qui, toutes, proviennent de l’Institut national de statistique (Tüik). Les données sur le nombre d’emplois salariés non agricoles et la population active sont disponibles par genre (hommes et femmes de plus de 15 ans) et par catégorie (emplois formels et informels). Nous utilisons par ailleurs la série du salaire minimum brut nominal (ministère du Travail et de la Sécurité sociale) et l’indice des prix à la consommation (Tüik) afin d’obtenir une série du salaire minimum brut en terme réel. Le salaire minimum réel est calculé aux prix de 1998 pour être cohérent avec les données du PIB réel. Les données que nous mobilisons dans cette étude sont en fréquence annuelle et s’étendent de 1988 à 2013. Nous disposons ainsi de 26 observations pour chaque variable.

Le graphique 2 représente l’évolution du nombre d’emplois salariés hors emplois agricoles en Turquie. Il montre que l’emploi total, l’emploi des hommes et l’emploi formel présentent des tendances générales à la hausse sur la période étudiée, avec un effet légèrement plus marqué depuis 2004. Ces séries ont toutefois également connu des baisses ou des ralentissements en 2001 et 2009. Le graphique nous renseigne par ailleurs sur la part relativement faible de l’emploi des femmes, qui représente aux alentours de 20 % de l’emploi total sur la période étudiée, augmen‑tant légèrement en fin de période pour atteindre 26 % en 2013. Enfin, le graphique 2 indique que la part de l’emploi salarié informel non agricole dans l’emploi salarié total non agricole a fluctué autour de 25 %. Cette part a atteint son niveau le plus élevé en avoisinant les 30 % en 2004, avant d’entamer une baisse progressive et ne représente plus que 18 % en 2013.

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Graphique 2 : Évolution de l’emploi salarié hors agriculture en Turquie (en milliers de travailleurs)

Insérer illustration n° 4

Lecture : En 1988, le nombre d’emplois salariés hors emplois agri-coles en Turquie était de 6 641.

Champ : Nombre d’emplois salariés hors emplois agricoles en Turquie sur l’ensemble de la population de plus de 15 ans.

Source : Enquêtes sur l’emploi du Tüik, 1988-2013.

David neumarK et William WasCher (2008) soulignent que ce sont les effets de l’augmenta‑tion du salaire minimum sur l’emploi des groupes de salariés payés autour de ce niveau, comme les jeunes (16) ou les femmes, qui ont été mesurés dans les travaux empiriques. Dans le cas de la Turquie, par effet de diffusion (y compris dans le secteur informel), le salaire minimum affecte une proportion importante des salariés. Le coût total du salaire minimum pour l’employeur étant élevé, une variation même faible de son niveau est susceptible d’avoir un impact non négli‑geable sur l’emploi total. Pour cette raison, nous commençons par l’estimation des effets du salaire minimum sur l’emploi total. Nous utilisons pour cela une équation commune de forme réduite qui reprend le modèle de la concurrence néoclassique d’offre et de demande de travail. L’hypothèse prin‑cipale à tester est la suivante : est‑ce que le salaire minimum réel provoque une réduction de l’emploi total et de l’emploi des différents groupes de main‑d’œuvre (hommes et femmes) en Turquie comme le prédit la théorie ? Comme le marché du travail turc présente une structure duale, formelle et infor‑melle, nous testons en second lieu la prédiction du modèle de la concurrence néoclassique d’offre et de demande de travail à deux secteurs (WelCh, 1976 ; gramliCh et al., 1976 ; minCer, 1976). Ce modèle prédit que la hausse du salaire minimum diminue l’emploi formel et augmente l’emploi informel.

(16) Nous ne disposons pas des données sur l’emploi salarié hors agriculture pour les jeunes en Turquie, nous ne pouvons donc l’inclure dans notre analyse.

Le modèle que nous proposons s’inspire du modèle néoclassique standard (Card, Krueger, 1995 ; diCKens et al., 1999 ; lemOs, 2006), selon lequel le niveau de l’emploi dépend de l’offre de travail, de la demande de travail (déterminée par l’activité économique) et du salaire minimum. Notre méthodologie consiste donc à régresser le nombre d’emplois sur une variable de salaire minimum, une variable de demande (PIB) et sur une variable de contrôle de l’offre de travail (popu‑lation active).

Nous adoptons une démarche empirique afin de valider notre modélisation. Nous commençons donc par tester la stationnarité des séries concernées ici. Le tableau 1 en annexe présente les résultats des tests de racines unitaires usuels : Augmented Dickey‑Fuller (ADF), Phillips‑Perron (PP) et Kwiatkowski‑Phillips‑Schmidt‑Shin (KPSS).

Les résultats concluent à la non‑stationnarité de toutes les séries en niveau et à la stationnarité des séries en variation. La non‑stationnarité des séries en niveau est clairement de nature stochas‑tique, sauf pour les variables de salaire minimum et de population active totale (17). Nous procédons alors aux tests de coïntégration en considérant que les variables salaire minimum et population active totale présentent une non‑stationnarité de nature stochastique. Ces tests de coïntégration nous permettent d’explorer la présence d’une relation d’équilibre de long terme entre les variables emploi salarié, salaire minimum, PIB et population active. Nous considérons, tour à tour, l’emploi salarié dans la population totale, la population masculine, féminine, l’emploi salarié formel et informel. Évidemment, nous adaptons la variable de population active à chaque situation. Le tableau 2 en annexe présente les résultats des tests de la trace et de la valeur propre maximale (JOhansen, 1991).

Ces tests de coïntégration suggèrent la présence d’une relation de coïntégration entre les variables d’emploi salarié, de salaire minimum, de PIB et de population active dans toutes les situations examinées ici. La présence de ces équilibres de long terme requiert que l’on en propose une modélisation. Nous faisons alors le choix de modéliser ces relations de long terme en même temps que les variations de court terme à l’aide d’un modèle à correction d’erreur. Cette représen‑tation permet de considérer toutes les variables comme endogènes et de voir quelle variable permet

(17) Les séries en niveau considérées dans le tableau 2 sont de type Difference Stationary (DS), sauf pour les variables de salaire minimum et de population active totale. En effet, l’adop‑tion de la stratégie de tests ADF suggère que ces deux variables sont de type Trend Stationary (TS). Cependant, le test PP ne confirme pas ce résultat et le test KPSS ne nous permet pas de conclure avec certitude quant à la nature de la non‑stationnarité des deux séries.

0

2 000

4 000

6 000

8 000

10 000

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8819

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13

Emploi salarié total

Emploi salarié formel

Emploi salarié informel

Emploi salarié hommes

Emploi salarié femmes

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L’impAct du SAlAire miNimum Sur l’emploi eN turquie

l’ajustement suite à un déséquilibre. Nous estimons ainsi le modèle vectoriel à correction d’erreur composé de l’équation de long terme suivante :

Insérer illustration n° 5

Et du système d’équations de court terme suivant :

Insérer illustration n° 6

Dont ∆ est l’opérateur de différence première. Les variables E, Sal, PIB et POP désignent respec‑tivement l’emploi salarié, le salaire minimum, le PIB et la population active. Les paramètres α repré‑sentent les forces de rappel vers l’équilibre de long terme et permettent donc de savoir quelles variables s’ajustent suite à un déséquilibre.

Résultats

Les résultats de l’estimation des différents modèles sont reportés dans les tableaux 3 à 7.

Le tableau 3 propose les résultats de l’estima‑tion du modèle vectoriel à correction d’erreur (VECM) sur le nombre total d’emplois salariés hors agriculture (que nous appellerons par la

suite emploi total). Ces résultats montrent qu’à l’équilibre de long terme, le salaire minimum a un impact négatif sur l’emploi salarié total alors que le PIB et la population active ont un impact positif. Le paramètre estimé de la variable salaire minimum peut être interprété comme une élas‑ticité de long terme. Cette élasticité de l’emploi total par rapport au salaire minimum réel est néga‑tive et de l’ordre de ‑0,26. Ainsi, une hausse de 10 % du salaire minimum réel entraînerait, toutes choses égales par ailleurs, une baisse de 2,6 % de l’emploi salarié total sur le long terme (18). Ce résultat est cohérent avec ceux de la littérature empirique sur les pays en voie de développe‑ment (19). Par ailleurs, les équations de court terme montrent qu’à la suite d’un déséquilibre, le retour vers l’équilibre se fait à travers l’ajustement de l’emploi salarié. La force de rappel est élevée, de l’ordre de 0,64 et permet donc un rapide retour vers l’équilibre : suite à un déséquilibre qui peut être initié par une hausse du salaire minimum, le retour vers l’équilibre se fait en moins de deux ans par un ajustement de l’emploi salarié qui baisse pour retrouver sa valeur d’équilibre. À court terme, une revalorisation du salaire minimum de 10 %, toutes choses égales par ailleurs, se traduit par une augmentation de 1,6 % de l’emploi salarié et de 2,5 % du PIB.

(18) Toutes les variables étant ici endogènes, différentes interprétations de la relation d’équilibre de long terme restent possibles. Nous avons retenu une interprétation en lien avec la problématique de l’article.(19) Il est nettement inférieur, et de même signe que celui de gindling et terrel (2007), qui faisaient état d’une élasticité de ‑1,2 pour le Honduras, tandis que lemOs (2006) et Natalie Chun et Niny KhOr (2010) concluaient à une élasticité quasi nulle de l’ordre, respectivement, de 0,02 pour le Brésil et de 0,03 pour l’Indonésie.

Tableau 3 : Résultats de l’estimation du modèle VECM sur le nombre total d’emplois salariés hors agriculture

Équation de long terme ln(Et) = -15,34 - 0,26 ln(Salt) + 0,96 ln(PIBt) + 0,49 ln(POPt) (1,07) (0,06) (0,07) (0,11)

Équations de court terme Variables dépendantesΔln(Et) Δln(Salt) Δln(PIBt) Δln(POPt)

Correction d’erreur ‑0,64*** ‑0,87 ‑0,27 ‑0,39

(0,22) (0,52) (0,37) (0,23)

Δln(Et‑1)0,15 ‑3,61*** ‑0,18 0,40

(0,28) (0,66) (0,47) (0,29)

Δln(Salt‑1)0,16** 0,11 0,25** ‑0,07(0,06) (0,14) (0,10) (0,06)

Δln(PIBt‑1)‑0,29 1,80** 0,05 ‑0,24(0,28) (0,65) (0,46) (0,29)

Δln(POPt‑1)0,001 2,63*** 0,96 ‑0,49(0,37) (0,85) (0,60) (0,38)

Ln Vraisemblance 53,67 33,41 41,64 53,02

Notes : *, ** et *** indiquent la significativité des paramètres des équations de court terme aux seuils respectifs de 10, 5 et 1 %. Les écarts-types estimés sont reportés entre parenthèses en dessous des paramètres estimés correspondants.

Champ : Nombre total d’emplois salariés hors agriculture.

Source : Auteurs à partir des données du Tüik et du ministère du Travail et de la Sécurité sociale sur la période 1988-2013.

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• 50 • Travail et Emploi n° 142

Tableau 4 : Résultats de l’estimation du modèle VECM sur le nombre d’emplois salariés des hommes

Équation de long terme ln(Et) = -14,57 - 1,24 ln(Salt) + 2,13 ln(PIBt) - 1,08 ln(POPt) (3,98) (0,19) (0,26) (0,42)

Équations de court terme Variables dépendantesΔln(Et) Δln(Salt) Δln(PIBt) Δln(POPt)

Correction d’erreur ‑0,08 ‑0,54*** ‑0,19 ‑0,07(0,08) (0,19) (0,13) (0,04)

Δln(Et‑1)‑0,04 ‑2,83*** 0,46 0,19(0,34) (0,83) (0,58) (0,19)

Δln(Salt‑1)0,14* 0,34* 0,29** 0,03(0,07) (0,18) (0,12) (0,04)

Δln(PIBt‑1)0,08 0,51 ‑0,44 ‑0,02

(0,24) (0,58) (0,40) (0,13)

Δln(POPt‑1)0,65 2,61** 0,44 0,12

(0,49) (1,19) (0,83) (0,27)Ln Vraisemblance 51,97 30,52 39,18 65,93

Notes : *, ** et *** indiquent la significativité des paramètres des équations de court terme aux seuils respectifs de 10, 5 et 1 %. Les écarts-types estimés sont reportés entre parenthèses en dessous des paramètres estimés correspondants.Champ : Nombre d’emplois salariés des hommes.Source : Auteurs à partir des données du Tüik et du ministère du Travail et de la Sécurité sociale sur la période 1988-2013.

Tableau 5 : Résultats de l’estimation du modèle VECM sur le nombre d’emplois salariés des femmes

Équation de long terme ln(Et) = -31,79 - 0,27 ln(Salt) + 1,62 ln(PIBt) + 0,44 ln(POPt) (3,30) (0,19) (0,20) (0,20)

Équations de court terme Variables dépendantesΔln(Et) Δln(Salt) Δln(PIBt) Δln(POPt)

Correction d’erreur ‑0,59*** ‑0,07 ‑0,05 ‑0,39**

(0,15) (0,30) (0,13) (0,19)

Δln(Et‑1)‑0,01 ‑0,77* ‑0,06 0,08(0,22) (0,44) (0,18) (0,27)

Δln(Salt‑1)0,20* 0,05 0,25** ‑0,37**(0,12) (0,24) (0,10) (0,15)

Δln(PIBt‑1)‑0,63 1,25 0,27 ‑0,36(0,40) (0,82) (0,35) (0,50)

Δln(POPt‑1)‑0,07 0,87* 0,53** ‑0,62**(0,24) (0,47) (0,20) (0,29)

Ln Vraisemblance 38,87 22,05 42,66 33,60

Notes : *, ** et *** indiquent la significativité des paramètres des équations de court terme aux seuils respectifs de 10, 5 et 1 %. Les écarts-types estimés sont reportés entre parenthèses en dessous des paramètres estimés correspondants.Champ : Nombre d’emplois salariés des femmes.Source : Auteurs à partir des données du Tüik et du ministère du Travail et de la Sécurité sociale sur la période 1988-2013.

Les tableaux 4 et 5 présentent les résultats de l’estimation du modèle VECM sur le nombre d’em‑plois salariés hors agriculture des hommes et des femmes.

À l’équilibre de long terme, l’emploi salarié des hommes est affecté négativement par le niveau du salaire minimum réel et positivement par le niveau du PIB. La proportion élevée des hommes dans l’emploi salarié total (85 % en 1990) par rapport aux femmes (15 % en 1990) rend cohérent ce résultat avec l’impact négatif du salaire minimum réel sur l’emploi salarié total trouvé plus haut. Ces résultats montrent aussi que l’impact de la variable de population active masculine sur l’emploi salarié des hommes est négatif, contrai‑rement à l’impact de la population active totale sur l’emploi salarié total trouvé précédemment. Une explication possible de ce résultat un peu surprenant tient peut‑être à la féminisation et à la tertiarisation des emplois en Turquie depuis vingt ans : l’offre de

travail des femmes influence positivement l’emploi (cf. infra) alors que l’offre de travail masculine a l’effet inverse. Notons toutefois que ces effets ne sont pas censés s’additionner car les modèles ne sont pas additifs.

Les estimations des relations de court terme de la population masculine montrent que la variable d’ajus‑tement aux déséquilibres est le salaire minimum. En effet, à la suite d’un déséquilibre engendré, par exemple, par une récession (ou une croissance du PIB), le retour vers l’équilibre se fera, respectivement, via une baisse (ou une hausse) du salaire minimum réel. Il se fera aussi en moins de deux ans en raison de la force de rappel élevée, de l’ordre de 0,54. Les estimations des relations de court terme du tableau 4 indiquent que le salaire minimum a un impact positif sur le PIB. Une hausse de 10 % du salaire minimum réel se traduit, toutes choses égales par ailleurs, par une augmentation du PIB de 2,9 %.

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L’impAct du SAlAire miNimum Sur l’emploi eN turquie

L’emploi salarié des femmes dépend négative‑ment du salaire minimum réel et positivement du PIB et de la population active féminine à l’équi‑libre de long terme. À court terme, les variables d’ajustement aux déséquilibres sont l’emploi salarié des femmes et la population active fémi‑nine. Suite à un déséquilibre qui peut être induit par une hausse du PIB (ou une baisse du salaire minimum) par rapport à sa valeur d’équilibre, le retour à l’équilibre se fera rapidement grâce à une augmentation de l’emploi salarié des femmes. La mise en perspective de ce résultat avec ceux des estimations concernant l’emploi salarié des hommes montre qu’ils sont cohérents. D’après ces résultats, un déséquilibre induit par une hausse du PIB est absorbé, d’une part, par une augmentation du salaire minimum réel (voir tableau 4), d’autre

part, le même déséquilibre est absorbé par une hausse de l’emploi des femmes (voir tableau 5). Les femmes seraient moins incitées à rechercher un emploi salarié lors des périodes de croissance économique soutenue, c’est‑à‑dire lorsque le salaire minimum réel et par voie de conséquence les revenus des conjoints sont élevés. À court terme, le salaire minimum a un effet positif sur le PIB et un effet négatif sur la population active féminine : une hausse du salaire minimum réel de 10 % se traduit, toutes choses égales par ailleurs, par une hausse de 2,5 % du PIB et une baisse de 3,6 % de l’offre de travail des femmes.

Les tableaux 6 et 7 présentent les résultats d’es‑timation des modèles VECM sur l’emploi salarié formel et informel non agricoles.

Tableau 6 : Résultats de l’estimation du modèle VECM pour le nombre d’emplois salariés formels

Équation de long terme ln(Et) = -13,46 + 0,44 ln(Salt) - 0,07 ln(PIBt) + 0,73 ln(POPt) (1,95) (0,10) (0,13) (0,19)

Équations de court terme Variables dépendantesΔln(Et) Δln(Salt) Δln(PIBt) Δln(POPt)

Correction d’erreur 0,19 0,89 0,03 0,38***

(0,20) (0,52) (0,23) (0,14)

Δln(Et‑1)‑0,26 ‑2,47** ‑0,67 ‑0,06(0,37) (0,94) (0,42) (0,25)

Δln(Salt‑1)0,16* 0,16 0,21* 0,01(0,09) (0,23) (0,10) (0,06)

Δln(PIBt‑1)0,38 1,49** 0,59* 0,07

(0,27) (0,70) (0,31) (0,18)

Δln(POPt‑1)1,09*** 2,66*** 1,57*** ‑0,02(0,34) (0,86) (0,38) (0,22)

Ln Vraisemblance 45,97 23,50 42,91 55,80

Note : *, ** et *** indiquent la significativité des paramètres des équations de court terme aux seuils respectifs de 10, 5 et 1 %. Les écarts-types estimés sont reportés entre parenthèses en dessous des paramètres estimés correspondants.

Champ : Nombre d’emplois salariés formels.

Source : Auteurs à partir des données du Tüik et du ministère du Travail et de la Sécurité sociale sur la période 1988-2013.

Tableau 7 : Résultats de l’estimation du modèle VECM pour le nombre d’emplois salariés informels

Équation de long terme ln(Et) = -8,74 - 1,39 ln(Salt) + 2,92 ln(PIBt) - 2,60 ln(POPt) (4,37) (0,26) (0,13) (0,43)

Équations de court terme Variables dépendantesΔln(Et) Δln(Salt) Δln(PIBt) Δln(POPt)

Correction d’erreur 0,24 0,35 0,15 ‑0,25***

(0,19) (0,23) (0,11) (0,05)

Δln(Et‑1)‑0,46 ‑1,21*** ‑0,09 ‑0,32***(0,34) (0,40) (0,19) (0,09)

Δln(Salt‑1)0,14 0,15 0,18* 0,002

(0,18) (0,21) (0,10) (0,05)

Δln(PIBt‑1)0,63 1,15* 0,43 ‑0,26*

(0,50) (0,60) (0,29) (0,14)

Δln(POPt‑1)0,31 2,26*** 1,38*** ‑0,31*

(0,62) (0,75) (0,35) (0,17)Ln Vraisemblance 29,34 24,99 42,85 60,67

Notes : *, ** et *** indiquent la significativité des paramètres des équations de court terme aux seuils respectifs de 10, 5 et 1 %. Les écarts-types estimés sont reportés entre parenthèses en dessous des paramètres estimés correspondants.

Champ : Nombre d’emplois salariés informels.

Source : Auteurs à partir des données du Tüik et du ministère du Travail et de la Sécurité sociale sur la période 1988-2013.

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• 52 • Travail et Emploi n° 142

À l’équilibre de long terme, l’emploi salarié formel est affecté positivement par le niveau du salaire minimum réel. À long terme, une hausse du salaire minimum réel de 1 % entraîne, toutes choses égales par ailleurs, une augmentation de 0,4 % de l’emploi formel. Ce résultat n’est pas cohérent avec les prédictions des modèles concur‑rentiels traditionnels à deux secteurs. En effet, ces modèles prédisent un impact négatif du salaire minimum sur l’emploi formel en affirmant que la demande de travail des entreprises baisse lorsque le salaire minimum augmente. L’effet positif dans notre cas peut être expliqué par une offre de travail (20) qui augmente pour l’emploi formel suite à la hausse du salaire minimum. À ce titre, l’ajustement aux déséquilibres de court terme se fait à travers une variation de la variable popula‑tion active totale.

Les résultats du tableau 7 montrent que le salaire minimum réel affecte négativement l’emploi informel à long terme. En effet, une hausse de 1 % du salaire minimum réel entraîne, toutes choses égales par ailleurs, une baisse de l’emploi informel de 1,39 %. Les élasticités de l’emploi formel et informel par rapport au salaire minimum réel en Turquie sont de signes opposés aux prédictions des modèles concurrentiels tradi‑tionnels à deux secteurs. Ces résultats vont dans le même sens que ceux de el-hamidi et terrel (2001) et lemOs (2006). Une possible explication de l’impact positif du salaire minimum sur l’em‑ploi salarié formel est un déplacement de l’offre de travail de l’emploi informel vers le formel suite à la hausse du salaire minimum réel. Cet argument est renforcé par le fait que la variable d’ajustement aux déséquilibres de court terme est la population active totale. L’offre de travail peut se déplacer de l’emploi informel vers l’emploi formel car un salaire minimum plus attrayant incite davantage les salariés à trouver un emploi mieux rémunéré et davantage protégé dans le secteur formel.

(20) L’effet de l’offre de travail dans le secteur formel n’est que partiellement pris en compte dans notre modèle car nous connaissons la population active totale mais pas la population active dans les secteurs formel et informel.

* * *

Dans cet article, nous avons examiné l’impact du salaire minimum réel sur l’emploi salarié non agri‑cole en Turquie sur la période 1988‑2013. Nous avons distingué les effets du salaire minimum réel sur l’emploi des hommes et des femmes et entre l’emploi formel et informel. Après le rappel du cadre législatif et institutionnel turc sur le salaire minimum, nos résultats tendent à valider les prédictions du modèle standard de la théorie néoclassique concer‑nant la baisse de l’emploi salarié non agricole en Turquie lorsque le salaire minimum augmente. Nous avons aussi validé ces mêmes prédictions pour les sous‑populations des hommes et des femmes. À l’in‑verse, nous avons trouvé des résultats contredisant la prédiction du modèle de concurrence classique d’offre et de demande de travail à deux secteurs. Ce dernier prédit une baisse de l’emploi formel et une hausse de l’emploi informel, alors que dans le cadre de l’économie turque, nous trouvons que le salaire minimum réel a un impact positif sur l’emploi formel et un impact négatif sur l’emploi informel. Nous justifions ce résultat par un déplacement de l’offre de travail de l’emploi informel vers l’emploi formel.

Cet effet est recherché au regard du paiement des cotisations et taxes, de la justice sociale et de l’amélioration des comptes publics et donc de la construction d’un État moderne. Comme le salaire minimum a un effet positif sur l’emploi formel, ses contreparties négatives nous semblent pouvoir être relativisées s’agissant de la Turquie : compte tenu du faible rôle joué dans la redistribution par les transferts sociaux et la fiscalité, le salaire minimum présente de fait l’intérêt d’avoir des conséquences positives pour lutter contre la pauvreté laborieuse et les inégalités de salaires et, plus généralement, contre la pauvreté et les inégalités de revenus (21). Nous concluons que le salaire minimum est un outil important de politique publique qu’un pays comme la Turquie doit continuer à utiliser.

(21) Une piste future d’analyse consisterait à examiner l’im‑pact du salaire minimum sur la pauvreté et les inégalités de revenus en Turquie.

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Travail et Emploi n° 142 • 53 •

L’impAct du SAlAire miNimum Sur l’emploi eN turquie

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Annexes

Tableau 1 : Tests de racines unitaires des séries étudiées

Test Augmented Dickey-Fuller (ADF) Phillips-Perron (PP) Kwiatkowski-Phillips-

Schmidt-Shin (KPSS)Série (en logarithme) Niveau Variation Niveau Variation Niveau Variation

Emploi salarié total 5,91 (1) ‑5,36 (2) *** 6,77 (1) ‑5,41 (2) *** 0,100 (3) 0,755 (2) 0,172 (2)

Emploi salarié des hommes 5,32 (1) ‑5,18 (2) *** 6,32 (1) ‑5,21 (2) *** 0,086 (3) 0,750 (2) 0,135 (2)

Emploi salarié des femmes 4,84 (1) ‑6,93 (2) *** 12,33 (1) ‑8,37 (2) *** 0,121 (3) 0,762 (2) 0,350 (2)

Emploi salarié formel 4,86 (1) ‑4,50 (2) *** 4,41 (1) ‑4,55 (2) *** 0,126 (3) 0,737 (2) 0,323 (2)

Emploi salarié informel 1,48 (1) ‑4,80 (3) *** 1,69 (1) ‑4,85 (1) *** 0,170 (3) 0,672 (2) 0,366 (2)

Salaire minimum réel ‑3,67 (3) ** ‑4,37 (1) *** 2,89 (1) ‑4,35 (1) *** 0,060 (3) 0,734 (2) 0,164 (2)

PIB 4,13 (1) ‑5,74 (2) *** 5,28 (1) ‑5,78 (2) *** 0,074 (3) 0,754 (2) 0,063 (2)

Population active totale ‑4,72 (3) *** ‑3,54 (2) *** 2,58 (1) ‑4,82 (2) *** 0,095 (3) 0,659 (2) 0,150 (2)

Population active masculine 4,36 (1) ‑3,84 (2) *** 3,69 (1) ‑3,88 (2) *** 0,119 (3) 0,701 (2) 0,178 (2)

Population active féminine 1,06 (1) ‑5,32 (1) *** 1,23 (1) ‑5,32 (1) * 0,115 (3) 0,378 (2) 0,210 (2)

Notes : (1) modèle sans constante ni tendance ; (2) modèle avec constante, sans tendance ; (3) modèle avec constante et tendance.

*, ** et *** mentionnent l’absence de racine unitaire aux seuils respectifs de 10, 5 et 1 % dans les tests ADF et PP.

Le choix entre les modèles dans les tests ADF et PP a été dicté par une stratégie de tests séquentiels allant du modèle le plus général au modèle le plus restreint ; le test KPSS a été réalisé avec un noyau de Bartlett et la sélection automatique du nombre de retard. Ses valeurs critiques sont : 0,463 à 5 % et 0,739 à 1 % dans le cas sans tendance et 0,146 à 5 % et 0,216 à 1 % dans le cas avec tendance ; dans le test KPSS, l’hypothèse nulle de stationnarité est rejetée si la statistique de test est supérieure à la valeur critique.

Source : Auteurs à partir des données du Tüik et du ministère du Travail et de la Sécurité sociale turc sur la période 1988-2013.

Tableau 2 : Résultats des tests de coïntégration de Johansen (p-value)

Population totale Hypothèse nulle (nombre de relations de coïntégration) Test de la trace Test de la valeur propre maximale0 0,002 *** 0,005 ***Au plus 1 0,100 0,102Au plus 2 0,421 0,553Au plus 3 0,362 0,362

Population masculine0 0,005 *** 0,039 **Au plus 1 0,064 0,082Au plus 2 0,326 0,300Au plus 3 0,562 0,562

Population féminine0 0,014 ** 0,045 **Au plus 1 0,138 0,270Au plus 2 0,264 0,227Au plus 3 0,574 0,574

Emploi formel0 0,042 ** 0,044 **Au plus 1 0,348 0,712Au plus 2 0,257 0,412Au plus 3 0,254 0,254

Emploi informel0 0,008 *** 0,042 **Au plus 1 0,081 0,273Au plus 2 0,138 0,164Au plus 3 0,349 0,349

Note : *** et ** signalent le rejet de l’hypothèse nulle aux seuils respectifs de 1 et 5 %.

Source : Auteurs à partir des données du Tüik et du ministère du Travail et de la Sécurité sociale turc sur la période 1988-2013.

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Raphaël Dalmasso

Flexibiliser par la procédureLes réformes divergentes des licenciementséconomiques en France et en Italie................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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Référence électroniqueRaphaël Dalmasso, « Flexibiliser par la procédure », Travail et Emploi [En ligne], 142 | avril-juin 2015, mis en lignele 01 avril 2017, consulté le 19 janvier 2016. URL : http://travailemploi.revues.org/6631

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Flexibiliser par la procédure : les réformes divergentes des licenciements économiques

en France et en ItalieRaphaël Dalmasso (*)

Le droit du licenciement économique a récemment fait l’objet, en France comme en Italie, d’une profonde réforme. Si ces modifications ont partagé un objectif commun de flexibiliser et sécuriser les ruptures, leur contenu est cependant très différent. En effet, à travers deux réformes procédurales, les deux législations assignent au juge et au contentieux des rôles différents, voire opposés. Ce faisant, elles démontrent que l’objectif de flexibilité et de sécurisation ne saurait, en droit du licenciement économique, avoir de signification juridique univoque.

Depuis une quarantaine d’années, aux mêmes périodes environ, la France et l’Italie ont procédé à plusieurs réformes du droit du licenciement, parti‑culièrement du licenciement économique. Ainsi, la loi française de 1973 (1) relative à la procédure des licenciements se nourrissait des réformes italiennes de 1966 (2) sur les licenciements pour justes motifs subjectifs et pour justes motifs objectifs, et du statut des travailleurs de 1970 (3). De même, en 1975 (4), les deux droits évoluaient de manière plus ou moins marquée sous l’influence du droit communautaire. Enfin, à la fin des années 1980 et au début des années 1990, pendant que la France modifiait en 1989 (5) sa procédure de licenciement économique avec la création du plan social, la procédure de

(*) Université de Lorraine, chercheur associé au Centre d’études de l’emploi (CEE), membre de l’Institut François-Gény ; Raphael.dalmasso@univ‑lorraine.fr(1) Loi n° 73-680 du 13 juillet 1973, modifiant la procédure des licenciements, prévoyant notamment les étapes préalables à l’envoi de la lettre de licenciement et la nécessité de motiver la rupture.(2) Loi n° 604/1966 du 15 juillet 1966 prévoyant la nécessité de motiver les licenciements.(3) Loi n° 300/1970 du 14 mai 1970, communément appelée « statut des travailleurs ». Cette loi a notamment organisé, dans son article 18, les régimes d’indemnisation des salariés en cas de licenciement illégitime.(4) Directive n° 75/129/CE du 17 février 1975 imposant l’instauration d’une procédure spécifique aux licenciements économiques collectifs. La loi française du 3 janvier 1975 crée un régime juridique propre aux licenciements économiques. Du côté italien, le législateur a estimé, à tort, que la loi de 1966 était conforme à la directive de 1975, et a adapté a minima son droit, uniquement en matière de chômage partiel, dans la loi n° 164/1975 du 20 mai 1975. Après deux condamnations par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE, 8 juin 1982, affaire 91/81 ; CJCE 6 novembre 1985, affaire 131/84), l’Italie a pleinement transposé la directive par la loi n° 223/1991 du 23 juillet 1991.(5) Loi n° 89‑549 du 2 août 1989 relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion.

licenciement économique italienne était totalement refondée dans une loi de 1991 (6).

En 2012 (7) pour l’Italie et 2013 (8) pour la France, les droits des licenciements économiques ont été de nouveau fortement réformés. Malgré de notables nuances, le but de ces réformes est comparable : il s’agit de rendre plus flexibles et plus sûrs, prin‑cipalement pour les employeurs, les licenciements pour motif économique (I). Cependant, si, au sein de ces réformes, on choisit de prendre en considé‑ration la place dévolue au contentieux et au pouvoir de contrôle du juge, un constat s’impose : les deux pays empruntent des voies procédurales différentes, voire opposées. Cela indique que la flexibilisa‑tion juridique du contrat de travail peut prendre plusieurs directions. Cette pluralité s’explique par la différence de cible visée : un acteur, le juge, pour le droit français, est suspecté de trop contrôler les procédures de licenciement ; un texte, l’article 18 du statut des travailleurs, pour le droit italien, est jugé trop favorable aux salariés (II). Ces deux réformes de flexibilisation des licenciements économiques risquent cependant, dans les deux pays, de conduire à des résultats mitigés : il n’est pas certain que le contentieux ou le contrôle judiciaire soit moins important à l’avenir en France, tandis qu’en Italie, la réforme de 2012 a d’ores et déjà été remise en cause depuis la fin de l’année 2014 (9) (III).

(6) Loi n° 223/1991 précitée.(7) Loi n° 92/2012 du 28 juin 2012 relative à réforme du marché du travail dans une perspective de croissance.(8) Loi n° 2013‑504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, traduction de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013 pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l’emploi et des parcours professionnels des salariés.(9) Loi n° 183/2014 du 10 décembre 2014 (Jobs Act) ; décret de la loi n° 23/2015 du 4 mars 2015.

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Une flexibilisation par la procédure

La réforme récente du droit des licenciements économiques ne s’est pas imposée de la même manière en France et en Italie. En Italie, c’est sous la pression d’une situation économique sérieu‑sement dégradée et des fortes incitations de la Banque centrale européenne que le gouverne‑ment Berlusconi, puis le gouvernement Monti, ont modifié le droit du travail dans une direction assumée de flexibilité. En France, les motivations de la réforme demeurent, encore aujourd’hui, plus ambiguës. Cependant, dans les deux pays, le légis‑lateur a choisi de ne pas modifier la définition des licenciements économiques, mais de se centrer sur des modifications procédurales. Ces évolutions tech‑niques changent profondément la compréhension et l’usage du droit du licenciement économique.

Deux réformes d’une ampleur différente

La réforme italienne de 2012 et la réforme fran‑çaise de 2013 ont un champ juridique d’application très différent. Nous n’aborderons ici que les procé‑dures du licenciement pour motif économique. Mentionnons cependant, sans les détailler, les autres aspects.

En Italie, la loi de 2012 (10) en matière de réforme du marché du travail concerne principalement (11) le droit du licenciement, et sa procédure (12). À la diffé‑rence du droit français, ces modifications ne portent pas sur les seuls licenciements économiques, puisqu’elles touchent aussi les licenciements pour motif personnel et les licenciements discrimina‑toires. La réforme du marché du travail a donc été conçue comme une réforme globale du licenciement.

En France, la loi de sécurisation de l’emploi du 4 mai 2013, traduction assez fidèle de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, vise également à réformer le marché du travail. Le texte a cependant un objet différent du texte italien. Outre les licenciements économiques, les modifications législatives portent sur une multitude de thèmes : la formation professionnelle, le temps partiel, l’ac‑tivité partielle, le développement d’accords « de maintien de l’emploi », les droits rechargeables à l’assurance‑chômage, la complémentaire santé, etc. Le licenciement économique et sa procédure ne sont donc que l’un des aspects de la réforme de 2013, même si, pour beaucoup de commentateurs (FaBre, 2013 par exemple), il s’agit là des modifications les

(10) Loi n° 92/2012 du 28 juin 2012, précitée.(11) La loi apporte également des changements importants dans la définition de certains contrats de travail spéciaux ; elle modifie en outre le régime de chômage partiel et étend celui de l’assurance‑chômage à l’ensemble des salariés.(12) La réforme de 2012 a été complétée et précisée par un « decreto lavoro » (« décret travail ») n° 34 du 20 mars 2014, notamment sur les contrats à durée déterminée.

plus importantes et les plus attendues. En revanche, les licenciements personnels ne sont pas modifiés.

Dans les deux droits, ne prendre en considéra‑tion que les modifications relatives au licenciement économique pourrait apparaître comme réducteur car ne permettant pas de comprendre l’économie générale de chaque dispositif, faite de compromis inédits. Cependant, dans une optique de comparaison des droits, il est nécessaire de mettre en perspective un même objet d’étude, ici le droit du licenciement économique, dont la procédure est conjointement modifiée. La comparaison menée ici se référera à la méthode des équivalents fonctionnels présentée par Konrad ZWeigert et Hein KÖtz (1998). Ces auteurs partent du principe que si les systèmes juridiques modernes sont confrontés aux mêmes problèmes, ils peuvent les résoudre avec des procédés, des types de normes, ou même des catégories juridiques diffé‑rentes (13). Il convient donc de comparer les droits en partant d’une ou plusieurs fonctions (principe de fonctionnalité) pour prendre en considération toutes les normes de chaque ordonnancement relatives à ces fonctions. Le droit français fait référence à la notion de licenciement pour motif économique, tandis que le droit italien évoque les licenciements pour juste motif objectif (14) et les licenciements collectifs pour réduction de personnel (15). La caté‑gorie juridique « licenciement économique » n’est donc pas construite de la même manière en France et en Italie (DalmassO, 2009), mais les deux droits ont bien un corpus de textes relatifs à la même fonc‑tion : encadrer les licenciements économiques.

Italie : une flexibilisation assumée

Une grande partie du droit italien des licencie‑ments n’est pas codifiée, et résulte de lois éparses, souvent anciennes (16). Comme nous l’avons mentionné plus haut, les trois principales lois concernant notre objet sont celles de 1966, 1970 et 1991.

La loi n° 604/1966 du 15 juillet 1966 donne une définition du licenciement individuel. Son

(13) Voir aussi, pour une démarche assez similaire, David (1950, pp. 10‑11) : « Le comparatiste – j’entends par là le juriste qui veut faire usage de la méthode comparative – doit donc éviter des erreurs. Il doit connaître la théorie des sources du droit admise par les juristes du pays dont il entreprend d’étudier le droit ; il doit étudier le droit étranger comme ferait le juriste étranger. Les principes qui doivent le guider […] sont ceux qui doivent guider l’historien du droit. […] Le comparatiste doit se délivrer de la tendance naturelle qu’il a, juriste français, à faire ses recherches de droit étranger selon les méthodes qu’il applique dans ses recherches de droit français. Il ne doit pas considérer comme ayant une valeur universelle les procédés techniques de recherche et d’interprétation auxquels il est habitué. Agir autrement, c’est vouloir ouvrir toutes les serrures avec une même clef. »(14) Loi n° 604/1966 du 15 juillet 1966, précitée.(15) Loi n° 223/1991 du 23 juillet 1991, précitée.(16) Il n’y a pas de code du travail en Italie, et le Codice civile est très lacunaire en droit du travail.

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article 1er (17) dispose que, pour être valide, un licenciement doit être justifié par l’employeur. D’après cet article, l’exigence de motivation selon que la rupture est à l’initiative du salarié ou à celle de l’employeur n’est pas la même : le salarié souhaitant rompre son contrat à durée indétermi‑née (CDI) n’a en effet pas à le justifier. L’article 3 propose une définition du « juste motif » de licen‑ciement : « Le licenciement pour motif justifié avec préavis est déterminé par une notable inexécution des obligations résultant du contrat de travail de la part du salarié, ou bien de raisons inhérentes à l’activité productive, à l’organisation du travail et à son fonctionnement régulier. » Cet article prévoit ainsi deux types de licenciements. Par souci de simplification, les auteurs italiens évoquent le plus souvent, dans le premier cas, le licenciement « pour juste motif subjectif » et, dans le second cas, le licenciement « pour juste motif objectif ». Cette pratique remonte à la création de la loi si bien que la distinction entre licenciements « objectifs » et « subjectifs » semble aujourd’hui communément admise. Ce juste motif « objectif » de licencie‑ment peut être assimilé, à quelques nuances près (dalmassO, 2009, pp. 42 et suiv. ; pp. 203 et suiv.), au licenciement pour motif économique individuel français.

À la différence du droit français, qui ne donne qu’une définition du licenciement économique (18), qu’il soit individuel ou collectif, le droit italien fournit une définition spécifique du licencie‑ment économique collectif dans l’article 24 de la loi n° 223/1991 du 23 juillet 1991. Cet article indique que « les dispositions prévues à l’article 4, alinéa 2 à 12 et 15 bis, et à l’article 5, alinéa 1 à 5 (19), s’appliquent à toute entreprise employant plus de quinze salariés qui, suite à une réduction ou une transformation d’activité ou de travail, envisage d’effectuer au moins cinq licenciements dans une période de cent vingt jours dans le même établisse‑ment ou dans le cadre de plusieurs établissements appartenant à la même province. Ces dispositions trouvent application pour tout licenciement qui, dans la même période et dans le même cadre, peut être considéré comme la conséquence de la même réduction ou transformation. Les dispositions du

(17) « Nel rapporto di lavoro a tempo indeterminato, interce-dente con datori di lavoro privati o con enti pubblici, ove la stabilità non sia assicurata da norme di legge, di regolamento e di contratto collectivo o individuale, il licenziamento non puo avvenire che per giusta causa ai sensi dell’articolo 2119 del Codice civile o per giustificato motivo » ; « dans les contrats de travail à durée indéterminée, signés avec des employeurs privés ou des collectivités publiques où la stabilité contractuelle n’est pas assurée par une loi, un règlement, ou un contrat collectif ou individuel, le licenciement du salarié ne peut intervenir qu’en cas de juste cause au sens de l’article 2119 du Code civil ou pour un motif justifié » (toutes les traductions italiennes de ce document sont de l’auteur).(18) Art. L. 1233‑3, Code du travail.(19) Il s’agit de la procédure de consultation syndicale, obliga‑toire pour les licenciements collectifs.

premier alinéa s’appliquent également lorsque l’employeur entend cesser son activité (20) ». Il s’agit donc de licenciements collectifs résultant soit d’une réduction ou d’une transformation d’ac‑tivité ou de travail, soit d’une cessation d’activité de l’entreprise.

Le droit italien du licenciement est enfin régle‑menté par le « statut des travailleurs », défini par la loi n° 300/1970 du 14 mai 1970. Ce texte est parti‑culièrement important, car c’est lui qui a fixé, dans son article 18, sous certaines hypothèses, le principe de la réintégration du salarié licencié de manière illégitime. À partir des années 1990, il cristallise le débat sur la flexibilité des licenciements. Au cours des vingt dernières années, des réformes du licenciement économique et de son régime indem‑nitaire ont à plusieurs reprises été souhaitées par les gouvernements, puis reportées ou annulées sine die. En 2001, notamment, un livre blanc présenté par le ministre du Travail Roberto Maroni, suivi d’un projet de loi (21), entend réformer l’article 18 du statut des travailleurs en vue de mettre fin à la réintégration des salariés licenciés. Mais une forte opposition syndicale contraint le législateur à aban‑donner la réforme.

Au cours de l’été 2011, l’Italie traverse une crise économique très profonde, le pays se trouvant au bord du défaut de paiement. Le 5 août 2011, la Banque centrale européenne (BCE) fait parvenir au gouvernement italien de Silvio Berlusconi une lettre signée par Jean‑Claude Trichet et Mario Draghi (22) l’enjoignant de modifier sans délai « les normes réglementant l’embauche et le licenciement » dans le sens d’une plus grande flexibilité. La lettre, censée rester confidentielle, a été publiée dans le Corriere della Sera au cours du mois de septembre 2011. Après la chute du gouvernement Berlusconi, le gouvernement Monti annonce que des évolutions doivent avoir lieu en droit du travail. Le projet de réforme du marché du travail est alors porté par la ministre Elsa Fornero, qui consulte rapidement les organisations syndicales. Menée au pas de charge, la réforme Fornero du marché du travail se concré‑tise par la loi n° 92/2012 du 28 juin 2012 intitulée « Disposizioni in materia di riforma del mercato del

(20) « Le disposizioni di cui all’articolo 4, commi da 2 a 12 e 15bis, e all’articolo 5, commi da 1 a 5, si applicano alle imprese che occupano più di quindici dipendenti e che, in conseguenza di una riduzione o trasformazione di attività o di lavoro, intendano effettuare almeno cinque licenziamenti, nel’arco di centoventi giorni, in ciascuna unità produttiva, o in più unità produttive nell’ambito del territorio di una stessa provincia. Tali disposizioni si applicano per tutti i licenzia-menti che, nello stesso arco di tempo e nello stesso ambito, siano comunque riconducibili alla medesima riduzione o tras-formazione. Le disposizione richiamate nel c. 1° si applicano anche quando le imprese di cui al medesimo comma intendano cessare l’attività. »(21) Projet de loi n° 848‑S.(22) Présidents successifs de la BCE en 2011.

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lavoro in una prospettiva di crescita (23) ». L’article 1er (24) de cette loi annonce la philosophie générale du texte, à savoir la mise en place d’un marché du travail plus inclusif et dynamique. Le terme « inclu‑sif » indique que le législateur souhaite favoriser l’insertion dans le monde du travail de toutes les populations exclues, tandis que le terme « dyna‑mique » fait référence aux blocages constatés dans le droit du travail. Plus précisément, la loi vise à redistribuer plus équitablement les protections en matière d’emploi : favoriser les embauches des travailleurs exclus, mais aussi et surtout, revoir les règles protectrices des licenciements des salariés. Le législateur ne s’en est donc pas caché : cette loi a pour objectif de faciliter les ruptures, ou de flexibiliser le contrat de travail (speziale, 2012). La voie choisie est celle d’une réforme procédurale du licenciement économique. Les lois de 1966 et 1991, qui définissent le licenciement économique, ne sont pas modifiées ; seul est impacté le statut des travail‑leurs de 1970.

France : une « sécurisation » à la signification controversée

En France également, les partenaires sociaux, puis le législateur ont décidé de ne pas modifier la définition légale des licenciements économiques figurant à l’article L. 1233-3 du Code du travail. En 2013, c’est la procédure de licenciement écono‑mique collectif qui est profondément remaniée.

En France, l’interprétation donnée à la réforme varie encore considérablement aujourd’hui selon les acteurs des négociations. Comme nous allons le voir, pour la CFDT (25), la réforme entière, y compris ses dispositions concernant les licenciements écono‑miques, est favorable à la fois aux employeurs et

(23) « Dispositions en matière de réforme du marché du travail dans une perspective de croissance » (traduction de l’au‑teur) ; pour deux présentations du texte, voir vidiri (2012) et sCOgnamigliO (2012).(24) « La presente legge dispone misure e interventi intesi a realizzare un mercato del lavoro inclusivo e dinamico, in grado di contribuire alla creazione di occupazione, in quantita’ e qualita’, alla crescita sociale ed economica e alla riduzione permanente del tasso di disoccupazione, in particolare […] ridistribuendo in modo piu’ equo le tutele dell’impiego, da un lato contrastando l’uso improprio e strumentale degli elementi di flessibilita’ progressivamente introdotti nell’ordinamento con riguardo alle tipologie contrattuali ; dall’altro adeguando contestualmente alle esigenze del mutato contesto di riferi-mento la disciplina del licenziamento, con previsione altresi’ di un procedimento giudiziario specifico per accelerare la defi-nizione delle relative controversie. » Traduction résumée de l’auteur : « La présente loi fixe des mesures destinées à mettre en place un marché du travail inclusif et dynamique, afin de contribuer à la création d’emplois en quantité et de qualité, à la croissance sociale et économique et à la réduction permanente du taux de chômage, en particulier en redistribuant de manière plus équitable les protections de l’emploi, d’un côté, en luttant contre un usage impropre de certaines flexibilités liées aux types de contrats, de l’autre, en adaptant la procédure du licen‑ciement pour améliorer et accélérer la résolution des litiges. »(25) Confédération française démocratique du travail.

aux salariés. Pour le Medef (26) et certains syndicats non signataires (27) de l’Accord national interprofes‑sionnel du 11 janvier 2013 en revanche, ce dernier comprend bien deux volets distincts avec, d’une part, des éléments protecteurs pour les salariés et, d’autre part et surtout, une forme de flexibili‑sation des contrats qui bénéficie aux employeurs via la réforme de la procédure des licenciements économiques.

Un des principaux négociateurs de l’accord pour le compte du Medef indique ainsi que « le sens de l’accord tient en un mot : compétitivité » (FOuCher, 2013, p. 89). Mais, selon lui, l’accord doit se comprendre en distinguant les mesures favorables aux salariés de celles favorables aux employeurs. Au bénéfice des salariés, l’auteur cite notamment la couverture complémentaire santé collective, les droits rechargeables à l’assurance‑chômage et le compte personnel de formation (FOuCher, 2013, p. 91). Côté employeurs, il reconnaît que « jamais non plus un accord ou une loi n’avait apporté autant de souplesse nouvelle » et recense par exemple les accords de mobilité interne, ceux de maintien dans l’emploi, la réforme du chômage partiel, la mise en place de délais préfix (28), la réforme de la concilia‑tion prud’homale, ou les nouvelles règles encadrant les plans de sauvegarde de l’emploi (FOuCher, 2013, p. 92). Pour toutes les dispositions liées au droit du licenciement économique, l’auteur admet qu’elles correspondent aux demandes des employeurs et que la nouvelle norme facilite les licenciements écono‑miques en les flexibilisant.

Cette lecture de l’accord en termes de conces‑sions réciproques est partagée par un négociateur du syndicat non signataire Force ouvrière. Le déséqui‑libre trop important entre les concessions accordées aux salariés et celles consenties aux employeurs a conduit ce syndicat à refuser de le signer. Le négociateur estime notamment que le droit des licen‑ciements économiques se trouve trop flexibilisé : « sous couvert de l’accord collectif majoritaire, l’ac‑cord national interprofessionnel fragilise des droits individuels des salariés » (lardy, 2013, p. 103).

(26) Mouvement des entreprises de France.(27) Cet accord national interprofessionnel a été signé, pour les syndicats de salariés, par la CFDT (Confédération française démocratique du travail), la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) et la CFE-CGC (Confédération française de l’encadrement‑Confédération générale des cadres), et du côté des employeurs, par le Medef, la CGPME (Confédération générale des petites et moyennes entreprises) et l’UPA (Union professionnelle artisanale). À l’inverse, la CGT (Confédération générale du travail) et la CGT‑FO (Force ouvrière) n’ont pas signé l’accord.(28) En procédure civile, il s’agit d’un « délai dont la mécon‑naissance constitue une fin de non-recevoir, entraînant la perte du droit d’agir en justice. Dans ce cas, le tribunal juge, sans examen au fond, que la demande est irrecevable. » (Source : Braudo S. (1996‑2015), Dictionnaire du droit privé fran-çais ; définition disponible en ligne à l’adresse http://www.dictionnaire-juridique.com/definition/prefix.php ; consultée le 26 août 2015.)

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À l’inverse, dans le magazine de la CFDT, Aurélie seigne et Emmanuelle pirat partent du constat que le marché du travail français est gravement malade, et qu’il est devenu de facto très flexible, notam‑ment par l’usage systématisé des contrats précaires. Les auteures précisent donc que « c’est en priorité à cette réalité que la CFDT a voulu s’attaquer. En changer la donne pour ceux qui portent l’hyperflexi‑bilité non avouée du marché du travail. La CFDT a ferraillé durant les trois mois de négociation face au patronat afin d’obtenir satisfaction sur ses quatre exigences incontournables : la taxation des contrats courts, la limitation des temps partiels subis, des droits rechargeables pour les demandeurs d’emploi, la généralisation à tous les salariés de la complémen‑taire santé » (seigne, pirat, 2013, p. 14). Les auteures indiquent cependant également que « l’accord signé […] revoit les procédures de licenciement collec‑tif pour éviter les aberrations comme l’annulation de plans sociaux des années après que les salariés ont été licenciés […]. Désormais, la procédure et le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi seront soit négociés par accord majoritaire, soit contrôlés par l’administration. Pour la CFDT, c’est une sécu‑rité supplémentaire apportée tant aux salariés qu’à l’entreprise » (seigne, pirat, 2013, p. 16).

À l’image des partenaires sociaux, la doctrine juri‑dique est divisée. Certains estiment que la réforme a comme ambition principale de faciliter les licen‑ciements collectifs (BOnneChère, 2013 ; géa, 2013 ; FaBre, 2013 ; COuturier, 2013), tandis que d’autres auteurs s’interrogent sur la réalité pratique de cette flexibilité (JOlivet, 2013 ; taraseWiCz, 2013).

En résumé, si tout le monde s’accorde pour dire que la réforme française des licenciements écono‑miques souhaite sécuriser les employeurs, une partie seulement des commentateurs considère qu’elle apporte davantage de sécurité également aux salariés. Cette controverse montre d’ores et déjà le caractère contingent et ambigu de la notion de sécu‑risation, qui ne saurait avoir le même sens selon que l’on se place du côté de l’employeur ou du salarié.

Les deux réformes procédurales française et italienne visent en tout cas toutes les deux à accorder une souplesse supplémentaire en matière de licen‑ciements économiques, en les rendant plus sûrs, plus faciles et plus prévisibles pour l’employeur. Pourtant, et c’est principalement ce que montre cette comparaison, la flexibilisation des licenciements économiques n’emprunte pas les mêmes chemins juridiques en France et en Italie. La place du juge dans les nouveaux dispositifs focalise les différences.

Des choix procéduraux opposés

Les deux droits redessinent, directement ou indi‑rectement, la place du juge dans les licenciements. En France, on souhaite expressément une moindre

intervention de la justice, donc des juges, dans les licenciements économiques, et plusieurs outils sont concomitamment mobilisés à cette fin. La réforme italienne est, de son côté, centrée sur le problème de la réintégration des salariés licenciés.

France : une méfiance envers les juges et le contentieux

Plusieurs changements législatifs impactent, à divers degrés, la place du juge dans les licencie‑ments économiques.

La méfiance du législateur vis-à-vis du juge revêt deux aspects différents, qu’il ne faut ni confondre ni assimiler. Tout d’abord, le nouveau droit cherche à sécuriser la procédure afin d’éviter les conten‑tieux. L’idée défendue est que l’employeur, s’il est victime de trop de recours en justice lors d’un licen‑ciement économique, pourrait hésiter à l’avenir à embaucher. Les nouvelles normes visent cependant également à réduire, dans une certaine mesure, les pouvoirs du juge dans le contrôle des procédures.

Éviter les contentieux individuels

Tout d’abord, afin de purger une partie du conten‑tieux, les délais de prescription pour agir en justice sont raccourcis. Le nouvel article L. 1471‑1 du Code du travail prévoit dorénavant que l’action en justice portant sur l’exécution ou la rupture du contrat se prescrit au terme de deux ans à compter du jour où celui qui l’initie a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. Pour les licenciements économiques, la prescrip‑tion, encore plus courte, est d’un an. En l’espace de quelques années, les délais de contestation d’un licenciement seront donc passés de trente à cinq ans, puis à un ou deux ans suivant la nature de la rupture. La prescription pour les rappels de salaires est également abrégée : elle passe de cinq à trois ans (art. L. 3245‑1). C’est cette dernière prescrip‑tion qui, assez discrètement, risque d’avoir le plus d’impact en matière contentieuse, et de dissuader tout recours en justice lors d’un licenciement. En effet, bien souvent, un salarié n’ose demander des rappels d’heures non payées que lorsque le contrat est rompu. Il s’agit ainsi souvent d’une demande accessoire en complément de la demande principale relative, par exemple, à la contestation du motif réel et sérieux du licenciement. Raccourcir le délai de prescription des rappels de salaire de cinq à trois ans réduit ainsi les espoirs de gain en justice, et peut donc dissuader un contentieux prud’homal toujours long, coûteux, et incertain. Le raccourcissement des délais de prescription cherche donc, parfois à neutraliser et le plus souvent à dissuader les actions émanant des salariés devant les conseils de prud’hommes : pourquoi, en effet, aller en justice lorsque le gain éventuel à l’issue d’une procédure devient faible ? Ce nouveau régime devrait ainsi accélérer la baisse du contentieux devant les conseils de prud’hommes.

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Celle‑ci se constate déjà depuis 2009 : le nombre d’affaires nouvelles introduites devant les conseils de prud’hommes a diminué de 23 % entre 2009 et 2012, passant de 228 901 à 175 714 (guillOnneau, serverin, 2013, p. 7).

Limiter les contrôles liés au plan de sauvegarde de l’emploi

En second lieu, le juge du tribunal de grande instance (TGI) est dépossédé d’une large part de sa compétence, au profit du tribunal administratif. Derrière ce changement a priori anodin de compé‑tence juridictionnelle se cache la volonté de lutter, sans les remettre en cause frontalement, contre deux anciennes jurisprudences issues des arrêts Samaritaine et Alefpa (cf. infra). Avec cette remise en cause discrète, l’objectif est d’amoindrir le contrôle judiciaire des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE).

Le TGI est traditionnellement chargé des litiges collectifs du travail. C’est donc lui qui avait à juger des contestations relatives aux plans de sauvegarde de l’emploi, au fond comme en référé. Le juge admi‑nistratif est désormais compétent pour connaître du recours contre la décision de contrôle sur la procé‑dure du licenciement économique collectif exercé en amont par l’administration (29).

Dorénavant, le contenu du PSE est établi suivant deux procédures possibles : soit par accord collectif majoritaire (préalable à l’information‑consultation du comité d’entreprise prévue par l’article L. 1233‑24‑1) ; soit, à défaut, par un document unilatéral de l’employeur définitivement élaboré après la dernière réunion du comité d’entreprise (art. L. 1233‑24‑1 à L. 1233‑24‑4). L’autorité administrative (30) doit être informée du déroulé de la procédure avant même l’information‑consultation formelle du comité d’entreprise (art. L. 1233‑57 et s.). Elle est chargée d’évaluer les PSE via l’une ou l’autre des procédures retenues et la décision qu’elle prendra sera, le cas échéant, attaquable devant les juridictions adminis‑tratives (en lieu et place du TGI). Si cette évaluation administrative peut, de prime abord, sembler une solution pertinente, se rapprochant du défunt contrôle administratif des licenciements écono‑miques (31), l’étendue du contrôle prévu dans le droit actuel fait dire à certains auteurs que la loi « modifie substantiellement la mission de l’administration, en la transformant en acteur de certification des PSE » (guiOmard, serverin, 2013, p. 197). L’intervention de l’administration, déclinée aux articles

(29) Le TGI garde une compétence résiduelle sur les conten‑tieux des accords et des conventions collectives. Il garde ainsi sa compétence dans les litiges relatifs aux accords de maintien de l’emploi, en cas d’application déloyale par l’employeur.(30) Il s’agit ici de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte).(31) Un contrôle administratif des licenciements économiques a existé entre 1975 et 1986.

L. 1233‑57‑1 à L. 1233‑57‑8, consiste essentielle‑ment, selon les termes de l’article L. 1233‑57‑1, à « valider l’accord », ou, en l’absence d’accord majo‑ritaire, à « homologuer le document unilatéral ». Concernant la validation des accords, l’autorité administrative n’effectue que des vérifications de pure conformité formelle (art. L. 1233‑57‑2), dans un délai bref de quinze jours. En l’absence d’ac‑cord, l’homologation du document unilatéral n’est guère plus approfondie (art. L. 1233‑57‑3) ; le délai est certes plus long, mais demeure intrinsèquement court (vingt et un jours).

La décision administrative peut être contes‑tée devant les tribunaux administratifs. Les juges administratifs n’auront qu’à contrôler le respect par l’autorité administrative des articles L. 1233‑57‑2 et L. 1233-57-3, c’est-à-dire à vérifier le bon déroulé d’une opération de certification. Une incertitude, sur laquelle nous reviendrons, demeure sur l’éten‑due exacte de ce contrôle.

Cette modification procédurale vise donc à éviter, en grande partie, les risques judiciaires liés aux jurisprudences Samaritaine et Alefpa dont voici les grands principes. L’arrêt Samaritaine (32) affirmait qu’en cas de nullité du plan social (33) constatée par un TGI, les licenciements effectués en application de ce plan pouvaient également être annulés. En consé‑quence, la Cour de cassation enjoignait aux juges de TGI de contrôler de manière approfondie la suffi‑sance du plan social, pour déterminer, ou non, sa validité. Et en cas d’insuffisance, la nullité pouvait s’étendre à tous les actes subséquents, en particu‑lier le licenciement prononcé par l’employeur (34). Lors de l’affaire Samaritaine, le TGI constata la nullité du plan social. Le Conseil de prud’hommes, ultérieurement saisi individuellement par des sala‑riés, ne statua pas, quant à lui, sur la nullité du plan social, mais sur les conséquences de cette nullité sur les licenciements. Dès lors, on s’est demandé ce que pouvait faire un salarié estimant nul le plan de sauvegarde de l’emploi, et donc son licenciement, en l’absence d’action en nullité préalablement intentée devant le TGI. La Cour de cassation a été au bout de sa logique en indiquant, dans l’arrêt Alefpa (35), que « les salariés licenciés pour motif économique ont un droit propre à faire valoir que leur licencie‑ment est nul au regard des dispositions de l’article L. 321‑4‑1 ». Ainsi, bien que le comité d’entreprise eût vocation à défendre les intérêts collectifs des salariés lors de licenciements collectifs, et notam‑ment à soulever l’éventuelle insuffisance d’un plan

(32) Cour de cassation, chambre sociale, 13 février 1997, « Samaritaine », Bulletin civil, Ve partie, n° 64.(33) Ancienne dénomination du plan de sauvegarde de l’emploi.(34) En droit, la nullité est en principe rétroactive : un licen‑ciement nul n’est censé n’avoir jamais existé, entraînant la réintégration du salarié.(35) Cour de cassation, chambre sociale, 30 mars 1999, « Alefpa », Bulletin civil, Ve partie, n° 144.

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de sauvegarde de l’emploi, cela ne privait pas le salarié d’un intérêt personnel et légitime à contester, devant le Conseil de prud’hommes, son licencie‑ment sur le fondement de l’insuffisance du PSE.

La nouvelle procédure a des conséquences sur les contentieux individuels et collectifs relatifs au PSE.

Pour ce qui est des contentieux individuels, elle empêche en grande partie la contestation indivi‑duelle d’un PSE devant le Conseil de prud’hommes avec demande de nullité du licenciement, le plan étant dorénavant préalablement contrôlé et validé par l’administration. Une procédure de licencie‑ment économique définitivement validée ne sera plus contestable par le salarié devant le Conseil de prud’hommes, ce qui rend la procédure plus sûre pour l’employeur.

Les conséquences sont encore plus importantes pour les litiges collectifs car désormais toute contes‑tation en référé avant le contrôle de la procédure par l’administration est impossible. Auparavant, en cas d’insuffisance manifeste du plan de sauvegarde de l’emploi, les instances représentatives du personnel saisissaient sans délai le TGI, pendant la procédure de licenciement collectif, afin qu’il la suspende. Ces actions avaient mécaniquement comme effet de repousser sine die les projets de licenciement, parfois pendant des années dans le cas d’un employeur violant à répétition les obligations légales, notam‑ment en matière d’information et de consultation des comités d’entreprise ou de contenu insuffisant du plan de sauvegarde de l’emploi. Désormais, les actions en contestation de la procédure de licencie‑ment économique collectif ne peuvent plus avoir lieu qu’une fois le contrôle réalisé par l’administra‑tion. L’objectif est d’éviter des contentieux parfois longs, comme ceux ayant opposé des années durant les syndicats et les instances représentatives du personnel à la société Goodyear (36) sur les diverses versions du plan de sauvegarde de l’emploi.

Ces modifications démontrent bien que l’on peut modifier le droit du licenciement économique sans changer la définition du motif économique, ni même expressément censurer les jurisprudences Samaritaine et Alefpa, simplement en cherchant à réduire le contentieux, voire à le rendre impossible en référé.

(36) Après sept années de conflit judiciaire, le litige entre certains syndicats et la direction de l’entreprise Goodyear s’est clos en janvier 2014 avec la signature par les syndicats d’un protocole de fin de conflit acceptant la dernière version du PSE proposée par l’employeur. Voir sur cette affaire la Commission d’enquête parlementaire « relative aux causes du projet de fermeture de l’usine Goodyear d’Amiens‑Nord et à ses consé‑quences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu’on peut tirer de ce cas », sur le site de l’Assemblée nationale : http://www.assemblee‑nationale.fr/14/dossiers/fermeture_usine_goodyear.asp ; page consultée le 16 juin 2015.

Selon certains auteurs, dans ce nouveau droit du licenciement économique, le juge est considéré comme un « gêneur » (grevy, henriOt, 2013), alors même que sa première fonction, primordiale dans un État de droit, est de trancher les litiges, donc de résoudre les conflits et de restaurer, par le droit, une certaine forme de paix sociale.

Italie : une réaffirmation – provisoire – du rôle du juge

En Italie, la réforme des licenciements écono‑miques collectifs s’est construite contre l’article 18 du statut des travailleurs. Ces modifications, dans leur version de 2012, donnent plus de pouvoirs au juge dans l’évaluation du caractère légitime des licenciements économiques. Pour comprendre la réforme, il faut revenir sur le droit antérieur à 2012.

L’ancienne réglementation (1970-2012)

Lorsque le licenciement s’avérait injustifié, les conséquences indemnitaires différaient en fonction de la taille de l’entreprise. Le législateur prévoyait deux « protections » (tutela) possibles pour le salarié licencié sans juste motif : la protection réelle et la protection obligatoire (tutela reale / tutela obbli-gatoria), qui pouvaient, selon les hypothèses, permettre un dédommagement, une réintégration ou une réembauche. Le régime indemnitaire a été profondément modifié par la réforme Fornero.

Détaillée à l’article 18 du statut des travailleurs de 1970, la protection réelle posait le principe, en cas de licenciement illégitime, d’une réintégration du salarié à son poste (reintegrazione nel posto di lavoro) ; elle prévoyait également la condamnation de l’employeur à payer des dommages et intérêts (risarcimento del danno) d’une somme au moins égale à cinq mois de salaire, éventuellement majorée en cas de comportement fautif de l’employeur, et par tout autre préjudice prouvé. L’employeur devait en outre payer les salaires correspondant à la période illégitime de rupture du contrat. Le salarié, qui ne souhaitait pas réintégrer son poste, avait la possibilité de demander des dommages et intérêts, au moins équivalents à quinze mois de salaire. Cette protection réelle constituait une forte garantie juri‑dique pour le salarié abusivement licencié, et un coût économique certain pour l’employeur. Le régime de la protection réelle s’appliquait dans les trois hypothèses suivantes (37) : si l’employeur employait plus de quinze salariés (ou plus de cinq dans une entreprise agricole) dans chaque unité productive ou dans chaque bureau ou établissement (ufficio) ; si l’employeur employait plus de quinze salariés (ou plus de cinq dans une entreprise agricole) dans la même commune, même s’ils étaient répartis au sein

(37) Article 18, alinéa 1, loi n° 300/1970. Ce point n’est pas changé dans la réforme de 2012, mais est relégué en fin d’article.

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de plusieurs unités productives ou établissements ; si l’employeur employait plus de soixante salariés.

Le régime de la protection obligatoire, qui concerne a contrario les hypothèses non couvertes par celui de la protection réelle n’est pas modifié.

Protection minimale, de droit commun, contre les licenciements injustifiés, la protection obligatoire est prévue à l’article 8 de la loi n° 604/1966 modifié par l’article 2 de la loi n° 108/1990. En cas de jugement déclarant illégitime le licenciement, l’em‑ployeur est condamné à réembaucher (riassumere) le salarié sous trois jours, ou bien, s’il le juge plus souhaitable, à le dédommager de son préjudice en lui versant une indemnité comprise entre deux mois et demi et six mois de salaire, calculée en fonction du nombre de salariés dans l’entreprise, de l’ancien‑neté du salarié licencié et des éventuelles fautes commises. L’employeur a ainsi le choix entre le dédommagement et la réembauche. Le salarié peut également, le cas échéant, refuser d’être réembau‑ché et préférer une indemnisation. Il n’a par contre pas la possibilité de solliciter le réemploi à la place d’un dédommagement. La protection obligatoire est en ce sens plus faible pour le salarié qui ne peut s’opposer à la rupture de son contrat si l’employeur ne veut pas le réembaucher.

La réforme Fornero (2012-2014)

La réforme de 2012 modifie en profondeur l’article 18 du statut des travailleurs et diminue la « protec‑tion réelle » du salarié en cas de licenciement. Le régime de réintégration ou d’indemnisation dépend de la nature du licenciement (38). Par exemple, en cas de licenciement discriminatoire, une possibilité de réintégration est maintenue. Concernant les licen‑ciements économiques, le nouveau régime juridique n’est guère simple. En cas de licenciement écono‑mique individuel (giustificato motivo oggettivo (39)) jugé illégitime, l’employeur n’est en principe plus tenu de réintégrer le salarié, mais devra lui verser une indemnité comprise entre quinze et vingt-quatre mois de salaire. Le législateur a donc bien mis fin à la protection réelle du salarié que constituait sa réin‑tégration en cas de licenciement économique dénué de « cause réelle et sérieuse » (pour reprendre, peut‑être improprement, les catégorisations françaises). Ce faisant, le législateur va dans le sens d’anciennes

(38) L’article 18 du statut des travailleurs se voit adjoindre pas moins de sept alinéas supplémentaires distinguant les diverses modalités de sanctions suivant les types de licenciements illégi‑times. Voir de luCa (2013).(39) Comme nous l’avons vu, le licenciement pour juste motif objectif n’est toutefois pas totalement assimilable au licenciement pour motif économique français. Sur ce point, V. DalmassO, 2009, p. 32 et s.

revendications patronales (40) qui militaient pour la remise en cause de ce régime de réintégration.

Cependant, s’il est avéré que le fait objectif ayant motivé le licenciement est non seulement illégitime mais aussi manifestement inexistant (41), le juge peut quand même ordonner la réintégration du salarié.

Le régime des licenciements économiques collectifs est également concerné par la réforme. En cas de licenciement « inefficace (42) » d’un point de vue procédural, c’est‑à‑dire si l’employeur n’a pas respecté, par exemple, les règles encadrant la procédure de licenciements collectifs, le juge peut condamner l’employeur à verser au salarié une indemnité d’un montant compris entre six et douze mois de salaire.

C’est sur le contrôle des motifs de licencie‑ment économique individuel que la réforme est la plus intéressante. Tout en flexibilisant expres‑sément les ruptures, en supprimant le principe de la réintégration systématique au profit de celui du dédommagement, la nouvelle loi laisse au juge une marge de manœuvre inédite : si celui‑ci estime que le licenciement est manifestement inexistant ou infondé, il garde la possibilité d’ordonner la réinté‑gration, tandis que s’il le juge simplement illégitime, la sanction sera une indemnisation. Les juges ont ainsi acquis en 2012 un pouvoir large de modulation des sanctions à l’encontre des employeurs, modu‑lation bien supérieure à ce qui existe en France. La flexibilité s’est donc construite en s’appuyant sur les juges. Comme nous le verrons, cette réforme n’a finalement été appliquée que pendant deux ans.

Un économiste italien indiquait, de manière un peu provocatrice, qu’en matière de relations de travail, la flexibilité ne suffisait jamais (BrunO, 1989, p. 33). On le constate ici dans les discours juridiques français et italiens en matière de licen‑ciement économique. La justification se fonde sur les sciences économiques : la flexibilité suppri‑merait des obstacles à l’embauche. Cependant, concrètement, elle prend des formes variées, voire contradictoires. Ainsi, nous sommes en présence de deux systèmes juridiques et économiques proches qui, avec la même intention juridique de flexibilisa‑tion du marché du travail, conduisent deux réformes

(40) L’ancien directeur général de la Cofindustria (syndicat des employeurs italiens), S. Parisi, écrivait ainsi en 2003 : « abolire l’art. 18 è un atto di civiltà » (abolir l’article 18 est une preuve de civilisation). V. « L’affondo di Parisi : l’obiettivo è abolire l’art. 18 », Corriere della sera, 12 giugnio 2003, p. 9.(41) Le législateur crée de fait deux niveaux de licenciements économiques non justifiés, aux conséquences indemnitaires différentes. Comme nous le verrons, la différence entre les deux niveaux est largement laissée à l’appréciation du juge.(42) Le terme italien « inefficace » ne peut se traduire par le mot français « inefficace » car le licenciement a eu lieu et produit un effet juridique (la rupture du contrat) sans réintégration du salarié. Aussi, il semble plus juste de traduire le terme par « irré‑gulier » (terminologie employée dans le droit français) ou, si l’on veut rester plus proche du mot italien, par « inopérant ».

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opposées quant au rôle, et à l’utilité d’un acteur juri‑dique central, à savoir le juge. Il ne s’agit pas ici de déterminer quel système est sur une bonne ou une mauvaise piste, mais plutôt de souligner, avant même toute étude sur la corrélation entre flexibilité et emploi, la contingence des déclinaisons juri-diques du concept économique de flexibilité.

Ces réformes doivent être appréciées, autant que possible, à l’aune de leurs résultats. Il est encore trop tôt pour analyser pleinement l’application de ces normes. Il semble toutefois que les réformes italiennes comme françaises sont susceptibles de générer des effets secondaires non prévus par les législateurs – des sortes de « pochettes surprises », pour reprendre une expression employée par Gérard lyOn-Caen (2004), que nous pouvons tenter de découvrir.

Des résultats incertains

À deux visions juridiques différentes de la flexi‑bilité correspondent deux sources de déconvenues différentes.

En Italie, la réforme de 2012 a été considérée comme un échec par le gouvernement Renzi. Les précisions jurisprudentielles devant être apportées au nouvel article 18 ont fait craindre une insécurité juridique pour les employeurs ainsi que le déve‑loppement d’une jurisprudence trop protectrice des salariés. Fin 2014 et début 2015, le gouvernement Renzi a donc modifié en profondeur la procé‑dure des licenciements économiques. En France, le risque d’échec existe aussi. Il n’est pas certain que le contentieux, notamment collectif, baisse ; de même, il n’est pas sûr que les juridictions adminis‑tratives soient plus clémentes envers l’employeur que les TGI, ce qui mettrait à mal le lien entre flexi‑bilité et sécurité.

Une nouvelle réforme en Italie

Globalement, la réforme de 2012 n’a pas été bien accueillie par la doctrine juridique (43). Alberto valenti (2012, pp. 243 et 248) note par exemple que cette réforme constituait une rupture par rapport à l’évolution antérieure du droit italien, qui souhaitait limiter les pouvoirs du juge dans les licenciements économiques. Il indique ainsi qu’un décret (44) de 2003 précisait que le contrôle judiciaire ne pouvait s’étendre jusqu’à l’examen des évaluations et des choix techniques, d’organisation ou de production. La jurisprudence de la Cour de cassation allait de toute façon dans ce sens, en prévoyant le caractère incontrôlable des choix de gestion de l’employeur

(43) Voir notamment, pour une vision critique de l’évolution de l’ensemble du droit du travail italien, perulli (2012).(44) Décret législatif n° 276/2003.

(insindacabilità delle scelte imprenditoriali). Au contraire, la loi de 2012, en posant l’obligation de différencier les licenciements économiques illégitimes des licenciements économiques mani‑festement inexistants, requiert du juge un contrôle plus étroit et approfondi des choix de gestion de l’employeur.

La distinction entre licenciement au motif illé-gitime et licenciement au motif manifestement inexistant est selon la doctrine la source principale d’insécurité. Franco CarinCi (2012, p. 4) a même accusé le législateur d’avoir fabriqué, à la manière du docteur Frankenstein, un monstre juridique, très difficile à comprendre et à appliquer. Quelques déci‑sions émanant des juges du fond (45) ont commencé à décrire, de manière imparfaite, les hypothèses dans lesquelles le juge peut ordonner la réintégra‑tion (marinelli, 2013, p. 2).

Face à ces incertitudes, le législateur, et le nouveau gouvernement dirigé par Matteo Renzi ont entre‑pris une nouvelle réforme des modes de contrôle et d’indemnisation des licenciements économiques par les juges. Cette loi du 10 décembre 2014 (46), communément appelée « Jobs Act (47) », a provo‑qué en décembre 2014 une grève générale, massive mais brève.

Son article 7c modifie le régime des sanctions des licenciements économiques pour les personnes embauchées à compter de la date de mise en appli‑cation de la nouvelle loi. Cet article a pour but de « renforcer les opportunités d’emploi dans le monde du travail pour ceux qui sont en recherche d’emploi (48) ». Il prévoit notamment, pour les embauches à durée indéterminée, la création d’un nouveau type de contrat, le « contrat à protections croissantes (49) », qui exclut, pour les licenciements économiques jugés illégitimes, la réintégration du salarié, au profit d’une indemnisation certaine et croissante avec l’ancienneté (50). Le décret législatif du 4 mars 2015 a précisé le contenu de cette loi (51), et particulièrement le régime du nouveau contrat

(45) En particulier, le tribunal de Milan (20 novembre 2012) a considéré que le manquement à l’obligation de repêchage (reclassement) du salarié, de même que la violation de la procédure de licenciement (absence de procédure de conci‑liation) rendent le licenciement illégitime, donnant droit à des dommages et intérêts. En revanche, les juges ont estimé que la réintégration n’était pas possible, le motif du licenciement n’étant manifestement pas inexistant.(46) Loi n° 183/2014 du 10 décembre 2014.(47) Sur cette loi, en langue française, voir iChinO, martellOni (2015) et Bini (2015).(48) « Rafforzare le opportunità di ingresso nel mondo di lavoro da parte di coloro che sono in cerca di occupazione. » (Traduction de l’auteur dans le texte.)(49) « Contratto a tutele crescente. » (Traduction de l’auteur dans le texte.)(50) « Escludendo per i licenziamenti economici la possibi-lità della reintegrazione del lavoratore nel posto di lavoro, prevedendo un indennizzo economico certo e crescente con l’anzianità di servizio. » (Traduction de l’auteur dans le texte.)(51) Décret‑loi n° 23/2015 du 4 mars 2015.

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de travail à « protections croissantes » (tutele cres-centi) qui s’applique aux salariés embauchés en CDI à compter du 7 mars 2015. Afin de favoriser leur embauche, le législateur a mis au point un nouveau régime de licenciement. Pour les licen‑ciements discriminatoires, ou réalisés oralement, la sanction reste la réintégration pour tous les salariés. Pour les licenciements pour motifs disciplinaires, la réintégration n’est possible que si l’on constate une inexistence du fait matériel contesté. Par contre, dans toutes les autres hypothèses, et notamment pour tous les licenciements économiques illégitimes, on parlera de licenciement injustifié. L’évolution est ici importante : la réintégration est impossible, et l’in‑demnisation va dépendre d’un barème imposé au juge. Celui-ci, fixé par le décret, est de deux mois de salaire par année d’ancienneté, avec un minimum de quatre mois versés, et un maximum de vingt‑quatre mois (52).

Deux régimes d’indemnisation et de contrôle des licenciements économiques individuels coexistent donc désormais : pour les contrats à durée indé‑terminée signés avant le 7 mars 2015, le régime juridique demeure celui de la réforme Fornero de 2012 (avec un rôle important du juge dans le choix de la sanction et de l’indemnisation) ; pour les contrats signés après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, la réintégration ne sera plus possible en cas de licenciement économique illégitime, le juge ne pouvant ordonner que des dommages et intérêts financiers.

Cette dernière évolution du droit italien supprime donc en grande partie le principe de réintégration figurant dans l’article 18 du statut des travailleurs en cas de licenciement économique. Ce faisant, elle limite le pouvoir du juge relatif à la détermi‑nation de la sanction applicable et à la fixation du montant des dommages et intérêts à octroyer. Son contrôle du caractère légitime du motif économique ne devrait cependant pas être affecté.

En France, une résistance du contentieux à prévoir ?

Il serait présomptueux d’affirmer pouvoir prévoir comment les acteurs (salariés, syndicats, employeurs, administrations, juges) vont s’appro‑prier la nouvelle procédure de licenciement, et quelles en seront les conséquences, notamment contentieuses.

Au risque, assumé, de nous tromper, nous pressentons quand même que la loi de sécuri‑sation de l’emploi pourrait générer quelques déceptions, pour les salariés mais surtout pour

(52) L’idée d’appliquer un barème aux indemnités de licencie‑ment sans cause réelle et sérieuse est directement reprise en France en juillet 2015 dans la dernière version du projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances écono‑miques (cf. paragraphe suivant).

les employeurs, et ne pas totalement réussir son entreprise de réduire la conflictualité judiciaire des licenciements.

Du côté des salariés, dont certains agissent parfois individuellement contre un licenciement économique, le risque principal, déjà largement à l’œuvre, est celui d’une acceptation du licencie‑ment économique sans oser le contester devant les tribunaux. La réduction des délais de prescription et la validation préalable par l’administration de la procédure du licenciement économique sont susceptibles de dissuader le salarié d’agir en justice. Nous anticipons ainsi, au moins pour les licenciements économiques, une nouvelle baisse du contentieux devant les conseils de prud’hommes. À vrai dire, les chiffres sont d’ores et déjà en forte baisse : le nombre annuel des demandes d’indem‑nités liées à la rupture du contrat de travail pour motif économique est passé de 4 875 en 2009 à 2 497 en 2012 (soit ‑ 49 %, contre ‑ 23 % pour l’en‑semble du contentieux prud’homal) (53) ; et elles ne représentent plus que 1,4 % des actions devant les conseils de prud’hommes (54) (guillOnneau, serverin, 2013, p. 8). Cette évolution se lit bien entendu différemment selon que l’on se place du côté du salarié ou de l’employeur. Du côté de l’employeur, on peut clairement soutenir que le licenciement économique a et aura à l’avenir peu de risques d’être contesté par le salarié. De ce point de vue, la sécurisation juridique du licen‑ciement économique est acquise, et elle l’était d’ailleurs avant même la réforme de 2013. Du côté des salariés, cela veut‑il dire que le licenciement économique est mieux accepté ? Il est difficile de répondre à cette question. Contentons‑nous toute‑fois de signaler que le salarié renonçant à agir en justice risque d’éprouver une certaine frustration vis‑à‑vis de son employeur, du droit du licencie‑ment, et des juges.

Malgré un risque contentieux individuel faible, le législateur est de nouveau intervenu pour tenter de « sécuriser » les licenciements. Faisant écho au droit italien, ce qui montre une nouvelle fois la forte interdépendance entre les deux droits, le

(53) Évolution en partie due au développement sur la période de la rupture conventionnelle homologuée, qui est en vigueur depuis 2008.(54) Cette forte baisse est délicate à interpréter. Elle résulte peut‑être en partie du fort succès de la rupture convention‑nelle homologuée, qui pourrait, dans un certain nombre de cas, se substituer à des licenciements économiques indivi‑duels. Un autre facteur de baisse, plus ancien, résulte dans le fait que, lors d’un licenciement économique, le salarié peut adhérer à un contrat de sécurisation professionnelle, lui conférant un certain nombre d’avantages en matière de recherche d’emploi. Si le salarié accepte ce contrat de sécuri‑sation professionnelle, le licenciement économique est alors qualifié, un peu artificiellement, par le Code du travail, de rupture « d’un commun accord », pouvant laisser (impropre‑ment) penser que la contestation judiciaire du licenciement n’est plus possible.

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projet de loi pour la croissance, l’activité et l’éga‑lité des chances économiques, définitivement adopté par l’Assemblée nationale le 9 juillet 2015, a introduit, au cours de sa dernière lecture une surprenante réforme du calcul des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Sous réserve de validation par le Conseil constitution‑nel (55), la loi prévoit, dans son article 266, une modification des articles L. 1235-3 et suivants du Code du travail. La nouvelle loi fixe, comme en Italie, un plafonnement des indemnités dues par l’employeur en cas de reconnaissance par le Conseil de prud’hommes du caractère injustifié du licenciement. Avant cette réforme, la loi ne définis‑sait pas de montant maximum d’indemnisation : il appartenait au juge d’évaluer le préjudice subi par le salarié du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse, en appliquant le principe général du droit à une réparation intégrale du préjudice. Il existait cependant, pour les salariés ayant plus de deux ans d’ancienneté et travaillant dans des entre‑prises de onze salariés et plus, une indemnisation minimale fixée à six mois de salaire brut.

La loi plafonne désormais les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Par exemple, pour les entreprises de moins de vingt salariés, elles sont équivalentes à de trois à douze mois de salaire selon l’ancienneté. Pour les sala‑riés ayant moins de deux ans d’ancienneté, le maximum sera de trois ou quatre mois selon la taille de l’entreprise. L’objectif clairement affiché par le gouvernement est de limiter les frais pour les petites entreprises, et d’encourager le recrute‑ment en contrat à durée indéterminée, même quand l’employeur n’est pas sûr de pouvoir garder long‑temps son salarié. Dans les entreprises de plus de trois cents salariés, une indemnité maximale est également prévue. Elle sera de quatre, douze ou vingt‑sept mois de salaire, selon l’ancienneté. Le plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse répond à un double objec‑tif : permettre aux employeurs de mieux connaître à l’avance le risque juridique lié à un licenciement et, en limitant les indemnités, de dissuader, lorsque la perspective de gain est trop faible, l’action en justice du salarié. Le licenciement économique étant peu contesté, cette réforme impactera certai‑nement plus le contentieux des licenciements pour motifs personnels. Il n’est cependant pas acquis que ce nouveau cantonnement du rôle du juge soit conforme à la Constitution. Si cette réforme était validée, il n’est de toute façon pas certain qu’elle rende le droit plus prévisible et limite les conten‑tieux : en effet, le juge recouvre ses pleins pouvoirs

(55) La loi a été définitivement votée le 9 juillet 2015, mais un recours devant le Conseil constitutionnel a été formé le 15 juillet 2015 par des députés et sénateurs issus du groupe les Républicains. NDLR : l’article a été bouclé fin juillet 2016 et ne peut donc tenir compte des développements ultérieurs.

d’indemnisation (i.e. sans barème) dans certains cas, notamment quand le licenciement est jugé discriminatoire, en cas d’atteinte au droit de grève ou à une liberté fondamentale. Nul doute que les avocats spécialisés souléveront très fréquemment ces exceptions pour tenter d’obtenir une meilleure indemnisation de leur client… et provoqueront des contentieux inédits.

Cependant, selon la loi de sécurisation de l’emploi, c’étaient principalement les contentieux collectifs de travail en contestation des plans de sauvegarde de l’emploi qui étaient les plus problé‑matiques. Comme nous l’avons déjà signalé, les contentieux en référé ont disparu, syndicats et instances de représentation du personnel ne pouvant saisir le tribunal administratif qu’une fois rendue la décision administrative relative à la procédure. Quelle sera alors la réaction des syndicats ou du comité d’entreprise ? Un premier bilan de la loi de sécurisation de l’emploi établi le 3 avril 2015 par le ministère du Travail (56) fait état d’une « baisse significative de la judiciarisation des plans sociaux » (p. 66 et suiv.). Le document annonce un taux de recours de 8 % relatifs à des contestations des plans de sauvegarde de l’em‑ploi devant le tribunal administratif, contre 25 % devant le tribunal de grande instance avant la loi de sécurisation de l’emploi. En cas d’accord majo‑ritaire le contentieux est encore inférieur, avec un taux de recours devant le tribunal administratif de 5 %. Ces chiffres semblent indiquer que l’objec‑tif du législateur a été, au moins partiellement, atteint. Ils doivent toutefois être examinés avec prudence. Tout d’abord, la loi de sécurisation de l’emploi est encore récente : les 1 142 plans de sauvegarde de l’emploi mis en place depuis son entrée en vigueur ne permettent pas encore de tirer des conclusions définitives sur l’appropriation de ce texte par les différents acteurs (employeurs, représentants de salariés et salariés). En outre, et surtout, la comparaison entre le contentieux devant le tribunal administratif et celui devant le tribunal de grande instance est délicate, car alors qu’aupa‑ravant il y avait deux types de contentieux devant les juges civils (en référé et au fond), il n’y en a dorénavant plus qu’un seul, au fond, devant le juge administratif. Pour être pertinent, il faudrait donc ne comparer que les contentieux au fond, mais la répartition entre fond et référé devant le TGI n’est pas précisée par le document cité.

Pour prévoir les risques éventuels de conten‑tieux, il faut certainement, comme le fait le bilan

(56) Bilan de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013, ministère du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social. Disponible en ligne à l’adresse : http://travail‑emploi.gouv.fr/IMG/pdf/CONFERENCE_THEMATIQUE_DU_3_AVRIL_2015_‑_Bilan_de_la_loi_de_securisation_de_l_emploi.pdf ; consultée le 17 juin 2015.

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du ministère du Travail, distinguer l’hypothèse de la présence d’un accord d’entreprise majoritaire de celle d’absence d’accord.

En cas d’absence d’accord avec, à la clef, l’éla‑boration d’un document unilatéral par l’employeur, les syndicats ne seront guère satisfaits du déroulé et du contenu de la procédure, en particulier lors de l’élaboration du PSE, et auront tendance à la contester devant les tribunaux administratifs. Dans cette hypothèse, on peut donc considérer que l’employeur ne cherchant pas à négocier efficace‑ment (ou confronté à des syndicats ne souhaitant pas négocier…) prend un risque de voir son plan de restructuration contesté en justice. Le risque de contentieux est donc ici important du fait d’un climat social dégradé.

Le législateur a certainement considéré que, dans l’hypothèse d’un accord majoritaire, le contentieux serait faible, voire inexistant. Certes, tous les syndicats ayant signé l’accord seraient bien inconstants de contester en justice des éléments négociés. Cependant, les syndicats non signa‑taires, qui peuvent représenter presque la moitié des effectifs salariés de l’entreprise, pourraient, eux, estimer qu’il est de leur devoir, vis‑à‑vis de leurs adhérents et de leurs électeurs, de contester la procédure. Un contentieux important n’est donc pas ici à exclure. Celui‑ci dépendra aussi et surtout de la jurisprudence qui se mettra en place devant les juridictions administratives. En particulier, si les tribunaux administratifs, comme cela semble probable, souhaitent reprendre la jurisprudence antérieure développée par les TGI, il est à prévoir que le caractère suffisant du plan de sauvegarde de l’emploi sera mieux contrôlé par les juges admi‑nistratifs que par l’administration : cela pourrait être une puissante incitation, pour les syndicats, à saisir systématiquement les tribunaux (57). Dans cette hypothèse, l’idéal d’une déjudiciarisation des

(57) Le projet de loi « pour la croissance, l’activité et l’éga‑lité des chances économiques » a peut‑être anticipé cette hausse possible du contentieux. L’article 292 du texte adopté le 9 juillet 2015 à l’Assemblée nationale vise à limiter, dans certaines hypothèses, les effets d’une annulation par un tribu‑nal administratif d’une décision de validation du PSE par l’administration : « En cas d’annulation d’une décision de validation mentionnée à l’article L. 1233‑57‑2 ou d’homolo‑gation mentionnée à l’article L. 1233‑57‑3 en raison d’une insuffisance de motivation, l’autorité administrative prend une nouvelle décision suffisamment motivée dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement à l’administration. Cette décision est portée par l’employeur à la connaissance des salariés licenciés à la suite de la première décision de validation ou d’homologation, par tout moyen permettant de conférer une date certaine à cette informa‑tion. Dès lors que l’autorité administrative a édicté cette nouvelle décision, l’annulation pour le seul motif d’insuf‑fisance de motivation de la première décision de l’autorité administrative est sans incidence sur la validité du licencie‑ment et ne donne lieu ni à réintégration, ni au versement d’une indemnité à la charge de l’employeur. »

procédures des licenciements économiques aura fait long feu…

* * *

Une réforme italienne modifiée au bout de deux ans, et une réforme française susceptible de générer un contentieux en contestation des plans de sauvegarde des emplois devant les tribunaux administratifs : ces deux exemples montrent la difficulté de transcrire, en droit, la volonté de flexibilisation et de sécurisation des licenciements économiques. Le but de cette contribution n’était aucunement de juger une entreprise des plus complexes, voire téméraire, menée parfois coura‑geusement par les législateurs et les partenaires sociaux, mais de souligner la difficulté même de concevoir, en droit, ce qu’est une législation portant davantage de flexibilité ou de souplesse en matière de licenciement économique. La contin‑gence juridique de cette notion devrait donc inciter à la plus grande prudence. Avant toute réforme, il faudrait pouvoir tirer un bilan d’au moins vingt ans de renforcement de la flexibilité dans les relations de travail. Si celle‑ci a effectivement rogné les protections dont bénéficiaient les sala‑riés en CDI notamment en matière de rupture des contrats de travail, a‑t‑elle vraiment permis d’in‑citer à embaucher davantage ? Si des économistes ont d’ores et déjà remis en cause ce lien (puCCi, valentin, 2008), l’idée d’une flexibilisation du droit du travail pour réduire le chômage demeure, dans ces dernières réformes, le fil conducteur des législateurs. Cependant, la difficulté, voire l’impossibilité de concevoir clairement en droit ce qu’est une législation flexible est à elle seule de nature à remettre en cause ce lien mécanique, « cette évidence scientifique », entre flexibilisation des ruptures et levée des freins à l’embauche.

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FlexibiliSer leS liceNciemeNtS écoNomiqueS eN frANce et eN itAlie

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Travail et Emploi142  (avril-juin 2015)Les institutions du travail : quelles réévaluations ?

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Camille Signoretto

Les pratiques des employeurs enmatière de rupture du CDIUn nouveau regard sur les règles de protection del’emploi................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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Référence électroniqueCamille Signoretto, « Les pratiques des employeurs en matière de rupture du CDI », Travail et Emploi[En ligne], 142 | avril-juin 2015, mis en ligne le 01 avril 2017, consulté le 19 janvier 2016. URL : http://travailemploi.revues.org/6639

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Les pratiques des employeurs en matière de rupture du CDI : un nouveau regard sur

les règles de protection de l’emploi (*)

Camille Signoretto (**)

Cet article propose une lecture renouvelée des règles de protection de l’emploi à durée indéterminée en adoptant une approche microéconomique pour examiner les mouvements de main-d’œuvre déclarés par les employeurs. L’objectif principal est d’enrichir la connaissance empirique sur l’usage des licenciements pour motif économique (LME) et pour motif personnel (LMP), des démissions et des ruptures conventionnelles (RC). Après avoir montré les limites de la connaissance statistique actuelle, nous présentons une vision plus large de l’usage des ruptures du CDI dans les établissements d’au moins 10 salariés. Notre analyse révèle un usage très faible des licenciements économiques par les employeurs, en constante diminution depuis près de trois décennies. L’usage des LMP, lui, est plus fluctuant sur longue période, mais sa baisse depuis 2008, année d’introduction de la RC, questionne sur d’éventuelles substitutions à l’œuvre. Toutefois, ce sont plutôt des liens de complémentarités qui apparaissent entre les recours aux différents modes de rupture du CDI.

Les règles de droit du travail encadrant les ruptures des contrats à durée indéterminée (CDI) sont régulièrement décriées en France pour leur rigi‑dité (1). L’indicateur de « protection des travailleurs permanents contre les licenciements individuels et collectifs » construit par l’OCDE place ainsi la France en 8e position des pays les plus stricts en la matière, le peloton de tête étant constitué par la Chine, l’Allemagne et la Belgique (2). Cet indicateur est utilisé pour évaluer les effets de la protection de l’emploi sur les performances du marché du travail dans une perspective macroéconomique (voir OCDE, 2004, pour une synthèse de ces effets). Pour cela, il ne s’appuie que sur les règles de droit et ne les prend en compte qu’à partir de leur seul énoncé juridique. Or, comme le soulignent Antoine lyOn-Caen et Joëlle aFFiChard (2008), « les règles de droit ne “font” rien si elles ne sont pas mobilisées, mises en œuvre par des acteurs » (p. 35). Suivant cette optique, nous souhaitons proposer une autre analyse de ces règles, considérant que si elles encadrent la relation d’emploi, elles ne prennent sens et effet que dans la manière dont elles sont interprétées et mobilisées par les acteurs (salariés et employeurs). L’objectif est ainsi d’approfondir la connaissance

(*) Une partie de ce travail a été soutenue par l’attribution d’une allocation postdoctorale Gestes / Région Île‑de‑France.(**) Centre d’études de l’emploi ; Centre d’économie de la Sorbonne (Université Paris‑1 Panthéon‑Sorbonne) ; camille.signoretto@univ‑paris1.fr(1) Le dernier débat sur une réforme des CDI et/ou des licen‑ciements date de mars 2015.(2) Voir les indicateurs de l’OCDE sur la protection de l’emploi : http://www.oecd.org/fr/emploi/emp/lesindicateursdelocdesur‑laprotectiondelemploi.htm ; consulté le 17 août 2015.

empirique des différents modes de rupture du CDI (voir encadré 1) par une démarche microécono‑mique reposant sur une analyse des données sur les mouvements de main‑d’œuvre des établissements français (eMMO‑DMMO, Direction de l’anima‑tion de la recherche, des études et des statistiques [Dares], cf. infra, encadré 2) depuis la fin des années 1990, afin d’établir un panorama historique des pratiques effectives des employeurs en matière de rupture de CDI.

La littérature microéconomique portant sur les ruptures de CDI du milieu des années 1990 jusqu’au début des années 2000 a mis en avant l’augmentation des licenciements pour motif personnel et, parallèle‑ment, la diminution des licenciements économiques. C’est sur la base de cette évolution statistique que se sont développées l’hypothèse d’un contournement des règles de droit du licenciement économique par les employeurs et, par la suite, des préconisations concernant leur assouplissement (CahuC, Kramarz, 2004). Or les licenciements ne représentent qu’une part minoritaire de la rotation de la main‑d’œuvre en CDI, autrement dit, des ajustements de l’emploi en CDI. En retenant une perspective temporelle plus longue, nous montrons dans cet article en quoi l’ac‑cent mis sur l’évolution opposée des deux motifs de licenciement peut donner une vision trompeuse de la protection de l’emploi à durée indéterminée. Nous y abordons plus précisément deux questions : peut‑on faire apparaître des tendances structurelles dans l’évolution des ruptures de CDI, au‑delà des fluctuations conjoncturelles qui les caractérisent ? En quoi la prise en compte des démissions, mais aussi des ruptures conventionnelles introduites

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récemment par le législateur, change‑t‑elle la repré‑sentation que donnent généralement les économistes de ces ruptures ?

Encadré 1

Définition juridique des modes de rupture du CDI (démission, licenciements

pour motif économique et pour motif personnel, rupture conventionnelle)

Le critère permettant de distinguer la démission du licenciement repose sur la personne à l’initiative de la rupture. La démission est ainsi inscrite dans le Code du travail dans la rubrique « Rupture à l’initia-tive du salarié ». Le seul article (L. 1237-1) qui lui est consacré porte sur les modalités du préavis que le salarié doit respecter.

Lorsque l’initiative se situe du côté de l’em-ployeur, pour différencier le licenciement pour motif personnel du licenciement pour motif économique, il faut déterminer qui est responsable de l’événement à l’origine du licenciement.

Si le motif du licenciement est « inhérent  à la personne du salarié », alors il est dit « personnel ». Le licenciement pour motif personnel (LMP) doit être « justifié par une cause réelle et sérieuse » (article L.  1232-1). Les causes fautives (faute grave ou légère) sont distinguées des causes non fautives (insuffisance professionnelle, inaptitude physique, etc.), les premières ne donnant pas les mêmes droits en termes d’indemnités de rupture (pas d’indemnité de licenciement ni d’indemnité compensatrice de préavis par exemple). Des règles de procédure, défi-nies par le Code du travail (L. 1232-1 à L. 1232-14), encadrent le LMP.

Au contraire, si le ou les motifs de licenciement sont « non inhérents à la personne du salarié, résul-tant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécu-tives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques » (L. 1233-3), il s’agit d’un licenciement pour motif économique (LME). Les procédures peuvent différer selon que le licen-ciement est individuel ou collectif et si l’entreprise a plus ou moins de cinquante salariés. Par exemple, le LME de dix salariés ou plus dans une même période de trente jours déclenche l’obligation de mettre en place un plan de sauvegarde de l’emploi (L. 1233-21 et suiv.).

Enfin, depuis 2008, la rupture convention-nelle (RC) permet au salarié et à l’employeur « de convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie. La RC, exclusive du licenciement ou de la démission, ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties » (L. 1237-11). Elle est encadrée par une procédure formelle : possibilité d’être assisté par un tiers, délai de rétractation de quinze jours, et enfin homologation de la rupture par l’administration du Travail (unités territoriales).

Pour ce faire, nous proposons tout d’abord un état des lieux de la connaissance actuelle des

modes de rupture du CDI, en en pointant les lacunes. Notamment, nous mettons en lumière la faible proportion de licenciements par rapport aux démissions dans les fins de CDI et, par conséquent, la nécessité de prendre en compte l’ensemble des modes de rupture dans une analyse de la protec‑tion de l’emploi à durée indéterminée. Sur la base de ces constats, nous réexaminons l’usage des ruptures de CDI dans les établissements d’au moins dix salariés. Nous actualisons les évolutions agrégées afin de couvrir la période plus récente (1997‑2012) et de prendre en compte la rupture conventionnelle qui est apparue en 2008. Notre analyse repose ensuite sur la construction de deux indicateurs rendant compte, d’une part, du recours aux différents modes de rupture du CDI par les employeurs et, d’autre part, de l’intensité de leur usage. Ces deux indicateurs permettent de désa‑gréger l’évolution globale en décrivant de façon plus précise les pratiques des employeurs. Pour appréhender les liens entre les différents modes de rupture et les replacer dans une optique de gestion des ressources humaines, nous proposons enfin une catégorisation des établissements selon qu’ils en font ou non un usage conjoint.

Une connaissance partielle des modes de rupture du CDI et de leur évolution

Les statistiques publiées sur les ruptures du CDI s’appuient sur deux sources de données : les mouvements de main‑d’œuvre des établissements (emmO-dmmO (3)) et les circonstances d’entrées des demandeurs d’emploi à l’assurance‑chômage. Elles fournissent une approximation de leur nombre et des données sur la répartition des fins de CDI. Un regard est plus spécifiquement porté sur l’évo‑lution des deux motifs de licenciement sur certaines périodes. Toutefois, comme nous le soulignons, des éléments manquent, nous semble‑t‑il, pour permettre une pleine compréhension des pratiques des employeurs et comparer les modes de rupture entre eux et dans le temps.

Peu de licenciements parmi les fins de CDI

Les publications trimestrielles ou annuelles de la Dares sur les mouvements de main‑d’œuvre dans les établissements retracent l’évolution des modes d’entrée et de sortie des salariés à partir

(3) L’enquête trimestrielle sur les mouvements de main‑d’œuvre (EMMO) complète, pour les établissements de 1 à 49 salariés, les informations obtenues grâce à la déclaration mensuelle des mouvements de main‑d’œuvre (DMMO) à laquelle sont assujettis tous les établissements de 50 salariés ou plus.

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LeS prAtiqueS deS employeurS eN mAtière de rupture du cdi

de leurs taux agrégés (4). La caractéristique princi‑pale des ruptures de CDI est leur faible intensité : en moyenne, en 2013, sur l’ensemble des mouve‑ments de sortie tous secteurs confondus, 4,5 % des salariés des établissements d’au moins un salarié ont démissionné, 1,8 % a subi un licenciement « autre qu’économique » (licenciement pour motif personnel – LMP), 1,4 % a fait l’expérience d’une procédure de rupture conventionnelle (RC) et 0,6 % d’un licenciement pour motif économique (LME). À l’opposé, 45 % des salariés en moyenne ont connu une fin de contrat à durée déterminée (CDD) (BOurieau et al., 2014). Parmi les fins de CDI (licen‑ciements, démissions et ruptures conventionnelles), ce sont les démissions qui constituent de loin le premier motif de rupture : elles en représentent 54 % en 2013. Viennent ensuite les LMP (22 % des fins de CDI), les ruptures conventionnelles (17 %) et enfin les LME (7 %). Ces taux diffèrent selon le secteur et la taille des établissements. Les démissions sont ainsi plus fréquentes dans le secteur tertiaire que dans l’industrie, alors que les LMP et les RC sont plus courants dans la construction et le tertiaire, les LME l’étant enfin dans l’industrie. Les taux agrégés pour les différentes ruptures diminuent globalement avec la taille d’effectifs des établissements, sauf pour le LMP dont le taux est le plus faible dans les établissements de 1 à 9 salariés en 2013 (BOurieau et al., 2014).

Ces publications de la Dares donnent une vision d’ensemble des ruptures, mais ne fournissent pas d’informations sur leur nombre. Pour cela, il faut se référer à une autre source statistique : les circons‑tances d’entrée des demandeurs d’emploi lors de leur inscription à l’assurance‑chômage. En 2013, on dénombre ainsi 503 600 inscriptions après un LMP (catégorie « autres licenciements »), 262 550 après une RC, 154 900 après un LME, et 168 500 après une démission (5). Cependant, ces chiffres ne donnent que des ordres de grandeur approximatifs des modes de rupture, en raison même du champ de cette source statistique. En effet, tous les indi‑vidus ne s’inscrivent pas à l’assurance‑chômage après une rupture de leur contrat de travail (6). Les démissions sont donc largement sous‑estimées ; les autres modes de rupture, licenciements et ruptures

(4) Par exemple, le taux agrégé de démissions rapporte le nombre total de démissions observées dans tous les établis‑sements à la somme des effectifs salariés moyens de tous les établissements.(5) Voir le fichier de données des « séries mensuelles natio‑nales sur les demandeurs d’emploi inscrits et les offres collectées par Pôle emploi » disponible sur le site inter‑net de la Dares à l’adresse suivante : http://travail‑emploi.gouv.fr/etudes‑recherches‑statistiques‑de,76/statistiques,78/chomage,79/les‑demandeurs‑d‑emploi‑inscrits‑a,264.html ; consulté le 17 août 2015.(6) Certains peuvent en effet avoir retrouvé un emploi immé‑diatement après leur départ, tandis que d’autres ne peuvent pas bénéficier des allocations chômage (salariés démissionnaires ou jeunes n’ayant pas ouvert leurs droits).

conventionnelles, l’étant également mais dans une moindre mesure.

Quoi qu’il en soit, ces informations statistiques indiquent que la rotation de la main‑d’œuvre en CDI consiste majoritairement en des départs volontaires des salariés (démissions), alors que les licenciements (surtout ceux pour motif économique) occupent une place moindre.

Une évolution opposée entre LMP et LME qui apparaît… sur la seule période 1997-2003

Alors que la part des licenciements au sein des fins de CDI est somme toute assez faible, c’est pour‑tant sur leur évolution que s’est focalisée l’attention des analyses statistiques. Au cours des années 2000, deux études portant sur les mouvements de main‑d’œuvre des établissements d’au moins cinquante salariés mettent en évidence une évolution différente des deux motifs de licenciement : la première pointe la baisse du licenciement économique entre 1983 et 2000, même si l’évolution est marquée par des fluctuations conjoncturelles (tOmasini, le rOux, 2002), alors que la seconde montre une augmen‑tation des LMP de plus de 70 % et une diminution des LME d’environ 60 % entre 1988 et 2003 (7) (lagarenne, le rOux, 2006). Plus précisément, la hausse du LMP n’apparaît continue que depuis 1997 puisqu’à cette date, le niveau des LMP est en réalité le même qu’en 1988, alors que le LME ne retrouve jamais son niveau initial sur la période 1988‑2003. Cette évolution opposée des deux motifs de licen‑ciement est également mise en avant dans d’autres études s’appuyant sur les motifs d’entrée à l’assu‑rance‑chômage (CahuC, Kramaz, 2004 ; serverin et al., 2008). C’est plus précisément à partir du milieu des années 1990 (autour de 1995‑1997) que les deux courbes correspondant aux deux motifs de licencie‑ment se croisent : les LMP augmentent alors que les LME diminuent, et ce jusqu’en 2003‑2005. Cette observation s’est imposée comme le principal fait stylisé de la littérature économique et gestionnaire sur les licenciements. Elle a donné lieu à plusieurs explications.

Une première hypothèse explique la substitution du LME par le LMP par une logique de contour‑nement du droit par les employeurs. Elle s’appuie théoriquement, même si le plus souvent impli‑citement, sur les modèles d’économie du droit qui mettent en évidence un usage stratégique des

(7) Notons que sur une période antérieure, c’est une évolution contraire qui était observée à partir des motifs d’entrée à l’assu‑rance‑chômage : entre 1976 et 1980, une baisse des LMP de presque 20 % s’oppose alors à une hausse des LME de 40 % (COlin et WelCOmme, 1981).

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règles juridiques encadrant les licenciements (8). Les employeurs substitueraient des licenciements pour motif personnel à des licenciements pour motif économique parce qu’ils considèrent les procé‑dures régissant le LME plus contraignantes, plus complexes (règles supplémentaires pour les licen‑ciements économiques collectifs) et plus incertaines que celles encadrant le LMP (lagarenne, le rOux, 2006 ; CahuC, Kramarz, 2004 ; pignOni, zOuary, 2003 ; palpaCuer et al., 2005). Une seconde hypo‑thèse met en avant les effets des nouvelles pratiques de gestion des ressources humaines (GRH) dans les entreprises. Elle explique la montée du LMP par la diffusion de pratiques de gestion plus indi‑vidualisées et liées aux formes de management par objectifs reposant, notamment, sur des entretiens d’appréciation ou d’évaluation (pignOni, zOuary, 2003 ; palpaCuer et al., 2005). De ces deux expli‑cations possibles, c’est surtout la première qui s’est imposée dans la littérature et le débat public, alors même que les éléments empiriques ne permettent pas de trancher véritablement. Sur données quan‑titatives, Évelyne serverin et ses coauteurs (2008) concluent plutôt à un rejet de cette hypothèse car les comportements d’embauche assez dynamiques observés chez des employeurs ayant procédé à un LMP ne permettent pas d’étayer un usage de ce type de licenciement en lieu et place d’un licenciement pour motif économique (9). En revanche, sur données qualitatives et à partir d’un échantillon non repré‑sentatif, Florence palpaCuer et ses coauteurs (2005) identifient auprès de certains employeurs les argu‑ments sous‑tendant l’hypothèse de substitution : procédure du LMP moins contraignante (10) et durcis‑sement jurisprudentiel sur le motif économique.

Ainsi, ces analyses pointent une évolution opposée des deux motifs de licenciement, qui ne s’observe pourtant que sur une période de sept à huit ans, puisque le LMP n’augmente de manière conti‑nue que depuis 1997 et commence à stagner dès 2003‑2004, alors que le LME, lui, semble diminuer depuis le début des années 1980. Cette évolution n’est donc peut‑être qu’un phénomène ponctuel qui ne représente qu’une partie des changements

(8) « Les entreprises et les salariés vont probablement utili‑ser de manière stratégique la législation sur les licenciements, créant un modèle caractéristique de la distribution des licencie‑ments par types juridiques. Ces modèles vont sûrement différer entre les pays, en raison des différentes mesures incitatives prévues dans les cadres juridiques nationaux sur l’utilisation des licenciements individuel et collectif, ou même sur l’utilisation des différents motifs de licenciement individuel (par exemple pour motif personnel ou pour motif économique). » (garCía-martínez, malO [2007], p. 152, traduction de l’auteure.)(9) Dans le cas d’un motif économique, le poste laissé vacant ne devrait pas en effet être pourvu puisque l’emploi était supprimé.(10) Sont notamment invoquées, dans le cas du LME, l’obliga‑tion d’information des institutions représentatives du personnel et des pouvoirs publics, l’obligation de reclassement, l’inter‑diction d’une nouvelle embauche sur le même poste pendant six mois.

à l’œuvre dans les pratiques des employeurs en matière de rupture du CDI depuis trente ans.

Les limites des sources statistiques

Pour bien comprendre et interpréter les constats statistiques mis en avant par les deux sources de données mobilisées sur les ruptures du CDI, il est nécessaire de revenir brièvement sur la manière dont les catégories statistiques sont construites. Historiquement, le dénombrement des modes de rupture n’a jamais existé de manière exhaustive, sauf pour les ruptures qui, légalement, doivent faire l’objet d’une procédure d’information ou de demande d’autorisation auprès de l’administration du Travail (les LME entre 1975 et 1986 ; les RC, les plans de sauvegarde de l’emploi et les licenciements des salariés « protégés (11) » aujourd’hui). Outre la question de l’exhaustivité, l’appareil statistique est aujourd’hui confronté à un problème d’identifica‑tion des licenciements économiques. En effet, durant les trois dernières décennies, les ruptures ayant des raisons économiques se sont progressivement diversifiées, s’éloignant ainsi de leur seule quali‑fication en licenciement pour motif économique : elles peuvent désormais prendre la forme de départs volontaires avec résiliation du contrat à l’amiable pour motif économique, de ruptures d’un commun accord après l’entrée dans un dispositif public d’ac‑compagnement de restructuration (12) ou encore de ruptures conventionnelles dont la cause économique est aujourd’hui admissible (13) (signOrettO, 2015). Or, on ne sait pas bien où ces modes de rupture sont classés statistiquement, que ce soit dans les motifs d’entrée à Pôle emploi ou lors des déclarations administratives des employeurs dans les emmO-dmmO. Dans le premier cas par exemple, un salarié bénéficiaire d’un contrat de sécurisation profession‑nelle se voit inscrit en catégorie D, « stagiaire de la formation professionnelle », à Pôle emploi. Comme ce sont sur les seules catégories A, B et C que portent les statistiques des motifs d’entrée, cela tend à sous‑estimer le dénombrement des LME à partir de cette source statistique (14), tout particulièrement depuis les années 2000 (signOrettO, 2013a).

(11) Les représentants du personnel ou les médecins du travail par exemple.(12) Créés par la loi ou sous l’impulsion des pouvoirs publics dès le milieu des années 1980, les dispositifs publics d’ac‑compagnement des restructurations sont proposés par les entreprises de manière volontaire ou obligatoire lorsqu’elles envisagent de procéder à des licenciements pour motif écono‑mique, ou qu’elles anticipent des changements de la structure de leurs emplois. Il s’agit principalement aujourd’hui du contrat de sécurisation professionnelle, créé en 2011 à la suite de la fusion entre la convention de reclassement personnalisé et le contrat de transition professionnelle. Voir signOrettO (2013a) pour une présentation détaillée de ces dispositifs.(13) Voir l’arrêt de la Cour de cassation du 9 mars 2011.(14) Toutefois, à l’issue du dispositif (douze mois pour le contrat de sécurisation professionnelle) et s’il n’a pas retrouvé d’emploi, le bénéficiaire d’un tel contrat peut basculer en caté‑gories A, B ou C, sous le motif d’entrée « autres cas ».

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Enfin, en plus des difficultés de dénombre‑ment et d’identification des modes de rupture, d’autres questions empiriques restent en suspens : combien d’établissements recourent chaque année aux différents modes de rupture du CDI ? Quelle est l’évolution de ces ruptures depuis le milieu des années 2000 et, notamment, celle des licenciements par rapport aux démissions et aux RC ? Comment y distinguer des tendances longues, au‑delà des fluctuations conjoncturelles ? À partir des emmO-dmmO (voir encadré 2), qui apparaissent comme la source statistique la plus complète et la moins dépendante de changements de règles administra‑tives, nous proposons dans ce qui suit d’apporter des éléments de réponse à ces questions.

Encadré 2

L’utilisation des EMMO-DMMO

Nous utilisons les données sur les mouve-ments de main-d’œuvre, les EMMO et dMMO de la Dares, de deux manières : d’une part, à partir des taux agrégés diffusés sur le site de la Dares (1) sur la période 1997-2012 et, d’autre part, à partir des fichiers bruts obtenus auprès de la Dares sur la période 1997-2010. Ces fichiers nous ont permis de construire une base de données qui couvre les mêmes champs sectoriels que ceux des études de la Dares (industrie, construction, tertiaire marchand et non marchand, hors secteur agricole) et porte sur l’ensemble des établissements d’au moins dix salariés (échantillon exhaustif pour les dMMO, et représentatif pour les EMMO en utilisant les pondé-rations) pour la période 1997-2010, date jusqu’à laquelle nous avons pu accéder aux données.

(1) Consultables à l’adresse suivante : http://travail‑emploi.gouv.fr/etudes‑recherches‑statistiques‑de,76/statistiques,78/emploi,82/les‑mouvements‑de‑main‑d‑oeuvre,272/les‑donnees‑sur‑les‑mouvements‑de,2268/les‑donnees‑sur‑les‑mouvements‑de,2633.html ; consultée le 17 août 2015.

Deux indicateurs pour préciser l’usage des modes de rupture du CDI au-delà de l’intensité agrégée

Les statistiques présentées jusqu’à maintenant nous ont donné des informations générales sur les modes de rupture, mais n’ont pas décrit les pratiques concrètes des employeurs et l’usage (15) qu’ils font de ces modes de rupture. Pour caractériser cet usage des ruptures de CDI dans les établissements au‑delà de

(15) Nous utilisons le terme d’« usage » principalement pour les licenciements puisque ce sont ces ruptures qui relèvent d’une volonté des établissements. Pour les démissions, nous parlerons plutôt de « présence » dans les établissements.

l’intensité évaluée au niveau agrégé, nous proposons deux indicateurs : l’un mesurant le recours à chaque mode de rupture dans les établissements ; l’autre indiquant l’intensité mesurée, au niveau individuel, de l’usage de chaque mode de rupture pour les seuls établissements y recourant (voir encadré 3).

Encadré 3

Indicateurs de recours et d’intensité des modes de rupture du CDI

Le premier indicateur rend compte du recours à chaque mode de rupture par les employeurs et ce, pour une année donnée. Il repose sur la part des établissements qui ont utilisé au moins une fois au cours d’une année l’un des modes de rupture. Il permet d’analyser des phénomènes plus structurels, tels que des processus de diffusion (dans le sens de généralisation) ou, au contraire, d’abandon de l’usage d’un mode de rupture.

Le deuxième indicateur décrit l’intensité avec laquelle les établissements recourent à chaque mode de rupture du CDI. Nous calculons des taux individuels rapportant le nombre d’occurrences d’un mode de rupture donné à l’effectif salarié moyen de l’établissement, pour les seuls établissements y recourant, puis nous mesurons la moyenne de ces taux individuels. Il se distingue des taux agrégés établis par la Dares dans la mesure où il donne un poids identique à chaque établissement quelle que soit sa taille (ce sont les grands établissements qui ont des taux plus faibles, ce qui tend à réduire le taux agrégé par rapport à la moyenne des taux individuels) et qu’il ne porte que sur les établisse-ments recourant effectivement au mode de rupture considéré. Cet indicateur d’intensité permet de mesurer l’ampleur de l’usage des différents modes de rupture et d’observer ainsi les possibles fluctua-tions conjoncturelles.

Un très faible recours aux licenciements économiques mais une intensité plus forte par rapport aux LMP et aux RC

À notre connaissance, seules deux études portant sur les années 1990 contiennent des informations relatives au nombre d’établissements qui recourent aux licenciements. En 1992, le recours au licen‑ciement économique concerne ainsi 31 % des établissements d’au moins cinquante salariés (le minez, maurin, 1994), alors qu’en 2000 la part est de 12,5 % pour les établissements d’au moins dix salariés du secteur privé industriel et commercial (16) (tOmasini, le rOux, 2002). Comme le montre le graphique 1, cette part est de nouveau divisée par deux, pour atteindre 6 % des établissements d’au moins dix salariés en 2010. La diminution du recours au LME a donc été très forte en une

(16) Cette part varie entre 15 et 20 % pour les établissements d’au moins cinquante salariés.

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vingtaine d’années, de telle sorte qu’aujourd’hui ce mode de rupture n’est utilisé que par un nombre très restreint d’établissements. Quant aux autres modes de rupture du CDI, les établissements sont plus nombreux à y recourir : 33 % pour le LMP et 22 % pour la RC. En outre, 61 % d’entre eux connaissent des démissions en 2010.

Graphique 1 : Recours et intensité des ruptures du CDI en 2010

Insérer illustration n° 9

Lecture : En 2010, 6 % des établissements d’au moins dix salariés ont eu recours au licenciement pour motif économique. Ces mêmes établissements ont licencié en moyenne 10 % de leurs effectifs sala-riés pour ce motif.

Champ : Établissements de dix salariés ou plus du secteur concur-rentiel (hors agricole) de la France métropolitaine.

Source : Calculs de l’auteure à partir des EMMO-DMMO, Dares, données pondérées.

Concernant l’intensité, le graphique 1 montre que les 6 % des établissements utilisateurs du LME en 2010 ont licencié en moyenne 10 % de leurs effectifs

salariés pour ce motif, ce qui est bien plus élevé que le taux agrégé produit par la Dares (0,6 % en 2010). Ce taux de LME apparaît également supérieur à l’intensité moyenne individuelle des LMP et des RC pour les établissements utilisateurs de ces ruptures (6 %). Le LME s’inscrit en effet plus souvent dans le cadre de vastes plans de réductions d’effectifs ; la différence d’intensité avec les autres modes de rupture reste toutefois assez faible. Enfin, c’est pour les établissements qui connaissent des démissions que l’intensité d’usage est la plus forte (12 %).

Ces résultats statistiques confirment la place des démissions dans les ruptures du CDI, tant par la quantité d’établissements touchés que par leur intensité au sein de ces établissements. Au contraire, les licenciements pour motif économique, encadrés, rappelons‑le, par des règles juridiques critiquées pour leur complexité et leur rigidité, sont caractérisés par une très faible présence dans les établissements.

Des spécificités par secteur et taille d’effectifs différentes selon l’indicateur d’usage mobilisé

Comme nous l’avons observé pour les statis‑tiques agrégées des différents modes de rupture du CDI, il existe de fortes spécificités selon les secteurs d’activité et les tailles d’effectifs des établissements. L’analyse désagrégée permet de mettre en lumière de nouvelles particularités selon l’indicateur de recours ou d’intensité.

On retrouve ainsi en 2010 un recours plus impor‑tant du LME dans le secteur industriel, mais son intensité semble aussi forte dans la construction que

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LME LMP Démission RC

Graphique 2 : Recours et intensité des ruptures du CDI par secteur d’activité en 2010

Note : Les intervalles de confiance à 95 % des moyennes sont indiqués sur chaque colonne.

Lecture : 34 % des établissements du secteur industriel ont recouru au licenciement pour motif personnel en 2010. Ces mêmes établissements ont licencié en moyenne 5 % de leurs effectifs salariés pour ce motif.

Champ : Établissements de dix salariés ou plus du secteur concurrentiel (hors agricole) de la France métropolitaine.

Source : Calculs de l’auteure à partir des EMMO-DMMO, Dares, données pondérées.

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LME LMP Démission RC

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LeS prAtiqueS deS employeurS eN mAtière de rupture du cdi

dans l’industrie (17) (voir graphique 2). Le constat inverse est observé pour les LMP : une intensité plus importante dans les secteurs de la construction et du tertiaire, confirmant les études précédentes, mais un recours équivalent dans l’industrie et dans la construction. Concernant les démissions, c’est bien dans le tertiaire que leur présence et leur inten‑sité sont les plus importantes. Enfin, l’intensité de la RC est la plus soutenue dans la construction et le tertiaire mais, là encore, son recours est légèrement plus élevé dans l’industrie. L’analyse sectorielle est intéressante à plusieurs égards : il existe finale‑ment peu d’écarts dans l’intensité et le recours aux modes de rupture entre les secteurs, excepté pour les démissions ; et on observe des usages différents des ruptures selon l’intensité et le recours entre les secteurs (par exemple entre RC et LMP dans l’industrie).

Si l’on s’intéresse à présent à la taille des établis‑sements (voir graphique 3), on vérifie que l’intensité de l’usage des ruptures diminue à mesure que la taille des établissements s’accroît. En revanche, plus un établissement est grand, plus il est en situation de mettre fin à au moins un CDI (taux de recours élevé). Par exemple, une grande majorité des établissements de 250 salariés et plus connaissent des démissions et recourent aux LMP (respective‑ment 95 % et 86 %), alors qu’ils sont un sur deux à avoir conclu au moins une fois une rupture conven‑tionnelle en 2010. Pour ce qui est de l’intensité des ruptures, l’effet taille est particulièrement marqué pour les LME et les démissions, alors qu’il l’est moins pour les LMP et les RC. Quant au recours, l’effet taille est important pour les LMP, mais assez

(17) Pour estimer la précision des deux indicateurs, nous avons calculé les intervalles de confiance des moyennes (indiqués dans les tableaux et/ou graphiques lorsque cela était pertinent). Dans le cas où les intervalles de confiance ne se chevauchent pas, cela permet de donner une indication sur la significativité de la différence de moyennes entre deux groupes d’établisse‑ments ou entre deux années.

faible pour les LME. Le profil d’usage des modes de rupture selon la taille est finalement proche entre les LMP et les RC concernant l’intensité à laquelle les établissements y recourent. À noter également que la part des établissements concluant une rupture conventionnelle est relativement élevée dès les établissements de dix à quarante‑neuf salariés, de manière comparable au profil d’usage des LMP chez ces petits établissements.

Quel(s) changement(s) de l’évolution des ruptures du CDI depuis le milieu des années 2000 ?

Dans l’objectif de questionner le caractère struc‑turel, c’est‑à‑dire sur longue période, de l’opposition entre l’usage des deux motifs de licenciement, nous présentons dans un premier temps l’évolution agrégée des modes de rupture entre 1997 et 2012. Il s’agit ensuite de décomposer ces évolutions pour comprendre si les tendances observées de manière agrégée sont dues à une évolution de l’intensité avec laquelle les établissements recourent au mode de rupture (des mêmes établissements les utilisent plus ou moins intensément), ou plutôt à une évolu‑tion de la diffusion de l’usage de ces ruptures dans les établissements (plus ou moins d’établissements y ont recours).

Une baisse structurelle du LME et une baisse du LMP depuis 2008 concomitante de la progression rapide de la RC

Repartant de l’année 1997 à partir de laquelle les courbes des deux motifs de licenciement se croisent, il s’agit de proposer une vision de plus long terme incluant la période récente et la rupture convention‑nelle créée en 2008. L’évolution des ruptures de CDI est donc prolongée jusqu’en 2012, à partir des taux agrégés de rupture produits par la Dares pour les

Graphique 3 : Recours et intensité des ruptures du CDI par taille d’effectifs en 2010

Note : Les intervalles de confiance à 95 % des moyennes sont indiqués sur chaque colonne.

Lecture : 29 % des établissements de cinquante à quatre-vingt-dix-neuf salariés ont conclu des ruptures conventionnelles en 2010. Ces mêmes établissements se sont séparés en moyenne de 3 % de leurs effectifs par le biais de ce mode de rupture.

Champ : Établissements de dix salariés ou plus du secteur concurrentiel (hors agricole) de la France métropolitaine.

Source : Calculs de l’auteure à partir des EMMO-DMMO, Dares, données pondérées.

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établissements d’au moins dix salariés (18). Le choix a été fait de comparer cette évolution en prenant 2009 comme année de référence, d’une part, parce que c’est la première année d’utilisation complète de la RC et, d’autre part, parce qu’elle correspond à l’année de pic de la dernière crise économique. Que nous apprend alors le graphique 4 par rapport aux évolutions connues jusqu’ici ?

La baisse structurelle du LME et le caractère conjoncturel des démissions

Tout d’abord, il ressort de nouveau une forte baisse du licenciement économique sur l’ensemble de la période (‑ 70 % entre 1997 et 2012), même si un pic est observé pour 2009, dont le niveau reste toutefois en dessous de celui de l’année 1997. Si l’on reprend la tendance observée depuis le début des années 1980, cela signifie que les LME sont de moins en moins nombreux depuis près de trente ans, même s’ils restent sensibles aux fluctuations conjoncturelles (pics en 2001‑2003 et 2008‑2009). Sur une longue période, le caractère structurel de la baisse du LME apparaît donc de manière indis‑cutable et son évolution est par là déconnectée de celle du LMP, ce qui remet en cause une lecture de l’évolution des deux motifs de licenciement unique‑ment en termes de substitution de l’un par l’autre. Cette baisse peut s’expliquer par les changements de pratiques des entreprises en matière de suppres‑sions d’emplois, qui peuvent de plus en plus prendre une diversité de formes juridiques : fins de CDD ou de missions d’intérim, départs en retraite, mobilités internes au sein d’une entreprise ou d’un groupe, résiliations à l’amiable, etc. (ires, 2009 ; BeauJOlin-Bellet, sChmidt, 2012 ; signOrettO, 2015). Et elle peut renvoyer aux difficultés d’identification statis‑tique que ces pratiques engendrent.

Par ailleurs, c’est avec les démissions qu’il y a une opposition des évolutions observées dans la mesure où LME et démission sont les deux modes de rupture les plus sensibles à la conjoncture écono‑mique (arnOld, 2009). Par exemple, dans les phases de croissance (1997‑2001, 2010‑2011), les démissions augmentent tandis que les LME dimi‑nuent, alors que durant les phases de ralentissement conjoncturel ou de crise (2001‑2003, 2008‑2009), c’est le contraire qui est constaté. Damien sauze (2003) et Florent nOël (1995) avaient déjà fait apparaître à un niveau agrégé des effets de compen‑sation entre les licenciements économiques et les

(18) Ces taux ont été récupérés sur le site internet de la Dares pour la période 1999‑2012, et sur un document d’études de la Dares (lutinier, 2007) pour les années 1997 et 1998. Le champ des établissements est donc plus large que celui utilisé par Christine lagarenne et Marine le rOux (2006), qui ne portait que sur les établissements d’au moins 50 salariés. Toutefois, les tendances restent similaires si l’on ne prend en compte que les grands établissements.

démissions dans un contexte de fort ralentissement de l’activité économique.

Graphique 4 : Évolution des modes de rupture du CDI entre 1997 et 2012 (base 100 : 2009)

Insérer illustration n° 14

Lecture : Entre 2009 (base 100) et 2012, les licenciements pour motif économique ont diminué d’environ 65 %.

Champ : Établissements d’au moins dix salariés du secteur concur-rentiel (hors agricole) de la France métropolitaine. Rupture conventionnelle : établissements d’au moins un salarié.

Source : Calculs de l’auteure à partir des taux de sorties des EMMO-DMMO, Dares.

Les trois « phases » du LMP et la progression rapide de la RC

L’usage des LMP progresse de 1997 à 2003 (+ 50 %), confirmant les observations de lagarenne et le rOux sur les grands établissements. Toutefois, après cette date, le LMP fluctue très peu, de sorte qu’en 2009 il retrouve son niveau de 2002, et commence à diminuer dès 2008 (de près de 26 % entre 2008 et 2012). L’évolution du LMP semble donc paradoxalement plus fluctuante que celle du LME sur les trente dernières années – légère baisse à la fin des années 1970, forte augmentation à la fin des années 1990 et au début des années 2000, stagnation ensuite et baisse continue depuis 2008 –, même s’il semble avoir légèrement progressé globa‑lement (+ 16 % entre 1997 et 2012).

Mais surtout, la baisse observée depuis 2008 coïncide avec l’entrée en vigueur de la rupture conventionnelle. Or le graphique 4 montre une progression très forte de ce mode de rupture entre 2009 et 2012 (près de 45 %). L’hypothèse de la substitution du LMP par la RC apparaît donc comme centrale pour expliquer la baisse du LMP. Comme la RC est un mode de rupture plus attrayant pour les employeurs (absence de motif à énoncer, absence de préavis, faible risque de contestation judiciaire) et les salariés (droit aux allocations chômage), on peut en effet s’attendre à ce qu’elle se substitue à l’ensemble des modes de rupture du CDI déjà existants. L’évolution statistique des LMP et des RC entre 2009 et 2012 peut s’interpréter en ce sens, ainsi que celle des LME et des RC.

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Graphique 5 : Évolution du recours et de l’intensité des modes de rupture du CDI

Lecture : En 2010, plus de 20 % des établissements d’au moins dix salariés ont eu recours à au moins une rupture conventionnelle, à un taux moyen de 6 %.

Champ : Établissements de dix salariés ou plus du secteur concurrentiel (hors agricole) de la France métropolitaine.

Source : Calculs de l’auteure à partir des EMMO-DMMO, Dares, données pondérées.

Toutefois, il reste difficile de tirer des conclu‑sions de ces simples évolutions statistiques, tant il y a d’éléments à prendre en considération, en premier lieu la conjoncture économique particulière de la période. Seule une analyse économétrique aboutie pourrait permettre de contrôler ces éléments. À partir d’un échantillon d’entreprises obtenu par l’appariement de deux bases de données (les emmO-dmmO et les enquêtes annuelles d’entre‑prises – EAE‑Fare (19) – rassemblant des variables économiques et comptables), une autre étude (signOrettO, 2013b) révèle l’absence de compor‑tement de substitution entre les LMP et les RC entre 2008 et 2009, ainsi qu’entre les démissions et les RC. C’est plutôt un usage des RC pour un motif économique qui semble ressortir de la période, suggérant des possibles substitutions du LME par la RC sur cette période.

Au‑delà de ces éléments empiriques, la question de la substitution entre la RC et les autres modes de rupture du CDI est plus complexe que celle apparue entre les deux motifs de licenciement au début des années 2000. En effet, la RC étant une rupture d’un commun accord, le comportement de l’employeur sera dépendant de celui du salarié (et vice versa). Même si l’employeur veut substituer une RC à un licenciement, l’accord du salarié lui est nécessaire. De plus, si substitution il y a, elle est tout à fait légale dans la mesure où la RC devient une alterna‑tive de rupture pour les employeurs et les salariés, et que de nombreuses situations de recours ont été reconnues possibles par la jurisprudence (cause économique, litige préalable entre l’employeur et le salarié, etc.).

(19) Fare : Fichier approché des résultats Esane (Élaboration des statistiques annuelles d’entreprise).

Des changements dans le recours aux modes de rupture par les employeurs plutôt que dans leur intensité

Sur la période 1997‑2010 (voir encadré 2), c’est d’abord l’évolution du recours aux modes de rupture du CDI qui explique celle constatée au niveau agrégé, l’intensité étant plutôt stable, ou en légère baisse (voir graphique 5). Le licenciement écono‑mique est par exemple nettement moins utilisé dans les établissements entre 1997 et 2010 (‑ 56 %), mais pour ceux qui continuent à y recourir, ils le font en moyenne avec une même intensité. Ce constat statistique permet ainsi d’étayer l’argument d’un abandon progressif du licenciement économique comme forme juridique de rupture retenue par les employeurs. Au contraire, les LMP se sont légè‑rement diffusés dans les établissements (+ 13 %), mais là encore, l’intensité à laquelle les établisse‑ments ont licencié pour ce motif reste stable sur la période. Seules les démissions ont des évolutions différentes selon l’indicateur : davantage d’établis‑sements connaissent des démissions (+ 13 %), mais de façon moins intensive (- 6 %). Enfin, confirmant l’évolution agrégée, l’usage des RC progresse rapi‑dement (recours comme intensité).

Ces graphiques font également apparaître une évolution de l’usage des LMP relativement indé‑pendante des autres modes de rupture. Entre 1997 et 2003, le recours au LMP augmente en effet de manière continue (+ 37 %), avec une accélération à partir de l’année 2000. Après 2003, il fluctue et, surtout, baisse à deux reprises : entre 2005 et 2007 (‑ 10 %) et entre 2008 et 2010 (‑ 16 %). Si la baisse constatée à partir de 2008 peut être légi‑timement mise en parallèle avec la progression de la RC comme nous l’avons fait précédemment, les pratiques des employeurs en matière de recours au LMP ont en réalité vraisemblablement commencé

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à se modifier avant l’introduction de cette dernière. Ce phénomène n’était pas visible dans l’évolution agrégée (voir graphique 1), parce que cette baisse du recours au LMP entre 2005 et 2007 s’oppose à une hausse de son intensité sur ces mêmes années. Toutefois, il reste difficile à ce stade et sans un travail qualitatif plus poussé sur les pratiques de gestion des ressources humaines des employeurs, de comprendre cet usage particulier des LMP dès 2005 (20).

Des effets de structure sectorielle ?

Alors que les pratiques de gestion de la main‑d’œuvre diffèrent entre les secteurs d’activité (voir supra) et que la répartition sectorielle des établis‑sements s’est largement modifiée ces dernières décennies (diminution du poids de l’industrie, déve‑loppement du tertiaire), une analyse désagrégée de l’usage des ruptures paraît ici nécessaire pour saisir si l’évolution de l’intensité et du recours aux modes de rupture n’est pas expliquée par d’éventuel(s) changement(s) de structure des établissements par secteur d’activité (21).

Au début de notre période d’étude, le secteur industriel est caractérisé par un recours au licen‑ciement économique plus développé, alors que le secteur tertiaire se distingue par des taux de démis‑sion et de LMP plus élevés (voir tableau en annexe). La diminution du poids du secteur industriel pourrait donc avoir entraîné avec elle la baisse de l’usage du licenciement économique. De même, il est possible que le développement du secteur tertiaire ait « tiré vers le haut » le recours aux LMP et aux démissions. Mais, en réalité, on observe peu de différence entre l’évolution générale et l’évolution sans changement de structure par secteur d’activité (voir tableau en annexe). Plus précisément, le changement de struc‑ture a légèrement accéléré la diminution du recours aux LME (‑ 56 % vs ‑ 53 %), alors qu’il a freiné la baisse de l’intensité des LMP et des démissions (stable vs ‑ 4 % pour le LMP ; ‑ 6 % vs ‑ 10 % pour les démissions). Ainsi, ce n’est pas la contrac‑tion du secteur industriel qui explique le recul de l’usage du LME dans les établissements, mais bien

(20) Pour tenter néanmoins de comprendre le ralentissement du recours au LMP dès 2003, l’hypothèse d’un changement de pratique de GRH avancée pour expliquer la hausse du LMP à la fin des années 1990 peut être de nouveau mobilisée ici. Le recours à des LMP pour insuffisance de résultat ou non-atteinte des objectifs serait désormais moindre, du fait d’une évolution de la jurisprudence au début des années 2000. Celle‑ci semble en effet exiger une justification plus rigoureuse de la cause d’insuffisance de résultats ainsi qu’en témoignent plusieurs arrêts de la Cour de cassation (voir notamment les arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation des 14 novembre 2000, 22 janvier 2003 et 3 novembre 2004, qui énoncent que l’insuf‑fisance de résultats ne constitue pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement).(21) On constate peu d’évolution de la structure des établis‑sements par taille d’effectifs, c’est pourquoi nous étudions la possibilité d’effets de structure pour la seule variable du secteur d’activité.

des changements de pratiques des employeurs en matière de rupture pour motif économique.

Notre analyse a d’abord révélé la place impor‑tante des démissions et des ruptures conventionnelles dans les fins de CDI à côté des deux motifs de licen‑ciement, puis nous avons émis des hypothèses sur les liens susceptibles d’exister entre les évolutions de chacune de ces ruptures. Afin d’aller plus loin, tentons à présent de saisir s’il existe des relations entre les usages que font les employeurs des modes de rupture. En effet, même si les démissions et, dans une moins mesure, les ruptures conventionnelles, ne dépendent pas des employeurs qui n’en sont pas nécessairement à l’initiative, elles peuvent néanmoins avoir un impact sur la manière dont, stratégiquement, ils gèrent leur main‑d’œuvre. Par exemple, on peut imaginer que lorsque les démissions sont nombreuses dans un établissement, cela peut diminuer d’autant le besoin de licencier de l’employeur.

L’usage des modes de rupture révèle-t-il des pratiques particulières de gestion de la main-d’œuvre ?

Étudier l’usage des modes de rupture dans une logique de gestion de la main‑d’œuvre, entendue comme un ensemble de modes d’entrées (CDD, CDI) et de sorties (licenciements, démissions, départs à la retraite, fins de CDD, etc.) mis à dispo‑sition des entreprises (piChOn, 2008), peut permettre de faire apparaître des groupes particuliers d’éta‑blissements, selon leur niveau général de rotation de la main‑d’œuvre en CDI ou même en CDD.

Une apparente segmentation des établissements selon les pratiques de gestion de la main-d’œuvre des employeurs

Les établissements ayant recours aux licen‑ciements sont‑ils également caractérisés par une présence plus forte de démissions ou même un recours plus important aux CDD ? Pour répondre à cette question, nous avons d’abord créé une typolo‑gie d’établissements selon leur recours exclusif ou conjoint aux deux motifs de licenciement et l’avons confrontée ensuite à l’usage des démissions. D’après cette typologie, 64 % des établissements d’au moins dix salariés n’ont recouru en réalité ni au LME, ni au LMP au cours de l’année 2010 (22), ce qui est cohérent avec la faible diffusion de leur usage observée précédemment. À l’inverse, la part des établissements ayant recouru conjointement aux deux motifs de licenciement durant l’année

(22) Nous ne considérons ici que la seule année 2010, les proportions d’établissements de chaque catégorie de la typolo‑gie s’étant peu modifiées sur la période d’ensemble 1997-2010. Les données en évolution sont disponibles sur demande auprès de l’auteure.

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LeS prAtiqueS deS employeurS eN mAtière de rupture du cdi

2010 est très faible (3 %) et l’a toujours été sur l’ensemble de la période (6 % en 1997). Lorsqu’ils utilisent au moins un des deux motifs de licencie‑ment, la situation la plus fréquente est celle où les établissements ne recourent qu’au LMP au cours de l’année (30 % en 2010), ce qui est là encore cohérent avec la répartition des deux motifs de licenciement dans les fins de CDI. Enfin, parce que les LME sont caractérisés par une faible diffusion générale dans les établissements, le recours exclu‑sif au LME est lui aussi assez rare (3 % en 2010). Dans la suite de l’analyse, nous nous focalisons sur les deux pratiques de licenciement que sont l’usage conjoint des deux motifs et l’usage exclusif du LMP, car l’utilisation exclusive du LME paraît aujourd’hui très spécifique.

Dans une optique de stratégie de gestion de la main‑d’œuvre établie à partir de l’ensemble des modes de sorties auxquels l’entreprise a recours, on pourrait supposer que le faible usage observé des licenciements est compensé par une présence plus importante des démissions dans les établisse‑ments, permettant de maintenir un certain niveau de rotation de la main‑d’œuvre en CDI, assuré dans ce cas essentiellement par des départs volontaires des salariés. Suivant cette logique, les établissements où il n’y a pas de licenciement devraient avoir un usage plus fort des démissions. En réalité, on observe le contraire dans les graphiques ci‑dessus (voir colonnes « Ensemble » sur le graphique 6) : ce sont davantage les établissements utilisateurs de licenciement (des deux motifs ou du LMP seul) que les non‑utilisateurs où l’on observe égale‑ment des démissions (graphique de gauche) ; en revanche, il ne semble pas y avoir de différences significatives dans l’intensité des démissions entre les trois principales catégories d’établissements

selon leur usage du licenciement (graphique de droite).

La complémentarité entre usage du licenciement, notamment pour motif personnel, et présence de démissions pourrait être surtout expliquée par un « effet taille » des établissements, puisque l’on a vu que la taille influait fortement sur l’intensité et le recours aux modes de rupture (voir supra). Le graphique 6 montre toutefois que le lien de complé‑mentarité entre la présence de démissions dans les établissements et le recours aux licenciements se retrouve bien pour toutes les tailles d’effec‑tifs (graphique de gauche). C’est pour l’indicateur d’intensité que le résultat est le plus intéressant (graphique de droite). Excepté pour les établisse‑ments de petite taille qui ne se distinguent pas de l’ensemble (23), un lien apparaît de nouveau entre l’usage des licenciements et l’intensité des démis‑sions, ce pour les tailles d’effectifs supérieures à cinquante salariés. Le résultat de l’ensemble est donc expliqué essentiellement par les petits établis‑sements qui sont majoritaires dans l’échantillon, mais qui sont également sous‑représentés dans les deux principales catégories d’usage des licencie‑ments (LME et LMP, LMP seul).

Finalement, cette différenciation des établis‑sements selon leur pratique de rupture du CDI se maintient si l’on intègre la rotation des CDD (entrée et sorties). Le graphique 7 montre en effet que les établissements caractérisés par une forte rotation de

(23) Pour les petits établissements, l’indicateur d’intensité des démissions apparaît très imprécis pour ceux qui recourent conjointement au moins une fois au LME et au LMP au cours de l’année 2010. Cela s’explique par le fait que le croisement de ces deux caractéristiques, petite taille et usage conjoint des motifs de licenciement, concerne en réalité un très petit nombre d’établissements.

Graphique 6 : Liens entre les pratiques de licenciement et l’usage de la démission en 2010, selon la taille d’effectifs

Note : Les intervalles de confiance à 95 % des moyennes sont indiqués sur chaque barre d’histogramme.

Champ : Établissements de dix salariés ou plus du secteur concurrentiel (hors agricole) de la France métropolitaine.

Source : Calculs de l’auteure à partir des EMMO-DMMO, Dares, données pondérées.

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Catégories de licenciement et présence des démissions Catégories de licenciement et intensité des démissions (si présence)

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la main‑d’œuvre en CDI (24) ont également un taux élevé de rotation en CDD. La hiérarchie dans le niveau de rotation en CDI (fort, moyen, faible) est d’ailleurs en lien avec celle des taux de rotation en CDD.

Graphique 7 : Évolution du taux de rotation en CDD selon le niveau de rotation en CDI

Insérer illustration n° 21

Note : Un taux de rotation en CDI « fort » signifie ici qu’il est supé-rieur au troisième quartile de l’ensemble de la distribution, « moyen » qu’il est entre le troisième et le premier quartile, et « faible » qu’il est inférieur au premier quartile.

Lecture : En 2010, les établissements caractérisés par un fort taux de rotation en CDI avaient un taux de rotation en CDD de 45 %, bien supérieur au taux moyen de l’ensemble des établissements de 30 %.

Champ : Établissements de dix salariés ou plus du secteur concur-rentiel (hors agricole) de la France métropolitaine.

Source : Calculs de l’auteure à partir des EMMO-DMMO, Dares, données pondérées.

Ces résultats soutiennent l’idée d’une segmen‑tation des établissements selon leur pratique de rotation de la main‑d’œuvre, des complémentari‑tés plus que des substitutions existant entre usage des ruptures de CDI et de CDD. Ce lien positif entre le recours aux CDD et l’usage des LMP ou encore des démissions, avait déjà été démontré au début des années 1990 pour les établissements de 50 salariés et plus, les auteurs interprétant ce lien comme la « conséquence d’un affaiblissement des relations d’emploi au sein de l’organisation » (le minez, maurin, 1994, p. 7). L’apparition de la rupture conventionnelle peut‑elle alors remettre en cause cette segmentation, en révélant des nouvelles opportunités de rupture pour les établissements qui n’avaient jusque‑là qu’une faible rotation de leur main‑d’œuvre ?

(24) Le taux de rotation est défini comme suit : (taux d’entrée + taux de sortie)/2. Pour les sorties de CDI, sont pris en compte les licenciements, les démissions, les départs à la retraite et les RC à partir de 2009.

Quels liens entre l’usage de la RC et les autres modes de gestion de la main-d’œuvre ?

Le tableau suivant résume les liens entre l’usage de la RC, tant en intensité qu’en recours, et les pratiques de licenciement, de démission et, plus largement, de rotation en CDI. De manière générale, il ressort des données un lien positif entre l’usage des ruptures de CDI déjà existantes et celui de la RC. Ce sont les catégories d’usage conjoint des deux motifs de licenciement, d’usage conjoint du licenciement et de la démission, et de taux de rota‑tion en CDI (hors RC) fort, qui ont un recours à la RC plus élevé. Au contraire, les établissements qui n’ont jamais recouru au LME et au LMP au cours d’une année donnée, ou même connu des démis‑sions, sont caractérisés par un recours plus faible à la RC.

Cependant, l’étude des liens de ces catégories d’établissements avec l’intensité de la RC nous invite à nuancer ces premiers constats (25). En effet, si l’on retrouve un tel lien positif entre le niveau de rotation en CDI qualifié de « fort » et le taux de RC pour les établissements utilisateurs, des taux de RC relativement élevés sont égale‑ment observés pour les établissements ayant une rotation en CDI faible, ou pour ceux n’ayant pas connu dans l’année ni démission ni licenciement (tous motifs confondus). Ce résultat étaierait l’ar‑gument selon lequel de nouvelles opportunités de rupture du CDI s’offriraient aux établissements jusqu’ici peu utilisateurs. Peut‑être la RC ne s’est‑elle pas seulement substituée à des ruptures déjà existantes, mais a‑t‑elle aussi permis la conclu‑sion de ruptures qui n’auraient sinon pas eu lieu. Un tel résultat rejoint celui d’une étude antérieure (signOrettO, 2013b).

L’introduction de la rupture convention‑nelle dans le paysage des ruptures du CDI n’a visiblement pas substantiellement modifié la segmentation des établissements selon leur niveau de rotation de la main‑d’œuvre en CDI, même si des pratiques différentes relatives à l’intensité à laquelle les établissements recourent à la RC sont observées. Du côté de l’usage des CDD, des tests supplémentaires non reproduits ici, ne montrent pas de différence significative des taux de rotation en CDD selon le recours ou non à la RC en 2009 et en 2010.

(25) La précision statistique de l’indicateur d’intensité de la RC n’étant pas toujours assurée, l’interprétation des résultats du tableau doit être réalisée en tenant compte des intervalles de confiance de la moyenne de ces taux.

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Tableau : Lien entre les ruptures du CDI déjà existantes (licenciements, démissions) et la RC

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licen

ciem

ent N’a jamais recouru ni au

LME ni au LMP 7,05 [6,9 ; 7,2] 13,9 [13,5 ; 14,4] 7,16 [7,0 ; 7,3] 18,3 [17,8 ; 18,8] 60 64

A recouru au moins une fois au LME sans jamais

recourir au LMP5,79 [5,5 ; 6,1] 15,7 [14,3 ; 17,2] 5,78 [5,4 ; 6,2] 24,1 [22,2 ; 26,0] 5 3

A recouru au moins une fois au LMP sans jamais

recourir au LME4,55 [4,5 ; 4,7] 20,2 [19,8 ; 20,7] 4,38 [4,3 ; 4,5] 27,3 [26,8 ; 27,8] 31 30

A recouru au moins une fois au LME et au LMP 5,81 [5,3 ; 6,3] 34,4 [33,1 ; 35,7] 6,86 [5,7 ; 8,1] 41,2 [39,6 ; 42,8] 4 3

Rec

ours

au

licen

ciem

ent e

t pr

ésen

ce d

e la

dém

issi

on

N’a jamais connu ni de démission ni de

licenciement7,67 [7,4 ; 7,9] 13,2 [12,5 ; 13,9] 7,94 [7,6 ; 8,3] 15,3 [14,5 ; 16,0] 30 29

A connu au moins une fois une démission sans jamais recourir au licenciement

6,48 [6,3 ; 6,7] 14,6 [14,0 ; 15,2] 6,67 [6,5 ; 6,8] 20,9 [20,3 ; 21,6] 30 34

A recouru au moins une fois au licenciement sans jamais avoir connu une

démission

5,89 [5,7 ; 6,1] 15,1 [14,6 ; 16,0] 6,02 [5,8 ; 6,3] 19,1 [17,9 ; 20,1] 13 10

A connu au moins une fois une démission et un

licenciement4,58 [4,5 ; 4,7] 24,0 [23,5 ; 24,4] 4,51 [4,3 ; 4,7] 31,6 [31,1 ; 32,2] 27 26

Taux

de

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tion

en C

DI (

hors

RC

)

Faible 5,86 [5,7 ; 6,0] 13,9 [13,3 ; 14,5] 5,45 [5,3 ; 5,6] 16,3 [15,7 ; 16,9] 25 25

Moyen 5,22 [5,1 ; 5,3] 17,2 [16,8 ; 17,6] 4,94 [4,9 ; 5,0] 22,1 [21,6 ; 22,6] 50 50

Fort 7,30 [7,0 ; 7,6] 19,0 [18,3 ; 19,7] 8,20 [7,8 ; 8,6] 27,1 [26,3 ; 28,0] 25 25

Ensemble 6 [5,9 ; 6,1] 17 [16,5 ; 17,1] 6 [5,9 ; 6,2] 22 [21,6 ; 22,2] 100 100

Note : Seules les années 2009 et 2010 sont représentées dans le tableau. La RC n’a commencé à être effective qu’à partir du milieu de l’année 2008 ; par conséquent, nous ne disposons pas de données permettant une bonne représentativité des pratiques des établissements cette année-là.

Champ : Établissements de dix salariés ou plus du secteur concurrentiel (hors agricole) de la France métropolitaine.

Source : Calculs de l’auteure à partir des EMMO-DMMO, Dares, données pondérées.

Cette approche par un usage de l’ensemble des modes de rupture du CDI mis en lien avec le recours aux CDD montre qu’en réalité c’est pour un groupe particulier d’établissements, caractérisés par un fort taux de rotation (en CDI et en CDD), que les pratiques de gestion de la main‑d’œuvre semblent particulièrement sensibles aux règles juridiques encadrant les modes de rupture du CDI. Cette segmentation des établissements pourrait être ultérieurement précisée en fonction du secteur d’activité (26), ainsi que de la situation économique, car ces facteurs pourraient expliquer un besoin de rotation de la main‑d’œuvre plus fort dans certains établissements.

(26) BOurieau et al. (2014) montrent notamment que le secteur du tertiaire est caractérisé par un taux de rotation largement supérieur aux deux autres secteurs.

* * *

La focalisation sur l’évolution opposée des deux motifs de licenciement comme fait principal diffusé dans la littérature économique sur l’usage des règles de protection de l’emploi à durée indéterminée ne semble pas justifiée. En effet, elle apparaît seule‑ment sur une courte période et n’est plus visible quand on élargit la fenêtre d’observation. Mais surtout, elle masque un autre phénomène qui constitue la régularité empirique principale des trois dernières décennies : le recours au licenciement pour motif économique, comme forme juridique de rupture, est en baisse continue sur longue période et ne concerne plus qu’une minorité d’établissements. Si des difficultés d’identification statistique dans les sources de données peuvent expliquer une partie de cette baisse, c’est surtout des changements de pratiques de gestion de la main‑d’œuvre en matière

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de suppressions d’emplois qui sont à l’œuvre. Or, cette diversité des ruptures pour motif économique résulte d’un usage par les employeurs de dispositifs légaux (27) ou de possibilités reconnues par la juris‑prudence (28), et non d’un contournement de règles juridiques. C’est dans cette même logique que l’usage de la rupture conventionnelle par les employeurs et les salariés doit être analysé. Apparaissant parfois plus opportune aux employeurs et/ou aux salariés, elle peut se substituer aux autres modes de rupture du CDI – sans que l’on puisse estimer toutefois dans quelle proportion – puisqu’elle a élargi les possibilités offertes par la loi en la matière. Plus généralement, la prise en compte de l’ensemble des modes de rupture du CDI et de leurs interactions

(27) Tels les dispositifs d’accompagnement des restructu‑rations, les résiliations amiables pour motif économique, les préretraites.(28) Comme la reconnaissance de la licéité des ruptures conventionnelles pour une « cause économique ».

a permis d’identifier des pratiques segmentées d’employeurs : ce sont les mêmes établissements caractérisés par une présence forte de démissions qui licencient et concluent plus souvent des ruptures conventionnelles. L’usage des règles juridiques de rupture du CDI impacte d’abord ces établissements qui ont vraisemblablement besoin d’une rotation de la main‑d’œuvre plus forte que d’autres, ce qui pourrait s’expliquer par un environnement écono‑mique plus fluctuant ou une volatilité sectorielle de la demande plus forte. Ce résultat incite à creuser ce que révèle plus précisément cette segmentation des établissements en fonction de la manière dont ils mettent en œuvre leur politique de gestion des ressources humaines.

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LeS prAtiqueS deS employeurS eN mAtière de rupture du cdi

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Annexe

Tableau : Recours et intensité de l’usage des licenciements et des démissions entre 1997 et 2010 par secteur d’activité

En % Industrie Construction Tertiaire Ensemble Évolution sans

changement de structure

1997 2010 Évolution 1997 2010 Évolution 1997 2010 Évolution 1997 2010 Évolution

Licenciement pour motif économiqueIntensité (si recours) 10,01 10,98 10 %* 10,94 11,66 7 %* 10,05 9,42 ‑6 %* 10,15 10,07 ‑1 %* ‑1 %Recours 18,1 11,0 ‑39 % 17,1 5,1 ‑70 % 12,2 5,2 ‑57 % 14,2 6,2 ‑56 % ‑53 %Licenciement pour motif personnelIntensité (si recours) 5,01 4,66 ‑7 % 6,99 6,67 ‑5 %* 7,14 6,84 ‑4 % 6,56 6,46 ‑2 %* ‑4 %Recours 31,9 34,0 6 % 27,2 35,1 29 % 28,9 32,8 13 % 29,5 33,2 13 % 13 %DémissionIntensité (si présence) 8,59 8,46 ‑1 %* 10,31 9,17 ‑11 % 14,68 13,10 ‑11 % 12,85 12,02 ‑6 % ‑10 %Présence 51,6 54,6 6 % 48,9 58,1 19 % 55,3 62,4 13 % 53,7 60,7 13 % 12 %Part du secteur d’activité 24 16 ‑33 % 10 11 5 % 65 73 11 %

Note : * signifie que l’évolution ne semble pas significative au regard des intervalles de confiance à 90 % des moyennes entre les deux années correspondantes.

Champ : Établissements de dix salariés ou plus du secteur concurrentiel (hors agricole) de la France métropolitaine.

Source : Calculs de l’auteure à partir des EMMO-DMMO, Dares, données pondérées.

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Travail et Emploi142  (avril-juin 2015)Les institutions du travail : quelles réévaluations ?

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Bruno Amable et Baptiste Françon

Quels effets des baisses de duréed’indemnisation sur la durée dechômage et le type d’emploi repris ?Le cas des lois Hartz................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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Référence électroniqueBruno Amable et Baptiste Françon, « Quels effets des baisses de durée d’indemnisation sur la durée de chômage etle type d’emploi repris ? », Travail et Emploi [En ligne], 142 | avril-juin 2015, mis en ligne le 01 avril 2017, consultéle 19 janvier 2016. URL : http://travailemploi.revues.org/6648

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Quels effets des baisses de durée d’indemnisation sur la durée de chômage et le type d’emploi

repris ? Le cas des lois Hartz (*)

Bruno Amable (**), Baptiste Françon (***)

Dans cet article, nous analysons les effets microéconomiques de l’une des mesures phares des réformes allemandes Hartz (2003-2005), à savoir la réduction de la durée d’indemnisation du chômage pour les chômeurs de plus de 45 ans. Nous étudions deux effets potentiels de cette mesure : sur le taux de reprise d’emploi, mais aussi sur le type d’emploi repris (stabilité de l’emploi retrouvé et type de contrats de travail). À partir d’une estimation en différence-de-différences, nous montrons que les effets de cette mesure ont été relativement limités. En ce qui concerne le taux de reprise d’emploi, seuls les chômeurs d’un certain groupe d’âge (de 55 à 59 ans) ont été significativement affectés par la réforme. Des éléments indiquent que cet effet est lié à l’utilisation antérieure par ce groupe de chômeurs de la filière d’indemnisation chômage comme d’une passerelle vers la retraite anticipée. En complément, nous mettons en évidence certains effets négatifs de la réforme sur la qualité de l’emploi repris.

Dans le contexte actuel de crise économique, l’Allemagne est couramment présentée dans le débat public comme un modèle à suivre pour les autres pays européens. Ses bonnes performances en matière d’emploi sont souvent attribuées à l’en‑semble des mesures mises en œuvre par la coalition SPD (1)‑Verts entre 2003 et 2005, communément appelées « réformes Hartz » (Kramarz et al., 2012 ; OECD, 2012). Ces réformes structurelles ont profondément transformé le système allemand d’in‑demnisation du chômage et son administration, tout en apportant des changements de moindre impor‑tance à la législation protectrice de l’emploi : elles ont notamment conduit à des coupes substantielles dans les indemnités de chômage et accru la pression à la reprise d’emploi sur les chômeurs.

Les approches les plus courantes en économie considèrent que de telles mesures devraient conduire à une baisse du chômage en diminuant le salaire de réserve des personnes employées et en accroissant les incitations à la reprise d’emploi des chômeurs. Selon cette conception, des indemnités généreuses réduisent les incitations à travailler parce qu’elles modifient les termes de l’arbitrage travail‑loisirs. De plus, elles

(*) Les auteurs remercient l’équipe SOEP du DIW de Berlin, en particulier Luke Haywood et Martin Kroh, pour leurs remarques et conseils.(**) Paris School of Economics – Université Paris‑1 Panthéon‑Sorbonne ; Cepremap (Centre pour la recherche économique et ses applications) ; bruno.amable@univ‑paris1.fr(***) Beta (Bureau d’économie théorique et appliquée, UMR 7522), université de Lorraine, Centre d’études de l’emploi ; baptiste.francon@univ‑lorraine.fr(1) Sozialdemokratische Partei Deutschlands : parti social- démocrate.

conduisent les chômeurs à différer leur retour sur le marché du travail dans l’attente d’une meilleure offre d’emploi, comme le prédisent les théories standard de l’appariement (mOrtensen, 1986 ; pissarides, 2000). Une diminution de la générosité de l’indemni‑sation devrait donc écourter la durée des périodes de chômage, mais elle devrait en même temps avoir un effet négatif sur la qualité de l’emploi repris en obli‑geant les chômeurs à accepter des emplois n’utilisant pas nécessairement au mieux leurs compétences. La productivité des travailleurs pourrait s’en ressentir et l’emploi pourrait être moins durable. Ce méca‑nisme pourrait être particulièrement marqué dans le contexte allemand, où les compétences des travail‑leurs ont la propriété d’être très spécifiques (hall, sOsKiCe, 2001) : le nombre des emplois qui corres‑pondent à des compétences données y est plus limité que dans des systèmes où la productivité repose sur les compétences générales des travailleurs (iversen, sOsKiCe, 2001). Les baisses de l’indemnisation pour‑raient avoir à terme des conséquences négatives sur le bien‑être des salariés, en les contraignant à reprendre des emplois de moindre qualité.

Cet article se concentre sur une des mesures majeures des réformes Hartz, la diminution de la durée maximale des prestations d’assurance‑chômage pour les plus de 45 ans. Nous utilisons sa configuration particulière pour évaluer ses effets causaux sur le taux de reprise d’emploi et le type d’emploi repris avec une estimation en différence‑de‑différences à l’aide du panel socio‑économique allemand (SOEP). Les résultats des modèles de durée montrent que cette mesure a eu un effet limité sur la reprise d’emploi des chômeurs. Cet effet a en fait été concentré sur un groupe d’âge spécifique

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(les 55 à 59 ans), qui utilisait précédemment l’assu‑rance‑chômage comme passerelle vers une retraite anticipée.

De plus, nous analysons l’impact potentiel de cette mesure sur la qualité de la reprise d’emploi en prenant en compte une mesure de la qualité de l’ap‑pariement, la stabilité de l’emploi retrouvé, et une mesure de la qualité de l’emploi repris, le type de contrat de travail. Nous trouvons ainsi que la durée de réemploi a significativement et spécifiquement augmenté pour le groupe des 55‑59 ans. Bien que notre résultat contredise les théories de l’apparie‑ment, il corrobore notre affirmation selon laquelle l’un des effets majeurs de la mesure a été de retarder la sortie du marché du travail pour cette catégorie d’âge. Par ailleurs, des effets négatifs de la réforme sur le retour à l’emploi sont mis en évidence, notam‑ment chez les femmes âgées de 50 à 59 ans, qui ont connu des sorties plus fréquentes vers l’emploi atypique.

L’article propose tout d’abord une présentation synthétique des réformes Hartz puis des principaux résultats de la littérature consacrée aux effets micro‑économiques de la générosité de l’indemnisation du chômage. La mesure de réduction de la durée maxi‑male d’indemnisation et la stratégie d’estimation sont ensuite exposées avant les principaux résultats obtenus.

Les réformes Hartz : présentation et premières évaluations

Les réformes Hartz consistent en quatre trains de mesures (Chagny, 2005). Elles impliquent des changements substantiels dans divers domaines de la politique de l’emploi, comme la réorganisation administrative de l’agence fédérale pour l’emploi ou l’introduction de nouveaux dispositifs d’emplois subventionnés (les Ein-Euro-Jobs) ou l’auto‑entre‑preunariat (Ich-AG). Le droit du travail a également été modifié, avec la flexibilisation du recours aux mini-jobs et l’introduction des midi-jobs (2). Dans cet article nous nous concentrons sur les effets poten‑tiels d’une des mesures du volet Hartz IV adopté en janvier 2005, qui implique une baisse significative de la générosité de l’indemnisation du chômage.

Avant Hartz IV, le système d’indemnisation du chômage allemand était organisé autour de trois dispositifs. Les chômeurs éligibles sur la base

(2) Les mini-jobs sont des contrats de travail atypiques, le plus souvent à temps partiel, où la rémunération est limitée à 400 € mensuels. Ils sont partiellement exonérés de taxes et de coti‑sations et ouvrent des droits limités à la protection sociale (et aucun droit à l’assurance‑chômage). Les midi-jobs concernent des emplois rémunérés de 400 € à 800 € mensuels, là aussi partiellement exonérés de cotisations mais dans une proportion moindre.

de leurs cotisations passées avaient droit à des indemnités proportionnelles à leur revenu anté‑rieur, qui provenaient de l’assurance‑chômage (Arbeitslosengeld I). Une fois leurs droits épuisés, ils pouvaient toujours bénéficier d’une indemnité proportionnelle à leur revenu antérieur provenant de l’assistance‑chômage : cependant, le taux de remplacement de cette prestation était inférieur et dégressif dans le temps (Arbeitslosenhilfe). Enfin, les chômeurs sans droits à l’assurance‑chômage recevaient une prestation d’assistance forfaitaire soumise à conditions de ressources (Sozialhilfe). Avec la réforme Hartz IV, l’assistance‑chômage a été fusionnée avec l’aide sociale pour créer une nouvelle indemnité forfaitaire sous conditions de ressources (Arbeitslosengeld II). Cette fusion implique des baisses significatives de l’indem‑nisation pour à peu près deux tiers des chômeurs dépendant précédemment des deux dispositifs fusionnés (gOeBel, riChter, 2007). Le nouveau mécanisme est particulièrement défavorable aux anciens bénéficiaires de l’assistance-chômage, qui représentaient à peu près la moitié des chômeurs indemnisés en 2003 (Chagny, 2005), puisque les indemnités du nouveau dispositif ne sont plus proportionnelles aux revenus antérieurs. De plus, la définition des emplois acceptables a été révisée, avec la suppression de la référence au salaire conventionnel et un durcissement des critères de distance géographique. Si les anciens bénéficiaires de l’aide sociale ont pour leur part pu profiter de gains monétaires grâce à la réforme, ceux‑ci ont été marginaux dans la plupart des cas car ils n’ont fait que compenser la suppression des aides ponctuelles pour l’achat de biens de consommation durables. Par ailleurs, ces bénéficiaires ont vu leur situation se dégrader sur d’autres fronts. Par exemple, beau‑coup des bénéficiaires de l’aide sociale n’ont plus été exemptés de recherche d’emploi et les sanctions en cas de refus d’offre d’emploi ont été renforcées.

Les lois Hartz IV ont également modifié les règles régissant l’assurance‑chômage (Arbeitslosengeld I). Les contributions prises en compte dans l’ouverture de droits y sont calculées sur les deux ans précé‑dant la perte d’emploi, contre trois ans auparavant. Parallèlement, une mesure majeure, qui est l’objet de cet article, a consisté à réduire la durée maximale d’indemnisation pour les chômeurs de plus de 45 ans, cette durée ne pouvant excéder plus de 18 mois, contre 36 mois précédemment (3). Pour les chômeurs sans attaches familiales, la référence à la distance géographique a été supprimée de la définition de l’emploi acceptable après quatre mois de chômage et la charge de la preuve du caractère non acceptable d’un emploi incombe au chômeur dans le nouveau cadre réglementaire. En résumé, la capacité de

(3) Ces deux mesures ont été adoptées en même temps que le volet Hartz IV mais mises en œuvre ultérieurement, en février 2006.

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EFFETS DES BAISSES DE DURÉE D'INDEMNISATION (LOIS HARTZ) EN ALLEMAGNE

l’indemnisation à offrir un salaire de remplacement généreux aux salariés a été drastiquement diminuée suite à la réforme, ce qui devrait, selon la concep‑tion économique traditionnelle, favoriser le retour rapide vers l’emploi.

Certains travaux ont analysé l’influence macro‑économique des réformes Hartz sur l’évolution du chômage, l’un des objectifs des réformes étant d’améliorer l’appariement entre emplois vacants et demandes d’emploi.

Matthias S. hertWeCK et Oliver sigrist (2012) utilisent les données du panel SOEP pour quanti‑fier les sorties du chômage vers l’emploi et l’effet des réformes sur l’appariement. Ils estiment que la mise en œuvre des réformes a amélioré l’impact du taux de retour à l’emploi sur l’évolution du chômage global, témoignant d’un meilleur appa‑riement. René Fahr et Uwe sunde (2009) trouvent aussi que les premières réformes Hartz ont amélioré l’appariement, avec des effets différenciés selon les secteurs, les effets les plus importants se trouvant dans l’industrie.

sabine Klinger et Thomas rOthe (2012) observent un effet positif des trois premières réformes Hartz sur l’appariement et le chômage, mais un effet négatif de la réforme Hartz IV sur l’emploi, en quantité comme en qualité. Wolfgang nagl et Michael WeBer (2014) estiment l’effet de Hartz IV sur un grand échantillon d’épisodes d’em‑ploi et de chômage entre 1975 et 2010 et concluent que la probabilité moyenne de retrouver un emploi a augmenté de 24 % après la réforme. Ils constatent que les hommes ont été moins affectés que les femmes et les habitants de l’Ouest, moins que ceux de l’Est. Toutefois, l’effet de la réforme semble négligeable pour les chômeurs de longue durée.

Pour Metin aKyOl et ses coauteurs (2013), les réformes Hartz ne sont pas responsables de l’amélioration de l’emploi en Allemagne. C’est le phénomène de « modération salariale » – en fait la quasi‑stagnation du salaire réel moyen du fait des changements intervenus dans la structure des négo‑ciations salariales en Allemagne (désyndicalisation, sortie des entreprises de la couverture conven‑tionnelle, etc.) et dans la stratégie des syndicats (acceptation de la stagnation des rémunérations pour préserver la compétitivité‑prix de l’industrie allemande et l’emploi) – amorcé avant les réformes Hartz, qui explique la performance de l’emploi. De même, Marco CaliendO et Katharina WrOhliCh (2010) concluent à l’inefficacité des mini-jobs dans les incitations à la reprise d’emploi tandis que Katrin hOhmeyer et Joachim WOlFF (2012) estiment qu’ils n’ont un effet que sur les chômeurs de longue durée.

Comme on le voit, les études empiriques peinent à déboucher sur une conclusion sans ambiguïté quant à l’existence d’effets positifs ou négatifs des réformes Hartz.

Générosité de l’indemnisation, durée de chômage et qualité de l’appariement sur le marché du travail : des études empiriques contrastées

Il existe une abondante littérature empirique sur les effets microéconomiques de la générosité de l’indemnisation du chômage. Traditionnellement, ces évaluations se concentrent sur les effets quanti‑tatifs d’une variation de la générosité des prestations sur le temps passé au chômage. Leur hypothèse de base est que l’assurance‑chômage réduit les incita‑tions pour les demandeurs d’emploi à rechercher activement un emploi, ce qui conduit à de plus longs épisodes de chômage. La plupart d’entre elles utilisent des changements de politique ou des discontinuités comme des expériences naturelles pour isoler l’impact causal de la variation de la durée potentielle d’indemnisation ou du niveau des prestations. Elles mettent généralement en avant des résultats en accord avec les prédictions théoriques sur les effets néfastes de prestations généreuses.

Dans un article précurseur, Lawrence F. Katz et Bruce D. meyer (1990) utilisent les différences dans la durée de l’indemnisation potentielle aux États‑Unis et trouvent des effets de désincitation significatifs et substantiels. Cependant, l’ampleur de ces effets a été contestée par des recherches ulté‑rieures. David Card et Phillip B. levine (2000), notamment, ont soulevé la question du biais d’endo‑généité de la politique, lié au fait que les réformes des prestations sont souvent ciblées sur des individus qui ont des perspectives d’emploi parti‑culièrement mauvaises. En exploitant une variation exogène dans la durée des prestations dans le New Jersey où un tel biais d’endogénéité serait absent, ils trouvent cependant que la durée d’indemnisation augmente de manière significative la durée de l’épi‑sode de chômage, mais avec un effet d’une ampleur comparable aux études antérieures (4).

Certaines études ont spécifiquement traité de l’impact de l’assurance‑chômage en Allemagne. Jennifer hunt (1995) a ainsi analysé l’impact de l’extension de la durée de l’indemnisation poten‑tielle pour les chômeurs âgés de plus de 42 ans dans les années 1980. Sa stratégie empirique est très

(4) Dans une analyse de la réforme de 1989 de l’assurance‑chômage en Autriche, pays qui partage plus de similitudes avec l’Allemagne que les États‑Unis, les résultats de Rafael lalive et de ses coauteurs (2006) suggèrent pourtant que l’ampleur des effets, bien que significative, est plus faible si l’on corrige du biais d’endogénéité de la réforme. Ils trouvent notamment qu’une semaine supplémentaire de durée des pres‑tations entraîne une augmentation de 0,05 semaine de la durée du chômage, tandis que l’impact marginal de l’augmentation d’un point de pourcentage du taux de remplacement conduit à une augmentation de 0,15 semaine de la durée du chômage.

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similaire à celle utilisée dans cet article, puisqu’elle est également fondée sur des estimateurs en diffé‑rence‑de‑différences appliqués aux données du SOEP. Elle trouve notamment que de plus longues périodes d’indemnisation ont un impact négatif significatif sur le taux de reprise d’emploi des chômeurs. Dans une évaluation plus récente de cette réforme, Bernd FitzenBerger et Ralf A. WilKe (2010) donnent des résultats en contradiction avec hunt (1995). À partir de données administra‑tives, ils ne constatent pas d’impact de l’extension de la période d’indemnisation sur les épisodes de chômage qui débouchent sur un nouvel emploi. En outre, ils montrent que cette extension était en fait utilisée par les entreprises et les travailleurs âgés dans le cadre de régimes de retraite anticipée, ce qui est concordant avec les résultats présentés dans notre article.

À côté des effets dissuasifs, des contributions théoriques ont par ailleurs souligné l’importance de l’indemnisation du chômage pour améliorer l’effi‑cacité du processus d’appariement sur le marché du travail. Dans ce cadre théorique, des prestations plus généreuses donnent aux travailleurs la possibi‑lité d’attendre des emplois qui correspondent mieux à leurs compétences (JOvanOviC, 1979 ; marimOn, ziliBOtti, 1999) (5). Par conséquent, cela devrait se refléter dans le type d’emploi repris. Des prestations plus généreuses devraient améliorer la qualité de l’appariement, augmentant ainsi la productivité et la stabilité de l’emploi retrouvé. Les études empiriques sur ces effets présentent des résultats contrastés. John T. addisOn et McKinley L. BlaCKBurn (2000) trouvent des effets faibles de la générosité de l’in‑demnisation sur les salaires de réemploi pour les États‑Unis, tandis que Card et ses coauteurs (2007) ne constatent aucun effet sur les salaires de réem‑ploi ou la stabilité de l’emploi à partir de données autrichiennes. En utilisant un panel de huit pays européens, Konstantinos tatsiramOs (2009) pointe, pour sa part, un effet positif d’une indemnisation plus généreuse sur la stabilité de l’emploi ulté‑rieur. Pour l’Allemagne, CaliendO et ses coauteurs (2013) utilisent la discontinuité dans les prestations de chômage autour de 45 ans (avant la réforme Hartz IV, voir tableau 1) pour identifier les caracté‑ristiques de l’emploi retrouvé. Ils trouvent un effet positif de la plus longue durée d’indemnisation sur le niveau des salaires et sur la stabilité de l’emploi repris. Au contraire, FitzenBerger et WilKe (2010) observent que les réformes des années 1980 n’ont amélioré ni les salaires de réemploi, ni la stabilité de l’emploi retrouvé.

(5) Voir aussi aCemOglu, shimer (2000). Dans cet article, les auteurs fournissent un cadre théorique où la générosité des pres‑tations augmente les incitations pour les chômeurs à attendre des emplois à salaires élevés, ce qui augmente les incitations pour les entreprises à proposer de tels emplois.

Une analyse en différence-de-différences sur des données du panel socio-économique allemand

Le cadre institutionnel

Le tableau 1 présente la baisse de la durée d’in‑demnisation potentielle du chômage induite par la réforme Hartz IV. Cette mesure, mise en place en février 2006, a ciblé les chômeurs âgés de 45 ans ou plus qui avaient déjà bénéficié d’une plus longue durée d’indemnisation. Son impact sur la générosité des prestations a été très sensible, la durée des prestations maximales étant diminuée de plus de moitié pour certains groupes d’âge (de 52 à 54 ans), avec des réductions de durée allant de 6 à 14 mois. En janvier 2008, la durée potentielle de l’indemnisation a été réétendue de 3 à 6 mois pour certains groupes d’âge par la Grande Coalition (6), en réaction à la crise de 2007. Cependant, elle est restée nettement inférieure à son niveau d’origine (antérieur à 2006).

Tableau 1 : Résumé des modifications institutionnelles concernant la durée d’indemnisation

de l’assurance-chômage

Groupe d’âge

Durée maximale d’indemnisation en moisDu 1er janvier

1997 au 31 janvier 2006

Du 1er février 2006 au

31 décembre 2007

Depuis le 1er janvier

2008Moins de 45 ans 12 12 12

45-46 18 12 1247-49 22 12 1250-51 22 12 1552-54 26 12 1555-56 26 18 1857 32 18 1858 ou plus 32 18 24

Lecture : Ce tableau indique la durée maximale d’indemnisation de l’assurance-chômage selon l’âge et la date d’entrée au chômage, exprimée en mois. Il indique par exemple que les 52-54 ans bénéfi-ciaient d’une durée maximale de 26 mois jusqu’en janvier 2006, puis de 12 mois jusqu’en décembre 2007, et enfin, de 15 mois au-delà.

Source : Législation en vigueur en Allemagne entre 1997 et 2008 ; présentation des auteurs.

Comme mentionné précédemment, les longues durées d’indemnisation offertes par l’assurance‑chômage étaient couramment utilisées comme un dispositif de préretraite depuis les années 1980. Une telle pratique était d’abord le résultat de la gestion des travailleurs âgés par les entreprises allemandes, qui pouvaient facilement négocier le licenciement de ces salariés moins productifs en transférant leur coût sur l’assurance‑chômage. Dans cette optique, les entreprises profitaient jusque dans les années 2000 d’un environnement réglementaire particulièrement favorable (müller

(6) Il s’agit de la coalition gouvernementale réunissant conser‑vateurs (CDU/CSU) et sociaux‑démocrates (SPD).

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EFFETS DES BAISSES DE DURÉE D'INDEMNISATION (LOIS HARTZ) EN ALLEMAGNE

et al., 2007). La législation offrait la possibilité aux salariés ayant suffisamment cotisé et ayant déjà connu au moins un an de chômage de partir en retraite anticipée sans décote à partir de 60 ans, en dépit d’un âge légal de la retraite de 65 ans alors en vigueur en Allemagne. Par conséquent, les sala‑riés éligibles à la durée maximale d’indemnisation de l’assurance‑chômage pouvaient potentiellement se retirer du marché du travail dès l’âge de 57 ans et 5 mois, le dispositif de préretraite prenant le relais des allocations chômage après épuisement des 32 mois d’indemnisation à 60 ans. La sortie du marché du travail pouvait éventuellement s’effec‑tuer encore plus tôt avant les années 2000, puisque les chômeurs bénéficiaient encore de l’indemnisa‑tion proportionnelle aux revenus antérieurs fournie par l’assistance‑chômage (à un taux de remplace‑ment plus faible cependant) après épuisement des droits à l’assurance, tout en étant exemptés de l’obligation de recherche active d’emploi à partir de l’âge de 58 ans.

L’ensemble de ces réglementations a été progressivement durci depuis les années 1990, avec l’objectif de rendre les stratégies de retraite anticipée moins attrayantes pour les salariés. Tout d’abord, une décote a progressivement été intro‑duite de 1997 à 2004 pour les personnes prenant leur retraite avant l’âge légal de 65 ans. À l’issue de cette réforme, un salarié partant en retraite anticipée se voyait imposer une décote de 3,6 % sur sa pension pour chaque année le séparant de l’âge légal de 65 ans. Ainsi, les personnes entrant au chômage à l’âge de 57 ans et 5 mois pouvaient encore profiter de la retraite anticipée à 60 ans après épuisement des prestations, mais avec une réduc‑tion de leur pension de 18 %. Pourtant, en dépit de ce durcissement, Stephan dlugOsz et ses coau‑teurs (2009) montrent que les sorties du marché du travail dès l’âge de 57‑58 ans étaient encore fréquentes jusqu’à la réforme de l’assurance‑chômage de 2006. Plus récemment, c’est l’âge minimum de la retraite anticipée qui a progressi‑vement été relevé de 60 à 63 ans sur une période s’étalant de 2006 à 2012. Combiné à la baisse de durée d’indemnisation de l’assurance‑chômage, ce changement a considérablement réduit la capa‑cité des travailleurs âgés à sortir prématurément du marché du travail. S’il ne veut pas tomber dans le dispositif d’assistance, un préretraité ne peut désormais transiter par l’assurance‑chômage qu’à partir de l’âge de 61 ans : il touchera alors une pension de retraite à 63 ans avec une décote de 7,2 %.

L’échantillon et les variables

L’échantillon utilisé dans l’analyse empirique est composé de 6 036 épisodes de chômage issus des vagues 1997 à 2009 du panel socio‑économique

allemand (SOEP) (7). Il s’agit de l’ensemble des épisodes pour lesquels on observe une entrée au chômage (c’est‑à‑dire non censurés à gauche) à une date postérieure (ou égale) à janvier 1997 (8). Dans ce panel longitudinal, les individus fournissent des informations relatives à leurs caractéristiques socio‑économiques au moment de l’entretien. Ils remplissent également un calendrier rétrospec‑tif indiquant leur statut sur le marché du travail pour chaque mois de l’année précédente, à partir duquel sont construits les épisodes de chômage. Les personnes cochant la case « inscrit au chômage » (c’est‑à‑dire au bureau de l’emploi) sont consi‑dérées comme des chômeurs, à moins qu’ils ne signalent par ailleurs exercer une activité, même réduite (mini-job par exemple) (9).

Nous nous concentrons d’abord sur les reprises d’emploi par ces chômeurs, sans distinction de contrats de travail (emplois à temps plein, à temps partiel ou mini-jobs). Par ailleurs, les sorties vers l’inactivité et la retraite sont traitées comme des risques concurrents. Les épisodes de chômage qui se terminent de cette façon sont donc codés comme censurés à droite (10). De même, les chômeurs ayant atteint l’âge légal de la retraite à 65 ans au cours de la période sont censurés à droite, tandis que les chômeurs de 60 ans ou plus sont retirés de l’échantillon.

Dans un deuxième temps, nous étudions les effets potentiels de la réforme sur deux caractéristiques de la sortie du chômage. Nous analysons en premier lieu l’impact de la réforme sur la stabilité de l’emploi, mesurée par le temps passé dans le premier emploi à la sortie du chômage. C’est une mesure classique de la qualité d’appariement, puisqu’une séparation rapide indique potentiellement que les compétences du travailleur étaient mal adaptées à son nouveau poste. Les entretiens annuels nous permettent égale‑ment de disposer d’informations plus précises sur le type d’emploi retrouvé. La caractéristique que nous étudions est le type de contrat pour l’emploi repris : emploi à temps plein, à temps partiel ou mini-job. L’idée ici est de voir si les réductions de durée d’in‑demnisation ont eu pour effet de favoriser l’emploi atypique.

(7) Le SOEP est une base de données longitudinale produite par le Deutsches Institut für Wirtschaftsforschung (DIW) de Berlin. Il donne des informations sur le profil familial, professionnel et économique d’un panel représentatif de ménages allemands. Voir le tableau en annexe pour les statistiques descriptives sur notre échantillon.(8) Les règles d’indemnisation étaient différentes avant cette date.(9) En cela, la définition du chômage retenue se rapproche de celle du Bureau international du travail (BIT).(10) Les sorties vers l’inactivité et la retraite représentent moins d’un tiers des sorties totales (voir tableau 2). Par ailleurs, nous n’observons pas le type de sortie pour environ 15 % de tous les épisodes de chômage en raison de l’attrition.

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Stratégie d’identification

Notre stratégie d’identification de l’impact de la mesure repose sur une estimation en différence‑de‑différences. Cette méthode est bien adaptée pour identifier l’impact causal de changements de législation où seule une partie de la population est affectée par le changement de la loi, ce qui est le cas de la baisse de durée d’indemnisation qui a unique‑ment touché les chômeurs âgés de 45 ans ou plus. Selon cette méthode, les chômeurs sont répartis en groupe de traitement et groupe de contrôle à l’aide d’une variable indicatrice. Les individus traités sont la fraction de la population touchée par la baisse de durée d’indemnisation, tandis que le groupe de contrôle n’a pas été affecté par la réforme. Nous comparons ensuite l’évolution de nos variables d’intérêt pour le groupe des traités et le groupe de contrôle avant et après la mise en œuvre de la réforme. Si le groupe traité a connu une plus grande variation pour l’une de ces variables par rapport au groupe de contrôle, la différence est attribuée à l’effet de la réforme.

Par conséquent, l’estimation en différence‑de‑différences repose sur l’hypothèse d’identification selon laquelle les caractéristiques (ou tendances) des sorties vers l’emploi auraient été les mêmes pour le groupe de contrôle et le groupe traité en l’ab‑sence d’un changement dans la loi. En particulier, cela implique que le contexte macroéconomique ou d’autres modifications de la législation ont eu un impact similaire sur les deux groupes avant et après la mise en œuvre de la réforme. Afin de rendre cette hypothèse de « tendances communes » plus raisonnable, nous limitons notre groupe de contrôle aux personnes âgées de 35 à 44 ans. En effet, les chômeurs plus jeunes sont potentiellement encore proches du système éducatif, les Allemands entrant sur le marché du travail à un âge relativement élevé, et sont donc plus susceptibles de sortir temporai‑rement du marché du travail en cas de contexte macroéconomique défavorable.

Dans notre analyse empirique, nous examinons d’abord l’impact de la réforme sur le taux de retour à l’emploi des chômeurs. Dans sa forme la plus restreinte, notre stratégie d’estimation repose sur le risque de transition chômage‑emploi suivant (à un moment de la période de chômage) :

Insérer illustration no 22

où Χ est un vecteur de variables explicatives et λ0(t) le risque de base. Formellement, l’effet de la politique est donné par β12, le terme d’interaction entre une variable indicatrice Hartz prenant la valeur un pour les épisodes de chômage ayant débuté après la mise en œuvre de la réforme en février 2006 (zéro sinon) et une variable indicatrice (Âge ≥ 45) prenant la valeur

un pour le groupe de traitement (zéro sinon) (11). Les variables explicatives sont des variables socio‑démographiques usuelles : sexe, état matrimonial, nationalité allemande ou non, résidence dans les nouveaux Länder (ancienne Allemagne de l’Est) ou non. Elles comprennent également une variable catégorielle pour le plus haut diplôme obtenu, le nombre d’épisodes de chômage observés depuis l’entrée dans le panel et des indicatrices d’années pour contrôler des fluctuations économiques (12).

Pour estimer précisément les effets marginaux des coupes dans la durée d’indemnisation, on pourrait idéalement construire des indicatrices de traitement distinctes selon l’âge au sein des traités, puisque les différentes classes d’âge parmi les plus de 45 ans ont été diversement affectées par la réforme. En outre, on pourrait utiliser différentes indicatrices de la période de traitement pour prendre en compte le fait que la réforme de 2008 a modéré les coupes initiales prévues par Hartz IV pour certains groupes d’âge. Cela nécessiterait l’estimation de 10 termes d’interaction distincts (voir tableau 1). Ce n’est pas la stratégie que nous suivons ici car nous souhai‑tons garder une taille d’échantillon raisonnable pour chaque groupe de traitement (13). Néanmoins, pour tenir compte du fait que les effets des réductions peuvent différer selon les groupes d’âge, notam‑ment en raison des pratiques de retraite anticipée observées chez certains chômeurs, nous divisons les chômeurs traités en trois groupes d’âge de cinq ans, ce qui conduit à estimer l’équation suivante :

Insérer illustration n° 25, 26, 27

(11) Plus précisément, la variable Hartz prend une valeur unitaire pour les périodes de chômage à compter de février 2006 ou plus tard, puisque c’est la date d’entrée en chômage qui détermine les droits à prestations selon l’ancienne ou la nouvelle législation. Ainsi les individus qui sont entrés au chômage avant cette date sont encore soumis à l’ancienne réglementation, même si leur épisode de chômage s’est pour‑suivi après février 2006.(12) Rappelons que l’indicatrice Hartz se réfère à la date d’entrée au chômage (avant ou après la réforme) alors que les indicatrices d’année se réfèrent à la date de sortie du chômage. Ainsi, l’identification des deux variables indicatrices (année de sortie et Hartz) est assurée car les personnes qui entrent au chômage à différentes dates sont soumises aux mêmes chocs macroéconomiques affectant la sortie du chômage. Néanmoins, nous avons réestimé les principales équations des tableaux 4 et 5 sans indicatrices d’année comme test de robustesse. Nos conclusions sont restées identiques.(13) En outre, l’indicatrice d’âge que nous tirons du SOEP n’est pas très précise, car fondée sur l’année de naissance, alors que les droits à prestations sont définis par l’âge réel d’entrée au chômage. Il est donc peu judicieux de construire des groupes d’âge stricts avec cette variable. Notons que cela nous conduit aussi à exclure les personnes qui célèbrent leur 45e anniversaire dans une année donnée car nous ne pouvons pas savoir avec certitude si elles sont traitées (âgées de 45 ans) ou non (44 ans).

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EFFETS DES BAISSES DE DURÉE D'INDEMNISATION (LOIS HARTZ) EN ALLEMAGNE

Nous présentons notre estimation à l’aide de deux spécifications pour tenir compte des diffé‑rentes manières d’envisager les questions liées de dépendance à la durée et d’hétérogénéité non observée. Nous présentons d’abord une méthode de vraisemblance partielle permettant une dépen‑dance à la durée flexible (modèle de Cox) puis une stratégie paramétrique avec une distribu‑tion gamma pour l’hétérogénéité non observée (voir encadré). Ces problèmes sont liés car si des facteurs non observés entraînent une sortie précoce du chômage vers l’emploi (c’est‑à‑dire s’il y a beaucoup de personnes qui courent un « risque » élevé de retrouver rapidement un emploi), le taux de risque diminue rapidement à mesure que ces personnes sortent de l’échantillon.

Encadré

Stratégie économétrique

Nous estimons d’abord cette équation en utilisant un modèle de durée de Cox. Ce modèle présente l’avantage d’être non paramétrique par rapport à la durée de chômage, c’est-à-dire que le modèle ne fait aucune hypothèse sur la forme fonctionnelle du risque de base, sous l’hypothèse des risques proportionnels. Nous avons ensuite recours à une stratégie de modélisation de la distribution de la frailty sous-jacente, c’est-à-dire des caractéristiques inobservées d’un individu susceptibles d’expliquer son maintien dans le chômage. Nous retenons une distribution Gamma, Jaap H. abbring et Gerard J. Van dEn bErg (2007) ayant montré que sous certaines conditions, toutes les formes de l’hétérogénéité non observée convergent vers une distribution Gamma pour la population survivante. Dans une deuxième étape, nous estimons donc notre équation en utilisant un modèle exponentiel où l’hétérogénéité non observée est supposée distribuée selon une loi Gamma. Nous supposons aussi que le terme d’hé-térogénéité est commun pour les individus pour lesquels nous observons plusieurs épisodes de chômage.

Nous utilisons la même méthode d’identifica‑tion en différence‑de‑différences pour analyser les effets des baisses d’indemnisation sur nos indica‑teurs du type d’emploi repris, même si les modèles estimés diffèrent. Pour estimer la stabilité de l’emploi retrouvé nous avons à nouveau recours à un modèle de durée, notre variable dépendante étant cette fois‑ci la durée de cet emploi. En ce qui concerne la qualité de l’emploi repris, nous esti‑mons des logits multinomiaux où les différentes modalités de la variable dépendante correspondent aux différents types de contrats de travail à la sortie du chômage.

Des effets concentrés sur la tranche d’âge 55-59 ans

Statistiques descriptives

En lien avec le premier type d’effets analysé dans cet article, des courbes de survie de Kaplan‑Meier sont présentées dans la figure suivante. Elles représentent la probabilité de ne pas avoir trouvé un emploi après une durée donnée de chômage. Cinq figures différentes sont présentées : une pour chaque groupe d’âge parmi les traités (selon les intervalles définis précédemment) et une pour tous les groupes d’âge confondus (45‑59 ans). Dans chacune de ces figures, nous présentons également les courbes de survie pour le groupe de contrôle (35‑44 ans), ce qui permet d’avoir une première idée de l’impact poten‑tiel de la réforme. Enfin, pour chaque groupe, les courbes sont estimées avant et après la mise en place de la réforme. En suivant la logique de la méthode de différence‑de‑différences, l’impact de la réforme est évalué en retranchant à l’écart observé entre ces deux périodes pour le groupe de traitement celui que l’on constate pour le groupe de contrôle. Ainsi, une accentuation plus importante de la pente de la courbe pour le groupe traité par rapport au groupe témoin après la mise en œuvre de la réforme est susceptible d’indiquer un effet positif des baisses d’indemnisation sur le taux de retour à l’emploi.

Tout d’abord, on peut voir à partir de ces figures que les courbes de survie du groupe de contrôle sont toujours plus basses que celles du groupe traité. Les chômeurs âgés font en effet généralement face à des difficultés plus grandes pour trouver un nouvel emploi, ce qui justifie l’inclusion de l’âge comme variable de contrôle dans nos régressions. De plus, nous observons que la durée du chômage a diminué pour toutes les catégories d’âge dans la période postréforme, comme le montre l’accentua‑tion systématique de la pente et/ou de la convexité des courbes de survie, y compris celle du groupe témoin. L’hypothèse de « tendances communes » implique pour sa part que sans la réforme, les courbes de survie des groupes d’âge traités auraient connu une évolution équivalente à celles du groupe témoin. Cependant, on note une accentuation nette de la pente (ou de la convexité) pour les groupes d’âge traités, ce qui suggère un impact positif de la réforme sur le taux de retour à l’emploi. La différence avec le groupe de contrôle est particuliè‑rement marquée pour les groupes d’âge 45‑49 ans et 55‑59 ans.

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Figure 1 : Taux de survie selon la durée de l’épisode de chômage

Insérer illustration n° 28-31

Lecture : Taux de survie estimés selon la technique de Kaplan-Meier. Un taux de survie de 60 % au bout du 12e mois indique par exemple que 60 % des individus du groupe considéré n’ont toujours pas retrouvé d’emploi après un an de chômage. Les individus sont répartis dans les groupes selon leur âge et également leur date d’en-trée au chômage (avant ou après la réforme).

Champ : Individus âgés de 35 à 59 ans et ayant connu au moins un épisode de chômage.

Source : SOEP, calcul des auteurs.

Pour les groupes de chômeurs plus âgés (55‑59 ans), notre hypothèse d’interprétation est que la réforme, combinée à des changements contemporains dans les modalités des régimes de retraite anticipée, a réduit les incitations à utiliser l’assurance‑chômage comme un dispositif de préretraite. C’est l’un des arguments mis en avant par dlugOsz et al. (2009), qui montrent que le taux de séparation des travail‑leurs proches de l’âge de 60 ans a considérablement baissé après la réforme de 2006. Cela suggère que les entreprises et les travailleurs sont effectivement devenus moins enclins à négocier des sorties anti‑cipées du marché du travail pour faire basculer une partie du coût salarial sur l’assurance‑chômage.

Ces résultats sont cohérents avec les statistiques descriptives sur notre échantillon présentées dans le tableau 2, qui expose le type de sorties de chômage pour différents groupes d’âge avant et après la réforme. Nous observons tout d’abord qu’avant la réforme, une part substantielle des chômeurs âgés de 55 ans ou plus sort effectivement vers la retraite à l’issue de leur épisode de chômage. Après la mise en œuvre de la réforme, les sorties vers la retraite ont fortement diminué, leur part dans le total des sorties du chômage (en incluant les épisodes censu‑rés) ayant été presque divisée par quatre. Comme attendu, cette baisse concerne principalement les chômeurs âgés de 55 à 59 ans, avec une baisse de plus de 35 points de pourcentage dans la proportion des sorties totales (14).

On s’attend par ailleurs à ce que la forte baisse des transitions du chômage vers la retraite ait un impact important sur la durée moyenne de chômage pour ces classes d’âge, mais d’une façon différente de celle prédite par les théories standard du job search. Dans les modèles de job search, la réduction des indemnités incite les chômeurs à accroître leurs efforts de recherche d’emploi et/ou à accepter des offres d’emploi rapidement après le début de leur épisode de chômage. Le mécanisme que nous observons est ici bien diffé‑rent. Les chômeurs poursuivant une stratégie de retraite anticipée étaient en effet particulièrement susceptibles d’épuiser leurs droits à l’assurance‑chômage avant de basculer vers la retraite, afin d’éviter une décote sur leur pension. Une telle pratique conduisait mécaniquement à accroître la durée moyenne du chômage pour ces catégories d’âge. Alors que sortir prématurément du marché du travail est devenu une option moins attrayante avec la mise en œuvre de la réforme, la compo‑sition de la population des chômeurs seniors a changé : moins de salariés sont entrés au chômage avec l’optique d’utiliser les allocations chômage comme passerelle vers la retraite anticipée. La part des chômeurs à la recherche active d’un emploi a ainsi mécaniquement augmenté, tout comme le taux de transition de chômage à l’emploi. En ce sens, l’effet principal de la réforme n’a pas été d’accélérer la reprise d’emploi, mais de limiter les incitations à basculer au chômage pour certains salariés particulièrement susceptibles d’y rester

(14) L’ampleur de cette baisse doit toutefois être nuancée car l’horizon d’observation est plus faible pour les épisodes de chômage de l’échantillon postréforme, ce qui se traduit par une proportion importante d’épisodes censurés à droite. Or les épisodes débouchant sur la retraite sont en moyenne plus longs et ont donc une plus forte probabilité d’être censurés, ce qui conduit à surestimer le déclin des sorties vers la retraite chez les 55-59 ans. Pour autant, la plus forte proportion d’épi‑sodes censurés dans cette classe d’âge après la réforme ne s’explique pas uniquement par cet effet, puisque cette tendance est commune à d’autres classes où les sorties vers les retraites sont peu fréquentes. Le déclin des sorties vers la retraite reste donc substantiel.

0

20

40

60

80

100

0 12 24 36 48Durée de l'épisode de chômage (mois)

35-44 ans pré-Hartz 35-44 ans post-Hartz45-59 ans pré-Hartz

45-59 ans

45-59 ans post-Hartz

0

20

40

60

80

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0 12 24 36 48Durée de l'épisode de chômage (mois)

35-44 ans pré-Hartz 35-44 ans post-Hartz45-49 ans pré-Hartz

45-49 ans

45-49 ans post-Hartz

0

20

40

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0 12 24 36 48Durée de l'épisode de chômage (mois)

35-44 ans pré-Hartz 35-44 ans post-Hartz

50-54 ans

50-54 ans post-Hartz

0

20

40

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0 12 24 36 48Durée de l'épisode de chômage (mois)

35-44 ans pré-Hartz 35-44 ans post-Hartz

55-59 ans

55-59 ans post-Hartz

50-54 ans pré-Hartz

55-59 ans pré-Hartz

%

%

%

%

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EFFETS DES BAISSES DE DURÉE D'INDEMNISATION (LOIS HARTZ) EN ALLEMAGNE

jusqu’à épuisement des prestations. Ce sont aussi les pratiques de ressources humaines des entre‑prises qui ont été affectées par ce biais, la réforme rendant moins aisée une rupture négociée du contrat de travail avec le salarié pour l’orienter vers une retraite anticipée.

L’impact de la réforme sur le taux de retour à l’emploi

Le tableau 3 présente les résultats de l’estima‑tion du modèle de vraisemblance partielle de Cox, où nous évaluons l’impact de la réforme sur la reprise d’emploi. Les variables qui sont généra‑lement associées à des difficultés à retrouver un emploi ont le signe attendu et sont statistiquement significatives : résider dans les nouveaux Länder (ancienne Allemagne de l’Est), ne pas posséder la citoyenneté allemande ou bien le fait d’être une femme mariée. Au contraire, les personnes ayant un diplôme élevé (celles passées par l’enseigne‑ment supérieur notamment) ont tendance à sortir plus vite du chômage. Plus surprenant, ceci est également vrai pour les chômeurs qui ont déjà connu des épisodes de chômage. Un tel résultat pourrait découler du fait que la variable mesure l’appartenance à une profession au turnover élevé,

où les licenciements et les embauches sont tous deux fréquents.

En regardant les coefficients des indicatrices d’âge sans interaction, nous constatons que le taux de transition du chômage à l’emploi reste nette‑ment plus faible pour les groupes plus âgés avant la réforme. Les coefficients sont particulièrement importants et significatifs pour les 55-59 ans. Ceci est cohérent avec notre hypothèse selon laquelle beaucoup de chômeurs dans ce groupe d’âge avaient tendance à épuiser leurs droits à l’indem‑nisation avant de prendre leur retraite. Comme cela était déjà observable à partir des courbes de survie de Kaplan‑Meier, nous voyons que le risque a généralement augmenté après la mise en œuvre de la réforme : le coefficient de l’indicatrice de la période de traitement (Hartz) est positif et significatif. Cependant, ce coefficient ne mesure pas l’effet des baisses de durée d’indemnisation puisqu’il est également commun au groupe de contrôle (15).

(15) Bien que cela indique que la durée du chômage était généralement plus faible à partir de 2006, il n’est pas possible d’en déduire que c’est un effet des réformes Hartz (IV ou anté‑rieures) ou de conditions macroéconomiques favorables.

Tableau 2 : Type de sorties du chômage selon la catégorie d’âge (en valeur et en pourcentage des observations)

Avant février 2006Âge Temps plein Temps partiel Mini-Job Retraite Inactivité Censuré à droite Total

35-441 217 326 80 34 369 246 2 272

53,6 % 14,3 % 3,5 % 1,5 % 16,2 % 10,8 % 100,0 %

45-49472 111 42 42 159 108 934

50,5 % 11,9 % 4,5 % 4,5 % 17,0 % 11,6 % 100,0 %

50-54316 73 26 80 91 110 696

45,4 % 10,5 % 3,7 % 11,5 % 13,1 % 15,8 % 100,0 %

55-59169 55 24 436 68 90 842

20,1 % 6,5 % 2,9 % 51,8 % 8,1 % 10,7 % 100,0 %

Total2 174 565 172 592 687 554 4 744

45,8 % 11,9 % 3,6 % 12,5 % 14,5 % 11,7 % 100,0 %

À partir de février 2006Âge Temps plein Temps partiel Mini-Job Retraite Inactivité Censuré à droite Total

35-44 297 59 30 2 56 184 62847,3 % 9,4 % 4,8 % 0,3 % 8,9 % 29,3 % 100,0 %

45-49 130 30 14 4 19 103 30043,3 % 10,0 % 4,7 % 1,3 % 6,3 % 34,3 % 100,0 %

50-54 97 28 13 9 24 102 27335,5 % 10,3 % 4,8 % 3,3 % 8,8 % 37,4 % 100,0 %

55-59 49 16 10 33 12 106 22621,7 % 7,1 % 4,4 % 14,6 % 5,3 % 46,9 % 100,0 %

Total 573 133 67 48 111 495 1 42740,2 % 9,3 % 4,7 % 3,4 % 7,8 % 34,7 % 100,0 %

Lecture : Ce tableau indique la répartition des individus de notre échantillon selon l’âge et le type de sortie du chômage (ou éventuellement de l’échantillon), avant et après la réforme. Par exemple, 73 épisodes de chômage se sont conclus par une transition vers un emploi à temps partiel chez les 50-54 ans avant la réforme, ce qui représente 10,5 % de toutes les sorties pour cette classe d’âge.

Champ : Individus âgés de 35 à 59 ans et ayant connu au moins un épisode de chômage.

Source : SOEP, calcul des auteurs.

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Tableau 3 : Analyse du taux de transition du chômage vers l’emploi (modèle de Cox)

Ensemble Hommes FemmesRéside en ex-Allemagne de l’Est

‑0,131*** ‑0,019 ‑0,316***[0,036] [0,047] [0,057]

Pas de nationalité allemande

‑0,353*** ‑0,300*** ‑0,432***[0,067] [0,080] [0,116]

Marié0,360*** 0,355*** 0,022[0,048] [0,047] [0,052]

Femme‑0,101+[0,054]

Femme mariée‑0,375***

[0,068]Nombre d’épisodes de chômage

0,063*** 0,057*** 0,079***[0,007] [0,009] [0,011]

Pas de diplôme‑0,396*** ‑0,427*** ‑0,372***

[0,065] [0,085] [0,101]

Diplôme général0,137 0,072 0,161

[0,103] [0,133] [0,161]Diplôme professionnel supérieur

0,143*** 0,116* 0,178**[0,041] [0,053] [0,063]

Université0,276*** 0,149* 0,432***[0,048] [0,064] [0,074]

Hartz1,802*** 1,818*** 1,803***[0,072] [0,099] [0,106]

Âgé de 45 à 49 ans‑0,160*** ‑0,208*** ‑0,123+

[0,045] [0,060] [0,068]

Âgé de 50 à 54 ans‑0,431*** ‑0,479*** ‑0,326***

[0,057] [0,073] [0,089]

Âgé de 55 à 59 ans‑1,414*** ‑1,387*** ‑1,435***

[0,073] [0,088] [0,128]

Hartz*Âgé de 45 à 49 ans0,007 0,021 0,019

[0,097] [0,126] [0,149]

Hartz*Âgé de 50 à 54 ans0,193+ 0,153 0,188[0,105] [0,143] [0,160]

Hartz*Âgé de 55 à 59 ans0,510*** 0,695*** 0,129[0,143] [0,173] [0,260]

Nombre d’observations 6 036 3 218 2 818

Notes : Le groupe de référence est âgé de 35 à 44 ans et possède une formation professionnelle de base. Des indicatrices années sont présentes. Écarts-types robustes entre crochets. Niveau de significa-tivité : +p < 0,10, *p < 0,05, **p < 0,01, ***p < 0,001.

Champ : Individus âgés de 35 à 59 ans et ayant connu au moins un épisode de chômage.

Source : SOEP, calcul des auteurs.

L’impact propre de la réforme est donné par les interactions entre les indicatrices de groupes d’âge et celle de la réforme. Les résultats présen‑tés ici sont globalement conformes aux statistiques descriptives. Tous les coefficients estimés sont posi‑tifs, ce qui pourrait suggérer un effet positif des réductions sur la durée du chômage. Toutefois, les termes d’interaction ne sont statistiquement signi‑ficatifs que pour les 50-54 ans et les 55-59 ans, et seulement au seuil de 10 % pour les premiers alors que la significativité et la taille du coefficient sont plus importantes pour les derniers. Ceci est compa‑tible avec notre argument selon lequel la réforme avait principalement pour effet de dissuader l’usage de l’assurance‑chômage en tant que dispositif de préretraite pour les chômeurs les plus âgés.

Enfin, le tableau 3 fournissant des estimations séparées pour les hommes et les femmes, les coef‑ficients pour les termes d’interaction indiquent que l’impact de la réforme sur le groupe d’âge 55‑59 ans provient en fait exclusivement des hommes au chômage. Cela est cohérent avec l’idée que les employeurs profitaient précédemment de la géné‑rosité de l’assurance‑chômage pour se séparer de travailleurs avec une longue carrière au sein de l’entreprise, afin d’éviter de payer des indemnités de départ trop élevées. Les hommes ayant généralement des carrières plus stables et étant plus susceptibles d’être soumis à cette pratique, cette population a été plus sévèrement affectée par la réforme.

Le tableau 4 présente les estimations du taux de retour vers l’emploi en utilisant la correction par loi Gamma de l’hétérogénéité non observée. L’estimation du paramètre thêta indique que l’hété‑rogénéité inobservée a bien un impact sur la durée de chômage ; la part des personnes ayant des carac‑téristiques inobservées défavorables pour la reprise d’emploi devient plus grande quand la durée de chômage augmente. Les résultats du tableau 4 sont cohérents avec les résultats précédents. En parti‑culier, l’effet de la réforme sur les 55‑59 ans reste significativement positif et principalement dû aux hommes.

Soulignons également que la réforme n’a pas eu l’effet prédit par les théories du job search, ou du moins que cet effet n’était pas substantiel. En effet, nous n’observons pas une augmentation significative du taux de retour à l’emploi pour les groupes d’âge où les stratégies de retraite antici‑pée étaient moins fréquentes (l’effet sur les 50‑54 ans n’étant plus significatif dans cette autre spéci‑fication), alors même qu’ils ont également été affectés par des réductions de la durée des presta‑tions (voir tableau 1).

Nous avons effectué par ailleurs des tests de robustesse afin de nous assurer de la validité de notre principal résultat. Ils ont consisté à réestimer les modèles des tableaux 3 et 4 pour des dates fictives en amont et en aval de la réforme (6 et 12 mois avant la réforme, 6, 12 et 24 mois après la réforme). L’idée sous-jacente est de vérifier que d’autres modifications de la législation contemporaines de la réduction des durées d’indemnisation de début 2006 ne seraient pas susceptibles d’expliquer la baisse de la durée de chômage des 55‑59 ans que nous obser‑vons à cette période. D’autres aspects des lois Hartz qui, certes, n’étaient pas ciblées sur une classe d’âge particulière, ont en effet profondément modifié les modalités régissant les dispositifs d’indemnisation du chômage en janvier 2005. L’abrogation de la dispense de recherche d’emploi pour les plus de 58 ans en janvier 2008 aurait également pu décourager les pratiques de préretraite décrites précédemment. Cependant, dans tous les cas, les résultats de nos tests

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Travail et Emploi n° 142 • 95 •

EFFETS DES BAISSES DE DURÉE D'INDEMNISATION (LOIS HARTZ) EN ALLEMAGNE

Tableau 4 : Analyse du taux de transition du chômage vers l’emploi (distribution exponentielle

de la dépendance à la durée, distribution gamma de l’hétérogénéité inobservée)

Ensemble Hommes FemmesRéside en ex-Allemagne de l’Est

‑0,152** ‑0,029 ‑0,312***[0,046] [0,065] [0,066]

Pas de nationalité allemande

‑0,414*** ‑0,381*** ‑0,455***[0,084] [0,109] [0,131]

Marié0,406*** 0,413*** 0,011[0,061] [0,064] [0,061]

Femme‑0,123+[0,071]

Femme mariée‑0,429***

[0,087]Nombre d’épisodes de chômage

0,064***[0,010]

0,062***[0,013]

0,077***[0,016]

Pas de diplôme‑0,440*** ‑0,519*** ‑0,364**

[0,079] [0,112] [0,113]

Diplôme général0,146 0,053 0,203

[0,126] [0,189] [0,167]Diplôme professionnel supérieur

0,186*** 0,151* 0,220**[0,053] [0,074] [0,078]

Université0,346*** 0,198* 0,496***[0,063] [0,088] [0,091]

Hartz1,979*** 2,098*** 1,838***[0,090] [0,129] [0,125]

Âgé de 45 à 49 ans‑0,187*** ‑0,257** ‑0,130

[0,057] [0,079] [0,080]

Âgé de 50 à 54 ans‑0,492*** ‑0,589*** ‑0,346***

[0,067] [0,092] [0,098]

Âgé de 55 à 59 ans‑1,623*** ‑1,697*** ‑1,519***

[0,079] [0,101] [0,131]

Hartz*Âgé de 45 à 49 ans‑0,050 ‑0,070 ‑0,005[0,119] [0,165] [0,170]

Hartz*Âgé de 50 à 54 ans0,167 0,101 0,208

[0,130] [0,181] [0,185]

Hartz*Âgé de 55 à 59 ans0,547*** 0,769*** 0,149[0,162] [0,201] [0,287]

Constante‑1,613*** ‑1,521*** ‑1,852***

[0,117] [0,152] [0,166]

Ln(thêta)‑1,180*** ‑0,981*** ‑1,646***

[0,099] [0,113] [0,217]Nombre d’observations 6 036 3 218 2 818

Notes : Le groupe de référence est âgé de 35 à 44 ans et possède une formation professionnelle de base. Des indicatrices années sont présentes. Écarts-types entre crochets. Niveau de significativité : +p < 0,10, *p < 0,05, **p < 0,01, ***p < 0,001.

Champ : Individus âgés de 35 à 59 ans et ayant connu au moins un épisode de chômage.

Source : SOEP, calcul des auteurs.

se sont avérés non significatifs au seuil de 5 % (16), nous confortant dans l’idée que c’est bien la réduc‑tion des durées d’indemnisation qui a été l’élément décisif dans le fort ralentissement de la pratique consistant à se servir de l’assurance‑chômage comme d’un dispositif de préretraite pour les 55‑59 ans.

(16) Les résultats de ces tests sont disponibles sur demande auprès des auteurs.

L’impact de la réforme sur la qualité de l’appariement et de l’emploi repris

Nous analysons maintenant les résultats des régres‑sions portant sur les deux indicateurs sur le type d’emploi retrouvé que nous avons définis précédem‑ment. Par souci de synthèse, nous ne présentons que les coefficients pour les termes d’interaction d’inté‑rêt, alors que nous intégrons dans ces régressions les mêmes contrôles que pour les estimations des tableaux 3 et 4 (17). Le tableau 5 présente tout d’abord les résul‑tats relatifs à l’impact de la réforme sur la stabilité de l’emploi repris, mesurée par la durée de l’emploi qui suit directement la période de chômage. Selon les modèles prenant en compte la qualité d’apparie‑ment sur le marché du travail, des prestations moins généreuses devraient accroître les pressions sur les chômeurs pour accepter des emplois ne correspon‑dant pas à leurs compétences, ce qui devrait en retour diminuer la stabilité de l’emploi. À première vue, nos résultats sont en contradiction avec cette prédiction. Tous les coefficients pour les termes en interaction sont positifs, ce qui indique une plus longue durée de réem‑ploi pour les groupes d’âge traités. Cette affirmation doit être nuancée car les estimations ne sont signifi‑catives que pour le groupe d’âge 55‑59 ans, au seuil de 1 %. Cependant, nous n’interprétons pas ce résultat comme une augmentation de la qualité d’appariement. Nous soutenons que cet effet doit en fait être attribué à l’évolution parallèle de la réglementation de la retraite, qui a reporté le seuil d’âge légal de la retraite antici‑pée de 60 à 63 ans. Avant 2006, la durée de réemploi était plus courte car la personne réembauchée pouvait prendre sa retraite plus tôt. Le report de la limite d’âge pour la retraite anticipée a finalement conduit à une augmentation substantielle de la durée de réemploi pour les personnes plus proches de ce seuil.

Tableau 5 : Analyse du taux de transition vers le chômage pour l’emploi retrouvé (distribution

exponentielle de la dépendance à la durée, distribution gamma de l’hétérogénéité inobservée)

Ensemble Hommes Femmes

Hartz*Âgé de 45 à 49 ans ‑0,015 ‑0,020 0,086[0,169] [0,234] [0,246]

Hartz*Âgé de 50 à 54 ans 0,070 0,208 ‑0,147[0,169] [0,211] [0,286]

Hartz*Âgé de 55 à 59 ans ‑0,861** ‑0,828* 0,910+[0,313] [0,404] [0,472]

Nombre d’observations 3 606 2 035 1 571

Notes : L’ensemble des contrôles du tableau 4 sont inclus dans la régression. Le groupe de référence est âgé de 35 à 44 ans et possède une formation professionnelle de base. Des indicatrices années sont présentes. Écarts-types robustes entre crochets. Niveau de significa-tivité : +p < 0,10, *p < 0,05, **p < 0,01, ***p < 0,001.

Champ : Individus âgés de 35 à 59 ans, ayant connu au moins un épisode de chômage et dont une sortie vers l’emploi a été observée.

Source : SOEP, calcul des auteurs.

(17) Les résultats des estimations avec l’ensemble des coeffi‑cients des variables explicatives sont disponibles sur demande auprès des auteurs.

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• 96 • Travail et Emploi n° 142

Le tableau 6 fournit, quant à lui, des résultats sur le type de contrat de travail après la sortie vers l’emploi, en distinguant entre emplois à temps partiel, emplois à temps plein et mini-jobs. Les sorties vers le temps partiel, comparativement au temps plein, ont tendance à augmenter pour la plupart des groupes d’âge (45‑49 ans, 50‑54 ans et 55-59 ans), mais le coefficient n’est significatif que pour le groupe d’âge 50‑54 ans, et seulement au seuil de 10 %. En distinguant selon le genre, l’impact n’apparaît en fait significatif que pour les femmes. Chez celles-ci, les sorties vers l’emploi à temps partiel sont plus fréquentes chez les 50-54 et 55‑59 ans. La baisse de durée d’indemnisation semble donc avoir détérioré la qualité de l’em‑ploi féminin pour ces groupes d’âge, un résultat à mettre en parallèle avec le fort développement de l’emploi atypique féminin en Allemagne consécutif aux réformes Hartz.

Tableau 6 : Types de contrats de travail après avoir retrouvé un emploi (logit multinomial, la référence

est la sortie vers l’emploi à temps plein)

EnsembleTemps partiel Mini-Job

Hartz*Âgé de 45 à 49 ans 0,242 0,066[0,306] [0,424]

Hartz*Âgé de 50 à 54 ans 0,582+ 0,287[0,323] [0,453]

Hartz*Âgé de 55 à 59 ans 0,507 ‑0,026[0,404] [0,523]

Nombre d’observations 4 395 4 395

HommesTemps partiel Mini-Job

Hartz*Âgé de 45 à 49 ans 0,257 ‑0,977[0,896] [1,154]

Hartz*Âgé de 50 à 54 ans 0,617 0,312[0,799] [0,959]

Hartz*Âgé de 55 à 59 ans 0,772 ‑0,334[0,713] [0,786]

Nombre d’observations 2 315 2 315

FemmesTemps partiel Mini-Job

Hartz*Âgé de 45 à 49 ans 0,297 0,226[0,355] [0,495]

Hartz*Âgé de 50 à 54 ans 0,660+ 0,243[0,386] [0,542]

Hartz*Âgé de 55 à 59 ans 1,951* 1,536[0,845] [0,980]

Nombre d’observations 2 080 2 080

Notes : L’ensemble des contrôles du tableau 4 sont inclus dans la régression. Le groupe de référence est âgé de 35 à 44 ans et possède une formation professionnelle de base. Des indicatrices années sont présentes. Écarts-types robustes entre crochets. Niveau de significa-tivité : +p < 0,10, *p < 0,05, **p < 0,01, ***p < 0,001.

Champ : Individus âgés de 35 à 59 ans, ayant connu au moins un épisode de chômage et dont une sortie du chômage a été observée.

Source : SOEP, calcul des auteurs.

* * *

En résumé, nous avons montré que les réductions de durée d’indemnisation de l’assurance‑chômage induites par la réforme Hartz IV n’avaient pas eu le type d’effets sur la durée du chômage attendus par les théories standard du job search. Seul un groupe de chômeurs particulier, les hommes âgés de 55 à 59 ans, a connu une réduction significative de sa durée de chômage à cause de cette mesure. Cependant, ce résultat doit plutôt être attribué à l’effet dissua‑sif de la réforme sur les stratégies antérieures de retraite anticipée, en combinaison avec d’autres changements dans la législation concernant ce type de dispositif. Par ailleurs, nous avons également montré que la réforme a eu des effets sur l’emploi repris. La durée de réemploi de la tranche d’âge 55‑59 ans a été sensiblement et positivement affec‑tée. Bien que ce résultat soit en contradiction avec les théories de l’appariement, il corrobore notre interprétation selon laquelle l’augmentation simul‑tanée de l’âge légal de la retraite anticipée a eu un impact substantiel sur les décisions des travailleurs de retarder leur sortie du marché du travail. Enfin, certains effets négatifs de la réforme sur les sorties du chômage ont été mis en évidence : les femmes chômeurs âgées de 50 à 59 ans ont connu des sorties plus fréquentes vers l’emploi atypique.

Pour conclure, nous souhaitons mentionner certaines limites de notre stratégie empirique. Tout d’abord, nous n’évaluons ici que l’effet moyen des baisses de droit pour les groupes d’âge relativement larges que nous avons définis. Ainsi, nous ne pouvons pas exclure que la réforme ait eu un effet négatif sur la durée du chômage pour certains groupes d’âge plus fins. Par ailleurs, nous ne pouvons pas exclure que l’effet des baisses d’indemnisation ait été plus important en l’absence de modération en 2008 des réductions initialement mises en place en 2006. Bien que cela signifie que nos résultats ne peuvent pas être facilement généralisés à d’autres réformes où les coupes dans les prestations ont été plus nettes, notre conclusion reste que, dans le cas de Hartz IV, l’impact de la baisse de durée d’indemnisation sur le taux de retour à l’emploi n’était pas substantiel.

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Travail et Emploi n° 142 • 97 •

EFFETS DES BAISSES DE DURÉE D'INDEMNISATION (LOIS HARTZ) EN ALLEMAGNE

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Annexe

Tableau : Statistiques descriptives sur l’échantillon

Moyenne Écart-typeRéside en ex-Allemagne de l’Est 0,445 [0,497]Pas de nationalité allemande 0,089 [0,285]Âge 46,479 [7,626]Marié 0,646 [0,478]Femme 0,467 [0,499]Nombre d’épisodes de chômage 2,677 [2,228]Pas de diplôme 0,114 [0,318]Diplôme professionnel élémentaire 0,322 [0,467]Diplôme général 0,026 [0,160]Diplôme professionnel supérieur 0,375 [0,484]Université 0,163 [0,370]

Note : Le tableau présente les moyennes et écarts-types pour les contrôles introduits dans les régressions.

Champ : Individus âgés de 35 à 59 ans et ayant connu au moins un épisode de chômage.

Source : SOEP, calcul des auteurs.

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Travail et Emploi142  (avril-juin 2015)Les institutions du travail : quelles réévaluations ?

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Thomas Coutrot

Gérard Duménil, Dominique Lévy, Lagrande bifurcation. En finir avec lenéolibéralismeParis, La Découverte, coll. « L’horizondes possibles », 2014................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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Référence électroniqueThomas Coutrot, « Gérard Duménil, Dominique Lévy, La grande bifurcation. En finir avec le néolibéralisme », Travailet Emploi [En ligne], 142 | avril-juin 2015, mis en ligne le 01 avril 2015, consulté le 19 janvier 2016. URL : http://travailemploi.revues.org/6660

Éditeur : La documentation françaisehttp://travailemploi.revues.orghttp://www.revues.org

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Gérard Duménil, Dominique Lévy, La grande bifurcation. En finir avec le néolibéralisme 2

Travail et Emploi, 142 | avril-juin 2015

Thomas Coutrot

Gérard Duménil, Dominique Lévy, Lagrande bifurcation. En finir avec lenéolibéralismeParis, La Découverte, coll. « L’horizon des possibles », 2014Pagination de l’édition papier : p. 99-101

1 Gérard Duménil et Dominique Lévy ont apporté depuis vingt ans des contributions majeureset mondialement reconnues à la compréhension du néolibéralisme. Fidèles à la méthodemarxiste, ils placent la lutte des classes au cœur de la dynamique économique. Pour eux, lenéolibéralisme n’est pas une idéologie mais une alliance de classes, entre les capitalistes et lescadres, sous l’hégémonie des premiers. La crise de 2008 a montré que ce dispositif était entrédans une phase de profondes perturbations qui pourraient mener à son éclatement. La grandebifurcation tente d’éclairer les devenirs possibles du capitalisme en s’appuyant à la fois surune synthèse passionnante de riches travaux empiriques et sur un cadre théorique original.

2 À la structure de classes duale décrite par Marx, Duménil et Lévy proposent en effet desubstituer une structure ternaire. Outre les prolétaires (qui, selon la définition classique, sontcontraints pour vivre de vendre leur force de travail) et les capitalistes (propriétaires desmoyens de production), une troisième classe, celle des cadres, gère les moyens de productionpour le compte des propriétaires, grâce aux compétences de ses membres. Les cadres, selonDuménil et Lévy, recouvrent une définition plus étroite que la définition statutaire des cadresen France : il s’agit pour l’essentiel des dirigeants et financiers, soit environ 5 % du salariatau lieu d’un tiers.

3 Cette analyse prolonge des travaux déjà classiques sur les managers et la technostructure(James Burnham et la « révolution managériale1 », John K. Galbraith et la « technostructure2 »,Alfred D. Chandler et la « main visible des managers3 » mais aussi Pierre Bourdieu et la dualité« capital culturel (notamment scolaire) »/« capital économique4 », etc.). Le « socialisme réel »soviétique est ainsi réinterprété par Duménil et Lévy comme manifestant la domination descadres. L’intérêt de cette structure ternaire est de sortir de l’alternative entre capitalisme etsocialisme, en introduisant de possibles régimes intermédiaires. Le projet politique défendupar les auteurs est alors la dissolution de l’alliance entre les capitalistes et les cadres, et larecherche d’un compromis à gauche entre les cadres et les classes populaires.

4 Cette innovation théorique intéressante pose néanmoins question. Peut-on définir une classeuniquement par la position d’un groupe social dans les rapports de production ? Les classesexistent-elles « objectivement », indépendamment de leur capacité à se constituer en acteurcollectif, doté d’une vision et d’une conscience des intérêts communs à ses membres ? Quelest l’intérêt analytique et politique de distinguer une « classe en soi » qui ne serait pas aussiune « classe pour soi », pour reprendre la distinction de Marx ? Duménil et Lévy nous disentpeu de chose de la conscience de classe des cadres, de leurs organisations ou de leur stratégie.

5 Mais surtout, les cadres dirigeants qui bénéficient de «  salaires  » extrêmement élevéset de stock  options, ne détiennent-ils pas tous des patrimoines financiers considérables,qui les rapprochent fortement de la classe capitaliste  ? Il est vrai que selon l’enquêtePatrimoine de l’Insee5, en 2010, un tiers du patrimoine des 1 % les plus riches consiste enactifs d’entreprises, délimitant clairement une classe de propriétaires directs des moyens deproduction (cette proportion ne dépasse guère 10  % pour les autres riches, un peu moinsriches, du dixième décile). Cependant, le patrimoine financier liquide (au moins celui déclaréà l’Insee) représente aux alentours de 20 % du patrimoine de tous les riches du dixième décile,qu’on les considère comme capitalistes ou cadres. Certes, ces riches ne sont pas tous desBettencourt ou des Pinault, et leur patrimoine financier diversifié ne leur permet pas decontrôler un empire industriel, mais n’ont-ils pas un intérêt à la bonne marche des marchés

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financiers  ? Plutôt que de parler d’une troisième classe, ne pourrait-on pas dire que lenéolibéralisme a permis à la couche des cadres dirigeants, jusqu’alors strate supérieure dusalariat, d’intégrer la classe des propriétaires du capital, ne serait-ce que sur un strapontin ?

6 L’originalité de l’ouvrage réside aussi dans l’analyse des conséquences politiques des travauxpionniers de Stefania Vitali, James B.  Glattfelder et Stefano Battiston (de l’Université deZurich), concernant la structure de la propriété capitaliste au début du XXIe siècle6. Ces auteursont utilisé de façon très innovante une gigantesque base statistique constituée par l’OCDE7

(Orbis 2007) pour retracer les liens capitalistiques entre 43  000 sociétés transnationalesà l’échelle mondiale. Duménil et Lévy rappellent leurs principaux résultats  : 737 grosactionnaires (individus ou sociétés) contrôlent 80 % du capital de ces sociétés dans le monde.Parmi les 50 plus importants, 45 sont des sociétés financières ; la moitié est états-unienne et8, britanniques ; 5 sont françaises et seulement 2, allemandes.

7 Ces institutions financières forment selon Duménil et Lévy un véritable gouvernementparallèle, le « centre économique institutionnel », qui est étroitement lié au « centre politiqueinstitutionnel  » traditionnel par des relations informelles et de nombreuses passerelles(« revolving doors » dans le monde anglo-saxon ou « pantouflage » dans le contexte français).Cette alliance entre la haute fonction publique et la haute finance est l’un des piliers lesplus solides du dispositif néolibéral, qui permet d’étouffer tout débat sur d’autres politiquespossibles.

8 L’étude des économistes de Zurich montre donc que l’Europe continentale semblerelativement à l’écart des réseaux financiers globalisés anglo-saxons qui dominent l’économiemondiale. Pour Duménil et Lévy, cela signifie que l’Europe et la France, au-delà deleurs actuels choix néolibéraux, auraient encore la capacité de mener une autre politiqueéconomique. Une alliance entre les cadres et les classes populaires pourrait mettre en échecle néolibéralisme et constituer un «  néomanagérialisme  » industriel sous hégémonie descadres, appuyé sur des contrôles de capitaux et un protectionnisme européen. Cependant,la France, davantage axée sur la finance que l’Allemagne industrialiste, aurait plus dedifficultés à négocier cette « bifurcation » : l’État français apparaît plus favorable à l’industriefinancière, plus « néolibéral » donc, que son homologue allemand davantage tenté par un cours« néomanagérial ».

9 Cette thèse peut sembler porteuse d’espoir. Cependant, elle ne semble pas vraiment confirméepar l’observation des stratégies des grands groupes européens, désormais alignés sur leslogiques actionnariales. D’autres études statistiques, reposant sur des données peut-être plusrécentes que celles d’Orbis 2007, aboutissent à des résultats sensiblement différents. Ainsi,entre 1999 et 2007, la part des investisseurs non résidents dans le capital des grandesentreprises allemandes est passée de 8 % à 62 % (et de 16 % à « seulement » 49 % pour leCAC 408). Bien sûr, tous ces investisseurs « non résidents » ne sont pas anglo-saxons. Mais ilsemble bien que les liens traditionnels, de long terme, entre les grandes banques allemandeset les grands groupes industriels, aient été profondément remis en cause dans les années 2000,avec l’entrée très majoritaire de fonds d’investissement à la logique financière court-termisteau capital de ces groupes.

10 Au final, si les cadres dirigeants sont devenus des capitalistes, si les grands groupes européenssemblent s’être alignés au cours de la dernière décennie sur des logiques purement financières,quel espace reste-t-il pour la bifurcation néomanagériale «  à gauche  » qu’appellent deleurs vœux les auteurs ? Qu’est-ce qui pousserait les cadres à rompre leur lune de miel sifructueuse avec les détenteurs des capitaux pour s’allier avec les classes populaires  ? Lesnotations sur l’«  aliénation  » des cadres ou sur leur souffrance de devoir «  faire le saleboulot  », selon la formule de Christophe Dejours9 (p.  177), sont certainement pertinentespour les cadres de production, de vente, de gestion des ressources humaines, mais pourraients’avérer insuffisamment mobilisatrices pour les cadres dirigeants et financiers (qui constituent,rappelons-le, la classe des cadres selon Duménil et Lévy).

11 Doit-on regretter le manque de plausibilité empirique de cette voie « néomanagériale » ? Sansdoute pas, car même si les auteurs se gardent bien de tout hymne inconsidéré à la croissanceéconomique, il s’agirait probablement d’une impasse écologique. La réflexion sur la crise

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écologique et la nécessaire bifurcation des modèles productifs qu’elle implique n’occupentpas dans l’ouvrage toute la place qu’elles mériteraient. La « bifurcation » de Duménil et Lévyest pour l’essentiel un renversement des alliances de classes au sein d’un paradigme incontestéde l’efficience productive et de la technoscience («  il y a beaucoup à apprendre des voiesindustrialistes en matière d’efficience », p. 183). Cet hymne à l’industrie et à la technique nerisque-t-il pas de reproduire un imaginaire progressiste passablement daté ? Pourtant, nombred’économistes posent désormais la question d’un changement complet de paradigme, vers uneéconomie de la qualité et du bien-vivre, qui organiserait une décroissance systématique desconsommations énergétiques et des productions matérielles, renonçant à l’idéal moderne dela maîtrise rationnelle illimitée de la nature.

12 La réflexion stratégique que proposent Duménil et Lévy gagnerait aussi à s’inscrire dans uneanalyse sociologique et politique plus approfondie de la dynamique des luttes sociales dans lapériode néolibérale, et notamment depuis la crise de 2008. Après trente années de balkanisationdu salariat, le syndicalisme et le mouvement ouvrier – la « gauche sociale », comme l’appellentDuménil et Lévy – semblent avoir épuisé leurs capacités d’initiative et se replient sur desluttes défensives rarement victorieuses. La deuxième gauche qu’ils distinguent, la « gaucheécologique », semble osciller entre lobbying et action symbolique, sans grande prise sur le réel.La « gauche transformatrice immédiate » (l’économie sociale et solidaire et les mouvementsde la « transition ») se consacre à des alternatives locales sans projet global. Pour comprendrecomment ces trois gauches pourraient peser réellement sur le cours des choses, il faudraitmener une analyse fine des multiples résistances à la grande vague de marchandisation queconnaît la planète depuis trente ans, dans la lignée de la « grande transformation » de KarlPolanyi10, ouvrage auquel Duménil et Lévy se réfèrent implicitement dans leur titre sans jamaisle citer.

13 On ne peut cependant pas leur faire le reproche de ne pas mener à bien cette tâche car même sides sociologues comme Michael Burawoy11 l’ont mise à l’ordre du jour, elle reste largement àaccomplir, sans doute grâce à une démarche pluridisciplinaire à laquelle les travaux de GérardDuménil et Dominique Lévy apporteraient à n’en pas douter un matériel très précieux.

Notes

1  Burnham J. (1941), The managerial revolution. What is happening in the world, New York, The JohnDay company.2  Galbraith J. K. (1967), The new industrial state, Boston, Houghton Mifflin.3  Chandler A.  D. (1977), The visible hand  : the managerial revolution in American business,Cambridge, Mass., Belknap Press.4  Bourdieu P. (1986), « The forms of capital », in Richardson J. (ed.), Handbook of theory and researchfor the sociology of education, New York, Greenwood Press, pp. 241-258.5  Institut national de la statistique et des études économiques.6  Vitali S., Glattfelder J. B., Battiston S. (2011), « The network of global corporate control », Papers,n° 1301.2363, arXiv.org. Disponible en ligne à l’adresse : http://arxiv.org/pdf/1107.5728.pdf ; consultéle 24 juin 2015.7  Organisation de coopération et de développement économiques.8  Lantenois C., Coriat B. (2009), « Montée des investisseurs institutionnels non résidents, mutationsdu corporate governance et stratégies d’entreprise. Évaluation et analyse à partir d’un panel de firmesfrançaises et allemandes (1999-2007) », Document de travail du CEPN, n° 2009-18. Disponible en ligneà l’adresse : http://www.univ-paris13.fr/cepn/IMG/pdf/wp2009_18.pdf ; consulté le 26 juin 2015.9  Dejours C. (1998), Souffrance en France : la banalisation de l’injustice sociale, Paris, Le Seuil.10 Polanyi K. (1944), The great transformation, New York, Toronto, Farrar & Rinehart, inc.11 Burawoy M. (2007), «  Public sociology vs. the market  », Socio-economic review, vol.  5, n°  2,pp. 356-367.

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Référence(s) :

Gérard Duménil, Dominique Lévy, La grande bifurcation. En finir avec le néolibéralisme,Paris, La Découverte, coll. « L’horizon des possibles », 2014, 199 p.

Pour citer cet article

Référence électronique

Thomas Coutrot, « Gérard Duménil, Dominique Lévy, La grande bifurcation. En finir avec lenéolibéralisme », Travail et Emploi [En ligne], 142 | avril-juin 2015, mis en ligne le 01 avril 2015,consulté le 19 janvier 2016. URL : http://travailemploi.revues.org/6660

Référence papier

Thomas Coutrot, « Gérard Duménil, Dominique Lévy, La grande bifurcation. En finir avec lenéolibéralisme », Travail et Emploi, 142 | 2015, 99-101.

À propos de l’auteur

Thomas CoutrotDirection de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares).

Droits d’auteur

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Pierre-Antoine Dessaux

Isabelle Lespinet-Moret, Vincent Viet(dir.), L’organisation internationaledu travail. Origine, développement,avenir et Sandrine Kott, Joëlle Droux(éd.), Globalizing social rights. TheInternational labour organization andbeyond................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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Référence électroniquePierre-Antoine Dessaux, « Isabelle Lespinet-Moret, Vincent Viet (dir.), L’organisation internationale du travail.Origine, développement, avenir et Sandrine Kott, Joëlle Droux (éd.), Globalizing social rights. The Internationallabour organization and beyond », Travail et Emploi [En ligne], 142 | avril-juin 2015, mis en ligne le 01 avril 2015,consulté le 19 janvier 2016. URL : http://travailemploi.revues.org/6663

Éditeur : La documentation françaisehttp://travailemploi.revues.orghttp://www.revues.org

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Pierre-Antoine Dessaux

Isabelle Lespinet-Moret, Vincent Viet (dir.),L’organisation internationale du travail.Origine, développement, avenir et SandrineKott, Joëlle Droux (éd.), Globalizingsocial rights. The International labourorganization and beyondPagination de l’édition papier : p. 101-104

1 Sandrine Kott et Isabelle Moret-Lespinet ont fait le choix de publier en deux volumes distinctsles interventions du colloque « Politiques sociales transnationales, réseaux réformateurs etorganisation internationale du travail  » qui s’est tenu en 2009  à Genève à l’occasion du90e anniversaire de l’Organisation internationale du travail (OIT). Vingt-huit des trente-deuxcontributions du colloque sont distribuées entre ces deux volumes  : l’un, en français, quireprend, à une exception près, des communications proposées dans cette langue, et l’autre,en anglais, dont la sélection repose, à trois traductions et un article complémentaire de JoëlleDroux près, sur le même principe. Si cette option permet de publier, à défaut d’un choix plusdrastique, l’essentiel des communications, et malgré les efforts des éditrices pour donner unecohérence à leurs volumes respectifs qui n’est plus celle du colloque, il n’en reste pas moinsque seule la lecture conjointe des deux volumes permet de saisir pleinement la richesse duprojet qui a porté ces échanges1. Ce colloque, qui s’inscrit dans les recherches entreprises dansla perspective du centenaire de l’organisation, participe des efforts engagés pour construire unehistoire transnationale des institutions du travail et démarrés à l’occasion d’un autre centenaire,celui du ministère du Travail français2.

2 Projet d’organisation internationale tout à fait remarquable et organe important de laconstruction normative en matière de travail, l’OIT a déjà fait l’objet de nombreuses études.Elles se sont pour l’essentiel attachées au fonctionnement interne de cette institution originalefondée sur la représentation tripartite des États et des représentants ouvriers et patronaux, ainsiqu’à sa contribution à l’affirmation de normes internationales en matière de droit du travail3.La perspective proposée ici se veut décalée et engage une relecture de l’histoire de l’institutionqui s’attache plutôt à des questions de relations internationales. Elle s’inscrit dans l’étude del’émergence d’une « société civile globale », au cœur de l’histoire transnationale et globale,espace collectif qui dépasse les seuls acteurs étatiques et les actes du droit international.Le regard se porte sur la multiplicité des acteurs, leurs pratiques, la circulation des idéeset la mobilisation de leurs expertises. Cette approche permet de dépasser les limites de lareprésentation juridique de la norme internationale qui fonde son effectivité sur l’hypothèsede l’exercice vertical de la hiérarchie dont elle occuperait un sommet. L’hypothèse d’une« société civile globale » permet au contraire de saisir un double mouvement de productionde la norme à partir du local et de renforcement des pratiques effectives grâce à la légitimitéque confère la norme globale. L’OIT constitue de ce point de vue un laboratoire exceptionnel.Institution parmi les plus anciennes de l’ordre international contemporain, elle a tout d’abordaccompagné, depuis 1919, le développement des organisations interétatiques et préfigurele rôle croissant des acteurs non étatiques dans la structuration de l’espace international.Elle est, en second lieu, l’un des espaces d’expression de ces acteurs non étatiques. Enfin,l’effectivité de la construction normative qu’elle promeut ne trouve pas son seul fondementdans le processus traditionnel de ratification et de transposition dans l’ordre juridique interne.Elle s’appuie sur des réseaux sociaux plus larges, dont la contribution à l’élaboration de la

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norme constitue un gage de sa mise en œuvre. L’OIT a ainsi été, dès sa conception, un projetalternatif à la construction de l’ordre international étatique et reflète le caractère compositedes fondements du droit social. L’histoire de ses acteurs, de ses réseaux, de ses modes defonctionnement et des conséquences de ses actions constitue un contrepoint précieux auxquestions qui se posent aujourd’hui dans le champ des relations internationales.

3 C’est donc une mise en perspective globale des processus de formation de la normeinternationale en matière de droit du travail, bien plus que de son contenu ou des débats danslesquels elle s’intègre, qui nous est proposée ici. Si l’institution repose sur une organisationinterne assez traditionnelle et des procédures qui se stabilisent au cours du temps, soncaractère tripartite comme la diversité des enjeux associés au travail conduisent à observer unfonctionnement qui se reconfigure au gré des dossiers et de la diversité des acteurs qui lesportent. Par ailleurs, acteur d’un réseau évolutif, l’OIT ne se réduit pas non plus à la seuleproduction normative présente dans ses conventions et ses recommandations. Elle peut aussiêtre une ressource, un outil, une référence d’expertise ou encore un lieu de confrontationsoumis aux tensions liées au jeu international. Ainsi envisagé au-delà des seuls débats interneset des enjeux diplomatiques, le fonctionnement de l’institution permet de mieux comprendreson ancrage, le respect qu’elle inspire et l’efficacité de son action. Celle-ci ne résulte pas tantde la mise en œuvre de textes internationaux qui sont toujours des compromis et ne valent quepar le bon vouloir des acteurs concernés, que d’une capacité d’influence qui résulte d’un jeuparallèle d’écoute et d’expertise lui permettant de diffuser des positions. On comprend alorspourquoi l’OIT n’est pas une institution lointaine où s’exprime une bonne volonté collectiveou une tribune qu’instrumentalisent à l’occasion ses membres, mais qu’elle peut effectivementcontribuer à la construction de normes partagées en matière de travail.

4 Sans viser à restituer l’ensemble des communications proposées dans les deux ouvrages, onpeut relever trois configurations dans lesquelles l’action de l’OIT est susceptible de débouchersur une évolution des normes et des pratiques : lorsqu’elle intervient pour synthétiser un cadredéjà largement élaboré ; lorsqu’elle sert de tribune à des intérêts particuliers, qu’il s’agisse deceux d’États ou d’organisations non gouvernementales (ONG) ; enfin, lorsqu’elle joue un rôleplus ou moins autonome d’innovation ou de promotion de son approche normative.

Un lieu de synthèse5 Les grands domaines d’action de l’OIT dans l’entre-deux-guerres, comme le chômage

(Sauthier, 2), l’hygiène industrielle (Lespinet-Moret, 1), la durée du travail ou le travail desenfants (Droux, 2) se déploient à partir du cadre déjà élaboré chez ses membres les plusactifs. La dimension tripartite permet à l’institution de mobiliser un large réseau dont lespositions sont synthétisées par des experts et les services de l’organisation pour aboutir àdes propositions. La conférence internationale du travail, qui se réunit annuellement, s’appuiealors sur un éventail de pratiques et de réflexions déjà bien connues et établies si bien que sesdécisions ont de bonnes chances d’être intégrées dans le droit social des États membres.

6 Les relations que ces derniers entretiennent avec l’institution doivent néanmoins beaucoupà des personnalités qui assurent un rôle d’interface et qui trouvent dans cet engagementune justification pour leur propre action politique ou syndicale. Le cas de Justin Godart(1871-1956), qui fut en France ministre du Travail du cartel des gauches et avant tout unedes figures de l’élaboration de la doctrine de l’OIT, est emblématique (Viet, 1). En Belgique,Ernest Vandervelde joue, à la même époque, un rôle tout à fait comparable (van Daele, 2).

7 Pour autant, l’intégration des préconisations de l’OIT dans le droit social des États membresne repose pas que sur ces réseaux, elle dépend également des aléas du contexte politique etsocial. Même avec la meilleure volonté des autorités politiques, le processus de transpositiondes préconisations de l’OIT aboutit rarement lorsque les pratiques internes des États en sonttrop éloignées. Ce fut par exemple le cas en Suisse où le dossier des assurances du travail,longtemps bloqué malgré le souhait des autorités de suivre les préconisations de l’organisation,n’avança finalement que lorsqu’il s’avéra nécessaire de traiter le cas des travailleurs frontaliers(Lengwiller, 2).

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Une tribune pour des intérêts particuliers8 L’OIT constitue aussi, sur de nombreux dossiers, une ressource sur laquelle s’appuient les

démarches des acteurs qui contribuent à son fonctionnement, qui l’instrumentalisent au besoin,mais qui s’engagent du même coup à défendre ses préconisations. Les Britanniques jouèrentun rôle majeur dans la création de l’OIT parce que l’institution semblait pouvoir permettrede consolider un compromis politique interne entre libre-échange et défense syndicale enpromouvant un espace de concurrence enfin rendu équitable par des normes sociales partagées(Hidalgo-Weber, 2).

9 Pour les États-Unis, dont la participation fut, comme pour d’autres institutions internationales,épisodique et liée à leurs intérêts immédiats, l’OIT constitue un outil de politique étrangère.Adhérents à partir de 1934, ils y promeuvent leur conception de l’articulation entre État etinitiative individuelle, à travers la démarche du « social and economic planning », penséecomme une réponse à la crise et une alternative à la planification soviétique (Cayet, 1). L’OITdevient même l’un des lieux de promotion mais aussi de discussion des idées du New Dealsur le rôle de l’État et les formes de régulation économique et sociale. L’esprit de cettepolitique s’y poursuit d’ailleurs après 1945 avec la présence des experts états-uniens qui ysont détachés (Jensen, 2). Avec la conférence de Philadelphie de 1944, l’OIT prend de faitune place dans le front allié, consacrant ainsi le tournant opéré à partir de son repli au Canadadès le début du conflit mondial. L’OIT s’affirme comme porte-voix du syndicalisme chrétienet anticommuniste et affiche durant les années 1940 une proximité avec l’AFL (Americanfederation of labor) et un rejet de la CIO (Congress of industrial organizations). Elle estpour un temps un allié objectif des gouvernements nord-américains et ne devient un lieud’expression de la guerre froide qu’avec l’adhésion en 1954 de l’URSS (Union des républiquessocialistes soviétiques ; Delpal, 1). Plus récemment, l’OIT fut partie intégrante de l’initiativeBetter factories Cambodia portée par l’administration Clinton, qui conditionnait l’ouverturedu marché américain aux produits textiles cambodgiens à l’amélioration des conditions detravail des ouvriers. L’organisation joua un rôle clé dans la mise en œuvre de ce programmeen assumant des fonctions d’expertise mais aussi d’encadrement des missions de contrôle quisuppléèrent les carences des autorités cambodgiennes (Delpech, 1).

10 Ce rôle de ressource ne concerne pas que les États. Les organisations non gouvernementales,les groupes de pression et d’expression peuvent également y trouver un outil de légitimationet d’amplification de leurs positions. Ce fut le cas pour les associations féminines et leursporte-paroles, qu’ils  /  elles s’expriment en tant qu’experts ou même que fonctionnaires del’institution, comme dans les débats de l’entre-deux-guerres au sujet de la spécificité du travailféminin et de la nécessité ou non de sa protection (Natchkova et Schoeni, 1  ; Thébaud,1). L’OIT fut aussi un lieu d’expression de la critique, voire de la contestation des Étatscoloniaux. Le dossier du travail forcé, ouvert à la fin des années 1920, permit, malgré unrapport aux conséquences très limitées, de mettre en lumière des pratiques et d’en contesterles justifications (Daughton, 2). L’organisation contribua enfin à former les futurs cadres dela décolonisation et à leur donner une première expérience et légitimité internationale, enparticulier dans le cas indien (Herren, 1).

Un espace d’innovation normative11 Enfin, depuis cent ans, l’OIT a entrepris des actions de manière plus au moins autonome, dont

les effets reposaient à la fois sur la légitimité qui lui était reconnue et sur celle qu’elle accordaità ses interlocuteurs.

12 Il a beaucoup été reproché à l’institution ses relations avec les régimes autoritaireset totalitaires. Elles résultent évidemment du fonctionnement même des institutionsinternationales à vocation universelle, ce qui ne l’empêche pas d’y poursuivre ses objectifsfondamentaux d’amélioration des conditions de vie des travailleurs et de respect de lareprésentation syndicale. La position parfois présentée comme complaisante d’Albert Thomas,son premier directeur, à l’égard du fascisme italien peut s’expliquer par une interprétationpersonnelle de la dynamique historique  : il aurait ainsi considéré avec bienveillance lesavancées matérielles favorables au monde ouvrier que proposait le régime dans les années

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1920 tout en estimant que l’évolution politique se ferait, comme ailleurs, en France enparticulier, dans un second temps. Cette position alla de pair avec une critique ferme et directede la violence du régime et de ses pratiques répressives (Gallo, 2). Dans le cas de l’Espagnefranquiste, l’OIT produisit, à la fin des années 1960, un rapport très pondéré et essentiellementtechnique sur les relations de travail. Cette position très tiède s’explique par les contraintesdiplomatiques de l’époque ; elle ne doit cependant pas occulter que l’enquête qui fut menéeput recueillir officiellement les avis des contestataires du régime et fit respecter le principe dupluralisme syndical (Farré, 1). Dans les deux cas, le dialogue porté par l’institution assurait unereconnaissance réciproque d’une forme de bonne volonté des régimes en contrepartie d’unesoumission relative aux principes promus au niveau international.

13 L’organisation a par ailleurs cherché à occuper une position autonome dans le jeudiplomatique. Dans l’entre-deux-guerres, afin de réduire son caractère manifestement tropeuropéen, elle déploya d’importants efforts pour intégrer pleinement les pays d’Amériquelatine. Elle dut accepter leur manque de moyens et de conviction (Herrera-Leon, 1). Ens’ouvrant à ce nouvel espace, l’organisation élargit ses prérogatives avec une réflexionnouvelle sur la dimension nutritionnelle de la santé des travailleurs et sur le rôle de larelance de la consommation comme voie de sortie de crise (Pernet, 1). Le chômage desannées 1930 l’amena par ailleurs à défendre une réflexion nouvelle sur la notion de « jeunechômeur  » (Dogliani, 1). Après la seconde guerre mondiale, l’influence de l’institutions’observa dans la mise en œuvre du « modèle nordique » d’État social et plus généralement durôle des prestations associées aux travailleurs dans la régulation économique globale, thèmesqu’elle observa au moins autant qu’elle contribua à développer (Kettunen, 2). Son actionpeut même s’analyser comme contribuant à la formation du droit international sans qu’il yait nécessairement d’actes formels. Ainsi, en matière de coopératives, son rôle d’expertise etd’accompagnement de projets au Maroc ou en Turquie a clairement favorisé la diffusion denormes communes, avant même que des recommandations ne soient formalisées sur ce point(Henrÿ, 2).

14 L’OIT est un acteur parmi d’autres de la formation des normes et des pratiques dumonde du travail et déploie à ce titre une capacité d’action autonome. Elle peut selon lescirconstances s’allier très ponctuellement à des organisations internationales qui relèventd’une autre nature ou d’autres objectifs. Face à la crise des années 1930, elle partage defaçon a  priori très improbable, du fait de profondes différences idéologiques, le discoursde l’organisation économique et financière de la Société des nations (SDN) sur la nécessitéde relever les niveaux de vie (Clavin, 2). Elle n’hésite pas à se confronter à d’autresorganisations dont l’action contribue à remettre en cause ses positions, comme ce fut le casavec l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) devenue à lafin des années 1970 l’un des porte-voix de la critique libérale de l’État social (Lemgruber, 2 ;Orenstein, 2). L’universalisme de l’institution tourne parfois court. Très européocentrée, l’OITdemeure, à ses débuts, respectueuse des États coloniaux. Elle appuie enfin l’affirmation d’uneOrganisation du travail arabe projetée par la ligue arabe en 1958 et qui voit le jour en 1971,ce qui renvoie à la tension permanente entre universalisme et reconnaissance des contextessociaux locaux (Hadhri, 1).

15 Au terme de ce parcours, le lecteur est invité à regarder l’OIT dans une perspectivetransnationale, à s’interroger sur l’autonomie de ce type d’institution et à envisagerl’articulation des normes sociales internes et internationales dans un jeu d’allers-retourscomplexe d’universalisation et d’ancrage qui mobilise des acteurs variés. On comprend mieuxen quoi peut consister la légitimité de ces propositions normatives. Il ne s’agit cependant qued’une étape dans la compréhension de cette «  communauté épistémique », pour reprendrel’expression de Sandrine Kott, que rassemble l’OIT. Elle mériterait en effet une étude toutaussi approfondie des conditions internes d’élaboration de ses propositions afin de mieux enmesurer les dimensions proprement institutionnelles.

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Notes

1  Les différents articles seront donc cités en mentionnant le nom de leur auteur et le code 1 pourl’ouvrage édité par Isabelle Lespinet-Moret et Vincent Viet et 2 pour celui édité par Joëlle Droux etSandrine Kott.2  Cf. par exemple, Travail et emploi, numéros « Spécial centenaire » du ministère du Travail, Premièrepartie, n° 110, avril-mai 2007  ; deuxième partie, n° 111, juillet-septembre 2007  ; Chatriot A., Join-Lambert O., Viet V. (2006), Les politiques du travail, 1906-2006. Acteurs, institutions, réseaux, Rennes,Presses universitaires de Rennes.3  Parmi lesquels on peut citer : Aglan A., Feiertag O., Kevonian D. (dir.), Humaniser le travail. Régimeséconomiques, régimes politiques et Organisation internationale du travail, Bruxelles, Peter Lang, 2011.

Référence(s) :

Isabelle Lespinet-Moret, Vincent Viet (dir.), L’organisation internationale du travail. Origine,développement, avenir, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Pour une histoiredu travail », 2011, 212 p.Sandrine Kott, Joëlle Droux (éd.), Globalizing social rights. TheInternational labour organization and beyond, New York, Palgrave Macmillan, 2013, 346 p.

Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre-Antoine Dessaux, « Isabelle Lespinet-Moret, Vincent Viet (dir.), L’organisation internationaledu travail. Origine, développement, avenir et Sandrine Kott, Joëlle Droux (éd.), Globalizingsocial rights. The International labour organization and beyond », Travail et Emploi [En ligne],142 | avril-juin 2015, mis en ligne le 01 avril 2015, consulté le 19 janvier 2016. URL : http://travailemploi.revues.org/6663

Référence papier

Pierre-Antoine Dessaux, «  Isabelle Lespinet-Moret, Vincent Viet (dir.), L’organisationinternationale du travail. Origine, développement, avenir et Sandrine Kott, Joëlle Droux (éd.),Globalizing social rights. The International labour organization and beyond  », Travail etEmploi, 142 | 2015, 101-104.

À propos de l’auteur

Pierre-Antoine DessauxLÉA – ÉA 6294 (L’équipe d’alimentation – équipe d’accueil 6294) ; Université François-Rabelais,Tours.

Droits d’auteur

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Philippe Méhaut

Tracy Shildrick, Robert MacDonald,Colin Webster et Kayleigh Garthwaite,Poverty and insecurity. Life in low-pay,no-pay BritainBristol, Policy Press, 2013................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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Référence électroniquePhilippe Méhaut, « Tracy Shildrick, Robert MacDonald, Colin Webster et Kayleigh Garthwaite, Poverty and insecurity.Life in low-pay, no-pay Britain », Travail et Emploi [En ligne], 142 | avril-juin 2015, mis en ligne le 01 avril 2015,consulté le 19 janvier 2016. URL : http://travailemploi.revues.org/6670

Éditeur : La documentation françaisehttp://travailemploi.revues.orghttp://www.revues.org

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Philippe Méhaut

Tracy Shildrick, Robert MacDonald, ColinWebster et Kayleigh Garthwaite, Povertyand insecurity. Life in low-pay, no-payBritainBristol, Policy Press, 2013

Pagination de l’édition papier : p. 104-106

1 En 250 pages, l’ouvrage nous fait plonger au cœur du segment du marché du travail le plusproblématique du Royaume-Uni : celui de ces travailleurs « invisibles » qui alternent petitsboulots et passages par l’aide sociale, sans vraiment jamais sortir de la pauvreté.

2 Sa force est de s’appuyer sur des entretiens biographiques au long court. Les auteurs,sociologues, juristes, géographes ont enchaîné plusieurs recherches sur le même terrain,retrouvant par exemple douze ans après des jeunes qu’ils avaient enquêtés lors de leurspremiers pas sur le marché du travail. Les matériaux recueillis sont ainsi essentiellementlongitudinaux, qualitatifs et biographiques. Les enquêtes ont été menées dans une région(Teesside, dans le Nord-Est de l’Angleterre) de tradition industrielle, marquée par la crise dufordisme et de la grande industrie, au tissu économique profondément déstructuré. Le chômagey est endémique, malgré quelques signes de recomposition. Nul doute que nous pourrionstrouver en France des territoires aux caractéristiques très voisines.

3 Cette monographie sur un territoire propose un « carottage » en profondeur, sans prétentiona priori à la généralisation mais qui confronte en permanence ses résultats à ce que l’on saitdans le monde anglo-saxon, notamment aux États-Unis sur les working poor (travailleurspauvres). Elle fait aussi écho aux constats de Hugh Frazer et Éric Marlier1 sur la segmentationcroissante des marchés du travail et l’augmentation d’emplois de mauvaise qualité dansplusieurs pays européens.

4 En dix chapitres (dont une introduction et une conclusion substantielles), l’ouvrage exploresuccessivement les différentes facettes du cycle bas salaire  / absence de salaire – pauvretérécurrente.

5 Il s’ouvre sur un chapitre de discussion de la littérature et des concepts. C’est à l’intersectionde quatre cercles que les auteurs se situent. Le premier est celui de l’emploi précaire. Viennentensuite celui du travail à bas niveau de salaire, celui du cycle bas salaire / absence de salaireque permet d’appréhender la perspective longitudinale, avec le passage par des périodes depauvreté, et enfin, celui du travail de faible qualité. En la matière, l’étude ne s’intéresse passimplement au statut d’emploi, mais à l’ensemble des conditions de travail, articulées auxconditions de vie et à la protection sociale.

6 Le chapitre suivant expose la méthodologie. Il présente d’abord les caractéristiques de la régionsous revue, son processus de désindustrialisation, la difficulté à voir des signes tangibles derenouveau économique. Il détaille l’articulation des quatre enquêtes qui s’y sont succédé.Les deux premières, réalisées en 1998-1999 et 1999-2001, ciblaient plus particulièrement desjeunes de 15 à 25 ans. La troisième (2003) suivait une partie de ces cohortes, alors âgées de23 à 29 ans. Une moitié de la cohorte (60 personnes) de la dernière vague correspond à despersonnes précédemment enquêtées, l’autre moitié incluant des salariés plus âgés. L’une desthèses des auteurs est en effet que le segment des mauvais emplois, en expansion, n’est pas(ou plus) limité à la frange des nouveaux entrants, qu’ils soient jeunes ou migrants. De fait,la pauvreté est partout : trois cinquièmes des interviewés ont connu des épisodes récurrents(au moins deux) de pauvreté alors qu’un cinquième n’est jamais passé au-dessus du seuil depauvreté  ; seul le dernier cinquième comprend des individus n’ayant connu qu’un seul ouaucun épisode de pauvreté.

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7 Les auteurs examinent ensuite les pratiques des employeurs et celles des multiples agences,souvent privées, chargées du welfare to work à l’anglaise2. Même si les politiques ont variésur la période étudiée, l’octroi de la plupart des aides s’accompagne d’incitations fortes àse remettre au travail. Dans le même temps, ces dispositifs sont ciblés sur les chômeurs delongue durée, alors que la population étudiée se caractérise plutôt par la récurrence d’épisodesd’emploi (souvent courts) et de chômage. On trouve dans ce chapitre des notations classiquessur les barrières à l’embauche, discriminatoires ou non. Plus étonnant pour le lecteur français(familier du guichet unique – Pôle emploi ou mission locale) est le récit détaillé du passage desenquêtés par une succession d’agences privées (commerciales ou associatives), fonctionnantsur fonds publics alloués sur critères de résultats (principalement le taux de placement). Lesauteurs en comptent une douzaine dans un même quartier, avec parfois le même nom. Dansce maquis, il est difficile de se repérer et de saisir les complémentarités ou les redondancesde leur activité.

8 Une fois le paysage posé, les quatre chapitres suivants font entrer le lecteur au cœur deshistoires de vie. Il s’agit d’abord de décrire les alternances emploi/chômage et les mouvementsautour du seuil de pauvreté. Une fraction des jeunes étudiés reste bloquée durablement dansdes emplois culs-de-sac, souvent de courte durée et peu qualifiés : c’est le cycle bas salaire/absence de salaire. En ajoutant à leur échantillon des personnes de plus de 40 ans, le mêmephénomène est observé. Pour autant, et c’est un enseignement majeur de l’ouvrage, appuyé surde nombreux exemples et citations, aucun signe de découragement/désengagement n’apparaît :la valeur travail reste forte. En raison de ce résultat, en conclusion de l’ouvrage, les auteursreviennent, d’un point de vue critique, sur ce qu’ils appellent le « grand mythe » du chômagevolontaire et de l’abus des aides sociales. Particulièrement présent dans l’histoire des politiquesde workfare au Royaume-Uni, ce grand mythe résonne aussi dans les débats français.

9 La plupart des interviewés sont au départ sans formation ni diplôme. Beaucoup passent pardes stages qu’ils apprécient, notamment pour acquérir des National Vocational Qualifications3

de base qui sont néanmoins insuffisantes et inadaptées à la nature des emplois occupés.L’étude des pratiques des agences de l’emploi, agences d’intérim et autres, montre qu’ellessont souvent démunies devant la pénurie d’emplois de qualité et/ou qu’elles contribuent àl’enfermement des demandeurs d’emploi sur le segment des emplois de mauvaise qualité. Cetenfermement s’explique aussi par le fait que les enquêtés s’appuient souvent sur des réseauxrelationnels forts (parents, proches) qui appartiennent au même segment.

10 Lorsque l’on élargit le regard au-delà de l’emploi, ce que permet l’analyse biographiqueapprofondie, il est possible de répertorier plusieurs autres facteurs, classiques mais nontoujours pris en charge de façon cohérente dans les politiques publiques. Les problèmes desanté (parfois directement liés à la mauvaise qualité des conditions de travail), les contraintesfamiliales telles que la garde des enfants ou les soins à des proches, la consommation dedrogue, ou la difficulté de l’accès au lieu de travail faute de moyen de transport sont ainsi misen lumière. Par là, ce sont les relations complexes entre offre et demande de travail qui sontrévélées par ce qu’en disent les personnes enquêtées.

11 On peut alors mieux comprendre pourquoi ces travailleurs n’échappent pas à la pauvreté,comment les mailles du filet des aides sociales, rompues par les discontinuités de trajectoire,s’avèrent insuffisantes.

12 En conclusion, outre leur insistance sur le « grand mythe », les auteurs reviennent sur d’autrestravaux, y compris plus quantitatifs, qui permettent de conforter leur approche monographique.Ils avancent l’hypothèse forte du caractère « fonctionnel » de ce nouveau précariat dans uneéconomie ouverte et censée être basée sur l’économie de la connaissance. Dans cette économie,les emplois peu qualifiés, les mauvais emplois demeurent. Ceux qui sont pris dans le cycleemploi de faible qualité/absence de salaire, en passant parfois par la case d’une aide socialeinsuffisante pour les sortir de la pauvreté, constituent une forme de nouvelle «  armée deréserve ». Tout en ne partageant pas totalement les thèses de Guy Standing4 qui voit dans lacroissance du précariat l’émergence d’une nouvelle classe sociale, les auteurs le rejoignent surses principaux attributs, détaillés tout au long de l’ouvrage ; envisagés sous l’angle du travail,de l’emploi, du revenu, des qualifications, etc., ils sont aussi liés au recul des filets de sécurité

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existants. Un tel constat conduit naturellement les auteurs à formuler un ensemble de critiqueset de recommandations pour les politiques publiques.

13 On pourra évidemment discuter de la pertinence des choix méthodologiques  : se focaliser,zoomer exclusivement sur ceux qui sont le plus dans la difficulté, le faire dans une régionparticulière et sur un petit échantillon. Deux arguments forts sont opposables à ces critiques :d’une part, le caractère « invisible » de ce segment qui ne se limite ni aux jeunes primo-entrantsni aux chômeurs de longue durée, plus facilement identifiables dans les statistiques et pris encompte dans les politiques ; d’autre part, la nécessité d’une approche englobant l’ensemble del’histoire de vie pour analyser les interactions entre travail, emploi et pauvreté.

14 Pour le lecteur français (qui regrettera de ne pas bénéficier d’une traduction… mais l’inverseest vrai, la littérature française sur cette question est inconnue des auteurs), l’un des intérêts decet ouvrage réside d’abord dans le recul qu’il permet de prendre sur le succès du Royaume-Unien termes d’emploi, souvent attribué à la flexibilité de son marché du travail et à l’efficacitéde ses politiques de workfare. Le faible taux de chômage et sa décrue rapide dans la périoderécente masquent l’importance des emplois de mauvaise qualité, de la pauvreté dans l’emploi.

15 Il incite, par ses entrées pluridimensionnelles, à dépasser l’approche, souvent dominante enFrance, par les seuls statuts d’emploi (contrat à durée déterminée versus contrat à duréeindéterminée) pour prendre la question des emplois à bas niveaux de salaire de manière plusglobale. C’était la ligne suivie par Ève Caroli et Jérôme Gautié en 2008 dans le cadre de larecherche internationale sur le travail à bas niveau de salaire menée pour la fondation RussellSage5. Le salaire minimum peut aussi masquer en France une réalité multiforme d’emplois demauvaise qualité.

16 Il fait en outre écho à des travaux plus récents, comme ceux de Claude Picart6, sur la dualisationcroissante du marché du travail en France et sur la frange du salariat enfermée dans l’alternancemauvais emplois, chômage ou inactivité.

17 Et, ainsi que le concluent les auteurs, il incite à penser non seulement une politique de l’emploi,mais aussi une politique de la qualité du travail, indissociables de celles de la protection sociale.

Notes

1  Frazer H., Marlier É. (2010), In-work poverty and labour market segmentation in the EU, Ceps/Instead, European network of independent experts on social inclusion, n° 2010-02 ; disponible en ligneà l’adresse : www.ceps.lu/publi_viewer.cfm ?tmp =2709 ; consultée le 23 juin 2015.2  Le welfare to work (également appelé workfare) désigne les politiques actives de l’emploiconditionnant diverses aides sociales à la recherche active d’un emploi, voire à l’obligation de prendre« n’importe quel » emploi.3  Les National Vocational Qualifications sont l’une des composantes du système des diplômesprofessionnels anglais, dont la valeur sur le marché du travail est souvent analysée comme très faible.4  Standing G. (2011), The precariat : the new dangerous class, London, Bloomsbury Academic.5 Caroli È., Gautié J. (2008), Low-wage work in France, New York, Russell Sage Foundation.6 Picart C. (2014), « Une rotation de la main-d’œuvre presque quintuplée en 30 ans : plus qu’un essordes formes particulières d’emploi, un profond changement de leur usage », Emploi et salaires. Inseeréférences, Paris, Insee.

Référence(s) :

Tracy Shildrick, Robert MacDonald, Colin Webster et Kayleigh Garthwaite, Poverty andinsecurity. Life in low-pay, no-pay Britain, Bristol, Policy Press, 2013, 264 p.

Pour citer cet article

Référence électronique

Philippe Méhaut, « Tracy Shildrick, Robert MacDonald, Colin Webster et Kayleigh Garthwaite,Poverty and insecurity. Life in low-pay, no-pay Britain », Travail et Emploi [En ligne],

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Travail et Emploi, 142 | avril-juin 2015

142 | avril-juin 2015, mis en ligne le 01 avril 2015, consulté le 19 janvier 2016. URL : http://travailemploi.revues.org/6670

Référence papier

Philippe Méhaut, «  Tracy Shildrick, Robert MacDonald, Colin Webster et KayleighGarthwaite, Poverty and insecurity. Life in  low-pay, no-pay Britain  », Travail et Emploi,142 | 2015, 104-106.

À propos de l’auteur

Philippe MéhautLaboratoire d’économie et de sociologie du travail (Lest)

Droits d’auteur

© La documentation française

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Sébastien Petit

Élodie Béthoux, Guillaume Desage,Arnaud Mias, Jérôme Pélisse,Sociologie d’un syndicalismecatégoriel. La CFE-CGC ou la fin d’uneexception ?Paris, Armand Colin, coll. « Recherches », 2013................................................................................................................................................................................................................................................................................................

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Référence électroniqueSébastien Petit, « Élodie Béthoux, Guillaume Desage, Arnaud Mias, Jérôme Pélisse, Sociologie d’un syndicalismecatégoriel. La CFE-CGC ou la fin d’une exception ? », Travail et Emploi [En ligne], 142 | avril-juin 2015, mis en lignele 01 avril 2015, consulté le 19 janvier 2016. URL : http://travailemploi.revues.org/6676

Éditeur : La documentation françaisehttp://travailemploi.revues.orghttp://www.revues.org

Document accessible en ligne sur : http://travailemploi.revues.org/6676Document généré automatiquement le 19 janvier 2016. La pagination ne correspond pas à la pagination de l'éditionpapier.

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Élodie Béthoux, Guillaume Desage, Arnaud Mias, Jérôme Pélisse, Sociologie d’un syndicalis (...) 2

Travail et Emploi, 142 | avril-juin 2015

Sébastien Petit

Élodie Béthoux, Guillaume Desage, ArnaudMias, Jérôme Pélisse, Sociologie d’unsyndicalisme catégoriel. La CFE-CGC ou lafin d’une exception ?Paris, Armand Colin, coll. « Recherches », 2013

Pagination de l’édition papier : p. 106-108

1 Par leur statut1 et la place qu’ils occupent dans la division du travail2, les cadres constituent,en France, une catégorie spécifique. Leur représentation et leur positionnement dans l’espacesocial appellent dès lors des questions qu’Élodie Béthoux, Guillaume Desage, Arnaud Miaset Jérôme Pélisse soumettent à examen en étudiant plus particulièrement le sens et la portéedu syndicalisme catégoriel face aux évolutions professionnelles et sociétales récentes.

2 Les auteurs, sociologues des professions et de l’action syndicale, proposent une étude desmilitants syndicaux de la CFE-CGC3 en les confrontant à la situation des cadres en tant quegroupe. Examinant les parcours et les motivations de délégués de la CFE-CGC, ils interrogentplus largement ce qui anime le syndicalisme catégoriel, qui représentent les syndicats, quellessont les fonctions des militants, leurs ressources et leurs pratiques, dans un contexte où la CFE-CGC est régulièrement annoncée en déclin en raison de la baisse de ses effectifs alors que lesyndicalisme des cadres tend à se renforcer.

3 Les auteurs s’appuient sur plusieurs types de matériaux : des données d’observation recueillieslors d’un congrès de la CFE-CGC ainsi qu’à l’occasion de séminaires organisés par desinstances territoriales du syndicat, les résultats d’un questionnaire mené auprès des participantsde ce congrès et, enfin, des entretiens réalisés avec des militants dans des unions locales et desfédérations. À travers un travail en partie sociographique, ils cherchent à mettre en exergue lesprincipales caractéristiques de ces militants ainsi que leurs perceptions du syndicalisme chezles cadres. L’ouvrage articule, en trois temps, les représentations des militants de la CFE-CGCavec les transformations et le devenir d’une structure qui incarne, sans doute plus que d’autres,un syndicalisme en quête d’identité face aux évolutions salariales récentes.

4 Dans une première partie, les auteurs inscrivent la CFE-CGC dans une dimensionsociohistorique. Ils rappellent ainsi que la catégorie des cadres est institutionnalisée dansles années 1930 dans un contexte fortement corporatiste. À ses débuts en 1944, né duregroupement de plusieurs centrales de représentation des cadres, le syndicat, alors appeléConfédération générale des cadres, porte trois principales revendications : le refus de la fusionavec le régime général de protection sociale, la défense d’avantages fiscaux pour les cadres etle maintien d’une hiérarchie salariale institutionnalisée. Comme l’a montré Luc Boltanski4, laCFE-CGC est longtemps apparue comme un porte-parole des cadres et des ingénieurs alorsque, selon Guy Groux5, elle incarne le modèle d’un syndicalisme catégoriel, corporatiste,jouant sur la différenciation avec les autres salariés.

5 Affichant une relative stabilité jusque dans les années 1960, elle entend défendre une « classemoyenne  » en pleine recomposition. À partir de cette période, un débat sur la réformede l’entreprise et sur la formation des cadres à la gestion émerge alors que les positionsconservatrices du syndicat sont de plus en plus contestées par ses membres.

6 En 1981, la CFE-CGC prend sa dénomination actuelle, manifestant ainsi la volonté des’étendre aux techniciens et aux agents de maîtrise. Les effectifs croissent mais les orientationsdu syndicat sont, selon les auteurs, peu marquantes et ne traduisent pas de revendicationsfortes. Enfin, dans un contexte d’incertitude identitaire et de déclin du syndicalisme catégoriel,la CFE-CGC adopte un ton plus revendicatif dans les années 2000 alors que la situation

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salariale des cadres apparaît plus instable (réduction du temps de travail, réformes des retraiteset de l’assurance-chômage).

7 À la suite de ce repositionnement récent, les auteurs s’intéressent aux profils des participantsd’un congrès de la CFE-CGC en 2010, dont ils entendent brosser le portrait en s’attachantà leur identité, leurs intérêts, leurs trajectoires et leurs relations. Deux lignes de clivage sontmises en avant : d’une part, une forte différenciation sectorielle ; et, de l’autre, une distinctionmarquée entre les cadres et les non-cadres, ces derniers étant sans surprise moins attachés à ladimension catégorielle. L’élection professionnelle semble également être un facteur décisif del’engagement syndical puisqu’elle est l’occasion de montrer le poids du syndicat et de recruterde nouveaux militants. Les directions d’entreprise et les supérieurs hiérarchiques jouent parailleurs un rôle dans le processus d’adhésion, ce qui est propre à la syndicalisation des cadres :en effet, ils cherchent à canaliser les critiques des cadres et à relayer auprès d’eux la politiquesalariale de l’entreprise et d’éventuels changements organisationnels ou professionnels.

8 Dans une deuxième partie, les auteurs examinent trois facettes de l’implication des cadres dela CFE-CGC, soit autant de répertoires d’action et formes de construction identitaire.

9 En premier lieu, l’entreprise apparaît comme un espace de référence et d’action. Pour denombreux syndiqués, c’est en effet à l’échelle de leur propre entreprise que se conduisentla plupart des actions syndicales. Selon les auteurs, celles-ci se traduisent, tout d’abord, parl’affirmation d’une attitude experte et « pragmatique » au sein de leur entreprise ; ensuite, parla promotion de la consultation et de la participation des salariés dans le but d’assurer unerégulation des relations sociales dans l’entreprise ; enfin, par une implication dans les choixstratégiques de l’entreprise et dans la défense de l’actionnariat salarié.

10 Plus loin dans l’ouvrage, les auteurs s’intéressent aux multiples stratégies de développementde la CFE-CGC  : les militants font du porte-à-porte dans les locaux de l’entreprise, del’information syndicale sur le mode « essai sans obligation d’achat », de la « captation » depotentiels militants (à travers des formations par exemple), du « sur-mesure » en adaptantle discours à la population ciblée, à l’entreprise et au secteur d’activité, tout en utilisantsouvent les outils de communication à leur disposition dans l’entreprise. Plus particulièrementpositionnée sur certains thèmes, comme la problématique du stress des cadres et, pluslargement, de la santé au travail, la notoriété globale de la centrale reste toutefois en deçà decelle des autres syndicats majeurs.

11 De fait, ce sont essentiellement les militants de terrain qui transmettent aux salariés l’imagedu syndicat et qui leur démontrent concrètement l’utilité immédiate du syndicalisme en leurproposant toute une gamme de services tels que l’offre de conseils en termes de formation,de carrière, de bilan de compétences ou de recherche d’emploi. Les auteurs soulignent quela fourniture de services constitue une réponse à l’individualisme des salariés en attentede contreparties tangibles dans la foulée de leur adhésion. S’étant placés dans une logiqued’offre, les syndicats sont donc contraints d’apporter au sein des entreprises des réponses auxcomportements opportunistes de leurs adhérents.

12 Dernier champ d’action des syndiqués : les revendications salariales. La plupart des militantsont cherché, en adhérant, à trouver un mode d’action et de compromis pour résoudre, « sansdogme », les problèmes qu’ils rencontrent dans leur entreprise – le terme de « compromis »revient d’ailleurs fréquemment dans les dialogues et négociations. Aussi, les revendicationsdes militants portent d’abord sur les conditions de travail, les salaires, l’emploi et leslicenciements. Allant jusqu’à la grève lorsqu’elle n’est pas reconnue comme partenaireprivilégié des directions dans les négociations, la CFE-CGC n’hésite pas à médiatiser sesluttes, notamment lors des restructurations et des conflits salariaux, et entend participer à lastratégie des entreprises dans l’ensemble des secteurs économiques.

13 Le déploiement de la CFE-CGC dans ces différentes gammes d’actions incite les auteurs àinterroger sa relation aux autres syndicats. La CFE-CGC cultive sa stratégie de différenciationsur deux registres principaux  : d’une part, elle joue sur l’identité catégorielle, de l’autre,elle n’hésite pas à entrer en concurrence avec les autres syndicats. Dans le premier cas,le syndicalisme est perçu comme devant être scindé en deux mondes distincts  : celui destravailleurs manuels et celui des travailleurs intellectuels. Dans le second, elle considère

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les autres organisations syndicales comme des concurrentes et leur reproche parfois de nepas valoriser le mérite individuel. Dans les deux cas, les auteurs remarquent que la CFE-CGC affiche un attachement renouvelé aux principes de différenciation et de distinctionhiérarchique – auquel le statut de cadre n’est pas étranger6.

14 Dans une dernière partie, les auteurs questionnent le devenir de la CFE-CGC alors quel’exception catégorielle est contestée par les autres syndicats. Selon eux, la CFE-CGCest toujours tiraillée entre défense de la singularité et désir de normalisation des rapportsprofessionnels ; de même, elle est partagée entre une position attentiste qui n’appréhende pasle syndicat comme menacé et une autre qui craint la transformation de la CFE-CGC en unsyndicat généraliste.

15 Un principe reste prédominant dans le positionnement de la CFE-CGC, celui d’apparaîtrecomme un syndicat «  responsable  ». Pour les auteurs, il s’agit d’un possible axe dedéveloppement du syndicat ; dans cette perspective, ils évoquent l’hypothèse du passage d’unsyndicalisme catégoriel à un syndicalisme responsable, ce qui correspondrait, selon eux, à latransition du modèle de la qualification vers celui de la compétence. Ce tout dernier point,qui renvoie aux évolutions récentes de la division du travail, des rapports de production etde la structure de l’emploi, mériterait d’être davantage approfondi afin de préciser le rôle descadres et de leurs représentants dans l’avènement du modèle de la compétence, lequel aboutit,notamment, à la naturalisation et à l’universalisation des normes managériales et gestionnaires.

16 Dans leur ouvrage, É. Béthoux, G. Desage, A. Mias et J. Pélisse ont cherché à caractériserles tensions qui structurent l’identité, les motivations et les registres d’action des délégués etmilitants de la CFE-CGC. Ils ont le mérite de mettre en lumière les ambivalences – sinon lescontradictions – qui traversent aujourd’hui le syndicalisme catégoriel et, à travers celui-ci, legroupe des cadres lui-même. Alors qu’elle oscille entre différenciation et normalisation ausein du salariat, la CFE-CGC peine à donner une image cohérente : la définition du groupereprésenté – les cadres – est toujours assortie d’un certain flou et la « classe moyenne », cibledu syndicat, a des contours tout aussi incertains.

17 C’est ainsi tout un pan de recherches consacrées au syndicalisme des cadres lors du tournantmanagérial des années 19807 qui est actualisé. Au-delà du rôle de relais des stratégiespatronales que semblaient alors endosser les cadres, les auteurs montrent les nouvellespréoccupations des catégories d’encadrement (en termes d’emploi, de droits, de salaire, decarrière, etc.). Ils interrogent aussi les conditions de leur action collective, compte tenu du rôlequ’ils jouent dans les politiques de mobilisation des salariés mises en place par les directionsd’entreprise.

18 Les conclusions obtenues incitent à poursuivre l’étude dans cette voie, qui peut ouvrir,notamment, sur une confrontation des incertitudes qui entourent les populations del’encadrement et leurs représentants aux mutations du salariat et rapports sociaux dans lasociété contemporaine.

Notes

1  Boltanski L. (1982), Les cadres. La formation d’un groupe social, Paris, Éditions de Minuit ; GrelonA. (1986) (dir.), Les ingénieurs de la crise. Titre et profession entre les deux guerres, Paris, Éditions del’École des hautes études en sciences sociales.2  Bihr A.  (1989), Entre bourgeoisie et prolétariat. L’encadrement capitaliste, Paris, L’Harmattan  ;Bouffartigue P., Gadéa C. (2000), Sociologie des cadres, Paris, La Découverte.3  Confédération française de l’encadrement-Confédération générale des cadres.4  Boltanski L., op. cit.5  Groux G. (1983), Les cadres, Paris, Maspero.6  Bouffartigue P. (2001), Les cadres. La fin d’une figure sociale ?, Paris, La Dispute.7  Groux G. (1983), op. cit. ; Mouriaux R. (1986), Le syndicalisme face à la crise, Paris, La Découverte.

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Référence(s) :

Élodie Béthoux, Guillaume Desage, Arnaud Mias, Jérôme Pélisse, Sociologie d’unsyndicalisme catégoriel. La CFE-CGC ou la fin d’une exception  ?, Paris, Armand Colin,coll. » Recherches », 2013, 240 p.

Pour citer cet article

Référence électronique

Sébastien Petit, « Élodie Béthoux, Guillaume Desage, Arnaud Mias, Jérôme Pélisse, Sociologied’un syndicalisme catégoriel. La CFE-CGC ou la fin d’une exception ? », Travail et Emploi [Enligne], 142 | avril-juin 2015, mis en ligne le 01 avril 2015, consulté le 19 janvier 2016. URL : http://travailemploi.revues.org/6676

Référence papier

Sébastien Petit, «  Élodie Béthoux, Guillaume Desage, Arnaud Mias, Jérôme Pélisse,Sociologie d’un syndicalisme catégoriel. La CFE-CGC ou la fin d’une exception ? », Travailet Emploi, 142 | 2015, 106-108.

À propos de l’auteur

Sébastien PetitCentre Pierre-Naville, université d’Évry

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