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É D C A T O L U I N MAISO N D E Assistance à la mise en scène Dyssia Loubatière Dossier pédagogique Scénographie Jean Haas Mise en scène Didier Bezace Lumières Dominique Fortin Costumes Cidalia Da Costa LES FAUSSES CONFIDENCES Marivaux © Marc Daniau

© Marc Daniau - reseau-canope.fr · MAISON DE ’L ÉDUCATION 3 Biographie On proposera l’article de Catherine Bonfils dans Le Nouveau Dictionnaire des Auteurs, Tome II, Laffont-Bompiani,

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Assistance à la mise en scène Dyssia Loubatière

Dossierpédagogique

Scénographie Jean Haas

Mise en scène Didier Bezace

Lumières Dominique Fortin

Costumes Cidalia Da Costa

LES FAUSSES CONFIDENCES Marivaux

© Marc Daniau

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LES FAUSSES CONFIDENCES Marivaux

Ce dossier pédagogique destiné aux professeurs a été réalisé parCaroline Jouffre,professeur de lettres relais de l’Inspection académique des Yvelines auprès de la Scène nationale de Saint-Quentin-en-Yvelines

Mars 2010 2

Biographie

Le texte

Les sources

L’influence des Italiens

L’argument

La construction de l’œuvre

L’analyse des personnages

L’analyse des thèmes

La dramaturgie

Les intentions du metteur en scène

La mise en scène

Quelques textes critiques

La réception du temps de Marivaux

Quelques critiques du XXe

La réception du spectacle monté par Didier Bezace

Ressources

Mise en scène Didier Bezace

Assistance à la mise en scène Dyssia Loubatière

ScénographieJean Haas

LumièresDominique Fortin

CostumesCidalia Da Costa

Remerciements au théâtre de la Com-mune pour les prêts de documents écrits et iconographiques.

Notes : toutes les références au texte de Marivaux s’appuient sur le texte paru chez Pocket Classique, n° 6162 qui présente l’édition de 1738.

© Marc Daniau

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Biographie

On proposera l’article de Catherine Bonfils dans Le Nouveau Dictionnaire des Auteurs, Tome II, Laffont-Bompiani, 1994 :

« Auteur dramatique et romancier fran-çais. Né et mort à Paris : 1688 – 1763. En 1698, son père obtient une charge à la Monnaie de Riom ; sa mort en 1719 met fin à une laborieuse et honnête carrière ad-ministrative. Marivaux a probablement été inscrit au collège des oratoriens de Riom, où il aura reçu une sérieuse éducation clas-sique. Envisageant de prendre la succession de son père, ou convaincu qu’une vocation littéraire ne s’épanouit que dans la capita-le, il s’inscrit plusieurs fois à la faculté de droit de Paris, à partir de 1710, et obtient même sa licence en 1721. Neveu et cousin, par sa mère, des grands architectes Pierre et Jean-Baptiste Bullet de Chamblain, il fréquente sans doute davantage les milieux artistiques et littéraires que la faculté.

En 1717, Marivaux épouse Colombe Bol-logne ; elle lui apporte une modeste for-tune bientôt dissipée par la crise de Law. Veuf en 1723, il lui reste une fille, Colom-be-Prospère, qui entrera en religion en 1745. Élu à l’Académie Française en 1742, Marivaux achève auprès de Mademoisel-le de Saint-Jean, qu’il n’épousera pas, une existence dont on ne connaît presque rien. Seule l’œuvre témoigne d’une personnalité littéraire qui compte parmi les plus remar-quables de son siècle.

Son premier ouvrage publié est une co-médie en vers, Le Père prudent et équitable (1712), dont on ne sait si elle fut jamais représentée. En 1713, de deux romans, Les Effets surprenants de la sympathie et Phar-samon ou les Nouvelles Folies romanesques, seul paraît le premier. Ces romans « de jeu-nesse » sont restés inconnus des historiens de la littérature, et à plus forte raison du public, jusqu’au jour où Frédéric Deloffre les a réédités (1972). Assurément, ils n’ont

pas reçu l’attention qu’ils méritaient au moment de leur publication. Aujourd’hui, le lecteur est frappé par la modernité et l’acuité de la réflexion critique sur l’art du romancier qu’ils proposent, et y reconnaît la source et la première manifestation du génie créateur de Marivaux. […] L’écriture à la première personne, mémoires, lettres, relations, entretiens, se développe [alors] de manière remarquable.[…] D’une part, il est intéressé par les structures anciennes, le foisonnement, la fantaisie, les surprises de l’univers romanesque baroque ; d’autre part, il les reprend pour les soumettre à l’épreuve de la parodie. […] En 1720, Mari-vaux se tourne vers le théâtre : signe d’am-bition, il se présente en même temps sur les deux scènes officielles. Au Théâtre-Ita-lien, il propose une comédie en trois actes, L’Amour et la Vérité, qui tombe immédiate-ment et dont le texte est perdu. Au Théâ-tre-Français où, comme tout débutant, il attend la consécration du genre tragique, il donne, en décembre 1720, un Annibal en cinq actes et en alexandrins. La pièce n’a que trois représentations. Dans le même temps aux Italiens, une seconde comédie, Arlequin, poli par l’amour, connaît un vif succès ; Marivaux a la sagesse de reconnaî-tre sa voie. Après Annibal, il donne à la Co-médie-Française neuf comédies, dont deux succès seulement, La Seconde Surprise de l’amour (1727) et Le Legs (1736). […] Il trouve des interprètes qui lui conviennent parfaitement dans la troupe de Luigi Ric-coboni. [Pour les Italiens], Marivaux com-pose ses plus grands succès : La Surprise de l’amour (1722), La Double Inconstance (1723), Le Jeu de l’amour et du hasard (1730), Les Fausses Confidences (1737), L’Épreuve (1740).

[Après 1720, la production littéraire de Marivaux consiste essentiellement en piè-ces de théâtre, accessoirement en journaux, dont l’écrivain est le rédacteur unique, en-fin, à partir de 1727, en romans, auxquels

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Marivaux s’intéresse jusqu’en 1740.]Dans les trois domaines littéraires abor-

dés par Marivaux, théâtre, roman et jour-naux, la peinture des mouvements du cœur et l’expression du Moi, la recherche de la vérité de l’être sous tous ses masques, la variété et le naturel des tons, le renouvel-lement des techniques propres à chaque genre et leur langage, ont été son souci essentiel. À la fin de sa carrière, Marivaux constate que « le fond de l’esprit humain va toujours croissant parmi les hommes ».

On rajoutera, en s’appuyant sur la bio-graphie proposée par les ressources docu-mentaires du théâtre de l’Odéon, que Ma-rivaux a été considéré comme un auteur mineur par la génération des Encyclopé-distes – même s’il a été un des auteurs les plus joués du XVIIIe avec Voltaire – et ce jusqu’au milieu du XXe, que son théâtre emprunte certains traits à la Commedia dell’Arte (typologie de personnages autour desquels il brode des situations, use du travestissement et privilégie l’amour) et qu’enfin on peut voir en lui un utopiste.

En effet, son théâtre devient un lieu d’expérimentation sociale sur la parité comme dans La Colonie (1729, perdue puis réécrite en 1750) où les femmes veulent établir une république ; sur l’égalité com-me dans l’Île des Esclaves, 1725, où maî-tres et serviteurs échangent leurs rôles. Pourtant, la fin de ces pièces marque la fin des expérimentations et la fin des utopies. On retourne à la normale.Marivaux est surtout connu pour ses piè-ces qui traitent de « la métaphysique du cœur », ce qu’on a appelé le marivaudage : La Surprise de l’amour (1722), La Double Inconstance (1723), Le Jeu de l’amour et du hasard (1730), Les Fausses Confidences (1737).

Marivaux dit avoir « guetté dans le cœur humain toutes les niches différentes où peut se cacher l’amour lorsqu’il craint de se montrer », et chacune de ses comé-

dies a pour objet de le faire sortir d’une de ses niches.

Pistes de travail Réaliser une courte biographie. À partir des éléments ci-dessus, les élèves réalise-ront une fiche biographique qui présentera les dates de vie et de mort de l’auteur ; les deux genres dans lequel il s’est il-lustré ; son genre de prédilection ; cinq titres particulièrement célèbres.

Le texteLes sources

Les Fausses Confidences a été créée pour la première fois le 16 mars 1737 par les Comédiens italiens à l’Hôtel de Bourgogne, puis reprise au Théâtre-Français en 1793. Les Fausses Confidences est la dernière grande pièce de Marivaux. Reçu à l’Acadé-mie Française en 1743, il n’écrira plus que des pièces en un acte.

Il a alors quarante-neuf ans et il est de-venu un auteur célèbre depuis le succès de ses comédies dans les années vingt.On ne sait rien de la manière dont Marivaux travaillait. Par contre, on peut citer certai-nes œuvres qui peuvent être des sources d’inspiration pour le dramaturge.• En premier lieu, on évoquera la fausse confidence employée par Moron dans La Princesse d’Élide de Molière (1664) pour inviter le prince Euryale et la princesse à dompter leur fierté et à s’avouer leur amour.• En second lieu, La Fontaine en 1668 pro-pose un portrait de la veuve qui s’ouvre à l’amour d’un jeune homme « beau, bien fait, jeune » dans la Jeune veuve (VI, 21).• En troisième lieu, on pensera au Chien du jardinier (1618) du dramaturge espa-gnol Lope de Vega dont les Comédiens

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Italiens dirigés par Luigi Riccoboni ont tiré l’intrigue de La Dame amoureuse par envie (1717). Xavier de Courville dans sa biographie du maître des Italiens résume ainsi la trame de la pièce : « la comtesse (…) est éprise de son secrétaire (…) alors que celui-ci avait déjà porté ses yeux sur la soubrette. Elle écarte de lui sa rivale, sans vouloir s’en avouer les raisons. Elle cherche à lui laisser entendre une flamme qu’elle n’ose lui déclarer, ne lui avoue ses tourments qu’en les lui présentant comme les tourments d’une amie, et se laisse choir pour être relevée par sa main. Elle espè-re éveiller sa jalousie en lui demandant conseil sur le prétendant qu’elle doit épou-ser. Quand il s’est laissé prendre au jeu et correspond à cet amour, offensée dans son amour-propre, elle le repousse et décide de le chasser. Mais quand la pauvre soubrette demande à le suivre, elle refuse de la lais-ser partir avec lui. La scène qui devrait être d’adieux, pousse à l’extrême le conflit de ses sentiments contradictoires ».

En dernier lieu, Marivaux s’inspire sur-tout de lui-même : de ses pièces précé-dentes et de la fin de la première partie de son roman Le paysan parvenu (1734). L’auteur y campe un jeune homme, Jacob, ruiné après la disparition de son maître. Ce dernier secourt une femme d’âge mûr, Mademoiselle Habert, victime d’un ma-laise sur le Pont-Neuf. Jacob la reconduit chez elle. Par reconnaissance, elle l’engage comme valet malgré les réticences de l’ab-bé Doucin, son confesseur, qui craint les commérages. La suite du roman est très semblable à la pièce puisque Mademoiselle Habert prendra Jacob chez elle, à son ser-vice. Il finira par l’épouser.

Pistes de travail

Comprendre ce qu’est une source. On peut donner à lire la fable de La Fontaine et de-mander aux élèves d’établir les points com-

muns entre le texte du fabuliste et celui de Marivaux. On leur fera prendre conscience qu’une source peut n’être qu’à l’origine d’un seul élément de la création et qu’une œu-vre est une création nouvelle à partir d’un savant assemblage de lectures disparates...

L’influence des Italiens

Après la mort de Molière, en 1673, toutes les troupes parisiennes se regroupent en une seule : la Comédie-Française. Parallè-lement, il existe une autre troupe, celle des comédiens italiens. Leur jeu repose sur l’improvisation : seul un canevas de l’intrigue est connu des comédiens qui improvisent ensuite sur scène, multipliant les lazzi (gags où ils font valoir autant leurs qualités d’acrobates que leur talent verbal). Les comédiens jouent toujours masqués et il s’agit moins de personnages que de types reconnus tout de suite du public grâce aux masques et aux costumes (exemple : personnage du zanni : un valet un peu balourd et grossier, parfois agres-sif ; Arlequin incarne ce personnage et on le reconnaissait très vite à son costume bariolé). Très aimés du public populaire, ils reçoivent pourtant en 1697 l’ordre de quitter Paris. À leur départ se multiplient les théâtres de foire, pour compenser le vide créé par leur absence. Les Comédiens italiens seront rappelés par le Régent en 1716. Dès lors ils se franciseront de plus en plus, ne serait-ce qu’en choisissant la langue française pour s’exprimer. En 1769, les Comédiens italiens fusionnent ave l’Opéra comique, puis ils disparaissent définitivement en 1779, chassés une der-nière fois.

Outre la source citée dans la partie précédente et qui renvoie aux Italiens, le personnage d’Arlequin est directement emprunté au répertoire. Il est un person-

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nage serviable mais un peu balourd qui ne perçoit pas quand il dérange : « Si vous voulez, je vous tiendrai compagnie, de peur que l’ennui ne vous prenne ; nous en discou-rerons en attendant » (I, 1). Il ne parle pas une langue impeccable comme le signale la faute sur le futur du verbe discourir. Il prend les propos au pied de la lettre : mais feint-il vraiment sa méprise : « Comment Madame, vous me donnez à lui ! Est-ce que je ne serai plus à moi ? (…) je donnerai ma peine d’un côté, pendant que l’argent me viendra d’un autre… » (I, 9). Comme tout valet, il espère remporter des gages les plus larges possibles : « avec votre permis-sion monsieur, ne payerez-vous rien ? Vous a-t-on donné ordre d’être servi gratis (…) » et ne dédaigne pas boire un verre : « Oh ! s’il ne faut que boire enfin qu’elle [la santé de Dorante] soit bonne, tant que je vivrai, je vous la promets excellente » (I, 9).

Par ailleurs, Marivaux a adapté ses per-sonnages à l’âge des acteurs Italiens : Syl-via - qui a joué ses rôles titres féminins- a trente-sept ans, l’âge d’une jeune veuve, l’acteur Thomassin qui jouait Arlequin est diminué par la maladie ce qui invite Mari-vaux à réduire le rôle de ce personnage. Il disparaîtra ensuite de son répertoire, Tho-massin mourant deux ans plus tard.

Enfin, on retrouve un rythme endiablé propre aux lazzis, qui s’explique par la sa-vante composition de la pièce.

Pistes de travail Savoir effectuer une recherche. On in-vitera les élèves à préparer un exposé qui sera présenté à l’oral sur la Commedia dell’arte. Ils présenteront son origine, ses caractéristiques (schéma de l’intrigue, type de comique, improvisation…), ses person-nages traditionnels et son influence dans la comédie française.

L’argument

« Présenté par son oncle Monsieur Rémi, Dorante, jeune homme désargenté, vient comme intendant chez Araminte, une jeune et jolie veuve qu’il aime en secret. Toute l’action est menée par Dubois, an-cien valet de Dorante, qui est déjà dans la place et a organisé un stratagème redou-table pour rendre Araminte amoureuse de Dorante.Araminte, qui est sur le point d’entamer un procès pour une affaire de terre avec le Comte Dorimont, à moins qu’elle ne l’épou-se, a, en effet, besoin d’un conseiller. Sa mère, Mme Argante voit d’un mauvais œil arriver dans la place Dorante qui risque de pousser Araminte à avoir recours à la Jus-tice.

Par l’intermédiaire de Dubois, Araminte apprend que Dorante est épris d’elle, tan-dis que Marton, sa suivante, s’imagine être dans les pensées de ce nouvel intendant. Araminte va donc s’employer à rendre son amant jaloux et à lui faire avouer son amour, non sans se prendre elle-même aux pièges que lui tend Dubois.Malgré l’opposition de sa mère en quête de promotion sociale et celle du Comte qui, voyant Araminte lui échapper, renonce ce-pendant au procès, la jeune femme gar-dera Dorante auprès d’elle et cédera à ses avances. Dubois, sa mission terminée, s’en ira. ».

Ce résumé figure dans le dossier du Théâtre de la Commune, consultable sur son site.Nous le complétons par une présentation rapide de chaque scène.

Acte IScène 1Arlequin, valet, reçoit Dorante. Il doit at-tendre l’arrivée de Mademoiselle Marton au service de Madame.

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En dehors de la présentation de quelques personnages et de leurs liens (Mademoi-selle Marton, Arlequin sont au service de « Madame »), on ne sait rien de l’intrigue, ni de la raison de la venue de Dorante, dont le spectateur ignore encore le nom.

Scène 2Dubois arrive « mystérieusement », il était au service de Dorante qui n’a pu le gar-der pour des raisons financières et il est entré au service de la dame de cette mai-son, riche veuve. Dorante s’est épris d’elle et Dubois fait le pari qu’elle l’aimera et qu’elle l’épousera. Nul n’est au courant de ce projet, à l’exception de ces deux hom-mes. Dorante sera introduit par son oncle, Monsieur Remy, qui s’occupe des intérêts d’Araminte. Dorante sera le nouvel inten-dant. Dubois invite son maître à rendre Marton amoureuse de lui.

C’est la véritable scène d’exposition : l’intrigue est annoncée, dirigée par Du-bois. Dorante épousera-t-il une jeune et riche bourgeoise alors qu’il est sans fortu-ne ? Un nouveau personnage est présenté : Monsieur Remy, manipulé et « homme de la meilleure foi du monde ».

Scène 3Monsieur Remy expose son rêve : un ma-riage entre son neveu et Mademoiselle Marton. Elle est protégée par Araminte qui lui « a fait beaucoup de bien, lui en fera encore, et a offert même de la marier ».

Sans le savoir, Monsieur Remy épouse les desseins de Dubois. Dorante, tenu par le secret, ne peut se dérober explicitement aux souhaits de son oncle. Il n’infirme pas ses désirs et use d’expression ambiguë : « vous avez raison, Monsieur, et c’est aussi à quoi je vais travailler ». Dorante pense qu’il travaille à son avenir en courtisant Araminte, l’oncle pensera à Marton.

Scène 4Monsieur Remy présente Dorante à Mar-ton et lui fait comprendre qu’il ne s’op-posera pas à leur union. Il présente Do-rante comme un « un cœur qui se présente bien ». Dorante ne dit rien… Son silence sera interprété par Marton comme un ac-quiescement. C’est Monsieur Remy qui a tout dit, tout fait : « En voilà un qui ne demande pas mieux (…) Voyez comme il vous regarde (…) vous voilà d’accord. Oh çà, mes enfants, je vous fiance, en atten-dant mieux. »

Scène 5Marton a pris ces paroles pour un engage-ment sérieux. Désormais les intérêts de Do-rante sont les siens. Elle annoncera favora-blement l’arrivée de Dorante à Araminte.

Une fois de plus Dorante ment par omission. À la question de Marton « Votre amour me paraît bien prompt, sera-t-il aus-si durable ? », Dorante répondra « Autant l’un que l’autre, Mademoiselle ». Chacun entend le déterminant possessif différem-ment : Marton parle de l’amour de Dorante pour elle, tandis que Dorante parle de son amour pour Araminte. Cette méprise se prolongera jusqu’à la fin de l’acte II.

Scène 6Araminte a vu Dorante sortir, elle lui trou-ve « bonne mine » et a presque peur des commérages des gens sur son compte si elle prend à son service un si beau jeune homme.

Dès les premières paroles d’Araminte, on devine l’intérêt soudain qu’elle lui porte : il la salue « gracieusement », « il a vraiment très bonne façon », « il a si bonne mine ». Mais elle se le cache en justifiant le choix de son intendant par la recom-mandation de Monsieur Remy : « Dès que c’est Monsieur Remy qui me le donne, c’en est assez ; je le prends ».

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Scène 7Araminte reçoit Dorante fort gracieuse-ment, exprime son regret de voir d’honnê-tes jeunes gens, de bonne famille vivre en dessous de leur valeur.

Elle feint d’être désinvolte mais mène un interrogatoire sur l’âge du jeune hom-me, ses origines… Dorante est d’une poli-tesse extrême mais chaque parole contient un aveu pour qui saura y lire : « Rien ne m’affligerait tant à présent que de la [la préférence] perdre (…) l’honneur de servir une dame comme vous n’est au-dessous de qui que ce soit (…) Je commence à l’être [heureux] aujourd’hui, Madame ».

Scène 8Araminte annonce à Arlequin qu’il sera au service de Dorante.

La scène a surtout une dimension co-mique. Elle permet de relâcher un peu la tension après ces scènes de rencontre, très éprouvantes pour Dorante et pour le spec-tateur.

Scène 9Arlequin réclame à son nouveau maître un petit complément financier.

C’est la suite de l’intermède comique qui relève de la farce car on y retrouve le type du valet intéressé.

Scène 10Madame Argante, mère d’Araminte, sur-vient, inquiète que sa fille ait choisi un autre intendant que celui que Monsieur Dorimont lui proposait.

Dernier personnage à être présenté : le Comte Dorimont, seul personnage noble de la pièce. Il est en conflit avec Araminte au sujet d’une terre, « on a songé à les marier pour empêcher qu’ils ne plaident ». Il forme donc avec Araminte l’obstacle extérieur à l’union Araminte-Dorante. Ma-dame Argante attend donc de l’intendant qu’il dise que le procès est perdu d’avance,

quelle que soit la réalité, pour inciter sa fille au mariage.

Scène 11Marton essaie à son tour de convaincre Dorante qu’il doit tenir ce discours dans leur intérêt.

Le clan des opposants est renforcé donc par Marton car si ce mariage se fait, elle recevra « mille écus le jour de la signature du contrat ».

Scène 12Dorante révèle à Araminte la réponse que Madame Argante attend de lui. Il jure sin-cérité à Araminte.

C’est le premier face à face entre les « amants ». Araminte est vive dans ses propos pour défendre Dorante, elle le complimente, se fâche du comportement de sa mère. On la sent survoltée : « Et voilà pourquoi aussi je ne veux pas qu’on vous chagrine, et j’y mettrai bon ordre. Qu’est-ce que cela signifie ? Je me fâcherai, si cela continue. Comment donc ? Vous ne seriez pas en repos ! On aura de mauvais procédés avec vous, parce que vous en avez d’estima-bles ; cela serait plaisant ! ».

Scène 13Dubois interrompt leur conversation, de-mande à parler seul à Madame. Il a feint d’être surpris de voir Dorante céans.

Dubois intervient pour la première fois devant Araminte, il va porter le coup qui fera basculer l’affaire : l’aveu.

Scène 14Longue scène dans laquelle Dubois va mé-nager ses effets : il annonce d’abord qu’il doit demander son congé à madame, qu’il ne peut rester dans le même service qu’« un démon ». Après avoir alarmé Araminte sur la probité de son intendant, il va louer le jeune homme au mieux : « Il n’y a point de plus brave homme dans toute la terre, il

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a, peut-être, plus d’honneur à lui tout seul que cinquante honnêtes hommes ensemble. Oh ! c’est une probité merveilleuse ; il n’a peut-être pas son pareil. » Enfin il évoquera sa « maladie » : l’amour. Ce n’est qu’après bien des méandres qu’il finira par dire à Araminte que c’est elle qui est aimée à la passion depuis plusieurs mois. S’en suit la description des longues manifestations de cette passion. Araminte ne peut être qu’« émue », elle s’exclame à chaque répli-que de Dubois mais ne peut rien dire. Elle pense ensuite à s’en défaire mais justifie qu’elle le garde : le renvoyer ne guérira pas son mal. Ce n’est qu’en la voyant tous les jours que la flamme de Dorante perdra de son éclat, usée par la routine. Elle gardera Dorante et Dubois et exige un secret total sur cet aveu.

Scène 15L’entretien interrompu par Dubois reprend mais Araminte n’est plus la même. Elle est troublée, se contredit, pense à ce qu’elle pourrait dire et qui serait mal interpré-té, qui pourrait faire souffrir Dorante. La conversation est donc confuse, le trouble fait son chemin.

Scène 16Les deux comparses, Dorante et Dubois, font le point. Tout va pour le mieux.

Scène 17Dubois reçoit Marton et insinue que Do-rante n’a d’yeux que pour sa maîtresse. Marton ne prête pas garde à ses alléga-tions ; elle en rit.

Pour une fois, Dubois dit la vérité, mais n’est pas entendu. Marton est déjà trop enamourée pour imaginer Dorante avec une autre.

Acte IIScène 1Dorante et Araminte discourent encore du procès. Araminte a l’air plus calme et maî-

tresse d’elle-même mais ses paroles restent assez contradictoires : « si je l’épouse (…) je crois pourtant que je plaiderai ; nous ver-rons. »

Scène 2Monsieur Remy vient trouver son neveu car une dame estimable qui a du bien, vient de proposer de l’épouser sur l’heure. Dorante refuse arguant qu’il a « le cœur pris », qu’il « aime ailleurs ». Araminte comprenant le jeune homme et cachant sa fierté à être préférée à « 15 000 livres de rentes », ne s’exprime qu’à la fin : « Voyez pourtant Do-rante, tâchez de vaincre votre penchant, si vous le pouvez ; je sais bien que cela est difficile ».

Une fois de plus, Monsieur Remy aide Dorante sans le savoir, le procureur lui per-met d’avouer qu’il aime et que son amour sera inaltérable. Son refus sera une preuve d’amour pour Araminte qu’elle reçoit avec déjà une certaine tendresse : « Il me tou-che tant qu’il faut que je m’en aille ».

Scène 3Monsieur Remy raconte le fait à Marton qui interprète le refus de Dorante comme une preuve de son amour pour elle. Elle en est flattée et déclare qu’elle s’est éprise du jeune homme : « je l’aime trop moi-même pour l’en empêcher et je suis enchantée. (….) je n’aurai pas cru que vous m’aimas-siez tant. »

Scène 4Le comte qui a eu vent du nouvel inten-dant, vient aux nouvelles. Marton le ras-sure et dit qu’elle s’en occupera.

Elle devient donc rivale d’Araminte et travaille pour le Comte et Madame Argante en faveur du mariage.

Scène 5Arlequin annonce qu’un garçon veut voir Madame.Ce rôle est supprimé dans la mise en scène

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de Didier Bezace, c’est Arlequin qui appor-te le portrait.

Scène 6Le garçon apporte le portrait d’une dame, commandé par « un certain monsieur ». Chaque personnage va voir en ce portrait, qui devient un véritable miroir des âmes, ce qu’il veut y voir : le Comte est-il le com-manditaire ? Il nie. Lui pense qu’il s’agit du portrait d’Araminte.

Scène 7Marton interroge plus avant le garçon et penche pour que le commanditaire soit Dorante, auquel cas elle est persuadée d’être l’objet du portrait.

Scène 8Dorante vient s’enquérir du portrait. Mar-ton l’en remercie. Dorante ne confirme ni n’infirme : « j’ignore… ». Fidèle à sa stra-tégie, il ne dit rien.

Scène 9Marton dans la première moitié de la scène est sûre d’elle. Elle explique la situation à tous et annonce qu’elle est la femme du portrait car Dorante l’aime. Araminte, étonnée, demande à voir le portrait et tous découvrent qu’Araminte en est bien l’objet.

Dès lors, Marton est une autre : une pauvre jeune fille qui comprend un peu tard sa méprise et les silences de Dorante et qui repense enfin aux propos de Dubois à la fin de l’acte I : « Monsieur Rémy dit que son neveu m’aime, qu’il veut nous ma-rier ensemble ; Dorante est présent, et ne dit point non ; il refuse devant moi un très riche parti ; (…) j’ai pourtant mal conclu. J’y renonce… ».

Araminte sort de cette situation par une pirouette expliquant que le comman-ditaire ne peut être que le Comte et qu’il nie par coquetterie.

Scène 10Arlequin et Dubois arrivent en se dispu-tant au sujet d’un autre tableau que Du-bois a voulu décrocher de l’appartement de Dorante. Il explique que représentant Madame, il n’avait que faire dans cet ap-partement.

C’est le coup de grâce pour Araminte : deux preuves de l’adoration de Dorante pour elle et aux vues de tous. L’amour de Dorante n’a plus rien d’un secret. Seul Dorante est censé ignorer qu’Araminte sait qu’il l’aime.

Scène 11Le Comte et Madame Argante veulent le renvoi de Dorante ; Araminte le défend une fois de plus. Qu’y a-t-il de blâmable à re-garder son portrait ?

L’attitude d’Araminte est suspecte aux yeux de tous : « je suis persuadée que ce petit monsieur-là ne vous convient point ; nous le voyons tous ; il n’y a que vous qui n’y prenez garde » Madame Argante.

Le Comte annonce qu’il ne plaidera pas contre Araminte. Leur mariage ne doit point dépendre d’une querelle de justice.

Scène 12Araminte confie sa colère à Dubois : il en a trop dit devant sa mère et le Comte. Elle ne veut cependant toujours pas le renvoyer pour ménager la douleur liée à sa passion. Elle aimerait qu’il avoue son amour pour qu’elle ait une raison de le renvoyer. C’est le prétexte. Elle a envie de vérifier en réalité cette passion sans passer par des intermédiaires : « je ne suis pas assez fon-dée pour le renvoyer. Il est vrai qu’il me fâcherait s’il parlait ; mais il serait à propos qu’il me fâchât ». Elle veut que Dorante lui parle d’amour.

Cela n’était pas prévu dans le plan de Dubois qui n’a pas le temps d’en avertir Dorante. Il compte sur le naturel de la scè-ne et la sincérité de Dorante pour toucher Araminte.

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Scène 13Elle ment et annonce à Dorante qu’elle est décidée à épouser le Comte. Elle demande à son intendant d’écrire un billet le lui ex-pliquant. Dorante est au plus mal mais ne dit rien. Araminte semble souffrir autant que lui.

Scène14Marton les interrompt pour demander à sa maîtresse la permission de se marier avec Dorante. Il devra s’expliquer sur ses sentiments et ne peut plus conserver son silence.La tension monte. Tout presse Dorante à parler.

Scène15Le tête-à-tête reprend. Dorante explique qu’il ne peut épouser Marton car il en aime une autre désespérément. Araminte profite de ce premier demi-aveu pour l’interroger sur celle qu’il aime : « quel intérêt aviez-vous à rentrer dans ma maison et de la préférer à une autre (…) Voyez-vous sou-vent la personne que vous aimez (…) Et ne devez-vous pas l’épouser ? (…) Elle est donc au-dessus de toute comparaison ? ». Dorante tient bon et ne dévoile pas le nom de l’être aimé. Il faudra qu’Araminte use de sa dernière carte pour obtenir l’aveu tant attendu : le portrait que Dorante avoue avoir peint lui-même. Araminte ne savou-rera sa victoire et le plaisir de se savoir amer que peu de temps car Marton les sur-prend durant cet attendrissement.

Scène 16Après le départ de Dorante, Dubois s’in-forme de l’issue de la scène : Dorante a-t-il parlé ? Araminte ment : il n’a pas parlé. Il ne sera pas renvoyé. Araminte ne peut plus se séparer de lui.

Scène 17Dorante ne sait plus que penser. Dubois, lui, a tout compris : « Elle n’est qu’à deux pas ».

Acte IIIScène 1Dubois poursuit son plan : Dorante prépare une lettre qu’Arlequin devra porter dans un quartier qu’il ne connaît pas. Il devra de-mander son chemin à Dubois ou à Marton.

C’est encore une scène bilan, compara-ble à la scène 16 de l’acte I. Ils se remé-morent la scène passée, le lecteur apprend que c’est Dubois qui a envoyé Marton dans la scène 15. Selon Dubois : « Point de quartier : il faut l’achever pendant qu’elle est étourdie ».

Scène 2Marton, dépêchée par le clan des oppo-sants auprès de Dubois, tente de savoir s’il ne sait rien de compromettant sur Doran-te. Dubois feint l’innocence et l’ignorance mais parle d’une lettre remise par Dorante à Arlequin. Il conseille à Marton de l’in-tercepter.

Scène 3Marton récupère sans difficulté la lettre puisqu’elle propose à Arlequin d’envoyer quelqu’un la porter à sa place.

Scène 4Elle ne dit rien au Comte et à Madame Ar-gante avant d’avoir lu la lettre.

Scène 5Madame Argante a fait mander Monsieur Remy au sujet de son neveu. Elle lui dit son mécontentement en des termes in-jurieux pour Dorante et sans aucun fon-dement. Monsieur Rémy hausse le ton et prend la défense du neveu.

Scène 6Araminte arrive au milieu de cette dispute, elle se rallie du côté de Monsieur Remy et se montre fâchée qu’on ait fait venir un in-tendant du comte, qu’on veuille renvoyez quelqu’un pour la bonne raison qu’il l’aime et qu’il est bien fait de sa personne.On franchit une étape de plus ici grâce

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à Madame Argante qui a un franc-parler : « Seriez-vous d’humeur à garder un inten-dant qui vous aime (…) j’entends qu’il est amoureux de vous, en bon français, qu’il est ce qu’on appelle amoureux, qu’il sou-pire pour vous, que vous êtes l’objet secret de sa tendresse ». Non seulement le secret est éventé mais on explique les sentiments sans ambages.

Scène 7Dorante vient : il est inquiet. Il a croisé l’intendant du Comte et Marton lui a signi-fié que son congé était proche. Pourtant, Araminte le rassure : il restera.

Scène 8Marton arrive avec la lettre écrite par Do-rante. Elle sera la preuve suprême de la folie de Dorante.

C’est en quelque sorte un second aveu, épistolaire celui-là que reçoit Araminte. On la presse de renvoyer Dorante. Elle refuse avec force mais ne donne pas d’arguments. Elle est à bout : « n’entendrai-je parler que d’intendant ? Allez-vous en » dit Araminte ; « Vous vous expliquez là-dessus d’un air de vivacité qui m’étonne. » répond le Comte ; « Mais, en effet, je ne vous reconnais pas. Qu’est-ce qui vous fâche ? » demande Ma-dame Argante.

Scène 9Dubois feint d’être heureux pour elle : elle va pouvoir se débarrasser de cet amant encombrant. Au passage, il lui peint un Dorante accablé de chagrin. Araminte, fu-rieuse, ne veut plus le voir.

Scène 10Marton vient prendre congé de sa maîtres-se. Après un accueil froid, Araminte com-prend sa douleur puisqu’elle aimait, elle aussi, Dorante. Elle pardonne à Marton et elles redeviennent amies.

Scène 11Arlequin, en larmes comme son maître, de-mande à voir Araminte pour lui rendre ses papiers.

Scène 12Araminte reçoit Dorante et finit par lui avouer son amour : « Vous donner mon por-trait ! Songez-vous que ce serait avouer que je vous aime ? (…) Et voilà pourtant ce qui m’arrive. ». À son tour, Dorante lui avoue le rôle de Dubois : « Dans tout ce qui se passe chez vous, il n’y a rien de vrai que ma passion, qui est infinie, et que le portrait que j’ai fait. Tous les incidents qui sont ar-rivés partent de l’industrie d’un domestique qui savait mon amour… ». Araminte lui pardonne tout à cause de sa sincérité.

Scène 13Le Comte est de retour avec Madame Ar-gante. Il comprend rapidement la situa-tion et se retire dignement : « Dorante n’est venu chez vous qu’à cause qu’il vous aimait ; il vous a plu ; vous voulez lui faire sa fortune. ». Dubois et Arlequin ferment l’intrigue.

Pistes de travail Repérer des moments clés. On demandera aux élèves de noter les scènes qui selon eux sont majeures pour l’intrigue et d’expliquer pourquoi. Ils s’interrogeront sur leur place à l’intérieur des actes et seront ainsi plus à même de comprendre la « machine » de Marivaux et de Dubois…

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La construction de l’œuvre

C’est une comédie en trois actes et en prose. Les actes comportent un grand nombre de scènes :17 dans les deux premiers actes et 13 dans le dernier. Les trois actes sont donc sensiblement équi-librés même si le dénouement est un peu plus serré.

On parle de 88 entrées et sorties des personnages pour cette pièce alors que le nombre de per-sonnages est assez réduit : trois femmes (Araminte, Madame Argante et Marton) et cinq hommes si l’on excepte le garçon et un domestique, rôles qui disparaissent dans la mise en scène de Didier Be-zace, au profit d’Arlequin. Ces cinq hommes ne sont autres que Dorante, Dubois, Arlequin, le Comte et Monsieur Remy. Ces entrées et sorties suffisent à rendre compte de la complexité des sentiments qui se jouent et de l’étourdissement dans lequel sont prises Araminte et Marton.

Figurent en croix bleues les personnages qui ne sont là que dans une partie de la scène.

Acte I

Onze scènes sur dix-sept proposent un face-à-face entre deux personnages seulement, c’est dire les chassés-croisés perpétuels sur le plateau et le caractère intimiste de la plupart des scènes. On ne trouve jamais plus de quatre personnages sur scène.

On notera aussi que Dubois est peu présent sur scène. Il intervient dès la seconde, capitale pour l’exposition, pour exposer le plan et l’enjeu. Il reste une ombre qui passe ensuite et ne réapparaît qu’à la scène 13 pour activer son plan. Une fois que Dorante a bien été établi dans la place, qu’il a tenu tête à Madame Argante, qu’il a convenu à Araminte, qu’il est installé dans ses fonctions, Du-bois révèle à Araminte l’amour que Dorante lui porte. La révélation clôt le premier acte et crée une double tension. Jusqu’à la scène 13, seul Dorante souffrait à l’idée d’un échec. À partir de la scène de l’aveu, Araminte sera torturée elle aussi de l’aveu de cet amour et de cet amour lui-même.Dorante est omniprésent ; il se contente d’épouser les dires des uns et des autres. Son silence suffit à faire avancer l’intrigue.

Enfin, on notera que Madame Argante, seul personnage clairement hostile à Dorante, si elle ne fait que passer annonce des obstacles à venir.

Dubois a le dernier mot comme dans la fin des autres actes : « Allez, allez, prenez toujours ; j’aurai soin de vous les faire trouver meilleures. Allons faire jouer toutes nos batteries ».

Personnages 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17Araminte X X X X X X XDorante X X X X X X X X X X X X X XMonsieur

RemyX X

Madame

ArganteX

Arlequin X X XDubois X X X X XMarton X X X X X X X X XLe Comte

Un

domestique

Un garçon

joaillier

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Acte II

On remarquera que, dans le second acte, Dubois n’arrive que dans la scène 10 avec l’épisode du tableau à décrocher. Il continue pourtant d’être le maître d’œuvre dans l’ombre.On remarque que l’acte commence à nouveau avec des scènes à deux personnages, le nombre ira croissant jusqu’à la scène 10 qui comprend six personnages. C’est le moment de la crise : l’épisode du tableau (voir dans la partie précédente « L’argument »), le moment où la confusion la plus grande règne dans le cœur d’Araminte. La fin de l’acte qui conduit à l’aveu de Dorante se déroule nécessairement lors de duos. La scène de l’aveu est coupée par l’apparition de Marton, ce qui mé-nage un temps de pause dans la tension pour repartir crescendo.L’aveu relaté par Dubois interrompt la discussion entre Araminte et Dorante.

Enfin, le nombre des opposants à cet amour semble se multiplier, pourtant Araminte reste in-flexible. Le dernier obstacle à vaincre sera un obstacle intérieur : Araminte elle-même.Dubois, une fois de plus, a le dernier mot : « je ne vous écoute plus ».

Acte III

L’acte III épouse un peu le schéma de l’acte I dans la mesure où il s’ouvre sur les manigances de Dorante et Dubois. On compte plus de personnages réunis sur le plateau : sept scènes avec au moins trois personnages dont la classique dernière scène qui réunit traditionnellement tous les personnages.Les duos se concentrent dans la deuxième moitié de l’acte avec les aveux.

Dubois a encore le vrai mot de la fin, même si Arlequin parle après lui : « ouf ! Ma gloire m’ac-cable ; je mériterais bien d’appeler cette femme-là ma bru ».

Personnages 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17Araminte X X X X X X X X X XDorante X X X X X X XMonsieur

RemyX X

Madame

ArganteX X X

Arlequin X XDubois X X X X X XMarton X X X X X X X X X XLe Comte X X X X X XUn

domestique

Un garçon

joaillierX X

Personnages 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13Araminte X X X X X X X XDorante X X X X XMonsieur

RemyX X X X

Madame

ArganteX X X X X X

Arlequin X X XDubois X X X X XMarton X X X X X X XLe Comte X X X X X XUn

domestique

Un garçon

joaillier

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Pistes de travail Effectuer un travail de relevé. Ce travail de relevé est très réalisable par les élèves. Afin de leur faciliter le travail, on peut leur en donner la maquette à remplir. Il permet ensuite d’analyser la présence sur scène de tel ou tel personnage, de voir le nombre de scènes à deux, leur place dans l’acte, les scènes d’aveux, les scènes comiques… Les conclusions sont en général assez riches.

L’analyse des personnages

DuboisC’est un valet, fidèle à Dorante. Il en est le confident et l’adjuvant. Celui qui aura tou-tes les audaces. Il fait le pari que l’amour triomphera et il devient l’artisan de cet amour qui met le théâtre en marche pour que le miracle ait lieu : « je m’en charge, je le veux, je l’ai mis là ». Il emploie un lan-gage presque militaire pour livrer bataille à la raison d’Araminte : « que tout se rende (p. 21) nos actions (p. 21), nos batteries (p. 58), point de quartier : il faut l’achever (p. 102) ».

Par ailleurs, il ne se débarrasse pas des éléments cruels au nom des bons senti-ments. Cruauté vis-à-vis de Marton, d’Ara-minte et même de Dorante. Il réalise un véritable travail d’accoucheur des senti-ments : faire que l’on dise ce que l’on res-sent. Il reste un « homme de sang-froid » au milieu de tous ces passionnés qui sait où il va. Il utilise Monsieur Remy pour in-troduire Dorante, utilise Marton comme rivale de Madame, utilise le Comte comme rival de Dorante… Tous ne sont que des instruments qu’il manipule à son gré. C’est lui qui met en place les artifices : le por-trait doublé du tableau ; le billet final de l’acte III ; les têtes-à-têtes interrompus volontairement… Le seul artifice qu’il ne

met pas lui-même en place mais qui servira les intérêts de Dorante, sera le faux billet qu’Araminte fait écrire à Dorante pour le faire avouer.

Il est passé maître dans l’art de la dissi-mulation. Il feint d’être surpris de trouver Dorante dans la maison d’Araminte ; feint d’ignorer l’embarras dans lequel il plonge Araminte en venant parler du tableau : « Ma foi ! Madame, j’ai cru la chose sans conséquence, et je n’ai agi d’ailleurs que par un mouvement de respect et de zèle » II, 12. Araminte parle de l’étourderie de Dubois avec naïveté car tout est calculé dans les paroles de Dubois. Il parle d’un secret, celui de Dorante ; promet de garder le silence mais s’arrange pour que tout le monde en parle. Plus la pièce avance, plus il parle « par mégarde ».

S’il est valet, c’est dans la lignée qui aboutira à Figaro. Il est au-dessus des autres domestiques : il est vouvoyé par ses maîtres et par les domestiques. Il ne tutoie qu’Arlequin.

Ses relations avec Dorante tiennent plus de celles d’un père que d’un valet : « je suis content de vous ; vous êtes un excellent homme, un homme que j’aime » (I, 2). Il est prêt à nommer Araminte « sa bru » tellement il a agi pour cette union à la fin de la pièce. Il n’hésite pas à donner des ordres à Dorante de façon péremptoire : « Allez dans le jardin (…) Dans le jardin, vous dis-je ; je vais m’y rendre » (II, 17).C’est le personnage central de la pièce même si ce n’est pas le plus présent sur scène.

AraminteContrairement aux autres héroïnes des piè-ces de Marivaux, Araminte n’est pas une jeune fille. C’est une jeune veuve, à son époque, une femme d’âge presque mûr. Son mari avait une grande charge dans les finances, elle « a plus de cinquante mille livres de rente ». À ce titre, elle n’attend

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rien et n’a besoin de rien. Son mari l’a lais-sée à la tête d’une belle fortune et des biens qu’elle sait gérer.Tombe-t-elle amoureuse de Dorante ou est-elle séduite par l’idée qu’on l’aime ?

« Et tout à coup lui arrive cet amour de Dorante, qui est doublement de l’ordre de l’impossible, de l’impensable : d’abord parce qu’elle est sourde à elle-même, et parce qu’elle ne peut aimer quelqu’un qui lui est inférieur socialement, et plus jeune qui plus est. Pourtant, cette liberté, elle la prend. C’est très beau, la manière dont elle trouve sa route au milieu de la déroute, et le cou-rage qu’elle a de s’affranchir, de braver les interdits de tous ordres. » analyse Anouk Grinberg sur son personnage dans l’entre-tien qu’elle a accordé à Fabienne Darge (Le Monde.fr).

C’est un personnage que l’on voit souf-frir à partir de l’aveu de Dubois. Elle souf-fre de voir Dorante souffrir et souffre de ce qu’elle ressent et qu’elle se cache à elle-même. Les nombreux apartés nous l’indi-quent dans (III, 12) : « Ah ! je n’ai guère plus d’assurance que lui (…) Ah ! Que je crains la fin de tout ceci (…) Je ne sais ce que je lui réponds ».

C’est un être plein de compassion qui vient en aide à Marton ; qui ne rabroue point trop fort Arlequin quand il ne com-prend rien à ses ordres et qui voit en Do-rante « un pauvre garçon » tant la passion le dévore. Pourtant, elle est capable comme Dubois d’une certaine cruauté lorsqu’elle cherche l’aveu amoureux de Dorante : « il sait ce qu’il fait ; voyons si cela continuera (…) il souffre mais ne dit mot (…) il faut le pousser à bout » (II, 13 et 15).

Elle n’a qu’un défaut selon sa mère (I, 10), elle n’a pas assez « d’élévation (…) Elle ne sent pas le désagrément qu’il y a de n’être qu’une bourgeoise ». En ce sens, elle est une héroïne assez moderne car elle accorde plus de crédit à la valeur intrinsè-que de la personne qu’à son argent ou à

son rang. Elle épouse par là une revendi-cation des philosophes : la reconnaissance de l’honnête homme, une certaine égalité sociale. Elle s’écriera (I, 8) : « Il est vrai que je suis toujours fâchée de voir d’hon-nêtes gens sans fortune, tandis qu’une in-finité de gens de rien, et sans mérite, en ont une éclatante ; c’est une chose qui me blesse (…) ». On rejoint la remarque de la comédienne sur son personnage : Araminte est une femme courageuse, libre qui brave une forme d’autorité représentée par sa mère et les conventions sociales.

DoranteC’est un jeune homme de bonne famille qui n’a pas trente ans et dont le père était avo-cat et qui pourrait être avocat lui-même. Il est bien de sa personne comme se plaît à le lui rappeler Dubois, c’est là son seul bien.

Il est tout empli de la passion qu’il a pour Araminte, se montre probe en défen-dant les intérêts d’Araminte : « on souhaite que je vous dise le contraire afin de vous engager plus vite à ce mariage ; et j’ai prié qu’on m’en dispensât » (I, 12) même s’il défend son amour en même temps. Il s’of-fusquera de voir que Marton est prête à supporter le clan du Comte pour une sim-ple somme d’argent aussi coquette fût-el-le. Aussi s’écriera-t-il qu’« (il n’est) pas si fâché de la tromper » (I, 12).

Il ne cesse de prouver que c’est un amant constant et fidèle : il refuse la dame « de quinze mille livres de rentes » et la « belle brune piquante » qui le réclament et le pourchassent. Il réalise un portrait de sa dame, l’« adore » et la dévore des yeux.

Il sait aimer avec raffinement, respec-tant un protocole presque précieux.

Pourtant, il se montre aussi un être fourbe qui trompe son oncle, Marton et Araminte. Il ne fait que suivre les indica-tions de Dubois mais il les suit bien. Il sait feindre lui aussi la surprise comme l’indique la didascalie p. 44 : « Dorante

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feint de détourner la tête, pour se cacher de Dubois ». Il suit l’affaire de près et ne manque de s’en informer auprès de Dubois : « Qu’elle est aimable ! Je suis enchanté ! De quelle façon a-t-elle reçu ce que tu lui as dit ? » (I, 16). La seule scène dans laquelle il ne feindra pas sera celle orchestrée par Araminte, celle où il souffrira : « Que j’ai souffert dans ce dernier entretien ! Puisque tu savais qu’elle voulait me faire déclarer, que ne m’en avertissais-tu que par quelques signes ? » avouera-t-il à Dubois. Ce à quoi Dubois lui répondra avec cynisme : « cela aurait été joli, ma foi ! Elle ne s’en serait point aperçue, n’est-ce pas ? Et d’ailleurs, votre douleur n’en a paru que plus vraie. Vous repentez-vous de l’effet qu’elle a pro-duit ? Monsieur a souffert ! Parbleu ! Il me semble que cette aventure-ci mérite un peu d’inquiétude. » (III, 1).

Il peut se montrer impertinent quand il répond à Madame Argante qui lui demande d’où il vient : « De chez moi, Madame »

Il s’interdit de croire au plan de Dubois de peur d’être déçu. Il reste prisonnier des convenances sociales qui interdisent une union entre un roturier et une riche bour-geoise.

Son personnage prendra une nouvelle grandeur dans la scène 12 de l’acte III alors qu’il avouera le stratagème employé pour la séduire. Ce suprême aveu qu’il ose faire alors qu’Araminte vient de lui dire qu’elle l’aime et alors qu’il risque de tout perdre, pardonne tout : les mensonges et les petites bassesses. Araminte le lui dira : « Ce trait de sincérité me charme, me pa-raît incroyable, et vous êtes le plus honnête homme du monde (….) il est permis à un amant de chercher les moyens de plaire, et on doit lui pardonner ».

MartonElle est de fort bonne famille, son père était ami avec le père de Dorante. Elle est restée sans bien mais Araminte l’a prise

sous son aile et l’aime comme Dubois aime Dorante. C’est un amour maternel qui in-cite Araminte à la pourvoir, à la traiter moins « en suivante qu’en amie » (p. 22). Elle doit hériter d’une tante ce qui la met-tra à l’abri du besoin. Elle devient donc un parti intéressant.

Elle se range du côté du plus fort, c’est-à-dire du plus riche en soutenant le parti du Comte plutôt que celui de sa maîtresse. Cet aspect déçoit un peu le spectateur car on l’espérait plus loyale envers Araminte. Mais son personnage devient touchant dès lors qu’elle comprend sa méprise au sujet de Dorante. Elle sera tout à tour coléreuse et désireuse de se venger en cherchant le moyen de faire renvoyer Dorante (acte II) puis touchante et blessée quand elle de-mande son congé à Araminte (acte III). Elle a, à ce moment de la pièce, tout per-du : l’affection de sa maîtresse, sa place et l’homme qu’elle aime. Elle devient pi-toyable dans ce dernier acte, pardonne à Dorante, demande pardon à Araminte : « il [Dorante] vient de me parler. J’étais son ennemie, et je ne la suis plus. Il m’a tout dit. (…) Laissons-là mes sentiments. Ren-dez-moi votre amitié comme je l’avais, et je serai contente » (III, 10).

Elle fait penser à un personnage qui naîtra au siècle suivant sous la plume de Musset dans On ne badine pas avec l’amour (1834) : Rosette. Cette jeune servante croira à l’amour de Perdican qui s’est servi d’elle pour gagner le cœur de Camille. L’is-sue en sera plus dramatique puisque Ro-sette mourra en apprenant la vérité.Marton se contentera de finir seule.

Le comte DorimontC’est le seul personnage noble de la pièce. Il se montre d’une grande dignité car dès qu’il réalise les disputes et les mesquine-ries autour de ce procès et de ce mariage, il dégage les deux affaires l’une de l’autre. De ce fait, Araminte n’est plus tenu de

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l’épouser pour s’épargner un procès. Si elle l’épouse, c’est qu’elle le veut. Il se mon-tre grand seigneur jusque dans la dernière scène résumant la situation simplement et s’éclipsant.

Monsieur RémyC’est l’oncle de Dorante. Vieux garçon, il a pour seul héritier son neveu mais n’exclut pas de se marier si l’amour le frappe. Il a un bon sens pratique. C’est un homme hon-nête, prêt à défendre son neveu si son hon-neur est attaqué. Il peut s’enflammer face à Madame Argante si on le prend de haut.

Madame ArganteElle est la mère d’Araminte qui est en réa-lité chez elle comme l’indique la didascalie initiale.La première didascalie qui la présente em-ploie les deux adjectifs : « brusque et vai-ne ».

Sa brusquerie se manifeste par les mul-tiples questions qui fusent, incisives, sans même attendre la réponse : « D’où vient préférer celui-ci ? Quelle espèce d’homme est-ce ? » (I, 10). Elle tiendra tête aussi à Monsieur Remy et à sa fille dont elle se veut encore la maîtresse. Derrière le « on » de la phrase « on a songé à les marier pour empêcher qu’ils ne plaident. » (I, 10), nul ne peut douter qu’elle est derrière cette manigance.

C’est là que l’on découvre ses ambi-tions. Elle se plaît à évoquer la richesse et donc la puissance de sa fille ; épouser le Comte lui ouvrirait les portes d’une autre classe, la noblesse : « je serai charmé moi-même d’être la mère de Madame la Com-tesse Dorimont » (I, 10). Elle traite avec condescendance ceux qui sont sans argent et sans titre. Elle reproche à Dorante sa « petite réflexion roturière » (I, 10).

ArlequinC’est le valet qui en sert un autre. En bas de l’échelle sociale dans cette maison, il est tutoyé par Marton, Dubois, Dorante et même par Araminte quand elle s’énerve après son incompréhension.

Il use d’un langage correct et s’essaie aux tournures des maîtres : « Ayez la bon-té, Monsieur de vous asseoir un moment dans cette salle » (I, 1). Mais de temps en temps des maladresses trahissent sa condition : il emploie « discourons » au lieu de « discourrons » (I, 1). D’autres fau-tes ponctuaient son discours qui ont été corrigées dans les éditions postérieures à la mort de Marivaux.

Il correspond au valet issu de la Com-media dell’Arte : aimant le vin et l’argent, économisant sa peine s’il le peut. Par ailleurs, il se montre fidèle à Dorante dont il épousera toutes les causes.Son personnage est lié aux scènes comi-ques.

Pistes de travail Analyser un personnage. On proposera aux élèves d’analyser un des personnages clés au choix (Araminte, Dubois ou Doran-te). On leur demandera de les présenter : classe sociale, sexe, âge, emploi ; puis de brosser leur portrait tant physique (quand cela est possible) que moral. Ils s’attacheront ensuite à comprendre leur rôle dans la pièce et l’évolution de ce rôle. Ce travail pourra donner lieu à un travail écrit sous forme de paragraphe organisé. Imaginer un personnage de théâtre. À partir de l’étude réalisée précédemment et avant d’avoir vu le spectacle, on de-mandera aux élèves de choisir un acteur leur paraissant pouvoir incarner le per-sonnage choisi et de justifier leur choix. S’initier à l’interprétation d’un person-nage . On peut demander aux élèves par groupe de trois de lire à plat la scène 13

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de l’acte I qui a l’avantage d’être courte, facile à apprendre et qui réunit les trois per-sonnages principaux. Ils essaieront ensuite d’incarner les trois personnages : Araminte qui ne sait rien, les deux autres qui font mine de se découvrir. On travaillera par-ticulièrement les regards plus encore que les paroles et les gestes. C’est une façon de faire toucher du doigt l’importance des re-gards entre acteur.

L’analyse des thèmes

Le comiqueOutre le personnage d’Arlequin qui se met en colère, fond en larmes et feint de com-prendre de travers, les autres personnages tirent leur comique plus du jeu que du texte lui-même.

Le ressort principal du comique, parado-xalement, tient en partie de la souffrance des personnages. On les voit face à une lutte. Parler et se perdre, se taire et risquer de tout perdre. Le comique est aussi dans cette tension.

Alors qu’Araminte apprend de la bouche de Dubois la passion de Dorante, sa surpri-se a déjà une dimension comique, d’autant plus qu’au lieu de le renvoyer sur-le-champ, le spectateur assiste au déploiement d’ar-guments fallacieux qu’elle trouve pour le garder : « Elle opine tout doucement à vous garder par compassion ; elle espère vous gué-rir par l’habitude de vous voir » (I, 17). Elle ne veut rien savoir de cet amour, veut un secret absolu mais arrive un moment où il serait bon qu’il parlât.

Le spectateur est complice de Dubois, plus encore que de Dorante. Il jouit du combat de ces êtres manipulés et n’en tire aucun remords, car comme Dubois, il sait que ces êtres souffrent pour la vérité, pour l’amour.

C’est un comique de mots, de situation

et de caractère.

Pistes de travail Repérer les différents types de comique. On demandera aux élèves de relever un ex-emple pour chacun des types dans la pièce. Analyser une scène comique. On propos-era la scène 8 de l’Acte I. Les élèves pour-ront réaliser une lecture méthodique de la scène. Ils montreront en quoi Arlequin est un personnage qui concourt au comique de la scène, les différents types de comique qui s’illustrent ici.

La langue du XVIIIe

Marivaux définit sa conception du lan-gage dramatique dans l’« Avertissement » qui précède Les Serments indiscrets : « Ce n’est pas moi que j’ai voulu copier, c’est la nature, c’est le ton de la conversation en général que j’ai tâché de prendre ; ce ton-là a plu extrêmement et plaît encore dans les autres pièces, comme singulier, je crois ; mais mon dessein était qu’il plût comme naturel, et c’est peut-être parce qu’il l’est effectivement qu’on le croit singulier… ». La nature qu’il veut copier est celle de ses personnages, de leurs sentiments comple-xes. Le ton de la conversation est celui des conversations du monde où l’on se flatte d’user des figures de style traditionnelles et des éléments grammaticaux propres à la langue écrite plus qu’à la langue parlée. Voltaire reprochait à Marivaux : « de peser des œufs de mouche dans des balances de toile d’araignée ».Dès que l’on pense aux échanges des per-sonnages de Marivaux, on pense aux ex-pressions : galanteries précieuses, raffine-ment ou à la frivolité élégante.

« La subtilité et le raffinement des dialogues chez Marivaux, y lit-on, furent parfois critiqués et taxés d’affectation

1. On se référera au site

http://membres.multimania.fr/

bacfrench/divers/marivaudage.

htm qui rappelle le contexte de

cette langue précieuse.

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(c’est-à-dire d’imitation, de faux-semblant ou encore de manque de naturel et de sim-plicité) dans le style.

L’expression nouvelle préciosité fait ré-férence au mouvement précieux qui s’est développé au milieu du siècle précédent et que Molière a stigmatisé dans Les Pré-cieuses ridicules (1659). La préciosité dé-signe une mode, une certaine manière de se comporter et de parler, en recourant à un langage affecté, à des expressions nouvelles et extravagantes. Ces nouveaux précieux, dont Marivaux sera un des plus illustres représentants, s’en prennent vi-vement aux Anciens lors de la Querelle. Ils constituent une avant-garde littéraire et artistique en rupture avec l’idéal clas-sique tel qu’il s’est mis en place en France autour de 1660. Ils rejettent la hiérarchie des genres et pratiquent le mélange des tons et des registres (passage du noble au familier, du sérieux au frivole). Comme la préciosité du XVIIe siècle, cette nouvelle préciosité est d’abord un langage convain-cu que le progrès des idées doit entraîner la transformation de la langue. Ces moder-nes précieux recourent à un style nouveau, volontiers spirituel et poétique, ils utili-sent des métaphores originales et surpre-nantes, inventent même des mots ou des expressions inédites.

C’est au style de Marivaux que cette nouvelle préciosité est identifiée le plus souvent. Marivaux qu’on accusait de « ne pas parler le français ordinaire » (d’Alem-bert, 1785), de « pécher contre le goût et quelquefois même contre la langue » (Palissot, 1764), parce que ses phrases semblaient artificielles et maladroites, ses figures trop recherchées et obscures, et qu’il créait même des mots nouveaux com-me cette locution verbale qui nous paraît maintenant si courante, mais qui n’existait pas encore à l’époque : tomber amoureux. (Avant que la locution forgée par Marivaux ne s’imposât, on disait se rendre amou-

reux.) Ce « goût pour l’affectation », ce « style alambiqué », ces « images incohé-rentes », définissent ce qu’on appelle, du vivant même de Marivaux, le marivaudage. Ainsi Palissot, le célèbre ennemi des philo-sophes, écrit-il en 1777 :« Ce jargon dans le temps s’appelait du marivaudage. Malgré cette affectation, M. de Marivaux avait in-finiment d’esprit ; mais il s’est défiguré par un style entortillé et précieux, comme une jolie femme se défigure par des mines. »

Dès le XVIIIe siècle, le mot marivaudage a donc un sens péjoratif : il ne désigne pas seulement le style de l’écrivain, mais aussi cette forme d’analyse morale et psycholo-gique raffinée à l’excès que Marivaux met en pratique dans ses romans, ses comédies et ses essais. À la fin du siècle, dans son Lycée ou Cours de littérature ancienne et moderne, La Harpe résume ce double sens du terme, en insistant sur le mélange des registres opposés : « Marivaux se fit un sty-le si particulier qu’il a eu l’honneur de lui donner son nom ; on l’appela marivaudage, c’est le mélange le plus bizarre de méta-physique subtile et de locutions triviales, de sentiments alambiqués et de dictions populaires. »

Le mot va ensuite devenir positif et prendre un second sens plus général : il décrit un certain type de dialogue amou-reux (dont les comédies de Marivaux of-frent le modèle). Il renvoie à une certaine façon de vivre l’échange sur le mode de la galanterie et du badinage. C’est dans ce sens large que le mot est, de nos jours, le plus couramment employé pour désigner une atmosphère enjouée et spirituelle, des rapports amoureux fondés sur le jeu et la séduction.

Frédéric Deloffre dit dans Marivaux et le marivaudage à propos des textes de Ma-rivaux : « Alors que chez d’autres écrivains les paroles ne sont qu’un des signes visibles de l’action dramatique, elles en sont… la matière, la trame même ».

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C’est un théâtre intellectuel qui met en scène l’art de la conversation. Les mots se cachent, pour mieux faire apparaître la vé-rité des cœurs.

Dans Les Fausses Confidences, le jeu ver-bal est essentiel. On relèvera de nombreux apartés qui traduisent un début d’inclina-tion malgré soi ; des tirades qui permet-tent aux spectateurs de juger combien le personnage se trompe sur lui-même ou au contraire combien il maîtrise la situation ; un badinage amoureux qui emploi des fi-gures de style comme l’hyperbole, les jeux de mots ; des discours qui sont souvent ambigus, avec l’emploi notamment des systèmes hypothétiques et de nombreuses marques de modalisateurs.

Le cor psSi le langage est au cœur du théâtre de Marivaux, il n’en demeure pas moins un théâtre sensuel où la séduction physique n’est pas écartée.Le corps a toute sa place. Il est d’abord ce que l’on voit de l’autre : Marton voit Doran-te comme un homme « bon à montrer », il « prévient en sa faveur » (I, 4). Araminte est elle aussi charmée par la physionomie du jeune homme : « Il a très bonne façon (…) Il a si bonne mine pour un intendant » (I, 6). Elle apprécie son corps bien fait et sa jeunesse : « Vous n’avez que trente ans tout au plus ? » (I, 7).

C’est bien sûr Dorante, relayé par Du-bois, qui est le plus loquace pour vanter les beautés d’Araminte. Dorante ne parle pas par ignorance du beau langage mais parce qu’il masque sa passion. Cependant il se sert de Dubois pour dire à Araminte ce qu’il pense : « il ne veut que vous voir, vous considérer, regarder vos yeux, vos grâces, votre belle taille ; et puis c’est tout ; il me l’a dit mille fois » (p. 52). Dubois sera plus explicite que Dorante ne le sera jamais. Quand il parle enfin à la scène 15 de l’acte II, il ne se permettra que des compliments

indirects et conventionnels : « je la verrais à tout instant, que je ne croirais pas la voir assez (…) Dispensez-moi de la louer, Ma-dame, je m’égarerais en la peignant. On ne connaît rien de si beau ni de si aimable qu’elle ».

C’est Dubois encore qui met en avant le corps de Dorante comme un atout ma-jeur qui vaut tout l’or du monde : « Votre mine est un Pérou. Tournez-vous un peu que je vous considère un encore (…) voilà une taille qui vaut toutes les dignités pos-sibles » ; « Il me semble que je vous vois déjà en déshabillé dans l’appartement de madame. » (I, 1).

Dans les pièces de Marivaux, l’amour naît rapidement semblable au coup de fou-dre. Un regard suffit à Dorante pour aimer : « le plaisir de vous contempler » (p. 48), « il vous vit descendre… » (p. 49). Do-rante est alors « extasié ; il ne remuait plus » (p. 49). Il ne veut plus que voir sa bien-aimée. Sa passion se traduit physi-quement : il « tremble » (p. 21), il a « la larme à l’œil » (p. 49).

Marton, elle aussi, tombe amoureuse bien vite. Dès la scène 4 de l’acte I, elle se prête au jeu des fiançailles et avouera ses sentiments à sa maîtresse : « Pourquoi avez-vous eu la cruauté de m’abandonner au hasard d’aimer un homme qui n’est pas fait pour moi, qui est digne de vous (…). » (III, 10)Le corps n’est donc pas absent de ce théâ-tre dit intellectuel. La sensualité et le dé-sir sont les moteurs de l’intrigue.

Pistes de travail Analyser le jeu des acteurs. Après le spec-tacle, on demandera aux élèves de réfléchir sur la façon dont les acteurs ont incarné le désir et la passion. Ils donneront des exemples précis de gestes employés, des déplacements des acteurs et des expres-sions de leur visage. Ils verront si la mise

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en scène de Didier Bezace a souligné cet aspect, donnant à cet amour une dimension charnelle.

L’argentL’originalité de cette pièce, en la compa-rant à celles qui l’ont précédée, est liée sans doute à l’ancrage « réaliste » c’est-à-dire concret dont elle témoigne. Comme de coutume chez Marivaux, il est ques-tion d’argent et de condition sociale. Dès le début, on comprend que l’amour entre Araminte et Dorante semble impossible à cause de ce qu’ils valent respectivement ; « Elle a plus de cinquante mille livres de rentes » soupire Dorante, « vous en avez bien soixante » (I, 1) s’exclame Dubois. Cette différence fait tout car pour Doran-te : « je ne suis rien, moi qui n’ai point de bien » (I, 1). L’argent, c’est la puissance et le pouvoir. C’est la clé qui ouvre pres-que toutes les portes, même celle de la noblesse puisque Araminte peut épouser le Comte sans qu’il considère cette union comme déshonorante au XVIIIe. Elle rap-pellera cette différence de rang cepen-dant : « je ne suis pas d’un rang qui vous convienne » (III, 13).

Si Dorante aime Araminte passionné-ment, elle est aussi un bon parti comme le rappelle Dubois : « Vous êtes actuelle-ment dans votre salle et vos équipages sont sous la remise » (I, 2, p. 20). Même Do-rante ne peut être totalement détaché de ces contingences matérielles ; il répondra d’ailleurs à son oncle qui lui demande de se préoccuper de son avenir : « Vous avez raison, Monsieur, et c’est aussi à quoi je vais travailler » (I, 3, p. 23).

L’argent est aussi le lien qui le lie à Araminte : il est employé comme intendant pour s’occuper de ses affaires. Il usera ce prétexte dans l’acte III pour demander à être reçu par Madame : « un de vos fermiers est venu tantôt, Madame (…) Et j’ai de

l’argent à vous remettre (…) ne serait-il pas temps de vous l’apporter ce soir ou de-main, Madame ? » (III, 12).

L’argent est donc existentiel dans la mesure où celui qui n’a rien, n’est rien, ce qui explique que tous les personnages – à part Araminte et Dubois qui ne travaille pas pour lui – s’en préoccupent et par-lent chiffre. Marton s’occupe de pourvoir son « fiancé » d’un appartement dont elle pourrait bénéficier s’ils se mariaient ; elle rappelle que le Comte lui donnera « mille écus » si le mariage se fait. Elle est intéres-sée mais ne s’en cache pas : « Au contraire, c’est par réflexion qu’ils me tentent. Plus j’y rêve, et plus je les trouve bons (…) Médi-tez sur cette somme, vous la goûterez aussi bien que moi » (p. 41).

Arlequin s’inquiète de servir « gratis » (p. 34), d’être « un valet à meilleur mar-ché ».

Madame Argante évoque « une terre considérable » sa fille « fort riche ». Elle rêve noblesse, rang et regrette que sa fille se contente d’être une petite bourgeoise, même aisée.

Monsieur Remy ne voit dans les jeunes femmes que ce qu’elles possèdent : Marton est valable car elle héritera d’une tante, sa maîtresse veillera à la marier, c’est-à-dire à la doter ; la « dame de trente-cinq ans » (p. 62 , II, 2) a « quinze mille livres de rentes pour le moins ». C’est donc une af-faire à ne pas manquer pour Dorante. Son refus ne s’analyse que comme un acte de fou : « Dorante, sais-tu bien qu’il n’y a pas de fou aux Petites-Maisons de ta force ? » (II, 3 p. 64)

Le Comte pense que l’on obtient tout avec de l’argent ; il est prêt à « acheter » Dorante : « s’il ne faut que de l’argent pour le mettre dans nos intérêts, je ne l’épar-gnerai pas » (II, 4, p 68). S’il est moins obsédé par l’argent, c’est tout simplement qu’il n’en manque pas.On donnera à titre indicatif quelques équi-

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valents :

1 000 écus 28 000 €

15 000 livres 141 000 €

50 000 livres 470 000 €

Monsieur Remy conclut fort justement à la scène 8 de l’acte III : « s’il était riche, le personnage en vaudrait bien un autre ; il pourrait bien dire qu’il adore. Et cela ne se-rait point si ridicule ». Ce qui est étonnant, c’est que pas un des personnages n’ait mis en doute la sincérité de l’amour de Do-rante pour Araminte. Aucun n’imagine que Dorante ait séduit Araminte pour se faire épouser et jouir de sa richesse.

La dramaturgieLes intentions du metteur en scène

Lors d’une rencontre avec le public or-ganisée au Théâtre de Saint-Quentin le 6 janvier 2010, Didier Bezace, le metteur en scène, s’explique d’abord sur les raisons qui l’ont poussé à choisir cette pièce :« Le projet de monter Les Fausses Confiden-ces de Marivaux date de deux ans. C’est un auteur classique qui semblait moins joué depuis quelque temps et avec qui j’avais en-vie de renouer. C’est aussi donner à voir un texte classique dans un théâtre populaire et rassembleur. Cela fait partie des missions du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers.

Par ailleurs, j’avais aussi le désir de réu-nir des comédiens avec qui j’aime travailler : Pierre Arditi ou encore Anouk Grinberg. »

On se souvient qu’en 2001, Didier Be-zace a ouvert le Festival d’Avignon dans la Cour d’Honneur avec L’École des Femmes de Molière qu’il a mis en scène avec Pierre

Arditi dans le rôle d’Arnolphe. Les deux hommes se sont encore partagés l’affiche dans Elle est là de Nathalie Sarraute.

Didier Bezace rappelle qu’il a joué dans cette pièce le rôle de Dubois en 1992-93 avec Nathalie baye.

Les Fausses Confidences représentent pour le metteur en scène la somme de tou-tes les autres pièces de Marivaux : le dra-maturge y a assemblé tout ce qu’il savait, il transgresse les tabous et les convenan-ces sociales en osant marier deux êtres de conditions différentes. Il met en scène son double : Dubois, le valet instigateur dans la lignée de Figaro. Il apparaît comme « un metteur en scène, un régisseur et un dramaturge de l’amour. »

Les Fausses Confidences est aussi la dernière grande comédie en trois actes de Marivaux.

La mise en scène

La scénographieQuand le spectacle commence, le specta-teur se trouve face à un gigantesque esca-lier en pierre, aux montants en fer forgé, qui ne mène nulle part et se noie dans l’obscurité du fond du plateau. Il est au centre du plateau, comme on peut le voir sur l’esquisse ci-dessous du scénographe… Est-ce celui où Dorante vit Araminte pour la première fois : « Madame, ce fut un jour que vous sortîtes de l’Opéra, qu’il perdit la raison ; c’était un vendredi ; il vous vit descendre l’escalier, à ce qu’il me raconta, et vous suivit jusqu’à votre carrosse » (I, 14) ?

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Quoi qu’il en soit, il peut aussi symbo-liser l’ascension sociale que lui permettrait cette union. L’entrée en scène de Dorante se fait d’ailleurs en opposition complète à cet escalier puisqu’il arrive du fond de la salle de spectacle, descend les marches qui conduisent à la scène puis monte sur le plateau où il retrouve Dubois. Dorante se trouve lui aussi face à cet escalier, face à ses ambitions, à son amour.

À la fin de la pièce, l’escalier réapparaît mais tourné côté cour. Araminte et Doran-te le graviront ensemble.

Le dispositif scénique comprend aussi l’utilisation d’un rideau noir, léger comme de la soie qui selon l’éclairage peut devenir totalement transparent. C’est ce même ri-deau qui tombe du ciel entre chaque acte.

Lorsque Dubois entre en scène à la scè-ne 2 de l’acte I, il fait descendre ce rideau qui masque l’escalier. Puis d’un coup rapi-de de la main, comme par magie, il le fait disparaître comme si celui-ci était aspiré.

L’escalier a alors disparu, remplacé par un paysage qui semble sortir tout droit des tableaux de Watteau. On observera les paysages de L’Embarquement pour Cythère,

(huile sur toile, 1717, Louvre) ou Les deux cousines, (huile sur toile, 1716 , Louvre).

Enfin, dans un dernier temps, deux pan-neaux descendent des cintres et consti-tuent le décor.

Le metteur en scène et le scénographe, Jean Haas, ont voulu une machine scé-nographique à la fois naïve et complexe. Naïve dans la mesure où il s’agit de deux panneaux qui représentent, selon qu’ils sont d’un côté ou d’un autre, deux dé-cors : côté jardin et côté salon. Complexe par les problèmes techniques qu’elle peut engendrer puisque les deux panneaux des-cendent des cintres et y remontent pour disparaître totalement. Ils pivotent aussi sur eux-mêmes.

Cette machine donne l’illusion d’un lieu dans lequel deux êtres se cherchent dans

Wikimedia Commons

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le vide. Il n’est pas question de faire croire à la réalité. Le décor est planté dans le fond du plateau ; il n’est pas fermé ; les personnages rentrent et sortent, à vue du spectateur sur les côtés de ces panneaux. Pour Didier Bezace, Marivaux n’est pas un auteur réaliste, il lui fallait donc un décor qui souligne cette artifi cialité, cette di-mension « conte de fée » ou « romance à l’américaine » comme il se plaît à le dire.

Ces deux panneaux descendent au cours de la scène 2 de l’acte I, comme mus par la volonté de Dubois, metteur en scène de l’intrigue. Ils sont parfois écartés en leur milieu soit par Arlequin soit par Dubois à la fi n de l’acte I ou à la scène 10 de l’acte II. Dans ce cas précis, ils découvrent une piè-ce, l’appartement de Dorante, dans lequel trône au-dessus d’une cheminée le tableau d’Araminte : « en arrangeant l’appartement de Monsieur Dorante, j’y ai vu par hasard un tableau où Madame est peinte, et j’ai cru qu’il fallait l’ôter, qu’il n’avait que faire là, qu’il n’était point décent qu’il y restât… ». Une fois le tableau décroché par Dubois, les deux panneaux se referment. Ils pivo-teront sur eux-mêmes à la fi n de l’acte II pour passer au jardin. Dans la scène 12 de l’acte III, scène ultime de confrontation des amants, le panneau de gauche ren-voie au jardin où se trouve Araminte tan-dis que le panneau de droite présente le salon dans lequel reste Dorante. Les deux amants se parlent donc sans se regarder d’un espace à l’autre. Araminte, dans le jardin, Dorante, dans le salon. La distance est immense pour ce moment diffi cile. Pro-gressivement, Araminte va rentrer par une porte-fenêtre et faire le premier pas vers l’homme qu’elle aime. Pour l’aveu fi nal, les deux personnages sont réunis dans un même lieu, enfi n face-à-face, comme on peut le voir ci-après.

Peu d’accessoires sur le plateau : une chaise à l’acte I et un bureau à l’acte II. La

décoration comme le mobilier renvoient au XVIIIe siècle. Sur cette esquisse du scéno-graphe Jean Haas, on voit le bureau, une chaise, une porte-fenêtre et la cheminée qui se trouve en réalité sur le panneau dé-couvert uniquement (II, 10) et qui repré-sente l’appartement de Dorante.

On évoquera encore le fameux portrait, objet du confl it de l’acte II entre Arlequin

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et Dubois. Ce portrait représente le buste d’une femme, Araminte, dévêtue et dévoi-lant un sein timidement caché par un voile transparent. La jeune femme est alanguie, les bras relevés au-dessus de sa tête dans une pose assez lascive et sensuelle.

Enfin, dernier élément de cette scé-nographie : une double trappe à l’avant- scène, au centre. Les deux trappes sont encastrées l’une dans l’autre et s’ouvrent l’une vers la salle, l’autre vers le fond du plateau. Seul Dubois utilise ces trappes pour apparaître tel un machiniste qui rè-gle ses rouages, un souffleur qui donne les répliques, une marionnette qui surgit ino-pinément.

Pistes de travail Imaginer un décor. Dans un premier temps, on pourra demander aux élèves de dire com-ment ils se figurent le décor. Dans un sec-ond temps, on leur donnera les esquisses de Jean Haas en leur demandant d’imaginer à quel moment de la pièce les décors dessinés sont utilisés. Dans un dernier temps, ils ré-digeront un court paragraphe sur l’esquisse qui représente l’escalier en expliquant ce que peut signifier cet escalier dans la pièce. Analyser la scénographie. Après le specta-cle, on reprendra à l’oral avec les élèves tout ce qu’ils auront perçu du dispositif scénique. Une fois le relevé effectué, ils réfléchiront sur les effets recherchés par le metteur en scène. Histoire des arts, art du visuel. On présentera aux élèves les deux tableaux de Watteau et on leur demandera d’en proposer une description et une anal-yse. Après une courte recherche sur Wat-teau, ils expliqueront pourquoi le met-teur en scène fait référence à ce peintre.

L’univers sonoreOn distinguera deux pistes. L’utilisation d’une bande-son musicale entre chaque acte et l’utilisation d’une bande-son de

bruitages.La bande-son musicale propose des in-

terprétations de Vivaldi qui nous disent ce que ne veulent pas trahir les person-nages.

Début de l’acte I : Vivaldi, adagio du Concerto pour deux violons et violoncelles RV 578 a ; Gli Incogniti/Amandine Beyer Entre l’acte I et II : Vivaldi, presto de l’été des Quatre saisons : même réf. ci-dessus. Entre l’acte II et II : Vivaldi, Concerto en mi mineur pour violon RV 273 ; Giuliano Carmignola (violon), Venice Baroque Orchestra, Andrea Marcon (direction). À la fin : Vivaldi, allegro du Concerto pour deux violons et violoncelles RV 578 a ; Gli Incogniti/Amandine Beyer.

La bande-son de bruitages permet de rythmer la journée : chant du coq pour commencer, puis pépiements d’oiseau diur-nes pour les actes I et II, trot d’un cheval accompagné d’un hennissement, chants d’oiseaux nocturnes pour l’acte III.

Pistes de travail Histoire des arts, art du son. On invitera les élèves à repérer les moments où les intermèdes musicaux interviennent et à s’interroger sur leur fonction. Puis on leur fera réécouter les extraits et on leur demandera de justi-fier d’une part le choix du compositeur, Viv-aldi, et d’autre part le choix des morceaux.

Les personnages en jeuDidier Bezace ne conçoit les personnages qu’en costume. Ce costume va de pair avec la langue du XVIIIe. « Sans vouloir faire d’archéologie, je n’ai pas souhaité me priver du plaisir et de la beauté du XVIIIe siècle. Un plaisir et une beauté qui trouvent no-tamment des échos sur scène à travers des mises en perspectives d’œuvres de Watteau. J’ai élaboré une représentation qui s’appuie sur des possibilités de réalisme conçues comme des citations et non comme un en-

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vironnement figuratif. On est ainsi dans un théâtre qui donne l’illusion du réel tout en laissant surgir une dimension de féerie. Un théâtre que je voudrais faire sortir du simple jeu intellectuel, de la simple mécanique de l’esprit, pour donner naissance à un conte sensuel et amoureux. » s’explique-t-il dans un entretien avec Manuel Piolat Soleymat pour le journal La Terrasse.

Si on se réfère à L’Histoire de la mode et du costume de James Laver, édition Thames and Hudson, « Les bourgeois, eux, se contentaient de leurs cheveux naturels, portés longs et coiffés d’un large feutre orné d’une touffe de rubans. Comme les nobles, ils adoptèrent la veste, le justaucorps, un rabat de lingerie et pour cravate, un nœud de cravate. » (p. 127). Seul le Comte Do-rimont et Monsieur Remy portent une per-ruque blanche dans la pièce. Les autres personnages portent leurs cheveux natu-rels, bouclés et relevés pour les femmes, agrémentés de rubans et petites plumes. Les chevelures des hommes sont longues et sont nouées sur la nuque par un ruban discret.On lit encore page 132 du même ouvrage : « le justaucorps, garni d’une rangée de boutons sur toute la langueur, reste géné-ralement ouvert ; il est serré et froncé à la taille ; les deux pans latéraux sont plissés ; celui du dos, droit. La forme des manches est très révélatrice […] la longueur des poignets diminuait au fur et à mesure que le siècle avançait. Très large au début, et retournés, ils se boutonnaient jusqu’au coude, découvrant les parements et dentel-les de la chemise, assortis au jabot ou au col […] La veste était quasi aussi longue que le justaucorps et comme lui, garnie de boutons de haut en bas, bien que les der-niers ne soient jamais utilisés. Ajustée à la taille, la veste s’évase en plusieurs pans plats, parfois doublés de bougran pour une meilleure tenue. Le dos est taillé dans un tissu moins coûteux. Les culottes froncées arrivent au genou et sont souvent invisi-

bles sous l’habit. ». Quant aux femmes, elles portent des robes dites ouvertes ou fermées. Les premières comportaient une jupe et un corsage ouvertes en V sur le devant, laissant voir le jupon en dessous (costume d’Araminte). Les secondes com-portaient un corsage et une jupe fermée (costume de Marton). Le corsage est par-fois rembourré d’« une pièce d’estomac », sorte de plastron rigide maintenu par du carton. Les manches laissent passer les parements de dentelle de la chemise. Si le corset d’Araminte traduit le joug de la so-ciété, les décolletés des femmes indiquent que leur corps existe, que la sensualité est là, même emprisonnée dans des costumes encombrants.

Madame Argante porte une robe sem-blable à la robe dite « volante », une robe lâche aussi flottante qu’une robe d’inté-rieur ; dans le dos, à la hauteur des épau-les, des gros plis se perdent dans la jupe et forment comme un début de cape.

L’ensemble des costumes offre une pa-lette élégante et harmonieuse : du noir de Dubois, un gris perle légèrement tirant sur le parme pour Madame Argante, du lie de vin pour Monsieur Remy, un marron glacé pour Dorante, une robe bleue et ivoire pour Araminte, jaune et cuivre pour Marton…

Comme le scénographe pour les décors, la costumière Cidalia da Costa s’est inspi-rée des tableaux de Watteau.

On verra les esquisses de certains cos-tumes réalisées par Cidalia Da Costa et les tissus choisis pour chacun des personna-ges. On pourra ensuite les comparer avec les costumes réalisés et que l’on peut voir sur les photos qui suivent.2

2. Si on veut découvrir l’en-semble des costumes, on se rendra sur le site du Théâtre de la Commune (dossier pé-dagogique) : http://www.thea-tredelacommune.com/index.php/spectacles/saison-09-10/les-fausses-confidences.

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Le jeu

Dubois en savant metteur en scène passe et repasse derrière les portes fenêtres, s’ar-rête un temps pour vérifi er que les choses avancent puis repart. Il est partout, une ombre qui passe, entre deux panneaux, entre deux personnages. Dans l’acte I, où il est peu présent, il surveille toutes les réactions d’Araminte. Dans l’acte II, alors que le Comte, Madame Argante, Marton et Araminte se disputent au sujet du portrait – sur l’objet représenté et son commandi-taire –, Dubois se prépare avec le tableau d’Araminte sous le bras, prêt à porter un coup de grâce.

Il apparaît par les entrées et sorties classiques mais aussi par une trappe mé-nagée sur l’avant-scène qui lui permet de jouer ce rôle de conspirateur et de souffl eur. Il sait dire à Araminte en chu-chotant : « il vous adore » et à Dorante : « Quand l’amour parle, il est le maître ; et il parlera ». Il joue en permanence un rôle

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face à Araminte surtout. Il prend un air effaré en évoquant son ancien maître, fai-sant craindre le pire, pour mieux le louer ensuite. Il feint d’être offusqué en décro-chant le tableau d’Araminte, feint encore en évoquant des maîtresses qui le pour-chasseraient de leurs ardeurs.

Araminte tressaille à chaque parole, évite les regards de l’autre quand elle est troublée, se réfugie alors dans sa broderie, sait marquer un temps d’arrêt quand elle découvre Dorante… Les sentiments sont perceptibles par tous les pores de sa peau et par chaque intonation.

Dorante est omniprésent mais assez si-lencieux puisqu’il ne doit pas parler de son amour. Il sourit souvent, regardant celle qu’il aime et qu’il peut désormais voir tout le jour. Il est gêné de mentir à Marton, se veut ferme face au Comte et à Madame Argante, devient maladroit dès lors qu’il s’adresse à Araminte. On le sent qui souf-fre, qui hésite, qui doute.

Marton est jouée comme une jeune fem-me enjouée, sautillante et souriante. Elle est la joie de vivre. Elle ne perd sa gaieté que lorsqu’elle a bien compris qu’elle avait perdu Dorante mais qu’elle risquait aussi de perdre le soutien de sa maîtresse. Elle devient amère quand elle observe le cou-ple monter les escaliers dans la lumière. Elle reste en bas, dans la pénombre.

Arlequin est lui aussi interprété comme un être vif, emporté. Il est taquin et in-téressé.

Madame Argante est un personnage assez drôle dans la mesure où elle arrive sur scène, majestueuse dans un fauteuil roulant, portant son petit chien, mais à la première colère ou contrariété, elle se lève fort vivement de ce fauteuil et trouve une grande énergie pour invectiver sa fille ou Dorante.

Elle apparaît à la scène 9 de l’acte II, raide dans sa chaise, crispée à son om-brelle alors qu’elle est au salon. Dans la scène 5 de l’acte III, on la revoit tenant tête à Monsieur Remy.

Monsieur Remy, solidement campé sur ses pieds, inspire le respect. Il est un bra-ve homme, un peu impétueux : morigénant son neveu quand il refuse un bon parti mais prenant sa défense dès lors qu’on l’attaque.

Quant au Comte, il est joué comme un être calme et digne.

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Quelques textes critiquesLa réception du temps de Marivaux

Texte 1 - D’AlembertCette éternelle surprise de l’amour, sujet unique des comédies de Marivaux, est la princi-pale critique qu’il ait essuyée sur le fond de ses pièces ; car nous ne parlons point encore du style : on l’accuse, avec raison, de n’avoir fait qu’une comédie en vingt façons diffé-rentes, et on a dit assez plaisamment que si les comédiens ne jouaient que les ouvrages de Marivaux, ils auraient l’air de ne point changer de pièce. Mais on doit au moins conve-nir que cette ressemblance est, dans sa monotonie, aussi variée qu’elle le puisse être, et qu’il faut une abondance et une subtilité peu communes pour avoir si souvent tourné, avec une espèce de succès, dans une route si étroite et tortueuse. Il se savait gré d’avoir le premier frappé à cette porte, jusqu’alors inconnue au théâtre.D’Alembert, Éloge de Marivaux, 1785.

Pistes de travail Après vous être renseigné en bibliothèque sur d’Alembert, reformulez les principales critiques qu’il adresse à Marivaux. Pourquoi les pièces de Marivaux donnent-elles l’impression qu’il s’agit toujours de la même ?

Texte 2- MarmontelL’affectation de Marivaux consiste, du côté de la pensée, dans des efforts continuels de discernement pour saisir des traits fugitifs, ou des singularités imperceptibles de la nature ; et du côté de l’expression, dans une attention curieuse à donner aux termes les plus communs une place nouvelle et un sens imprévu ; souvent aussi, dans une continuité de métaphores familières et recherchées, où tout est personnifié, jusqu’à un oui qui a la physionomie d’un non. C’est un abus continuel de la finesse et de la sagacité de l’esprit. On a été trop sévère lorsqu’on a dit de Marivaux, qu’il s’occupait à peser des riens dans des balances de toile d’araignée ; mais lorsqu’on a dit de lui, qu’en observant la nature avec un microscope, il faisait voir des écailles sur la peau, on n’a dit que la vérité, et on l’a dite de la manière la plus ingénieuse. Pour bien peindre la nature aux yeux des autres, il faut ne la voir qu’avec ses yeux, ni de trop près, ni de trop loin. C’est avoir beaucoup d’esprit, sans doute, que d’en avoir trop ; mais c’est n’en avoir pas assez.Jean-François Marmontel, Éléments de littérature, (1787), Desjonquères, 2005.

Quelques critiques du XXe

Texte 1- Michel DeguyUne chose demeure, donc, assez étonnante : la « réception » des contemporains [...] Ce que ne comprend pas le critique contemporain de Marivaux, c’est précisément le méca-nisme marivaldien, toute l’horlogerie des obstacles et des retards, les ressorts de la va-nité piquée piquante dans l’élément du langage, qui est au milieu de l’aveu et de la (dis) simulation, du dire et du dédire. [...] Une nouvelle recherche du « naturel » se confronte avec une image que la critique, surprise et oubliant d’analyser le dispositif artificieux, conjure en la déclarant plus artificielle. Quelle menace ? L’amour serait affaire de dire, de discours, de précipitation parolière, voilà qui est dangereux.

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L’expressivité ne peut-elle être feinte ? Les codes appris et simulés ; la confidence fausse confidence ; la fourberie récompensée au lieu d’être punie ; le milieu de communi-cation troublé par la fonction « phatique » même de la sincérité qui veut en garantir la transparence ; et par la médisance, et le commérage… ?Michel Deguy, La Machine matrimoniale ou Marivaux, Gallimard, 1981.

Texte 2 – Georges PouletComment trouver dans le langage quelque chose d’équivalent à ce multiple tournoiement intérieur qu’est le moment vécu, et à ce glissement vertigineux qu’est le temps vécu ? Sinon en inventant une langue assez naïve qui exprime tous les élans, une langue qui par sa spontanéité serait actuellement toutes les variations du cœur. Du sentir au penser, et du penser au dire, point de traduction ni d’intervalle.Georges Poulet, Études sur le temps humain, tome Il (1952).

Texte 3 – Georges PouletPour Marivaux, si l’amour nous fait sortir de nous, il nous ramène à nous. Car le sentiment qu’on éprouve pour un autre, ne trouve sa rapide perfection qu’en se transformant en le sentiment qu’on éprouve pour soi-même. Il n’atteint sa complétion (accomplissement) que dans le moment où il devient, par-delà la découverte de l’autre, une connaissance de soi. […] Aperception de soi, connaissance confuse mais connaissance, la pensée s’épanouit donc chez Marivaux à la pointe de toute émotion. Si celle-ci est d’abord un trouble, un étourdissement où disparaît toute connaissance rationnelle, c’est dans le trouble que l’être a la chance de se trouver tel qu’il est vraiment, c’est-à-dire tel qu’il est spontanément. Il y a deux sortes d’esprits, l’un qui « n’apprend rien qu’à discourir »1 et qui « ne sait rien qu’avec le temps ». Il ne nous sert de rien pour nous connaître, parce que nous sommes des êtres instantanés, que ne saurait jamais rattraper une pensée discursive et par conséquent temporelle. Mais à cette connaissance gauche et lente, qui est la connaissance intellectuelle, s’en oppose une autre, agile et prompte, qui est plu-tôt d’ailleurs un sentir qu’un connaître. […] Pour Marivaux donc, comme pour Pascal, la vraie connaissance est une connaissance du cœur. « Je pense, pour moi, qu’il n’y a que le sentiment qui nous puisse donner des nouvelles un peu sûres de nous. »2 L’esprit ne se superpose donc pas au cœur. Il n’est point quelque chose qui s’introduirait dans la réalité des passions pour en tirer, par on ne sait quelle opération, la vérité, substance nouvelle. Il n’y a pas, à rigoureusement parler, de connaissance rationnelle de l’être. Du moins pour les êtres que nous sommes. Il n’y a qu’une expérience immédiate où l’on se sent tel qu’on sent : « On ne met rien dans son cœur ; on y prend ce qu’on y trouve. »3 Être actuel, le personnage marivaudien se saisit pour ainsi dire au vol et par hasard. Il se saisit par le même mouvement qui le fait vivre. Et si, comme le prétend Marivaux, « il n’y a que le sentiment qui nous puisse donner des nouvelles un peu sûres de nous, » c’est parce que nous sommes sentiment, et que de l’être au connaître il n’y a aucune différence quand il s’agit d’un être qui n’est que ses passions, et d’une pensée qui se confond avec les mouvements du cœur. Par suite, cette pensée instinctive, immédiate et fortuite complète triomphalement l’actualité de l’être marivaudien.

Ma pensée prolonge mon être et mon sentir. Elle les accompagne dans leur essor ins-tantané. Jamais elle ne s’en détache : « Je me reprocherais d’écarter la situation d’esprit où je me trouve ; je me livre aux sentiments qu’elle me donne. »4

Georges Poulet, La distance intérieure, Librairie Plon, 1952.

1. Vie de Marianne, Œuvres, Tome VI, de Marivaux2. Vie de Marianne, Œuvres, Tome VI, de Marivaux3. Le dénouement imprévu de Marivaux4 Spectateur français, 4e feuille, Œuvres, Tome IX, de Marivaux

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Texte 4 – Jean RoussetLes Fausses Confidences font de Dubois, meneur de jeu virtuose, un équivalent masculin de Flaminia et le type accompli de l’acteur témoin ; il est l’œil, omniprésent et omnis-cient, prévoyant tout ce qui se produira dans les sensibilités de ces amoureux dont il est le vrai maître : « Je m’en charge, je le veux, je l’ai mis là… je connais l’humeur de ma maîtresse… je vous conduis ». Son diagnostic est péremptoire et sans défaut : « Elle [Araminte] se débattra tant, elle deviendra si faible, qu’elle ne pourra se soutenir qu’en épousant ; vous m’en direz des nouvelles » (I). Les événements semblent lui donner tort, Araminte excédée rabroue Dorante, Dubois jubile : « Voici l’affaire dans sa crise » (II). Dorante croit tout perdu, lui se frotte les mains, il voit plus profond et plus loin que ces cœurs en émoi que leur émotion empêche de rien voir ; il est si sûr de son affaire, il pénètre si bien les ressorts des passions en cours qu’il peut se permettre les gaffes volontaires, les stratagèmes hasardeux, tous ses coups portent juste.

[…] De la sorte, avec de nombreuses variantes, chaque pièce se développe sur un double palier, celui du cœur qui « jouit de soi » et celui de la conscience spectatrice. Où est la vraie pièce ? Elle est dans la surimpression et l’entrelacement des deux plans, dans les décalages et les échanges qui s’établissent entre eux et qui nous proposent le plaisir subtil d’une attention binoculaire et d’une double lecture.

Mais revenons au double registre. Les communications entre les deux paliers sont multiples, les personnages témoins ne se bornent pas à regarder les héros aller leur train, ils interviennent pour diriger leur progression quand elle menace de stagner. Toute pièce de Marivaux est une marche vers l’aveu ; elle est faite d’aveux graduels et voilés ; la scène dominante de chaque acte est toujours la scène d’aveu, c’est autour d’elle que l’acte s’organise. Aussi le rôle des acteurs témoins sera-t-il de faciliter ou de provoquer sans en avoir l’air un aveu qui tarde, parce que les cœurs marivaudiens sont lents, ou un aveu qui se refuse, parce que les cœurs se dérobent ou se dissimulent. Un amour destiné à durer a des débuts si imperceptibles, il est tellement invisible à ceux qui l’éprouvent, « si caché, si loin d’eux, si reculé de leur propre connaissance, qu’il les mène sans se montrer à eux, sans qu’ils s’en doutent » (III). Comment viendrait-il au jour sans l’action stimulante de ces observateurs sagaces qui, eux, s’en doutent ?

[…] La conscience spectatrice ne se borne pas à surprendre les « hasards » qu’elle épie, il lui arrive aussi, comme à tout auteur, même s’il est Marivaux, de « composer », d’orienter la marche trop hésitante du cœur mis en observation.

De ce point de vue, toute pièce de Marivaux pourrait se définir : un organisme à double palier dont les deux plans se rapprochent graduellement jusqu’à leur complète jonction. La pièce est finie quand les deux paliers se confondent, c’est-à-dire quand le groupe des héros regardés se voit comme les voyaient les personnages spectateurs. Le dénouement réel, ce n’est pas le mariage qu’on nous promet au baisser du rideau, c’est la rencontre du cœur et du regard. De fait, au fond des scènes d’aveu qui dominent ce théâ-tre, il y a toujours un peu de comédie et de jeu, qu’on joue à soi-même en même temps qu’au partenaire, un jeu où se rencontrent la connaissance et l’ignorance, le camouflage inconscient et la conscience du camouflage. […]

Chaque pièce, chaque scène d’aveu combine différemment ces alliages microscopi-ques : savoir, ne pas savoir, savoir qu’on ne sait pas, dérober qu’on sait et cacher qu’on le dérobe.

[…] L’Araminte des Fausses Confidences, pour garder auprès d’elle l’intendant amou-reux qu’elle aime ou va aimer sans se l’avouer, ne cesse de se donner des raisons qui sont

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autant de petits mensonges, mais mensonges de bonne foi, où se glisse pourtant une pointe de mauvaise foi ; ce sont les mélanges indiscernables de la simulation et de la sincérité, de la méprise et de la duperie ; c’est toujours, plus ou moins, une comédie que le cœur se joue et nous joue. C’est la comédie des amoureux, des tendres, de ceux que le cœur mène – où ils veulent aller, tout en disant qu’ils ne le veulent pas.Jean Rousset, Forme et signification, José Corti, 1966.

Texte 5 – Jacques SchererCe qui sépare Araminte de Dorante est uniquement la différence de leurs fortunes. Do-rante est un bourgeois comme Araminte, il est honorable, il a même toutes les vertus ; mais il est pauvre. Cet obstacle est-il jugé par les contemporains de Marivaux comme insurmontable ?

Une trentaine d’années avant Les Fausses Confidences, Lesage avait proclamé dans son Turcaret que le règne de l’argent avait commencé. Pourtant ce nouveau dieu n’avait pas encore balayé toutes les résistances morales ou sociales. De nos jours, une femme dans la situation d’Araminte pourrait estimer qu’elle a assez d’argent pour deux ; l’héroïne de Marivaux n’ose rien de semblable. Nous nous sommes aperçus aussi que la pauvreté n’est pas une maladie nécessairement incurable, et qu’on peut s’enrichir : avec Diderot, puis avec Balzac, le commerce, par exemple, pourra rendre riche un personnage de théâtre ou de roman. Mais Dorante est né trop tôt pour que cette solution littéraire lui soit acces-sible. La pauvreté au temps de Marivaux n’est pas seulement sentie comme un manque ; elle est aussi, sans qu’on ose trop le proclamer, un défaut moral ; on éprouve encore le besoin de répéter que pauvreté n’est pas vice ; elle ne laisse pas d’être un vice inavoué dans la mesure où la fortune, au même titre que la noblesse, est respectée comme une valeur que seule la naissance devrait donner. Pour épouser Dorante, Araminte doit donc vaincre une sorte de pudeur sociale. C’est à quoi les artifices de Dubois vont l’aider. L’obs-tacle à surmonter n’est pas objectivement réel, à la manière d’un fait ; il est de l’ordre du sentiment. Il suffira donc à Dubois, pour donner à Araminte la force d’imposer son désir à une société qui le réprouve, d’employer des moyens sentimentaux. Ces moyens sont au nombre de quatre : des Fausses Confidences, des visages d’autres femmes, un portrait ou un tableau, une lettre.Jacques Scherer, Dramaturgies du vrai-faux, PUF, 1994.

Texte 6 – Jean-Louis BoryChez Marivaux pour les Italiens, le miracle du théâtre joue au maximum. Le miracle, c’est-à-dire cette métamorphose qu’imposent les règles du jeu. L’expression se fait mimique, le mouvement danse, on cabriole : dès que l’on pense à Marivaux, et plutôt que de penser à « marivaudage », pensons que Marivaux s’adressait à des acteurs pour qui le corps compte - le jeu du muscle, le feu du regard, la torsion des lèvres, l’envol de mains, des « gestueux » pour qui le théâtre est exercice physique. À cette métamorphose du geste répond une métamorphose du langage. [...] Cette fête du geste et du langage, cette poésie, sert la pudeur.

La métamorphose est alors travestissement, masque. Les Italiens de Marivaux ne jouent plus réellement masqués (sauf peut-être Arlequin) tant la mimique, les regards sont nécessaires à la totale expression du texte - mais c’est précisément derrière cette

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mimique, ces regards, ces phrases, cette vivacité qu’ils se dissimulent. La surprise et l’alarme se déguisent en bouderie, les vrais pincements d’un vrai cœur en sourires ironi-ques. [ ... ] L’erreur consiste à confondre cette pudeur avec la coquetterie glacée.Jean-Louis Bory, Cahiers Renaud-Barrault, janvier 1960.

La réception du spectacle monté par Didier Bezace

Les Fausses Confidences ou l’exquise cruauté de MarivauxPar Armelle Héliot le 28 février 2010 pour le Blog du Figaro.Didier Bezace a réuni une magnifique distribution et donne à la comédie de l’écrivain une tonalité mystérieuse et très vénéneuse. C’est magnifiquement interprété, par Anouk Grinberg, Pierre Arditi, Robert Plagnol, Marie Vialle, Isabelle Sadoyan, Christian Bouillette, Jean-Yves Chatelais, Alexandre Aubry.

Un escalier. On ne voit tout d’abord que cet escalier qui ne mène nulle part… Au centre de la scène, face à nous… Il y a un escalier et dans la pièce, celui dont on parle est celui de l’Opéra où, selon Dubois, grand manipulateur, Dorante aurait pour la première fois vu Araminte et en aurait été saisi. C’est l’escalier du coup de foudre. À la fin, tourné vers cour, il sera celui de l’apaisement. Araminte et Dorante le graviront… au désespoir de la jeune Marton. Mais eux deux, seront-ils alors heureux puisqu’ils n’auront plus rien à rêver, à désirer… […]

Cela commence comme un conte philosophique, un homme pénètre sur le plateau, fait tomber un rideau de soie sombre, dévoile au loin des arbres, parc envoûtant sitôt caché par les murs d’une maison bourgeoise qui descendent des cintres… On devine que ce qui va nous être raconté là est très intime, très profond… et que l’on va entendre confidences, manigances et aveux que nous ne devrions pas connaître…

Les Fausses Confidences datent de 1737. C’est une comédie en trois actes dont l’in-trigue peut être résumée ainsi : Araminte (Anouk Grinberg), jeune et riche veuve est au centre. Sa mère, Madame Argante (Isabelle Sadoyan) veut qu’elle épouse un Comte (Jean-Yves Chatelais) ainsi aura-t-elle le titre de noblesse qui lui manque ; le valet d’Araminte, Dubois (Pierre Arditi) veut pour sa part que son ancien maître, le beau mais sans fortune Dorante (Robert Plagnol), engagé comme intendant, en vienne à épouser sa belle maî-tresse… Dorante est le neveu de Monsieur Rémi (Christian Bouillette) qui l’introduit dans la maison mais veut lui donner en mariage la jolie Marton (Marie Vialle), immédiatement séduite par le jeune homme… Ajoutons Arlequin (Alexandre Aubry) et laissons les men-songes glisser comme un poison, un pharmacon qui détruit et rassérène…

Didier Bezace s’appuie sur une équipe artistique parfaite pour donner à la repré-sentation son élégance XVIIIe, celle des Lumières et celle de Sade… De Dubois, tout de noir vêtu, il fait plus que le double de l’auteur, le manipulateur, il fait aussi un diable qui surgit d’ailleurs d’une trappe, des dessous de la scène. Mais, tel que l’interprète avec un art infini des nuances, Pierre Arditi, Dubois n’est jamais cynique. Il a un certain sens des réalités de la vie. Un sang-froid, une détermination sans faiblesse. Question de classe nous suggère Marivaux. Il sera toujours du côté de ceux qui doivent agir !

Et le supplément bouleversant du jeu, ici, c’est que l’on devine la tendresse du comé-dien Pierre Arditi pour ses jeunes partenaires, le trio Araminte, Dorante, Marton. Cette tendresse est pour toute la troupe. La grande Isabelle Sadoyan et ses amis, Christian

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Bouillette, Jean-Yves Chatelais, Alexandre Aubry. Arditi est un comédien de troupe, qui partage, échange. Il est généreux. Cela se voit.

Entre les actes, tombe le rideau de soie anthracite et s’élève, brillante jusqu’à un em-portement certain, la musique. Des interprétations très radicales, baroques et nerveuses de Vivaldi (Amandine Beyer, Andrea Marcon). Cette couleur musicale nous dit ce que ne veulent pas trahir les personnages…

Didier Bezace ne lâche à aucun moment les différents fils de sincérité à calcul à manœuvre à trahison à ivresse à désenchantement… etc.Tout se renverse tout le temps. On croit tenir une vérité, mais elle est recouverte. Nul ne sait plus rien. Marivaux s’amuse qui aime ménager des suspens… La vie est ainsi.

La difficulté, lorsque l’on interprète Araminte, présente tout le temps, jamais en paix, c’est de ne pas anticiper. D’un tressaillement infime, d’un regard, d’une paupière qui se lève, d’un tremblement de la lèvre, et de sa voix originale et belle, Anouk Grinberg donne à Araminte toutes les humeurs différentes par lesquelles elle passe. En fait ce personnage est sans cesse criblé de paroles, mensongères ou non, qui la font réagir. Et bien toutes ces infimes variations, hésitations et aussi ces moments où elle fait semblant de ne pas savoir, la comédienne les traduit. C’est fascinant.

Grand et beau personnage, celui de Marton. Marie Vialle est merveilleuse, une fois de plus et on suit à livre ouvert, par ce visage expressif et fin, ce jeu tout en retenue, de la joie au chagrin, mais sans jamais que la petite servante n’abdique sa dignité. Re-marquable.

Robert Plagnol, comédien que l’on suit depuis longtemps, a tout du jeune premier, mais il sait laisser monter en lui autre chose, plus inquiétant, moins pur. Il garde un côté vif et désordonné de jeune homme qui se laisse porter par Dubois. Mais on peut aussi le soupçonner de bien gérer les événements… jusqu’au point où l’on se demande s’il a vraiment été saisi d’un coup de foudre sur les marches de l’opéra.

Isabelle Sadoyan, en mère bourgeoise qui rêve d’une particule pour sa fille, est très drôle et touchante en même temps, flanquée du petit chien des tableaux du XVIIIe. Si douce est la comédienne, que même quand le personnage se braque, s’entête, on lui trouve de justes raisons… Christian Bouillette est parfait en Monsieur Rémi. Il sait lui aussi donner les couleurs différentes du personnage tout comme le fait, dans la difficile, presque ingrate partition du comte, Jean-Yves Chatelais, singulier et précis.

Enfin, Arlequin, Alexandre Aubry, qui s’amuse, taquin et très intéressé et qui reparti-ra tout à l’heure avec son casque de mobylette… petite plaisanterie de troupe qui allège le dénouement tellement déchirant. Si Marton ne vous fait pas pleurer c’est que vous êtes un cœur sec ! Et si la montée de l’escalier par Araminte et Dorante ne vous laisse pas un goût d’amertume, c’est que vous ne regardez pas bien…

Il y a longtemps sur nos scènes classiques que l’on n’avait pas vu une mise en scène aussi intelligente, discrète et accomplie et un spectacle si bien interprété.

Sombre et beau Marivaux par Philippe Chevilley pour Les Échos, le 4 avril 2010.Il n’a rien d’un Scapin, cet ex-valet au service de l’amour : un homme en noir, un homme de l’ombre, pas fanfaron pour un sou, machiavélique et très organisé ; prêt à prendre des coups, mais pas plus qu’il n’en faut, pour arriver à ses fins. Le Dubois des Fausses Confidences mise en scène par Didier Bezace au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers est un « tueur ». Avec une dureté sans faille, un débit vif, coupant comme une lame et

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une sobriété remarquable, Pierre Arditi métamorphose le « faux confident » en Méphisto de glace. Et lui conserve tout son mystère. Pourquoi, sans mobile apparent, tient-il à ce point à marier son ancien maître ruiné, Dorante, à sa nouvelle maîtresse, la belle veuve fortunée Araminte ? Parce qu’il aime l’un et l’autre ? Parce qu’il espère tirer un intérêt de cette fusion-acquisition des cœurs ? Ou simplement pour la beauté du geste ? Bezace n’essaie pas de dissiper l’étrange folie du valet de Marivaux, bon, brute et truand à la fois. Et c’est tant mieux. La pièce n’en apparaît que plus forte et troublante.

Le metteur en scène réussit à maintenir une tension parfaite entre les deux for-ces contraires de cette comédie cinglante : l’amour et l’argent. Les Fausses Confidences (1737) marquent bien (une nouvelle fois) sans conteste le triomphe de l’amour ; mais l’intérêt financier y est omniprésent. Dorante, sans le sou, est tombé - miraculeusement - amoureux de la bonne personne. Araminte, au début de la pièce, hésite à épouser le Comte, pour s’éviter un procès qui pourrait lui coûter cher. Mme Argante soutient les intérêts du Comte parce qu’elle rêve d’un titre pour sa fille, la pauvreté de Dorante, qui n’a aucune monnaie d’échange, la fait sortir de ses gonds. Marton, la jeune servante innocente, tombe amoureuse de Dorante, après avoir été convaincue par M. Rémi – le procureur, oncle du jeune homme – que leur union serait fructueuse… Arlequin ne cesse de quémander de l’argent pour ses services. Quant au diabolique Dubois, il ne met pas en cause la pureté des sentiments de Dorante. Au contraire, c’est son atout maître. L’amour vaut plus cher que de l’or : « Point de bien ! Votre bonne mine est un Pérou. »

Le spectacle de Didier Bezace est d’une grande noirceur. Drôle et âpre. Lorsque Dubois et Arlequin se querellent, ils grognent et aboient comme des pitbulls. L’avidité, l’intérêt sont personnifiés par Mme Argante, qu’Isabelle Sadoyan porte à des sommets de mé-chanceté. La comédienne est formidable dans ce rôle de dragon terrifiant, réussissant un « mix » explosif entre comique et tragique. À la fois mère lionne qui protège farouche-ment les intérêts de son petit et monstre d’égoïsme qui ne rend jamais les armes : « Qu’il soit votre mari tant qu’il vous plaira ; mais il ne sera jamais mon gendre. » Dans sa bouche, la réplique paraît plus menaçante que grotesque.

Violence électriqueMême les scènes d’amour (refoulées) entre Araminte et Dorante apparaissent - jusqu’à la délivrance finale - douloureuses, presque sauvages. La scène cruelle de la lettre, où Araminte fait croire à Dorante qu’elle s’est résolue à épouser le Comte pour le forcer à se démasquer, atteint une rare violence électrique. Anouk Grinberg développe un jeu très subtil, très intérieur, avec la majesté d’une reine prête au plus grand des sacrifices : mettre son cœur à nu. Robert Plagnol s’en sort plutôt bien en amoureux transi, donnant à Dorante un look et une façon de s’exprimer très modernes - voix brisée, fièvre dans le regard…

Toute la troupe joue sa partition à l’unisson (jusqu’au craquant petit chien de Mme Ar-gante, qui ne se dissipe qu’aux saluts). La plupart des comédiens ont déjà travaillé avec Bezace. Du théâtre de troupe, c’est du cœur et de l’esprit à revendre… Un mot enfin du décor, écrin parfait de ce spectacle sombre et beau : Jean Haas a réalisé une de ses meilleures scénographies, en quelques gestes symboliques : grand escalier de la réussite sociale, murs tournoyants, trappes et chambres secrètes, grands voiles moirés qui ryth-ment le passage aux « actes » Il contribue à la grâce de ce Marivaux d’exception.

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Pistes de travail

Lire et comprendre l’enjeu des articles critiques. Après avoir lu les arti-cles du Figaro et des Échos, les élèves pourront réfléchir sur la notion de cri-tique : qu’est-ce qu’un texte critique ? Quel synonyme peut-on lui donner dans ce cas ? Les élèves s’interrogeront sur l’objectivité de ces textes. Dans un se-cond temps, ils pourront analyser ces critiques comme des textes argumentatifs. Comparer des articles. On invitera les élèves à comparer ces deux articles et à expliquer sur quel(s) aspect(s) de la pièce chaque journaliste a insisté. Écrire une critique. Les élèves, après avoir vu le spectacle, produiront un court texte ar-gumentatif en employant des modalisateurs, ce texte présentera leur vision du spectacle soit méliorative soit péjorative.

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Ressources

Les textes de Marivaux

– Théâtre complet, éd. Henri Coulet, Michel Gilot, Paris, Gallimard, « Bibliothè-que de la Pléiade », 1993-1994, 2 vol.

– Théâtre complet, éd. Frédéric Deloffre, Françoise Rubellin, Paris, LGF, « La pochothèque. Classiques modernes », 2000.

– Les Fausses Confidences, éd. Catherine Naugrette-Christophe, Paris, Flamma-rion, « GF », 1999.

– Les Fausses Confidences, éd. Michel Gilot, Paris, Gallimard, « Folio théâtre », 1997.

– Les Fausses Confidences, prés. et comm. Emmanuel Martin, Annie Collognat, Paris, Pocket, « Pocket. Classiques «, 2002, nouv. éd.

Sur Marivaux

– Paul-Laurent Assoun, Georges Bafaro, Michèle Bénabès, Michel Borrut, Ana-lyses et réflexions sur Marivaux, Les Fausses Confidences : l’être et le paraître, Paris, Ellipses, 1987.

– Deguy, Michel, La Machine matrimoniale ou Marivaux, Paris, Gallimard, 1981 (rééd. 1986, coll. « Tel »).

– Deloffre, Frédéric, Une préciosité nouvelle : Marivaux et le marivaudage, Paris, Belles Lettres, 1955 (réédition Slatkine, 1993).

– Gilot, Michel, L’Esthétique de Marivaux, Paris, SEDES, 1998.

– Lagrave, Henri, Marivaux et sa fortune littéraire, Saint-Médard en Jalles, Du-cros, 1992.

– Poulet, Georges, « Marivaux », dans Études sur le temps humain, t. II : La Dis-tance intérieure, Paris, Plon, 1952, p. 1-34.

– Démoris, René, Lectures de Les Fausses Confidences de Marivaux. L’être et le paraître, Paris : Belin, 1987 (notamment pour les pages 9 à 37)

– Robert Tomlinson, La Fête galante : Watteau et Marivaux, Genève, Droz, « His-toire des idées et critique littéraire » 1981.

Bibliographie

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– 1955, film français réalisé par Marcel l’Herbier avec Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault

– 1984, film français réalisé par Daniel Moosmann avec Brigitte Fossey, Jean-Pierre Bou-vier et fanny Cotençon

1. Tableaux de Watteau

Les images proviennent toutes de Wikimedia Commons, qui propose des documents mul-timédias libres de droit.Cette image est dans le domaine public car son copyright a expiré.Ceci est valable aux États-Unis d’Amérique, en Australie, ainsi que dans l’Union Euro-péenne et dans les pays où le copyright a une durée de vie de 70 ans ou moins après la mort de l’auteur.

2. Les photos du spectacle sont prises par Brigitte Enguerand, libres de droit.

Photos © Brigitte Enguérand (DR)

3. Affiche spectacle

photo : © Marc Daniau

Filmographie

Droits iconographiques

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