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16 Québec Science | Mars 2014 L’ENGOUEMENT EST GÉNÉRAL. AVEC L’ARRI- VÉE MASSIVE DES IMPRIMANTES 3D, CER- TAINS VOIENT DÉJÀ SE FERMER LES USINES DU MONDE ENTIER. LE DÉBUT D’UNE NOU- VELLE RÉVOLUTION INDUSTRIELLE? Par Marine Corniou impression le futur Des vis, des pixels et des lasers Scanner sa tête et l’imprimer? Un ego trip rendu possible grâce notamment à Makerbot, entreprise leader dans la production d’imprimantes 3D bon marché (ici, leur siège social à Brooklyn). fait bonne

03 Document de Reference A2014

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  • 16 Qubec Science | Mars 2014

    LENGOUEMENT EST GNRAL. AVEC LARRI -VE MASSIVE DES IMPRIMANTES 3D, CER-TAINS VOIENT DJ SE FERMER LES USINESDU MONDE ENTIER. LE DBUT DUNE NOU-VELLE RVOLUTION INDUSTRIELLE?

    Par Marine Corniou

    impression

    le futur

    Des vis, des pixels et des lasers

    Scanner sa tte et limprimer?Un ego trip rendu possiblegrce notamment Makerbot,entreprise leader dans laproduction dimprimantes 3D bon march (ici, leur sige social Brooklyn).

    fait bonne

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    a collection est pour lemoins clectique. Surla table se ctoient unerplique de tube dedentifrice, une tte r-duite de dieu gyptien,des figurines de la

    Guerre des toiles, une sandaleminiature et toute une srie debijoux dentels et dobjets d-coratifs dune finesse surpre-nante. Raliss en pltre color, ces

    objets ont un point en com-mun : ils ont t imprims lUniversitConcordia, dans un atelier du dpartementde design et darts numriques. Point dou-

    vriers mticuleux ici, maisplutt une machine de lataille dune grosse photoco-pieuse, qui dpose (avec desttes dimpression standard)un mlange dencre et decolle sur de la poudre de pl-tre pour la solidifier et pro-duire, couche par couche,nimporte quel objet partirdun fichier numrique. Comme de plus en plus

    duniversits, Concordia arcemment investi dans les

    imprimantes 3D. Le dpartement de designet darts numriques possde trois autresmachines, mises la disposition des cher-

    cheurs et des tudiants, qui permettentcette fois dimprimer des pices en plas-tique. De quoi crer, en quelques heures,des morceaux uniques, des maquettes plusvraies que nature et des prototypes dunecomplexit indite. Car, en fabriquant les objets par empi-lement de couches successives plutt quepar soudure, moulage ou enlvement dematire, limpression 3D, aussi appelefabrication additive, permet de saffranchirdes contraintes gomtriques. On peutdonc construire en un seul morceau desformes imbriques, entrelaces ou prsen-tant des parties mobiles. Il devient possible,par exemple, dimprimer des poupesrusses dune seule traite!

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  • Cette technologie existe depuis prsde 30 ans, mais elle se dmocratise toutevitesse. Le prix des imprimantes a chut,leur performance sest amliore et onoffre maintenant de plus en plus demodles dimprimantes 3D 1 000 $ pourle grand public, rsume Pete Basiliere,analyste spcialiste de limpression 3Dpour la firme tats-unienne de conseil entechnologie Gartner. Selon un rapport r-cent de Gartner, les ventes des imprimantes3D ( moins de 100 000 $) devraient bon-dir de prs de 2 000% dici 2017!Ainsi, quon utilise des plans en libre

    accs, qui foisonnent sur Internet, ou unscan ner 3D pour recopier un objetexis tant, il est dsormais facile de fabri-quer des pices dchecs, des coques pourcellulaire, des poignes de porte, une gui-tare lectrique ou des jouets Nimportequi peut fabriquer tout et nimporte quoi,ou presque, dans son garage et en quel -ques clics. Mais le potentiel de la fabrication ad-

    ditive va bien au-del de ces bbelleset autres bibelots en plastique. Ce que lesindustriels et les chercheurs ont dj biencompris, notamment en mdecine. La fa-brication en 3D de hanches en titane, deprothses auditives ou dimplants dentairesadapts chaque patient est devenue, enquelques annes, monnaie courante. Etce nest que le dbut. Rcemment, auxPays-Bas, une femme atteinte dune grave

    maladie inflammatoire sest fait grefferune mchoire infrieure en titane parfai-tement adapte sa morphologie. Du ct de laronautique aussi, les

    constructeurs senthousiasment pour lafabrication additive. Boeing a install ouconu plus de 22 000 pices produites parimpression 3D dans ses avions, depuis lemoteur jusqu la dcoration de cabine.Au Qubec, dans lusine de Mirabel, Pratt& Whitney prvoit incorporer jusqu 25l ments fabriqus en 3D dans le moteurdu CSeries de Bombardier. Et en dcembredernier, le groupe britannique BAE Sys-tems, spcialis dans la dfense et laros-patiale, a fait voler pour la premire foisun avion de chasse quip de pices issuesde limpression 3D (dans le systme dar-rive dair et le train datterrissage). Mme la NASA, qui a mis feu,

    en aot dernier, un moteur de fusedont linjecteur avait t imprim en3D, sapprte envoyer dans lespaceune petite imprimante pour que lesastronautes de la Station spatiale in-ternationale puissent fabriquer sur

    place des outils ou des pices de rempla-cement. Elle finance aussi un projet dim-primante nourriture destine produire,entre autres, des pizzas intersidrales

    a fabrication additive a longtempst cantonne lindustrie de pointepour faire des prototypes. On lap-pelait et on lappelle encore parfois le prototypage rapide. Aujour -dhui, elle est de plus en plus utilisepour fabriquer des pices fonction-

    nelles, souligne Vladimir Brailovski, pro-fesseur de gnie mcanique lcole detechnologie suprieure (TS) Montral,et coordonnateur du centre de fabricationadditive semi-industrielle qui devraitouvrir cet t lTS.

    Il ne sagit pas dune seule techno-logie, mais dun ensemble de procds,et cest lamlioration de chacun deux,y compris des lasers et des logicielsde conception 3D, qui permet lessoractuel de la fabrication additive,poursuit-il. Sans parler de la gnra-lisation dInternet et du partage des

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    Recherche 3D: deuxpoids, deux mesuresLa recherche sur la fabrication additive sarticulele long de deux axes majeurs : amliorer lesmachines et largir lventail des matriauxutilisables. Cest lune des missions de MathieuBrochu, professeur au dpartement de gnie desmines et des matriaux lUniversit McGill.Actuellement, seuls 8 ou 10 alliagesmtalliques, notamment base de titane, sontbien contrls en fabrication additive, explique-t-il. Reste apprivoiser tous les autres, pourlinstant rfractaires limpression 3D. Lors durefroidissement, les matriaux peuvent se fissurer.En modifiant les caractristiques des pulsationsdu laser utilis pour faire fusionner le mtal, onpeut agir sur le front de propagationsolide/liquide et limiter le risque de fissuration.Hlas, les universits publiques sont loin davoirles moyens financiers de lindustrie qui travaillesur ces techniques depuis des annes. On naaucune ide de ltat des connaissancesindustrielles concernant ces questions, dplorele chercheur, actuellement en qute definancement.

    Martin Racine, professeur au dpartement de design

    et darts numriques lUniversit Concordia,

    Montral, incite ses tudiants explorer les outils de fabrication

    additive. Rsultat: des objets en pltre plus vrais que nature

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    Des vis, des pixels et des lasers

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    Tout a commenc en 1984 par la mise au point de la premire technique deprototypage rapide, la strolithographie. Encore trs utilise, elle consiste solidifier une rsine liquide photosensible sous laction dun rayonnementultraviolet ou dun faisceau de lumire laser, couche par couche.Ensuite est apparu le dpt par fil en fusion (FDM pour fused deposition

    modeling, illustr ci-dessus), peu coteux et rapide, utilis dans lesmodles de machines grand public. Le principe? Un fil (cire, plastique ABS, polyamide ou autre) est fondu et extrud par une buse fine (quelquesdiximes de millimtre) qui dessine les contours de lobjet; la matirefondue durcit ensuite lair. Le modelage jets multiples, quant lui,ressemble une impression laser classique en 2D, mais on empile descouches dencre de deux quatre centimes de millimtre dpaisseur.Pour les mtaux, on compte sur le frittage slectif et les procds par

    fusion au cours desquels un laser (ou un faisceau plasma, ou dlectrons)se balade sur un lit de poudre mtallique pour la faire chauffer etfusionner (on dit fritter ) par endroits, suivant le design souhait. La comptition entre les fabricants est grande, les enjeux conomiques sont

    normes. Et beaucoup de brevets arrivent chance, donc tout le monde se

    met faire des machines. Mme lcole de technologie suprieure, certainstudiants en fabriquent et les vendent, prcise Sylvie Dor, professeure audpartement de gnie mcanique de lcole de technologie suprieure etspcialiste de la fabrication additive.Et a va vite. Trop vite. Face lexplosion du nombre de machines et de

    procds de fabrication additive, il est impossible de ne pas perdre le fil. Les gens ne sy retrouvent plus, cest un vrai fouillis, affirme Sylvie Dor.Quand on veut raliser une pice ou un prototype, cest trs difficile de choisirla bonne technique, dautant plus que les entreprises qui offrent des servicesde fabrication additive nen ont quune ou deux leur disposition. On laura compris, mieux vaut faire une bonne tude de march avant dopter

    pour une technique. Les industriels ont besoin dtre guids, et ce sera lune desmissions du futur centre de fabrication additive de lTS, ajoute la chercheuse.En attendant, les organismes de normalisation ont du pain sur la planche : lASTMInternational, lorganisme principal qui tablit des normes techniques concernantles matriaux, est en train de se pencher sur la fabrication additive. Lobjectif :uniformiser rapidement les dfinitions, les procds, les paramtres de qualit et les caractristiques des poudres et des matriaux de base.

    Filament de plastique

    Paroi isolante

    Buse chauffe environ 200C

    1Les plans de lobjet sontdessins sur un logicielde conception assiste parordinateur (CAO) ou obte-nus en copiant un objetexistant avec un scanner 3D. Des sites commeThingiverse.com proposent aussi des milliers dedessins dobjets prts tlcharger.

    2Ces plans sont convertis enune multitude de tranches en deux dimensions par un autrelogiciel qui envoie les instructions

    limprimante connecte lordinateur, ou desservices en ligne de fabrication additive.

    3Dans ce cas, la techniquela plus adapte sera choi-sie en fonction du matriau,de la forme de lobjet et descouleurs dsires.Lobjet est obtenu enquelques heures, voire plus dune journe selon sa taille.

    Cest fait !Une fois lobjet termin, il peut

    tre ncessaire de le durcir avecun produit chimique, ou de le faire

    refroidir dans des fours adapts,dpendamment du matriau

    choisi. Un lger sablage est requispour enlever les imperfections.

    PlateauLe fil de plastique extrud estdpos sur un plateau quisabaisse chaque couchepour permettre lempilementde la matire.

    3 axesLa buse dimpression,ou le plateau, bougesur trois axes pour donner lobjet nimporte quelle forme complexe.

    La tte dimpressionLe fil de plastique en fusion (0,1 mm environ) modle lobjet couche par couche etdurcit en refroidissant.

    Limpression 3D: comment a marche?

    LA PRE

    SSE CA

    NAD

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    Un fouillis en 3D

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  • fichiers numriss, qui multiplient leschamps dapplication. Face un tel en-gouement, les machines dimpression 3Dne cessent de se diversifier. Elles utilisentaujourdhui, comme matires premires,des plastiques et des rsines, de la cire,du pltre, des mtaux (y compris de lor),des cramiques, mais aussi du bton oudu chocolat ! En janvier dernier, le pro-ducteur de ptes Barilla a annonc strealli une entreprise nerlandaise pourtenter dimprimer des ptes avec desformes personnalises. Effet de modeoblige, tous les milieux, depuis lindustriejusqu la dentisterie, en passant par lemilitaire, le design, la mode et la joaillerie,sintressent au 3D. tel point que, en2012, la revue The Economist a qualifile phnomne de troisime rvolution in-dustrielle.

    Et pour cause! Les produits sont stockssous forme numrique quelle conomiedespace! , ils sont personnalisableset modifiables lenvi, fabricables lunit, sur mesure, localement et nonplus en Chine ou en Inde. Fini laproduction de masse, place linno -vation. La cration porte demain! Du coup, pas une semaine nese passe sans que la presse interna-tionale souligne une nouvelle prouessede limpression 3D. Avec des applica-

    tions aussi varies quimpro-bables : un bec fait sur mesurepour un aigle mutil, une voiturehybride (nomme Urbee 2), un stradivariusen polymre, une robe haute couture, maisaussi des prothses de bras pour desenfants soudanais ou des armes feu (voirlencadr ci-contre).

    Comme toute nouvelle technologie, ily a une phase deuphorie, durant laquelleon explore toutes les possibilits. Cest cequi se passe actuellement avec la fabri -cation additive. Mais la technique est in-tressante surtout pour la conception depices haute valeur ajoute, estime Vla-dimir Brailovski qui sintresse parti -culirement la synthse de picesm tal li ques.

    Produire des pices complexes, impos-sibles usiner autrement, voil la prouessetechnique quaccomplissent les impri-mantes 3D.

    Grce la fabrication additive, onpeut combiner de faon parfaitement

    contrle des cramiques et des poudresmtalliques, par exemple. On peutmme faire varier leur concentrationdans lobjet, pour obtenir un gradientde rsistance la temprature, un gra-

    dient de porosit ou une architectureplus ou moins dense, indique ling-nieur.

    ette flexibilit enchante, entre au-tres, les milieux mdicaux. Ainsi,il est dj possible de scanner etde numriser une partie du corps,et de la restituer en densitrelle . Idal pour apprendrelanatomie ou sentraner, par

    exemple, placer des implants dentaires.Idal aussi pour fabriquer du cartilage ar-tificiel ou reproduire larchitecture spon-gieuse complexe de los. Cest ce quontfait des chercheurs du Massachusetts Ins-titute of Technology en 2013, en im -primant deux polymres en fines couchesde quelques micromtres et en imitant lagomtrie osseuse naturelle. Rsultat, losartificiel ainsi bti est 22 fois plus rsistantque les polymres ltat brut. Mais cenest pas tout. Ces chafaudages arti-ficiels peuvent tre garnis de cellulessouches humaines pour former des organesde synthse (une oreille en cartilage a r-cemment t fabrique). Dailleurs, depuispeu, il est aussi possible dimprimer di-rectement des cellules, une par une, grceau bioprinting, ou mme des mdicaments,molcule par molcule.

    Sans limites, la 3D? Cest une techno -

    LA CARROSSERIE ET LINTRIEUR DURBEE 2 SONT IMPRIMS EN PLASTIQUE.

    LA GUITARE ATOM, IMPRIME EN NYLON PAR COUCHES DE 0,1 MM.

    DU CHOCOLAT IMPRIMET BIENTT DESPIZZAS?

    SCULPTURE DEFRANK STELLA

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    Des vis, des pixels et des lasers

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  • logie trs puissante, affirmeVladimir Brai-lovski. Si on devait rsumer en un mot sesavantages, ce serait libert. Il ny a po-tentiellement pas de limites, on peut crerles formes quon veut, sans assemblage,sans augmentation des cots. Alors que,avec les techniques traditionnelles dusinage,plus lobjet est complexe, plus il est cher produire, il nen est rien avec limpression3D. Une pice cote le mme prix, quellesoit produite lunit ou par s-ries de 10 000.Le groupe GE Aviation a im-

    prim un injecteur de carburanten un seul morceau, pour rem-placer son injecteur habituelcompos de 22 pices, indiquePete Basiliere. Cest moins cheret plus fiable. Mais lavantagemajeur, cest quon peut con -cevoir cet injecteur de faondiffrente, pour rduire la con - som mation globale de carburant. Un chan-gement radical dans la faon de produiredes pices. On nest plus limit par la tech-nologie; on peut maintenant optimiser lespices en amont, repenser linnovation,ajoute Vladimir Brailovski. Cest potentiel-lement rvolutionnaire. Est-ce pour autant la fin de la forge et

    de la production de masse, comme certainsenthousiastes se plaisent le prdire?Limpression 3D ne remplacera jamaislindustrie classique, rpond sans hsiterPete Basiliere. On est encore loin de pouvoirimprimer un objet fait de plusieurs matires

    ou de plusieurs composantes, comme untlphone portable. Disons que les objetsassocieront probablement de plus en plusdes composantes classiques usines et desparties personnalises grce la 3D, linstar des prothses auditives que je porte,dont le micro est fait en Chine mais dontloreillette est fabrique sur mesure.Aussi prometteuse soit-elle, la fabrication

    additive, mme industrielle, nest qu laubede son dveloppement. Alorsque des dizaines de milliers dematriaux sont utiliss chaquejour pour produire les objetsdusage courant, les imprimantes3D ne travaillent quavec 200matriaux environ, sous formede poudres ou de filaments, en-core trs coteux (50 100 foisplus chers que ceux utiliss pourle moulage par injection plas-tique, notamment).

    Il faut plusieurs heures pour imprimerun objet relativement petit, et le formatfinal se limite encore lquivalent duncube de 30 cm de ct. Enfin, loprationnest pas aussi simple que douvrir un do-cument Word et de cliquer sur la fonctionImprimer. Les logi ciels sont encore com-plexes matriser, il faut pouvoir visualiserles plans en 3D. Mais cest une questiondhabitude et, partout dans le monde, lestudiants commencent se familiariser avecla fabrication additive, indique lanalyste.En attendant que cette nouvelle gn-

    ration dexperts arrive sur le march du

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    DES PROTHSES UNIQUESCRES PAR BESPOKE INNOVATION, AVEC OU SANS MTAL.

    LE ZERO STEP, CR SUR MESURE PAR NIKE POUR UNJOUEUR DE FOOTBALL.

    GILLES AZZARO IMPRIME LES VOIX EN 3D AVEC UNE IMPRIMANTE DE FAB LAB: ICI, UNE SCULPTURE DU DISCOURSDOBAMA SUR LA RVOLUTION INDUSTRIELLE DE LA 3D!

    La menace desarmes imprimesEn mai dernier aux tats-Unis, un tudiant endroit, Cody Wilson, a dfray la chronique endiffusant en ligne les plans du Liberator, unpistolet imprimable en 3D. Sur les 16 picesconstituant larme, 15 peuvent tre produites enplastique, la maison, laide dune imprimante3D cotant moins de1 500 $. Il suffit ensuitede complter larme avecune sorte de clou enmtal qui fait office depercuteur, tout en rendantlengin lgal, cest--diredtectable par les portiques descurit. Les instructions defabrication, initialement publies sur le site deDefense Distributed, un organisme offrant desplans darmes en libre accs (open source),fond par Wilson, auraient t tlcharges descentaines de milliers de fois en quelques mois.Cet artisanat dun genre nouveau inquite

    juste titre les opposants aux armes feu et lesautorits. Bien que lUnion europenne aitinterdit limpression darmes et que les tats-Unisaient tent de faire disparatre rapidement lesplans du Liberator, ces joujoux faits maison sontdifficiles contrler, passant facilementinaperus pour les dtecteurs de mtaux. Selonles premiers utilisateurs, le Liberator estcependant un peu fragile : le plastique atendance se fissurer aprs quelques tirs. Qu cela ne tienne, en novembre dernier, lacompagnie Solid Concepts, qui a son sigesocial en Californie, a produit la premire arme feu imprime en mtal. Un succs! Le pistoletpeut tirer 50 balles la suite, et na rien envieraux armes classiques. Comme quoi innovationnest pas toujours synonyme de progrs.

    Fini la production

    de masse, place

    linnovation

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  • travail, de nombreuses entreprises propo-sent leurs services de fabrication additive, linstar de la socit franaise Sculpteoqui entend devenir le Paypal de lim-pression 3D en ligne. Montral, dansle quartier Rosemont, Olivier Smiljanicsest lanc dans le domaine en 2010, encrant Fablab Inc. Dans son local, qui res-semble un hangar, au milieu de cartonset doutils, trnent quatre imprimantes3D futuristes qui sactivent sans relchepour des particuliers, des entreprises oudes artistes. Olivier Smiljanic fouille dansune petite bote et en extirpe toutes sortesdobjets en plastique fabriqus sur place :une cl molette, une figurine de monstre,une tour de jeu dchecs, un connecteurpour carte lectronique. Nous recevons

    des commandes trs diverses. Un papavient de mappeler afin de commanderune poupe pour sa fille. Nous avons aussiconstruit le mobilier lchelle 1:100 delusine de Bombardier qui voulait organiserses locaux de faon plus concrte quavecdes plans en deux dimensions, prcise-t-il. Dans un coin, un employ sapprte coller de grands panneaux de plastiquepour terminer une maquette. Un autrebricole au fer souder un modle artisa -nal dimprimante 3D. Parce quOlivierSmiljanic entend bien surfer sur la vague :il veut commercialiser ses propres impri-mantes, et raliser son rve de mettre aupoint une machine capable dimprimernon pas du plastique, mais du mtal sousforme de nanoparticules. De quoi russirdes alliages intressants moindre cot,en vaporisant des fils de mtal. Lentre-preneur, titulaire dun doctorat en nano-technologie, nen dira pas plus, mais il adj dpos une demande de brevet... QS

    n en compte dj 25 auxPays-Bas, une dizaine enEspagne et plus de 20 enFrance. En Europe, les fablabs, pour fabrication la-

    boratories, sont le phnomne social dumoment. croire quen ces temps decrise, le bidouillage fait des mules. Cesateliers, o sallient collaboration et in-novation, poursuivent un objectif simple :permettre au grand public daccder li-brement des outils et des machines depointe, pour fabriquer de tout!

    Lun des pionniers de ce mouvementest Artilect, le premier des fab labs franais,qui a ouvert ses portes en 2009 Toulouse,dans un sous-sol de luniversit. Il a au-jourdhui pignon sur rue, en plein centre-ville, et occupe des locaux flambant neufsde 500 m2. Onna pas encore eu le tempsde tout ranger, sexcuse Xavier Crouilles,lun des bnvoles, en dsignant des ta-gres o sentassent en vrac vis, marteauxet toutes sortes doutils. Oublie dans uncoin, une presse dimprimerie dun autresicle attend dtre rpare. Voil quicontraste avec les machines high-tech quimeublent le reste du lumineux local : deuximprimantes 3D, une puissante dcou -peuse laser et une fraiseuse numrique,pour graver et tailler le bois comme les

    plastiques; mais aussi du matriel lec-tronique. Cest lquipement classiquedun fab lab, qui repose sur la fabricationnumrique, prcise notre guide.

    Ce quon concocte, Artilect? Des pro-jets aussi ingnieux que cratifs, depuisle robot dsherbeur jusquaux sculpturesimprimes en 3D, en passant par laculture dalgues. Le soir de notre visite,un tudiant en architecture assemble despices dcoupes au laser pour faire unemaquette de btiment. Prs des impri-mantes 3D, une jeune femme peaufinele design de sa future ligne de bijoux,tandis quun certain Mathieu bricole uncircuit imprim pour fabriquer son proprematriel de son.

    Il suffit de suivre une petite formationavant de se servir des machines num-riques, mais a sapprend vite, soutientXavier Crouilles. De toute faon, il y atoujours un employ ou un membre pourpartager son savoir-faire et ses connais-sances. Un lectronicien au chmagevient justement de passer limprovistechez Artilect pour proposer de donnerde son temps.

    Car le fab lab est avant tout un lieu departage et de collaboration, une sorte decooprative de fabrication o se ctoientinformaticiens, tudiants, artistes, retraits

    22 Qubec Science | Mars 2014

    Des vis, des pixels et des lasers

    CRER UN OBJET AU LIEU DE LACHETER, CEST DSORMAISPOSSIBLE GRCE AUX FAB LABS. CES ATELIERS, OUVERTS TOUS ET DOTS DQUIPEMENTS DE POINTE, FLEURISSENTPARTOUT DANS LE MONDE. UN PIED DE NEZ LA GRANDEINDUSTRIE?

    Par Marine Corniou

    democratiserl innovation

    oOlivier Smiljanic de Fablab inc. imprime des pices en 3D pour

    des entreprises et des particuliers.

    JEAN

    -FRA

    NOIS LEBL

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    3DQSmars2014_Layout 1 14-01-31 2:32 PM Page 22

  • et patenteux de tout poil. Dans lemilieu, on les appelle des makers. Lide,cest vraiment de souvrir tous, de d-mocratiser linnovation, explique NicolasLassabe, fondateur dArtilect.Dmocratiser linnovation, cest bien

    l la devise des fab labs qui ont vu le jouril y a une dizaine dannes, au Massachu-setts Institute of Technology (MIT) Cam-bridge, aux tats-Unis.Tout commence en 1998. Professeur au

    MIT, Neil Gershenfeld, lass dexpliquerle fonctionnement des machines de sonlabo chacun de ses tudiants, dcide dedonner un cours collectif intitul Commentfabriquer (presque) nimporte quoi. Enquelques semaines, il croule sous les de-mandes dinscription. Les tudiants passentdes nuits entires confectionner des objetspersonnels, en marge de leurs projetsdtudes. En 2002, Gershenfeld dcidedexporter le concept. Avec un kit dqui-pement de base, comprenant du matriel

    lectronique mais surtout des machines-outils assistes par ordinateur (une d-coupeuse laser, une imprimante 3D et unefraiseuse) nimporte qui peut monterson propre fab lab pour une sommevariant entre 20 000$ et 70 000$. Lemouvement tait n, avec son logo et sacharte qui dfinit ces ateliers comme uneressource communautaire offrant un accslibre aux individus. Depuis, lengouement est plantaire. Au

    cours des dernires annes, le nombre defab labs a doubl tous les 18 mois. Il y ena aujourdhui plus de 200, depuis lIndejusqu la Norvge, en passant parlAfghanistan et le Bronx, NewYork, o un fab lab mobile va la rencontre des intresss. Et enAsie, ils poussent comme deschampignons.Mais les fab labs aspirent tre

    bien plus que des lieux dartisanatbranchs ou des repres de geeks. Ils

    rpondent aux besoins locaux, trop sp-cifiques pour intresser les investisseurs,et donnent chacun la chance de concr-tiser ses ides grce des technologies au-trefois rserves lindustrie. En Norvge,par exemple, un fab lab ouvert au-deldu cercle polaire a permis aux leveursde rennes de bricoler des puces GPS pourlocaliser leurs animaux. En France, dansle fab lab de Rennes, un jeune hommeam put de la main a pu se fabriquer uneprothse moins de 1500$. Au Ghana,on a mis au point un filtre eau, des an-tennes wifi et des fours solaires.

    Ce nest pas un mouvement mar-ginal. Il permet au public de pren-dre part linnovation. Cest trsimportant pour les petits pays,mais aussi pour nous, car laccs la fabrication nest facile nulle

    part, soutient Marc-Olivier Du-charme, coordonnateur dchoFab,

    Montral, qui a ouvert ses portes en

    Mars 2014 | Qubec Science 23

    Premier fab lab de Montral, choFab a ouvert ses portes en janvier 2012. Il y a toute une philosophie derrire les fab labs, prcise son coordonnateur Marc-Olivier Ducharme. Celle de rparer, de rcuprer, de crer plutt que de consommer. Non, la plante na pas t imprime!

    KIM AUC

    LAIR

    3DQSmars2014_Layout 1 14-01-31 2:32 PM Page 23

  • janvier 2012. Dabord hberg prs dumtro De Castelnau dans les locaux deCommunautique, un organisme dont lamission est de soutenir la participationcitoyenne en favorisant la matrise de lin-formation et qui a lanc ce projet; cho-Fab attend dtre relocalis rue Peel, dansle centre-ville, proximit de lcole detechnologie suprieure. Lancien local avaitbeau tre un peu dsuet et triqu, tout ytait : tour mtaux, scies et marteaux,fers souder, imprimantes 3D et dcou-peuse laser, mais surtout laccueil chaleu-reux de Marc-Olivier et des bricoleursprsents, toujours disponibles pour enca-drer les projets, deux jours par semaineet gratuitement.

    Entre autres, choFab a vu natre unmodle dondes Martenot, un instrumentde musique lectronique, et un systmedirrigation automatis pour les balconset les murs vgtaux auquel plusieurs mem-bres ont contribu. Je suis moi-mme unpatenteux et je navais pas datelier chezmoi. Cest pour a que je me suis impliquau dbut, explique Marc-Olivier, dont len-gagement va au-del du simple amour dubricolage. Il y a toute une philosophie der-rire les fab labs. Celle de rparer, de r-cuprer, de crer plutt que de con s ommer.

    Voil un vritable pied de nez lobso-lescence programme desiPhone et autres gadgets high-tech. Cest para do xal que cemouvement merge alors queles objets actuels ne sont jus-tement pas conus pour durerni pour tre rpars. Cela faitcontrepoids au capitalisme et la consommation exces -sive, analyse Martin Racine,professeur au dpartementdarts numriques et de design lUniversit Concordia, Montral, dailleurs quipcomme un fab lab. Ce cher-cheur travaille depuis unequinzaine dannes sur la rparation et latransformation des objets, avec lide deprolonger leur vie utile. Une vieille sourisdordinateur peut tre convertie en jouet;ou un tas de stylos, en jeu de construction.Grce aux fab labs, les technologies de pro-totypage rapide se dmocratisent. Il y a uneraction trs saine des consommateurs quisouhaitent prendre plus de contrle sur lesobjets du quotidien.

    Et justement, quoi de mieux pour se r-approprier les objets que de les rinventerconstamment? Lune des conditions dela charte des fab labs, cest de partager avec

    la communaut les plans et les instructionsde fabrication, indique Marc-Olivier Du-charme. En clair, toutes les inventions sontpubliques, donc amliorables linfini. Surle modle du logiciel libre, les ides circulententre les citoyens grce des sites, commeThingiverse.com, qui mettent la dispo -sition des internautes plus de 100 000 de -signs dobjets. Mme llectronique devientaccessible tous, grce aux outils opensource comme Arduino, une carte lectro-nique microcontrleur, permettant deprogrammer des robots, des objets inte r -actifs ou des capteurs.

    Afin de rester dans cette logique jusquaubout, les fab labs eux-mmes doivent pou-voir essaimer sans contrainte. Notammentgrce la RepRap, une imprimante 3Dcapable dimprimer ses propres picespour se dupliquer elle-mme. Fin 2013,des chercheurs de la Michigan Technolo-gical University, aux tats-Unis, ont mmepubli les plans libres dune imprimante3D pour mtaux.

    Les fab labs permettent aux individusde sinscrire dans un mouvement plan -taire. Plutt que de commencer quelquechose zro, dans son coin, on regarde

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    dmocratiser linnovation

    LE FAB LAB DUTRECHT, EN HOLLANDE, PROPOSE UNE LISTE DE MACHINES POURCONSTRUIRE DES MINI-FAB LABS.

    CETTE MAISON ISSUE DUFAB LAB DE BARCELONEGNRE TROIS FOIS PLUSDNERGIE QUELLE NENCONSOMME.

    LE FAB LAB MOBILE DU MIT A SILLONN LES TATS-UNIS AVANT DE SARRTER NEW YORK.

    FAB LAB DE NAIROBI, AU KENYA: UN AMPLIFICATEUR DE SIGNAL WI-FI LESSAI

    De l'InDe la norvge, enpassant par l'afghanIstanet le Bronx, Il y a aujourD'huI plus De 200 faB laBs Dans le monDe.

    TOULOUSE, ARTILECT EST LEPREMIER FAB LAB FRANAIS.

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  • les solutions existantes et on les perfec-tionne. On cre un capital de biens com-muns. Cest trs valorisant de voir queson propre objet a t copi et apprciailleurs dans le monde, affirme GuillaumeCoulombe, cofondateur de Fab Labs Qu-bec, un collectif destin favoriser lmer-gence des fab labs chez nous.

    Malgr les efforts dorganismes commecelui-l, le Canada chappe encore ladferlante. Ainsi, choFab est le seul fablab en activit au pays, mme si Winnipegsest dote dun makerspace, un conceptquivalent, mais nadhrant pas la chartedu MIT.

    En Europe, les fab labs ont fleuri pen-dant la crise conomique. Les pays ontt obligs de se rinventer, alors que, auCanada, on a t moins touch. Les lusne connaissent pas le concept et sont peusensibles cette exprimentation sociale,croit Anthony Lapointe, un ancienemploy dchoFab qui a quitt Montralpour lancer le premier fab lab rural duQubec, le DmosLab. Aprs une tentativeinfructueuse Saguenay, Anthony a d-

    mnag, en dcembre, Frelighsburg dansles Cantons-de-lEst. Les rsidants sonttrs intresss, mais il faut encore trouverdes partenaires, ajoute-t-il.

    Guillaume Coulombe, de son ct, seveut rassurant. Il y a entre 12 et 15 fablabs en devenir au Qubec. Plusieurs bi-bliothques de la Ville de Montral sontintresses ouvrir un espace de fabrication,ainsi que plusieurs cgeps, comme celui deThetford Mines, qui possde dj des qui-pements de plasturgie. Hlas, ce nest pastoujours facile de runir les 10 000 $ 15 000 $ initiaux, concde-t-il.

    Et puis, si beaucoup de fab labs bnfi-cient au dpart de subventions publiques,il nest pas vident par la suite de concilieraccessibilit au plus grand nombre, libertet rentabilit. Le sujet fait encore dbat,mais plusieurs modles conomiques sedessinent : se rattacher une grande uni-versit; offrir des formations ou des atelierspayants; faire appel du financementpriv, en louant les machines des entre-prises, tout en garantissant des jours dou-verture au public, par exemple.

    Lessor des fab labs pose aussi la ques-tion de la proprit intellectuelle, indiqueMartin Racine. Transformer un objetexistant et en faire autre chose, cest unproblme qui sest pos il y a quelquesannes pour la musique avec les samples,et aussi dans le domaine de limage nu-mrique. On nest quau dbut de la r-flexion.

    Peut-tre, mais pour Neil Gershenfeld,la troisime rvolution numrique estdj en marche. Aprs lessor du calculet de la communication par ordinateur,la fabrication numrique fait enfin tomberles frontires entre le monde virtuel et lemonde physique. Nous sommes entrsdans lre de lInternet des objets, et leCanada a intrt se mettre au diapasondes makers sil ne veut pas louper le coche.Il devra imiter lEspagne ou la Francequi a mis dans le coup son nouveau mi-nistre du Redressement productif, his -toire de financer 14 nouveaux fab labs.Victime de son succs, le programme,lanc fin 2013, a reu plus de 150 dos -siers. QS

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