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UNIVERSITÉ PANTHÉON ASSAS (PARIS II) (École doctorale de droit) UNIVERSITÉ ST-JOSEPH (BEYROUTH) (Faculté de droit et des sciences politiques) Thèse en cotutelle CONVENTIONS RÉGLEMENTÉES ET INTÉRÊT SOCIAL EN DROIT COMPARÉ (Liban Ŕ France Ŕ USA) Thèse de Doctorat en droit présentée et soutenue publiquement le 4 mars 2011 par Saba K. ZREIK Jury: M. Philippe MERLE : Directeur de thèse Professeur émérite de l'Université Panthéon Assas (Paris II) M. Richard CHEMALY : Co-directeur de thèse Professeur à la Faculté de droit et des sciences politiques (USJ, Beyrouth), Doyen honoraire. M. Jean-Jacques DAIGRE : Professeur à l’École de droit de la Sorbonne (Paris I) M. Georges NAFFAH : Professeur à L’Université Libanaise, École doctorale, (Filière francophone de droit)

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UNIVERSIT PANTHON ASSAS (PARIS II) (cole doctorale de droit)

UNIVERSIT ST-JOSEPH (BEYROUTH) (Facult de droit et des sciences politiques) Thse en cotutelle

CONVENTIONS RGLEMENTES ET INTRT SOCIAL EN DROIT COMPAR (Liban France USA)

Thse de Doctorat en droit prsente et soutenue publiquement le 4 mars 2011 par

Saba K. ZREIK

Jury: M. Philippe MERLE : Directeur de thseProfesseur mrite de l'Universit Panthon Assas (Paris II)

M. Richard CHEMALY

: Co-directeur de thseProfesseur la Facult de droit et des sciences politiques (USJ, Beyrouth), Doyen honoraire.

M. Jean-Jacques DAIGRE : Professeur lcole de droit de la Sorbonne (Paris I) M. Georges NAFFAH : Professeur LUniversit Libanaise, cole doctorale,(Filire francophone de droit)

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L'UNIVERSIT PANTHON ASSAS (PARIS II), cole doctorale de droit, et LUNIVERSIT ST-JOSEPH (BEYROUTH), Facult de droit et des sciences politiques n'entendent donner aucune approbation ni improbation aux opinions mises dans cette thse ; ces opinions devront tre considres comme propres leurs auteurs. 2

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REMERCIEMENTS

Je tiens exprimer ma sincre gratitude mes minents professeurs : Philippe Merle, qui, voil plus de trente cinq ans, a veill en moi un penchant certain pour le droit des socits, qui est devenu par la suite mon pain quotidien, et Richard Chemaly, qui mavait suivi dans mes travaux pratiques en droit commercial, consolidant aussi ce penchant, davoir bien voulu accepter de co-diriger ma thse. Je remercie galement ma famille (pouse, enfants et petits-enfants) davoir tolr que je vaque cette entreprise au prix de maintes privations quelle a d subir.

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Rsum Lintrt social est la raison dtre principale de la rglementation des conventions rglementes. Il est dlimit par des intrts voisins et par lintrt personnel abrit par ces conventions, dont le jeu conflictuel peut lser la socit. Lexistence dun conflit et de sa justification peuvent tre prsumes. L'intrt social est dsormais celui de lentreprise vue dans son contexte conomique large. Un intrt de groupe est distinctement reconnu. La qualification des conventions sert identifier celles qui doivent tre contrles. La mise en uvre de la protection de lintrt social sopre travers la prvention des conflits dintrts, moyennant une rvlation de l'intrt personnel. Cette rvlation dclenche la procdure d'apprciation par les organes sociaux concerns. Des garanties lgislatives et jurisprudentielles assurent la primaut de lintrt social, par la limitation de lexercice de certains droits et par lapplication judiciaire stricte du respect des obligations lgales qui psent sur les intresss. La convention frauduleuse est nulle. Celle non autorise qui est prjudiciable la socit est annulable; et ses consquences sont supportes par lintress qui engage sa responsabilit civile et mme parfois sa responsabilit pnale. La comparaison du traitement de ce sujet dans les trois systmes juridiques libanais, franais et amricains a dvoil des failles dans les deux premiers ; des projets de rforme sont proposs. Descripteurs Intrt personnel, quit intrinsque, jugement daffaires, rmunration, avantage particulier, commission aux conventions, qualification, rvlation, rapport spcial, obligation fiduciaire, transparence, responsabilit, ABS. Title Related party transactions and corporate interest in comparative law (Lebanon, France, USA). Abstract The corporate interest is the main reason behind the regulation of related party transactions. Its limits are defined by similar interests and the personal interest embodied in these transactions. The inter-action of these conflicting interests may harm the company. The existence of a conflict and of its justification may be presumed. The corporate interest is from now on that of the enterprise seen within its wide economic context and the interest of a group of companies is distinctively acknowledged. The qualification of those transactions helps identify those that are subject to scrutiny. The protection of the corporate interest is achieved by the prevention of the conflicts of interests through the disclosure of the personal interest. This disclosure triggers the concerned corporate bodies evaluation process. Legislative and jurisprudential guarantees ensure the predominance of the corporate interest through limitations on the exercise of certain rights and a strict judicial enforcement of legal duties laid on the interested party. The fraudulent transaction is void. The unauthorized one that is damaging to the company is voidable and its consequences are assumed by the interested party who may be exposed to civil and, sometimes, criminal liability. The comparison of the treatment of this subject in the Lebanese, French and American legal systems revealed the weaknesses in the first two; amendment proposals are made. Keywords Personal interest, intrinsic fairness, business judgment, remuneration, private advantage, transactions, transactions committee, qualification, disclosure, special report, fiduciary duty, liability, waste of corporate assets.

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LISTE DES PRINCIPALES ABRVIATIONSAl Adl ALI PCG Revue du Barreau de Beyrouth American Law Institute Principles of Corporate Governance (Principes de gouvernement dentreprise) AMF Art. BCNCC BRDA Bull. civ. Bull. crim. Bull. Joly CA CE Cass. com. Cass. crim. Cass. soc. C.civ.fr. C.com.fr. C.com.lib. C.com.lib.ann. CMCL CNCC COCL COB C.pn.fr. C.pn.lib. DCLA DH DS fr. Hatem IAS JCP Autorit des marchs financiers Article Bulletin du Conseil national des commissaires aux comptes Bulletin rapide de droit des affaires Bulletin des arrts de la Cour de cassation - chambres civiles Bulletin des arrts de la chambre criminelle de la Cour de cassation Bulletin Joly socits Cour dappel Conseil dEtat Arrt dune chambre commerciale de la Cour de cassation franaise Arrt dune chambre criminelle de la Cour de cassation franaise Arrt dune chambre sociale de la Cour de cassation franaise Code civil franais Code de commerce franais Code de commerce libanais Code de commerce libanais annot (C. Fabia et P. Safa). Code de la monnaie et du crdit libanais Compagnie nationale des commissaires aux comptes Code des obligations et des contrats libanais Commission des oprations de bourse Code pnal franais Code pnal libanais Delaware Corporation Laws Annotated Dalloz recueil hebdomadaire Dalloz-Sirey, recueil de doctrine, de jurisprudence et de lgislation Franais Recueil de jurisprudence Hatem International Accounting Standards Juris-Classeur priodique 5

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JS L. LCCG LGDJ lib. LLC POEJ

Journal des socits Loi Lebanese Code of Corporate Governance Librairie gnrale de droit et de jurisprudence Libanais Limited Liability Company (Socit responsabilit limite) Proche-orient tudes juridiques - Annales de la Facult de droit et des sciences politiques de Beyrouth

Rp. soc. Rev. soc. RJC RJDA RJL RMBCA RTDC S. SA SACS

Rpertoire socits Dalloz Revue des socits Revue de jurisprudence commerciale Revue de jurisprudence de droit des affaires Revue judiciaire libanaise Revised Model Business Corporation Act Revue trimestrielle de droit commercial Recueil de jurisprudence Sirey Socit anonyme de type classique Socit anonyme avec conseil de surveillance et directoire (structure dualiste)

SARL SAS SEA SEC SOA T. com TGI TPI USA

Socit responsabilit limite Socit par actions simplifie Securities Exchange Act Securities and Exchange Commission Sarbanes-Oxley Act Tribunal de commerce Tribunal de grande instance Tribunal de premire instance Etats-Unis dAmrique

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SOMMAIRE INTRODUCTION PREMIRE PARTIE: L'INTRT SOCIAL, RAISON D'TRE PRINCIPALE DE LA RGLEMENTATION DES CONVENTIONS RGLEMENTES Titre 1 Dlimitation de l'intrt socialChapitre 1 Dfinition des intrts en jeu Section 1 Intrt social et intrts voisins Section 2 Intrt social et intrts concurrents Jeu conflictuel des intrts Section 1 Conditions de l'existence d'un conflit Section 2 Preuve de l'existence d'un conflit

Page9

29 31 32 32 42 53 53 58 73 74 74 129

Chapitre 2

Titre 2

Champ de confrontation avec l'intrt socialChapitre 1 Actes juridiques viss par les trois rglementations Section 1 Diversit des actes juridiques viss Section 2 Qualification des actes juridiques viss

Chapitre 2

Personnes intresses l'acte juridique rglement 152 Section 1 Personnes intresses agissant directement 152 Section 2 Personnes intresses agissant indirectement 182

DEUXIME PARTIE: LA MISE EN OEUVRE DE LA PROTECTION DE L'INTRT SOCIAL EN MATIRE DE CONVENTIONS RGLEMENTES Titre 1 Prvention des conflits d'intrtsChapitre 1

219 220

Rvlation de l'intrt personnel 221 Section 1 Acteurs de la rvlation 221 Section 2 tendue de la rvlation de l'intrt personnel 236 Apprciation de l'intrt social dans les conventions Section 1 Dcision des organes sociaux Section 2 Effets de la dcision sur les conventions

Chapitre 2

250 250 300 313 314 314 349 370 370

Titre 2

Garanties de la primaut de l'intrt socialChapitre 1 Garanties lgislatives et jurisprudentielles Section 1 Exceptions aux principes gnraux du droit Section 2 Obligations inspires des rgles de gouvernement d'entreprise Sanctions de l'atteinte l'intrt social Section 1 Mise en cause de l'acte juridique prjudiciable la socit Section 2 Mise en cause de la responsabilit personnelle des violateurs de la rglementation des conventions

Chapitre 2

406 457 460 475 487 546

CONCLUSION LISTE BIBLIOGRAPHIQUE LISTE CHRONOLOGIQUE DE JURISPRUDENCE TABLES DES ANNEXES TABLES DES MATIRES

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Nul serviteur ne peut servir deux matres ; car, ou il hara lun et aimera lautre ; ou il sattachera lun et mprisera lautre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon St. Luc XVI, 13 8

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INTRODUCTIONLa socit commerciale ne jouissant daucune facult divine, St. Luc ne saurait tre du outre mesure si le dirigeant dune telle socit, ou lun de ses associs, se servait du patrimoine social sans veiller maintenir un certain quilibre avec l'intrt social. Une rgulation se forge coup de lois et rglements qui ne cessent daffluer. Des proccupations presque contradictoires font crer des normes et directives ctoyant des textes de lois, simples ou compliqus, clairs ou ambigus, maris des jurisprudences qui balancent entre le traditionnel, qui est rigoureux et conservateur, et le progressiste, qui se veut flexible et libral, limage de la socit civile et celle du monde des affaires entreprenant. Llaboration dune telle rgulation met en valeur, entre autres, une meilleure transparence financire travers une communication plus importante aux associs et aux commissaires aux comptes, et un contrle plus permanent et troit du comportement des organes sociaux, et surtout des dirigeants. Il sagit de protger et la socit et ses associs, sans ignorer les tiers de bonne foi. Un assainissement gnralis sopre travers la moralisation des pratiques commerciales et linstitutionnalisation de lintgrit des mandataires sociaux. Des obligations relevant du droit naturel inspirent celles du droit positif subjectif. Faut il donner linitiative prive plus despace ? ou la sacrifier sur lautel de ces gants, pour ne pas dire ces monstres, que sont les multinationales qui drainent l'pargne publique? Faut il freiner des ambitions personnelles rien que pour valoriser lintrt social ? Cette dernire notion a fait couler beaucoup dencre et ne semble pas tre apprcie de la mme manire par tout le monde. Une chose est sre et cest que la personnalit morale de la socit est une fiction1 cre par la loi ; cest une creature of the law 2 . Elle jouit dune autonomie par rapport aux associs ; une autonomie manant de laffectio societatis et consacre par le contrat de socit. Cette personnalit morale possde des droits3, et assume des obligations comme si elle tait une personne physique. La socit a donc un intrt propre qui est diffrent de celui de ses associs. Cet intrt, quon confondait jadis peut-tre avec lintrt commun des associs, acquiert de nos jours une certaine autonomie, mise en relief par la ncessit de le protger contre les abus des dirigeants ou associs indlicats dont les agissements ont t 1. 2. 3.

Ph. Merle, Droit commercial, Socits commerciales, Prcis Dalloz, 14e d., Dalloz, 2010, n 75, p. 110 : personnalit morale : Ralit ou fiction . L. Solomon et A. Palmiter, Corporations, 3e d., Aspen Law & Business, New York, USA, 1999, 1.1.2, p. 7. Ph. Merle, Droit commercial, Socits commerciales, op. cit., n 75, p. 109 : la personnalit morale doit alors tre dote de tous les droits qui lui sont ncessaires pour que la socit accomplisse sa mission .

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lorigine de scandales financiers retentissants. Ce genre de scandales (ou de scandales politico-financiers) semble tre toujours la base des retouches lgislatives1 qui sont entreprises dune manire acclre, les atouts devenant beaucoup plus substantiels. Ces scandales menacent les investissements dans une re de privatisation croissante. Mais est-ce que la poursuite dun intrt personnel est toujours oppose lintrt social ? Cette opposition cre-t-elle dans tous les cas un conflit dintrts prjudiciable la socit ? Autant de questions qui ont aliment nos recherches en qute de rponses satisfaisantes. La socit, personne morale, est habilite contracter avec autrui, y compris ses associs et dirigeants. La conclusion de conventions entre une entit et l'un de ses dirigeants ou l'un de ses membres est invitable 2. La socit peut avoir avec ceux-l des rapports de droit, devenir leur crancire ou leur dbitrice comme sils taient des tierces personnes3. Il est normal que les rapports de droit crs dans une convention, qui peuvent tre nous entre la socit et les parties qui sont censes la protger, et qui peuvent gnrer des abus dont la socit devient victime, soient une des proccupations principales du lgislateur. Ainsi, c'est une question de principe, un dirigeant partag entre son intrt personnel et les devoirs de sa charge 4 ne devrait point faire prvaloir cet intrt sur celui de la socit quil dirige et dont il est mandataire. Nemo in rem suam auctor esse potest : nul ne pouvant officier en sa propre cause5. Le conflit entre ces deux intrts ne doit point tre rsolu au dtriment de la socit6. Un associ prdominant ne peut non plus profiter du poids que sa quote-part du capital fait peser sur les dcisions sociales pour se faire accorder des avantages ou des valeurs aux dpens de sa socit. Mfiant envers le risque dabus et de complaisance que des conventions conclues entre un administrateur et sa socit pourraient crer, et envers les consquences prjudiciables aux intrts de la socit qui pourraient en rsulter, le lgislateur a voulu faire subordonner ces conventions certaines conditions en vue dassurer la protection desdits intrts 7. La doctrine est unanime, les dirigeants ne

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7.

Ph. Merle, Droit commercial, Socits commerciales, op. cit., n 15, p. 28. Compagnie nationale des commissaires aux comptes (CNCC), Les conventions entre les entits et les personnes intresses, d. CNCC, mai 2004, p. 7. E. Tyan, Droit commercial, Tome premier, d. Librairie Antoine, Beyrouth, 1968, n 289, p. 297. C. Malecki, Conventions rglementes, Rp. soc. Dalloz, septembre 2002, p. 3. H. Roland et L. Boyer, Adages du droit franais, 4e d., Litec, Paris, n 255. C. Fabia, Les contrats des administrateurs de socits anonymes, Commerce du Levant, n 113, Beyrouth, 1968, p. 16. Gh. Mahmassani, Les contrats des administrateurs de socits anonymes avec leurs socits suivant larticle 158 nouveau du Code de commerce libanais, POEJ, n 6, janvier avril 1969, p. 37.

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peuvent profiter de leur position dans la socit pour servir leurs propres intrts ou ceux dentreprises auxquelles ils seraient intresss1 Aux Etats-Unis, les devoirs des dirigeants envers leur socit imposent lintgrit absolue, non seulement en cas de conflit entre leurs devoirs et leurs intrts ils doivent faire prvaloir les premiers, mais ils doivent mme viter le plus possible ce genre de conflits 2. Les concepts de trust et de confidence (confiance) constituent le cur du droit des socits relatif aux devoirs et obligations fiduciaires des dirigeants et des associs prpondrants des socits commerciales amricaines3. Les self - dealing transactions , ou transactions (contrats) avec soi-mme y sont galement rglementes, tout comme au Liban et en France, avec toutefois une simplicit juge riche en exigences trs svres , qui dispense dune bonne partie de la rglementation que lon trouve en France 4. Le devoir de disclosure (divulgation, rvlation) de l'intrt personnel du contractant vis avec la socit est omniprsent en droit amricain, en application des principes de transparence du gouvernement d'entreprise qui ont t une inspiration pour beaucoup de pays. La simplicit du systme amricain, fidle aux prceptes du case law, soumet les conventions avec les related parties (parties lies)5 une certaine autopsie pour apprcier leur fairness pour la socit. * * *

Lintrt social, tant celui de la personne morale quest une socit, il est normal que tous les systmes juridiques qui reconnaissent cette personnalit tentent de le protger contre les abus et excs des dirigeants et / ou associs, surtout les associs majoritaires. Et pourtant, la jurisprudence a trouv que les groupes de socits, qui nont pas de personnalit morale distincte de celles des socits qui les constituent, ont quand mme un intrt propre qui mrite dtre aussi protg. Cest un intrt suprieur lintrt individuel des socits du groupe. La jurisprudence avait reconnu apparemment un droit naturel des groupements la personnalit juridique. La ralit juridique trouvait directement assise dans la ralit sociale6.1. 2. 3. 4.

5.

6.

I. Balensi, Les conventions entre les socits commerciales et leurs dirigeants, Collection Etudes juridiques comparatives, Economica, Paris, 1975, p. 3. A. Tunc, Le droit amricain des socits anonymes, Paris, Economica, 1985, p. 10. L. Solomon et A. Palmiter, Corporations, op. cit., p. 191. A. Tunc, Le droit amricain des socits commerciales, op. cit. p. 10. Cet ouvrage, publi en 1985, conserve en ce qui concerne la constatation de son auteur quant la simplicit de la lgislation amricaine compare celle de la France, toute son actualit. Ladjectif li pour signifier related est le plus souvent retenu, surtout dans les rapports des commissaires aux comptes ; dans le mme sens peuvent-tre utiliss les termes apparent et parfois associ : v. B. Dhuicq et D. Frison, Dictionnaire de langlais juridique : Ed. BMS 2004, p. 365. N. Fadel Raad, L'abus de la personnalit morale en droit priv, Thse, Paris 2, dir. F. Terr, LGDJ, 1991, n 102, p. 99.

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Cest ainsi que le dveloppement des groupes de socits apporte une nouvelle dimension la dfinition de lintrt social, tant juridique quconomique. Les conventions conclues entre socits appartenant au mme groupe, et qui sont diriges le plus souvent par des conseils dadministration administrateurs communs ou par des dirigeants communs, sont courantes. Lintrt social de la filiale ou de la socit membre du groupe tend, en dpit de son caractre distinct, se fondre en quelque sorte dans lintrt du groupe. Ces conventions portent sur un grand nombre de produits et services dont les socits du groupe ont besoin pour la ralisation de leurs objets sociaux respectifs, ou du moins pour assurer une meilleure appartenance au groupe et facilitent latteinte de lobjectif suprme de la socit mre ou de la holding du groupe. Nous nhsiterons pas ajouter que parfois ces conventions sont conclues pour faire passer un bnfice, du patrimoine dune socit du groupe dans le patrimoine dune autre socit du mme groupe pour rduire les obligations fiscales de la premire. Cette pratique acceptable dans les groupes soumis un rgime dintgration fiscale, lest moins dans les groupes qui ne le sont pas. Les conventions au sein du groupe constituent en soi un dispositif efficace de contrle et de concentration qui empitent sur lindpendance des socits du groupe, la rendant plutt relative, la socit mre exerant sur elles une influence prdominante. Lautonomie de ces socits cde la place lautonomie du groupe en tant quun ensemble lui confrant, en dpit de labsence dune existence juridique propre, une me et un certain intrt quon ne retrouve mme pas dans certaines entits dotes dune personnalit morale. A moins que ces conventions ne constituent des outils de concentration conomique et ne dissimulent des pratiques anticoncurrentielles, elles sont soutenues aussi bien par la doctrine que par la jurisprudence. Il sagit donc de maintenir un quilibre dlicat entre des tendances parfois

contradictoires 1. Certains auteurs concluent que lintrt social doit primer lintrt des actionnaires2; favorisant ainsi la dfinition de lintrt social comme tant non lintrt commun des associs, mais celui de lentreprise. La recherche de lquilibre contractuel 3 pour la protection des intrts divergents est la mthode suivie quelques rares exceptions dans nos trois systmes juridiques: libanais, franais et amricain. Les conventions conclues entre les personnes vises par la rglementation et leur socit ne sont nulles de plein droit que si elles ont un objet particulier limitativement prvu4.

1. 2. 3. 4.

D. Bureau, actualis par J.-J. Ansault, Contrats entre les administrateurs et la socit, Socits Trait, JurisClasseur, Fasc. 130-50, LexisNexis 2005, n 1, p. 3. F. Peltier, La Corporate Governance au secours des conseils dadministration, Dunod, 2004, p. 92. C. Malecki, Conventions rglementes, op. cit., p. 3. A savoir les conventions interdites.

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En somme, il faut trouver un compromis entre la relation institutionnelle cre entre un dirigeant et sa socit, par son lection ou sa nomination par lorgane social comptent, et la relation contractuelle quil fait crer lui-mme en tant quintress une convention quil conclut, ou fait conclure, avec sa socit. Cest cette dualit de qualits qui favorise les conflits dintrts. Cette dualit semble exister naturellement dans les groupes de socits. Une socit holding maintient un lien de capital avec ses filiales, assorti dun dispositif humain apte, non seulement diriger et faire fructifier ce capital mais, surtout, assurer une meilleure intgration de la filiale dans cette unit conomique et sociale entre les socits qui forment le groupe. Cet objectif est atteint en nommant les administrateurs et autres dirigeants de la filiale, le plus souvent choisis au nombre des dirigeants de la holding elle-mme, surtout dans les groupes d'importance moyenne. Cette pratique, en raison de la menace de partialit, place la holding et sa filiale dans le cur de la rglementation des conventions. Un auteur avait jug la procdure de contrle des conventions de lancien art. 40 de la loi franaise du 24 juillet 1867, dans certains cas, comme frappe dune inefficacit totale, ce qui fait exclure les conventions intra-groupe de socits du contrle, pourvu que certains critres soient remplis1. Les conventions conclues par les personnes vises par la rglementation, et l'intrt social qui en est la proccupation principale, obissent deux normes presque contradictoires, comme nous l'avons signal au dbut de cette introduction. Ils doivent parfois cohabiter, dans l'intrt social lui-mme. Dans un climat de libert contractuelle accrue, il n'est pas souhaitable en principe d'alourdir la conclusion d'un contrat de conditions autres que celles que dictent les principes gnraux du droit des contrats ; mais un intrt suprieur, celui de la socit elle-mme, justifie l'instauration dun rgime strict de contrle de ces conventions. * * *

Face aux risques que posent les conflits dintrts au sein des socits commerciales, les lgislateurs au Liban et en France, vu la ncessit de ne pas faire perdre la socit une chance de conclure des conventions qui pourraient quand mme lui tre utiles 2, ont mthodiquement et systmatiquement catgoris les conventions que peut conclure un dirigeant, ou (du moins en France) un associ, dune socit avec celle-ci en trois catgories distinctes, dpendant du degr du risque qui menace les intrts de la socit, permettant les unes, contrlant et interdisant les autres3. Aux Etats-Unis cette distinction est moins vidente.

1. 2. 3.

M. Vanhaecke, Les groupes de socits, LGDJ, 1959, p. 329. Ph. Merle, Droit commercial, Socits commerciales, op. cit., n 398, p. 469; Y. Guyon, Droit des affaires, Tome 1, Droit commercial gnral et socits, 7e d., Economica, 1992, n 419, p. 426. Art. 158 C.com.lib; art. 225-38 C.com.fr.

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Les trois catgories de conventions en question sont les suivantes : les conventions libres, ou celles qui nont besoin, pour tre valablement conclues, daucune autorisation ou approbation pralable ; les conventions rglementes qui sont soumises au contrle ; et enfin les conventions interdites qui sont prohibes1, du moins en droit libanais et en droit franais. * * *

Ltude comparative de notre sujet nous clairera sans doute sur lexprience des systmes juridiques les plus avancs en la matire et leur contribution une meilleure protection de lintrt social, prvenant les conflits dintrts entre les dirigeants, les associs et leur socit. Reste savoir quels pays choisir pour que la comparaison puisse produire les rsultats escompts. Il sagit pour lauteur de cette thse danalyser des systmes juridiques qui ont t prouvs en la matire, ou qui ont eu loccasion de lgifrer sur le sujet. Le choix du Liban, de la France et des Etats-Unis dAmrique sest impos sans aucune difficult pour les raisons suivantes : leurs systmes juridiques respectifs sont suffisamment reprsentatifs des modles adopts ailleurs2. Le Liban est, pour plus dune raison, dans un coma lgislatif dans nombre de domaines. Il na malheureusement pas suivi les dveloppements qu'ont connus dautres pays. Lvolution lgislative dans ces derniers aurait pu laider mettre les textes de son Code de commerce en harmonie avec les exigences croissantes du monde des affaires. Cet tat de choses plutt statique a t encore plus fig par labsence dune vritable jurisprudence en la matire. La lgislation libanaise actuellement en vigueur et son application pratique affichent dans ce domaine une attitude dindiffrence lgard des dangers que peuvent susciter les conflits entre les intrts personnels des dirigeants et associs et lintrt de leur socit. Cest pourquoi le droit libanais a tout intrt voir de plus prs ce qui se passe ailleurs. En France, par contre, lvolution lgislative prsente une image dun systme juridique anxieux, qui ne cesse de tenter de combler, parfois maladroitement, les lacunes dcouvertes au prix de crises conomiques ou problmes surgissant dans des socits. Les Etats-Unis, en fidles anglo-saxons, se sont contents pendant longtemps des principes poss par la jurisprudence jusquau jour o lEtat fdral a trouv indispensable dintervenir, et

1.

2.

Le traitement des conventions interdites sort du cadre de la thse prsente. Ces conventions y seront quand mme voques, avec des dtails limits aux besoins du contexte, et plus particulirement, infra, la section relative la qualification des actes juridiques par la rglementation, p. 131. En effet, au cours de nos recherches, nous avons ralis que la plupart des pays qui ont adopt dans leur lgislation des dispositions relatives aux conventions rglementes y ont trait, avec plus ou moins de dtails, et d'une manire plus ou moins complte, les mmes questions que cette thse voquera.

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rcemment avec force, en lgifrant dans un sens tranchant plusieurs gards; les dirigeants profiteurs de leur position sociale devenant de plus en plus nombreux et cupides. Au Liban, la matire est rgie principalement par larticle 158 C.com.lib., pour les socits anonymes. Cet article, avant sa modification en 19681, transposait littralement le texte du fameux art. 40 de la loi franaise du 24 juillet 1967. Il disposait ce qui suit : Ils doivent galement se faire autoriser spcialement sils entendent prendre ou conserver un intrt directou indirect dans une entreprise ou un march avec la socit ou pour son compte .2

Cette modification a largi le champ dapplication des conventions vises par la rglementation3. Lart. 158 nouveau C.com.lib. dispose ce qui suit : Toute convention entre la socit et l'un des administrateurs, que cette convention intervienne directement ou indirectement ou par personne interpose, doit tre soumise une autorisation pralable de l'assemble gnrale. Font exception cette disposition les contrats usuels portant sur des oprations entre la socit et ses clients. Est pareillement soumise l'autorisation pralable de l'assemble gnrale, toute convention entre la socit et une autre entreprise, si l'un des administrateurs est propritaire, associ en nom collectif, directeur ou administrateur de cette entreprise. L'administrateur se trouvant dans l'un de ces cas doit en aviser le conseil d'administration. Le conseil d'administration ainsi que les commissaires de surveillance soumettent sparment l'assemble gnrale un rapport spcial sur les conventions projetes. L'assemble prend sa dcision la lumire de ces deux rapports, et les conventions autorises ne peuvent tre attaques qu'en cas de fraude. L'autorisation doit tre renouvele tous les ans si elle concerne des contrats comportant des engagements successifs long terme. Il est interdit aux administrateurs de la socit, autres que les personnes morales, d'obtenir de la socit, sous quelque forme que ce soit, un prt au un dcouvert en compte courant en leur faveur, ou un cautionnement ou un aval de leurs effets de commerce envers les tiers. Toutefois, ladite interdiction ne s'applique pas aux banques si les oprations prcites constituent des oprations rentrant habituellement dans le cadre des activits de ces banques .

Le Liban nayant malheureusement pas suivi les volutions de la lgislation franaise relatives ce sujet ; cet article est systmatiquement bafou. En labsence dun dispositif de contrle adquat, les lacunes existantes sont de vritables piges pour les associs non avertis. En raison de son texte succinct, il constitue tout au plus un texte cadre. Aucune rglementation spcifique similaire lart. 158 du C.com.lib. nexiste pour les

1.

Par le dcret-loi n 9798 du 4 mai 1968, publi au journal officiel du 19 mai 1968, p. 625. Cet article, qui commence par Ils semble continuer le dernier alina de larticle prcdent, art. 157, C.com.lib., qui dispose que : La socit est oblige par les actes de ses reprsentants accomplis dans la limite de leurs pouvoirs. Le terme reprsentants, cause de se gnralit, soumettait lautorisation spciale une catgorie plus large de personnes vises. 3. Art. 1 du dcret-loi n 9798 du 4 mai 1968 a remplac les marchs et entreprises par toute convention , lalina 1 de lart. 158 C.com.lib.2.

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conventions conclues entre un grant ou un associ et une socit responsabilit limite libanaise, lexception des conventions caractre purement financier, qui sont prohibes1. Hlas, la jurisprudence libanaise, avec un nombre non significatif darrts rendus en la matire, na t daucun soutien. Heureusement que la doctrine n en a pas t aussi absente. Nous ne partageons toutefois pas lopinion, que nous jugeons plutt svre, quun minent juriste libanais avait exprime au sujet de ce texte, laccusant d'avoir instaur un systme trs lourd et manifestement incompatible avec les exigences de souplesse et de clrit, indispensables au bon dveloppement de la vie commerciale 2. Il nous semble que le jugement critique que ce juriste avait port repose uniquement sur le fait que la loi libanaise, nayant pas suivi les modifications apportes par le lgislateur franais, qui a substitu le conseil dadministration lassemble gnrale pour autoriser au pralable les conventions rglementes, accuse un recul au dtriment de la clrit de la procdure. Lvolution lgislative franaise, permet de mettre laccent, sans trop defforts, sur les points de divergence avec le droit libanais, un droit qui accueillera volontiers certaines modifications inspires du modle franais. En outre, la France a connu des crises qui ont aid faire mrir sa lgislation et lont amene se pencher encore plus sur sa rglementation des conventions rglementes , surtout celles conclues par les dirigeants de socits cotes en bourse avec leur socit, plus particulirement en ce qui concerne les rmunrations de ses dirigeants et les avantages attachs leur emploi. En France, ce sont les articles L.225-38 et s. C.com.fr., pour les socits anonymes, de type classique, avec conseil dadministration, les articles L.225-86 et s. pour les socits anonymes structure dualiste, avec conseil de surveillance et directoire, les articles L. 223-19 et s. pour les SARL et L.22710 et s. pour les SAS qui rgissent cette matire. Les modifications lgislatives, espaces au dbut, et plus frquentes rcemment3, ne cessent dactualiser la ncessit du contrle des conventions rglementes. Une jurisprudence, relativement abondante, a permis dprouver lefficacit de ces textes4. La rglementation des conventions rglementes a t introduite en France par la loi du 24 juillet 1867. Larticle 40 de cette loi disposait comme suit :1. 2.

3. 4.

Art. 18 du dcret-loi n 35 du 5 aot 1967. Gh. Mahmassani, Les contrats des administrateurs de socits anonymes avec leurs socits suivant larticle 158 nouveau du Code de commerce libanais, op. cit., p. 41 ; v. aussi pp 69 et 71. A notre sens, lauteur dplore plutt les dispositions du C.com.fr., beaucoup plus dtailles dans cette matire que le C.com.lib., car le texte en droit libanais, tout en ntant pas complet, nest pas vraiment lourd. Il est en tout cas bien plus lger que le texte correspondant, ou plutt les textes correspondants, en droit franais. A cause des scandales financiers et des exigences croissantes du monde des affaires. Plus de 540 arrts recenss, dont le premier a t rendu dj en 1845 : Cass. crim., 8 aot 1845, D., 1845, I, p. 364.

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Il est interdit aux administrateurs de prendre ou de conserver un intrt direct ou indirect dans une entreprise ou dans un march fait avec la socit ou pour son compte, moins quil ny soit autoris par lassemble gnrale ; il est chaque anne rendu lassemble un compte spcial de lexcution des marchs et entreprises autoriss aux termes du paragraphe prcdent .

Tout en tant plutt limitative en ce qui concerne les actes viss : une entreprise ou un march , nous soulignons que la porte de cet article, dans son ancienne rdaction, tait plus expresse que le texte actuel en ce qui concerne la mention de la nature directe ou indirecte de lintrt personnel qui conditionne lapplication de la procdure de contrle, savoir lautorisation de lassemble gnrale. Larticle 40 en question disposait expressment que la procdure est exige quand lintrt est soit direct soit indirect. Il a fallu au lgislateur franais 75 ans pour raliser que lart. 40 tait incomplet et ne produisait pas les rsultats escompts. Pour parfaire la protection quil entrine, le champ des actes viss a t par la suite largi, en vertu de la loi du 4 mars 1943 dont larticle 10 dispose ce qui suit : Larticle 40 de la loi du 24 juillet 1867 est abrog et remplac par les dispositions suivantes : Toute convention entre une socit et lun de ses administrateurs, soit directement ou indirectement, soit par personne interpose, doit tre soumise lautorisation pralable du conseil dadministration. Avis en est donn aux commissaires. Il en est de mme pour les conventions entre une socit et une autre entreprise si lun des administrateurs de la socit est propritaire, associ en nom, grant, administrateur ou directeur de lentreprise. Ladministrateur se trouvant dans lun de ces cas ainsi prvus est tenu den faire la dclaration au Conseil dadministration. Avis en est galement donn aux commissaires. Les dispositions qui prcdent ne sont pas applicables aux conventions normales partant sur les oprations de la socit avec ses clients. Les commissaires prsentent lassemble gnrale un rapport spcial sur les conventions autorises par le Conseil. Lassemble statue sur ce rapport. Les conventions quelle approuve ne peuvent tre attaques quen cas de fraude. Celles quelle dsapprouve nen produisent pas moins leur effet. Mais les consquences dommageables pouvant en rsulter restent, en cas de fraude, la charge de ladministrateur intress et, ventuellement, du Conseil dadministration. Il est interdit aux administrateurs dune socit autres que les personnes morales de contracter, sous quelque forme que ce soit, des emprunts auprs de la socit, de se faire consentir par elle un dcouvert en compte courant ou autrement, ainsi que de faire cautionner ou avaliser par elle leurs engagements envers les tiers. Toutefois, si la socit exploite un commerce de banque, cette interdiction ne sapplique pas aux oprations courantes de ce commerce .

Avec cette modification, toutes les conventions (sans exception quant leur nature) conclues, directement ou indirectement, ou par personne interpose, entre la socit et lun de

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ses administrateurs, ou celles conclues entre la socit et une autre entreprise dont lun des administrateurs, propritaire, associ en nom ou grant est galement administrateur de la socit de rfrence sont soumises au contrle spcial. Le dirigeant vis est cependant rest ladministrateur de socits anonymes, lexclusion de tout autre dirigeant. Cette modification lgislative de lart. 40 a aussi consacr la prohibition absolue des conventions interdites et lexclusion du contrle des conventions libres, dfinies comme tant celles conclues des conditions normales portant sur les oprations de la socit avec ses clients 1. Une autre nouveaut de cette modification de 1943 est que lautorisation pralable dune convention doit dsormais tre donne par le conseil dadministration et non plus par lassemble gnrale. Vingt trois ans aprs, larticle 101 suivant de la loi du 24 Juillet 1966 : Toute convention intervenant entre une socit et lun de ses administrateurs ou directeurs gnraux doit tre soumise lautorisation pralable du conseil dadministration. Il en est de mme des conventions auxquelles un administrateur ou directeur gnral est indirectement intress ou dans lesquelles il traite avec la socit par personne interpose. Sont galement soumises autorisation pralable, les conventions intervenant entre une socit et une entreprise, si lun des administrateurs ou directeurs gnraux de la socit est propritaire, associ indfiniment responsable, grant, administrateur, directeur gnral ou membre du directoire ou du conseil de surveillance de lentreprise

vint largir encore plus le champ dapplication de la procdure de contrle spcial, en incluant les directeurs gnraux de socits anonymes et en tendant lapplication de la rglementation aux socits en commandite par actions et aux socits responsabilit limite. Cette loi a aussi instaur une interdiction de vote de la personne intresse sur lautorisation ou lapprobation de la convention. Enfin, cette loi a apport une correction importante la caractrisation des conventions libres qui ne seront plus celles conclues des conditions normales portant sur les oprations de la socit avec ses clients mais celles qui sont courantes et conclues des conditions normales 2. La loi n 2001-420, du 15 mai 2001, relative aux nouvelles rgulations conomiques (NRE) a, dans un souci croissant de transparence, inclus les actionnaires de socits par actions dans la catgorie des personnes vises, condition quils dtiennent plus de 5% des droits de vote ; et, dans le cas o cest une socit qui est actionnaire, ce sont les actionnaires, personnes morales, qui la contrlent3 qui sont galement vises. Lart. 105 de cette loi dispose que :1. 2. 3.

Un texte limitatif que le Code de commerce libanais a repris dans son art. 158. Art. L. 102 de la loi du 24 juillet 1966. Art. L. 233-3 C.com.fr. dfinit la notion de contrle laquelle renvoie lart. L.225-38 C.com.fr.

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Toute convention intervenant directement ou par personne interpose entre la socit et son directeur gnral, lun de ses directeurs gnraux dlgus, lun de ses administrateurs, lun de ses actionnaires disposant dune fraction des droits de vote suprieure 5% ou, sil sagit dune socit actionnaire, la socit la contrlant au sens de larticle L. 233-3, doit tre soumise lautorisation pralable du conseil dadministration. Il en est mme des conventions auxquelles une des personnes vises lalina prcdent est indirectement intresse. Sont galement soumises autorisation les conventions intervenant entre la socit et une entreprise, si le directeur gnral, lun des directeurs gnraux dlgus ou lun des administrateurs de la socit est propritaire, associ indfiniment responsable, grant, administrateur, membre du conseil de surveillance ou, de faon gnrale, dirigeant de cette entreprise .

La loi NRE a aussi ajout les socits par actions simplifies (SAS) aux autres formes de socits dj prvues par la rglementation et a tendu son application aux personnes morales non commerantes ayant une activit conomique ainsi quaux associations qui reoivent des aides et subventions de lEtat1. Le lgislateur a d se rendre compte plus tard que la procdure de contrle tait lourde et a profit de la loi de scurit financire du 1er aot 2003 pour lallger un peu. Lart. L. 225-38 C.com.fr. dispose, aprs sa modification par cette loi, comme suit : Toute convention intervenant directement ou par personne interpose entre la socit et son directeur gnral, lun de ses directeurs gnraux dlgues, lun de ses administrateurs, lun de ses actionnaires disposant dune fraction des droits de vote suprieure 10% ou, sil sagit dune socit actionnaire, la socit la contrlant au sens de larticle L.233-3, doit tre soumise lautorisation pralable du conseil dadministration. Il en est de mme des conventions auxquelles une des personnes vises lalina prcdent est indirectement intresse. Sont galement soumises autorisation pralable les conventions intervenant entre la socit et une entreprise, si le directeur gnral, lun des directeurs gnraux dlgus ou lun des administrateurs de la socit est propritaire, associ indfiniment responsable, grant, administrateur, membre du conseil de surveillance ou, de faon gnrale, dirigeant de cette entreprise .

Cest ainsi quen vertu de cette loi ne doivent plus tre communiques les conventions libres conclues avec une socit anonyme qui ne sont pas significatives pour lune ou lautre des parties2. En outre, le seuil des 5% des droits de vote que doit dtenir un actionnaire pour quil soit soumis au contrle a t lev 10%3.

1. 2. 3.

Art. L. 612-4 et L. 612-5, C.com.fr. Art. L. 225-39, al. 2, C.com.fr. Art. L. 225-38, al. 1, C.com.fr.

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Le lgislateur a voulu par la suite mettre un accent spcial sur les conventions portant sur la rmunration des dirigeants, surtout les dirigeants de socits cotes en bourse. Effectivement, nombre de scandales avaient pour origine des rmunrations excessives consenties des dirigeants peu scrupuleux. La loi pour la confiance et la modernisation de lconomie, du 26 Juillet 20051 est venue, en introduisant lart. L. 225-42-1, au C.com.fr., rglementer les cas des rmunrations et avantages consentis des mandataires sociaux loccasion des modifications qui peuvent affecter leur condition au sein de la socit, ou loccasion de leur dpart de la socit. Cette loi a soumis au rgime des conventions rglementes les engagements pris par des socits cotes en bourse au bnfice de leurs prsidents, directeurs gnraux ou directeurs gnraux dlgus, par la socit elle-mme ou par toute socit contrle ou qui la contrle, correspondant des lments de rmunration, des indemnits ou des avantages dus raison de la cessation ou changement de ces fonctions ou postrieurement celles-ci. Par ailleurs, cette mme loi a modifi lart. L. 225-102-1, C.com.fr. en disposant que le rapport annuel du conseil dadministration lassemble gnrale doit dcrire les dtails des rmunrations fixes, variables et exceptionnelles verses aux mandataires sociaux. Cette loi na apparemment pas servi limiter les abus, puisque deux ans plus tard, et la suite dune affaire mdiatise de retraite-chapeau2, le lgislateur franais a apport des modifications, en vertu de la loi du 21 aot 20073, en faveur du travail, de lemploi et du pouvoir dachat. Lart. L. 225-42-1 C. com. fr. dispose ce qui suit : Dans les socits dont les titres sont admis aux ngociations sur un march rglement, les engagements pris au bnfice de leurs prsidents, directeurs gnraux ou directeurs gnraux dlgus, par la socit ellemme ou par toute socit contrle ou qui la contrle au sens des II et III de larticle L. 233-16, et correspondant des lments de rmunration, des indemnits ou des avantages dus ou susceptibles dtre dus raison de la cessation ou du changement de ces fonctions, ou postrieurement celles-ci, sont soumis aux dispositions des articles L. 225-38 et L. 225-40 L. 225-42. Sont interdits les lments de rmunration, indemnits et avantages dont le bnfice nest pas subordonn au respect de conditions lies aux performances du bnficiaire, apprcis au regard de celles de la socit dont il prside le conseil dadministration ou exerce la direction gnrale ou la direction gnrale dlgue. Lautorisation donne par le conseil dadministration en application de larticle L. 225-38 est rendue publique selon des modalits et dans des dlais fixs par dcret en Conseil dEtat.

1. 2. 3.

Loi Breton, n 2005-842. Retraite-chapeau du prsident du conseil dadministration de Carrefour ; v. dfinition de cette retraite complmentaire, infra, p. 93. Loi Tepa, n 2007-1223.

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La soumission lapprobation de lassemble gnrale en application de larticle L. 225-40 fait lobjet dune rsolution spcifique pour chaque bnficiaire. Cette approbation est requise chaque renouvellement du mandat exerc par les personnes mentionnes au premier alina. Aucun versement, de quelque nature que ce soit, ne peut intervenir avant que le conseil dadministration ne constate, lors ou aprs la cessation ou le changement effectif des fonctions, le respect des conditions prvues. Cette dcision est rendue publique selon des modalits et dans des dlais fixs par dcret en Conseil dEtat. Tout versement effectu en mconnaissance des dispositions du prsent alina est nul de plein droit. Les engagements correspondant des indemnits en contrepartie dune clause interdisant au bnficiaire, aprs la cessation de ses fonctions dans la socit, lexercice dune activit professionnelle concurrente portant atteinte aux intrts de la socit ne sont soumis quaux dispositions du premier alina. Il en va de mme des engagements de retraite prestations dfinies rpondant aux caractristiques des rgimes mentionns larticle L. 137-11 du Code de la scurit sociale, ainsi que des engagements rpondant aux caractristiques des rgimes collectifs et obligatoires de retraite de prvoyance viss larticle L. 242-1 du mme code.

La loi interdit dsormais les rmunrations, indemnits et avantages dont le bnfice nest pas subordonn au respect de conditions lies aux performances du bnficiaire, requiert la publicit de la dcision dautorisation par le conseil dadministration et exige une rsolution dapprobation par lassemble gnrale spcifique pour chaque bnficiaire. Pour parfaire la justice sociale, la loi n2008-1528, du 3 dcembre 2008 , sur les revenus du travail a conditionn lattribution des stock-options , un des lments de rmunration imports en France des Etats-Unis1, la distribution corrlative lensemble des salaris et, au moins 90% de ceux des filiales, doptions de mme nature, dactions gratuites ou dautres dispositifs dintressement et de participation2. Les rmunrations et avantages viss par la rglementation revtent de nombreuses formes et sont connus sous des appellations multiples. Nous voquons ici les plus frquentes, qui seront traites en profondeur dans le corps de la thse. Ce sont les stock-options, qualifies de miraculeuses dans laffaire Elf Aquitaine, les golden parachutes (parachutes dors) des prsidents de Valo et de Vivendi Universal, et les bonus exorbitants du successeur de ce dernier, les retraites-chapeau , en or , du prsident de Carrefour, ou bien les indemnits de dpart du prsident de Vinci. Les textes rgissant la matire dans le Code de commerce franais sont complts, du moins en ce qui concerne linformation, outil indispensable pour assurer une meilleure

1. 2.

V. infra, dfinition p. 94. Ph. Houillon, Rapport dinformation dpos par la Commission des lois constitutionnelles de la lgislation et de ladministration de la Rpublique sur les rmunrations des dirigeants mandataires sociaux et des oprateurs de marchs, n 1798, enregistr la prsidence de la Rpublique le 7 juillet 2009, recherche sur internet, google, Houillon Ph. , p. 31.

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transparence, par les directives et rglements de lAutorit des marchs financiers, l'AMF qui, partir du 24 novembre 2003, a remplac la Commission des oprations de bourse (COB). Il convient toutefois de signaler, dores et dj, que la doctrine na pas accueilli dun il favorable la rglementation des conventions en France. Cette rglementation a t qualifie de tous les noms : mcanisme sinueux et turbide que les lois suivantes des 15 mai 2001 et 1er aot 2003 nont pas su rformer1; Ce mcanisme complexe et laborieux marqu par le caractre formel de la procdure2 ; Lgislation imprative, formulaire tatillon, dfinitions imprcises, risque accrue de contentieux3; la protection des actionnaires est loin dtre efficace 4. Pour certains, linstitution rgulatrice de la loi NRE du 15 mai 2001, dans sa partie relative aux conventions rglementes, a t confronte la fiction de la prvention des conflits 5. Le dispositif largement inefficace de lart 40, renforc par la loi 1966, na pu amliorer la procdure de contrle assez lourde 6. Les Etats-Unis ont apport notre matire une nouvelle dimension. Ils ont connu, surtout durant cette dcennie, beaucoup de scandales financiers qui ont t causs par des versements exorbitants des dirigeants partants, un moment o leurs socits restructuraient leurs finances et rduisaient leurs effectifs. Lanne 2002 a t particulirement prouvante avec la chute dEnron, Tyco, Global Crossing et Worldcom. Les rgles de gouvernement dentreprise, si chres aux Amricains, ont t violes dans ces socits. La cupidit de leurs dirigeants manuvrant dans lombre, avec une dangereuse opacit, a contribu aux dsastres quelles ont essuys. Des gants qui scroulent et secouent tout un monde autour deux. Le cabinet daudit comptable Arthur Andersen nest plus. Il a t la victime de ses propres dirigeants qui ont dissimul, moyennant des pratiques frauduleuses et criminelles, les failles et dconfitures dEnron. Un grand nombre de banques complices ont t touches aprs avoir enregistr des transactions fictives pour dissimuler les dettes de cette malheureuse socit. Les dirigeants financiers de Worldcom ont frauduleusement cach des dpenses pendant deux ans (2000-2002) pour embellir la situation financire de leur socit.

1. 2. 3. 4. 5.

6.

D. Schmidt, Les conflits dintrts dans la socit anonyme, d. Joly, 2004, n 100, pp. 110 et 111. Idem., n 102, p. 112 P. Le Cannu, Les conventions rglementes aprs le loi n 2001 420 du 15 mai 2001, Bull Joly, juillet 2001, 165, p. 720. D. Bureau, actualis par J.-J. Ansault, Contrats entre les administrateurs et la socit, op. cit., p. 3. La NRE et le droit des socits: Colloque-Universit des Sciences sociales de Toulouse, le 5/10/2001: Centre de droit des affaires, J.-F. Barbiri et M.H. Monserie Bon, Les conventions rglementes entre ralit de lambition rgulatrice et fiction de la prvention des conflits , Monchrestien, 2003, p. 39. Ph. Merle, Droit commercial, Socits commerciales, op. cit., n 398, p. 469.

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La faillite dEnron a inspir la loi Sarbanes-Oxley Act (SOA), du 31 juillet 2002, sur la rforme de la compatibilit des socits cotes et la protection des investissements. Cette loi rglemente la destruction, la dissimulation, la modification et la falsification de toutes pices et critures qui sont sciemment entreprises dans le but dentraver, dobstruer ou influencer linvestigation ou la bonne administration de toute affaire : knowingly alters, destroys, mutilates, conceals, covers up, falsifies or makes a false entry in any record, documents or tangible object with the intent to impede, obstruct or influence the investigation or proper administration of any matter 1. Aux Etats-Unis, les conventions rglementes sont rgies par un certain nombre de textes. En principe, chaque Etat de lUnion dispose de sa panoplie lgislative. Il ny a pas de loi sur les socits , au niveau fdral, quoique certaines lois fdrales qui protgent lpargne publique rglementent des aspects du droit des socits2. Etudier, pour les besoins de la prsente thse, toutes les lgislations tatiques aurait t une tche plus quardue. Le choix sest port sur lEtat qui est le plus reprsentatif dans le domaine du droit des socits du climat gnral aux USA, savoir le Delaware. Un grand nombre de socits amricaines sont immatricules au Delaware, mme si elles exercent leurs activits ailleurs. Cela est aussi vrai pour des socits de taille, cotes en bourse. En voici les raisons principales3, ajoutes aux avantages fiscaux que cet Etat offre : Les lois au Delaware permettent une flexibilit dans lorganisation et la gestion des affaires sociales, suprieure celle des autres Etats; Le corps judicaire et le barreau sont expriments dans les affaires sociales ; La jurisprudence a abondamment interprt les lois sur les socits commerciales du Delaware et a pris des positions claires sur des points prcis; ce qui confre une certaine stabilit au fonctionnement des socits la lumire de ces positions; Le Delaware est un pionnier dans les rformes du droit des socits, le mettant constamment jour, aussi frquemment que la ncessit se manifeste. Pour ces raisons-l, les Law Schools (coles de droit) travers les Etats-Unis consacrent au droit des socits de Delaware une place centrale dans leur cursus. Le Code des socits de Delaware annot4 rserve un certain nombre darticles aux transactions conclues entre les

1. 2. 3. 4.

802 SOA.L. Solomon et A. Palmiter, Corporations, op. cit., 1. 2. 3, p. 10 ; on voque ici, le SOA, titre dexemple. Idem, 3.2.3, p. 41 Delaware Corporation Laws Annotated, (DCLA), d. 2007-2008 LexisNexis, Matthew Bender Company Inc, 2007.

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dirigeants et associs avec leurs socits sous des titres divers : Interested Directors 1 (administrateurs intresss), Business combinations with interested stockholders 2 (combinaisons commerciales avec des actionnaires intresss ), pour les socits anonymes, et Business transactions of member or manager 3 (Oprations commerciales dun associ ou grant) pour les socits responsabilit limite. Nous reproduisons ci-aprs le texte de base de la rglementation des conventions conclues entre les administrateurs intresss et leur socit, savoir 144 DCLA4:a) No contract or transaction between a corporation and one or more of its directors or officers, or between a corporation and any other corporation, partnership, association, or other organization in which one or more of its directors or officers are directors or officers, or have a financial interest, shall be void or voidable solely for this reason, or solely because the director or officer is present at or participates in the meeting of the board or committee thereof which authorizes the contract or transaction, or solely because his or their votes are counted for such purpose, if: (1) The material facts as to his relationship or interest and as to the contract or transaction are disclosed or are known to the board or directors or the committee, and the board or committee in good faith authorizes the contract or transaction by the affirmative votes of a majority of the disinterested directors, even though the disinterested directors be less than a quorum; or (2) The material facts as to his relationship or interest and as to the contract or transaction are disclosed or are known to the shareholders entitled to vote thereon, and the contract or transaction is specifically approved in good faith by vote of the shareholders; or (3) The contract or transaction is fair as to the corporation as of the time it is authorized approved or ratified, by the board of directors, a committee thereof, or the shareholders. (b) Common or interested directors may be counted in determining the presence of a quorum at a meeting of the board of directors or of a committee which authorizes the contract or transaction.

Ce texte peut tre traduit comme suit : a)

Aucun contrat ou transaction entre une socit et un ou plusieurs de ses administrateurs ou dirigeants excutifs, ou bien entre une socit et toute autre socit anonyme, socit en nom collectif, association, ou autre organisation dans laquelle un ou plusieurs de ses administrateurs ou dirigeants excutifs ont un intrt financier, sera nulle ou annulable uniquement pour cette raison, ou uniquement parce que ladministrateur ou le dirigeant excutif est prsent ou participe la runion du conseil ou du comit qui autorise le contrat ou la transaction, ou bien uniquement parce que ses ou leurs votes sont calculs cette fin, si : (1) Les lments pertinents concernant sa relation ou intrt et concernant le contrat ou la transaction sont rvls au conseil dadministration ou comit ou sont dj connus par eux et le conseil ou comit autorise de bonne foi le contrat ou la transaction par un vote affirmatif de la majorit des administrateurs qui ny sont pas intresss, quand bien mme les administrateurs non intresss ne constituent pas un quorum ; ou Les lments pertinents concernant sa relation ou intrt et concernant le contrat ou la transaction sont rvls aux associs jouissant dun droit de vote ou sont connus par eux et le contrat ou la transaction est spcifiquement approuv de bonne foi par un vote des associs; ou

(2)

1. 2. 3. 4.

Titre 8, 144 DCLA, p. 42. Idem, 203, p. 76. 6 18 107 DCLA, p. 395. Nous signalons que ce texte na subi aucune modification depuis des dcennies. Sa gnralit en fait un texte toute preuve capable de saccommoder des diverses situations pratiques.

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(3)

Le contrat ou la transaction est quitable pour la socit au moment ou il a t autoris, approuv, ou ratifi par le conseil dadministration, un des comits du conseil ou des associs.

(b) Les administrateurs communs ou intresss peuvent tre calculs pour la dtermination du quorum dune runion du conseil dadministration ou dun comit qui autorise le contrat ou la transaction.

Cependant, le recours pour une bonne comprhension du droit amricain uniquement au droit du Delaware (textes et jurisprudence) nest pas suffisant1. Des tentatives, plus ou moins russies, pour uniformiser et intgrer les concepts qui se retrouvent dans tous les Etats fdrs, ont abouti au niveau de lAmerican Bar Association (ABA) et de lAmerican Law Institute (ALI) llaboration dun certain nombre de normes qui ont trait, entre autres, notre sujet. Ces normes sont runies dans le Revised Model Business Corporation Act (RMBCA) (modle dune loi sur les socits commerciales) et les Principles of Corporate Governance (ALI PCG) (Principes de gouvernement dentreprise). Le volume du contentieux impliquant le droit des socits commerciales aux Etats-Unis va au-del de toute proportion. Cela a t bnfique la contribution du Barreau amricain au dveloppement du droit Fdral comme celui des Etats 2. Le Model Business Corporation Act est sorti en 1946, dpassant les limites de son prdcesseur, le Uniform Business Corporation Act (UBCA). Il ne sagit plus dlaborer une loi uniforme , mais de prsenter un modle inspirateur des lgislations tatiques. Ce nouveau texte, plus souple, est aujourdhui connu sous le titre de RMBCA Sa dernire version a t adopte en 1984 par le Committee on Corporate Laws of the Section of Corporations ; Banking and Business Law of the American Bar Association3 et a connu depuis un certain nombre de retouches4. Les textes nous concernant figurent sous les titres suivants : Standards of Conduct for Directors 5 : (Critres de conduite de comportement des administrateurs); Standards of Liability for Directors 6 ( Critres de la responsabilit des administrateurs); Directors Conflicting Interest Transactions 7 (Oprations intrts conflictuels des administrateurs); Judicial Actions 8 (Actions en justice); Directors Actions 9 (Dcisions des administrateurs) et Shareholders Actions 10 (Dcision des associs).Nous avons eu recours la jurisprudence dautres Etats pour une plus complte assimilation du sujet. A. Tunc, Le droit amricain des socits anonymes, op. cit., p. 11. Le comit du droit des socits de la section des socits, banques et commerces du Barreau amricain. La version utilise par lauteur de cette thse est ldition de 2004, avec mise jour au 30 septembre 2003, figurant la 2.25 du chapitre 1, Flecher Cyclopedia of the Law of Private Corporations; Westlaw, 2004. 8.30, RMBCA, sous chapitre C, p. 42. Idem, 8.31, p. 43. Idem, sous chapitre F, 8.60, p. 49. Idem, 8.61, p. 50. Idem, 8.62, p. 50. Idem, 8.63, p. 51.

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.

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LAmerican Law Institute a t fond en 1923 avec dimportantes tches sa charge. La premire tait de parer lincertitude cre par linexistence dune codification, des principes de base fondamentaux du droit des socits commerciales1. Aprs maintes modifications, les Principles of Corporate Governance (Principes de gouvernement dentreprise) ont t publies en 1993. Ces principes donnent des dfinitions trs utiles et prcises pour notre tude, sur les notions de Control2 (contrle), Member of the Immediate Family3 (membre de la famille immdiate), Officer4 (dirigeant excutif, cadre excutif) et se concentrent sur les normes de conduite par la socit pour raliser son objet5 ; sur les fonctions et pouvoirs des dirigeants6; sur lobligation de diligence des dirigeants7 et sur les obligations fiduciaires des dirigeants8 et des associs9 ; sur la rparation du prjudice rsultant de la violation des obligations fiduciaires10 et sur le transfert du contrle dune socit une autre ayant un associ commun11. La jurisprudence amricaine en matire de contrats avec soi-mme (self-dealing transactions), qui sous-tendent les conventions entre related parties , a connu une volution progressive partant dune rigidit toute preuve, pour aboutir de nos jours une solution, ou plutt des solutions, limage du ralisme et du pragmatisme amricain. Comme nous le verrons dans nos dveloppements ultrieurs, la position initiale de la jurisprudence tait aligne sur celle des tribunaux britanniques qui interdisaient dune manire absolue toute convention abritant un contrat avec soi-mme, mme si, vue par un impartial observer (observateur impartial), elle tait fair pour la socit, ou approuve par une majorit dadministrateurs qui ny sont pas intresss (disinterested directors), en pleine connaissance des faits et dtails qui la concernent. Cette position a t assouplie au dbut du 20me sicle quand les tribunaux ont commenc maintenir les contrats avec soi-mme si les deux conditions suivantes taient simultanment remplies : lapprobation de la convention par une majorit dadministrateurs non intresss compltement informs (fully informed) et la fairness de la convention pour la socit, telle quapprcie par les tribunaux. Les conventions auxquelles une majorit dadministrateurs taient intresss taient annulables1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11.

Principles of Corporate Governance Analysis and Recommendations; vol.1, partie I VI, . 1.01 6.02 et vol. 2, partie VII, 7.01-7.25, American Law Institute, 1994, p. XI. Idem, vol. 1. partie I, 1.08, p. 13. Idem, 1.26, p. 31. Idem, 1.27, p. 31. Idem, partie II, 2.01, p. 55. Idem, partie III, 3.01 - 3.05, pp. 82 108. Idem, partie IV, 4.01 - 4.03, pp. 138 198. Idem, partie V, 5.01 - 5.09, pp. 205 324. Idem, partie V, 5.10 - 5.14, pp. 325 358. Idem, vol. 2, partie VII, 7.18, p. 222. Idem, 7.25, p. 380.

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mme si elles taient fair pour la socit. Au fil des annes, la condition dapprobation par une majorit dadministrateurs non intresss est tombe, et seule la condition de fairness est actuellement retenu par les tribunaux1. La flexibilit du droit amricain et sa simplicit sont contres par limprvisibilit qui le caractrise. Une imprvisibilit qui fait de lapprciation dune convention et sa conformit lintrt social un exercice trs subjectif, puisque la rglementation se base sur des notions et des textes eux-mmes subjectifs. La notion de fairness en est lexemple le plus vivant ; on la retrouve partout dans les textes relatifs aux conventions rglementes. On apprendra beaucoup de lexemple amricain qui soumet au contrle toutes les conventions conclues entre une personne vise et la socit, sous rserve de quelques rares exceptions concernant surtout les conventions de type standard. Cette thse nous aidera nous prononcer sur une dfinition de lintrt social comme tant lintrt de lentreprise vu au sens large. Une dfinition qui ne nglige point les tentatives dj labores par dautres auteurs qui voient cet intrt dun il diffrent. Elle profitera en outre du traitement des notions voques plus haut pour dceler des faiblesses et lacunes dans les rglementations respectives des conventions rglementes dans les trois systmes juridiques tudis et esquisser des propositions de rforme. Au Liban, les lois en vigueur en la matire sont loin de satisfaire aux exigences de l'volution du monde des affaires. Les textes actuels accueilleront avec sans doute beaucoup de gratitude lapport de certains aspects de la loi franaise ; cette dernire tant forte d'une jurisprudence copieuse qui a tranch dans beaucoup de cas d'espces. En rsultat, nous dmontrerons que les dispositions du Code de commerce libanais relatives aux conventions rglementes, quoique simples, sont incompltes et inefficaces et nous proposerons une refonte de lart. 158 C. com lib. (SA) et aussi de larticle 18 du dcret-loi libanais n 35 du 5 aot 1967 (SARL), pour introduire dans ce dernier un contrle spcial , des conventions qui nexiste pas ltat actuel. Nous rvlerons aussi les failles de la procdure de contrle en droit franais et dmontrerons galement linefficacit de la dsapprobation dune convention par lassemble gnrale. En outre, aprs avoir mis en relief la lourdeur et la complexit de la procdure en droit franais, nous proposerons des lments de rforme tendant la simplifier.

1.

V. pour une vue densemble de la situation et de lvolution jurisprudentielle, S. Emanuel, Corporations, 3e d., Emanuel Publishing Corp., N.Y., USA, 1997, pp. 196 et s.

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Cette thse se limitera toutefois ltude du sujet dans les personnes morales de droit priv commerantes1, et plus particulirement aux socits anonymes, aux socits responsabilit limite (dans nos trois systmes juridiques) et aux socits par actions simplifies (en droit franais). Les conventions rglementes et les conventions courantes seront traites en profondeur, alors que les conventions interdites ne seront voques quau passage, lendroit opportun dans lintrt de la comparaison de leur nature avec celles des autres conventions et pour tracer les points de diffrence avec celles-l. * * *

Une fois quune socit est cre il faut, en dpit de la fiction juridique qui met au monde sa personnalit morale, la protger contre les alas qui la menacent. Son intrt, lintrt social, doit prvaloir. Cest dans cette optique que le lgislateur a instaur la rglementation des conventions rglementes. Il sagit tout dabord de cerner l'intrt social et apprcier son interaction conflictuelle avec d'autres intrts qui pourraient exister dans des conventions conclues entre les personnes vises et la socit. Cela nous permettra de sonder par la suite, d'une manire plus claire, les moyens que peuvent dployer la socit, les associs, et parfois les tiers, pour se prmunir et se protger contre les consquences ngatives des conflits que peut engendrer une convention rglemente. Cette dmarche sera entreprise en deux parties : Premire Partie : Lintrt social, raison dtre principale de la rglementation des conventions rglementes. Deuxime partie : La mise en uvre de la protection de lintrt social en matire de conventions rglementes. * * *

1.

V. H. Poulinquen, pour un traitement des Conventions rglementes dans les personnes morales de droit priv non commerantes : Deloitte, mai 2004 ; C. Malecki, Conventions rglementes, Associations et personnes morales de droit priv et de droit public, op. cit., pp. 25 et 26.

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PREMIRE PARTIE LINTRT SOCIAL, RAISON DTRE PRINCIPALE DE LA RGLEMENTATION DES CONVENTIONS RGLEMENTESCerner la notion dintrt social nest pas une chose aise. La loi franaise nen donne pas de dfinition spcifique ; lintrt social nest que peu voqu dans le C. com. fr.1 . Pour certains, elle napparat dans la loi que de faon dtourne, notamment propos des pouvoirs des dirigeants 2, des filiales, des participations, des socits contrles3, et des infractions concernant les SARL4. Le Code civil franais en fait mention larticle 1848 qui dispose que le grant peut accomplir tous les actes de gestion que demande lintrt de la socit . Cette carence, probablement due au caractre abstrait de cette notion, en fait une notion subjective qui dpend des cas despces dans son tendue et dans sa vigueur. Cest un standard, un guide qui impose dagir dans le respect des lments fondamentaux de la socit 5. La situation est semblable aux Etats-Unis o on ne trouve pas dans les ouvrages de rfrence amricains une dfinition prcise du corporate interest (intrt social)

indpendante de celle de corporate objective (objet social). Le corporate interest est souvent associ ce que les amricains appellent la social responsability 6 (responsabilit sociale). On parle surtout de interest of the corporation ou in the best interest of the corporation (au mieux des intrts de la socit). La doctrine est mfiante dans sa dfinition de lintrt social. La controverse au sujet de cet intrt a t relance par le dveloppement du gouvernement dentreprise qui accorde une place spcifique aux actionnaires de la socit 7. Elle semble procder par une limination systmatique dune dfinition aprs lautre. Est-ce lintrt de la socit personne morale stricto sensu, long terme, ou bien celui des associs, gnralement plus court terme ? ou bien celui suprieur de lentreprise, en tant quun tout conomique, qui prend en compte non seulement lintrt troit de la socit elle-mme mais aussi celui de tous les1. 2.

3. 4. 5. 6. 7.

Ph Merle, Droit commercial, Socits commerciales, op. cit, n 52-1, p. 83. M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des socits, 23e dition, LexisNexis-Litec, 2010, n 372, p. 211 ; art. L. 221-4, al.1, C.com.fr., renvoie lart. L. 221-4, C.com.fr, (SNC) ; art. L. 223-18, al. 4, C.com.fr, renvoie lart. L. 221-4, C.com.fr. (SARL). Art. L. 233-3, I (2), C. com.fr. Art. L. 241-3 (4) et (5) et art. L. 242-6 (3) et (4) C. com.fr. M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des socits, op. cit., n 372, p. 211. V. exemple, L. Soderquist, L. Smiddy et L. Cunningham, Corporations and Other Business Organizations: Cases, Materials, Problems, 6e d., LexisNexis, 2005, Section VI, p. 557. S. Rousseau et I. Tchotorian, L intrt social en droit des socits, Rev. soc., n 4 / 2009, p. 737.

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acteurs internes et externes qui jouent un rle direct ou indirect dans la vie sociale. Ces acteurs sont les associs, les tiers, et plus prcisment les cranciers sociaux et lEtat1. Ce sont les stakeholders ou les parties prenantes et les porteurs denjeux2. Cest en quelque sorte un conflit entre la thorie contractuelle de la socit et la thorie institutionnelle de la personne morale, cette dernire favorisant la dfinition de lintrt social comme tant celui de lentreprise, alors que la premire se soucie plus de lintrt des associs3. Lintrt social est donc un concept non prcis, un concept mou, cest un impratif de conduite, une rgle dontologique, en clair la boussole qui indique la marche suivre4. Cest pourquoi, au dire dun auteur, le dbat sur lintrt social a lieu aujourdhui plus souvent dans les prtoires quau sein des socits 5, bien que les tribunaux recourent cette notion dans des domaines varis, tels la nomination dun expert de gestion , dun administrateur provisoire, de la rvocation des dirigeants sociaux pour justes motifs de lexistence dun abus de majorit, de minorit ou dgalit6. Il convient tout dabord de dlimiter lintrt social (Titre 1), avant de procder lanalyse du champ au sein duquel il doit se confronter avec dautres intrts (Titre 2).

*

*

*

1. 2. 3. 4. 5. 6.

Ph. Merle, Droit commercial, socits commerciales, op. cit., n 52-1, p. 83. S. Rousseau et I. Tchotourian, Lintrt social en droit des socits, op. cit., p. 758. P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des socits, 3e d., Montchrestien Lextenso 2009, ns 265 et s., pp. 171 et s. M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des socits, op. cit., n 372, p. 211. Ph. Merle, Droit commercial, Socits commerciales, op. cit., n 52-1, p. 83. S. Rousseau et I. Tchotourian, Lintrt social en droit des socits, op. cit., p. 738.

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TITRE 1 DLIMITATION DE LINTRT SOCIAL

Il serait peu raliste de croire que les dirigeants sociaux, et mme les associs, dans leur participation la vie sociale, ne se proccupent que de lintrt social, quils ne voient dailleurs pas tous de la mme manire. La conception quils se font de cet intrt est assez subjective. Il faut donc dlimiter, dans la mesure du possible, les frontires de lintrt social au-del desquelles les dirigeants et associs recouvrent une certaine libert daction sans avoir se soucier des contraintes lgales ou statutaires qui limitent cette libert. La dlimitation de lintrt social revient, tout dabord, dfinir les autres intrts avec lesquels il est appel cohabiter et ensuite distinguer ceux qui lui font concurrence (Chapitre 1). Lintrt pratique dune telle dlimitation est de savoir si cet intrt a t ls par des actes juridiques conclus ou des actions perptres par des dirigeants ou des associes en violation de la loi ou des statuts sociaux. Non des moindres sont des abus comme labus des voix dans lexercice du droit de vote1; labus de mandat ; la violation de linterdiction dexercice de certains droits sociaux2; et surtout labus de biens sociaux3 ; et qui sont mus par un intrt personnel gnrateur dun conflit avec lintrt social (Chapitre 2)

1. 2. 3.

Dans les dcisions collectives : abus de majorit ou abus de minorit et mme abus dgalit. Telles linterdiction de voter dans une runion de lassemble gnrale ou du conseil dadministration et linterdiction de calcul dans le quorum de ces runions. P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des socits, op. cit., n 757, p. 508.

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CHAPITRE 1 DFINITION DES INTRTS EN JEULa doctrine et la jurisprudence ont heureusement suppl au silence de la loi et, en apportant leurs dfinitions respectives un certain nombre dintrts, nous ont permis de situer lintrt social dans un contexte moins abstrait. Il y a des intrts qui se rapprochent dans leur objectif de lintrt social, ce sont des intrts voisins qui, tout en ayant lapparence davoir une consistance similaire celle de lintrt social, en sont quand mme diffrents (Section 1). Il y a aussi les intrts concurrents qui eux menacent lintrt social (Section 2).

Section 1.

Intrt social et intrts voisins

Lintrt de la socit, dans son sens le plus troit, est celui de la personne morale en tant quentit indpendante de tous les lments qui la constituent et de toutes les personnes qui sont appeles traiter avec elle. Dans un sens plus restreint, on pourrait penser que lintrt social est lintrt de tous les associs ou bien lintrt commun qui les unit dans laffectio societatis. Ce qui est bon pour les associs est-il forcment et toujours bon pour la socit ? On parle aussi de lintrt gnral de la socit. Lintrt gnral (1) et lintrt commun (2) ont des connotations presque semblables. Les adjectifs gnral et commun semblent sapparenter dans une porte comparable celle de social , loin des adjectifs gostes que sont les intrts privs , particuliers ou personnels . Ils nous donnent limpression quils ont en vue les intrts de la socit et de tous les associs, plutt que ceux des dirigeants individuellement ou de quelques associs au dtriment dautres. 1. Intrt gnral de la personne morale Le concept de lintrt gnral dans une socit commerciale nest pas le mme dans une socit isole, qui ne fait pas partie dun groupe de socits (A), et dans celle qui appartient un tel groupe (B).

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A.

Dfinition de lintrt gnral Le terme gnral qualifiant lintrt est un exemple certain de lutilisation dans le

monde juridique de terminologies dont le seul objectif semble tre la cration dun laxisme favoris par lambigut et lincertitude. Quentend-on par intrt gnral1 dont la violation, par un dirigeant par exemple, concluant une convention avec sa socit, est rprhensible ? Est-ce lintrt social interprt dune faon large ? une autre version plus englobante des intrts des associs ? de la socit elle-mme (donc lintrt social stricto sensu) ? et audel, les intrts de tierces parties dont la lsion pourra affecter ngativement lintrt social2 ? Ou bien est-ce lintrt social envisag dans son aspect collectif .3 La notion dintrt gnral semble tre une notion plus jurisprudentielle que lgale. Un certain nombre darrts lvoquent4. Dans ces arrts-l, les termes intrt gnral et intrt social sont confondus5 et utiliss lun ou lautre pour dire la mme chose. Ce qui rapproche lintrt gnral de lintrt social cest leur distinctivit de lintrt personnel. En effet, les analyses doctrinales des conflits en prsence dans une socit commerciale, en commentant les dcisions de justice, mettent lun et lautre en face de lintrt personnel6. Une convention qui nest pas contraire lintrt gnral et qui ne porte pas prjudice la socit nest pas annulable7. La recherche de lintrt dit particulier , par opposition lintrt gnral 8, en dehors du cadre de lintrt personnel, serait notre sens inutile, puisquun intrt particulier est semblable un intrt personnel et la contrarit de ce dernier lintrt gnral ou lintrt social est dsormais nettement dfinie.

B.

Cas des groupes de socits Le groupe de socits peut-tre dfini comme un ensemble de socits qui, tout en

conservant leur existence juridique propre, se trouvent lies les unes aux autres, de sorte que lune delles, la socit-mre, qui tient les autres sous sa dpendance, en fait ou en droit, exerce un contrle sur lensemble des socits domines et fait prvaloir une unit de

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.

D. Schmidt, Les conflits dintrts dans la socit anonyme, op. cit, n 341, p. 334. Idem, n 425, p. 418 Idem, n 349, p. 368. Cass. com., 4 octobre 1994 : Defrnois 1995, n 36017-2, p. 251, note P.Le Cannu. Cass. com., 22 janvier 1991 : Bull Joly, avril 1991, 123, p. 389, note M. Jeantin. Cass. civ, 18 juin 1997 : Bull. Joly, novembre 1997, 346, p. 968, note P. Le Cannu. CA Rouen, 11 mai 2000 : Bull. Joly, janvier 2001, 69, p. 254, note J-J. Daigre. D. Schmidt, les conflits dintrts dans la socit anonyme, op. cit., n 321, p. 316.

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dcision 1; ou bien les groupes de socits sont des ensembles de socits soumises au contrle, direct ou indirect, exclusif ou partag, de certaines dentre elles, places ellesmmes sous le contrle de socits situes plus haut dans la hirarchie du groupe, lequel est tout entier, souvent domin par une, souvent simple holding 2. Cette domination a lieu soit parce que la socit dominante tient la trsorerie et assure le financement et/ou la gestion des autres socits du groupe, soit parce quelle dtient un actif vital aux filiales ou socitssurs. En consquence, lintrt social individuel de ces socits sefface devant lintrt social du groupe 3. En France, o on a remarqu que lintrt du groupe est rarement pris en compte 4, la jurisprudence a impos des critres stricts qui dfinissent lexistence ou linexistence de lintrt du groupe. Souvent voqus loccasion dun abus de biens sociaux, rsultant dun concours financier dune socit du groupe une autre, dans laquelle le prvenu, personne physique ou morale, est intress, lintrt du groupe suppose lexistence dun intrt conomique, social ou financier commun apprci au regard dune politique labore pour lensemble du groupe 5. Il ne doit pas tre dpourvu de contrepartie ou rompre lquilibre entre les engagements respectifs des diverses socits concernes ni excder les possibilits financires de celle qui en supporte la charge6. Dj en 19747, un jugement avait tabli le fondement des critres susmentionns. Il ne peut y avoir de justification au dlit dabus de biens ou de crdits sociaux (dans ce cas, concours financier apport par des dirigeants dune socit une autre entreprise dun mme groupe dans laquelle ils sont intresss), que si trois conditions sont cumulativement remplies, savoir : lexistence dun groupe fortement structur ; la conformit de lacte considr avec la politique du groupe ; et la proportionnalit des risques courus par la socit dsavantage avec ses possibilits. Lintrt du groupe nest pas, comme pourraient le croire certains, celui de la socit dominante, ni celui des actionnaires majoritaires de cette dernire ; il est lintrt commun tous les participants au groupeun enrichissement global suprieur la somme des profits1. 2.

3. 4. 5. 6. 7.

Ph. Merle, Droit commercial, Socits commerciales, op. cit., n 641, p. 809. P. Didier, citation dans Lapport de la technique contractuelle aux besoins dacquisition dun groupe, Sminaire de Groupe de socits, 20 janvier 2004, Pr. Urban (DEA Droit des affaires) p. 4, prsent par F. Baumert et B. Belzung; v. schma de la structure dun groupe de socits lannexe n 1. Ph. Merle, Droit commercial, Socits commerciales, op. cit., n 52 1, p. 83. Idem, n 671, p. 891 ; nous remarquons lutilisation des termes intrt du groupe ; v. la page suivante un commentaire sur cette appellation. Cass. crim., 4 fvrier 1985: D. 1985, p. 478, note D. Ohl, (arrt Rozenblum). Cass. Com., 13 fvrier 1989: Rev. soc., 1989, p. 692, note B. Bouloc et C. Freyria. TGI Paris, 11e ch., 16 mai 1974: D. 1975, p. 37 (1re affaire Willot).

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quauraient pu raliser chaque socit membre prise isolment1. Certains auteurs ont mme qualifi le respect de lintrt dun groupe de bien gnral 2. Les conditions poses cartent le risque de voir lintrt social du groupe invoqu, pour un oui ou pour un non, comme un fait justificatif dune opration conclure entre des socits du groupe ; surtout quand ce nest quun prtexte portant prjudice lune des socits du groupe sans aucune contrepartie pour elle3. Il sagit donc de concevoir le groupe dans sa globalit 4. Une filiale peut raliser une opration qui, tout en tant immdiatement contraire ses intrts, est bnfique au groupe5. Certains prtendaient mme que la notion de lintrt de groupe devrait normalement remplacer celle de lintrt social6. Une telle tentative aurait russi si lintrt du groupe sidentifiait celui de la socit dominante (socit mre, ou parfois une filiale). Mais comme la jurisprudence nenvisage plus lintrt dun groupe que dans la communaut des socits membres qui le composent, lappellation intrt social du groupe , voque par la doctrine, avec incertitude7, nous semble quand mme tre approprie pour souligner quun groupe de socits, qui na pas de personnalit morale a quand mme un intrt indpendant de celui de ses socits membres, et suprieur8 celui de ces dernires. Cela dit, comme le groupe nest pas une entit juridique, nous prfrons lappellation intrt du groupe celle dintrt social du groupe . Le droit amricain ne partage pas entirement cette faon de voir les choses, puisquil ne considre pas quune convention entre une socit mre et sa filiale est unfair, sil ne sensuit pas une dtrioration de la situation financire de cette filiale9. En France, sil y a simplement un amoindrissement du patrimoine social du fait dune convention en faveur de la holding, la convention nest pas annulable si le groupe en profite, condition que les consquences financires ngatives sur la filiale ne soient pas insupportables. Alors quaux Etats-Unis, ce simple appauvrissement de la filiale est considr comme unfair10, indpendamment de son impact sur le groupe tout entier. La tendance actuelle aux Etats-Unis est de faire partager les

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10.

Cass. crim., 4 fvrier 1985, prc. D. Schmidt, les conflits dintrts dans la socit anonyme, n 341, p. 334. Idem, n 424, p. 416. P. Le Cannu et B. Dondero, Droit des socits, op. cit., n 1546, p. 989. Idem, n 1468, p. 893. P. Bzard, L. Dabin et J.-F. Echard, et al., Les groupes de socits, une politique lgislative, Etude du Centre de recherche sur le droit des affaires, de la Chambre de commerce et dindustrie de Paris, 1976, p. 177. Ph. Merle, Droit commercial, Socits commerciales, op. cit., n 52 1, p. 83. D. Schmidt, les conflits dintrts dans les socits anonymes, op. cit, n 425, p. 418. Comp. avec le droit franais, condition de proportionnalit des risques courus par la socit dsavantage avec ses possibilits, arrt Rozenblum, prc. Case v. New York Central R.R.: 15 N.Y. 2d 150; 204 N.E. 2nd