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LOUQSOR f SANS LES PHARAONS LÉGENDES ET CHANSONS de LA HAUTE-EGYPTE PAR G. LEGRAIN

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Egipto

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LOUQSOR

fSANS LES

PHARAONS

LÉGENDES

ET CHANSONS de

LA HAUTE-EGYPTEPAR

G. LEGRAIN

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LOUQSOR

SANS LES PHARAONS

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Il a été tiré quinzeexemplairessur papier de hollande,VANGELDERZonen,numérotésà la pressel à 15.

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LOUQSOR

SANS LES PHARAONS

LÉGENDESET CHANSONSPOPULAIRES

bE LA HAUTE ÉGYPTE,RECUEILLIES

PAR GEORGES LEGRAINDIRECTEURDESTRAVAUXDUSERVICEDESANTIQUITÉSA KARNAK(HAUTEÉGYPTE)

100illustrationshorstexte.

VROMANT & CO, IMPRIMEURS-ÉDITEURS

3,RUEDELACHAPELLE

BRUXELLES37,RUEDELILLE(VI)

PARIS

1914

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PjRÉFACE

yChaqueannée;désmilliersde touristesvisitentla Haute

Egypteet, généralement,restent trois ou quatre jours à

Louqsor. Sous la conduite de leursguides,ilsvisitent lesmonumentsantiques qui font encorela gloirede Thèbes:

Karnak, Gournah,la Valléedes Rois, Deir el Bahari, le

Ramesséum, les Colossesde Memnon,Deir el Médineh,la Valléedes Reines,MédinetHabou, quelquestombeaux

encore,puis s'en vont.A côté de ces vestigesdu passé,dont j'aurais mauvaise

grâce de contester le puissantintérêt, il resteencorebeau-

coupà voirou à apprendrepourceux qui voudraientcon-naître mieux Louqsoret ses environs.

Pendant de longuesannées, j'ai écouté ce que disaientou chantaient les indigènes.Peu à peu,ce livre s'est fait:il est d'eux et non de moi. Sonmérite est de ne contenir

que des sujets absolumentinédits.C'est à ce titre que j'ail'honneurdeleprésenterà l'indulgencedu lecteur.Heureux

si je puis arriver à faire mieux connaître ce beau payset les bravesgensqui l'habitent.

Je tiens à exprimertous mesremerciementsà Messieurs

Fils, H. Miller,Lekegian,Simon,Dittrich, Sebah,Zangaki,

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6 PRÉFACE

le Photo-Storesde Louqsor, qui ont bien voulu mettreleurs bellesphotographiesd'amateur ou de professionnelsà ma dispositionet m'autoriserà lesreproduire.

Je ne doispas oubliernon plus MrHakimeffendiAbou

Seif,qui m'a intelligemmentaidé dans la rechercheet la

copiedes légendeset chansonsqui composentce volume.

GEORGESLEGRAIN,DirecteurdesTravauxduServicedesAntiquités

à Karnak(HauteEgypte).

Karnak, 4 octobre 1913.

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LA LÉGENDE DORÉE

DES SAINTS CHRÉTIENS DE LOUQSOR

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I.PARTIEROMAINEDUDE LOUQSOR.Phot.Simon.

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LES/ AINTS

MARTYRS CHANATOME,

i V'.V OPHRONE ET DALCINA.

Le i juin 284 de l'ère chrétienne,au temps où régnaitsur le monde entier l'Imperator Caïus-Julius-JoviusDioclétianus, commençala dixième et dernière persécu-tion de l'Église. De ce jour date ce que les Coptesappellent l' « Ere des Martyrs ».

Pendant dix ans, le sang des disciplesdu Christ coula à

grands flots rouges.Or, il advint que le comte et préfet d'Egypte, Arianus,

remonta dans le Saïd1 pour s'assurer que les ordres de

l'Empereur étaient obéis et que ceux qui professaient la

religiondu Nazaréen avaient ou abjuré ou péri dans les

supplices accoutumés2.Un soir, la grande nef qui le portait parvint au site

fameux où fut Thèbes,et Arianus, voyant des fumées

I. LaHauteEgypte.2.CetArianusparaîtêtrelepréfetd'Egypte,dontparlentleshisto-

rienscoptesetlePèreVanSleb,quiauraitfaittuerquatre-vingtmillechrétiensdansuneseulenuitdeNoël.Plustard,à Esneh,quatre-vingtsfeddans(336,000mètrescarrés)deterrainfurentcouvertsdecorpsdemartyrs.VANSLEB,Nouvellerelationd'unvoyagefait en Egypte,Paris,1677,p. 16. Un SatriusArrianusfut préfetd'Egypteen307ap. J.-C.

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10 LALÉGENDEDORÉEDELOUQSOR

épaissess'élevantduvieuxtempled'Amon,demandaquelsfeuxlesfaisaientnaître.Onluiréponditquelepeupleétaitrassembléen cetendroitpouradorerlesidolesdivineset le

géniedu César,et que ces fumées,qui montaienttoutdroitdans l'air, provenaientdes sacrificesqui leurétaientofferts.Et le cœur d'Arianusfut satisfait.

Cependant,pours'assurerquetousleshabitantsétaient

idolâtres,il fit dressersontribunalet ordonnaquechacund'eux comparût devant lui et sacrifiâtaux dieux et à

l'Empereur.Or,ilexistaità Louqsorun hommedistinguéquis'appe-

lait Chanatôme.Il avait quitté l'état militaireaprèssaconversionau christianismeet, maintenant,il exerçaitla médecineavecsuccès.Très pieux,il priait et jeûnaitsans cesse,prodiguantses soinsaux pauvresgens qui,déjà,le vénéraienttout commeun saint.

— Je suischrétien,déclaraChanatômeà Arianus,et jene sacrifieraini auxdieuxni au géniedu César.

— Tu n'es qu'un fou, savantdocteur,réfléchiset pèsetes paroles.

— Je ne seraisfou que si je t'écoutaiset t'obéissais.

Jamaisjenem'agenouilleraidevantlesdémons.Je necrois

qu'enJésusquiestprèsdemoiencetinstantet inspiremes

réponses.Arianuscommandaqu'onluimît aussitôtdescordesau

cou,auxmainset auxpiedset qu'onlejetâtdansuncachot.Le lendemain,d'autres habitants de Louqsorcompa-

rurentdevantlecomted'Egypte,et voiciqueparmiceux-ci

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CHANATOME,SOPHRONE,DALCINA II

se trouvait une jeune fille vierge de noble famille quis'appelait Dalcina. Et Dalcina, quand on voulut qu'ellesacrifiât,déclara qu'elle était chrétienneet ne sacrifierait

point aux dieux.Selon l'ordre d'Arianus, la jeune vierge fut dépouillée

de ses vêtements et pendue aux branchesd'un arbre, puisdes bourreaux la battirent à grands coups de tiges de

palmier tant et si fort qu'elle en mourut.La foi de Dalcina lui fit supporter ce martyre avec joie

et, pendant tout son supplice, on l'entendit louer et

prier Dieu; puis ellelui rendit son âme.Elle est maintenant au ciel, dans le Paradis avec les

angeset les saints et chante la gloire du Seigneurà tou-

jours et à jamais. Amen.Elle cessa de souffrir à la troisièmeheure du jour, le

17du moisd'Hathor. C'est à cette date que l'Églisecoptecommémorele saint nom de Dalcina, vierge et martyre.

Arianusfit ensuite tirer Chanatômede son cachot et, de

nouveau,Chanatômerefusa de sacrifieraux dieux, procla-mant qu'il mourrait plutôt que de renoncerà sa foi.

Or, il y avait, parmi les soldats de la garnisonthébaine,un beau garçon syrien, natif de Jaffa, qui s'appelaitSophroneet habitait dans la rue Baghrara1.

Plein d'admiration pour la constancede Chanatôme,ils'écriasoudain: « Et moi aussi, je suis chrétien ! » Puis,sortantdesrangs,il jeta sesarmesdevant le comteArianus

1.Jeneconnaispascetterueà Louqsor.C'estunvieuxnom,quiadûdisparaîtredepuisqueledocumentquenoustraduisonsfut rédigé.

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12 LALÉGENDEDORÉEDELOUQSOR

et dit que, désormais,il ne serviraitplus dans les armées

impériales.—Je suischrétien;j'appartiensmaintenantau roi Jésus

et je nesuisplusni à toi ni à César!Arianusréfléchitet conclutque,siSophroneosaits'insur-

gerainsiet seproclamersujetdu roiJésus,c'était parcequeChanatômeusait de son pouvoirde magicienet que, s'illaissait vivre plus longtempscelui-ciet Sophrone,c'enétait fait de sonautorité.

Aussi,il commandaquelesdeuxchrétiensfussentimmé-diatementpenduspar les piedsaux plus hautes branchesd'un acacia-lebakhet qu'on attachât de lourdesmassesde fer à leurspoignets.

Cecifait, il cria aux bourreauxde couperlescordes,carn pensait que les martyrs trouveraientla mort en tom-bant à terre. Maisils n'eurent aucun mal : les angesles

portèrent sur leurs aileset Dieu était avec eux pendantce temps.Plus encore: lesmassesde fer attachéesà leurs

poignetsfondirent«commechandelledevant feu»et, tout

disposet joyeux,Chanatômeet Sophronerevinrentdevant

Arianus,disant: «Regarde! Ne sommes-nouspas vivantsencore?»

Alors,le comtelesfit jeter tous deuxdansunefournaise,maislesflammesnelesbrûlèrentpoint,tandisqu'ilscriaientbien haut : « Nous sommessans peur et nous resteronschrétiens! (»f Arianusimaginaensuitede fairecoulerde l'huilebouil-lante dans leursgorgeset Chanatômeet Sophronedirent:

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CHANATOME,SOPHRONE,DALCINA 13

« Cette huile bouillante ne nous fait aucun mal. Versez-nous-enencore,car elleest, pour nous,commel'eau froide

que boit avidement le voyageur qui souffrede la chaleuret du simoum. Nous ne craignons rien, car les LivresSaints disent que notre corps peut périr, mais que nousrecevronsensuite la vie éternelle.Vossupplicesne prévau-dront point contre cette promesse.»

Malgré ces mots, Arianus, ne se décourageant pas,ordonnade nouveau aux deux saints de sacrifieraux dieuxet au Géniede l'empereur Dioclétienet, sur leur refus, illesfit jeter du haut de la falaisethébaine.Mais,encorecette

fois, les anges étendirent leurs ailes et Sophroneet Cha-natôme n'éprouvèrent aucun mal.

Il fallait cependant que forcerestât au pouvoir.Arianus,commela plupart de ses collèguesde l'époque, finit paremployer le supplice noble, celui réservé aux citoyensromains: l'épée.

Chanatôme et Sophrone eurent donc la tête tranchéeet l'Eglise copte commémoreleurs noms, liés par le mar-

tyre, le 20 du mois d'Hathor.Leurs âmes sont au ciel, dans le Paradis avec cellesdes

angeset des saints. Amen.

Là s'arrêtèrent les renseignements consignés dans lemanuscritarabe qui m'a été communiquéet que j'ai tra-

duit, me gardant bien de les dénaturer ou abréger, fidèle

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14 LALÉGENDEDORÉEDE LOUQSOR

que je suis à la méthode que je m'astreindrai à suivre dansces recherches.

Aujourd'hui, les Coptes de Louqsor assurent que les

corps des trois martyrs thébains du mois d'Hathor 284de l'ère chrétienne furent ensevelis parallèlement au Nil.Le premier, celui de Chanatôme, est au nord de Louqsor;le second, celui de Dalcina, se trouve au centre, et le troi-

sième, celui de Sophrone, est au sud. Ils disent de plus— et ceci est vrai — qu'ils sont en ligne droite et à égaledistance les uns des autres.

Dès le jour même de leur mort, Chanatôme, Dalcina et

Sophrone intercédèrent auprès de Dieu pour ceux quivenaient prier sur leurs tombes, et de nombreux miracles

s'accomplirent.Chanatôme, n'oubliant pas ses fonctionscharitables de

jadis, continua à guérir les pauvres gens qui venaient

passer la nuit en prières sur son tombeau. Il devint et estresté un grand saint guérisseur, fort réputé parmi tousceux qui protègent la ville et les habitants de Louqsor.

Les années passèrent, passèrent encore et, en 640, on

apprit que le Makokos avait livré Alexandrie à Amrouibn el'As et que les Musulmans se rendaient maîtres de

l'Egypte.Bientôt leurs troupes remontèrent jusqu'à Louqsor et,

voici quelques années, le vieux cimetière d'Assouan pos-sédait encore les antiques pierres sur lesquelles,en beauxcaractères coufiques, se lisaient les noms de ceux qui por-tèrent la gloire de l'Islam jusqu'à la premièrecataracte.

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CHANATOME,SOPHRONE,DALCINA I5

La conquête faite, les vainqueurs s'installèrent et se

mélangèrent aux vaincus. La plupart de ceux-ci,d'ailleurs,embrassèrent l'Islam et la majorité de la population duSaïd est aujourd'hui musulmane.

Les conquérants ne tardèrent pas à apprendre que lesmalades allaient, sans cesse,passerla nuit près de la tombedu « médecin des pauvres » et en revenaient guéris le

lendemain, tandis que d'autres trouvaient, près de sainteDalcina et de saint Sophrone, réconfort et santé, grâce àleur intercession auprès de Dieu.

Souvent, ils observèrent des « lueurs » qui sortaient deces tombes vénérées et, à ces signes, ils reconnurent queceux qui gisaient là étaient des êtres élus du Très-Haut,des cheikhs anciens dignes de leur respect, car les musul-mans révèrent les prophètes et des saints antérieurs àl'Islam. C'est pourquoi ils recouvrirentles tombes des trois

martyrs d'une chambre à coupole,en même temps qu'ilschangeaient leurs noms.

Les musulmans de Louqsor (et, parmi ceux-ci,je citeraile bon Haggi Mohammed Mohasseb,que tout le monderévère ici, à quelque religion qu'il appartienne) recon-

naissent que saint Chanatômeest le mêmeque AbouAli el

Megachgiche1,dont la mosquées'élève sur le vieux cime-tière de Louqsor, auprès du markaz 2et du jardin public.

1.Lemotgachgachveutdire: guérir,sortird'unemaladie,guérirquelqu'undelagale.Megachgichesignine: quiestguéridela galeoudela petitevéroleet, au figuré: repenti,converti;qui,aprèsavoirvécudansl'hypocrisie,revientà unefoisincère(Kasimirski).

2.Markax,sous-préfecture,résidencedugouverneurdudistrict.

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La légendepopulairerésumecette adoption du saintchrétien par les musulmans,qui le considèrentcommeétant (après Abou'lHaggag,dont nous dirons la gesteplusloin)leplusgrandcheikhdeLouqsor,par cettephrasesi joliedans sa naïve concision: «LeMegachgichefut unmédecinqui connut Jésus et Mahomet.»

Lalégendepopulairecopteassure,desoncôté,quesainteDalcinaneserait autre quelareligieuseTharzahquidort àcôté du tombeaud'Abouel Haggaget quesaint Sophroneest le mêmeque le cheikhel Ouachi,dont le monument

funéraire,à lablanchecoupole,sevoitdansleparcduLouq-sor-Hotel.

SaintSophroneoulecheikhel Ouachiest un personnagefort tranquille,auquelon n'attribue qu'un seul miracle:le gardien de son tombeau constata, un jour, quel'huile de la veilleusequi brûle la nuit dans le lieu saintavait été volée. Le fait se renouvelant régulièrementsansqu'ilenconnûtla cause,il finitpar implorerle secoursdu cheikhlui-mêmeet, dèsle lendemainmatin, il trouva,dans le tombeau,un chacal,que la vertu du cheikhelOuachiavait paralysé.On conclutde ce fait que c'étaitcet animalqui venait la nuit boire l'huile et éteindrela

veilleuse,d'autant plus que, après qu'on eût tué ce sin-

guliervoleur,le fait ne se renouvelajamais.Cecim'a étéaffirmépar le filsdu gardienmêmedu tombeau.

SainteDalcinaouTharzahn'a aucunelégendemiracu-leuse.

Saint Chanatômeou Abou Ali el Megachgiche,lui,

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2-3.MOSQUÉEÎ^^ÉGACHGICHE.Phot.del'auteur

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Phot.del'auteur.4.ENTRÉEDELAMOSQUÉEDUMÉGACHGICHE.

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CHANATOME,SOPHRONE,DALCINA 17

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continue à prodiguer ses bienfaits indistinctement à tousceux qui ont recours à lui.

Blessés ou malades, musulmans ou coptes, viennent,

presque chaque nuit, prier longuement sur son tombeau etse déclarent guéris ensuite.

Cette étude ne serait pas complète, si je ne rapportaisun fait qui advint récemment.

Le Megachgicheapparut, une nuit en songe,à MohammedAbd el Rassoul. Dès le lendemain, Abd el Rassoul s'enfut trouver un Européen, qui, depuis quelques années, aembrasséla religionmusulmane, et lui apprit que le Megach-giche désirait qu'il lui fît don d'une porte de bois, grâce à

laquellele cimetièrequi entoure sa mosquéeserait clos.La porte fut fabriquée aussitôt et inaugurée le jour

de la fête patronale d'Abou el Haggag. Elle est peinte envert et, sur ses deux battants, le donataire a fait graver

profondément, en beaux caractères arabes, la dédicacesui-vante : «Cette porte a été faite aux frais du cheikh Makh-moud Abdallah de Rustafjaell d'après l'ordre de l'élu de

Dieu, le cheikh el Megachgiche,qui apparut en songe aucheikhAbd el Rassoul,qui le lui a transmis. Il l'a faite selon

cet ordre et il l'a miseenplace le dimanche14Chabâan1330de l'Hegire et le 28 juillet 1912.»

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II. SAINT MERCURE-AUX-DEUX-ÉPÉES.

Il est, en Egypte, des saints qui jouissentdu privilèged'être reconnuscommetutélaires,secourables,voiremira-

culeux,aussibienpar leschrétiensquepar lesmusulmans.Ces saints acceptentdes offrandessans s'inquiéterde laconfessionà laquelleappartientceluiauquelilsontprodiguéleurssecourset accueillentleurstémoignagesde reconnais-sanceaussibienqu'ils ont écouté leurs plaintes, exaucéleursprièreset compatià leurspeines.

Saint Georgesdu VieuxCaireest l'agios Georgiospourles Grecsorthodoxeset le mari Girghispour les Arabeset les Turcs.Grâceà lui, les maladesrecouvrentla santéet les fousla raison: aussi,il n'est pas rare que de groscierges,de l'huile et d'autres présentsplus notoirespro-viennent de musulmansqui ont eu recours au saint etobtenude lui aideet réconfort.

La réciproqueexiste, et plus d'un vieuxcheikharabe

reçoitdes offrandesde chrétienset surtout de chrétiennesdont il a guérilespetits enfants.

En somme,en étudiant ces saints et cheikhsà religionimprécise,on en arrive à se demandersi leur origineneseraitpas beaucoupplusancienneet si nousne noustrou-vons pas en présenced'un vieux dieu pharaoniquequi,

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SAINTMERCURE-AUX-DEUX-ÉPÉES 19

fixé dans l'endroit, a, selon le cours des siècles,changé de

figure,de nom et de confessionreligieuse.Il y a déjà longtemps qu'on a voulu reconnaître, préci-

sément dans mon patron saint Georges, grand tueuide dragons, un successeur lointain du légendaire Horus

d'Edfou, qui, vengeur de son père, met à mort l'hippopo-tame de Set. N'étant nullement «dénicheur de saints », jene m'attarderai pas à discuter cette question et, laissantlà saint Georges, je présenterai ici son alter egode Haute

Egypte. El chaïd Philopator Marcourios Abou Seifeine,« le martyr Philopator-Mercure-le-Père-aux-deux-épées»,dont le tombeau et le couvent se trouvent au milieu des

champs, près Gamoulah, au nord de Louqsor. Six prêtrescoptes jacobites en sont les gardiens.Le saint n'est généra-lement connu que sous son surnom d'Abou Seifeine.

La fête annuelle d'Abou Seifeinecommencele 25 Abib

(ier août) et dure quinze jours, dont trois sont solennels.Elle donne lieu à un grand pèlerinage,où se pressent desfoules de musulmans et de chrétiens accourus de tous les

villages d'Egypte, car la réputation du martyr est fort

grande. Tout comme saint Georges,Abou Seifeineguéritles fouset exorciseceux que possèdeun démonquelconque.

Lespréparatifs du pèlerinagesont fort simples: on dressedes tentes aux étoffesmulticolores,qu'ornent des tiges de

palmier. Là logeront les femmes, tandis que les hommes

dormiront à la belle étoile.Il y a, à Louqsor,des mauvaises langues qui prétendent

que ces convenances ne sont pas toujours strictement

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20 LALÉGENDEDORÉEDELOUQSOR

observéeset, commepreuve, allèguentce qui arriva l'an

passé.Ainsique saint Pacômeen son couvent,El ChaïdAbouSeifeineentendque sesfidèlessoient sageset, pasplus tard qu'au pèlerinagedernier, il envoya un grandcoupde vent subit, qui, malicieusement,enleva,soudain,une tente souslaquellejasaient deux gentils amoureux.Ceux-cifurent couvertsde honte et d'opprobre,en même

temps que chacun admirait le procédésubtil dont AbouSeifeines'était servipour ramenersesouaillesémancipéesdans l'étroit sentierde la pure vertu. Je n'oseraiscepen-dant affirmerque le vent fait toujours exactementcetofficeet quelevieilEolenesomnolepasparfois.

Il ya, danscesassemblées,desréminiscencesincessantesdu culte de Minet des fêtes de Bubaste dont Hérodotenousa, jadis,entretenus.

Lafoulequigrouilleest tout en joie; cenesont quegalo-padesde chevaux,simulacresde joutesà la lance,grandestraînéesde poussièreque soulèventmontureset cavaliers,tandis que les tambourinsfont rage et que nasillentlesmusettes aux notes aiguës.Ailleurs,ce sont des piétonsqui s'escrimentà la longue canne.Plus loin ou, plutôt,partout, tintent les crotales des danseusesfardées.Lesmarchandsdesucreries,depoischicheset decaroubesfont,paraît-il,des affairesd'or à cette époque.Parfoisun bakalouvreuneéchopped'où sortirontla bièreet l'araki.

La nuit, tout s'éclaire,la fête devientplus ardente et

plus bruyante et ce n'est qu'au matin que, fort las, les

pèlerinssongentà se reposer.

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SAINTMERCURE-AUX-DEUX-ÉPÉES 21

Cesmenuesdistractions, qui rappellent un peu cellesdenos « pardons » de Bretagne, n'empêchent pas les dévotsd'Abou"Seifeinede vaquer à leurs occupationsreligieuses.Ce sont tout d'abord de nombreusescérémoniesde ziana

qui sont célébrées.Un enfant a-t-il sept ans d'âge, qu'onl'amène au couvent et là, devant le prêtre, les parents etamis assemblés,le barbier du villagelui coupesespremierscheveux. Maisceci se voit partout en Egypte.

A Gamoulâh,on a beaucoup mieux.Parfois,pendant la

nuit, Abou Seifeine,lui-même,se manifeste. Soudain, deslumièresbrillent, des lueurs et des ambrespassent derrièrelesbaies du dômedu couvent, et chacun,voyant ces choses

surprenantes,devine que le bon saint révèle ainsi sa pré-sencepour qu'on imploresa bénédiction,et tout le monde,levant les mains, la lui demandeà grands cris.

Certains mécréants, animés d'un doute et suspectantquelque supercherie des religieux, grimpèrent, dit-on,

jusqu'au faîte du dôme et, confondus, redescendirent,

croyant au singuliermiracle.La vertu dmmartyr triomphe d'une façon plus écla-

tante encore lorsque des épileptiques,des possédésou de

pauvres fous lui sont amenés.Alors la multitude se pré-cipite vers son tombeau,où,déjà,vêtusde blanc,enchaînés,hurlent ces malheureux.

Ils cherchent en vain à s'échapper,tandisque lesparentsles maintiennent vigoureusementet constatent la venuede l'esprit d'Abou Seifeine aux cris et aux contorsions

éu malade. Alors, ils jettent sur celui-ciune grande étoffe

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22 LALÉGENDEDORÉEDE LOUQSOR

(mélaiat)et le gardent ainsi jusqu'à ce qu'il soit entière-ment calmé,puis on le découvreet l'on apprend aussitôts'il est guéri,car, dans ce cas, voiciquedestracesdesang

paraissent sur ses vêtementsblancs. Elles sont triangu-lairessi le sujet est musulmanet en croixs'il est chrétien.

Lesprêtresinterviennentalorset, aunomdu saintbien-

faisant, réclamentles donsdesparents,puis la processioncommence.C'est tout d'abord le clergéet les chantres,ensuitel'ancienfouquimontresonsignesanglantde salut,

puis enfinla famille.Tousfont le tour des tentes, jouantdescymbaleset du triangle,chantantà pleinevoix,tandis

que les femmespoussent leur zagharits aigus et que la

foule,émerveillée,louele miraclenouveauque vient d'ac-

complirEl ChaïdAbouSeifeine.On affirmequ'il se produit trois ou quatre curesde ce

genreà chaquepèlerinage.Lesgensd'ici les expliquentde la façonsuivante:Chacun sait qu'il existe plusieurs sortes de mauvais

esprits: il y a d'abordles afrites,simplesfantômeséchap-pés du cimetière.Ceux-làfont de si bellespeurs aux indi-

gènesqu'ilest difficiledeleurfairedirecequilesa effrayéset quellessont les alluresdu revenant; oubien,parfois,ilsse lancentdansdesdescriptionsquivarientdu jour au len-demain,s'amplifientde plusen pluset ne méritentmême

pas d'être notées; mais,en coordonnantcesdiversrécits,ons'aperçoitquel'afritenefait peuret nejette desbriquesqu'aux poltrons,et ils sont légionici. Un seul hommeun

peurésolulefait reculer;d'ailleurs,plusencorequePanurge,

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SAINTMERCURE-AUX-DEUX-ÉPÉES 23

l'afrite a horreur des coups: il sesauvedèsqu'il voit appa-raître une arme à feu, un bâton et surtout un couteau.Tirez sur lui et, le lendemain,vous trouverezun petit tasde cendresou une vieillesavate (sic) à la place où il vous

apparut dans la nuit. Un coupde bâton passetrop souventà travers son immatérialité;le couteaupointu fait mieux :il dissoutl'afrite commeune pointe déchargeune bouteillede Leyde ou comme le sucre fond dans l'eau, disent les

indigènes,plus simplesdans leurs comparaisons.Le couteau pointu peut lutter encorecontre le ghazala,

un cheïtane,un terrible esprit qui vient de Dieu, et quientre dans l'homme, le possède,monte et «fait la boule».De nos jours encore, quand un épileptiqueou hystériqueest pris d'une crise dans une rue de Louqsor,les assistantsenfoncentdes couteaux dans la terre autour de la tête dumaladepour combattre le ghazala qui est en lui.

C'est quand ce procédéne réussit pas qu'on a recoursà

Abou Seifeine,qui exerce sa suprématie sur les mauvais

esprits.Un ghazala s'est-il logédans le corpsde quelqu'unet ne veut-il pas déguerpir, on amène le malade sur letombeau du saint. Le ghazalan'en mène pas large, alors,car il vient de reconnaîtreson maître. Il se met à crier,hurle par la bouchede sa victime,puisenfinprend la fuite.

Cette explicationm'a paru d'autant plus curieusequ'ellenous ramèneà trois milleans en arrièredans le templede

Khonsouà Karnak.En ce temps-là, la grande épouseroyaleNofriouriétait

la favoritede RamsèsII. Sa beauté syrienne avait séduit

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24 LALÉGENDEDORÉEDE LOUQSOR

celui-cidès le jour où le princede Bakhtan, son père, lalui avait amenéeavecdenombreuxprésents.Or,à quelquetempsde là, Bintreshit,la sœurde la reine,tombamaladesansqu'onparvint,enBakhtan,à reconnaîtrela nature desonmal.Finalement,le princesonpèreenvoyaunmessagervers RamsèsII pour lui demander conseil et secours.Pharaon fit venir ses devins et magicienset, parmieux,Thotiemhebfut choisipour aller en Bakhtan. Là, Tho-tiemheb découvritque Bintreshit était possédéepar un

Khouït, un esprit,et il déclara qu'il était vain de com-battre aveclui. Huit ans se passèrentsans que la démo-

niaqueguérit.Enfin,en l'an 23du règnede RamsèsII, le

prince de Bakhtan pria de nouveau son gendre de lui

envoyerun dieuhabileà combattrel'esprit possesseurdeBintreshit. Pharaon s'en fut trouver Khonsou-beau-et-

paisibleet lui dit : «Beau seigneur,me voicide nouveaudevant toi pour la filledu princede Bakhtan. » Alors lastatue de Khonsou-thébain-beau-et-paisiblefut transpor-tée versune autre statue, où le mêmedieuétait considérécomme Khonsou-qui-règle-les-destins-de-Thèbes-et-com-bat-les-démons.

Ramsès demanda alors au Khonsou-beau-et-paisibled'approuver que Khonsou-qui-combat-les-démonsallâtvers Bakhtan. Alors, la tête de la statue machinéede

Khonsou-beau-et-paisibles'inclina fortement par deuxfois en signed'assentiment.Ramsèslui demandaencore:« Donne-luide ta vertumagique,afinqu'il puisseallerenBakhtan délivrerla filledu prince.»Et Khonsou-beau-et-

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SAINTMERCURE-AUX-DEUX-ÉPÉES 25

paisible inclina de nouveau deux foisla tête et quatre foistransmit sa vertu magique à Khonsou-qui-combat-les-démons.

Ramsès ordonna ensuite que la statue de ce dernier fûtmise dans une grande barque sacrée, qu'accompagnaientcinq nacelles, des chars et des chevaux nombreux quiallaient sur les côtés. Ainsi partit le dieu. Ce ne fut

qu'au bout d'un an et cinq mois qu'on arriva au terme du

voyage.Voici que le prince de Bakhtan alla avec ses soldats à la

rencontre de Khonsouet, se jetant à plat ventre,le remerciad'être venu de la part de Ramsès II. Le dieu fut ensuiteconduit à l'endroit où se trouvait Bintreshit. Il lui fit

des passesmagiqueset, soudain,laprincessese trouva mieuxet cet esprit, ceKhouit qui était en elle,parla ainsi devantKhonsou: « Viens en paix, dieu grand qui combats lesdémons. Ta ville c'est Bakhtan, tes esclaves ce sont seshabitants et moi-mêmeje suis ton esclave. Je m'en iraiau lieu où j'étais auparavant pour te plaire en cette chose

pour laquelle tu es venu, mais,auparavant, que ta Saintetéordonne un jour de réjouissanceavec moi et avec le princede Bakhtan. » Khonsou inclina la tête vers son prophètepour dire: «QueleprincedeBakhtan apportede trèsgrandesoffrandesdevant cet esprit. »

Le prince et ses soldats, pendant ce temps, étaienttransis de peur. Enfin,quand les grandes offrandeseurentété déposées devant le dieu et l'esprit pour un jour de

réjouissance,l'esprit possesseur,le KhouU,s'en alla en paix

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26 LALÉGENDEDORÉEDE LOUQSOR

vers lelieu qui lui plaisait,selonce qui avait été ordonné

par Khonsou.La grandestèlehiéroglyphique,où cette longuehistoire

est gravéel, raconteensuitecommentle princedeBakhtan,heureuxde posséderun dieusi puissant,le garda pendanttrois ans et neuf mois, commentKhonsou,qui regrettaitsa demeure, apparut en songe au prince et commentcelui-ci,tout effrayé,le fit partir dès le lendemainpourl'Egypte.

Khonsouarriva à Thèbesen l'an 33de RamsèsII. Il serendit alorsau grand templede Khonsou-beau-et-paisibleet plaçadevantcedieutous lesprésentsque lui avait faitsle princede Bakhtan. Il ne garda rienpour lui et, modes-

tement, s'en retourna vers sa chapelle,où il rentra aprèsdix ans d'absence.

Monbut n'a pas été ici de traduireune foisde plus,motà mot, ce documentcélèbre;j'ai voulusimplementétablirun rapprochemententre ce qui sepassa jadis au lointain

pays de Bakhtan et ce qui se passe aujourd'hui prèsde Gamoulah.

La légendeet la coutumese complètentà 3000ans dedistance.Voicibien longtempsaussi que Salomondisaitavec l'Ecclésiaste: « Riende nouveausous le soleil.»

1.DécouverteparChampolliondansletempledeKhonsoudeKar-nak.TransportéeenFranceen1846parNestorL'Hoteetdonnéeparluià la BibliothèqueNationale(CabinetdesMédailles).Traduitpar DeRougéen1858,letextedelastèledeBakhtanestdevenuclassiquepourleségyptologues,quil'onttraduitsouventdenouveau.

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SAINTMERCURE-AUX-DEUX-ÉPÉES 27

Les malades ont toujours imploré les dieux ou plutôtces êtres bons, ces élus, ces héros qui sont mieux qu'unhommeet moins qu'un dieu suprême, ces intermédiaires,cesintercesseursentre la divinitéet l'humanité1. Cesdieuxou demi-dieux,je le répète,ont, selonles siècles,changéde

nom, de figure et de religion tout en gardant les mêmes

pouvoirsmiraculeux que leur ont attribués les hommes,car ils répondent à un de nosplus grandsbesoins: le récon-fort dans nos peines et l'espoir de la guérisonde ceux quinous sont chers. Le malheur rendant timides ceux qu'ilaccable, ce n'est pas alors à l'Etre Suprême qu'on oses'adresserdirectement, mais à ceux-làqui sont moinsloinde nous et plus près de lui, ces doux et bons intercesseurs

qui ont toujours existé et existeront toujours dans les

I. Cetteidéeestfortancienne.AinsiPlutarqueditdanssontraitésurIsiset Osiris:

§25.Mieuxvautdoncprésentercequise raconteavecTyphon,surOsiriset surIsis,commeformantuneséried'aventureséprouvéesnonpardesDieuxou deshommes,maispardesGéniespuissants,pardesêtresquelesPlaton,lesPythagore,lesXénocrateet lesCrysippedécla-rent,surla foidesantiquesthéologiens,avoirétéd'unenatureplusvigoureusequenel'estlanaturehumaine.Leurpuissanceconsidérablelesmetau-dessusdenotrecondition.Chezeux,leprincipedivinn'estnipurnisansmélange;ilsparticipentà lafoisdel'immortalitédel'âmeetdessensducorps.

HésiodecitedesGéniesbonset favorables,quisontchastesetpurs.Ilditqu'ilssontprotecteursdeshommes,etcepoèteajoute:

«Ilsdonnentlarichesse,enroisquilapossèdent.»Platonvoiten euxuneespèceparticulièrededémons,qu'ilappelle

interprèteset médiateursentreles dieuxet leshommes,portantauxdieuxlesvœuxetlessupplicationsdeshumainsetrapportantàcesder-nierslesoraclesetlesdonationsderichessesetdebiens.

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croyancespopulaires.Ce brave petit Khonsouqui alla siloin et resta de si longuesannéesen voyagepour délivrerla princesseBintreshitest de cenombre,tout commeAbouSeifeine.

L'Abou Seifeinede Gamoulaha, actuellement,pris lenom de saint Mercure,un personnagequi, dans la patro-logieorientale,joue un rôle considérable.La légendeest

digne d'être ajoutée à cellesrecueilliesici.On rapporte que, au secondsiècleaprès J.-C., il exista

un citoyenromainde familleillustredont le filss'appelaitMercure.Tousdeux,par montset par vaux,chassaientsanscesseles bêtes sauvages.

Unjour, il arriva qu'une troupe de loupsles attaqua etdévorale père de Mercure.Mercureallait avoir le même

sort,maisDieu leprotégeaen l'entourant de feuxardents,car il savait qu'un filsnaîtrait de lui qui proclameraitsa

gloireet mourraitpour elle.Soudain,lesloupss'apaisèrent,devinrentdouxcommedesmoutons,léchèrentlespiedsdeMercureet le suivirentquand il revint à la ville.

Leshabitants, témoinsde ce miracle,reconnurent dansle rescapéun élu du Très-Hautet, désormais,ils le con-sidérèrent commeun de ses prophètes.

Mercureengendraensuiteun fils appeléPhilopator,quigrandit et devint un beau soldat. Les loups qui l'avaientvu naître le suivaientsanscesseet, à l'heuredes combats,ils retrouvaient leur férocitépremière,se jetaient sur lesennemis et faisaient carnage.

Mercuremourutà l'époquedela guerredeMourdacine(?)

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SAINTMERCURE-AUX-DEUX-ÉPÉES 29

et Philopator joignit à sonnomceluide sonpèrebien-aimé.Or, l'empire échut à Dagios, le père des idoles. (Décius

249-251ap. J.-C.)Cefut à cette époquequeles «Barbares»,quisont nombreuxcommelessablesdela mer,serévoltèrentcontre la puissance romaine et Dagios mena ses arméescontre eux. Il était plein de crainte et de lâcheté, mais

Philopator-Mercurele rassura en lui promettant que Dieuviendrait à son secours.En effet,un ange tout éclatant delumière leur apparut. Il était vêtu de blanc et tenait, danssa main droite, une grande épée à deux tranchants. Il ladonna à l'imperator, en lui disant que, quand il reviendrait

triomphant, il devrait se souvenirque Dieu seul lui avaitdonné la victoire et se convertir au christianisme.

Dagios ayant vaincu, l'ange de blanc vêtu lui apparutde nouveau et lui rappela qu'il devait abjurer les idolesetadorer la croix. Mercureajouta ses adjurations à cellesde

l'envoyécéleste,mais les troupes se révoltèrent dèsqu'ellessurent les projets de conversionde l'empereur et Dagiosresta païen. Il conçut, dès lors, une grandehaine contre leschrétiens et les persécuta sans relâche.

Mercure fut une de ses premièresvictimes, car, voyantque Dagiosretournait au paganisme,il se présenta devantlui et jeta ses armes à terre, déclarant qu'il ne servirait

plus sous les aigles romaines. L'imperator le fit arrêter,battre de tiges vertes de palmier et de courbachesde cuir

d'hippopotame, puis, dans sa prison,il lui fit trancher latête.

La fête de saint Philopator-MercureAbou Seifeinese

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célèbrele 25 abib de l'année copte ou Ier août de notrecalendrier.

Leséglisesoù AbouSeifeineest vénérésont asseznom-breuses: la plusimportante se trouve au VieuxCaire,nonloin de celle de saint Georges,aveclequel saint Mercure

présentede grands points de ressemblance.Commelui, ilest représentémonté sur un cheval et terrassant, de salance, un hommebarbu, tandis qu'un ange lui présenteune épée.

On a vu, dans sa légende,que cette arme était à deux

tranchants; par la suite, elle devint doubleet AbouSei-

feine, le père-aux-deux-épées,est représenté faisant

tournoyerdeuxsabresau-dessusde sa tête. Un descurieuxtableauxdel'églisecairote,placéau-dessusducoffretajouréoù, entouréde soie violette,est gardé le bras du vaillant

cavalier,le représenteainsi.Deplus,l'hommequ'il fouleaux

piedsde son chevaly est figurévêtu de pourpre.Dans lefond se voientl'angeet un évêque,saintBasile,qui semble

désignerà Mercurel'hommequ'il doit terrasser.Lespeintresd'iconesprennenttoujoursgrand soin d'in-

scrirele nomde leurs personnagestout à côté d'eux dansle champ du tableau. C'est ainsi qu'on peut apprendreque l'ennemimis à mal par saint Mercuren'est autre quel'empereurJulien l'Apostat lui-même,qui régna cent ans

après la mort de notre saint (363-365).On sait quellehaine violenteles chrétiensvouèrent à

celuiqui, aprèsavoirété desleurs,lescombattit avectantd'ardeur.

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SAINTMERCURE-AUX-DEUX-ÉPÉES 31

Dieu,voulantmettre terme à une si grande abominationet délivrer son Eglise d'un ennemi si pervers, permit queJulien attaquât Sapor, le roi des Perses, qu'il le combattîtet fût vaincu. Au milieude la déroute, il envoya, du hautdu ciel, l'ancien martyr de Décius, le bienheureux saint

Philopator-MercureAbou Seifeinecontrel'Apostat.Et voici que l'envoyé de Dieu apparut, soudain, monté

sur un grand cheval, vêtu en paladin et faisant tournoyerses deux épées brillantes au-dessusde sa tête. Et, en pré-sencede l'ange, de saint Basile et de toute l'arméequi sus-

pendit sa fuite pendant quelquesinstants pour contemplerun si grand miracle, saint Mercure se jeta sur Julienl'imperator. Blessé à mort, celui-ci recueillit dans sesmains le sang qui coulait de ses plaies et le lança vers le

ciel, criant : «Tu as vaincu,Galiléen! »Puis il rendit l'âme1et saint Mercureremonta au Paradis.

I. La versionrecueilliepar le bienheureuxJacquesde Voraginediffèreun peudecelle-ci: Lorsquel'empereurJulienarrivaà CésaréedeCappadoce,saintBasilevintau-devantdeluietluioffritquatrepainsd'orge,queJulienrefusa.Ensuite,il envoyaunebottedefoinà saintBasile,leprévenantqu'aprèsavoirvainculesPerses,ildétruiraitCésaréeet feraitpasserlacharruesursonemplacement.Lanuitsuivante,saintBasileeutunsonge.Unemultituded'angesétaitrassembléedansl'égliseNotre-Dame;laViergeétaitaumilieud'eux.Elleappelaà elleMercure,queJulienl'Apostatavaitfaitmettreà mortet quiétaitenterréavecsesarmesdansl'églisemême,et luicommandad'allertuerl'empereur.Apeineréveillé,saintBasilefitouvrirle tombeaudesaintMercureetconstataqu'ilétaitvide.Legardienaffirmait,cependant,quelaveilleencore,ilavaitvulesarmesdusaintà leurplaceaccoutumée.Etquand,le lendemainmatin,saintBasilefit denouveauouvrirle tombeau,lecorpsdesaintMercures'ytrouvaitréinstalléavecsesarmes,etsalanceétaitrougedesang.Cf.LaLégendedorée,traduiteparTEODORDEWYSEWA.

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L'AbouSeifeine,qui,dit-on,estenterréàGamoulah,est-ille mêmeque celuidont le bras est conservédans l'égliseduVieuxCaire?Je megarderaisbiendechercherà résoudrecette question.

Les prêtres cairotesassurent que le véritabletombeaude saintMercurese trouveà Césaréeen Palestineet que le

patriarche Benjamin y alla prier, demandant qu'on luidonnât quelque relique.Et Abou Seifeineexauça cette

prièreenfaisantsurgirlui-mêmesonbrashorsdela tombe.

Après maintesaventures,Benjamin rapporta l'insignereliquejusqu'auCaire,où elleest, depuisce temps, l'objetde la vénération générale. Sans cesse quelque nouveaumiracletémoignede façonéclatantede la puissancemira-culeusedubonsaint.Lesmaladesy viennentprier,passentquelquesjours dans l'église, couchant pêle-mêlesur lesbancset s'en vont après avoirrecouvréla santé,bénissantAbouSeifeinedu VieuxCaire.

D'après les fidèlesdu Caire,Gamoulahne posséderaitqu'une reliquebien moinsprécieuseque la leur, à moins,commeje leproposaisau débutdecette étude,que le saintde Gamoulahnesoitun dieupharaonique,qui,pourdemeu-rer en paix dans son pays d'élection,aurait pris comme

sauvegardelenomvénérédesaintMercure-aux-deux-épées.Quoi qu'il en soit, l'Abou Seifeinede Haute Egypte

exercedansla régionuneincontestablepuissance.Il est làchezlui, continuantsa viemiraculeuse,morigénantet sur-veillant ses pèlerins,guérissantles maladeset vaquant à

ses bienfaisantesoccupations.

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4

Le long cantique dont la traduction terminera cetteétude le montrera tel que l'imaginent encore ses nombreuxfidèleslorsqu'ils vont à Gamoulahprier sur son tombeau.

I. LE VOYAGEPARTERRE.

Commeil est loin,cedeir11La routeest plemede caillouxEt le chameau,lassé,parait tout mécontent!

Cependantles richesdu paysviennenten pèlerinage,Carle nomde ce saintest partoutvénéré.La coupoledu couventd'AbouSeifeineparaitdanslelointain;Sitôtqu'onl'aperçoit,lespèlerinsjeûnentet prient.La coupoleélevéeà l'horizonsurgit.Quandle chameaula voit, il grondede plaisir.

II LESRICHESGOURMANDS.

BarquequivoguessouslalueurdesPleïades,Tavoileest toute en soie.Je préparele repas.0 barquequivoguesprèsde la rive,Ta voileest touteen soie.Nousdînonsavecun mouton.Allons1allons! lesgensauxturbansblancs.Semblablesau safranqui croîtdansle jardin!Allons! allons! gensauxtarbouchesrouges,Le safrancroîtdansle jardinqu'arrosela saquieh!Allons! allons! Dieuest avecnous,Votredéjeunercuità l'ombredespalmiers.

1.Deir= Couvent.

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III. LATEMPÊTESURLENIL.

Combienest belleunebarquequisebalancesurleNil!Levents'estélevé.Lesmatelotsde bleuvêtustravaillent.Leréïs1de la barqueaimelesgensalertes.

Quandlevents'éleva,il jeta sonmanteau.Leréïsdela barquenevit quesurle Nil.Sitôtlevélevent,onvoitsongiletde soierayée.0 réïsde la barque,pourquoilesvaguessont-ellessi fortes?—N'ayezpaspeur,bonspèlerins,je suismaîtrereïs.—0 réïsdela barque,pourquoilesvaguesmontent-ellessi

[haut?—N'ayezpaspeur,bonspèlerins,je suisréïsde pèreenfils.

IV. LECOUVENT.

Lecouventdumartyrméritesonsurnom:Celuiauxbienstrèsgrandset auxportesnombreuses.»

Voyez! il est bâtidebriquesjointoyées;Cettemaçonnerieest vraimentmerveilleuse!0 coupoleélevéeoùl'encensvousenivre,Lemaçonla bâtit,l'ingénieurla conçut.0 coupoleélevéeà l'odeurquiendort,Lemaçonl'a bâtie,l'évêqueconsacrée.0 coupoleélevéeoùlogentlesmoineaux!Lesmoineauxchantent: NotrePèrete garde.0 coupobélevéeoùlogentlespigeons!Lespigeonschantent: NotrePèrete sauve.Commel'air y est pur,dansta coupole,AbouSeifeine!Lemaçonla bâtit,l'évêquel'a bénie.

i. Reïs= Capitaine,chef.

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5.BARQUEAUCLAIRDELUNE. Phot.Stores.

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6-7.BARQUESSURLENIL.Phot.Dittrich&Stores.

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SAINTMERCURE-AUX-DEUX-ÉPÉES 35

1*

0 coupoleélevéeoù les parfumsembaument!Lacourest largeet se remplitd'offrandes.Ledeïrd'AbouSeifeineest ce couventtrèshaut.Il est assisdedans,il y fait sesprières.Sacoupoleélevéecouvreun coffrede boisodoriférant.La courest assezlarge: on y peut tuer desbœufs.La coupoledu Saintest semblableà la soiecouvrantla selle

[d'unchameau.Guérisseurdessouffrants,salut! AbouSeifeine!La coupoledu Saintest semblableà la soiequ'onvend au

[poidsde l'or.AbouSeifeine,à toi, Salut,toi, quiguérislespauvres!AbouSeifeineaux étoffesde soie,0 guérisseurdesfous! Salutà toi,AbouSeifeine!Commele Deïrd'AbouSeifeineest noble!Commele saintest beau.Assissur sonlongbanc,Quandil entendau loinle sondestambourins,Il dit : Amenezlesenfantspourle ziana1.

Quandil entendau loinle sondestambourins,Il dit : Amenezlesenfants.Finissonsde bonneheure.AbouSeifeinea dit : Montrez-moivotrefils,L'enfantserapourvous,pourmoiseral'offrande.Il envoyacherchernotrepetit qui marche.L'enfantrestepourvous,maisla fêteest pourmoi.

V. L'AVARE.

Il visitale saint sansvendresonchameau.Sonargentde poche,Dieule lui donna.

1.Coupesolennelledespremierscheveuxdel'enfant.Ontrouveraplusloinuneétudedétailléesurleziana.

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Il visitale saintsansvendresongrandbuffle.Pourargentdepoche,il avaitdegrossespiècesdemonnaie.Il visitale saintsansvendrenimoutonni chèvre.Poursonargentdepoche,il a despiècesparcentaines.

VI. LE MARCHANDDEVIN.

Eh! le marchanddevin! disdonc,mononcle,AbouSeifeineest surun grandchameauet vient.Il te corrigerasanspeur! Il est sévère.Eh! lemarchanddevinquiversesauxclients,AbouSeifeinevient,montésurun haghine1,Il te corrigerasévèrement,prendsgarde!

VII. LEDÉPART.

Accepte,AbouSeifeine,le cadeauquenoust'avionspromis.Heureuxceluiquirevientdu pèlerinagedecemartyr.

i. Chameaudecourse,chameauderace.

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III. COMMENT FUT REBATI LE

COUVENT DE SAINT PACOME.

Les hagiographesrapportent que Pacôme, né vers 292dans la Haute Egypte, fut enrôlé à vingt ans dans lescohortesromaines.Or, il y avait, en ce temps-là,à Thèbesunsolitaire,Palémon,dont lesvertuschrétiennestouchèrentle jeunesoldat,qui vint lui demanderlebaptême.Cene fut

qu'aprèsde longueset duresépreuvesqu'il l'obtint: en 325,le discipleet sonmaître bâtirent unecellulesur lesbordsdu

Nil, à Tabène, où Pacômes'installa, tandis que Palémon4retournait vers la solitude et de nouvelles macérations.

Bientôt, grâce au prosélytisme de Pacôme, Tabène se

peupla de religieux.Cefut d'abord Jean, son frère, qui le

rejoignit,puisd'autres encore,qui, par groupesde trente ou

quarante, couvrirentla Thébaïdede pauvresmaisonsdans

lesquellesils observaientles vertus les plus austères et se

soumettaient à la directionde Pacôme.Saint Antoine luiavait confiéson autorité avant de s'enfoncerdans le désertoù il devait mourir en 356, le reconnaissant comme un

successeurdignede continuerla tâche qu'il avait commen-cée.Aussi,saint Pacôme,qui mourut en 468, est-il consi-déré avecsaint Antoinecommel'un des grands fondateurs

d'ordresmonastiques.

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38 LALÉGENDEDORÉEDE LOUQSOR

LesCoptesde Louqsor,genssimples,pieuxet paisibles,se font aujourd'hui une idée tout autre du bon Amba

Bagoûme,leur protecteur local, leur intercesseurnaturel

auprès de Dieu. Ce n'est point pour euxun saint quel-conqueet sans puissance.Au milieu des joies célestes,iln'oubliepaslesdescendantsdeceuxqu'il édifiajadisparseshautes vertus: il est sans cesseauprèsd'eux, les dirige,les consoleet ne dédaignepar de guérir leurs bestiauxmalades: le bon saint est un grand guérisseurde buffleset de bœufs,et lescuresmiraculeusesqu'il opèrepresquechaquejour assurentau deirAmbaBagoûme(couventdesaint Pacôme),près de Louqsor,d'assezbeaux revenus.Cecurieuxmonumentn'est pas vieux: il n'y a pas encore

quatre-vingtsans qu'il remplaçaun autre beaucoupplus#ancien,détruit depuistrès longtemps.

Je traduis presquelittéralementce qui m'a été racontéau sujet de la reconstructionde ce couvent. Je ne me

permettraispas d'inventerquoi que ce soit.D'aucuns m'ont dit que saint Pacôme,vers 1840,le

3 mai, jour de sa fête onomastique,demandaet obtintde revenirlui-même,en personne,à Louqsor,pour vaquerà desoccupationsterrestres,et voicique,soudain,lesbœufsdu bon musulman Abdallah Gohar disparurent. Il lesavait pourtant bien attachés tous quatre aprèsdesricins,et chacunsait qu'un honnêteruminantde Haute Egyptese garderaitbien de tirer sur sa longe,par simplecrainted'arracher l'arbrisseau. Abdallah, tout ébaubi, regardaautour de lui. C'était l'époquedela moissonet, dans les

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S.LEMAITREDUCHAMPLj^^SI^jjflANGER

LESCHAUMES(p.39).Phot.del'auteur.

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Phot.Simon.9-10.NOUSNELESAVONSPASVUS,ÔMONPÈRE.,.NOUSNESAVONSOUILSSONT,ÔMONONCLE.(p.39).

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LE COUVENTDE SAINTPACOME 39

champs,leshommescoupaientlesbléset lesorgesavecleursfaucillesaux dents de scie. Ils chantaient le vieux refrain

que leurs ancêtres pharaoniques composèrent voici dessièclesde cela:

0 disquerougeoyantdescendsversla montagne,Car tes rayonsbrûlantsdardentsur notrecou.Combienil seraitdouxde reposerà l'ombre,Maisil faut travailler.Moissonnonsnosgrandsblés.

Les gerbes s'amoncelaient,et un chameauattelé à côtéd'un bœuf faisaient tourner le hache-paille,père des mon-ceaux de tibn (paillehachée).

Derrièreles moissonneursvenaient lesgrêlesfillettesaux

galabiehs bleues,menant leurs chèvres à la pâture, et les

hommesreprenaient l'autre vieillechanson:

Jeunefillejolieainsiqu'unegazelle,Entre danscegrandchampavectes chèvresbrunes.Carle maîtredu champlaissemangerleschaumesAuxanimauxdespauvresgens.Tu peuxentrerici.

AbdallahGohar s'enquit de ses bœufs égarésauprès des

oergèreset desmoissonneurs.Celles-cirépondirent: «Nousne les avons pas vus, ô mon père », et ceux-là ajou-tèrent : «Par Dieu qui nous entend, nous ne savons où ils

sont, ô mon oncle! »

De champ en champ, l'inquiet Abdallah s'en fut, qué-rant ses bestiaux et ne les trouvant point. Il était près de

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40 LALÉGENDEDORÉEDE LOUQSOR

midi, il faisait chaud, des buées flottaient au-dessusdu

sol,laissantparaître, en mirage,des flaquesd'eau auprèsde notre homme assoiffé,qui, tout en cheminant, étaitarrivé aux confinsdes terrains de culture et du désert.Très loin, vers l'est, se dressaient les trois beaux pics duGebel Fatirah.

Abdallaheut soudain la sensationqu'il était suivi et,craintif commetout bon fellah,médita de s'enfuir, appré-hendant quelquevoleur; puis,songeantqu'il ne possédaitrien d'autre que sa galabiehet son turban, il se retourna le

plus bravement qu'il put et trouva devant lui un homme

grand,à la mineaustère,dont la longuebarbeblanches'éta-lait sur une longue tunique plus blanche encore. Son

aspectamènerassuraAbdallah,qui, enbonmusulman,dit àl'inconnu: « Le salut sur vous, la miséricordede Dieu etses bénédictions! » Ce à quoi celui-ci,au lieu de dire :«Aleïkoumas'salam(Survousle salut)»,répondit: «Naha-rek saïd,ia AbdallahGohar» (Queton jour soit heureux,ô AbdallahGohar).D'où celui-ciconclut que son interlo-cuteur était chrétienet qu'il le connaissaitpar son nom.Mis en confiancepar ce dernier détail, notre hommedemandaau nouveauvenus'il n'avait point vu sesbœufs,— Non seulement,repartit celui-ci,j'ai vu tes bestiaux,mais, encore,je sais mêmeoù les cachecelui qui te les avolés. Je t'indiquerai cet endroit et, de plus, je t'offriraiune récompensesi tu me rends le service que je vais tedemander.

En entendant parler de récompense,Abdallah, en bon

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II.CHAMPMOISSONNÉ. 12.DANSLESCHAUMES.

13.TROUPEAUXPAISSANTLESCHAUMES.%?

14.CUISINEASAINT-PACÔME.Phot.del'auteur.

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LE COUVENTDE SAINTPACOME 41

5

paysan thébain, baissa la tête, non point de confusion,mais afinqu'on ne put voir cequ'il pensait d'après l'expres-sion de son visage.C'est le fin du fin de la diplomatie des

gens d'ici.

Soudain, notre homme tressaillit, se retourna brusque-ment et s'enfuit, courant à perdre haleine, car, mourantde peur, il venait de constater que le corps de l'inconnune projetait point l'ombre sur lesol !

Celui-cicourait cependant après lui, criant qu'il n'étaitni un afrite (revenant),ni un mauvais génie et, quand ileût enfin rattrapé Abdallah, il lui déclara incontinent

qu'il n'était autre que le vénérable Pacôme lui-même,

que c'était par la volonté de Dieu qu'un tel avait volé sesbœufs et les avait cachésen tel endroit, et tout cela afin

que lui, Abdallah, vint jusqu'à l'endroit où l'attendait lesaint chrétien.Depuis de longuesannées,il voulait que sonanciencouvent fût rebâti là, et c'était encorelui, Abdallah,

qu'il chargeait d'aller annoncer cette nouvelle aux tribus

coptes des Ciars et des Sabbabgahde Louqsor, afin qu'ilsrassemblassent au plus tôt l'argent nécessaire pour saconstruction. Puis saint Pacôme alla jusqu'à une meulede paille hachée (tibn), en remplit sa blanche tuniqueet, jetant le tibn sur le sol, traça le plan de l'édificefutur.

Abdallah, rassuré, se chargea volontiers de la commis-

sion, mais, auparavant, demanda quelle serait sa récom-

pense.— Celleque tu voudras; je te l'accorded'avance.— Danscecas,je désireque, lorsquele futur couventsera

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42 LALÉGENDEDORÉEDE LOUQSOR

édifié,tous les Coptesqui se marieront me donnent le len-demainde leursnocesun coq, deux pouleset deuxmeddins

(environ20 centimes).Saint Pacôme eut, paraît-il, la mine toute réjouie en

entendant la modeste requête d'Abdallah; alors, celui-ci,redevenant méfiant, demanda des garanties,et le bon et

prévoyant Pacôme lui dit que si,par hasard, un coupledenouveauxmariés refusait d'acquitter son tribut, il lui pro-mettait, tout saint miséricordieuxqu'il fût, de faire entrerdès le même jour les sept péchés capitaux dans le jeuneménage. Abdallah Gohar trouva la garantie suffisante,quitta Pacôme, alla à l'endroit indiqué où il reprit ses

quatre bœufs, maudit le père et la mère de son voleur,ainsi qu'il est d'usage et, enfin, arriva à Louqsor, où il

s'acquitta de sa commission.Les Coptes, admirant les voies miraculeuses qu'avait

prises le bon saint pour leur manifester son désir, se ren-dirent en foule à l'endroit où Pacôme avait converséavec

Abdallah, retrouvèrent le plan tracé avec le tibn; ils le

repérèrentaussitôt, pensant que le moindresoufflede ventenlèverait la paille légère. Il n'en fut rien, car elle étaitdevenue plus lourde que plomb et c'est surelleque furent

poséesles fondationsdu couvent actuel.

Cependant,AbdallahGoharétait retourné à ses occupa-tionsordinaires,attendant que le momentde la récompensearrivât, c'est-à-dire qu'un mariage fût célébré. Il vint, ,naturellement, bientôt, et dès le lendemain de la céré-

monie, de bon matin, il s'en fut frapper, au nom de saint

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LE COUVENTDE SAINTPACOME 43

Pacôme, à la porte des nouveaux époux, auxquels il

réclama deux coqs,quatre poules et quatre meddins, enleur promettant la protection de son saint ami. Celui-cin'eut pas à déchaînerles sept péchés capitaux ce jour-là,ni lessuivants.Et, pendant plus de cinquante ans,Abdallah

frappa, chaquelendemainde noce,à la porte desnouveaux

mariés, réclamant et recevant ses volatiles. Quant auxmeddins, on les avait remplacés par des piastres et, aubout de quelquesannées,leur valeur primitive n'était plusconnue. Abdallah l'avait soigneusementoubliée; il finit

par assurerqu'elleétait de cinq piastres (r fr. 25environ),ce qui, sommetoute, lui assurait une jolie redevance parmariage copte de Louqsor ou des environs. Il était gai,bon homme, aimant à conter sa rencontre avec le saint

local; l'habitude vint de l'inviter aux repas des lendemainsde noce, puis à celui du jour même. Il vécut ainsi jusqu'à

1900,puis mourut, laissant deux enfants,qui gardent pré-cieusementla tradition paternelle et vont, à tour de rôle,réveillerles jeunes mariés au nom de saint Pacôme, fon-

dateur des ordres monastiques et protecteur naturel de

la Thébaïdeet de ses habitants.

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LA GESTE

DE YOIJSEF ABOU 'L HAGGAG

PATRON DE LOUQSOR

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LA GESTE DE YOUSEF ABOU'L HAGGAG

En entreprenant de réunirlesdocumentsquipermettrontpeut-être à d'autres d'écrire un jour l'histoire authentiquedu bienheureux cheikh El Saïd YousefAbou '1Haggag,j'étais loin de me douter des difficultésque je rencontreraisdans ces recherches,qui auront, quoi qu'il arrive, le faiblemérite d'être nouvelles.

Ici, tout le monderévèrelepatron musulmandeLouqsor,mais peu de ses fidèlesconnaissentson origine,sa vie, sesactes et paroles mémorableset les légendesqui s'attachentà son nom.

J'ai dû quémander, un peu partout, des renseignements,consulter des livres de piété, écouter des légendes,en éli-miner dans le nombre qui étaient puériles, en garderd'autres dont la naïveté décèlela bonhomiedes indigènes.Tel récit, qui me fut donné comme historique, n'était

qu'une légende; parfois j'ai côtoyé l'histoire au momentle plus inattendu. Les livres que j'ai consultés sont endésaccordcontinuel.

Grâce au sous-préfet de Louqsor (mamourmarkaz),S. E. Hassan bey Tewfikhed Digouï,j'ai pu obtenir d'undes descendants du cheikh Yousef Abou'1 Haggag unextrait de la chronique authentique de la famille des

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48 YOUSEFABOU'L HAGGAG

Haggaghieh,dont Yousef,notre héros,fut une desgloires.Un autre des descendants,Ibrahim el Gorachi,a aussi

puisé dans ses archives d'autres renseignements,qu'ontrouveraplus loin.

Je n'ai pu, cependant,obtenir de ces deuxbraves gensde consulter moi-mêmechroniqueet archives,qui, vrai-

semblablement,fourniraient des documents intéressantsà quelquearabisantde carrière.Je n'ai pu, nonplus, pho-tographier la série des saintes tombes placées dans la

mosquéed'Abou '1 Haggag.Respectant infinimentles croyances et coutumes de

tousceuxaveclesquelsj'ai vécudéjà plus de vingt années,

je n'ai pas voulupousserla curiositéjusqu'à une indiscré-

tion qui aurait pu leur être pénible.Lelecteurvoudrabientenir comptedecette façond'agir

quandil constateraque,dans ce que j'intitule un peu pré-maturément : La Gestede YousefAbou'l Haggag, j'aitraduit ou rapporté ce que j'avais lu ou entendu sans

prendreà tâche de recoudreensembleles piècesdisparatesqui la composentaujourd'hui.Ellesne/formentainsiqu'unrecueild' « histoires» qui descendentde la chroniqueaux

simplesbavardages d'un maçon ou d'un barbier.C'est,

peut-être,cequi en fera l'intérêt prèsdu lecteur, auqueljerapporterai, le plus fidèlementpossible, ce que j'ai puapprendresur le grand saint musulman,qui, du haut duvieux templed'Amon,protègesa bonneville de Louqsor.

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15.LAMOSQUÉEP'APOU'LHAGLETEMPLEp'AMONALOUQSOR,Phot.Lekégian.

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I6.LECHEIKHABDELMOÙTY. 17.LECHEIKHMOHAMMEDMOUSSAELHAGGAGHIEH.

18.MAKHMOUDEFFBNDIAKHMED.Photdel'auteur. 19.MINARETSETCOUPOLEDELAMOSQUÉE.

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LE PATRONDE LOUQSOR 49

- - -6

I. HISTOIRE DU BIENHEUREUX, RÉDIGÉE PARLE CHEIKH ABD EL MOUTYEL HAGGAGIDE

LOUQSOR(MAI 1913).

S. E. Hassan bey Tewfikh ed Digouï m'a demandéde résumer l'histoire de mon ancêtre très vénéré, SidiYousefAbou '1 Haggag, fils d'Abd er Rahim, fils d'Issa,qui vécut saintement, afin que M. Legrain, directeur destravaux du Service des Antiquitésà Karnak, la puisseconnaître et ajouter ce résumé au volume qu'il prépareactuellementsur l'histoire de Louqsor.

S. E. Hassan bey Tewfikhed Digouï ayant insisté à

plusieurs reprises sur l'utilité du résumé qu'il m'avait

demandé, je l'ai composéen tout respectdes documents

que j'ai consultés, car il est aussi louable d'être ver-tueux et savant que de respecter les vieux écrits. Jel'ai fait d'autant plus volontiers qu'il me semble qu'ilest utile et profitablepour tout le mondequ'une histoiredes temps passés soit écrite. C'est pourquoi j'ai consultéle vieux livre contenant la relation véridiquede l'histoirede ma famille,qui m'a été transmisepar feu mon père, le

professeurEs saïdAbdel OuarèsAhmedGebril.L'histoire de notre famille remonte jusqu'à Saïdna

Hossein.

J'ai copié ce qui suit, souhaitant que M. Legrain endonne une traduction exacte et je déclare,d'ores et déjà,que je ne suis pas responsabled'une traduction qui neserait pas conformeà ce que j'écris.

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50 YOUSEFABOU'L HAGGAG

Un de nosancêtres,Abiel Iz Ismaïla écrit:«-Parrespectpour l'histoireet pourle documentqueje

résumeici,je n'insisteraipassur lesraisonsquipoussèrentEl Haggag,fils de Younisel Chafeï,à quitter le Hedjazà l'époqueoù tous lesnoblesde cette contréeétaientobli-

gésdes'expatrierdansdesvilleslointaines.Voulantgarderle souvenirde tout ce qui s'est passéet le nom de mesancêtres, pour le transmettre à mes descendants,j'aicommencéce livre où j'ai consignéles originesde notrefamille.Notre illustreancêtreest notre seigneurHossein,

qui épousala fillede Notre ProphèteMohammedsur quisoit la bénédiction.J'ai ordonnéà mon fils Akhmeddecontinuercetterelationet de transmettrecette tâcheà sonfilsdès qu'il aura dix ans. »

Cetordrefut fidèlementobéi jusqu'au tempsd'Es SaïdYousefAbou'1 Haggag,qui s'yestconforméet aécrit à sontour dans notre livre:

« QuandNotre Seigneur,en l'an 619, nous fit quitterBagdadpour le Hedjaz,je partis vers La Mecque,moietmes quatre fils, qui étaient Abd el Ati, Abd el Mouti,Aïtallahet El Hag,ainsiqu'AbdelAti,filsd'Abdel Kerim,mon frèreen religionet Saïdel Habachi(l'Ethiopien)quiétait mon esclave.

»Nousarrivâmesà La MecqueoùmonfilsAïtallahmou-rut. Sontombeauestà El Maallah.Nousdemeurâmesunanà La Mecqueoù nousconnûmesAbdel Haïm el Achgar,filsde Fahd et ses troisfrèresMohamed,Khalifaet Emir,et ses cousinsHegazi,Ammar,Mazyoumet Zayan,neveu

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LE PATRONDE LOUQSOR 51

de Fahd, de la familledesGorachiqui descendde Hakhem.»Nousvivionsen bon accord, et quand nousvoulûmes

partir pour l'Egypte, ils nous accompagnèrentainsi qued'autres nobles de La Mecque qui avaient les mêmesancêtres.Ceux-làétaient Yahia,filsde Moubarek,Moham-med, fils de Mansour,et Ahmed,son frère.

» Nous entreprîmes ce voyage parce qu'on nous avait

appris que l'Egypte est un bon pays et que des tombesdenos aïeuxse trouvaient à Mansourah,au Marget au Caire.

» Nous sommespartis. Il y avait avec nous quelquesnoblesde la tribu desBenielAbbas,nommésIbrahim,filsde

Hamza;AbdelMoneim,filsdeHachem;d'autresqui étaientde la tribu des Beni Mouçael Khazim el Hosni nommés

Hossein,filsde Hamed, el Ibrahim,filsde Ahmedet, enfin,trois Arabes de la tribu des Azir qui s'appelaient Abd el

Mifid,Abd el Goud et Nazir Hakim, fils de Migallid.»Nous arrivâmes à Médinela Minawaraoù nous avons

visité le Père et le Maître des premierset des derniers—

que la bénédictionde Dieu soit sur lui à tout jamais —

notre grand Père Mohammed.» Là, nous rencontrâmesbeaucoupd'Arabesde Gahina,

parmi lesquelsétaient lesnommésAbdallah,filsde Moham-

med; Eïd, filsde Chabaan,et son frèreAbder Rahmanet,aussi,Abder Rahman, filsde Abd el Aziz.

» Ils nous accompagnèrentjusqu'à Mansourahoù nous

demeurâmes plusieurs jours et fîmes la connaissance

de nos cousinsgrâce à quelquespersonnesde notre pays

qui les connaissaientdéjà depuis longtemps.

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52 YOUSEFABOU'L HAGGAG

»Cesparentsnousdonnèrentdesterrainsà Mansourahetau Marg,espérantquenousnousinstallerionsauprèsd'eux,mais,quelquetemps après,nouspartîmes pour la Haute

Egypte où le bon Dieu nous a comblésde sa générosité.»Nous sommespartis, moi et mes trois filset Abd el

Naïmet sesfrèreset sescousinset lesnoblesdestribusdesBeniel Abaket desBeniMoussaelKhazim.LesArabesdeAsiret de Gahinaétaient avecnous.Quelques-unsd'entreeuxs'arrêtèrentà Beni Souef,à Assiout,à Girgeh,à Qous;lerestepoursuivitjusqu'àlavilletrès antiquedesChâteaux

(El Ouqsoreïn)dans le quartier sud de laquelleje m'éta-

blis,moi,mestroisfilsainsiqu'Abden Naïm,ses frèresetsescousins.

»C'estlà quemonfilsAbdelMoutimourutet fut enterréen l'an 621au tempsdu roi de Fath, Nazireddin Moham-med.

» C'esten l'an 635que j'ai montréle mémorialde notrefamilleà mesfilsEl Hag et Abdel Ati, les exhortant à leméditeret à le continuerainsique l'avait fait notre aïeulAbi el Yz Ismaïl à sonfilsAkhmed.»

Le cheikh YousefAbou'1 Haggag mourut en l'an 643de l'Hégire.

SesfilsAbdelMoutiet El Hag avaient épousélesdeuxfillesd'AbdenNaïm.QuandAbdelAtimourut,onl'enterraderrièrele tombeaudesonpère,le cheikhYousoufAbouel

Haggag.El Haggfut enterréderrièreAbdel Ati el l'autreAbdel Ati, filsd'Abdel Kerim,non loinde là, prèsde ses

pieds. Il y a aussiune esclavequi est enterréeprès de sa

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LE PATRONDE LOUQSOR 53

tête et, enfin,une femmecopte qui se convertit à l'Islam

reposeplus au nord près de la tombed'Abd el Mouti.

Signé: ABDELMOUTIABDELOUARÈSELHAGGAGI.Le 27 Gamadael Aoualde l'an 1331l.

II. LE TAOUALÉES SAID.

Il existe, à Louqsor,un marchandde vaisselle,nomméIbrahim el Gorachi,qui, commela plupart des commer-

çants de la rue de la Sous-Préfecture(Sharia el Markaz),appartient à la tribu desHaggaghieh,cequi veut dire qu'ilest un des cent soixante-deuxdescendantsactuels du bien-heureuxcheikhYousefAbou'1Haggag,patron deLouqsor.

Cethommegardeprécieusementchezlui, dans une pièced'accèsdifficile,une bibliothèqueoù,dit-il, sont accumulésdes centainesde manuscrits,archivesde sa famille.Parmi

ceux-ci,l'un d'eux est célèbre et chacunle cite avecvéné-ration sans l'avoir jamaisvu : c'est le Taoualées saîd (leslueurs des manifestationsdivines dans la Haute Egypte)qu'un des ancêtresdu Gorachi,un anciencadi de Louqsor,calligraphiade sa plusbellemain.Voicice qui y est relatifà notre héros:

« D'après leTaoualé essaïd, le bienheureuxYousef,fils

d'Abd el Rahim ibn Ghazzi,naquit à Bagdadoù son père

remplissaitles fonctionsde cadi. Très instruit, très pieux,Yousefdésirait faire le pèlerinagede La Mecque.

1.Cettedateéquivautaudimanche4mai1913.

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54 YOUSEFABOU'L HAGGAG

» Cefut en cette villesainte queYousefrencontra quel-ques-unsde ses parents qui étaient fixés à Mansourah.Ceux-ci lui conseillèrentde venir s'établir en Egypte.Yousef,suivant leur conseil,s'acheminavers les bordsduNil avec un certain nombrede membresde sa familleetde nombreuxdomestiques.

» Leoualid'Egyptelereçutaveclaplusgrandedistinctionet lui offrit deux mille feddans de terrain sur lesquelsilétablit sa gens.Cespropriétéssont sisesà Louqsor,Kar-

nak, Qous,Hagaza,Essarat, Aoualad Amrah et en quel-quesendroitssituésentreAssioutet Beni Souef.Ellessont

désignéessousle nomde «terrainsdu fakyr Yousef».» Yousef,étant premierministre, fit merveillesen ces

fonctions.Il visita toute l'Egypte, mais Louqsor,où ses

parents de Mansourahgouvernaienten son nom, Louqsorétait sonpaysdeprédilection.Il y fitbâtir samaisonparmiles colonnesdu temple d'Amon.C'est là où il mourut etfut ensevelil'an 642de l'Hégire(1244del'ère chrétienne).»

III. LE MIRACLEDE L'EAU.

C'est au pèlerinagede Yousefà La Mecqueque doit serattacher la légendesuivantequem'a contéelebon Moham-medMohasseb,le vieuxmarchandd'antiquitésde Louqsor,un soir où je lui demandaispourquoi le cheikh Yousef

s'appelait plus habituellementAbou '1 Haggag.«Cefut, m'a dit MohammedMohasseb,pendant sonpèle-

rinage de Bagdadà La Mecqueque Youseffit le miracle

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LE PATRONDE LOUQSOR 55

éclatant qui lui valut le surnom de Abou'l Haggag (lePère des Pèlerins).

» La route est longueentre cesdeuxvillescélèbresdanstoute la terre. Le trajet dure quarante jours. Or, il advint

que l'eau manqua à la caravane. Seul Yousef portaitencore une gourde pleine d'eau à sa ceinture. Ceux quiallaient mourir de soif la lui demandèrent à grands cris

pour l'amour de Dieu. Yousefécouta cesplaintes qui, peuà peu, devenaientdes râles,pria longtemps,puis, soudain,il donna la gourde où se trouvait l'eau qui pouvait luisauverla vie.Et voiciquela gourde,semblableà unesource

intarissable,laissa couler tant et tant d'eau que non seu-lement les caravaniers,mais encoreleschevaux,lesânesetles chameaux de selle et de bât purent se désaltérer et

que mêmedes fleurssurgirent du solbéni qu'avait rendufertile Teaumiraculeuse.

» La foulebénit Allah et son élu, lebienheureuxYousef

qui, désormais,fut salué du titre de Père des Pèlerinsetc'est depuis cette époque que YousefAbd el Rahim futconnu sousle nom d'Abou '1Haggag.»

IV. LE CHEIKH ABOU 'L HAGGAG

D'APRES LES AUTEURS.

Dans ses Conseilssur différents sujets coraniques,le

professeurAbilmaarefparle avec érudition de la famille

noble des Haggaghieh, que plusieurs de ses membres

illustrèrent par leurs talents et leurs éminentes vertus.

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D'après cet auteur, les Haggaghiehse rattachent à lafamillede Saïdna Hossein,fils d'Ali, le gendre du pro-phète Mohammed.Le plus ancien des Haggaghiehdontl'histoireait retenu le nom est le bienheureuxMohammedGamalEddine surnommé Abou'l Haggagel Ouqsorifilsde Neghmeddineel Haggag,filsde Younisel Ghazzi,quimourut à Louqsoren l'an 642de l'Hégire (1244de l'ère

chrétienne).D'après Abilmaaref,c'est ce personnagequi, sous le

nomde YousoufAbou7Haggag,est considérépar les habi-tants de Louqsoret des environscommeleurpatron local.

Ses descendantsfurent son filsNeghm Eddin Akhmed

qui mourut en 680, père de Gamal Eddin Mohammedmort en 696.

Ces trois saints personnagessont enterrés et vénérésà Louqsor.Leurpostérité est très nombreuseet la plupartdesmusulmansdecette villeassurentêtre desdescendants,

plus ou moinsdirects, de YousefAbou'1 Haggag et font

partie de la puissantefamilledesHaggaghieh.Le représentant le plus illustre des Haggaghieh est

actuellement le Saïd Yousef auquel revient le droit,transmisdegénérationengénération,degarderla mosquéeoùsesancêtresdormentleurderniersommeil,c'est-à-direlebienheureux Yousef Abou '1 Haggag, ses enfants et laBint el Kaisar Tarzah (Tarzah, la fille des Césars), son

épouse.SelonAbilmaaref,il ne faut pas confondreMohammed

Gamal Eddin, autrement dit Yousef Abou '1 Haggag

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LE PATRONDE LOUQSOR 57

patron de Louqsor, avec le bienheureuxYousoufAbou '1

Haggag,frère du précédent,qui partit de Louqsoren 653et mourut au Caireen 670.Nousretrouveronsplus loincet

important personnage.SidiAbd el Ouab el Charani, l'auteur du livre intitulé :

LesOuverturespar lesquellespassela lumière,ainsiqu'AbilMaaref,ont recueillidenombreuxfaits concernantMoham-med Gamal Eddin Abou '1 Haggag qui, dorénavant, neseraplus désignéque sousle nomde cheikhAbou'1Haggag(leSaint Père des Pèlerins).

Ils rapportent que l'historien Abou '1 Abbas — quiconnut le cheikh Abou '1Haggag— après avoir affirmé

sa descendancede la famillede Saïdna Hossein,ajoutaitqu'il était de haute taille et que ses yeux vifs et perçants

paraissaient parfois plus hauts que ses sourcils.Dans sa

jeunesse,il fut l'élève du cheikh Abd el Aziz er Razek,le grand ami du célèbre cheikh Abimedin.Il était très

pauvre alors. Ses études terminées, il vint à Louqsoroù il commençaà professer. Ses débuts étaient difficiles,

quand il arriva qu'un certainémir,raillantAbou'1 Haggag,celui-ciinterrompit sa leçonet lui cria: «Tu as tort de te

moquer du pauvre hommeque je suis. Qu'es-tudonc toi-

même,sinon un baladin? »

Or, il arriva, peu de jours après,que l'émir fut disgracié,ruiné et réduit au métier que lui avait assignéAbou '1

Haggag.Alors,on reconnut que ce cheikhavait le don deconnaître l'avenir et sa réputation grandit soudain. Il

eut, désormais, de nombreux auditeurs, des élèves, des

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disciplesqui vénéraienten lui un saint vivant en même

tempsqu'un savant coraniste,pleinde bon sens,observa-teur pénétrant qui savait découvrir,dans un fait insigni-fiant pour tout autre que lui, une leçondont il tirait pro-fit pour son édificationpersonnelle,puis ensuitepour cellede sesauditeurs.

On lui demandait,un jour, quel était le cheikh qu'ilprenait commemodèlede vertu. C'est le cheikhScarabée

répondit-il.Commeil était très gai,on crut qu'il plaisan-tait, mais il continuaet racontacette histoire:

Voicibienlongtempsde cela,il m'advint, certain soir,

qu'étendusur ma natte, j'attendais en vain le sommeilAinsique d'habitude,une lamped'argile,placéedans unretrait de la muraille,brûlait toute la nuit. Je priais, jepensais,quand,soudain,j'aperçusunpauvrescarabée,tout

petit et tout noir, qui, voyant la lueurde la lampe,plutôtque de s'envoler,voulaitgrimperverselle.Il grimpa,puistomba,carlemurétait lisse; il tomba sur le dos et c'est

aprèsmilleeffortsqu'il put se retourner.Alors,il regardala lampe,revintaupieddu mur,grimpaencoreet retombade nouveau.Et, durant toute la nuit, l'insecte, sans se

décourager,redoublad'effortsinutilespour atteindreà la

lampedont la lueur l'attirait. Je pensais: « cet insecteest fou» et, pour m'occuper,je comptaile nombre de

ses tentatives.Septcents fois, vous entendezbien, septcentsfois,il tombaet septcentsfoisil revintà la muraille

pour grimperde nouveau.» L'aube arrivaet, entendantle mouezzinappelantà la

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LE PATRONDE LOUQSOR 59

prière du faghr, je sortis et priai. Quand je rentrai, je mesouvins du scarabée. Je le cherchais,pensant le retrouver

grimpant encore ou, las, tapi dans un coin,quand, tout

près de la mèchequi grésillaitdéjà, je le découvris,paisibleet triomphant qui, de ses gros yeux noirs, contemplait lalumière qu'il avait tant cherché à voir durant toute lanuit.

» Il y a là une leçonque j'ai compriseet que vous devezaussi comprendre.»

Un autre jour, Abou '1 Haggag racontait que, dans sa

jeunesse,il pensait sans cesseà la phrase La illah il allah,« il n'y a pas d'autre dieu que Dieu ».

« Je me demandais qui était Dieuet m'écriais: «C'est» Allah-le-plus-grand! »quand j'entendis en moi une voix

qui disait: «C'est moi qui suis ton propre Dieu, car si je» te dis : «j'ai faim»,tu me nourris; quand je suis fatigué,» tu me fais dormir; quand je veux me déplacer, tu me» fais marcher; quand je veux entendre, tu me fais écou-

» ter, et quand je hais un homme, je te le fais tuer. Ainsi,» c'est à moique tu obéis,c'est moi ton seulet vrai Dieuet» tu es mon esclave.»

« Je restai longtempsà écouter cette voixqui s'élevait en

moi, puis, dans le Livre, je cherchaiqui elle était et voici

que je trouvai ce que je devais lui répondre: « Refuse à» celui-là qui veut te commanderpour comprendresa fai-» blesseet s'il te dit : «j'ai faim», jeûne; s'il te dit : «je» veux dormir», veille; s'il te dit : «je veux me déplacer»,» demeure immobile; s'il veut entendre, n'écoute pas, et

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»s'il veut tuer, dis-lui: tu ne tueras pas! Réagiscontre» toi-même,contrel'instinctqui est en toi et tu aurasune»couronnede gloire.»

Le bienheureuxAbou '1 Haggagavait accoutumédedire: «Si quelqu'unme cherchede bon cœur, amenez-le-

moi, il sera mon ami; mais, s'il en est autrement,qu'ilreste où il est, il fera mieux.»

LecheikhYaîchibnMakhmoudaimaità raconterqu'unjour, de bon matin, accompagnédu cheikh Gallini esSekhaou,il allait fairevisiteau bienheureuxAbou'lHag-gag lorsqu'ils rencontrèrent un débauché, surnomméGadous1,qui se joignità eux.Arrivésà la porte,ils s'assi-rent toustrois,attendantleuraudience.Bientôt,un domes-

tiquesortit et invitalesdeux cheikhsà entrer,tandisqu'ilreprochaità Gadousd'oser faire visite à son maître sanss'être purifiéaprès l'orgie d'où il sortait. Les visiteurs,admirantle dondivinatoired'Abou'1 Haggag,pénétrèrentjusqu'à lui et le trouvèrent,aimableet gai, étendusur undivan.Il voulutbienexcuserGadousdont lesdeuxcheikhsYâ îch et Gallinifirentl'apologiedansune improvisationjustementdemeuréecélèbreet dont notre adaptationne

peut querésumerle sens,maisnonrendre le charme:

Vouspréférezceluiqui,suivantvotreexemple,Atravaillélongtempset conquisla sagesse.Hélas! notreGadousest aujourd'huibrisé,

i. Gadous,potsservantà éleverl'eauet accrochésenchapelet,surlesdentsdesroueshydrauliquesappeléessaquiehs.Gadousiciest em-ployécommesurnomd'univrogne.

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Il n'est plusque tessons,lui quifut tout entier.Sivousdaigniez,pourtant,il pourraitse refaire,Soudainse rajeunir,verdirtel un printemps!

QuelmalheurpourGadousqu'ilneseraccommode!Leslarmesde sesyeuxcoulentparsa fêlure,Ildescendcommeun potduhautdesapoulie.Attachez-led'un câbleou biende fortescordesOude milleliens: vousl'attachezenvain.Gadousne peut flotter,il va coulerà fond.

Unecordeà soncolne pourraitplusrienfaire,Il est tout abîmé,déjàvieux,en déclin:

QuandlesautresGadousflottenttousdevantlui,Il restedanssoncoin,n'étant pluscequ'ilfut.

Abou '1Haggag entendit les vers, se leva soudain dudivan et, à grands pas, arpenta la pièce de long en large,

songeant,et, tandis qu'il murmurait: «Il faudra encorebiendes annéespour que tout ce qui peut plaire à Dieu soit

accompli», les trois visiteurs, respectant sa rêverie, sor-tirent en silence.

El Saïd Abou '1 Haggag mourut, nous l'avons déjà dit,au moisde Raghebde l'an 642de l'Hégire (1244ap. J.-C.)

plein de jours et de gloire.A cette époque,les décombresavaient envahi le temple

d'Amon de Louqsor et montaient jusqu'aux trois quartsdes colonnesédifiéespar Ramsès II. C'est non loin des

obélisquesfameux, à l'ombre du grand pylône, au milieu

des colonnes en bouton de papyrus qu'Abou '1Haggagfut enseveliet que s'élevala mosquéequi porte sonnom.

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Lorsque le bienheureux Mohammed Gamal Eddin

mourut,en 642de l'Hégire(1244de J.-C.),il laissait,outresonfilsNeghmEddin Akhmed,unfrèrevraisemblablement

plus jeune que lui, nomméYousoufAbou'1Haggag,quiparaît avoir été sonplus fidèlediscipleet le continuateurde son œuvrependantonzeans.

L'auteur de l'histoiredes Andalisrapporte,en effet,quec'est en 653que le grand professeur,le vieuxpère de lafamilledes Haggaghieh,l'imamdu rite chazliehse renditau Caireoù l'avait appeléEl MalekEzzeddineel Moa'zzIbek el Tourkomani qui, après mainte aventure, querapportentleshistoriens,épousala fameusereineChegeretel Dorr et qui,depuisl'an 648(1250),gouvernaitl'Egyptesinondenomau moinsen fait.

Le roi reçut YousoufAbou '1Haggagavecbeaucoupd'honneuret lui confialesplus hautes fonctions.Il devinttout puissantsousles nomsde Abd el Azizel Makhnietde Khalilibn Neghmed Dineel Haggag.

Toutefois,YousoufAbou '1 Haggag, après un pieuxpèlerinageaux tombeauxde ses illustresancêtresSaïdnaHossein et Saïdah Zeinab, s'occupa particulièrementde fairebâtir au Caire,prèsde BabelBahr,unegrandeetbelle mosquéedans laquelleil fit préparer son tombeau.De grands bienswaqfsassurèrentla prospéritéde cette

mosquée dans laquelleYousouf Abou '1 Haggag passatoute la fin de sa vie, entouréde ses élèveset n'oubliant

pas ses parents de Louqsor. Il mourut en l'an 670 de

l'Hégire.Sontombeauest toujoursvénérédanssamosquée

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duCaire.Abilmaarefl'allavisiterencorele 13Zilhodjé1327

(26décembre1909),il y pria et fut heureux.

V. LÉGENDES POPULAIRES.

La jolielégendedu miraclede l'eau rapportéeplus hautest la premièrequi se rattache à la gested'Abou'l Haggag.D'autres vont suivre.

Les habitants deLouqsorse soucientfort peu de ce queAbilmaaref ou Sidi Abd el Ouab el Charani ont écritet publié sur leur patron local. J'ai pu constater qu'ilsignorent tout, oupeu s'en faut, de ce que ceslivresrenfer-

ment, mêmela leçondu scarabéeet la poésiesur Gadous.Ils acceptent volontiersce qui se trouve dans le Taoucilées Saïd, mais lui préfèrent la légendede l'eau et celledes

quatre magiciensqu'on lira plus loin.Le chef de la mosquée, Saïd Yousef et Mohammed

Mohassebles considèrentcommehistoriquementvalables.Par contre, la légendequi va suivre et que Mariette, lefondateurdu ServicedesAntiquitésdel'Egypte et l'auteurdu livret d'Aïda, semble avoir connue, n'a plus cours

aujourd'hui, alors qu'en 1898,quand je la recueillis,elleétait connuede tous. Ce fut un ânier trottinant derrièresa monturequi me l'apprit sur la route de Karnak.

Ainsila gested'Abou'l Haggagse modifiepeuà peu: sa

légendeest encoreen marche.Cellede 1898marque une

étape; cellede 1913en marque une autre. C'est donc àtitre documentaireque ces deux éditions, absolument

différentes,méritentd'être conservées.

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VI. LE CHEIKH YOUSEFABOU 'L HAGGAG.EDITIONDE1898.

Il y avait une foisun Pharaonchrétien qui régnait sur

l'Egypte et ce Pharaon était malheureux,car les guerresqu'il soutenait ne lui rapportaient que des défaites.Au nord, la Syrie était perdue et, au sud, les Barbares

(Blemmyes),révoltés contre sa domination,ne payaientplus leur tribut annuel de poudre d'or, de dents d'élé-

phant, d'esclaveset d'eunuques.Pharaonpleurait sans cesseet ses défaites et ses fils

qui, tous, y avaient trouvé la mort. Il était maintenant

trop faiblepour combattre encoreet la seuleconsolation

qui lui restât, l'uniquerejetonde son antique race, c'étaitsa fille,unejeuneviergevouéeau Christdèssanaissance,la

viergeTharzah.Or, un jour, un beau musulman et trois

compagnons,commeluinésauHedjaz,arrivèrentà Louqsoret ils apprirent que Pharaon pleurait toujours et ils ensurent bientôt la cause.

Le beau musulman,c'était Abou'1Haggag,uncapitainefameuxpar seshauts faits, sa minealtière et sa bravoure

incomparable.Il se rendit auprèsde Pharaonet luiproposade prendre

le commandementdes débris de ses armées,et commele

souverain,serattachant à cetteultimeespérance,luideman-dait ce qu'il exigeraitsi Dieu lui accordaitde triompherde ses ennemiset de revenir vainqueur,Abou '1 Haggagrépondit qu'il ne réclamerait qu'autant de terre qu'enpeut enfermerune peau de chameau.

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Pharaon,retrouvant un sourire,accorda,à l'avance,unesi singulièrerécompense.Abou '1Haggag,couvertdestro-

phées conquis sur l'ennemi, revint bientôt et réclamal'exécutionde la promessesouveraine.

Pharaon s'engagea de nouveau à la remplir. Alors,Abou '1Haggagprit une peaude chameau(d'autresdisentde buffle),la découpa en lanières minceset longuesqui,mises bout à bout, formèrentun grand circuit enceignantl'espace où est bâtie la ville de Louqsor actuelle.Abou'1

Haggags'en déclaraaussitôt possesseuret protecteurper-pétuel.

La légendeajoute que la fille du Pharaon,ayant vu, àtravers les moucharabiehsde sa cellule, revenir le beau

vainqueur,oublia ses vœux et l'aima soudain. Le héros

musulman,prévenupar le père, déclaraqu'il n'épouseraitla jeunereligieusequesi elleabjurait sa religionet embras-sait cellede l'Islam: celle-cile fit aussitôt et, pour cette

cause,Tharzah fut grandement honoréependant sa vie et

aprèssa mort.

Après avoir été durant de longues années la fidèle

compagned'Abou '1Haggag,auquelelle donna une noble

descendance,elle mourut et fut ensevelieauprès de son

mari, devenule saint patron de Louqsor.Bien auparavant, le vieux roi et son peuple avaient,

eux aussi, embrassé l'islamisme. Le père de Tharzahmourut et ainsi Abou '1Haggag devint le successeurdesanciens pharaons d'Egypte.

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Voiciune jolielégende,bien construite,où chacuna unrôle sympathique.Cellequi va suivre est d'allure toutedifférenteet je ne sais comment et pourquoi elle s'estsubstituée à la première.Le nouveau procédé employépar Abou '1Haggagpour conquérirLouqsorn'est plus lemêmequeceluimentionnédans la légendede 1898.

Il m'aurait été facilede montrer le magicien,en lequels'est mué le beau capitaine de jadis, venant négocierl'acquisitiondu terrain que peut enceindreune peau debuffle.Je me suis bien gardé de le faire, soucieuxque jesuis de ne rien inventer et de transcrire simplement ce

quim'a été raconté.

EDITIONDE 1912.

Il y a très longtempsde cela,quatre magiciensvivaientà Keneh. Leur réputation était si grande que le Wali

d'Egypte voulut les connaître: à cet effet, il fit venir un

messagerauquelil confiaune lettre et ordonna d'amenerlesmagiciensau Caireau bout de trente jours sans faute.Si quelqueretard advenait, le messageren serait respon-sable et mourrait.

L'hommes'embarquaet fit voilevers la Haute Egypte,mais, hélas! commeil arrive souventsur le Nil, le vent

manqua et ce ne fut que le vingt-cinquièmejour qu'ilaborda au port de Keneh.Il s'en fut aussitôt trouver les

magiciens,leur remit la lettre du Wali et les supplia de

partir sans tarder davantage, car il craignait la mort.

Peut-être, si Dieu le voulait, une tempête s'élèverait,

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pousseraitla barque qui, par miracle,pourrait encorearri-ver au Cairedans le délaifixé.

Les quatre magiciensrépondirent qu'ils avaient bien le

temps de se rendre à l'invitation du Wali et se remirentà banqueter jusqu'au soir du trentième jour. Alors,aprèsavoirfait leur prièrerituelle,quand vint minuit,ils allèrentau fleuvesur la berge duquelgisait une pierre antique. Ilsla jetèrent dans le Nil et voilà que, loind'être engloutiedanslesflots,ellesurnagea.Lesquatre magicienset le mes-

sager s'embarquèrentsur ce singulieresquif.Le premiermagicien,quis'appelaitAbded Daim,poussa

la rive de son pied et voicique, soudain,la pierre antiqueet ses passagersse trouvèrent à Assiout. Alors, le second

magicien,qui s'appelait El Faouï, poussa la rive de son

pied et, soudain, la pierre antique et ses passagersarri-vèrent à Minieh.Alorsle troisièmemagicien,qui s'appelaitYousouf Abou '1 Haggag,poussa la rive de son pied et,soudain,la pierre antique et ses passagersarrivèrent auVieuxCaire.

Là, lesvoyageursfirentla prièredu matin.Le messager,encoreépouvantédes prodigesde la nuit,

s'en fut rendrecomptede sa missionau Waliet ne négligeapas de lui rapporter tout cequ'il avait vu de cette merveil-leuseaventure.

Le Wali voulut mettre à l'épreuve la sciencedes nou-veaux venus,qu'il craignaitd'être des suppôtsde l'Espritdu Mal. Il fit tuer et cuire un chat, un chien, un porc et

un mouton, puis les mit dans quatre plats. Une étoffede

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soie couvrit le tout. Le Wali, ensuite, invita les quatremagiciensà mangeraveclui aprèsla prièrede midi.Quandles convives se présentèrent, ils connurent aussitôt le

piègequi leurétait tendu.AussiAbded Daïmcria soudain«Biss! » et voici que le chat cuit ressuscitaet s'enfuit.AlorsEl Faouï cria «Emchi ! » va-t'en! et le chiencuitressuscitaet s'enfuit.AlorsYousoufAbou '1Haggagcria« Hors d'ici, impur! » et le pourceau cuit ressuscita ets'enfuit.

Alors le quatrième magicien, qui s'appelait Abd erRahim, dit : «Nousavonsdevantnous un mouton cuit :c'est un mets digne de vrais croyants: mangeons-le.»Et,tous quatre, ils le mangèrentde bon appétit.

Voyant ces choses,le Wali se persuada que ses hôtesétaient bien des suppôts de l'Esprit du Mal,ainsi qu'ill'avait redouté. Il les fit emprisonner,tandis que, sur la

place Roumelyeh,on charriait des monceauxde bois sec

qui,bientôt, formèrentle bûchersur lequelil se proposaitde les fairebrûlertout vifs.

Le peuple,les soldats, les hauts fonctionnairesaccou-rurent et mêmelepremierministrey vint, tenant dans sesbras le filsuniquedu Wali.

On amenales quatre magicienstandis que s'allumaitle

bûcher.Alors YousoufAbou '1Haggag,Abd ed Daïm et El

Faouï dirent à Abd er Rahim : « Nous trois, nous avons

fait nos preuvesen amenant la pierre antique de Keneh

jusqu'au Caire-la-Ville-bien-gardée.C'est à toi mainte-

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nant de montrer ton pouvoir.»Abd er Rahim ne se fit pasrépéter cette invitation. Voyant que le bûcher flambaità souhait,il s'approchadu premierministreet, soudain,lui

prit le fils unique du Wali d'entre les bras et, au milieude clameursqui montèrent au ciel, il entra avec l'enfantdans la fournaise,chantant à pleine voix. Pendant uneheure entière, on entendit Abd er Rahim qui chantait

toujours,tandis que leWaliet la foulehurlaientdedouleur.Peu à peu le feubaissa et voici que le magiciendescenditdu bûcher, portant dans ses bras l'enfant qui, souriant,tenait une orangedanssa main droite et une pommerougedans sa maingauche.

Alorsce furent d'immensescris de joie qui retentirent,tandis qu'Abd er Rahim rendait l'enfant au ministre

éperdu.LeWali comprit enfinque les quatre magiciensvenaient

de la part de Dieuet non point de cellede l'Esprit du Mal.Il les salua au nom de l'Unique et leur déclara qu'ilsétaient, pour lui, commeles quatre points cardinaux et

qu'il voulait leur donner, en Egypte, le droit de régnerà

tout jamais sur la villequ'ils choisiraientà leur guise.Alors Abd ed Daïm choisit Kelabiehà l'ouest d'Edfou

et sa tombe y est vénérée autant que celled'El Faouï à

Faou et que celled'Abd er Rahim el Genaouïà Keneh.Cecise passait au Caireau momentde la prière de l'asr,

c'est-à-direvers 4 heures,un 14du moisde Chabâan.

Quand vint enfin, pour Yousouf Abou '1 Haggag, le

moment de choisir sa ville d'élection, il dit : « Je vais

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lancerma canneen l'air et la suivre où elle ira. Là où elle

tombera, là je régnerai à tout jamais. » Et YousoufAbou'1Haggag,ayant fait le gestede lancer sa canne en

l'air, disparut avec elle.En ce temps-là,la fillede Césarqui s'appelait Tharzah

régnait à Louqsor.Elle était chrétienneainsique tous ses

sujets. Un saint ayant prédit que la fille de César serait

trompéeet subjuguéepar un étranger,un longcordonde

troupes était posté aux frontières et des ordres précisavaient été donnés afin d'empêcherquiconqueviendraitde loin de pénétrer dans le royaumede Tharzah. On jugequellefut la stupéfactiondu peupleet desgardes,le 14dumoisdeChabâan,un peu avant cinqheuresdu soir,quandun inconnuparut tout à coup, non pas aux avant-postes,mais devant le palais mêmede la reine. Une canne étaitdanssa main.

Aussitôt appréhendé, Yousef Abou '1 Haggag, carc'était lui, fut conduit devant Tharzah et ses ministres.

Interrogépar eux, il se garda bien de dire qui il était, quelétait son but et comment,grâce à sa canne magique,ilavait pu venir du Caire jusqu'à Louqsor en quelquesinstants sansêtre vu de personne.Il se borna à répondrequ'il était du Hedjaz, qu'il était las et demandaitcommeseulegrâce à Tharzah et ses ministresdf lui per-mettre de passerune nuit dans Louqsor.Ceux-ci,se rap-pelant la prédiction,refusèrenttout d'abord l'hospitalitéque réclamait l'étranger. YousefAbou '1 Haggag ne sedéconcertapas, renouvelamaintes fois sa requête,si bien

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que Tharzah et ses conseillersfinirent par lui accorder,par écrit, l'autorisation d'occuper,à Louqsor,ce qui pour-rait être limitépar unepeau debufflequ'on lui donna.

Yousef Abou '1 Haggag n'en souhaitait pas davan-

tage. Sitôt la nuit venue, tandis qu'on le croyait endormi,semblableà Didon conquérant Carthage par la ruse, lesaint, armé d'un rasoir, se mit à découper la peau dubuffle en fines lanières. Il attacha celles-cibout à boutde telle façonque, lorsqueparut l'aurore, il avait fabriquéune longue, longue corde de cuir savamment enroulée.Au moment de mettre son projet à exécution, Abou '1

Haggag paraît avoir ressenti un moment de trouble : ilattacha bien au montant de granit de la porte de sa mos-

quéefuture l'extémité de la corde qui allait lui conquérirLouqsor, mais, au lieu de prendre ensuite à droite, ainsi

que d'usage, il prit à gauche.C'est pour cette raison que, encorede nos jours, la pro-

cessiondu 14 Chabâanpart à gauche et revient à droite.Celle-cise dérouleplus lentement que la cordedont, tout

courant, Yousef Abou'1 HaggagenceignitLouqsor.Tharzah, la fille de César, n'était pas encoreéveillée,

non plus que sesministres,que Yousef frappait en maîtreà leurs portes,leur ordonnantd'avoir à reconnaîtresa sou-veraineté ou à déguerpirincontinent.Et, fort desondroit,il exhibait le contrat signéla veillepar la reineet sescon-seillers. Ceux-ci se rappelèrent aussitôt la prophétie,reconnurentla valeurde l'écrit et. pensant que le Très-

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Haut avait vouluque ces choses advinssent,ils se sou-mirentau Destinet au prédestiné.

Tharzah,charméede l'espritet de la bonneminede sonnouveau souverain, lui proposa de l'épouser. YousefAbou '1 Haggag y consentità la conditionformellequeTharzah s'honoreraitde l'Islam, ce à quoi ellese soumitvolontiersen abjurant la religionchrétienne.

C'est pour cette raisonque, aprèsavoir véculongtempset procréébeaucoupd'enfants,le saint, avant de mourir,

chargéd'ans et de gloire,permit que sa femmefut, plustard, inhuméeprèsde son tombeau.

Tharzah,la fillede César,dort aujourd'huison dernier

sommeil,non loin de son époux, dans la mosquée deYousefAbou '1 Haggag, le très bon, très saint et trèsvénérépatron de Louqsor,la villedeschâteaux.

VII. PROPOSD'UN BARBIER.

Uneenquêtesurunecroyance,coutumeoulégendepopu-laire ne saurait être complètesi quelquebarbierne venait

y fournir son appoint. C'est pourquoi, l'autre jour, jeconfiaima tête au plus disertdes tondeursde cheveuxde

Louqsor,au célèbreEl Abiad1lui-même.!-

Tout en agitant sesalertesciseaux,El Abiadmedisait:

—Vois-tu,Excellence,quandje suisavectoi, je mesenstout aise,car moi,qui ai uneclientèleeuropéenne,je suisdevenutout commeun Européen,tandis que toi, ô Excel-

i. Leblanc,surnomquejustifieletonfoncéduvisagedemoninter-locuteur.

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lence,en vivant plus de vingt ans en Egypte, tu es devenutout commemoi.

Poliment, je remerciai le frater, puis lui demandai ce

qu'il pensait du plus illustre'des habitants de Louqsor,lebienheureuxcheikh YousefAbou '1 Haggag.

El Abiad interrompitson œuvremagistrale,me laissantà moitié tondu et dit :

— Excellence,ce fut un grand saint.— Je le sais, mais qu'a fait ce grand saint?—Toi,tu es un chrétien,mais, depuisque tu vis parmi

nous, tu as probablement appris que Notre ProphèteMohammedaimait les Coptes,puisqu'il avait une femmede cette religiondans son harem.

—La belle Maryanqui fut mèred'Ibrahim.- Ah! Eh bien, alors, c'était celle-là.Une nuit, elle

rapporta à Notre Prophète Mohammedque les Egyptiensétaient persécutés par des Grecs,dont le roi résidait àStamboul.

— L'empereur Héraclius.— Peut-être,Voistu, toi, tu es un savant et moije suis

un barbier. Et alors notre bon Mohammed,le Prophète,voulut délivrer les Egyptiens, qui étaient Coptes, de laméchancetédes Grecs.C'est pourquoi il fit venir, dès le

lendemain, tous ses généraux, dont le chef s'appelaitAmrou, et, assis sur son trône de Commandeur des

croyants,il dit à chacund'eux cequ'ilavait à faire.El Faouï fut désigné pour conquérir Faou; Abd er

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Rahimeut Keneh; YousefAbou '1Haggag eut Louqsor;Edfouéchutà Abded Daïm.

Amrouet ses capitainespartirent, aussitôt l'ordrereçu,allant vers la conquête.YousefAbou'1Haggagcombattit

vaillamment,remontale coursdu Nil,aida Abder Rahimà se rendre maître et seigneurde Keneh,puis s'acheminavers Louqsor,la ville des châteaux.

Quandil fut prochede cette ville,il envoyadesespionsqui lui rapportèrentqu'onne pouvaitentrer dansLouqsorque par quatre portes toujours ferméeset commisesà la

gardedeghafirs1vigilants.Yousef,ayant apprisceschoses,

dispersases troupes, les fit cacher dans la montagneetleur ordonna de venir ensuiteà son signal,puis, déguiséenmendiant,seulet d'aspectmisérable,il allafrapperà la

porte du nord. Lesgardesouvrirentet,voyant l'intrus, le

repoussèrenten semoquantde lui,maisYousefrevint à la

chargeet fittant et sibienqu'ilfinitparêtreconduitdevantla fillede César,la reine Tharzah, qu'il implora.Celle-ciselaissafléchiret consentità laisserlemendiantpasseruneseulenuit dans Louqsor,sur le haut du pylônedu vieux

temple,tout prèsdesobélisques.El Abiadreprit soudainsontravailinterrompuet medit

tout bas:— Tu sais, Excellence,les ghafirsde la reineTharzah,

au lieude monterla garde,dormaientpendant la nuit.— Lesghafirsd'aujourd'huifont de même.

i. Gardiens.

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— C'est parce qu'ils en ont l'habitude ou qu'ils sont

fatigués. Et alors, comme Yousef Abou'1Haggag était

musulman,il se réveillaitde lui-mêmeà l'heuredesprièresnocturnes. Quand vint le moment du faghr l, il se leva

pour faire ses dévotions. C'était le 14 Chabâan desmusulmanset la luneétait dans sonplein.Yousef,du hautdu pylône, considérala ville qu'il allait conquérir selonl'ordre du Prophète. Il fit ensuite le signalconvenuentrelui et ses lieutenants,puis, attendant leur venue, s'en futverslesghafirsendormis.Il leurprit lesclefsaveclesquellesil ouvrit lesquatre portesde Louqsor,où sessoldatsentrè-rent avant que quiconquefut éveillédans la ville.

— Tu comprends,conclutEl Abiad, que si le Prophèten'avait pas aimé la Copte,YousefAbou'1Haggag auraittué la reineet tous sessujets,mais il pensaquecelaaurait

pu faire de la peineà Mohammedet à Maryan.C'estpour-quoi il laissa les Coptestranquilleset épousaTharzah, lafillede César.

VIII. LE BUFFLE.

Un desdescendantsd'Abou'1Haggag,Makhmoudeffendi

Akhmed,qui est un des meilleursdrogmansdela Compa-gnie Cook,m'a fourni le documentqui va suivre. Il serattache à la période de professoratdu bon saint dontSidi Abd el Ouab el Charaninous a conservéles traits les

plus édifiants.

1.Prièrequisefaitversquatreheuresdumatin.

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Le cheikhYousefAbou'1 Haggag,dénuéde fortune, nenourrissaitsesélèvesqu'avecdeslentillesrouges,tandisqueSidi Abd er Rahim de Keneh,fort riche, tenait pour lessiens table toujours ouverte et toujours bien servie.Là,les élèveset les hôtes trouvaient,chaquejour, cent platsdifférents auxquels ils faisaient largement honneur, là

paraissaient,savammentaccommodés,lesbœufs,lesbuffles,lesmoutons,lesoies,pouletset pigeons,et lesamateursde

légumesy savouraientles bamiaset la fameusemélouchia

quelesseulsEgyptiensapprécientà sa valeur.Un élèved'Abou'1 Haggagayant entendurapporterces

choseset las de mangerchaquejour les lentillesrougesdesonmaître,le quitta sansrien dire et s'en fut à KenehoùSidiAbder Rahimel Genaouïle reçut et l'admit au festinaccoutumé.Le gourmandcontemplaalors tous les platssavoureuxaprès lesquelsil soupiraitdepuislongtempsetse promit francheripaille.Il tendit la main vers les metset s'en saisit avidement,maisil arriva que chacund'eux,qu'il fut bœuf,buffle,mouton,oie, poulet,pigeon,bamiaou melouchiase transformaiten lentillesrougesdans labouchede l'élèved'Abou'1Haggag.L'étudiant,amplementdéçu, quitta Kenehet, sans plus tarder, retournaprèsdeson maître.

—D'oùviens-tu?où étais-tu?lui demandacelui-ci.—Je voulaisvoirKeneh,je l'ai vu et je reviensmainte-

nant prèsde toi.— Meslentillesrougeste semblentdonc préférablesà

cellesd'Abd er Rahim el Genaouï? dit le cheikh qui,

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on l'a dit, savait et voyait toutes choseslointaines oucachées.

Et commeYousefAbou'1 Haggag était bonhomme,ilfit tuer un bufflequ'il mangeaavec ses élèves.Il prit, parla suite,l'habitudede recommencerchaqueannéecefestinversla mi-chabâanen l'honneurde sesadeptes.

Cettehabitudea survécujusqu'ànosjourset sepratiquede la façonsuivante.Le buffle (ouplutôt la bufflesse)est

acheté,chaqueannée,le premierjour du moisde Chabâanet confiéde suite à une certaine famille de Bayadieh,nomméeles Khowalats.Celle-cise chargede l'entretien etde la nourriturede l'animaljusqu'au jour de son immola-tion. Elle reçoit alors la tête du buffleà titre de récom-

pense.Les porteurs d'eau de la mosquéed'Abou'1 Haggag

reçoiventles quatre pieds. Les boyaux, tripes, cœur et

poumonsreviennentà la confrériereligieusedesBallalines

qui, en retour, secharged'abreuverlesfidèlesle jour de lafête du saint. La peau et le cou sont livrésaux bouchersdePous.Ceux-ci,aprèsavoirmangéla chairdu cou,gardentprécieusementla peaujusqu'à l'annéesuivante.Lorsquelanouvellepeau arrive, ils vendent cellede l'année précé-denteet sonprix est consacréà payerlesfraisd'une soiréede lecture du Coran « Khatmah », en l'honneurdu boncheikh Abou '1Haggag.

Quant à la chair du buffle,une partieenestaccommo-dée pour les repas donnésaux pèlerinsle soir de la fête.Une autre partie est coupéeen morceauxet offerteaux

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personnesqui apportent des offrandesen ciergeset huiles,à quelquesautoritéset notableset auxpauvres.

Le peu qui en reste est partagé en quatre parts et remisaux descendantsd'Abou'1 Haggagqui sont: lesKhodérats,lesfilsMeaoued,lesfilsHamad Eddin et les Akhrass.

Ceux-là conservent leur part toute l'année commeun

objet de bénédiction,puis l'année finie,la jettent en hom-

magedans le Nil.

IX. LA MORT D'ABOU'L HAGGAG.

J'ai signaléce fait que la légended'Abou'1 Haggagvaried'année en année et montré que celle de 1898 diffèreentièrementde cellequi a cours aujourd'hui. M. Masperoa bien voulum'en signalerencoreune autre qu'il recueillità Louqsor en 1881 et m'autoriser à la joindre à cetteétude.

Le bon Abou'1 Haggag,dans sa vieillesse,se déplaçaitencore souvent pour vaquer aux soins de son ministère;mais il avait toujours souhaité mourir et être enterré à

Louqsor.Cefut cependantà quatreheuresdecette ville,à Erment,

qu'il sentit venir la mort, mais des anges survinrent quil'emportèrent agonisantsur leurs ailes. Ils ne s'arrêtèrent

que lorsqu'il rendit le dernier soupir et le déposèrentàl'endroit même au-dessusduquel ils se trouvaient alors,c'est-à-direparmi lescolonnesdu grand templed'Amonde

Louqsor.

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LE PATRONDELOUQSOR 79

Jamais le corps n'a été dérangédepuis et, disent ses

fidèles,il resteratoujoursen cetendroitsacré.

X. LÉGENDESET FAITSSECONDAIRES.

Lesgardiensde la mosquéed'Abou'1 Haggagsont gensà l'âmesimple,aimantà expliquersimplementdes choses

paraissantcompliquéesau premierabord. C'est ainsiquel'un d'eux,à ceuxquidemandentcommentTharzahdevint

musulmane,répondqu'aupremiermoment,la filledeCésarne voulait pas abjurer le christianismeet doutait del'Islam.

Abou'1Haggag,voyantcedoute,appuyasesdeuxmainssur lesépaulesdeTharzahet voicique,peu à peu, la terrecéda sous les pieds de la néophytequi,indubitablement,aurait été enfouie,si ellen'eut, auparavant, clamésa foinouvelle.Abou'1Haggagla prit alorspar lesmainsqu'elletendait verslui et Tharzahfut délivréeet convertie.

Les maçonsde Louqsoront une grande dévotionpourAbou'1 Haggag.Ils le craignentaussi. L'un d'eux, Amin

Saadallah,m'a raconté qu'un jour, au lieu de travaillercommeil l'eût dû faire,dans une bâtisseappartenant au

saint, il s'endormit.Peu de tempsaprès,un chameausur-vint qui, entre ses longuesdents,saisit le paresseuxparla jambe, le fit tournoyeret l'envoya au loin se cognercontre un mur.

Amincompritd'où lui venait cette leçonet est moins

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paresseux,tout au moinsquand il travaille pour le cheikhAbou'lHaggag,mais. il se rattrape ailleurs.

Les maçonsde Louqsor,au sujet de la constructiondela mosquéed'Abou'1 Haggag,rapportent une légendequise retrouved'ailleursau Caireet un peu dans tout l'Orient

auprès de chaquemosquéecélèbre.Le bienheureuxcheikh Yousef Abou'1 Haggag fit, de

son vivant, bâtir sa mosquéeet son tombeau. Un maçonfort habile fut chargéde cette besogne: c'était un maître

parmi les maîtres. Il se surpassaet une œuvre incompa-rable jaillit du sol. Le saint, pleind'admiration,ne voulut

pas qu'une autre merveillesurpassât ou même égalâtcelle-ci.C'estpour cette raisonqu'il fit couperle bras droitdu maçon.

On ajoute, parfois, qu'Abou'l Haggag, avant de com-mettre cet acte, avait assuréaumutilé des ressourcesquilui permirent de vivre*largement jusqu'à son dernier

jour.Cette légendeest fort populairedans la corporationdes

maçonsde Louqsor. y

Depuis de longues années, le Service des Antiquités,désireux de déblayer entièrement le temple d'Amon de

Louqsor, négociel'expropriation et le déplacementde la

mosquéed'Abou '1Haggag qui en occupela partie nord-est. On a souvent prédit que si le transfert des reliquesd'Abou'l Haggaget de ses compagnonsavait lieu, la terre

s'ouvrirait, commejadis sous Tharzah, mais cette fois-ci

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9

ce sera pour engloutir soit M. Maspero,soit tout autrefonctionnaireeuropéenappartenant au Servicedes Anti-

quités.

XI. LES HAGGAGHIEH.

« Notre grand-pèreAbou'1Haggagest toujours parminous, » rappellele cantique qu'on chante pendant la pro-cessionannuelledu saint.Sonreprésentantle plusautorisé,son prophète, celui qui converse souvent avec lui et

apprendainsi ce qui fut,est et sera, c'est son descendant

direct, le nakhib, le chefde sa mosquéeet de sa famille,le cheikh Saïd Youseflui-même.

Cet important personnageest entouré de la vénération

généraleet quiconquetouchesesvêtementsvoit sespéchésremis. On assurequ'il est animé,parfois,de l'esprit divi-

natoire, sachant,immédiatement,ce qui se passeet se ditau lointain.Aussichacuns'inclinedevant lui.

Certainsm'ont racontéqu'en1906,lecheikhSaïdYousef,un soir,sentit en lui quel'esprit du cheikhAbou'1 Haggagvenait d'arriver à son tombeau.SaïdYousefseleva inc n-tinent pour se rendreauprèsde l'esprit du saint. En route,il rencontraun des gardiens,appeléAbd es SamadSolei-

man, dont tout le mondese souvientencoreà Louqsor.SaïdYousefdit à Abd es SamadSoleimande n'aller pas

plus loin,dele laisserseulet de l'attendre au piedde l'obé-

lisque,mais l'autre n'obéit point et suivit son cheikh ense dissimulantdans la nuit. Et il vit que la porte de la

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mosquées'ouvrit d'elle-même,toute grande devant SaïdYousefet que la tombe était toute resplendissantedelumière.Le cheikhresta près de trois heuresdans l'édifice

et, quand il sortit enfin,il trouva Abdes Samadquil'avait

épié pendant tout ce temps. Il lui reprochasa désobéis-sanceet l'engageaà garder le secret le plus absolusur ce

qu'il venait de voir sans y être convié.Malheureusement

pour lui, AbdesSamadSoleimanne suivit pas ce conseil,car il était aussi bavard qu'indiscret. Quelquesheures

après, il achevaitde raconterce qui vient d'être rapportéici lorsque,soudain,sa langue s'arrêta, la paralysiegéné-rale l'étreignitet il mourut peu de jours après sans avoirdit le derniermot de son histoiremiraculeuse.

Le cheikh Saïd Yousef,en tant que amin et naghib(conservateur,chef) de la mosquéede Abou'1 Haggag,gardeles clefsde l'édificeet perçoit les revenusdes biensde main-morte(waqfs)d'Abou'1 Haggag, à charge à luide payer tous frais d'entretien, de réparationet d'embel-lissementde la mosquéeet du tombeau. Il prélève aussisur ce revenuet les offrandesdes fidèlesce qui est néces-sairepoursonentretienpersonnelet verselerestant dansletrésor du saint.

Le cheikhSaïdYousefajoute à son traitement les béné-ficesque lui rapporte courammentla vente de tapis du

Hedjazdont il est marchandainsique d'étoffesde soiede

Syrie.De nombreuxfikis, ou lecteursde Coran,obéissentau

chefde la mosquée.Quatreou cinq suffisentà l'ordinaire,

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mais ne sont pas rétribués régulièrement.Les fikis viventdes rétributionsvolontairesque leur paient lesfidèles,soit

pour lire le Coranchez eux, soit, les jours de commémo-

ration, pour prier sur les tombes des trépassés. Parfois,une industriequelconqueles aide à vivre, parfois aussi lecheikh Saïd Yousef,pour services rendus, leur fait uncadeaupersonnel.Presquetous lesfikissont aveugles.

Tout autour de la mosquée et du temple d'Amon,s'élèventdesmaisonsappartenant aux descendantsd'Abou'1Haggag, les Haggaghieh.La presque totalité des bou-

tiques de la rue de la Sous-Préfecture(markaz)est occupéepar desmembresde cette famille,la plus nombreuseet la

plus considéréede Louqsor.

XII. LA MOSQUÉED'ABOU 'L HAGGAG.

Le bienheureux cheikh Abou'1 Haggag ne repose passeulsousla joliecoupoleajouréede la mosquéde Louqsor.Il n'occupeque le centre de la pièce.A droite, sont troisautres tombeaux,ceuxdesfilsdu saint. Selonlesuns, leursnoms sont Neghm eddin, Chamsed din, Abd el Mati;selonles autres, Akhmeden Neghm,Ahmed Fath eddinet Abd el Mati.

Tous ces tombeaux sont recouverts de riches étoffesmulticolores.

A gauche, au nord du cénotaphed'Abou'l Haggag,un

grand rideaurougecachel'entréedulieuoùreposeTharzah,bint elKaisar,la fillede César et l'épousedu bienheureux.

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Au fond, une vieillehorlogeà longuegaine agite sonbalancierdans ce lieu de repos suprême.

La grande salle de prières,situéeà l'est de la chambreaux tombeaux,est banale et ne présenterien de curieux.

L'écolequi est en face,cachéeentreleschapiteauxet lesarchitraves du temple de Louqsor,est bien autrement

pittoresque. Sous la direction d'un maître à la férule

agile,une cinquantainede marmotssont accroupisdans

l'ombre,dodelinantde la tête, criant les versetsdu Coran

ou, plus paisibles,s'exercent,sur une plaquede fer-blanc,aux mystères de l'écriture arabe.

Au-dessusde l'édificepointent les deux minarets duhaut desquels,aux heuresrituelles,serachanté l'appelà la

prière sous le grand ciel bleu où, sans cesse,planent les

gypaètes.Il est rare qu'un Européenpuissepénétrer dans la mos-

quée d'Abou '1 Haggag, en visiter les tombeauxet voirl'endroit où est rangéela barquedu saint. Car celui-ci,en

supplantant Amon,en se logeantdans une partie de son

temple,a héritéde sesméritesfécondateurs,de seschargeset desesattributs. Et commeAmonjadis,Abou'1 Haggag,unefoispar an, fait, en barque,le tour de sa bonnevillede

Louqsor.Ce jour-là, le i4Chabâan, c'est la grande fête

patronaledu pays.Ons'y préparedeuxsemainesà l'avancepar desséances

de zikr sur la place Saha, devant la maison du cheikhYousef,non loin de l'obélisque,frère de celui de Paris.Pendant la journée,ce sont de beaux carrouselsauxquels

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20.VIEUXMINAREt^Dl?LAMOSQUÉE.Phot.del'auteur.

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Phot.del'auteur.21.ENTRÉEDELAMOSQUÉE.

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les notablesdu pays prennent part, armésde longs bâtonset montés sur des chevaux richement caparaçonnés.La

musiquefait rage et excite hommeset animaux. Ceux-cisont lancésau grandgalop,droit devant eux,puis un coupsec du mors les arrête brusquement. Pendant ce temps,solidementappuyésur seslargesétriers, l'hommea brandisa lance,puis l'a rejetée derrièrelui. Il la traîne très loin,soulevant des flots de poussière. L'habile est celui quiarrive ainsià tracer une raie longueet droite, puis, quandil est tout près de la foulequi, ravie, assisteau spectacle,arrête brusquementson cheval qui se cabre et volte.

Plus loin,des gens s'escrimentà la longue canne. Plusloin encore et surtout le soir, les cafés arabes regorgentde clients, les joueurs de trictrac tapent leurs pions, les

narghilés fument et danseuseset chanteuses,se souvenantdes vieillesorgiesancestraleset des fêtes de Bubastes où,en une seule nuit, se buvait plus de vin que dans toute

l'année, s'enivrent de bière frelatée.Le talent et la réputation de ces femmess'estiment au

nombre de bouteillesque leurs admirateurs leur offrent.Il va sans dire qu'ellesne dédaignentpas les présentsplussérieuxen bellespiècesd'or sonnanteset trébuchantes et

plus d'un bey, d'un maireou d'un notable,pauvre aujour-d'hui,fut ruiné par elles.La luxureest, tout bienconsidéré,le seulvicedu pays.

Dejour en jour, de nuit en nuit, l'excitationaugmente,les zikrs deviennentplus importants et fréquents, les car-rouselsplus brillants et les danseusesne désenivrentplus.

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Le 13Chabâan, c'est-à-dire la veille de la pleine lune,toute la banlieuede Louqsorest désertéeet il n'y a que lesinfirmes,les malades et les femmesen gésinequi n'aillent

pas à la ville. C'est la ouaqfa,la vigilede la grande fêted'Abou '1 Haggag.

Leshabitants de la riveouests'empilentdans lesbarquesjusqu'à ce que l'eau arrive au bordageet passent le fleuvesans bourse délier,car, ce jour-là, aucun batelier n'oseraitdemanderle moindresalaire: la bénédictiondu saint, surlui et sa famille,lui est acquisede ce fait, et il n'a garde de

négligerpareille aubaine. Les pèlerinsviennent parfois defort loin,aussibiend'Assouanque du Caire,et leshabitantsdu villagede Hagaza, que des liens d'origineunissent aux

Haggaghieh,se rendent en masseà Louqsoroù le meilleuraccueil les attend.

Dèsle matin, la fouleenvahit le marchéet le nombre debœufs et de buffleset de moutons tués à l'abattoir estconsidérable.Car, ce jour-là, les habitants de Louqsor,qu'ils soient musulmansou coptes,doivent offrir un plan-tureux dîner à tous ceuxqui viennentprier le patron local.Pour ce repas nocturne, chaqueindividu,selonson état de

fortune,doit recevoirunnombredonné depèlerins.Comme

lesmaisonsnesuffiraientpas à recevoirtout cemonde,c'est

dans la rue que lesmets sont servis.La pleinelune fait tous

les frais de l'éclairageet les fait largement.On a vu plus haut que le bufflesacrifiéen l'honneur du

patron local est distribué à certains habitants et aux pau-vres et que, d'autre part, les membresde la confrériereli-

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LE PATRONDE LOUQSOR 87

gieusede Ballalines sont chargésd'abreuver d'eau touslespèlerinsvenusà la fête.

La nuit se passe en fête autour de la mosquéetoute

illuminée,dans l'attente de la fête qui commenceradès

que le jour paraîtra.Quelquesjours auparavant, la barqued'Abou'1 Haggag

a été repeinte à neuf : trois bandes horizontales,bleue,blancheet rouge,la décorent.

Lemomentde la processionarrivé, là barqueest chargéesur un camionà quatre roues et recouvertede la grandeétoffe multicolorequi, pendant toute l'année, cache latombe d'Abou'1 Haggag. Les étoffes, couvrant les cinqautres tombeaux, sont déployéessur le dos de cinq cha-meaux richement harnachés. Seuls les membres de lafamille des Haggaghieh ont le droit de monter dans la

felouqueet sur les chameaux,maisc'est surtout aux petitsenfantsqu'on réservecet honneurinsigne.

Selon la tradition, le cortège se rassembleau pied de

l'obélisque, sur la place Saha. Il est composéde deux

officiersde la police,de dix cavaliers,cinquantefantassins,marchant en haie. Viennent ensuite les cinq chameaux,richement harnachés, parés des étoffesmulticoloresquicouvrent les tombesdes saints, faisant tintinnabulerleurs

nombreusesclochetteset relevant fièrementla tête paréed'un plumet. Un muezzinest accroupisur chacun d'eux,criant: «Il n'y a de dieuqueDieu! Dieuest leplusgrandi »

comme, du haut des deux minarets de la mosquée,il

appelle les fidèles à la prière. Quelquesmarmots de

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la famille des Haggaghieh sont juchés à côté de lui.

Viennent ensuite les confréries religieusesen tête des-

quelles marchent le cheikh Yousef, les Ballalines et lesmembres de la famille d'Abou '1 Haggag.

Chaque groupe porte un drapeau multicolore. On

chante, ce jour-là, le cantique suivant que peu ou pointd'Européens connaissentet que je cite ici à titre de rensei-

gnementet de curiosité:

0 CheikhAbou'1Haggag,au nomsi doux,Tontombeaufut bâti par desgensvénérables.

Il est bâti sousterre et cependantil brille,Lesmeilleursmusulmansy viennentpourprier.

L'air fraisde ta coupoleendort ! Abou'1Haggag!Lemaçonl'a bâtieet lisséede sa main.

L'air fraisde ta coubbanousjette à terre,Abou'1 Haggag,Lemaçonla bâtit, puisla lissade samaindroite.

Unvasedeverresertdeclefà la coupoled'Abou'1 Haggag,La cour est assezgrandepour recevoirles chevauxdes

[pèlerinsde Hagaza.

La coupoled'Abou'1 Haggagcouvre un coffrede bois

[odoriférant;Sacourest grande,ony peut tuer des animaux.Notregrand-pèreAbou'lHaggagest toujoursparminous.

Cheznousest sontombeau: sonpaysen possèdeun autre,Notregrand-pèreAbou'1Haggagy est avecun prince.

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Phot.del'auteur.

Phot.Stores.22.PLACESAHA.—23.LABA&0JJED'ABOU'LHAGGAG.

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24.LABARQUEPASSE. Phot.Stores.

Phot.Sebah.25.PROCESSIONDESCONFRÉRIES.

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Cheznousest sontombeau; maisl'autreest à La MecquePrèsde celuidu prophèteKhalil.

Notre grand-pèreAbou'1Haggags'asseoitprèsde notre

[Prophète.Cheznousest sontombeau,un autreest à La Mecque.Quipeutmécontenterlesgensau turbanvert?Abou'1Haggagles défendraitde songrandcimeterre,Et Dagigel Heidlèveraitl'étendardde la guerre!

Ecartez-vous,pèlerins,quivenezdansnotrerégion!Aboul'Haggag,notrevieuxgrand-père,estencoreaujour-

d'hui notrepère,Et le cheikhMegachgichnotre protecteurbienfaisant.

Ecartez-vous! 0 cheikhAbou'1Haggagquihabitesici,Nousvenonspour te voir: noussommesde Keneh.

Ecartez-vous! 0 cheikhAbou'1 Haggagquihabitessiloin,Nousvenonspourte voirde la régiondusud.

Ecartez-vous! 0 cheikhAbou'1Haggagquihabitesici,Nousvenonspourte voirde la régiond'Assouan.

Pourprixdenosfatigues,exaucenosdésirsainsiqueceux

[desautres!

Au bruit de ce chant, d'acclamations,de prières et de

coups de feu, la barque du saint s'avance lentement,pavoiséede drapeaux, remorquéepar les fidèlesqui tirentaux câbles.Elle passe au milieude la foulequi délire de

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joieet seprécipitepour touchertout au moinslevoilesaintsous lequel sont accroupis quelquesenfants privilégiés.

Quiconquetouchel'étoffeemporteaveclui santé,bonheuret fécondité,et, neuf mois après, les naissancessont, ce

jour-là,dit-on,plusnombreusesque d'ordinaire.

Capricieusecommele Nil, la processionmarche,s'arrête

pour laisserdebonsdévôtsdanserà leur guiseou quelquealtéré se rafraîchir; tout prétexte lui est bon pour flâneren route. Cependant,il y a des endroits où la station

s'impose.Le cheikhAbou'1 Haggagrend visite à ses col-

lègueset s'arrêteà chaquecoupoleoù dort un saint musul-man. La fatah (prière)est récitée à haute voix pendantl'arrêt et tout le mondey prend part.

Conformémentà la tradition quiveut qu'Abou'1 Haggagait entouréLouqsord'un liendecuir dechameauenallantvers la gauche, la processiondescendde la place Sahaversl'ouestet le Nil,tourneversle sudet, arrivéeà l'Hôtelde Louqsor,se dirigeversl'est et ne rentre qu'aprèsavoirété faire visite au cheikh el Megachgicheprès le markazet au cheikhSabounqui est sur le bord du Nil.

Si l'on examine le vieuxplan de la villeque dressèrentles savants de l'expéditiond'Egypte, on se rend mieux

compte de l'itinéraire suivi par Abou'1 Haggag.A cette

époque,Louqsorn'était qu'un misérableamasde maisonsau milieudesquellespassait la route venant de Kenehetallantj usqu'àAssouan.LescheikhselMegachgicheetSabounse trouvaienthorsles murs,commedefidèleset vigilantessentinellesqu'allait voir et réconforter, chaque année,

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Phot.Stores.26-27.LECORTÈGE

OFFICIELJ^SSANTLELONGDUNIL.

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28.DANSEPENDANTLAPROCESSION.Phot.Stores.

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11*

Abou'l Haggag.Lui, commeAmonjadis, est le patron, le

protecteur de la ville et, chaque année, le 14Chabâan,il fait sa rondeautour desmaisonsqu'habitentsesdescen-dants et sesfidèles.Il s'assureainsiquenullarronn'appro-che, que rien n'annonceà l'horizonque quelqu'un vient

pour lui déroberson paternel privilègeet l'empêcherde

prodiguersanscessesesbienfaitsauxhabitantsdeLouqsor.Et, certainquetout va bien,que,plus que jamais,il est

l'objet de la vénérationgénérale,que rien ne menacenidans le présentni dans l'avenir,il rentre triomphalementdans sa demeure.

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LÉGENDES POPULAIRES

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29.LELACSAQ^É.^DEKARNAK. Phot.Stores.

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I. LA BARQUE D'OR DE KARNAK.

« Voicique MaMajestéaugmentales biensdes templesdes dieux, double, triple, quadruple de ce qui existait

auparavant.Elle donna de l'électrum,du lapis lazuli,des

turquoises,de nombreusespierresprécieuses,ainsiquedesétoffesdebyssusroyal, lin blanc,chanvre,huiles,graisses,encenset parfums sans être parcimonieuxen ces choses

magnifiques.» MaMajestéfit construirelesbarquesdivinesquiflottent

sur l'eau. Elles furent de bois d'acaciaprovenantdu paysdesEchelleset tant incrustéesd'or queleNilresplendissait.»

Ainsis'exprimaient,jadis, les vieuxPharaonsquand ilsvoulaienténumérerleurstravaux à Karnaket lesoffrandes

présentéesà Amon-Maître-des-Trônes-des-deux-mondesetroi des dieux.

La grande barque d'acacia incrustée d'or et amarréedevant le templejouait un rôle considérabledans le cultethébain. C'était le véhiculedont le dieu et sa familleseservaient aux jours des processionssolennellespour par-courirla régionet se rendre au templede Louqsor.Là, devieux et jolis bas-reliefspermettent, encore aujourd'hui,de reconstituerl'antique cérémonie.Voicique les nacellessacréesque transportent sur leurs épaulesles prêtres au

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96 LÉGENDESPOPULAIRES

torse nu, à la tête entièrementrasée, ont été pieusement

déposéessur la grandenauf amarréedevant le temple,prèslesgrandsobélisquesdegranit. Leroibrûle l'encensdevant

Amon,Maout et Khonsou,puis convoieces dieux sur le

Nil,tandis que,du rivage,lesfidèlestirent à la longuecordeà eux confiée.Ils s'excitent, s'encouragententre eux et

poussentdes cris de joie et d'amour.Voici,plus loin, lesnoblessur leurschars,les troupesquidéfilent,lesenseignesmilitaireset religieusesqui sehaussent,tandis quelesnègresdansent et font tinter les clochettesattachéesà leursche-

villes,les baladinesqui se renversentet exécutent le saut

périlleuxau cliquetisdes sistresdesprêtresses.Lentementet gaiement,la processions'avance: la voilà maintenant

qui arrive au faubourget passe au milieu des échoppesoùlesmarchandsont accumulélégumes,fruits, victuailles,

quartiers de bœuf, têtes de veau et oies bien grasses.D'autres, sans vergogne,versent abondammentde l'eaudans les amphoresà vin.

Lesnacellessacréesont enfinpénétré dans le templeoùles attendent de formidablesmonceauxd'offrandes,puisle roi pénètre dans le sanctuaire où il encenseet vénèreles statues quiy sont déposées.Ceci fait, quelque reposétant pris, la processionse reformedans l'ordre préétabliet le malinsculpteurn'a eu gardede manquerà nousmon-trer les gensun peu las et les nègres qui se livrent à desébats chorégraphiquesqueleur zèlereligieuxnesuffitpas à

justifier. La grande barque ramenant les dieux descendle coursdu Nil,arrive à Karnak,et lesdieux,quiviennent

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LABARQUED'ORDE KARNAK 97

de parcourir et rendre féconde la terre qu'ilsprotègentrentrent dans leurs sanctuairesrespectifs.

Parfois,Amonn'allait passi loin: commeHérodotelevità Saïs, il y avait des nuits où, sur le lac sacré du temple,naviguaient les barques divines célébrant des mystèresdont les historiensanciens nous ont signalé l'existencesans vouloirouosernousen donner le secret, l'explicationou le scénariodétaillé.

Le souvenirde ces cérémoniess'est transmisà Karnakde générationengénérationet la plupart deségyptologuesconnaissent,au moins,une partie de la légendeque les indi-

gènesracontentvolontiersà qui veut bien les entendreetcroire.

Il paraît que, par certaines nuits, une barque d'or

émergedeseaux du lac,toute resplendissantecommejadis,et leroiqui laconduitest en or pur,tandis que lesmatelotssont en argent.Et, quand la lunebrille, la barque vogue,laissant après elle un long sillage de pierresprécieuses;parfois,aussi,elle accosteau quai et alors,si quelquevail-lant au cœur cercléd'un triple airain se présenteet tentela grande aventure, il monte sur le vaisseaufantômepuis,vainqueur,retourneà samaisonchargédetrésorsfabuleux;mais chacunsait que,s'il laisseéchapperle moindrecri,lemoindresoupir,barque fée,roi d'or, et matelots d'argents'enfoncentimmédiatementdanslesflotsdulac,qui englou-tissent l'imprudent à tout jamais.

Ceci rend prudents les indigènes,mais ne leur enlèvenullementla foi qu'ils ont dans cette légende: voicivingts

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98 LÉGENDESPOPULAIRES

ans, un vieux bonhomme,qui assurémentn'avait jamaisentendu parler de Cambyseet de ses ravagesà Thèbes,m'affirmaitque c'était « un roi de Perse» qui avait jetéla barque d'or dans le lac sacré. Bien plus, en 1904,Coutte,undenosouvriers,crut un instant l'avoirretrouvéedanslagrandecachettedeKarnakquenousfouillionsalors.Il barbotait dans la boue liquided'où sortirent tant destatues précieusesquand, soudain, il cria à l'aide, sedémenapleinde frayeur,s'échappade la fosseet se sauvaà toutes jambes.Craignantqu'il eût volé quelqueobjetde valeur,je courusaprès lui, le rattrapai et, avant touteautre explication,le fouillai consciencieusement.Un des

pieds de Coutte saignait légèrement: quelque éclat de

pierreou un morceaude bronzeavait dû le blesser.Notrehommenesecontentapasdecetteexplicationet en trouvaune autre, toute différente: « Il avait, assura-t-il,reçu un

coup de bec du coq qui garde le mât de la dahabiehd'or » (sic). Nos gens, d'ailleurs, à cette époque,furenttous persuadésque le seul but des fouillesentreprisesétait de retrouverla fameusebarquesacréeet, encoreau-

jourd'hui, aucun d'eux ne désespèrede la voirdécouvrir

quelquejour.Cependant,les apparitionsde la naufmystérieusede-

viennent de plus en plusrares: depuisplusde trente ans,personnenepeut sevanter de l'avoirréellementvue.

Onm'a donnéla raisonsuivante: il paraît qu'unenuit,DiabTimsah(undesnotables,mortvoiciquelquesannées)passait près du lac sacréquand, soudain,il entendit une

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LABARQUED'ORDE KARNAK 99

musiquedélicieuseet, toute resplendissanted'or, la barqued'Amonlui apparut.C'était, sans doute, nuit de fête, carle roi d'or et lesmatelotsd'argent, ivresde joieet repusde

vin, contemplaientdes femmes aux voiles transparentsqui, couronnéesde fleursde lotus, dansaient devant eux!

Cependant, craignant d'être vu, Diab Timsah s'était

jeté ventreà terreet, pour mieuxvoirle spectacleféerique,s'avançaiten rampant, quand une femmeà la voixdivinese mit à chanter, et les sons qui sortirent de sa boucheétaient si beaux et si purs que notre homme,ravi d'aise,s'écria: «Allâh»,ainsiqu'il est d'usage.

A ce cri inattendu, la femme,éperdue,clama: «Voici

l'Homme,coupez l'amarre »; et la barquedisparut. Ellen'est pas, hélas!prèsde reparaître,car monconteurajoutaqu'on ne la reverra de nouveauque lorsqu'iln'y aura plusni un menteurni un voleurdans le pays.Et dame.

DiabTimsahne subit aucunpréjudicede son aventure:bien au contraire,car, dit-on,quand sa frayeurse fut dissi-

pée, il s'approcha de l'endroit où la dahabieh d'or avait

disparu. Il découvrit alors le bout de l'amarre coupée,le

piquet et le gros maillet abandonnéssur la rive. Il s'en

emparaet,bienqueleurpoidsfûtconsidérable,illesemportaà sa maison: là il s'aperçut qu'ils étaient en or et c'estainsiqu'il fit fortune.

C'esttout au moinsce qu'on m'a dit decroire.

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II. POUR FAIRE PEUR AUX MARMOTS

DE KARNAK.

Girghis,lemenuisier,portantdeuxscieset uneerminette,sortaitdu monumentque,à l'est dugrandtemplede Kar-

nak,ThoutmosisIII dédiaà sondoubleroyal.—D'oùviens-tu?lui demandai-je.—DelaBeites-sarangouma,oùj'avaisà faireungabarit

pourlesmaçonsquiy travaillent.

N'ayant jamais, jusqu'alors,entendu parler d'aucunemaisonde Sarangouma,je questionnaide nouveauGir-

ghis.—Oùest cettemaison?—Là oùsontoccupéslesmaçonset lesouvriers.Et notre menuisierme désignaitl'édificede Thout-

mosisIII.

Girghis,qui habiteLouqsor,n'en savaitpas davantage;c'était doncaux indigènesde Karnakà mefournirl'expli-cationdecequeje venaisd'apprendre.Je m'enquisauprèsd'eux.

C'est rarementet avecmaintesréticencesque nosgensse décidentà raconter leurs vieilleslégendes.Beaucoupd'entre ellesdemeurentencoreinconnuesde nouset sont

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POURFAIREPEURAUXMARMOTSDE KARNAK101

celéesd'autant plus jalousementque presquetoujoursdesindicationsde trésorsfabuleuxy sont renfermées.

Nosjeunesouvriersdéclarenttout ignorerpour la bonneraisonqu'ils ne veulentlivrerà autrui le secret tradition-nel qui, peut-être, s'il plaît à Dieu,miraculeusement,lesenrichiraquelquejour.

Lesvieuxqui,jadis,à maintesreprises,ont tenté l'aven-

ture, nesontguèreplusbavards; pour leshistoiresde reve-

vants, d'afrites,d'enfantsà l'âme de chat, de statueshan-tées par des goules, les langues,à la longue,se délient

davantage.Je pensaiqueSarangoumaétait quelqueogressedont la

tanièresetrouvedansl'édificedeThoutmosisIII. D'aucunsme le dirent, sansdoutepourclorel'enquête,maisle vieuxreïs Akachahm'assura qu'il n'en était rien.

Chacunsait (selonlui) que sept rois successifsbâtirentKarnak. Malgré les trésors qu'ils dépensèrent à cette

besogneformidable,ils la laissèrent inachevée.La reine

Sarangoumafut l'épousede celuiquiconstruisitlemonu-ment de ThoutmosisIII.

Jadis, la reineBerthefilait sa quenouille: Sarangoumafaisait de même; mais, géante parmi les géantes de la

fable, elle avait, commefuseau,la haute et belle colonnede Tahraqa. Un beau jour, ellele laissatombertout droitdansla grandecourdu templeet s'en fut danssa demeure.C'est pour cette raison que les habitants de Karnak

appellent aujourd'hui maghzil(fuseau)la colonnedu roi

éthiopien.

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102 LÉGENDESPOPULAIRES

Demandezà Akachah ce qu'est le grand obélisqued'Hasthopsitoumesurant près de trente mètres de hau-teur: «C'est,vousdira-t-il,le careletdont la reineSaran-

goumase servait autrefoispour coudreles nattes et lescorbeillesoù mettre la lainefiléepar elle.»

J'ai déjà signalé,ailleurs,quelquessouverainsinéditsou peu connusde l'ancienneEgypte en tâchant de lesclasservailleque vaille.La reineSarangoumame semble

aujourd'huide trop haute stature pour pouvoirêtre logéecommodémentdans l'histoire et, jusqu'à plus ampleinformé,je la laisseraidans sa maisonde Karnaket dansla légende.Peut-être,un jour, un vieuxbonhommebavardmefournira-t-il,surelle,quelqueindicenouveaupermettantde rapprocher la géante fabuleuse d'Hasthopsitou oud'une autre reine,moins formidable,maisplus accessibleaux humblesmortels.

Ona vudansla légendedela barqued'or qu'untel espoirn'est pas déraisonnable,puisquela tradition du roi perseCambysedure encorechezles habitants de Karnak.

J'ai demandéencoresi quelquebarque n'apparaissaitpas sur le lac sacré du templede Maout,mais il paraîtque le roi qui bâtit cet édificefut un pauvre homme,un raghilmesquine,qui mourutprématurément.

Continuant mon enquête, j'appris que le propylôned'Evergète devant le temple de Khonsous'appelait la.

porte d'Aïtallahet l'on m'a montré les briquesantiquesqui sont encore tout en haut, à la face est de l'édifice.

Autrefois,quandla ported'Harmhabiétait reliéeaveccelle

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POURFAIREPEURAUXMARMOTSDE KARNAK103

d'Evergète par un haut mur, la maison d'Aïtallah était

juchée tout là-haut.

Parfois, le soir, les fellahsépeurésvoient un gros petithomme à la face large, aux yeux brillants, au nez

camus, à la langue pendante, aux bras rétractés, aux

jambes torses qui sepromène,grognant,bavant, toujoursde méchante humeur: les chiens s'enfuient devant lui,muets, la queueentre les jambes.C'est Aïtallahqui passe.Alorschacunrentre chez soi et se cache; les marmotsquipiaillentse taisent au seulnomdu revenant dont la venueannonce toujours quelque mort prochaine. Le monstreattire à lui les âmes des vivants et les emporteDieu saitoù ! Et ce n'est pourtant que le bon vieux dieu Bisou,seigneurde la joie et de l'amour qui revient prèsde l'en-droit où jadis il fut vénéré.

Aunord du templede Montouse dressela Portede l'es-clave.Jadis, on me raconta que, le soir, un grand nègresetenait là, attendant lespassantspourleurproposer d'entrerdans un souterrainplein de richessesfabuleuses.L'entrées'en trouve dans le chambranleouest de la porte, précisé-ment en dessousde l'endroit où le sculpteurCastexgravason nom en l'an VII de la Républiquefrançaise.Lesgens,confiants,entraient et revenaientchargésd'or, mais,sou-

dain,l'esclavenoirse dressaitdevanteux,exigeant,commedans le conte d'Ali Baba, que le mot secretpermettant lasortie fût immédiatementprononcé,sinonle mur se refer-

mait, écrasant le chercheurde trésors,tandis que le nègreéclatait de rire en montrant ses largesdents blanches.

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1°4 LÉGENDESPOPULAIRES

Aujourd'hui, les habitants semblent las d'un pareilhôte; ils disent que si, une certaine nuit, on sacrifiait

quelquespouleset un nègrebien noir, la porte s'ouvriraitune foispour toutes et ne se refermeraitplus.

Et ceserait bien fait. Pensezque l'on ne citede l'esclave

qu'une action à peu près méritoireet encore: un jour, un

patron de barque n'ayant voulu donner que sept lentillesà un pauvre gagne-denier, celui-ci lui conseilla d'allercherchersa récompenseà la porte fameuse. Il y vint dèsle soir et le nègre lui donna sept pièces d'or, ce dont,incontinent, notre hommecreva de dépit en supputantla fortune qu'il eût reçue s'il avait donné, charitable-

ment, au mendiant, le boisseaude lentillesque celui-cilui

demandait, pour l'amour de Dieu, quelquesheures aupa-ravant.

L'endroitest, d'ailleurs,mal faméet quelquepeu hanté.De grands chiensnoirs aux yeux luisants rôdent dans la

nuit, sautent aux mollets des gens et font ruer les ânesen leur mordant la queue.

Cen'est pas le seul: il y en a ici un peu partout; non loinde là, c'est le Trou aux enfants,où nous ironsbientôt cher-cher l'ogresse; ailleurs,ce sont des lueurs qui passent dansla nuit, des voixqui sortent de la face ouest du premierpylôneet clament sans cesse.Tout à côté de l'endroit où

j'écris, dans le cimetièredes cheikhsAli et Taa, c'est un

pauvre diable qui fut broyé entre les engrenagesdes rouesde sa saquieh. Parfois, le trépassé, du fond de sa tombe,crie à l'aide, gémit,hurle,et les gardiensmarmonnentdes

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3°LAPORTED'AÏTALLAH(p.103).%ot.^ffcres.31.LEFUSEAUDESARANGOUMA(p.101).

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Phot.Stores.32.CIMETIÈREDESCHEIKHSALIETTAA.(p.104).33.LECARRELETDESARANGOUMA.(p.102).

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POURFAIREPEURAUXMARMOTSDEKARNAK105

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prières et profèrentdes parolesconjuratricescontre lui.C'est la ardmarsoud«la terreenchantée».

Karnak, la nuit, est pleinde mystèreset d'épouvante-mentsqueseulsconnaissentet redoutentceuxquiy croient.

J'avoue ne pas être du nombre. Je serais cependantcurieuxde voir les revenants et les afrites, de connaître

Sarangoumala reine, l'esclave perfide et le grognonAïtallah;je voudraisentendreles lamentationsnocturnesdemonvoisindu cimetièreet êtrelàquandpasselablanchechevauchéedu Pharaon qui, chaquenuit, galopejusqu'àLouqsor,et je croismêmeque j'aurais le cœur assezfortet la bouche assez bien closepour monteravec succèsdanslabarqued'or du lac sacré.

Mais,la nuit, je n'ai vu quela lumièreargentéedela lunetremblantsur les ridesde l'eau et lesgrandesombresquimagnifiaientles hauts pylôneset les colonnesgéantesde

l'Hypostylefameux.Seuls,les rois et les dieux des bas-reliefss'animentet semblentvouloirsortirdesvieuxmurs.

Une chouettehulule,des vols frissonnantspassentsurma tête, un serpent glisse, un chacal s'enfuit : là-bas,dans le lointain,quelqueschiensaboient.

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III. L'OGRESSE DE KARNAK.

Montaigne,ensesEssais,parle sans cessede lui et finit

pardéclarerquelemoiesthaïssable.Je crainsbiend'imiterle défautquese reconnaissaitle vieilécrivainen rédigeantce chapitre.

Quandje réunisles documentsqui concernentl'ogresse,la ghoulahde Karnak,je m'aperçusque, sans en avoir lemoindredésir,je jouaisun rôle inattendudans la légendequi s'est créée depuisque le temple de Ptah thébain àKarnakfut déblayépar lessoinsdu ServicedesAntiquités.

Est-cemafaute si leshabitantsd'ici fontsi vite de l'his-toireà leur façon?A cespauvresgensignorants,il suffit

que quelqu'unsachelire les textes hiéroglyphiquespourqu'il soit réputé sorcieret possesseurde secretsprécieux.Marietteet M.Masperoont acquisainsi une placeimpor-tante dans les histoiresmerveilleusesqu'on se conte toutbas à la veillée.Je mesuisaperçuque,peu à peu, onm'yréservaitla mienne.Pas plusque mesillustresdevanciers,

je n'en ressensnul orgueil,car il suffit que le moindre

Maugrabinpassedans le pays pour noussupplanterhautla main. Le nouveau venu laisse entendrequ'il possèdeungrimoirequipermettraà quiconqueluiavancerala fortesommede trouver,grâceà lui,un trésor incomparable.Et

chaque année,quelqueniais se laisseprendre à l'appât,

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L'OGRESSEDE KARNAK 107

va chercherdans sa cachettelespiècesd'or qu'il a patiem-mentéconomisées,et, même,emprunteauxusuriersce quilui est nécessairepourparfairela sommeexigéeà l'avance.Une foisnanti, le Maugrabindisparaît et jamais, que jesache,nul à Karnakne s'estenrichidecefait.

M.Masperoa eubeaupublierle Livredestrésorsenfouis,bréviairedes chercheursclandestins: il n'est pas encore

parvenuàprouverauxpauvresgensd'iciquelesindicationsdesMilleet une nuits ne sont pas desdocumentssérieux,pasplusqueleslégendesrecueilliespar Makhriziet maintsauteursarabes.

Depuisbientôt vingt ans que je fouilleà Karnak,j'aitrouvé des milliersde statues, mais jamais aucun de cestrésorsfabuleuxauxquelslesindigènesseplaisentà croire.

Ai-jemalcherché?Je ne le croispas.Il est certain,pour moi,qu'une légendemerveilleusese

transmet de père en fils à Karnak. En lisant les textes

qui couvrentles murs des temples,il est faciled'en con-naître l'origine.Partout, il n'est questionque d'or et de

pierresprécieuses.RamsèsII affirmemêmequelescolonnesde l'Hypostyleétaientd'orfin,alorsqu'ellesne sont qu'enpierre blancheet bonnede grès,jadis bien solide.Je suis

payé pour le savoir.Evidemment,commel'assuraientlesauteurs anciens,Thèbeset le temple de Karnak renfer-mèrentjadisdestrésorsmerveilleux,regorgèrentde riches-sesau tempsdel'hégémonieégyptienne;mais la décadencedupouvoirpharaoniquesurvint,et lesinvasionsétrangèresl'en dépouillèrentà bonescient.La guerred'alorsn'avait

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108 LÉGENDESPOPULAIRES

d'autre raisonque d'enrichirles vainqueurs.Et pourtant,, chez les indigènes,un espoir persiste,se transmet de

générationen génération,et il suffitde la moindretrou-vaillepour le ranimer pendant de longuesannées.

Pour leshabitantsde Karnak,nonseulementles trésorsde jadis existenttoujours,mais,aussi,lesdieuxque leursancêtres adorèrent. Sous leur croyanceactuelle,qui est

sincère,lepaganismepersisteencorechezcespauvresgens,tout empreintsencoredes stigmatesancestraux.

Pourquoi,après cela,s'étonnerde se trouver, un beau

jour, mêlédansquelquelégendequi, par la suite,prendraallurehistorique?

Ici, les légendesmarchent vite et se transformentà

plaisir.Avant que celleque je vais rapporterne suive lecourshabitueldes autres, je la consigneraitelle qu'elle acoursen juin 1913.Il sera peut-être curieuxde voir ce

qu'elledeviendrapar la suite.Il y a vingt ans de cela,on voyait, au nord du temple

d'Amon,prèsdumurd'enceintede briques cruesquisépa-rait cet amas confusde ruines de l'enclos de Montou,

quelques faîtes de murs et de colonnesappartenant àun petit monumentdédiéà Ptah thébain.Cene fut qu'en1900queledéblaiementet la reconstitutionpurent en être

entrepris.Depuiscinq ans,dansle grandtempled'Amon,nosouvriersavaient,sanshésitation,travaillédans lesen-

droits, alorsdangereux,où je lesavaismenés.Aucunacci-dent, d'ailleurs,n'était venumettre le chantieren deuilJ.

J. Ilnes'enestproduit,nonplus,unseuldepuiscetteépoque.

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Î5hr2'34.LETROUAUXBIWAW(BOURTELAÏAL).,le Phot.Dittrich.

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35.SEKHMET,L'OGRESSEDEKARNAK.PhotStores.

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L'OGRESSEDE KARNAK 109

14

Quand je conduisisnos gens au temple de Ptah, jem'aperçusque leur bonnevolonté,leur résignationcoutu-mièreà l'accident,surtout,alors,toujoursà craindre,avait

disparu.Je m'informaidescausesd'un tel changementet,peu à peu j'appris, après mainte réticence,que l'endroitoù nous travaillionsétait hanté par une ogresse.

Jadis, au coursde fouillesentreprisespar un Européen,un éboulementdesterresensevelitseptpetitsenfantsdont,jamais, ni cadavres,ni os ne furent retrouvés.Le templede Ptah, depuiscette époque,s'appelaitet s'appelleencoreleBourtelaïal,letrou,lafosseauxenfants.Làétait la tanièrede la goule,l'ogressequilesmangeajadis.Quiconquedevait

passerprèsde l'endroitmaudit,pendantla nuit, tremblaitde peuret murmuraitdesconjurationspourécarterl'ogresseet les afritesdes petits enfantstrépassés.Des chacalsgla-pissaientet des chiensnoirsmordaientlesmolletsdesgenset les jarrets desânesqui,brayant de terreur,s'enfuyaientdroit devant eux en jetant leur cavalierà terre.

De l'avisdesvieuxouvriers,attaquer l'Ogressedanssonantre était aventure témérairedans laquelleils n'osaientme suivre.Je répondisà celaque je n'avais jamaisvu lamoindreogresseet que je tenaiscelledeKarnakpourima-

ginaire.Maisles gens,eux, en avaient vu au moins une, très

grande,avecdesdéfensesd'hippopotame.Elledormaitaprèss'être repued'un cadavred'enfant; alors,ils l'avaient tuéeet ensevelie,bienvite,dans ledésert,commeunebêtemal-faisante.

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no LÉGENDESPOPULAIRES

Je raisonnailes ouvrierset, parce que, commed'habi-

tude, j'étais sans cesse avec eux, le déblaiementpréli-minairemarchatant bienquemal.

Chaquejour,j'apprenaisquelquenouveaudétail,quelquelégendenouvellerelative à l'endroit hanté. On m'affir-mait qu'au nord du temple,une rangéede nègresdéfen-dait l'approchede la tanièrede l'ogresse.Lefait est qu'ontrouvalàunestatuedegranitnoirreprésentantThoutiqui,sousle règnede ThotmèsIII, fut directeurdes greniersd'Amon.

Cefut alorsun beau tapage.Si la statue est parvenueintacte au Musée,c'est parceque je l'envoyaile plus tôt

possibleà M.Masperoqui se trouvait à Louqsorà cette

époque.Lesporteursla déposèrentsur lepont de la daha-biehdirectoriale,la facetournéeversla proue.M.Masperom'a racontédepuisque Thoutise montra peu reconnais-sant de l'hospitalitéreçue: la dahabiehs'ensablaitsanscesseendescendantversleCaire.Lesmatelotsn'hésitèrent

pas à savoirla causede cesmultiplesarrêts : on tournalastatue de Thoutiversl'arrièreet tout rentra dansl'ordre.

A Karnak,Thoutiparti, le travailcontinuait.J'observaiquela confianceétait revenue: j'en susplustard la raison.Del'avisdespaysans,endécouvrantla statuenoire,j'avaistout simplementfait prisonnierlegéniegardiendu templedePtah et, bienplus,encopiantet traduisantlesquelqueslignesd'hiéroglyphesqui y sont gravés,je m'étais rendumaître du grimoiremagiquequi devait me soumettreladévoreused'enfants.

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L'OGRESSEDE KARNAK ni

Je n'inventerien, je raconte.A quelquesjours de là, nous étions dans le sanctuaire

central,pleinde terreset de décombres.Soudain,on mit à

jour une tête de lionneen granit noir,puis, la fouillecon-

tinuant, ce furent les épaules et les beaux seins d'unedéesseSekhmetqui apparurentbientôt. La piste menaitvers une petite chambresituée au sud du sanctuairecen-tral. En la suivant,on trouvale torse,leventre,lescuisses,les jambesde la déesseet, enfin,tout au fondde la cha-

pelle, les piedset leur soclefurentrencontrésà leurplaceprimitive.

La pauvre Sekhmetétait en piteux état. Tout bien

compté,nousen avionsretrouvéunecinquantainedemor-ceaux. Je les classaipatiemmenttout le longdu mur et

constatai,qu'en somme,il manquait peu de chosede ladéesseet qu'on pouvait tenter de reconstituerla statue etde la laisserà l'endroitmêmeoùellefut vénéréejadis.

Ceuxqui l'ont vue depuis se souviennentde l'impres-sionque la Sekhmetà tête de lionnedu templede Ptahleura produite.Ellesurgitde l'ombre,couronnéedu disquesolaire,venant versnous,tenant, aubout de son longbras

flexible,unelonguetige de papyrusqui s'épanouitentresesdeuxseinsnus.Peuà peu, lesformesseprécisent: le corpssvelteet chaste, le bassin étroit des jeunes fillesà peinenubiles,les jambesfineset fortess'animent et semblent

prendre vie. Seule,la tête demeureimpassibleet rêveuse,

rappelantquec'est une déesseet non une femmedevant

laquellevous voustrouvez.

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112 LÉGENDESPOPULAIRES

Jamais l'art égyptienn'a résoluproblèmeplus difficile

queceluideposerunetête de lionnesur uncorpsdefemme,et defairedecet amalgameunechosequin'estpasdifformeet à laquelleon finit par s'habituer.Cela tient peut-êtreà ce que chaquepartie fut traitée de main de maître. Latête est une merveillede forceconscienteet de férocitéréfléchie.C'est celle de Sekhmet,celle qui frappe, celle

qu'enun jour de colère,Ra lançasur les humains.« Quandje meurtrisleshommes,moncœurest en liesse,»disait-elleen revenantdu carnage,et il fallutpourqu'ellen'y retour-nât pas le lendemainet anéantît l'humanité entièreque,tandis qu'elledormait, Ra fit fabriquer,avec le sang des

hommes,de la bière et des mandragores,un philtre dontil remplit sept millecruches.Quand,le lendemain,Sekh-metvoulutrecommencerle carnage,elletrouva le philtre,en but et son cœur s'adoucit: elle s'en alla ivre sans

plus songeraux hommesl.Et si, maintenant,en mettant la maindevant vosyeux,

vouscachezla tête et ne regardezquele corpsde la déesse,vousconviendrezqueceluiqui le tira d'un blocinformede

granit noir fut un grand artiste et que vous voustrouvezen présenced'un des chefs-d'œuvrede l'art thébain delaXVIIIedynastie.Cesont là formesdignesde«la grandeamoureusede Ptah au beau visage», du grand dieu de

Memphisqu'elle avait accompagnédans son temple thé-bain.

i. Pourl'histoirelégendairede l'Egypteancienne,voirMASPERO,Histoireanciennedespeuplesdel'Orientclassique,l, p. 155etsuiv.

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L'OGRESSEDE KARNAK 113

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Cetemplerenfermaitdes statues, maispoint de barquesacrée.Celle-ci,oùlogeaitledouble,l'essencedivineet pro-bablementquelquereliqueinsignedePtah,était à Memphiset pas ailleurs.Amonn'avait la siennequ'à Karnak. Lesautres monumentsn'étaient pour eux quedessuccursales,des reposoirs,oùne setrouvaientquedesstatuesconsacréesdans lesquellesun doubledivin avait été déposé.Cecilesrendaitaccessiblesà tousjusqu'au fonddeleurssanctuaires.

Quiconquele désirait pouvait, chezPtah, moyennantuneredevancepayée à l'un des dix-septprêtres ordinairesde

l'endroit,pénétrerdansle sanctuaireprincipaloù trônaient

Amon,Ptah et Hathor, puis,à gauche,dansceluide Ptah,ouà droite,où se trouvaitHathor-Sekhmetà tête delionne.

Sa statue dont nousparlionsplushaut est nette et mate,mais la main qui tient le papyrus et le pied gauchequiavancentsont lisseset brillants.Combiende lèvresou demainsdefidèlesont dûseposerlà pourpolirainsicegranit?

Dans cette petite chambre perdue dans l'immensitéde Karnak,il semblequ'ildemeureencoredessonsétouffésde litanie fervente et des relents de parfums évanouis.Là, des générationsde fidèlesvinrent implorerla grandeamante de Ptah, déessebatailleuse,mais,aussi,sorte deVénus ardente et propicequi ne connaîtra la maternité

que sousles nomset les formesde Maoutet d'Hathor, laHéra boopis,la Junon aux yeuxde vachedesGrecs.

Les veilleuseset les petites lampesd'argile scintillent,l'encensfume,lemurmure des prièresdevientde plus en

plus ardent, tandis que les offrandesabondent sous les

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114 LÉGENDESPOPULAIRES

lotus bientôtfanéset leshauts bouquetsdepapyrus.Dansl'obscuritébrillentlesyeuxdesnombreuxchats sacrés,quede menuesfriandisesrendront favorableset accueillants,eux, les dieux familiersdu sanctuaire.

Parfois, à certains jours, Sekhmetet Ptah signalaientleurprésenceet rendaientdesoracles.D'ordinaire,quandla

porte du sanctuairecentral était fermée,le fidèlese trou-vait soudaindans une ambiancedont il ne pouvait définirla nature. L'atmosphèrebleuissaitet les statues de granitnoir, éclairéespar l'étroite baie percéedans une des dallesduplafond,prenaientdesmodelésplusbeauxet unevieplusintense. Les jours d'oracle, une lueur blanche tombaitsur l'image divine, se traînait lentement à terre,venait

jusqu'à l'orant, puis disparaissaitaussi mystérieusementqu'elleétait venue.Une autre lui succédait,puis d'autres

encore;parfois,ellesdevenaientsi nombreusesque le solsemblait se mouvoirsous les pieds du fidèleéperdu. La

statue, elle-même,changeaitde couleurà chaque instant,semblaits'animer,et le croyant criait au miracle.Ce phé-nomènese produit souventencoredans les sanctuairesdeKarnak: il s'expliquefacilementaujourd'hui.Letrou percédans le plafondfait fonctiond'objectif,les tracesblanchessont la projectionoptiquedes nuages qui passent dans lecielet vont,presquetoujours,de l'ouestversl'est, et la lueurbleuequi les entoureest celledu ciel lui-même.

J'ai vu bien souvent se renouvelerce phénomènedont

je demandai l'explicationaux pauvres gens de Karnak.Ils s'en sont allés en murmurant des conjurations.

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L'OGRESSEDE KARNAK 115

J'ai vu aussi,uneseulefois,unechosebelleentre toutes:un rayon de la lune passait par le trou du plafondet illu-minait Sekhmet tout entière. Cecine dura que quelquesinstants,mais je compris,ce soir-là, qu'on ait pu adorerdesstatues, car d'autres ont vu, jadis, ce que nous voyonsaujourd'hui, et ceux-làcroyaient en Sekhmet,en Ptah, enAmonet y croyaient assez pour leur bâtir les templescolossauxque nous admironsencoreaujourd'hui.

La légendepopulaires'est préoccupéede Sekhmetet unnouveau chapitre vient s'ajouter à ce que j'ai rapportéplus haut.

Lesdrogmans,pasplus que lesgensde Karnak,n'aiment

guère pénétrer dans le sanctuaire de Sekhmet, alléguant« qu'ils ne sont paspeureux, mais qu'ils sont prudents »,et qu'ils préfèrent ne pas déranger la ghoula, la goule,l'ogresse dans son antre. Là, encore, je dois rentrer enscène.Il est, paraît-il, dûment établi ici que si le déblaie-ment du temple de Ptah s'effectuasans mort d'homme,c'est tout simplementparce que j'avais fait un pacte avecSekhmet.Munidu grimoiremagiqueque j'avais copié surla statue de Thouti, je promis, dit-on,à la déesse de luirestaurer sa chambre, de réparer sa statue à condition

qu'elle se tienne tranquille et n'aille plus, tout au moinstant que je vivrai, croquer les marmots de Karnak;

moyennantquoi l'âme de Sekhmet,elle-même,est revenuedans son antique image.En somme,tout irait bien ainsi siles habitants ne redoutaient pas une rupture soudaineducontrat.

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116 LÉGENDESPOPULAIRES

Lesdieuxet les déessessont si grands, si au-dessusdes

rois, empereurset sultans que nul ne peut s'approcherd'eux sans craindre de les déranger. Ils ont à penser àl'harmoniedes mondes,à mille chosesque notre pauvreentendementne peut mêmesoupçonneret quiconque,fût-il

drogman, viendrait troubler leur hautaine et sublime

méditation, irait à la male heure. L'Olympe,lui-même,tremblaitquandZeusfronçaitsonnoirsourcil.

Bien que Sekhmet ait promisde renoncerà l'anthro-

pophagie,il suffiraitde bienpeude chosepourque, reprised'une de ses bellesfureurs antiques, elle ne recouvresalibertéet recommencesesravagesde jadis.

Alors, m'ont assuré les gens d'ici, elle reprendraitsaformecarnassièreet mauvaise.Elle apparaîtrait dans le

corpsd'une femmedu pays des Niamniamsqui aurait la

peaucouleurvermillonet uneénormegueuled'oùsortiraientde grandesdéfensesd'hippopotame.Elle aurait aussi un

grosventrebombéjusqu'aubas duquelpendraientde longsseinsflasqueset ridés et, par derrière,une longuequeuedecrocodile.Et lamauvaiseferaitcarnagedanslespauvresmaisonsdu village,broyantlesenfantsentre sesmâchoires

épouvantables.Sansy penser,les habitants décriventainsila formede

la bonnevieilledéesseApet-Thouéris,de cellequi accor-dait aux femmesdu Karnak de jadis des accouchementsfacileset desenfantsbeauxcommelesdieuxeux-mêmes.

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IV. LE CAS ÉTRANGE DE MAHOMMED

EL BISS.

J'ai passé bien des annéesdans la Haute Egypte sans

m'apercevoirque le totémismey survit encore.On sait que le Totem est un végétalou un animal con-

sidéré, dans certaines tribus sauvages, particulièrementdans l'Amériquedu Nordet en Polynésie,commel'ancêtrede la race et honorécommetel. Lesmembresde la tribudu Loup, par exemple, vénérèrent le loup parce que,jadis, un loup ou un dieu, ayant pris la formed'un loup,donna naissanceau fondateurde la tribu des Loups.Leshabitants desbords du bassin de la Méditerranéeeurentsemblablescroyancesjadis. Le grand Zeus, lui-même,ne

prit-il pas la formed'un cygnepour, grâceà Léda,devenir

père de Castoret de Pollux?

Ovide,ensesMétamorphoses,nechanteque merveillesdece genreet ne résume,en somme,queceque les écrivainsantérieurs et les légendespopulairesproclamaientsurlesdieuxchangésen bêteset parfoisen hommes,la formebes-tiale la plus parfaite, disent les philosophes,qu'ils aient

jamais modelée.Les dieux, sous ces apparences,se ren-

daientplusaccessiblesauxmortelset,surtout,auxmortelles.Il est peu de héros,en Grèce,qui ne doiventleur nais-

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n8 LÉGENDESPOPULAIRES

sanceà une interventiondivine,etHécatéefaisait sourireles

prêtres thébains lorsque, ne pouvant remonter bien loindans la séried'ascendants, il campait le fécondJupiter poursondixièmeaïeul. Hérodoteajoute que, depuisdes milliers

d'années, au dire des prêtres, les dieux ne s'étaient pasmontrés en Egypte. Ce en quoi on le trompait manifeste-

ment,puisquelesbas-reliefsdeDeir-el-Baharietde Louqsornous montrent le dieu Amonlui-même,soit avec Ahmasi,soit avec Maoutemoua,procréant Hatshopsitou ou Ame-

nophis III. Olympias ne proclamera-t-ellepas, plus tard,

que Philippe de Macédoineavait été remplacé par Zeuslors de la conception d'Alexandre-le-Grand?

Parfois, le dieu est moins entreprenant et consent à

prendre une forme vulgaire, tangible, pour vivre avec les

humains.Amonentrera volontiersdans le corps d'un boucou d'un jars; Apis, dans celui d'un taureau; Thot, dansceluid'un ibis ou d'un cynocéphale;Horus dans celuid'un

épervier; Sebek,enfin,se montre à noussousla formed'un

crocodile,tandis que la plupart des déessesse transformenten lionnes, en chattes ou en vaches. Tous les animaux.en somme,deviennentsupports de dieux pourvu que leurformeagréeà la divinitéet qu'ils présentent les caractères

requis et les marques distinctives. Tous les taureauxn'étaient pas des Apiset tous les béliersn'étaient pas desAmon.Il fallait que les prêtres eussentreconnu, dans l'ani-mal proposé,lesstigmates divins et, par leurs conjurationssubséquentes,fait descendre dans le futur dieu une par-celle de la divinité, « parcelle,dit Plutarque, que les Egyp-

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LE CASÉTRANGEDE MOHAMMEDEL BISS 119

tiens voyaient reluire dans la bête consacréecomme lesoleilreluit dans une goutte d'eau». Ceci fait, selon sadestinéeet sa fortune,l'animal demeuraitdans le templeou bien, dieu plus familier,habitait avec les humblesmortels, partageant leur vie et les mettant en crainte,

lorsqu'il était ou grognonou malade,et leur faisantpren-dre le deuil lorsque,mourant,il ne lui restait plusqu'à at-tendre les derniers honneurs de l'embaumementet de la

sépulture.Le christianisme, puis l'islamisme, semblaient avoir

suppriméentièrementce culte des animaux, ces relationsétroitesqui unissaient,jadis, lesdieux,l'hommeet la bête.Cequi peut être vrai en apparencene l'est pas en fait.Car,au moins dans le Saïd, les fellahsne tueront volontiersaucun animal, fût-il vermine et, le plus souvent même,

s'éloignerontdu serpentqu'ilsconsidèrentvolontierscommeun géniedomestique.Le crapaud, le geckoet le sehli oulézardbosquienn'ont rienà craindredepersonne,d'autant

plus, d'ailleurs,que ce dernier, le sehli« garde la clé quidoit ouvrir, à certains, la porte du paradis» (sic).

De nos jours encore,beaucoupde femmesarabes pré-tendent avoir conçu tout en rêvant d'un loup, d'un cro-codileoude tout autre animalet, pourcette raison,donnentunsurnombestialà leurenfant.

Hérodote et Diodoreont vu quel culte les chats rece-vaient jadis chez les anciens Egyptiens. C'étaient lesdieuxdomestiquespar excellence,et Plutarques'inquiétaitdéjà de leurs grands yeux énigmatiqueset de leurs pru-

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120 LÉGENDESPOPULAIRES

nelles«qui,dit-il,varient de dimensionsselonles phasesdela lune».Denosjours,le chat joueencoreun rôleimportantdanslescroyancesdesThébainsmodernes,coptesoumusul-

mans, car la croyanceque nous allons rapporter est plusancienne que les deux religions.

A Louqsor,commeà Karnak, à Gournah,à Qouft,à

Keneh,etc., et dans le Soudan,il existeun certainnombred'individusdes deux sexesauxquelson donne le surnomde biss(fémininbissa),surnomqu'ils transmettent à leursdescendantschez lesquels il finit par devenir sobriquetpatronymique.

Ainsile petit MohammedAbd el Al est appelécommu-nément Mohamedel Biss ou el Biss tout court, ce dont,d'ailleurs,MohammedAbd el Al tire une certaine vanité

puérile.D'autrepart, lesArabesdésignent,dans leur patois,par

biss,le chat sauvage,celuiqui rôdela nuit et vole danslescuisinesdésertes,l'être quelquepeu effrayantqui, danssesbondsapeurés,fait tinter ou tomberles casseroleset, fina-

lement,passeen un trait noir par la fenêtreouverte.Cet animalne doit pas être confonduavec le gouttou

chat domestique,qui ne fait pas grand'chose.Il n'est quele souffre-douleurdesmarmots.Le principaldésagrémentde ses fonctionsest de se voir arracherlesgriffes,afinqu'iln'éborgneoun'aveugleles petits enfantsqui grouillentoùil vit.

On peut se demander,commeje le fismoi-même,quelsrapportsexistententre MohammedAbdel AlelBisset un

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LE CASÉTRANGEDE MOHAMMEDEL BISS 121

chat sauvage.J'avoue que,lorsqueje m'enenquis,on crut

tout d'abord à une plaisanteriede ma part, croyant que,en Europe, nous avions aussi des enfants biss et bissa.Comme je convinsén'enpoint connaître, j'appris ce quisuit : MohammedAbd el Al el Biss (et tous ceuxqui sontbiss ou bissa commelui) n'a pas une âme d'homme,maisune âme de chat sauvage,une âmede bissen un mot.

La conséquencede ce fait, incontesté ici, est que, si,d'aventure, quand MohammedAbdel Al est endormi,son âme de chat éprouve une fringalenocturne,sent uneodeur de poisson, de rat ou de cuisine,ce qui, pour une

âme,mêmepour une âme de chat, sembleassezinattendu,son âme, dis-je,ne pensera à rienmoins qu'à abandonnerle corpshumainqu'elle anime.Elle s'évadera pour entrerdans un corps factice de chat sauvage, de biss, puis-qu'il faut l'appeler par son nom, non pas pour courir la

prétentaineet miauler dans la nuit, mais pour aller volerdehorsce qui pourra assouvirsa faim ou sa gourmandise.Et, le matin venu,quand lecorpsdeMohammedAbdelAl

qui, pendant tout ce temps, était deineuré inerte et sans

soufflesur le carreau, sera rentré en possessionde sonâme

vagabonde, MohammedAbd el Al se rappellera, en se

réveillant, ce que son biss a fait pendant la nuit, et ceci

expliquerabien des vols que la policene pourrait prou-ver autrement.

Commela qualité de biss ne dure,parfois,que pendantl'adolescence,on en garde de bons souvenirs,et une lai-tière toute ridée de Louqsor,une bissa,chenuecommela

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122 LÉGENDESPOPULAIRES

vieilleHeaulmière,regrette le temps lointain où son âmede chat allait si gaillardementrôder dans les cuisinesdesalentours.D'autres, commeErmanioset Fahmy Youssef,lesfilsde Youssef Makarios,ancienpayeurde Karnak-on voit quenousprécisons—racontent maintenantqu'ilssont grands,à quiveut lesentendreet croire,lesbons tours

qu'ilsfaisaient, jadis, quand leur biss allait régulièrementvoler,chaquenuit, le poissonet la viande chez ce pauvreChenoudaMakariosqui, à cette époque, était, en même

temps que fort économe,agent consulairede France et

d'Autriche-Hongrieà Louqsor.Il n'est pasnécessaire,ni utile, dedouterde tout ceci;ces

deuxnotablessontgens vivants et bien vivants,dignesde

foi, et leur déposition,devant un tribunal,serait parfaite-ment valable.C'est ce qui me fut répondu quand j'osaiélever quelquesdoutes sur la véracité de ce qu'on m'ap-prenait. Sur ce, je me tins coi et m'en trouvai fort bien.

Ermanioset FahmyYousseffajoutent,à l'appuide leurs

dires, tout commeMohammedAbdel Al, que, après queleurs âmes étaient rentrées dans leur corps humain, ilsracontaienteux-mêmes,et cela très volontiers,leurslarcinsde la nuit, précisant le vol que le pauvre Chènouda,tout

geignant,vérifiaitbientôtaprès.Jusqu'ici, la situation nocturnedu bissn'aurait rien de

désagréablepour un amateur,et lepauvreVillonaurait été,je pense,bien enchanté de l'être. Maisn'est pas bissquiveut. Cette qualité ne s'acquiert ni par concours,ni parintrigue, ni par argent : on est biss de naissance.Une

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LE CASÉTRANGEDE MOHAMMEDEL BIS 123

femme vient-elle à mettre au monde deux ou plusieursenfants jumeaux que, un, et parfois tous les nouveau-néssont bisset transmettent cette qualité à leursdescendantsmâleset femelles,éè qui,peuà peu,propagela race,pour la

plus grande gloire des noctambules. Les biss qui sont

malingres reçoivent, par surcroît, le surnom du lézard

(sehli) qui devient, lui aussi, patronymique.Ondit que toute médaillea sonrevers: la fonctiondebiss

a, aussi, sesennuis et ses dangers. Imaginez que quelqueétrangerouquelqueignorant,peu au courantdeshabitudeset des forfaits nocturnes des biss, ou bien que Chenouda

Makarios,voulantmettre fin aux rapinesd'Ermanioset de

Fahmy Youssef(ce qu'il se garda bien de faire, le bravehomme!), s'embusquedans un coin, armé d'un fusil,d'un

pistolet ou d'un solide nabout, et chasse et atteigne lechat maraudeur. Ermanios Fahmy, Mohammedel Al outout autre propriétaire du biss n'aura, alors, qu'à faire sa

dernière prière, car le corps humain abandonné par sonâme de chat ressentira,coup pour coup, ceux que le corpsdu chat recevraalors,et si le chat est tué, le corps humainsera tué aussi. Que voulez-vousqu'un corps fassepour sedéfendre quand l'âme est partie en chasse?C'est déjàpresque un cadavre. La petite Roueïa Mohammed,de

la

nagga el Focani, fut trouvée morte un matin, il y a peude moisde cela: elleétait bissa,et celaabrégeasesjours.

Un biss n'est pas trop encombrant dans une famille,mais la situation devient plus embarrassante quand onen possèdedeux ou trois à la fois.Le riche Ishak Abadir

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124 LÉGENDESPOPULAIRES

deKeneha deux enfants jumeauxet biss,et le révérend

indigènedelamissionaméricainedeLouqsorsetrouvedansle mêmecas. Laissezles âmesde ces jumeaux vagabon-der pendant la nuit : il leur arriveraassurémentmalheur.Leschats, commeles hommes,se battent fraternellemententreeux,et lesfilsd'Isha£oudu révérendn'y manquerontpas: l'und'euxfinirapar tuer l'autreet «dévorersoncœur»

(sic). Le plus prudent est de mettre chaqueenfant dansune chambreséparée,ferméeà clef: c'est ce que font les

pèresde cesintéressantsjumeaux.Cettemesure,jusqu'au-jourd'hui,a préservéleursexistencesaléatoires.

J'en étaislàdemonenquête—enquête fort sérieuse,car

je n'inventerien,ne fais quecalquer,en français,ce qu'onm'a dit en arabe et me garderaisbien de changermêmele nom d'une personne— quand, tout bien considéré,jefis remarquer à mes bailleurs de renseignementsque,quant à moi, j'étais très aise de n'être pas biss, toutd'abordparce que je n'avais pas de frère jumeau,dontjene saurais que faire, ensuite, parce7que la situation,quelque noctambuleet aventureusequ'ellefût, manquaitdegarantieset desécuritéet que,étant biss,je nepourraisdormirtranquille.

Je croyaisavoirréduit mesgensau silence: il n'en futrien,et j'appris que,pour l'hommeaverti,il n'est pas diffi-cilede distinguerun chat bissd'unchat goutt.Le premiera la queuecoupéecommeun petit fox terrier (sic).

D'autre part, l'enfant biss jouit d'une immunité quecertains pourraient lui envier: quiconquebat l'enfant

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LE CASÉTRANGEDE MOHAMMEDEL BISS 125

blessele bisset, en revanche,meurt bientôt. Aussisegarde-t-on bien de châtier les biss, ce qui leur permet de déve-

lopper tout à leur aise leurs instincts enfantins qui,hélas! ne sont pas toujours des meilleurs.

Comme tout passe en ce bas monde et que certains

parents ne désirentpas lancer leursenfantsdans la carrièrede biss, on a cherché et, naturellement, on a trouvé des

drogues et des régimes propres à faire disparaître cette

qualité. Malgré tous mes efforts, je n'ai pu connaître en

quoi consistent les médicaments, mais, en revanche, jesais quel est le régimeà suivre: il est simple et, cela vasans dire, efficace.L'enfant qu'on veut empêcher d'êtrebiss doit être nourri pendant deux ou trois mois de laitde chamelle, mais, ajouta la vieille laitière de Louqsor,il faut agir quand l'enfant est petit « avant que son âmede chat n'ait encore les yeux ouverts », sans quoi on

demeure biss jusqu'à la fin de ses jours.Tout ceci,j'en conviens,paraîtra peucroyableà d'aucuns.

Je n'ai pas,hélas! l'esprit assez inventif pour trouver deschoses aussi bizarres, en somme, que cette fable de la« Chatte métamorphosée en femme» dont La Fontaineavait trouvé l'idée je ne sais où :

Il l'amadoue,ellele flatte;Il n'y trouveplusriende chatte

Et, poussantl'erreurjusqu'aubout,La croitfemmeen tout et partout,

Lorsquequelquessourisquirongeaientde la natteTroublèrentle plaisirdesnouveauxmariés.

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126 LÉGENDESPOPULAIRES

Aussitôtla femmeest sur pieds,Ellemanquasonaventure,

Sourisderevenir,femmed'êtreen posture..

LAFONTAINE,II, XVIII.

Le cas de MohammedAbd el Al et de ses semblables

n'est, lui, nullement une fable, mais une survivance duculte totémique ancestral, car les gens qui sont biss oubissaont les chats en grande révérence,les aiment commeleurs pères (sic) et les protègent autant qu'ils peuvent,pour être, en retour, protégéspar eux.

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LE BARBIER ÉGYPTIEN

ET LES TROIS COUPES DE CHEVEUX

(ZIANA)

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Phot.Dittrich.

Phot.Simon.36-37.BARBIERSENPLEINVÈTSÏrETBARBIERENBOUTIQUE.

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38.UNZIANA,phot-Lekégian.39.MARCHANDDESUCRERIES.Phot.Bonfils,

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I. LES TROIS ZIANA.

(COUPESDECHEVEUX.)

Sefairecouperlescheveuxoulesfairecouperà un enfantn'est pas toujours,en Egypte, aussi simpleet dénuéd'inci-dents et d'intérêt que, tout d'abord, on le pourrait croire.Au Caire,le long d'un mur ou tout autour du jardin de

l'Ezbéquieh, il n'est pas rare de trouver quelque indigèneaccroupi, le cou entouré d'une serviette rouge, tissée àAkhmim.Près de lui, un barbier, armé d'un rasoir inquié-tant, presque large commeun sabre, à grands coups, luifait tomber les cheveux avec une rare dextérité; parfois,il s'arrête, contempleavecplaisir le crâne bleui que,peu à

peu, il met à jour, puis crache dans la paume de sa main

gauche: il y repasseensuitesonoutil et se remetà l'œuvre.Le tondu, bientôt, remue, marchande,paie quelquesmil-

lièmes,quand il ne s'acquitte pas avec du pain ou des

dattes, puis s'en va, tandis que le mizaïn 1, le rasoir, le

miroir,le plat à barbe de cuivrejaune et la servietterougeattendent un nouveau client.

Rire, railler, mentir, intriguer, raser les cheveux et la

i. Barbier.

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130 LE BARBIERÉGYPTIEN

barbe, poser des ventouses,faire des scarificationssont leslabeurs journaliers du barbier égyptien, qui, par bien des

côtés, rappelle nos anciens fraters; mais il en est d'autresoù lé mizaïn, l'embellisseur, joue un rôle prépondérant,où il gagne, ou tout au moins cherche à gagner, la fortesomme.C'est lui le héros du jour; on pourrait dire, pourun peu, que la tête de son client lui appartient alors.Musulmanset chrétiens n'échappent pas à l'empire tem-

poraire que la tradition lui attribue depuis de longssiècles.

Lorsqu'un petit Egyptien vient au monde,on lui tatoue,le plus tôt possible,soit une croix sur le poignet droit s'ilest copte, soit un point bleu s'il est musulman.Le tatouageest une coutume vieille comme le monde et les fameux«signesde reconnaissance» qui ont dénoué tant de tragé-dies et de comédies depuis Eschyle jusqu'à Molière enmontrent l'utilité quelquepeu méconnuede nos jours, si cen'est de M.Bertillon.

Le petit copte, ainsi marqué, grandit en attendant ledimanche de la Passion (haïd et Tanaseur ou Fête du

Baptême). Quoique le baptême puisse être administréen tout temps,l'usage veut, ici,que ce jour soit préféréauxautres pour baptiser en commun les nouveaux venus del'année. Ce sacrement est encore octroyé chez les Coptes,commechezlesGrecs,par immersion.

De vastes baptistères servent à cette cérémonie.On yplonge tous les petits enfants, qu'ils piaillent ou non,tandis que le prêtre récite les paroles propitiatrices. Le

baptême terminé, les innocents catéchumènes sont repê-

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LESTROISZIANA 131

chés et roulés,toujours pêle-mêle,dans une grande étoffeoù ilssèchenttout à loisir,puis on les rend à leursparents,ou plutôt, les parents viennent les reconnaître. Alors

apparaît l'utilité du tatouage que porte le petit bété toutnu. Grâceà lui, il est rare qu'une erreur d'identificationse

produise. Je n'en ai, tout au moins,jamais entendu citeraucun cas.

Le néophyte est désormaislaissé tranquille; il jasait,gazouillait: il parle, déjà,quelquepeu. Il marcheà quatrepattes, puis, soudain, il se dresseet le voici,encorechan-

celant, parti vers l'avenirsur sesdeuxpetits pieds.Troisansse sont passésdepuisle jour de la naissance.Le

jeunemusulmanet le jeunecopte vont faire connaissanceavec lemizaïnqui va couperleurs «cheveuxde lait».Tousdeux avaient reçu un nomen naissant: on va leur en don-ner un nouveau, plus intime et plus doux, que les

parents et l'enfant aimeront à entendre. Le petit bon-hommefait, ensomme,unenouvelleentrée dans lemonde.

La cérémoniequi a lieu à ce sujet s'appelle le ziana ou«coupedes cheveux».Elle est l'objet d'une fête à laquellele père et la mère convoquentparents, amis et voisins.

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II. PREMIER ZIANA.

Bien avant la naissancede l'enfant, la mère avait priéun saint musulman,ou chrétien,du pays de lui accorderun filsbeau et vaillant qu'ellelui mènerait,plus tard, quandaurait lieu le ziana, la coupe des « cheveux de lait » del'enfant attendu. Les saints musulmans et chrétiens ne

manquent pas à Louqsor ni dans les environs.Abou '1

Haggag et Mohammedel Hassani ont leurs fidèles,toutcomme saint Pacôme et le martyr Abou Seifeine ontles leurs. C'est dans leur mosquéeou dans leurs couvens-

églisesque seront opérésles rites du ziana.En Egypte, il n'y a pas de bonne fête sans musique ou

chansonde circonstance: c'est pourquoile père y convoquetout d'abord les joueurs de zoummarabeledi(espècesdehautbois rustique) qu'accompagneleur inséparableamie:la grossecaisse.

L'accouplementde ces deux sortes d'instruments, l'unaux sons aigus et nasillards, l'autre aux coups redoubléset vibrants, étonne la première fois qu'on entend leuraccord. A la longue,on s'y habitue, et cela d'autant plusvolontiers que hautbois et grosse caissene voisinent quepour les fêteset jamais pour lesdeuils.C'est probablementpour cette raison que les joueurs de ces instruments sont

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40-41.DANSEETcS~T DEZIANA.Phot.del'auteuretphotSimon.

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Phot.del'auteur.42-43.LECOUVENTDESAINT-PACÔME.

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PREMIERZIANA 133

.17

plus considérésque lesautres, et l'usage veut que tantôt,

quand passerale cortège,un ami de la familleles recevrachezlui, fera servir de nombreusestassesde café et, pourcomble de magnificence,donnera quelquesbeaux habitsaux musiciens.Cetrait sera répété de bouche en boucheet honoreratout autant les artistes que le pèreet sonami.

Enfin,lorsque les parentssont aisés,on fait venir aussiles gaouazi,danseuseset chanteusesqui ajouterontencoreà l'éclat de la fête.

Tout étant prêt, le père monte à cheval,tenant sonfils

devant lui.Pour la circonstance,on amisà celui-cidebeauxhabits et, parfois,un tarbouch enrichide papier doré: le

petit est tout fierde se voir en si richeappareil et son jolivisageprend une gravité charmante.

Lecortègese met en marche,précédépar la musiqueet,s'il est musulman,va faire visite à toutes les chapellesoù dorment les saints du pays. On s'arrête, on prie, on

chante, on danse,puis la processioncontinue gaiement,jusqu'à ce qu'elle arrive à l'édificeoù repose le saint, lecheikh musulmanqu'invoqua jadis la mère de l'enfant.

La coutumeest la mêmepour les coptes.C'est un petitchrétien que nous accompagneronsaujourd'hui jusqu'aucouventde saint Pacôme,dont on connaîtdéjàla légende.Les coptes étant tout autant prolifiquesque les musul-mans, la route qui y mène est, le jour de la fête choisie

pour le ziana, couvertede gens qui, soit à pied, soit à âneouà cheval,se dirigentvers le but du pèlerinage.La courseest longue: elle dure plus d'une heure.Enfin,dans le loin-

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134 LE BARBIERÉGYPTIEN

tain, au-dessus des champs, au milieu des arbres, appa-raissentlesmultiplescoupolesdu couventde saint Pacôme.Derrièrel'édifice,les tombesdu cimetièresont creuséesà lalisièredu désert que limitent tout au loin les monts de lachaîne arabique.

L'enceinte franchie, à l'ombre du grand sycomorecen-

tenaire, lespartiesdu couventsedéfinissent.Agauche,c'esttout un petit village composéde maisons en torchis oùs'abritent les commensaux du couvent, les desservants,leurs familleset leurs bestiaux; mais, avant lui, près d'un

grand arbre, est creusé un puits à côté duquel un vieuxcercueilchrétien sert d'abreuvoir.

Et là, encore,le merveilleuxet le miraclerecommencent.Le gardien du couvent m'a affirmé que, voici quelquesannéesde cela,un Européen chargea un marchand d'anti-

quités d'enlever ce monument antique de l'endroit où il

gisait depuisnombred'annéeset de le lui menerau bateau

qu'il avait sur leNil.Le marchands'envint au couventavecun camion attelé de deux chevaux1. Il y chargea le cer-

cueil, puis s'achemina vers Louqsor.Saint Pacôme,heureusement,veillait sur soncouvent et

les biensqu'il renferme.Il a horreur du vol, et chacun sait

que quiconque, lors des grandes assemblées, voudrait

dérober,mêmele plus petit fil du manteau d'un fidèle,en

i. L'étatdela routequimèneà saintPacômen'estpasencoreirré-prochable.L'arrivéeducamionà deuxchevauxestdéjàextraordinaireparcetteraison.Uneautrevients'yajouter: il n'existepasdecamionà deuxchevauxdansla régiondeLouqsor.

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PREMIERZIANA 135

serait empêchépar une forceinvisiblequi n'émaneque delui seul.Pacômeagit ce jour-làavecunesingulièrevigueur:leschevauxn'avaient pas fait centmètresqu'ils tombaient

morts, tandis que le cercueil descendait tout seul ducamionet revenait prendre son rôle d'abreuvoir près du

puits creusé à l'ombre de l'arbre.Dans les maisonsdu village, les femmesse cachent en

riant, les marmots grouillent, les buffles et les vaches

beuglent,lespoulescaquètent,lescoqschantent, leschiens

aboient, tandis que les insupportablesmouchespullulent.Une vieille, au bas d'un mur, fait cuire on ne sait quoisur desgalettes de bousequi fument.C'est par ce chemin

que passeront les femmespour se rendre à l'endroit ducouventà ellesréservépour assisteraux offices.

Allonsdu côté opposé.Là se trouve l'égliseproprementdite devant laquelle,en semaine,le longdu mur, sont ali-

gnés, accroupis,une vingtaine d'enfants qu'un magisterinitie aux mystèresde l'écritureet de la lecturedu copteetde l'arabe.

Mais, aujourd'hui, c'est fête, et la foule est nombreusedans la grande travée, où de lourds piliers de briquessoutiennent les voûtes du plafond. L'autre, la petite, estréservée à l'officiant et à ses acolytes, les chantres, les

harifs,qui nasillent de toutes leursforcesdevant le grandlutrin de bois. Leschapellessont à droite de cette travée.Aufondde la sallepubliquese dresseun mur ajouré,hautde deux mètres environ, derrière lequelsont reléguéeslesfemmes.C'est là où se rendent la mère et ses compagnes,

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136 LE BARBIERÉGYPTIEN

tandis que le père amèneson filsdans la nef des hommes,

accompagnéde ses parents, de ses amis et du mizaïn

(barbier).L'enfant est placé au milieud'un groupe com-

posé du prêtre, des chantres, des cymbaliers,des joueursde triangle, des parents et amis mâles, tandis que les

femmes,derrière le mur dont les ajourementspermettentde suivre la cérémonie,poussent des cris de joie (zagha-rit) retentissants et jouent du tarr, sorte de grand tym-panon qu'on frappe avec la main. Tout ce bruit effraiele

petit qui, parfois,pleure à chaudes larmes,tandis que le

prêtre et les harifs entonnent la prière liturgique copteet qu'ensuite la familleet les amis répètent la chansonsuivante:

LESFEMMES.

Commele couventde cemartyr est beau,Combienil est douxd'y venircélébrerunegrandefête.Savoûteest très hauteet trèsbelle,Carle martyrqu'ellerecouvrefut un grandsaint.

(Zagharit.)LAMÈRE.

Je suisvenue,avecbonheur,fairecouperlespremiersche-Ainsique je l'avaispromisjadis, [veuxde monenfant,

( Zagharit.)LEPÈRE.

QueDieusoitbénide m'avoirdonnécet enfantEt permisque je le voie,aujourd'hui,dansle couventdeAlorsqu'onluicoupesespremierscheveux, [cemartyr.

(Zagharit.)

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PREMIERZIANA 137

LECHŒUR.

CombienesthabilecebarbierQuivacouperlescheveuxdecetenfant!LalamedurasoirestenorfinEt lemancheest ornédepierresprécieuses.

(Zagharit.)

0 barbier,barbier,faisbienta besogne!Et coupeartistementlescheveuxde l'enfant,0 barbier,barbier,faisbienta besogne,Nouste feronsensuiteunbeaucadeau.

(Zagharit.)

Lebarbiera réponduqu'àdéfautdepièced'or,Il prendraun desanneauxd'or quipendentauxoreilles

[delamère. (Zagharit.)

Lebarbiera réponduau pèrede l'enfant

Qu'ilse contenterad'unebellerobede soiecommesou-

tenir de la fête. (Zagharit.)

Cependant,un petit plat à barbepleind'eau a été placéentre le prêtre et l'enfant; alors,un des domestiquesducouvent crie : « Amis,réjouissez-vousavec votre ami :il vous rendra ce quevous donnerezaujourd'hui.»Cha-cun comprendce que cela veut dire,et les piécettesdenickelet d'argenttombentdansleplat à barbe,tandisquele crieurdéclare: «Un tel a donnéson cadeau: Dieulelui rendraau centuple.»Et, tandisque lesfemmesfont debeauxzagharitsen l'honneurdu donataire,le crieurplonge

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138 LE BARBIERÉGYPTIEN

sa main dans l'eau du plat, retire la pièce et la met toutbonnementdans sa poche. Ce sont ses petits bénéficesdu

jour.Le barbier entre enfinen scène avec son rasoir qui n'est

nullement semblable à celui que vante la chanson citée

plus haut. Il prend alors possessionde la tête de l'enfant;il n'aura à couper des cheveux que la largeur de la mainsur la partie antérieure du crâne 1et à laisser une partiedes cheveux intacte, partie qui, peu à peu, s'allongera,

i. Compareravecla vieillecoutumegrecquerapportéepar PLU-TARQUE,ViedeThésée: «C'étaitencorealorsl'usaged'alleràDelphes,ausortirde l'enfance,poury consacrerà Apollonsespremierscheveux.Thésées'yrendit,maisilnesefitraserqueledevantdelatête,commefaisaientlesAbantesaurapportd'Homère,etcettemanièredesefairecouperlescheveuxfut,pourcetteraison,appeléeThésaïde.LesAbantesn'avaientpriscettecoutumenidesArabes,commel'ontcruquelquesauteurs,nidesMysiens.»

Ricard,letraducteurde Plutarque,remarque: «Plutarquefait en-tendrequecettecoutumeétaitplusanciennequeThésée,maisEustathe,surle secondlivredel'Illiade,écritqueceprincefut le premierquiconsacrasescheveuxà Apollon,etqu'ilfitcettecérémonieà DélosetnonpasàDelphes.ParunpassagedeLUCIEN,deDeaSyr.(t.III,p.489-in-40),s'ilestvraiquecetraitésoitdelui,ilparaîtquelesTrézéniensétaientlesseulsd'entrelesGrecsquieussentcettecoutumeet qu'ellene commençaqu'aprèsThésée.Carcetteconsécrationse faisaitenl'honneurd'Hippolyte,sonfils,partouslesjeunesgensdesdeuxsexes,qui,sanscela,n'auraientpaseulalibertédesemarier.Onleurlaissaitcroîtrelachevelurejusqu'àcequ'ilsfussentgrands;alorsonlesmenaitdansun temple,oùonleurcoupaitlescheveux,qu'onmettaitdansunvased'oroud'argent,surlequelétaitécritlenomdechacunetonleconsacraitdansletemple.Cettecoutumes'observaitaussichezlesAssy-riens,lesjeuneshommesoffraientleurscheveuxet lesprémicesdeleurbarbe.»

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PREMIERZIANA 139

tout commelanatte d'unChinoisoula mèchequeportaientjadis les princespharaoniques.C'est la choucha.

Les jours de ziana, le barbiern'est jamaisen train : ilcraint la besogne/etla fatigue,et ce n'est qu'aprèss'êtrefait longtempsprier qu'il consentà semettreà l'œuvre:il divisealorsla partiedu crânede l'enfantqu'ildoit raseren autant de carrésqu'il y a de personnesprésentesà lacérémonieet il met chacunedes parties aux enchères.«Achetezce champ,crie-t-il,achetezcette terre fécondecommecelledes îlots qu'entourele Nil! »Et chacundesassistantssepiquede générosité,lesenchèresmontent,ons'excite mutuellement,tandis que le barbier vante le

champqu'il va moissonner,protestede la difficultéde latâcheà lui confiée,fait minede tomberde fatigue,voirededéfailliret de toucherau trépas. Un si bon compèrene

pouvant mourirà la peineen un si beau jour, les piècestombentà chaquecarrénouveaudecheveuxà raser.

Ne croyezpas, cependant,que le barbierfasse fortunece jour-là: d'autres aussi,guettent la recette.On en faitdeux parts : la première revient de droit au prêtre, lasecondeest partagéeentre les chantreset lemizaïne.

Ce derniers'en console,d'ailleurs,car chaquejour de

zianalui amènede nombreuxbambinsà raser,et commeles papas et les mamansd'Egypte se piquentd'honneurd'avoir de nombreuxenfants, le mizaïneprend philoso-phiquementsonparti, car, siDieuprêtevieà l'enfant,il lecourberadeuxfoisencore,solennellement,soussonrasoir,lors de la circoncisionet du mariage.

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140 LE BARBIERÉGYPTIEN

Les cheveux de l'enfant ne sont pas laissés à l'aban-don.L'usage,chezun coiffeur,empêchequ'un clientmarchesur lescheveuxcoupés,car cet acte inconvenantdonneraittout au moins la migraineau propriétaire: à plus forte

raison,les«cheveuxde lait »sont-ilsencoreplusdignesderévérence.La mère les recueille,les tresse et en fait deuxbraceletsqu'ellefixeautour de la chevilledu pied gauche.Le bambinlesgardependant une semaine,ou plus exacte-

ment, du samedi après-midi, jour ordinairement choisi

pour le ziana, jusqu'au dimanchesuivant. Alors,la mèredescendau bord du Nil avec son enfant, rompt les brace-lets de cheveuxet les jette dans le fleuveauquelellecrie:

«Nil,je te lesdonnepour ton présent; accordeà notre en-fant la vie,la santéet la force.»

Le ziana des musulmans est presque exactement le

même,ce qui indique que la tradition est plus ancienne

que l'islamismeet le christianismeet remonte aux tempspharaoniques. L'offrande au Nil vient confirmer cette

opinion.Pour le musulman,la coupedes cheveuxse faitdans la mosquéeou dans le tombeau d'un cheikh,et lesbraceletsde cheveuxne sont jetés au Nil que le premiersoirde la nouvellelune,quand sonfin croissant commenceà paraître dans le ciel. Voiciune jolie chansonde zianamusulmanqui mérite d'être connue:

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CHANTDE ZIANAMUSULMAN.

LAMÈRE.

Lamèredit à sabelle-sœur: Apportedoncla tuniquede[soiede monenfantafinque tout le mondel'admire!

Toi,sa tante, maisva donc faireun tour en villepour[invitertousnosamis!

Il te fautprévenirtout notremondeen ville,Il faut quetousnosamisprennentpartà la fête!

LEPÈRE.

Lepèrecommande: quelepalefrenieramènelecheval.

LAMÈRE.

Maisla mèrereprend: Apportezle joli tarbouchde mon

[enfant.LEPÈRE.

Lepèrecommande: Quelepalefrenieramènelecheval.

LAMÈRE.

Maisla mèrereprend: Attendsdoncquelesinvitésarrivent!

LESINVITÉS.

Mèredujeuneenfant,oùet pourquoisommes-nousinvités?

LAMÈRE.

Je vaisau tombeaudu cheikhfairecouperles premiers[cheveuxdemontrésor,

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142 LE BARBIERÉGYPTIEN

Je vaisà cetombeaufairecouperlescheveuxde monfils,J'ai de l'argentà profusion.

LESINVITÉS.

AllonsversletombeauducheikhElBourdadi.Lebarbier

[estavecnous.Sonrasoirest en or et la pierreoù il le repassevientdu

[Hedjaz.Le barbiera juré qu'il prendraitune belleétoffelégère

[poursonturban,Puisaussil'anneaud'or de la mèrede l'enfant.

LAMÉRE.

Lachoucha1de monfilsest tout commeun jardinfleuri,Un jardinqu'arrosentquatresaquiehs.Cesquatresaquiehsarrosentlesvigneset pêchersqui y

[sontplantés,Eh toi! sasœur! Apportedoncdu savonpourlavercette

[jolietête.

Le répertoire des chansons de ziana est assez riche.Notre intention n'est nullement d'en former un corpusquelconque.Qu'on nous permette seulementde joindre,aux deux chansonsprécédentes (l'une à l'allure de can-

tique et l'autre si familière et rustique),une troisième

qui n'est usitéequepar desfidèlesdu martyr AbouSeifeine

i. Lachouchaestcettemèchedecheveuxdontila étéquestionaudébutdecechapitre.Elleestuneréminiscencedelamèchenattéedesprincespharaoniques.

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dont on connaîtdéjà lesvertus Ellerésumece quenousavonsdéjà dit et complètelesdeuxchansonsprécédentes.Lestrois formentun ensemblecurieux.Ellessont, celavasans dire, aussi inédites que toutes celles rassembléesdans cesétudesde folklorede Haute Egypte.

CHANTDE ZIANAD'ABOUSEIFEINE.

LAMÈRE.

Celacoûtebiengrosd'allertevoir:tuesbienloin!AbouSeifeine!Pourtantj'iraiverstoi,avectousmesamis,si lebonDieum'exauce,Alorsje donneraiquelquechosede beau,si le bon DieuDeuxciergesallumés! j'inviterail'ami, [m'exauce:Ceseramerveilleux,si lebonDieum'exauce!Deuxciergesallumésdevanttousmesamis!C'estlapremièrefoisquejechantedevantcecouventbienbâti.AbouSeifeiney est,danssontombeau,commel'abeilledansSanscesseil y travailleà sesbonstalismans, [saruche.Surtoutquandilentendlesondutambourin.

LEBARBIER.

Barbier,descendsde ton chameau,Pèredurasoird'or à l'affûtoird'argent!Maislebarbierprometdene prendreen cadeauqu'unepièce

[desoie,Et puisaussil'anneauet legroslingotd'orducollierdela mère.

1.QuoiquelapremièrechansondezianaaitétérecueillieaucouventdesaintPacôme,elleparait,elleaussi,avoirétécomposéepourlecou-ventdumartyrAbouSeifeine.

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LACOUPEDESPREMIERSCHEVEUX.

Barbier,barbier,coupe-luisescheveuxet rends-lesà samère,Leslarmesde l'enfanttombentjusqu'àsa manche.Barbier,barbier,vas-ysanspeur!Leslarmesde l'enfantcoulentsur sa robede soierougefoncé.

REPRISE.

Lebelhabitquej'achetai,aujourd'hui,je l'aimisà monenfant.Lafaceversleciel,je l'imploiepourlui,Demandantau bonDieuque tousmesennemisne rient ja-

[maisde sonmalheur,0 grandspalmiersfleurisdansunegrandecour!LemarchédeRumlaestouvert: allonsy acheterdesbonbons

[pourl'enfant.

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III. ZIANA DE CIRCONCISION.

La circoncisionramènel'enfant une secondefois sousle rasoirsolenneldu barbier.Lesplusanciensmonuments

pharaoniquesmontrentque la circoncisionétait pratiquéepar les constructeursdes pyramides.Lesjuifs, lescoptesjacobiteset lesmusulmansont conservécet usage.

Un jeune hommedoit être circoncisavant la puberté,généralementavant l'âgede neuf ans. Le jour étant con-

venu,les invitationsétant faites,le père conduitsonfilsà la mosquées'il est musulman,à l'églises'il est chrétien.L'imanouleprêtreprientpourleurfidèle,lequel,à laportedu lieu saint, trouveune troupede parentset d'amisqui,précédésdesmusiciensordinaires,formentun longcortègeau jeunehomme.

Celui-ciestmontésur un cheval.Unelonguepromenadecommenceà traversle pays.On va, on s'arrêtepartout:c'est grandeliesse.On rentre enfinà la maisonpaternelleoùungrandrepasattend lesparentset lesamis.C'està lafinde ce repas,oùlebarbierest invitéderigueur,quecelui-

ci, aprèsavoir fait le secondziana solennel,pratique lacirconcision.Touslesconvivess'empressentalorsde fairedescadeauxau circoncis.

Une vieillecoutumeveut que leprépucesoitconservé,

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146 LE BARBIERÉGYPTIEN

puisoffertau Nil.A cet effet,au bout de sept jours, il estmis dansunedatte qui,elle-même,est misedans un pain.Lejeunecirconcisdescendalorsau borddu fleuveet y jettecette offrande,tandis que les assistantsrécitent la vieilleformuledes ancêtrespharaoniques: « Prends ceci: c'estnotre dernièreoffrande! Retourne-la-nousen nous don-nant la joie, la vie, la tranquillitéet la force.»1

Et le Nil, le vieil Hapi, père des dieux et des hommes,

engloutit le présent qui lui est fait, de même que, voiciencorequelquesannées,lors de la coupuredu Khalyg au

Caire, il engloutissaitles pièces d'or et d'argent qu'onjetait dans ses flots limoneux.

La chanson musulmane qui suit résume les phasesdiversesdu secondziana et de la circoncision:

Elleva, elleva fairecouperlescheveuxde son émir;Aussiellen'ouvrirasaportequ'aprèsavoirmissesbraceletsd'or.

Elleva,elleva fairecouperlescheveuxdesonenfant,Aussiellen'ouvrirasa porte qu'aprèsavoirmisses boucles

[d'oreille.

1.HÉRODOTE,II, 104,dità proposdelacirconcision: «LesColclii-diens,lesEgyptienset lesEthiopiensont,dèsl'origine,étécirconcis.LesPhéniciensetlesSyriensdelaPalestineeux-mêmesavouentquelesEgyptiensleurontappriscettepratique,tandisquelesSyriensduTher-modonetdufleuveParthenieetleursvoisinslesMacronsdisentqu'ilslatiennentdepuispeudesColchidiens.Lespeuplesquejeviensd'énu-mérersont,detousleshommes,lesseulsquipratiquentlacirconcisionet il estvisiblequ'encelailsimitentlesEgyptiens.Maisdeceux-cietdesEthiopiens,je nepuisdirelesquelsont transmisauxautrescetusage,évidemmenttrèsanciendesdeuxcôtés.»

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ZIANADECIRCONCISION 147

Elleva,elleva fairecouperlescheveuxdesonémir;Aussiellen'ouvrirasaportequ'avecl'extrémitédesesbracelets.

Elleva,elleva fairecouperlescheveuxdesonenfant;Aussiellen'ouvrirasa portequ'avecla pointede sesboucles

[d'oreilles.

Vas-ygarçon,montesur ton cheval: beaucoupde genste[ferontun cortège;

Un châletout soyeuxcouvretes deuxépaules: sesfranges[flottentauvent.

Vas-ygarçonmontesurtoncheval: sesquatresabotsfoulent

[lesable;Uneétoffedesoiecouvresacroupe: sesfrangesflottentauvent

Lebarbierestentré,et voiciqu'ila dit :Mettez-luile tarbouchedecirconcision,

Puisje circonciraiet mettraileremède.0 lesdeuxbeauxpalmierstrèshauts,trèshauts.

0 lesdeuxpalmiersdupaysdeMeris:Leursdattessontdespanacées.

Apportezleshabitsdunéophyte,Puisje circonciraiet mettraileremède.

0 lesdeuxbeauxpalmiersquis'agitentdansl'air:Leursdattessontdespanacées.

Lamèreadit: Moncherenfantsepromèneet s'amuseaubord

Jamaisonnevit plusgentilgarçonquetoi! [duNil,

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Lamèredu jeunehommea dit : Monenfantse promènelen-

tement sur la bergedu Nil,Eux-mêmes,les soldats,ne sont pasplusbeauxque toi.

Lamèrea dit: Monfilsdescendjusqu'augrandNil,Unministren'estpasaussibeauquetu l'es.

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IV. ZIANA DE MARIAGE.

Lesgarçonset lesfillessemarientjeunesdans la Haute

Egypte.Quelquesannéesaprès la circoncision,le mizaïneva retrouversonclientpour la troisièmeet dernièrecoupede cheveux solennelle.Ceci n'est qu'un incident parmitous ceuxréglésminutieusementpar la traditionlorsde lacérémonienuptiale.

Lesoirdesonmariage,lefiancéest baigné,habilléet raséau milieud'une grandesalleautour de laquellesont ran-

gées les femmes.On lira, plus loin, quelques-unesdeschansonsqui sont dites en cette occurrence.

L'homme étant habillé, le barbier apparaît; celui-cin'a guèreperdude sa malicecoutumière.Il disposecontrele mur une étofferouge(uneandrinople,le plus souvent)qu'il entourede bougieset de lampions; puis, une foisde plus, il prendpossessionde la tête de son client qu'iladosseau fondmagnifique.

Leziana,cettefois,est plus longque jadis. Le bambin

pleuraitlorsdu premier;l'enfantétait quelquepeuinquietlorsde celuiqui précèdela circoncision,maisle fiancé,ce

jour-là,est impatientd'en finir avec les brimadeset plai-santeries,d'usageen l'occurrence,dont il n'a subi encore

qu'une partie. Le barbier n'ignorerien de cela: aussi il

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150 LE BARBIERÉGYPTIEN

en abused'autant plus volontiersque c'est son plusgrandmais,aussi,son dernier triomphe.L'hommelui reviendradésormaiscommeclient paisible,mais jamais plus il nediviserasa tête en tout petits champscarrésqu'il mettraaux enchères.Il abused'autant plusvolontiersde la situa-tion que,ce jour-là,toute la recette lui est acquise: aussi

dirige-t-illesenchèresavecle plus parfait entrain. Jamaisil ne fut si las, jamaisle champn'a été aussipetit. Il prenddes mines comiquesdont parents et amis se pâment de

rire, tandis que les femmeschantent; parfois,une d'entre

elles,au milieudu tumulte joyeux,d'une voieaiguë,cinglele patient d'une plaisanterie dont les assistants riront

jusqu'aux larmes, tandis que des zagharits retentissants

applaudiront la fine diseuse.—Achetezce champmerveilleux,criependant ce temps

lebarbier.Il produitdu maïs,du bléet de la canneà sucre.

J'en veux au moinsvingt piastres!Maisparents et amis se gardent bien de donner un si

haut prix. Ils préfèrentplaisanter le marié, faire durer leziana en protestant de leur pauvreté, marchandent,rient,

puispaient enfin.—Achetezcechampmerveilleux,criedenouveaule bar-

bier.Celui-làdonnedes roseset du jasmin! et tandis qu'ilrépanddesparfumssur la tête de son client, les enchèrescontinuentdeplusbellependant quelesfemmesentonnentla chanson suivante, digne de celles qui ont déjà étérecueillies:

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ZIANADEMARIAGE 151

Barbier,barbier,coupeles cheveuxdu fiancésousce kios-

[quepleind'ombre.Faiseurde turbans,fais-luiun beauturbanbienpropre.

Barbier,barbier,coupesescheveuxsousleshalfasverts,Faiseurdeturbans,fais-luiunturbandesoldat.

Barbier,barbier,coupesescheveuxsousleshalfassecs,Faiseurdeturbans,fais-luiun turbandecommandement.

Jeregardaiparlafenêtreetjelevisdansl'enclosdeschameaux,Etsonturbanbrillaitcommelefincroissantdela lunenouvelle.

Jeregardaiparlafenêtreet je le visdansl'enclosdesbœufsroux,Et sonturbanbrillaitcommela lueurargentéede la lune.

Je regardaiparla fenêtre,et je le visdansl'enclosdesgrandsEt sonturbanbrillaitcommebrillentleslampes. [buffles,

Quandnousentronsdanscejardin,lejasminnousembaume,Laroséet l'acacianesententpasplusdoux!

Et le barbier, tout aise d'entendre apprécierainsi le

parfumqu'il répand,reprendde plusbelle:— Achetezce champ merveilleux! Par Dieu l'incomr

mensurable,il produit de l'or et des pierresprécieuses.J'en veuxau moinscent piastres!.

Tandisque leschanteusescontinuent,toutesrailleuses:

C'estlenouveauvenu: il fautlerespecterC'estlui quiva entrerdansun nouveaupalaisrougecomme

[lespommes.

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152 LEBARBIERÉGYPTIEN

Puis une solistereprend:

Je suissa tante, nouveaumarié.Il faut venirchezmoi,Quandtu viendras,je mettraides tapisde soiedansle salon.

Et puis,je te feraidessorbetsà la rose,Et le joueurde rebabviendrapendantun mois.

Puisune autre, parlant pour la fiancéeabsente:

Le fincroissantde la lune nouvellebrille,mais,moi,je ne

[voisplusqueceluiquibrûlemoncœur,Combienlongueestlanuitpourcellequiattendceluiqu'elleaime;S'ilmefallaitpleurerpourqu'il sûtmonamour,je pleurerais.Il n'est pas libreencore,il faut prendrepatience!

Et commele barbier finit enfin son ziana, toutes lesfemmesreprennenten chœur:

Patiente,ôcitronvert,attends,verrefragile:NouspréparonspourLui le turbandu Hedjaz.

et terminent le ziana par ce dernier vers de la chanson

nuptiale:

Couvre-toi,fiancé,de ton turbande noces!

Le rôleofficiel,magistral,du barbierest uni: désormaisil lui faudra attendre près de quatre ans que le bébé quinaîtra du mariagevienneà son tour faire couperses pre-mierscheveux.

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ZIANADEMARIAGE 153

20

Les documentsrassemblésdans cespages sont loin deformerune étudecomplèteet définitivedes usagespopu-lairesrelatifsauxcheveuxdansle Saïd.Ils montreront,au

moins,combiende faits singuliersnous ignoronsencore.Lesongleset lesdents desenfants,eux aussi,méritentuneétudespéciale.

Onignore,généralement,que,quandun enfantd'iciperdunedent delait, il attend le soiret, au momentoù le soleil

disparaîtà l'horizon,il la lancedanssadirectionencriant:«Prendsla dentd'unâneet rends-moiunedentdegazelle.»

DansleSaïd,onnecoupepaslesonglesdespetitsenfants.Onplongelesdoigtsdansde la farinechaudequi arrivedumoulin.Les onglesse désagrègentpendant cette opéra-tionunpeudouloureuse;puis,commetout cequisedétached'un enfant pour la premièrefoisest sacré,on mangeenfamillelepain fait avecla farineoùlesonglessesontdésa-

grégés.Je rappelleraiquecescoutumesseretrouventend'autres

pays.LespetitesGrecquesjettent leursdentsde lait verslesoleilcouchantenluidemandantdeleurdonnerdesdentsen or, et le vieuxmaréchaljaponaisNogivoulut,avant dese suicider,que ses dents et ses onglesfussententerréstandisqu'ilabandonnaitsoncorpsà la dissection.Cheveuxet onglesdevaientêtre rendusà la terre, tout commeen

Egypte,premierscheveuxet prépucedoiventêtre rendusau Nil, le dieu toujourspuissantet toujoursvénéré.La

légendeveut mêmeque, jadis, une jeune viergelui étaitconsacréechaqueannée.

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i54 LE BARBIERÉGYPTIEN

Quoiquelessavants de laCommissiond'Egypte aient nié

l'existence de cette coutume, il n'en demeure pas moins

certain que, chaque année, le bateau de la « Fiancée »

assisteà la coupuredu Khalyget que, dans la chansonquisera traduite plus loin, on constate que la tradition existe

toujours ici. Ceci est d'autant plus naturel que, chaqueannée,des femmesse noient en allant remplirleurs lourdes

jarres au Nil. L'usage n'est pas de pleurer ni de plaindreces noyées que l'on considèrecomme ayant été vouées

par le Destinà être engloutiespar le Nil.« C'est un saint, un bon cheikh que le Nil, c'est lui qui

nousfait vivre, »disent lespaysans du Saïd,paraphrasant,sans le savoir, la fameuse phrase d'Hérodote: «l'Egypteest un présentdu Nil»,tandis qu'ils saluent au Bienfaisant.

Au cours de cette étude, j'avais été frappé de cette finde toute cérémoniede ziana qui, chaque fois, ramène tou-

jours l'impétrant vers le Nil comme vers le dieu primor-dial auquel on rend ou confie,commeà son père, tout ce

qui vient de lui et doit lui être retourné. Je pensai que si,

pour de simplescoupesde cheveux,tant de poètes avaientaccumulédesrimes,il endevait être d'autres qui loueraient,commele faisaient les Egyptiens pharaoniquesdans leurs

hymnes fameux, celui qui, depuisdes siècles,dont chaquejour nous connaissonsmoins le nombre, donne la vie etl'abondancesur ses rives fertiles.Là encore,les documentsabondent.Nousnous contenteronsaujourd'hui de traduirela jolie chanson suivante qui résume plusieurs des faits

signalésdans cette étude et la terminera.

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ZIANADE MARIAGE 155

CHANSONDU NIL.

Elledescendau Nil,chantantaveclesfemmes,Elledescendau Nily jetersonoffrande1.

ElledescendauNilpourybaignersonfils,N'osantpass'approcher,carellecraintsesvagues.

0 Nil,trèsbeau,Je t'amènemonfilsaimé.

0 Nil,toutdebonté,Je t'amènemonfilspourquetu lebénisses.

0 Nil,tout de douceuret de beauté,Je t'amènemonfilsauxyeuxfardésdekohl.

Notremaison,monfrère,est au milieudesterres.Bâtis-nousunlogissurlarivedufleuve.

Monfrère,au lieud'allerau paysdu semoum,Bâtis-nousun logissur la rivedu fleuve.

Monfrère,aulieud'alleroùlaterreestbrûlante,Bâtis-nousun logisauborddu Nilpaisible.

0 Nil,ainsiqued'habitude,Aumoisde Mésoré,tu gonfles.

0 Nil,queta cruesoitbénie,IrréprochableNil,viens! Arrosenossemisd'été.

1.Il s'agiticidupaindecirconcision.

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156 LE BARBIERÉGYPTIEN

0 Nil,lesvertsKoutkhats1de tes bordssententbon.0 fleuve! monteencore,inondenossillons!

Nil! lesfleursdesKoutkhatsdetes bordssententbon.0 fleuve,monteencore,aidelespaysans1

0 Nil,quetu esbeauquandtu courssur la terre,Commeunfirmanrouléquinousvientdu Hedjaz!

Quetu es beau,ô Nil!Tu inondesla terre,Ainsiqu'un saintfirmanparfumédu Hedjaz.

Bonnenouvelle!Lechampdu laboureurseratout inondé;Il lui faut préparerattelageet charrue.

Bonnenouvelle! Vadire au laboureurque le Nilest très

Répareta charrue,achètelessemailles! [haut,

Ainsiqueles Pléiades,tu brilles,6 Nil;Chaqueannée,tu nousprendsunede nosplusbelles.

Tubrilles,Nil,commelesyeuxdelabufflone,Tu nousprends,chaqueannée,uneautre fiancée.

0 beauNil,c'estde toi quenousvient ledestin,Lesjeunesfemmesvont,au soir,puisertoneau.

Fille,surtessourcilsonpeutsereposer,Fiancéequidescendsau Nilpuiserde l'eau,Tu réjouislespoissons,et le sablesouriten s'ouvrantsousFille,surtes sourcils,un cavalierpourraitcourir, [tespas.

i. NomdonnéàlapublicariaundulataetàlaFrancœuriacrispa.

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Phot.Simon.

pKr-3'44.ELLEDESCEND (p.155).45.FEMMESAUBORif.torùNIL.

Phot.Dittrich.

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Phot.Lekégian.46.NUBIENJOUANTDELALYRE.

Phot.Sebah,47.MUSICIENSARABESJOUANTDUKISSER.

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ZIANADEMARIAGE 157

Nouvellefiancéeallantvoirle beaufleuve,Tu réjouislespoissonset le courantsourit.

0 fleuve,salue-moi,tu es beau,Monanneautombé,monanneautombé: lepatronl'a pris.

0 fleuve,salue-moi,tri quicours,Monanneautombé,monanneautombé:mononclel'a pris.

Salutà toi,salutà toi,Nildel'Orient,Monanneautombé,monanneautombé: le soldatl'a pris.

Salutà toi,salutà toi,ô Nilpleind'eau, -

Monanneautombé,monanneautombé:leplusbeaul'apris.

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CHANSONS POPULAIRES

DE LA THÉBAÏDE

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21

CHANSONS POPULAIRES DE LA

THÉBAIDE.

Les voyageursqui, chaqueannée,remontentle Nil ou

parcourentses rives fertiles s'aperçoiventbien vite quel'air sembleimprégnéde constantesmélodieset que toutchanteautourd'eux.L'hommequi puisede l'eau au borddu Nil,tout en tirant la tigede sonchadouf,lancedansle

crépusculesa longueplainte aux notes étranges,que seslointainsancêtres,contemporainsdes Pyramides,lui ont

léguéede siècleen siècle.Plus loin,c'est la rouede la sa-

quiehqui tourne avecsondouxbruit monotonede harpeéolienne.Il n'est pas d'hommequi ne rythmeson travail

par unechansonspéciale,dematelotquinesachelesnoteset les parolesde l'air qui cadencechaquemanœuvre.

Peu à peu,on s'habitueà cesmélopéesdouceset tristesdont il est difficilede comprendreles paroles.

J'ai voulusavoirce que chantaientautourde moiceux

qui travaillent,ceuxqui rient et ceuxquipleurent,et j'aiété frappédu réelmériteet de la sincéritéd'inspirationdeces humblespoésiesrustiques, composéespar de pauvresgensquine saventni lireni écrire.Ellesnesontmêmepasriméesen bon arabelittéraire,maisen languevulgaire,en

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162 CHANSONSPOPULAIRESDELATHÉBAIDE

patois et, pour cette raison, mépriséesde la majorité des

indigènesayant reçu une certaine instruction. Ce sera aulecteurà juger ce qu'ellesvalent en français.

Je me suis proposé de transcrire ici ce que j'entendsautour de moi depuis vingt ans, en m'efforçantde rendrele sensdu texte recueilliplus qu'à en donner un mot à mot

impeccable.J'estime que cette dernièreméthode,très scien-

tifiqueassurément,n'aboutit le plussouventqu'à fairepar-ler petit-nègre au plus charmant poète et à défigurersonœuvresousprétexte de la vouloir rendre plus exactement.

Je mesuis, d'autre part, abstenu de tomber dans l'excèscontraireet de faireœuvrepersonnelleen ajoutant de moncru. Lespauvrespaysansd'ici ont l'imaginationassezriche

pour pouvoir se passer d'un collaborateur étranger. J'aifait aussi ressemblantet exact que possible.La chosen'a

pas toujours été facile, car la langue des gens de Haute

Egypte est parfois difficileà comprendre,même au boutde longuesannéesde séjour parmi eux. Ce fait excusera,souhaitons-le,les fautes involontaires que j'ai pu com-mettre. D'ailleurs, je ne suis pas arabisant de profession.Je ne suis qu'un archéologuequi signaleà ceux du métierla riche moissonqu'ils pourraient faire si, délaissant unmomentles livres,ils allaient écouterceux qui travaillent,ceux qui chantent dans les rues populeuses, dans les

champs qui donneront les richesmoissonsquand viendral'avril ou enfinceux qui, tout en larmes,accompagnentundes leursvers la tombe.

Ces rustiques poésies,crééespar des gens qui ne con-

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CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE 163

naissentmêmepas les règlesde la versification,mais quiles sentent d'instinct, paraissentêtre d'origineassez an-cienneet souventj'ai été tenté de les compareravec les

documentspharaoniqueset grecs.En le tentant ici,jesor-tiraisducadredecelivre,quin'a d'autrebut quededonner

quelquesmomentsde loisiraux honnêtesgensen leur enfaisantun peu connaîtred'autres qui viventpaisiblementdans la Thébaïde.

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Phot.del'auteur.

48-49.CHAMEAUXETTifeWfcAUXAULABOUR.Phot.Bonfils.

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22

I. AUX CHAMPS.

CHANTS DE LABOUREUR.

Cettesuitededouzechansonscomposeunesériechantéependantunejournéedelabour.J'aigardél'ordredanslequelellesont étédictées.

LETAUREAUSOUSLE JOUG.

—Jougdeboiset decordes,quemeveux-tu?—Mets-toidessous!lechameaun'estpaslà.

Qu'as-tudonccematin,eh! toi,lefort?—Lalongueurdusillonm'arenduparesseux.

Aujourd'huijeneveuxêtremissouslejoug,Niriente demander,nipaillehachée,nieau.

C'estdoncpourt'enrichirqueje travailleainsi?Lachancearrive,enfant,quandonnel'attendpas.

Monmaîtreest prèsdemoi,Nousmarchonspasà pas,samainflattemoncou.

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i66 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

LATERRE.

La bellemedit : Pourquoiviens-tumaintenant?Tuesdeuxmoischezmoiet absentpendantquatre.

L'HÉRITIER MÉCONTENT.

Onm'adonnéunepart de l'héritage,Maisona prislemeilleurdubien,et l'onm'a laissélemoinsbon.Monchampest enclavédansceuxdesautres.Onne m'a pasdonnéce que j'auraisdésiré.

LE PARESSEUX.

Cesillonestvraimenttroplong;pourquoilelabourerà fond?Lesanimauxfatigueraienttrop à cette besogne.Commençonsle sillonen descendant:En débutantainsi,nousironscommele feu.La tâcheest loind'être finie.Reposons-nous,noussommeslas:Cesillonest pleinde cailloux!Palmiers,qu'il est douxde sereposerà votreombre;Commec'estjoliquandlespalmesfrissonnentdansle cielbleu.

COURAGE.

Le soleildarde,lève-toi,moncamarade.Le soleilest semblableà celuidu paysdesRoumis1!

Je voudraistrouverun agentquisachedu marchéSi l'onvendcherou bonmarché.

i. LesGrecset, engénéral,lesEuropéens.

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AUXCHAMPS 167

VOCALISE.

Tafilleest aveclemarchanddevin,Elleest belle,et sescheveuxsontéparssursondos

LE LABOUR.

Labourelechampdèsaujourd'hui,Labourepourla fève,lebléet leguilbane.

Labourele champde l'auroreà lanuit,Carc'estluiquipaieranosdettes.

Labourele champ,jeunehomme,Attelleletaureau.

Je labourele champdontje suislemaître.

J'auraifinidele laboureravanttoutlemonde.

LE VAIN.

Moi,sijelaboure,cen'estquederrièreuntaureau.Aumilieudeterrainsvastescommeundésert.

Je vendsdesvaches,j'achètedestaureaux,Taureauxdursau labeuret prêtsà obéir.

Sijemedémèneainsi,c'estquelasaisonm'yoblige.J'ai l'aird'unamoureuxquiaimeunefilledansunautrevillage.

L'ORPHELIN.

—Vieillardauxcheveuxblancs,je te recommandemonfils,C'estungaillarddurau travail.

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168 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

—Mononcle,soyezgentilpourmoi,carmonpèreest absent,Il est alléchercherlesobjetsquelesvoleursnousont dérobés.

Mononcle,achetez-moidesprovisionsau marchédu mardi;C'estmonpèrequile faisaitjadis,et voiciqu'ilest mort.

Mononcle,achetez-moidesprovisionsau marchédu lundi;C'estmonpèrequile faisaitjadis,et voiciqu'ilest mort.

Mononcle,renvoyez-moichezmoi,d'où je viens,Pourquoirester icioù je suisétranger?

L'OUVREURDES RIGOLESD'ARROSAGE.

Ouvrela rigoleoùcculeral'eau.L'eaudu Rouge1est commela vaguequisebriseet déferle.

Champsdegrenadiersarroséspar l'eaudespuits,Vosgrenadessontamèrescommelescoloquintesqu'onne peut

[goûter.Acheteur,va donnercesbonnesparolesà mesfilles.Et disà cellequiest follequesonpèreestmort.

LES PIGEONSENFUIS.

A l'hommequi marchesur la routede l'oasis,Disquetouslespigeonssesontenfuisà sonarrivée.

Disà l'hommequimarchesur laroutede Qoceyr,Qu'àsonarrivéetous lespigeonsse sontenfuisdansla nuit.

i. Lesoleil,maisplusparticulièrementlesoleilenavrilet mai.

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AUXCHAMPS 169

Oh!combienj'aipleurédecela,monami:Commeunaveugleregrettelalumièrequiluimontraitlechemin.

Appelle-les,ô Salama!

Appelle-lesquandilspasserontdanslavallée.

FINALE.

Soleil,couche-toi! Barques,voguez!Monpaysest lointain; je retournechezmoi.

SEMAILLESDANSLABOUE.

Onappelleenarabelaugl'actiondedonnerun labourau soldouxparsanature.CesterrainssetrouventsoitsurlesbordsduNil,soitsurceuxdescanaux,puisdanslecreuxdeceux-ci,quandleseauxdel'inondationdescendentet disparaissent.

Lejourmêmeduretraitdeseauxa lieulelaug.Lecultivateurcreusedanslaboue,aveclemalaoug,untroudanslequelildéposedesgraines,puisillerecouvre.Unjourderetarddurciraitla terreet nuiraitausuccèsdulaug.

Voicila chansondulaugoudessemaillesdanslaboue:

C'estle jourdu laug,allons-nous-enle faireAvecle malaougenfersolide.Lejourdu laug,allonsà Gelahich.Lejourdu laug,allonssemerdesfèves.Lejourdu laug,faitesbienvotretravail.Lejourdu laug,vite,quelesolnerestepasen friche.Lejourdu laug,poussezdansla terre.Lejourdu laug,jevousdonneraidesgâteaux.

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170 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

Lejourdu laug,travaillezdanslecreuxdu canal.Le jourdu laug,noussommesgaillards.Lejourdu laug,noussommescouvertsde boue.Le jourdu laug,notrechefest venu.Lejourdu laug,il nousa dit : Semezlesfèves.Le jourdu laug,notreprêtreest venu.Le jourdu laug,il nousa dit : Semezlespois-chiches.Le jourdu laug,le propriétairedu terrain,Le jourdu laug,nousa dit : Semezla luzerne.Le jourdu laug,Sakhanest venu,Le jourdu laug,disant: Semezleguilbane.Le juurdu laug,on trouvebeaucoupd'ouvriers,Lejourdu laug,le travailmarcherapidement.Lejourdu laug,lesouvrierssontcourageux.Le jourdu laug,un hommeensemenceun feddan.Lejourdu laug,notrechefest venu,Lejourdu laug,il nousa payésgrassement.

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L'ARROSAGE DU CHAMP.

LECHADOUF1.

Quandje faisdescendreleghebbad2duchadouf,Mesreinssebrisent,ô compagnons.

Il estbrûlant,ceghebbad,commeuncharbondeforge.Avotretour,vouspeinerez,mestout petits.

J'aimebeaucoupmesamies,lesfillesquiviennentpuiserde[l'eau.

ParDieuquim'entend,moncœurfut brisépourtoi,

0 filleblanchenouvellementmariée,Quilaisseflottertescheveuxpourquechacunlesadmire.

Et toi,viergeau teintclair,Personnen'adescheveuxaussilongsquelestiens.

Tonpalais,Emeraude,Est bâtid'émeraudes.

1.Instrumentàbasculeemployépourmonterl'eau.2.Longuetigedeboisquetirelepaysanpourfairemanœuvrerle

chadouf.

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172 CHANSONSPOPULAIRESDE LA THÉBAIDE

Jeunefille,tes ssinssontde beauxcitronsmûrs

Quecacheta robe bleue.

Soisla bienvenue,toi que je n'ai pas vuedepuislongtemps,Depuisun moiset un jour.

Haliamedit ensemoquantdemoi: Tuespauvre.—Quel'argents'en aille,maisque la forceme reste.

Je disà une autre: Tun'espasheureuse,carton mariest avare,Il craint, sanscesse,que tu le voles.

Quandje faisdescendreleghebbaddu chadouf,Mesreins se brisent, ô compagnons.

Il est brûlant,ce ghebbad,commeun charbonde forge.A votretour, vouspeinerezmestout petits.

CHANTDU GHEBBAD».

Cematin je suislas,Moncorpsest tout malade.

Je suislas, je suislas,Ya aoulad2 !

Raidicommeun bâtonOutel un cuirséché,Je suislas, je suislas,

Ya aoulad!

i. Voirla note2,pageprécédente.2. 0 lesenfants! 0 mescompagnons1

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50.UNCHADOUF.Phot.Lekégian.51.HOMMETIRANTLEGHEBBAD.

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52.BUFFLESSEBAIGNANTPRÈSD'UNESAQUIEH.PhotZangakietSebah53.LECHAPELETDEGADOUSDELASAQUIEHD'ÉLÉPHANTINE.

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AUXCHAMPS 173

23

Tum'éreintessanscesse,Je te crains,ôghebbad,Je suislas,je suislas,

Yaaoulad!

Je tremblecommefeuille,En voyantunghebbad.Je suislas,je suislas,

Yaaoulad!

MesmainssesontmeurtriesSurleboisdughebbad.Je suis las,je suislas,

Yaaoulad!

Mesmainsétantblessées,Je fusaumédecin.

Je suislas,je suislas,Yaaoulad!

Donne-moi,bondocteur,Quelquetempsderépit.Je suislas,je suislas,

Yaaoulad!

Il meguéritlesmains,Puisdit: Tireaughebbad.Je suislas,je suislas,

Yaaoulad!

Lemondeestbienmauvais,Carje n'yai repos.Je suislas,je suislas,

Yaaoulad!

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174 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

Il semoquede nous,Quisommespauvresgens.Je suislas,je suislas,

Ya aoulad!

J'ai peurde toi, ô monde,Cartu esun menteur,Je suislas,je suislas,

Yaaoulad!

UnfourbequisépareLesamisdesamis.

Je suislas,je suislas,Yaaoulad!

Maiscelafut écritVoicibiendesannées.Je suislas,je suislas,

Yaaoulad!

Il mefaudratoujoursSuperposermesmains.Je suislas,je suislas,

Yaaoulad!

MesmainsendoloriesTout le longdu ghebbadJe suislas,je suislas,

Yaaoulad!

Du talonde mespiedsAusommetde matête,Je suislas,je suislas,

Yaaoulad!

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AUXCHAMPS 175

LASAQUIEH1.

LEMATIN.

Soleilquisorstout rosede lamontagnerose,Soisletrèsbienvenu!C

Holà! mesbœufscouplés,Hâtons-nous,hâtons-nous!

Lajournéeseralongue,Peinezau joug.

TournezlarouePourarroserla terreféconde.

Fatiguez-vouspourmoi,Pourmerendrejoyeux.

L'APRÈS-MIDI.

Noustravailleronsduleveraucoucherdusoleil.Lesoleildescendvite,maintenant,versl'horizon.

LESOIR.

Lesoleils'estcouchérapidement.Voicivenirle froiddusoir,

Aprèslachaleurde la journée.Je suisharassé.

I. Rouehydrauliquequefontmouvoirdeuxbœufsconduitsparunhommeouunenfant,quichantepresquesanscesse.

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176 CHANSONSPOPULAIRESDE LA THÉBAIDE

LA VACHEROUSSE.

C'estun petit eafantqui m'a fournile texte traduit ici. Juchésur la rouehorizontaled'unesaquieh,il s'égosillaitau grandsoleil,tandisqu'unevacke,atteléedevantlui, tournaitla reuequi meutle chapeletdegrandspotspleinsd'eauduNil.

-

Eau de la saquieh,va-t'en à droite,eau de la saquieh,va-t'en[à gauche

Arroserle raisin,lespêches,lesgrenades.

Je croisbienquela vachea manquéde guilbane1,Ellea broutél'halfa*qui poussesur lesbuttes !

Tu n'iraspas,la Rousse,au couteaudu boucher,Tu fatiguessanscesseainsiqu'un pauvrediable!

La Roussenesait pas le jour qu'on la vendra1Toi,mavachejolieaux beauxpas allongés.

0 ma vachechérie,à la queuelongueet brune,Tourneta faceau loin,par peurdu mauvaisœil.

0 toi, mavacherousseauxclochettesqui tintent,Donneun peude ton lait à l'enfantqui te suit3.

x. Lathyrussativus.2. Eragrostis.3.CompareravecLesBœufsdePierreDupont.

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54.VACHETlRNRT

LASAQUIEH.Phot.'Dittrich.

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Phot.del'auteur.55.MONONCLE,TONCHAMPESTBIENMÛR.(p.177).56.TONCHAMPDOITÊTREMOISSONNÉ.(p.177).

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24

CHANTS DE MOISSON.

LAFAUCILLE.

Mononcle,tonchampestbienmûr,Tonchampdoitêtremoissonné.

Allons-nousà l'ouest,eh! AbouSoleiman?Non,n'allonspasà l'ouest,montroupeaus'y trouve.

Troupeau,quandtu medonnesdespetits,Chaquepetitpourmoivautbienplusqu'uncheval1

Eh! AliAbouElal!Prépareuneplacepourle chameau.

C'estle champquim'adit: «Moissonne-moi,Apporteta faucilleet viensmerécolter.»

Monchampestbeau,il fautenprendresoin:Monchamppayeramesdettes.

0 faucille,mèred'autrespetites,Nulforgeronn'enfituneautremieuxquetoi.

C'estunefaucilleforgéeparSaïdOmar. ,Il laforgeaau clairde lune.

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178 CHANSONSPOPULAIRESDE LA THÉBAIDE

0 champnourricier,je te dis:

J'apporte la faucilleet vaiste moissonner.

LE PETIT CHAMP1.

0 monami, il était là notrechamp,Nousavionsiciun petit champ.

Le jeunehommel'a pris,puisil est parti.Oùsont tes ouvriers,Adham?

Aumomentdu travail, ilsdisentêtre malades,Maispourmangerle pain, ilss'empiffrentla bouche.

Legentiljeune homme,monami,le gentil jeunehomme,mon

[ami,Legentiljeunehommedort à l'ombre.

Le gentiljeunehommedort chezlui !Le gentiljeunehomme,monami,personnene le voit ici.

SOLEILCOUCHANT.

0 Rouge! Rouge! descendsvers la montagne.Noussommesfatiguésde ta longueprésence.

0 Rouge! Rouge! tire à tes câbles,Devanttoi, tu trouverasle pardonde Dieu.

0 Rouge! Rouge! tire à la corde,Tu trouverasle pardonde Dieuau seuilde la porte.

i. Il semblequ'ils'agitlàd'unchampprisparunjeunehommericheet négligentà quelquepaysanendetté.

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Phot.del'auteur.57.MONCHAMPPAIERAMESDETTES.(p.177).

Phot.del'auteur-58-59.J'APPORTELAFAUCIIiÎÉfrV®tVAISTEMOISSONNER(p.178»)

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60.TUVOISLESDONSDEDIEUÉTALÉSDEVANTTOI(p.180).61.TRANSPORTDESLENTILLES. Phot.del'auteur

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iP-LSl62.TRANSPORTDUD%âf.63.TROUPEAUXPAISSAITLESCHAUMES.

Phot.del'auteur.

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64-65.-MOUTONSETCHÈVRESDANSLECHAMPAPRÈSLAMOISSON.Photdel'auteur.

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AUXCHAMPS 179

Il sepencha,puisil tomba,et l'ombrevient,Ilestderrièrele hautde lamontagne

Quidonct'a éteint,toi quidominesle monde,Toidontlesrayonssontobliques?

Quidonct'a éteint,ô gazelle,Ainsiquetes longsrayons?

LESFÈVES.

Allez-vous-en,lesfèves,allez-vous-en,lesfèves!Allez-vous-en,lesfèves,vousêtesmûres!Allez-vous-en,lesfèves,votrerécoltevacommencer!Allez-vous-en,lesfèves! Commeellescouvrentbienle terram1Allez-vous-en,lesfèves,je vousprendsà brassées!Allez-vous-en,lesfèves,vousêtesmûres!Allez-vous-en,lesfèves,vousreviendrezbientôt!Allez-vous-en,lesfèves,noussommesplusquesatisfaits!

Sauve-toi,loup,commeilestd'usage!Sauve-toi,loup,nousallonsarracherlesfèves!Sauve-toi,loup,sauve-toibienvite!Sauve-toi,loup,pourtespetits!Sauve-toi,loup,pèreauxlongspoils!Sauve-toi,loup,lesfèvessontarrachées!Sauve-toi,loup,nosyeuxte voient!Sauve-toi,loup,où iras-tu,maintenant?Sauve-toi,loup,verslamontagne!Sauve-toi,loup,verslamontagneet oublielesfèves1Sauve-toi,loup,verslamontagneet tespetits!Sauve-toi,loup,va-t'enbienloind'ici!

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180 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

Finissons-en,lesfèves,finissons-en,lesfèves!Finissons-en,lesfèves,noussommesfatigués!Finissons-en,lesfèves,noussommeslasde vousarracher!Finissons-en,lesfèves,vousreviendrezbientôt!Finissons-en,les fèves,la meuleest faite!Voicile chameauquivousemporteraà la maison.

LA MOISSON.

LEMATIN.

Rouge! RougeIl avant que tu te lèves,nousétionsdéjà au

[travaillRouge! Rouge! duhautde lamontagnedonttu émerges,Tu voislesdonsdeDieuétalésdevanttoi.

Rouge!Rouge!quandtu serasau zénith,Tu lesverrasdansnosmaisons,Depuislaported'entréejusqu'aufond.

A MIDI.

C'estlapartiequiresteà termineravantledéjeuner.Finissez-la,mesgaillards.

LESOIR.

Il fautencoremoissonnercettepartie.Finissez-la,bravesgens,puisvousvousreposerez.0 notremaître,laisse-nouspartir,Afinquela lumièredu sokilNousramènecheznous.

i. Lesoleil.

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z66.RETOURD^tî^MPS.

Phot.Stores.

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Phot.Zangaki.67-68.LENORAG(HACHE-PAILLE).

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AUXCHAMPS 181

25

LE NORAG(HACHE-PAILLE).

—Rejettela paillecoupéeet apportel'autre,Doucement,doucement,sanste presser.

L'anpassé,nousavionsdesvachesauxlonguescornesQuimangeaientleurrationsansvouloirtravailleraunorag.

Vachequitournelenorag,qu'as-tudoncà tonpied?—J'ai beaucouphachéde pailleaujourd'huiet le noragest

[lourd.Tum'asblesséla peau,monconducteur,Et pourtant,au tiavail,j'ai faittoutmonpossible.

Menuisier,viensréparerlenorag.Arrangelemontantdeboiset lesrouesde fer.

0 monnoragauxfersdeBoulaq,Tuesuniqueparmitouslesnorags.

0 monnoragenboisauxbonsfersquirésonnent,Letravailde journ'estpasleplusdifficile:

Je montesurle noragmêmeà minuit,Pouravoirfiniavantmesvoisins.

C'estdifficilede fairetournerlenoragpendantlanuit!

Je nedorspasassez;j'enai malà la tête.

Qu'importesi jerestelongtempssurlenorag.Je veuxfinirmontravailavantlavenuedumaître.

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182 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

Simêmelescorbeauxsereposentà midi,Moi,je préfèrerestersurmonnoragà l'ombredespalmiers.

Je laisseraimonnoragsur la paillecettenuit,Carj'ai peurquemonchampsoitincendié.

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*-69.FAMILLEDEFEl^&îfïfeDEHAUTE-ÉGYPTE.Phot.Zangaki.

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Phot.Simon.70.MEULEÉGYPTIENNE.

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25*

II. DANS LA MAISON.

LA MEULE.

Lemoulinquemeuventles femmeségyptiennesest composédedeuxmeules,mesurantchacuneenvironcinquantecentimètresde diamètre.L'inférieureest gisanteet la supérieurecourante.Celle-ciestpercéed'unœillardcentraloùseversepeuà peulegrainà moudre.Unemanettedebois,placéeverticalementprèsdubordextérieurdela meulecourante,sertà lafairetourner.

Longtempsavantquele muezzinait jetédansla nuitl'appelà la prièredufaghr(c'est-à-direversquatreheuresdumatin),unbourdonnements'entenddanslamaisondupaysanduSaïd:c'estla femmequicommenceà moudreledourahdontelleferalepaindelafamille,lepainqueleshommes,s'enallantautravail,empor-terontencorechaud.

Lafemmeégyptienneestmeunière,boulangère,porteused'eau,cuisinière.Souventenceinte,elletrouveencorele tempsd'aiderauxtravauxdeschamps,deconduireles bestiaux,demalaxerlabousedevachequiluiserviradecombustiblepourcuirelepain,desedisputeràgrandscrisavecsesvoisines,depleurerauxveilléesfunèbres,dedanser,de chanter,d'éleveretd'allaiterlonguementsesenfants.Souventmèredèsl'âgededouzeans,lafemmeégyp-tiennevieillitviteet ilenestpeuquimeurentâgées.

Lachansonsuivanteestcellequela femmechantependantlanuit,toutentournantlameule:

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184 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

Meule,quemeveux-tu?Touslesmatins,hélas1tu merequiersainsi.

Encoretoi, la Meule!Quemeveux-tu?Tu m'appellesdéjà,en attendantdemain.

Meule,moudsbien,je veuxde la blanchefarine,Tonlongbourdonnementm'amusedansla nuit.

Moudren'estpaslabeurpourunejeunefemme,Unevieillecourbée,accroupie,fait bienmieux.

Moudren'est paslabeurpourunejeunefemme,Lesvieillesédentéess'y connaissentbienmieux.

Meule,je voudraisbienqu'à la fintu te casses,Tu mefaisignorerle sommeildu matin.

Quiest là quandje mouds?Jamaisje n'ai personne,Maisquandje metsau four,tousmesparçntsarrivent.

Quim'aidequandje mouds?Jamaisje n'ai personne,Maisquandlepain secuit,on vienticipar bande.

Meule! Meule!écrasebienleblé,QueDieudonnelongsjoursà quinousl'acheta.

Moudsbien,moudsbiende la farineblanche,QueDieugardeceluiquipayale bonblé.

Lesissuesdu moulinsontréservéesauxbêtes,Maisla blanchefarineest pournosturbansblancs.

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DANSLAMAISON 185

Lesissuesdumoulinserontpourleschameaux,Maislafleurdefarineestpourtousmesenfants.

Je pleurede

fatigueauprèsduchameaublanc,

Il a défaitsonbatet poussesoncrirauque.

Onl'a tropfatigué;ilneveutplusrester,Il a jetésonbât,il vemtfuirlamaison.

Lameulequejemeuslefaitgrognerlanuit,Dseratrèsméchantquandonlebâtera.

Lameulequejemeusluitroublesonrepos.Il seratrèsméchant,demain,à l'abreuvoir.

J'ai dit auchameaubrunlelabeurquej'endure,Il a comprismapeineet meplaintsurlarout.

Unemeuleà tournerfatigueoutremesure,C'estuntravailtropdurquin'estpaséquitable.

Lameule,quejehais,mefaitclamerà Dieu:«0 monPèresibon,pourquoifis-tulameule?»

Personnen'entreicipouraiderà matâche,Nullenevienticipourm'appelerdehors,Carsije l'entendais,jeluicrierais: Al'aide!

Il faudraitêtredeuxpourbientournerlameule,Unedesdeuxquipeineet l'autrequirepose.

0 Meule,donne-moide lafarinefine,Notrebeurreestbienfrais,nousferonsdesgâteaux.

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186 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

Meule,faisdu gruauet puisdu grésillon,Pour le bonfeuilleté,le beurreest danssonvase.

Moudsla farine,Meule,il nousen faut beaucoup,Carnousavonsicidesventresqui t'attendent.

Meule,dépêche-toi,il faut finirton œuvre,C'estdu blé quetu moudspour ledouxpainde blé.

C'estmoiquimoudsmonblé,seuledansma maison,Mesvoisinesn'en font,commemoi,d'aussifine.

Mouds,Meule,mouds,le bonbléque je verse,Mouds-lebien,tu verrasle biscuitquej'aurai.

Je suishabileet moudsma farinetrès fine,Mêmesongrésillonpourraitfaireun bonpain.

Mameules'est cassée,et la voicipartie,Eileme reviendrait,si Dieule voulaitbien.

Je saisque je suislà pourtoujourstravailler,Seule,dansmeslabeurs,la meulemefait peur.

Je travaillesansfin,je voudraism'échapper,Pourquoin'irais-jepasdansune îledéserte?

Pourquoine paspayertous les joursau mouiin,Pourmedonner,ainsi,quelquetempsde repos?

Lameulem'a briséeet je veuxfuir loind'elle,Je m'en irai bienloindansun payssauvage!

Meule,Meule,tu faistout montourment,Quemauditsoit celuiqui te réparera!

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71.UNPOTIER..jMt.Fils.72.FEMMEDÉCORANTDESPOTERIES.

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73.SÉCHAGEDESPOTERIES. Phot.Sebah.74.BARQUECHARGÉEDEGARGOULETTES.

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CHANT DU POTIER.

Je suislepotierquitournelaroue,Je suislepotierquifaislesgrandspots.

Pourfairelesgadoussl, jebrûlerailapailleQuehachelenorag2,qu'onportedanslessacs.

Et quandj'auraifini,j'iraivendreaumarchéCequej'ai fabriqué,lespotsgrandset petits.

Je faisdesZabadis3et lesvendsauxclients,Je faislesbeauxballas4pourtransporterde l'eau.

Je suislepotier,je faisdesmarmites,Mesvoisinset moi,nouslesfabriquons.

Je suislepotierqu'aimentsespratiques,Lefameuxpotierquivit audésert.

J'allumemonfouravecmafamille,Je suislepotiervendeurdemaggours5.

1.Gadouss,potsservantà éleverl'eauet attachésenchapelet,surlarouedesroueshydrauliquesappeléessaquiehs.

2.Norag,machineservantà hacherleschaumes.3.Zabadis,assiettes.4.Ballas,amphoresdanslesquelleslesfemmestransportentl'eau

duNilà leurmaison.S.Maggours,grandesterrines.

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188 CHANSONSPOPULAIRESDE LA THÉBAIDE

Je mangebeaucoup,j'aimele paind'orge,Je suisle potierquipiochel'argile.

Je suismaîtrepotier,je mélangel'argile,Je suisle beaupotierquitravailleen chantant.

Je suisle potier,l'uniqueen songenre,Je travailleseul,tant je suisgaillard.

Et quivientchezmoipeut voirmonlabeur.Par le Dieuclément,je suisle potier!

Je suisle potier,je faisles ballas,Je suisle potiertournanlde boncœur.

Je suislepotierquichante Courage!Admirantlespotsnaissantde mesdoigts.

Je suisle potierquigagnesa vie,Créantsur le tour tout ce qui luiplaît.

Je suisle potierqui logeau désert,Oùl'argileabonde,où j'ai mademeure.

Je suisl'Abbadi1qui faisdesassiettes,Je suisle gaillardquifaislesgrandszirs2.

Je suisdiligentpourfaireun gadouss,Je suisun vrai potiermanipulantl'argile.

Je suisle saïdienquisaispétrir l'argile,Je suisle vraipotiercréant avecsesmains.

J. Nomd'unetribuhabitantà l'ouestduNil.Il y a uneallitérationentrelemotAbbadietZabadi«assiette».

2.Zirs,grandsvasesporeuxservantà filtreret à rafraîchirl'eauduNil.

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75.UNÉTALAGEÎTB*POTERIES.Phot.Lekegian.

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III. DANS LES RUINES.

CHANTS DES ENFANTS.

Pendantlestravauxdefouillesetdedéblaiement,lesenfantsquiemportentla terredansleurscorbeilleschantentsanscesse.L'und'eux,soliste,lanceà t utevoixlamoitiéduversd'unechanson.L'autremoitiéest reprisepartoutela bandequ'ilmène.Parfoisenfin,leshommesquipiochentaccompagnentà l'unisson.

Le répertoirede nosouvriersà Karnakest assezriche.Uneseulechansonestunpeulongue: je l'avaisentenduebienavantquedevenirici.Ellesechanteaussiailleurs.Jecroisdevoirfairecetteremarqueentoutemodestie,afinquelelecteurneprennepasà la lettrele portraitquefontdeleurcheflespetitsgarçonsdeKarnakquiportentdescorbeilleset, à perdrehaleine,chantentdansles ruines.

LE PATRON.

Soislebienvenu,toi quiviens,Grandpatronquiviens.

Notrepatron!commeilest parfait!MonDieu!rends-leplussolideencore.

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190 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

Dieu! labellenuit ! la bellenuit !Notrepatronmontesur un étalonde race.

Dieu! le beaujour! lebeaujour!Notrepatronmontesurun cheval.

Notrepatrona ouvertle parasol,Et un bateaude plaisanceest devantlui.

NotrepatronchaussedessouliersturcsEt sedandineà sa guise.

NotrepatronfourresesmainsdanssesdeuxpochesPourpayerlesouvriersquiont finileur tra\ ail.

Lesbeauxtravauxdu ServicedesAntiquitésRéjouissentnotreSouverain!

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CHANTS DES TERRASSIERS.

Prions,prions!Sivouspriez,voussereztousbénis.J'iraià lamosquéeEt jeprierai.Priez,prieztousnotreProphète!Voustous,musulmans,priez!Allezà lamosquéeAdorervotreSeigneur!

HALIMA.

Halima,soulèvetonvoile,Pourquejevoieta tuniquedesoie.Parmonsalut,c'estpourte plaireQuejetravailletant!

LE QUARTIERDUNÉBI1.

Monquartiers'appellelequartierduNébi.Commentpourrai-jey retourner?Commentpourrai-jeenrevenir?Deuxmillegensvisitentla familleduNébi.

1.C'est-à-dire: lequartierduProphète.

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192 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

Habitantsdu quartierdu Nébi(bis),Par milleon va,Par milleon vient.Deuxmillegensvisitent la familledu Nébi.

VERSCINQHEURES.

Le soleildescendvite.Courezsi votremaisonest éloignéed'ici.

LATIFA.

Souslesarbresombreux,Combiennousmangeâmesd'oranges!

Lekohldesyeuxde LatifaM'afait romprele jeûnedu Ramadan!

LE PACHAPARTI.

Hé! hé! Pachadespachas!Notrepachaest parti versle nordEt n'est pasencorerevenu.

LA DÉSOLÉE.

Couvertede monmanteau,Étendue,j'agonise.Peut-êtremonamipasseraEt meguérira.

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DANSLESRUINES 193

27

LARÉPUDIÉE.

—Jeunecitron,quidoncgoûtatonpremiersuc?—Unhommem'agoûté,puisa jetél'écorce.

0 marchanddelimonsquipassesdanslarue,Tescitronssontgâtéset mefontmalaucœur.

REPRISE.

Aprèslerepasdemidi,le travailrecommence,QueDieunousaidepourlafindulabeur.

Lejourdureralongtempsencore,QueDieunousaiaepourlafindulabeur.

JOURDE PAIE.

Aujourd'hui,c'estbonneaventure.Aujourd'hui,onpaie! Nousseronspayésavantlanuit.Jardinier,cueillelesgrappesdelatreille,Leraisinneserapascheraumarchédemardi.—Machemiseestdéchiréeet l'onvoitmesjeunesseins.—0 mesyeux! au marchéde demain,je t'en achèteraiune

[bienplusjolie.

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CHANTS DES MANOEUVRIERS.

Nousdonnonsici,à titre de documentinédit,la collectiondesordres,indications,criset chansonsdesmanœuvriersque nousemployonsdanslestravauxduServicedesAntiquités.

T. Soulèvementdu blocdepierresouslequelon glissedesrou-leauxdebois.Onplaceleleviersousleblocet l'on appuiedessus.

—Retire,retire,allons,courage1Ensemble!courage!Retire,retire,allons,courage!Hop!maître! ensemble1

Hop!de parDieuquidonnela richesse!

0 meshommes,hop!0 gaillards,hop!0 jeunesgens,hop!Hop!queDieuruinevotremaison,Espècesd'enfantstrouvés!

Hop! de par Abou'1Haggag! ô Yousef,aide-nousfHop! voiciquela mainde notre protecteurEl HosseinHop! ceuxde l'Unique1 [estavecnous,hop1Hop!queDieuruinelamaisondesinjustes!Hop!queDieunousdonnela santé!Hop!voiciquela pierreesten marche.Prionsle Prophète!Allons!allons1

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76.MANŒUVREDUL~IEE~77.DANSLASALLEI#PJXTYLEDEKARNAK.

Phot.del'auteur.

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Phot.del'auteur.78-79.RELÈVEMENTD'UNFRAGMENTD'OBÉLISQUE.

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"Ç-*.f,80.HALAGED'UN-ROLOSSE. Phot.del'auteur.81.MANŒUVRED'UNEARCHITRAVE.

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82.DESCENTED'UNEARCHITRAVE.Phot.del'auteur.83.HALAGED'UNABAQUE.

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DANSLESRUINES 195

2. Descenteouhalagedublocplacésurlesrouleaux.

—0 seshommes!ôseshommes!Laissezfilerlecordage.Filez,mesmaîtres.VousverrezElAdi,Sesjouessonttendreset fraîches.

Filez,deparladameRabaclAdaouieh,MadameHoudieh.

0 diseurdebonneaventure! ôdiseurdebonneaventure1

JettemonsableEt donne-moidesnouvellesdel'avenir.

Il a jetésonsable:Younisestà Tunis,Il estdanssonbateau,Surlamer.Lesmainsd'unejoliefilleleferontveniraujourd'huiDel'ouestà l'est.Meshommes,meshommes,filezla corde.

3. Leblocestplacésuruneplaquetournante.

Allons,courage1Et toi[bloc],tourne!Fais-letourner1

Courage,courage!Touteslesfoisqu'iltourne,Fais-letourner!

1.Cesdiseurslisentlabonneaventuredanslesable.IlssonttrèsconnusenEgypte.

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196 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

Courage,courage!Fais-letourner!

Quemauditsoitton père1

Courage,courage!Fais-letournerCommedeuxépousestournent4ns la maison1

Courage,courage!Fais-letourner!Pardonne-nousencore,APère,pardonne-nous1

4. Onmanœuvreunepierretu moyend'unpaltn différentiel.

Pourcetravail,nousavonsconfianceen Dieu.

Courage!courage!Lève-la[la pierre],Dieut'aidera.

QueDieute donnela forcede prier.Musulman,Courage1

N'oublieparlesprincipesde ta religiom.Courage,de parDieu1Nousavonsconfianceen Dieu:Il nousferaréussir.

CréateurdesCréateurs,Toiquiconnaismesmaux.Je dorssur le sableEt le sablea changémonmaL

Qu'est-ildoncarrivé?Est-ilmortoublessé?Oubienfut-iltraîtreautrefois?

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VGVA84.POSED'UNFRAGMENTDSJBSLISQUED'HATASOU.85.OUVRIERSPORTANTAUHOUD.

Phot.del'auteur.

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86.MANOEUVREAUPALANDIFFÉRENTIEL.Phot.del'auteur,87.MONTAGED'UNABAQUE,

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DANSLESRUINES 197

28

5. Ontireunwagonnetà la corde.

Prionsle Prophète!Courage!courage!Commençonslamatinée.Nousavonsd'abordvulalueurdeMohammedEt nousavonsreçulavisiteduProphètedeMouna.

Prionsle Prophète!Courage!courage!NotreProphèteavulesdrapeauxinclinésensigned'obéis-Et lesdrapeauxdisaient: Deuxmillefoisobéissance![sance.

Prionsle Prophète!Courage!courage!C'esttoi quigarantislepardondenosfautes,C'esttoiquidélivraslagazelledelamaindujuif.

PrionsleProphète!Courage1courage!Lejuifquil'attrapaparruseLuiavaitmisdeuxanneauxdeferauxpattes.PrionsleProphète!Courage! courage!

6. Ontransporteunelourdepierreaumoyendecordespassantsurunlongmorceaudebois(houd)queleshommeschargentsurleursépaules.

Eh!Eh!Eh!vite,vite,vite10 mesyeux,pourquoipleurez-vous?Eh !Eh!Eh1vite!Pourchercherl'argent.Eh!Eh!Eh !vite,vite,vite10 mesyeux,c'estinutile,Nifilsni argent.Eh!Eh1Eh!vite,vite,vite!

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198 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

Il estdansmesyeuxQuenousverronsun roiun jour.Eh! Eh! Eh! vite,vite,vite!Ala portedu paradisSetouveceluiquipardonnelesfautes.A la portede l'enfer,Il y a l'argent.

7. Transportd'unetrèslourdepierreavecunhouddouble.

Dieuest avecnous! Dieuest Dieu!Ondit queje suismalade,Maisnon,maisnon.Dieuest Dieu!Nousn'avonspasde courroiede transmission,Et cependantnousdevonsmarcher.Gardezà part votrechameaumalade,Carilcontamineraitsonprochain.Je jureparmadroitequemonchameauet moiSommeslesplusgaillardsde la bande.Dieuest avecnous.Dieuest Dieu!—Etc.

8. Manœuvreduvérin.

Vite,il n'y a pasde danger.Courage,courage! Salem,ô Salem,SalemapportelesobjetsdérobésAuxsotsquidormentla nuit.

0 bienheureuseOmmMoachem,Tu jugeraslesméchants.Il serapunipar DieuCeluiquinousdonnecetravailpénibleà faire.

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DANSLESRUINES 199

Necroispasquejet'aieoubliée,J'étaisabsent,maisievienspourte voir.J'apporteavecmoiunenattedehalfa.,Quatrebalaisdepaille,aussi,pourlamaison.

Courage,coulage,ôSalem,courage,courageJ

Je remplaceraiautravailceluiquiestlas,Maisceluiquiestlasattendralesacdepain.

9. Montagf.d'unelourdePierreaumoyendupalan.

Hop!pousseztrèsbas1Mesamis,aidez-nous1Hop! Dieu-le-riche!Hop! leshommes,hop!

RangezlescordestoutesdroitesEt nebavardezplus.LaissezlacordeinutilederrièreSansplusparler.Hop! mesmaîtres1AhmedfilsdeDriss,aide-nous1

Hop! protège-nous,ôdameMoachem!

Courage1Hop!

0 cheikhMellaouïquihabitesà Méallah,Tesmédicamentsonteut pleinsuccès.

Courage,courage1Lamerestentempête,Quipeutsebaignerdedans?Pasmêmeunvieuxpatrondebarque.Courage,courage,ôMellaouï1Emmène-nousdanstonbateau.0 Gazelle,tout lemondea delagloireet del'argent,

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200 CHANSONSPOPULAIRESDE LA THÉBAIDE

Maismoi,je laissetout à lagrâcede Dieu.

Courage,courage!Unbateauvientde l'estEt demandeà seravitailler.Commele beaupréembellitla droitedu bateautCommel'ancreen embellitla gauche!

Courage,courage,6 Mellouai!Cuis,cuisl'œufquiva êtrepondu1Celuiquinousa ouvertla portepourtravaillerLarouvrirapournousfairesortir.

Courage,courage,ô Mellaouï! 0

Commelevoilequicouvretonvisageest beau,ô Rakhieh1Nousavonsvoulusavoirsonpoids: ilne pèsepasun dou-

[zièmederotll.Ouvert,il couvriraitAlexandrieet la Syrie,Courage,courage,ô Mellaouï!Alexandriela bienfournie,Oufla poussièreest de safran,Erie Caire,damede touteslesgrandesvilles,Courage,courage,ô Mellaouï!

-

Quemauditsoitceluiqui luiveutdu mal,Et qu'iltrouvesamaisonruinéedès le lendemain1

Courage,courage,ô Mellaouiquihabitesà Méallah

1. 33grammes.

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88.ELLE.(p.201). *&ot-bkegian.89.UNEBEAUTÉCOPTE.

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90-91.JEUNESFEMMESÉGYPTIENNES.Phot.Lekegian.

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29

CHANSONS D'AMOUR

ET DE MÉNAGE.

ELLE ET LUI.

ELLE.

Monpère,jejureparta viequejenememarieraiqu'avecmon[préféré,

Carc'estunbeaugarçonbienplushabilequetoussescamarades.Il m'aregardéeparunefenêtreétroite.

Lui.

Elleestjolieet blanchecommeunejeunechamelle.Ellem'afrappéaucœur,monmalestsansremède.

ELLE.

Il m'aregardéedu hautd'unebutte.

LUI.

L'anneauquibrilleà sanarinem'empêchededormir.Sijesouffretant, c'estparcequ'ellen'estpasmafemme.

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202 CHANSONSPOPULAIRESDE LA THÉBAIDE

ELLE.

Il m'a regardéeparune fentedela muraille.

LUI.

Lecollierquiparesagorgeest tout d'argent10 femme,je suistonprisonnier.Quandmedélivreras-tu?

ELLE.

Il m'a regardéede la fenêtre.

LUI.

Elleest d'un côtede la rue et moide l'autre.

Je luicriequeje sauraitresserlesnattesde sachevelure.

ELLE.

Il m'a regardéede l'autre rivedu canal.

LUI.

Elles'estpenchéeet lesperlesdesongorgerintombaientjusqu'à0 femme,j'ai malà latête, toi seulepeuxmeguérir1 [terre.

PREMIERAMOUR.

Queljoligarçonpassedansnotrerue!Lamanchedroitede sarobeest commeunefleur.

Par lenomde Dieuet de Jésus,vienschezmci,Et je te parfumeraiet de myrrheet d'encens,

Sibienquelesvoisinsdirontensuite:Il entralà commeun paysanet ensortitcommeundandy.

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Phot.Lekegian.92.QUELJOLIGARÇONPASST,eSNOTRERUE.(p.202).

Page 261: 0383-Fiducius-Legrain-Luxor Sin Los Faraones en Frances

Phot,Dittrich.

93.LESJEUNESGENSDUQUARTIER.(p.203).

Page 262: 0383-Fiducius-Legrain-Luxor Sin Los Faraones en Frances

CHANSONSD'AMOURETDEMÉNAGE 203

29*

Quandilpassedanslarue,sesbrasballantssontcouvertsdesoieEt chacunluidit: Viensenpaix,viens1

Je luidonneraidumastic1parfumédansunvase,Afinqu'ondise: Ilentralàcommeunpaysanetensortitcomme

[unsultan.C'estlemêmequej'ai rencontréducôtédesvignesetdesfiguiers.Quandje levis,jedevinstouteconfuse,

Puisj'envoyaichercherle jardinier.Il vintmevoiren cachetteet je luidemandai: Dequelpays

est-il?Il m'adit quec'étaitunsoldatdedistinction.J'irailechercheret jeresteraisoixanteansaveclui.

CHANSON.

J'ai vuunebellejeunefilleToutehabilléedesoiedeChine.

Sesyeuxsontgrandscommedestasses!Achaqueinstantelle,lesfardedekohl.

C'està caused'ellequelesjeunesgensduquartierSedisputententreeux.

ElleestcommelesgrenadesOucommelesraisinsmûrs.

Bienheureuxquilapossédera.Quellesdélicesnegoûtera-t-ilpasalors?

1.Résinedelentisque.

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204 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

LE FIANCÉ.

- Jeunefille,disà ton pèrede t'enfermerdanssamaison,Cartu asbrûléle cœurde ton amoureuxcommele feubrûlele

[bois.—Cours,vole,maman,pourfairedresserlecontrat.—C'estfacileà dire,maisle prixdu contratseraélevé1.

Sesyeux,beaugarçon,sontnoirscommelaplumedescorbeaux,Et soncorpsest lissecommela porcelaine.

—Et qu'importele prix,pourvuquel'onm'accepte.Saboucheest petite commel'anneaude Salomon.

LES PARENTSDU FIANCÉ.

Ungentilpetit bonhommese promènedansle bazar.Il va et vient, fort affairé,puiss'arrêtedevant la boutiquede

[l'orfèvre.Et celui-ciluidit : aSoyezle bienvenu,dandy,et asseyez-vous

[surle bancdevantma maison.»Carcefiancéest venulà pouracheterdixbaguesenor finement

[travaillées.

Nousavonsachetéde bellesrobesde-soiepournotrefilsaînéEt nouscomptonsbienenacheterdesemblablespourlesecond.L'étoffelégèresiedbienaux jeunesgens.

Lejoligarçonet sonfrèreont poussécommedeuxbellesfleurs.Aleurpremièresortie,ils sont allésà Girgehet le paysleur a

[beaucoupplu.

i. En Egypte,le fiancéousafamillepaieunecertainesommeauxparentsdelafiancée.

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CHANSONSD'AMOURETDEMÉNAGE 205

Legouverneurlesa faitvenirchezluiet,à chacun,ildonnaun[turbande cachemire.

Nousavonsblanchisonblancturbanbrodéà Esneh.Chanteurs,chantezdu matinjusqu'ausoiren frappantsurle

[tambourin.Baigneur,faischaufferl'eaudubainpourlebien-aiméDanstonlocalbâtidebriquesd'or,d'argentet d'acier.Et toi, Saïd,sonesclaveabyssin,donne-luisesbeauxhabits

[pourqu'ils'enpare,Puis,ensuite,parpudeur,éloigne-toiquelquepeudelui.

C'estunjeunehommegrandet beaucommeunpalaisaumilieu[d'unparc,

Soncouflexiblesedétacheavecgrâcedesesvêtements.Commelataquieh1et lefezluivontbien!Commesamaindroitesortavecélégancede la manchedesa

[bellerobetNousluiavonsachetéunbeautarbouchquiluivaà ravir,Nousl'avonsfaitmontersurunchevaldeprix.Il saitmontertrèsbiensurunchevaldeselle.Il est trèsbeau,trèsdouxdeformes.Soncouestun cylindre

[d'argentet sesjouesbrillentcommesdeslampes.

Et nousélevionsnosyeuxpourimplorerlabénédictioncéleste,Afinqu'ilsoitheureuxet quesonmalheurneréjouissepasses

[ennemis.LABRU.

C'estunpalaisbiensituédontlesfenêtress'ouvrentsurleNil.Làsetrouventla jeuneépouseet sonbien-aimé.

1.Petitecalottedetoilequiseplacesurlatêtesouslefez.

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206 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

Ils mangentdes fruits dansle jardinet dormentsur lesroaM.

Quarantejeunesgensbienvêtussontleursserviteurs.

Il jeta vers moiun beau mouchoirbrodéet je ne savaisqueTandisquema mèremeregardaittoute heureuse. [faire,0 grandpalmierà l'ombreduquels'abritent les oiseaux,Sais-tuqui peut cueillirtes premiersfruits?Moije saurai les

[cueillieLemari était danssa chambrede l'est.

Il s'enfut verssa femme,et, touteparée,la trouvaétenduesur

[sonlit.—Viensà moi,luidit-il,et je te donneraiunbeaubraceletd'or,

[ô mes doux yeux.J'ai froid,ma bien-aimée,approche-toide moi.

—Je jure par le nomde ton pèreQueje ne t'accueillerai

Qu'aprèsquetu te serasséparéde tes parentsEt quel'escalierquimèneà notrechambredonnerasurlarue.

Puisla femmeserevêtitd'unejolierobeEt sepromenatout autourOJulit.Et le mari luidisait: «Attends!je mange.»Et la femmerestafâchéependanttrois jours.

Qu'ilest joli,cegarçonblanc,Il m'a donnédessucreriesà manger.Et moi,je luiai sorti de mamalle,Unbeaucostumepourquandil sortenville.

Maiss'il tarde trop, je l'enverraichercherpar un esclave,Et je luidonneraideuxsacsremplisd'argent.

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94-LEMARCHÉAUXÉTOFFES. Phot.Sebah.

95.BAZARAt^JjfîsTÈQUES.Phot.Dittrich.

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96-97-JEUNESFEMMESÉGYPTIENNES.Phot.Lekegian.

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LA MÈRE DE LA RECRUE.

Quandj'apprisquelerecruteurallairpasserdanslarégion,Moncœursemità battre.

Hélas!hélas!pourquoinenoussommes-nouspasenfuisdansPendantquelerecruteurpassait? [l'oasis

Quandj'apprisquelerecruteurallaitpasserdansla région,Moncœursemità bondir.

Hélas! hélas! pourquoinet'es-tupassauvé,Tu seraisrevenuquelquetempsaprès.

0 beaugarçonauchâlevert!Tunesaispaslalanguedessoldats.

Toiquiportesunchâledesoie,Quit'a apprisla languedesétrangers?

Cachetesjouesrougeaudesafinqu'onnevoiepasquetuesbeau,Carlespommettesde tes jouessontrougescommelesrayons

[dusoleillevant.Surtout,situvasà laguerre,netemetspasdevant,Cartu seraistuéà lapremièredécharge.

Surtoutnerestepasausud,Carla chaleurdu midite brûlerale teint.

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208 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

Surtoutne restepas au milieu,Cartu serasbousculédansla cohue.

0 chef,oùmèneras-tumonfils?Irez-voussur la merdangereuse?

Je veuxquemondouxfilsgardesonturbanblanc,Ainsiquesonpèreet songrand-pèreenavaientl'habitude.

Il a tant pluau chefdu recrutement

Quecelui-ciluia donnésonpropreuniforme.

MêmelesenfantsdesRoumisNelui ressemblentpas.

Il a tant pluau chefdu recrutementQuecelui-ciluia donnésonpropresabre.

MêmelesenfantsdesRoumisNelui ressemblentpas.

Surlabergedu Nil,samèreluidemanda: Oùvas-tu,l'élégant?Retourne-t'en,dit-il, je suis dans ce bateau commele com-

[mandant.

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30

TERCETS AU CLAIR DE LUNE.

Lestercetssontraresdans lespoésiespopulairesde HauteÉgypte.

Lasériepubliéeiciestcomposéedecinqchansonsquel'onentendparfoisquandla lunebrilleet quelesjeunesfemmesdeKarnak,accroupiesdevantleursmaisons,passentlasoiréeensemble.Lerefrainn'estqu'unesimplenoteaiguëquepoussentlesassistantsen frottantvivementleursdoigtssur leurslèvres.Le trémoloainsiobtenuestassezjolioutoutaumoinscurieux.

LE FILSDE MOUSTAPHA

ELLE.

Il s'enallaaunord,puisen revint;il s'enallaausud,puisenEt m'apportauncollierdeperles, [revintPuisilmedit: «Mets-le,cartoncorpsestparfait.»Il s'enallaaunord,puisen revint; il s'enallaausud,puisenEt m'apportaun collierbleu, [revintPuisilmedit: «Mets-le,tu m'espluschèrequemesyeux.»

LUI.

Je dégringoled'unemontagne,puisje regrimpesuruneautre.Sansy pouvoirtrouverle moindrecorbeaunoir

i. CetoiseauestraredanslaHauteEgypte.

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2io CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

ELLE.

Je luiouvrisla porteduProphète: «Entre (luidis-je),tu m'es

[pluscherquelavie.9

LUI.

Je dégringoled'unemontagne,puisje regrimpesuruneautre.Enfin,j'ai découvertuncorbeaumortdesoif.

ELLE.

Je luiouvrisla portedu Prophèteet poussaiun beauzagharit.

LUI.

Je dégringoled'unemontagne,puisregrimpesuruneautre.Parfois,je culbutesurlatête !

ELLE.

Mesbouclesd'oreillesferontmourirle filsde Moustapha.

LESENVOIS.

Je luienvoyai,jeluienvoyaiDeuxbeauxsalams1pourqu'il m'achèteun grandmanteau.Il merépondit,ilmerépondit: «Je n'aipluslesou.w

Je luienvoyai,je luienvoyaiDeuxbeauxsalamsdansun grandverre.Il merépondit,il merépondit: «Patience,chelbaïa.2!»

i. Saluts.2.Chelbé,chelbaia,poissonduNil,vifetbrillant.

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CHANSONSD'AMOURETDEMÉNAGE 211

Je luienvoyai,jeluienvoyaiDeuxbeauxsalamspourqu'ilm'achètedesbabouches.Il merépondit,ilmerépondit: a Patience,demain,j'apprendrai

[laroutedubazar.»

Je luienvoyai,je luienvoyaiDeuxbeauxsalamsdansuncitron.Il merépondit,ilmerépondit: «Mamieestbienfâchée.»

Je luienvoyai,jeluienvoyaiDeuxbeauxsalamsdansunepoire.Il merépondit,ilmerépondit: wMamieparaîtconténte.»

L'AMOUREUSE.

Maman,achète-moiuneétoffede laineavecde beauxdessinsJe m'encouvriraide la têteauxpieds, [colorés.Puisj'iraivoirMoustapha,dût-ilm'encoûterlavie.

Maman,achète-moiuneétoffede laineavecde beauxdessinsPourm'encouvrirtout entièrequandjedors. [colorés.Sijevis,jeteverrai,ômonProphète,maissijemeurs,qu'im-

porte!

Maman,achète-moiuneétoffede laineavecdebeauxdessins

[colorésIncrustéedepetitsmiroirsqui brillentcommeles yeuxdes-

[poisons1,Puisj'iraivoirMoustaphaet luitisseraila lisièredesonman-

[teau.

i. Onvenddesétoffesdecegenredanstoutel'Égypte.Laplupartsontimportéesparlesmarchandsindiens.

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212 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIBE

INDICATIONS.

Notrefille,toi quies vierge,Un scarabéecourtsur tes vêtements.Ouvrevitelehautde ta tunique: ton amoureuxverrata gorge.

Notrefille,toi quiesvierge.Un scorpioncourt sur tes vêtements.Ouvrevitelehautdeta tunique: ton amoureuxserapprochera

[detoi.

LACOQUETTE.

Voiciqu'un nouveaubateauVientd'accosterau port.Il contientdusavon,dumasticet touteschosesdont j'ai besoin

[pourma toilette.0 monAhmed,ô monAhmed,Dontla mancheest de toileencoretoute blanche,Vendslechameau,vendsle chameau,pour acheterde l'huile

[pourma coiffure.0 monAhmed,ô monAhmed,Dontla mancheest brillanteet lustrée,Vendsle chameau,vendsle chameauet apporte-moide la soie

[pourme faire une hellerobe.

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98.CHANTEUSESDETERCETS.i1'V* 99.LACOQUETTE.

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Phot.del'auteur.100.PLEUREUSESDEKARNAK.

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31

CHANSONS FUNÈBRES.

LA FEMME MORTE.

Jepublielacomplaintefunèbresuivanteaveclescénario.Onnedoit pasoublierquecespoésiess'adaptentà l'actionquisepasseen mêmetemps.C'estgénéralementunepleureuseprofessionnelle(leplussouventla sage-femmedupays)quijouelerôledecoryphée,ellequirèglelesphasesdudramequise déroule,toutenversantd'abondanteslarmespour,parsonexemple,inciterlesassistantsauxpleursqu'ilestindispensabledeverserenpareilleoccurrence.

Lafemmevientdemourir.Aussitôtdescrisstridentsretentissent,onbriselesmenusobjets,oncourt,ondéchireleshabits,etquelquesamiesn'hésitentpasàsebarbouillerlafigureavecdel'indigo.Dehors,lemarietsesprochesclamentà lamort,selamentent,allantetreve-nant,lemanteauroulé,lesbrasderrièreledos.Lanouvellesepropagerapidementetchacunseprécipiteversla maisonfunéraire.D'aussiloinqu'ellespeuventapercevoirlademeureoùlamortvientdepasser,lesvoisinesaccélèrentleurmarche,criantetpleurantdéjà.Laréunionesttumultueuseetconfuse.Cependant,la pleureuseprincipalecom-menceà chanteretlesassistantsreprennentensuite.

Pourquoite retournes-tusur ta couche?Lesmatelaset lesdrapsdesoienete suffisent-ilspas?

Soulève-toipourrajusterta coiffeEt promène-toidansta maisonpourquejete contemple.

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214 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

Onapporteà cemomentletrousseauquela morteemporteraavecelle.Chaquerobe,chaquevoiledoitêtredéchiré.Achacundescoupletssuivants,la pleureusedéposeunerobesurlecadavre.

Habille-toiavecta tuniquebrodéed'argentEt promène-toide longen largedanslamaison.

Habille-toiavecta tuniquede tullebrodéed'oret d'argentEt promène-toiente dandinantcommeunepetiteTurque.

Habille-toiavecta robede cachemire,Afinqueta rivalesoitjalouse.

Habille-toiavecta robede soie,Carnousseronslongtempssanste voir.

Lesvasesdela maisonquiserventà la boulangerieetà lacuisine,leszirsoùrafraîchitl'eau,sontoubrisésouretournésà cemoment.

Quelletristesse! nousallonsretournerlesvases.Seule,ta maisonseraruinéeau milieudesnôtres.

Laveilléefunèbrecontinue; leconstatdudécèsa lieu,lecorpsestlavédansunecuvedecuivre(ticht),puis vêtu.Un voilecouvrelevisagedela morte.Lelamentocontinuejusqu'aumomentdudépartduconvoi.

Jeunegazelle,quelchasseurt'a priseEt t'emmènesi loinde nous?

Je te revoisaumilieude tes amiesCommela vaguecourtsur l'eau.

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CHANSONSFUNÈBRES 215

Situ quittestademeure,elleseraruinéeEt mêmelespigeonss'envoleront.

Sitôtquetu serasabsente,Tamaisonn'auraplusdedirection.

Tamaisonesttouteenordre,Dis-moi,pourquoila quittes-tu?

Nequittepasl'endroitoùtu commandes,Situ veuxquetouty resteenordre.

Tonmarise promènesurla riveoùlesfemmesvontpuiserdeCherchantdéjàentreelltsunequite vaille. [l'eau,

Tonenfantestrestéavecnous.Queldommagequetu soismorte1

Tonfilsaujolipetitturban,ParDieul'Incommensurable,a besoindetes soins.

Tonfilsvadéchirersesbeauxhabits,Caril n'obéiraplusquandtu seraspartie.

Tonfilspleureet crie« Maman! »Et demandeà mangerde ta doucemain.

Tonfilsdit qu'ila l'habituded'êtreprèsdetoi.

Pourquoipréfères-tuallerailleurs?

Tonfilsdit quetoncœuresttoujoursà lui.

Pourquoinepeut-ilpluste voir?

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216 CHANSONSPOPULAIRESDE LA THÉBAIDE

Tonfilsdit qu'ila l'habituded'entendreta paroledebienvenue.

Rejettedonclevoilequicouvretonvisageet net'en va pas !

Lesporteursentrentà cemomentetemportentla morteau milieudescrisetdespleurs.Les.femmesnevontpastoutesettoujoursjus-qu'aucimetière.Leplussouvent,ellesdemeurentà lamaisonpourlaménaah.

Unefemmechanteen s'accompagnantsur un tambourde terrecuite.Elleestplacéeendehorsd'uncercleforméparlesfemmesaccrou-piesetgémissantes.Aucentre,deuxd'entreellessautentverticalementenpleurant,ensefrappantets'égratignantlesjoues.C'estlaménaah.Chacunedesfemmesladanseà sontour.Ladanseusecrie: «Quelleruine,queldommagel »motsquelesassistantsreprennentench~.

La ménaahdureaumoinstroisjoursetparfoisjusqu'àquatorze.

L'ADOLESCENT.

Terre,tu nousreprendscet adolescentavantquelui-mêmet'ait, [rendueféconde,

Il nousquitte,emportantseshabits,commes'il était fâchéque[nousne l'ayonspasencoremarié!

0 toi! pourquinousavionsdéjàchoisila fiancée!

Queldommage!Désormaisla maisonresteradéserte.

Et le hiboumaléfiquecrierasur le mur.Net'en va pas !Net'en va pas! Le hibouva venir.

Lesjeunesgensd'icisonttousde blancvêtus,Et toi, la tombeest ton partage.

Lesélégantsd'ici portent la laineblanche,Et toi, la terre te dévore.

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ICI.UNCONVOIFUNÈBREENVILLE. Phot.Simon.

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Photdel'auteur.102.CONVOIFUNÈBREAKARNAK.

Phot.Herbert-Miller.103.FEMMESPLEURANTDEVANTLAMAISONDELAMORTE.

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CHANSONSFUNÈBRES 211

32

Lestombessontbâtiesdebriquestrèsépaisses.Commentpeux-turesterdansunlieusiétroit?

Etdansnotrequartier,ta maisonestdéserte!Seuls,lamisèreet lespleursydemeurent.

Tufusl'espoirdetesparents,Pourquoi,ô lampe,t'éteignis-tusitôt ?

Chacunfrappeà laporteet t'appelle:Onl'entre-baillealors,et la lampeestéteinte.

Toutlemondeboitdel'eauclaire:Désormaisnousboironsdel'eauboueuse.

Tuétaisnotrepremierfruit,Nousn'enauronspasgoûtélasaveur.

Prendsgarde!onouvrelaportedeta maisonEt l'onapportelecercueilquit'emmènerat

Prendsgarde,onouvrelaportedérobée1Onvavenirte volerparminoust

Onte lavepourladernièrefois,Puis,onneprononceramêmeplustonnom.

J'entendslebassindecuivrequitinteEt jevoislelaveurquit'enlèveteshabits.

J'entendslebassindecuivrequisonnedanslagrandesalle.0 laveur!neledépouillepasdesatunique1

LebassindecuivresonneplusfortencoreEt lelaveura prislemortdeforce.

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218 CHANSONSPOPULAIRESDE LATHÉBAIDE

Lebassinde cuivregrondedansla cour.Lelaveurluia volésamontredanssapoche.

Laveur,penche-toià l'oreilledu trépasséet dis-lui:«Ta maisonva devenirvide,quite remplacera?»

Avantde t'en aller,achète-nousun esclave,Afinqu'ilte remplaceen touteschosesici.

Avantde t'en aller,achète-nousun esclave,Carta maison,sanslui,serabientôtruinée.

Je pleure,car tu t'en vassansnouslaisserd'enfant,Ainsiqu'unétrangermécontentde seshôtes.

Hélas!commeta mancherecouvraitbienton brasEt tout celas'enva, hélas1et s'évanouit!

0 monhéros,o monamiau blancturban!0 princedesvaillants,tu nousquittestrop jeune!

LES BEAUXHABITS.

Jadisquandtu passaisparmilesjeunesfilles,Nullenemesemblaitaussibellequetoi.

Unchâteaudansun parcétaitseuldûà ta beauté,Et tu n'as aujourd'huiqu'unetombeétouffanteet mauvaise.

Unpalaisfabuleuxquise miredansl'eau était seul dû à la

[beauté,Et tu n'as aujourd'huiqu'unetombeétouffanteet mauvaise,

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CHANSONSFUNÈBRES 219

Lesjeunesfillesd'icigoûtentla joiedevivre,Maistoi,pourquoin'es-tuplusparmicesjeunesfilles?

Lesjeunesfillesd'iciseparentdebeauxhabitsdesoie,Maistoi,lasciedetespauvreshabitsestcouvertepar la pous-

sière de ta tombe.Lesjeunesfillesd'iciontdeshabitspropreset nouveaux,Maisteshabits,à toi,sontsalesetusés.

—Hélas! oui,mesbeauxhabitsdesoiesontsalesetusés.Disà monfrèrequ'ilm'enapported'autresà lamode.

—Et commentpourra-t-ilte lesapporterdansle fondde ta[tombe?

—Hélas,oui! meshabitsde soiesedécousentet tombenten

[loques.Disà monfrèrequ'ilm'enapported'autresà lamode.—Et commentpourra-t-ilte lesapporterdansle fondde ta

[tombe?

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DERNIÈRE CHANSON,

I. LEVOILE.

—0 mapetite,pourquoilevoilequite couvrela tête s'incline-t-il?

—Maman,prends-moidans tes bras commeun petit enfant,,[car mon corpsest brisé.

—0 ma petite,qu'as-tu?Pourquoiton voileest-iltombé?—Maman,maman,prends-moidanstes bras,car tout est fini

2. LESYEUX.

Lesyeuxde la jeunefilleregardentavecregretlesparentsqui[l'entourent.

Ils semblentdire: Venezà monaidepouréloignerla mortqui[vam'atteindre.

Lesyeuxde la jeunefillefixentla porteet semblentdire : Qui[peutarrêter la Mortqui va medévorer?

Lesyeuxde la jeunefillese tournaientversun desparentset[semblaientdire: Je nete regarderaibientôtplus.

3. L'AGONIE.

Lajeunefilleavantdemourirdisait: «J'étouffe,donnez-moide[l'air. je n'y voisplus,mesyeuxs'éteignemt.*

Elledemandaità boireun dernierverred'eaupourapaisersa

[soifardemte.

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CHANSONSFUNÈBRES 221

33

Et l'unde sesparentsluiprésentaitunedouceur,pensantlui

[fairedu bien.Unautreparentarriva,il luidemandade sesnouvelles,et la

[jeunefillerépondit: «Je m'éteinscommeune lampesanshuile!»

4. LALAVEUSE.

—Undesparentss'écrie: Voiciquelalaveusedesmortsouvrela portede la chambremortuaire.Pleurezet crieztous,ô

parentset amisdecellequin'estplus!—Et lalaveuseétendlecorpssurlatable,et,levoyantsibeau,

s'écrie: «Queldommageque la Mortl'ait emportée! Queldommagedemourirsi jeune! »

—Lalaveuses'approchede la têtedelamorteet,déroulantsa

longuechevelure,s'écrie: «Quelsbeauxcheveux! Queldom-

magedemourirsijeune! »—Lalaveuseavubrillerlesbouclesd'oreillesets'écrie: «Comme

cesbouclesseyaientbienauxoreillesdecettepauvremorte1

Queldommagedemourirsijeune!»

5. L'HABILLEMENTDELAMORTE.

—Voici,ômorte,quenoust'apportonsunerobesoyeuseaussibellequecellesdontlesviergesseparentdansleurmaison.

—Voici,ômorte,quenousavonscousupourtoiunerobeoùsedessinentdesroses,tellequelesviergesen portentquandellesvontvoirleursamies.

—Et lesmanchesen sontcourtes,afinqu'onpuissevoir tes

jolisbracelets.—Silesmanchessonttroplonguespourtoi,retrousse-lespour

qu'onpuissemieuxvoirtes jolisbracelets.

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222 CHANSONSPOPULAIRESDE LA THÉBAIDE

6. LEDÉPART.

—La mèredit : «Lesporteursde cadavresont emportémon

[trésor,monenfantchérie.—Et j'ai couru après eux, commeune folle, pour la leur

[reprendre,—Maisje suisrevenue,car elleest partiepourle longvoyage

[donton ne revient pas.—Quelmalheur!notreenfantest partie,et la voiciseuleà tout

[jamais,enfouiesousle sabledu désert.»

7. LEGARDEDESTOMBEAUX.

—0 gardedestombeaux,gardebienla tombede la jeunefille,—Carelleest morteaprèsunelongueagonie,aprèsmillesouf-

frances.—0 gardedestombeaux,gardebienla tombede la jeunefille,—Carelle regrettala vie et vientà toi la face toute-couverte1 - [dé larmes.-. 1

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TABLE-' DES MATIÈRES

PRÉFACE.

PREMIÈREPARTIE

I. LalégendedoréedessaintschrétiensdelaThébaide.LessaintsmartyrsChanatôme,Sophroneet

Dalcina. 9SaintMercure-aux-deux-épées. 18CommentfutrebâtilecouventdesaintPacôme. 37

II. LagestedeYousefAbou'l Haggag,patrondeLouqsor.Histoiredubienheureuxcheikhrédigéeparun

desesdescendants 49Le Taoualé es saïd 53Le miracle de l'eau 54LecheikhAbou'1Haggagd'aprèslesauteurs 55Légendespopulaires. 63L'Éditionde1898. 64L'Édition de 1912 66Propos d'un barbier 72Le Buffle 75Lamortd'Abou'1 Haggag 78Légendesetfaitssecondaires 79Les Haggaghieh 81

La mosquéed'Abou'I Haggag. 83

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224 TABLEDESMATIÈRES

III. Légendespopulaires.La barqued'or de Karnak. 95Pourfairepeurauxmarmotsde Karnak. 100

L'ogressede Karnak. 106LecasétrangedeMohammedel Biss 117

IV. Lebarbierégyptienetlestroiscoupesdecheveux 127

SECONDEPARTIE

CHANSONSPOPULAIRESARABES

I. Chansonsauxchamps.Chantsde Laboureur 166

L'arrosagedesChamps. 171ChantsdeMoisson 177

II. Chansonsdansla maison.La Meule 183Chansondu Potier. 187

III. Chansonsdanslesruines.Chantsdes Enfants. 189ChantsdesTerrassiers. 191ChantsdesManoeuvriers. 194

IV. Chansonsd'amouret deménage.Chansonsd'amouret deménage 201La Mèrede la Recrue 207Tercetsau clair de lune. '>\ 209

V. Chansons funèbres. ; - ;

Complaintefunèbre. 213Dernièrechanson. 218

1.14.5525

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PRÉFACE.PREMIÈRE PARTIE

I. La légende dorée des saints chrétiens de la ThébaïdeLes saints martyrs Chanatôme, Sophrone et DalcinaSaint Mercure-aux-deux-épéesComment fut rebâti le couvent de saint PacômeII. La geste de Yousef Abou'l Haggag, patron de Louqsor.Histoire du bienheureux cheikh rédigée par un de ses descendantsLe Taoualé es saïdLe miracle de l'eauLe cheikh Abou'l Haggag d'après les auteursLégendes populairesL'Édition de 1898L'Édition de 1912Propos d'un barbierLe BuffleLa mort d'Abou'l HaggagLégendes et faits secondairesLes HaggaghiehLa mosquée d'Abou'l HaggagIII. Légendes populaires.La barque d'or de KarnakPour faire peur aux marmots de KarnakL'ogresse de KarnakLe cas étrange de Mohammed el BissIV. Le barbier égyptien et les trois coupes de cheveux

SECONDE PARTIE CHANSONS POPULAIRES ARABESI. Chansons aux champs.Chants de LaboureurL'arrosage des ChampsChants de MoissonII. Chansons dans la maison.La MeuleChanson du PotierIII. Chansons dans les ruines.Chants des EnfantsChants des TerrassiersChants des ManoeuvriersIV. Chansons d'amour et de ménage.Chansons d'amour et de ménageLa Mère de la RecrueTercets au clair de luneV. Chansons funèbres.Complainte funèbreDernière chanson