45
LA ROUTE INCONNUE ▬▬▬ N° 37 , juin 2014 ▬▬▬ Publication buissonnière gratuite réservée aux Amis ▬▬▬▬ d’ ANDRÉ DHÔTEL ▬▬▬▬▬

1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

LA ROUTE▬▬▬ N° 37

Publication buissonniè

▬▬▬▬ d’ AND

R

1

INCONNUE, juin 2014 ▬▬▬

re gratuite réservée aux Amis

É DHÔTEL ▬▬▬▬▬

Page 2: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

2

En couverture :Camille Claus, Strasbourg XV, transposition

(1972, huile sur toile, 81 x 65 cm).

La Route inconnue a quinze ans (voir page 24).Son premier bulletin, paru en janvier 2001,comportait un dessin et un texte inédits de

Camille Claus (1920-2005).En 1957, ce peintre alsacien ami d’André Dhôtel

avait illustré Les Voyages fantastiques de Julien Grainebis(voir notre bulletin n° 12).

Pour fêter ce quinzième anniversaire,nous reproduisons en 4e page de couverture ce dessin des origines

et, en 1re page, un tableau de semblable inspiration :envol en ville, envol aux champs…

Merci à Louise Claus-Bock, fille de l’artiste,membre de La Route inconnue,

de nous avoir autorisés à reproduire le tableau.

LA ROUTE INCONNUEAssociation des Amis d’André Dhôtel16 quater, rue des Côtes de Vannes

78700 CONFLANS-SAINTE-HONORINEtél. : 03 22 41 48 24. Courriel : [email protected]

site internet : www.andredhotel.org

Président d’honneur : François DhôtelMembres d’honneur : Christian Bobin, Patrice Delbourg, PhilippeDelerm, Pierre Drachline, Christine Dupouy, Jérôme Garcin, LorandGaspar, Michel Gillet, Philippe Jaccottet, Georges Monti, René de Obaldiade l’Académie française, , Patrick Reumaux, Gilles Sacksick, Raphaël Sorin,Noël Tuot.In memoriam : Jacques Brenner, Camille Claus, Jean-Claude Darnal, JeanGrosjean, Alfred Kern, Maurice Nadeau, Jean-Claude Pirotte, MarcelSchneider.Conseil d’Administration : François Dhôtel (président d’honneur),Philippe Blondeau (président), Roland Frankart (secrétaire), Michèle Gillet(secrétaire-adjointe), Emmanuel d’Yvoire (trésorier), Nils Blanchard,Azouz Jemli, Patrick Pluen, Michel Tack.

Page 3: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

■ So

■ Editorial, par Philippe Blon

■ « Plus que Rimbaud c’est V

par Christine Dupo

■ Chronique dhôtelienne, par

■ Une nouvelle d’André Dhô

Jean René dans le

■ J’ai pêché dans le courant a

par Patrick Reumau

■ Trois itinéraires de lecteurs

■ Vie de l’association

■ Quatre projets en voie de r

■Petites nouvelles de l’actua

■Parmi les livres

Publié avec le soutien d

Reproduction interdite (sauf autorisation de lDirecteur de la publi

Impression

3

mmaire

deau 4

erlaine… », 5

uy

Nils Blanchard 7

tel inédite en recueil : 10

square

vec un ami, 14

x et André Dhôtel

17

25

éalisation 29

lité dhôtelienne 37

40

u Centre National du Livre

textes, illustrations et photos)’auteur ou des ayants droit.cation : Philippe Blondeau

: Reims-Copie

Page 4: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

4

ISSN : 1762-9683

Page 5: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

5

Editorial

Au moment de terminer ce bulletin nous apprenons la mortde Jean-Claude Pirotte, le 24 mai, à l’âge de 74 ans. Le quinzièmeanniversaire de notre association, évoqué dans les pages qui suivent,se trouve ainsi soudainement assombri. Jean-Claude Pirotte était eneffet membre d’honneur de « La Route inconnue » depuis l’origine ;membre d’honneur mais aussi membre actif car il n’avait jamaisrefusé son aide ou son soutien à divers projets, notamment auxévénements qui marquèrent le centenaire d’André Dhôtel ; parailleurs nos lecteurs ont souvent pu apprécier ses illustrations dansnotre bulletin.

Avec Jean-Claude Pirotte disparaît un des derniers écrivainsproches d’André Dhôtel, dont il fut l’ami et l’un des lecteurs les pluspénétrants, ne laissant jamais passer une occasion de défendre sonœuvre. On peut affirmer sans excès que ses articles critiques ne sontpas pour rien dans la reconnaissance de Dhôtel.

Si l’univers romanesque de Jean-Claude Pirotte est fortéloigné de celui d’André Dhôtel, c’est peut-être dans la poésie qu’illui ressemble le plus, dans ce lyrisme distancié et d’une grandesimplicité mais où des décalages insensibles ouvrent des perspectivesétonnantes, parfois étranges.

La lecture étant le meilleur hommage qu’on puisse rendre àun écrivain, relisons donc Pirotte, poète et prosateur. Nous luiconsacrerons très largement notre prochain bulletin ; en attendantnous vous invitons à lire l’hommage que lui rend Christine Dupouydans le présent numéro.

Outre ses rubriques habituelles et son petit lot de raretés, cebulletin vous invite à découvrir « trois itinéraires de lecteurs »,preuve que l’œuvre de Dhôtel n’a pas perdu avec le temps sonpouvoir de séduction. Que ces trois lecteurs soient donc remerciéspour leur témoignage.

Philippe Blondeau

Page 6: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

6

D.R.

« Plus que Rimbaud c’est Verlaine… »

C’est par Dhôtel que je suis venue à Pirotte, à l’occasiond’un colloque que j’avais organisé à Provins en 1998, hors de toutestructure universitaire et avec l’aide de la mairie. Qui m’avaitindiqué l’éternel vagabond, fils spirituel de Dhôtel ? Peut-être YvesCharnet, qui parla de « Dhôtel selon Pirotte », montage lyrique dephrases de l’écrivain belge ?

Pirotte, toujours incertain, avait été placé en dernier. Et l’onsignalait son apparition ici ou là, dans tel ou tel bistrot, et soudain àl’heure dite – 16 heures ? – il surgit, dépenaillé, en T-shirt, des dentsen mauvais état, mais souverain dès qu’il prit la parole. Voici sespremiers mots :

Mon existence d’adolescent s’est passée dans l’œuvre deDhôtel. […] Je suis vraiment un personnage de fiction, et c’est cesentiment que j’avais quand j’ai rencontré un livre ou l’autre deDhôtel.1

1 In Lire Dhôtel, textes réunis par Christine Dupouy, Presses Universitairesde Lyon, 2003, p. 11. Dans ce qui suit, nous renverrons directement à cetteédition.

Page 7: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

7

Pirotte a d’abord connu l’œuvre, puis l’auteur, quand celui-cia eu 77 ans (Pirotte lui est mort à 74 ans, miné par un cancer et touteune vie d’alcool et de tabac. Dhôtel lui, vivra jusqu’à 91 ans) :

Je ne voyais dans les histoires racontées par Dhôtel que le côtévagabond, traînard, paresseux, jean-foutre, qui ne veut pas aller àl’école ; le côté buissonnier de Dhôtel, c’était quand même cela quime permettait de croire que j’avais le droit d’exister. […] Et quandnous nous sommes vus, nous avons décidé de traîner ensemble, etj’ai eu la chance de traîner ainsi avec Dieu. (pp. 12-13)

Pirotte était lumineux et chaleureux. De cette premièrerencontre naquirent des amitiés, avec Jean Meysonnier qui fonda lasociété des Amis de Dhôtel, et avec moi. Et c’était toujours le mêmebonheur de trouver dans la boîte une enveloppe (pas une simplelettre, j’insiste) enluminée par Pirotte, et bien sûr à l’intérieur lesbelles et chaleureuses missives.

Pirotte a beaucoup écrit, suivant sa pente naturelle bien sûrmais aussi poussé par une contrainte économique, puisqu’il essayaitde vivre, plutôt mal que bien, de sa plume. Il est l’auteur de prosesgénéralement qualifiées de « romans », comme Cavale en 1997, maisnourries d’une inspiration que l’on sentait très autobiographique.Après tout, lui qui se prenait pour un personnage de Dhôtel, qu’avait-il mieux à faire que de raconter sa vie ?

Mais c’est le poète surtout que nous regretterons, lui qui dansLa Vallée de misère (2003) disait préférer Verlaine à Rimbaud. Etbien comme cet autre ascendant ardennais – l’Ardenne, de Rimbaudà Goffette, deVerlaine à Follain et Dhôtel, est un pays de poètes –qu’il écrivait de façon un peu naïve, en vers plus ou moins réguliers,assonancés, tout en dégustant une prune. Telle est la vision que nousaimerions retenir de Pirotte.

Christine Dupouy

Page 8: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

8

Chronique dhôtelienne

André Dhôtel et l’intelligence artificielle

Dans The Independent, le premier mai, a été publiée une tribunede quatre éminents scientifiques : Stephen Hawking, Stuart Russel,Max Tegmark et Frank Wilczek, sur les enjeux des progrès actuelsdans ce qu’on appelle l’intelligence artificielle. En la lisant, m’estvenue à l’esprit l’intrigue de L’île aux oiseaux de fer2, l’étrangeutopie dhôtelienne mettant aux prises Julien Grainebis avec un paysinsulaire où les hommes se sont laissés dominer par des machines.Dans le conte, c’est clairement expliqué, la société de l’île a fait lechoix d’accepter cette domination, elle l’a même tout d’abordorganisée. Ainsi un habitant du lieu, Eloi, explique à Julien : « Nousl’avons disposé nous-mêmes [le gouvernement des robots] etl’exécution en est rigoureuse. » (Page 66.) Eh oui, les métalliquesoiseaux, pour ne parler que d’eux, ne se sont pas créés tout seuls !Quoique…

Les quatre scientifiques commencent par présenter un état deslieux sommaire des recherches sur l’intelligence artificielle et leursretombées possibles : « La recherche dans le domaine del’intelligence artificielle (I. A.) progresse rapidement. De récentesavancées majeures, telles les voitures sans conducteur [que l’onretrouve dans le livre de Dhôtel] (…) sont sans doute les prémicesd’une course dans le domaine des technologies de l’information,accélérée par des investissements sans précédent, et se basant surdes fondements théoriques de plus en plus performants. Et tout celaest probablement peu au regard de ce qu’apporteront les prochainesdécennies.

2 André Dhôtel, L’île aux oiseaux de fer, Grasset, 1956.

Page 9: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

9

« Les bénéfices potentiels de ces avancées sont immenses (…),l’éradication des guerres, des maladies, de la pauvreté étant cequ’on pourrait espérer en priorité. Réussir à créer de l’intelligenceartificielle serait alors le plus grand événement de l’histoire. »

Jusque là, on serait dans la partie abritée de l’île. N’oublions pasqu’au début du roman, Julien Grainebis est sauvé d’une possiblenoyade, puis d’un requin, par les oiseaux de fer. Il découvriraensuite, en dépit de divers désagréments plus ou moins graves, une

cité où chacun pourrait avoir sa place, oùtout, jusqu’à la météorologie, participe àl’édification d’une béatitude générale. Onflâne dans de longues et magnifiquesavenues en terrasses où des robots sommetoute sympathiques (le bon Monsieur Z) etdes psychologues un peu trop belles guident(voire déniaisent) les errants…

Attention cependant : les auteurs del’article de The Independent poursuivent :« Malheureusement, cette réussite[historique] pourrait aussi être la dernière,à moins que nous apprenions à parer àcertains risques. A court terme, les armées

dans le monde lorgnent du côté de systèmes d’armements autonomesqui pourraient eux-mêmes choisir et éliminer des cibles ; l’ONU etHuman Rights Watch ont plaidé pour un traité interdisant de tellesarmes (…) »3

Pas d’ONU ni de Human Rights Watch dans le conte de Dhôtel.L’île aux Oiseaux vit en autonomie, retirée du monde. Et ses

3 Un article de Nathalie Guibert publié dans Le Monde du 14 mai 2014 faitécho à nos quatre scientifiques, sous le titre : « Une première réunioninternationale pour réguler l’usage des “robots tueurs”. ― Les ONG ont réussi à mobiliser l’ONU sur la question de ces futures armes. »

Il commence ainsi : « Les“robots tueurs” n’existent pas encore dans lesarmées, mais la question de leur prohibition est déjà sur la table, au nom del’éthique de la guerre. Une première réunion internationale d’experts dudésarmement, informelle, se tient sur le sujet du 13 au 16 mai au siège desNations unies à Genève (…) »

Page 10: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

10

volatiles métalliques choisissent et éliminent des cibles ; JulienGrainebis manque lui-même d’être victime de ses ancienssauveteurs…

L’article se poursuit en envisageant les conséquences à plus longterme d’un développement de l’intelligence artificielle, qui pourraits’auto-améliorer, aller jusqu’à contrôler marchés etgouvernements… de même que les habitants de l’île aux Oiseauxfinissent esclaves de leurs machines pourvoyeuses de bonheur.« Nous ne pouvons plus rien contre notre appareil technique. Lamoindre tentative de rébellion nous livre entièrement à sa forceexécutoire » reconnaît (page 92) le « grand mécanicien » de l’île.

Et les auteurs de The Independent de prévenir : « Alors que lesconséquences à court terme de l’I. A. dépendent de qui la contrôle, àlong terme, ses conséquences dépendront de notre capacité àseulement la contrôler. » Et de regretter que « peu de recherchessérieuses soient consacrées à ces questions autour du contrôle del’intelligence artificielle ».

On peut se demander ce qu’André Dhôtel aurait pensé d’un telarticle. Aurait-il simplement souri en songeant que tout ceci n’estque conte ? Ou aurait-il envoyé un aïeul de Julien Grainebis à l’îleaux Oiseaux (où l’on parle anglais), muni de quelques exemplairesde The Independent ?

Nils Blanchard

__________

Page 11: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

11

Une nouvelle d’André Dhôtel inédite en recueil

Jean René dans le square

Jean René criait ou chantait dans le fond d’une boîte de ferblanc et ses regards semblaient un peu morts. Il est difficiled’analyser les sons que peut rendre une boîte de conserves où la voixse perd. Jean René parvenait à en distinguer trois, dont le plussaisissant était une sorte de rire immense et délicieux. Sans doutecette musique avait-elle charmé le gardien du square, car, tout àl’heure, lorsque cet homme était passé, il n’avait pas fait observer augamin que c’était malséant de s’asseoir, les jambes pendantes, sur lesocle de la statue de Flore et il l’avait laissé sur son perchoir. Puis legardien avait gagné la porte grillagée, là-bas, d’où il regardait lesrues désertes de la petite ville.

Jean René, encouragé par cette solitude, poursuivait avecténacité son profond petit concert. Des oiseaux venaient par momentset, par moments, les cailloux jetaient des feux sous le soleil.Toutefois, Jean René considérait peut-être surtout les cheminées etles toits noirs de l’usine, derrière les hêtres pomponnés. Il entendaitaussi, dans le voisinage, ce ruisseau qui sert d’égout à la banlieue.

Et une dame vint à passer. Elle était vieille, majestueusementhabillée de noir. À Jean René son visage fané parut un masque qui nepouvait évidemment jamais sourire, quoiqu’il fût éclairé par des yeuxpurs comme le ciel. Mais le ciel n’avait rien à voir dans cette affaire,si l’on s’en rapporte aux événements qui suivirent.

Page 12: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

12

La vieille dame laissa tomber son sac devant la statue et elle

Page 13: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

13

La vieille dame laissa tomber son sac devant la statue et ellene s’en aperçut pas tout de suite. Jean René avait déjà entendu direque les préoccupations accablent l’humanité et il ne s’étonna pas decette étourderie. Il admit cela comme un fait naturel et, regardantcette fois le bout de ses pieds nus, il salua la chute du sac d’unmurmure prolongé, sans se soucier d’avertir la dame.

Puis un autre passant arriva. C’était un jeune homme assez peucoquet. Il ne portait qu’un pantalon et une chemise. Il avait desbretelles roses, mais dont les pattes étaient remplacées par du filélectrique. Le gamin retira son visage de la boîte pour sourire aunouveau venu, qui ne s’en aperçut guère car il avait déjà ramassé lesac au milieu de l’allée et il considérait cet objet avec une grandeavidité. Jean René fit sonner un appel au fond de sa boîte.

Et voici soudain que la dame, toute bouleversée, revint sur sespas et se mit à crier « au voleur ». Le jeune homme ne fit pas ungeste, étonné sans doute aussi bien par la frénésie de la dame que parle soleil calme qui baignait le square.

— Madame…, murmura-t-il, sans songer même à lui rendre lesac.

Mais le gardien venait d’accourir.— Monsieur l’agent, dit la dame, ce voyou m’a volé mon sac

et si vous n’étiez pas venu bien vite, il m’aurait peut-être assassinée.— J’ai trouvé ce sac dans l’allée, juste devant la statue, dit le

jeune homme.— On vous connaît, jeune homme, dit le gardien, et vous ne

nous ferez pas croire…— Il me l’a volé, protestait la dame. Comment aurais-je pu le

laisser tomber. Il me l’a arraché sans que je m’en aperçoive.Jean René retira encore son nez du fond de la boîte et il se mit

à crier clairement : « Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai ! » On neprêta d’abord aucune attention à ces clameurs et le gardien saisit aucollet le jeune homme aux bretelles roses, après avoir gracieusementsalué la dame.

— Que vous le reconnaissiez ou non, dit le gardien, vous avezvolé ce sac.

Alors Jean René hurla de nouveau que n’était pas vrai. Lejeune homme regarda de son côté et lui sourit :

— Il y a un témoin, dit-il.

Page 14: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

14

— Un témoin ? s’exclama le gardien qui s’approcha de JeanRené.

— Ce n’est pas vrai, cria encore Jean René.— Vous voyez bien que ce n’est pas vrai, dit le gardien. Ce

morveux ne peut témoigner en votre faveur.Puis comme Jean René assurait de nouveau que ce n’était pas

vrai, le gardien le gifla avec une vigueur suffisante pour le réduire ausilence, puis il emmena son prisonnier dont l’indignations’exaspérait. La vieille dame poursuivit triomphalement son chemin.

Alors le square fut de nouveau désert. Des oiseaux se posèrentici et là. L’usine restait noire. Les cailloux brillaient par instants.Jean René replongea son nez dans la boîte et il se mit à répétersourdement : « Ce n’est pas vrai, ce n’est pas vrai ! » Il n’y avait riende plus doux au monde que cette sonorité inédite, qui n’était pas unrire ni un sanglot, – tout simplement la chanson de ce matin-là.

(Combat, édition magazine du dimanche, 1ère année, n°5,samedi 28, dimanche 29 avril 1945, page 1)

illustration de Michèle Gillet

__________

Page 15: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

15

J’ai pêché dans le courant avec un ami

par Patrick Reumaux et André Dhôtel

(Photographies de Gyula Zarand)

Le 12 avril dernier, après le déjeuner qui a suivi notre assembléegénérale à Attigny, une brève descente dans la vallée de l’Aisne, au pied duMont-de-Jeux, a été proposée à ceux qui avaient fait le déplacement aupays d’André Dhôtel.

À leur intention, nous reproduisons deux textes, de PatrickReumaux et d’André Dhôtel, qui évoquent les après-midi d’été passésensemble au bord de la rivière dans les années 1960-1980.

Dans Demain, et demain, et demain (Anabet éditions, 2007),Patrick Reumaux explique comment il a braconné dans Shakespeare : « J’ailu Shakespeare, guettant le vol en zigzag des bécassines : mes poèmes.Dans les prés, dans les bois, les landes, les marais, j’ai lu Shakespeare àl’affût, braconnant dans les broussailles, pêchant au vif dans les intriguesdes joncs, laissant filer le leurre jusqu’au fond des rêves, l’hameçon d’ordans la gueule. »

Au bord de la rivière du Mont-de-Jeux, son braconnageshakespearien lui a fait pêcher au vif Ophélie dans les « fantastiquesguirlandes » des renoncules flottant dans le courant que son ami ne quittaitpas des yeux.

Pendant des années, dans les Ardennes pouilleuses, à uncoude de l’Aisne, j’ai pêché dans le courant avec un ami. Pour leplaisir d’être ensemble, nous pêchions à deux avec une seule gaule.Celui qui prenait un poisson passait la gaule à l’autre. Mon ami étaitun poète, aussi ne parlions-nous jamais de poésie. Il me disait que leshommes de lettres, les grands hommes, les poètes lauréats, étaientdes Messieurs. Il me disait :

– Georges Limbour, qui dans sa jeunesse grimpait en hautdes réverbères pour avoir un point de vue nouveau sur le monde,appelait ces gens-là les Messieurs.

Page 16: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

16

Au ton de mon ami qui avait une voix douce et une ironiemeurtrière, je me jurais de ne jamais, au grand jamais, devenir unMonsieur.

Il me disait aussi :– Regardez, regardez… Fair and fresh and sweet…J’avais beau regarder, je ne voyais rien. Mais belle et fraîche

et douce était l’herbe. Sur le gravier venaient sautiller les berge-ronnettes entre les touffes où poussait une bizarre crucifère aux fleursjaunes, le roripe des berges. Les chevaliers cul-blanc rayaient lasurface de l’eau comme des martins-pêcheurs. De temps à autre unrat d’eau plongeait. Puis passait la micheline de sept heures et quart.Je demandais : « Sommes-nous déjà dans l’éternité ? » Il nerépondait pas. Personne ne répondait. À part le temps, je medemandais ce qui s’était passé. Beaucoup de choses : une petitefiancée les tresses dénouées, une morte qui n’en finissait pas derevenir, de mourir et de revenir, les cheveux dénoués en defantastiques guirlandes.

Chaque été, mon ami ne quittait pas des yeux le courant,faisant corps avec le devenir de l’eau où se déroulaient les guirlandes

Suzanne et André Dhôtel avec Patrick Reumaux au bord de l’Aisne en 1978

Page 17: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

17

des renoncules flottantes, ces tresses de fleurs blanches à peinerehaussées d’une touche de jaune. Regardez le courant, les fleurs quise soulèvent, on dirait qu’elles respirent, regardez les guirlandes, leslongues tresses, Ophélie mariée en robe de morte avec des reflets desoleil et de vent sur les joues, Ophélie qui revient dès que fleurit lachevelure des renoncules plus vivantes encore dans la mort que dansla vie, car le courant ne s’arrête jamais […].

Trente ans avant, dans Terres de mémoire, André Dhôtel avait, luiaussi, évoqué ces parties de pêche en double. Il commence par se moquerdes pêcheurs appliqués, des travailleurs de la gaule, des « Messieurs » durondeau bien rempli :

Si vous venez amorcer l’avant-veille ou la veille une place depêche, si vous tendez trois lignes dont une tenue à la main, si vous

vous ingéniez à prendre les grains deblé et les asticots avec des pinces pouréviter les odeurs nocives, si vousutilisez une ligne suréquilibrée quipermette de saisir les moindres toucheset qui exige une vigilance inexorable,vous avez des chances de repartir le soiravec un rondeau débordant de poissons,mais vous aurez accompli une journéede travail.

Puis il énumère divers moyensfavorables à l’inaction [qui]n’empêchent pas d’obtenir des résultatshonnêtes mais n’ont rien de communavec cette obstination à employerchaque minute. […]

Troisième moyen : pêcher encompagnie d’un ami à qui on passe sa ligne chaque fois qu’on a prisun poisson et attendre qu’à son tour il ait sa chance.

De nos jours, c’est le poisson qui a sa chance : il a plus à craindredes cormorans et des hérons que des rares pêcheurs. Quant aux guirlandesde renoncules, elles ont disparu, victimes de l’agriculture intensive.

Page 18: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

18

Trois itinéraires de lecteurs

Pourquoi chacun de ses lecteurs, un jour, en est-il venu àlire Dhôtel ? Autant de réponses que de lecteurs. En voici trois. Unnouveau membre de notre Conseil d’administration, un de nos plusrécents adhérents et une lectrice anonyme tenant un blog retracentleurs itinéraires de lecture dhôtelienne.

1 – Concomitances d’intérêts

Nils Blanchard vit en Alsace. Outre la chronique dhôteliennede ce numéro, il a donné plusieurs textes à notre bulletin. Depuisnotre dernière assemblée générale, il est membre du Conseild’administration.

C’est à l’école, me semble-t-il, que j’ai commencé de lireAndré Dhôtel, à travers quelque extrait du Pays, peut-être. Mesparents m’ont offert les volumes de la collection Folio junior duPays où l’on n’arrive jamais, justement, et de L’enfant qui disaitn’importe quoi. Puis, je ne sais quand exactement, j’ai lu Un soir,que mon père avait alors dans sa bibliothèque. J’en ai gardé unsouvenir étrange : quelques bribes, un peu comme d’un rêve dont, auréveil, on ne se souvient que de rares images (je ne l’ai pas reludepuis). Ensuite, les lectures se sont accumulées au cours des annéesmais aussi de divers voyages. Je me souviens par exemple avoir lu enSuède, pendant des congés d’été, Histoire d’un fonctionnaire, quej’avais emprunté à la bibliothèque universitaire d’Angers. Ou encore,Le village pathétique a été lu entre deux services de nuit, auMaryland où je travaillai quelques mois.

Naturellement, mon goût pour l’œuvre d’André Dhôtel m’amené à La route inconnue. Un article que j’y ai envoyé il y a déjàquelques années a été très gentiment reçu, puis diversesconcomitances d’intérêts m’ont incité à en écrire d’autres. Surproposition de Roland Frankart, j’ai posé ma candidature au conseild’administration lors de la dernière assemblée générale del’association.

Page 19: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

19

De formation d’historien (je suis pour l’heure professeur encollège) j’ai travaillé récemment pendant mes scandaleuses vacances(« j’ai été professeur… à cause des longues vacances ! » a dit AndréDhôtel à Jérôme Garcin ; ah, le sulfureux bonhomme !) sur lesdéjeuners littéraires de Florence Gould, auxquels notre écrivain deprédilection a participé un temps.

Pour l’heure professeur, j’ai quelques projets, chantiers plusou moins aboutis comme ces textes sur le Japon, sur un site de clubd’arts martiaux.

Nils Blanchard

2 - De La Route inconnue (le téléfilm)à la Route inconnue (l’association)

Florent Simonet est un des plus jeunes d’entre nous, jeunepar l’âge et par l’entrée dans notre association (il a adhéré à laRoute inconnue fin 2013). Natif de Vouziers, il y a été lycéen ; aprèsses études à Paris, il est revenu vivre en terre ardennaise. Il habite àCharleville, lit Dhôtel depuis dix ans et retrace pour nous sonitinéraire de lecteur.

Je suis né à Vouziers en 1977. Ces deux coordonnées de lieuet de temps, qui semblent plus propres à ouvrir un récitautobiographique qu’un examen de conscience littéraire, ne sont pasinutiles pour comprendre comment André Dhôtel a d’abord été pourmoi une figure familière – et malgré tout mystérieuse – de monenfance. Sans que je l’aie jamais rencontré, sans que j’aie rien lu delui avant l’âge adulte, sans que j’aie vraiment pu mettre un visage surson nom avant de longues années, André Dhôtel a toujours existédans les conversations des grandes personnes qui composaient monentourage, de sorte qu’il représentait assez bien, pour l’enfant quej’étais, quelque chose comme « le grand écrivain du département ».C’est un raccourci injuste car, après l’avoir lu, je sais que c’est ungrand écrivain tout court. Mais dans ma perception d’enfant,l’ancrage ardennais d’André Dhôtel a été la donnée primordiale. Jesavais que mon oncle (Noël Tuot, qui est membre d’honneur de laRoute inconnue) connaissait l’écrivain. À mes yeux, cette

Page 20: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

20

fréquentation d’un proche parent et d’un homme illustre avait ledouble effet de faire rejaillir sur mon oncle un peu du prestige quientourait le nom d’André Dhôtel et en même temps de démythifierAndré Dhôtel, un grand homme qu’on pouvait fréquenter, un voisincélèbre qui n’était pas inaccessible dans sa tour d’ivoire.Parmi mes plus vieux souvenirs, André Dhôtel reste associé autournage du téléfilm de Jean Dewever, La Route inconnue. J’avaiscinq ans. J’habitais alors au Chesne où mes parents occupaient unlogement de fonction le long du canal des Ardennes. Je n’ai aucunsouvenir direct du tournage, mais j’ai très bien perçu alors le climatparticulier, comme une courte effervescence locale et familiale, qui

a baigné durant quelques jours Le Chesne, chef-lieu decanton routinier, sans doute bien moins idyllique que ne le laissepenser le titre d’une nouvelle de Dhôtel. Le téléfilm fut diffusé. J’enrevois des images où les deux bicyclettes défilent sur le chemin dehalage. L’écran de télévision opérait ce déplacement, magique pourun enfant, d’un décor quotidien dans le monde de la fiction.

Dans le quotidien L’Ardennais (éditions du 31 août et du 1er sept. 1983),au moment de la diffusion du téléfilm La Route inconnue.

Page 21: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

21

J’avais appris également qu’à Louvergny, où habitaient mesgrands-parents, le château de Touly avait servi de décor pour uneautre scène de l’adaptation du roman et qu’une vieille dame duhameau des Courgillots apparaissait dans le téléfilm commefigurante. Trente ans après, j’ai cherché à vérifier l’exactitude de cessouvenirs. Faute d’avoir pu visionner le film, je m’en suis remis autémoignage des habitants du village, qui ont confirmé le premiersouvenir. On avait demandé au propriétaire du château de Touly defaire sortir de la cheminée une fumée bien visible, ce qu’il avaitobtenu non sans mal en faisant brûler du bois vert. Au propriétaired’une parcelle voisine, on avait aussi demandé de percer une haie.

Un autre plan montre la route qui longe le cimetière deLouvergny. En revanche, ma mémoire est fautive pour ce qui toucheaux Courgillots. Je ne sais pas d’où vient ce faux souvenir ni quelleest l’origine de ma confusion.

Je suis venu tard à la lecture de Dhôtel, après mes études.J’avais lu le hors-série du Curieux Vouzinois (juin 2000) consacré àAndré Dhôtel. Je connaissais également la notice du Lagarde etMichard présentant, sous la rubrique « Réalisme et merveilleux », unextrait du Village pathétique. Elle est ainsi rédigée qu’elle ne m’ajamais encouragé à aller lire cet auteur pour qui les Ardennes« joue[nt] dans son œuvre un rôle analogue à celui de la Solognedans celle d’Alain-Fournier ». À la relire aujourd’hui, elle me paraîtpourtant honnête pour un manuel décrié ; elle restitue correctement lavulgate de ce que la critique littéraire dit sur André Dhôtel. Surtout,elle a le grand mérite de ne pas avoir classé Dhôtel avec les auteursrégionaux (bourguignons, cévenols, provençaux, bretons) réunis dansla rubrique suivante.

Manquait, en fait, la révélation d’une première lecture. Pourmoi, ce fut La Tribu Bécaille, en février 2004, trouvé dans unelibrairie parisienne, peu après la réédition en Folio. Cette lecture eutle grand mérite de renverser les idées a priori qui jusque là m’avaientpeut-être inconsciemment détourné de lire Dhôtel. Je découvrais unauteur bien différent de l’écrivain de terroir, ou de l’écrivain pourenfants, ou simplement de l’écrivain contemporain sans valeurparticulière, que je me figurais jusque là. Dans La Tribu Bécaille, jetrouvais d’emblée deux traits des romans de Dhôtel qui me touchentle plus dans l’œuvre entière : la rêverie s’attachant à un lieu donné

Page 22: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

22

pour banal mais qui ne l’est pas (une cité avec des souvenirscarolingiens : les lecteurs du roman savent-ils à quel point c’estrarissime et à quel point l’histoire d’Attigny-Aigly est singulière ?),d’autre part la capacité, que j’envie, des personnages à romprebrutalement avec leur routine.

Quelques mois plus tard, je lisais coup sur coup deux autresromans d’André Dhôtel : Le Pays où l’on n’arrive jamais, qui meparaissait incontournable mais que j’ai lu sans passion, etL’Honorable Monsieur Jacques. Pour le premier, le titre avait un airde paradoxe qui annonçait que je ne retrouverais pas le point fixegéographique qui donne son orientation à tant de romans de l’auteur.Cette lecture venait après La Tribu Bécaille et mon attente de lecteurse trouvait déçue. Dans les livres d’André Dhôtel, je préfère lespromenades dans les sentiers battus aux voyages au long cours. Cen’est qu’après avoir lu les aventures en Saumaie de l’ingénieurSoudret que je suis devenu un lecteur fidèle de Dhôtel. L’HonorableMonsieur Jacques contient tout ce qui me charme dans l’écriture deDhôtel4. Le détail de ces charmes demande sans doute à êtreexplicité, mais ce serait entrer dans un exercice de critique littérairequi excède le cadre de cette chronique. Je conclurai plutôt endressant le rapide bilan d’une vingtaine de lectures dhôteliennes.L’enchantement a recommencé avec chaque nouveau volume. Pourun lecteur qui a un goût déjà formé, tous les livres d’un même auteurne se valent certes pas. Mais même dans les volumes qui meparaissent plus faibles que d’autres que je considère comme deschefs-d’œuvre, j’ai le plaisir de retrouver certains motifs deprédilection et une atmosphère dans laquelle je suis à l’aise. C’estpourquoi j’ai toujours quelques livres d’André Dhôtel en réservedans ma bibliothèque.

Florent Simonet (mai 2014)

4 J’ai offert ce roman à une amie québécoise, qui découvrait ainsi Dhôtel etqui me fit une réponse dont un paragraphe mérite peut-être d’être cité si cetintertexte inattendu n’a jamais été signalé ailleurs dans le bulletin de laRoute inconnue : « J’ai lu une allusion à André Dhôtel dans la Brèvehistoire des fesses (Hennig). Comme je n'avais jamais, ô grand jamaisentendu parler de cet auteur-là avant, tout de même, il fallait que je te fassepart de cet étrange hasard (ou « drôle d'adon », comme on dit ruralement). »

Page 23: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

23

3 - sur le site « Solalia, selon l’humeur du jour »

Une lectrice, qui n’est pas membre de La Route inconnue, arécemment raconté sur son blog comment c’est Christian Bobin quilui a fait découvrir André Dhôtel.

13 octobre 2013

Lassée par l’absence de réponse et l’impression de n’être lueque par des ordinateurs, j’ai supprimé mon blog il y a quelques jours.Je le regrette aujourd’hui. Ce blog me manque, et peut-être y avait-ilquelqu’un, en Ukraine, en Serbie, en Indonésie, ailleurs... pour quij’étais devenue un petit accompagnement quotidien. Qu’est-ce quiempêche de rêver ?

Alors je reviens partager avec vous un peu de mon décor, demes lectures, de ma vie.

14 octobre

« J’irais volontiers frapper à la porte d’André Dhôtel. Il abeau être mort aujourd’hui, il est bien plus contemporain que laplupart des auteurs vivants. Une grande partie de ma vie se trouveencadrée par deux de ses phrases : "Il ne se sentait pas mûr pourcette solution désespérée qui consiste à adopter un mode de vienormal", et puis cette autre : "Quand on découvre un être lumineux,sans que cela ait aucun rapport avec le simple amour ou le rêve, onne peut plus vivre comme à l’habitude". [...]

Quand je lis André Dhôtel, je fais plus que le lire : jetravaille. J'ai une petite règle d’écolier, et je relis chaque histoirejusqu’à y trouver les merveilles qui m’avaient échappé dans unepremière lecture. Ces phrases, extatiques comme peuvent l’être des

Page 24: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

24

champignons découverts dans un sous-bois, je les souligne. C’estune vraie expérience, comme s’il y avait notre nom caché àl’intérieur de sa parole. Et quelquefois c’est la merveille, parce qu’ily a des roses qui poussent dans les livres parfois. " Un jour, dit-elle,j'ai entendu une porte claquer dans le désert." C'est plus costaud etinouï d'avoir écrit cette phrase que d’avoir découvert le schéma quiva permettre d’engendrer tous les ordinateurs de demain. »

Christian Bobin, propos recueillis par Lydie Dattas,dans La Lumière du monde.

Merci, Christian Bobin, de m’avoir fait découvrir André Dhôtel.

Je viens de commander Le Pays où l’on n'arrive jamais.

21 octobre

Je lis Le Pays où l’on n'arrive jamais, d’André Dhôtelrecommandé par Christian Bobin.

Très agréable. C’est une sorte de Pilgrim’s Progressmoderne.

J’en suis à peu près au même endroit dans les deux livres5,c’est amusant. Dans The Pilgrim’s Progress de Bunyan, Christian etHopeful se demandaient il y a quelques jours comment quelqu'un quia fait une part du chemin peut choisir de revenir en arrière. Et ici,après avoir parcouru d’étranges forêts sur un cheval sauvage, et avoirété accueilli et nourri par un gentil garçon sourd qui l’aide à avancer:« Gaspard ne disait mot. Il ne cessait de penser à la meilleure façon

5Quand j’étais étudiante, il y a des livres au programme que je n’ai pu finir.

J’avais décidé, pour deux d'entre eux, Walden et The Pilgrim’s Progress, deles reprendre plus tard et de les terminer. J’ai commencé par Bunyan, dontje lis une ou deux pages le soir, de loin en loin.

Page 25: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

25

de quitter son hôte. En tout cas rien ne pourrait l’empêcher de fairece qu’il voudrait » (il veut rentrer chez lui, où il sait qu’il sera malaccueilli et pas heureux du tout).

24 octobre

« De belles résolutions, constatait Niklaas, de louables efforts. Maisque nous est-il demandé de plus que d’attendre la lumière du ciel ? »

Le Pays où l'on n’arrive jamais, J'ai lu, p.207

Voilà le genre de phrase que Christian Bobin doit notercomme un écolier lorsqu’il lit André Dhôtel.

Et le genre de phrase que je note quand je lis Christian Bobin.

27 octobre

Je relis mes notes et suis frappée par une phrase de ChristianBobin à propos de sa lecture d'André Dhôtel :

« Ces phrases, extatiques comme peuvent l'être deschampignons découverts dans un sous-bois, je les souligne. C'est unevraie expérience, comme s’il y avait notre nom caché à l'intérieur desa parole. »

Et je pense soudain que cela doit être ça, le coup de foudre :on voit quelqu’un, un inconnu, et c’est comme s’il y avait notrenom caché à l’intérieur de sa présence.

__________

Page 26: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

26

Vie de l’association

1 - La Route inconnue a quinze ansdes noms, des chiffres, une carte

Notre association a été fondée le 24 avril 1999, au coursd’une assemblée constitutive, réunie à Paris, qui se donna pour objetde « perpétuer le souvenir de l’écrivain André Dhôtel et de mieuxfaire connaître sa vie et son œuvre ».

Placée dès sa fondation sous la présidence d’honneur deFrançois Dhôtel, elle eut comme premier bureau : Jean Meysonnier àla présidence, Christine Dupouy au secrétariat et Maurice Gâchiniardà la trésorerie (Philippe Blondeau lui succéda dès l’année suivante).Les autres membres du Conseil d’administration étaient Jean-PierreAbraham, Agnès Baldellon, Brigitte Buffard-Moret, PierreDrachline, Jean-Claude Pirotte, Gilles Sacksick et Raphaël Sorin.

Au terme de sa première année d’existence, l’associationcomptait 46 membres cotisants et 14 membres d’honneur. Parmi ces46 premiers membres cotisants, 15 sont toujours adhérents del’association : Jean-Claude Guiselin, Gilles Ortlieb, Jean-PierreCanon, Pierre Pouchain, Denise et Nicole Rigal, Philippe Blanc,Christian Marcipont, Valérie Naze-Dhôtel, Michel Gillet, PhilippeMajewski, Sophie Horay, Claude-Edmond Braulx, PhilippeBlondeau, Georges d’Achon (cités dans l’ordre d’inscription sur leregistre des adhérents tenu par Jean Meysonnier).

À eux la palme de la fidélité.Ce noyau des premiers temps représente 10 % de l’effectif

actuel de la Route inconnue. Depuis plusieurs années celui-ci graviteautour des 150 membres. Ce chiffre est loin d’être négligeable carbeaucoup d’associations d’amis d’écrivains ne dépassent pas les 100adhérents et des auteurs de plus grande notoriété qu’André Dhôtelgravitent autour d’un effectif qui dépasse rarement 300 : Rimbaud a250 amis, Max Jacob 235, Flaubert 350, Alain-Fournier 300,Corneille 130. Les amis de Jules Renard étaient 11 à leur dernièreassemblée générale, ceux d’Alphonse Daudet 15 (nous étions 18 le12 avril à Attigny).

Page 27: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

27

Le registre des adhérents comporte exactement 324 noms +23 membres d’honneur, soit 347 membres actuels ou anciens.Comme on le voit sur la carte ci-dessous, les « bassins d’adhésions »sont la région parisienne (une centaine), les Ardennes et la Marne(une cinquantaine), la Belgique (une quarantaine), la Seine-et-Marne(une vingtaine).

Derniers chiffres, en guise de bilan de ces quinze années :depuis sa fondation, la Route inconnue a publié 11 cahiers et 37bulletins, soit 4000 pages de lectures dhôteliennes.

Rendez-vous en 2029 pour le bilan des trente années.

Roland Frankart

Répartition géographique des 347 membres actuels ou anciensde la Route inconnue.

Page 28: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

28

2 – Retour en images sur notre Assemblée générale

À la tribune :Roland Frankart,Philippe Blondeau,Emmanuel d’Yvoire

.

Dans la salle des mariagesde la mairie d’Attigny :une partie de l’assistance.

Déjeunerau Mont-de-Jeux

Page 29: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

29

Visite de la maisond’André Dhôtel

Descente dans la vallée

La vallée de l’Aisnedepuis le Mont-de-Jeux

Photographiesde Laetitia Ginailhac

et Alain Poncet.

Page 30: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

30

Quatre projets en voie de réalisation

1 – Des rééditions

Les éditions La Clef à molette, basées à Montbéliard,projettent de rééditer quatre livres d’André Dhôtel.

Cette jeune maison a été fondée en 2012 par Alain Poncet,membre de la Route inconnue. Graphiste-plasticien de formation,Alain Poncet, la cinquantaine venue, se lance dans l’édition afin desatisfaire son goût ancien pour la conception et la fabrication delivres. Il définit ainsi son projet :

« La Clé à molette est une maison d’édition indépendante quiinvestira indifféremment le champ de l’art contemporain et celui dela littérature, qu’elle soit d’hier ou d’aujourd’hui. L’art contem-porain dans toutes ses dimensions et la littérature dans toute sonexigence. En jouant parfois avec la notion de genre, nous nousproposons d’éditer et de défendre des œuvres et des auteurs qui nousplaisent et en lesquels nous croyons ».

Pour en savoir plus, consulter le site : www.lacleamolette.fr

Alain Poncet a commencé par investir le champ de l’artcontemporain : en mai 2013, il a publié un premier livre, Objetsdérivés, qui fait le point sur dix années de travaux du plasticienRaphaël Galley. Ouvrage tiré à 600 exemplaires et présenté depuis saparution dans diverses manifestations en Franche-Comté.

Quant à la littérature, il va l’aborder en publiant desnouveautés mais aussi en rééditant des livres épuisés, dont quatretitres d’ André Dhôtel. Dans sa collection Hodeïdah !, il va rééditerUn soir et La Route inconnue en 2014, L’Île à la croix d’or et LesLumières de la forêt en 2015.

Une aide du Centre Régional du Livre de Franche-Comté luia été accordée.

La collection Hodeïdah ! sera au format « semi poche »,soit 125 x 190 mm. Hodeïdah ! est une des exclamations d’Alexisdans L’Enfant qui disait n’importe quoi.

Page 31: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

31

Alain Poncet présente ainsi les quatre livres qu’il varééditer :

« Un soir est un recueil de nouvelles parfois âpres et sansconcessions, ou l’on découvre un Dhôtel inhabituel et au regard aigu.

La Route inconnue aurait été qualifié de « roman choral » sile terme avait été en usage à sa parution ; André Dhôtel y convoquetoutes les composantes de son univers dans un chassé-croisééblouissant.

L’Île de la croix d’or, qui nous emmène en Grèce, est unroman de la jeunesse et de la formation. Son jeune héros y démêle unécheveau subtil et enchanteur au cours d’un curieux voyage quil’amène vers la découverte de lui-même et de son destin.

Concernant Les Lumières de la forêt, l’idée serait de rééditerce livre, initialement de lecture suivie pour le cours moyen, sousforme d’une longue nouvelle, avec de nouvelles illustrations. Il s’agiten fait, bien avant l’heure, d’une passionnante fable en faveur de lanature et de l’écologie. Il n’y a pas d’âge pour lire cela. »

__________

Page 32: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

32

2 – Un concert / histoire

Le musicien Lionel Rolland (né en 1967, il vit dans l’Ain)nous annonce la préparation d’un « concert / histoire » sur Le Paysoù l’on n’arrive jamais.

Après de nombreuses expériences dans les Musiques dumonde pendant douze ans, Lionel Rolland s'est plongé dans l'universdes suites de Jean-Sébastien Bach ces trois dernières années. Enécoutant presque exclusivement les enregistrements des années 50 à60 du pianiste canadien Glenn Gould, et en s'imprégnant aussibeaucoup du jeu de Dinu Lipati, un premier concert-ciné La Fenêtre(en duo avec Sylvain Nallet) est né en 2012. Aujourd'hui, LionelRolland est toujours tenté par ce travail d'écriture plus occidentalqu'oriental. Mais les liens avec les paysages et les livres (JeanGiono, Jean-Pierre Abraham, Jirô Tanigushi, et... André Dhôtel) luisemblent nécessaires. Un espace où la musique tente d'être l'imageou les mots d'une histoire....

Note d’intention rédigée par Lionel Rolland :

GASPARD

un concert / histoire qui réunit :

■ un trio à cordes jouant une musiquejoyeuse, couleur soleil,comme l'enfance en été.Une musique pour undépart vers l'aventure etle jeu. Avec le timbrede la Mandoline 5chœurs, qui peutrappeler le ChoroBrésilien ; un son d'unautre temps avec leClavichord, rebondis-

Page 33: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

33

sant, libre et élastique comme l'enfance ; ainsi qu'une Guitare 8cordes, aux graves puissants et rugueux, aux aigus brillants....

■ des morceaux choisis du roman d'André Dhôtel Le Pays où l'onn'arrive jamais, puisqu'il est devenu un compagnon indissociable dela musique du Trio, un fil conducteur pour composer. Ainsi, les titresdes musiques portent déjà quelquefois les noms des chapitres (Lecheval pie, Niklaas et ses musiciens, Le grand pays …). L'idée defaire se côtoyer sur scène des morceaux de ce livre avec lesmorceaux de musique est apparue naturellement. Imaginons une voixqui pourrait surgir de la musique ou d'entre les musiques, unnarrateur invisible en quelque sorte, mais à la voix proche,« radiophonique ».

* * *Je vois cette création musicale comme une occasion (ou une

chance, peut être ?) de se (re) plonger dans l'univers de l'enfance. Lesmusiques que j'entends, qui me viennent, et que je travaille ensuiteavec la guitare 8 cordes, m'embarquent dans un monde d'aventures,de fugues, de départs précipités, de rencontres imprévues,surprenantes (mais tellement à propos, opportunes). Comme audétour d'un chemin, ou d'un bois, qui s'ouvrirait sur des horizonstoujours plus vastes. Une musique fugueuse au débit qui nes'essouffle pas.

« Le cheval filait bon train et ne paraissait nullement disposé à modérer sacourse, pareille à un beau vent d'été. /....et à partir de ce moment il prit unetelle allure que Gaspard se crut vraiment transporté dans un autre monde.C'était un galop d'une légèreté si étonnante que l'animal semblait ne pastoucher la terre. »

Cet univers, j'ai le plaisir de le trouver quelquefois dans deslectures « jeunesse » (Bibliothèque verte et compagnie, celles demon enfance), dans lesquelles je m'autorise la « vraie vie facile»,celle où l'on peut croire que tout est possible. Mais, c'est plusprécisément dans la lecture du livre d' André Dhôtel Le Pays où l'onn'arrive jamais, que j'ai retrouvé cette fantaisie que l'on n’autorisequ'aux enfants. Les traits caractéristiques des musiques que jecompose ces derniers temps, en songeant à un trio à cordes, ont

Page 34: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

34

trouvé écho dans ce roman. Roman dans lequel j'ai été, dès le début,emmené dans un vaste territoire, puis (sans être perdugéographiquement) je ne sais où, par un récit qui surprend quant auxendroits où il fait passer, qui rebondit sans permettre (entre deuxrebonds) de savoir où sera le prochain appui.

« Gaspard s'élança. Son pied se pris dans une racine. Au moment où iltombait en avant, il eut la vision du ciel qui surplombait le vastemoutonnement de la forêt. La chute fut un peu amortie par l'herbe mais legarçon passa cul par dessus tête, et il eut beau s'agripper aux plantes, il luifallut rouler jusqu'au bas. La terre et le ciel passèrent tour à tour devant sesyeux. Le dernier bond que fit Gaspard là où le talus devenait vertical, leprojeta vers le milieu de la route. Il pensait s'écraser sur le goudronlorsqu'il sentit entre ses mains lacrinière du cheval.»

Une histoire d'été, dans laquelle il ne fait jamais froid, oùtrouver à manger et à boire n'est pas un souci, et rencontrer denouveaux amis aux caractères bien spécifiques est le painquotidien..... Et ainsi imaginer un « concert / histoire » dans lequelmes musiques sont comme les chemins multiples que dévalent leshéros du roman : elles empruntent des chemins mélodiques sanscesse différents. À l'image de « poupées russes » qui s'ouvriraientindéfiniment. Une histoire où l'on croit jusqu'au bout qu'il y a tout àdécouvrir sans savoir ce que l'on cherche. Une musique qui avancesans doutes, bien souvent entraînée par un élan instinctif / nonidentifié / imprévisible.

« Gaspard ne put faire autrement que d'enfourcher le vélo. Ils partirent, et,peu de temps après, ils roulaient sur un chemin cahoteux au milieu de laforêt. Puis ils quittèrent le chemin, prirent un sentier, et suivirent uneétroite piste ménagée pour les chasseurs qui filait tout droit sur deuxkilomètres. Au bout de la piste, une clairière. Après le rideau d'un nouveautaillis, ils débouchèrent sur une campagne libre avec des villages semésdans l'étendue. »

Lionel Rolland

Page 35: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

35

3 – Un espace André Dhôtel à Attigny

André Dhôtel disait pour plaisanter qu’à Attigny, en matièrede notoriété, son seul rival était Charlemagne. Si la grand place portele nom de l’Empereur à la barbe fleurie, celui d’André Dhôtel a étédonné à une rue et à l’école. Le souvenir du souverain tout commecelui du romancier sont rappelés dans les guides touristiques mais,sur place, les visiteurs constatent avec dépit qu’il n’y a rien à voir, nisur l’un, ni sur l’autre. Le « dôme » dit de Charlemagne date de laRenaissance et deux plaques portant son nom ne suffisent àrenseigner sur l’œuvre d’André Dhôtel.

Cela va changer. La bibliothèque d’Attigny, jusqu’à main-tenant logée – à l’étroit – dans la mairie, va être transportée sur unautre côté de la place, juste à côté de la maison dont une plaquesignale qu’ « André Dhôtel a vécu ici ». Vides depuis quelque temps,les locaux de deux anciens magasins vont être réaménagés pouraccueillir la bibliothèque. Plus au large, ses responsables vont donnerà ce lieu des allures de petite médiathèque. Un espace, éclairé par

Juste à droite du kiosque, les deux vitrines (fermées) de la future bibliothèque.Sur la maison suivante (ferronneries aux balcons), une plaque porte l’inscription :

« Ici a vécu André Dhôtel ».

Page 36: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

36

l’une des deux vitrines, sera consacré à André Dhôtel. Les hôtessesde l’office du tourisme tout proche pourront ainsi orienter vers labibliothèque les visiteurs en quête de renseignements sur leromanciers natif du cru. L’office du tourisme est situé sous « lekiosque à musique où les fleurs tiennent la place des musiciens quine viendront jamais ». Les temps d’ouverture de la bibliothèquedevraient être élargis, si bien que les aménagement en cours depréparation devraient avoir un taux d’utilisation accru.

Que pourra-t-on voir dans l’espace André Dhôtel ? Dans desvitrines seront exposés divers objets et documents, fournis parFrançois Dhôtel ou déjà détenus par la ville d’Attigny, notamment lamachine à écrire sur laquelle Suzanne Dhôtel a tapé les textes de sonmari (voir la couverture de notre bulletin n° 33), ou l’éditionbibliophilique de La Longue histoire illustrée par J.J.J. Rigal. Lesvingt panneaux de l’exposition André Dhôtel, jour fabuleux, conçusen 2000 par Philippe Blondeau et depuis conservés par FrançoisDhôtel, vont être entreposés à Attigny et exposés par rotation danscet espace. Le « fonds Dhôtel » de la bibliothèque, plutôt maigreactuellement, va être étoffé.

On ne peut en dire plus pour l’instant car, si le principe decet espace est acquis, les détails de sa mise en œuvre restent àpréciser.

Le maire aimerait que les choses se fassent sans tarder. Lessubventions qu’il a demandées ont été accordées. Les travaux àréaliser ne seront pas importants (essentiellement la réfection despeintures). Cet espace a donc de bonnes chances de voir le jour dansun bref délai.

Dernière précision : la vitrine à travers laquelle on pourravoir divers souvenirs dhôteliens était autrefois celle du Bazar del’hôtel de ville (ou Bazar Verdelot, dont bien des habitants sesouviennent). Pouvait-on espérer meilleur endroit pour l’auteur deUn jour viendra ? Le bazar de Durand et Falort, qu’il y décrit avecdélectation, est inspiré du bazar de Vouziers, mais il est probable quele bazar d’Attigny suscita chez lui un aussi vif intérêt. Et plus d’unpersonnage de Dhôtel a affaire au commerce : Bertrand Lumin et salibrairie, Charles Crevain ou M. Baisemain et leur salon de coiffure,Gabrielle Berlicaut et son hôtel du Grand Cerf…

Page 37: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

37

Espérons seulement que le bazar-bibliothèque sera plusfréquenté que les commerces d’Aigly, au tout début de La TribuBécaille : « La grande place (c’est la place Marchal), est entourée decommerces pimpants où l’on voit entrer un client par heure ».

4 – Un catalogue

Comme annoncé dans notre dernier numéro (page 25), lalibrairie « Le Livre à venir » de Cuisery (près de Tournus), vapublier un catalogue de livres d’André Dhôtel.

Page 38: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

38

Petites nouvelles de l’actualité dhôtelienne

Thèse. Le 12 janvier 2013, à l’université de Limoges, Pierre-Antoine Navarette a soutenu une thèse intitulée : « Espace et tensionsde signification : toposyntaxe, route et structure de chemin dans LeMont Damion d’André Dhôtel ».

Il la résume ainsi :

« La thèse que nous soutenons défend l’idée selon laquelle il existe,dans une perspective phéno-générative, un schème spatialdirectionnel au sein de l’œuvre d’André Dhôtel, Le Mont Damion,c’est-à-dire une structure d’ensemble élémentaire qui oriente, dansun procès de signification spatial complexe, une axiologisation desdispositifs spatiaux et qui se décline en configurations spatialesdirectionnelles plus élaborées, configurations axées sur la catégorie[route]. Nous avons réalisé cette étude en sémiotique de l’espace postgreimassienne en partant d’une sémantique textuelle d’inspirationrastierienne appliquée à l’œuvre dhôtelienne. »

Résumé du résumé (toujours par l’auteur) : « Il s'agit d'uneétude sémiotique visant à dégager les articulations logiques et lesprincipes de formation du sens dans l'œuvre romanesque d'AndréDhôtel, Le Mont Damion ».

Pour nos lecteurs qui ne seraient pas familiers de cettediscipline, précisons que la sémiotique est la « science générale desmodes de production, de fonctionnement et de réception desdifférents systèmes de signes qui assurent et permettent unecommunication entre individus et/ou collectivités d’individus »(dictionnaire Larousse).

La thèse de M. Navarette a été mise en ligne sur Internet.

Roman. L’auteur d’une critique de livres pour la jeunesse m’aenvoyé le 22 mars dernier la recension qu’il avait faite d’un romande Gisèle Bienne, Le pays où quelqu’un nous attend (L’Ecole desloisirs, 186 pages, 9 € 50). Sa critique commence ainsi :

Page 39: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

39

« Gisèle Bienne est née dans l’Aube, a fait des étudessecondaires en Haute-Marne, a enseigné quelques années on ne saitoù et vit à Reims. Elle a choisi de faire un clin d’œil à André Dhôtel,écrivain phare pour la jeunesse, né dans les Ardennes, en choisissantun titre Le pays où quelqu’un vous attend qui rappelle le titre Le paysoù l’on n’arrive jamais de l’écrivain natif d’Attigny, au sud-ouest deCharleville-Mézières. De plus elle a choisi de faire passer une partiede l’action de l’ouvrage Le pays où quelqu’un vous attend dans lesud du département des Ardennes alors qu'une part non négligeabledu récit se déroule dans un village fort proche du lac du Der-Chantecoq ou lac-réservoir Marne, plutôt vers Vitry-le-François.Enfin, autre point commun, ces deux livres parlent d’enfants quifuguent. »

Texte complet sur le site critiqueslibres.net

Dédicace. Un roman d’André Dhôtel provenant de la bibliothèque deFrançois Nourrissier, mort en 2011, était récemment en vente sur lesite Priceminister. Il s’agit d’un exemplaire du service de presse dePays natal, portant la dédicace : « Pour François Nourrissier encordial hommage ». Prix : 173 €

Livres numériques et audio. Au catalogue de la B.N.F.A.(Bibliothèque Numérique Francophone Accessible), figurent cinqlivres d’André Dhôtel : Le Bois enchanté et autres contes, Le Paysoù l’on n’arrive jamais, La Nouvelle chronique fabuleuse, Quand jete reverrai.

A ce même catalogue ces quatre titres existent également enlivres audio, avec voix humaine pour Le Pays (durée : 7 h 29 mn),voix de synthèse pour les autres.

Visite. Le 20 mars dernier, la M.J.C. de Charleville-Mézières ainscrit à son programme mensuel de visites le pays d’André Dhôtel.Une vingtaine de personnes ont donc passé la journée au Mont-de-Jeux et dans ses environs, en compagnie du secrétaire de La Routeinconnue.

Salon du livre. Lors du dernier salon du livre à Paris, en mars,Nicole Rigal, membre de la Route inconnue, tenait le stand de sa

Page 40: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

40

maison d’édition Arenella, dans l’espace Art square. Elle y aprésenté le poème d’André Dhôtel, Le Chemin, illustré par EdmondRigal son grand-père, qu’elle avait édité en 1980, et le livre LaLongue histoire, illustré par son père J.J.J. Rigal, édité en 1978 parles Bibliophiles de France et de Normandie.

Portraits. Vues sur Internet, ces deux photographies où l’on aperçoitdeux portraits d’André Dhôtel par Gilles Sackscick. Elles illustrentun article sur une exposition de l’artiste à Brive en 2012.

__________

Page 41: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

41

Parmi les livreset revues

Jean-Claude Pirotte. Gens sérieux s’abstenir ou La tentation dusonnet, Le Castor astral, février 2014, 104 pages, 13 €

Frédéric Chef avait rédigé cette chronique en mars, peu après laparution du livre. « Pirotte se bat, écrit-il, contre ce qui lui reste à vivreavec le panache et l’uppercut des humoristes noirs ».

Depuis, le combat a pris fin.

Sonnets sonnants, trébuchants, sonnets précis, sonnetsvagues : Jean-Claude Pirotte versifie comme il respire et quel quesoit l’air qu’il respire. Gens sérieux s’abstenir est le recueil d’unecentaine de sonnets plus ou moins réguliers et peu importe. Enpoésie, c’est le poète qui poétifie, selon les règles auxquelles il se fie.N’empêche, la contrainte est celle de l’heptasyllabe, à peu prèsrespectée. Le vers se fait élastique jusqu’à l’alexandrin aléatoire,parfois. Pirotte traque sans combattre un furtif sonnet, s’amusant dupiège qu’il s’est tendu de versifier son quotidien en mesure, l’ordrecorseté du sonnet l’obligeant à débusquer la rime et fourbir deuxquatrains puis deux tercets : je n’ai de goût / que pour l’ampoule et ledrapé le style / et la perversité de l’inutile.

Voilà pour la forme, très en forme, avec un humourdévastateur qui fera mentir les grognons raillant un auteur engrisaille. Rien n’est moins vrai ici, tant il s’agit d’écrire des sonnetscomme on tisse une toile / dans le vaste univers brillant desarachnides / où le temps est réglé par décret des étoiles. Les minutesfont leur sale boulot sur nous tous, Pirotte se bat contre ce qui luireste à vivre avec le panache et l’uppercut des humoristes noirs. Noirléger ou noir profond, toutes nuances : je deviens la mort qui court /à mes basques son discours / je le prononce moi-même. Le poète estcelui qui prend les devants et le taureau par les cornes, fixant lesrègles d’une vie éloignée de l’argent facile, des écrans surchauffés,de l’heure d’été, des prémonitions absolues de l’incendie planétaire,de la fonte des glaces, des pilules roboratives et du rétrécissement duminimum vital.

Page 42: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

42

Revient la nostalgie d’une enfance si loin, si proche, que lalaisse du poème retient : j’ai plus de septante ans je rêve /comme unvieux gamin de sept ans / je me promène dans la neige / à larecherche du temps. Pirotte se défend d’avoir un avenir – sessemblables en sont persuadés – vivant au jour le jour : l’avenir est unmarécage / de cambouis où nous pataugeons. Il y a matière aussi àl’hommage, comme toujours chez Pirotte, aux Ludions de Léon-PaulFargue, un compagnon / sans égal un vrai mentor, aux Cent millemilliards de poèmes de Queneau et leur mécanique oulipienne, ouencore à Franck Venaille quand il effectue la descente de l’Escaut.

Pirotte, en fin de compte, doute de l’expérience qu’il mèneet, avec une autodérision salutaire, reconnaît ne pas savoir où il va :j’ai voulu les faires boiter / ces misérables sonnets / comme moi-même je boitais / et boite encore en ces années. C’est parfaitementréussi, pense le lecteur, que cette poésie délassera des formes sansforme et d’une certaine préciosité souvent involontaire des« poètes ».

Conclusion : ce poème est casse-gueule / je n’aurais pas dûl’écrire /et mieux vaudrait le détruire. Le chroniqueur se dit la mêmechose devant son papier gondolé.

Frédéric Chef

Yves Lepesqueur. « Reconnaître, connaître, ne rien savoir », dans len° 77 de la revue L’Atelier du roman, édition Flammarion, mars2014, pages 113 à 124, 17 €

Dans le dernier numéro de la revue trimestrielle L’Atelier duroman, Jean-Yves Gillon, membre de La Route inconnue, a publié,sous le pseudonyme d’Yves Lepesqueur, un article sur André Dhôtel.En 2011, il avait déjà donné à cette revue un texte sur Ce lieudéshérité, que nous avions reproduit dans notre neuvième cahier,André Dhôtel et la Grèce.

Cette fois, Yves Lepesqueur s’est intéressé à Ma chère âme,Pays natal, Le Train du matin, Un jour viendra. Il y étudie lesthèmes de la réminiscence et de la reconnaissance différée, qu’ontrouve souvent dans les romans de Dhôtel : deux personnes se sontconnues, se retrouvent, renouent sans se reconnaître, dans un éclair

Page 43: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

43

se reconnaissent un jour. « La récurrence obstinée d’un thème siparticulier et si malcommode à ajuster dans une intrigue, si propre àfaire lever les sourcils des réalistes, doit répondre à une profondenécessité. On soupçonne qu’il peut conduire au cœur de l’œuvre. »

Yves Lepesqueur poursuit : « Reconnaître, c’est passer au-delà de la personnalité publique vers une vérité cachée plus brûlante.[…] Ce qui est en cause, c’est toujours la révélation de sa facecachée, sa face de “ sauvagerie ”, pour remprunter un autre termedhôtelien. Voir la vérité secrète d’une personne, c’est toujours, chezDhôtel, la re-voir. Le moment déterminant n’est pas la première foisque l’attention a été alertée par le mystère de l’aimée ; c’est celui oùon la reconnaît, où l’on retrouve la première vision. » On n’est pasloin de la réminiscence platonicienne. « Reconnaître la personne qued’abord on n’avait pu identifier, c’est aller de sa vérité apparente à savérité secrète. »

Mais les personnages qui se sont reconnus doutent ensuite decette reconnaissance, car il est impossible de savoir qui est vraimentl’autre, d’où des désaccords entre les amants, débouchant sur « lagloire des couples irréconciliés ».

Suit une réflexion sur le rapport entre l’inachèvement et leprogrès, qui fait intervenir Bergson et Péguy et aboutit à cetteconclusion : « Entièrement voué à l’insaisissable, à l’éclat furtif de lavie, qui n’est pas engrangeable dans le passé au nom d’un futurannoncé, Dhôtel, par ses récits hors du temps, fait écho à l’une desplus fécondes agitations intellectuelles de son siècle, sans affirmeraucune position ni participer à aucun débat. »

Roland Frankart

Pascal Gibourg. « Plutôt trahir que tricher (Variation sur AndréDhôtel ) », dans la revue trimestrielle publiée par le collectifremue.net, qui existe uniquement en version numérique. Texte datédu 29 septembre 2013. À lire sur Internet (il suffit de taper le titre).

Plutôt trahir que tricher ? Titre surprenant à propos deDhôtel. C’est que Pascal Gibourg se réfère à Deleuze dans cettevariation sur trois livres : Le Mont Damion, Pays natal et LaRhétorique fabuleuse. (« Ce qu’il faut comprendre, c’est que la

Page 44: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

44

tricherie fait système. Et pour rompre ce système, il n’y a qu’uneseule voie : la trahison ».)

S’il existe un merveilleux dhôtelien, il y a aussi chez lui unappel à la rupture, au changement radical, une critique de la société,même si elle n’est pas le nerf de ses fictions. Une critique de larationalité aussi. Dans Pays natal, par exemple, Félix dénoncel’ordre social auquel il souscrivait, après s’être laissé entraîner horsdu droit chemin par son ami Tiburce. « Dhôtel n’est pas politique, iln’est pas militant, mais il n’empêche que la fonction des devenirs quisont au travail dans son œuvre n’est pas ans rapport avec les combatsd’aujourd’hui ».

Impossible de résumer en quelques mots la suite de cettevariation qui associe Dhôtel, Shakespeare et Dostoïevski dans cettelecture deleuzienne. Citons-en les dernières lignes :

« Qu’il erre sur les routes ou qu’il reste dans sa chambre,l’écrivain n’a de cesse de creuser son sillon, moyen de s’épanouir.André Dhôtel n’était pas du genre à pousser de hauts cris et à prendrela vie pour ce qu’elle n’est pas. En dépit de l’adversité, il se faisaitattentif à son entourage, curieux de la vie des fleurs ou deschampignons, émerveillé par la richesse et la diversité des êtres et lavariété de la nature. On raconte qu’il écrivait dans son lit. Il savaitêtre paresseux — forme singulière de désobéissance —, mais d’uneparesse supérieure, parce que généreuse, florissante. »

Pascal Gibourg est membre de la Route inconnue.

Roland Frankart

__________

Page 45: 1 LA ROUTE INCONNUE - André Dhôtel · 2015. 5. 9. · 2 En couverture : Camille Claus, Strasbourg XV, transposition (1972, huile sur toile, 81 x 65 cm). La Route inconnue a quinze

45