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  • La morale et les sciences

    Jacques Ruytinx

    Avant d'aborder ressentiel de notre tude, qui est de produire quelques exemp1es montrant les rapports concrets entre la morale et diverses scien-ces, il nous faut considrer le problme thorique gnral des rapports entre l'thique et la sdence. De nos jours, ce probl.me peut tre li la critique de l'erreur dductive et celle de l'erreur naturaliste et de l'er-reur descriptive, que nous allons succintement prsenter, et le passage du problme .thorique gnral aux rapports concrets entre la morale et certaines sciences dpendra d'une conception correcte de la nature des prdicats sdentifiques et moraux.

    1 C'est gnralement Hume qu'on attribue l'honneur d'avoir t le premier dnoncer cette erreur qui consiste dduire la morale de la science, er-reur qui revient rgulirement dans les thories thiques naturalistes, et dans les thor1es vo1utionnistes. La philosophie analytique1 a repris, ces dernires dcennies, l'tude critique du prob16me du passage de 'tre' 'devoir', ou de 'est' 'doit', et a montr, par des analyses dtailles, que ce passage n'a qu'une puret dductive apparente et qu'en ralit il n'est pas lgitime. En fait, le schma logique auquel ce passa:ge devrait obir est trs gnral et il faudrait ds lors le retrouver dans ,d'autres dductions que celles propres la morale. C'est parce que le domaine de ces dductions et celui de leurs conclusions sont varis, et parce qu'ils comportent, selon le cas, des lments du discours normatif, valuatif, impratif, optatif, etc .. , qu'il est utile de prsenter le schma logique sous sa forme gnrale et ngative, savoir qu'il est impossible de dduire, de prmisses qui sant exclusivement l'indicatif, une conclusion qui n'est pas l'indicatif. Cette restriction provient du ,caractre purement analytique de la dduction. On pourrait toutefois remarquer que les jugements de vrit (ou de ralit) et les jugements de valeur peuvent tre tous l'indicatif, ce qui permettrait alors un passage syntactiquement correct du jugement de vrit (ou de ralit) au jugement de valeur. C'est pourquoi il est bon de spcifier,

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  • tOUjOurs sous sa forme ngative, le schma logique dj formul, et d'affir-mer qu'i! est impossible de dduire, de prmisses qui sont exclusivement

    de~ jugements de vrit (ou de ralit), une conclusion qui n'a pas le statut d'un jugement de vrit (ou de realit). On peut, dans la dernire partie de cette affirmation, supprimer la ngation, cette partie de,venant alors: 'une conclusion qui 'est un jugement de valeur'. Une autre spcifi-cation, plus complexe, est encore plus intressante; elle donne: il est impossible de dduire, de prmisses qui sont exclusivement descriptives, une conclusion qui est normative, valuative, prescriptive, imprative . .. Hare2, qui considre le discours moral comme essentiellement prescriptif, mais qui s'est galement intress au sous-langage des impratifs, donne deux rgles, de forme ngative encore, et qui illustrent bien le s'chma logique correct dont nous nous occupons: 1 - 'Aucune conclusion indicative ne peut tre dduite avec validit d'une collection de prmiss,es, qui ne peut tre dduite avec validit des seules prmisses indicatives'; 2 - 'Aucune conclusion imprative ne peut tre dduite avec validit d'une collection de prmisses qui ne contient au moins un impratif'. On voit donc que, pamni les prmisses, doit figurer au moms une fois une prmisse qui est de mme nature que la conclusion. En consquence, le passage de 'est' 'doit', en tant que dduction directe et immdiate est in-correct et impossible. Or c'est un passage de cet ordre que les scientistes radicaux et les naturalistes admettent et prsupposent, le plus souvent en introduisant dans le descriptif et dans. l'indicatif, du prescriptif et de l'impratif, ou inversment, les deux dmarches revenant confondre deux langages en les unifiant. A des titres divers et par des mthodes varies comme dans des philosophies varies, Aristote, Hume, Kant, Poincar, Moore, Prichard, Frankena, Ayer, Popper, sont arrivs aux mmes. 'constatations. Les discussions nes autour de la critique de l'erreur naturaliste appartien-nent aux plus importants changes de vues de la philosophie analytique, et de la mta-thique moderne ,en particulier. Moore s'y est fortement dis-tingu. Le point de vue naturaliste fait nanmoins rgulirement l'object de rsurgences trs qualifies, comme c'est le cas dans l'ouvrage de P. Ed-wards3 On sait qu'en thique, Moore adopte une position videmment non-naturaliste, et que oette position est en mme temps, intuitionniste, cognitiviste, non-dfinitiste et non-rductiollllste. Le naturalisme au con-traire se rencontre chez ceux qui dfendent un point de vue non-intuition-niste, dfinitiste et rductionniste, ce point de vue tant cependant le plus souventcognitiviste: Bentham, Schlick, certains utilitaristes, les volution-nistes, les moralistes sociologues et psychologues, sont des naturalistes. Moore caractrise le naturaliste comme tant celui qui affirme que le

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  • terme 'bon' (ou 'bien') peut tre explicitement dfini par rfrence un objet naturel, une proprit naturelle, de sorte que les jugements moraux sont 'empiriquement vrifiables, vrais ou faux, et objectifs. De telles pro-prits seraient par exemple le plaisir, l'agrable, la survie de l'espce, un sentiment, une attitude, un dsir, une approbation, un intrt, etc. Moore a utilis contre le naturalis,me un argument qu'il appelle 'argument de la question ouverte'. Le naturaliste utilise en effet la technique de la defini-tion pour rduire la signification d'un terme comme 'bon' ou 'bien' la signification d'un terme qui dnote une proprit naturelle; cette rduction est complte et permet de Templacer un terme par l'autre, ou d'liminer l'un au profit de l'autre. Ainsi donc, le prdicat thiquement pourvu de sens et le prdicat thiquement neutre deviennent synonymes et identiques; ils ont le mme sens. Mo'Ore nie la validit de cette identification, de cette synonymie, de cette interchangeabilit, en montrant qu'il est toujours possible, avec pour interlocuteur le naturaliste qui prtend que 'bon' ou 'bien' signifie 'P' ('P' tant une proprit naturelle), de lui demander si 'P' est (vraiment) 'bon' ou 'bien', ou de lui dire que (en ralit) 'P' n',est pas bon. L'expression 'P est bon' n'est donc pas tautologique, elle ne revient pas dclarer que 'bon est bon' ou que 'ce qui est bien est bien', ce quoi la rduction complte devrait conduire; s'il y avait tautologie ou analyticit, la question ci-dessus serait absurde ou (selon la terminologie de Nowel-Smith4) pour le moins logiquement insolite, et la ngation serait contradictoire, ce qui n',est pas le cas. La grande consquence de tout cela est que l'thique ne peut tre natura-liste, et que la morale ne peut se ramener la science. Hare reprend l'argument de Moore en montrant, avec grande clart, que quelles que soyent les propriets naturelles auxquelles on s'arrte ou que l'on doouvre, une chose est de les observer et de les dcrire, et une autre chose est de les recommander, de les impos1er, de les valuer, etc .... Il est remarquable que, partir de la critique de l'erreur naturaliste, et tout en consacrant l'argumentation de Moore, les analystes postrieurs aient pu reprocher celui-ci de tomber son tour dans une erreur quant l'usage du prdicat 'bien' (ou 'bon'), dite erreur descriptive. Cette erreur est commise par Moore parce qu'il est intuitionniste, et consiste gn-raliser tout terme qui n',est pas une constante logique la fonction de dcrire ou de dnoter qu'ont beaucoup de termes, noms ou adjectifs, et qui les pourvoit de s,ens par rfrence un objet ou une proprit. La f'Orme descriptive, constatative, dnotative devient le modle de toute fonc-tion linguistique. Or il est incorrect de conclure automatiquement de l'existence de substantifs l'ex1stence de substances, de l'existence d'adjec-tifs l'existence de proprits, etc ... On peut dire et crire 'le Bien' (av,ec article et majuscule), et tre naturellement port rechercher l'objet

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  • qui 'correspond cette expression; pour le mtaphysicien, ce pourra tre une essence. C'est pourquoi on a pu parler de l'ontologie5 de Moore. Moore fait la distinction entre proprits naturelles et proprits non-naturelles, mais on ne comprend pas trs bien ce qu'est une proprit non-naturelle dont le Bien est pour Moore un exemple fondamental. Pour les analystes postrieurs Moore, le terme 'bien' (ou 'bon') ne dsigne aucune ralit qui serait connaissable intuitivement ou observable empiriquement; sa fonction est autre. Qu'il n'y ait pas en thique vritablement place pour des entits substantielles et permanentes qui puissent y jouer le rle qu'ont certaines entits en science, cela ressort suffisamment du fait de la varit des morales donnes et des thiques normatives, du fait de la controverse qui existe ds qu'il s'agit de questions de morale importantes, et du fait qu'une solution acquise l'unanimit puisse donner lieu, plus tard, une contestation nouvelle. Repoussant donc la fonction de description et de dsignation, les analystes ont montr que l'usage principal de termes comme 'bien' ou 'bon' (ou de leurs comparatifs et superlatifs) est li une fonction d'valuation, de recommandation, de prescription, de normalisation. Cet usage et cette fonction exigent du discours moral une grande souplesse, qu'il possde d'ailleurs effectivement en tant que sous-langage du langage ordinaire. La conception que nous venons d'-exposer a pour corollaire l'autonomie de la morale. Mais si la morale est autonome, a-t-elle encore quelque rapport avec la science? On peut rpondre affirmativement cette ques-tion, car de mme qu'un tat autonome n'est pas isol mais entretient au contraire des relations avec d'autres tats, autonomes eux aussi, de mme la morale, tout en stant autonome, peut trouver dans la science une source de contacts et d'inspirations, ou plus justement d'informations, qu'elle utilisera normativement et pres-criptivement. L'erreur scientiste est de croire une dduction ou une rduction inconditionnelles. Le rapport rel de la morale la science s-e fonde sur une distinction entre prdicats dfinissants et prdicats d'accompagnement. L'thique 'contient des prdi-cats dfinissants spcifiques et autonomes (et fort probablement au moins un prdicat fondamental- bien, devoir, juste - qui reste indfini) auxquels, dans des rapports moyen-fin, ou dans des. rapports hypothtiques ou de rduction conditionnelle et non-dfinissante, s'associent des prdicats d'accompagnement en provenance de la science. Un prdicat d'accom-pagnement scientifique ne dfinit pas un prdicat thique, il ne peut le remplacer, se substituer compltement lui, bref 'tre sa dfinition' ou 'tre son sens'; il n'a qu'un sens qui est - ventuellement - valoris, recommand, prescrit, normalis, requis, ou mme ordonn par la fonc-tion et l'usage thique du langage. On tablira par exemple une relation entre le prdicat 'bien' et le prdicat 'prvient la maladie', ou le prdicat

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  • 'diminue la mortalit' ou le prdicat 'garantit les besoins fondamentaux'. Il apparat certainement que l'accroissement ou l'amlioration de la con-naissance sur la bas,e des prdicats d'aocompagnement (c'est--dire sur la bas,e de ces prdicats qui sont, pour l'thique, des prdicats d'accom-pagnement) donne de l'importance au point de vue cognitiviste et objeoti-visteen morale, et permet celle-ci de progresser et de mieux s'adapter. Mais on ne peut oublier que, tenir compte de l'information existante, dpend de la volont du moraliste ou de la volont de l'individu qui choisit et dcide. Cette possibilit montre bien que l'attitude gnrale envers la science est elle-mme de nature morale, oomme le soulignait roemment encore Jacques Monod. Le fait d'acoepter ou de rejeter l'infor-mation scientifique - et il s'agit ici des sciences de l'homme - est en fin de compte indpendant de cette information, qui reste vraie (ou fausse) quoi qu'en fasse le moraliste. On arriverait de semblables con-clusions en considrant le schma fondamental moyen-fin. Le moyen est instrumental, pour une fin qui, d'un certain point de vue, est intrinsque, mais qui, son tour, peut devenir un moyen instrumental pour une autre fin: toutefois, il n'est pas possible de faire de toutes les fins des moyens instrumentaux dans une seule et mme vision du' monde. La psychologie peut, par exemple, indiquer certaines causes de tension dans l'individu, ou entre certains. individus; elle peut en consquence numr:er les moyens pour viter de telles tensions et les moralistes peu-vent en tenir compte, dans l'nonc de rgles ou de principes, au profit d'un meilleur quilibre de l'organisation vitale chez l'individu ou dans la communaut, mais seulement si cet quilibre est une fin 'Valorise par eux, par lui ou par elle. Certains moyens sont meilleurs que d'autres, par rap-port une mme fin: pour des raisons mdicales, psychologiques, econo-miques, sociales, le planning familial anticonceptionnel est prfrable l'avortement, mais on peut toujours rejeter l'ide d'un quelconque contrle des naissances. Remarquons que,en soi, les prdicats d'accompagnement sont thiquement neutres, ,mais ils apparaissent dans un contexte de des-criptions, de normes, d'approbations et de dsapprobations qui est thiquement significatif. Grosso 'modo, on peut dire qu'il y a trois ma-nires pour la science de contribuer enriohir la morale: 1 - Etant donn oertaines valeurs et certaines fins, elle dter.mine les moyens les plus efficaces pour les raliser; 2 - Etant donn la possibilit pour une fin de devenir un moyen en vue d'une autre fin, elle determine les. meilleures fins (il est important de noter ici, pour rpondre des objections connues d'avanoe, que nous n'entendons absolument pas par l que la science cre ni mme qu'elle assume des valeurs, ,mais seulement qu'elle peut aider dpartager des fins valorises possibles);

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  • 3 - Elle contribue cerner les consquences, compte tenu des proba-bilits.

    2 Nous donnerons maintenant quelques exemples de rapports concrets entre la morale et ,les sciences, ,et nous choisirons, pa11ll1i celles-ci, la psychologie, la biologie, l'anthropologie et la socio-conomie.

    AMorale et psychologie - La psychologie individuelle et sociale, et la psychanalyse, ont donn des descriptions fouiles, et sont mme arrives dcouvrir des lois importantes, concernant les situations dans lesquelles l'quilibre de l'individu ou du groupe se trouve t plus ou moins pro-fondment troubl: nvroses, psychoses, situations conflictuelles, remords, instabilit grav,e, agressivit, vont gnralement de pair aves des com-portements que le moraliste ne peut approuver, mais dont il doit con-natre les caus,es, pour pouvoir offrir l'individu et la coUectivit des rgles, des normes, des valeurs - autrement dit des conditions de vie -qui rduisent le nombre ou l'intensit de pareils cnmpnrtements. Certes le vieil adarge socratique du 'Connais-toi toi-,mme' reste de rigueur et l'effort moral personnel reste indispensable, mais le -moraliste ne peut tre dogmatique et il doit se soucier d'adapter la morale, si ncessaire, pour que ,diminuent les tensions, plutt que de les nourrir au nom de principes irrvocables. Il y a toute une problmatique de l'adaptation de la morale, que nous ne pouvons traiter ici. Les besoins fondamentaux de l'homme montrent une sorte d'universalit qui est bien connue, mais il est d'autres besoins qui relv:ent plus d'une culture donne. Certains comportements peuvent tre exagrs, et correspondre des complexes. Il est bon d'viter autant que possible les situations qui provoquent des complexes ou des conflits, dans la famille, l'universit, dans toute communaut. Adler, on le sait, a montr les dangers du sentiment d'infriorit, qui peut tourner au complexe; beaucoup, parmi les mprisables gardiens de camps de concentration, souffraient de traumatismes socioclasteset psy-choclastes; ayant d, dans des circonstances normales, rfrner leurs penchants agressifs, ils trouvaient, dans les circonstances exceptionnelles du temps de guerre ou dans certains rgimes ,politiques, de quoi les assou-vir impunment. La dlinquance juvnile, on le sait galement, peut souvent tre explique par des fnls1rations fondamentales. Beaucoup d'attitudes agressives, d'autre part, ou la prdominance dans la conscien-ce, de motivations de puissance, proviennent d'un sentiment d'inscurit. Celui qui est gnralement satisfait parce qu'il a su quilibrer sa vie commencera ressentir ce sentiment dans un monde comme le ntre o la tradition et des structures considres comm,e figes sont violemment

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  • et anarchiquement contestes, tandis que l'insatisfait permanent trouvera dans la contestation de la tradition et de ces structures des formes nou-velles de scurit. L'tude psyohologique de l'egosme a montr que l'egoste a une 'men-talit d'exploiteur', et qu'une socit outrancirement concurrentielle in-vite tout naturellement aux comportements de duret, et les exige mme. Aux comportements gostes et concurrentiels, il faut prfrer les com-portements associatifs, ceux que Hazlitt6 fait relever, dans une perspective pourtant ,encore trop concurrentielle, du 'mutualisme'. Cooprer implique donner et recevoir la fois, selon les possibilits. Pour que l'homme puiss,e atteindre le niveau de maturit qui lui est propre aucune morale ne peut lui imposer un appauvrissement de personnalit. Une ducation morale qui viserait dvelopper des sentiments de culpa-bilit est mauvaise; elle doit plutt jouer sur le sens des responsabilits. EdeF observe cependant que si une conomie concurr.entielle, ou une conomie visant exclusivement le profit, entretiennent l'agressivit, les nvroses et le sentiment de frustration, il faut les comparer d'autres conomies et voir o il y a des gains sociaux compensatoires vritables. C'est prcisment la prise en considration du point de vue socio-cono-mique qui manque dans l'optique par ailleurs fort juste de Eric Fromm8, qui traite de la 'psychologie de l'thique'. Pour Fromm, la nvrose est en fin de compte un signe d'chec moral, la maladie de celui qui n'a pas su choisir entre ses aspirations, ses sollicitations antagonistes, la maladie de celui qui ne peut se rsoudre renoncer (le milieu familial, profession-nel, social, conomique, est source de nvrose). Il analyse la notion d'autorit et celle d'thique autoritaire et fait la distinction ent l'autorit rationnelle, qui a sa source dans ,la comptence, considre l'autorit et le sujet comme gaux l'une l'autre, sauf quand il s'agit de connaissance et de capacit dans un domaine donn, ,et l'autorit irrationnelle, qui s'appuie sur la force, la peur et la dpendance. En gnral les gens sup-portent aisment l'autorit rationnelle. Quant l'autorit i~rationnelle, elle rpond, comme l'egosme, une mentalit d'exploiteur. Fromm dcrit quelques orientations du caractre: il en est de non-pro-ductives, telle celle propre l'exploiteur, celui qui attend tout des autres, celui qui est avide de s'approprier ce qui lui est extrieur, celui qui marchande; il en est en revanche qui sont productives, et qui se retrouVient dans, la spontanit, l'activit vritable, la cration. Mais au niveau des normes, l'homme moderne se trouVie coinc entre deux exigences clifficilement conciliables: il lui est demand la fois de se raliser pleinement et de se sacrifier aux autres, de ne pas tre goste et de fellIlporter des succs. La mentalit commerante transforme tout en une relation vendeur-marchandise: l'homme essaie d'tre comme on

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  • souhaite qu'il soit. La conscience non-productive est dpendante; la con-science qui se soumet l'autorit - politique, religieuse, conomique -pour ne pas devoir dcider, est galement dpendante, et se traite elle-mme avec une svrit exagre. Fromm rappelle que l'un des mrites de Freud est d'avoir dpass la conception moniste de Socrate, de Plage, des penseurs de la Renaissance, du Sicle des Lumires ou du libralisme - l'homme est bon - et la conception moniste de l'Ancien Testament, d'Augustin, de Calvin - l'homme ,est mauvais - pour atteindre une conception dualiste dans laquelle il est naturel pour l'individu de s'inqui-ter de lui-.mme et des autres, et de transformer son agressivit naturelle en coopration sociale. Les psychologues, les psychanalystes et les psychiatres sont convaincus que certains types de mm-ale favorisent les attitudes rgressives et les comportements nvrotiques, tandis que d'autres favorisent l'quilibre personnel ,et la maturation de l'individu9 Une morale qui s'appuie sur des tabous dpasss, sur des prjugs jamais critiqus, ou qui spcule sur le sentiment de culpabilit ou sur l'angoisse, est du type nvrotique-rgssif. Une morale qui ne demanderait que de l'abngation, ou ces morales probablement utopiques o toutes les valeurs essentielles et toutes les normes sont repousses dans le collectif, sont du mme type. L'homme doit pouvoir vivre en rapport troit avec une communaut, mais il doit aussi pouvoir s'isoler, il doit maintenir un contact serr avec la ralit extrieure, mais aussi avec lui-mme. Il est certain que la drogue n'est qu'un moyen de fuite, mais ce n'est pas un hasard si le succs que connat aujourd'hui son usage dans le monde est contempo-rain d'une socit appele, juste titre, de oonsommation. J. Dierkens observe que la science n'a pu jusqu'ici dterminer si l'agressivit est quel-que chose de primitif, comme la faim ou le besoin sexuel, ou si elle est toujours (en fait elle l'est souvent) une raotion un conflit psycholo-gique; selon le cas, notre attitude morale l'gard de l'agressivit sera diffrente. Une personnalit quilibre et ferme s'adapte la ralit ou s'efforce de modifier le milieu: elle ne subit pas dans la souffrance. Elle est normalement et sainement ouverte l'information nouvelle qui rayon-ne d'objets jusque l inconnus ou ignors. J. Dierkens, rappelant en oela Le Senne, souligne qu'il faut souvent, pour obtenir un objet, vaincre un obstacle; le point de vue moral apparat ds le moment o cet obstacle est lui-mme un objet qui a de la valeur pour d'autres. En consquenoe, s'il est vrai que la valorisation de la frustration est nvrotique, il est tout aussi vrai que l'impossibilit pour quelqu'un de supporter une frustration invitable est galement nvrotique.

    B Morale et biologie - L'incidence de la biologie sur la morale nous a

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  • toujours paru moins immdiate, moins pertinente et moins efficace que celle d'autres disciplines. Le livre rcent de Jacques Monod10 approfon-dit, il faut bien le noter, le foss entre l'thique et la biologie. Il y a plu-sieurs raisons nos rserves: 1 - La biologie a souvent donn lieu des thories thiques dites volu-tionnistes, comme par example celles de T. H. Huxley, de J. S. Huxley, de H. Spencer, de Waddington; or ces thories sont extrmement gnrales, vagues ,et en ralit peu satisfaisantes; ,elles contiennent des apriori, com-me l'affirmation que le bien va dans le sens de l'volution; elles sont l'incarnation de l'erreur dductive, de l"erreur descriptive et de l'erreur naturaliste; 2 - Les concepts de la biologie, notamment ceux de la bioohimie, se situent une distance smantique considrable de ceux de la morale; 3 - Trs vite, la biologie, dans ses rapports avec l'thique, doit se faire psychologie (pensons des termes comme 'homostase', 'besoin', 'pulsion', 'slection') . Nanmoins, l'information biologique est trs importante pour la morale lorsqu'il s'agit plus particulirement de gntique et de biologie mdicale. Ces disciplines peuvent contribuer faire la diffrence entre ce qui est hrditaire et ce qui est acquis (cf. le problme de la ,criminalit, de l'homosexualit irrversible, etc ..... ). Les dcouvertes :en gntique ont d'autre part amen certains savants, comme B. Glassll, poser, pour le futur, des probl,mes de choix en termes purement humains l o aupa-ravant il s'agissait uniquement de slection naturelle ou de mutation in-contrle. De mme, il est possible de faire courir une population des risques gntiques dus, un souci de scurit nationale, en prparant l'arme nuclaire ou bactriologique. Enfin, en biologie, le problme moral peut apparatre au niveau de la pratique mme de la discipline. Est-il jamais lgitime d'exprimenter sur l'homme, dans des buts d'ordre mdical, si le patient n'est pas volon-taire? Il semble cependant que ce soit bien ainsi que l'on est arriv, en dterminant un groupe exprimental et un groupe de 'contrle, des conclusions dfinitives concernant les nouveaux-ns qui, placs dans des oouveuses et soumis de trop fortes doses d'oxygne, devenaient irr-versiblement aveugles. Ces expriences ont t dnonces en 1967 par le C.I.O.M.S. Terminons par deux remarques, la premire concernant l,e racisme et la seconde conoernant la vie. La biologie, qui n'ignore pas le concept de 'race', n'offre nanmoins aucun argument en faveur du racisme, qui est ds lors un pur produit de l'idologie. D'autre part, il n'est pas sans intrt de se rendre oompte de ce que la "vie', phnomne qu'tudie la biologie, constitue l'une des plus hautes valeurs qui soient. Les difficults

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  • suscites par la question de l'euthanasie sont lies cet indice de valori-sation particulirement lev, et la notion morale de 'respect incondi-tionnel de la vie', dont les partisans de l'euthanasie (problme des handi-caps graves, et notamment des handicaps de naissance) contestent et la pertinence vritable et le sens vritable. N'oublions d'ailleurs pas que l'homme, bien que passionnment attach la vie, sait mourir, qu'il accepte, dans maintes circonstances, avec une rsolution confondante, de perdre la vie, de se sacrifier, de sie suicider. Ceci montrerait qu'il accorde moins d'importance au pur fait de vivre qu'au fait de vivre d'une certaine manire.

    C Morale et anthropologie - Plusieurs auteurs ont tudi les rapports entre morale et anthropologie, et ont illustr ces rapports pour des cul-tu:s bien dtermines (Brandt12, Ginsberg13, Ladd14, von Frer-Haimen-dorf15), nous avons nous-mme pouss pareille tude jusqu' ses conclu-sions pdagogiques, dans une illustration bien prcise.16 L'une des catgories fondamentales de l'anthropologie est dsigne par le terme 'culture'. La diversit et la multiplicit des cultus ont introduit l'ide de leur relativit de sorte que les structures transculturelles sont devenues quelque chose de trs aJbstrait. On a soulign que dans ,ohaque culture se rencontre l'une ou l'autre forme de dignit, exprime par cer-tains oomportements. L'anthropologie intervient dans l'thique quand elle est la fois comparative let applique. L'anthropologie pure, en effet, donne lieu des conclusions qui, bien que justes, ne rsolvent pas tous les problmes. Parmi de telles conclusions, on trouvera par exemple que les moeurs ou la coutume lgitiment, compte tenu des diffrences de culture, des comportements opposs, ou que, comme l'affirme R. Bene-dict, il est toutes sortes de manires de vivre tout aussi valables les unes que les autres, ou bien encore qu'il existe partout des rgles formelle-ment 'semblables, mais dont le contenu diffre, de mme que les valua-tions peuvent diffrer pour un mme objet. Kluckhohn parle de rponses varies des questions qui sont essentiellement les mmes et qui so~t poses en fonction de la biologie de l'homme et en fonction de la gnra-lit de la situation humaine. Comment survivre? Comment se comporter l'gard de la vieillesse, de la mort, de la peur? Mais l'anthropologie doit se faire comparative et applique pour dcider, tant donn les circon-stances, de la meilleure morale, c',est--dire de la morale la mieux adapte. Cette recherohe 'concerne en fait tous les contextes acculturels, et en particulier les problmes ns de la dcolonisation; mais elle est galement applicable la socit occidentale. Une bonne illustration de l'apport scientifique de l'anthropologie appa-rat dans le passage de l'explication magique l'explication scientifique,

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  • avec ds lors pour consquence heureuse l'impossibilit d'attribuer oollec-tivement ou arbitrairement des fiesponsabilits. L'anthropologie a montr, en effet, que l o rgne la mentalit magique - qui correspond, cela reste entendu, elle aussi une recherche, mais malhabile, quoique ad-quate au milieu, de la scurit - rgne galement un climat de suspicion et de peur. L'anthropologie 'comparative et applique se fera donc critique et con-structive l'gard des normes; elle est autre chose que la pure idologie. Elle rfute l'ide que n'importe quelle morale convient n'importe quelle situation, et elle ne procde pas, comme certains contemporains n'ont que trop tendance le faire, 'l'vacuation' de l'thique en faveur de la seule politique. Edel17 nous rappelle que la morale traditionnelle chinoise est une collection de rgles trs dtailles avec mention d'obligations trs particulires, lies des situations tout aussi particulires, gale'ment rap-portes. En consquence, rpareille morale se montre peu utilisable dans des situations nouvelles. Il y a l peut-tre quelque lment susceptible d'clairer le fait de la rcente 'revolution culturelle'!

    D Morale et sodo-conomie - On aura admis que la psychologie, dans ses rapports avec la morale, dbouohe sur la socio-conomie; son tour, lorsque celle-ci porte sur des problmes ,moraux, elle dbouohe sur l'Ol'ga-nisation politique. Vue dans cette perspective morale, la socio-conomie donne lieu deux sortes d'activits: 1 - Elle tudie certaines structures et certaines ralits sodo-cono-miques pas des mthodes scientifiques; 2 - Elle dfinit aussi objectivement et scientifiquement que possible des notions dont le moraliste et le politique peuvent avoir besoin, et elle four-nit des critres auxquels ils peuvent faire appel lorsqu'ils prennent posi-tion d'un point de vue normatif. La socio-conomie peut par exemple tudier la structure et les ralisa-tions, dans un pays donn, de la scurit sociale. Elle peut, d'autre part, avec l'aide de la mdecine, de la mdecine sociale et de la mdecine prventive (hygine), dfinir la notion de 'sous-alimentation' et fournir les critres dterminant la prs'ence de ce phnomne. La scurit sociale, les lois sociales et la sous-alimentation sont en effet des ralits auxquel-les le moraliste et le politique contemporains accordent normalement de l'attention. La sodo-conomie peut en outre analyser les phnomnes qui se font jour dans la socit de consommation: chmage, gaspillage, rle exagr du profit comme motivation de l'action, contestation, rle de la rclame (point n'est besoin d'voquer ici les ouvrages clbres de Galbraith, de Riesman, de Packard, de Marcuse ... ); la propension aux conduites

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  • ostentatoires, qui sont ambigus parce qu' la fois ridicules et efficaces (la grosse voiture ,en rapport av.ec le statut social, le renouvellement ra-pide de la voiture, la tlvision en couleurs, etc .... ), conduites qui, bien qu'videmment distinctes d'elle, peuv.ent tre compares 1'institution du 'potlatch'. G. Rullire18 a attir 1'attention sur le fait que, pour des raisons de prestige et de puissance, le grand propritaire foncier d'Am-rique du Sud refuse le progrs technique dans le domaine agricole, et prfre dpenser ses revenus en conduites ostentatoires. En consquence, les ouvriers agricoles (colonos, pones, terrazgueros ou huasipungueros) habitant les latifonds (haciendas, estancias, fincas, fundos ou hazendas, selon le pays) restent de vritables serfs. On sait que les abus sont in-croyables. Un certain vocabulaire est typique: on parlera, pour les rmu-nrations, les pTestations et les redevances, de 'personne 'entire', de 'demi-personne', de 'quart de personne'. Quant au proltariat industriel,

    . on sait qu'il n'est gure mieux loti: de l ces 'olvidados', ces 'descamisa-dos', ces 'desperados'. On est loin d'une thique 'de la personne': au moraliste d'apprcier! Mais la socio-conomie doit programmatiquement dcider des moyens les meilleurs et des mesures les plus adquates pour aboutir une rforme agraire acceptable. Une rvolution sanglante peut tre une solution, mais rien n'est moins certain, et ce type de solution ne semble pas devoir dcouler de la socio-conomie en tant que science. La socio-conomie doit d'autre part dfinir avec autant de prcision que possible des notions comme 'bonnes conditions de travai1', 'sous-dvelop-pement', 'suliPopulation', 'pnurie et abondance', 'minimum et optimum de niveau de vie', etc. . . . Bien que peu dveloppes encore dans leurs applications l'thique, 1'tude gnrale des systmes d'organisation19 et 1'tude gnrale des mises les meilleures, par la thorie des jeux20, ne peuvent tre ngliges. Qu'est-ce d'ailleurs qu'un besoin fondamental? Certainement autre chose qu'un besoin noessaire, plus que cela, et il est patent qu'avec le progrs social le niveau des besoins fondamenteux s'lve, pour des groupes dtermins.

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