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1,00 € Numéros précédents 2,00 € L’O S S E RVATORE ROMANO EDITION HEBDOMADAIRE Unicuique suum EN LANGUE FRANÇAISE Non praevalebunt LXIX e année, numéro 4 (3.516) Cité du Vatican jeudi 25 janvier 2018 La défense des peuples autochtones opprimés par le nouveau colonialisme Dans les discours du Pape à Puerto Maldonado et à Lima GIOVANNI MARIA VIAN Ouverte par le prologue amazo- nien à Puerto Maldonado, la visite papale au Pérou a affronté à Lima et à Trujillo une série de thèmes que le Pape a résumés au cours des heures qui ont conclu son sixième voyage américain, le vingt- deuxième voyage international du pontificat, commencé au Chili. Comme toujours, un premier bilan est apparu lors de la longue confé- rence de presse pendant le vol du retour. Avec un hors-programme de quelques minutes, en raison d’une turbulence météorologique au cours de laquelle Jorge Mario Bergoglio n’est pas retourné à sa place, mais a voulu rester parmi les journalistes. Interrogé par ces derniers à plusieurs reprises sur les blessures et sur les divisions pro- voquées par les abus sexuels de la part de membres du clergé, le Pa- pe a confirmé la ligne adoptée avec détermination par son prédé- cesseur Benoît XVI, comme il l’avait immédiatement déclaré sans équivoque au Chili, dans les dis- cours aux autorités et dans la ca- thédrale de Santiago du Chili. Un nombre impressionnant de Péruviens est accouru pour écou- ter les paroles du Pape Bergoglio, qui a souvent complété ses dis- cours en improvisant avec une effi- cacité qui ne fait aucun doute. Le dernier jour, presque un million de fidèles a pris part à la grande Messe conclusive sur la base aé- rienne de Las Palmas. Et quelques heures auparavant, lors de la ren- contre avec les évêques, le Pape avait longuement dialogué avec eux, en revenant entre autres sur le thème de l’Amazonie, sur le dé- clin et sur la faiblesse de la poli- tique et également sur la corrup- tion, des phénomènes préoccu- pants qui mettent en danger la dé- mocratie de cette partie du conti- nent américain et qui touchent également les catholiques. C’est la raison pour laquelle le Pape a enrichi le discours préparé et cen- tré sur Toribio de Mogrovejo, ar- chevêque de Lima au cours des vingt dernières années du XVI e siè- cle. Très vite vénéré, représenté comme un nouveau Moïse, puis déclaré par Jean-Paul II patron de l’épiscopat latino-américain, saint Toribio a été décrit à présent par La passion d’un évêque SILVINA PÉREZ Le voyage apostolique du Pape François au Chili et au Pérou s’est conclu le 22 janvier. Sur le vol de retour a eu lieu la conférence de presse avec les journalistes qui l’ont accompagné. Quarante mi- nutes après le décollage de Lima, malgré les rythmes de ces derniers jours, le Pape a répondu pendant environ une heure aux questions qui lui ont été posées. Au cours de l’entretien, un bref hors-pro- gramme a également eu lieu: l’avion a traversé une zone de tur- bulences et le Pape a dû s’arrêter quelques instants, s’asseyant parmi les journalistes. «En plus des tur- bulences à propos des thèmes trai- tés, il y a également celles météo- rologiques et ensuite nous pour- suivrons», a-t-il dit en souriant. Le Pape a tout d’abord exprimé des paroles d’appréciation pour les pays visités, en se disant impres- sionné par la profonde religiosité du peuple péruvien et profondé- ment frappé par plusieurs rendez- vous au Chili, comme par exemple celui à Iquique, où il a dit avoir touché du doigt la religiosité du nord du pays. Au centre du dialogue se trou- vait également la question de la corruption dans les pays latino- américains. A ce propos, le Pape a dit que de nombreux cas existent en Amérique latine. On parle beaucoup d’Odebrecht, mais c’est seulement un exemple. Pour le Pa- pe, l’origine de la corruption est le péché originel que chacun porte en soi. Et il a rappelé qu’il avait écrit un petit livre qui s’intitule précisément Péché de corruption, dont le thème pourrait être résumé par la formule «pécheurs oui, cor- rompus non». François, en répondant aux journalistes qui l’ont interrogé à propos de certaines de ses paroles et de sa position sur la question des abus sexuels du clergé, et sur le cas spécifique de l’évêque d’Osorno, s’est longuement arrêté sur l’attention qu’il faut réserver aux personnes qui ont subi des abus et il a réaffirmé la ligne ou- verte par son prédécesseur, qu’il a maintenue avec fermeté. Pour finir, le Pape a raconté qu’il avait été ému au cours de sa visite dans la prison de Santiago du Chili, confiant que son cœur était là-bas. Je suis très sensible aux détenus, a-t-il ajouté, et pour moi cela a été touchant de voir ces femmes et les activités qu’elles ac- complissent, la capacité qu’elles ont de changer de vie, de se ré- insérer dans la société, avec la joie de l’Evangile. SUITE À LA PAGE 2 Eviter toute forme de violence En République démocratique du Congo A l’issue de l’audience générale du 24 janvier, le Pape a évoqué la si- tuation en République démocra- tique du Congo, soulignant «les nouvelles préoccupantes» qui conti- nuent malheureusement à parvenir de ce pays d’Afrique. «C’est pour- quoi, a-t-il-dit, je renouvelle mon appel pour que tous s’engagent à éviter toute forme de violence. Pour sa part, l’Eglise ne veut rien d’autre que contribuer à la paix et au bien commun de la société». Déjà lors de son voyage au Pérou, le 21 jan- vier, avant de réciter l’Angelus avec les fidèles de Lima, François avait lancé un même appel: «Nous som- mes ici, sur la grande place de Li- ma, un endroit petit dans une ville relativement petite du monde. Mais le monde est beaucoup plus grand, il est plein de villes et de peuples et il est plein de problèmes, il est plein de guerres. Et aujourd’hui me par- viennent des nouvelles très préoccu- pantes de la République démocra- tique du Congo. Pensons au Con- go. En cet instant je demande aux autorités, aux responsables et à tout ce pays bien-aimé, de s’engager le plus possible et de faire tous les ef- forts possibles pour éviter toute for- me de violence et chercher des solu- tions en faveur du bien commun». PAGES 2 À 16

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L’O S S E RVATOR E ROMANOEDITION HEBDOMADAIRE

Unicuique suum

EN LANGUE FRANÇAISENon praevalebunt

LXIXe année, numéro 4 (3.516) Cité du Vatican jeudi 25 janvier 2018

La défense des peuples autochtonesopprimés par le nouveau colonialisme

Dans les discours du Pape à Puerto Maldonado et à Lima

GI O VA N N I MARIA VIAN

Ouverte par le prologue amazo-nien à Puerto Maldonado, la visitepapale au Pérou a affronté à Limaet à Trujillo une série de thèmesque le Pape a résumés au coursdes heures qui ont conclu sonsixième voyage américain, le vingt-deuxième voyage international dupontificat, commencé au Chili.Comme toujours, un premier bilanest apparu lors de la longue confé-rence de presse pendant le vol duretour. Avec un hors-programmede quelques minutes, en raisond’une turbulence météorologiqueau cours de laquelle Jorge MarioBergoglio n’est pas retourné à saplace, mais a voulu rester parmiles journalistes. Interrogé par cesderniers à plusieurs reprises sur lesblessures et sur les divisions pro-voquées par les abus sexuels de lapart de membres du clergé, le Pa-pe a confirmé la ligne adoptéeavec détermination par son prédé-cesseur Benoît XVI, comme ill’avait immédiatement déclaré sanséquivoque au Chili, dans les dis-cours aux autorités et dans la ca-thédrale de Santiago du Chili.

Un nombre impressionnant dePéruviens est accouru pour écou-ter les paroles du Pape Bergoglio,qui a souvent complété ses dis-cours en improvisant avec une effi-cacité qui ne fait aucun doute. Ledernier jour, presque un millionde fidèles a pris part à la grandeMesse conclusive sur la base aé-rienne de Las Palmas. Et quelquesheures auparavant, lors de la ren-contre avec les évêques, le Papeavait longuement dialogué aveceux, en revenant entre autres surle thème de l’Amazonie, sur le dé-clin et sur la faiblesse de la poli-tique et également sur la corrup-tion, des phénomènes préoccu-pants qui mettent en danger la dé-mocratie de cette partie du conti-nent américain et qui touchentégalement les catholiques. C’est laraison pour laquelle le Pape aenrichi le discours préparé et cen-tré sur Toribio de Mogrovejo, ar-chevêque de Lima au cours desvingt dernières années du XVIe siè-cle.

Très vite vénéré, représentécomme un nouveau Moïse, puisdéclaré par Jean-Paul II patron del’épiscopat latino-américain, saintToribio a été décrit à présent par

La passiond’un évêque

SI LV I N A PÉREZ

Le voyage apostolique du PapeFrançois au Chili et au Pérou s’estconclu le 22 janvier. Sur le vol deretour a eu lieu la conférence depresse avec les journalistes quil’ont accompagné. Quarante mi-nutes après le décollage de Lima,malgré les rythmes de ces derniersjours, le Pape a répondu pendantenviron une heure aux questionsqui lui ont été posées. Au coursde l’entretien, un bref hors-pro-gramme a également eu lieu:l’avion a traversé une zone de tur-bulences et le Pape a dû s’arrêterquelques instants, s’asseyant parmiles journalistes. «En plus des tur-bulences à propos des thèmes trai-tés, il y a également celles météo-rologiques et ensuite nous pour-suivrons», a-t-il dit en souriant.

Le Pape a tout d’abord exprimédes paroles d’appréciation pour lespays visités, en se disant impres-sionné par la profonde religiositédu peuple péruvien et profondé-ment frappé par plusieurs rendez-vous au Chili, comme par exemplecelui à Iquique, où il a dit avoirtouché du doigt la religiosité dunord du pays.

Au centre du dialogue se trou-vait également la question de lacorruption dans les pays latino-américains. A ce propos, le Pape adit que de nombreux cas existenten Amérique latine. On parlebeaucoup d’Odebrecht, mais c’estseulement un exemple. Pour le Pa-pe, l’origine de la corruption est lepéché originel que chacun porteen soi. Et il a rappelé qu’il avaitécrit un petit livre qui s’intituleprécisément Péché de corruption,dont le thème pourrait être résumépar la formule «pécheurs oui, cor-rompus non».

François, en répondant auxjournalistes qui l’ont interrogé àpropos de certaines de ses paroleset de sa position sur la questiondes abus sexuels du clergé, et surle cas spécifique de l’évêqued’Osorno, s’est longuement arrêtésur l’attention qu’il faut réserveraux personnes qui ont subi desabus et il a réaffirmé la ligne ou-verte par son prédécesseur, qu’il amaintenue avec fermeté.

Pour finir, le Pape a racontéqu’il avait été ému au cours de savisite dans la prison de Santiagodu Chili, confiant que son cœurétait là-bas. Je suis très sensibleaux détenus, a-t-il ajouté, et pourmoi cela a été touchant de voir cesfemmes et les activités qu’elles ac-complissent, la capacité qu’ellesont de changer de vie, de se ré-insérer dans la société, avec la joiede l’Evangile.SUITE À LA PA G E 2

Eviter toute forme de violenceEn République démocratique du Congo

A l’issue de l’audience générale du24 janvier, le Pape a évoqué la si-tuation en République démocra-tique du Congo, soulignant «lesnouvelles préoccupantes» qui conti-nuent malheureusement à parvenirde ce pays d’Afrique. «C’est pour-quoi, a-t-il-dit, je renouvelle monappel pour que tous s’engagent àéviter toute forme de violence. Poursa part, l’Eglise ne veut rien d’a u t reque contribuer à la paix et au biencommun de la société». Déjà lorsde son voyage au Pérou, le 21 jan-vier, avant de réciter l’Angelus avecles fidèles de Lima, François avaitlancé un même appel: «Nous som-

mes ici, sur la grande place de Li-ma, un endroit petit dans une villerelativement petite du monde. Maisle monde est beaucoup plus grand,il est plein de villes et de peuples etil est plein de problèmes, il est pleinde guerres. Et aujourd’hui me par-viennent des nouvelles très préoccu-pantes de la République démocra-tique du Congo. Pensons au Con-go. En cet instant je demande auxautorités, aux responsables et à toutce pays bien-aimé, de s’engager leplus possible et de faire tous les ef-forts possibles pour éviter toute for-me de violence et chercher des solu-tions en faveur du bien commun».

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page 2 L’OSSERVATORE ROMANO jeudi 25 janvier 2018, numéro 4

Audience générale du 24 janvier

Le sens d’un voyageChers frères et sœurs, bonjour!Cette audience a lieu dans deux en-droits reliés entre eux: vous, ici surla place, et un groupe d’enfants unpeu malades, qui sont dans la salle.Ils vous verront et vous les verrez: etainsi, nous sommes en liaison. Sa-luons les enfants qui sont dans lasalle: il valait mieux qu’ils ne pren-nent pas trop froid, c’est pour cetteraison qu’ils sont là.

Je suis revenu il y a deux jours duvoyage apostolique au Chili et auPérou. Un applaudissement pour leChili et le Pérou! Deux peuples quisont braves, braves… Je rends grâceau Seigneur, car tout s’est bien dé-roulé: j’ai pu rencontrer le peuple deDieu en marche sur ces terres — éga-lement ceux qui ne sont pas en mar-che, qui sont un peu immobiles…mais ce sont de braves gens — et en-courager le développement social deces pays. Je renouvelle ma gratitudeaux autorités civiles et à mes frères

évêques, qui m’ont accueilli avectant de générosité; ainsi qu’à tous lescollaborateurs et les bénévoles.Pensez que dans chacun des deuxpays, il y avait plus de 20 mille bé-névoles: plus de 20 mille au Chili,20 mille au Pérou. De braves per-sonnes: en majorité des jeunes.

Mon arrivée au Chili a été précé-dée par plusieurs manifestations deprotestation, pour divers motifs,comme vous l’avez lu dans les jour-naux. Et cela a rendu encore plusactuelle et vivante la devise de mavisite: «Mi paz os doy – Je vous don-ne ma paix». Ce sont les paroles deJésus adressées aux disciples, quenous répétons lors de chaque Messe:le don de la paix, que seul Jésus res-suscité peut donner à qui se confie àLui. Il n’y a pas que chacun de nousqui a besoin de la paix, le mondeaussi, aujourd’hui, en cette troisièmeguerre mondiale par morceaux… S’ilvous plaît, prions pour la paix!

Lors de la rencontre avec les auto-rités politiques et civiles du pays, j’aiencouragé le chemin de la démocra-tie chilienne, comme espace de ren-contre solidaire et capable d’i n c l u reles diversités; dans ce but, j’ai in-diqué la voie de l’écoute comme mé-thode: en particulier l’écoute despauvres, des jeunes et des personnesâgées, des immigrés, et aussi l’écoutede la terre.

Au cours de la première Eucharis-tie, célébrée pour la paix et la justice,les béatitudes ont retenti, en particu-lier: «Heureux les artisans de paix,car ils seront appelés fils de Dieu»(Mt 5, 9). Une béatitude qu’il fauttémoigner par le style de la proximi-té, de la présence, du partage, enrenforçant ainsi, avec la grâce duChrist, le tissu de la communautéecclésiale et de toute la société.

Dans ce style de proximité, lesgestes comptent plus que les paroles,et un geste important que j’ai pu ac-complir a été la visite à la prisonpour femmes de Santiago du Chili:les visages de ces femmes, dontbeaucoup sont de jeunes mères, avecleurs petits enfants dans les bras, ex-primaient malgré tout beaucoupd’espérance. Je les ai encouragées àexiger d’elles-mêmes et des institu-tions, un chemin sérieux de prépara-tion à la réinsertion, comme horizonqui donne un sens à la peine quoti-dienne. Nous ne pouvons pas penserla prison, toute forme de prison,sans cette dimension de la réinser-tion, car s’il n’y a pas cette espéran-ce de la réinsertion sociale, la prisonest une torture infinie. En revanche,quand on agit pour réinsérer — lescondamnés à perpétuité peuvent euxaussi se réinsérer — à travers le tra-vail de la prison à la société, un dia-logue s’ouvre. Mais une prison doittoujours avoir cette dimension de laréinsertion, toujours.

Avec les prêtres et les personnesc o n s a c ré e s et avec les évêques du Chili,j’ai vécu deux rencontres très inten-ses, rendues encore plus fécondespar la souffrance partagée pour cer-taines blessures qui affligent l’Eglisedans ce pays. J’ai en particulier con-firmé mes frères dans le refus detout compromis sur les abus sexuelssur les mineurs et, dans le mêmetemps, dans la confiance en Dieu,

qui à travers cette dure épreuve puri-fie et renouvelle ses ministres.

Les deux autres Messes au Chiliont été célébrées l’une dans le sud etl’autre dans le nord. Celle dans lesud, en Ara u c a n í a , terre où habitentles indiens Mapuches, a transforméen joie les drames et les peines de cepeuple, en lançant un appel pourune paix qui soit l’harmonie des di-versités et pour le refus de toute vio-lence. Celle dans le nord, à Iquique,entre l’océan et le désert, a été unhymne à la rencontre entre les peu-ples, qui s’exprime de manière parti-culière dans la religiosité populaire.

Les rencontres avec les jeunes etavec l’université catholique du Chiliont répondu au défi crucial d’offrirun sens profond à la vie des nouvel-les générations. J’ai laissé aux jeunesla parole programmatique de saintAlberto Hurtado: «Que ferait leChrist à ma place?». Et à l’universi-té, j’ai proposé un modèle de forma-tion intégrale, qui traduit l’identitécatholique en capacité de participerà la construction de sociétés unies etplurielles, où les conflits ne sont pasoccultés mais gérés à travers le dia-logue. Il y a toujours des conflits:même à la maison; il y en a tou-jours. Mais traiter de manière inap-propriée les conflits est encore pire.Il ne faut pas cacher les conflits sousle lit: les conflits qui viennent à lalumière doivent être affrontés et ré-solus à travers le dialogue. Pensezaux petits conflits qui existent certai-nement chez vous: il ne faut pas lescacher, mais les affronter. Chercherle moment et parler: le conflit se ré-sout ainsi, par le dialogue.

Au Pérou, la devise de la visite aété: «Unidos por la esperanza — Unispar l’e s p é ra n c e ». Unis non pas dansune uniformité stérile, tous pareils:cela n’est pas une union; mais danstoute la richesse des différences quenous héritons de l’histoire et de laculture. C’est ce dont a témoigné demanière emblématique la rencontreavec les peuples de l’Am a z o n i e p éru-vienne, qui a marqué le commence-ment de l’itinéraire du synode pan-amazonien convoqué pour octobre2019, de même que l’ont témoignéles moments vécus avec la populationde Puerto Maldonado et avec les en-fants de la maison d’accueil «Le petitprince». Ensemble nous avons dit«non» à la colonisation économiqueet à la colonisation idéologique.

En m’adressant aux autorités politi-ques et civiles du Pérou, j’ai appréciéle patrimoine environnemental, cul-turel et spirituel du pays, et j’ai cer-né les deux réalités qui le menacentle plus gravement: la dégradationécologique et sociale et la corrup-tion. Je ne sais pas si vous avez en-tendu parler de corruption ici… jene sais pas... Elle n’existe pas quepar là-bas: ici aussi et elle est plusdangereuse que la grippe! Elle se ré-pand et abîme les cœurs. La corrup-tion abîme les cœurs. S’il vous plaît,non à la corruption. Et j’ai remarquéque personne n’est exempt deresp onsabilités face à ces deux plaieset que l’engagement pour leur faireobstacle concerne tout le monde.

J’ai célébré la première Me s s e pu-blique au Pérou sur la rive del’océan, près de la ville de Tr u j i l l o ,

où la tempête appelée le «Niño cos-tiero» a durement frappé la popula-tion l’année dernière. C’est pourquoije l’ai encouragée à réagir à celle-ci,mais également aux autres tempêtes,telles que la criminalité, le manqued’éducation, de travail et de loge-ment sûrs. A Trujillo, j’ai aussi ren-contré les prêtres et les personnesc o n s a c ré e s du nord du Pérou, en par-tageant avec eux la joie de l’appel etde la mission, et la responsabilité dela communion dans l’Eglise. Je les aiexhortés à être riches de mémoire etfidèles à leurs racines. Et parmi cesracines se trouve la dévotion popu-laire à la Vierge Marie. Toujours àTrujillo a eu lieu la célébration maria-le où j’ai couronné la Vierge de laPorte, en la proclamant «Mère de laMiséricorde et de l’Esp érance».

La journée finale du voyage, di-manche dernier, s’est déroulée à Li-ma, avec un fort accent spirituel etecclésial. Dans le sanctuaire le pluscélèbre du Pérou, où l’on vénère letableau de la Crucifixion appelé«Señor de los Milagros», j’ai rencon-tré environ 500 religieuses de clôture,de vie contemplative: un vrai «pou-mon» de foi et de prière pour l’Egli-se et pour toute la société. Dans lacathédrale, j’ai accompli un acte deprière spécial par l’intercession dessaints péruviens, qui a été suivi parla rencontre avec les évêques du pays,à qui j’ai proposé la figure exemplai-re de saint Toribio de Mogrovejo.J’ai indiqué également aux jeunes Pé-ruviens les saints comme des hom-mes et des femmes qui n’ont pasperdu de temps à «maquiller» leurimage, mais qui ont suivi le Christ,qui les a regardés avec espérance.Comme toujours, la parole de Jésusdonne un sens plénier à tout, etainsi l’Evangile de la dernière célébra-tion eucharistique a résumé le messa-ge de Dieu à son peuple au Chili etau Pérou: «Convertissez-vous etcroyez dans l’Evangile» (Mc 1, 15).Ainsi — semblait dire le Seigneur —vous recevrez la paix que je vous don-ne et vous serez unis dans mon espé-ra n c e . Voilà plus ou moins le résuméde ce voyage. Prions pour ces deuxnations sœurs, le Chili et le Pérou,pour que le Seigneur les bénisse.

Parmi les pèlerins qui assistaient àl’audience générale du 24 janvier, setrouvaient le groupe francophonesuivant:

De France: Paroisse Saint-Domi-nique, de Paris.

Je suis heureux d’accueillir les pèle-rins venant de France et d’a u t re spays francophones. Alors que nousachevons la semaine de prière pourl’unité des chrétiens, je vous invite àêtre, là où vous vivez, des artisansde paix et d’unité. Que Dieu vousb énisse!

La passiond’un évêque

le Pape comme «l’homme quivoulut arriver sur l’autre rive»,précisément comme le législateurbiblique qui guida son peuplepour traverser la mer vers la terrepromise. Et les traits du saintévêque que Jorge Mario Bergo-glio a en particulier mis en lumiè-re sont des indications qui nesont pas seulement adressées auPérou, ni exclusivement à l’Amé-rique latine, mais encore une foisà la mission, en particulier versceux qui sont éloignés et disper-sés. Car la joie de l’Evangile «nepeut exclure personne», a répétéle Pape en citant le documentprogrammatique du pontificat.

Pendant le troisième concile deLima, cet archevêque espagnolavait déjà disposé que l’on prépa-re des catéchismes en quechua eten aymara, les principales languesautochtones, alors qu’il avait sou-tenu avec force la constitutiond’un clergé autochtone. A plus dequatre siècles de distance, la vo-lonté d’arriver «sur l’autre rive»reste vitale, c’est-à-dire dans desmilieux et des domaines où il estnécessaire d’annoncer la nouveau-té évangélique. Un objectif à at-teindre qui est donc non seule-ment géographique et culturel,mais social, c’est-à-dire dans ladimension de la charité et de lajustice. A propos de saint Toribio,le Pape a ensuite rappelé que Ka-rol Wojtyła l’avait défini commele constructeur de l’unité del’Eglise: «Nous ne pouvons pasnier les tensions, les différences;une vie sans conflits est impossi-ble», a dit le Pape. Mais ceux-cidoivent avoir lieu dans une con-frontation honnête, et dans laperspective de l’unité indiquéepar le Pape Bergoglio à travers cevoyage.

SUITE DE LA PA G E 1

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numéro 4, jeudi 25 janvier 2018 L’OSSERVATORE ROMANO page 3

Refuser la logiquede la supériorité culturelle

Messe à Temuco au Chili

Les armes de l’unitéGI O VA N N I MARIA VIAN

C’est par une Messe à Iquique, dansla région désertique du nord du Chili,que se conclut la visite papale. Le Pa-pe arrive à présent au Pérou, dernièreétape de son sixième voyage améri-cain. Après une journée entièrementréservée à la capitale, Jorge MarioBergoglio avait auparavant consacré ladernière partie de son itinéraire chi-lien aux rencontres avec les peuplesautochtones à Temuco, capitale del’Araucanía, dans le sud du Chili,puis avec les jeunes au sanctuaire na-tional de Maipú, et enfin avec les étu-diants, les enseignants et le personnelde l’université catholique de Santiagodu Chili.

Au cours de ces journées chiliennes,le Pape a sans cesse tourné le regardvers l’avenir du pays: c’est pourquoi ila parlé à toute la communauté univer-sitaire de la coexistence nationale etde la nécessité d’«avancer en commu-nauté», alors qu’avec les jeunes, Fran-çois a presque vécu un prologue de larencontre qui au printemps introduirale synode qui leur est consacré en oc-tobre. «Que ferait le Christ à ma pla-ce?», se demandait le jésuite AlbertoHurtado, et c’est la même questionque le Pape a adressée à plusieurs re-prises aux jeunes, en leur recomman-dant de se la poser à chaque instant.

Jorge Mario Bergoglio a voulu lireaux jeunes des paroles qui leur étaientadressées par une autre grande figurecatholique du Chili, dont le souvenirest revenu plusieurs fois sur ses lèvres,le cardinal Raúl Silva Henríquez. So-yez comme les samaritains et les cyré-néens, comme Zacchée «qui transfor-me son cœur matérialiste en cœur so-lidaire», comme Madeleine, qui re-cherche l’amour avec passion et «quine trouve qu’en Jésus les réponsesdont elle a besoin», et ayez le cœur

SUITE À LA PA G E 5

Dans la matinée du mardi 17janvier, le Pape François a visité larégion de l’Araucanía, située dans lesud du Chili. Après le vol deSantiago du Chili à Temuco, il s’estrendu à l’aérodrome de Maquehue, oùil a célébré la Messe pour le progrèsdes peuples, animée par des élémentsde la tradition autochtone.

«Mari, Mari» (Bonjour)«Küme tünngünta niemün» «La

paix soit avec vous» (Lc 24, 36)Je rends grâce à Dieu de me per-

mettre de visiter cette belle partiede notre continent, la Araucania:terre bénie par le créateur avec lafertilité d’immenses champs verts,avec des forêts denses d’araucariasimpressionnants — le cinquièmeéloge de Gabriela Mistral à cetteterre chilienne — (Gabriela Mistral,Elogios de la terra de Chile), ses ma-jestueux volcans enneigés, ses lacset ses rivières pleins de vie. Ce pay-sage nous élève vers Dieu et il est

facile de voir sa main en chaquecréature. De nombreuses généra-tions d’hommes et de femmes ontaimé et aiment ce sol d’une jalousegratitude. Et je veux m’arrêter et sa-luer spécialement les membres dupeuple Mapuche, ainsi que les au-tres peuples autochtones qui viventsur ces terres australes: Rapanui(Ile de Pâques), Aymara, Qquechuaet Atacamenos, et tant d’a u t re s .

Cette terre, si nous la regardonsavec des yeux de touristes, nous ex-tasiera, mais ensuite nous continue-rons notre route, sans plus, en noussouvenant de ces beaux paysages;mais si nous nous approchons deson sol, nous l’entendrons chanter:«Arauco sent une douleur que je nepeux faire taire, ce sont les injusti-ces de plusieurs siècles que tousvoient commettre» (Violeta Parra,Arauca tiene una pena).

C’est dans ce contexte d’actionde grâce pour cette terre et pourses habitants, mais également depeine et de souffrance, que nouscélébrons l’Eucharistie. Et nous lefaisons sur cet aérodrome de Ma-quehue sur lequel eurent lieu degraves violations des droits hu-mains. Cette célébration, nous l’of-frons pour tous ceux qui ont souf-fert et qui sont morts, et pour ceuxqui, chaque jour, portent sur lesépaules le poids de nombreuses in-justices. Et nous rappelant ces cho-ses-là, nous restons un instant ensilence devant tant de souffrance ettant d’injustice. Le don de Jésusprend en charge avec tout le péchéet toute la souffrance de nos peu-ples, une souffrance pour être ra-cheté.

Dans l’Evangile que nous avonsentendu, Jésus prie le Père pourque «tous soient un» (Jn 17, 21). Aun moment crucial de sa vie, il s’ar-rête afin de prier pour l’unité. Soncœur sait que l’une des pires mena-ces qui frappe et frappera les sienset toute l’humanité sera la divisionet l’affrontement, l’asservissementdes uns par les autres. Que de lar-mes versées! Nous voulons au-j o u rd ’hui entrer dans cette prière deJésus, nous voulons entrer avec luidans ce jardin de souffrance, avecnos souffrances également, pourdemander au Père avec Jésus: quenous aussi soyons un. Ne permetspas que nous gagnent l’a f f ro n t e -ment ni la division.

Cette unité voulue par Jésus estun don qu’il faut demander avecinsistance pour le bien de notreterre et de ses enfants. Et il est né-cessaire d’être attentifs aux possi-bles tentations qui peuvent appa-raître et «polluer à la racine» cedon que Dieu veut nous faire etpar lequel il nous invite à êtred’authentiques protagonistes del’histoire. Quelles sont ces tenta-tions?

Les faux synonymes

L’une des principales tentationsà affronter est de confondre unitéet uniformité. Jésus ne demande

pas à son Père que tous soient pa-reils, identiques; puisque l’unité nenaît pas et ne naîtra pas du fait deneutraliser ou de taire les différen-ces. L’unité n’est pas un simulacred’intégration forcée ni de margina-lisation harmonisatrice. La richessed’une terre naît précisément du faitque chaque partie s’emploie à par-tager sa sagesse avec les autres. Cen’est pas et ce ne sera pas une uni-formité asphyxiante qui naît nor-malement de la domination et dela force du plus fort; non plus uneséparation qui ne reconnaît pas labonté des autres. L’unité deman-dée et offerte par Jésus reconnaîtce que tout peuple, toute culture,est invité à apporter à cette terrebénie. L’unité est une diversité ré-conciliée puisqu’elle ne tolère pasqu’en son nom soient légitiméesdes injustices personnelles ou com-munautaires. Nous avons besoin dela richesse que chaque peuple a àapporter, et il faut laisser de côté lalogique de croire qu’existent descultures supérieures ou des culturesinférieures. Un beau «chamal» de-mande que les tisserands connais-sent l’art d’harmoniser les diffé-rents matériaux et couleurs; qu’ilssachent donner le temps à chaquechose et à chaque étape. On pour-ra les imiter industriellement, maisnous reconnaîtrons tous qu’il s’agitd’un vêtement synthétique. L’art del’unité a besoin et requiert d’au-thentiques artisans qui sachent har-moniser les différences dans les«ateliers» des peuples, des che-mins, des places et des paysages.L’unité n’est pas un art de bureau,ni même de documents, c’est unart de l’écoute et de la reconnais-sance. En cela s’enracinent sa be-auté et sa résistance à l’usure dutemps et des tempêtes qu’il devraa f f ro n t e r.

L’unité dont nos peuples ont be-soin demande que nous nous écou-tions, mais surtout que nous nousreconnaissions mutuellement, qu’ilne faut pas tant «recevoir des in-formations sur les autres …, maisde recueillir ce que l’Esprit a seméen eux comme don aussi pournous» (Exhort. ap. Evangeli gau-dium, n. 246). Cela nous fait dé-boucher sur le chemin de la solida-rité comme manière de tisser l’uni-té, comme manière de construirel’histoire. Cette solidarité qui nousconduit à dire: nous avons besoinles uns des autres à partir de nosdifférences pour que cette terrecontinue d’être belle. C’est la seulearme dont nous disposons contrela «déforestation» de l’esp érance.C’est pourquoi nous demandons:

Seigneur, fais de nous des artisansd’unité.

Une autre tentation peut venirde la considération de ce que sontles armes de l’unité.

Les armes de l’unité

L’unité, pour être construite àpartir de la reconnaissance et de lasolidarité, ne peut accepter n’im-porte quel moyen à cette fin. Il y ades formes de violence qui, au lieude stimuler les processus d’unité etde réconciliation, finissent par lescompromettre. En premier lieu,nous devons être attentifs à l’élab o-ration de «beaux» accords qui neparviennent jamais à se concrétiser.Bonnes paroles, plans achevés, oui— ils sont nécessaires — mais qui,en ne se concrétisant pas, finissent«par effacer avec le coude ce qui aété écrit avec la main». Cela aussiest de la violence, et pourquoi?Parce que cela déçoit l’esp érance.

En second lieu, il est indispensa-ble d’affirmer qu’une culture de lareconnaissance mutuelle ne peutpas se construire sur la base de laviolence et de la destruction qui fi-nissent par coûter des vies humai-nes. On ne peut demander la re-connaissance en détruisant l’a u t re ,car la seule chose que cela éveille,c’est davantage de violence et dedivision. La violence appelle la vio-lence, la destruction augmente lafracture et la séparation. La violen-ce finit par faire mentir la cause laplus juste. C’est pourquoi nous di-sons «non à la violence qui dé-truit», sous toutes ses formes.

Ces attitudes sont comme la lavedu volcan qui rase tout, brûle tout,laissant seulement sur son passagestérilité et désolation. Cherchons,en revanche, et ne nous lassons pasde chercher le dialogue pour l’uni-té. Pour cela disons avec force: Sei-gneur, fais de nous des artisansd’unité.

Nous tous qui, dans une certainemesure, sommes peuple de la terre(Gn 2, 7), nous sommes appelés àBien vivre (Küme Mongen) com-me nous le rappelle la sagesse an-cestrale du peuple Mapuche. Quede chemin à parcourir, que de che-min avec lequel se familiariser! Kü-me Monge, un désir profond quijaillit non seulement de nos cœurs,mais qui résonne comme un cri,comme un chant dans toute lacréation. C’est pourquoi frères,pour les enfants de cette terre,pour les enfants de leurs enfants,disons avec Jésus au Père: quenous aussi nous soyons un; Sei-gneur, fais de nous des artisansd’unité.

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page 4 L’OSSERVATORE ROMANO jeudi 25 janvier 2018, numéro 4

Je veux écouter les jeunes sans filtreRencontre avec les jeunes

Ariel, moi aussi, je suis heureuxd’être avec vous. Merci pour tes pa-roles de bienvenue au nom de tousceux qui sont présents. Je suis vrai-ment reconnaissant de partager cetemps avec vous qui, comme je l’ailu ici, «ont quitté le divan et ont misleurs chaussures». Merci! C’est pourmoi important de nous rencontrer etde marcher ensemble un moment, denous aider à regarder en avant! Jecrois que, pour vous aussi, c’est im-portant. Merci.

Je suis heureux que cette rencon-tre se déroule ici, à Maipú. Sur cetteterre où, dans une étreinte de frater-nité, l’histoire du Chili a été fondée;en ce sanctuaire qui se dresse à lacroisée des chemins du Nord et duSud, qui unit la neige et l’océan, etqui fait que le ciel et la terre ont unfoyer. Un foyer pour le Chili, unfoyer pour vous, chers jeunes, oùNotre-Dame du Carmel vous attendet vous reçoit le cœur ouvert. Ettout comme elle a accompagné lanaissance de cette nation et commeelle a accompagné tant de Chiliensdurant ces deux cents ans, elle veutcontinuer à accompagner les rêvesque Dieu met dans vos cœurs: rêvesde liberté, rêves de joie, rêves d’unavenir meilleur. Ce désir, comme tule disais Ariel, d’«être protagonistesdu changement». Etre des protago-nistes. Notre-Dame du Carmel vousaccompagne pour que vous soyez lesprotagonistes du Chili dont rêventvos cœurs. Et je sais que le cœur desjeunes Chiliens rêve, et rêve grand,pas seulement quand ils sont un peugris, non, toujours ils rêvent grand,parce que de ces terres sont nées desexpériences qui progressivement sesont étendues et multipliées dansdifférents pays de notre continent.Et qui les a soutenues? Des jeunescomme vous qui ont voulu vivrel’aventure de la foi. Parce que la foiprovoque chez les jeunes des senti-ments d’aventure qui invite à passerpar des paysages incroyables, despaysages pas du tout faciles, pas dutout tranquilles… mais vous aimezles aventures et les défis; sauf ceuxqui n’ont pas réussi à quitter le di-van. Quittez-le vite! Comme ça nouspouvons continuer; vous qui êtes desspécialistes, mettez-leur les chaussu-res. Mieux, vous vous ennuyezquand il n’y a pas de défis qui vousstimulent. Cela se voit, par exemple,chaque fois que se produit une ca-tastrophe naturelle: vous avez unecapacité énorme de vous mobiliserqui traduit la générosité de voscœurs. Merci.

Et j’ai voulu commencer par cetteréférence à la patrie parce que lechemin qui est devant, les rêves quevous voulez concrétiser, le regardtoujours vers l’horizon, doivent sefaire avec les pieds sur terre, encommençant par les pieds sur la ter-re de la patrie; et si vous n’aimezpas votre patrie, je ne crois pas quevous parviendrez à aimer Jésus nique vous parviendrez à aimer Dieu.L’amour de la patrie est un amour

cœurs et dans les esprits des jeunes.Et c’est vrai, vous êtes préoccupés,en quête, idéalistes. Vous savez quelest le problème? Le problème, c’estnous les grands qui, lorsque nousécoutons ces idéaux, ces préoccupa-tions des jeunes, avec une tête de je-sais-tout, disons: «Il pense commeça parce qu’il est jeune, il va mûrir,ou pire, il va se corrompre. Et c’estvrai, derrière le “il va mûrir” c o n t reles aspirations et les rêves, se cachele tacite “il va se corrompre”. Atten-tion à cela. Mûrir c’est grandir etfaire grandir les rêves et faire grandirles aspirations, non pas baisser lagarde et se laisser acheter pour deuxsous. Cela n’est pas mûrir. Lorsquenous, les grands, pensons cela, n’entenez pas compte. Il semblerait quedans cette parole «il va mûrir», ditepar nous les grands — où il sembleque l’on vous couvre d’une couver-ture mouillée pour vous faire taire —se cache le fait que mûrir ce soit ac-cepter l’injustice, croire que nous nepouvons rien faire, que tout a tou-jours été comme ça. «Pourquoi de-vons-nous changer si ça a toujoursété comme ça, si ça s’est toujoursfait comme ça?» C’est cela la cor-ruption. Mûrir, le vrai mûrissement,c’est faire avancer vos rêves, vos as-pirations, ensemble, en vous con-frontant mutuellement, en discutantentre vous, mais en regardant tou-

très filtrées, non pas par les compa-gnies aériennes mais par ceux qui lestranscrivent. Pour cette raison, je dé-sire, avant, entendre les jeunes; etc’est pourquoi il y a cette rencontredes jeunes, rencontre où vous serezles protagonistes. Jeunes du mondeentier, jeunes catholiques et jeunesnon catholiques, jeunes chrétiens etd’autres religions, jeunes qui ne sa-vent pas si ils croient ou ne croientpas, tous, pour les écouter, et pourqu’ils nous écoutent directement; carc’est important que vous parliez, quevous ne vous taisiez pas. C’est ànous de vous aider à être cohérentsavec ce que vous dites, c’est le travailpar lequel nous allons vous aider;mais si vous ne parlez pas, commentallons-nous vous aider? Et parlezavec courage, et dites ce que voussentez. Donc, vous pourrez faire celalors de cette semaine de rencontreavant le dimanche des Rameaux, oùdes délégations de jeunes viendrontdu monde entier, pour que nousnous aidions à faire que l’Eglise aitun visage jeune. Récemment, quel-qu’un me disait: je ne sais pas s’ilfaut parler de la «Sainte Mère l’Egli-se» — elle parlait d’un lieu particulier— ou de la «Sainte Grand-mèrel’Eglise». Non, non, l’Eglise doitavoir un visage jeune, et cela vousavez à nous le donner. Mais, c’estclair, un visage jeune est réel, plein

de vie; non pas précisément jeune ense maquillant avec des crèmes de ra-jeunissement. Non, cela ne sert àrien, mais jeune parce que, du fonddu cœur, elle se laisse interpeller. Etc’est cela ce que nous, la Sainte Mè-re Eglise, attendons de vous au-j o u rd ’hui: que vous nous interpelliez.Et ensuite, préparez-vous à la ré-ponse; mais nous avons besoin quevous nous interpelliez, l’Eglise a be-soin que vous passiez votre permisd’adulte, spirituellement adultes, etque vous ayez le courage de nous di-re: «cela me plait, ce chemin mesemble être celui à emprunter, cela çane va pas, ce n’est pas un pont c’estun mur, etc.». Dites-nous ce quevous sentez, ce que vous pensez; éla-borez-le entre vous, dans ces groupesde rencontre, et ensuite ça ira au sy-node où vous serez certainement re-présentés. Mais le synode, ce sont lesévêques qui le feront avec votre re-présentation qui vous rassembleratous. Préparez-vous à cette rencontreet dites à ceux qui iront à cette ren-contre vos idées, vos préoccupations,ce que vous avez dans le cœur. Com-me l’Eglise a besoin de vous, etl’Eglise du Chili, qui nous «re-muez», nous aidez à être plus pro-ches de Jésus! C’est ce que nousvous demandons: que vous nous re-muiez si nous sommes installés, etque vous nous aidiez à être plus pro-ches de Jésus. Vos questions, votredésir de savoir, désir d’être généreuxsont des exigences pour que noussoyons plus proches de Jésus. Etnous sommes tous invités encore etencore à être proches de Jésus. Siune activité, si un plan pastoral, sicette rencontre ne nous aide pas àêtre plus proches de Jésus, nous per-dons notre temps, nous perdons unesoirée, des heures de préparation: ai-dez-nous à être plus proches de Jé-sus. Et cela nous le demandons àcelle qui peut nous prendre par lamain: regardons la Mère. Que cha-cun lui dise dans son cœur avec sesmots, à elle qui est la première disci-ple, de nous aider à être plus prochede Jésus. Chacun, dans son cœu r.

Et laissez-moi vous raconter uneanecdote. En m’entretenant un jouravec un jeune, je lui ai demandé cequi le mettait de mauvaise humeur.Toi, qu’est-ce qui te met de mauvai-se humeur? — parce que le contextepermettait de poser cette question.Lui m’a dit: «Quand le téléphoneportable n’a plus de batterie ouquand je perds la connexion inter-net». Je lui demande: «Pourquoi?».Il me répond : «Père, c’est simple, jerate tout ce qui est en train de sepasser, je reste hors du monde, com-me suspendu. Dans ces moments, jesors en courant chercher un char-geur ou un réseau wifi et le mot depasse pour me reconnecter».

Cette réponse m’a enseigné, ellem’a fait penser qu’avec la foi il peutnous arriver la même chose. Noussommes tous enthousiastes, la foi serenouvelle — par une retraite, par uneprédication, par une rencontre, par lavisite du Pape —, la foi grandit, maisaprès un temps de cheminement oud’enthousiasme initial, il y a des mo-ments où, sans nous en rendre com-pte, «notre bande passante» com-

pour la mère, nous l’appelons laMère Patrie parce nous y sommesnés; mais, à la manière de toutes lesmères, elle nous apprend à marcher,et elle se donne à nous pour quenous la fassions survivre dans les au-tres générations. C’est pourquoi j’aivoulu commencer par cette référenceà la Mère, la Mère Patrie. Si vousn’êtes pas des patriotes — non pasdes nationalistes — des patriotes,vous ne ferez rien dans la vie. Gar-çons et filles, aimez votre terre, ai-mez votre Chili, donnez le meilleurde vous-même pour votre Chili.

Dans mon travail d’évêque, j’ai pudécouvrir qu’il y a beaucoup, maisbeaucoup, de bonnes idées dans les

jours devant, non pas en baissant lagarde, non pas en vendant ces aspi-rations ni ces choses. C’est clair?

(les jeunes répondent: oui!)Prenant en compte toute cette réa-

lité des jeunes… (le Pape s’inter-rompt parce qu’une des personnesprésentes se sent mal). Attendonsune minute pour qu’ils prennent no-tre sœur qui s’est sentie mal, et nousl’accompagnons par une petite prièrepour qu’elle se remette vite.... C’estpour cette réalité de vous, les jeunes,que je voudrais vous annoncer quej’ai convoqué le synode de la foi etdu discernement chez les jeunes. Et,en plus, la rencontre des jeunes; par-ce que le synode nous le faisons,nous les évêques, en réfléchissant surles jeunes. Mais, vous savez, j’ai peurdes filtres parce que parfois les avisdes jeunes, pour arriver à Rome, doi-vent passer par diverses connections,et ces propositions peuvent arriver

Dans l’après-midi du mercredi 17 janvier, provenant de la Patagonie chilienne, lePape s’est rendu au sanctuaire marial de Maipú, au sud-est de Santiago duChili, pour rencontrer les jeunes du pays. Nous publions ci-dessous une traductiondu discours qu’il a prononcé à cette occasion:

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mence à baisser, peu à peu, et cet en-thousiasme, ce désir de rester connec-té avec Jésus commence à s’a f f a i b l i r,et nous commençons à être sans con-nexion, sans batterie, et alors la mau-vaise humeur nous gagne, nous rede-venons sceptiques, tristes, sans force,et nous commençons à voir tout enmal. Sans cette «connexion», qui estcelle qui donne vie à nos rêves, lecœur commence à perdre force, à res-ter sans batterie, comme le dit cettechanson: «Le bruit alentour et la so-litude de la ville nous isolent de tout.Le monde qui va à l’envers veut mesubmerger en étouffant mes idées»(La ley, Aq u í .). Ça vous est arrivéquelques fois? Non, non, que chacunréponde intérieurement, je ne veuxpas faire honte à ceux à qui cela n’estjamais arrivé. A moi c’est arrivé.

Sans connexion, sans la connexionavec Jésus, sans cette connexionnous finissons par noyer nos idées,noyer nos rêves, noyer notre foi, etnous sommes gagnés par la mauvaisehumeur. De protagonistes — quenous sommes et voulons être — nouspouvons en arriver à penser que fairequelque chose ou ne pas le faire,c’est pareil. «Pourquoi tu perds tontemps? Ecoute — le jeune pessimiste—, amuse-toi, laisse tomber, nous sa-vons comment tout ça finit, le mon-de ne change pas, prends-le commeil est et va…». Et nous sommes dé-connectés de la réalité, de ce qui sepasse «dans le monde». Et noussommes, nous sentons que noussommes «hors du monde», dans«mon petit monde» où je suis tran-quille, là, sur mon divan. Je suis in-quiet quand en perdant la «con-nexion» beaucoup pensent qu’ilsn’ont rien à apporter et sont commeperdus: «Oui, vous avez quelquechose à donner» — «Non, écoute,c’est un désastre: j’essaye d’é t u d i e r,d’avoir un diplôme, de me marier,mais ça suffit, je ne veux plus d’en-nuis, tout finit mal». C’est ainsiquand on perd la connexion. Nepense jamais que tu n’as rien à ap-porter, ou que tu ne manques à per-sonne. «Beaucoup de gens ont be-soin de toi; penses-y». Que chacunde vous y pense dans son cœur:«Beaucoup de gens ont besoin demoi». Cette pensée, comme aimait le

Les jeunes de l’Evangile que nousavons entendu aujourd’hui voulaientcette connexion, ils cherchaient cetteconnexion qui les aiderait à gardervivant le feu dans leurs cœurs. Cesjeunes qui étaient là avec Jean-Bap-tiste, ils voulaient savoir commentcharger la batterie du cœur. Andréet l’autre disciple — qui ne dit passon nom, et nous pouvons penserque cet autre disciple, peut être cha-cun d’entre nous — cherchaient lemot de passe pour se connecter avecCelui qui est «le Chemin, la Véritéet la Vie» (Jn 14, 6). Jean-Baptisteles a guidés. Et je crois que vousavez un grand saint qui peut vousservir de guide, un saint qui allait enchantant avec sa vie: «Heureux, Sei-gneur, heureux». Hurtado avait une

phone, non? — J’aimerais que vous lenotiez sur vos téléphones. Si vous levoulez, je vous le dicte. Hurtado sedemande — c’est le mot de passe —Que ceux qui le peuvent le no-tent: «Que ferait Jésus à ma place?»«Que ferait Jésus à ma place?» Al’école, à l’université, dans la rue, à lamaison, entre amis, au travail, devantcelui qui vous brime. «Que ferait Jé-sus à ma place?» Quand vous sortezdanser, quand vous faites du sportou allez au stade: «Que ferait Jésus àma place?», voilà le mot de passe,voilà la batterie pour allumer notrecœur et allumer la foi et allumerl’étincelle dans les yeux. Qu’elle ydemeure. C’est cela être protagonistede l’histoire. Les yeux scintillantsparce que nous découvrons que Jésusest source de vie et de joie. Protago-nistes de l’histoire parce que nousvoulons communiquer cette étincelleà de nombreux cœurs éteints, opa-ques qui oublient ce qu’est espérer; àbeaucoup qui s’ennuient et attendentque quelqu’un les invite et leur pré-sente un défi grâce à quelque chosequi en vaut la peine. Etre protagonis-te, c’est faire ce qu’a fait Jésus. Là oùtu es, avec qui tu rencontres et aumoment où tu te trouves: «Que feraitJésus à ma place?». Vous avez enre-gistré le mot de passe? (Les jeunesrépondent: oui). Et la seule manièrede ne pas oublier le mot de passe,c’est de l’utiliser. Autrement, il va ar-river… —- mais c’est de mon temps,non du vôtre, mais comme ça voussaurez quelque chose —, ce qui est ar-rivé aux trois farfelus dans ce film oùils préparent un braquage, un casse,d’un coffre-fort; ils pensent à tout, àtout, et quand ils arrivent ils ont ou-blié le mot de passe, ils ont oublié laclé. Si vous n’utilisez pas le mot depasse, vous l’oublierez. Enregistrez-ledans votre cœur. C’était quoi le motde passe? (Les jeunes répondent:«Que ferait Jésus à ma place?») Voi-là le mot de passe. Répétez-le, maisutilisez-le, utilisez-le! — «Que feraitJésus à ma place?» — Il faut l’utiliser

tous les jours. Viendra le moment oùvous le connaitrez, et viendra le jouroù sans vous en rendre compte, etviendra le jour où sans vous en ren-dre compte, le cœur de chacun devous battra avec le cœur de Jésus.

Il ne suffit pas d’entendre unenseignement religieux ou d’a p p re n -dre une doctrine; ce que nous vou-lons, c’est vivre comme Jésus a vécu:Que ferait Jésus à ma place? Tradui-re Jésus dans ma vie. C’est pourquoiles jeunes de l’Evangile lui deman-dent: «Seigneur, où demeures-tu?»(Jn 1, 38) — nous venons de l’enten-dre —, comment vis-tu? Je le deman-de à Jésus? Nous voulons vivre com-me Jésus, c’est ce qui nous fait vi-brer le cœu r.

Cela fait vibrer le cœur et te metsur le chemin du risque. Risquer,courir le risque. Chers amis, soyezcourageux, sortez en toute hâte à larencontre de vos amis, de ceux quine savent pas ou qui sont dans unepasse difficile.

Et allez avec la seule promesseque nous avons: au milieu du désert,du chemin, de l’aventure, il y auratoujours une «connexion», il existe-ra toujours un «chargeur». Nous neserons pas seuls. Nous jouirons tou-jours de la compagnie de Jésus et desa Mère et d’une communauté. Unecommunauté qui n’est certainementpas parfaite, mais cela ne veut pasdire qu’elle ne soit pas dotée d’unegrande capacité pour aimer et n’aitpas beaucoup à offrir aux autres.Quel est le mot de passe? (Les jeu-nes répondent: «Que ferait Jésus àma place?») C’est bien, mais nel’oubliez pas.

Chers amis, chers jeunes, «soyez —je vous le demande s’il vous plait —soyez les jeunes samaritains quin’abandonnent jamais personne à ter-re sur la route. Dans le cœur, une au-tre question: «Avez-vous, une fois oul’autre, abandonné quelqu’un à terresur la route?» Un parent, un ami,une amie? Soyez des Samaritains quin’abandonnent jamais quelqu’un àterre sur la route. Soyez les jeunesCyrénéens qui aident le Christ à por-ter sa croix et qui soulagent la souf-france de leurs frères. Soyez commeZachée qui a transformé son nanismespirituel en grandeur et qui a laissétransformer par Jésus son cœur maté-rialiste en un cœur solidaire. Soyezcomme la jeune Madeleine, passion-née en quête d’amour, qui trouve enJésus seul les réponses dont elle a be-soin. Ayez le cœur de Pierre, pourabandonner les filets le long du lac.Ayez la tendresse de Jean pour met-tre en lui toutes vos affections. Ayezla disponibilité de notre Mère, la pre-mière disciple, pour chanter avec joieet faire sa volonté» (Cardinal RaulSilva Henriquez, Message aux jeunes(7 octobre 1979).

Chers amis, j’aimerais passer plusde temps ici. Que ceux qui ont untéléphone le prennent dans la main,c’est un signe pour ne pas oublier lemot de passe. Quel est le mot depasse? (Les jeunes répondent: «Queferait Jésus à ma place?») Commeça vous vous connectez et ne restezpas sans réseau. J’aimerais resterplus de temps. Merci pour la ren-contre, merci pour pour votre joie.Merci, merci beaucoup, et je vousdemande une faveur: n’oubliez pasde prier pour moi.

Les armes de l’unité

de Pierre, l’affection de Jean, ladisponibilité de Marie, recomman-dait le grand archevêque de Santia-go du Chili.

Dès son arrivée en Araucanía, lePape a cité les vers de deux poétes-ses, Gabriela Mistral et Violeta Par-ra, pour décrire la beauté et la dou-leur de cette terre martyrisée par«des injustices datant de plusieurssiècles». Avec un souvenir expliciteet ému des années sombres de ladernière dictature militaire, au coursde laquelle l’aérodrome de Maque-hue, où il a célébré la Messe, fut lethéâtre de «graves violations» desdroits humains: c’est pourquoi laMesse a été offerte «pour tous ceuxqui ont souffert et qui sont morts,et pour ceux qui chaque jour por-tent sur leurs épaules le poids detant d’injustices». En ajoutant queJésus sur la croix prend en charge lepéché et la douleur de «nos peu-

ples» pour le racheter. De très nom-breux représentants des populationsautochtones de la région australe,en particulier les mapuche, étaientvenus l’écouter: des peuples précisé-ment victimes d’injustices et de ten-tatives d’assimilation, qui ont étéplusieurs fois rappelées par le Pape.

C’est pourquoi le Jorge MarioBergoglio a dit que l’unité, bien dif-férente de l’uniformité, «est une di-versité réconciliée»; est même un artqui demande l’écoute et la recon-naissance. Deux formes de violencemenacent l’unité, a-t-il observé: lapremière se revêt de belles paroleset d’accords qui ne sont jamais réa-lisés, décevant toute espérance, et ladeuxième est celle qui sacrifie desvies humaines. «La violence appellela violence» a dit nettement le Pa-pe, et «elle finit par transformer enmensongère la cause la plus juste».En concluant que l’unique voie estcelle du dialogue. Précisément à larecherche de l’unité.

SUITE DE LA PA G E 3

l’un de vous. Nous, noussommes déjà de l’autre côté.(Un autre jeune présent sesent mal) Et merci, entre pa-renthèses, parce que ces ma-laises sont un signe de ceque beaucoup de vous res-sentent. Depuis combien detemps êtes-vous ici, dites-moi? (Les jeunes répondent)Merci! Je disais, nous som-mes tous importants, et nousavons tous quelque chose àapporter. Dans un petit mo-ment de silence, que chacunse demande — sérieusementen examinant son cœur —«qu’est-ce que j’ai à donnerdans la vie?» Et combien devous sentent l’envie de dire:Je ne sais pas. Tu ne sais pasce que tu as à donner? Tul’as à l’intérieur et tu ne lesais pas. Cherches pour letrouver pour le donner. Lemonde a besoin de toi, la pa-trie a besoin de toi, la sociétéa besoin de toi, vous avezquelque chose à donner, neperdez pas la connexion.

dire Hurtado, «est le conseil du dia-ble» — je ne manque à personne» —qui veut te faire sentir que tu nevaux rien… mais pour laisser leschoses comme elles sont. C’est pour-quoi il te fait sentir que tu ne vauxrien, pour que rien ne change, car leseul qui peut accomplir un change-ment dans la société, c’est le jeune,

règle d’or, une règle pour enflammerson cœur avec ce feu capable demaintenir vivante la joie. Car Jésusest ce feu grâce auquel s’enflammequiconque s’appro che.

Et le mot de passe de Hurtadopour se connecter, pour garder le si-gnal, est très simple — je suis sûr quepersonne d’entre vous n’a un télé-

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page 6 L’OSSERVATORE ROMANO jeudi 25 janvier 2018, numéro 4

Discours au monde universitaire

Pour un humanisme renouvelé

Monsieur le grand chancelier,cardinal Ricardo Ezzati,frères dans l’épiscopat,Monsieur le recteur, docteur IgnacioSánchez,distinguées autorités universitaires,chers professeurs, fonctionnaires,membres du personnel del’université,chers étudiants,Je suis heureux de me retrouver avecvous dans cette maison de formationqui, au cours de ses presque 130 an-nées d’existence, a rendu un serviceinestimable au pays. Merci à Mon-sieur le recteur de ses paroles debienvenue au nom de toutes les per-sonnes présentes, mais aussi merci àvous Monsieur le recteur pour lebien que vous faites avec votre «es-prit de sagesse» dans l’administra-tion de l’université et dans la défen-se avec courage de l’identité del’université catholique. Merci beau-coup.

L’histoire de cette université estétroitement liée, d’une certaine fa-çon, à l’histoire du Chili. Ils sontdes milliers, les hommes et les fem-mes qui, formés ici, ont assumé descharges importantes pour le déve-loppement de la patrie. Je voudraisévoquer en particulier la figure desaint Alberto Hurtado, en cette an-née qui marque le centième anniver-saire du début de ses études ici. Savie devient un clair témoignage de lamanière dont l’intelligence, l’excel-lence académique et le professionna-lisme dans le travail, alliés à la foi, àla justice et à la charité, loin de di-minuer, arrivent à se transformer enune force qui est une prophétie ca-pable d’ouvrir des horizons etd’éclairer le chemin, en particulierpour les exclus de la société, pourempêcher aujourd’hui cette culturedu rejet.

Dans ce sens, je voudrais repren-dre vos paroles, Monsieur le recteur,quand vous disiez: «Nous noustrouvons devant des défis importantspour notre patrie, qui mettent enexergue la relation entre la cohabita-tion nationale et la capacité à avancervers la communauté».

La cohabitation nationale

Parler de défis c’est accepter qu’ily a des situations arrivées à un telpoint qu’elles exigent d’être repen-sées. Ce qui, jusqu’à hier, pouvaitêtre un facteur d’unité et de cohé-sion, requiert aujourd’hui de nouvel-les réponses. Le rythme accéléré etla mise en œuvre quasi vertigineused’un certain nombre de processus etles changements qui s’imposent dansnos sociétés nous invitent de maniè-re sereine, mais sans tarder, à une ré-flexion qui ne soit pas naïve, uto-pique et encore moins volontariste.Ce qui ne signifie pas freiner le dé-veloppement du savoir, mais faire de

l’université un lieu privilégié «pourpratiquer la grammaire du dialoguequi forme à la rencontre» (D i s c o u rsaux participants à l’assemblée plénièrede la Congrégation pour l’éducation ca-tholique, 9 février 2017). Etant donnéque «la vraie sagesse [est] fruit de laréflexion, du dialogue et de la ren-contre généreuse entre les person-nes» (Lett. enc. Laudato si’, n. 47).

La cohabitation nationale est pos-sible — entre autres choses — dans lamesure où nous créons des métho-des éducatives également génératri-ces de transformation, d’inclusion etde convivialité. Eduquer à la cohabi-tation, ce n’est pas seulement adjoin-dre des valeurs à l’activité éducative,mais c’est générer une dynamique deconvivialité au sein du système édu-

ne soit pas le schéma dominant, ycompris de la pensée; c’est pourquoi,il faut enseigner à penser ce qu’onsent et ce qu’on fait; à sentir ce qu’onpense et ce qu’on fait; à faire cequ’on pense et ce qu’on sent. Un dy-namisme de capacités au service de lapersonne et de la société.

L’alphabétisation, fondée sur l’in-tégration des différents langages quinous constituent, impliquera pro-gressivement les étudiants dans leurpropre processus de formation; pro-cessus dans la perspective des défisavec lesquels l’avenir proche se pré-sentera. Le «divorce» entre les sa-voirs et les langages, l’alphab étisa-tion concernant comment intégrerles différentes dimensions de la vie,l’unique chose à laquelle cela con-duit, c’est la fragmentation et la rup-ture sociale.

Dans cette société liquide (cf.Zygmunt Bauman, Modernidad liqui-da, 1999) ou légère (cf. Gilles Lipo-vetsky, De la légèreté, 2016), commeont voulu la qualifier certains pe-nseurs, sont en train de disparaîtreles points de repère à partir desquels

Avancer vers la communauté

D’où le second élément pour cettemaison de formation: la capacitéd’avancer en communauté.

Je suis au courant des effortsd’évangélisation et de la vitalitéjoyeuse de la pastorale universitaire,signe d’une Eglise jeune, vivante et«en sortie». Les missions réaliséeschaque année en diverses régions dupays sont un point fort et très enri-chissant. Avec ces initiatives, vousparvenez à élargir l’horizon de votreregard et vous entrez en contact avecdiverses situations qui, au-delà del’événement passager, vous maintien-nent mobilisés. Le «missionnaire»,au sens étymologique du mot, ne re-vient jamais pareil de la mission. Ilfait l’expérience du passage de Dieudans la rencontre avec tant de per-sonnes, ou qu’ils ne connaissaientpas, ou qui ne lui étaient pas fami-lières, ou qui lui étaient étrangères.

Ces expériences ne peuvent pasrester coupées de ce qui se vit àl’université. Les méthodes classiquesde recherche souffrent plus de certai-nes limites, lorsqu’il s’agit d’une cul-ture comme la nôtre qui encouragela participation directe et instantanéedes sujets. La culture actuelle re-quiert de nouveaux procédés capa-bles d’inclure tous les acteurs qui fa-çonnent la réalité sociale et, par con-séquent, éducative. D’où l’imp ortan-ce d’élargir le concept de commu-nauté éducative.

La communauté est mise au défide ne pas rester coupée des modesde connaissance; et également de nepas construire non plus un savoir in-dépendamment de ceux qui en sontbénéficiaires. Il est nécessaire quel’acquisition de connaissance sachecréer une interaction entre l’école etla sagesse des peuples qui habitentcette terre bénie. Une sagesse riched’intuitions, de «flair», que l’on nepeut pas ignorer quand on pense auChili. Aussi sera créée cette synergietellement enrichissante entre la ri-gueur scientifique et l’intuition po-pulaire. L’étroite interaction entre lesdeux empêche le divorce entre la rai-son et l’action, entre la pensée et lessentiments, entre la connaissance etla vie, entre la profession et le servi-ce. La connaissance doit toujoursêtre au service de la vie et se con-fronter à elle afin de continuer àprogresser. Il en résulte que la com-munauté éducative ne peut pas seréduire aux écoles et aux bibliothè-ques, mais qu’elle doit progresserconstamment vers la participation.Un tel dialogue ne peut se réaliserqu’à partir d’un épistème capabled’assumer une logique plurielle,c’est-à-dire, d’assumer l’i n t e rd i s c i p l i -narité et l’interdépendance des sa-voirs. «Dans ce sens, il est indispen-sable d’accorder une attention spé-ciale aux communautés aborigèneset à leurs traditions culturelles. Ellesne constituent pas une simple mino-rité parmi d’autres, mais elles doi-vent devenir les principaux interlo-cuteurs, surtout lorsque l’on déve-loppe les grands projets qui affectentleurs espaces» (Lett. enc. Laudatosi’, n. 146).

SUITE À LA PA G E 7

les personnes peuventse construire indivi-duellement et sociale-ment. Il semble quede nos jours le «vir-tuel» soit le nouveaupoint de rencontre, ca-ractérisé par l’instabili-té, puisque tout se vo-latilise et perd doncconsistance.

Et un tel manquede consistance pour-rait être l’une des rai-sons de la perte deconscience de l’espacepublic. Un espace quirequiert un minimumde transcendance parrapport aux intérêtsprivés (vivre plus etmieux), pour construi-re sur des fondementsqui révèlent cette di-mension très impor-tante de notre vie, àsavoir le «nous». Sanscette conscience, etsurtout sans un telsentiment et par con-

catif lui-même. Ce n’est pas tant unequestion de contenu que d’enseignerà penser et à raisonner de manièreinclusive. Ce que les classiquesavaient l’habitude de qualifier de for-ma mentis.

Et pour y parvenir, il faut déve-lopper une alphabétisation globalequi sache moduler les processus detransformation en cours au sein denos sociétés.

Ce processus d’alphabétisation exi-ge qu’on réalise de manière simulta-née l’intégration des différents langa-ges qui nous constituent comme per-sonnes. C’est-à-dire une éducation(alphabétisation) qui intègre et har-monise l’intelligence, les affections etles mains — c’est-à-dire, la tête, lecœur et l’action. Cela offrira et don-nera aux étudiants une croissancenon seulement harmonieuse au ni-veau personnel mais, en même temps,au niveau social. Il est urgent decréer des espaces où la fragmentation

séquent sans cette expérience, il estet il sera plus difficile de construirela nation; et donc il semblerait quela seule chose importante et valablesoit ce qui appartient à l’individu, etque tout ce qui se trouve hors decette sphère devienne obsolète. Uneculture de ce genre a perdu la mé-moire, elle a perdu les liens qui sou-tiennent et rendent possible la vie.Sans le «nous» d’un peuple, d’unefamille, d’une nation et, en mêmetemps, sans le nous de l’avenir, desenfants et du lendemain, sans lenous d’une cité qui transcende le«moi» et soit plus grand que les in-térêts individuels, la vie sera nonseulement toujours plus morceléemais aussi plus conflictuelle et vio-lente.

L’université, dans ce sens, a pourdéfi de créer de nouvelles dynami-ques en son sein, qui surmontenttoute fragmentation du savoir et fa-vorisent une véritable universitas.

La deuxième journée du voyage du Pape au Chili s’est conclue par une visite àl’université pontificale catholique. Mercredi 17 janvier, après avoir célébré dans lamatinée la Messe avec les populations autochtone d’Araucanía, le Pape est rentréà Santiago du Chili où il a d’abord rencontré les jeunes et a ensuite rejointl’université. Au cours de la rencontre avec des étudiants, des professeurs et desautorités du monde académique, François a répondu au salut du recteur à trave rsle discours que nous publions ci-dessous:

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numéro 4, jeudi 25 janvier 2018 L’OSSERVATORE ROMANO page 7

Combattre l’injusticeet les nouvelles formes d’exploitation

Messe sur le campus Lobito à Iquique

Rencontre à l’universitéSUITE DE LA PA G E 6

Le dernier rendez-vous public du PapeFrançois au Chili a été la Messe pourl’intégration des peuples célébrée le jeudi18 janvier sur le campus Lobitod’Iquique. Nous publions ci-dessousl’homélie prononcée par le saint-Père àcette occasion.

«Tel fut le commencement des si-gnes que Jésus accomplit. C’était àCana de Galilée» (Jn 2, 11).

Ainsi s’achève l’Evangile que nousavons écouté, et qui fait le récit del’apparition publique de Jésus: niplus ni moins lors d’une fête. Il nepouvait en être autrement, puisquel’Evangile est une constante invita-tion à la joie. Dès le début, l’Angedit à Marie: «Réjouis-toi» (Lc 1, 28).Réjouissez-vous, dit-il aux pasteurs;réjouis-toi, dit-il à Elisabeth, femmeâgée et stérile…; réjouis-toi, fit en-tendre Jésus au bon larron, car au-j o u rd ’hui tu seras avec moi au para-dis (cf. Lc 23, 43).

Le message de l’Evangile est sour-ce de joie: «Je vous ai dit cela pourque ma joie soit en vous, et que vo-tre joie soit complète» (Jn 15, 11).Une joie qui se transmet de généra-tion en génération et dont noussommes les héritiers. Parce que noussommes chrétiens.

Comme vous savez le faire, chersfrères du nord du Chili! Commevous savez vivre la foi et la vie dansun climat de fête! Je viens en pèlerincélébrer avec vous cette belle maniè-re de vivre la foi. Vos fêtes patrona-les, vos danses religieuses — qui du-rent jusqu’à une semaine —, votremusique, vos vêtements font de cet

endroit un sanctuaire de piété et despiritualité populaires. Car ce n’estpas une fête qui peut être enferméedans le temple, mais vous arrivezplutôt à parer toute la populationd’habits de fête. Vous savez célébreren chantant et en dansant «la pater-nité, la providence, la présenceamoureuse et constante de Dieu. El-le engendre des attitudes intérieuresrarement observées ailleurs au mêmedegré: patience, sens de la croixdans la vie quotidienne, détache-ment, ouverture aux autres, dévo-tion » (Paul VI, Exhort. ap. Evangelii

nuntiandi, n. 48). Les paroles duprophète Isaïe prennent vie: «Alorsle désert deviendra un verger, et leverger sera pareil à une forêt» (32,15). Cette terre, gagnée par le désertle plus sec du monde, parvient à separer pour la fête.

Dans ce climat de fête, l’Evangilenous présente l’intervention de Ma-rie pour que la joie prévale. Elle faitattention à tout ce qui se passe au-tour d’elle et, en tant que bonnemère, elle ne reste pas tranquille etainsi elle arrive à se rendre compteque pendant la fête, dans la joie par-tagée, quelque chose était en trainde se passer: il y avait quelque chosequi était sur le point de faire «pren-dre eau» à la fête. Et lorsqu’elles’approche de son Fils, les seules pa-roles que nous l’entendons pronon-cer sont: «Ils n’ont pas de vin» (Jn2, 3).

Et c’est ainsi que Marie marchedans nos villages, dans nos rues, surnos places, dans nos maisons, dansnos hôpitaux. Marie est la Vierge deTirana; la Vierge Ayquina à Calama;la Vierge de Las Peñas à Arica, quinous accompagne dans nos ennuisde famille inextricables, ceux-là mê-mes qui semblent nous étouffer lecœur, afin de s’approcher des oreil-les de Jésus et de lui dire: regarde,«ils n’ont pas de vin».

Et ensuite, elle ne se tait pas, elles’approche de ceux qui servent pourla fête et elle leur dit: «Tout ce qu’ilvous dira, faites-le» (Jn 2, 5). Marie,femme de peu de mots, mais bienconcrets, s’approche également dechacun de nous rien que pour nousdire: «Ce qu’il vous dira, faites-le».Et ainsi débute le premier miracle deJésus: faire sentir à ses amis qu’euxaussi prennent part au miracle. Carle Christ «est venu dans ce mondenon pas pour agir seul, mais avecnous — le miracle il le fait avec nous—, avec nous tous, pour être la têted’un corps dont nous sommes, nous,les cellules vivantes, libres et acti-ves » (San Alberto Hurtado, Me d i t a -ción Semana Santa para jóvenes(1946). C’est ainsi que Jésus fait lemiracle. Avec nous.

Le miracle commence quand lesserviteurs s’approchent des jarres

remplies qui étaient destinées auxablutions. De même, chacun d’e n t renous peut aussi commencer le mira-cle, mieux, chacun d’entre nous estinvité à prendre part au miraclepour les autres.

Chers frères, Iquique est une terrede rêves (c’est ce que signifie le nomen aymara); une terre ayant su hé-berger des gens de divers peuples etcultures qui ont dû quitter leurs pro-ches, s’en aller. Une démarche tou-jours fondée sur l’espérance d’obte-nir une vie meilleure, mais nous sa-vons qu’elle est toujours accompa-gnée de sacs à dos chargés de peuret d’incertitude quant à l’a v e n i r.Iquique est une zone de migrantsqui nous rappelle la grandeurd’hommes et de femmes; de famillesentières qui, face à l’adversité, ne serésignent pas et se fraient une voieen quête de vie. Ils — surtout ceuxqui ont dû quitter leur terre parcequ’ils ne disposaient pas du mini-mum nécessaire pour vivre — sontune image de la Sainte Famille qui adû traverser des déserts pour pou-voir survivre.

Cette terre est une terre de rêves,cependant faisons en sorte qu’ellecontinue d’être également une terred’hospitalité. Hospitalité festive, carnous savons bien qu’il n’y a pas dejoie chrétienne lorsque des portes seferment; il n’y a pas de joie chrétien-ne lorsqu’on fait sentir aux autresqu’ils sont de trop ou que parminous ils n’ont pas leur place (cf. Lc16, 19-31).

Comme Marie à Cana, efforçons-nous d’apprendre à être attentifs surnos places et dans nos villages et àreconnaître ceux dont la vie «prendl’eau»; qui ont perdu — ou on leur avolé — les raisons de célébrer. Ceuxqui ont le cœur triste. Et n’ayons paspeur d’élever la voix pour dire: «Ilsn’ont pas de vin». Le cri du peuplede Dieu, le cri du pauvre, sous formede prière et qui élargit le cœur etnous enseigne à être attentifs.Soyons attentifs à toutes les situa-tions d’injustice et aux nouvelles for-mes d’exploitation qui conduisentbeaucoup de nos frères à perdre lajoie de la fête. Soyons attentifs à la

La communauté éducative porteen elle d’infinies possibilités et po-tentialités quand elle se laisse enri-chir et interpeller par tous les ac-teurs qui configurent la réalité édu-cative. Cela requiert un plus grandeffort sur le plan de la qualité et del’intégration, parce que le serviceuniversitaire doit toujours viser laqualité et l’excellence mises au ser-vice de la cohabitation nationale.Nous pourrions dire que l’universi-té devient un laboratoire pourl’avenir du pays, puisqu’elle par-vient à incorporer en son sein lavie et la marche du peuple, en sur-montant toute logique antagonisteet élitiste du savoir.

Une ancienne tradition de laKabbale raconte que l’origine dumal se trouve dans la scission pro-duite par l’être humain quand il amangé de l’arbre de la science dubien et du mal. De cette manière,le savoir a acquis une primauté surla Création, en la soumettant à sesschémas et à sa volonté (cf. Ger-shom Scholem, La mystique juive,Paris 1985, p. 86). C’est peut-être làune tentation, latente dans tous lesdomaines académiques, celle de ré-duire la Création à quelques sché-mas d’interprétation, la privant duMystère propre qui a conduit desgénérations entières à chercher ce

qui juste, ce qui est bien, beau, etvrai. Et quand le professeur, par sasagesse, devient un «maître», alorsil est capable de réveiller la capaci-té d’émerveillement chez nos étu-diants. Emerveillement devant unmonde et un univers à découvrir!

A u j o u rd ’hui, la mission qui vousrevient, revêt un caractère prophé-tique. Vous êtes invités à créer desprocessus qui éclairent la cultureactuelle en proposant un humanis-me renouvelé qui évite de tomberdans les réductionnismes de toutessortes. Et cette attitude prophé-tique qui nous est demandée inciteà rechercher des lieux accessiblesde dialogue plus que de confronta-tion; des lieux de rencontre plusque de division; des chemins dedésaccord amical parce qu’on ex-prime des opinions différentes,dans le respect des personnes quimarchent dans le souci honnêted’avancer en communauté vers unecohabitation nationale renouvelée.

Et si vous le lui demandez, je nedoute pas que l’Esprit Saint guide-ra vos pas pour que cette maisoncontinue à porter du fruit pour lebien du peuple chilien et pour lagloire de Dieu.

Je vous remercie à nouveau pourcette rencontre, et, s’il vous plaît, jevous demande de ne pas oublier deprier pour moi. SUITE À LA PA G E 8

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page 8 L’OSSERVATORE ROMANO jeudi 25 janvier 2018, numéro 4

La beauté du visage multiforme des peuplesSalut au terme de la Messe

Au terme de la célébrationeucharistique, le Pape François aadressé aux fidèles un salut deconclusion que nous publions ci-dessous.

Au terme de cette célébration, jevoudrais remercier MonseigneurGuillermo Vera Soto, évêqued’Iquique, pour les aimables parolesqu’il m’a adressées au nom de sesfrères évêques et de tout le peuplede Dieu. Cela ressemble à un au re-v o i r.

Je remercie, une fois encore, Ma-dame la présidente Michelle Bache-let pour son invitation à visiter lepays. De manière spéciale, j’exprimema gratitude à tous ceux qui ontrendu possible cette visite; aux auto-rités civiles et, à travers elles, à tousles fonctionnaires qui, de façon pro-fessionnelle, ont aidé à ce que nouspuissions tous jouir de ce temps dere n c o n t re .

Merci également pour le travaildévoué et silencieux de milliers debénévoles. Plus de 20.000. Sans leurengagement et leur collaboration, lesjarres d’eau auraient manqué pourque le Seigneur fasse le miracle duvin de la joie. Merci à ceux qui, sousde nombreuses formes et de diffé-rentes manières, ont accompagné cepèlerinage surtout par leur prière. Jeconnais le sacrifice que vous avez dû

faire pour participer à nos célébra-tions et rencontres. Je l’apprécie et jevous en remercie de tout cœur. Mer-ci aux membres du comité d’o rg a n i -sation. Vous avez tous travaillé, mer-ci beaucoup.

Je continue mon pèlerinage vers lePérou. Peuple ami et frère de cettegrande patrie dont nous sommes in-vités à prendre soin et à défendre.Une patrie qui trouve sa beautédans le visage multiforme de sesp euples.

Chers frères, dans chaque Eucha-ristie, nous disons: «Regarde … lafoi de ton Eglise: pour que ta volon-té s’accomplisse, donne-lui toujourscette paix, et conduis-la vers l’unitéparfaite». Que puis-je vous souhaiterde plus au terme de ma visite, en di-sant au Seigneur: regarde la foi dece peuple, et donne-lui l’unité et lapaix.

Merci beaucoup et je vous deman-de de ne pas oublier de prier pourmoi. Et je voudrais remercier pour laprésence de beaucoup de pèlerinsdes peuples frères de Bolivie, du Pé-rou et particulièrement — ne soyezpas jaloux — pour la présence desArgentins, car l’Argentine est ma pa-trie. Merci à mes frères argentins quim’ont accompagné à Santiago, à Te-muco et ici à Iquique. Merci beau-coup.

François célèbreun mariage

à bord de l’avionpour Iquique

Dans la matinée du jeudi 18 janvier,lors du transfert en avion de Santia-go du Chili à Iquique — où il s’estrendu pour célébrer la Messe pourl'intégration des peuples — le PapeFrançois a uni en mariage CarlosCiuffardi Elorriaga et Paula PodestRuiz, de 41 et 39 ans, respective-ment assistant de vol et chef decabine de la compagnie aérienneLatam.

Le couple chilien, qui est déjà ma-rié civilement et a deux enfants,avait fixé la date du mariage reli-gieux le jour du terrible tremble-ment de terre de 2010, qui avait dé-truit l’église choisie pour la cérémo-nie.

Au cours du vol, qui a duré envi-ron deux heures, les deux membresde l’équipage ont demandé une bé-nédiction au Pape, qui leur a de-mandé à son tour s’ils étaient ma-riés. En apprenant leur histoireFrançois leur a proposé de célébrerleurs noces et, obtenant leur accord,les a confessés et interrogés sur leursintentions. A la fin, le Pape a égale-ment signé, comme célébrant, le do-cument attestant la validité du ma-riage, contre-signé par les époux etles témoins, Mgr Mauricio RuedaBeltz, organisateur de voyages pon-tificaux, et le président de Latam,M. Ignacio Cueto.

précarisation du travail qui détruitdes vies et des foyers. Soyons atten-tifs à ceux qui tirent profit de la si-tuation irrégulière de beaucoup demigrants, parce qu’ils ne connais-sent pas la langue ou n’ont pas lespapiers en «règle». Soyons attentifsau manque de toit, de terre et detravail pour de nombreuses familles.Et comme Marie, disons: Seigneur,ils n’ont pas de vin.

Comme les servants de la fê-te, apportons ce que nous avons,aussi insignifiant semble-t-il. Com-me eux, n’ayons pas peur de «don-ner un coup de main», et que notresolidarité, ainsi que notre engage-ment pour la justice, fassent partie

de la danse ou du chant que nouspouvons entonner pour notre Sei-gneur. Profitons-en aussi afin d’ap-prendre et de nous laisser impré-gner par les valeurs, la sagesse et lafoi que les migrants portent aveceux. Sans nous fermer à ces «jar-res» remplies de sagesse et d’his-toire que portent ceux qui conti-nuent d’arriver en ces contrées. Nenous privons pas de tout le bienqu’ils ont à offrir.

Et ensuite laissons Jésus acheverle miracle, en transformant noscommunautés et nos cœurs en si-gne vivant de sa présence, qui estjoyeuse et festive, car nous avonsfait l’expérience que Dieu-est-avec-nous, parce que nous avons apprisà l’héberger dans notre cœur. Joie

et fête contagieuses qui nous con-duisent à ne laisser aucune person-ne hors de l’annonce de cette Bon-ne Nouvelle; et à lui transmettretout ce qu’il y a dans notre cultured’origine, pour l’enrichir aussi detout ce qui est nôtre, de nos tradi-tions, de notre sagesse ancestrale,pour que celui qui vient trouve lasagesse et donne la sagesse. C’estcela la fête. C’est cela l’eau changéeen vin. C’est cela le miracle que faitJésus.

Que Marie, sous les différentesévocations de cette terre bénie dunord, continue de murmurer àl’oreille de son Fils Jésus: «Ils n’ontpas de vin», et qu’en nous conti-nuent de se faire chair ses paroles:«Tout ce qu’il vous dira, faites-le».

SUITE DE LA PA G E 7

Célébration sur le Campus Lobito

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numéro 4, jeudi 25 janvier 2018 L’OSSERVATORE ROMANO page 9

Rencontre avec les peuples autochtones

Défendre l’Amazonie du colonialisme idéologiquedijá, Manchineris, Kukamas, Kando-zi, Quichuas, Huitotos, Shawis,Achuar, Boras, Awajún, Wampís, en-tre autres. Je constate également quesont présentes avec nous des popula-tions provenant des Andes, venuesdans la région forestière et qui sontdevenues amazoniennes. J’ai beau-coup désiré cette rencontre. J’ai vou-lu commencer par ici la visite au Pé-rou. Merci de votre présence et denous aider à voir de plus près, dansvos visages, le reflet de cette terre.Un visage pluriel, d’une diversité in-finie et d’une énorme richesse biolo-gique, culturelle, spirituelle. Nousqui n’habitons pas ces terres, nousavons besoin de votre sagesse et de

votre connaissance pour pouvoir pé-nétrer, sans le détruire, le trésor querenferme cette région. Et les parolesdu Seigneur à Moïse résonnent:«Retire les sandales de tes pieds, carle lieu où tu te tiens est une terresainte» (Ex 3, 5).

Permettez-moi, une fois encore, dedire: Loué sois-tu Seigneur pour cet-te œuvre merveilleuse de tes peuplesamazoniens et pour toute la biodi-versité que ces terres renferment.

Ce cantique de louange s’inter-rompt quand nous écoutons etvoyons les blessures profondes queportent en eux l’Amazonie et sespeuples. Et j’ai voulu venir vous ren-dre visite et vous écouter, afin quenous soyons unis dans le cœur del’Eglise, afin de partager vos défis etde réaffirmer avec vous une optionsincère pour la défense de la vie,pour la défense de la terre et pour ladéfense des cultures.

Probablement, les peuples autoch-tones amazoniens n’ont jamais étéaussi menacés sur leurs territoiresqu’ils le sont en ce moment. L’Ama-zonie est une terre disputée sur plu-sieurs fronts: d’une part, le néo-ex-t ra c t i v i s m e et la forte pression desgrands intérêts économiques quiconvoitent le pétrole, le gaz, le bois,l’or, les monocultures agro-indus-trielles. D’autre part, la menace vi-sant ses territoires vient de la perver-sion de certaines politiques qui pro-meuvent la «conservation» de la na-ture sans tenir compte de l’être hu-main et, concrètement, de vous,frères amazoniens qui y habitez.Nous connaissons des mouvementsqui, au nom de la conservation de laforêt, accaparent de grandes superfi-cies de terre et en font un moyen denégociation, créant des situationsd’oppression des peuples autochto-nes pour lesquels, le territoire et lesressources naturelles qui s’y trouventdeviennent ainsi inaccessibles. Cetteproblématique asphyxie vos popula-tions et provoque la migration desnouvelles générations face au man-que d’alternatives locales. Nous de-vons rompre avec le paradigmehistorique qui considère l’Amazoniecomme une réserve inépuisable desEtats sans prendre en compte sesp opulations.

Je crois qu’il est indispensable defaire des efforts pour créer des ins-tances institutionnelles de respect,de reconnaissance et de dialogueavec les peuples natifs, en assumantet en sauvegardant la culture, la lan-gue, les traditions, les droits et laspiritualité qui leur sont propres. Undialogue interculturel dans lequel ilssoient «les principaux interlocuteurs,surtout lorsqu’on développe lesgrands projets qui affectent leurs es-paces» (Lett. enc. Laudato si’,n. 146). La reconnaissance et le dia-logue seront la meilleure voie pourtransformer les relations historiquesmarquées par l’exclusion et la discri-mination.

En contrepartie, il est juste de re-connaître qu’il existe des initiativesporteuses d’espérance qui naissentdans vos propres rangs et dans vosorganisations et permettent que les

SUITE À LA PA G E 10

Notre Amazonie

Chers frères et sœurs,

Le cantique de saint François:«Loué sois-tu, mon Seigneur» jailliten moi, comme en vous. Oui, louésois-tu pour l’opportunité que tunous donnes à travers cette rencon-tre! Merci à vous, Monseigneur Da-vid Martínez de Aguirre Guinea,Monsieur Héctor, Madame Yésica etMadame María Luzmila pour vos

paroles de bienvenue, et pour vos té-moignages. En vous, je voudrais re-mercier et saluer tous les habitantsde l’Amazonie.

Je vois que vous provenez des dif-férents peuples autochtones del’Amazonie: Harakbut, Esse-ejas,Matsiguenkas, Yines, Shipibos, As-háninkas, Yaneshas, Kakintes, Na-huas, Yaminahuas, Juni Kuin, Ma-

Dans la matinée du vendredi 19 janvier, le Pape a rejoint le vicariat apostoliquede Puerto Maldonado, première étape de son voyage apostolique au Pérou aprèsêtre arrivé à Lima la veille au soir, pour rencontrer les peuples de l’Am a z o n i e ,auxquels il a remis l’encyclique «Laudato si’» dans les langues locales. Nous pu-blions ci-dessous une traduction du discours prononcé par François au palais dessports Coliseo Madre de Dios.

GI O VA N N I MARIA VIAN

Dans le programme du voyage papal au Pérou, on avaitimmédiatement été frappé par le fait que le premierrendez-vous ait été la rencontre avec les peuples del’Amazonie et pas celui avec les autorités, comme c’estgénéralement le cas, mais c’est le Pape lui-même qui l’asouligné à Puerto Maldonado. Et à la porte péruviennede cette région qui est définie comme le poumon de laplanète, en raison de l’immensité et de la variété de sesressources naturelles, c’est précisément l’Amazonie, queJorge Mario Bergoglio a définie comme «nôtre», qui aen effet été le grand thème affronté par le Pape arrivédans le pays.

Terre d’espérance en raison de sa pluralité culturelle,de la présence de nombreux jeunes, de la sainteté deplusieurs figures chrétiennes, c’est toutefois le Péroutout entier qui est menacé par l’exploitation avide etinsensée de ses richesses, au détriment de l’e n v i ro n n e -ment naturel et humain. C’est pourquoi, en s’a d re s s a n taux autorités, le Pape a parlé à nouveau de l’écologieintégrale, qui est centrale dans l’encyclique Laudato si’,le grand document social du pontificat qui a eu un im-pact profond dans de nombreux milieux laïcs.

L’alarme lancée par le Pape Bergoglio a été très clai-re. La dégradation environnementale apporte en effetavec elle la dégradation morale: de la traite, qui estune «nouvelle forme d’esclavage», à la corruption, vi-rus qui infecte les peuples et les démocraties, portantpréjudice en particulier aux pauvres et à la «mère ter-re», chantée par le saint d’Assise. Et une brève repré-sentation de cette situation dramatique a été exécutéepar plusieurs jeunes sous forme de danse devant le Pa-pe ému, au cours de la visite au foyer Le Petit Prince àPuerto Maldonado, dirigé par le missionnaire suisseXavier Arbex et qui accueille des enfants sans famille.

Mère de Dieu est le nom de cette partie de terre ama-zonienne visitée pour la première fois par un Pape: ce

n’est donc pas une terre oubliée, ni une «terre orpheli-ne», s’est exclamé avec force François face à la popula-tion, même si certains veulent la transformer en une«terre anonyme, sans enfants, une terre stérile». C’est laculture du rebut si souvent condamnée par Jorge MarioBergoglio: d’une part, le «consumérisme aliénant» et del’autre, la «souffrance asphyxiante», comme celle denombreuses femmes utilisées et violées par une culturemachiste tenace; c’est l’idolâtrie de l’avarice, de l’a rg e n tet du pouvoir qui en vient à exiger des sacrifices hu-mains.

Le visage très varié de l’Amazonie a en revanche étéimmédiatement célébré par François lors de la rencon-tre émouvante avec les représentants de ses peuples,que le Pape a voulu énumérer un par un, comme ceuxvenus à Jérusalem pour la Pentecôte décrite au débutdes Actes des apôtres. Devant eux et avec eux, solennel-lement, le Pape a voulu réaffirmer «une option sincèrepour la défense de la vie, la défense de la terre et ladéfense de la culture», qui n’ont jamais été autant me-nacées. François a ainsi élevé sa voix contre l’exploita-tion sauvage, mais aussi contre «la perversion de cer-taines politiques qui promeuvent la “conservation” dela nature sans tenir compte de l’être humain». Car «ladéfense de la terre n’a pas d’autre finalité que la défe-nse de la vie», a-t-il réaffirmé avec une netteté incisive.Et en ce prologue du synode convoqué pour l’Amazo-nie, la nouvelle dénonciation du Pape des «colonialis-mes idéologiques masqués sous forme de progrès» etdes politiques de stérilisation contre les femmes quisont développées et promues par des organismes inter-nationaux, a rappelé les paroles de Laudato si’. En par-faite cohérence avec les deux encycliques, Populorump ro g re s s i o et Humanae vitae, publiées par Paul VI il y aun demi-siècle et revendiquées comme une défense dela vie par le Pape Montini dans le bilan de son pontifi-cat, quarante jours avant de mourir.

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page 10 L’OSSERVATORE ROMANO jeudi 25 janvier 2018, numéro 4

Rencontre avec les peuples d’Amazonie

peuples autochtones eux-mêmes ai-nsi que les communautés soient lesgardiens des forêts, et que les res-sources produites par la sauvegardede ces forêts reviennent comme bé-néfice à leurs familles, pour l’amélio-ration de leurs conditions de vie,pour la santé et l’éducation de leurscommunautés. Ce «bien-faire» setrouve en syntonie avec les pratiquesdu «bien-vivre» que nous décou-vrons dans la sagesse de nos peu-ples. Et permettez-moi de vous direque vraiment, pour certains, vousêtes considérés comme un obstacleou une «gêne»; en vérité, par votrevie, vous constituez un cri pourqu’on prenne conscience du modede vie qui ne parvient pas à limiterses propres coûts. Vous êtes la mé-moire vivante de la mission queDieu nous a donnée à nous tous:sauvegarder la Maison commune.

La défense de la terre n’a d’a u t refinalité que la défense de la vie.Nous savons la souffrance que cer-tains d’entre vous endurent à causedes déversements d’hydro carburesqui menacent sérieusement la vie devos familles et contaminent votre mi-lieu naturel.

Parallèlement, il existe une autreatteinte à la vie qui est causée parcette contamination environnementa-le due à l’exploitation minière illéga-le. Je me réfère à la traite des per-sonnes: la main-d’œuvre esclave oul’abus sexuel. La violence à l’encon-tre des adolescents et des femmes estun cri qui parvient au ciel. «La si-tuation de ceux qui font l’objet dediverses formes de traite des person-nes m’a toujours attristé. Je voudraisque nous écoutions le cri de Dieuqui nous demande à tous: “Où estton frère?” (Gn 4, 9). Où est tonfrère esclave? […] Ne faisons passemblant de rien. Il y a de nombreu-ses complicités [et ne regardons pasailleurs]. La question est pour toutle monde!» (Exhort. ap. EvangeliiGaudium, n. 211).

Comment ne pas se souvenir desaint Toribio lorsqu’il dénonçait, trèspeiné, au 3e Concile de Lima «quenon seulement par le passé on a cau-sé tant de tort à ces pauvres et usé àleur encontre de la force avec tantd’excès, mais qu’a u j o u rd ’hui encorebeaucoup cherchent à faire de mê-me…» (Ses. III, c. 3). Malheureuse-ment, après cinq siècles ces parolescontinuent d’être actuelles. Les paro-les prophétiques de ces hommes defoi — comme Héctor et Yésica nousl’ont rappelé —, sont le cri de cespersonnes souvent étouffées ou aux-quelles on ôte la parole. Cette pro-phétie doit demeurer dans notreEglise, qui ne se lassera jamais decrier pour les marginalisés et pourceux qui souffrent.

De cette préoccupation naît l’op-tion primordiale pour la vie des plusdémunis. Je pense aux peuples dési-gnés comme les «Peuples indigènesdans l’isolement volontaire» (PIIV).Nous savons qu’ils sont les plus vul-nérables parmi les vulnérables. Lesretards du passé les ont obligés às’isoler, y compris de leurs propresethnies; ils se sont engagés dans unehistoire de captivité dans des régionsles plus inaccessibles de la forêtpour pouvoir vivre libres. Continuez

SUITE DE LA PA G E 9 dans les universités (cf. 5e C o n f é re n -ce générale de l’épiscopat latino-amé-ricain et des Caraïbes, Documentd’Ap a re c i d a , 29 juin 2007, n. 530). Jesalue les initiatives que l’Eglise ama-zonienne péruvienne conduit pour lapromotion des peuples autochtones:écoles, résidences d’étudiants, centresde recherche et de promotion telsque le Centre culturel José Pío Aza,le CAAAP et le C E TA , des espaces uni-versitaires interculturels novateurs etimportants tels que NOPOKI, destinésexpressément à la formation des jeu-nes issus des diverses ethnies de no-tre Amazonie.

Je salue également tous ces jeunesdes peuples autochtones qui s’em-ploient à élaborer, de votre proprepoint de vue, une nouvelle anthropo-logie et œuvrent pour la relecture del’histoire de vos peuples à partir devotre perspective. Je salue ceux qui,à travers la peinture, la littérature,l’artisanat, la musique, montrent aumonde votre cosmovision et votre ri-chesse naturelle. Beaucoup ont écritet parlé de vous. Il est bon qu’à pré-sent vous vous définissiez vous-mê-mes et nous montriez votre identité.Nous avons besoin de vous écouter.

Chers frères de l’Amazonie, quede missionnaires, hommes et fem-mes, se sont dépensés pour vos peu-ples et ont défendu vos cultures! Ilsl’ont fait, en s’inspirant de l’Evangi-le. Le Christ s’est incarné aussi dansune culture, la culture juive, et àpartir d’elle, il s’est offert à nouscomme nouveauté pour tous lespeuples, de façon que chacun, à par-tir de son identité, se retrouve per-sonnellement en lui. Ne succombezpas aux essais, perceptibles, visant àdéraciner la foi catholique de vospeuples (cf. ibid., n. 531). Chaqueculture et chaque cosmovision quireçoivent l’Evangile enrichissentl’Eglise par la perception d’une nou-velle facette du visage du Christ.L’Eglise n’est pas étrangère à votresituation et à vos vies, elle ne veutpas être étrangère à votre mode devie et à votre organisation. Pournous, il est nécessaire que les peu-ples autochtones modèlent culturel-lement les Eglises locales amazo-niennes. Et à ce sujet, j’ai été trèsheureux d’entendre un diacre perma-nent de votre communauté lire l’undes extraits de Laudato si’. Aidez vosévêques, aidez vos missionnaires,afin qu’ils se fassent l’un d’e n t revous, et ainsi en dialoguant ensem-ble, vous pourrez façonner une Egli-se avec un visage amazonien et uneEglise avec un visage autochtone.C’est dans cet esprit que j’ai con-voqué, pour l’année 2019, le synodepour l’Amazonie dont la premièreréunion, en guise de conseil pré-sy-nodal, se tiendra ici, aujourd’hui, cetaprès-midi.

Je fais confiance à la capacitéd’adaptation des peuples et à leurcapacité de réaction face aux situa-tions difficiles à affronter. Cela, ilsl’ont démontré lors des différentescrises dans l’histoire, par leurs ap-ports, par leur vision spécifique desrelations humaines, par leur environ-nement et par le témoignage de lafoi.

Je prie pour vous et pour votrepays béni par Dieu, et je vous de-mande, s’il vous plaît, de ne pas ou-blier de prier pour moi.

à défendre ces frères les plus vulné-rables. Leur présence nous rappelleque nous ne pouvons pas disposerdes biens communs au rythme del’avidité et de la consommation. Ilfaut des limites qui nous aident ànous prémunir contre toute volontéde destruction massive de l’habitatqui nous conditionne.

La reconnaissance de ces peuples— qui ne peuvent jamais être consi-dérés comme une minorité, maiscomme d’authentiques interlocuteurs— et de tous les peuples autochtonesnous rappelle que nous ne sommespas les propriétaires absolus de lacréation. Il est urgent de prendre encompte la contribution essentiellequ’ils apportent à la société tout en-tière, de ne pas faire de leurs culturesl’idéal d’un état naturel ni non plusune espèce de musée d’un genre devie d’antan. Leur cosmovision, leursagesse ont beaucoup à nous ensei-gner, à nous qui n’appartenons pas àleur culture. Tous les efforts quenous déploierons pour améliorer lavie des peuples amazoniens seronttoujours insuffisants. Les nouvellesqui parviennent concernant la diffu-sion de certaines maladies sontpréoccupantes. Le silence effraie, caril tue. Par le silence, nous n’enga-geons pas les actions visant la pré-vention, surtout des adolescents etdes jeunes, ni ne prenons soin desmalades, les condamnant à l’exclu-sion la plus cruelle. Nous deman-dons aux Etats d’élaborer des politi-ques de santé interculturelle quiprennent en compte la réalité et lacosmovision des peuples, en pro-mouvant des professionnels issus deleur propre ethnie qui sachent affron-ter la maladie à partir de leur cosmo-vision. Et comme je l’ai affirmé dansLaudato si’, encore une fois, il fauthausser la voix contre la pression quedes organismes internationaux exer-cent sur certains pays pour qu’ilspromeuvent des politiques de repro-duction visant à la stérilisation. Cespolitiques visent de manière plus in-cisive les populations aborigènes.Nous savons qu’on continue d’y pro-mouvoir la stérilisation des femmes,à certaines occasions, à leur insu.

La culture de nos peuples est si-gne de vie. L’Amazonie, outre qu’el-le constitue une réserve de biodiver-sité, est également une réserve cultu-relle que nous devons sauvegarderface aux nouveaux colonialismes. Lafamille est — comme l’a dit l’und’entre vous — et a toujours été l’ins-titution sociale qui a contribué leplus à maintenir vivantes nos cultu-res. Aux moments de crise par lepassé, face aux différents impérialis-mes, la famille des peuples autoch-tones a été le meilleur rempart de lavie. Un effort spécial nous est de-mandé pour ne pas nous laisser at-traper par les colonialismes idéologi-ques sous le couvert de progrès quiimprègnent peu à peu en dissipantles identités culturelles et en établis-sant une pensée uniforme, unique…et fragile. Ecoutez les personnesâgées, s’il vous plaît! Elles ont unesagesse qui vous met en contact avecce qui est transcendant et vous faitdécouvrir l’essentiel de la vie. N’ou-blions pas que «la disparition d’uneculture peut être aussi grave ou plusgrave que la disparition d’une espèceanimale ou végétale» (Lett. enc.Laudato si’, n. 145). Et la seule ma-nière pour les cultures de ne pas seperdre, c’est d’être dynamiques, tou-jours en mouvement. Ce que Yésicaet Héctor nous ont dit est si impor-tant: «Nous voulons que nos enfantsétudient, mais nous ne voulons pasque l’école efface nos traditions, noslangues; nous ne voulons pas oublierla sagesse héritée de nos ancêtres»!

L’éducation nous aide à construiredes ponts et à créer une culture derencontre. L’école et l’éducation despeuples autochtones doivent êtreune priorité et un devoir pour l’Etat;devoir d’intégration et inculturé quiassume, respecte et prend en comp-te, en tant qu’un bien de la nationtout entière, la sagesse héritée de vosancêtres; et c’est en ces termes quenous en parlait María Luzmila.

Je demande à mes frères évêques,comme on le fait déjà y comprisdans les régions les plus reculées dela forêt, de continuer à promouvoirdes espaces d’éducation interculturel-le et bilingue dans les écoles et dansles instituts pédagogiques ainsi que

Neuf autochtones de l’Amazonie ont déjeuné avec le Pape, vendredi 19janvier, au centre pastoral Apaktone à Puerto Maldonado. A table avecFrançois étaient présents, outre le vicaire apostolique, Mgr David Mar-tínez de Aguirre Guinea, les neufs représentants des peuples amazo-niens appartenant aux tribus Matsiguenka, Asháninka, Shipibo, Awa-jun, Junikuin et Harakbut.

A déjeuner avec François

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numéro 4, jeudi 25 janvier 2018 L’OSSERVATORE ROMANO page 11

Salut à la population à Porto Maldonado

On ne peut pas accepter la violence contre les femmesLa deuxième étape du Pape àPuerto Maldonado, dans la matinéedu vendredi 19 janvier, a eu lieu surle terrain de l’Institut Jorge Basadrepour rencontrer la population locale.Nous publions ci-dessous le discoursprononcé à cette occasion:

Chers frères et sœurs,Je vois que vous êtes venus nonseulement des endroits reculés decette Amazonie péruvienne, maisaussi des Andes et d’autres paysvoisins. Quelle belle image del’Eglise qui ne connaît pas defrontières et dans laquelle tous lespeuples peuvent trouver place!Comme nous avons besoin de cesmoments où nous pouvons nousretrouver et, au-delà de la prove-nance, nous encourager à créerune culture de rencontre qui nousrenouvelle dans l’esp érance.

Merci à Mgr David, pour sesparoles de bienvenue. Merci à Ar-turo et à Margarita de partageravec nous tous leurs expériences.Ils nous disaient: «Vous nous visi-tez sur cette terre, si oubliée, bles-sée et marginalisée… mais noussommes la terre de personne».Merci de le dire: nous ne sommesla terre de personne. Et c’est quel-que chose qu’il faut dire avec for-ce: vous n’êtes la terre de person-ne. Cette terre a des noms, elle ades visages: elle vous a, vous.

Cette région est désignée par cetrès beau nom: Mère de Dieu. Jene peux m’empêcher de me référerà Marie, jeune fille qui vivait dansun village éloigné, perdu, considé-ré également par beaucoup com-me une «terre qui n’appartenait àpersonne». C’est là qu’elle a reçula salutation la plus grande dontune personne puisse faire l’exp é-rience: être Mère de Dieu; il y ades joies que seuls les tout-petitspeuvent sentir: «Père, Seigneur duciel et de la terre, je proclame talouange, ce que tu as caché auxsages et aux savants, tu l’as révéléaux tout-petits» (Mt 11, 25).

Vous avez en Marie, non seule-ment un témoin à regarder, maisaussi une Mère et là où il y a unemère, il n’y a pas ce mal terriblede sentir que nous n’appartenonsà personne, ce sentiment qui naîtquand commence à disparaître lacertitude que nous appartenons àune famille, à un peuple, à uneterre, à notre Dieu. Chers frères, lapremière chose que je voudraisvous dire — et je voudrais le faireavec force —, c’est que cette terren’est pas orpheline, c’est la terrede la Mère! Et s’il y a une mère, ily a des enfants, il y a une familleet il y a une communauté. Et làoù il y a une mère, une famille etune communauté, les problèmespeuvent ne pas disparaître, mais ilest certain qu’on trouve la force deles affronter d’une manière diffé-re n t e .

Il est regrettable de constatercomment certains veulent éteindrecette certitude et transformer «Mè-re de Dieu» en une terre anonyme,sans enfants, une terre stérile. Uneterre facile à vendre et à exploiter.

Mais il nous faut répéter dans nosmaisons, dans nos communautés etau plus profond du cœur de cha-cun: cette terre n’est pas orpheline!Elle a une Mère! Cette bonne nou-velle se transmet de génération engénération grâce à l’effort de nom-breuses personnes qui partagent cecadeau de savoir que nous sommesenfants de Dieu; et cette bonnenouvelle nous aide à reconnaîtrel’autre comme un frère.

A maintes occasions, je me suisréféré à la culture du rejet. Uneculture qui ne se contente pas sim-plement d’exclure, comme nous ysommes habitués, mais qui pro-gresse en faisant taire, en ignorantet en écartant tout ce qui ne sertpas ses intérêts; il semblerait que leconsumérisme asservissant de cer-tains ne parvienne pas à percevoirl’ampleur de la souffrance qui

voit qu’il y a une prise de con-science. Mais en réalité nous de-vrions parler d’esclavage: esclavagedu travail, esclavage sexuel, escla-vage du profit. Il est regrettablede constater à quel point sur cetteterre, qui est sous la protection dela Mère de Dieu, de nombreusesfemmes sont dévalorisées, mépri-sées et exposées à d’innombrablesviolences. Nous ne pouvons pas«naturaliser» la violence, la consi-dérer comme quelque chose de na-turel. Non, on ne «naturalise» pasla violence à l’encontre des fem-mes, en entretenant une culturemachiste qui ne prend pas encompte le rôle important de lafemme dans nos communautés. Ilne nous est pas permis de regarderde l’autre côté, chers frères, et depermettre que tant de femmes,

tour de la personne de Jésus.Avec la prière sincère et la ren-contre avec le Christ fondée surl’espérance, nous pourrons parve-nir à la conversion qui nous fassedécouvrir la vraie vie. Jésus nousa promis la vraie vie, la vie au-thentique, la vie éternelle. Pasune vie fictive, comme les faussespromesses éblouissantes qui, pro-mettant la vie, nous conduisentfinalement à la mort.

Chers frères et sœurs, le salutn’est pas générique, il n’est pasabstrait. Notre Père regarde lespersonnes concrètes, avec leurs vi-sages et leurs histoires concrètes.Toutes les communautés chrétien-nes doivent être le reflet de ce re-gard de Dieu, de cette présencequi crée des liens, qui crée une fa-mille et une communauté. Descommunautés, où chacun se sent

asphyxie d’autres. C’est une cultu-re anonyme, sans liens et sans visa-ges, la culture de marginalisation.C’est une culture sans mère qui neveut que consommer. Et la terre esttraitée dans cette logique. Les fo-rêts, les fleuves et les ravins sontusés, utilisés jusqu’à la dernièreressource et ensuite abandonnés,inoccupés et inutiles. Les person-nes sont aussi traitées dans cettelogique: elles sont exploitées ju-squ’à l’épuisement et ensuite aban-données comme «inutiles». C’est laculture de marginalisation; on mar-ginalise les jeunes, on marginaliseles personnes âgées. En circulantun peu, lorsque j’ai fait un tour,j’ai vu une grand-mère de 97 ans.Allons-nous marginaliser la grand-mère? Qu’en pensez-vous? Non,parce que la grand-mère est la sa-gesse d’un peuple. Des applaudis-sements pour la grand-mère de 97ans!

En pensant à ces choses, per-mettez-moi de m’arrêter sur unthème douloureux. Nous avonscoutume d’employer le terme«traite des personnes». En arri-vant à Puerto Maldonado, à l’aé-roport, j’ai vu une affiche qui apositivement attiré mon attention:«Faites attention à la traite». On

surtout adolescentes, soient «bafo-uées» dans leur dignité.

De nombreuses personnes ontémigré vers l’Amazonie en cher-chant un toit, une terre et un tra-vail. Elles y sont venues, en quêted’un avenir meilleur pour elles-mêmes et pour leurs familles. Ellesont abandonné leurs vies humbles,pauvres mais dignes. Beaucoupd’entre elles, avec la promesse quecertains travaux mettraient fin àleurs situations précaires, se sontlaissées attirer par l’éclat promet-teur de l’exploitation de l’or. Maisn’oublions pas que l’or peut deve-nir un faux dieu qui exige des sa-crifices humains.

Les faux dieux, les idoles del’avarice, de l’argent, du pouvoircorrompent tout. Ils corrompentla personne et les institutions; ilsdétruisent les forêts également.Jésus disait qu’il y a des démonsqui, pour être expulsés, exigentbeaucoup de prière. En voilà un!Je vous encourage à continuer devous organiser en mouvements eten communautés de tout genrepour aider à surmonter ces situa-tions; et également pour que,dans une optique de foi, vousvous organisiez comme des com-munautés ecclésiales de vie au-

partie prenante, se sent appelé parson nom et encouragé à être arti-san d’une vie pour les autres, sontune manière de rendre visible leRoyaume des cieux.

Je fonde mon espoir sur vous;par ailleurs, en circulant, j’ai vu denombreux jeunes; et là où il y ades jeunes, il y a de l’esp érance,merci! Je fonde mon espoir survous, sur le cœur de tant de per-sonnes qui désirent une vie bénie.Elles sont venues la chercher ici,auprès de l’un des déploiementsde vie les plus exubérants de laplanète. Aimez cette terre, en lasentant vôtre. Sentez-la, écoutez-la, émerveillez-vous-en! Tombezamoureux de cette terre Mère deDieu, engagez-vous et sauvegar-dez-la, défendez-la! Ne l’utilisezpas comme un simple objet jeta-ble, mais comme un vrai trésordont il faut jouir, à faire prospéreret à transmettre à vos enfants.

Nous nous recommandons àMarie, Mère de Dieu et notreMère; nous nous mettons sous saprotection. Et s’il vous plaît, n’ou-bliez pas de prier pour moi; et jevous invite tous à prier la Mère deD ieu.

Je vous salue, Marie…

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page 12 L’OSSERVATORE ROMANO jeudi 25 janvier 2018, numéro 4

La corruption infecte toutRencontre avec les autorités civiles

Au terme de la rencontre au palais du gouvernement, le Papea rejoint la proche église San Pedro, où, dans la sacristie, il

a rencontré un groupe de confrères de la Compagnie de Jésus.Il a laissé en don une croix d’argent qui représente à

l’intérieur les diverses stations de la Via crucis et au centredes deux bras la réusrrection du Christ. Enfin, de retour à la

nonciature, le Pape a trouvé des milliers de personnes quil’attendaient sur la place. Après s’être longuement entretenuavec elles, une fois à l’intérieur, il s’est présenté à la fenêtre

pour saluer. Puis, après avoir remercié la foule, il a récité unJe vous salue Marie et a donné sa bénédiction. La même

chose avait eu lieu le soir précédent, jeudi 18, peu après sonarrivée à Lima.

portantes, mais aussi ladisparition de relationsvitales qui finissent paraltérer tout l’écosystè-me (cf. ibid., n. 32).

Dans ce contexte,«unis pour défendrel’espérance» signifiesoutenir et développerune écologie intégralecomme alternative à«un modèle de déve-loppement déjà dépas-sé mais qui continue àengendrer de la dégra-

Monsieur le président,membres du gouvernement etdu corps diplomatiquedistinguées autorités,représentants de la société civile,vous tous, Mesdames, Messieurs,Arrivant dans cette demeure his-torique, je rends grâce à Dieupour l’occasion qu’il m’a donnéede fouler, une fois de plus, le solpéruvien. Je voudrais que mesparoles soient des mots de salu-tation et de gratitude à l’a d re s s ede chacun des fils et des fillesde ce peuple qui a su mainteniret enrichir sa sagesse ancestraleau cours du temps, et c’est, sansl’ombre d’un doute, l’un de sespatrimoines importants.

Merci, Monsieur Pedro PabloKuczynski, président de la na-tion, pour votre invitation à visi-ter le pays et pour les paroles debienvenue que vous m’avezadressées au nom de tout lep euple.

Je viens au Pérou avec la de-vise «Unis pour l’esp érance».Permettez-moi de vous dire quevoir cette terre est, en soi, unmotif d’esp érance.

Une partie de votre territoireest composée par l’Amazonie,que j’ai visitée ce matin et quiconstitue dans sa globalité laplus grande forêt tropicale et lebassin fluvial le plus étendu dela planète. Ce «poumon», com-me on a voulu l’appeler, estl’une des plus grandes zones debiodiversité du monde puisqu’ilhéberge les espèces les plus va-riées.

Vous possédez une très richepluralité culturelle toujours plusen interconnexion, qui constituel’âme de ce peuple. Une âmemarquée par des valeurs ances-trales tels que l’hospitalité, laconsidération pour l’autre, le res-pect et la gratitude envers la mè-re terre et la créativité en ce quiconcerne le nouvel esprit d’e n t re -prise, ainsi que par la responsa-bilité communautaire pour le dé-veloppement de tous, qui se dé-cline en une solidarité souventmanifestée face aux diverses ca-tastrophes qui ont été vécues.

A ce sujet, je voudrais attirerl’attention sur les jeunes; ils sontle don le plus vital que cette so-ciété possède. Avec leur dyna-misme et leur enthousiasme, ilspromettent et invitent à rêver unavenir rempli d’espérance quinaît de la rencontre entre la plushaute sagesse ancestrale et le re-gard nouveau que donne la jeu-nesse.

Je me réjouis aussi d’un faithistorique: savoir que dans cepays l’espérance a un visage desainteté. Le Pérou a engendrédes saints qui ont ouvert deschemins de foi pour tout le con-tinent américain. Et pour n’ennommer qu’un seul, Martin dePorres, fils de deux paysans, amontré la force et la richesse quijaillissent chez les personnesquand elles s’affermissent dansl’amour. Et je pourrais allongercette liste matérielle et immaté-rielle des raisons d’avoir de l’es-pérance. Le Pérou est une terred’espérance qui invite et quiprésente des défis pour l’unitéde tout son peuple. Ce peuple ala responsabilité de se garderuni précisément, entre autres,pour défendre tous ces motifsd’esp érance.

Sur cette espérance une om-bre se profile, une menace pla-ne. «Jamais l’humanité n’a euautant de pouvoir sur elle-mêmeet rien ne garantit qu’elle s’enservira toujours bien, surtout sil’on considère la manière dontelle est en train de l’utiliser», di-sais-je dans la lettre encycliqueLaudato si’ (Lettre enc. Laudatosi’, n. 104). Cela se manifesteclairement dans la manière aveclaquelle nous sommes en train dedépouiller la terre de ses ressour-ces naturelles sans lesquelles au-cune forme de vie n’est possible.La disparition des savanes et desforêts implique non seulement ladisparition d’espèces qui pour-raient même signifier à l’avenirdes ressources extrêmement im-

dation humaine, sociale et envi-ronnementale» (Message Urbi etOrbi, Noël 2017). Et cela exiged’écouter, de reconnaître et derespecter les personnes et lespopulations locales comme desinterlocuteurs valables. Ellesmaintiennent un lien direct avecla terre, elles connaissent sestemps ainsi que ses processus etconnaissent, par conséquent, leseffets catastrophiques qu’aunom du développement provo-quent de nombreux projets. Ettout le tissu vital qui constituela nation se détériore. La dégra-dation de l’environnement, hé-las, ne peut être séparée de ladégradation morale de nos com-munautés. Nous ne pouvons pasles penser comme deux ques-tions distinctes.

Par exemple, l’exploitation mi-nière clandestine est devenue undanger qui détruit la vie des per-sonnes; les forêts et les rivièressont dévastées en même tempsque toute la richesse qu’ils pos-sèdent. Ce processus de dégrada-tion implique et promeut des or-ganisations, à l’extérieur desstructures légales, qui dégradentbeaucoup de nos frères en lessoumettant à la traite — nouvelleforme d’esclavage —, au travailinformel, à la délinquance… et àd’autres maux qui affectent gra-vement leur dignité, et en mêmetemps, celle de la nation.

Travailler unis pour défendrel’espérance exige d’être très at-tentifs à cette autre forme —souvent subtile — de dégrada-tion environnementale qui con-

tamine progressivement tout letissu vital: la corruption. Que demal ne fait pas à nos peuples la-tino-américains, et aux démocra-ties de ce continent béni, ce «vi-rus» social, un phénomène quiinfecte tout, les pauvres et lamère terre étant les plus lésés.Tout ce qu’on peut faire pourlutter contre ce fléau social mé-rite le plus grand des soutiens etdes aides… et cette lutte nousengage tous. «Unis pour défen-dre l’espérance», implique uneplus grande culture de la trans-parence entre les entités publi-ques, le secteur privé et la socié-té civile, et je n’exclus pas lesorganisations d’Eglise. Personnene peut rester étranger à ce pro-cessus; la corruption peut êtreévitée et exige l’engagement detous.

Ceux qui ont une charge deresponsabilité, dans quelque do-maine que ce soit, je les encoura-ge et je les exhorte à s’engageren ce sens pour donner à votrepeuple et à votre terre la sécuritéqui naît du sentiment que le Pé-rou est un lieu d’espérance etd’opp ortunité… mais pour tous,non pour quelques-uns, afin quetout Péruvien, toute Péruvienne,puisse sentir que ce pays est lesien, pas celui d’autrui, un paysoù il peut établir des relationsde fraternité et d’équité avec sonprochain et aider l’autre quand ilen a besoin, une terre où il peutréaliser son avenir. Et ainsi for-ger un Pérou qui a de la placepour «tous les sangs» (José Ma-ría Arguedas, Todas las sangres,Buenos Aires, 1964), où peut se

réaliser «la promessede la vie péruvienne»(Jorge Basadre, La pro-mesa de la vida perua-na, Lima, 1958).

Je voudrais renouve-ler avec vous l’engage-ment de l’Eglise catho-lique qui a accompa-gné la vie de cette na-tion, dans cette œu v recommune consistant àcontinuer à travaillerafin que le Pérou de-meure une terre d’es-p érance.

Que Sainte Rose deLima intercède pourchacun de vous et pourcette nation bénie.

Merci beaucoup.

Dans l’après-midi du 19 janvier, le Pape est revenu à Lima pourrencontrer les autorités civiles dans la cour du palais du gouvernementde la capitale. A cette occasion, il a prononcé le discours suivant:

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numéro 4, jeudi 25 janvier 2018 L’OSSERVATORE ROMANO page 13

Visite au foyer pour enfants «Le petit prince»

Le monde a besoin de voustels que vous êtes réellement

La violence et l’insécuritédévastent comme des tempêtes

Messe sur l’esplanade de Huanchaco

SUITE À LA PA G E 14

En fin de matinée du vendredi 19janvier, le Pape s’est rendu au foyer«Le petit prince», qui accueille desmineurs orphelins. Après des chants etdes chorégraphies exécutées par lesenfants et le témoignage d’une jeune fillequi a grandi dans la structure, Françoisa prononcé le discours suivant.

Chers frères et sœurs,Chers enfants,Merci beaucoup pour ce bel ac-

cueil et pour vos paroles de bienve-nue. Vous voir chanter, vous voir da-nser me comble de joie. Merci!

Quand on m’a dit qu’il existait ceFoyer Le petit prince et la FondationApronia, j’ai senti que je ne pouvaispas repartir de Porto Maldonadosans vous saluer. Vous avez vouluvenir de différentes maisons d’ac-cueil au Foyer Le petit prince. Mercipour les efforts que vous avez faitspour être ici aujourd’hui.

Nous venons de célébrer la nativi-té. Nous avons eu le cœur ému par lareprésentation de l’Enfant Jésus.C’est lui notre trésor, et vous, les en-fants, vous êtes le reflet, et vous êtesaussi notre trésor, le trésor de noustous, le trésor le plus beau que nousdevions protéger. Pardonnez les foisoù, nous les plus grands, nous ne lefaisons pas, ou bien nous ne vousdonnons pas l’importance que vousméritez. Quand vous serez grands, ne

l’oubliez pas. Vos regards, vos viesexigent toujours un plus grand enga-gement et du travail de notre partpour que nous ne devenions pasaveugles ou indifférents face à tantd’autres enfants qui souffrent et sontdans le besoin. Vous êtes, sans l’om-bre d’un doute, le trésor le plus pré-cieux que nous devions protéger.

Chers enfants du Foyer Le petitprince, et vous les jeunes des autresmaisons d’accueil. Certains d’e n t revous sont parfois tristes la nuit, le pa-pa ou la maman qui ne sont pas làvous manquent, et je sais aussi qu’il ya des blessures qui vous fontbeaucoup souffrir. Dirsey, tu as étécourageuse et tu nous as fait part decela. Et tu me disais: «Que mon mes-sage soit un message d’esp érance».Mais laisse-moi te dire quelque cho-se: ta vie, tes paroles, et celle de voustous sont une lumière d’espérance. Jevoudrais vous remercier pour votretémoignage. Merci d’être lumièred’espérance pour nous tous.

Je suis heureux de voir que vousavez un foyer où vous êtes accueillis,où, avec tendresse et amitié, on vousaide à découvrir que Dieu vous tendles mains et qu’il sème des rêvesdans vos cœurs. Cela est beau!

Quel beau témoignage que le vô-tre, vous les jeunes qui êtes passéspar ce chemin, qui avez rempli hier

soin de modèles à suivre, les enfantsont besoin de regarder de l’avant etde trouver des modèles positifs: «Jeveux être comme lui, je veux êtrecomme elle», entendent-ils et disent-ils. Tout ce que vous les jeunes pou-vez faire, comme venir jouer aveceux, passer du temps avec eux, estimportant. Soyez pour eux commedisait le petit prince: les petites étoilesqui éclairent dans la nuit (cf. Antoinede Saint-Exupéry, X X I V; XXVI).

Certains d’entre vous, jeunes quinous accompagnez, viennent descommunautés autochtones. Avectristesse vous voyez la destructiondes forêts. Vos grands-parents vousont enseigné à les découvrir; ils ytrouvaient leur nourriture et les mé-dicaments qui les soignaient — vousvenez de bien le mettre en scène ici

—. Elles sont aujourd’hui dévastéespar le vertige d’un progrès mal com-pris. Les rivières qui vous ont vus jo-uer et qui vous ont offert de la nour-riture sont aujourd’hui boueuses,polluées, mortes. Jeunes, ne vous ré-signez pas face à ce qui est en trainde se passer. Ne renoncez pas à l’hé-ritage de vos grands-parents, à votrevie ni à vos rêves. J’aimerais vousencourager à étudier, à vous prépa-rer; préparez-vous, saisissez l’o cca-sion que vous avez de vous former,cette occasion qui vous est offertepar la Fondation Apronia. Le mondea besoin de vous, jeunes des peuplesautochtones, et il a besoin de vousnon pas déguisés mais tels que vousêtes. Pas déguisés en citoyens d’un

Dans la matinée du samedi 20 janvier, venant deLima, le Pape s’est rendu en avion dans l’a rc h i d i o c è s ede Trujillo, sur la côte nord du pays. La premièreétape a été Huanchaco, une ville historique riche desites archéologiques liés à la culture inca et localitébalnéaire renommée du Pérou. Arrivé sur l’esplanadeface à l’océan, le Pape est longuement passé à traversla foule en papamobile, puis il a présidé la Messe enl’honneur de la Sainte Vierge, «porte du ciel». Nouspublions ci-dessous l’homélie prononcée à cette occa-sion.

Cette terre a un goût d’Evangile. Tout l’e n v i ro n -nement avec cette immense mer en arrière-fondnous aide à mieux comprendre l’expérience queles apôtres ont eue avec Jésus et que nous aussi,a u j o u rd ’hui, nous sommes invités à vivre. Je meréjouis de savoir que vous êtes venus de différentsendroits du nord du Pérou pour célébrer cettejoie de l’Evangile.

Les disciples d’hier, comme beaucoup parmivous aujourd’hui, gagnaient leur vie par la pêche.Ils utilisaient des barques comme certains d’e n t revous continuent à le faire, avec les «embarcationsde roseaux» [petits chevaux de roseaux] et, dans lemême but, aussi bien pour eux que pour vous: ga-gner le pain de chaque jour. Voilà l’enjeu de laplupart de nos peines quotidiennes: pouvoir faireprogresser nos familles et leur donner ce qui les ai-dera à construire un avenir meilleur.

Cette «lagune aux poissons dorés», comme ona voulu l’appeler, a été une source de vie et debénédiction pour de nombreuses générations. Ellea su nourrir les rêves et les espérances au fil dutemps.

Vous, comme les apôtres, vous connaissez laviolence de la nature et vous avez subi ses coups.Tout comme ils ont affronté la tempête sur lamer, vous avez été frappés par le terrible phéno-mène «El Niño de la côte», dont les conséquen-ces douloureuses durent encore dans de nombreu-ses familles, en particulier dans les familles quin’ont toujours pas pu reconstruire leurs maisons.C’est également pour cette raison que j’ai vouluêtre ici et prier avec vous.

En cette Eucharistie, nous nous souvenons éga-lement de ce moment si difficile qui interpelle etbien des fois fait douter notre foi. Nous voulonsnous unir à Jésus. Il connaît la souffrance et lesépreuves; il a traversé toutes les souffrances pourpouvoir nous accompagner dans les nôtres. Jésussur la croix veut être proche de chaque situationdouloureuse pour nous donner la main et nousaider à nous relever. Car il est entré dans notrehistoire, il a voulu partager notre chemin et tou-

cher nos plaies. Nous n’avons pas un Dieu in-sensible à ce que nous éprouvons et à ce que noussouffrons, au contraire, au cœur de la souffranceil nous donne la main.

Ces chocs interpellent et mettent en jeu la va-leur de notre esprit et de nos attitudes les plusélémentaires. Ainsi nous voyons combien il estimportant de ne pas être seuls mais unis, d’être ri-ches de cette union qui est le fruit de l’EspritSaint.

Qu’est-ce qui est arrivé aux jeunes filles del’Evangile que nous venons d’entendre? Soudain,elles entendent un cri qui les réveille et les met enmouvement. Certaines se sont rendu comptequ’elles n’avaient pas l’huile nécessaire pour éclai-rer le chemin dans l’obscurité; les autres, en re-vanche, ont rempli leurs lampes et ont pu trouveret éclairer le chemin qui les conduisait versl’époux. Au moment opportun, chacune a montréavec quoi elle avait rempli sa vie.

Il en va de même pour nous. Dans des circons-tances déterminées, nous prenons conscience dece avec quoi nous avons rempli notre vie. Commeil est important de remplir nos vies avec cette hui-le qui permet d’alimenter nos lampes dans les di-vers moments d’obscurité et de trouver les che-mins pour aller de l’avant!

Je sais que, dans l’obscurité, quand elles ontsubi le choc du «Niño», ces populations ont suse mettre en mouvement et elles avaient l’huilepour accourir et s’entraider comme de vrais frères.Il y avait l’huile de la solidarité, de la générositéqui vous a mis en mouvement et vous êtes allés à

votre cœur d’amourdans cette maison, etqui aujourd’hui avezpu construire votreavenir! Vous êtes pournous tous le signe desimmenses potentialitésque possède chaquepersonne. Pour ces en-fants, vous êtes lemeilleur exemple à sui-vre, l’espérance qu’euxaussi pourront le faire.Nous avons tous be-

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ce cas, il est encore temps pour sau-ver, car Jésus est venu pour cela,pour sauver, et s’il nous a appelés,c’est pour sauver.

J’aime souligner que notre foi, no-tre vocation font mémoire; c’est unedimension deutéronomique de la vie.Elles font mémoire, car elles saventreconnaître que ni la vie, ni la foi, nil’Eglise n’ont commencé par la nais-sance de qui que ce soit parmi nous:la mémoire regarde le passé pourtrouver la sève qui a irrigué durantdes siècles le cœur des disciples, etainsi elle reconnaît le passage deDieu dans la vie de son peuple. Mé-moire de la promesse qu’il a faite ànos pères et qui, lorsqu’elle continued’être vivante parmi nous, est causede notre joie et nous fait chanter:«Quelles merveilles le Seigneur fitpour nous, nous étions en grande fê-te» (Ps 125, 3).

Je voudrais échanger avec voussur quelques vertus, ou quelquesidées, si vous voulez, de ce fait degarder mémoire. Quand je dis «jevoudrais qu’un évêque, qu’un prêtre,une religieuse, un séminariste garde

mémoire», qu’est-ce que je veux di-re? Et c’est de cela que j’entendsvous entretenir.

1. Une dimension, c’est la joieconsciente d’elle-même. Il ne fautpas manquer d’avoir conscience desoi-même, non! Il faut savoir ce quise passe, mais avoir une joyeuse co-nscience de soi.

L’Evangile que nous avons écouté(cf. Jn 1, 35-42), nous le lisons nor-malement en utilisant la grille de lavocation et ainsi nous nous concen-trons sur la rencontre des disciplesavec Jésus. Mais je voudrais,d’abord regarder Jean-Baptiste. Ilétait accompagné de deux de sesdisciples et en voyant Jésus passer, illeur dit: «Voici l’Agneau de Dieu »(Jn 1, 36); en entendant cela, ques’est-il passé? Ils ont quitté Jean etils sont partis avec l’autre (cf. v. 37).C’est surprenant; ils avaient fréquen-té Jean, ils savaient qu’il était unhomme bon, mieux, le plus grandparmi ceux qui sont nés d’une fem-me, comme Jésus le qualifie (cf. Mt

Rencontre avec les prêtres, les religieux et les séminaristes

Laissez rêver les personnes âgéesvous aurez de jeunes prophètes

SUITE À LA PA G E 15

Messe sur l’esplanade de Huanchaco

la rencontre du Seigneur par d’in-nombrables gestes concrets d’aide.En pleine obscurité, avec beaucoupd’autres, vous avez été des ciergesvivants qui ont éclairé le chemin grâ-ce à des mains ouvertes et disponi-bles pour atténuer la souffrance etpartager ce que vous aviez dans leurp a u v re t é .

Dans la lecture de l’Evangile,nous pouvons observer comment lesjeunes filles qui n’ont pas d’huilesont parties au village pour en ache-ter. A ce moment crucial de leur vie,elles se sont rendu compte que leurslampes étaient vides, qu’il leur man-quait l’essentiel pour trouver le che-min de la joie authentique. Ellesétaient seules et elles sont restéesainsi, seules, privées de la fête. Il y ades choses, comme vous le savez,qui ne s’improvisent pas et qui, en-core moins, ne s’achètent pas. L’âmed’une communauté se juge à la ma-nière dont elle parvient à s’unir pourfaire face aux moments difficiles, àl’adversité, pour maintenir vivantel’espérance. Par cette attitude, vousdonnez le meilleur témoignage évan-gélique. Le Seigneur nous dit: «Aceci tous reconnaîtront que vous êtesmes disciples: si vous avez del’amour les uns pour les autres» (Jn13, 35). Parce que la foi nous ouvre àun amour concret, non d’idées, con-

cret, fait d’œuvres, de mains ten-dues, de compassion; un amour quisache construire et reconstruire l’es-pérance quand tout semble perdu.Ainsi, nous devenons participants del’action divine, telle que nous la pré-sente l’apôtre Jean quand il nousmontre que Dieu essuie les larmesde ses enfants. Et cette mission divi-ne, Dieu l’accomplit avec la mêmetendresse que celle d’une mère quicherche à faire sécher les larmes deses enfants. Quelle est belle, la ques-tion que le Seigneur pourra poser àchacun d’entre nous à la fin de lajournée: combien de larmes as-tu es-suyées aujourd’hui?

D’autres tempêtes peuvent s’a b a t t resur ces côtes et avoir des effets dé-vastateurs sur la vie des enfants dece pays. Des tempêtes qui nous in-terpellent également comme commu-nauté et mettent en jeu la valeur denotre esprit. Ces tempêtes s’app el-lent la violence organisée telle quel’assassinat et l’insécurité qu’il pro-voque; elles s’appellent manque deperspectives éducatives et profes-sionnelles, en particulier dans lesrangs des plus jeunes, ce qui les em-pêche de construire un avenir avecdignité; ou manque d’un toit sûrpour de nombreuses familles forcéesde vivre dans des zones de grandeinstabilité et sans accès sûrs; ainsique tant d’autres situations que vousconnaissez et que vous subissez, qui

comme les pires glissements de ter-rain détruisent la confiance mutuellesi nécessaire pour construire un ré-seau de soutien et d’espérance. Desglissements de terrain qui affectentl’âme et nous interpellent concer-nant l’huile dont nous disposonspour y faire face. Quelle quantitéd’huile as-tu?

Bien des fois, nous nous interro-geons sur la manière d’affronter cestempêtes, ou sur la façon d’aider nosenfants à aller de l’avant face à ces si-tuations. Je voudrais vous le dire: iln’y a pas de meilleure solution quecelle de l’Evangile. Elle s’appelle Jé-sus Christ. Remplissez toujours vosvies de l’Evangile. Je voudrais vousencourager à être une communautéqui se laisse oindre par son Seigneuravec l’huile de l’Esprit. Il transformetout, renouvelle tout, consolide tout.En Jésus, nous avons la force de l’Es-prit pour ne pas rendre naturel ce quinous fait du mal, — ne pas en fairequelque chose de naturel — pour nepas rendre naturel ce qui assèche no-tre cœur, et pire, ce qui nous volel’espérance. Les Péruviens, en ce mo-ment de leur histoire, n’ont pas ledroit de se faire voler l’espérance! EnJésus, nous avons l’Esprit qui noustient unis pour nous soutenir les unsles autres et pour affronter ce quiveut nous prendre le meilleur de nosfamilles. En Jésus, Dieu fait de nousune communauté croyante qui sait se

soutenir; une communauté qui espèreet par conséquent lutte pour faire re-culer et transformer les nombreusesadversités; une communauté qui ai-me, car elle ne permet pas que nouscroisions les bras. Avec Jésus, l’âmede ce peuple de Trujillo pourra conti-nuer à s’appeler «la ville de l’éternelprintemps», parce qu’avec le Sei-gneur tout est une opportunité pourl’esp érance.

Je connais l’amour que ce pays apour la Vierge, et je sais combien ladévotion à Marie vous soutient tou-jours en vous conduisant jusqu’à Jé-sus et en nous donnant le mêmeconseil qu’elle répète toujours: «Toutce qu’il vous dira, faites-le» (cf. Jn 2,35). Demandons-lui de nous couvrirde son manteau et de nous conduiretoujours à son Fils; mais disons-le luipar ce beau cantique populaire: «Pe-tite Vierge de la porte, accorde-moita bénédiction. Petite Vierge de laporte, donne-nous la paix et beau-coup d’amour». Voulez-vous le chan-ter? Le chantons-nous ensemble? Quiva commencer à chanter? «PetiteVierge de la porte…». Personne nechante? Le chœur non plus? Nous al-lons donc le réciter, si nous ne lechantons pas. Ensemble: «Petite Vier-ge de la porte, accorde-moi ta béné-diction. Petite Vierge de la porte,donne-nous la paix et beaucoupd’amour».

SUITE DE LA PA G E 13

Chers frères et sœurs,Bonsoir![Forts applaudissements]. Commenormalement on applaudit à la fin,cela veut dire que j’ai déjà terminé,donc je m’en vais. [Ils crient: Non!]

Je remercie pour les paroles queMgr José Eguren Anselmi, arche-vêque de Piura, m’a adressées aunom de tous ceux qui sont présentsici.

Vous rencontrer, vous connaître,vous écouter et exprimer l’amourpour le Seigneur et pour la missionqu’il nous a donnée est important.Je sais que vous avez fait un grandeffort pour être ici. Merci!

C’est le collège séminaire, l’un despremiers créés en Amérique latinepour la formation de nombreusesgénérations d’évangélisateurs, quinous reçoit. Me retrouver ici et avecvous, c’est sentir que nous sommesdans l’un de ces «berceaux» denombreux missionnaires. Et je n’ou-blie pas que cette terre a vu mourir,en mission — pas assis à son bureau—, saint Toribio de Mogrovejo, pa-

tron des évêques latino-américains.Et tout cela nous porte à regardernos racines, ce qui nous soutienttout au long du temps, ce qui noussoutient tout au long de l’h i s t o i repour grandir et donner des fruits.Les racines! Sans racines, il n’y a pasde fleurs, il n’y a pas de fruits. Unpoète disait que «tout ce qu’a l’a r b rede fleuri lui vient de ce qu’il a sousterre», les racines. Nos vocations au-ront toujours cette double dime-nsion: des racines dans la terre et lecœur dans le ciel. Ne l’oubliez pas!Quand l’un manque, quelque chosecommence à aller mal et notre viepeu à peu dépérit (cf. Lc 13, 6-9),comme un arbre sans racines, elledépérit. Et je vous dis que cela faitde la peine de voir un évêque, unprêtre, une religieuse, «desséché». Etje suis très peiné quand je vois desséminaristes desséchés. C’est très sé-rieux! L’Eglise est bonne, l’Eglise estmère et si vous voyez que vous nepouvez pas [aller plus loin], parlez àtemps, avant qu’il ne soit trop tard,avant qu’on ne se rende compte quevous n’avez plus de racines et quevous êtes en train de dépérir; dans

Après avoir célébré la Messe à Huanchaco, enfin de matinée du samedi 20 janvier, le Pape arejoint en voiture le quartier «Buenos Aires»qui donne sur l’océan Pacifique. A bord de lapapamobile, François a fait le tour de la placede ce quartier qui avait été frappé par lesinondations en avril 2017, puis il a rejoint le

proche archevêché de Trujillo, où il a déjeuné.Dans l’après-midi, il a visité la cathédrale,avant de se rendre au collège séminaire consacréaux saints Charles et Marcel, où il a rencontréles prêtres et les séminaristes des circonscriptionsecclésiastiques du nord du Pérou. A cetteoccasion, il a prononcé le discours suivant:

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numéro 4, jeudi 25 janvier 2018 L’OSSERVATORE ROMANO page 15

L’OSSERVATORE ROMANOEDITION HEBDOMADAIRE

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Cité du Vaticane d . f r a n c a i s e @ o s s ro m .v a

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GI O VA N N I MARIA VIANd i re c t e u r

Giuseppe Fiorentinov i c e - d i re c t e u r

Jean-Michel Couletrédacteur en chef de l’édition

Rédactionvia del Pellegrino, 00120 Cité du Vatican

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Rencontre avec le clergé

11, 11), mais il n’était pas celui quidevait venir. Jean aussi attendait unautre plus grand que lui-même. Jeansavait clairement qu’il n’était pas leMessie mais que simplement il l’an-nonçait. Jean était l’homme qui fai-sait mémoire de la promesse et de sapropre personne. Il était une person-ne célèbre, il avait de la renommée,tous venaient se faire baptiser parlui, on l’écoutait avec respect. Lesgens croyaient qu’il était le Messie,mais il gardait mémoire de sa proprehistoire et ne se laissait pas tromperpar l’encens de la vanité.

Jean exprime la conscience du dis-ciple qui sait qu’il n’est pas, ni nesera jamais le Messie, mais qu’il estuniquement appelé à indiquer lepassage du Seigneur dans la vie deson peuple. Pour ma part, je suisimpressionné par la manière dontDieu permet que cela aille jusqu’auxdernières conséquences: il meurt dé-capité dans un cachot; aussi simpleque cela! Nous, consacrés, nous nesommes pas appelés à supplanter leSeigneur, ni par nos œuvres, ni parnos missions, ni par nos innombra-bles activités. Quand je dis consa-crés, je vous y inclus tous: évêques,prêtres, consacrés et consacrées, reli-gieux et religieuses et séminaristes.Il nous est simplement demandé detravailler avec le Seigneur, coude-à-coude, mais sans jamais oublier quenous n’occupons pas sa place. Et ce-la ne nous fait pas «nous ramollir»dans la mission d’évangélisation; aucontraire, cela nous galvanise et exi-ge de nous de travailler en nous sou-venant que nous sommes des disci-ples de l’unique Maître. Le disciplesait qu’il passe et passera toujoursaprès le Maître. Et c’est la source de

notre joie, la joyeuse conscience desoi-même.

Il nous faut bien savoir que nousne sommes pas le Messie! Cela nousévite de nous croire trop importants,trop occupés (il est courant d’enten-dre dans certaines régions: «non, neva pas à cette paroisse, parce que lepère est toujours très occupé»).Jean-Baptiste savait que sa missionétait d’indiquer le chemin, d’initierdes processus, d’ouvrir des espaces,d’annoncer qu’un Autre était porteurde l’Esprit de Dieu. Faire mémoirenous délivre de la tentation des mes-sianismes, de me prendre moi pourle Messie.

Cette tentation se combat de plu-sieurs manières, mais aussi par le ri-re. On disait d’un religieux que j’ai-mais beaucoup — il était jésuite, unjésuite hollandais, mort l’année pas-sée — qu’il avait un tel sens de l’hu-mour qu’il était capable de rire detout ce qui arrivait, de lui-même,voire de sa propre ombre. Unejoyeuse conscience. Apprendre à rirede soi-même nous donne la capacitéspirituelle de nous mettre devant leSeigneur avec nos propres limites,nos erreurs et nos péchés, mais aussiavec nos succès, et avec la joie de sa-voir qu’il est à nos côtés. Un beautest spirituel, est de nous demandernotre capacité de rire de nous-mê-mes. Il est facile de rire des autres,n’est-ce pas? Se critiquer soi-même,rire, mais de nous-mêmes, ce n’estpas facile. Le rire nous sauve dunéo-pélagianisme «autoréférentiel etprométhéen de ceux qui, en définiti-ve, font confiance uniquement àleurs propres forces et se sentent su-périeurs aux autres» (Exhort. ap.Evangelii gaudium, n. 94). Ris! Riezen communauté, et non pas de lacommunauté ou des autres. Gar-dons-nous de ces gens, si, mais si

importants, que dans la vie, ils ontoublié de sourire! «Oui, mon Père,mais vous n’avez pas un remède,quelque chose pour…». Regarde,j’ai deux «comprimés» qui sont trèsefficaces: le premier, parle avec Jé-sus, avec la Vierge, la prière, prie etdemande la grâce de la joie, de lajoie dans la situation réelle; le se-cond comprimé, tu peux en prendreplusieurs fois par jour si tu en as be-soin, autrement une seule fois suffit,regarde-toi dans le miroir, regarde-toi dans le miroir: «Et celui-là, c’estmoi?, celle-là, c’est moi? Ha haha…» Et cela te fait rire. Et ce n’estpas du narcissisme, au contraire,c’est le contraire; le miroir sert icicomme remède.

En premier lieu, il y avait donc lajoie, la joyeuse conscience de soi-mê-me.

2. La deuxième chose, c’est l’heu-re de l’appel, porter gravée en nousl’heure de l’app el.

Jean l’Evangéliste recueille dansEvangile même l’heure de ce mo-ment qui a changé sa vie. Oui,quand le Seigneur fait grandir chezune personne la conscience de cequ’est un appel…, elle se rappellequand tout a commencé: «Il étaitquatre heures de l’après-midi»(v. 39). La rencontre avec Jésuschange la vie, marque un avant etun après. Il faut se rappeler cetteheure, ce jour clef pour chacun d’en-tre nous, où nous nous sommes vrai-ment rendus compte que «ce que jesentais», ce n’était pas une envie ouune attraction mais que le Seigneurattendait quelque chose de plus. Etlà, on peut se rappeler: ce jour-là, jem’en suis rendu compte. La mémoi-re de cette heure où nous avons ététouchés par sa mémoire.

Chaque fois que nous oublionscette heure, nous oublions nos origi-nes, nos racines; et en perdant cesrepères fondamentaux, nous laissonsde côté la chose la plus précieusequ’un consacré puisse posséder: leregard du Seigneur: «Non, mon pè-re, moi, je regarde le Seigneur dansle tabernacle» —. C’est bien, c’estbien mais assieds-toi un moment etlaisse-le te regarder et rappelle-toiles fois où il t’a regardé et te regar-de. Laisse-le te regarder. C’est lachose la plus précieuse que possèdeun consacré: le regard du Seigneur.Peut-être n’es-tu pas content de cetendroit où le Seigneur t’a rencontré;peut-être cela ne répond-il pas à unesituation idéale ou que tu «aurais ai-mé mieux». Mais ce fut là qu’il t’arencontré et a soigné tes blessures,là. Chacun d’entre nous connaît oùet quand: peut-être à un moment ca-ractérisé par des situations com-plexes, oui; dans des situations dou-loureuses, oui; mais c’est là que leDieu de la vie t’a rencontré pour fai-re de toi un témoin de sa vie, pourfaire de toi une partie intégrante desa vie, pour te faire participer à samission et pour que tu sois avec lui,que tu sois une caresse de Dieu pourde nombreuses personnes. Il nousfaut nous rappeler que nos vocationssont un appel d’amour pour aimer,pour servir. Non pas pour prendreune tranche pour nous-mêmes. Si leSeigneur a jeté sur vous un regardd’amour et vous a choisis, ce n’estpas parce que vous êtes plus nom-breux que les autres, car vous êtes leplus petit parmi les peuples, maisc’est par amour (cf. Dt 7, 7-8). C’estce que dit le Livre du Deutéronomeau peuple d’Israël. Ne te vante pas,tu n’es pas le peuple le plus impor-tant, tu es l’un des plus pécheurs,mais il est tombé amoureux de cela-même, et, bon! Que voulez-vous! Iln’a aucun goût, le Seigneur, mais ilest tombé amoureux de ça… Amourvenant des entrailles, amour de mi-séricorde qui remue nos entraillespour que nous allions servir les au-tres à la manière de Jésus Christ.

SUITE DE LA PA G E 14

SUITE À LA PA G E 16

Visite au foyer pour orphelinsSUITE DE LA PA G E 13

autre peuple, non, tels que vousêtes, c’est ainsi que nous avons be-soin de vous. Ne vous contentezpas d’être le wagon de queue de lasociété, accrochés et vous laissantporter! Non, non, ne soyez jamaisles wagons de queue. Nous avonsbesoin de vous comme moteur, quipropulse. Et je vous recommandeune chose, écoutez vos grands-pa-rents, valorisez vos traditions, ne re-freinez pas votre curiosité. Cherchezvos racines et, en même temps, ou-vrez les yeux à ce qui est nouveau,oui… et faites votre propre synthè-se. Rendez au monde ce que vousapprenez, car le monde a besoin devous dans votre originalité, tels quevous êtes en réalité, non comme desimitations. Nous avons besoin devous dans votre authenticité, en tantque jeunes fiers d’appartenir aux

peuples amazoniens et qui appor-tent à l’humanité une alternative devie véritable. Chers amis, souventnos sociétés ont besoin de corrigerle cap et vous, les jeunes autochto-nes — j’en suis sûr — vous pouvezénormément aider dans ce défi, sur-tout en nous apprenant un style devie basé sur la sauvegarde et nonsur la destruction de tout ce quis’oppose à notre cupidité.

Et la chose la plus importante,c’est que je voudrais remercier lepère Xavier [Arbex de Morsier, fon-dateur de l’Association Apronia]. Lepère Xavier a beaucoup souffert etcette souffrance lui a coûté ceci;simplement merci, merci pour sonexemple. Je voudrais remercier lesreligieux et les religieuses, les mis-sionnaires laïques qui font un travailmagnifique et tous les bienfaiteursqui forment cette famille; les béné-voles qui offrent leur temps gratui-

tement, qui est un baume rafraichis-sant sur les blessures. Et je voudraisremercier aussi ceux qui confirmentces jeunes dans leur identité amazo-nienne et les aident à forger un ave-nir meilleur pour leurs communau-tés et pour toute la planète.

Et maintenant, en restant oùnous sommes, nous fermons lesyeux et nous demandons à Dieu denous donner sa bénédiction.

Que le Seigneur vous bénisse et vousgarde, qu’il fasse resplendir sur vousson visage, que le Seigneur tourne versvous son visage et vous accorde tousses bienfaits, au nom du Père, du Filset du Saint-Esprit (cf. Nb 6, 24-26;Ps 66, Bénédiction du Temps ordi-n a i re ) .

Je vous demande deux choses:que vous priiez pour moi et quevous n’oubliiez pas que vous êtes lespetites étoiles qui éclairent dans lanuit.

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page 16 L’OSSERVATORE ROMANO jeudi 25 janvier 2018, numéro 4

Rencontre avec les prêtres, les religieux et les séminaristes

Non à la manière des pharisiens, dessaducéens, des docteurs de la loi,des zélotes, non, non, ceux-là cher-chent leur propre gloire.

Je voudrais m’arrêter sur un aspectque je juge important. Beaucoupd’entre nous, au moment d’entrer auséminaire ou dans la maison de for-mation, ou au noviciat, avons été en-couragés par la foi de nos familles etde nos voisins. Là, nous avons apprisà prier, auprès de la maman, de lagrand-mère, de la tante… et après lacatéchiste nous a préparés… Et c’estainsi que nous avons fait nos pre-miers pas, soutenus souvent par lesmanifestations de la piété et de laspiritualité populaires, qui au Pérouont pris les formes les plus belles etpris racine dans le peuple fidèle etsimple. Votre peuple a manifesté ungrand attachement à Jésus Christ, àla Vierge ainsi qu’aux saints et auxbienheureux à travers de nombreusesdévotions que je n’ose pas énumérerde peur d’en omettre. Dans ces san-ctuaires, «beaucoup de pèlerins pren-nent des décisions qui marquent leurvie. En ses murs sont inscrites beau-coup d’histoires de conversion, depardon et de dons reçus, que desmillions de personnes pourraient ra-conter» (5e Conférence générale del’épiscopat latino-américain et desCaraïbes, Document d’Ap a re c i d a , 29juin 2007, n. 260). Peut-être beau-coup de vos vocations sont-elles mê-me gravées dans ces murs. Je vousexhorte, s’il vous plaît, à ne pas ou-blier, encore moins à mépriser, la foifidèle et simple de votre peuple. Sa-chez accueillir, accompagner et en-courager la rencontre avec le Sei-gneur. Ne devenez pas des profes-sionnels du sacré, oubliant votrepeuple, d’où le Seigneur vous a pris,derrière le troupeau — comme dit leSeigneur à son élu [David] dans laBible —. Ne perdez pas la mémoireet le respect envers qui vous a apprisà prier.

Il m’est arrivé — durant des réu-nions avec des maîtres et des maî-tresses de noviciat ou avec des rec-teurs de séminaire, des pères spiri-tuels de séminaire — d’entendre laquestion: «Comment allons-nousenseigner à prier à ceux qui en-trent?». Donc, on leur donne quel-ques manuels pour apprendre à mé-diter — on m’en a donné quand jesuis entré — : ou «fais ceci ici», ou«cela non», ou «en premier lieu, tudois faire ceci», «après tel autrepas»…. Et en général, les hommeset les femmes les plus sensés qui ontcette responsabilité de maître desnovices ou de père spirituel ou derecteur de séminaire font ce choix:«Continue à prier comme on te l’aappris chez toi». Et après, peu àpeu, ils les font progresser dans unautre genre de prière. Mais, «conti-nue à prier comme te l’a enseigné tamère, comme te l’a enseigné tagrand-mère»; ce qui par ailleurs estle conseil que saint Paul donne à Ti-mothée: «La foi de ta mère et de tagrand-mère, c’est la foi que tu as;garde-la». Ne méprisez pas la foimûrie à la maison, car elle est laplus forte. Se souvenir de l’heure del’appel, faire mémoire, avec joie, dupassage de Jésus Christ dans notrevie, cela nous aidera à dire cette bel-le prière de saint François Solano,

grand prédicateur et ami des pau-vres: «Mon bon Jésus, mon Ré-dempteur et mon ami. Qu’ai-je quetu ne m’aies donné? Que sais-je quetu ne m’aies appris?».

Ainsi, le religieux, le prêtre, laconsacrée, le consacré, le séminaristesont des personnes qui font mémoi-re, une mémoire joyeuse et recon-naissante: triade à former et à gardercomme des «armes» face à tout «ca-mouflage» vocationnel. La conscien-ce reconnaissante élargit le cœur etnous incite au service. Sans recon-naissance, nous pouvons être debons exécuteurs du sacré, mais ilnous manquera l’onction de l’Espritpour devenir serviteurs de nos frères,surtout des plus pauvres. Le peuplede Dieu a du flair et sait distinguerentre le fonctionnaire du sacré et leserviteur reconnaissant. Il sait fairela différence entre celui qui fait mé-moire et celui qui oublie. Le peuplede Dieu est endurant, mais il recon-naît celui qui le sert et le soigne avecl’huile de la joie et de la gratitude.En cela, laissez-vous conseiller par lepeuple de Dieu. Parfois, dans les pa-roisses, il arrive que lorsque le prêtredévie un peu et oublie son peuple –je parle d’histoires réelles, n’est-cepas? — que de fois la vieille de la sa-

et l’on voit ici la fécondité du témoi-gnage: les disciples nouvellementappelés attirent, à leur tour, d’a u t re sà travers leur témoignage de foi, dela même manière que dans le passa-ge de l’Evangile, Jésus nous appelleà travers d’autres personnes. La mis-sion jaillit spontanément de la ren-contre avec Jésus. André commenceson apostolat par les plus proches,par son frère Simon, presque commequelque chose de naturel, en rayon-nant de joie. C’est le meilleur signeque nous avons «découvert» le Mes-sie. La joie contagieuse est une cons-tante dans le cœur des apôtres, etnous le constatons dans la force aveclaquelle André confie à son frère:«Nous l’avons trouvé!». Car «la joiede l’Evangile remplit le cœur et tou-te la vie de ceux qui rencontrent Jé-sus. Ceux qui se laissent sauver parlui sont libérés du péché, de la tris-tesse, du vide intérieur, de l’isole-ment. Avec Jésus Christ la joie naîtet renaît toujours» (Exhort. ap.Evangelii gaudium, n. 1). Et elle setransmet.

Cette joie nous ouvre aux autres,c’est une joie à ne pas garder, mais àtransmettre. Dans le monde divisédans lequel nous vivons, qui nouspousse à nous isoler, nous avons le

Messie. Et il a voulu partager sesdons de telle manière que nous puis-sions tous offrir le nôtre en nousenrichissant avec celui des autres. Ilfaut se garder de la tentation du«fils unique» qui veut tout pour lui,car il n’a personne avec qui partager.Mal élevé, le garçon! A ceux à qui ilrevient d’assumer des missions dansle service de l’autorité, je demande,s’il vous plaît, de ne pas devenir au-toréférentiels; essayez de prendresoin de vos frères, faites en sortequ’ils se sentent bien; car le bien secommunique. Ne tombons pas dansle piège d’une autorité qui devientautoritarisme parce qu’elle oublieque, avant tout, elle est une missionde service. Que ceux qui ont cettemission d’être une autorité fassenttrès attention; dans les armées, il y aassez de sergents, il n’est pas néces-saire d’en avoir dans nos commu-nautés.

Avant de terminer: garder mémoi-re et les racines. Je considère qu’ilest important que dans nos commu-nautés, dans nos presbytères, semaintienne vivante la mémoire etqu’ait lieu le dialogue entre les plusjeunes et les plus anciens. Les plusanciens gardent mémoire et nous of-frent de la mémoire. Nous devonsaller la recevoir, ne les abandonnonspas seuls. Parfois, ils ne veulent pasparler, d’autres se sentent un peuabandonnés… Faisons-les parler,surtout vous les jeunes! Ceux quisont chargés de la formation des jeu-nes, envoyez-les parler avec les prê-tres âgés, avec les moniales âgées,avec les évêques âgés — on dit queles religieuses ne vieillissent pas, carelles sont éternelles — envoyez-lesparler avec eux. Il faut que les yeuxdes anciens brillent de nouveau etqu’ils voient que dans l’Eglise, aupresbytère, au sein de la conférenceépiscopale, au monastère, il y a desjeunes qui font progresser le Corpsde l’Eglise. Qu’ils les écoutent par-ler, que les jeunes les interrogent etleurs yeux vont commencer à brilleret ils vont commencer à rêver. Faitesrêver les anciens! La prophétie deJoël, 3, 1. Faites rêver les anciens! Etsi les jeunes font rêver les anciens, jevous assure que les anciens ferontprophétiser les jeunes.

Aller aux racines. Je voudrais, à cesujet — je suis déjà sur le point determiner — citer un Pape, mais je n’yparviens pas, mais je vais citer unnonce apostolique. Il me rapportait,à ce propos, un proverbe africainqu’il a appris quand il était là-bas —parce que les nonces apostoliquessont nommés d’abord en Afrique etlà ils apprennent beaucoup de cho-ses — et le proverbe, c’était: «Lesjeunes marchent rapidement — ilfaut qu’ils le fassent — mais ce sontles anciens qui connaissent le che-min». Est-ce juste?

Chers frères, de nouveau, merci,et que cette mémoire deutérono-mique nous rende plus joyeux etplus reconnaissants afin que noussoyons des serviteurs de l’unité ausein de notre peuple. Laissez le Sei-gneur vous regarder, cherchez le Sei-gneur, là, dans la mémoire. Regar-dez-vous dans le miroir de temps àautre. Et que le Seigneur vous bénis-se et que la Vierge Sainte vous pro-tège! Et de temps en temps — com-me on le dit à la campagne — faitesquelques prières pour moi. Merci!

SUITE DE LA PA G E 15

cristie — comme on la désigne, «lavieille de la sacristie» — ne dit-ellepas! «Mon père, depuis quand vousn’avez pas rendu visite à votre ma-man. Allez, allez voir votre maman,quant à nous, pendant une semaine,nous nous arrangerons en disant leR o s a i re » .

3. La joie contagieuse. La joie secommunique quand elle est authen-tique.

André était l’un des premiers dis-ciples de Jean-Baptiste, qui avaientsuivi Jésus ce jour-là. Après être res-té avec lui et avoir vu où il vivait, ilest allé dans la maison de son frèreSimon Pierre et lui a dit: «Nousavons trouvé le Messie» (Jn 1, 41).Sur place, il a été saisi. C’est la plusgrande nouvelle qu’il puisse lui an-noncer, et il l’a conduit à Jésus. Lafoi en Jésus se communique. Et s’il ya un prêtre, un évêque, une religieu-se, un séminariste, un consacré quine «contamine» pas, est aseptique,est propre comme dans un labora-toire, qu’il sorte et se salisse un peules mains et là il va commencer àtransmettre l’amour de Jésus. La foien Jésus se communique, elle nepeut ni se confiner ni être enfermée;

défi d’être des artisans et des pro-phètes de communauté. Vous le sa-vez, personne ne se sauve seul. Et àce sujet, je voudrais être clair. La di-vision ou l’isolement n’est pas quel-que chose qui se produit «à l’exté-rieur» comme si ce n’était qu’unproblème du «monde». Chers frères,les divisions, les guerres, les isole-ments, nous les vivons égalementdans nos communautés, dans nospresbytères, dans nos conférencesépiscopales. Et que de mal ellesnous font! Jésus nous envoie porterla communion, l’unité, mais souvent,il semble que nous le fassions désu-nis et, pire, souvent en nous faisantdes crocs-en-jambe les uns aux au-tres, ou bien je me trompe ? [L’as-semblée répond: Non!]. Baissons latête et que chacun mette dans sa po-che ce qui lui revient. On nous de-mande d’être des artisans de com-munion et d’unité; ce qui ne revientpas à penser tous de la manière, àfaire tous la même chose. Cela signi-fie valoriser les apports, les différen-ces, le don des charismes dansl’Eglise en sachant que chacun, avecses qualités y met du sien, mais abesoin des autres. Seul le Seigneur ala plénitude des dons, lui seul est le