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9 - 15 mars 2009 N o 1510 INC Hebdo I INC document ÉTUDE JURIDIQUE ————— 1 Cet article a été écrit pour un stage de formation organisé par l’INC. Il a été publié dans les n os 32 et 33 de la Revue Lamy Droit des affaires 2008. Sa première partie est parue dans le n o 1509 d’INC Hebdo, disponible en téléchargement sur <www.conso.net >. LE MARCHÉ INTÉRIEUR DES CONSOMMATEURS, LE DROIT DE LA CONSOMMATION D’ORIGINE COMMUNAUTAIRE ET SON APPLICATION DANS LES ÉTATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE DEUXIÈME PARTIE 1 Les États membres ont l’obligation de ne pas appliquer et d’éli- miner toutes dispositions de leur droit national contraires au droit communautaire, soit parce qu’elles sont incompatibles avec les libertés de circulation, soit parce qu’elles ne sont pas conformes aux directives. En cas de manquement à ces obligations, il appartient à la CJCE de sanctionner l’État membre défaillant et au juge national, juge du droit communautaire, de statuer sur les litiges portés devant lui par les ressortissants victimes de ce manquement. II – L’APPLICATION DU DROIT COMMUNAUTAIRE DANS LES ÉTATS MEMBRES La CJCE n’est pas juge de l’application du droit communautaire dans le contentieux interne des États membres. Ce contentieux relève de la compétence du juge national qui, selon la nature du litige, sera le juge judiciaire, pénal ou admi- nistratif auquel il appartient de statuer sur tout contentieux résul - tant du conflit entre une règle de droit national et une règle de droit communautaire. Le juge national puise sa compétence dans deux principes gou- vernant les rapports entre les droits nationaux et le droit com- munautaire. § 1 – LA PRIMAUTÉ DU DROIT COMMUNAUTAIRE Le droit des États membres ne doit pas être contraire au droit communautaire qui lui est supérieur. Selon le principe de primauté, non inscrit dans le Traité CE mais consacré par la jurisprudence de la CJCE, la règle communautaire prime la règle nationale, ce qui entraîne pour les États membres les obligations suivantes : l’obligation d’écarter dans les échanges intracommunautaires l’application de leur réglementation créant des entraves injus- tifiées à ces échanges et qui la rendent incompatible avec les libertés de circulation ; l’obligation de mettre leur droit national en conformité avec le droit communautaire en transposant dans les délais requis les directives, et d’écarter dans les échanges nationaux et intra- communautaires l’application de toute réglementation restant non conforme à ces directives du fait de leur non-transposition ou d’une transposition incorrecte ou incomplète. En cas de défaillance d’un État membre à l’une de ces obliga- tions, le juge national saisi d’une contradiction entre son droit interne et le droit communautaire doit faire prévaloir le droit communautaire. § 2 – L’APPLICABILITÉ DIRECTE DU DROIT COMMUNAUTAIRE Le principe d’applicabilité directe ou d’effet direct du droit com- munautaire, affirmé lui aussi par la jurisprudence de la CJCE, est la conséquence de l’intégration dans l’ordre juridique des États membres du droit communautaire originaire ou dérivé. Ce principe confère aux ressortissants des États membres le droit de saisir leur juge national pour lui demander d’appliquer la règle communautaire, lorsque les conditions de son application tenant à sa clarté, sa précision, son caractère complet et incon- ditionnel sont réunies, afin de juger qu’il y a lieu d’écarter l’ap- plication de la règle nationale qui lui est contraire. A. LE JUGE NATIONAL EST JUGE DU DROIT COMMUNAUTAIRE

1510-Droit conso Europe 2.qxp:INC document · Il publié dans les nos 32 et 33 de la Revue Lamy Droit des affaires 2008. ... condamnation pénale ou au prononcé d’une sanction

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9-15 mars 2009No 1510INC Hebdo I

INC documentÉTUDE JURIDIQUE

—————1 Cet article a été écrit pour un stage de formation organisé par l’INC. Il a été publié dans les nos 32 et 33 de la Revue Lamy Droit des affaires 2008.Sa première partie est parue dans le no 1509 d’INC Hebdo, disponible en téléchargement sur < www.conso.net >.

LE MARCHÉ INTÉRIEUR DES CONSOMMATEURS,

LE DROIT DE LA CONSOMMATION D’ORIGINE

COMMUNAUTAIRE ET SON APPLICATION DANS

LES ÉTATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE

DEUXIÈME PARTIE 1

Les États membres ont l’obligation de ne pas appliquer et d’éli -miner toutes dispositions de leur droit national contraires audroit communautaire, soit parce qu’elles sont incompatiblesavec les libertés de circulation, soit parce qu’elles ne sont pasconformes aux directives.

En cas de manquement à ces obligations, il appartient à la CJCEde sanctionner l’État membre défaillant et au juge national, jugedu droit communautaire, de statuer sur les litiges portés devantlui par les ressortissants victimes de ce manquement.

II – L’APPLICATION DU DROIT COMMUNAUTAIRE

DANS LES ÉTATS MEMBRES

La CJCE n’est pas juge de l’application du droit communautairedans le contentieux interne des États membres.Ce contentieux relève de la compétence du juge national qui,selon la nature du litige, sera le juge judiciaire, pénal ou admi -nistratif auquel il appartient de statuer sur tout contentieux résul -tant du conflit entre une règle de droit national et une règle dedroit communautaire.Le juge national puise sa compétence dans deux principes gou-vernant les rapports entre les droits nationaux et le droit com-munautaire.

§ 1 – LA PRIMAUTÉ DU DROITCOMMUNAUTAIRE

Le droit des États membres ne doit pas être contraire au droitcommunautaire qui lui est supérieur.Selon le principe de primauté, non inscrit dans le Traité CE maisconsacré par la jurisprudence de la CJCE, la règle communautaireprime la règle nationale, ce qui entraîne pour les États membresles obligations suivantes :– l’obligation d’écarter dans les échanges intracommunautairesl’application de leur réglementation créant des entraves injus -tifiées à ces échanges et qui la rendent incompatible avec leslibertés de circulation ;

– l’obligation de mettre leur droit national en conformité avecle droit communautaire en transposant dans les délais requisles directives, et d’écarter dans les échanges nationaux et intra -communautaires l’application de toute réglementation restantnon conforme à ces directives du fait de leur non-transpositionou d’une transposition incorrecte ou incomplète.

En cas de défaillance d’un État membre à l’une de ces obliga-tions, le juge national saisi d’une contradiction entre son droitinterne et le droit communautaire doit faire prévaloir le droitcommunautaire.

§ 2 – L’APPLICABILITÉ DIRECTE DU DROITCOMMUNAUTAIRE

Le principe d’applicabilité directe ou d’effet direct du droit com-munautaire, affirmé lui aussi par la jurisprudence de la CJCE,est la conséquence de l’intégration dans l’ordre juridique desÉtats membres du droit communautaire originaire ou dérivé.

Ce principe confère aux ressortissants des États membres le droitde saisir leur juge national pour lui demander d’appliquer larègle communautaire, lorsque les conditions de son applicationtenant à sa clarté, sa précision, son caractère complet et incon -ditionnel sont réunies, afin de juger qu’il y a lieu d’écarter l’ap-plication de la règle nationale qui lui est contraire.

A. LE JUGE NATIONAL EST JUGE DU DROIT COMMUNAUTAIRE

9-15 mars 2009No 1510INC HebdoII

L’application du droit communautaire est demandée par les ressortissants d’un État membre, professionnels ou consomma -teurs, dans les litiges les opposant à l’État membre qui a manquéà ses obligations communautaires ou à d’autres ressortissants.Dans le cadre de ces litiges, lorsque le droit communautaire avocation à s’appliquer, le juge a pour obligation d’interpréterson droit national en conformité avec le droit communautaire.

§ 1 – LA NATURE DES LITIGES

Il convient de distinguer les litiges opposant les ressortissantsà l’État membre défaillant et les litiges entre ressortissants.

1°) Les litiges opposant les ressortissants à l’État membre défaillant

Ces litiges portent sur la compatibilité de la législation natio-nale avec les libertés de circulation dans le domaine non har-monisé ou sur la conformité de cette législation aux directivesdans le domaine harmonisé.

1. La compatibilité de la législation nationale avec les libertés de circulationCe sont principalement les professionnels qui saisissent le jugeaprès avoir fait l’objet, de la part de l’administration ou d’orga -nismes habilités, de procès-verbaux d’infractions ou de sanc-tions administratives dans l’État membre d’importation poury avoir commercialisé des produits ou des services en prove-nance d’autres États membres non conformes à la réglemen-tation de cet État membre.En France, l’administration économique est fondée à intervenirsur la base de l’article L. 212-1 du code de la consommation im-posant au responsable de la première mise sur le marché, c’est-à-dire au producteur ou à l’importateur, de veiller à la confor-mité des produits et des services «aux prescriptions en vigueurrelatives à la sécurité et à la santé des personnes, à la loyauté destransactions commerciales et à la protection des consommateurs».En raison du caractère répressif ou administratif des réglemen -tations en cause, les professionnels réclament le bénéfice deslibertés de circulation et l’application de la loi de l’État mem-bre d’origine des produits ou des services pour échapper à unecondamnation pénale ou au prononcé d’une sanction admi-nistrative.Le juge compétent est, en conséquence, le plus souvent le jugepénal ou le juge administratif.

a) Traitement du litigeIl y a lieu de rechercher si, par rapport à la réglementation dupays d’origine des produits ou des services, la réglementationdu pays d’importation crée ou non une entrave aux échangeset, une fois constatée l’entrave, si celle-ci est justifiée ou non pardes exigences impératives de protection des consommateurs.Pour mener à bien ce travail, le juge doit procéder en plusieursétapes.Première étape – Vérifier si le droit communautaire a vocationà s’appliquer.Le droit communautaire originaire relatif aux libertés de circu -lation ne concerne que les échanges intracommunautaires quiimpliquent le franchissement d’une frontière. Si les échangessont purement nationaux, c’est le droit interne qui s’appliqueen vertu du principe de la territorialité des lois.Deuxième étape – Vérifier l’origine de la réglementation liti-gieuse.La réglementation doit relever du domaine non harmonisé pourque s’applique le droit originaire du Traité CE sur les libertésde circulation, ce qui signifie qu’elle est d’origine purement na-

tionale et non issue d’une directive.En présence d’une directive, il y a lieu cependant de recherchersi la directive est minimale et, si c’est le cas, de comparer cettedirective avec la réglementation litigieuse pour constater si cetteréglementation ne contient pas des mesures de protection su-périeures à celles de la directive. Ces mesures qui sortent du do-maine d’application de la directive appartiennent au domainenon harmonisé.Troisième étape – Vérifier si la réglementation litigieuse est dis-criminatoire ou non.Si la réglementation a pour objet de pénaliser les produits oules services des autres États membres par rapport aux produitset services nationaux, elle est discriminatoire et crée une en-trave au commerce intracommunautaire qui ne peut être jus-tifiée. La réglementation est donc incompatible avec les libertésde circulation, et son application doit être écartée dans les échan-ges intracommunautaires au profit de la loi du pays d’originedes produits et des services.Si la réglementation n’est pas discriminatoire et s’applique in-distinctement aux produits et services nationaux et à ceux desautres États membres, l’entrave aux libertés de circulation nepeut provenir que de la disparité des réglementations nationales.Quatrième étape – Vérifier l’existence de l’entrave.Il faut comparer la réglementation du pays d’importation aveccelle du pays d’origine des produits et des services afin de cons-tater si ces réglementations sont semblables ou différentes.Si la réglementation du pays d’importation est plus stricte quela réglementation du pays d’origine, cette disparité est sourced’entrave.Cinquième étape – Vérifier si l’entrave constatée est prohibéepar le droit communautaire.Cette vérification passe par l’objet de la réglementation.S’il s’agit d’une réglementation technique sur les caractéristi -ques des produits ou des services, les entraves résultant de ladisparité des réglementations sont prohibées si elles ne sontpas justifiées par la protection des consommateurs.S’il s’agit d’une réglementation commerciale relative à la pu-blicité, aux méthodes de vente et de promotion, les entraves auxéchanges provenant de la disparité des réglementations ne sontpas toujours prohibées par la CJCE qui distingue les réglemen -tations concernant les produits et celles concernant les services.La disparité des réglementations commerciales sur les produitsne constitue plus des entraves aux échanges au sens du TraitéCE, de sorte que le pays d’importation peut imposer sa régle-mentation pour les procédés de commercialisation sur son ter-ritoire des produits des autres États membres.La disparité des réglementations commerciales sur les servicesreste une source d’entrave aux échanges prohibée par le TraitéCE, de sorte que le pays d’importation ne peut imposer sa régle -mentation que si elle est justifiée par la protection des consom-mateurs.Sixième étape – Faire l’examen de compatibilité avec les libertésde circulation de la mesure entravant les échanges résultant dela réglementation litigieuse indistinctement applicable.Le juge doit rechercher si l’entrave est ou non justifiée par desexigences impérieuses d’intérêt général tenant notamment àla protection des consommateurs.Pour ce faire, il lui convient de se reporter aux quatre critères cu-mulatifs dégagés par la CJCE (voir ci-après) et de les appliquerà l’espèce. Au besoin, le juge peut vérifier si la CJCE ne s’est déjàpas prononcée dans un litige analogue et, s’il rencontre des difficultés, saisir la CJCE d’un renvoi préjudiciel afin de lui poser la question de savoir si la réglementation litigieuse cons-titue une entrave aux libertés de circulation et si cette entraveest justi fiée.

B. LES LITIGES PORTÉS DEVANT LE JUGE NATIONAL

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• En premier lieu, le juge doit constater si la réglementation a pourunique finalité la protection des intérêts légitimes des consom-mateurs et, si ce critère est satisfait, poursuivre le raisonnement.• En deuxième lieu, le juge doit vérifier si la mesure entravantles échéances au nom de la protection des consommateurs estproportionnée au but à atteindre et déclarer, si la mesure va au-delà de l’objectif de protection et s’avère être disproportionnée,la réglementation contenant une telle mesure incompatible avecles libertés de circulation. Dans le cas contraire, il lui convientde continuer son analyse.• En troisième lieu, le juge doit se demander si une telle mesuremême justifiée ne peut pas être remplacée par une autre me-sure moins contraignante, ce critère se confondant souvent avecle précédent.• En quatrième lieu, le juge doit examiner si les intérêts des con -sommateurs ne sont déjà pas sauvegardés dans le pays d’ori-gine par des dispositions similaires ou semblables expriméessous une autre forme, ce qui le contraint à une seconde lecturede la réglementation du pays d’origine.La solution du litige découle du résultat auquel aboutit le juge.Si la mesure de protection satisfait aux quatre critères qui sontcumulatifs, l’entrave est justifiée et l’État membre d’importa-tion peut imposer sa réglementation compatible avec les libertésde circulation aux produits et aux services en provenance desautres États membres.Si la mesure de protection ne satisfait pas à ces critères, l’en-trave n’est pas justifiée et l’État membre d’importation doit écar-ter l’application de sa réglementation incompatible avec les li-bertés de circulation, et accepter sur son territoire des produitsou des services conformes à la réglementation de leur pays d’ori -gine.

b) Exemples de litiges• La compatibilité des réglementations techniques nationalessur les produits avec la libre circulation des marchandisesLes faits à l’origine du litige sont sensiblement toujours les mê-mes. Un distributeur français commercialise en France des pro-duits en provenance d’un autre État membre, ou un producteurou distributeur étranger propose ses produits en France depuisl’État membre de son installation en utilisant une technique decommercialisation à distance, par exemple Internet.Les produits vendus légalement fabriqués et commercialisésdans l’État membre de leur provenance sont conformes à la ré-glementation de leur pays d’origine dont les dispositions surles caractéristiques des produits sont moins contraignantes etdonc différentes de celles de la réglementation française.Le litige apparaît à la suite d’un contrôle de l’administration éco-nomique qui constate que les produits commercialisés ne sontpas conformes à la réglementation française et dresse un pro -cès-verbal d’infraction pour non-conformité et pour fraude.Assigné devant le juge pénal, le distributeur invoque en défensel’incompatibilité de la réglementation française avec la libertéde circulation des marchandises et demande au juge d’en écarterl’application au bénéfice de la réglementation du pays d’origine,alors que l’administration fait valoir que les mesures restrictivesde la réglementation nationale sont justifiées par la protectiondes consommateurs. Si ces mesures ne sont pas justifiées, le jugedoit écarter l’application de la réglementation nationale et pro-noncer la relaxe du prévenu.Pour se forger une opinion, et avant de procéder au traitementdu litige, le juge doit rechercher si la réglementation litigieusene contient pas une clause de reconnaissance mutuelle permet -tant la commercialisation sur le territoire national des produitslégalement commercialisés dans les autres États membres (àtitre d’exemple : art. R. 112-14-1 du code de la consommation).

Il est encore possible pour le juge de consulter les arrêts renduspar la CJCE ayant déclaré incompatibles avec la libre circulationdes marchandises toute une série de réglementations nationalessur la dénomination de vente et la composition des denrées ali-mentaires, qui est le secteur où le contentieux est le plus im-portant.En ce qui concerne les réglementations techniques, la juris -prudence de la CJCE peut se résumer comme suit : les régle-mentations techniques sont jugées incompatibles lorsqu’ellesont pour objet l’information sur les caractéristiques des produitset les autorisations préalables de mise sur le marché, et jugéescompatibles lorsqu’elles concernent la sécurité des produits s’ilexiste un doute scientifique sur l’innocuité de ces produits.• La compatibilité des réglementations nationales sur les ser-vices avec la libre circulation des servicesLes services en provenance des autres États membres peuventêtre fournis de deux manières différentes.En premier lieu, les services sont fournis aux consommateursen liberté de prestation de services, le prestataire de services établidans un État membre proposant ses services dans un autre Étatmembre, soit sans se déplacer au moyen d’une technique de com-munication à distance, soit en se déplaçant temporairement danscet État membre appelé État membre d’accueil.La commercialisation de ces services peut se heurter à larégle mentation plus contraignante de l’État membre d’ac-cueil et expo ser, là encore, le prestataire de services à despoursuites pour non-conformité des services fournis.C’est à nouveau la question de la compatibilité ou de l’incompa -tibilité de la réglementation litigieuse avec la libre prestation deservices qui est posée au juge dans les mêmes conditions quepour la libre circulation des marchandises.En second lieu, les services sont fournis aux consommateurs d’unÉtat membre par la succursale d’une société établie dans un autreÉtat membre qui, usant de la liberté d’établissement, a ouvertdes établissements ou créé des filiales dans les autres États.Le Traité CE précise que la liberté d’établissement implique quela succursale ou la filiale exerce son activité dans le pays d’éta -blissement dans les conditions définies par la législation du paysd’établissement pour ses propres ressortissants. C’est le principede l’égalité de traitement.La question s’est posée de savoir si la réglementation du paysd’établissement applicable à l’activité de la succursale ou de la filiale ne constitue pas cependant une entrave à la liberté d’établissement lorsque cette réglementation, plus sévère quecelle du pays d’installation de sa société mère, empêche cettesuccursale ou cette filiale de proposer les mêmes services queceux fournis dans l’État membre d’installation de sa société mère.Saisie de la question de la compatibilité avec la liberté d’établis -sement de la réglementation française interdisant la rémuné-ration des comptes bancaires à vue par la banque espagnole CaixaBank faisant valoir que cette rémunération est admise par la loiespagnole, la CJCE a jugé que cette interdiction, justifiée pourla France par la protection des consommateurs, n’était pas com-patible avec la liberté d’établissement, au motif qu’une mesured’interdiction est disproportionnée par rapport à l’objectif deprotection qui peut être atteint par des mesures moins contrai-gnantes (CJCE, 5 octobre 2004, aff. C-442/02, Caixa Bank) 2.À la suite de cet arrêt, le juge administratif, en l’occurrence leConseil d’État, a annulé la décision de la Commission bancairequi avait interdit à la Caixa Bank de rémunérer le solde créditeurdes comptes à vue.Enfin, l’article L. 321-3 alinéa 1er du code monétaire et financierédictant cette interdiction a été supprimé par la loi no 2007-1774du 17 décembre 2007 portant adaptation au droit communautairedans les domaines économique et financier.

—————2 Les arrêts cités sont consultables sur le site web de la Cour de justice des communautés européennes : < curia.europa.eu >.

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• La compatibilité des réglementations nationales contractuellesavec les libertés de circulationMalgré notamment les directives sur les clauses abusives, lescontrats à distance et le commerce électronique, des conflits delois peuvent persister quant à la loi applicable aux contrats trans-frontières dans les domaines non couverts par ces directives qui,parce qu’elles sont le plus souvent minimales, laissent aux Étatsmembres la possibilité d’aller au-delà de la protection instauréeau plan communautaire. Dans ces cas, le professionnel établidans un État membre et offrant ses produits ou ses services auxconsommateurs des autres États membres peut voir les règlesde son droit national contrariées par celles plus protectrices dupays des consommateurs.Le conflit de loi est inévitable et, pour le régler, le droit interna -tional privé de la Convention de Rome et le droit communau-taire procèdent à un examen afin de vérifier si les règles du paysd’origine sont équivalentes ou non avec les règles de protectiondu pays des consommateurs.Pour désigner la loi du pays des consommateurs comme étantla loi applicable au contrat, les règles de conflit de la Conventionde Rome et celles du droit communautaire devraient aboutir aumême résultat puisque, dans les deux cas, c’est l’objectif de pro-tection des consommateurs qui sert de dénominateur commun.Mais une divergence apparaît dans la mesure où l’article 5 dela Convention de Rome s’intéresse à la partie faible du contratalors que le droit communautaire met en avant la réalisation dumarché intérieur et les instruments de réalisation de ce marchéque sont les libertés de circulation (sur cette question, cf. LénaGanange, “La règle de conflit face à l’harmonisation du droit dela consommation”, in Études de droit de la consommation, Li-ber amicorum Jean Calais-Auloy, Dalloz, 2003, p. 421 et s.).L’examen de la compatibilité avec les libertés de circulation peutaboutir au rejet de la loi désignée par la Convention de Rome.

2. La conformité de la législation nationale avec les directivesLes États membres manquent à leurs obligations communau-taires lorsqu’ils ne transposent pas dans les délais impartis ladirective dans leur droit national ou lorsque la transposition qu’ilsréalisent est incorrecte ou incomplète.S’il est évident que l’État membre ne peut pas invoquer contreses ressortissants une directive qu’il n’a pas transposée ou maltransposée, il en va autrement de ses ressortissants, générale-ment des professionnels, lorsque ceux-ci subissent un préjudicené de la défaillance étatique. Il en sera ainsi lorsque le profes-sionnel, qui s’est immédiatement conformé aux dispositions dela directive pour exercer son activité, fait l’objet de poursuitesde la part des autorités étatiques pour ne pas avoir appliqué sondroit national. Pour échapper à ces poursuites, il lui appartientde saisir son juge national.En cas de défaut de transposition dans les délais d’une directiveclaire et précise et dont les dispositions sont inconditionnelles,le juge doit faire prévaloir les dispositions de la directive sur cellesde sa législation nationale et, s’il y a poursuites pénales, prononcerla relaxe.En cas de transposition incorrecte ou incomplète, la solution estidentique et le juge doit donner plein effet à la directive d’au-tant plus qu’elle est entrée dans son droit national.La transposition d’une directive peut sembler également incor -recte lorsque la loi de transposition contient des dispositionsplus protectrices des consommateurs que celles de la directive.Cependant, le fait que le législateur national soit allé au-delà dela protection communautaire ne suffit pas à rendre la loi de trans -position non conforme. Pour statuer sur cette conformité, il fauttenir compte de la nature de la directive.S’il s’agit d’une directive totale ou maximale, l’État membre nedispose d’aucune marge de manœuvre dans sa transposition etne peut maintenir ou adopter des mesures de protection pluscontraignantes que celles de la directive, sous peine de manquerà ses obligations communautaires. Le juge doit donc écarter l’ap-

plication de ces mesures de protection plus sévères au bénéficede la directive.S’il s’agit d’une directive minimale, l’État membre dispose d’unemarge de manœuvre dans sa transposition et peut maintenir ouadopter des mesures de protection plus sévères que celles de ladirective. Si la directive ne s’oppose pas à l’adoption de telles me-sures, en revanche, ces mesures, qui sortent du domaine harmo -nisé pour relever du domaine non harmonisé, doivent subir unexamen de compatibilité avec les libertés de circulation pourvérifier qu’elles ne créent pas d’entraves injustifiées au commerceintracommunautaire, si toutefois le litige s’inscrit dans une re-lation transfrontière.

2°) Les litiges entre ressortissants

Ces litiges portent également sur la compatibilité et la confor-mité de la législation nationale avec le droit communautaire.

1. La compatibilité de la législation nationale avec les libertés de circulationC’est entre les professionnels que ce genre de litige sur la com -patibilité de la législation nationale avec les libertés de circula -tion peut avoir lieu.Il faut imaginer un contrat par lequel un distributeur françaiscommande des produits à un fabricant installé dans un autreÉtat membre. Ce contrat ne précise pas la réglementation à la-quelle ces produits doivent être conformes. Le producteur, quise voit opposer un refus de livraison par le distributeur au mo-tif que les produits ne sont pas conformes à la réglementationfrançaise, devrait pouvoir invoquer le bénéfice de la liberté decirculation des marchandises.

2. La conformité de la législation nationale avec les directivesLes litiges portant sur la conformité de la législation nationaleintéressent principalement les rapports entre professionnels etconsommateurs. La question est de savoir quelle est la loi ap-plicable au contrat de consommation de droit interne ou trans -frontière lorsque ce contrat relève du droit harmonisé et que ladirective le concernant n’a pas été transposée ou a fait l’objetd’une transposition incorrecte ou incomplète.Le consommateur, auquel la directive non transposée accordedes droits absents de son droit national, par exemple le droit derétractation, en réclame le bénéfice à son cocontractant pro-fessionnel et saisit le juge afin d’obtenir satisfaction.Le juge doit écarter l’application de la directive, car faute d’avoirété transposée elle n’est pas de droit positif dans l’État membredéfaillant et ne peut être invoquée dans les rapports entre lespersonnes de droit privé.Si le juge doit écarter l’application de la directive qui n’a pas d’effetdirect entre les ressortissants, il lui appartient cependant d’inter -préter, dans la mesure du possible, son droit national à la lumièrede la directive, conformément au principe général posé par laCJCE qui est le principe de l’interprétation du droit national enconformité avec le droit communautaire.Si le juge national ne peut procéder à une telle interprétation,le consommateur privé des droits que lui accorde la directiveet subissant un préjudice du fait de l’application de son droitnational peut en demander réparation en engageant la responsa -bilité de l’État membre défaillant. Cette obligation de réparationmise à la charge de l’État membre par la jurisprudence commu -nautaire s’impose aux juridictions nationales en vertu de la pri-mauté du droit communautaire.

§ 2 – L’INTERPRÉTATION CONFORMEAU DROIT COMMUNAUTAIRE DU DROITNATIONAL APPLICABLE AU LITIGE

Le juge national, juge du droit communautaire, a l’obligationde veiller à ce que l’interprétation de son droit national soit

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conforme au droit communautaire dont le sens et la portée luisont donnés par les arrêts en interprétation rendus par la CJCEen réponse à des questions préjudicielles posées par le juge saisidu litige ou précédemment par d’autres juges à propos d’autreslitiges.

1°) L’obligation d’interprétation conforme du juge

Dans les litiges relatifs à la compatibilité ou à la conformité dudroit national avec le droit communautaire, le juge doit inter-préter son droit en conformité avec le droit communautaire.Selon ce principe de l’interprétation conforme issu de la juris -prudence de la CJCE, le juge est tenu d’interpréter son droit «àla lumière du texte et de la finalité du droit communautaire» etnotamment, dans le droit dérivé, d’interpréter la loi ou le règle -ment de transposition de la directive «à la lumière du texte et dela finalité de la directive» (CJCE, 13 novembre 1990, aff. C-106/89,Marleasing). Il est donc invité à ne pas appliquer les dispositionscontraires de son droit qui l’empêcheraient d’atteindre l’objectifde réalisation du marché intérieur ou l’objectif de protection voulupar la directive.Pour satisfaire à cette obligation, le juge doit préalablement êtreen mesure d’interpréter le droit du Traité CE ou les directives.En matière de protection des consommateurs, c’est essentiel-lement à l’interprétation des directives que le juge doit se livrerpour appliquer son droit en conformité avec le droit commu-nautaire.S’il ne lui est pas possible de se livrer seul à une telle interpréta -tion, une des deux solutions suivantes s’offre à lui :– soit rechercher si la CJCE a déjà rendu des arrêts en interpré -tation sur la directive applicable au litige dont il est saisi, étantobservé que les arrêts en interprétation s’imposent à tous les Étatsmembres et éclairent en conséquence le juge dans l’interpré-tation de son droit national ;– soit, à défaut d’arrêts, saisir la CJCE au moyen d’un renvoi eninterprétation afin de lui poser une question préjudicielle re-lative à l’interprétation à donner à la directive ou à certaines deses dispositions.Il n’y a pas lieu d’examiner les modalités des questions préjudi -cielles, mais seulement de rappeler que le juge doit porter à laconnaissance de la CJCE tous les éléments ayant une incidencesur l’interprétation de la directive.

2°) Les arrêts préjudiciels en interprétation

La CJCE a été appelée à se prononcer sur l’interprétation de plu-sieurs directives relatives à la protection des consommateurs ence qui concerne leur domaine d’application, les conditions d’exer-cice du droit de rétractation et de nombreux autres aspects pro-pres à certaines directives relatives notamment à la responsabi -lité du fait des produits défectueux et à la directive sur les voyageset séjours à forfait.Comme il n’est pas possible de procéder à un examen exhaustifde cette jurisprudence, consultable sur le site web de la CJCE,seuls seront cités les arrêts les plus notables en raison de leurretentissement sur le droit national.

1. La notion de consommateur protégé par la directivesur les clauses abusives

CJCE, 22 novembre 2005, aff. C-541/99, Cape Snc

c/ Ideal-service

À la question du juge italien de savoir si une personne moralepouvait bénéficier de la protection contre les clauses abusives,la CJCE a répondu que le consommateur visé par la directive nepeut être, en vertu de l’article 2 de ce texte, qu’une personne phy-sique.En conséquence, une loi nationale de transposition, en l’espècela loi italienne, qui se borne à reproduire à l’identique la directive

et ne contient aucune disposition expresse étendant la protectionaux personnes morales, comme l’y autorise la directive qui estminimale, doit être interprétée conformément aux prescriptionsde cette directive sous peine de la dénaturer. L’arrêt du 22 no-vembre 2005 ne fait qu’appliquer le principe de l’interprétationconforme, selon lequel le juge national doit interpréter son droitnational à la lumière du texte et de la finalité de la directive, afortiori lorsque son droit reproduit cette directive en l’état.À l’image de la loi italienne, le code de la consommation fran-çais ne contient aucune disposition expresse étendant la pro-tection contre les clauses abusives aux personnes morales.La Cour de cassation a cependant jugé, à la suite de l’arrêt dela CJCE, que la notion de non-professionnel ajoutée à celle deconsommateur dans le code de la consommation permettait unetelle extension (Cass. civ. I, 15 mars 2005, no 02-13285, consultablesur <legifrance.gouv.fr>), même si la notion de non-professionnelvise plus une activité que le statut juridique de l’entreprise.Une telle interprétation semble discutable. Si les directives mi-nimales ne retirent pas aux États membres la liberté d’aller au-delà du domaine harmonisé, c’est à la condition que l’extensionde la protection soit expressément prévue, comme l’exigent lesclauses minimales de ces directives, par des dispositions légis -latives ou réglementaires inscrites dans les lois nationales detransposition.

2. Le régime de responsabilité de la directive sur la responsabilité des produits défectueux

CJCE, 25 avril 2002, aff. C-183/00,

Commission c/ République française

À la question du juge espagnol sur le régime de responsabilitéde plein droit institué par la directive en cas de dommage causépar des produits défectueux, la CJCE a répondu que cette directived’harmonisation totale exclut tout autre régime général de respon-sabilité fondé, comme celui de la directive, sur l’obligation desécurité. Seuls peuvent subsister, à côté du régime prévu par ladirective, des régimes généraux de responsabilité reposant surdes fondements différents.En conséquence, la jurisprudence française, qui avant cet arrêtfaisait de l’obligation de sécurité le fondement de la responsabi -lité de droit commun des professionnels, a dû être modifiée.

3. L’interdépendance entre le contrat de crédit et le contrat principal financé par ce crédit dans la directive sur le crédit à la consommation

CJCE, 4 octobre 2007, aff. C-429/05, Rampion et Franfinance

Dans cette affaire, où un contrat de vente avait été financé parune ouverture de crédit dont l’offre ne mentionnait pas le bienfinancé, le juge français a posé la question de savoir si les règlesd’interdépendance entre le contrat de crédit et le contrat prin-cipal de fournitures de biens ou de services financé par ce créditprévues à l’article L. 311-21 du code de la consommation s’ap-pliquent malgré, d’une part, l’absence de mention du bien finan -cé dans l’offre de crédit, alors qu’une telle mention est exigéepar l’article L. 311-20 du même code, d’autre part, le fait que lecrédit n’a pas été conclu sous la forme d’un crédit affecté maissous la forme d’une ouverture de crédit.À cette question, la CJCE a répondu que l’article 11 de la directives’oppose à ce que le droit du consommateur d’exercer un recourscontre le prêteur, en cas de contestation sur l’exécution du contratfinancé ou en cas d’annulation ou de résolution de ce même con -trat, soit subordonné à la condition que l’offre préalable de créditmentionne le bien ou la prestation de services financés.En conséquence, la réglementation française est contraire à ladirective et la jurisprudence de la Cour de cassation, subordon -nant l’application des règles d’interdépendance entre le créditet le contrat principal à la mention dans l’offre de crédit du bienfinancé, s’en tient à une lecture littérale de l’article L. 311-20 ducode de la consommation qui n’est pas conforme à l’interpréta -tion faite de la directive.

VI 80, rue Lecourbe – 75015 Paris – <www.conso.net>Institut national de la consommation

4. Le pouvoir du juge national de relever d’office lesmoyens de droit non invoqués par le consommateurLe droit processuel de la consommation est sans doute le droitqui a le plus subi l’influence du droit communautaire, puisqueplusieurs arrêts de la CJCE ont ébranlé la jurisprudence de la Courde cassation dont la résistance aux solutions communautairesa finalement été anéantie par le législateur dans la loi no 2008-3du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence auservice des consommateurs.Il suffit de rappeler les étapes qui ont abouti à ce que le juge na-tional puisse soulever d’office les droits que le consommateurjusticiable tient de la législation communautaire, lorsque celui-ci comparaissant le plus souvent seul devant le juge d’instancen’a pas invoqué, dans l’ignorance des textes pris en sa faveur, lesmoyens de droit propres à assurer sa défense.

4-1. Les arrêts de la CJCELa CJCE s’est très rapidement prononcée sur l’autonomie pro-cédurale laissée aux États membres dans les directives leur per-mettant de régler les modalités procédurales des recours en jus-tice pour en fixer les limites. Elle a jugé que les lois de procédurenationales ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou ex -cessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre ju-ridique communautaire (CJCE, 16 décembre 1976, arrêts Reweet Comet).Appliquant cette jurisprudence au droit de la consommation,la CJCE a rendu quatre arrêts, trois portant sur l’interprétationde la directive sur les clauses abusives, le quatrième concernantla directive sur le crédit à la consommation.

Les arrêts en interprétation de la directive sur les clauses abusives

CJCE, 27 juin 2000, aff. C-240/98 à C-244/98,

Oceano Grupo Editorial SA

À la question du juge espagnol demandant s’il pouvait releverd’office le caractère abusif d’une clause attributive de compéten -ce territoriale au tribunal du domicile du professionnel dans uncontrat d’abonnement, la CJCE a répondu, en se livrant à uneinterprétation téléologique de la directive, que sa finalité de pro-tection des consommateurs en situation d’infériorité devant lesprofessionnels contraint les États membres à mettre en placetous les moyens adéquats et nécessaires à l’éradication de cesclauses, y compris les moyens procéduraux parmi lesquels figu -re le pouvoir du juge de relever d’office les clauses abusives noninvoquées par les consommateurs.

CJCE, 21 novembre 2002, aff. C-473/00,

Cofidis SA

À la question du juge français de savoir s’il pouvait relever d’of-fice une clause financière abusive dans un contrat de crédit àla consommation, la CJCE a répondu que la réglementation fran-çaise du crédit prévoyant à l’époque un délai biennal de forclusionne pouvait pas limiter dans le temps la faculté du consommateurou du juge de soulever le caractère abusif de la clause.

CJCE, 26 octobre 2006, aff. C-168/05,

Mustral c/ Claron Centro

À la question du juge espagnol de savoir si le système de pro-tection mis en place par la directive sur les clauses abusives im-plique que le juge national, appelé à se prononcer sur un recourscontre une sentence arbitrale, puisse relever d’office le caractèreabusif de la clause compromissoire, la CJCE a répondu que cettedirective «doit être interprétée en ce sens qu’elle implique qu’unejuridiction nationale saisie d’un recours en annulation d’une sen-tence arbitrale apprécie la nullité de la convention d’arbitrage etannule cette sentence au motif que ladite convention contient uneclause abusive, alors même que le consommateur a invoqué cettenullité non pas dans le cadre de la procédure arbitrale, mais uni-quement dans celui du recours en annulation ».

L’arrêt en interprétation de la directive sur le crédit à la consommation

CJCE, 4 octobre 2007, aff. C-429/05, Rampion et Franfinance

Après avoir fait juger par la CJCE que la réglementation françaisesubordonnant l’interdépendance entre le contrat de crédit et lecontrat principal à la condition que l’offre de crédit fasse men-tion du bien ou de la prestation de services financé est contraireà la directive sur le crédit à la consommation, le juge français aposé la question de savoir s’il pouvait relever d’office cette irré -gularité.La CJCE a répondu que cette directive doit être interprétée ence sens qu’elle permet au juge national d’appliquer d’office lesdispositions transposant en droit interne le droit des consomma -teurs d’exercer un recours contre le prêteur dans les conditionsfixées par la directive.Cette jurisprudence de la CJCE s’appuie sur des considérationsde portée générale mettant en avant le double objectif des direc -tives consuméristes qui est tout à la fois de protéger les consom-mateurs en situation d’infériorité et de créer, comme elle le sou-ligne dans ce dernier arrêt, un marché intérieur du crédit à laconsommation.

4-2. La réticence de la Cour de cassationIl importe seulement, car le débat a perdu de son intérêt, de rap-peler que la Cour de cassation s’est toujours appuyée sur la dis-tinction entre les règles d’ordre public de direction pouvant êtrerelevées d’office par le juge et les règles d’ordre public de pro-tection qui ne peuvent être invoquées qu’à la demande de la per-sonne que ces règles ont pour objet de protéger. Considérantque le droit de la consommation est un droit de protection, laCour de cassation a été amenée à refuser tout pouvoir au jugede relever d’office les moyens de droit non invoqués par les con -sommateurs.Cette jurisprudence, qui entre en contradiction avec celle de laCJCE, a été assouplie dans le domaine des clauses abusives oùla Cour de cassation a jugé que, à défaut de comparution ou desilence du consommateur, le juge pouvait relever d’office le moyende droit tiré de la présence d’une clause abusive, pourvu qu’il res -pecte le principe du contradictoire en soumettant ce moyen àl’observation des parties (Cass. civ. I, 16 février 1994, no 88-16852).En revanche, la Cour de cassation persiste à propos des contratsde crédit à la consommation dont les irrégularités au regard dela réglementation ne peuvent être opposées qu’à la demande dela personne protégée par cette réglementation (Cass. civ. I, 15 fé-vrier 2000, no 98-11624; Cass. civ. I, 10 juillet. 2002, no 00-22199;Cass. civ. I, 23 novembre 2004, no 03-17 197).

4-3. L’intervention du législateurL’article 34 de la loi no 2008-3 du 3 janvier 2008 pour le dévelop -pement de la concurrence au service des consommateurs, co-difié dans l’article L. 141-4 du code de la consommation, vientmettre un terme à cette dernière jurisprudence de la Cour decassation.Désormais, selon ce nouvel article, le juge peut soulever d’officetoutes les dispositions du présent code dans les litiges nés deson application.La portée générale donnée à ce texte fait qu’il n’y a plus lieu derechercher si le juge tient son pouvoir d’une directive commec’était le cas auparavant. Toutes les règles codifiées, qu’elles soientd’origine nationale ou communautaire, sont concernées.Une telle évolution constitue une avancée notable pour une bonne application du droit de la consommation.

Jean-Pierre Pizzioprofesseur émérite à l’Université de Bourgogne