1968-2008. Quarante années avec · PDF fileA peine avais-je mis les pieds salle 45 que je tombai nez à nez sur les photos du test de Szondi. Elles se trouvaient sur la table de la

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  • 1968-2008. Quarante annes avec Szondi.

    Jean Mlon

    1. Comment jai rencontr le Szondi.

    Lhistoire commence le 1 septembre 1968.

    Ce jour-l, jai dbarqu dans le service hospitalier du Professeur Maurice DONGIER, salle

    45, lHpital de Bavire.[1]

    Mon stage de spcialisation en psychiatrie dbutait. Il allait durer quatre ans.

    a. De lAnatomie Pathologique la Psychanalyse en passant par le bled algrien.

    Javais termin mes tudes de mdecine en juillet 1966. De 62 66, trois annes

    durant, javais fait fonction dlve assistant dans le service dAnatomie Pathologique du

    Professeur Emile Hyppolite BETZ, Dieu ait son me. Ce gant tyrannique mavait employ

    pratiquer une centaine dautopsies et lanc dans une recherche sur le cancer qui mavait

    conduit inoculer une tumeur gastrique 300 lapins, de quoi me dgoter du lapin jusqu la

    fin de mes jours. Au bout de ces trois annes de rclusion dans les caves de lHpital, la

    recherche avait port des fruits. BETZ tait content. Jtais mr pour une carrire de

    chercheur au FNRS (Fonds National de la Recherche Scientifique). Le formulaire tait prt,

    je navais plus qu signer.

    Cependant, lambiance du service dAnatomie Pathologique tait peu conviviale. Ctait une

    ppinire dambitieux qui se disputaient furieusement sous lil amus de

    l hnaurme BETZ qui distribuait des noms doiseaux tout le monde. Je ntais pas

    enchant par la perspective de passer mon existence dans lodeur du formol et des cadavres,

    sautant du scalpel au microscope, avec la voix tonitruante dEmile Hippolyte en toile de fond

    sonore.

    Le 18 aot 1966, jai mis le cap sur Alger, avec mon seul diplme en poche.

    Jtais tiers-mondiste. Mes hros taient plus politiques que scientifiques. LAlgrie tait

    indpendante depuis 62. Jallais l pour rparer (e+ !). Monique, mon pouse, et ma

    fille Sarah, peine ge dun an, me rejoignirent quelques jours plus tard.

    https://docs.google.com/Doc?id=dgkm9v57_257dnvgmncz&btr=EmailImport#_ftn1

  • Entre temps, je mtais rendu au Ministre de la Sant pour offrir mes services comme

    mdecin gnraliste. On me proposa un poste de mdecin de lAMS (Assistance Mdico-

    Sociale) Bou Medfa, un village perdu dans le bled entre Miliana et El Affroun, cent

    kilomtres dAlger. Ctait un ancien village dit stratgique o les Franais avaient

    rassembl des paysans venus de tous les hameaux isols des

    environs. La population tait misrable, sans culture commune. Un village sans me. Jtais le

    seul europen dans un rayon de 40 kilomtres. Ce que javais en commun avec mes voisins,

    ctait une sorte de dracinement absolu. En contrepartie, nous avions une vie familiale

    intense. Sophie, ma deuxime fille, est ne l-bas le 28 avril 1967, Blida. Nous passions

    beaucoup de temps crire nos proches.

    Les Arabes alentour se sont demand et mont souvent demand - ce que je faisais l.

    La rumeur disait que jtais un apprenti mdecin en voie de formation. Il est vrai que du haut

    de mes 24 ans, je navais pas lair imposant, malgr mon tablier blanc et mon stthoscope.

    Aurais-je mme eu plus fire allure, les habitants du coin se mfiaient de la mdecine des

    Roumis - cest ainsi quils mappelaient en dpit de mes protestations de Toubib - et se

    fiaient uniquement la mdecine des marabouts. Je nai connu que des urgences vtrinaires ;

    quand une vache ou une chvre tait ventre par un sanglier, alors je devenais le

    sauveur. Les vaches mont sauv de lostracisme.

    Je ne me sentais utile que lorsque je rhydratais les nourrissons et les ramenais la vie. Bref,

    ce mtier ne me rendait pas heureux. Je navais quasiment rien faire. Je napprenais rien.

    Mes connaissances mdicales ne me servaient rien.

    Jai vcu de plein fouet le choc des cultures , la totale absence de communication entre le

    monde de ces misreux et le mien.

    Cest ce formidable choc qui a fait basculer dfinitivement mes intrts scientifiques du ct

    des sciences humaines, de la sociologie dabord, de la philosophie ensuite, puis de

    lanthropologie culturelle et finalement . de la psychanalyse.

    Par bonheur, Alger ntait pas loin, et les librairies regorgeaient encore de livres crits en

    franais. Cest ainsi, que peu de temps aprs sa publication en dcembre 66, jai acquis les

    Ecrits de Lacan, dans une librairie doccasion, pour lquivalent de deux Euros en valeur

    actuelle. Le lecteur navait pas mis longtemps se dbarrasser de cet pais galimatias. Jai

    plusieurs fois essay de le lire mais en vain. Cependant jai gard le livre et je lai encore.

    Mais je nessaie plus den comprendre le propos. A part que le langage, cest important ! Pour

    a, jtais daccord. Jen faisais lexprience tous les jours sur le terrain.

    De FREUD , jai lu les Cinq Psychanalyses, la Traumdeutung et les Trois Essais sur la

    sexualit. Je ny comprenais pas grand-chose mais jtais conscient que ctait le fait de mon

    inexprience. Cela me paraissait beaucoup plus difficile comprendre que la philosophie et

    tout le reste des sciences humaines dont je me dlectais en plus dune foule de romans o les

    Russes avaient ma prfrence. Dostoievski, Tolsto et Tchekov taient mes auteurs favoris.

    Je nai jamais lu autant que pendant ces deux annes.

    Le projet dentreprendre une psychanalyse ds mon retour en Europe commena de germer

    dans ma tte.

  • En dcembre 67, loccasion dun cong en Belgique, alors que je savais que je

    rentrerais dfinitivement en aot 68 et que jtais indcis quant mon avenir, jai demand -

    pouss par Monique, et dans des circonstances trop rocambolesques pour tre racontes ici

    tre reu par le Professeur Maurice DONGIER. Il tait psychanalyste et, de tous mes

    Professeurs, celui dont javais le plus apprci lintelligence teinte dhumour, galit avec

    BETZ.

    Au terme dun bref interview, DONGIER accepta que je devienne assistant dans son service

    quand je serais de retour en Belgique. Cela ne lengageait rien. Il y avait plthore de

    candidats psychiatres dans le service de Psychologie Mdicale. La venue Lige de Maurice

    DONGIER, en 1960, avait suscit une vague extraordinaire de vocations psychiatriques et

    psychanalytiques. En une dcennie, le nombre de psychiatres Lige fut multipli par dix au

    moins.

    b. La Salle 45

    Je le sus bientt, la Salle 45 tait une Cour des Miracles, voue au traitement

    hospitalier des patients nvross, hystriques, cas limites, obsessionnels graves et

    psychosomatiques. La mdecine psychosomatique avait le vent en poupe dans ces annes l.

    Toutefois, on y trouvait aussi des psychotiques, des pileptiques, des toxicomanes, bref un

    peu de tout. La consigne tait de privilgier le contact, la psychothrapie intensive,

    dinspiration psychanalytique de prfrence, et de limiter la pharmacothrapie. Mais, sil le

    fallait, on recourait la sismothrapie et linsulinothrapie. La salle tait ouverte et mixte,

    ce qui lui valait la rputation dtre le bordel de Bavire .

    Maurice DONGIER ntait pas un esprit dogmatique, mais ce ntait pas

    non plus un antipsychiatre comme il y en avait beaucoup lpoque. La salle 45 tait dirige

    par Albert DEMARET, un homme tranquille, prvenant, peu interventionniste, bourr dides

    originales, prfrant rgner par lhumour que par les remontrances. Il y avait 30 lits occups

    en permanence par trente patients. Trois stagiaires en avaient la responsabilit : dix patients

    par stagiaire. Jtais lun des trois.

    Chaque jour, nous nous runissions autour dAlbert DEMARET, avec les infirmires

    et lassistante sociale. DONGIER passait une fois par semaine. A tour de rle, chaque

    stagiaire prsentait le cas dun malade. Il arrivait parfois quaprs une prsentation de cas, un

    stagiaire disparaisse du service. Le patron lavait jug. Venit, vexavit, expulit.

    DONGIER invitait chaque mois un orateur tranger, souvent un de ses amis de la

    Socit Franaise de Psychanalyse ou de lEvolution Psychiatrique. En deux ans je vis dfiler

  • pas mal de clbrits. Tous les stagiaires taient galement invits prsenter un sujet de leur

    choix au cours dun sminaire qui se tenait deux fois par mois. La plupart redoutaient ces

    preuves. Pour ma part, jtais toujours partant pour traiter dun sujet souvent en marge de la

    psychiatrie. Mes mditations algriennes navaient pas t vaines.

    Maurice DONGIER mapprciait et le disait ouvertement. Cela flattait mon

    ego mais, revers de la mdaille, faisait des jaloux dans ce service o il y avait beaucoup

    dappels et peu dlus . Aussi, hormis Maurice DONGIER et Albert DEMARET, je ne me

    suis pas fait de vritable ami tant que jai travaill dans le Service de Psychologie

    Mdicale. Au moins ne me connais-je pas non plus dennemi.

    La rgle voulait que le stagiaire choisisse entre le Service de Psychologie

    Mdicale et le Service de Psychiatrie du Professeur Jean BOBON. Nous passions trois ans

    dans le service de notre choix et un an dans lautre service. Jai sjourn dans la Clinique du

    Professeur BOBON de septembre 69 juillet 70. Jy ai surtout fait de la recherche

    exprimentale sur les neuroleptiques. L, je me suis fait des amis, pour la

    raison plausible que, dentre de jeu, javais fait savoir que je ny resterais pas. Le dada de

    Jean BOBON tait lart psychopathologique, dont il tait un expert reconnu. Je my

    intressais aussi. Jcrivis deux