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Claude Durand Callon Michel, Lascoumes Pierre, Barthe Yannick, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. In: Revue française de sociologie. 2002, 43-4. pp. 782-784. Citer ce document / Cite this document : Durand Claude. Callon Michel, Lascoumes Pierre, Barthe Yannick, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique. In: Revue française de sociologie. 2002, 43-4. pp. 782-784. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_2002_num_43_4_5547

2 Agir Dun Mode Incertain

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Agir Dun Mode Incertain francês

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  • Claude Durand

    Callon Michel, Lascoumes Pierre, Barthe Yannick, Agir dans unmonde incertain. Essai sur la dmocratie technique.In: Revue franaise de sociologie. 2002, 43-4. pp. 782-784.

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    Durand Claude. Callon Michel, Lascoumes Pierre, Barthe Yannick, Agir dans un monde incertain. Essai sur la dmocratietechnique. In: Revue franaise de sociologie. 2002, 43-4. pp. 782-784.

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rfsoc_0035-2969_2002_num_43_4_5547

  • Revue franaise de sociologie

    Callon (Michel), Lascoumes (Pierre), Barthe (Yannick). - Agir dans un monde incertain. Essai sur la dmocratie technique. Paris, Le Seuil (La couleur des ides), 2001, 358 p., 22,56 .

    Cet ouvrage de sociologie de la connaissance dborde largement le cadre habituel de la sociologie des sciences pour traiter d'emble les difficiles problmes des relations entre savoir et pouvoir et proposer une nouvelle conception de la dmocratie.

    Il part du constat de certaines dysfonc- tions dans le traitement de l'incertitude : le dveloppement des sciences et des techniques n'apporte pas dans la connaissance plus de certitudes. Dans le domaine de la sant et de l'environnement, notamment, l'avenir reste opaque et menaant , ce qui donne prise de multiples controverses publiques qui accroissent la visibilit de ces incertitudes (prise de conscience des risques lis l'effet de serre, aux OGM, aux dchets nuclaires, etc.). Ces controverses sociotechniques permettent d'explorer les dbordements engendrs par le dveloppement des sciences et des techniques qui mettent en vidence des effets imprvus, des problmes inattendus. Pour les auteurs ces controverses peuvent tre fcondes : elles favorisent l'enrichissement et la transformation des projets et des enjeux initiaux et permettent de reformuler les problmes lis cette perception sociale des risques, de redfinir les objectifs poursuivis. La dmarche prconise est de constituer un processus d'apprentissage collectif susceptible de sortir des impasses par un approfondissement de la dmocratie. Ce qui est propos dans cet ouvrage c'est une nouvelle conception de la dmocratie technique qui consiste passer de la dmocratie reprsentative une dmocratie dialogiste .

    La controverse intgre les conflits, en favorise le surgissement et du mme coup enrichit la dmocratie. De mme que la

    dmocratie reprsentative dlgue le pouvoir politique des reprsentants, la science dlgue la production de connaissances des spcialistes. La controverse va mettre en cause cette dlgation pour explorer de nouvelles configurations entre savoir et politique. Les auteurs proposent d'tablir une dmocratie dialogique qui vienne enrichir la dmocratie dlgative .

    Cette mise en question de la dmocratie reprsentative (ou dlgative) s'appuie sur une analyse critique de l'expertise. Entre le savant et le politique une multiplicit d'experts est au service de la dmocratie dlgative, servant aux politiques de caution leurs dcisions. L'expertise savante prend la forme d'un discours d'autorit qui ne rpond pas aux interrogations des citoyens. Ceux-ci sont conduits, dans une socit du risque, pratiquer une stratgie de la suspicion : pour contraindre les professionnels tenir compte de leurs craintes et explorer les dbordements provoqus par les sciences et les techniques, les profanes poussent l'instauration de dbats publics o ils pourraient exprimer leurs angoisses, leurs peurs et leurs doutes. Ils contraignent ainsi les scientifiques sortir de leurs laboratoires. Les auteurs estiment que les profanes peuvent faire entendre leur voix et trouver leur place au cur mme de la recherche. Les experts n'ont pas le monopole des problmes. Le rle des profanes est essentiel dans la mise en vidence des problmes, l'identification des obstacles, la perception des phnomnes tranges. Ils entrent dans l'arne scientifique l'occasion des controverses.

    Les situations d'incertitude justifient le recours une expertise pluraliste incluant diffrentes catgories de profanes et qui ouvre une large confrontation de points de vue. Ainsi la question des OGM n'est pas confine au dveloppement de la biologie : elle concerne galement les agriculteurs, les consommateurs et les dfenseurs de l'environnement. La controverse est un moyen

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  • Les livres

    d'apprentissage et d'exploration. Elle permet d'intgrer la recherche dans le tissu social. Les expriences de dialogue montrent la richesse et la pertinence des savoirs labors par les profanes et la fcondit d'une dmocratie dialo- gique . Elles justifient leur entre dans l'laboration et la diffusion des savoirs. Le dsenclavement de la recherche permet une prise en compte des enjeux globaux allant jusqu' inclure des dimensions thiques ou sociopolitiques.

    L'espace public du dialogue ne peut fonctionner que s'il est organis et structur. La mise en uvre des procdures dialogiques dmocratiques doit rpondre plusieurs critres : la possibilit tablie pour le non-spcialiste de collaborer avec les spcialistes la production des connaissances, la proccupation du collectif, c'est--dire l'coute mutuelle qui fera surgir les identits, le degr de coopration. La mise en uvre des procdures dialogiques demande l'intervention du mouvement associatif, des mdias et des pouvoirs publics.

    Les procdures vont introduire les rgles du jeu pour garantir la dmocratie dans la conduite des dbats, crer des formes originales de consultation et de dlibration garantissant l'accs gal pour tous au dbat, la transparence, la publicit des rgles du jeu. Des mcanismes devront convaincre les acteurs du dbat que chaque groupe a pu exprimer son point de vue et que les dcisions sont quitables. Les relations de confiance s'tabliront par la densit des interactions ainsi que par des dispositifs de certification. Il s'agit d'viter la manipulation : l'espace public permet aux voix dissidentes d'tre audibles. Pour cela les procdures devront tre dfinies clairement et rigoureusement ; elles sont tablies aprs discussion. Les procdures devront garantir la fois l'efficacit et la prservation de la complexit des questions et de la richesse des rponses.

    Deux objectifs principaux guident la dmocratie technique : l'mergence des identits contestataires et l'largissement

    de la recherche. Du choc des identits merge, par compromis, la composition du collectif. Dans ce processus, les singularits, loin d'tre gommes, sont affirmes, revendiques et participent la substance mme du dbat. Les minorits se mobilisent pour tre reprsentes. Le collectif rpond aux questions : qui compose le groupe ? quels sont ses projets, ses attentes, ses intrts ? Un dialogue s'tablit avec d'autres identits mergentes ou constitues.

    Les procdures dialogistes permettent d'organiser une recherche cooprative entre spcialistes et profanes, la coopration entre recherche confine et recherche de plein air . La recherche confine tire une partie de sa puissance de sa capacit s'isoler, se mettre distance. Mais ainsi elle perd le contact, elle se coupe du monde, ne rendant plus compte de sa complexit et de sa richesse. Il s'agit d'amnager des transitions, des changes entre le monde des spcialistes et celui des profanes, d'obtenir une complmentarit entre pense savante et pense commune (problme de traduction ). Ce qui compte pour la recherche de plein air c'est la formulation des problmes, les modalits d'application des connaissances et des savoir-faire, l'ouverture du collectif de recherche. Cette ouverture va faciliter le retour au monde.

    Au cours de l'ouvrage ces nouvelles procdures dialogistes sont analyses dans le cadre des forums hybrides et des confrences de consensus. Est dcrite en dtail la Confrence des citoyens de 1998 sur l'usage des OGM en agriculture et dans l'alimentation. C'est une tape intressante de la dmocratie technique. Son objet est d'largir le cercle de discussion sur les incertitudes et les effets possibles de la mise en uvre des dcouvertes de gntique, au-del des dcideurs et des experts, en ouvrant le dbat au public. La confrence utilise un comit de pilotage . Elle vise une certaine reprsentativit de la socit civile. Elle tablit, aprs des stages de formation, un questionne-

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  • Revue franaise de sociologie

    ment et un dialogue entre experts et profanes qui se conclut par un avis crit et des recommandations du groupe de citoyens. L'analyse montre, de la part du groupe, une prise de distance vis--vis des intrts constitus, une vision dgage des enjeux locaux, une large ouverture du questionnement, ainsi que le srieux des changes entre partenaires. C'est une amorce de la reconnaissance du rle possible des profanes dans le traitement des enjeux scientifiques, la dmonstration de la capacit des citoyens saisir les dimensions stratgiques de la recherche. Mais la confrence n'aboutit pas la constitution d'identits nouvelles, ni d'un collectif de suivi des recherches.

    Les forums hybrides ont la faveur des auteurs. Ce sont des lieux de dbats et de controverses : ils se sont tenus sur le sida, les dchets nuclaires, les myopathies, l'ESB, etc. Ils dmontrent la richesse et la pertinence des savoirs labors par les profanes. Forum dsigne l'ouverture de l'espace des dbats sur les choix techniques, hybrides signifie l'htrognit des groupes engags dans le dbat : experts, techniciens, politiques, profanes. L'interaction entre les identits des acteurs y fait progresser l'exploration des problmes. Le registre des questions abordes est vari : elles vont de la physiologie l'cologie, de l'thique l'conomie. Les forums tmoignent de l'effervescence de nos socits, des difficults des dmocraties reprsentatives grer les situations d'incertitude, de la volont d'explorer de nouvelles configurations entre savoir et politique. De ces changes entre savoirs spcialistes et savoirs profanes merge un monde commun ouvert de nouvelles explorations. Les forums prfigurent l'articulation de la recherche confine et de la recherche de plein air.

    Face la notion d'incertitude les forums hybrides mettent en cause la conception de la dcision en inventant le principe de prcaution, dfini comme dmarche active et ouverte, contingente

    et rvisable reposant sur l'approfondissement de la connaissance scientifique mais aussi sur l'acceptabilit sociale et le cot conomique (p. 264). Son intervention s'articule autour de trois axes : un systme d'alerte, un approfondissement de connaissances et la prise de mesures temporaires et rvisables. C'est une remise en cause du modle squentiel de la prise de dcision dans un contexte d'incertitude.

    On peroit clairement l'intrt de cet ouvrage et l'acuit des problmes dbattus. L'optique des auteurs brise les clivages recherche fondamentale- recherche applique, expert-profane, savant-citoyen tout venant. Elle rompt les tabous de l'invulnrabilit de la science et de la non-responsabilisation de ses applications. C'est une tentative louable de construction d'une dmocratie participante dans le domaine scientifique et technique, et de recherche de procdures pour concrtiser le dbat politique attendu depuis les propositions d'Habermas (dont les auteurs cependant se dmarquent au passage). L'ouvrage reprsente une alliance heureuse de dmarches et rfrences empiriques constantes et d'une rflexion mthodologique et pistmologique solide.

    Cependant quelques questions se posent : est-il souhaitable de maintenir l'intrication prconise des deux dimensions de la dmocratie technique : la participation l'laboration des connaissances et l'expression des identits ? Cette assimilation n'est-elle pas source de difficults, la premire dmarche tant cognitive et se voulant objective, la seconde (l'identit) se rfrant aux intrts et aux acteurs en confrontation. Cet amalgame ne suscite-t-il pas une certaine confusion entre identits et enjeux ? Ne risque-t-il pas de conduire une rduction de la sociologie de la science une sociologie de l'action ?

    Claude Durand

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