7
Pierre JACQUET, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.) Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ? 2012 Dossier

2012regardssurlaterre.com/sites/default/files/rst/2012-7-FR.pdfles pays du pourtour méditerranéen, deux tiers des habitants habitent en ville ; en 2030, les citadins représenteront

  • Upload
    others

  • View
    3

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Regards sur la Terre décrypte la complexité des processus qui composent le développe-ment durable et en révèle toute la richesse.

La première partie dresse le bilan de l’année 2011 : retour sur les dates qui ont marqué l’avancée des connaissances et la construction de l’action dans les domaines du climat, de la biodiversité, des ressources naturelles, de la gouvernance, de l’énergie, de la santé ou du développement ; analyse des événements clés et des tendances émergentes, identifi cation des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives.

Le Dossier 2012 interroge l’un des enjeux majeurs de nos sociétés contemporaines : l’agri-culture. Longtemps restée écartée des politiques de développement, celle-ci fait un retour en force sur le devant de la scène internationale. Mais si l’évidence d’un besoin d’investissements massifs dans le secteur agricole est aujourd’hui reconnue, d’im-portantes controverses demeurent. L’agriculture peut-elle être un moteur du déve-loppement ? Peut-elle assurer la sécurité alimentaire d’une population mondiale qui vient de franchir le cap des 7 milliards d’individus ? Comment concilier la produc-tion agricole avec les exigences du développement durable ? Un nouveau modèle doit-il être inventé ? Entre intérêt récent des investisseurs, débat sur les modèles de productions inscrits dans des réalités physiques, climatiques, environnementales et sociales et réflexion sur nos modes de consommation et d’alimentation, l’agri-culture, qui cristallise tant les espoirs que les résistances à la mondialisation, est aujourd’hui plus que jamais un enjeu de gouvernance mondiale.

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Pierre JACQUET, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.)

Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?

2012

Rega

rds

sur l

a Te

rre

25,40 € Prix TTC France6951305ISBN : 978-2-200-27528-0

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le gouvernement français. Présente

sur le terrain dans plus de 50 pays et dans 9 départements et collectivités d’outre-mer, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agri-culteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2010, l’AFD a consacré plus de 6,8 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en développement et en faveur de l’outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 13 millions d’enfants, l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 33 millions de personnes et l’octroi de microcrédits bénéficiant à un peu plus de 700 000 personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 5 millions de tonnes de CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transver-salement autour de cinq programmes thématiques : gouvernance, climat, biodiversité, fabrique urbaine et agriculture. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin de traiter les enjeux du développement durable, de

l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Pierre JACQUET, ingénieur des Ponts, des eaux et forêts et membre du Cercle des économistes, est chef écono-miste de l’Agence française de développement (AFD). Il est aussi président du département d’économie, gestion, finances et professeur d’économie internatio-nale à l’École des Ponts-ParisTech. Il est notamment administrateur de l’Institut français des relations inter-

nationales (IFRI), de l’Institut de la gestion déléguée (IGD) et de Proparco. Il a appartenu entre 1997 et 2006 au Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre. Il écrit une chronique mensuelle sur les acteurs du développement dans Le Monde de l’économie.

Laurence TUBIANA, économiste, a fondé et dirige l’Ins-titut du développement durable et des relations inter-nationales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions de l’environnement de 1997 à 2002, elle a

été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étran-gères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute at Columbia University, Oxford Martin School). Elle est également membre de l’India Council for Sustainable Development et du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du Conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies e.V. (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PACHAURI est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

20122012

Dossier

02-couvRST2012-8fev.indd 102-couvRST2012-8fev.indd 1 23/02/12 12:0923/02/12 12:09

107

TE

ND

AN

CE

S,

AC

TE

UR

S,

FA

ITS

MA

RQ

UA

NT

S

Si les printemps arabes ont provoqué un véritable élan d’espoir au début de l’année 2011, ils ont aussi soulevé des craintes de déstabilisation d’une région perçue comme explosive à de

nombreux égards. La répression violente des manifestations dans plusieurs pays du pourtour méditerranéen, les épisodes de guerre civile en Libye, en Syrie et au Yémen, ont confi rmé ces inquiétudes. En Égypte et en Tunisie, pays dont la transition démocratique fait jusqu’à présent (fi n octobre 2011) fi gure de modèle, les gouver-nements de transition devront rapidement donner des gages de changements concrets à leurs populations pour répondre à des attentes politiques et sociales fortes. Or, l’essentiel des diffi cultés structurelles auxquelles les écono-mies de la zone étaient confrontées avant les événements perdure.

Au-delà des exigences de libéralisation de systèmes politiques paralysés, la crise politique trouve en effet ses racines dans l’essouffl ement des modèles économiques et sociaux hérités de la seconde moitié du xxe siècle – dans une région mue par une transition démographique très rapide et soumise aux chocs d’une intégra-tion économique internationale dont elle a peu tiré parti.

Les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (ANMO) ont entamé leurs transitions

démographiques il y a une trentaine d’années, dans le cadre de transformations sociales et économiques majeures : progression de l’alpha-bétisation, diffusion du contrôle des naissances, éducation des femmes et accession à l’emploi, montée de l’individualisme, etc. Après une explosion démographique (de 100 millions en 1950 à près de 400 millions en 2000), la poursuite de ces mutations devrait faire chuter la fécondité qui atteindra, selon les estimations des Nations unies, 2,3 enfants par femme d’ici à 2025. Avec toutefois d’importantes divergences entre des pays comme la Tunisie (1,72 enfant par femme en 2025) qui ont achevé leur transition, et un pays comme le Yémen (3,97), dont la transition démographique est à peine entamée. Le rythme moyen de croissance de la population s’en trouverait alors nettement ralenti, de près de 3 % en 1980 à 1,3 % en 2025. Le jeune âge de la population continuera toutefois de stimuler une croissance démographique soutenue : de 450 millions d’habitants en 2010, la région pas-sera à 560 millions en 2025 puis à 700 millions en 2050, soit une augmentation de 55 % en 40 ans (contre 30 % pour l’Asie et l’Amérique latine). Elle sera alors deux fois plus peuplée que l’Europe, mais conservera le même poids démo-graphique (7 % de la population mondiale).

Cette transition est déterminante pour plusieurs raisons. La vive croissance démographique engendre un défi constant d’approvisionnement énergétique, de sécurité

Sous les pavés du printemps arabe,le chômageThierry LATREILLE, AFD*Olivier RAY, ministère des Affaires étrangères et européennes*

* Les analyses de cet article n’engagent que leurs auteurs.

108

RE

GA

RD

S S

UR

20

11

19601950 1970 1980 1990 2000 2010 2020

250

200

150

100

50

0

en millionsUrbainsde la riveSud et Est

Urbainsde la rive Nord

Rurauxde la riveSud et Est

Rurauxde la rive Nord

Source : Plan Bleu.

alimentaire et de développement urbain (dans les pays du pourtour méditerranéen, deux tiers des habitants habitent en ville ; en 2030, les citadins représenteront les trois quarts de la population). La structure démographique impacte également les besoins d’éducation et d’emplois : les 15-24 ans constituent aujourd’hui la classe d’âge la plus nombreuse dans le monde arabe, et représentent jusqu’à 25 % de la popu-lation dans certains pays (Syrie, Libye, Algérie).

L’ampleur sans précédent des générations de jeunes va se traduire, à mesure qu’ils vieil-lissent, par un gonfl ement des classes d’âge actif (25-64 ans), ce qui est susceptible de favoriser la croissance économique, comme ce fut le cas en Asie du Sud-Est lors de son décollage ou en Inde aujourd’hui. Encore faut-il que l’offre de travail suive et que les nouveaux arrivants sur le marché du travail disposent du niveau de formation adapté à la demande des entreprises. À court terme, en effet, cette situation génère des tensions fortes sur le mar-ché du travail, notamment pour la population croissante de diplômés. L’augmentation très rapide de la population active (de 3 à 4 % par an actuellement) devrait se poursuivre jusqu’en 2015 environ. L’enjeu de la gestion de ce « pic » de demande de travail est au cœur de la stabi-lité politique de la région, qui connaît le plus fort taux de chômage des primo-demandeurs d’emploi au monde (25 % en moyenne).

D’ici à 2020, selon les estimations, ce sont environ 50 millions d’emplois nouveaux, soit plus de 5 millions par an, qui seront nécessaires pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail, les augmentations les plus fortes devant se produire dans les pays à transition lente (Irak, Yémen, Arabie saoudite et Égypte). Ce chiffre sera encore plus élevé si l’on tient compte de la tendance à la participa-tion croissante des femmes dans la population active – tendance timidement engagée depuis vingt ans. À ce défi s’ajoute le fait que les États du Golfe, qui ont longtemps absorbé une part de la main-d’œuvre des pays de la zone ANMO, font de plus en plus appel à une main-d’œuvre asiatique. Cela se combine à l’introduction de politiques de préférence nationale qui pèsent sur les taux de chômage des pays voisins, notamment en Égypte, dont l’Arabie saoudite absorbait traditionnellement une part de la main-d’œuvre.

Une croissance insuffisamment créatrice d’emploisLe tissu économique du monde arabe ne parvient pas à répondre à ces besoins massifs de création d’emplois. Par-delà leur très grande diversité, les économies de la région sont aujourd’hui caractérisées par une forte dualité du secteur productif entre, d’une part, un secteur moderne très intégré à l’économie internationale (générateur de devises, qui a enregistré des gains de productivité impor-tants mais reste exposé aux évolutions de la demande européenne) et, d’autre part, un tissu économique orienté vers le marché intérieur, dominé par des très petites et moyennes entre-prises (TPME) familiales, pénalisées par une faible productivité et des diffi cultés d’accès aux fi nancements.

Cette dualité est le produit de la volonté politique d’encourager un secteur off  shore moderne, suivant le modèle asiatique. Les acquis de cette politique ne doivent pas être sous-estimés : la croissance de ce secteur pro-ductif extraverti a permis à certains pays faible-ment dotés en ressources naturelles d’atteindre le statut de pays à revenu intermédiaire, grâce à des taux de croissance confortables. Ainsi, au

La population urbaine s’est accrue tout autour de la Méditerranée, mais nulle part avec la même ampleur que sur la rive Sud et Est. Alimentées par des migrations en provenance des régions les plus pauvres, les inégalités se sont progressivement inscrites dans le paysage urbain, avec l’émergence de poches de relégation.

Des espaces devenus urbainsR

EPÈR

E 1

109

TE

ND

AN

CE

S,

AC

TE

UR

S,

FA

ITS

MA

RQ

UA

NT

S

cours de la décennie 2000, la région ANMO a connu une croissance moyenne de 4,5 % par an.

Mais ce modèle économique extraverti s’essouffl e. En effet, si la croissance de la région a contribué à l’émergence timide d’une classe moyenne et à un certain recul de la pauvreté, elle a été insuffi sante pour enrayer une forte progression du chômage : les taux de chômage s’établissent au-dessus de 10 % depuis mainte-nant deux décennies en Égypte, en Jordanie, au Liban, en Syrie et en Tunisie 1 . Les analyses du Fonds monétaire international (FMI) consi-dèrent qu’étant donnée la transition démogra-phique, une croissance soutenue de plus de 7 %, à fonction de production identique, serait

1. Ces taux sont toutefois très difficiles à évaluer à cause du travail informel, et parce que certains salaires sont insuffisants pour vivre. De plus, les statistiques sont peu fiables, pour des raisons tant techniques que politiques. La plupart des économistes s’accordent à dire que les taux de chômage avoisinent en réalité les 20 à 25 % dans ces pays.

nécessaire pour, au mieux, maintenir le taux chômage à son niveau actuel.

De nombreux facteurs se combinent pour expliquer cette croissance trop peu dynamique et peu génératrice d’emplois.

Premièrement, les modèles fondés sur une fl exibilité du marché du travail peu qualifi é et un positionnement sur les segments en aval de l’industrie légère (notamment du textile) ont conduit à un « verrouillage » de ces économies dans des activités à faible valeur ajoutée, dont elles peinent aujourd’hui à sortir. Des pays comme la Tunisie se trouvent ainsi confrontés à la situation paradoxale où les diplômés de l’enseignement supérieur connaissent des taux de chômage nettement plus élevés que les non-qualifi és, faute de débouchés appropriés. Or, les revendications issues du printemps arabe montrent bien que l’enjeu de l’emploi n’est pas seulement quantitatif : la demande

Part des jeunes et taux de dépendanceen Afrique du Nord et au Moyen-Orient

Part des 15-24 ansdans la population (%)

Taux de dépendance

0,0

15,0

10,0

5,0

20,0

25,0

0

100

80

60

40

20

120

1950 1960 1970 1980 1990 2000 2010 2020 2030 2040 2050Taux de dépendance Part des 15-24 ans dans la population

en zone Afrique du Nord, Moyen-Orient en zone Afrique du Nord, Moyen-Orienten Europe en Europe

Source : Division de la population des Nations unies, Perspectives de la population mondiale, 2010.

Une population jeune et dépendante

Autour de la Méditerranée, le ratio de dépendance, qui mesure le rapport entre la population inactive (jeunes et seniors) et la population en âge de travailler (de 15 à 64 ans), tend à augmenter. Une telle structure démographique représente un coût pour une économie, car les actifs supportent la charge financière des inactifs. Mais si la rive Nord semble durablement engagée dans l’aggravation de cette tendance, la région ANMO voit cette dépendance se réduire à l’horizon 2020.

REP

ÈRE

2

110

RE

GA

RD

S S

UR

20

11

de reconnaissance et de « dignité » implique que les emplois créés soient adaptés aux quali-fi cations de la force de travail.

Deuxièmement, le contexte international a révélé les fragilités du positionnement de la région dans les fl ux commerciaux internatio-naux. Les activités économiques destinées à l’exportation ont été frappées de plein fouet par l’arrivée sur le marché international du travail des populations actives de l’Inde, de la Chine et des anciennes républiques soviétiques au cours des années 1990. Non seulement les industries à haute intensité de main-d’œuvre de la région ANMO peinent à rivaliser avec des salaires deux à trois fois moins élevés en Asie pour des pres-tations similaires (textile, industrie de l’électro-ménager, etc.), mais elles peinent également à s’adapter aux exigences du marché européen, dont elles sont structurellement dépendantes.

Troisièmement, l’organisation du secteur privé constitue un important goulet d’étran-glement dans la région. L’augmentation de la contribution du secteur privé au PIB est un enjeu crucial dans des économies encore dominées par un secteur public important, principal employeur, mais qui ne parviendra plus à absorber le fl ux de jeunes diplômés dans un contexte de politique budgétaire plus res-trictive. Les vulnérabilités du secteur productif de la région sont renforcées par les fragilités d’un secteur fi nancier trop peu performant, excessivement exposé sur les activités les plus

volatiles (tourisme et immobilier notamment), qui ne parvient pas suffi samment à irriguer le tissu des TPME ni à diversifi er ses sources de fi nancement.

Enfi n, les modèles économiques « rentiers » ne sont pas non plus parvenus à édifi er un tissu industriel intégré. Pâtissant du « syndrome hollandais 2 », qui pèse sur la productivité des secteurs non miniers, l’Algérie, l’Irak et la Libye peinent eux aussi à lutter contre un chômage de masse.

Des inégalités sociales…Les inégalités d’accès aux fruits de la crois-sance et aux opportunités économiques ont, elles aussi, largement contribué aux tensions sociales en région Méditerranée.

Si les inégalités matérielles sont globalement plus faibles dans les sociétés arabes qu’en Asie ou en Amérique latine, en matière de cohésion sociale les perceptions d’iniquité sont déterminantes. Or, un double sentiment d’en-fermement, social et spatial, s’est développé à mesure que des populations se trouvaient progressivement exclues des opportunités éco-nomiques. Des calculs récents du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) indiquent notamment que les États arabes voient leurs niveaux d’indice de déve-loppement humain dégradés par les inégalités d’accès à l’éducation et la santé – davantage que par des inégalités de revenus.

Dans les monarchies et les républiques arabes post-indépendances, le « pacte social » entre l’État et sa population a longtemps reposé sur l’idée qu’à la citoyenneté était associé un ensemble de droits économiques et sociaux, à défaut de droits politiques. La partie publique de la redistribution entre « gagnants » et « per-dants » des modèles économique et politique dominants prenait essentiellement la forme de subventions des matières de première nécessité (eau, alimentation, énergie) et d’emplois – l’administration jouant le rôle d’employeur

2. Ce terme décrit la perte de compétitivité qui frappe des économies bénéficiant de rentrées de capitaux significatives, notamment du fait de l’exportation de matières premières, qui tirent à la hausse le taux de change réel ainsi que les salaires de différents secteurs de l’éco-nomie.

0

-3

5

10

14en %

1968

1972

1976

1980

1984

1988

1992

1996

2000

2004

2008

Afrique du NordMoyen-Orient(dont Iran)

Moyennepar décennie

Source : Banque mondiale.

Une croissance trop faible ou trop sectorielle ?

Les économies de la zone sont-elles capables de répondre aux besoins et aux aspirations de leur population ? Les politiques menées ont encouragé l’émergence d’un secteur off shore compétitif sur le marché international, mais entraînant peu de redistributions au sein de la population.

REP

ÈRE

3

111

TE

ND

AN

CE

S,

AC

TE

UR

S,

FA

ITS

MA

RQ

UA

NT

S

en dernier ressort des jeunes diplômés. Mais cette « citoyenneté sociale » a été mise à mal à partir de la crise économique des années 1980 et de la vague de libéralisation des années 1990 et 2000. Mis à part dans les économies pétro-lières, l’État s’est trouvé contraint de réduire les subventions dans un contexte de hausse tendancielle des prix des matières premières, alors que la vague de privatisations alimentait un sentiment de déclassement parmi certaines franges des classes moyennes (pression sur les salaires, détérioration des conditions de travail et hausse de la précarité).

L’augmentation des inégalités tant verticales (entre classes sociales) qu’horizontales (entre groupes ethnolinguistiques ou confessionnels) a ainsi fragilisé le tissu social, et alimenté la convergence des mécontentements. D’autant que ces impressions de déclassement ou d’exclusion cohabitaient dans certains cas avec des pratiques de prédation économique et de captation de rentes par les pouvoirs en place. En Égypte et en Tunisie, ce sont en effet les jeunes diplômés du supérieur, soumis à de nouvelles formes de précarité, qui ont constitué les cadres des révolutions, rejoints par d’autres « perdants » d’une croissance économique faible en emplois. Bien qu’exprimées différemment selon les pays, les revendications populaires ont ainsi mis en exergue une aspiration à plus de justice sociale et à une répartition plus effi cace des richesses.

… et territorialesLes investissements publics ne parvenant pas à suivre la croissance rapide de la popu-lation, des déséquilibres territoriaux se sont également creusés, générant des poches de pauvreté urbaine (quartiers informels ou cités-dortoirs) et rurale (bassins indus-triels sinistrés, zones rurales marginalisées). L’orientation des économies de la région ANMO vers l’exportation et le tourisme a renforcé un développement inégal du terri-toire en privilégiant les capitales ou les zones du littoral. Ainsi le littoral tunisien a-t-il béné-fi cié d’importants efforts d’équipement au détriment des régions de l’intérieur. En Syrie, l’axe Damas-Alep a quant à lui capté l’essentiel

des bénéfi ces de l’ouverture économique des années 2000, délaissant les périphéries. De larges zones rurales des pays des rives Sud et Est de la Méditerranée sont ainsi restées à l’écart du processus de développement, favo-risant l’essor de cultures, voire de trafi cs trans-frontaliers illicites et provoquant la perte de contrôle de pans entiers de territoires par les autorités nationales (Sud algérien, Yémen, péninsule du Sinaï, etc.).

Alimentées par d’importants mouvements de migration en provenance des zones les plus pauvres et marginalisées, les inégalités se sont progressivement inscrites dans le paysage urbain – moyennes et grandes villes confon-dues. L’émergence de poches de relégation urbaine à partir des années 1980 a suscité la multiplication de réseaux de solidarité privée, notamment confessionnelle, en lieu et place des dispositifs de solidarité publique. Dans les quartiers d’habitations informelles et autres zones de relégation urbaine, l’insuffi sance d’infrastructures publiques et la situation de précarité foncière des populations leur interdisent d’investir durablement dans l’amélioration de leur habitat. Il en résulte une détérioration des conditions de vie, mais aussi une inégalité d’accès aux opportunités économiques et aux services publics.

Désamorcer la bombeLe succès de la transition politique amorcée par ces printemps arabes dépendra donc de la capacité des pays de la région à négo-cier des transitions économiques et sociales de grande ampleur – seules à même de désa-morcer certaines des causes profondes du malaise contemporain. Il sera extrêmement diffi cile de lancer des réformes structurelles aux effets de long terme dans une période de turbulences, où les attentes sociales sont fortes. Les gouvernements de la région n’ont pour-tant pas d’autres choix que de se lancer à la conquête de nouveaux modèles de croissance, plus robustes et plus inclusifs, mais également effi cients et compétitifs, s’ils souhaitent désa-morcer la « bombe sociale » que constitue le chômage d’une jeunesse consciente du pouvoir de la mobilisation. n

Regards sur la Terre décrypte la complexité des processus qui composent le développe-ment durable et en révèle toute la richesse.

La première partie dresse le bilan de l’année 2011 : retour sur les dates qui ont marqué l’avancée des connaissances et la construction de l’action dans les domaines du climat, de la biodiversité, des ressources naturelles, de la gouvernance, de l’énergie, de la santé ou du développement ; analyse des événements clés et des tendances émergentes, identifi cation des acteurs majeurs, des enjeux et des perspectives.

Le Dossier 2012 interroge l’un des enjeux majeurs de nos sociétés contemporaines : l’agri-culture. Longtemps restée écartée des politiques de développement, celle-ci fait un retour en force sur le devant de la scène internationale. Mais si l’évidence d’un besoin d’investissements massifs dans le secteur agricole est aujourd’hui reconnue, d’im-portantes controverses demeurent. L’agriculture peut-elle être un moteur du déve-loppement ? Peut-elle assurer la sécurité alimentaire d’une population mondiale qui vient de franchir le cap des 7 milliards d’individus ? Comment concilier la produc-tion agricole avec les exigences du développement durable ? Un nouveau modèle doit-il être inventé ? Entre intérêt récent des investisseurs, débat sur les modèles de productions inscrits dans des réalités physiques, climatiques, environnementales et sociales et réflexion sur nos modes de consommation et d’alimentation, l’agri-culture, qui cristallise tant les espoirs que les résistances à la mondialisation, est aujourd’hui plus que jamais un enjeu de gouvernance mondiale.

Fruit d’une coopération entre l’AFD (Agence française de développement), l’Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales) et le TERI (The Energy and Resources Institute), Regards sur la Terre constitue un outil d’information et de compréhension indispensable.

Pierre JACQUET, Rajendra K. PACHAURI et Laurence TUBIANA (dir.)

Développement, alimentation, environnement : changer l’agriculture ?

2012

Rega

rds

sur l

a Te

rre

25,40 € Prix TTC France6951305ISBN : 978-2-200-27528-0

Établissement public, l’Agence française de développe-ment (AFD) agit depuis soixante-dix ans pour combattre la pauvreté et favoriser le développement dans les pays du Sud et dans l’outre-mer. Elle met en œuvre la politique définie par le gouvernement français. Présente

sur le terrain dans plus de 50 pays et dans 9 départements et collectivités d’outre-mer, l’AFD finance et accompagne des projets qui améliorent les conditions de vie des populations, soutiennent la croissance économique et protègent la planète : scolarisation, santé maternelle, appui aux agri-culteurs et aux petites entreprises, adduction d’eau, préservation de la forêt tropicale, lutte contre le réchauffement climatique… En 2010, l’AFD a consacré plus de 6,8 milliards d’euros au financement d’actions dans les pays en développement et en faveur de l’outre-mer. Ils contribueront notamment à la scolarisation de 13 millions d’enfants, l’amélioration de l’approvisionnement en eau potable pour 33 millions de personnes et l’octroi de microcrédits bénéficiant à un peu plus de 700 000 personnes. Les projets d’efficacité énergétique sur la même année permettront d’économiser près de 5 millions de tonnes de CO2 par an. www.afd.fr

Institut de recherche sur les politiques, l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) a pour objectif d’élaborer et de partager des clés d’analyse et de compréhension des enjeux stratégiques

du développement durable dans une perspective mondiale. Face aux défis majeurs que représentent le changement climatique et l’érosion de la biodiversité, l’Iddri accompagne les différents acteurs dans la réflexion sur la gouvernance mondiale et participe aux travaux sur la redéfinition des trajectoires de développement. Ses travaux sont structurés transver-salement autour de cinq programmes thématiques : gouvernance, climat, biodiversité, fabrique urbaine et agriculture. www.iddri.org

The Energy and Resources Institute (TERI) est une organisation non gouvernementale indienne créée en 1974 pour développer des solutions innovantes afin de traiter les enjeux du développement durable, de

l’environnement, de l’efficacité énergétique et de la gestion des ressources naturelles. Ses diverses activités vont de la formulation de stratégies locales et nationales jusqu’à la proposition de politiques globales sur les enjeux énergétiques et environnementaux. Basé à Delhi, l’Institut est doté de plusieurs antennes régionales sur le territoire indien. www.teriin.org

Pierre JACQUET, ingénieur des Ponts, des eaux et forêts et membre du Cercle des économistes, est chef écono-miste de l’Agence française de développement (AFD). Il est aussi président du département d’économie, gestion, finances et professeur d’économie internatio-nale à l’École des Ponts-ParisTech. Il est notamment administrateur de l’Institut français des relations inter-

nationales (IFRI), de l’Institut de la gestion déléguée (IGD) et de Proparco. Il a appartenu entre 1997 et 2006 au Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre. Il écrit une chronique mensuelle sur les acteurs du développement dans Le Monde de l’économie.

Laurence TUBIANA, économiste, a fondé et dirige l’Ins-titut du développement durable et des relations inter-nationales (Iddri) et la chaire Développement durable de Sciences Po. Elle est professeur au sein de l’École des affaires internationales de Sciences Po. Chargée de mission puis conseillère auprès du Premier ministre sur les questions de l’environnement de 1997 à 2002, elle a

été directrice des biens publics mondiaux au ministère des Affaires étran-gères et européennes. Elle est membre de divers conseils d’universités et de centres de recherches internationaux (Coopération internationale en recherche agronomique pour le développement – Cirad, Earth Institute at Columbia University, Oxford Martin School). Elle est également membre de l’India Council for Sustainable Development et du China Council for International Cooperation on Environment and Development et du Conseil d’orientation stratégique de l’Institute for Advanced Sustainability Studies e.V. (Potsdam, Allemagne).

Rajendra Kumar PACHAURI est docteur en génie industriel et en économie. Il est actuellement le directeur général de The Energy and Resources Institute (TERI) basé à Delhi (Inde). Depuis 2002, il préside le Groupe intergou-vernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 2007.

20122012

Dossier

02-couvRST2012-8fev.indd 102-couvRST2012-8fev.indd 1 23/02/12 12:0923/02/12 12:09