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9 2 L’oeuvre 2.1 Structure de l'oeuvre 2.1.1 Statistiques Il faut d'abord se rappeler que le support matériel d'un media a une influence sur son contenu. La division en quinze « livres » des Métamorphoses ne correspond aucunement à une intention particulière du poète ; elle est liée au support de sa diffusion, le « volumen » ou rouleau de papyrus fait de feuilles collées entre elles par les marges et dont la longueur est limitée pour des raisons matérielles :solidité du long rouleau ainsi formé, diamètre de l'étui où on l'enferme après lecture, obligation pour le lecteur d'enrouler d'un côté au fur et à mesure qu'il déroule de l'autre, ce qui interdit peut-être les enroulements trop importants et limite ainsi la taille des « livres » À un « volumen » matériel correspond donc un « livre » des Métamorphoses. L'ensemble de l'oeuvre comporte près de 12000 vers, (11992 dans l'édition Folio) nombre difficile à établir avec une précision rigoureuse, car tous les manuscrits ne présentent pas le même texte, certains ayant des vers que les philologues, qui cherchent à restituer le texte original en collationnant les différentes versions fournies par les manuscrits, estiment extrapolés. Quoiqu'il en soit on arrive à une moyenne de 800 vers par livre, qui est aussi le nombre moyen pour les livres de l'Enéide de Virgile, alors que les Géorgiques de ce dernier n'atteignent qu'une moyenne de 546 vers par livre. À titre de comparaison, les six livres du De Natura rerum de Lucrèce comptent en moyenne 1200 vers chacun. La poésie n'est certes pas mesurable, mais ces chiffres ne signifieraient-ils pas qu'Ovide a voulu donner à son oeuvre l'ampleur de la grande poésie, voire de l'épopée ? 2.1.2 Contenu d'ensemble Livres I à IX de la naissance du monde jusqu’à la mort et à l'apothéose d'Hercule X, XI et XII passage des temps mythiques aux temps héroïques des épopées homériques XIII à XV de la prise de Troie par les Grecs et la fuite d'Enée jusqu'à l'apothéose de César en 44 avant J-C. Dans l’incipit des Métamorphoses, Ovide invoque les dieux pour qu’ils l’aident à mener son entreprise ; à la fin il souhaite un long règne à Auguste et affirme que son poème lui survivra. Ovide croit donc comme plus tard Malraux à l’éternité que l’œuvre d’art confère à son créateur 2.1.3 Chronologie : du mythe à l'histoire Ovide va du temps du mythe, qui est celui du livre X avec Orphée, au temps des héros avec le livre XII qui évoque la guerre de Troie. Ce passage par l'époque héroïque est indispensable pour aboutir à César, à Auguste et à l'époque contemporaine du poète au livre XV. Il faut souligner qu’il n’existe pas de rupture entre les différentes époques ; Ovide passe insensiblement de l’une à l’autre comme si le monde et l’humanité elle-même subissaient une série de métamorphoses au cours de leur histoire, qui les conduit sans rupture de la genèse de l’univers à l’époque contemporaine, à travers des temps où les dieux cotoyaient familèrement les hommes. 2.1.4 La méthode d'Ovide La mythologie grecque a regroupé les mythes, qui se présentent d'habitude sous la forme de récits isolés, en ensembles, ou cycles légendaires. Ovide a poussé plus loin encore ce processus d’unification en composant dans les Métamorphoses un ensemble cohérent.

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2 L’œuvre

2.1 Structure de l'oeuvre

2.1.1 Statistiques Il faut d'abord se rappeler que le support matériel d'un media a une influence sur son contenu. La division en quinze « livres » des Métamorphoses ne correspond aucunement à une intention particulière du poète ; elle est liée au support de sa diffusion, le « volumen » ou rouleau de papyrus fait de feuilles collées entre elles par les marges et dont la longueur est limitée pour des raisons matérielles :solidité du long rouleau ainsi formé, diamètre de l'étui où on l'enferme après lecture, obligation pour le lecteur d'enrouler d'un côté au fur et à mesure qu'il déroule de l'autre, ce qui interdit peut-être les enroulements trop importants et limite ainsi la taille des « livres » À un « volumen » matériel correspond donc un « livre » des Métamorphoses. L'ensemble de l'oeuvre comporte près de 12000 vers, (11992 dans l'édition Folio) nombre difficile à établir avec une précision rigoureuse, car tous les manuscrits ne présentent pas le même texte, certains ayant des vers que les philologues, qui cherchent à restituer le texte original en collationnant les différentes versions fournies par les manuscrits, estiment extrapolés. Quoiqu'il en soit on arrive à une moyenne de 800 vers par livre, qui est aussi le nombre moyen pour les livres de l'Enéide de Virgile, alors que les Géorgiques de ce dernier n'atteignent qu'une moyenne de 546 vers par livre. À titre de comparaison, les six livres du De Natura rerum de Lucrèce comptent en moyenne 1200 vers chacun. La poésie n'est certes pas mesurable, mais ces chiffres ne signifieraient-ils pas qu'Ovide a voulu donner à son oeuvre l'ampleur de la grande poésie, voire de l'épopée ?

2.1.2 Contenu d'ensemble Livres I à IX de la naissance du monde jusqu’à la mort et à l'apothéose d'Hercule X, XI et XII

passage des temps mythiques aux temps héroïques des épopées homériques

XIII à XV de la prise de Troie par les Grecs et la fuite d'Enée jusqu'à l'apothéose de César en 44 avant J-C.

Dans l’incipit des Métamorphoses, Ovide invoque les dieux pour qu’ils l’aident à mener son entreprise ; à la fin il souhaite un long règne à Auguste et affirme que son poème lui survivra. Ovide croit donc comme plus tard Malraux à l’éternité que l’œuvre d’art confère à son créateur

2.1.3 Chronologie : du mythe à l'histoire Ovide va du temps du mythe, qui est celui du livre X avec Orphée, au temps des héros avec le livre XII qui évoque la guerre de Troie. Ce passage par l'époque héroïque est indispensable pour aboutir à César, à Auguste et à l'époque contemporaine du poète au livre XV. Il faut souligner qu’il n’existe pas de rupture entre les différentes époques ; Ovide passe insensiblement de l’une à l’autre comme si le monde et l’humanité elle-même subissaient une série de métamorphoses au cours de leur histoire, qui les conduit sans rupture de la genèse de l’univers à l’époque contemporaine, à travers des temps où les dieux cotoyaient familèrement les hommes.

2.1.4 La méthode d'Ovide La mythologie grecque a regroupé les mythes, qui se présentent d'habitude sous la forme de récits isolés, en ensembles, ou cycles légendaires. Ovide a poussé plus loin encore ce processus d’unification en composant dans les Métamorphoses un ensemble cohérent.

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Ovide emploie le procédé des rhapsodes ; on emploie ce terme pour désigner les aèdes – ou poètes chanteurs de la haute antiquité grecque - qui auraient « cousu » ensemble (« rapteîn ») les différents chants (« odê ») et les récits qui ont fini par composer les grands ensembles épiques qu'on nomme Iliade ou Odyssée. Au sens propre Ovide coud ensemble des récits séparés. L'assemblage de ces récits se fait par des procédés qui sont rhétoriques. Il convient donc de relever les transitions opérées entre les éléments qui composent les livres X, XI et XII.

2.1.5 Un art des transitions La transition n'est pas seulement un artifice rhétorique dans les Métamorphoses, c'est une mise en abîme de la métamorphose elle-même, car on y voit le récit se transformer en un autre récit. À propos de « l'art de la transition chez La Fontaine », Léo Spitzer a écrit : « Cette technique devient finalement l'expression d'un regard sur le monde, qui découvre partout des passerelles, des convergences et des correspondances. » (Études de style, 1948). Ovide définit son poème comme un "carmen perpetuum". (voir référence au début des Métamorphoses.) :

« …primaque ab origine mundi ad mea perpetuum deducite tempora carmen » (I 3-4)

"Un art du passage et non de la chaîne logique." (P. Maréchaux) C'est un art de la junctura, « jointure, articullation, liaison » ; cf. juncturae generis (Ovide) « les liens du sang.. Ovide donne les clefs de son art dans l'épisode d''Arachné au début du livre VI1, quand celle-ci rivalise avec Pallas dans un concours de tissage. Ovide oppose ainsi une conception classique de la composition, celle qui s'exprime dans le travail de Pallas à une conception baroque avant la lettre, celle d'Arachné. Les transitions reposent en fait sur des relations d'analogie, que celle-ci soit de similitude ou d'opposition, de ressemblance entre les personnages à différents niveaux, d'identité des lieux ou de contemporanéité des événements.

2.1.6 Le procédé de l'enchâssement Il consiste à insérer dans le récit principal un autre récit dont un personnage du récit principal est le narrateur. Sa fonction est souvent d'opérer un retour en arrière ou analepse, quand il s'agit d'expliquer la situation présente. C'est le cas dans Candide quand Cunégonde raconte les péripéties qui l'ont amenée à Lisbonne. L'enchâssement peut aussi avoir une portée plus vaste et permettre de résumer un destin sans lien direct avec l'aventure principale ; c'est aussi le cas dans Candide quand la Vieille qui sert de gouvernante à Cunégonde raconte à son tour les péripéties qui l'ont menée là. Dans les livres X, XI et XII des Métamorphoses, Ovide l'emploie aux mêmes fins, mais aussi pour hausser le récit à d'autres niveaux : - le niveau divin : Vénus, Junon et Iris s'expriment - le niveau héroïque :Nestor, un des plus vieux combattants de la guerre de Troie, prend la parole au cours de celle-ci pour raconter d'autres combats - le niveau mythique : Orphée devient narrateur Faut-il voir dans cette répartition des narrateurs une réminiscence de l’idéologie tripartie de indo-eutopéens ? 1 Folio Classique p 193-195

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2.1.7 Structure interne des livres X, XI et XII

2.1.7.1 Remarques L’examen des différentes histoires qui composent les trois livres révèle qu’elles n’ont pas été groupées au hasard par Ovide mais suivant un jeu de correspondances internes qui structure des symétries. Celles-ci composent un effet de miroir entre les deux moitiés de chaque livre, organisées autour d’un point central qui est l’histoire médiane.

2.1.7.2 Livre X

n° vers personnages événements

1 1-85 Orphée et Eurydice l’être aimé par une créature divine ou semi-divine est tué par un animal sauvage

2 86-105 les arbres en mouvement les arbres marchent et viennent former un ombrage autour d’Orphée

3 106-142 Cyparissus Cyparissus tue son cerf par erreur, Apollon le console.

4 143-161 Ganymède un dieu aime un mortel ; Jupiter en aigle descend du ciel enlever Ganymède.

5 162-219 Hyacinthe un dieu aime un mortel

6 220-242 Cérastes et Propétides les uns trop cruels avec les voyageurs, les autres trop accueillantes

7 243-297 Pygmalion le sculpteur aime sa création qui prend vie

8 298-502 Myrrha la jeune fille aime son géniteur et ne veut plus être ni vivante ni morte

9 503-559 Vénus et Adonis

une déesse aime un mortel ; Vénus vient du ciel avec son attelage de cygnes pour aimer Adonis ; elle conseille à celui-ci de se méfier des animaux sauvages.

10 560-707 Atalante et Hippomène les deux coureurs finissent leur course amoureuse dans une grotte

11 708-739 la mort d’Adonis l’être aimé par une créature divine ou semi-divine est tué par un animal sauvage

Symétries à relever dans le livre X : entre les histoires 1 et 11, 2 et 10, 3-4-5 et 9, 7 et 8. À la fin du livre X, Adonis meurt parce qu’il n’a pas respecté les consignes de Vénus. Au début du livre XI Orphée meurt parce qu’il a manqué de respect aux femmes de Thrace.

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2.1.7.3 Livre XI

n° vers personnages événements

1 1-84 la mort d’Orphée

Orphée dont l’épouse Eurydice est morte piquée par un serpent meurt lynché par les Ménades. Sa tête est emportée par la mer.

2 85-145 Midas 3 146-193 Phébus et Pan, Midas (2)

Une histoire burlesque.

4 194-220 Laomedon Hésione est exposée par un dieu, Neptune, à un monstre marin.

5 221-265 Pélée et Thétis Thétis, divinité marine, est violentée par un mortel

6 266-345 Daedalion et Chioné Chioné est violentée par deux dieux, Mercure et Apollon

7 346-409 Le loup et les taureaux de Pélée

8 410-748 Céyx et Alcyone Une histoire tragique

9 749-795 Ésaque et Hespérie Ésaque poursuit la nymphe Hespérie qui meurt piquée par un serpent ; Ésaque devient un oiseau qui plonge dans la mer.

Symétries à relever dans le livre XI : entre les histoires : 1 et 9, 2 et 8, 4 et 6.

2.1.7.4 Livre XII

n° vers personnages événements 1 1-38 les Grecs en Aulide le début de la guerre de Troie 2 39-63 la Renommée on entend partout ce qu’elle raconte

3 64-167 Achille et Cygnus un combat singulier ; cf. Hercule et Périclymène

4 168-209 Cénée Cénis, violée par Neptune, devient un homme.

5 210-535 le combat des Lapithes et des Centaures

un combat collectif ; Cénée, vaincu par les Centaures, devient un flamant en mourant

6 536-579 Périclymène la mort d’un personnage dont le nom signifie « connu aux alentours » (peri-, klymenos) ; Périclymène meurt sous la forme d’un aigle

7 580-628 la mort d’Achille la fin du guerrier le plus illustre de la guerre de Troie

Symétries à relever dans le livre XII : entre les histoires 1 et 7, 2 et 6, 3 et 5, 5 et 6. - ce livre va des prémices de la guerre de Troie à sa presque fin avec la mort d’Achille ; en

fait Ovide n’en montre ni le vrai début, qui est l’enlèvement d’Hélène par Pâris, ni la fin, qui est la prise de Troie.

- entre les deux moments des combats constituent des épisodes épiques, mais paradoxalement seuls le combat d’Achille et Cygnus d’une part, la mort d’Achille de l’autre, appartiennent à la guerre de Troie.

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Mises en abîme : L’histoire de la nymphe Hespérie, poursuivie par Ésaque et mordue un serpent est une mise en abîme de l'histoire d'Orphée. De plus, quand Ésaque, qui tente de se tuer en se jetant dans la mer, est transformé par Thétis en oiseau de mer, on on a affaire à une autre mise en abîme, celle de Céyx et Alcyone.

2.2 Une poésie savante On peut nommer poésie savante celle où le poète, loin de céder à ses élans personnels, donne l’impression de se souvenir de sa propre culture et de l’histoire de la poésie elle-même à laquelle il fait référence. Allusions à la tradition poétique et intertextualité sont ce qui la caractérise le mieux.. Les Métamorphoses appartiennent à cette poésie savante selon plusieurs critères. La poésie d'Ovide est avant tout savante par ses origines. C'est celle d'un lettré et d'un érudit. Elle l'aboutissement de plusieurs traditions dont elle opère la synthèse : - la poésie d'Homère :

aspect épique, emploi des périphrases et des épithètes. - la poésie alexandrine :

elle a le goût de l'érudition, comme en témoignent les innombrables noms propres qui apparaissent dans les Métamorphoses et la volonté encyclopédique de couvrir presque tout le savoir mythologique.

- la poésie romaine : Ovide fait valoir l'héritage de Virgile dont il se rappelle aussi bien l'Énéide, par exemple dans la tempête où périt Céyx, que les Bucoliques et les Géorgiques, dans l'évocation des paysages méditerranéens et dans celle de la vie pastorale. En même temps, dans sa peinture du sentiment amoureux inséparable de considérations sur les dieux et les rites, Ovide participe encore à la poésie élégiaque. Par contre les violences que déchainait Lucrèce contre la religion lui sont étrangères et il se limite à parler avec une certaine légèreté du monde divin et des frasques amoureuses des dieux.

2.3 La doctrine de l’imitation Elle consiste pour un auteur à essayer de montrer qu’il eut faire, sinon mieux, du moins aussi bien que d’autres sur un sujet donné. Cet exercice aura un plein succès chez les écrivains classiques du XVIIe siècle français. Bien des passages des Métamorphoses sont imités consciemment d’autres poètes : Virgile Géorgiques IV pour le mythe d’Orphée et Eurydice, L ‘Énéide du même Virgile pour la tempête où périt Céyx, Homère Odyssée pour la même tempête et Iliade pour les combats du livre XII des Métamorphoses.

2.4 Le genre de l’œuvre La notion de genre est fondamentale pour les Anciens, qui apprécient une œuvre en fonction des règles qui définissent le genre auquel elle appartient. L’emploi de l’hexamètre dactylique renvoie à la grande poésie : c’est le vers exclusif d’Homère ou de Virgile. D’autre part le parti pris de diversité et de variété qu’adopte Ovide le rapproche d’autres grandes œuvres de la littérature romaine comme le Satiricon de Pétrone. Ovide applique à ses Métamorphoses un principe de la rhétorique latine, qui est la « variatio » ou art de diversifier pour éviter l’ennui du destinataire.

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2.4.1 Un art du mélange Les Métamorphoses ne sont pas seulement l'aboutissement d'une tradition poétique, elles constituent un magistral exercice de mélange des genres. Y sont présents en effet l'épopée, la tragédie, l'hymne, la comédie, l'élégie et l'idylle. Le poète, mettant en application son art de la métamorphose, passe sans cesse et quasi sans rupture d'un genre à l'autre.

2.4.2 La poésie didactique Les Métamorphoses sont un des exemples les plus achevés de la poésie didactique, bien représentée dans la poésie latine avec le De la Nature de Lucrèce et les Géorgiques de Virgile. Ovide lui-même a déjà abordé ce genre de façon plaisante avec L’Art d’aimer.

2.4.3 L'épopée La quasi totalité du livre XII appartient à ce genre. Les invectives que lance Cygnus à Achille appartiennent à une coutume gurrière bien attestée dans l’épopée.

2.4.4 La tragédie Dans l’histoire de Myrrha, les personnages appartiennent à une famille royale frappée par le destin. Le ressort tragique est l’amour incestueux que Myrrha ressent pour son père, Cinyras. L’histoire évoque d’autres incestes fameux dans la tragédie, celui d’Œdipe, cf. Sophocle Œdipe Roi ou Euripide Hippolyte. Ovide emprunte des topoi à la tragédie : le jeu du double langage, compréhensible par un seul des interlocuteurs, quand Myrha s’adrese à son père, le monolmogue intérieur de Myrrha, tout comme dans une tragédie grecque c’est la nourrice de Myrrha qui est sa confidente, Myrrha décide comme Phèdre ou Jocaste de se pendre avec sa ceinture, mais elle n’y parvient pas.

2.4.5 L'hymne Le tableau de la Renommée (Fama) en est un exemple.

2.4.6 Le portrait Par exemple celui du Sommeil au livre XI, ou bien celui du cerf de Cyparissus au livre X.

2.4.7 L’apologue L’histoire de Midas qui, suivant son vœu transforme en or tout ce qu’il touche, est une sorte de fable ou d’apologue.

2.4.8 La comédie Un exemple où le poème d’Ovide se rapproche de la comédie est fourni par l’épisode où le maladroit Midas se voit affligé d’oreilles d’âne par Apollon.

2.4.9 L'élégie La façon dont Ovide décrit l’amour de Pygmalion pour sa statue contient des réminiscences de la poésie élégiaque.

2.4.10 L'idylle Les amours de Vénus et Adonis, qui se déroulent dans la nature, se rapprochent de l’idylle, de même que les nombreux passages où Ovide évoque la nature sauvage.

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Intertextualité : au livre X, dans le chant d’Orphée, « C’est par Jupiter, ô Muse… » ; Ovide se souvient de la Bucolique III de Virgile : « Ab Iove principium Musae, Iovis omnia plena. »

2.4.11 La rhétorique deux exemples majeurs : - le débat intérieur de Myrrha ; le récit est précédé de deux discours, un préambule où le locuteur prend position et condamne Myrrha avec en contrepoint le monologue intérieur de Myrrha qui développe des arguments pour légitimer son sentiment incestueux. - le discours d'Orphée devant les dieux des Enfers, qui es bâti de façon rhétorique. Il y évoque Cerbère, « le monstre qu’enfanta Méduse ».

2.4.12 Conclusion : un précurseur du roman La multiplicité des personnages et leur récurrence, l’intérêt des récits, la mise en situation au moyen de courtes descriptions font d’Ovide un précurseur du roman, cf. son influence sur Chrétien de Troyes, le créateur du roman français au XIIe siècle.

2.5 Romanité des métamorphoses L’influence de la culture hellénique est prépondérante dans les Métamorphoses. Néanmoins le Romain qu’est Ovide laisse souvent apparaître des traits caractéristiques de la civilisation à laquelle il appartient et on trove dans son œuvre quelques éléments proprement romains : - dans l’histoire d’Atalante et Hippomène au livre X : la pomme est consacrée à Vénus et lancer une pomme à quelqu’un équivaut à une déclaration d’amour, cf. Virgile, Bucoliques III. - Ovide compare les couleurs d’Atalante quand elle court à la blancheur d’un atrium et à la pourpre du velum qui l’ombrage. Le poète évoque également l’atrium comme centre de l’habitation à propos de la demeure de la Renommée au livre XII. - « le cyprès qui rappelle les bornes du cirque », livre X - la bulle d’argent que porte le cerf de Cyparissus est analoue à celle que portent les enfants des patriciens à Rome - à propos de la mort d’Orphée au début du livre XI : Ovide fait allusion aux jeux romains du cirque : le poète compare Orphée traqué par les ménades au cerf attaqué par les chiens dans l’arène. - plusieurs fois, par exemple aux noces de Pirithoüs et Hippodamé ou bien à la fin du récit de Nestor, il est mentionné que les personnages mangent allongés sur des lits de table à la façon romaine. - à propos de Céyx et Alcyone : quand celle-ci veut dissuader son mari Céyx d’entreprendre un voyage en mer, Ovide s’inscrit en fait dans la tradition romaine, où domine l’horreur de la mer et la peur des voyages maritimes. - de plus, dans la description de la tempête où périt Céyx, Ovide développe une longue comparaison entre le navire assailli par la mer et le siège d’une ville, rappelant que les Romains sont passés maîtres dans l’art de la poliorcétique. Il nomme auparavant le bélier de fer et la baliste, engins typiques de l’armée romaine. - à la mort d’Adonis, Vénus manifeste son deuil à la façon des femmes romaines, en s’arrachant les cheveux et en se déchirant la poitrine. - Ovide évoque au livre X « l’année, fermée par les Poissons », ce qui nous rappelle que l’année commençait au mois de mars. - l’amour de l’ombre et de la fraîcheur, surtout quand celle-ci est entretenue par une eau courante, est typique du goût romain. - au livre XII Ovide, parmi les Centaures, évoque « l’augure Astylos » ; or les augures qui prédisent l’avenir par le vol des oiseaux, sont typiquement romains.

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2.6 La métamorphose

2.6.1 Etymologie Le mot grec "métamorphosis" comporte le radical du mot "morphê", "la forme", sans doute de même origine que le mot latin "forma" si on admet une métathèse des consonnes. Devant ce radical figure le préfixe "meta-", "au delà", qu'on retrouve par exemple dans "métaphysique", "qui est au delà de la nature".La métamorphose désigne donc un "au delà de la forme" qui est à distinguer de la transformation. Le mot souligne en fait la pérennité et la permanence de l'être sous une forme radicalement différente. La métamorphose n'est pas indifférente ni aléatoire ; elle a un lien avec la vie de l'individu métamorphosé, que se soit avec sa faute (Atalante et Hippomène se conduisent de façon sauvage, ils sont donc métamorphosés en lions) ou avec sa souffrance (Myrrha pleure, elle devient un arbre qui sécrète des gouttes de résine).

2.6.2 Signification philosophique de la métamorphos e Le discours de Pythagore au livre XV 60-478 éclaire le sens de l'oeuvre d'Ovide et lui confère une signification philosophique. Pythagore exprime dans ce discours sa croyance en la métempsychose ou réincarnation, théorie selon laquelle après la mort l'âme changerait de corps et qu'on retrouve ça et là dans le monde indo-européen, depuis l’Inde brahmanique jusqu’à la Gaule d'après César. Après un long exorde sur l'interdiction de manger la chair des animaux,Pythagore annonce qu'il va parler comme un devin inspiré au nom d'un dieu. Il veut délivrer les hommes de la peur de la mort ; pour lui celle-ci n'est qu'une migration de l'âme dans un autre corps. Pythagore lui-même prétend avoir été jadis Euphorbe, un des guerriers de Troie, tué par Ménélas. « Tout change, rien ne périt. » « Il n'y a rien de stable dans l'univers entier,tout passe, toutes les formes ne sont faites que pour aller et venir. » En fait Pythagore reprend à son compte les mots d'Héraclite : « Panta rheî », « tout s'écoule », et « Dis eis ton auton potamon ouk an embainois », « on ne saurait jamais se baigner deux fois dans le même fleuve ». Le philosophe énumère ensuite toute sorte d'exemples à l'appui de sa thèse : le ciel et les astres changent d'aspect suivant les moments, la nature aussi suivant les saisons ; le corps humain évolue au cours de l'existence : « Milon vieilli pleure en voyant ses bras, qui par la masse de leurs muscles vigoureux rappelaient ceux d'Hercule, pendre vides et flottants. Elle pleure aussi la fille de Tyndare, le jour où elle aperçoit dans un miroir ses rides séniles. » Les quatre éléments eux-mêmes qui forment l'univers ne cessent de se recomposer entre eux. « Rien ne périt, croyez-moi, dans le monde entier; mais tout varie, tout change d'aspect. » Le monde est passé de l'âge d'or à l'âge de fer. La terre a subi des changements géologiques. Les eaux de certains lieux ont des pouvoirs magiques et transforment les êtres. L'expérience montre aussi comment des abeilles peuvent naître de taureaux qu'on a ensevelis, des frelons, du cadavre d'un cheval, un scorpion, d'un crabe à qui on a coupé les pattes. Les chenilles deviennent papillon ; l'ourse termine la forme de l'ourson qu'elle vient de mettre bas à coups de langue ; le phénix renaît de lui-même. Les royaumes meurent et renaissent sous d'autres noms : Hélénus, fils de Priam, a prédit à Enée qu'après la destruction de Troie les descendants des Troyens assureront la gloire d'une autre cité qu'ils sont appelés à fonder. Le corps des animaux peut donc enfermer l'âme d'un de nos proches, en tout cas d'un être humain. Il convient donc de ne pas manger de viande.

2.6.3 Caractéristiques des métamorphoses Toutes les métamorphoses sont dues à l'intervention d'un dieu. La métamorphose apparaît souvent comme un accomplissement de l'être qui trouve la forme définitive correspondant à son destin.

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La métamorphose prolonge les qualités de l'être en les soulignant : Céyx et Alcyone, époux fidèles dont la mer a brisé le destin, deviennent deux oiseaux de mer qui volent ensemble au dessus des flots. La métamorphose équivaut souvent à la mort ou se substitue à elle, cf. le discours de Pythagore. Paradoxalement, la métamorphose permet aussi d'accéder à une forme d'immortalité. Phébus à Hyacinthe : "Tu seras toujours présent pour moi" X, 259. La métamorphose est universelle : tout peut se transformer en n'importe quoi. La métamorphose subie par un être humain ou un animal est définitive et équivaut à une sorte de mort, alors que la métamorphose d'un dieu est provisoire et a une finalité utilitaire : Thétis, avant de céder, épuisée et vaincue, à Pélée, revêt plusieurs apparences pour lui échapper ; Jupiter prend l'aspect d'un aigle pour enlever Ganymède ; Phébus, celui d'une vieille femme pour approcher Chioné ; le même, accompagné de Neptune, prend forme humaine et réclame un salaire pour aider Laomédon le roi de Phrygie à construire les murs de Troie.

2.6.4 Fonctions morales des métamorphoses Appliquée à un être humain par les dieux, la métamorphose a deux fonctions opposées, mais complémentaires : elle sert à punir, mais elle est aussi le moyen de consoler un être qui souffre ou de la perte duquel on souffre.

2.6.4.1 Punition La métamorphose peut servir à châtier le crime ou le vice, notamment dans trois cas où Vénus elle-même exerce une sorte de justice : - les Cérastes qui offrent les étrangers voyageurs à Jupiter Hospitalier sont transformés en taureaux. - les Propétides qui se prostituent honteusement sont changées en pierres. - Atalante et Hippomène deviennent des lions pour avoir bafoué un antre sacré et les idoles qu'il abritait. La métamorphose peut simplement punir la bêtise : quand Midas préfère la flûte de Pan à la lyre d'Apollon, ce dernier l'afflige d'oreilles d'âne.

2.6.4.2 Consolation A l'inverse la métamorphose peut apaiser la souffrance de l'être métamorphosé ou de celui qui déplore sa mort : - Cyparissus, inconsolable d'avoir tué son ami le cerf, est changé en cyprès par Apollon. - Vénus, qui pleure la mort d’Adonis, le transforme en anémone. - Myrrha devient le balsamier, arbuste dont la résine fournit la myrrhe, par l'intervention d'un dieu qui est mentionné sans être nommé. - Daedalion, désespéré de la mort de sa fille Chioné tuée par Diane, est transformé en épervier.

2.6.5 Modalités de la métamorphose dans leur nature es métamorphoses sont souvent liées à la rhétorique. Elles peuvent être liée au nom du personnage et à son étymologie : - Cyparissus devient un cyprès (Kyparissos en grec, cypressus en latin) - Cygnus, étranglé par Achille, devient un cygne. L’anatomie de cet animal au long cou entre aussi en jeu dans le choix de la métamorphose. La métamorphose peut être liée à l'attitude de l'être métamorphosé : - Myrrha, qui passe son temps à pleurer, devient un arbre qui pleure des larmes de résine - les Héliades pleurent également, leurs larmes donneront donc une résine précieuse - Myrrha ne veut plus être vivante ni morte, elle sera un végétal - Atalante et Hippomène, qui se conduisent bestialement, deviennent des lions.

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- le loup qui attaque les troupeaux de Pélée est pétrifié au sens propre, donc rendu inoffensif. - les Propétides sont rendues elles aussi inoffensives par leur transformation en pierres. Elle peut être liée à l’aspect su sujet de la métamorphose : - le bel Adonis devient une fleur. - les monstrueux Cérastes au contraire, , qui comme leur nom l'indique, portent déjà des cornes, deviennent des taureaux. La métamorphose apparaît parfois comme une métaphore : Atalante et Hippomène sont de vraies bêtes, des lions ; les Cérastes sont aussi des bêtes dangereuses, des taureaux en l'occurrence ; la statue réalisée par Pygmalion est « une vraie femme ». D’ailleurs « métamorphose » se dit en latin similitudo. Du point de vue ethnologiquee, la métamorphose est à rapprocher de ce que les ethnologues nomment totémisme, cf. Claude Lévi-Strauss, Le Totémisme aujourd'hui, 1962. Les deux croyances partagent l'idée d'une continuité du monde entre humain, animal,végétal et minéral. Toutes les deux pensent le monde suivant des catégories qui ne sont pas celles de notre pensée aristotélicienne, mais suivant les modalités de la pensée sauvage. Mais alors que dans le totémisme une ethnie prétend avoir un ancêtre animal, la métamorphose inverse le rapport et l'animal est un aboutissement de l'humain.

2.6.6 Inventaire des métamorphoses Voir leur tableau dans le fichier séparé..

2.7 Les lieux

2.7.1 Les Enfers Ovide mentionne au livre X « la porte du Ténare », entrée des Enfers pour les Grecs, située au cap Ténare, dans le sud du Péloponèse. L’Enfer est divisé en régions :

- l’Érèbe (« les ténèbres » en grec) où habitent Cerbère, les Furies, les Songes et Le Sommeil, frère de la Mort.

- l’enfer des méchants - le Tartare, où sont emprisonnés les Titans et où résident les dieux des Enfers - les Champs-Élysées, sorte de paradis où séjournent les âmes vertueuses

L’Enfer est traversé et entouré par des fleuves : le Styx et l’Achéron, ainsi que le Léthé, fleuve de l’oubli. Près du royaume des morts se trouve le pays des Cimmériens, où réside le Sommeil. Les condamnés célèbres des Enfers :

- Tantale, fils de Jupiter et de la nymphe Plota ; : il n’y a pas d’accord sur son crime ; pour Pindare, il aurait dérobé le nectar et l’ambroisie des dieux ; il est condamné à avoir perpétuellement faim et soif au milieu d’un cours d’eau, avec à côté de lui des pommes dont la branche s’éloigne quand il veut les atteindre.

- Tityos, fils de la Terre, au corps long de neuf arpents, avait essayé de déshonorer Latone. Il est tué par les enfants de celle-ci, Apollon et Diane. Dans les Enfers un vautour lui dévore foie et entrailles, qui repoussent sans cesse.

- Ixion : fils d’Antion, roi des Lapithes ; déclare son amour à Junon. Pour le punir Jupiter forme une nuée, Néphélé, qui a l’apparence de Junon. Ixion s’unit à cette nuée et engendre les Centaures. Comme Ixion se vante de a prétendue conquête, Jupiter le foudroie et l’envoie aux Enfers où il est attaché sur une roue qui tournoie, entourée de serpents et de flammes.

- les petites-filles de Bélus ou Danaïdes, les cinquante filles de Danaos, condamnées à remplir sans fin un vase percé pour avoir tué leurs cinquante fiancés.

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- Sisyphe, fils d’Eole, aurait révélé les secrets des dieux et commis des brigandages ; condamné à rouler jusqu’au sommet d’une montagne une énorme pierre, qui redescend ensuite.

Créatures liées aux Enfers Cerbère : chien à trois têtes qui garde les Enfers. Les Euménides (en grec « les Bienveillantes) ou Érinyes ; en latin les Furies (« Furiae ». Elles exécutent les sentences des juges des Enfers et la venagenace divine. Elles sont au nombre de trois : Tisiphone, Mégère et Alcton. Les Trois sœurs ou Gorgones : les trois filles du dieu marin Phorcys : Sthéno, Euryale et Méduse, la plus célèbre. Les Gorgones sont généralement représentées ailées, avec une tête énorme, une chevelure hérissée de serpents, des dents redoutables et des yeux grands ouverts, qui avaient la faculté de pétrifier les humains. Le singulier «Gorgone» (en gr. Gorgô) désigne Méduse, la seule mortelle des trois. La tête de Gorgone (ou Gorgoneion) apparaît souvent comme un motif magique destiné à repousser le mauvais sort. C'est ainsi qu'il se retrouve sur l'égide d'Athéna.

Méduse : une des trois Gorgones avec Euryale et Sthéno. Athéna, avec qui elle avait voulu rivaliser en beauté, changea en serpents sa longue et magnifique chevelure. Son regard transformait en pierre les êtres vivants. Persée lui coupa la tête et, après s'en être servi pour pétrifier ses ennemis, l'offrit à Athéna qui la plaça au milieu de son bouclier, l'égide. De son sang naquit le cheval Pégase.

2.7.2 Les toponymes et les noms de peuple Les noms concernant la Grèce composent géographie du monde hellénique. Ce sont : - des noms de montagne :

le Rhodope, l’Hémus (Thrace) l’Ida (Troade) le Tmolus (Lydie) où le Pactole prend sa source le Bérécynthe, montagne de Phrygie le Parnasse, montagne consacrée à Apollon le Cyllène, montagne d’Arcadie où naquit Mercure l’Oeta, montagne de Thessalie où Hercule avait dressé son bûcher l’Ida, montagne de Phrygie (ou de Crète) Sigée : promontoire sur la côte de Troie le Pélion et l’Othrys : montagnes de Thessalie

- des noms de fleuves et de rivières : l’Eurotas (Laconie, dans le Péloponèse) l’Hèbre, fleuve de Thrace le Pactole, fleuve de Lydie le Granique, fleuve de Phrygie, comme le cébrène - des noms d’îles : Céos (mer Égée) Chypre, surnommée Ophiuse (« l’île aux serpents ») par Ovide Cythère, à propos de Vénus Lesbos, où aboutissent les restes d’Orphée - des noms de régions et de pays : la Thrace le champ Tamassus à Chypre où poussent les pommes d’or de Vénus les champs Phlégréens (Thrace) où se serait déroulée la Gigantomachie « l’Arabie fertile en palmiers » (où fuit Myrrha) la Panchaïe (où fuit Myrrha)

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la terre de Saba (où fuit Myrrha) « le détroit d’Hellé, fille de Néphélé » la Phrygie, pays d’Asie Mineure où se trouve Troie. la Troade, région de Troie. l’Hémonie, autre nom de la Thessalie l’Hespérie, région où le soleil se couche (« hespera », le soir en grec, cf. latin « vesper ») la Phocide : province de Grèce la Mysie : contrée d’Asie Mineure la Perrhébie : région de Thessalie - des noms de ville : Sparte, Magnésie, Lyrnèse, Thèbes Amathonte et Paphos (Chypre) Gnide ou Cnide, ville de Carie (Asie Mineure) aimée de Vénus Méthymne, ville de Lesbos Sardes et Pergame, villes d’Asie Mineure Hypaepa, ville de Lydie Troie ou Ilion en Phrygie Sminthe, ville de Troade Trachine, ville de Thessalie, dont Céyx est le roi Atrax, ville de Thessalie Thisbé et Aulis, villes de Béotie Pylos (aujourd’hui Navarin), ville du Péloponnèse dont Nestor est le roi - noms de peuple les Ciconiens : les Thraces les Pélasges, les Danaens, les Argiens : autres noms des Grecs les Phrygiens : autre nom des Troyens les Lyciens : habitants de la Lycie en Asie Mineure les Lapithes, peuple de Thessalie réputé pour son habileté à dompter les chevaux. Suivant l’usage latin, les pays sont souvent nommés par le nom de leurs habitants : « la contrée des Ciconiens » désigne la Thrace. - allusions géographiques diverses : « la pourpre de Sidon » (histoire de Pygmalion), port de Phénicie « la cire de l’Hymette » (histoire de Pygmalion) ; les abeilles du mont Hymette en Attique étaient renommées pour leur miel « l’ivoire de l’Inde » sur la lyre d’Apollon - des toponymes évoquant le monde proprement romain apparaissent aussi quand il s'agit d'ancrer le récit dans une réalité proche du lecteur : Eridan (nom antique du Pô), Capitole…

2.7.3 Les vents Ovide emploie des noms latins de vent : l’Aquilon, vent du nord, l’Auster, vent du sud. Il évoque également un vent grec, l’Eurus, vent d’est qui souffle de l’Asie vers la Grèce. Les noms des vents servaient aussi à désigner les points cardinaux, notre terminologie (Est, Sud…) étant d’origine et d’étymologie germanique).

2.7.4 Un type de paysage, le « locus amœnus » D'autres poètes ont chanté la nature avant Ovide, que ce soit Virgile ou Tibulle, mais il s'agissait essentiellement de la campagne cultivée, et même quand ces auteurs évoquent la forêt ou la montagne, c'est toujours en contrepoint, pour mieux goûter la douceur des champs et des vergers. Un autre type de paysage est récurrent chez Ovide, c'est celui qui en grec a reçu un mot particulier, « napê », « le vallon boisé ». Il s'agit d'un endroit sauvage, bien sûr, mais ombragé,

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nanti d'un peu d'herbe que Lamartine aurait nommée « gazon », de quelques arbres et surtout d'une eau où nymphes et chasseurs peuvent se rafraîchir. Ce type de paysage se retrouvera chez les peintres modernes, jusque chez Corot.

2.7.5 Deux descriptions de lieux Ovide décrit en détail quelques lieux, notamment le palais du Sommeil et celui de la Renommée. La symétrie opposée de ces lieux est exprimée par le poète au moyen d’une série de comparaisons : Palais du Sommeil Palais de la Renommée dans une montagne éloignée au pays des Cimmériens

sur une montagne au milieu du monde

fermeture ouvertures silence bruit brièveté des paroles longueur murmures comparés à la mer et au ciel qui se calment après la tempête

lente montée de la lumière d'Iris

mensonges et illusions visuels mensonges et illusions verbaux

2.8 Les personnages

2.8.1 Nombre et catégories Les personnages sont très nombreux, aussi bien divins qu'humains. La limite n'est pas nettement tranchée entre les dieux et les hommes. On passe insensiblement d'êtres purement divins comme Jupiter ou Venus aux humains par des êtres qui sont des demi-dieux ou possèdent un dieu parmi leurs ancêtres, nommés traditionnellement les héros, par exemple Hercule ou Achille. Il existe aussi des êtres divins inférieurs aux dieux comme les nymphes. Ce glissement progressif de la divinité à l'humanité est une des formes de la métamorphose.

2.8.2 Les anthroponymes Ils sont innombrables dans les Métamorphoses et grecs pour la plupart, qui sont parfois à la limite du catalogue, par exemple quand, à propos du combat des Centaures et des Lapithes au livre XII, Ovide énumère les noms des adversaires. Pour l’origine du procédé, cf. le Catalogue des vaisseaux dans l’Iliade. A la manière d'Homère Ovide emploie aussi surnoms, noms d'origine et périphrases : Alcide, le fils d'Ixion, le petit-fils d’Éaque, le fils d’Égée. Le nom est souvent une prolepse de la métamorphose : Cygnus, Hyacinthe, Myrrha.

2.8.3 Les dieux Ovide conserve les noms latins des dieux chaque fois qu'il le peut. Il emploie très souvent la périphrase à propos des dieux. Saturne, en grec Cronos, époux de Rhéa, fils lui-même d’Uranus (Ouranos) et de la terre ; père de Jupiter, Neptune, Pluton et Junon. Assimilé au temps, cf. livre X « pour la troisième fois, le Titan avait mis fin à l’année ». Rhéa ou Cybèle : mère des dieux, fille du Ciel et de la Terre, « la Grande Mère », déesse de la nature. Elle est accompagnée de lions, d’où la métamorphose d’Atalante et d’Hippomène après leur sacrilège.

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Les Géants : leur révolte contre les dieux, qui sont victorieux dans la « Gigantomachie » ou bataille cntre les Géants, est évoquée dans le livre I des Métamorphoses. Orphée fait allusion à ces Géants au livre X. Jupiter, en grec Zeus, « le souverain des dieux » ; a la foudre pour attribut ; époux de Junon ; Jupiter « Panomphée » (« invoqué partout »). Junon, en grec Héra, épouse de Jupiter et protectrice des femmes mariées. Lucina, surnom de Junon, préside aux accouchements. ce surnom tend à évoluer en une déesse autonome. Pallas ou Athéna, en latin Minerve, fille de Jupiter, protectrice des arts et de la guerre ; alliée des Grecs pendant la guerre de Troie. Neptune : le « dieu qui porte le trident ». Latone : la mère d’Apollon et de Diane ; fille elle-même de Saturne, elle fut aimée de Jupiter ; Junon la fait poursuivre par le serpent Python, dont Neptune la sauve en faisant surgir des flots l’île de Délos où elle met ses enfants au monde. Apollon sur terre ou Phébus dans le ciel, assimilé au soleil: « le dieu à qui obéissent les cordes de la lyre aussi bien que la corde de l’arc » ; vénéré à Delphes ; « le dieu de Délos » ; « le dieu de Claros » ; « le dieu chevelu de Sminthe » ; le mont Parnasse lui est consacré. Les dieux des Enfers : Perséphone (Proserpine en latin) et son époux Pluton (Hadès en grec), dont le nom latin est Orcus ou Dis (« le Riche »). Diane, en grec Artémis, déesse vierge de la chasse. Surnommée Phébé, comme son frère Apollon est Phébus. Vénus, en grec Aphrodite, déesse de l’amour, née sur le rivage de Chypre. Aime également Cythère et Cnide ou Gnide. Possède un attelage de Cygne. Quand elle est avec Adonis, elle revêt le costume de Diane. Cupidon, en grec Eros, dieu de l’amour, nanti d’un carquois et de flèches. Effleure sa mère avec une flèche en lui donnant un baiser et la rend amoureuse d’Adonis. Cérès (en grec Déméter), déesse des moissons. Ovide évoque les fêtes de Cérès dans l’histoire de Myrrha. Mercure, en grec Hermès, né sur le mont Cylléne en Arcadie, fils de Maïa, elle-même fille d’Atlas, et de Jupiter. Nérée : ancien dieu marin qui a, de sa sœur Doris, cinquante filles, les Néréides. Éole, fils d’Hippotès et père d’Alcyone, dieu des vents. Hyménée, dieu grec du mariage ; porte le même voile safran que les mariées romaines. Il porte aussi le flambeau qui accompagne les noces, une flûte et une couronne de fleurs. Iris : la messagère des dieux, au voile couleur d’arc-en-ciel ; elle est la fille de Thaumas, fils lui-même de la Mer et de la Terre. Pan, dieu de la nature ; aspect d’un satyre nanti de la syrinx, flûte à plusieurs tuyaux. Bacchus, Dionysos dieu du vin et de l’ivresse. Son nom latin est Liber (Pater), mais, très tôt le nom grec de Bacchus a été adopté en Italie. Surnommé en grec Lyéus, « celui qui dénoue (les soucis » ou Lénéus, le dieu « du pressoir ». Silène, fils du dieu Pan, vieil ivrogne très laid, qui aurait élevé Bacchus. Lucifer, astre fils de Jupiter et de l’Aurore. Annonce l’aurore (latin « lux », la lumière et « fero », je porte). Protée : fils de l’Océan et de Téthys, gardien des troupeaux de Neptune. Connaît passé, présent et avenir, mais, pour le consulter, il faut d’abord le maîtriser, car il est capable de prendre toutes les formes ; surnommé « le devin de l’île de Carpathos ». Le Sommeil (Somnus), nom grec Hypnos, fils de la Nuit et frère de la Mort. Il a autour de lui les Songes, ses enfants, notamment Morphée, « la forme », Ikélos, « le semblable », nommé aussi Phobétor, « le redoutable », et Phantasos. La Renommée (Fama) : c’est elle qui apporte la nouvelle de la guerre aux Troyens.

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2.8.4 Êtres divins ou à moitié humains Phaéton : fils d’Apollon-Phébus et de Clymène, fille de l’Océan. Foudroyé par Jupiter parce qu’il conduit très mal le char du soleil, son père. Les Héliades : les trois sœurs de Phaéton et filles du soleil (« hélios » en grec) ; inconsolables à la mort de leur frère, elles sont transformées en peuplier par les dieux et leurs larmes sont des gouttes d’ambre. Les Nymphes : - Naïades : nymphes des rivières et des sources. - Dryades, du grec « drys », « chêne », sont les nymphes des forêts. Eurydice en est une. - Néréides, nymphes de la mer, par exemple :

Psamathé, dans l’épisode des troupeaux de Pélée. Hespérie : nymphe, fille de Cébrène, fleuve de Thessalie, aimée d’Ésaque. Meurt mordue par un serpent quand Ésaque la poursuit. Thétis : néréide capable de prendre toutes les formes, comme Protée ; mère d’Achille.

Les Hespérides, nymphes qui gardent un jardin où poussent des pommes d’or reçues en cadeau par Junon pour son mariage. Échion : géant né des dents du dragon semées par Cadmus, à la fondation de Thèbes et père de Penthée. Vénus dit de lui qu’il a construit un temple pour la Mère des dieux (celui près duquel Atalante et Hippomène commettent un sacrilège). Castor : fils de Léda et de Jupiter ; évoqué quand Ovide compare la beauté du Centaure Cyllare à la sienne. Le frère de Castor est Pollux, qui forme avec lui les Dioscures.

2.8.5 Centaures et Lapithes Les Centaures : ils sont les fils d’Ixion et de Néphélé, la nuée créée par Jupiter à l’image de Junon.

Eurytus : Centaure qui tente d’enlever Hippodamé lors de ses noces avec Pirithoüs. Amycus, fils d’Ophion ; Grynée ; Rhoetus ; Ornéus ; Lycabas ; Médon ; Pisénor ; Thaumas ; Merméros ; Pholus ; Mélanée ; Abas « chasseur de sangliers » ; l’augure Astylos ; Nessus, qui plus tard tentera d’abuser de Déjanire, épouse d’Hercule ; Eurynomus ; Lycidas ; Aréos ; Imbreus ; Crénéus ; Aphidas ; Pétréus ; Lycus ; Chromis ; Dictys ; Hélops ; Apharée ; Biénor ; Nédymnus ; Lycopès « habile à lancer le javelot » ; Hippase « dont une longue barbe cache la poitrine » ; Rhiphée « qui dépasse la cime des forêts » ; Thérée ; Démoléon ; Phlégréos ; Hylès ; Iphinoüs ; Clanis ; Dorylas ; Cyllare, le beau Centaure et Hylonomé son amie Centaure ; Phaeocomès, vêtu de six peaux de lion ; Pyraethus ; Échéclus ; Érigdupus ; Hoditès ; Styphélus ; Bromus ; Antimaque ; Élymus ; Pyractès ; Latrée, qui se bat avec Cénée ; Monychus ;

Les Lapithes :

Céladon ; Pélatès de Pella ; Brotéas et Orios, fils de la maginienne Mycalé ; Exadius ; Charaxus, dont les cheveux brûlent et son compagnon Cométès ; Évagrus, Corythus et Dryas ; Phorbas ; Tectaphos, fils d’Olénos ; Chtonius et Télébous ; Périphas ; Ampyx ; Macarée du Péléthronium ; Cymélus ; Mopsus, fils d’Ampyx ; l’Émathien Halésus ;

Crantor : ancien écuyer de Pélée, à qui Amyntor l’avait remis en otage ; tué aux côtés des Lapithes.

2.8.6 Jeunes gens Attis ou Atys, évoqué seulement au livre X à propos des arbres qui marchent ; jeune Phrygien aimé de Cybèle, qui lui fait promettre d’être chaste. or Attis épouse la nymphe Sangaride que Cybèle met à mort. De chagrin Attis s’automutile et Cybèle le transforme en pin.

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Cyparissus, jeune homme de l’île de Céos, qui tue par accdient son ami le cerf. Apollon le console en le ransformant en cyprès. « Kyparissos » signifie d’ailleurs « cyprès » en grec ; « cypressus » en latin. Ganymède, jeune Phrygien aimé de Jupiter. Comme Priam, le roi de Troie, il est le fils de Laomédon et le petit fils d’Ilos. Enlevé par Jupiter qui a rpis la frme d’un aigle, il sert d’échanson dans l’Olympe. Hyacinthe, fils d’Oebalos, roi de Sparte, joue à lancer le disque avec Apollon mais celui que le dieu a lancé rebondit et tue Hyacinthe. Une fleur naît du sang du jeune homme, le jacinthe. D’après d’autres versions, c’est Zéphyr, le vent, qui, lui aussi épris de Hyacinthe et jaloux, aurait dévié le disque d’Apollon. Adonis : fils de Myrrha, amant de Vénus. Hippomène : fils de Mégarée, fils lui-même d’Onchestus, et de Méropé. Vainc Atalante à la course et l’épouse. Arrière-petit-fils de Neptune. Les deux fils que Chioné a eu simultanément de Mercure et d’Apollon sont : Autolycus, fils de Mercure, voleur astucieux Philammon, fils d’Apollon, poète et devin Ésaque, fils d’Alexirhoé, elle même fille du fleuve Granique, amoureux de la nymphe Hespérie.

2.8.7 Héros, rois et princes - Rappel : pour Homère le héros est un guerrier remarquable par sa bravoure et ses qualités ; c’est Hésiode qui définit le héros comme issu de l’union d’un dieu et d’une mortelle, ou l’inverse. Hercule, Héraclès, fils de Jupiter et d’Alcmène, est appelé Alcide par Ovide, car il est le petit-fils d’Alcée ; « le héros de Tirynthe, Télamon : père d’Ajax et frère de Pélée ; compagnon d’Hercule, qu’il aide à s’emparer de Troie. reçoit en récompense Hésione, fille de Télamon. Pélée : fils d’Éaque, roi d’Égine et lui-même fils de Jupiter, et de la nymphe Endéys, fille de Chiron ; époux de Thétis et père d’Achille. Condamné à un exil perpétuel avec son frère Télamon pour avoir tué leur troisième frère Phocus, fils de la Néréide Psammathé, d’où le loup qui massacre le troupeau de Pélée près d’un temple de Nérée. Cinyras : père de Myrrha et époux de Cenchréis. Midas, roi de Phrygie, « que le Thrace Orphée et Eumolpe, né dans la ville de Cécrops (Athènes), ont initié aux orgies. Surnommé ironiquement par Ovide « le héros du Bérécynthe ». Assaracus : roi de Troie, ancêtre d’Énée. Céyx : fils de Lucifer et frère de Daedalion ; roi de Trachine en Thessalie, époux d’Alcyone. Daedalion : fils de Lucifer. Laomédon : petit-fils de Tros, fils d’Ilus et père de Priam ; roi de Phrygie, bâtisseur de Troie ; père d’Hésione. Priam : roi de Troie, époux d’Hécube, elle-même fille de Dymas, roi de Phrygie. Hector, Pâris, Déiphobe : princes troyens, fils de Priam Polydamas : guerrier troyen Ménétès : guerrier lycien tué par Achille. Cygnus : guerrier troyen, fils de Neptune, tué par Achille. Agamemnon : roi de Mycènes ; commande l’armée des Grecs pendant la guerre de Troie. Ménélas : frère cadet d’Agamemnon ; tous les deux sont de la famille des Atrides et sont les descendants de Tantale. Ajax, « fils d’Oilée », héros grec de la guerre de Troie. Ajax, « fils de Télamon », héros grec de la guerre de Troie, homonyme du précédent. Au livre III il va disputer les armes d’Achille défunt à Ulysse. Ulysse, fils de Laërte, héros grec de la guerre de Troie. Protésilas : premier guerrier grec débarqué à Troie et premier mort, un oracle ayant annoncé que le premier arrivé serait tué ; Protésilas a assumé volontairement ce destin.

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Achille : fils de Pélée et de Thétis ; « le petit-fils d’Éaque » ; parangon des guerriers dans l’antiquité. Eétion : roi de Thèbes, père d’Andromaque, l’épouse d’Hector ; ancien adversaire d’Achille. Telèphe : fils d’Hercule ; ancien adversaire d’Achille. Diomède, fils de Tydée, héros grec de la guerre de Troie Nestor : « le vieillard de Pylos », personnage de sage dans l’Iliade. Périclymène : un des onze frères de Nestor tués par Hercule qui se vengeait de leur père Nélée ; capable de revêtir toutes les formes. Quand il meurt, Périclymène est un aigle. Cénée : d’abord femme sous le nom de Cénis et fille d’Élatus, roi d’Arcadie et violée par Neptune ; « le jeune guerrier de Phyllus ». Pirithoüs : fils d’Ixion, un des condamnés des Enfers, époux d’Hippodamé. Thésée : héros athénien, fils d’Égée, présent au mariage de Pirithoüs et Hippodamé. Tlépolème : fils d’Hercule

2.8.8 Jeunes filles Myrrha : fille de Cinyras, qui est lui-même le fils de Paphos, la fille de Pygmalion et de sa statue. Sa mère est Cenchréis. Atalante : fille de Schénée, son destin est déterminé par l’oracle qu’elle a consulté. Hésione : fille de Laomedon, le roi de Troie. Exposée à un monstre marin par Neptune, elle est délivrée par Hercule et donnée en mariage au compagnon de celui-ci Télamon. Chioné : fille de Daedalion. Son nom évoque la neige, « chiôn » en grec. Violée par Mercure et Apollon. Se proclame plus belle que Diane qui la punit de mort. Iphigénie : fille d’Agamemnon, sacrifiée à Diane.

2.8.8.1 Femmes Les Propétides : femmes de la ville d’Amathonte, ont nié la divinité de Vénus, qui les punit en les affligeant d’une lubricité inassouvissable. « Comme leur sang durci ne rougissait plus leur visage », elles finissent par être changées en pierres Euridyce : épouse d’Orphée est une dryade. La nourrice de Myrrha : elle sert de confidente à celle-ci, conformément au personnage de la nourrice, typique des tragédies. Cenchréis : épouse de Cinyras et mère de Myrrha. Animaux Le cerf de Cyparissus, livre X les femmes des Ciconiens, nommées aussi femmes Édoniennes, confondues avec les Bacchantes ou Ménades, compagnes d’Orphée. Alcyone : fille d’Éole et épouse de Céyx. Hippodamé : épouse de Pirithoüs.

2.8.9 Personnages divers Olénos et son épouse Léthéa : personnages inconnus cités quand Orphée perd Eurydice définitivement. Les Cérastes : personnages monstrueux, nantis de deux cornes (grec « keras », la corne) et vivant à Chypre. Ils sacrifient les étrangers sur l’autel de Jupiter hospitalier, commettant ainsi un double sacrilège, contre les lois de l’hospitalité et contre le dieux lui-même. Vénus les transforme en taureaux. Onétor de Phocide : gardien des troupeaux de Pélée. Phorbas : brigand béotien Chalcas : fils de Thestor, devin des Grecs pendant la guerre de Troie

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2.9 Deux figures mythiques, Pygmalion et Orphée

2.9.1 Pygmalion X 243-297 Remarques Le récit est assez rapide par rapport à la majorité de ceux qui composent les Métamorphoses. Il se rattache par l’expression de l’ardeur amoureuse à la veine élégiaque. L'histoire se déroule à Chypre dont Vénus est la déesse tutélaire. L'histoire de Pygmalion prend place après celle des Propétides changées en pierres. Pygmalion, sculpteur de la ville de Paphos, dégoûté par leur immoralité et se méfiant des femmes, choisit le célibat. Mais il va être pris au piège de sa propre création. Pygmalion fait partie des amours impossibles chantées par Ovide. Par rapport aux autres, il a une fin heureuse. La métamorphose est inverse des métamorphoses habituelles : c'est un objet inanimé qui est transformé en être vivant. C'est le comportement amoureux de Pygmalion et l'ardeur de son désir envers la statue qui vont lui donner vie : il la caresse et la comble de cadeaux. Vénus exauce sa prière et anime la statue. L'anecdote exploite ce qui pourrait être un thème qui pourrait être celui d’une comédie ou d’un apologue : un misogyne est pris au piège de l'amour de la façon la plus inattendue. Cependant le personnage est valorisé par sa délicatesse envers la statue ; il la caresse, mais ne va pas jusqu'à assouvir complètement son désir. De plus c'est grâce à sa piété qu'il se voit récompensé par Vénus. Une métamorphose désirée La métamorphose de Galatée se distingue des autres métamorphoses racontées au chant X par le luxe de détails qu'Ovide fournit sur la transformation ; de plus celle-ci n'intervient pas par surprise, elle est annoncée et préparée par le désir qu'éprouve Pygmalion à l'égard de sa création. D'autre part il s'agit d'un récit positif où Vénus récompense à la fois le talent, la piété et l'amour de Pygmalion, alors que le chant X comporte des histoires plus tristes comme celle d'Orphée et Eurydice ou Myrrha. Enfin, cette métamorphose donne la vie à une statue d'ivoire qui devient une gracieuse jeune femme, alors qu'ailleurs des êtres humains se transforment, qui en pierres, comme les Cérastes, qui en arbre, comme Attis ou Myrrha, qui en fleur, comme Hyacinthe, ou Adonis changé en anémone. Une métamorphose très progressive La façon dont Pygmalion sent les prémices de la vie apparaître dans sa statue est une véritable mise en abîme de la métamorphose. En effet, l'animation progressive de la statue se rapproche de la métamorphose et la prépare en ce sens que la statue exprime déjà le mouvement : « on dirait qu'elle est vivante et, sans la pudeur qui la retient, elle voudrait se mouvoir. » Ovide rend l’idée que la statue donne l’illusion de la vie par un certain nombre de procédés : elle a l'apparence, « facies » d'une jeune fille et le poète implique le lecteur dans cette appréciation : « quam vivere credas », « on croitrait qu’elle vit ». Il attribue un sentiment de pudeur à la statue, comme si elle avait une conscience : « si non obstet reverentia, velle moveri », « si la réserve ne s’y opposait, elle voudrait bouger » ; la main du sculpteur n'apparaît plus dans son œuvre et le comble de son savoir-faire est justement de cacher celui-ci : « ars adeo latet arte sua », « à tel point son art est dissimulé par son propre art ». Enfin Ovide prête à Pygmalion des comportements que celui-ci pourrait aussi bien avoir avec un être vivant : « Oscula dat [...] loquiturque [...] et metuit, pressos veniat ne livor in artus. », « Il lui donne des baisers… il lui parle… et il a peur qu’une pâleur apparaisse sur ses membres là où il appuyé ».

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Une conception de l’art la façon dont Ovide évoque Pygmalion et sa statue pose tout une série de questions sur l'art et l'artiste. Pygmalion est une image de l’artiste créateur. Ovide montre ici une conception typiquement romaine des arts plastiques : la finalité de l'art est l'imitation la plus réaliste possible de la nature : « Virginis est veras facies, quam vivere credas ». La ressemblance est la valeur première qu'on recherche ; ici elle est même telle que Pygmalion tombe amoureux de sa statue : « operisque sui concepit amorem », « il fut pris d’amour pour sa propre œuvre ». De plus les traces du travail de l'artiste doivent rester invisibles, « ars adeo latet arte sua » ; à comparer avec les oeuvres de sculpteurs modernes comme Rodin, sur la surface desquelles les marques des coups de ciseau apparaissent encore, alors que les statues antiques sont longuement polies avant d'être peintes. Ovide affirme aussi que l'art est même capable de surpasser la nature et de faire mieux qu'elle : « formamque dedit, qua femina nasci / nulla potest », « et il lui donna une forme avec laquelle aucune femme ne peut naître ». On retrouvera cette idée exprimée au XIXe siècle sous l'influence du dandysme chez deux auteurs par ailleurs nourris de poésie latine, Charles Baudelaire et Joris-Karl Huysmans. Cette vision de l’art, seul capable d’atteindre au beau, se retrouve ailleurs dans les Métamorphoses ; par exemple, Ovide écrit à propos de la naissance d’Adonis, le fils de Myrrha, « il rappelle les amours que les peintres représentent nus dans leurs tableaux. »

2.9.2 Orphée

2.9.2.1 Origines Orphée est le fils du roi de Thrace Œagre et de Calliope, muse de la poésie épique. Il est le disciple de Musée et le frère de Linos, qui enseigna la musique à Hercule et fut tué par ce dernier. Orphée a un surnom, « le chantre de Rhodope », montagne de Thrace. Comme beaucoup de héros (hercule, Thésée…), il a participé à l’expédition des Argonautes. Les épisodes concernant Orphée dans les livres X et XI des Métamorphoses se passent en Thrace, une contrée périphérique du monde grec dont la réputation est plutôt sauvage. C’est chez les Ciconiens, habitants de la Thrace qu’Orphée a été initié aux mystères d’Apollon et ce sont leurs femmes qui l’auraient déchiré.

2.9.2.2 Place dans les Métamorphoses Dans les Métamorphoses, l'histoire d'Orphée se situe après celle d'Iphis à la fin du livre IX : Un Crétois, Ligdus, menace de tuer l'enfant que sa femme Thélétuse va mettre au monde s'il s'agit d'une fille. Comme le nouveau-né est de sexe féminin, on lui donne le prénom ambigu d'Iphis et on l'élève en le faisant passer pour un garçon. Quand Iphis a treize ans, on lui donne une fiancée, Ianthé, dont elle devient amoureuse, ce qui l'amène à se poser des questions. Le discours d'Iphis contient aux vers 731 sq. une réflexion sur l'homosexualité à laquelle fera écho l’amour qu’Orphée éprouvera plus tard pour les garçons. Mais la mère d'Iphis adresse une prière à Isis et sa fille, une fois transformée en garçon, peut, l'esprit tranquille, épouser Ianthé. Le passage témoigne en outre de l'implantation des cultes égyptiens dans le monde romain. C'est en revenant des noces d'Iphis et Ianthé qu'Hyménée, le dieu du mariage, va se rendre à celles d'Orphée et Eurydice.

2.9.2.3 Les fonctions d'Orphée - le personnage d'Orphée confère une unité aux livres X et XI, car il est à la fois une figure mythique et une image du poète.

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- Orphée incarne la figure du poète dans l'oeuvre. Il se substitue d'ailleurs à lui en racontant une série d'histoires amoureuses. - l'histoire d'Orphée utilise un « topos » mythologique, qui est la descente aux Enfers. Cf. la descente d'Ulysse aux Enfers dans l'Odyssée, ainsi que celle d'Enée dans l'Enéide de Virgile. - l'histoire d'Orphée sert d’autre part à expliquer l'origine d'un fait de moeurs bien attesté dans le monde grec qui est l'amour des jeunes garçons, en grec « pédérastie ». Cette acquisition de nouveaux goûts par Orphée en matière amoureuse peut être assimilée à une métamorphose. - la fin d'Orphée, qui se place lui-même sous le patronage d’Apollon et qui est déchiré par les Ménades, compagnes de Bacchus-Dionysos, illustre le conflit entre esprit apollinien et esprit dionysiaque, tel qu’il sera défini par Friedrich Nietzsche dans son essai dédié à Wagner en 1872 Naissance de la tragédie.. - Orphée montre la synthèse possible entre rhétorique et poésie par le discours qu'il prononce devant les dieux des Enfers. - la voix du poète survit à sa mort : « emportée au milieu du courant, sa lyre fait entendre je ne sais quels accords plaintifs ; sa langue privée de sentiment murmure une plaintive mélodie et les rives y répondent par de plaintifs échos. » Cette survie du poète à travers sa parole deviendra ensuite un grand thème, cf. par exemple Ronsard, Sonnet pour Hélène. - Orphée qui charme les animaux et les arbres montre la puissance de la parole poétique.

2.9.2.4 Une conception nouvelle d’Orphée On mesurera l’originalité d’Ovide, qui donne une vision puissante et positive d’Orphée à l’image négative qu’en donne Platon dans son Banquet en faisant parler Phèdre. Ce dernier vient d'évoquer Alceste, qui s'est offerte à la mort pour sauver son mari Admète et que les dieux admiratifs ont rappelée des Enfers :

« Tant les dieux mêmes estiment le dévouement et la vertu qui viennent de l'amour ! Au contraire, ils renvoyèrent de l'Hadès Orphée, fils d'Eagre, sans rien lui accorder, et ils ne lui montrèrent qu'un fantôme de la femme qu'il était venu chercher, au lieu de lui donner la femme elle-même, parce que, n'étant qu'un joueur de cithare, il montra peu de courage et n'eut pas le coeur de mourir pour son amour, comme Alceste, et chercha le moyen de pénétrer vivant dans l'Hadès ; aussi les dieux lui firent payer sa lâcheté et le firent mettre à mort par des femmes. Au contraire, ils ont honoré Achille, fils de Thétis, et l'ont envoyé dans les îles des Bienheureux parce que, prévenu par sa mère qu'il mourrait, s'il tuait Hector, et qu'il reverrait son pays, s'il ne le tuait pas, et y finirait sa vie, chargé d'années, il préféra résolument secourir son amant, Patrocle, et non seulement mourir pour le venger, mais encore mourir sur son corps. Aussi les dieux charmés l'ont-ils honoré par-dessus tous les hommes, pour avoir mis à si haut prixs on amant. »

Platon, Banquet 179d, traduction E.Chambry, Garnier-Flammarion

2.9.2.5 L’orphisme On appelle ainsi une philosophie née vers le VIIe siècle dont les adeptes croient en l’immortalité de l’âme et à la sanction des actes bons ou mauvais dans une vie future ; dans cette perspective, ils s’adonnent à des pratiques ascétiques. L’orphisme serait une des origines, très mal connue d’ailleurs, de la philosophie de Pythagore. Mais, en dépit du rapprochement fait par certains critiques, le rapport entre cette secte et l’Orphée des Métamorphoses d’Ovide n’a rien d’évident.

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2.10 L’amour L'amour occupe une place de choix dans l'œuvre d'Ovide, auteur des Amours et de l'Art d'aimer, tout comme dans la poésie romaine en général. Le livre X des Métamorphoses lui est presque entièrement consacré.

2.10.1 Quel amour ? Faut-il rappeler la thèse que Denis de Rougemont a exprimée en 1938 dans L'Amour et l'Occident, à savoir que la passion amoureuse serait née dans l'Europe chrétienne du moyen âge et aurait sa première expression dans le mythe de Tristan et Yseut ? En tout cas les Métamorphoses comme le reste de la poésie romaine semblent bien lui donner raison. En effet, dans les récits d'Ovide, la naissance de ce sentiment est toujours liée à l'attrait physique qu'exerce le partenaire convoité et à rien d'autre, une preuve évidente étant fournie par Pygmalion amoureux d'une statue. D'autre part le pessimisme qui ressort de la façon dont Ovide raconte des histoires d'amour dont le dénouement est toujours négatif s'inscrit dans une mentalité qui très généralement condamne la passion amoureuse, conçue négative. C'est le cas notamment de Lucrèce, pour qui elle est contraire à la marche vers la sérénité épicurienne et qui la qualifie de « rabies », (rage) et de « furor » (folie furieuse), De Natura rerum IV 1117.. C'est aussi le cas de Cicéron dans les Tusculanes IV, 34, 76 : « admonendus <est>, quantus sit furor amoris. Omnibus, enim ex animi perturbationibus est profecto nulla vehementior », « il faut prévenir de l’importance de la folie amoureuse. En effet de tous les troubles de l’esprit, assurément aucun n’est plus violent. » De manière moins sévère les élégiaques condamnent aussi la passion amoureuse dans la mesure où, comme l'a chanté Tibulle, elle va à l'encontre des vertus romaines en poussant à l'ivrognerie ou en détournant des devoirs militaires. Par bien des aspects, l'amour dans les Métamorphoses rappelle les idées exposées par Platon dans le Banquet : l'amour est une recherche du même sous l'aspect de l'autre. Pygmalion est amoureux de la statue qu’il a lui-même créée, Myrrha l’est de son père, Atalante ne cède qu’au coureur qui est plus rapide qu’elle-même, avec le jeune Hyacinthe Apollon se fait athlète, Vénus devient chasseresse par amour d’Adonis qui aime la chasse, Alcyone devient oiseau de mer pour rejoindre son mari défunt dans la mer,

2.10.2 Comment décrire l'amour ? Ovide a recours à une image qui deviendra par la suite un poncif, celle du feu. Exemples : Pygmalion, Hippomène, Adonis

2.10.3 Les tourments du désir Inassouvi, l'amour ne laisse aucun répit à sa victime et n'autorise ni détournement, ni sublimation Pygmalion offre des cadeaux à sa statue, Myrrha en perd le sommeil et tente de se pendre. Par désir d'Atalante, Hippomène risque sa vie dans une course qu'il a d'abord trouvée absurde.

2.10.4 Que font les amants ? - En opposition avec l'hébétude du désir insatisfait, l'amour partagé rend les amants actifs : Cyparissus hante les bois en compagnie de son cerf. Apollon et Hyacinthe pratiquent l’athlétisme. Vénus et Adonis chassent ensemble. - L'amour conjugal s'exprime d'autres manières, essentiellement par la parole : Orphée et Eurydice Céyx et Alcyone

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2.10.5 Des histoires d'amour qui finissent mal en g énéral. Leur terme ordinaire de l’amour est soit la mort, celle d’Eurydice ou d’Hyacinthe par exemple, soit la métamorphose, celle de Myrrha ou d’Alcyone, qui en est le prolongement ou la consolation. Ovide met en évidence le lien que Freud établira plus tard entre les pulsions fondamentales, Eros et Thanatos. Autre lien entre amour et mort : es jeunes gens qui osent défier Atalante à la course, dans l’espoir de la posséder, sont mis à mort après leur défaite. Myrrha, désespérant de satisfaire un jour son amour incestueux, essaie d'abord de se suicider ; puis, quand elle est arrivée à ses fins et que son père l'a reconnue, celui-ci brandit une « épée étincelante » pour la tuer (symbole phallique ?). La métamorphose apparaît alors comme un substitut de la mort : Myrrha est métamorphosée en arbuste pour s'enraciner et échapper ainsi à l'errance. Elle intervient comme un châtiment imposé par Vénus lorsque Atalante et Hippomène sont transformés en lions pour avoir commis un sacrilège. La métamorphose peut être atténuée et consiste alors en un simple changement d'habitudes : Pygmalion, le sage qui s’est voué au célibat, ne pense plus qu'à la statue dont il est amoureux. Ce changement peut toucher jusqu'aux dieux : l'amour rend Apollon « oublieux de ce qu'il est lui-même » et « il se détourne de sa cithare ». Vénus « n'a plus cure des rivages de Cythère », elle prend le costume et les habitudes de Diane chasseresse. Jupiter lui-même va jusqu'à se transformer en aigle pour enlever Ganymède.