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confrontation La condition des images Frédéric Lambert et François Niney rencontrent Georges Didi-Huberman Ce n’est plus une « Confrontation », ce sont des rencontres qui se sont produites entre Georges Didi-Hubermann, Fran- çois Niney et moi-même, pendant l’année 2007. Qui est-il ? Auteur d’une œuvre complexe, inouïe (inattendue, que l’on n’a jamais entendue), n’est-il pas historien de l’Histoire de l’art à l’École des hautes études en sciences sociales ? Ma question prolonge mon doute : l’écriture de Georges Didi-Huberman est en cela une leçon de liberté, elle est faite de mouvements de pensées et, par vagues, balaie des champs pluriels. Philosophie, histoire, histoire de l’art (histoire comme art), esthétique, anthropologie et, par une musique sans cesse présente, discrète comme il sait la distribuer, la psychanalyse. Le choix de ses images ne pourrait faire l’objet d’un catalogue, ce serait mentir. La peinture, la photo- graphie, la sculpture, le cinéma, leurs textes : « se défaire des catégories toutes faites ». Se défaire de nos pré-visions, trop chargées des histoires qu’on a voulu leur imposer, placées dans les perspectives d’une histoire trop linéaire. Se défaire du temps et des lieux qui figent : une photographie de presse, une peinture, un document ne sauraient être vus à la seule lumière du jour où nous les voyons. Alors, la condition des images : elles nous menaceraient ? Non. Elles seraient esclaves ? Non plus. Elle ne doit se conce- voir, cette condition, ni comme un chantage (je peux la regarder à condition que j’accepte l’ordre qu’elle porte dit son spectateur), ni comme un aveu (ma condition, ma pauvre condition, regardez où l’on m’a mise dit l’image), ni comme un témoignage (voici dit l’auteur dans quelles conditions j’ai fait cette image). La condition des images n’est pas un condi- tionnement, c’est l’exigence de les prendre dans leurs déplacements. Ouvrir l’œil et le bon serait parfaitement insuffisant : il faudrait encore avoir des yeux derrière le dos, nécessairement ouvrir les yeux pour refuser nos aveuglements. On y croise la folie, les pouvoirs et la mort. On y trouve des reflets survivants. On apprend les premiers gestes qu’il faut porter à l’image pour lui redonner vie. Jusqu’au détail qui nous expose, qui fait lien entre l’image passée et notre présent, jusqu’au détail qui expose son image dans d’improbables vis-à-vis. Ce sont aussi les mnémosynes d’Aby War- burg, tableaux d’images occupées à raconter entre elles et hors d’elles les multiples récits de leurs coïncidences. (Quand je zappe à la télévision, est-ce que je sais ce que je fais ? Une œuvre unique ? Une accumulation sans queue ni tête ? Un texte où les raisons de l’anachronisme construiraient le hasard ?). Être devant ; surgissement ; regarder avec des mots ; histoire de l’art, histoire comme art ; image-symptôme ; montage ; ana- chronisme ; généalogie ; survivance ; l’actualité et l’intempestif ; citation ; contexte ; images interdites, images malgré tout ; déplier : ce sont là les mots clés que nous avons choisis avec François Niney, pour questionner Georges Didi-Huberman. Après les entretiens avec Marie José Mondzain (« L’exigence des regards », MédiaMorphoses n° 12), Marc Augé (« Le rivage des images », MédiaMorphoses n° 14), et Jacques Bouveresse (« L’abîme des lieux communs », MédiaMorphoses n° 16), nous poursuivons ici l’idée que l’étranger a beaucoup à nous apporter. Je remercie Georges Didi-Huberman d’avoir pris ce temps de la rencontre, c’est un temps qui défait nos calendriers trop ordonnés. Frédéric Lambert médiamorphoses 5

2008-22-5

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    La conditiondes imagesFrdric Lambert et Franois Niney rencontrent Georges Didi-Huberman

    Ce nest plus une Confrontation , ce sont des rencontres qui se sont produites entre Georges Didi-Hubermann, Fran-

    ois Niney et moi-mme, pendant lanne 2007. Qui est-il ? Auteur dune uvre complexe, inoue (inattendue, que lon

    na jamais entendue), nest-il pas historien de lHistoire de lart lcole des hautes tudes en sciences sociales ? Ma

    question prolonge mon doute : lcriture de Georges Didi-Huberman est en cela une leon de libert, elle est faite de

    mouvements de penses et, par vagues, balaie des champs pluriels. Philosophie, histoire, histoire de lart (histoire

    comme art), esthtique, anthropologie et, par une musique sans cesse prsente, discrte comme il sait la distribuer, la

    psychanalyse. Le choix de ses images ne pourrait faire lobjet dun catalogue, ce serait mentir. La peinture, la photo-

    graphie, la sculpture, le cinma, leurs textes : se dfaire des catgories toutes faites . Se dfaire de nos pr-visions,

    trop charges des histoires quon a voulu leur imposer, places dans les perspectives dune histoire trop linaire. Se

    dfaire du temps et des lieux qui figent : une photographie de presse, une peinture, un document ne sauraient tre

    vus la seule lumire du jour o nous les voyons.

    Alors, la condition des images : elles nous menaceraient ? Non. Elles seraient esclaves ? Non plus. Elle ne doit se conce-

    voir, cette condition, ni comme un chantage (je peux la regarder condition que jaccepte lordre quelle porte dit son

    spectateur), ni comme un aveu (ma condition, ma pauvre condition, regardez o lon ma mise dit limage), ni comme un

    tmoignage (voici dit lauteur dans quelles conditions jai fait cette image). La condition des images nest pas un condi-

    tionnement, cest lexigence de les prendre dans leurs dplacements. Ouvrir lil et le bon serait parfaitement insuffisant :

    il faudrait encore avoir des yeux derrire le dos, ncessairement ouvrir les yeux pour refuser nos aveuglements.

    On y croise la folie, les pouvoirs et la mort. On y trouve des reflets survivants. On apprend les premiers gestes quil

    faut porter limage pour lui redonner vie. Jusquau dtail qui nous expose, qui fait lien entre limage passe et notre

    prsent, jusquau dtail qui expose son image dans dimprobables vis--vis. Ce sont aussi les mnmosynes dAby War-

    burg, tableaux dimages occupes raconter entre elles et hors delles les multiples rcits de leurs concidences.

    (Quand je zappe la tlvision, est-ce que je sais ce que je fais ? Une uvre unique ? Une accumulation sans queue

    ni tte ? Un texte o les raisons de lanachronisme construiraient le hasard ?).

    tre devant ; surgissement ; regarder avec des mots ; histoire de lart, histoire comme art ; image-symptme ; montage ; ana-

    chronisme ; gnalogie ; survivance ; lactualit et lintempestif ; citation ; contexte ; images interdites, images malgr tout ;

    dplier : ce sont l les mots cls que nous avons choisis avec Franois Niney, pour questionner Georges Didi-Huberman.

    Aprs les entretiens avec Marie Jos Mondzain ( Lexigence des regards , MdiaMorphoses n 12), Marc Aug ( Le

    rivage des images , MdiaMorphoses n 14), et Jacques Bouveresse ( Labme des lieux communs , MdiaMorphoses

    n 16), nous poursuivons ici lide que ltranger a beaucoup nous apporter. Je remercie Georges Didi-Huberman

    davoir pris ce temps de la rencontre, cest un temps qui dfait nos calendriers trop ordonns.

    Frdric Lambert

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