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Ce supplément de douze pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Russie), qui assume l’entière responsabilité de son contenu Publié en coordination avec The Daily Telegraph, The Washington Post et d’autres grands quotidiens internationaux Distribué avec PAGE 8 Mercredi 8 décembre 2010 Pas l’ombre d’un doute : parmi les pays du fameux groupe BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), c’est la Chine, avec sa population et ses taux de croissance à deux chiffres, qui tient le rôle de lo- comotive. Elle a toujours été le favori du groupe, tandis que la Russie fait figure de canard boi- teux. Mais les investisseurs ont peut-être jugé trop vite. La plupart des comparaisons au sein du BRIC sont réalisées sous l’angle macro-économique, où le gigantisme de la Chine (et de l’Inde) submerge les autres. Le taux de croissance chinois, autour de 9-10%, est brandi comme un miracle, mais on parle peu de la qualité de la croissan- ce ni de ses causes : si la Chine se développe aussi rapidement, c’est qu’elle en est au début de son processus de convergence, tandis que la Russie va plus len- tement car elle en est déjà à mi- parcours. D’où la question primordiale : vaut-il mieux faire des affaires dans un pays au premier stade de sa croissance ou dans une éco- nomie plus mature ? De BRIC en BRIC Un nombre croissant d’investisseurs sont convaincus que les pays émergents vont être le moteur de la future croissance mondiale. Mais lequel choisir ? Erofeev, provocateur malgré lui Le visage du rock russe engagé Coup de projecteur sur le spécialiste de l’art contem- porain russe, qui dérange. Figure de la contestation, Iouri Chevtchouk se pro- duira avec son groupe DDT à Paris le 14 décembre. P. 11 P. 10 JENNIFER EREMEEVA SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI RACHEL MORARJEE BUSINESS NEW EUROPE SUITE EN PAGE 12 SUITE EN PAGE 6 « C’est un sapin de Noël ou un sapin de Nouvel An ? », me de- mande ma fille Velvet, cinq ans, pendant que je m’emmêle dans une guirlande électrique. « Les deux », répond mon mari russe, contorsionné par terre pour fixer l’arbre. « Nastia dit que le père Noël n’est pas le père Noël. Le vrai c’est Ded Moroz, et il vient pour le Nouvel An », nous informe Velvet, en ci- tant son infaillible meilleure amie. Ma réponse jaillit entre les dents : « Dis à Nastia que dans notre très chanceuse famille, le père Noël vient le 24 décembre, et après, son cousin Ded Moroz vient la veille du Jour de l’An ». « Nastia dit que Noël, c’est le 7 janvier », insiste Velvet. « C’est vrai aussi », glisse mon mari. « Pourquoi ? », demande Velvet, C’est quand Noël, en vrai ? Traditions À cheval sur deux cultures : les fêtes en double Le vice-Premier ministre russe Igor Chouvalov chargé de l’organisa- tion par Joseph Blatter, président de la FIFA (commentaire en p. 8). La présidentielle du 19 décembre au Belarus, dont le président sortant Loukachenko est favori, aggrave les tensions avec l’« allié » russe. Le scrutin du divorce PAGE 2 PAGE 9 « Vieux-Croyants » Entre intégrisme religieux et intransigeance politique totale, les schismatiques orthodoxes (« Vieux-Croyants ») veulent offrir à la Russie un modèle de société alternatif. L’exemple des grands groupes français, qui accélèrent et accroissent leur présence sur le marché russe, inspire de plus en plus les petites et moyennes entreprises. L’année des PME PAGE 4 Foot : une chère victoire DÉBATS ET OPINIONS « Le vote de la FIFA n’était pas un concours de dossiers, mais une lutte violente sous le tapis, fondée sur les sympathies personnelles et l’esprit de mis- sion des fonctionnaires du foot- ball mondial », estime le jour- naliste Anton Orekh. Mais la Coupe du monde de football offre à la Russie une chance de s’ouvrir un peu plus. REUTERS/VOSTOCK-PHOTO PHOTOXPRESS RIA NOVOSTI RIA NOVOSTI En 2008, la première allocution présidentielle de Dmitri Medve- dev sur l’état de la nation avait porté sur les réformes politiques. La deuxième, sur la modernisa- tion du pays. Il était donc logi- que que les questions sociales soient au cœur de la troisième, prononcée devant le Parlement le 30 novembre dernier. Sur ce terrain neutre, il ne fal- lait pas s’attendre à déceler le moindre signe d’une quelconque rivalité avec le Premier ministre Vladimir Poutine dans la pers- pective d’une candidature de l’un ou de l’autre à la présidentielle de 2012. Mais en s’adressant aux préoccupations premières du peuple russe, et particulièrement des familles, le chef de l’État a laissé la porte ouverte à toutes les hypothèses électorales. La dé- gradation démographique, éco- logique ou scolaire et les solu- tions que le Kremlin propose d’y apporter peuvent être vues comme des thèmes de campagne où dominent traditionnellement les enjeux intérieurs. Le président juge que le moteur La bataille du social Politique Décryptage de l’allocution annuelle du président russe devant la Douma LIRE EN PAGE 3 Le chef de l’État n’a pas esquivé l’un de ses thèmes préférés : l’innovation et les super-ordinateurs. et ils m’ont regardée tous les deux, dans l’expectative. Dans notre famille russo-amé- ricaine, Noël n’est pas un sprint, mais un marathon. Depuis la naissance deVelvet, mon mari et moi avons travaillé dur pour fu- sionner les traditions divergen- tes de la Russie et de l’Occident. Résultat : une galère d’un mois, du 15 décembre jusqu’à « l’an- cien nouvel an » du 13 janvier. PETR SEMIONOV SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI Dmitri Medvedev n’a pas évoqué sa candidature à la présidentielle de 2012, mais il a trop longuement insisté sur ses projets sociaux pour qu’on n’y voie pas de visées électorales. de la croissance est relancé : « Nous avons réussi à stabiliser l’économie après une régression significative. Cette année, la croissance sera de 4% ». Il n’a pas esquivé l’un de ses thèmes préférés : l’innovation technologique, évoquant le futur GLONASS (Système Global de Navigation par Satellite) et l’ef- ficacité, qui sera multipliée par 2,5 en deux ans, du super-ordi- nateur russe « Lomonossov ». Quant au centre de formation Skolkovo, en cours de réalisa- tion, il est désigné comme le plus grand des projets menés dans le cadre de l’innovation. La première mission confiée au gouvernement deVladimir Pou- tine est également liée au thème de la modernisation. Il s’agit d’in- vestir plus dans la recherche énergétique ainsi que dans les nouvelles technologies de l’in- formatique et de la médecine. En matière de lutte contre la cor- ruption, le chef de l’État s’est prononcé pour des sanctions fi- nancières plus sévères dans les cas de fraude commerciale et de pots-de-vin, y voyant une me- sure plus efficace que les peines de prison - alors même qu’il s’ef- force de rendre le système judiciaire plus humain et moins corrompu. Mais la majeure partie de son allocution de 71 minutes a été consacrée à ses propositions en matière de politique familiale, de santé et d’éducation autour d’un sujet central : le bien-être et l’avenir de « nos enfants ». Un thème rassembleur s’il en est. PHOTO DU MOIS Coupe du monde 2018 en Russie ! AFP/EASTNEWS GETTY IMAGES/FOTOBANK

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Publié en coordination avec The Daily Telegraph, The Washington Post et d’autres grands quotidiens internationaux Mercredi 8 décembre 2010 Un nombre croissant d’investisseurs sont convaincus que les pays émergents vont être le moteur de la future croissance mondiale. Mais lequel choisir ? Figure de la contestation, Iouri Chevtchouk se pro- duira avec son groupe DDT à Paris le 14 décembre. Coup de projecteur sur le spécialiste de l’art contem- porain russe, qui dérange. PAGE 8

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Ce supplément de douze pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Russie), qui assume l’entière responsabilité de son contenu

Publié en coordination avec The Daily Telegraph, The Washington Post et d’autres grands quotidiens internationaux

Distribué avec

PAGE 8

Mercredi 8 décembre 2010

Pas l’ombre d’un doute : parmi les pays du fameux groupe BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine), c’est la Chine, avec sa population et ses taux de croissance à deux chiffres, qui tient le rôle de lo-comotive. Elle a toujours été le favori du groupe, tandis que la Russie fait � gure de canard boi-teux. Mais les investisseurs ont peut-être jugé trop vite.La plupart des comparaisons au sein du BRIC sont réalisées sous l’angle macro-économique, où le gigantisme de la Chine (et de l’Inde) submerge les autres. Le taux de croissance chinois, autour de 9-10%, est brandi comme un miracle, mais on parle peu de la qualité de la croissan-ce ni de ses causes : si la Chine se développe aussi rapidement, c’est qu’elle en est au début de son processus de convergence, tandis que la Russie va plus len-tement car elle en est déjà à mi-parcours.D’où la question primordiale : vaut-il mieux faire des affaires dans un pays au premier stade de sa croissance ou dans une éco-nomie plus mature ?

De BRIC en BRICUn nombre croissant d’investisseurs sont convaincus que les pays émergents vont être le moteur de la future croissance mondiale. Mais lequel choisir ?

Erofeev, provocateur malgré lui

Le visage du rock russe engagé

Coup de projecteur sur le spécialiste de l’art contem-porain russe, qui dérange.

Figure de la contestation, Iouri Chevtchouk se pro-duira avec son groupe DDT à Paris le 14 décembre.

P. 11

P. 10

JENNIFER EREMEEVASPÉCIALEMENT POURLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

RACHEL MORARJEEBUSINESS NEW EUROPE

SUITE EN PAGE 12

SUITE EN PAGE 6

« C’est un sapin de Noël ou un sapin de Nouvel An ? », me de-mande ma � lle Velvet, cinq ans, pendant que je m’emmêle dans une guirlande électrique. « Les deux », répond mon mari russe, contorsionné par terre pour � xer l’arbre. « Nastia dit que le père Noël n’est pas le père Noël. Le vrai c’est Ded

Moroz, et il vient pour le Nouvel An », nous informe Velvet, en ci-tant son infaillible meilleure amie. Ma réponse jaillit entre les dents : « Dis à Nastia que dans notre très chanceuse famille, le père Noël vient le 24 décembre, et après, son cousin Ded Moroz vient la veille du Jour de l’An ». « Nastia dit que Noël, c’est le 7 janvier », insiste Velvet.« C’est vrai aussi », glisse mon mari. « Pourquoi ? », demande Velvet,

C’est quand Noël, en vrai ?Traditions À cheval sur deux cultures : les fêtes en double

Le vice-Premier ministre russe Igor Chouvalov chargé de l’organisa-tion par Joseph Blatter, président de la FIFA (commentaire en p. 8).

La présidentielle du 19 décembre au Belarus, dont le président sortant Loukachenko est favori, aggrave les tensions avec l’« allié » russe.

Le scrutin du divorce

PAGE 2 PAGE 9

« Vieux-Croyants »Entre intégrisme religieux et intransigeance politique totale, les schismatiques orthodoxes (« Vieux-Croyants ») veulent offrir à la Russie un modèle de société alternatif.

L’exemple des grands groupes français, qui accélèrent et accroissent leur présence sur le marché russe, inspire de plus en plus les petites et moyennes entreprises.

L’année des PME

PAGE 4

Foot : une chère victoire

DÉBATS ET OPINIONS

« Le vote de la FIFA n’était pas un concours de dossiers, mais une lutte violente sous le tapis, fondée sur les sympathies personnelles et l’esprit de mis-sion des fonctionnaires du foot-ball mondial », estime le jour-naliste Anton Orekh. Mais la Coupe du monde de football offre à la Russie une chance de s’ouvrir un peu plus.

REUTERS/VOSTOCK-PHOTO

PHOTOXPRESSRIA NOVOSTIRIA NOVOSTI

En 2008, la première allocution présidentielle de Dmitri Medve-dev sur l’état de la nation avait porté sur les réformes politiques. La deuxième, sur la modernisa-tion du pays. Il était donc logi-que que les questions sociales soient au cœur de la troisième, prononcée devant le Parlement le 30 novembre dernier.Sur ce terrain neutre, il ne fal-lait pas s’attendre à déceler le moindre signe d’une quelconque rivalité avec le Premier ministre Vladimir Poutine dans la pers-pective d’une candidature de l’un ou de l’autre à la présidentielle de 2012. Mais en s’adressant aux préoccupations premières du peuple russe, et particulièrement des familles, le chef de l’État a laissé la porte ouverte à toutes les hypothèses électorales. La dé-gradation démographique, éco-logique ou scolaire et les solu-tions que le Kremlin propose d’y apporter peuvent être vues comme des thèmes de campagne où dominent traditionnellement les enjeux intérieurs. Le président juge que le moteur

La bataille du socialPolitique Décryptage de l’allocution annuelle du président russe devant la Douma

LIRE EN PAGE 3Le chef de l’État n’a pas esquivé l’un de ses thèmes préférés : l’innovation et les super-ordinateurs.

et ils m’ont regardée tous les deux, dans l’expectative. Dans notre famille russo-amé-ricaine, Noël n’est pas un sprint, mais un marathon. Depuis la naissance de Velvet, mon mari et moi avons travaillé dur pour fu-sionner les traditions divergen-tes de la Russie et de l’Occident. Résultat : une galère d’un mois, du 15 décembre jusqu’à « l’an-cien nouvel an » du 13 janvier.

PETR SEMIONOVSPÉCIALEMENT POURLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Dmitri Medvedev n’a pas évoqué sa candidature à la présidentielle de 2012, mais il a trop longuement insisté sur ses projets sociaux pour qu’on n’y voie pas de visées électorales.

de la croissance est relancé : « Nous avons réussi à stabiliser l’économie après une régression significative. Cette année, la croissance sera de 4% ». Il n’a pas esquivé l’un de ses thèmes préférés : l’innovation technologique, évoquant le futur GLONASS (Système Global de Navigation par Satellite) et l’ef-� cacité, qui sera multipliée par 2,5 en deux ans, du super-ordi-nateur russe « Lomonossov ». Quant au centre de formation Skolkovo, en cours de réalisa-tion, il est désigné comme le plus grand des projets menés dans le cadre de l’innovation. La première mission con� ée au gouvernement de Vladimir Pou-tine est également liée au thème de la modernisation. Il s’agit d’in-vestir plus dans la recherche énergétique ainsi que dans les nouvelles technologies de l’in-formatique et de la médecine. En matière de lutte contre la cor-ruption, le chef de l’État s’est prononcé pour des sanctions � -nancières plus sévères dans les cas de fraude commerciale et de pots-de-vin, y voyant une me-sure plus efficace que les peines de prison - alors même qu’il s’ef-force de rendre le système judiciaire plus humain et moins corrompu.Mais la majeure partie de son allocution de 71 minutes a été consacrée à ses propositions en matière de politique familiale, de santé et d’éducation autour d’un sujet central : le bien-être et l’avenir de « nos enfants ». Un thème rassembleur s’il en est.

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Coupe du monde 2018 en Russie !

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02 LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.larussiedaujourdhui.frcommuniqué de rossiYsKaYa GaZeTadisTribué aVec le fiGaro international

Paul duVerneTLa russie d’aujourd’hui

la réélection du président biélorusse sortant, alexandre loukachenko, semble ne faire aucun doute. le scrutin du 19 décembre ne va pas arranger les affaires avec moscou.

un scrutin qui pousse au divorcerussie - belarus Tout devrait rapprocher Minsk de Moscou, mais quand la politique s’en mêle...

rope, cette fois aux tarifs du mar-ché. Une véritable subvention que Vladimir Poutine a estimée en mars dernier à 4,8 milliards d’euros par an. Qui plus est, le Belarus paie 187 dollars les mille mètres cube de gaz naturel russe, contre plus de 300 dollars pour les autres clients occidentaux. Moscou, qui se heurte à un tir de barrage de Minsk à chacune de ses tentatives de réduire l’écart avec le marché, a réussi à obte-nir une part de 50% dans le ré-seau de gazoducs biélorusse, qui transporte 20% des exportations de gaz russe vers l’Europe.Alexandre Loukachenko craint plus que tout d’être traité en vas-sal par le Kremlin et ne perd pas une occasion de montrer qu’il reste seul maître chez lui. Il pré-sente son pays d’à peine 10 mil-lions d’habitants comme une for-teresse assiégée. Début novembre, il annonçait à la télévision d’ État que « la situation est très diffi-cile. Le Belarus est aujourd’hui au bord de la fracture. Les uns forcent d’un côté, les autres de l’autre. Nous ne cèderons pas et garderont l’intégrité de notre pays. Personne ne pourra briser le Belarus : ni la Russie, ni l’Ukraine, ni l’Union européen-ne, ni l’Amérique. »Tout indique que la Russie a clai-rement remplacé l’Occident en tant que bête noire du président biélorusse. Le ton montait de-puis plusieurs mois entre les chefs d’ État ; la tension a atteint son paroxysme le 22 novembre lors de la visite à Minsk du mi-nistre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, qui n’a pas

Au pouvoir depuis 1994, l’auto-ritaire chef d’ État fait face à une opposition morcelée (10 candi-dats) disposant d’un accès très limité aux grands médias. Selon l’ambassadeur russe à Minsk Alexandre Sourikov, « la Russie, l’Union européenne et les États-Unis s’accordent tous pour pro-nostiquer une victoire prévisible et avec une large avance d’Alexan-dre Loukachenko ».L’ancien vassal soviétique de Moscou, coincé entre la Russie et trois pays de l’Union euro-péenne, est traditionnellement tourné vers le grand voisin orien-tal, avec lequel les liens cultu-rels sont très forts. Encore à 70% sous le contrôle de l’ État, l’éco-nomie biélorusse ressemble à un appendice de l’économie russe, dont elle est totalement dépen-dante. Et même si les accrocha-ges diplomatiques se multiplient entre les deux pays, ceux-ci font partie d’une union douanière (avec le Kazakhstan) et prévoient de créer un espace économique commun dès 2012.Le Belarus reçoit une aide consi-dérable de Moscou sous la forme d’un rabais de 36% sur les ex-portations de pétrole russe, une marge qui tombe dans les cais-ses de l’ État puisque le pétrole est ensuite réexporté vers l’Eu-

été reçu par Loukachenko. Ce qui devait être « la dernière mise en garde de Moscou avant la mise en place de sanctions sérieuses contre le Belarus », selon le po-litologue Iaroslav Romantchouk, a donc abouti à un fiasco.Pour l’expert Vitali Tsygankov, « la Russie a déjà perdu les élec-tions biélorusses. Pour la premiè-re fois depuis 15 ans, Loukachen-ko a échangé les rôles avec l’opposition : il utilise désormais sans vergogne une rhétorique an-tirusse tandis que plusieurs can-didats de l’opposition s’empres-sent d’afficher une orientation pro-Kremlin ». C’est le cas du plus sérieux des opposants, Vla-dimir Neklyaev (crédité de 16,8% d’intentions de vote). Louka-chenko a cherché à le diaboliser en affirmant qu’il donnerait à la Russie les gazoducs et raffine-ries de pétroles biélorusses s’il était élu. Neklyaev a rétorqué qu’il s’agissait d’une calomnie et que sa campagne n’était pas fi-nancée par Moscou.Signe paradoxal, et qui pourrait signifier que sur le long terme, les rapports ne devraient pas basculer, le Belarus se prépare à placer sa dette souveraine sur le marché russe. Une première pour un pays étranger, alors que Mos-cou a les plus grandes peines du monde à convaincre ses alliés de participer à l’édification d’un grand centre financier interna-tional. Cette marque de confian-ce mutuelle démontre que les bis-billes politiques incessantes entre les deux « pays frères » n’im-pressionnent guère la commu-nauté d’affaires. alexandre loukachenko monopolise le pouvoir depuis 1994.

milliards d’euros par an. C’est la subvention que le Belarus reçoit de la Russie sous forme de pétro-le brut bon marché. Un brut raffi-né puis réexporté à plein tarif.

C’est la part de la Russie dans les importations du Belarus. Très loin devant le deuxième partenaire commercial, l’Allemagne, avec 7,1% puis l’Ukraine, avec 5,4%.

4,8

59,8%

en chiffres

Les grands groupes industriels russes convoitent des actifs biélorusses jalousement protégés

" « [Loukachenko] s’ap-plique à fabriquer dans l’opinion publique

l’image d’un ennemi exté-rieur. Autrefois, c’était l’Oc-cident, tandis qu’aujourd’hui c’est aussi la Russie ».

il l’a diT

Medvedev

julia KoudinoVaLa russie d’aujourd’hui

l’ambassadeur américain en russie a dressé un portrait très peu flatteur du pays, qualifié de « kleptocratie » et « d’état mafieux ». moscou choisit de réagir avec flegme.

L’investissement douché par les fuites WikiLeaks

scandale des retombées plus économiques que diplomatiques

monopole d’État Gazprom qui « se comporte comme un vau-tour » afin de mettre la main sur les gisements d’Asie centrale.Que les observations des ambas-sadeurs américains soient justes ou erronées, elles risquent fort d’avoir un impact négatif sur les relations entre les deux pays, alors que les présidents Dmitri Medvedev et Barack Obama s’adonnent à un « redémarrage » diplomatique. Leur retenue lors de l’affaire des dix espions rus-ses débusqués par le FBI et ex-pulsés du pays a permis d’éviter un refroidissement. Par contre, le retour d’une majorité répu-blicaine au Sénat américain si-gnifie un changement potentiel dans les relations bilatérales. Et pas dans le sens du réchauffe-ment. Dans ce contexte, les ré-vélations de WikiLeaks consti-

« Les éléments criminels béné-ficient d’une protection auprès de la police, du FSB (ex-KGB), du ministre de l’Intérieur et des services du procureur général », a écrit à ses collègues l’ambas-sadeur américain à Moscou John Beyrle, d’après le site WikiLeaks.org. Aucun des câbles diploma-tiques dévoilés par le site ne contient de preuves formelles, mais tous véhiculent les rumeurs circulant en Russie.L’ambassadeur étatsunien au Kazakhstan s’en prend, lui, au

tuent un prétexte parfait pour les faucons de part et d’autre de l’Atlantique, opposés au rappro-chement opéré par Dmitri Med-vedev et Barack Obama.L’affaire est sérieuse, car si elle ne cause pas de dommage direct dans les relations diplomatiques, elle ne manquera pas d’avoir des effets sur les investisseurs, tou-jours très sensibles à l’image né-gative d’un marché donné, un paramètre connu sous le voca-ble de « pays à risques ». Comme l’explique le politologue russo-américain Nikolaï Zlobine, « ces mises en cause ne viennent pas de journalistes mais de diploma-tes. Leurs recommandations et conseils remontent à Washing-ton et influent sur les décisions gouvernementales puis redescen-dent vers les hommes d’affaires les mieux introduits. Cela nuit considérablement à la réputation de la Russie dans les cercles d’af-faires. Cela constitue une raison de se détourner du marché russe ». Les État-Unis sont d’ailleurs sortis depuis plusieurs années du peloton de tête des dix pays investissant le plus en Russie. Sur la scène politique domesti-que russe, les « révélations » ne sont pas susceptibles de provo-quer des mouvements d’opinion. Les médias ont largement cou-vert le scandale. Une partie des commentateurs pro-Kremlin af-firment que WikiLeaks est un instrument utilisé par Washing-ton dans sa guerre de l’informa-tion contre la Russie. Du côté des autorités, le flegme est de ri-gueur. Le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov a dé-claré que la diplomatie russe ne se basait pas sur des « fuites », qu’il a qualifié de « chroniques amusantes », mais sur les actions concrètes de ses partenaires. Et le Président Medvedev a estimé qu’elles n’affecteraient pas les relations russo-américaines.

daria borisYaKavec vedoMosTi

le rouble russe s’est introduit à la bourse de chine. et le yuan sera échangé à la bourse de moscou (mmVb) en décembre. Vrai défi à la monnaie de référence ou simple politesse ?

Rouble et yuan copinent contre le dollar

devises deux pays émergents s’affranchissent du billet vert

vendredi était de 4,6712 roubles selon le site d’informations fi-nancières Bloomberg). Cette transaction était la seule de la journée. Un couloir du taux de change est fixé pour les deux monnaies, avec une fluctuation de 5% pendant une séance bour-sière, indique le rapport de la CFETS. Le rouble devient ainsi la sep-tième monnaie étrangère sur le marché des changes chinois (après le dollar, le dollar de Hon-gkong, le yen japonais, la livre sterling, l’euro et le ringgit ma-lais). Cet événement contribue au développement des relations économiques entre la Russie et la Chine, précise le communiqué de CFETS. La Bourse chinoise

Le 22 novembre, le rouble a com-mencé à être échangé contre le yuan à la Bourse de Chine (CFETS). C’est la Banque de Chine et la Banque industrielle et commerciale de Chine qui ont effectué la première transaction pour 1 million de yuan (113 000 euros). Le premier jour de cotation, le yuan s’échangeait contre 4,6711 roubles (le taux de change du

pourra désormais utiliser le rou-ble pour négocier les forwards (changes à terme) et les swaps (crédits croisés). Selon les fonc-tionnaires chinois, l’introduction des devises étrangères en bour-se permettra d’augmenter le poids du yuan et d’affaiblir le rôle du dollar dans le système économique mondial. Le yuan poursuit son internationalisa-tion, remarque Zhao Qingming de China Construction Bank Corp, cité par Bloomberg, et « les cotations directes faciliteront les échanges ». La cotation du yuan à la Bour-se de Moscou interviendra à la mi-décembre. La devise est sur-tout demandée dans les régions d’extrême-Orient et de Sibérie. Une cinquantaine de banques est intéressée par l’échange direct des deux devises, car la plupart de leurs clients s’occupe du com-merce frontalier russo-chinois, indique le porte-parole de la MMVB (la Bourse russe) Nikita Bekassov. Les exportations rus-ses vers la Chine augmentent. Elles sont passées de 12,5 mil-liards d’euros en 2008 à 15,9 mil-liards d’euros en 2009. Par ailleurs, la part que représente la Chine dans le total des expor-tations et des importations de la Russie a augmenté de 7,6% à 8,4% en 2009, selon les données du Service fédéral des douanes russes. Le début des transactions en yuan, c’est un pas vers l’avenir, estime l’analyste de la Corpora-tion Financière Uralsib Denis Poryvay : « Avec la croissance du commerce entre les deux pays, la paire yuan/rouble sera bien-tôt aussi demandée que la paire dollar/rouble. Cela favorisera la liquidité des transactions et per-mettra de diminuer la volatilité des échanges ». Le yuan chinois sera très demandé. Cependant, Bekassov estime qu’il ne pourra pas égaler le dollar.

la cotation du yuan à la bourse de moscou est prévue pour la mi-décembre.

wikileaks a porté un coup au secret diplomatique.

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03LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.larussiedaujourdhui.frcommuniqué de rossiYsKaYa GaZeTadisTribué aVec le fiGaro société

darina sheVchenKoLa russie d’aujourd’hui

le service des migrations (fms) a simplifié le système d’obtention d’un enregistrement et compte s’en débarrasser complètement afin d’améliorer la mobilité des russes.

Foin d’un vestige de l’ère soviétique

bureaucratie Le « propiska » (enregistrement) entrave la mobilité

Olessia Melnikova a déménagé d’Omsk à Moscou il y a cinq ans, pour travailler dans une grande entreprise internationale. À cinq heures du matin, en route pour l’aéroport d’où elle devait s’en-voler pour une conférence en Ita-lie, elle s’est arrêtée sur le bord de l’autoroute pour prendre un café. À la sortie du café, un policier lui a demandé ses papiers. N’ayant pas trouvé d’enregistre-ment dans son passeport (ce tam-pon sacré, résidu soviétique, qui indique le rattachement géogra-phique de la personne), le poli-cier a demandé à la jeune femme de l’accompagner au poste. Sourd aux explications d’Olessia qui allait rater son avion, à savoir

tendu un an. Explication : enre-gistré dans une ville, il travaille dans une autre. La plupart des migrants de l’intérieur, pour échapper à ce casse-tête, grais-sent la patte des fonctionnai-res. À partir de janvier 2011, a an-noncé le FMS, les démarches pour obtenir un enregistrement temporaire seront simplifiées : il suffira de notifier le Service de son séjour à l’adresse donnée, via la poste ou Internet. On sait de-puis longtemps que la faible mo-bilité des Russes freine le déve-loppement économique. D’après l’économiste en chef de la Ban-que mondiale pour l’Europe et l’Asie centrale, Indermit Gill, un citoyen russe change en moyen-ne de lieu de résidence deux fois dans sa vie, contre 17 fois pour un Américain et sept pour un Britannique.

VeroniKa dormanspéciaLement pourLa russie d’aujourd’hui

cet avocat spécialisé en droit des actionnaires est l’un des plus célèbres blogueurs russes. il est parti en chasse contre la corruption au plus haut niveau, documents à l’appui.

L’avocat empêcheur de tricher en rond

activisme alexeï navalny fait scandale

Si les Moscovites avaient le droit d’élire leur maire, ils auraient choisi Alexeï Navalny. Il a rec-cueilli 45% des voix dans l’élec-tion virtuelle lancée sur Internet après le limogeage de Iouri Lou-jkov, en laissant loin derrière des candidats plus « réels », tels Ser-gueï Sobianine ou Boris Nemt-sov. Symptomatiquement, sur fond de grisaille politique, dans une atmosphère de corruption endémique, l’avocat Navalny émerge comme un personnage public digne de confiance. Jeune (34 ans), brillant et hyperactif, il est parti à visage découvert en croisade contre le système et Li-veJournal est sa tribune. 25 285 personnes sont abonnées à son blog (navalny.livejournal.com). En 2008, Alexeï Navalny se lance dans « l’activisme d’investisse-ment » : il achète des actions dans les grosses entreprises d’État comme Transneft, Rosneft, Gazpromneft, Sberbank ou VTB, puis réclame, en vertu de ses droits d’actionnaire, l’accès aux informations sur la gestion - sou-vent opaque - de l’entreprise. Le reste du temps, quand il ne plai-de pas au tribunal pour ses clients, il vérifie les plaintes de corrup-tion qu’il reçoit avant de les ren-dre publiques. Le mois dernier, l’avocat a affi-ché sur son blog l’intégralité d’un audit effectué par la Cour des compte, classé secret, qui révèle que l’entreprise publique Transneft a volé 3 milliards d’euros au contribuable russe en construi-sant l’oléoduc Sibérie-Pacifique. Sur 150 pages, le rapport présen-te les différents schémas de dé-tournement de fonds : fausses commandes, sous-traitants fan-tômes, prix gonflés. Le pouvoir n’a jamais démenti l’authentici-té du dossier et le porte-parole de Vladimir Poutine s’est fendu d’un message laconique : « S’il y avait eu un problème, la Cour des comptes nous l’aurait fait sa-voir ».Navalny se défend contre l’accu-sation d’être un blogueur à gages : « Tout le monde me balance de la matière compromettante, j’en vérifie la véridicité, et je fais sui-vre. Je n’ai pas le temps de m’in-quiéter à qui profite le crime. Si j’ai une preuve documentaire qu’il y a eu vol, je dépose une plain-te ». Engagé dans le combat dan-gereux de donner tort au plus fort, le sniper Navalny tire sa confian-ce du sentiment d’avoir raison.

navalny émerge comme un personnage public digne de confiance.

la bataille du social comme futur enjeu électoral ?

Medvedev a par ailleurs propo-sé d’augmenter les dépenses bud-gétaires en matière de santé in-fantile, consacrant près de 100 milliards de roubles (près de 2,5 milliards d’euros ou 25% du bud-get prévu pour la modernisation de la santé) au développement de la médecine dans ce domai-ne, notamment pour les mesures préventives. C’est ainsi que sont programmés dès 2011 des exa-mens médicaux obligatoires pour les scolaires.Dans le domaine de l’éducation, le chef de l’État a exprimé son mécontentement devant les files d’attente que provoquent les ins-criptions dans les écoles mater-nelles, devenues insuffisantes. Il veut y répondre par un program-me de remise en état des ancien-nes écoles et de construction de nouveaux établissements. Il s’est longement étendu, pendant son

Parmi les initiatives annoncées, celle d’accorder des terrains aux familles pour la construction d’une maison. Medvedev a re-connu qu’il avait emprunté cette idée à l’administration de la ré-gion d’Ivanovo, où une telle dis-position est déjà en vigueur, et il souhaite étendre l’expérience au reste du pays.Par ailleurs, pour les familles comptant trois enfants mineurs ou plus, le président a proposé un allégement fiscal supplémen-taire, et en particulier de porter les réductions d’impôts à trois mille roubles (72 euros) par mois et par enfant à partir du troisiè-me. Pour les autres familles avec enfants, il s’est également décla-ré favorable à une réduction des impôts sans pour autant donner de chiffres.

discours d’une heure et onze mi-nutes, sur la nécessité d’amélio-rer les conditions dans les or-phelinats, de soutenir les élèves doués tout comme ceux qui souf-frent de handicaps, et de main-tenir les pédophiles « à une por-tée de canon » des institutions scolaires - un thème sur lequel les partis rivalisent de projets lé-gislatifs plus sévères les uns que les autres. D’une façon générale, le prési-dent, qui a un fils de 15 ans, veut faire des enfants « la tâche nu-méro 1 » du pays. Il a d’ailleurs demandé à la Douma d’adopter au plus vite la loi qui permet-trait une exonération d’impôts en échange de dons de bienfai-sance au profit de l’enfance. « Tout ce que nous faisons, nous le faisons pour ceux que nous aimons le plus, nos enfants », a résumé le chef de l’ État, « car

le président veut un allégement fiscal à partir du troisième enfant.

Pourquoi vous-êtes vous lancé dans un activisme aussi débridé ?Ces gens volent l’avenir de nos en-fants. Notre pays n’a pas d’avenir à cause d’un système fondé sur le vol. La haute administration politi-que délègue aux maires et aux gou-verneurs le droit de voler, eux en échangent soutiennent le pouvoir. Résultat de ce partage, la Russie demeure un pays miséreux avec un grand nombre de milliardaires. en quoi la défense des actionnai-res minoritaires fait-elle avancer les droits des citoyens ?J’utilise un outil légal simple. En tant qu’actionnaire minoritaire de ces entreprises, j’ai la possibilité de défendre mes intérêts. En Russie, on n’a pas le droit de démarcher pour un groupe non défini, seulement pour soi-même. L’ État est majori-taire dans toutes ces entreprises, ce qui fait de chaque citoyen un co-propriétaire. quelles mesures exigez-vous ?À partir de l’exemple de Transneft, j’exige que de nouvelles règles de transparence et de contrôle soient appliquées à tous les futurs grands projets (JO, North et South Stream).croyez-vous à la possibilité d’une russie sans corruption ?Oui, et ce n’est pas naïf. Ces histoi-res de racines culturelles profondes de la corruption, c’est du pipo. Je ne crois pas que la Russie soit un cas désespéré. Nos entreprises de télécommunication, où la corruption est dix fois inférieure à celle de Ga-zprom, sont cotées à la Bourse de New York. Si Beeline y arrive, pour-quoi pas Transneft ?en russie, le rôle de plaignant est plutôt mal vu...Au contraire. J’ai du soutien, par-ce que je propose des solutions concrètes. Il y a cent mille person-nes qui écrivent que tout a été vo-lé partout. Mais personne ne fait rien. Moi, si. Je suis sûr que 3000 personnes ont soutenu ma plainte contre Transneft. Et pas de manière anonyme, il faut être prêt à prendre un risque à mes côtés.n’est-il pas frustrant de passer son temps à se plaindre ?Mon indignation se transforme en action concrète. Je ne me suis pas contenté de crier « Voleurs ! ». Je les ai nommés, j’ai affiché leurs photos, déposé une plainte à la police, j’irai au tribunal, j’essayerai d’impliquer les actionnaires étran-gers, etc. L’émotion brûlante se transforme en plan d’action froide-ment mûri.

enTreTien

agir au lieu de se plaindre

entretien paru dans Afisha.ru

que le principe même de l’enre-gistrement est anticonstitution-nel, le policier a lancé : « Sans tampon t’es un morpion », et l’a embarquée sur le champ.Or, les procédures d’obtention de l’enregistrement sont très péni-bles. Les queues sont intermina-bles et il n’est pas rare que les fonctionnaires extorquent des pots-de-vin. Nombreux sont les Russes qui ne souhaitent pas affronter tou-tes ces difficultés et résident dans l’illégalité, surtout à Moscou et

à Saint-Pétersbourg, là où sont concentrés les provinciaux d’ori-gine et où les conditions pour obtenir un enregistrement sont les plus pénibles.Or, sans « propiska » (surnom russe de l’enregistrement), im-possible d’obtenir une assuran-ce maladie, un passeport ou un crédit à la banque. Léonide Po-krychkine, originaire de Nijni-Novgorod et chef du service in-formatique d’une grande banque moscovite, a dû aller chercher son passeport à Nijni. Il l’a at-

suiTe de la PaGe 1

histoire de l’enregistrementL’enregistrement est apparu en URSS en 1933, sous Staline, afin d’exercer un sévère contrôle so-cial. Les autorités avaient le pou-voir de radier une personne d’un appartement ou bien de l’y ins-crire. De nombreuses personnes étaient privées du droit de chan-ger de lieu de résidence. En 1993,

une nouvelle loi a autorisé les Russes à vivre où bon leur sem-blait. Mais les bonnes vieilles ha-bitudes ne sont pas disparues pour autant. Cette même loi obli-ge toute personne résidant plus de trois mois dans une ville dif-férente à obtenir un enregistre-ment temporaire.

nous voulons qu’ils vivent mieux que nous, qu’ils soient meilleurs que nous et qu’ils accomplissent ce que nous n’avons pas eu le temps de réaliser ». Le troisième message présiden-tiel a été l’occasion pour Dmitri Medvedev de changer la couleur de sa cravate, qui est passée d’un rouge bordeaux plutôt doux à un violet vif très tendance qu’il arbore depuis quelque temps. Malgré les attentes de certains, Medvedev n’a pas sorti son iPad pour lire son texte qui remplis-sait 53 feuillets contenus dans un dossier classique orange vif. Jusqu’à la veille de sa lecture, le message a fait l’objet de correc-tions, devait confier un peu plus tard aux journalistes Arkadi Dvorkovitch, proche collabora-teur du président, en précisant que les changements ne portaient « pas sur chaque paragraphe, mais sur chaque thème ». Ceux qui s’attendaient à des pro-positions de réformes politiques spectaculaires, telles que la for-mation d’un nouveau parti, ou à un développement sur la po-litique étrangère, et notamment sur le rapprochement avec l’Ouest, en auront été pour leurs frais. Notons cependant sur ce second volet que Mevedev a vu dans les révélations de Wiki-Leaks sur les commentaires de diplomates américains « tout le cynisme de la politique étrangè-re » des États-Unis tout en ex-cluant des conséquences sur les relations entre les deux pays. L’allocution présidentielle, que le Premier ministre Vladimir Poutine a écoutée impassible-ment, a sans doute laissé dans l’ombre la perspective d’une can-didature à un nouveau mandat en 2012. Il ne pouvait en être autrement, le temps n’étant pas venu de savoir qui, de Poutine ou de Medvedev, briguerait la présidence dans deux ans : la décision sera prise ultérieure-ment par les deux hommes, a de nouveau indiqué le chef du gou-vernement à des journalistes, le 26 novembre à Berlin. La plupart des observateurs n’ont pas « lu » une candidatu-re dans le discours de Mevedev. Mais celui-ci, comme l’a écrit le commentateur politique Eugene Ivanov, « pourrait faire valoir qu’il est plus agréable de vivre dans un pays en paix avec ses voisins et soucieux du bien-être de ses enfants. Et qu’il est plus intéressant d’être le président d’un tel pays ».

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04 ÉconomieEN BREF

En visite à Berlin � n novem-bre, Vladimir Poutine a tenté de convaincre Angela Merkel de former un grand marché continental s’étendant de « Lis-bonne à Vladivostok ». Il a pu-blié une lettre ouverte dans le quotidien allemand Sûddeuts-che Zeitung où il prône la levée de toutes les taxes douanières sur le continent. Un dé� , quand on sait que c’est la Russie qui a mis en place le plus grand nombre de mesures protection-nistes au moment de la crise. Poutine a également dénoncé la libéralisation du marché européen de l’énergie, estimant qu’elle « entravait les investis-sements » et relevaient du « hold-up » en imposant une séparation entre les producteurs et les transporteurs de gaz.

Alstom voit son acquisition de 25 TransMachHolding (TMH) bloquée par le Service prési-dentiel de Sécurité et le minis-tère de la Défense russe, les-quels évoquent « un risque pour la sécurité du pays ». TMH est le principal fournisseur des che-mins de fer russes en matériel roulant et constitue pour Als-tom la pierre angulaire de sa stratégie sur le marché russe. Pas de panique chez le groupe français, qui estime que l’affai-re résulte en fait de débats in-ternes entre services et minis-tères russes.

Le géant américain a annoncé le 2 décembre qu’il débourse-rait 3,8 milliards de dollars pour 66% du second producteur russe de produits laitiers Wimm-Bill-Dann (WBD). C’est la pre-mière incursion de PepsiCo sur le terrain du petit-déjeuner, sur lequel Danone régnait en maî-tre depuis l’été dernier. Dano-ne avait en effet pris le contrô-le du numéro trois russe Unimilk et l’union de leurs for-ces les avait propulsés au rang de leader. Danone avait dans le passé tenté - sans succès - de prendre le contrôle de WBD.

Poutine veut du libre-échange avec l’Europe

Les faucons cherchent des poux à Alstom

PepsiCo vient défi er Danone sur son terrain

OLGA GUERATCHSPÉCIALEMENT POURLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

La conversion de la Russie à l’économie de marché est irréversible : c’est la conviction d’Alain Fromental, qui a aidé une dizaine de grosses sociétés à s’installer sur ce marché.

Un démineur pour les investisseursPortrait Consultant chevronné, Alain Fromental livre ses recettes pour réussir sur le marché russe

que des changements radicaux se préparaient en Union sovié-tique. C’est ce qui m’a séduit », se souvient l’homme d’affaires. « En 1988, la SCOA (Société Commerciale de l’Ouest Afri-cain) m’a chargé d’évaluer ses possibilités de développement en Russie. Après avoir exploré le pays, j’ai pu convaincre la

« Je suis arrivé à Moscou en 1988 pour mener des négocia-tions au nom d’une importante entreprise commerciale françai-se, en vue d’acquérir 400 auto-mobiles Lada pour les revendre au Nigéria. Sur la route me conduisant à l’hôtel, j’ai eu l’oc-casion de voir le centre-ville. Des rues sombres, pas de ma-gasins, mais à chaque coin de rue, des affiches de propagande communiste », se souvient Alain Fromental, 64 ans. Des impres-sions par la suite balayées par ses premiers contacts avec les partenaires russes. « Ils se sont avérés intelligents, astucieux, souhaitant travailler avec des étrangers. J’ai tout de suite senti

SCOA de poursuivre son expan-sion ».Mais au cours de sa longue car-rière, Alain a aussi essuyé des expériences moins heureuses. Notamment lors de pourparlers en 1989 avec le Comité d’État soviétique pour l’approvisionne-ment technique et matériel. À l’époque, le projet prévoyait la création d’une société commune pour le traitement des déchets plastiques et une coopération des centres d’achats soviétiques dans le cadre de la perestroïka. Grâce à un soutien politique, le projet aboutit à la naissance de l’usine Sofraplast (plastique franco-so-viétique). Pourtant, après le dé-part des experts français char-gés de l’organisation de la production, l’entreprise mit la clé sous la porte à la suite d’une gestion calamiteuse. Après l’effondrement de l’URSS, les difficultés prirent une autre allure. De 1990 à 2000, les pro-blèmes étaient liés à l’instabili-té de la législation et de la ju-risprudence. La prise de décision

est devenue excessivement labo-rieuse. Troisième phase : à par-tir de 2000, les conditions éco-nomiques du marché se sont améliorées, avec des transactions rapidement � nalisées, et le nom-bre de projets réalisés a augmen-té de façon signi� cative. « En Russie, la première étape, l’analyse de la situation, est la

plus importante », assure Alain Fromental. « J’ai vite compris l’importance de véri� er la réa-lité des intentions de mes inter-locuteurs. Il est également indis-pensable d’étudier attentivement la législation, la réglementation douanière et les normes ».Pour comprendre les Russes et « l’âme russe », l’homme d’af-faire suggère la lecture du Joueur,

Alain Fromental.

de Dostoïevski. Il conseille aussi de tenir compte du fait que les Russes sont audacieux, et aiment le risque. Instruits et cultivés, ils savent s’adapter aux situations les plus improbables. Alain en est convaincu, la conver-sion de la Russie à une écono-mie de marché est irréversible. Le pays doit modi� er son ap-proche et s’aligner sur les nor-mes observées par les compa-gnies internationales. Ce décalage de pratiques entre deux pays tend à disparaître. Alain Fromental, qui a travaillé entre 60 et 70 heures par semai-nes, a aujourd’hui du temps à consacrer à sa famille, même s’il voyage encore entre la France et les différentes régions russes. Son attachement à la Russie ne fait aucun doute, et il a su le trans-mettre. S’il n’imagine pas que ses enfants puissent un jour y travailler., « parce qu’ils n’ont pas choisi un métier dans le monde des affaires », il affirme que si l’occasion se présentait, « ils y seraient culturellement prêts ».

PAUL DUVERNETLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

2010 a vu un record de contrats entre groupes russes et français, grâce, entre autres, à une entente inégalée entre les deux gouvernements. Les PME s’engouffrent dans la brèche.

Les PME emboîtent le pas aux grandes entreprises

Coopération L’année croisée France-Russie a vu une intensification inégalée des échanges commerciaux

fité de l’Année croisée pour multiplier les manifestations des-tinées à faciliter l’entrée des PME françaises sur cette terra inco-gnita qu’était pour la plupart d’entre elles la Russie. « L’image de la Russie n’est pas vraiment bonne », déplore Philippe Pego-rier, qui dirige la mission écono-mique de Moscou. « Les Fran-çais ne connaissent pas suffisamment la Russie actuelle et restent toujours sur des cli-chés datant des années 90. D’ailleurs, dans l’autre sens, il existe aussi un fort décalage. L’image de la France, c’est celle d’une destination de vacances, pas d’un pays avec lequel on peut faire des affaires. Par conséquent, l’activité d’UBIFRANCE a consisté à travailler sur l’image des deux pays ». L’agence a en particulier organisé deux mani-festations de grande échelle : le salon « Art de vivre à la fran-çaise », qui a fait venir 170 ex-posants hexagonaux à Moscou, dont une bonne moitié pour la première fois ; et le Salon des vins & spiritueux, � n novembre, également à Moscou, a� n de faire rattraper un certain retard com-mercial sur les concurrents. UBI-

Une avalanche d’acquisitions (Schneider Electric, Danone, Sa-no� Aventis, Lafarge), de prises de participation (Renault, GdF Suez), de gros contrats (Alstom, Air Liquide, Vinci), d’ouvertures d’usines (Peugeot Citroën, l’Oréal, Air Liquide) ou encore de ma-gasins (Auchan) ont fait dé� ler pratiquement tous les patrons du CAC 40 à Moscou. Mais der-rière les gros titres de la presse économique, l’année 2010 a aussi vu se pro� ler des tendances nou-velles tout aussi intéressantes. En premier lieu, il s’agit du ré-veil opéré par le tissu des peti-tes et moyennes entreprises fran-çaises, qui ont mis bien plus de temps que leurs pairs italiens et allemands à prendre conscience de l’intérêt du marché russe. UBIFRANCE, l’Agence françai-se pour le développement inter-national des entreprises, a pro-

emplois et apporte des techno-logies nouvelles dans l’industrie russe », dit M. Pegorier selon qui deux pôles d’excellence françai-se ont un fort potentiel en Rus-sie, à savoir les fournisseurs d’équipement pour l’agriculture et les PME spécialisées dans les hautes technologies.

La Russie brûle l’équivalent de la consommation de gaz française.

Évolution des échanges commerciaux

Les Russes sont audacieux et aiment le risque. Ils parviennent à s’adapter aux situations les plus improbables

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FRCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

FRANCE envisage de pérenni-ser ces manifestations pour garder l’élan pris grâce à l’An-née croisée. « Les relations poli-tiques entre Moscou et Paris sont très bonnes, il s’agit d’en pro� -ter pour dynamiser les échanges commerciaux », estime Philippe Pegorier. Il y a comme une

deuxième vague après l’arrivée des grands groupes : la foule de leurs sous-traitants, des PME françaises, par exemple les équi-pementiers automobiles, qui cherchent à fournir les usines de PSA ou de Renault. « Les auto-rités russes voient cela d’un très bon œil, puisque cela crée des

Infl uencer la modernisation

La création d’un Centre Franco-Russe pour l’Efficacité Energéti-que (CFREE) le 9 décembre va faciliter la création d’un environ-nement favorable à la coopération des entreprises des deux pays en la matière. « L’idée est de pro-mouvoir les compétences françai-ses », explique une source à l’am-bassade de France à Moscou. « Le CFREE n’a pas vocation à être in-contournable, mais à influencer ». Les groupes français forment une chaîne complète de l’effica-cité énergétique, de la production avec des groupes comme (EdF, Total) au transport de l’énergie (Alstom, EdF) et à l’équipement électrique (Schneider, Legrand). EdF s’est déjà attelé à ce marché en fondant une co-entreprise avec le russe Inter RAO. Avec un mo-dèle original : il s’agit d’équiper gratuitement un industriel avec du matériel permettant une im-portante économie d’énergie et de percevoir en échange des re-venus basés sur un pourcentage des économies réalisées. EdF in-tervient en tant qu’investisseur et espère bien séduire un grand nombre d’industriels russes. C’est une situation unique où les grou-pes français ne sont pas en com-pétition les uns avec les autres mais se complètent et s’associent pour améliorer l’efficacité énergé-tique. La taille du marché russe, de loin le plus important au mon-de, galvanise d’autant plus cette coopération.

[email protected] larussiedaujourdhui.fr/lettres

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05Économie

Rachel MoRaRjeeBusiness new europe

Pour faire son trou sur la scène internationale, l’Université de Skolkovo place les étudiants en situation réelle et met l’accent sur la formation en entreprise et au sein des administrations.

Diplômé en marchés émergentsenseignement supérieur une université russe rivalise avec Harvard et HeC pour former la future élite mondiale des affaires

sage expérimental, les classes sont petites et l’université peut offrir aux étudiants un encadre-ment individuel et des cours per-sonnalisés de développement de l’aptitude à diriger. Chaque étu-diant travaille avec un conseiller issu du monde des affaires qui l’aide à atteindre ses objectifs et lui fournit un aperçu de la vie en entreprise.Les professeurs composent des groupes de travail destinés à si-muler les conflits culturels et per-sonnels auxquels les étudiants seront confrontés dans le monde du travail. « Nous ne permettons pas aux étudiants de choisir eux-mêmes leurs groupes avant qu’ils n’arrivent à la phase finale du cours et doivent lancer une so-ciété. On ne choisit pas ses col-lègues dans une entreprise », ex-plique Vanhonacker.L’objectif de Skolkovo, quand la capacité opérationnelle sera at-teinte en 2014, sera de 240 étu-diants par an en MBA. La pre-mière promotion de 2009 comptait 40 étudiants et ils sont 33 cette année. Une expérience professionnelle en Russie ou en Chine n’a pas de prix, dit Cue-nant, qui espère rester en Russie après son MBA. « Travailler avec des fonctionnaires gouvernemen-taux sur le développement des marchés ne s’apprend pas dans une salle de classe. La plupart des étudiants qui s’inscrivent à Skolkovo ne cherchent pas un simple emploi de bureau. Ils veu-lent quelque chose de plus », conclut le diplômé canadien.

En cherchant où s’inscrire en MBA (Master of Business Ad-ministration), le Canadien Kane Cuenant a regardé du côté de Harvard, du Massachusetts Ins-titute of Technology et même de l’université de Tsinghua en Chine, pour choisir finalement la nou-velle université moscovite de Skolkovo. « J’ai envisagé les uni-versités sur les marchés dévelop-pés, mais elles ne m’ont pas convaincu. Je savais que je vou-lais travailler sur les marchés émergents pour mieux compren-dre leur fonctionnement », confie le nouveau diplômé. Cuenant fait partie de la pre-mière promotion de l’université de commerce Skolkovo de Mos-cou et, à 27 ans, il a terminé son MBA en novembre. Ce qui a guidé son choix de l’établisse-ment russe, ce n’est pas le coût du diplôme (60 600 euros à Har-vard contre 60 000 à Skolkovo)mais l’accent mis sur le dévelop-pement des compétences prati-ques sur les marchés qui l’inté-ressent vraiment. La première promotion de Skolkovo rassem-ble des étudiants des quatre coins du monde, Allemagne, Inde, Bré-sil, et de toute l’ex-URSS. Le doyen de Skolkovo, Wilfried

Vanhonacker, s’est installé en Russie en 2008, après avoir lancé la China Europe International Business School (CEIBS) de Shanghai, une université de com-merce mondialement reconnue et figurant dans le « top » 20 du classement établi par le Finan-cial Times. En Russie, il privilé-gie le terrain : les étudiants pas-sent plus des trois quarts de leur temps dans l’environnement des entreprises et des services pu-blics pour se familiariser avec

la réalité des marchés émergents. « Nous voulons faire entrer la réalité dans la salle de classe », souligne Vanhonacker.La croissance des multinationa-les, dans les vingt prochaines an-nées, se fera principalement sur les marchés émergents, alors que les gestionnaires vont être confrontés à un manque de pro-fessionnels qualifiés. Le MBA de Skolkovo est conçu pour prépa-rer les étudiants, mentalement et émotionnellement, à relever

ces défis, explique le doyen : « les universités traditionnelles ne forment pas des entrepreneurs forts pour des environnements difficiles ». Les étudiants de Skolkovo doivent venir à bout d’un parcours d’obstacles, tels que dormir pendant deux mois dans un dortoir de ville-usine chinoise, pour se familiariser avec la réalité de l’industrie dans l’atelier du monde ; ou bien aider les fonctionnaires russes à éla-borer des lois qui devront ensui-te être ratifiées par le Parle-ment. Le programme inclut les mêmes modules que les MBA en Euro-pe - finances, macroéconomie et marketing - en plaçant les étu-diants dans des situations stres-santes et des cultures étrangères pour développer leur débrouillar-dise. Pour les étudiants occiden-taux, il s’agit d’un contact étroit et personnel avec la bureaucra-tie et la corruption locales. Cuenant avoue avoir été pris au dépourvu par la masse de pape-rasse nécessaire pour la moin-dre démarche en Russie ou en Chine. « Une opération bancaire basique aux États-Unis requiert un formulaire, trois ou quatre documents et une signature. En Russie, la même opération se fait avec quatre formulaires, cinq do-cuments et quatre signatures, tandis qu’en Chine, il faut au moins sept formulaires, dont cer-tains remplis à la main par les employés, pendant que le client attend ». Malgré le stress d’un apprentis-

le doyen de Skolkovo a auparavant fondé la faculté de Shanghai, l’une des meilleures au monde.

DMitRi BoUtRinKommersant

le fisc russe a pour la première fois publié sur son site des informations détaillées sur le niveau des revenus des étrangers travaillant à Moscou.

Expats et immigrés : le jour et la nuit

Revenus Des disparités criantes entre groupes de travailleurs étrangers

La nouvelle stratégie migratoire de la Russie en 2011, c’est la pro-tection des « cols blancs ». Fin novembre, sur le site officiel du fisc, nalog.ru, ont été publiées des données sur le nombre de mi-grants officiellement invités à Moscou (47 300 postes) et les pré-visions pour l’année 2011 (26 700 demandes). La majorité des gros salaires sont concentrés à la direction des grandes entreprises. En tête, parmi les firmes étrangères, le groupe pétrolier Shell compte 28 postes sur les 100 les mieux payés. Mais Shell n’est pas l’em-ployeur le plus généreux de Mos-cou : six des meilleurs salaires reviennent à la Bank of China, la plus grosse banque commer-ciale de Chine, dont la plupart sont supérieurs à ceux de Shell. Le PDG touche un salaire men-suel de 144 000 euros, et son di-recteur financier, 96 000 euros.

Mais le patron de cette banque chinoise est battu par le direc-teur de la firme russe « Messa-ges agréables », un opérateur de contenu pour téléphones porta-bles : il gagne 149 000 euros.

La palme revient toutefois à Pro-vimi, un producteur d’aliments pour animaux, dont le directeur perçoit la bagatelle de 544 000 euros par mois ! À l’autre bout de l’échelle socia-

le figurent les immigrés venus des républiques de l’ex-URSS. Une immigration économique massive très visible dans les rues moscovites. Ces travailleurs d’Asie centrale ou du Caucase sont massivement employés (très souvent au noir) sur les chan-tiers, ou pour des travaux peu gratifiants et par conséquent payés au lance-pierre. Ainsi, la « meilleure » femme de chambre de la chaîne Swissôtel empoche 480 euros [soit l’équivalent du prix d’une chambre pour deux nuits dans ce même hôtel, ndlr]. La majorité des 47 000 postes occupés par des étrangers à Mos-cou représente des salaires deux fois inférieurs à celui d’un ci-toyen russe, et ce pour le même travail. Les listes des emplois les moins bien payés à Moscou montrent que les immigrés non qualifiés acceptent souvent de travailler pour un salaire de 120 euros. Dans cette vertigineuse dispa-rité, Gazprom se distingue par son opacité. Si le géant gazier propose un salaire de 250 000 « unités » pour cinq postes de gestionnaires de projets, il ne pré-cise pas la devise. S’il s’agissait d’euros, ce serait un beau pac-tole. Or, la loi russe n’autorise pas la mention de devises étran-gères dans l’offre d’emploi. Aux intéressés de deviner !

les immigrés de l’ex-URSS sont voués à des travaux peu gratifiants.

Rachel MoRaRjeeBusiness new europe

créé il y a 12 ans par des passionnés de science-fiction frustrés de ne pas trouver leurs livres préférés, ozon.ru ajuste son système de livraisons au boum de ses commandes.

La recette d’Amazon.com à la mode russe

internet ozon, leader de la vente en ligne

son sur le vaste territoire russe. « La commande en ligne est im-médiate, c’est pourquoi les clients s’attendent à ce que la livraison soit rapide », explique Lukey. La poste russe fait face à un nombre croissant de colis qu’el-le n’est pas en mesure d’ache-miner dans des délais accepta-bles. Ozon a donc expérimenté différentes options de livraison, y compris la mise en place dans plusieurs villes de son propre ser-vice, O-courrier, moins coûteux que les sociétés spécialisées comme Fedex ou DHL. « Le prix d’un livre ne justifie pas le coût d’un courrier privé », juge Ber-nard Lukey. Le mode de paiement constitue aussi un problème. Peu de Rus-ses disposent d’une carte de cré-dit, et ceux qui en possèdent une se méfient des paiements en ligne. C’est pourquoi Ozon a également mis en place un réseau de kios-ques-dépôts à Moscou et Saint-Pétersbourg, où les clients peu-vent régler en espèces.Voilà bien un paradoxe russe, où le modèle de la start-up Inter-net rencontre le succès en reve-nant au réseau de magasins !

Loin de se contenter des livres, Ozon a vite élargi au maximum sa gamme de produits, au mul-timédia et à l’électronique. En dépit de la crise financière, les commandes du groupe Ozon ont grimpé de 21% en 2009. Un nom-bre croissant de clients russes se détournent des magasins tradi-tionnels pour profiter des bas prix sur Internet. Les plus grands marchés demeurent les deux plus grandes villes de Russie, Moscou et Saint-Pétersbourg. Mais la de-mande dans les régions explose, avec une flambée de 200% en-registrée par Ozon en 2009. « Cela représente un très gros marché qui va se développer avec le temps », estime le PDG Ber-nard Lukey. Si les prix constituent l’atout maître du site, le défi réside dans-la maîtrise des délais de livrai-

Des ateliers simulent les conflits culturels et personnels qui attendent les étudiants dans leur futur travail

Pour en savoir plus :larussiedaujourdhui.fr/11728

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.laRUSSieDaUjoURDhUi.fRcoMMUniqUÉ De RoSSiYSKaYa GaZetaDiStRiBUÉ aVec le fiGaRo

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répondent à vos questions sur la Russie

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06 Économie

De BRIC en BRIC : atouts russes

inférieure à celle du Brésil ou de la Chine, réduite par l’abus d’al-cool et de drogue, surtout parmi les hommes. La démographie russe, en panne, décline tandis qu’elle augmente dans les autres pays du BRIC. Mais moins de monde signifie aussi moins de compétition pour des ressources rares. En Chine ou en Inde, surpeuplées, le man-que d’eau potable et la nécessi-té d’importer les combustibles fossiles pourraient alimenter l’instabilité sociale. « La démo-graphie est une question à dou-ble tranchant. Il y a plus de ris-ques de troubles sociaux au sein d’une population en croissance rapide qui se dispute des ressour-ces limitées », dit Bond. La corruption est certainement le principal problème sur lequel insistent régulièrement les ex-perts. Mais tous les marchés émergents souffrent d’une cor-ruption chronique. Le problème posé par la corruption en Rus-sie, c’est qu’elle est souvent des-tructive, contrairement à la Chine, où les fonctionnaires se servent sur les gros contrats sans pour autant bloquer le passage aux entrepreneurs. Arthur Kroeber, directeur du ca-binet-conseil pékinois Dragono-mics, explique que la corruption en Chine, même envahissante, a toujours été constructive plutôt que kleptocratique. Les hauts fonctionnaires exigent 10-15% des transactions réussies. « Les intérêts des fonctionnaires sont alignés sur ceux des entrepre-neurs. Je n’y vois pas d’obstacle à la croissance, comme en Rus-sie ou en Afrique », dit le consul-tant. Le désir de réforme et de mo-dernisation du Kremlin pourrait améliorer la situation. Et pen-dant ce temps, c’est le consom-mateur russe qui détient la clé de la croissance.

La population russe est dix fois inférieure à celle de la Chine, mais reste la plus riche de tous les pays du groupe BRIC. Grâce à une décennie de forte crois-sance économique, en Russie, le revenu par habitant (ajusté au pouvoir d’achat) est d’environ 12 000 euros contre 8 200 au Bré-sil, 5 400 en Chine et 2 500 en Inde, selon les données de l’ONU. « La Russie est une économie à revenus moyens, tandis que les autres pays du BRIC ont des re-

suIte De la page 1

Une voie trilatérale vers un monde multipolaire

« appréciation positive du rôle joué par l’Inde dans les affaires internationales ». La Russie a fortement appuyé la candidature indienne à un siège permanent, mais la Chine a refusé de clarifier sa position, mettant ainsi en évidence une compétition d’ambitions et de projets entre les deux membres pourvus du droit de véto au Conseil de sécurité - Chine et Russie - et le pays qui aspire à les rejoindre à la grande table.Ces dissonances sur les questions décisives versent de l’eau au moulin des sceptiques qui consi-dèrent que la RIC n’est qu’un club de parlote de plus. Cette conclusion est pourtant erronée. Ce qui compte ici, c’est l’impor-tance croissante de la consulta-tion au sein du trio des puissan-ces émergentes qui détiennent

Une semaine après que le prési-dent américain Barak Obama eut annoncé son soutien à l’Inde qui revendique un siège perma-nent au Conseil de sécurité de l’ONU, les ministres des Affai-res étrangères de la Russie, de l’Inde et de la Chine (RIC) se sont réunis à Wuhan en Chine, les 14 et 15 novembre. Les réformes de l’ONU faisaient partie des ques-tions internationales les plus pressantes abordées par S.M. Krishna (Inde), Yang Jiechi (Chine) et Sergei Lavrov (Rus-sie). Mais New Delhi est resté sur sa faim : la rencontre s’est clôturée par un communiqué conjoint en faveur des réformes mais n’allant pas au-delà d’une

les clés de l’ordre changeant du XXIe siècle. De façon significative, la dixiè-me rencontre trilatérale à Wuhan s’est tenue une semaine après que l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) eut approuvé l’admission des États-Unis et de la Russie au sommet de l’Asie orientale. Au lendemain aussi d’une rencontre entre les dirigeants indiens et chinois à Hanoï, dans un contexte tendu. Pour conclure, la triade a réité-ré son appel à un ordre mondial multipolaire, tout en insistant, dans le même mouvement, qu’« aucun pays tiers » n’était visé (un euphémisme pour les États-Unis). L’Inde, la Russie et la Chine ont manifesté des inquiétudes com-munes à propos de l’Afghanis-tan, mais leur coopération sur

ce point n’a pas avancé. La tria-de a résolu d’intensifier la coo-pération antiterroriste mais il semble que Pékin ait bloqué la proposition indienne d’inclure une référence à l’élimination des « refuges » pour les terroristes, allusion au Pakistan pour son rôle en Afghanistan. Ces différences d’approche et de point de vue des trois puissan-ces émergentes sont naturelles, et c’est exactement pour cela que l’idée de cette triade avait été

proposée il y a plus de dix ans par le Premier ministre russe Evgueny Primakov, afin de contrebalancer l’hégémonie de Washington. La triade encourage aussi l’ap-profondissement de la coopéra-tion dans des domaines divers : agriculture, santé, changements climatiques, catastrophes natu-relles et problèmes économiques

mondiaux, qui peuvent trans-former la vie des populations. La proposition de relier les cen-tres d’innovation des trois gran-des économies (Bangalore et Skolkovo par exemple), noyau de la croissance mondiale, est l’une de ces idées qui mêle l’am-bition d’une renaissance natio-nale partagée par les trois pays à leur désir collectif d’avoir plus de poids dans les questions in-ternationales. Trois, c’est peut-être un de trop, mais dans ce cas-ci, le trio n’a d’autre choix que de gérer ses divergences car chacun des trois pays a plus d’intérêts que de désavantages dans les progrès réalisés par les deux autres. Alors que l’idée d’un G2 est une chimère et tandis que la réfor-me du Conseil de sécurité de l’ONU reste une perspective à long terme, le RIC représente un microcosme d’une ère asia-tique en gestation qui accentue la nécessité de renforcer la confiance entre les trois piliers d’un monde multipolaire.

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.laRussIeDaujouRDhuI.fRCommunIquÉ De RossIYsKaYa gaZetaDIstRIBuÉ aVeC le fIgaRo

prise. « Même si une prime de risque se justifie, une réduction de 50% par rapport aux autres marchés émergents, c’est trop », conclut Conway. À l’inverse, les secteurs s’adres-sant à la classe moyenne russe bourgeonnante, allant des télé-communications à la banque, sont estimés à des prix tout à fait compétitifs par rapport aux autres marchés émergents. La Russie a son lot de problèmes, sans pour autant justifier la re-tenue de bien des investisseurs. L’espérance de vie en Russie est

RegaRD D’expeRt

manish Chand SPÉCIALEMENT POUR

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Manish Chand, basé à New Delhi, est un rédacteur du Ser-vice de presse indo-asiatique.

Chacun des trois pays a plus d’intérêts que de désavantages dans les progrès réalisés par les deux autres

venus faibles. Le niveau d’édu-cation est meilleur en Russie, les consommateurs sont plus aisés et la criminalité est plus faible », dit Kingsmill Bond, stratège à la banque d’investissement Troi-ka Dialog, qui précise que « nom-bre des craintes concernant le marché russe sont des préjugés tenaces qui n’ont pas de perti-nence pour les investisseurs ». Ces préjugés pèsent lourdement sur la valorisation des actions russes, extraordinairement bas-ses par rapport à leurs pairs du BRIC, avec des ratios capitali-

sation/bénéfices de seulement 6 fois les bénéfices, contre 16 fois en Chine, 10 au Brésil et 17 en Inde. Quelle que soit la techni-que d’évaluation, les actions rus-ses figurent parmi les moins chè-res du monde. « La Russie est encore stigmatisée comme le maillon faible du groupe BRIC, et les investisseurs préfèrent les autres économies, plus orientées vers le marché », explique Nigel Rendell, stratège chez RBC Ca-pital Markets. Pour Allan Conway, chargé des marchés émergents chez Schroders à Lon-

dres, les actions russes sont très sous-évaluées car les investis-seurs surévaluent les risques par rapport aux fondements écono-miques du pays. La croissance est robuste, l’inflation maîtrisée, les réserves de devises étrangè-res sont immenses, et la Russie recèle les plus grosses ressour-ces énergétiques au monde. Il est vrai que le Kremlin négli-ge l’image de la Russie en tant que facteur de valorisation des titres russes et d’investissements étrangers. Sans parler des pro-blèmes de gouvernance d’entre-

espérance de vie

facilité à entreprendre*

nombre d’années d’étude

Revenus par habitant

4ÉLÉMENTS CLÉS

C’est jIm o’neIl, responsable de l’Économie mondiale chez Goldman Sachs, qui a imaginé la formule du club BRIC en 2001, provoquant une véritable révolution chez les économistes. Rencontrant le scepticisme au début, la formu-le s’avéra visionnaire.

40% De la populatIon mondiale vit dans les pays du BRIC et cette proportion tend à augmenter. Seule la Russie possède une tendance démo-graphique négative. La sur-face totalisée par ces quatre pays représente 26% des terres émergées.

De 2000 à 2008, le volume des échanges en-tre pays du BRIC a été multi-plié par plus de dix, de 11,7 à 121 milliards d’euros. On pré-voit une croissance annuelle de 12%, avec un volume commer-cial de près de 800 milliards d’euros en 2030.

les ÉConomIes du BRIC devraient représenter plus de 70% de la croissance des ventes mondiales d’auto-mobiles au cours des dix pro-chaines années et, en 2050, potentiellement plus de 50% des valorisations financières mondiales.

les chefs d’États du club BRIC se retrouvent une fois par an pour un sommet réservé au quatre grands pays émergents.

REUTERS/vOSTOCk-PHOTO

SOURCE : ONU, ROSSTAT

*Classement mondial

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07RégionsLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FRCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

TOM WASHINGTONTHE MOSCOW NEWS

À l’instar d’autres capitales dans le monde, Moscou offre un fort contraste économique par rapport à la province. Devenus des possédants, ses habitants font figure de privilégiés.

Les provinciaux envient les rentiers moscovites Inégalités Dans la capitale, les loyers représentent une large partie des revenus, contrairement au reste du pays

munérés dans la capitale », com-mente Roman.Le Centre de Recherche Straté-gique (TsSR) et l’Académie na-tionale d’économie ont cherché ensemble à analyser les causes de la disparité croissante entre la capitale et la province. L’éco-nomie est au cœur de ce malai-se, assurent-ils, d’où la quête d’une nouvelle voix politique chargée de plaider pour des pos-sessions jugées durement acqui-ses et menacées par la crise.

Propriété et influence« On observe que l’immobilier est devenu la principale source de revenu des Moscovites », a con� rmé au journal Vedomosti, le président de TsSR, Mikhail

que leur versent des provinciaux - ne favorise pas le développe-ment du capital humain. En effet, nul besoin d’être diplômé pour collecter l’argent des locataires. Du coup, Moscou prend des airs dignes d’un Émirat arabe et à cet égard, semble s’éloigner de l’Europe. Mais la crise qui a tou-ché l’immobilier a provoqué un électrochoc et un retour dix ans en arrière. La « rente » des Mos-covites a été divisée par deux. Si la baisse progressive du rôle des loyers dans les revenus des mé-nages de la capitale se con� rme, on pourrait assister à un rap-prochement avec le modèle euro-péen, estime Dmitriev. Mais pour les provinciaux, la route est en-core longue...

« Un Moscovite dans une ville de province se reconnaît immé-diatement. Il se distingue par son hyperactivité », analyse Roman Ivanov, natif de Tchita, en Sibérie Orientale. Son père étant un militaire de carrière, il a beaucoup déménagé au cours de sa vie à travers toute l’URSS. « Les provinciaux se désolent des inégalités de salaire. Les mêmes emplois sont beaucoup mieux ré-

Dmitriev. Nantis de biens à forte valeur marchande, les Moscovi-tes exigent de l’état de droit qu’il protège leurs titres de propriété. Un système juridique défaillant, une administration peu démo-cratique et une incapacité à ré-gler les différends par les tribu-naux les conduisent à utiliser d’autres canaux d’in� uence, en particulier leurs relations au sein du gouvernement. Une in� uence facilitée en outre par la forte re-présentation de la classe mosco-vite moyenne dans les médias de la capitale, de la télévision na-tionale et de l’Internet qui, selon Dmitriev, diffusent les mêmes valeurs « bourgeoises » citadi-nes dans le reste du pays.Les Moscovites accorderaient

Moscovites et provinciaux. Selon Dmitriev, la loyauté de ces der-niers envers le pouvoir augmen-te proportionnellement à leurs revenus, tandis que l’aisance croissante des Moscovites les rend plus contestataires, et no-tamment sceptiques à l’égard des plans de modernisation décrétés par le Kremlin.

Une société ouvertePour autant, leurs appels à une société plus ouverte ne se re� è-tent pas dans leur comportement. « Les Moscovites sont des gens plutôt fermés. À Kazan, les gens sont toujours prêts à s’entrai-der », affirme Mme Chakirova. La principale ressource � nan-cière des Moscovites - les loyers

beaucoup plus d’importance au pouvoir et à l’argent que les pro-vinciaux. « Les habitants de Saint-Pétersbourg pensent que VIP signi� e Very Intelligent Per-sonne, alors que pour les Mos-covites, c’est Very Important Per-son », plaisante Svetlana Mironova, pétersbourgeoise de souche. Originaire du Tatarstan, Elvira Chakirova juge que dans sa ville natale, Kazan, les gens « ont plus d’âme ».Grâce aux revenus générés par les appartements qu’ils louent à prix d’or, les Moscovites ont plus de temps libre pour revendiquer. D’un niveau social bien plus mo-deste, les provinciaux restent do-ciles envers le pouvoir. En fait, les tendances sont inversées entre

NATALIA ASEEVARUSSKIY REPORTER

Forteresse suédoise, station balnéaire allemande, port russe, et peut-être même paradis sur terre, Baltiisk est aujourd’hui une base militaire et un port commercial.

Au carrefour des grandes arméesTourisme Le charme suranné de Baltiisk est un bouquet de Prusse et de Suède mâtiné de béton soviétique !

litaire. Le lieu était apprécié des Suédois et des Prussiens, des Français et des Russes. D’où l’im-pression que chaque nouveau maître des lieux cherchait à les marquer de ses symboles mili-taires, qui ne font plus débat aujourd’hui, mais se partagent paci� quement la petite ville. Pour mieux visiter celle-ci, il faut commencer la promenade à par-tir du centre. Une fois sur le front d’eau, le risque est de ne plus vouloir en partir...Non loin de la gare, sur le mont Chkolny (Scolaire), s’élève une église inachevée, consacrée au guerrier Fedor Ouchakov. Les riverains la dénigrent car elle fut érigée sur un cimetière allemand, sous lequel, assurent les autoch-tones, on trouve des labyrinthes souterrains, une ancienne gale-rie et même des revenants ! Les connaisseurs de villes pro-

hareng baltique. Leurs femmes, qui sont là, sur la jetée, se plai-gnent : dans le temps, cent per-sonnes se rangeaient en ligne et pêchaient tranquillement. Aujourd’hui, on est obligé de se jucher sur des saillies dangereu-ses. À noter que ces mêmes pêcheurs vendent le hareng sorti de l’eau à 1 euro le kilo. Du boulevard de la Mer, on accède directement à la plage. Et même le froid de novembre n’entame pas le plaisir de s’as-seoir au bord de l’eau. Le sable ici est particulier, � n, blanc et noir, poivre et sel. Au ras de l’eau, le sable pressé est moucheté de roux. Avec un peu de chance, la vague généreuse peut offrir un éclat d’ambre. Plus haut, où l’eau n’arrive pas, le sable est doux et léger, on a envie d’y plonger ses mains. Il ne colle pas aux doigts, mais glisse comme de la soie.

Quand on arrive à Baltiisk, la première impression est que la ville est peuplée de lutins. De petites maisons aux toits verts de mousse, noyées dans les feuilles mortes, sont plantées en plein milieu de la forêt. Puis ap-paraissent les affreuses barres d’immeubles standards soviéti-ques. Ici, dans la ville la plus oc-cidentale de Russie (dans l’en-clave de Kaliningrad, ndlr), des univers totalement différents co-habitent harmonieusement. Pillau (nom de Baltiisk jusqu’en 1946) a une longue histoire mi-

vinciales russes chercheront en vain à Baltiisk les repères archi-tecturaux habituels. Impossible d’identi� er d’un coup d’œil un l’hôpital ou une préfecture. Ici, ce qui ressemble à une école est une caserne, une cabane avec un air de check-point abrite en fait une école d’art, ce musée est en fait un hôpital. On ne sera donc pas surpris que l’un des plus ma-jestueux bâtiments abrite le par-quet et les limiers de la police.On avance vers le boulevard de la Mer. Les affiches, dessinées à la main, de la Maison de la cultu-re des matelots invitent les « mi-litaires et les habitants de la ville » à la bibliothèque ou au moins au cinéma. Avant la guer-re, un lycée allemand occupait les locaux. Récemment, quand les étrangers ont en� n eu l’auto-risation d’entrer à Baltiisk (ville fermée pendant toute la période

soviétique), un des anciens élè-ves, un Allemand, est venu voir son alma-mater. La gardienne, une mère Nina débonnaire, a dé-cidé d’enfreindre toutes les rè-gles et de lui montrer ce qu’était devenue son école. L’étranger ne parlait pas russe. Mais, stupé-fait, il jurait et se prenait la tête dans les mains en voyant les bas-reliefs de Lénine, les étendards rouges et la peinture craquelée. « Ce n’est pas de notre faute », la mère Nina ne trouvant pas d’autres mots pour se justi� er. Le loisir principal des habitants locaux, c’est la pêche. Munis de cannes à pêche, des dizaines de gens se baladent dans la ville, roulent en voiture et à vélo, se déplacent en bateau pneumati-que. Sur la jetée, des hommes en vestes ouatinées et hautes bot-tes se balancent en équilibre sur les brise-lames. Ils chassent le

POUR SE RENDRE À BALTIISK En train jusqu’à Kaliningrad (le billet aller-retour, de

Moscou, coûte entre 80 et 380 euros), puis de la Gare du Sud en train diesel ou en autobus.

LE LOGEMENTUne chambre à l’hôtel « Zo-lotoï Iakor » (l’ancre d’or),

où a séjourné l’immense poète Iossif Brodsky, coûte entre 20 et 73 euros. Mais il faut réserver longtemps à l’avance, parce que l’hôtel est souvent occupé par les marins dont les navires sont à quai.

QUE RAPPORTER ?Il y a toujours le poisson des pêcheurs du coin, bon

marché et d’une fraîcheur imbat-table, mais si vous craignez d’in-disposer vos co-voyageurs, une poignée de sable fin fera bien l’affaire !

On a l’impression que chaque nouveau maître des lieux cherchait à marquer ceux-ci de ses symboles militaires, lesquels ne provoquent plus de passion, mais se partagent pacifiquement la ville

Commencez votre visite à par-tir du centre-ville, sinon vous courrez le risque de ne plus vouloir repartir des berges.

LORI/LEGION MEDIA

LORI/LEGION MEDIA

Le diaporama surlarussiedaujourdhui.fr

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08 Débats et Opinions

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football : gare à la gueule de bois

Medvedev doit s’inspirer des erreurs d’obaMa

leo dicaprio dans le sens du poil

Vladimir frolov

The Moscow TiMes

anton Orekh

ejednevny journal anna Malpas

The Moscow TiMes

le vote de la FIFA n’était pas un concours de dos-siers, mais une lutte vio-lente sous le tapis, fondée

sur les sympathies personnelles et l’esprit de mission des fonc-tionnaires du football mondial. Il va de soi que l’Angleterre et les États-Unis étaient les meilleurs candidats. Mais ce sont les moins aptes, à l’heure actuel-le, qui l’ont remporté : la Russie et le Qatar. Le plus grand et le plus petit pays, qui ne sont pas équipés pour le grand football, mais possèdent en revanche beaucoup d’argent dans des quantités illimitées. Je ne fais pas allusion aux pots-de-vin et autres spécialités lo-cales. Depuis longtemps, les membres du comité exécutif se prennent pour des missionnai-res qui portent les lumières du foot dans les régions sous-déve-loppées. Premiers championnats dans un pays arabe et en Euro-pe de l’Est. Que ces pays soient reconnaissants. Qu’ils se souvien-nent de leurs bienfaiteurs, aux-quels ils doivent toute la splen-deur qu’apporte une Coupe du monde. Un autre résultat important de ce vote, c’est la vengeance. Les Anglais, avec la meilleure pro-position, ont été éliminés dès le premier tour. Sans aucun doute, ils ont été enterrés par leurs pro-pres médias, qui balançaient in-lassablement des révélations sur tout et tous, stigmatisant les membres du comité exécutif, Blatter et la FIFA. Au passage, ils ont détruit la carrière du pré-sident de leur propre candida-ture, Lord Triesman, qui a eu la mauvaise idée de se pavaner de-vant une jeune fille et de racon-ter un tas d’inepties scandaleu-ses. Juste avant le vote, la BBC a enfoncé le clou avec une émis-sion délirante en ressassant les

au grand dam du Kremlin, le président américain, Barack Obama, a essuyé une défaite cuisante lors

des élections de mi-mandat. Mos-cou s’inquiète de la revanche des républicains au Congrès et de ses conséquences sur le « redé-marrage » des relations russo-américaines. Cette inquiétude ne se cantonne pas à la politique étrangère. L’image intérieure de Dmitri Medvedev pourrait être affectée si les États-Unis se mettent à né-

dernièrement, la star hol-lywoodienne Leonardo DiCaprio est venue à Saint-Pétersbourg pour

assister à une conférence consa-crée à la protection des tigres de l’Amour, une espèce mena-cée. L’acteur a rencontré le Pre-mier ministre Vladimir Poutine, qui l’a qualifié de « vrai mec ». Dans son discours, le chef du gouvernement a glorifié un Di-Caprio qui « s’est frayé un che-min vers nous, comme s’il tra-versait une ligne de front ». L’invité est arrivé en retard au forum parce que son avion avait dû retourner à New York à la suite de l’incendie d’un moteur. Son deuxième avion privé a dû être détourné vers la Finlande à cause d’une tempête de neige. « Je m’excuse de ma familiari-té, mais dans mon pays, on ap-pelle ça un ‘’vrai mec’’ », a dit Poutine, admiratif. Le Premier ministre a été pho-tographié prenant le thé avec DiCaprio, lors d’une rencontre virile entre « tigres » censée faire oublier la très médiatique fraternisation de Medevedev avec Bono, du groupe U2, l’été dernier. « Leo et Poutine s’adorrRRRrrent », a ironisé le British Sun. Pendant son séjour pétersbourgeois, l’acteur amé-ricain a visité le musée de l’Her-mitage, en compagnie du top model britannique Naomi Cam-pbell et de son fiancé russe Vla-dislav Doronine. Il s’est longue-ment attardé devant les tableaux de Picasso, a rapporté le site Web Lifenews.ru. C’était la pre-mière fois que DiCaprio met-tait les pieds en Russie et il n’a pas manqué de parler de ses ori-gines russes à Poutine. Sa grand-mère avait pour nom Smirnova. Les médias russes se sont gaussés de la ressemblan-ce entre l’acteur et le jeune Lé-nine, avant la calvitie et la barbe de ce dernier. DiCaprio est membre du Conseil d’administration de l’organisa-tion de protection de l’environ-

succès, c’est que l’événement n’est pas sans intérêt. Notre tâche, désormais, c’est d’ouvrir grand nos yeux. Sur-veiller chaque pas du pouvoir, compter chaque rouble dépensé. Et faire tout ce que nous pou-vons pour que le Mondial soit organisé dignement. La vie nous donne une chance d’accomplir beaucoup de choses utiles dans notre pays, il faut en profiter. Moi, j’ai toujours regretté que notre pays soit si beau et varié mais que personne ne le sache, au-de-là des frontières. Comme s’il n’y avait rien en Russie en dehors de Moscou et Saint-Pétersbourg. La raison, c’est que cette beauté n’est pas aménagée. Il faut ouvrir la Russie au monde et devenir nous-mêmes plus ouverts. Et les championnats sont un très bon moyen pour ce genre d’ouvertu-res. Je ne doute pas une seconde que nous construirons les stades. Le travail mécanique nous réussit en général. Les vraies difficultés seront ailleurs. Quand les invi-tés arriveront et seront accueillis par le personnel médiocre des hôtels, des serveurs roublards ou des Russes à la mine maussade qui, en plus, ne parlent aucune langue étrangère. Ou notre po-lice… Et le plus gros problème, c’est le foot lui-même. S’investir à ce point et perdre sur le terrain ! Mais apprendre, en huit ans, à jouer au niveau mondial est beaucoup plus compliqué que de construire des aéroports et des routes. Pas de chance : nous avons reçu trop tôt et les Jeux olympiques de Sotchi et la Coupe du monde. Nous ne serons pas prêts, ni en 2014 ni en 2018 à de bonnes performances. Obtenir de mauvais résultats après des préparatifs aussi pompeux, c’est prendre un coup violent à l’amour-propre. Pas terrible pour le réveil patriotique.

sujets compromettants. Bref, les Anglais ont vraiment énervé les membres du comité, qui se sont éloquemment vengés. Un thème de réflexion : la presse doit-elle être patriote ?Quoi qu’il en soit, je suis heu-reux que nous ayons gagné. J’écris ces lignes sur un support libéral en comprenant que mon

lectorat est évidemment déçu de la victoire de la Russie. Mais je trouve que c’est une attitude bol-chévique, mes amis, que de sou-haiter la défaite de son propre pays au nom de la révolution mondiale. Vrai, la moindre réus-site d’un régime sanguinaire est une source d’angoisse. Mais regardez les visages défaits des Anglais, Espagnols, Portu-gais, Hollandais, Belges, Améri-cains, Japonais, Coréens et Aus-traliens, et vous comprendrez que nous n’avons aucune raison d’être déçus. Ce ne sont pas des idiots, mais des gens convena-bles, civilisés. S’ils voulaient tel-lement organiser le Mondial et sont tellement affligés de leur in-

gliger la Russie. L’amélioration tangible des relations entre les deux pays sous l’administration Obama s’est transformée en atout politique pour le président russe, qui, en dehors de cela, ne peut afficher que bien peu de succès politiques. Le partenariat avec son homologue américain a ren-forcé le désir de Dmitri Medve-dev d’agir en véritable chef de l’État et d’être perçu par l’élite russe comme candidat viable à un second mandat.Le président risque cependant de commettre l’erreur tradition-nelle des dirigeants russes : ten-ter de convertir un succès in-ternational en instrument pour légitimer sa politique intérieu-

nement World Wildlife Fund et a fait un don personnel d’un million de dollars pour sauver les tigres. Les journaux russes sont restés sceptiques sur le sujet. « Personnellement, j’aurais choisi de préserver un papillon rare », s’est moqué Andreï Ko-lesnikov dans Kommersant. « Je ne comprends pas pourquoi tout le monde s’acharne sur ce pau-vre tigre de Sibérie ». Les tigres de l’Amour ne se comptent que par centaines et Poutine s’en veut l’ami. Lors de sa visite d’une réserve dans l’extrême partie orientale de la Russie, en 2008, un tigre a eu l’obligeance de se faire pren-dre dans l’un des pièges pré-parés par les naturalistes. Sou-dain, la femelle s’est échappée,

et Poutine a dû l’endormir à l’aide d’une fléchette tranquil-lisante, ont rapporté servile-ment les médias russes, avant de déposer un baiser sur la joue de l’animal. Depuis, la tigresse figure sur une carte affichée sur le site du Premier ministre. L’an dernier, quand elle a mis bas, Poutine a fièrement annoncé la nouvelle, ouvrant la voie à une série de blagues sur sa virilité. On se souvient qu’en 2008, il avait montré aux journalistes invités dans sa résidence un tigre dans un panier, sans ré-véler comment l’animal était arrivé là.

re et compenser ses échecs. Med-vedev peut encore apprendre des erreurs de Barack Obama, en particulier en ce qui concerne ses priorités. Le président amé-ricain a mal évalué la tolérance des Américains envers son gou-vernement. Il s’est focalisé sur le long terme, privilégiant une réforme financière et du système de santé, alors que la population voulait surtout une relance ra-pide de l’emploi.Avec le projet Skolkovo et son appel à la modernisation du pays auquel peu de Russes adhèrent, Dmitri Medvedev suit la même voie. Il a laissé entendre que la modernisation politique du pays devait passer avant la moderni-

sation économique. Grave erreur de jugement. Une autre leçon tient à la per-sonnalité. Barack Obama donne l’impression d’être un président distant et égocentrique, incapa-ble de ressentir « la douleur des électeurs ». Or, Dmitri Medvedev a une pré-disposition certaine à reprodui-re les pires fautes de style de son homologue américain : cérébral, détaché, protégé par ses conseillers. De plus en plus, le président russe donne l’impres-sion d’être le chef d’une élite li-bérale intellectuelle sans lien avec le reste de la société. Medvedev n’a pas eu à affronter de scrutin à mi-mandat. Mais l’échec de Barack Obama devrait lui mettre la puce à l’oreille pour l’élection de 2012.

Vladimir Frolov préside le LEFF Group, une société de relations publiques et de relations au gou-vernement.

Anton Orekh est journaliste à la radio Echo de Moscou.

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI www.LarussieDaujOurDhui.frcOMMuniqué De rOssiYsKaYa GaZeTaDisTribué aVec Le fiGarO

sOnDaGe

avec dicaprio, Poutine a tenté de faire mieux que la médiatique fraternisation entre Medvedev et Bono

les médias russes se sont gaussés de la ressemblance entre l’acteur et le jeune lénine

nous construirons les stades. les difficultés seront ailleurs : l’accueil, les russes, le foot lui-même...

Une récente étude menée par le Centre russe d’étude de l’opinion publique (VTSIOM) révèle que l’at-titude des Russes concernant la nécessité du désarmement nu-cléaire et de la non-prolifération a sensiblement évolué. Les oppo-sants à la réduction des arsenaux nucléaires sont en hausse, une première depuis la fin de la Guer-re froide. Ils estiment qu’il faut conserver le potentiel actuel pour protéger le pays en cas d’attaque et pour garder le même rang sur la scène internationale.

le poids des armes nucléaires êTes-VOus faVOrabLes à une réDucTiOn suppLéMenTaire Des arsenaux nucLéaires russes ?

Indécis

19912010

48% 32% 20%

21%60%19%

Oui Non

poutine au milliardaire abramovitch après la victoire russe : « qu’il mette un peu la main à la poche, il a beaucoup d’argent ! »

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09Perspectives

Préparé parVeronika Dorman

LU DANS LA PRESSEWIKILEAKS : RIEN DE BIEN NOUVEAU SOUS LE SOLEIL

La presse russe publie avec dé-lectation les observations des diplomates américains sur l’état des affaires en Russie, car ces « révélations » démontrent qu’ils se savent rien de plus que les journalistes. La presse se nourrit des fuites et de la manipulation de documents compromettants. Ce sont les diplomates qui en prennent pour leur grade.

TROP DE SAVOIR TUE LE SAVOIRMaxime TroudolioubovVEDOMOSTI

LES VRAIS GESTES QUI TROMPENTStanislav Minine NEZAVISSIMAÏA GAZETA

RÉVÉLATION DE SECRETS DE POLICHINELLEDmitry OrechkineKOMMERSANT

Je suis heureux que les États soient soumis à la levée de se-crets, mais je sais que je ne veux pas tout savoir. La transparence totale n’existera jamais parce que personne n’en veut. La soif de sa-voir est vite remplacée par la las-situde de l’information. Nous ré-glons des filtres pour n’entendre que ce que nous voulons, nous nous entourons de nos semblables en méconnaissant ceux qui nous ressemblent. Ce n’est qu’une pre-mière impression que l’informa-tion devient plus accessible. L’ac-cessibilité et la gratuité du savoir créént une réaction de défense.

Quand Berlusconi rigole d’être traité d’obsédé sexuel dans l’une des dépêches et le Kremlin dé-clare qu’il n’y a rien d’intéressant dans WikiLeaks, ce n’est pas une manière de faire contre mauvaise fortune bon cœur. Ils savent qu’il n’y a pas de confiance totale en diplomatie, mais juste un jeu d’in-térêts, enveloppé dans des rituels. Les « bons gestes » s’adressent à l’opinion et aux médias. On peut se mettre d’accord très concrète-ment sans se faire confiance du tout, à condition de respecter les rituels publics. Mais la crédibilité de ces gestes est entamée.

La corruption est un secret de Po-lichinelle. Le président Medvedev lui-même a mentionné le trillion de roubles détournés par les fonc-tionnaires. De même, il est naïf de s’indigner de ce que les diploma-tes disent dans le dos les uns des autres. Ça fait partie du jeu. Ce qui va se passer, c’est que la routi-ne diplomatique élaborée pendant des siècles va radicalement chan-ger, dans un contexte de trans-parence de l’information. Le pro-blème, c’est que toutes ces fuites ne peuvent pas être vérifiées et créent des possibilités inouïes de manipulation massive.

Natalia GevorkyanSPÉCIALEMENT POUR

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

On se croirait en boîte de nuit! Je viens d’éteindre ma lampe, et au lieu de l’obscu-

rité, ça clignote furieusement dans ma chambre. Je regarde à travers la fenêtre et m’aper-çois que mon vis-à-vis de l’im-meuble d’en face a recouvert sa fenêtre de guirlandes. C’est Noël à Paris ! Hors de question de fermer les volets, parce que quelqu’un a installé cette splendeur, y com-pris pour moi. - T’as acheté quoi ? Ma copine m’appelle de Moscou pour me demander ce que je compte of-frir à mes amis parisiens.- Un calepin. Petit, léger, pra-tique pour un sac à main. - C’est tout ?!Voilà une grande différence entre Moscou et Paris. À Paris, on offre des bouquins, des dis-ques, des beaux livres. Ou des bibelots rigolos, choses qu’on trouve difficilement à Mos-cou… À Moscou, il faut mettre le pa-quet. On m’appelle de là-bas : « T’as un i-phone ? Oui ? Bon, tant pis, je vais chercher autre chose...» Ou bien : « T’aimes les stylos à plume ? » En cas de réponse positive, mon ami ne se précipitera pas forcément sur un Mont-Blanc, mais néan-moins sur un beau stylo cher. C’est pourquoi je réponds tou-jours que j’en perds cinq par jour. Ce n’est pas que nous soyons bling bling. Très longtemps, dans notre pays, nous ne pou-vions rien acheter de raffiné ou de chouette. Nous savourons toujours aujourd’hui cette pos-

CES SACRÉS FRANÇAIS

Mon fraternel vin de Noëlsibilité retrouvée et non celle d’en jeter plein la vue. Cette motiva-tion n’existe pas du tout en Fran-ce, qui n’a pas connu de telles privations depuis longtemps.À Paris, il y a un autre cadeau que je fais tous les ans. Place des Vosges habite un clochard qui a éclairé jadis une minute assez sombre de ma vie. Un soir de Noël, je déambulais à travers cette place parfaite et la seule chose dont j’avais envie au monde, c’était de me saouler à mort. D’abord il m’a taxé une cigarette. Puis il m’a regardée et m’a tendu sa bouteille de rouge, en prononçant cette phrase : « Tu les auras tous ! », avant d’écla-ter de rire. Je me suis assise à côté de lui en allumant une ci-garette, et nous avons bu à Noël, à notre solitude. Le lendemain, je lui ai offert un tire-bouchon. Depuis, chaque Noël, j’achète une bouteille de vin rouge et lui rends visite. Il sort son tire-bouchon et nous fu-mons mes cigarettes. Le plus étonnant, c’est qu’il m’arrive de ne pas croiser « mon » clochard pendant des mois, mais à Noël, il est toujours là. C’est mon ren-card de Noël. Il ne m’a jamais demandé qui j’étais ni comment je m’appelais. Moi, je ne lui de-mande pas pourquoi il est là et où il disparaît le reste du temps. Nous discutons avec la même fa-cilité avec laquelle nous nous sé-parons, sans jamais parler de l’année d’après. Mais nous nous retrouvons toujours. Serait-ce de l’amour ? Ou peut-être sim-plement un conte de Noël, dont j’ai rêvé dans la lueur des guir-landes du dernier étage de l’im-meuble d’en face ?

Natalia Gevorkyan est corres-pondante à Paris du journal en ligne gazeta.ru.

François PerreaultSPÉCIALEMENT POUR

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

sont en fait d’Irkoutsk, de Tver ou de la lointaine banlieue moscovite, privés du sésame ré-servé aux privilégiés de la ca-pitale.Finalement, le salut viendra d’Aliona, laquelle est mariée avec Igor, qui a pour lointain cousin Sergueï, lui-même enre-gistré à Moscou et donc capa-ble de cosigner le bout de pa-pier. Rendez-vous est donné face au bureau de poste, lieu habi-tuel de ces libations adminis-tratives, avec une bouteille de cognac XO, que Sergueï appré-cie par-dessus tout.Face à l’employé patibulaire, Sergueï, peu familier avec la procédure, est légèrement dé-sorienté. Jean-Pierre, lui, est carrément perdu. Après un bal-let incessant entre le bureau de poste et la photocopieuse, les deux complices ont tout : bail, livret de famille, visa, passeport, super� cie du logement et contrat de travail en deux copies. De-vant la complexité du formu-laire, Sergueï a dû le remplir à trois reprises avant de tout com-prendre, mais désormais ça y est. Jean-Pierre est en-re-gis-tré !On ne saura jamais vraiment ce qui s’est passé. Lorsque Mi-roslava est revenue, bronzée, de son arrêt-maladie, elle a pous-sé un cri d’orfraie devant la grande enveloppe brune du Ser-vice des migrations qui l’atten-dait. Visiblement, Sergueï a merdé sur le formulaire. Mais si Jean-Pierre paie les 200 euros dans les dix jours, son visa ne devrait pas être annulé et il ne sera pas interdit pour cinq ans d’entrée sur le territoire russe.

Ça tombe franchement mal. Miroslava, l’en-voûtante secrétaire du bureau, est en arrêt-

maladie à Charm-el-Cheikh, pile-poil au moment où Jean-Pierre doit renouveler son en-registrement auprès des auto-rités fédérales.Ça n’a pas l’air bien sorcier : il faut juste faire tamponner un bout de papier par le Ser-vice des migrations, lequel pa-pier con� rme le lieu de rési-dence du voyageur grâce à la signature de celui qui l’héber-ge. Habituellement, Mirosla-va, qui veille au bien-être de Jean-Pierre comme à la faus-se prunelle de ses verres de contact, règle l’affaire avec des méthodes qu’il ignore.Qu’à cela ne tienne, il pourra bien se débrouiller tout seul. Le coup de � l passé à sa pro-priétaire laisse cependant en-tendre que la tâche ne sera pas si facile. Prise de panique, cette brave dame de soixante-quin-ze balais refuse d’enregistrer un étranger. « Si ça se sa-vait... », tremble-t-elle à l’autre bout du combiné, « ça pour-rait se savoir ! », insiste-elle.Tant pis pour la grand-mère. Jean-Pierre étrenne son russe des grandes occasions sur Fa-cebook pour solliciter l’aide de ses amis moscovites. « Quelqu’un pour m’enregis-trer ? », dit en substance l’ani-mal. « Mon pauvre... », « bon courage ! », « toi aussi ? » sont les seules réponses au pro-gramme. Jean-Pierre ne l’avait jamais compris, mais la plu-part de ses potes moscovites

CES SACRÉS RUSSES

Visa pour la « démerde »

François Perreault est expatrié à Moscou depuis quatre ans.

MACHA FOGELSPÉCIALEMENT POURLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Entre intégrisme religieux et une intransigeante indépendance politique, les Vieux-Croyants voudraient offrir à la Russie un modèle de société alternatif.

Religion Leurs traditions et leur foi sont restées intactes à travers les siècles

« Ce monastère a l’air d’un théâ-tre. C’est voulu ». Anastasia, la jeune guide, désigne un bâtiment d’été, non chauffé, classiquement sobre et rectangulaire. Sa clarté estivale est trempée de la boue de novembre. Aux environs de la Taganka, dans le sud-est de Moscou, les Vieux-Croyants ont leurs quartiers. Ils ont eu le droit, depuis le XVIIIème siècle, de construire, rue Rogojski, plu-sieurs monastères et un cimetiè-re – le deuxième se trouve au nord-est de la capitale – du mo-ment qu’ils tenaient leurs édi� -ces éloignés de toute rivalité avec les somptueuses églises orthodo-xes. C’est sur ce terrain arboré creusé de chantiers, qu’encadrent une autoroute, une usine, un mar-ché, que se situe le principal cen-tre de « l’ancienne foi ». Les Vieux-Croyants sont des or-thodoxes non réformés. Au mi-lieu du XVIIème siècle, le Pa-triarche de toutes les Russies Nikon introduit quelques chan-gements mineurs dans le rite li-turgique. Se signer de trois doigts,

au lieu de deux. Il s’agit de rap-procher l’Église russe de celle des Grecs, pour faire de Moscou une « troisième Rome ». Épaulée par le tsar, l’Église jette l’anathème sur les anciens rites et sur ceux qui les respectent. Les « Vieux Croyants » ou « schismatiques » seront persécutés pendant des siècles. Beaucoup ont immigré en Australie ou aux États-Unis. Mais aujourd’hui encore, ceux d’entre eux que l’on rencontre à Moscou se signent de deux doigts et s’inclinent jusqu’à terre de-vant les icônes. Ils sont un peu plus d’un million en Russie.Dans le monastère d’hiver, plus petit que le « théâtre » d’été, l’at-mosphère est de chuchotements

orthodoxes réformés est la sui-vante : une famille de Vieux-Croyants n’a pas besoin de prê-tre pour pratiquer sa foi » explique Alexeï Mouraviev, le vi-ce-recteur du collège ecclésias-tique Vieux-Croyant de Rogojs-ki, spécialiste du christianisme oriental syriaque, caucasien et d’Asie Centrale et ancien cher-cheur au CNRS à Paris. « Des orthodoxes isolés, qui se retrou-veraient sans autorité cléricale, cesseraient de fréquenter l’Égli-se, alors que le père d’une famille de l’ancienne croyance peut prendre la place du prêtre. Cela les rend plus indépendants, res-ponsables, engagés ». L’opposition des Vieux-Croyants à l’Église orthodoxe officielle est politique et idéologique. Leur combat consiste à la fois en la défense d’une identité propre-ment russe et d’une indépendan-ce à l’égard du pouvoir. Alexeï Mouraviev résume : « Il existait dans la chrétienté russe d’avant la réforme des possibilités de dé-mocratie qui se sont ensuite épa-nouies chez les Vieux-Croyants, alors qu’elles ont été annihilées au sein de l’orthodoxie officielle. Celle-ci s’est accolée au pouvoir politique tsariste et en a adopté le fonctionnement vertical. Nous reprochons à l’Église russe contemporaine sa proximité avec le pouvoir et sa dépendance ab-solue envers lui ». Les Vieux-Croyants sont un peu plus d’un million en Russie.

Les derniers résistants au monde moderne

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FRCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

et de plaintes extasiées, rythmés par les chants des hommes. Ceux-ci, tous barbus, occupent la par-tie droite du bâtiment ; les fem-mes dans leur foulard, bien serré sous le cou, sont à gauche. C’est un baptême, une cérémonie im-portante, et les vêtements sont ceux de commerçants ou de no-bles du XVIIIème siècle : caftans colorés, foulards brodés de per-les, ceinture à la taille pour les hommes, pour séparer les par-ties saintes des parties profanes du corps. Dans la vie de tous les jours comme à l’église, la recti-tude religieuse des Vieux Croyants, ultra-conservateurs et intégristes, est intraitable. « La distinction notable avec les

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10 Culture

VERONIKA DORMANSPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Figure historique du rock, Youri Chevtchouk sera en concert à Paris le 14 décembre. En Russie, il incarne mieux qu’aucun autre musicien la lutte contre les dérives du pouvoir officiel.

Le rock protestataire russe a retrouvé son visage

Portrait 20 ans après la perestroïka, Iouri Chevtchouk remonte sur les barricades

dernier, le célèbre rocker a pro-voqué un coup d’éclat. Lors d’un dîner de charité il s’est enquis auprès du Premier ministre Vla-dimir Poutine, de l’heure où les mécontents auront le droit de ma-nifester sans se prendre des coups. Poutine a rétorqué d’un « pardon, et vous êtes qui ? » méprisant. La cote de popularité de Chevtchouk a immédiatement explosé. En fait, comme souvent en Rus-sie avec les écrivains et les artis-tes, l’homme compte plus que son œuvre. Le musicien Chevtchouk ne fait pas l’unanimité, il y a des compositeurs plus originaux, des poètes plus tranchants. Mais on respecte le personnage, sa posi-tion citoyenne affirmée. Cet été, il s’est fait traîner dans la boue par des jeunes militants pro-Kremlin, dont la calomnie publi-que est le hobby. Puis il est venu, la guitare en bandoulière, protes-ter contre la destruction de la forêt de Khimki, une zone écologique-ment vitale pour Moscou. « Je ne suis pas un fan de son groupe, je ne suis pas écolo, mais je suis venu pour soutenir Chevtchouk », ex-pliquait Arsène lors de la mani-festation. Le rocker, lui, assume son côté donneur de leçons. « Si tu as quelque chose à enseigner, tant mieux ! Nous, les musiciens, sommes des citoyens de notre pays, préoccupés par sa destinée, nous avons un avis, et nous le par-tageons », répond-il lors d’une conférence de presse.

Ce qui frappe chez « Youra », comme l’appellent affectueuse-ment ses fans, c’est sa simplicité. Le bonhomme est proche et fa-milier, comme ses chansons. Dans une salle de concert, parmi 3 000 personnes, on est comme dans sa cuisine, entre nous. Et ses airs, on les a toujours eus dans la tête. Même ses nouveaux morceaux, on ne les découvre pas, on les re-connaît. Ce qui frappe chez Che-vtchouk, c’est qu’il est totalement dépourvu de snobisme. Le groupe de rock DDT, dont Chevtchouk est le leader et le chanteur depuis les années 1980 est encore aujourd’hui symboli-que de la perestroïka et de la jeune Russie postsoviétique. La chan-son « Rodina » [Mère-patrie] est l’hymne de plusieurs générations « Nées en URSS » (album et chan-son éponymes, 1994), un serment à cette patrie « traitée de mons-tre, mais qu’on aime quand même ». Depuis le début des an-nées 2000, Chevtchouk fréquente les meetings interdits de l’oppo-sition, et chante à tue-tête sa co-lère, un sourire en coin. En mai

Son dernier concert à Moscou, Chevtchouk l’a donné un 10 no-vembre, qui est aussi la journée nationale de la police. En ouver-ture, le musicien a décerné des prix aux cinq policiers les plus véreux (qui se sont distingués dans des affaires de violence ou de cor-ruption) et aux cinq policiers les plus courageux, qui ont perdu la vie sur le terrain. Selon un cor-

respondant de Kommersant, dans le public endiablé et hilare, il y avait beaucoup de policiers venus célébrer leur fête. Ce qui frappe chez ce rebelle gri-sonnant qui chante les mêmes chansons depuis vingt ans, c’est sa capacité à rassembler des deux côtés des barricades : ceux qui reçoivent les coups de matraque... et ceux qui les distribuent !

Chevtchouk : « Le pouvoir a peur des gens armés d’une guitare ».

PARCOURS

Un succès qui franchit les frontièresEn 1990, déjà acclamé en URSS, DDT se produit aux États-Unis et au Japon. Les chansons de l’al-bum « Aktrissa Vesna » (l’Actrice printemps, 1992) sont devenues véritablement cultes et ont inté-gré le folklore national. Depuis

20 ans, DDT remplit des stades en Russie et fait salle comble à l’étranger. En 2007-2008, Chevt-chouk a enregistré un album solo à Paris, « L’Echoppe » .

Le 14 décembre à l’Elysée-Mont-martre (www.infos-russes.com).

MACHA FOGELSPÉCIALEMENT POURLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Le festival moscovite « Cinéma sans barrières » présente une sélection de courts et longs métrages destinés à montrer au public qu’on peut être à la fois handicapé, fier et heureux.

Regardez-moi, sans peur et sans pitié !

Cinéma Un festival dédié aux invalides

gagner une compétition sporti-ve, et � nit par décrocher le gros lot : un téléphone portable. Voilà de quoi appeler sa mère. En une demi-heure, les déceptions et les espoirs de l’enfance sont analy-sés avec délicatesse. « Je ne veux pas que les person-nes qui souffrent d’un handicap fassent pitié. Je veux leur mon-trer que l’on peut être � er de soi, accomplir beaucoup de choses, être indépendant ». L’actrice de cinéma Véronika Skouguina a perdu ses deux jambes dans un accident de voiture lorsqu’elle était enfant. Elle passe la confé-rence de presse à rire de bon cœur avec sa voisine. Puis elle raconte, toujours en train d’étouf-fer un rire, comment elle a ren-contré son petit ami, qui lui a proposé une partie de patin à glaces, à elle qui se déplace sur un chariot à roulettes. André Echpaï, le directeur du jury de la version 2010 du « Festival sans barrières » de Moscou, dévelop-pe à son tour : « L’objectif est de démolir le mythe selon lequel les personnes souffrant de handicaps devraient forcément inspirer la pitié. Les spectateurs verront au contraire que ces dernières peu-vent accomplir par elles-mêmes beaucoup de choses. Je me ré-jouis de ce que notre festival ait grandi d’année en année ; il ac-cueille à présent des � lms d’une stature très sérieuse ».Telle est, semble-t-il, la caracté-ristique de ce festival. Ce n’est pas une œuvre de bienfaisance, pas un festival de charité, mais une manifestation artistique. Tout comme si la différence plus évidente, plus marquée, avec la-quelle évoluent les héros des � lms présentés permettait aux réali-sateurs de travailler avec une in-tensité toute particulière le ma-tériau de tous les poètes : la subjectivité de la personne, son rapport changeant, angoissant, subjuguant, aux autres et au monde. C’est ce qu’explique l’ac-teur russe Artur Smolyaninov, membre du jury cette année : « Je n’ai pas de handicap, mais moi aussi, je suis différent ».

Aveugles ou trisomiques, sourds ou mutilés, autistes ou paraly-sés, de naissance ou à la suite d’un accident, tous ont une his-toire unique. C’est ce que racon-tent avec panache les 36 � lms à l’affiche du festival. Tous ces per-sonnages dégagent une force de caractère incitant à l’empathie. Il ne s’agit pas de nier les dis-semblances, mais d’insister, plu-tôt, sur la différence, sur la sub-jectivité de chacun des héros. On ne voit pas une foule malade, sé-parée du monde et uniforme, mais des histoires, chacune avec sa trame. Certaines œuvres, comme celle réalisée en 2007 par l’actrice française Sandrine Bonnaire, Elle s’appelle Sabine, décrivent le cheminement vers le calme et le bonheur, en l’occurrence celui de la sœur de l’actrice, à travers le prisme de l’angoisse de ses pro-ches. D’autres mettent en scène une relation privilégiée entre deux personnages, l’un handi-capé, l’autre non. Des relations amoureuses se nouent, en dépit des difficultés que l’on devine. Dans le court-métrage frappant de Vadim Eff, Les éléphants blancs, réalisé en Russie en 2010, le jeune héros a beau être amou-reux de sa petite amie aveugle, il ne parvient pas à surmonter ses appréhensions et ne sait com-ment appréhender les difficultés de la jeune � lle. Mais la plupart des � lms présentés au cours de ce festival pas comme les autres adopte directement le regard d’une personne souffrant d’un handicap. Le petit héros de Koukouchata !, un moyen-mé-trage russe réalisé en 2009 par Vitaly Oussourevsky, vit dans un orphelinat pour enfants handi-capés. Il cherche à tout prix à

Vitaly, l’orphelin héros du film « Koukouchata ! ».

NATALIA SOLJENITSYNEROSSIYSKAYA GAZETA

Soljenitsyne et son œuvre ont longtemps été interdits en URSS. Son épouse présente la version de L’Archipel du Goulag qu’elle a abrégé à l’intention des programmes scolaires.

À l’école de L’Archipel Littérature La veuve de Soljenitsine présente une édition scolaire du livre culte de l’auteur

mais l’heure n’est pas aux célébrations. Depuis cinq ans, son nom est censuré, ses archives per-sonnelles con� squées, pas une de ses lignes n’est publiée en URSS.

La publication, en 1962, d’Une journée d’Ivan Denissovitch a rompu une digue, et, en recevant « une avalanche de lettres de toute la Russie », Alexandre Soljenit-syne est devenu le chroniqueur des malheurs du peuple. Mais impossible de disposer li-brement de ces documents explo-sifs. L’écrivain a dû se cacher. Plus tard, Soljenitsyne se souviendra avec effroi, quand, dans sa datcha, il tapait la version � na-le de L’Archipel du Gou-lag : « L’unique original est avec nous. Il suffit que le KGB nous tombe dessus et le chœur des gémissements, le mur-mure de l’agonie de mil-lions, tous les testa-ments inexprimés des victimes, tout sera entre leurs mains, je ne pourrai jamais les restaurer… »En octobre 1970, Soljenitsyne re-çoit le Prix Nobel de littérature,

Un an plus tôt, il s’est fait exclu-re de l’Union des écrivains. En février 1974 il est arrêté et ex-pulsé du pays. En vivant en exil au Vermont, Soljenitsyne reçoit

des lettres de professeurs améri-cains se plaignant que leurs élè-ves ne parviennent pas au bout des trois tomes de L’Archipel, qu’il faudrait en faire une version abré-gée. L’écrivain, réticent, � nit par se laisser convaincre : « Tant pis, s’il le faut. Mais en Russie, quand le temps viendra, nous n’aurons pas besoin d’abréger ». Vingt ans ont passé, et nous avons dû admettre qu’en Russie aussi la vie moderne ne donne pas la possibilité aux lycéens de lire l’œuvre dans son intégralité. Ce n’est pas sans amertume que Soljenitsyne m’a chargée de com-piler un Archipel « scolaire » en un volume. Dans la nouvelle ver-sion, les 64 chapitres sont conser-vés mais réduits. Les glossaires de jargon carcéral et des abrévia-tions soviétiques ont été étoffés et assortis d’un dictionnaire des noms propres. Mon objectif a été de réduire le texte au maximum, tout en conser-vant l’architecture du livre, pour éviter qu’il ne devienne une col-lection d’épisodes fragmentés, pour qu’il demeure un voyage ininterrompu à travers les îles de L’Archipel. Et pour que le pilote du navire reste l’auteur, qui a tracé pour cette navigation une trajec-toire d’une exactitude inégalée.

Alexandre et Natalya Soljenitsine. L’écrivain dispersait ses écrits dans la crainte d’une perquisition du KGB.

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11Culture

CANDICE HUGHESLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

La passion d’Andreï Erofeev pour l’art contemporain russe lui a apporté la gloire inconfortable d’en être le champion téméraire. Portrait d’un condamné pour « art criminel ».

« Provocateur » malgré luiArt contemporain Coup de projecteur sur le plus grand spécialiste de l’art contemporain russe... qui a failli être mis à l’ombre

À chacun de ses retours à Mos-cou, le jeune � ls de diplomate soviétique qui vit à Paris, Dakar et Vienne a le souffle coupé. « Je me sentais étranger dans mon pays. C’était un monde irrespi-rable et déprimant », se souvient Andreï Erofeev, en repensant aux forces qui ont fait de lui un com-missaire innovant et l’une des � gures les plus provocatrices de l’art contemporain russe. « J’ai commencé à chercher un moyen de survivre dans ce monde ».L’art a été son salut, et sa malé-diction aussi, l’attirant dans une bataille après l’autre. En juillet 2010, lui et son collègue Iouri Samodourov, directeur du musée Sakharov, ont été condamnés par un tribunal russe pour incita-tion à la haine religieuse et ra-ciale à la suite de leur exposi-tion « Art interdit » : 20 pièces que Erofeev n’avait pas eu le droit d’inclure dans sa présen-tation de la plus grande collec-tion d’art contemporain russe. La sienne. Cette création phare d’Erofeev est une histoire d’amour, la romance personnel-le du commissaire avec l’art contemporain. Comme toute af-faire passionnelle, elle a appor-té son lot de joie et de chagrin. Erofeev commence sa thèse d’his-toire de l’art à l’université de Moscou en 1981, en pleine sta-gnation brejnévienne. Le XXe siècle est strictement hors-pro-gramme. Erofeev doit étudier l’art moderne en négatif, dans les annotations critiques des ma-nuels marxistes-léninistes. Au même moment, il commence à accumuler des œuvres contem-

Andreï Erofeev et Iouri Samodourov (à droite), attaqués en justice par des groupes ultra-orthodoxes nationalistes, ont été condamnés à verser une amende pour incitation à la haine raciale et religieuse.

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poraines. Il parvient à en entas-ser 300, secrètement, dans les ré-serves du musée Pouchkine, avec l’aide d’amis qui y travaillent. En 1986, ce même musée lui pro-pose un poste mais refuse d’ac-cueillir sa collection. Il doit faire ressortir les œuvres en douce. À temps extraordinaires, mesures extraordinaires. En pleine perestroïka, en 1987, la jeune collection trouve en� n refuge dans les ruines du palais impérial de Tsaritsino, dont le directeur veut se montrer dans l’air libéré du temps, et met à la disposition de Erofeev un abri-bombe de plus de 1000 m2. Les mains déliées, un minuscule bud-get en poche, le jeune commis-saire se concentre alors sur des objets moins conventionnels, des

installations. Il réussit à convain-cre des artistes d’avant-garde de lui offrir des œuvres. La collec-tion monte à 3 000 pièces. Man-quant d’espace d’exposition à Tsatristino, Erofeev fait voyager ses œuvres d’art et leur assure une visibilité internationale. Deux ans plus tard, la galerie Tretiakov (l’un des plus impor-tants dépôts d’ œuvres d’art russe) invite le collectionneur et sa collection à rejoindre le musée. Erofeev devient le premier com-missaire d’art contemporain dans l’histoire de la galerie. D’entrée de jeu, en exposant les œuvres provocantes des artistes contem-porains dont il est le champion, il est en conflit avec sa direc-tion. En 2008, après plusieurs scan-

dales, dont celui de l’« Art inter-dit », Erofeev est licencié de la Tretiakov. Même ses admirateurs avouent qu’il peut être obstiné et in� exible. « C’est pas un gars facile », con� rme un historien de l’art émigré, Konstantin Akin-cha. Après un long procès qui a donné raison à des groupes ul-tra-orthodoxes et nationalistes, Erofeev est imperturbable et pla-ni� e de nouvelles expositions en tant que commissaire à son compte. Mais l’affaire a fait fris-sonner le monde de l’art russe. « Tous ces scandales ont créé un sentiment de peur », dit Akin-cha. « Tout le monde n’est pas aussi intrépide qu’Andreï. Les autres comprennent le danger, et appliquent un très vieux pro-cédé : l’autocensure ».

Vous êtes très lié à la France…Je suis né en France. Dès les an-nées 1970, j’ai été stagiaire au Lou-vre puis au Musée d’art moderne de la ville de Paris. C’est de là que vient mon intérêt pour l’art contem-porain et mon choix professionnel. Plus tard j’ai été reçu dans l’ordre de Chevalier des Arts et des Lettres. Avez-vous gardé des amitiés en France?Je suis très lié depuis les années 1970 à Jean-Hubert Martin, l’ancien directeur du Centre Pompidou. En 1977, il était venu à Moscou, ville soviétique morne et pesante, pour préparer l’exposition Moscou-Pa-ris. Nous avons encore des projets communs. Par exemple, une gran-de exposition à Barcelone en 2012, synthèse des meilleures œuvres russes des vingt dernières années. Sotsart à la Maison Rouge en 2007, c’était vous…J’avais d’abord monté l’exposition à Moscou, à la Biennale d’art contem-porain. Quand elle était empaque-tée et prête à partir pour Paris, la Tretiakov a alerté le ministère de la Culture que des œuvres irrespec-tueuses de Poutine allaient quitter le pays. 80 œuvres ont été censu-rées. Sarkozy était à Moscou pour parler de l’Année croisée. S’il n’avait pas été alerté, il n’y aurait pas eu d’expo. Il a dit à Poutine : « Vous in-terdisez déjà une exposition ? C’est un bon départ pour une coopération culturelle ». Poutine était furieux. Les caisses ont fait le trajet Mos-cou-Paris en un temps record. Pour combler les vides, j’ai invité les ar-tistes censurés à apporter des œu-vres similaires. En les découvrant la veille de l’inauguration, la direction de la galerie Tretiakov (propriétaire de la collection) a fait un scandale. Mais, sur mon conseil, le créateur de

Ami de toujours de la FranceENTRETIEN

la Maison Rouge, Antoine de Gal-bert, ne les a pas retirées. J’avais si-gné mon arrêt de mort. Cette année, avec Contrepoints au Louvre, l’histoire se répète ?Oui, un fonctionnaire de la Cultu-re se mêle de ce qui ne le regarde pas, décide de se faire critique mo-ral. Il fait croire que l’œuvre de Ter-Oganian est antisémite, alors qu’el-le critique le pouvoir russe. Mais les Français ont résisté et les Rus-ses ont fléchi pour la première fois. Surtout, Contrepoints est la seule manifestation d’art contemporain de tout le programme croisé. Et ce sont les Français qui l’ont organisée. C’est-à-dire que notre ministère de la Culture s’est rabattu sur les clas-siques, icônes, ballets et chœur de l’Armée rouge, une thématique so-viétique agrémentée d’un respect retrouvé de l’art russe ancien. Que pouvez conclure de l’Année croisée France-Russie ?Je n’ai participé à aucun projet de l’Année croisée. Je ne suis pas sor-ti de Russie depuis trois ans, car j’étais en procès. Et ici, personne ne m’a sollicité non plus. Je me suis re-trouvé sur le banc de touche.

À L’AFFICHE DE L’ANNÉE CROISÉE 2010

MAHLER AU PROGRAMME DE L’ORCHESTRE DU THÉÂTRE MARINSKY À PARISDU 11 AU 13 DÉCEMBRE,SALLE PLEYEL, PARIS

L’orchestre du théâtre Marinsky, sous la direction de Valery Ger-giev, jouera six symphonies de Mahler, démontrant l’étendue de la palette artistique de ses musi-ciens qu’il fait ainsi sortir de son répertoire traditionnel. La col-laboration franco-russe sera au rendez-vous dans la deuxième symphonie « Résurrection », agré-mentée par les voix des chanteurs du Chœur de Radio France.

sallepleyel.fr ›

FESTIVAL « LES SOIRÉES DÉCEMBRISTES » DE SVIATOSLAV RICHTERDU 2 AU28 DÉCEMBRE,MUSÉE DES BEAUX ARTS POUCHKINE, MOSCOU/ VOLKHONKA, 12

La trentième édition du festi-val Soirées décembristes créé par Sviatoslav Richter en 1981 se déroule à Moscou depuis le 2 décembre. En plus du réper-toire romantique classique, des morceaux de la renaissance ita-lienne et française sont à l’affi-che cette année avec l’Hilliard Ensemble, venu de Grande-Bre-tagne pour ce concert de com-mémoration. Pendant toute la durée du festival, une exposi-tion se tient dans les salles du musée Pouchkine sur le thème des « Dessins français de la fin du XIXe au XXe siècle ».

museum.ru/gmii/ ›

TOURNÉE DE PREJLOCAJ ET DU BOLCHOÏ : « SUIVRONT MILLE ANS DE CALME »DU 9 AU 11 DÉCEMBRE : THÉÂTRE DE SAINT-QUENTIN-EN-YVELINES, DU 14 AU 18 : GRENOBLE,MC2;DU 22 AU 23 : THÉÂTRE DE CAEN,;DU 27 AU 30 : OPÉRA ROYAL-CHÂTEAU DE VERSAILLES.

Avec une production et une dis-tribution mi-russe, mi-française, Angelin Prejlocaj sublime la col-laboration franco-russe dans son œuvre intitulée « Suivront mil-le ans de calme », mise en place avec le Bolchoï. Le chorégraphe explore le thème de l’Apocalypse, au-delà des clichés catastrophis-tes. Pour ceux qui auraient man-qué les représentations de Pa-ris ou de Lyon, quatre prestations communes des deux compagnies offrent une dernière occasion d’assister à cette création inédite.

preljocaj.org/ ›

TOUS LES DÉTAILS SUR NOTRE SITELARUSSIEDAUJOURDHUI.FR

NATHALIE OUVAROFFLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Jeudi 4 novembre, jour de la fête de l’Unité, le Patriarche de Moscou et de toutes les Russies a béni l’icône de Saint-Nicolas-le-Thaumaturge, située sur la tour du même nom.

Les icônes sauvées par des « conservateurs anonymes »

Patrimoine Deux tours du Kremlin viennent de retrouver leurs images sacrées

La date est hautement symboli-que. Le 4 novembre 1612, les mi-lices populaires qui, sous la conduite de Minine et Pojarsky, avaient vaincu les Polonais oc-cupant Moscou, sont entrées au Kremlin par les tours ornées d’icônes pour libérer la Russie des envahisseurs étrangers. C’est dire si elles étaient chargées de signi-� cation historique, le 4 novem-bre devenant récemment un jour férié dit de « l’unité du peuple ». Or, on pensait que ces fresques du XVIème siècle avaient à jamais disparu dans les cham-boulements de l’histoire. Mais la Providence fait parfois bien les choses.Après plus de 90 ans, les icônes du Sauveur et de Nicolas-le-Thaumaturge, saint patron de Moscou, emmurées par « des conservateurs anonymes » qui avaient refusé de les détruire, ont été retrouvées puis restaurées.L’icône de Saint-Nicolas a toute

une histoire à elle seule. Lors de la guerre patriotique de 1812, les troupes françaises, en quittant la ville, font exploser la tour Saint-Nicolas, détruite jusqu’à la hau-teur de l’icône... La révolution de 1917 laisse « Saint-Nicolas » cri-blé de balles. Son visage est épar-gné mais il perd sa main droite, celle qui « tenait Moscou ».C’est ainsi qu’est reproduite l’icô-ne qui aurait accompagné l’ami-ral Koltchak pendant toute sa campagne anti-bolchevique avant d’échouer à Genève, où l’évêque Michel l’a confiée à l’historien Mikhaïl Yakoutchev.À Moscou, celui-ci se heurta au scepticisme général. Personne ne voulait croire que les icônes se cachaient toujours derrière le plâ-tre blanc. Mais toujours à Moscou, cepen-dant, quelqu’un savait : Ivan Сhakhovskoï, un � ls d’émigrés russes blancs revenu vivre en Rus-sie. Il explique : « c’est mon grand-oncle Yuri Olsouliev qui avait été chargé de détruire les fresques. En les emmurant, il a trouvé le moyen à la fois de les préserver et de suggérer, aux générations à venir, que les icônes étaient tou-jours là ». Comme quoi il n’est pas interdit de croire aux mira-cles, surtout en période de Noël.Le Patriarche Kirill aspergeant d’eau bénite l’icône du Sauveur.

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RECETTE

Le saumon koulibiak, une pure tentation

La sphère de la gastronomie est clairement divisée entre les cui-siniers et les pâtissiers. Je suis une cuisinière. Je peux impro-viser avec certitude omelettes, soupes et ragoûts sans ouvrir un livre de recettes. Mais je me retrouve avec deux mains gau-ches dès qu’il s’agit de transfor-mer farine, œufs, sucre et beur-re en pâte croustillante. C’est donc avec appréhension que j’ai entrepris de préparer le kou-libiak au saumon, la reine des tourtes, une création magnifi-que de poisson, de riz et… (Ô rage ! Ô désespoir !) de pâte !Koulibiak signifie littéralement « tourte rectangulaire » prépa-rée à partir de trois ingrédients russes fondamentaux – poisson, céréales, pain -, et servie avec la oukha, ou soupe de poisson. La recette traditionnelle utilise de la kacha (sorte de bouillie) de sarrasin mais le riz est plus courant. Contrairement au bœuf Stroganoff, le koulibiak est un authentique plat russe, qui fut

exporté en France, et apparut pour la première fois dans L’Art de la Cuisine française au XIXe siè-cle, de Plumerey (1833-1844). Les versions française, puis anglaise, remplacent la pâte briochée tradi-tionnelle russe par une pâte brisée plus légère. Là où les Russes su-perposent des couches de grains et de brandade de poisson, les chefs français et anglais fanfaron-nent souvent avec un saumon po-ché entier en croûte. L’écrivain Anton Tchekhov, un amoureux du koulibiak, a lais-sé ces instructions strictes à tout chef suffisamment téméraire pour tenter un koulibiak : « Devant vous, le koulibiak doit vous faire honteusement saliver… le beurre goutte comme les larmes, et la far-ce est grasse, juteuse, riche... »C’est un plat long à cuisiner, mais qui récompense généreusement. La farce peut être préparée à l’avance puis rapportée à tempé-rature ambiante avant l’assembla-ge, mais la pâte doit être utilisée dès qu’elle est prête.

Pâte briochée :175 ml de lait chaud • 70 g de beurre • 1 paquet de levure sèche active • 1,5 c. à soupe de sucre • 60 ml d’eau chaude • 1 œuf plus deux jaunes d’œuf • 1 c. à café de sel • 460 g de farinePréparation :Mélangez le sucre, l’eau et la le-vure. Laissez réagir dans un en-droit chaud pendant 10-15 mi-nutes. Mélangez le lait et le beurre dans une casserole et portez à ébul-lition. Laissez refroidir à 45 de-grés. Battez l’œuf et les jaunes d’œufs jusqu’à l’obtention d’une texture crémeuse puis mélan-gez avec la mixture de lait et la levure. Placez les ingrédients secs dans un mixeur à lame. Pendant qu’il tourne, ajoutez le mélange liqui-de jusqu’à ce que la pâte prenne. Sur une surface farinée, roulez la pâte en boule, couvrez d’un tor-chon et placez dans un endroit chaud. Laissez reposer 1h30. Quand la pâte est montée, rapla-tissez-la et laissez monter encore 45 minutes.

La farce :1 kg de filet de saumon sans arê-tes ni peau, en tranches de 2cm • 1 verre de riz blanc cuit dans deux verres de bouillon de pois-son ou poulet • 500 g de pois-son blanc sans arêtes ni peau • 1 oignon jaune et une botte de ci-boulette finement hachés • Sel, poivre • 200 ml de vin blanc sec • ½ citron • 500 ml de jus de cuisson (voir suite) • 4 c. à sou-pe de farine • 50 ml de crème fraîche • 50 g de beurre doux • 150 g de beurre fondu • Persil et aneth frais hachés. Glacis : un œuf, 2 c. à soupe d’huile végétale et 2 c. à soupe d’eau, mélangés. Préparation :Commencez avec le riz puis fai-tes revenir oignon et ciboulette dans 10 g de beurre fondu. Faites fondre 10 g de beurre dans une poêle, faites sauter les filets de poisson blanc 5 min de cha-

que côté. Mettez dans une assiette sur une serviette en papier, laissez refroidir. Augmentez la chaleur sous la poê-le et réchauffez le jus de cuisson. Déglacez avec 75 ml de vin blanc, mélangez, grattez le fond avec une cuiller en bois.Chauffez le reste du vin, le jus de citron et une poignée d’aneth dans la poêle. Placez le saumon dans le vin frémissant, couvrez, et faites po-cher pendant 8 minutes environ. Placez à refroidir dans un plat sur des serviettes en papier, puis écra-sez avec une fourchette.Mélangez, dans la poêle, 2 c. à sou-pe de farine et 20 g de beurre pour faire un roux et chauffez jusqu’à ce que le mélange mousse.Incorporez les jus de cuisson au roux tout en battant. Quand tous le jus (pas plus de 500 ml) a été ab-sorbé, réduisez le feu, touillez pour épaissir et ajoutez la crème fraîche. Mélangez sauce, riz, oignons, aneth, persil, poisson blanc dans un bol.

Assemblage :Faites fondre le reste du beurre dans une casserole. Sur une surface farinée, roulez la moitié de la pâte, en forme ovale oblongue de 50 cm. Étalez la moitié de la farce au riz sur la pâte, en laissant 5 cm de bord et aspergez de beurre. Placez le saumon, puis reposez une couche de riz. Recouvrez de beurre. Avec les mains, modelez la farce en pain oblong. Roulez l’autre moitié de la pâte en ovale et recouvrez le pain. Enlevez les excédents de pâte et décorez-en le dessus du plat. Pincez les bords. Couvrez d’un torchon et laissez re-poser 40 minutes dans un endroit chaud. Pendant que le koulibiac monte, préchauffez le four à 190°. Glacez le koulibiac, percez la pâte sur le dessus. Placez au milieu du four et laissez cuire pendant 45 mi-nutes jusqu’à ce que la croûte soit dorée.

Jennifer Eremeeva SPÉCIALEMENT POUR

LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

D’autres recettes surlarussiedaujourdhui.fr

Le Nouvel An s’est substitué à Noël. Les habitudes furent pros-crites : les bolchéviks ont main-tenu en 1916 l’interdiction du Synode des sapins, introduits par Pierre le Grand au XVIIe siècle. Staline a déclaré que Ded Moroz était un allié du pope et du kou-lak et l’a banni. Mais chassez le père Noël et il revient au galop. En 1935, Pavel Postychev, l’architecte de la col-lectivisation stalinienne, peut-être inquiet de ce qu’il laissait en héritage, a publié une lettre dans la Pravda en demandant que des « sapins de Nouvel An » soient élevés dans les Palais des pionniers et que Ded Moroz et sa petite-fille Snegourotchka soient autorisés à retourner auprès des enfants soviétiques. Ce qui fut fait en 1937. Noël et les autres fêtes orthodoxes ont été restaurés en 1992, mais le ré-veillon a gardé son statut de cé-lébration principale. Les Russes ont recyclé des tra-ditions païennes et chrétiennes pour modeler les coutumes du Nouvel An. Dans la Russie an-

cienne, quand la première étoile apparaissait dans le ciel, rappe-lant celle de Bethleem, les fa-milles se rassemblaient pour rompre un jeûne de 40 jours lors d’une « Sainte Cène » de douze plats, parmi lesquels la koutya. Porridge de grains sucré au miel et aux fruits secs, ce plat sym-bolisait la vie et l’espérance. Aujourd’hui, on le trouve enco-re sur les tables russes, parmi les zakouski. Pendant la période so-viétique, des fruits exotiques rares faisaient leur apparition à cette période...Après le repas, les � dèles de la vielle Russie s’en retournaient à l’église pour une veillée noctur-ne. Aujourd’hui, les Russes se réunissent à table, devant la télé, pour saluer non le Rédempteur de l’Humanité, mais le Président Dmitri Medvedev, qui lèvera sa � ûte de champagne pour sou-haiter à tous santé et bonheur dans l’année à venir. Alors les feux d’arti� ce détonneront dans toute la Russie, et les cloches son-neront, tandis que les Russes se feront trois bises : « Nouvelle année, nouveau bonheur, nou-velle chance ! »

Pourquoi un Noël le 7 janvier ?Le décalage entre les calendriers des Églises orthodoxe et catho-lique existe depuis la réforme du calendrier Julien par le pape Gré-goire XII en 1582. Tout le monde a adopté le « calendrier grégo-rien », qui introduisait les années bissextiles, en calculant précisé-ment la longueur d’une année : 365,2425 jours au lieu de 365,25, une différence de 11 minutes. En fait, 11 minutes, ça ne change pas

grand-chose. Mais pensez-y : en trois siècles, pendant que les or-thodoxes s’accrochaient à leur ca-lendrier datant de Jules César, un écart temporel est apparu. Quand, en 1918, Lénine a déclaré que la Russie devait rejoindre le reste du monde, il y avait 13 jours de diffé-rence, le plus long décalage horai-re de l’histoire. Aujourd’hui, l’Égli-se orientale se dit prête à changer de calendrier... en 2100.

PHOEBE TAPLINLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Dans un bois de conte de fée, au nord de la Russie, les touristes peuvent rendre visite au Ded Moroz, un bonhomme bien réel, à la fois légendaire et kitsch.

Le Père Noël existe, nous l’avons rencontré

Tourisme Visite dans un parc d’attraction sur le thème de « Ded Moroz »

Les autorités locales ont essayé d’exploiter l’histoire, d’abord monastique puis marchande, de la petite ville a� n de donner de la profondeur à l’arrivée récen-te de Ded Moroz. Sa maison, la « Votchina », se trouve à l’écart. Dans la chambre principale, un lit en bois sculpté couvert de satin et des chaussons moelleux ne sont pas convaincants, mais Ded Moroz lui-même, un gaillard de deux mètres, voix tonitruan-te et poignée de main à vous broyer les os, impressionne. Pour préserver le mystère, la vérita-ble identité du géant qui incar-ne Ded Moroz est un secret ja-lousement gardé. La poste du père Noël, à côté de la mairie du village, est l’un des éléments les

Ded Moroz (Père Gel) habite à 1000 km au nord de Moscou, au cœur d’une forêt de pins qui sur-plombe la rivière Soukhona. Il y a douze ans, l’ex-maire de Mos-cou Iouri Loujkov a décrété que la maison officielle du père Noël russe serait le joli village boisé de Veliky Oustioug. Depuis, c’est une source de revenus dans la région : le site attire 200 000 tou-ristes par an et emploie presque tout Veliky Oustioug.

plus actifs de toute l’opération. Depuis 2003, près de deux mil-lions de lettres sont arrivées ici. Au pic de la saison, 40 tempo-raires viennent à la rescousse des onze permanents, pour traiter les montagnes de courrier. Quand c’est dans leurs moyens, les pos-tiers aident les enfants. Ils ont offert une vache à la famille d’un gamin qui en demandait une pour Noël !

Lacs et rivières gèlent à la mi-novembre, marquant le début du festival, inauguré par l’anniver-saire de Ded Moroz, qui entame ensuite une tournée à travers la Russie s’achevant au pied du grand sapin de Moscou. Mais la réussite de Veliky Oustioug, qui justi� e le voyage, c’est que le vil-lage a réussi à capter un certain esprit de Noël, non sans une grande dose de kitsch.

Ded Moroz pose au perron de sa demeure « Votchina ».

C’est quand Noël, en vrai ?

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JENNIFER EREMEEVA

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