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© affaires-strategiques.info 1 DOSSIER 1989-2009 LES MUTATIONS DU MONDE DEPUIS LA CHUTE DU MUR DE BERLIN Sous la direction de Fabio Liberti Chercheur à l’IRIS 6 novembre 2009 1989 : quels bouleversements dans l'ordre international ? Vingt ans après la chute du mur de Berlin, nous commençons à disposer d'un certain recul, essentiel pour l'analyse des événements historiques. La chute du Mur a-t-elle constitué une rupture majeure dans l'ordre international ? Comme l'af- firme Robert Chaouad dans ce dossier, nombre de questions se sont posées à la communauté internationale, ce 9 novembre 1989 : Comment gérer la question allemande ? Que faire de l'OTAN ? Quelles relations avec les anciennes démocraties populaires ? En réalité, ce n'est pas uniquement l'ordre européen qui s'est retrouvé bouleversé par l'évé- nement, mais bien l'ordre mondial. Quels sont donc les points de contacts et de rupture entre le monde de 1989 et celui d'aujourd'hui ? A un monde bipolaire, centré sur l'affrontement entre l'Union soviétique et ses satellites d'une part, et les Etats-Unis et le monde occidental d'autre part, a succédé un monde unipolaire, puis multipolaire pour certains, interpolaire pour d'autres 1 . Unipolaire car les Etats-Unis, seule super ou hyper-puissance 2 - pour reprendre l'heureuse formule d'Hubert Védrine -, ont dicté les règles de l'ordre international depuis 1991 jusqu'à la crise économique et financière de 2008. Multipolaire ou interpolaire car, depuis l'élec- tion de Barack Obama, l'échec patent de la stratégie unilatérale américaine, le gouffre économique et financier révélé par la fail- lite de Lehman Brothers en septembre 2008 et les événements qui lui ont fait suite ont montré la nécessité de revenir aux fon- damentaux de la coopération internationale. Dans un monde ou tout est global, du commerce à la menace, une seule puissance n'est plus suffisante pour gérer les affaires du monde, et le déséquilibre provoqué par la chute du Mur semble se combler petit à petit par d'autres puissances émergentes, tels la Chine, l'Inde, le Brésil, mais également une Union européenne finalement

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    DOSSIER

    1989-2009 LES MUTATIONS DU MONDE

    DEPUIS LA CHUTE DU MUR DE BERLIN

    Sous la direction de Fabio LibertiChercheur lIRIS

    6 novembre 2009

    1989 : quels bouleversements dans l'ordre international ?

    Vingt ans aprs la chute du mur de Berlin, nous commenons disposer d'un certain recul, essentiel pour l'analyse desvnements historiques. La chute du Mur a-t-elle constitu une rupture majeure dans l'ordre international ? Comme l'af-firme Robert Chaouad dans ce dossier, nombre de questions se sont poses la communaut internationale, ce 9novembre 1989 : Comment grer la question allemande ? Que faire de l'OTAN ? Quelles relations avec les anciennesdmocraties populaires ? En ralit, ce n'est pas uniquement l'ordre europen qui s'est retrouv boulevers par l'v-nement, mais bien l'ordre mondial. Quels sont donc les points de contacts et de rupture entre le monde de 1989 et celuid'aujourd'hui ?

    A un monde bipolaire, centr sur l'affrontement entre l'Union sovitique et ses satellites d'une part, et les Etats-Unis et le mondeoccidental d'autre part, a succd un monde unipolaire, puis multipolaire pour certains, interpolaire pour d'autres1. Unipolaire carles Etats-Unis, seule super ou hyper-puissance2 - pour reprendre l'heureuse formule d'Hubert Vdrine -, ont dict les rgles del'ordre international depuis 1991 jusqu' la crise conomique et financire de 2008. Multipolaire ou interpolaire car, depuis l'lec-tion de Barack Obama, l'chec patent de la stratgie unilatrale amricaine, le gouffre conomique et financier rvl par la fail-lite de Lehman Brothers en septembre 2008 et les vnements qui lui ont fait suite ont montr la ncessit de revenir aux fon-damentaux de la coopration internationale. Dans un monde ou tout est global, du commerce la menace, une seule puissancen'est plus suffisante pour grer les affaires du monde, et le dsquilibre provoqu par la chute du Mur semble se combler petit petit par d'autres puissances mergentes, tels la Chine, l'Inde, le Brsil, mais galement une Union europenne finalement

  • dote d'un cadre institutionnel rnov suite l'adoption du Trait de Lisbonne, et une Russie qui montre ses griffes nouveau et qui secherche un statut de puissance.

    Comment les relations internationales ont-elles chang depuis ce 9 novembre 1989 ? Comment les diffrents ples de puissance mon-diale ont-ils volu durant les vingt dernires annes ? Et dans quelle mesure ces changements sont-ils dus la nouvelle ralit inter-nationale dvoile au monde entier ce jour de novembre 1989 ?

    Ce dossier cherche apporter des lments de rponse ces interrogations. Robert Chaouad, charg de recherche au Laboratoired'tudes politiques et d'analyses cartographiques (LEPAC) et chercheur associ l'IRIS, fait un point sur les volutions europennesau cours de la priode 1989-2009. Arnaud Dubien, directeur de recherche Russie/CEI l'IRIS, nous parle de la volont de puissancede la Russie vingt ans aprs, ainsi que des forces et faiblesses de ce pays. Arnaud Kurze, du Center for Global Studies de la GeorgeMason University, nous claire sur les relations euro-amricaines de ces vingt dernires annes. Quant Olivier Guillard, directeur derecherche Asie l'IRIS, il voque le rle nouveau de la Chine sur la scne internationale. Enfin, Andre Gratchev, ancien porte-parolede Mikhal Gorbatchev, nous explique, dans un entretien vido, la place de la Russie dans ce monde en transition n de la chute du murde Berlin.

    (1) Voir sur ce sujet Giovanni Grevi, " The Interpolar World, a new scenario ", Occasional Paper, n79, juin 2009, Institut d'tudes de scurit de l'UE. (2) Hubert Vdrine, Face l'hyper-puissance, septembre 2003, Editions Fayard.

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  • L'Europe aprs la chute du Mur : l'incertitude pour boussole

    Robert CHAOUADCharg de recherche,

    Laboratoire d'tudes politiques et d'analyses cartographiques (LEPAC)Chercheur associ lIRIS

    Lorsque l'vnement s'est produit, personne ne l'avait vu venir. Certes, depuis quelques mois dj, des signes pouvaient don-ner penser que nous traversions une priode de mutations de grande ampleur. En effet, l't 1989, l'ouverture de la fron-tire entre la Hongrie et l'Autriche s'tait traduite par l'afflux de milliers d'Allemands de l'Est, qui profitaient de l'occasion pourrejoindre l'Ouest ; depuis le mois d'aot, la Pologne s'tait dote d'un gouvernement non communiste, une premire ; depuisseptembre, tous les lundis, des manifestants est-allemands se runissaient Leipzig ; enfin, depuis le 23 octobre, laRpublique de Hongrie avait abandonn dans sa Constitution la rfrence au socialisme.

    Surtout, au moment o le mur de Berlin s'ouvre physiquement, partir du 9 novembre 1989, personne n'est en mesure de saisir lesenjeux court et moyen termes de ce qui se produit alors. Le rgime est-allemand allait-il s'effondrer dans la foule ou perdurer mal-gr la disparition du symbole ? Les brches dans le Rideau de fer constates depuis des mois, voire des annes, allaient-elles tregres dans le maintien du systme des blocs ou s'ouvrir davantage et mettre un terme la division europenne ? S'agissant de l'URSS,comment savoir, ce moment-l, quelle volution prendrait le rgime ?

    Lorsque l'URSS s'effondre, en dcembre 1991, la guerre froide est alors dfinitivement termine, " fin du monde bipolaire entre dansun monde global "1. Il aura fallu attendre deux annes de plus cependant. Deux annes au cours desquelles l'ensemble de l'espaceeuropen aura vu resurgir des phnomnes et des problmatiques gels par la Guerre froide ; deux annes, en somme, au cours des-quelles de vieilles questions europennes se reposent nouveau, mettant mal l'architecture politique, scuritaire et institutionnellecre en Europe de l'Ouest durant la Guerre froide. Comment grer la question allemande ? Que faire de l'OTAN ? Quelles relationsavec les anciennes dmocraties populaires ?

    Dans l'urgence et l'incertitude d'un monde finissant, les vnements europens qui suivent la chute du Mur, ainsi que les dcisions poli-tiques prises au cours de cette priode pour y rpondre vont profondment faonner et structurer l'Europe alors venir. Sans vritablerepre pour s'orienter dans la confusion politique qui rgne ce moment-l, l'euphorie europenne de la chute du Mur laisse trs rapi-dement place un continent rattrap par ces vieux rflexes. Le continent europen se trouve alors travaill par un double mouvementhistorique : celui de la division, caractris notamment par le retour de la guerre et l'apparition de nouveaux tats et, dans le mmetemps, celui de la raffirmation, via l'Union europenne, du processus d'unification de l'Europe.

    Dcennie 1990 : l'Europe, " un continent fissile "2

    Il n'aura fallu que quelques mois aprs la chute du mur de Berlin pour que le continent europen connaisse nouveau les affres de laguerre et des aspirations l'indpendance nationale. A l'exception de la runification allemande, le 3 octobre 1990, on assiste, au coursdes premires annes de la dcennie 1990, l'clatement de certains tats et donc, en retour, la cration de nouveaux tats.Quasiment la mme priode, l'URSS et la Yougoslavie voient leur unit remise en question. Ds juin 1991, la Slovnie et la Croatiedclarent leur indpendance. Quelques semaines plus tard, un conflit clate entre la Croatie et l'arme yougoslave, marquant le retourde la guerre sur le continent europen. Les conflits en Bosnie-Herzgovine puis au Kosovo, en 1999, conduiront au dmantlement dela Yougoslavie et l'apparition de nouveaux tats indpendants dans les Balkans (Slovnie, Croatie, Bosnie-Herzgovine, Serbie,Montngro et Macdoine). En URSS, la reconnaissance de l'indpendance des Pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), le 6 septem-bre 1991, prcipite l'clatement de l'empire et accrot la liste des nouveaux tats europens. Enfin, la partition pacifique de laTchcoslovaquie en deux tats au 1er janvier 1993 renforce le mouvement de division tatique de l'Europe, quelques annes seulementaprs la chute du mur de Berlin.

    Alors que la fin du Rideau de fer laissait augurer une nouvelle re d'unification du continent europen, on assiste, au contraire, au dbutdes annes 1990, un mouvement de dislocation de certains tats d'Europe de l'Est qui dstabilise le continent. Sur le plan historique,la disparition de trois tats (l'URSS, la Yougoslavie et la Tchcoslovaquie) n'est pas anodine. Produit de la Premire Guerre mondiale,ces trois tats ont t crs aprs 1918. Pour l'Europe, leur clatement vient clore, d'une certaine manire, le court XXe sicle analyspar l'historien ric J. Hobsbawm.

    Paradoxalement, au moment mme o le continent est nouveau travers par des conflits et voit de nouveaux tats se crer, le pro-cessus d'intgration europenne initi en 1957 en Europe de l'Ouest avec la Communaut conomique europenne (CEE) connat, lui,une relance de grande ampleur. A cet gard, nombre des nouveaux tats europens crs au cours des annes 1990 manifesterontleur volont de rejoindre le projet d'intgration communautaire.

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  • Le salut par l'Union europenne ?

    L'intgration communautaire allait-elle rsister la disparition des conditions historiques et politiques de sa cration ? La rponse cettequestion ne tarde gure. A peine le Mur tomb, la runification allemande opre et l'URSS disparue, la CEE se trouve sur le point dese transformer en Union europenne3 et les anciennes dmocraties populaires rclament de rejoindre le processus d'intgration com-munautaire.

    Ainsi, pour le processus de construction europenne, l'aprs-Guerre froide sera plac sous le signe d'une ambition raffirme, avec leprojet d'Union conomique et montaire et l'intgration de nouveaux tats membres. L'UE va donc trs rapidement s'atteler la tche,sur fond de rformes institutionnelles permanentes qui se concrtiseront par l'adoption des traits d'Amsterdam, en 1997, puis de Nice,en 2001. Le dernier avatar de ce processus de ngociations institutionnelles a pris la forme du trait de Lisbonne, sign en dcembre2007 en remplacement du trait constitutionnel europen4, et dont l'entre en vigueur devrait intervenir au 1er dcembre 2009. Enmatire conomique et montaire, c'est marche force et grands coups de critres de convergence que la mise en place de la mon-naie unique devient effective pour les citoyens europens au 1er janvier 2002. L'adoption de la devise europenne par onze tats mem-bres en 1999 (seize tats aujourd'hui) apparat comme le dernier grand chantier abouti en matire d'approfondissement de l'Union euro-penne. En effet, ni la politique trangre et de scurit commune (PESC), cre par le trait de Maastricht, ni les rformes institution-nelles n'ont connu le mme succs. Ainsi, dfaut de nouvelles russites en matire d'approfondissement, c'est du ct du processusd'largissement qu'il a fallu chercher les derniers vritables succs de l'intgration europenne.

    L'largissement de l'UE et les adhsions l'OTAN en guise de runification du continent

    Si l'adhsion de l'Autriche, de la Finlande et de la Sude en 1995 se ralise assez rapidement, portant quinze le nombre d'tats mem-bres de l'UE, en revanche, pour les anciens pays du bloc communiste, le chemin sera plus long. La transition vers le modle de dmo-cratie librale conomie de march peine entame, les pays d'Europe centrale et orientale (PECO) aspirent dj, en effet, rejoin-dre l'UE, et ce au nom de la runification du continent europen. Malgr des tergiversations quant au rythme auquel devrait se raliserce que les Europens de l'Ouest nomment largissement, le principe est nanmoins adopt. Il faudra attendre presque une dcenniepour voir l'UE s'largir dix nouveaux tats. Ainsi, le 1er mai 2004, en intgrant Chypre, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie,Malte, la Pologne la Rpublique tchque, la Slovaquie et la Slovnie, l'UE connat l'largissement le plus important de son histoire. Deuxans plus tard, lorsque la Bulgarie et la Roumanie intgrent leur tour l'Union, portant vingt-sept le nombre d'tats membres, la runi-fication politique du continent a enfin lieu.

    Il aura donc fallu dix-huit ans aprs la chute du mur de Berlin pour que cette runification devienne ralit. Entre temps, les anciennesdmocraties populaires auront d adopter le modle juridique, politique et conomique port par l'UE et dvelopp en Europe de l'Ouestau cours de la Guerre froide. Malgr les critiques stigmatisant la mauvaise prparation de ces grands largissements et le fait que l'UEn'tait pas prte pour un tel changement d'chelle, en dpit des discours accusant l'largissement de tous les maux dont souffriraitaujourd'hui l'Union, il n'en demeure pas moins que ce vaste mouvement d'extension de l'Union apparat comme une russite historiquemajeure pour l'UE. Si certains gouvernements europens ne le voient pas de cet il, en revanche, cette russite n'aura pas chapp nombre d'tats, dont la candidature vient gonfler la liste dj longue des postulants l'UE5.

    A cet gard, l'UE n'est pas la seule organisation avoir jou un rle d'attraction sur les pays d'Europe centrale et orientale. En effet, surle plan scuritaire, c'est vers l'OTAN que les anciennes dmocraties populaires avaient le regard tourn. Paralllement au processusd'largissement de l'UE, ces pays ont galement conduit des ngociations avec l'organisation atlantique afin de pouvoir bnficier dubouclier tats-unien. Les premires adhsions l'OTAN interviennent ainsi ds 1999, avec l'intgration de la Hongrie, la Pologne et laRpublique tchque. Puis en 2004, c'est au tour de la Bulgarie, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovnied'intgrer l'organisation, l'Albanie et la Croatie les rejoignant en 2009.

    L'empressement des pays d'Europe centrale et orientale au cours des annes 1990 rejoindre simultanment l'Union europenne etl'Alliance atlantique en pensant rejoindre, finalement, un mme ensemble n'a certainement pas particip la clarification du projet euro-pen. Et si ce dernier connat, depuis le dbut des annes 2000, des soucis pour s'affirmer et trouver sa place sur la scne internatio-nale, les difficults rformer les institutions europennes apparaissent peut-tre davantage comme un symptme que comme unecause de la crise de sens que traverse l'UE.

    L'Union europenne vingt ans aprs : la crise de sens

    En vingt ans, sous l'influence du modle politique, conomique et juridique vhicul par l'Union europenne, le continent europen aconnu de profondes transformations. Les normes promues par l'UE se sont en effet tendues de nombreux tats europens et s'ap-pliquent, aujourd'hui, prs de 500 millions de personnes. A cet gard, l'unification du continent, sans se traduire par l'apparition d'unsujet politique de type fdral ou autre, a largement progress. Certes, ces volutions ne sauraient masquer les profondes disparits,notamment conomiques et sociales, qui continuent fracturer le continent. Nanmoins, plus encore peut-tre que ces facteurs, c'estla nature mme du projet europen qui semble aujourd'hui diviser les Europens. Le rejet du trait constitutionnel europen en 2005,les tergiversations sur le trait de Lisbonne, l'usage dcomplex de rflexes nationaux face aux problmes, ainsi que la prfrence pourles pratiques intergouvernementales sur de nombreuses questions rvlent les limites actuelles de la dynamique europenne. Un tatque ne saurait altrer la cration imminente des postes de prsident permanent du Conseil europen et de Haut reprsentant de l'Unionpour les affaires trangres et la politique de scurit.

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  • Souvent, dans les interprtations qui ont t donnes de la chute du mur de Berlin, cet vnement apparat, pour l'Europe, comme lepoint de dpart d'une nouvelle phase de l'unification du continent. Dans ce discours, la runification du continent europen a pour corol-laire son accession un statut d'acteur influent des relations internationales ; l'unification du continent comme une manire, en somme,de recouvrer un rle historique dans la marche du monde. Pourtant, au vu de l'volution de la scne politique et stratgique mondiale,au vu de la ralit des rapports de force qui s'y sont peu peu dploys depuis vingt ans, n'est-on pas en droit de se demander si, fina-lement, la chute du mur de Berlin n'aura pas signifi, pour l'Europe, la fin d'un long cycle historique : celui dans lequel elle constituaitencore un espace de centralit pour la gestion des affaires internationales ? A l'chelle des grands enjeux mondiaux, en tombant, le murde Berlin n'aura-t-il pas prcipit simplement la marginalisation dfinitive du Vieux Continent ? En cessant d'apparatre comme unespace stratgique central dans les affaires du monde, comme elle l'a t au cours de la Guerre froide, l'Europe aurait-elle galementcompromis, malgr elle, ses possibilits d'en tre un acteur stratgique ?

    Entre 1989 et 2009, malgr la stabilisation politique du continent et son intgration conomique toujours plus troite, les incertitudes dela fin de la Guerre froide ont laiss la place aux incertitudes d'un monde globalis. Monde l'intrieur duquel l'Union europenne sem-ble aujourd'hui peiner trouver un nouveau souffle et une nouvelle ambition.

    (1) Entretien d'Hubert Vdrine, " Chronique d'un effondrement annonc ", Hors srie, Tlrama Horizons, " Le mur de Berlin. 20 ans aprs ", n 1, sep-tembre 2009.(2) Nous empruntons cette expression l'historien Tony Judt, Aprs-guerre. Une histoire de l'Europe depuis 1945, chapitre XX, Paris, Armand Colin,2007, p. 743.(3) Le trait sur l'Union europenne, trait dit de Maastricht, est sign le 7 fvrier 1992 ; il entre en vigueur le 1er novembre 1993.(4) Le trait de Lisbonne reprend dans une large mesure les dispositions du trait tablissant une constitution pour l'Europe sign en octobre 2004 etrejet par rfrendum par la France et les Pays-Bas au printemps 2005.(5) De la Turquie la Croatie, de l'Islande la Macdoine, etc., les candidats l'UE ne manquent pas.

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  • La Russie, une puissance retrouve ?

    Entretien avec Arnaud Dubien Directeur de recherche Russie/CEI, IRIS

    La chute du mur de Berlin a-t-elle prcipit l'effondrement de l'URSS ?

    Indirectement, oui. La chute du Mur - qui intervient quelques mois aprs le lancement de la table ronde polonaise qui ouvre la voie aumultipartisme Varsovie - signe l'arrt de mort de ce que l'on appelle alors le " bloc de l'Est ". Le CAEM (Conseil d'Aide EconomiqueMutuelle) et le Pacte de Varsovie existeront formellement encore quelques mois, mais c'est l'ensemble de la zone qui sort brusquementdu communisme. Mikhal Gorbatchev, qui cumule les fonctions de prsident de l'URSS et de secrtaire gnral du PCUS, espre encorepouvoir sauver l'Union sovitique en la transformant. Mais les tendances centrifuges sont dj l'uvre, dans les rpubliques baltes,en Gorgie, en Ukraine, tandis que le premier conflit arm clate au Karabakh. Un peu plus de deux ans aprs la chute du mur de Berlin,le drapeau russe remplace le drapeau rouge au Kremlin.

    Comment ont volu les relations entre la Russie et les anciens pays du bloc communiste ?

    Au cours des annes 1990, Moscou - trs affaibli - assiste impuissant au rapprochement entre ses anciens vassaux et les occidentaux,un processus qui s'achve au dbut des annes 2000 avec l'entre de la plupart des ces pays dans l'UE et dans l'OTAN. On observeds lors une diffrenciation dans les approches russes de la zone. Les relations sont tendues avec la Pologne, les Etats baltes et laRpublique tchques, pays aligns sur la stratgie de l'Amrique de Bush. Mais dans le mme temps, des relations plus pragmatiquess'instaurent avec la Hongrie - malgr le souvenir de 1956 - ou bien encore la Slovaquie, qui sont sensibles la ncessit de renouerdes collaborations conomiques avec la Russie. L'entre de la Bulgarie dans l'UE et l'OTAN a galement constitu un atout majeur pourMoscou, qui y dispose d'un important capital de sympathie depuis les guerres de libration contre les Ottomans dans les annes 1870.Quant l'Allemagne runifie - grce, on ne le souligne jamais assez, Mikhal Gorbatchev - elle est le principal partenaire commer-cial mais aussi l'alli central de Moscou en Europe. Notons pour la petite histoire que Vladimir Poutine, qui a trs mal vcu le " lchage" de la RDA o il tait en poste pour le KGB la fin des annes 1980, a recas plusieurs de ses anciens collgues de la Stasi, notam-ment chez Gazprom.

    On voque souvent un " retour " de la Russie sur la scne internationale. Qu'en est-il ?

    Si l'on prend pour point de rfrence 1999, le contraste est en effet saisissant. On se souvient que la Russie est alors terre, une impuis-sance que symbolise mieux que tout l'intervention de l'OTAN au Kossovo. Zbigniew Brzezinski parle alors de " Trou noir " eurasien, tan-dis qu'un autre ancien haut responsable amricain, Thomas Graham, invite penser " un monde sans Russie ". Aujourd'hui, la Russieest de nouveau perue comme un acteur qui compte, une puissance en voie de reconstitution aprs une clipse d'une dizaine d'annes.De ce point de vue, la " guerre des cinq jours " contre la Gorgie marque une relle rupture. Le message - adress en ralit avant tout Washington - est que Moscou ne recule plus et refuse dsormais d'tre considr comme quantit ngligeable, surtout lorsqu'il s'agitde zones sensibles situes ses frontires.

    Pour autant, il convient de ne pas surestimer le " retour " de la Russie. Cette dernire, la diffrence de l'URSS, est relativement esseu-le sur la scne internationale. La crise conomique a mis en vidence sa grande vulnrabilit aux facteurs exognes et l'impasse dumodle de dveloppement fond sur les matires premires. Plus fondamentalement, elle risque d'tre confronte un dilemme majeur, savoir : comment rester - ou prtendre rester - une grande puissance, un ple d'influence autonome, lorsque l'on ne pse qu'environ2% de la richesse mondiale et que la population chute rapidement ? A moyen terme, il est probable que la Russie et l'Europe doiventoprer un vritable rapprochement stratgique pour compter face la Chine, aux Etats-Unis ou l'Inde.

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  • US-European Relations: Goals, Expectations and Challenges

    Twenty Years After the Fall of the Berlin Wall

    Arnaud KurzeCenter for Global Studies, George Mason University

    To remember the fall of the Berlin Wall, a symbol of the Cold War that has separated East Germans from their Western fellowcitizens for almost three decades, former German Chancellor Helmut Kohl, former US President George Bush, and thenGeneral Secretary of the Communist Party of the Soviet Union, Mikhail Gorbachev, met for festivities in Berlin, SaturdayOctober 31st, 2009. It was almost as if they were trying to catch up with their past glory, paying tribute to civil society, whichwas pivotal in bringing about peaceful change in 1989. Two decades later, however, with the fall of the iron curtain, the USforeign policy has shifted its center of gravity. In the minds of many Europeans-including several Southeast European coun-tries such as Kosovo-the US is nevertheless still associated with a rescue figure. This 20-year anniversary thus acts as aLitmus test for the goals, expectations, challenges and opportunities of the US-European relations, particularly with respect tothe new EU members and those aspiring to join the Union.

    The current geopolitical changes in world politics occurred already before the turn of the century, throughout the 1990s. Instead of fol-lowing the linear equation projected in Francis Fukuyama's The End of History, international relations have become a globalized andinteractive open space in which cultures, trade and peoples have formed multiple points of friction and conversion1. The many low-inten-sity regional conflicts act as a case in point and in recent years we have observed how politics has become preoccupied with the ideaof governing (in)security, including pandemics, natural disasters, nuclear threats and terrorism. Even though US foreign politics has shif-ted its attention away from the former Soviet Union to the Middle East and Asia, the old continent has not lost sight of the new world.On the contrary, governments in Europe have joined the US administration's endeavour to fight increasingly intangible risks. Therefore,the former bond remains, though US responsibilities and the willingness to commit in Europe's backyard have ebbed.

    During his electoral campaign before becoming the 44th President of the United States of America, Barack Obama gave a speech in July2008 at the Victory Column in Berlin-a highly controversial landmark as it symbolizes Prussia's consecutive victories over its neighbors(such as Denmark, Austria and France) in the second half of the 19th century. With the traditional venue of the Brandenburg gate reser-ved for current statesmen only, Mr. Obama was nonetheless received like a rock star and did not miss the opportunity to emphasize thatthings had changed. The show was soon reported in the press as featuring Europeans looking up to the then-presidential candidate asa savior - not only for Europe with its sociopolitical problems and the looming economic crisis, but also for the world at large. Thoughweighing his words carefully and skillfully engaging in a diplomatic waltz, Mr. Obama underlined the need for a joint effort to cope withglobal issues in order to "build on our common history, and seize our common destiny, and once again engage in that noble struggle tobring justice and peace to our world." This was a sign that despite his readiness to engage in constructive talks, once in office he wouldpursue a pragmatic and realistic foreign policy agenda.

    Southeast Europe's attitude is very telling in this regard, as American Vice-President Joe Biden's visit showed in early May this year. Histrip was received with much anticipation and high hopes, as it was seen as a proof of the current administration's eagerness to take amore active role in the Balkans in order to strengthen the region's fragile stability. According to Serbian sources, he was the most seniorUS official to visit the country in nearly thirty years, after President Jimmy Carter visited the then Yugoslavia in June 1980. As a conse-quence, this visit was not only an opportunity to smoothen US-Serbian relations, which had been marked by mutual suspicions, but alsoto show support for Kosovo's new and disputed statehood while hoping to generate a constructive dialogue and cooperation to solve thelingering issues. In spite of engagement promises that struck a chord in the ears of European lawmakers, needless to say that US foreignpolicy in the region will remain an ad hoc enterprise and the EU will have to do its share to fuel stability, prosperity and peace.

    Looking at the symbolic moment of the end of the Cold War without addressing American-Russian relations is like discussing the theoryof relativity without referring to Albert Einstein. After almost a decade of strained relations under the Bush administrations and with theUS plans to build an anti-ballistic missile defense system in Poland, US President Barack Obama and Russian President DmitriMedvedev expressed their desire for a dtente in their lukewarm relations in a joint statement on the occasion of the 2009 G20 Summitin London in which they promised a "fresh start". It goes without saying that economic interest on both sides-or rather constraints in timesof crisis-contributed to this policy change. On the one hand, a situation with exorbitant oil prices that flushed petrodollars into the emptypockets of the Russian state between late 2007 and early 2009 and that paralleled with a rising Russian voice on the world scene hasvanished. On the other hand, US military operations in Iraq and Afghanistan have put a damper on further costly experiments promotedby the US military industry and lobbies. After this exchange of nice words, though, deeds will have to follow so as to consolidate the rein-vigorated willingness to cooperate.

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  • Paradoxically, November 9th, 1989, is also a watershed illustrating the fundamental differences between US and German societies. Theend of stability and predictability faced by Germany filled West Germans with anxiety and skepticism. Americans, on the contrary, seehistory differently. Moments of change might be associated with hardship; however they are not seen as a crisis to be feared but as anopportunity. The worst economic crisis since World War II, that hit the US in 2007-and which finally shows slow signs of recovery-is agood example of that. Yes, ordinary Americans had and still have to pay their toll, but while some voices rose to demand increasedgovernment intervention as an all-encompassing state solution, society is not waiting for Keynesian miracles but seeks innovative alter-natives and ways to cope with the economic issues.

    The paradigm shift that has taken place in the past two decades is ineluctably visible in the media as well. While major US media out-lets have reduced their reporting of the preparations of the commemorations of the fall of the Berlin Wall to travel pages and blogs, therecent reunion of former Heads of States barely kept readers' attention for a few hours on the 24/7 evolving online sites geared by conti-nuous news feeds. The fundamental discussions on the significance of the topic were thus left to university campuses that can afford tofund research centers on European studies such as Harvard. Notwithstanding, the US government has issued a publication "The BerlinWall-Twenty Years After" that not only highlights the significance of this event but also compiles political, historical and social commen-taries which provide useful information on the context and conditions of the 1989 events. This effort also reminds us of the fact that whilemany things have changed for the better in East Germany and many of the former Soviet satellite states, several countries still strugglewith their post-socialist legacies and seem to be caught in an endless transition. And for other less fortunate societies such as NorthKorea that still bear the yoke of an authoritarian rule, the commemorations should serve as an impetus to peacefully tear down the lastfew remaining iron curtains that protect bastions of oppression.

    (1) See for instance Appadurai (1996) for a broader discussion on the impact of globalization on societies.

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  • 1989-2009 La Rpublique Populaire de Chine,

    du ban des nations la conscration olympique : le vritable " Grand Bond en avant "

    Olivier Guillard Directeur de recherche Asie, IRIS

    Associ, Crisis Consulting

    Le plus "sino-sceptique" de nos contemporains en conviendra lui-mme : ces deux dernires dcennies, s'il est un acteur ta-tique avoir dvor l'espace-temps sans retenue en dmultipliant sur un rythme frntique ses capacits (humaines, indus-trielles, techniques, conomiques et financires) - ft-ce au prix de quelques hypothques risques sur l'avenir (cf. environ-nement) -, il s'agit sans l'ombre d'un doute du gant chinois. La Rpublique Populaire de Chine, rve concrtis du camaradeMao, clbre en cet automne 2009 le 60e anniversaire de sa fondation ; des festivits qui, nonobstant les consquences col-latrales de la crise financire sur son conomie, se veulent au diapason de l'accomplissement enregistr depuis vingt ans.

    Une vingtaine d'annes plus tt, l'automne 1989, alors que 8 000 km l'ouest de Pkin le mur de Berlin s'effritait pour enfin se dli-ter, l'humeur des autorits chinoises n'tait gure la clbration. Le quarantenaire de la fondation de la Rpublique Populaire ne donnapas lieu la mme exubrance de dfils, de couleurs et de ballons. On le comprendrait tout le moins : un semestre plus tt, l'cra-sement du " printemps de Pkin " sur la place Tiananmen plaait " l'ex-empire du Milieu " dans une configuration domestique et inter-nationale bien diffrente. Pour Pkin, le temps de l'opprobre, de la marginalisation internationale et de la critique s'annonait. Siaujourd'hui se prolongent encore certains effets de cette priode dlicate, si demeurent des courants (domestiques, extrieurs) uvrantau profit d'une libralisation politique tardant venir, les autorits pkinoises ont appris " grer ", s'accommoder de ces " contingen-ces ".

    1989, anne des paradoxes et des extrmes en Chine : de Tiananmen Shenzhen

    Lorsque la dtermination du rgime communiste ne pas souffrir la moindre manifestation de dfiance, ne pas laisser le plus petitespace d'espoir aux partisans d'une dmocratisation du rgime, fut lance un jour de mai 1989 la face du peuple chinois et de la com-munaut internationale, le coup fut rude (pour les centaines de victimes de Tiananmen en premier lieu). Rude, mais pes par le leader-ship autoritaire ; la condamnation internationale et la mise au ban des nations, consquence invitable de cette rpression muscle,devait tre assume. Elle le fut - sa manire - d'autant plus que l'on anticipait dans les couloirs du pouvoir de Pkin, dans les repr-sentations diplomatiques chinoises (en Occident notamment) galement, que cette mise l'cart serait temporaire, tout particulirementdans les changes commerciaux, et ne saurait durer au-del de " quelques annes ". Et tant pis si l'opinion publique internationale,dj assez rserve vis--vis de cette grande inconnue qu'est la Chine, restait pour un temps plus long rtive son endroit. Il est int-ressant de noter que vingt annes plus tard, l'image de la Chine ne s'est que trs peu amliore aux yeux du citoyen occidental ; quandelle ne s'est tout simplement pas dtriore

    La mondialisation intgrant aux tournants des annes 1980 le partenaire chinois dans ses (trs pragmatiques) logiques commerciales,on notera que 1989 marque, des annes-lumires des rflexes autoritaires sino-centrs mis en lumire sur la place Tiananmen, lamise en place parallle d'instruments vocation financire interne et internationale : l'ouverture des bourses de Shanghai et deShenzhen, la fois paradoxe et pied de nez.

    Ces irritants de toujours : de Lhassa Taipei

    Si 1992 voit Pkin renouer ses relations diplomatiques avec Moscou, et 1997 voit Hong-Kong revenir (pacifiquement) dans le giron dela Rpublique Populaire, suivi de Macao deux ans plus tard, les annes et dcennies passant n'ont pas russi aplanir l'ensemble desdossiers - domestiques ou rgionaux - irritant les susceptibles autorits de Pkin. Les rapports avec " l'autre " puissance d'Asie orien-tale, le fier archipel nippon, fluctuent entre 1989 et 2009 au gr des humeurs des gouvernements respectifs, alternant les priodes detension (cf. meutes anti-japonaises en avril 2005) et de dtente (observes depuis la fin 2008 notamment). A noter que l'intgration desdeux conomies voisines (236 milliards d'changes commerciaux bilatraux en 2007) va en se renforant, faisant fi des alas diploma-tiques. Le cours des choses semble galement prendre une matrice constructive avec la Core du Sud depuis le rtablissement desrelations diplomatiques (1992). Avec l'Inde, cet autre acteur mergent, la trame s'avre plus complexe. Si le dveloppement des chan-ges traduit un " certain " rapprochement depuis 1989, la confiance fait encore largement dfaut entre ces deux poids lourds de l'Asiemergente. Le " legs " d'un diffrend territorial non rsolu (Arunachal Pradesh, 1962) tout autant que la volont de Pkin de conser-ver son ascendance sur New Delhi, aspirante un rle nouveau en Asie et au-del, contrarient tout lan trop gnreux vers la sym-biose.

    Mais c'est au plan intrieur que le rgime rserve son plus grand courroux : Tawan, " l'le rebelle ", le Tibet et ses aspirations oscillant

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  • entre plus d' autonomie et d'indpendance, les souhaits similaires des musulmans ougours du Xinjiang, les courants pro-dmocratie etles structures aux agendas droits-de-l'hommistes, concentrent l'ire de Pkin, toujours capable, ces vingt dernires annes, de se lais-ser emporter sans retenue sur ces diffrents thmes, quoi qu'il en cote en terme de rputation extrieure. Peu importent, en effet, lesdommages collatraux sur l'image de la Chine : des deux crises sino-taiwanaises (1995-2001) - lors desquelles la soldatesque chinoises'agita plus que de mesure - aux incidents observs au Xinjiang en juillet 2009 (200 victimes), en passant par la gestion (trs) discuta-ble des meutes secouant Lhassa au printemps 2008, quelques mois des Jeux Olympiques de Pkin, la ligne directrice de la politi-que chinoise sur ces irritants demeure aise lire dfaut d'apparatre modre.

    Cette Chine que l'on courtise

    Le gouvernement chinois l'avait justement anticip : la marginalisation d'un acteur de plus en plus intgr aux grands enjeux contem-porains, capable de se muer en une poigne de dcennies en une formidable machine de guerre conomique et commerciale chan-geant avec le monde entier, ne saurait durer ternellement. La baisse de rgime du Japon durant la dcennie 1990, l'entre de la Chinedans l'OMC en 2001, les prouesses vertigineuses de sa croissance conomique, les besoins de consommer toujours plus pour toujoursmoins cher, renforcent la Chine dans son destin et ses aspirations se hisser au niveau des principaux acteurs de son temps. Quelleautre nation est du reste capable, ainsi que le fit la Chine avec force dcorum, de recevoir 48 chefs d'Etat et de gouvernements afri-cains dans sa capitale (cf. Sommet Chine-Afrique de novembre 2006) et de promettre, sans conditionnalit ou presque, des milliards dedollars d'aide et de crdits ? Dans le mme temps, cet acteur aux coffres remplis de devises1, capable de vendre au monde entier2mais galement de beaucoup lui acheter3, est devenu un march que plus aucune grande marque trangre - surtout pas occidentaleset de luxe - ne peut se permettre d'ignorer, un relais de croissance sans pareil, fi ou presque des rticences diplomatiques et des tatsd'me politiques, serait-on tent de rsumer.

    Cette Rpublique Populaire que l'on redoute

    Mais cet acteur est capable dans le mme temps d'attirer - dans une certaine mesure d'envoter - et de susciter rserve, circonspec-tion et crainte. Au-del du credo du " dveloppement pacifique et harmonieux " promu depuis le tournant du sicle par les dirigeants dePkin, ces pragmatiques responsables communistes la tte de la 3e conomie mondiale qui copent l'abyssal dficit public de la lib-rale Amrique en achetant des montagnes de bons du Trsor amricain ne sont pas encore parvenus lisser les contours incertainsentourant les desseins stratgiques moyen-long terme de l'ex-Empire du Milieu. Mais que recherche vraiment, qu'ambitionne terme,en Asie et au-del, cet atypique colosse asiatique, la fois 1er partenaire commercial des Etats-Unis et de la Core du Nord, et par-tenaire conomique et/ou parapluie diplomatique de divers rgimes pour le moins contests (junte militaire birmane, Soudan duPrsident Omar El-Bechir) ? Quel message veut donc faire passer Pkin au reste du monde lorsque, en janvier 2007, un de ses missi-les balistiques abat un satellite chinois de communication (obsolte) ? Qu'est-ce qui justifie que son budget de la dfense connaissedepuis deux dcennies une augmentation annuelle de prs de 20 % ?

    Pkin, cette Chine grande incomprise ?

    A ces multiples - et on en passe - interrogations, la Rpublique Populaire rpond gnralement de faon vasive, consciente de sesforces, arme de ses convictions, sre de ses choix. Pkin se hrisse sur le cas tibtain et malmne le Dala Lama, au point de le com-parer un vil terroriste. Occident en tte, le monde ragit et laisse entendre son dplaisir, les opinions publiques surtout. Qu' cela netienne, c'est l'Occident qui n'y voit pas clair et se trouve dans le dni. En 1999, en plein conflit dans les Balkans, un bombardement "malheureux " touche l'ambassade de Chine Belgrade. Pkin n'y voit autre chose qu'un complot volontaire. Six ans plus tard (mars2005), Pkin adopte un loi anti-scession plaant de jure Tawan sous l'pe de Damocls d'une intervention militaire au cas o ses diri-geants formaliseraient leurs vellits indpendantistes. Les opinions trangres dnoncent la lgislation mais, pour Pkin, ce sontencore ces dernires qui ne comprennent pas que l'unit de la Rpublique Populaire est gravement menace par les tentations ind-pendantistes de quelques (millions tout de mme) insulaires de l'autre ct du dtroit de Formose. Lors de certaines haltes occiden-tales (Paris, Londres, San Francisco), le relais olympique chinois adopte au printemps 2008 une trame plus proche du parcours du com-battant qu'autre chose, laissant la part belle l'expression de sentiments pro-tibtains. Ce crime de lse-majest relve de la respon-sabilit des autorits nationales, coupables de complaisance, en croire l'irascible Pkin. La Chine et ses innombrables particularismesserait-elle la grande incomprise de son poque ? De Pkin Shanghai, c'est un discours que l'on tient volontiers.

    La " russite " chinoise : une modlisation souhaitable ?

    Quel chemin parcouru - en termes de dveloppement conomique et commercial - en l'espace d'une gnration d'hommes dans cettevaste Chine ! Certes, la Rpublique Populaire compte encore plusieurs centaines de millions de concitoyens au sort prcaire et auxconditions de vie (dans les provinces du centre et de l'ouest notamment) bien loin du lustre de Shanghai, de Hong-Kong ou de Canton(Guangzhou). D'une manire gnrale, on ne saurait non plus, en se promenant travers le territoire, confondre le Fujian et la Californie,prendre le Yunnan pour la Bavire Toutefois, pour tant de nations du sud n'ayant pas eu, lors des vingt dernires annes, le privilgede connatre pareille volution vers le dveloppement et d'entrer par la grande porte dans le XXIe sicle, comment ne pas regarder avecenvie les ralisations et les avances opres par la premire dmographie mondiale ? Certes, regarder de trop prs la vitrine et leslivres de compte, on finit (consciemment ou non) par oublier l'envers du dcor, les litres de sueur consums dans les ateliers surpeu-pls, dans des conditions plus proches (voire pires parfois) de Zola que des centres high-tech de la Silicon Valley. Pkin s'entend habi-lement dissocier business et politique avec ses partenaires trangers la rputation sulfureuse ; une stratgie - une posture fleurantbon la mauvaise foi serait plus juste - lui ouvrant presque toutes les portes, tout le moins celles que les nations occidentales refu-sent de pousser. Pour autant, est-ce par ce tour de passe-passe discutable que l'on acquiert, dans le moyen-long terme, estime, rpu-

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  • tation et image favorable, responsable, dans le concert des nations ? Il est permis d'en douter.

    Ce qui fait encore dfaut ce colosse asiatique

    Ce titan asiatique post-olympique qui s'veille, fascine tout autant qu'il inquite, dvore tout autant qu'il vend, que peut-il bien encore luimanquer en cet automne 2009 ? La Rpublique Populaire de Chine du Prsident Hu Jintao dispose-t-elle dj de tous les symboles dela puissance, de tous les attributs d'un acteur de tout premier rang ? Certes, l'addition des chiffres, des graphiques et des bilans a dequoi emplir de fiert les dirigeants chinois et leur plthorique population. Rvaient-ils seulement, dans leur anticipation la plus auda-cieuse au lendemain des vnements de Tiananmen, tenir pareille position flatteuse vingt ans plus tard ? Cela n'est pas acquis.Pourtant, on ne saurait trouver chez cet acteur mergent que ralisations et accomplissements : le puzzle est loin d'tre complet. Sanschercher trop loin, il semble possible de trouver quelques carences chez ce susceptible et ambitieux gant, quelques points de faiblesseauxquels il s'agirait de s'atteler au plus tt : une exubrance diplomatique mal matrise, lorsque certains thmes sensibles (cf. Tibet,visite du Dala Lama) viennent provoquer l'ire des autorits ; un manque de mesure et de retenue dans le choix des propos, nonobstantle niveau de l'interlocuteur (cf. les diatribes inoues adresses au Prsident Sarkozy lorsqu'il rencontra le Dala Lama en dcembre 2007); une assurance dcale confinant souvent la suffisance pour se ddouaner des " liaisons dangereuses " avec des rgimes discuts(cf. Birmanie, Soudan, Core du Nord, etc.). Paradoxalement en somme, on pourrait synthtiser en esquissant, pour cet acteur asiati-que l'histoire plurimillnaire, un manque flagrant de maturit diplomatique. En esprant qu'il ne s'agisse pas de quelque insuffisanceplus proccupante.

    (1) Premires rserves de change mondiales : 2 000 milliards de $ fin 2008.(2) 1 435 milliards de $ d'exportations en 2008 (3e rang mondial).(3) 1 074 milliards de $ d'importations en 2008 (4e rang mondial).

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  • Vingt ans aprs la chute du Mur : quelle place pour la Russie dans un monde en transition ?

    Entretien avec Andre Gratchev, ancien porte-parole de Mikhal Gorbatchev

    Retrouvez lentretien dAndre Gratchev sur affaires-strategiques.info :

    - " Monsieur Gorbatchev, ouvrez cette porte. Monsieur Gorbatchev, abattez ce mur ! " (R. Reagan). Quel a t l'impact de lachute du Mur en Europe et en URSS ?

    - Avec la fin de la Guerre froide et l'implosion de l'URSS, on a parl du dclin de la Russie. Qu'en pensez-vous ?

    - Dans le monde multipolaire qui se dessine aujourd'hui, quel rle peut jouer la Russie ?

    http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article2273

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