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2009 Esplanade Général Eisenhower B.P. 55026 - 14050 CAEN Cedex 4 Tél. : 02 31 06 06 44 www.memorial-caen.fr E-mail : [email protected] 20 e ÉDITION - 1 er FÉVRIER 2009

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Esplanade Général EisenhowerB.P. 55026 - 14050 CAEN Cedex 4

Tél. : 02 31 06 06 44www.memorial-caen.fr

E-mail : [email protected]

20e ÉDITION - 1er FÉVRIER 2009

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Le Mémoria l de Caen • Recue i l des P la ido i r ies 2009

20e CONCOURS INTERNATIONALDE PLAIDOIRIES

Dimanche 1er février 2009

AU MEMORIAL DE CAEN

Dessins d’Emmanuel Chaunu

Avec le soutien du Conseil National des Barreaux, de la Conférence des Bâtonniers de France et d’Outre-mer, du Barreau de Paris, de la

Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats, de l’Union Internationale des Avocats et de

l’Association Internationale des Jeunes Avocats.

Le Barreau, la Ville et le Mémorial de Caen n’entendent donner aucune approbation

ni improbation aux opinions émises par les candidats ; ces opinions doivent être considérées

comme propres à leurs auteurs.

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Le Mémoria l de Caen • Recue i l des P la ido i r ies 2009

AVANT-PROPOS

Le concours international de plaidoiries pour la défense desDroits de l’Homme a 20 ans.

Mes premières pensées vont bien évidemment vers cescentaines d’avocats venus des cinq continents et dont lesplaidoiries prononcées dans toutes les langues du monderésonneront toujours dans le grand hall du Mémorial et dans nosmémoires.

Je pense à leurs témoignages souvent douloureux maistoujours chargés d’espoir d’un monde meilleur.

Je pense à leurs convictions profondes de femmes etd’hommes de Loi venus témoigner et nous rappeler notre devoirde vigilance face au scandale de l’injustice, de la barbarie politique et aux violations des principes essentiels.

Je pense à leurs convictions et tout particulièrement au courage de certains venus dénoncer les exactions commisesdans leurs propres pays.

Mes pensées vont aussi au public, nombreux, fidèle, attentifet investi.

Ce n’est pas un public comme les autres. C’est un public éprisde liberté et d’humanisme qui vient dire son attachementfondamental aux Droits de l’Homme.

Jamais en 20 ans ce public n’a fait défaut.Je pense surtout aux malheureux dont les noms ont gravé nos

mémoires, celles et ceux que l’on enferme arbitrairement, quel’on torture, que l’on viole, que l’on assassine, que l’on expulse.

Je pense à nos semblables, les sans papiers, les oubliés, lesfaibles qui ne trouvent leur place nulle part.

C’est à nous de les défendre, de les aimer, de penser à euxet d’agir quand on le peut. C’est notre devoir moral et politiquede ne jamais baisser la garde face à l’inacceptable.

C’est pourquoi ce concours, avec tout ce qu’il représente ettoutes celles et tous ceux qu’il réunit, est essentiel.

C’est un travail formidable qui honore notre ville et le Mémorial.

Philippe DuronPrésident du MémorialDéputé-Maire de Caen

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Le Mémoria l de Caen • Recue i l des P la ido i r ies 2009

PLAIDOYER POUR LES

DROITS DE L’HOMME

Nous venons de célébrer le soixantième anniversaire de ladéclaration universelle des droits de l’homme.

Chacun d’entre nous, conscient du monde qui l’entoure,mesure combien le combat pour la reconnaissance des droitsfondamentaux est loin d’être terminé.

Les Avocats ont toujours pris une part prépondérante danscette lutte quotidienne, que ce soit pour dénoncer la tentationsécuritaire de nos sociétés démocratiques ou combattre lesrégimes liberticides qui prolifèrent sur le terreau de la misèreéconomique et culturelle.

Depuis 20 ans, ce concours a l’ambition de participer à cecombat en réunissant des avocats du monde entier, animésde la même liberté de parole.

Ce recueil contient la trace écrite de ce souffle, déclamédevant un public toujours attentif dont la fidélité illustre le mieux le succès de cette manifestation.

Maître Xavier ONRAEDBâtonnier de l’Ordre des Avocats

à la Cour d’Appel de Caen.

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Aboubacar Barry,victime d’un

système :la mauvaise

gouvernance

Maître Aimé Christophe Labilé Kone

Conakry - Guinée

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LA DÉFENSEDES DROITS

DE L’HOMME

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De quel droit doit-on être en détention préventiveéternellement ? Le spectre de la détention préventive illégaleen Guinée, cas alarmant de Monsieur Aboubacar Barry (dix-huit ans derrière les barreaux) : Mandela de la Maison centralede Conakry – Guinée.

Que fait-on des dispositions de l’article 9 alinéa 1 de la LoiFondamentale guinéenne ? Selon lesquelles « Nul ne peutêtre arrêté, détenu ou condamné que pour les motifs et dansles formes prévus par la loi ».

Mesdames et Messieurs, Honorables membres du Jury,Honorables invités du Mémorial de Caen,Chers confrères,Ce jour, 1er février 2009 est un grand jour. Un grand jour

pour moi dans ma vie d’avocat, défendeur des opprimés, dela veuve et de l’orphelin, la voix des sans voix. Un grand jouren ce sens qu’aujourd’hui l’occasion m’est donnée, ici en cehaut lieu de défense des causes désespérées, de m’exprimerà la face du monde pour, autant faire que se peut, apporterma modeste contribution à la lutte que mène, au tréfonds desa cellule dans la maison centrale de Conakry, un de mescompatriotes ; j’ai nommé Monsieur Aboubacar Barry. Détenuhors de commun, il est en détention préventive depuis mai1991, soit dix-huit ans révolus.

N’est-il pas un oublié de la justice ou tout simplement unevictime du disfonctionnement du système judiciaire guinéen ?Son cas est à méditer.

De quoi s’agit-il réellement ?Né en 1952 à Télimélé (Moyenne Guinée), Monsieur

Aboubacar Barry, cultivateur de son état, est polygame mariéà deux femmes et père de quatre enfants vivants dont une fille.Il est lui-même issu d’un père cultivateur et polygame de cinqfemmes, donc d’une famille nombreuse, avec plusieurs enfants(filles et garçons). Dans nos sociétés traditionnelles, lapolygamie est une source de conflit dans la succession deshommes qui la pratiquent, étant donné qu’à leur décès, le

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partage de la succession, cette fameuse manne, qui secompose dans la plupart des cas en une concession, uneplantation ou un champ riziculture, cause des problèmes etau pire entraîne des drames comme le cas d’espèce.

Après le décès de leur père, il a été question que les enfantsse partagent la succession et particulièrement les domainescultivables. Chaque enfant a été casé quelque part, mais lesconflits, les querelles et autres mesquineries n’en finissaientpas entre certains enfants dont particulièrement Aboubacaret Issiaga Barry.

C’est ainsi qu’un jour, aux dires de Monsieur AboubacarBarry, son demi-frère Issiaga Barry est venu le trouver en trainde défricher son domaine riziculture. Ce dernier lui a intimé dequitter ce lieu au motif qu’il lui appartenait. Ce que MonsieurAboubacar Barry aurait réfuté, de vive voix, en continuant sesactivités. Que cela s’est passé en présence de deux témoins.Lâché par ses forces et agacé par les menaces intempestivesde son demi-frère, il a quitté le champ pour se rendre aucampement suivi par son demi-frère. Chemin faisant, lesdisputes ont continuées entre eux et c’était parti pour unebagarre rangée. Sous les coups d’Issiaga Barry qui étaitphysiquement plus fort que lui, Aboubacar Barry a été emportépar une colère bleue ; animé par l’esprit de se venger, il s’estservi du fusil de chasse qu’il portait au dos.

Il a tiré un coup, le coup fatal sur son demi-frère, encommettant ainsi l’irréparable. Mortellement atteint, MonsieurIssiaga Barry mourra quelques heures plus tard.

Vu ce qui venait de se passer et conscient d’avoir tué sondemi-frère dans la colère, Monsieur Aboubacar Barry s’estrendu directement au village. Sous ce choc, torturé par saconscience, il n’y est pas resté tranquille. Pendant deuxsemaines, il a erré entre les villages environnants et la brousse.La troisième semaine, n’en pouvant plus, il s’est rendu àConakry chez son grand frère qui, à l’époque, habitait auquartier Camayenne. Étant préalablement informé de ce drame, c’est ce dernier qui l’a fait arrêter et conduire au

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commissariat central de Mafanco dans la commune de Matam.Après quatre jours de garde à vue, il a été ramené à Télimélé,lieu du crime. Sur les lieux, il a subi des interrogatoires dansles locaux de la Gendarmerie départementale, au coursdesquels il a donné sa version des faits. Il y a passé trois moisde détention préventive. Il fut ensuite transféré à la maisond’arrêt de Kindia, chef-lieu de la Basse-Guinée où il a étédétenu pendant 11 mois, sans motif valable, avant d’atterrirenfin à la Maison centrale de Conakry courant année 1992.De cette date à ce jour, Monsieur Aboubacar Barry y est endétention préventive sans la moindre instruction de sondossier. Il n’est pas passé devant un juge d’instruction pourl’examen de son cas, à plus forte raison devant la chambredes mises en accusations. Qu’il est, on ne peut mieux ledémontrer, dans une situation d’abandon juridique qui ne ditpas son nom. Plus de dix-huit ans en détention préventive,c’est du jamais vu de mémoire de professionnel. Cela est uneviolation pure et dure des Droits humains élémentaires voireun mépris total. Arrêté à 39 ans, Monsieur Aboubacar Barrya aujourd’hui 57 ans.

De quel droit doit-on être en détention préventiveéternellement ? Dites-le moi…

En dix-huit ans de détention préventive, MonsieurAboubacar Barry n’a revu ses femmes qu’une seule foischacune séparément et quelques rares fois deux de sesenfants. S’il est vrai que Monsieur Aboubacar Barry a commisune infraction, au pire des cas un crime, rien ne justifie, à cejour, sa détention préventive prolongée quand on sait que lesdispositions légales en la matière sont claires et fermes. Audemeurant, il est impératif de signaler que le code guinéen deprocédure pénale dispose en son article 142-2 « En matièrecriminelle, l’inculpé ne peut être maintenu en détention au-delà de six mois, après sa première comparution devant le juged’instruction s’il n’a pas déjà été condamné à unemprisonnement de plus de trois mois sans sursis, pourinfraction de droit commun.

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Toutefois, si le maintien en détention au-delà de douze moisapparaît nécessaire, le juge d’instruction peut, avant l’expiration dece délai, décider la prolongation par ordonnance spécialementmotivée rendue sur réquisition également motivée du Procureurde la République.

En aucun cas, la durée totale de la détention ne peut excéderdouze mois, sauf si l’inculpé est poursuivi pour avoir participéà la commission des infractions suivantes : trafic de stupéfiants,pédophilie, crime organisé, crime transnational ou atteinte àla sûreté de l’État.

La durée peut, dans ce cas, être portée à vingt-quatre mois. »Il est à signaler que ces dispositions sont la résultante de

tant d’autres issues aussi bien des lois nationales que destraités internationaux auxquels la République de Guinée estpartie. Qu’à titre indicatif je ne vous citerai que la LoiFondamentale guinéenne du 23 décembre 1990 et leDéclaration universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre1948 dont nous avons fêté les soixante ans d’existence l’andernier avec un bilan mitigé.

Commençons par la Déclaration universelle des Droits del’Homme. Je ne vous apprends rien en vous disant que lestextes de cette déclaration constituent le noyau de protectionet de défense de tous les droits humains. Cependant il est demon devoir de vous le rappeler, s’il le faut insister, en ma qualitéde défendeur des Droits de l’Homme. Son article 1er, trèsédifiant en la matière, met d’entrée en jeu les pendules à l’heureen disposant que « Tous les êtres humains naissent libres etégaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et deconscience et doivent agir les uns envers les autres dans unesprit de fraternité ».

L’article 3 pose le principe du droit de l’individu à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. Plus loin l’article 9dispose en ces termes : « Nul ne peut être arbitrairement arrêté,détenu ni exilé ». Mais le clou de la protection et de l’équitédes Droits humains est enfoncé par les dispositions combinéesdes articles 10 et 11 alinéa 1er de cette Déclaration :

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« Article 10 : Toute personne a droit, en pleine égalité, à ceque sa cause soit entendue équitablement et publiquementpar un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit deses droits et obligations, soit du bien-fondé de toute accusationen matière pénale dirigée contre elle.

Article 11 alinéa 1er : Toute personne accusée d’un actedélictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilitéait été légalement établie au cours d’un procès public où toutesles garanties nécessaires à sa défense lui auront été assurées. »

Quant à la Loi Fondamentale guinéenne, son article 9 sepasse de tout commentaire « Nul ne peut être arrêté, détenuou condamné que pour les motifs et dans les formes prévuespar la loi ».

En considération de tout ce qui précède, il n’est pas superflude dire que le respect et la protection des droits de chaquecitoyen est une obligation constitutionnelle en Guinée commepar tout ailleurs, en tout cas dans les États démocratiques ousupposés comme tels.

Pourquoi Monsieur Aboubacar Barry est toujours endétention préventive ?

Dans le cas d’espèce, s’il est vrai que Monsieur AboubacarBarry a commis une infraction, à la limite un crime, il est parcontre indéniable qu’aucun des droits énumérés par lesdispositions suscitées ne lui a été reconnu. Cependant il nedemande pas mieux que d’avoir un procès équitable.

Un procès au cours duquel il serait prêt à avouer son crimeet exprimer les circonstances qui l’ont amenées à le commettre.

Un procès au cours duquel il serait prêt aussi à faire sonmea-culpa à la Cour et demander pardon à la société incarnéepar le Ministère public et particulièrement à ses frères et sœurs ainsi qu’aux enfants de ceux-ci.

Un procès au cours duquel il serait prêt enfin à demanderla clémence de la Cour pour que lui soient accordées lescirconstances atténuantes les plus larges afin de lui donnerune nouvelle chance de refaire sa vie. Une vie empreinte desagesse et de retenue.

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De tout cela, il n’en a rien été, Monsieur Aboubacar Barryattend ce jour fatidique depuis dix-huit ans. Son cas ne laisseaucun professionnel de défense des Droits de l’Hommeindifférent. En apprenant l’affaire de Monsieur Aboubacar Barry,le premier réflexe est de se poser la question de savoir,pourquoi subit-il un tel sort ?

Étant entendu que la liberté est le principe et la détentionl’exception, pourquoi n’a-t-on pas élucidé le cas de MonsieurAboubacar Barry aux fins qu’il soit fixé sur son sort. Quandon sait que depuis qu’il est en détention, il s’est au moins tenuune Cour d’Assises qui est allée à son terme à Conakry,notamment celle de 1995, dénommée procès des gangs, aucours de laquelle fut jugée la bande au célèbre bandit, tireurdélite, David Toudoufindouno alias Mathias Leno, DenkaMansare et consorts. Il y a aussi eu deux tentatives des Assisesen 2000 et 2005 qui se sont interrompues à mi-chemin fautede moyens financiers.

Vu cet état de fait, le commun des mortels est amené à seposer la question de savoir pourquoi le dossier AboubacarBarry n’a-t-il pas fait partie des cas jugés ? S’il n’est pas facilede répondre à cette question, on est quand même en droit decroire que Monsieur Aboubacar Barry est un oublié dans lageôle de Conakry, qui plus est, est devenue son villaged’adoption. Le pourquoi est aussi une question profondecomme les méandres du fond marin. La seule chose qui resteclaire, constante et indéniable est la très, très mauvaise gestion, au bas mot, des dossiers. On y trouve des dizainesde personnes dans la même situation que Monsieur AboubacarBarry. On trouve aussi d’autres qui ont fini de purger leur peine, mais illégalement détenus pour la bonne et simple raison parce qu’il n’y a pas de suivi des dossiers. Le cas deMonsieur Ibrahima Conde est éloquent. Il a été arrêté, jugé etcondamné à une peine privative de liberté. Ayant purgé sapeine depuis le 25 novembre 2003, il a été découvert en prison,par une ONG de défense des Droits de l’Homme (les MêmesDroits pour Tous), en mars 2007, soit une détention illégale de

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3 ans 4 mois après la date d’expiration de sa peine à la maisoncentrale de Conakry.

Pourquoi garde-t-on indéfiniment Monsieur AboubacarBarry sans procès, fût-il équitable ou non ? Cette question merevient à l’esprit sans cesse.

C’est pourquoi, honorables membres du jury, je me fais ledevoir d’interpeller la communauté nationale et internationaleà ce haut lieu, l’une des places, pour ne pas dire la plus célèbrede tous les temps, où sont criées et décriées, à la face dumonde, les violations les plus flagrantes des Droits de l’Homme,afin qu’elle ne perde pas de vue qu’en République de Guinéeon viole encore et de façon continue les Droits de l’Hommeles plus élémentaires.

Je tiens à vous dire ou du moins à vous rappeler que laRépublique de Guinée est une bonne élève en matièred’adoption et de ratification des traités et conventionsinternationaux. Mais malheureusement elle est l’une desmauvaises, sinon la pire élève dans leur application.

Laissez-moi vous dire que la République de Guinée est l’undes rares pays de tradition juridique germano-romaine lesmieux nantis en matière de textes juridiques. Son répertoireest engorgé de lois codifiées. Vous me poserez à coup sûr, laquestion de savoir : « mais pour quoi faire » ? En réponse, jevous dirai spontanément : pour tromper la vigilance de l’opinionnationale et internationale, garnir les tiroirs et faire l’affaire dessouris et cancrelats.

Une chose retient toujours mon attention, et face à laquelleje reste sur ma faim. Je me demande pourquoi la Républiquede Guinée, qui a adhéré à l’Organisation des Nations unies le12 décembre 1958 au rang du quatre-vingt deuxième (82e)pays membre, ne respecte-t-elle pas les engagements liés àcette qualité ? De qui se moque-t-elle ?

En tout cas force est de constater que les questions deJustice, des Libertés fondamentales, des Droits de l’Hommeet de leur défense constituent le dernier souci desgouvernements successifs du Général Lansana Conte.

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C’est pourquoi pour le contraindre, il est nécessaire voireindispensable de mettre pleins feux sur le gouvernement dela République de Guinée. Et cela portera des fruits à coup sûrcomme expliquait Monsieur Kenneth Roth de l’ONG HumanRights watch lors du 60e anniversaire de la déclarationuniverselle des Droits de l’Homme.

Il déclarait à cette occasion « Les mouvements des Droitsde l’Homme gagnent en vigueur. En mettant les pleins feux surles gouvernements, nous les couvrons de honte et les forçonsà modifier leurs pratiques ».

C’est le lieu et le moment de faire pression sur les pouvoirspublics de ma Guinée natale et plus particulièrement sur lepouvoir judiciaire qui, on ne peut mieux le démontrer, adémissionné.

Je crois, et ce à juste titre, que de tels actes, qui du resterelèvent du Moyen Age, doivent être bannis dans les systèmes judiciaires des temps modernes. Qu’il me soit alorspermis de porter la voix de ces sans voix à travers le cas deMonsieur Aboubacar Barry.

Ceci étant, j’interpelle les acteurs nationaux et internationauxintéressés par l’avenir et la stabilité de la République de Guinéedont la CEDEAO, l’Union africaine, l’ONU ainsi que lesprincipaux bailleurs de fonds bi et multilatéraux à savoir l’UnionEuropéenne, les États-Unis, la France, à user de tous lesmoyens à leur disposition pour faire pression sur legouvernement guinéen afin qu’il respecte ses engagementsen instaurant une justice libre, équitable et impartiale pourtous. Et ce sera œuvre utile.

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La victoire de Narjis

Maître Abderrahim Jamai

Kenitra – Maroc

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LA DÉFENSEDES DROITS

DE L’HOMME

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« Je préfère une vérité nuisible à une erreur utile : la vérité guérit le mal qu'elle a pu causer. » Goethe

Un procès retentissant. Des protagonistes pas comme lesautres. Une journaliste face à un ancien tortionnaire pourqu’éclate la vérité sur ces années de braise et de sang que leMaroc a traversées.

Un événement que des centaines d’articles de presse,d’interviews, de comptes-rendus ont rapporté. Lescommentaires de quotidiens et hebdomadaires d’ici et d’ailleurs ont nourri une longue chronique judiciaire que letribunal de Rabat allait abriter. Le prénom de Narjis a alorsrésonné alors qu’une bataille judiciaire inédite commençait…

C’est l’histoire de Narjis, une journaliste aux mots magiques, et dont la force n’a d’égale que les principes qu’elleporte haut dans l’exercice de sa profession. C’est dans ladéfense des droits humains que tout son talent s’est incarné.Elle court, elle court après la vérité. Une quête qui ne cessejamais, en toute responsabilité, et en ces temps périlleux deHassan II où les Marocains avaient mal à la liberté d’expression.Enlèvements, disparitions forcées, procès forcément fabriqués,tel était le lot des militants.

Au commencement, les fours crématoires de sinistremémoire que la journaliste a mis à nu. Oui, cette journaliste adénoncé le commissaire Archane et ses fours crématoires. Surles colonnes du quotidien de langue française, « Al Bayane »,dans son édition du 14 février 1999, elle est revenue sur lespires forfaits commis par Archane dans le secret des locauxde la police politique marocaine.

Mais qui est donc Archane ? Qui parmi vous le connaît ?C’est le visage d’un policier que les détenus politiques ont

connu – ô combien – dans les décennies 1970 et 1980. Il a faitde la traque des opposants au régime de Hassan II un plande carrière. Il a fait de la torture de ces détenus politiques, soitdirectement soit en donneur d’ordre, de la falsification desprocès-verbaux de police, un outil de travail pire encore, unestratégie sécuritaire organisée.

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L’article de Narjis – un véritable plaidoyer au nom del’Histoire, de la conscience collective - était en fait une réactionà une énième sortie médiatique du commissaire Archane contre ces anciens détenus. Des opposants et détenuspolitiques qui ne se sont jamais tus, ni livrés à la prison del’oubli et de la mémoire tatouée à laquelle le régime marocainles avait condamnés dans une double peine de la honte.

Assez d’une mémoire tronquée et d’une Histoire réécriteau nom de la mystification ! C’est en substance le messagede l’article de cette journaliste qui a osé répondre au tortionnairedans un face à face inédit en ces temps où le silence était d’or.

Dès lors, le commissaire Archane était rattrapé par sonpassé de sang et de violence, sans comprendre qu’un jour,une journaliste allait lui rappeler haut et fort sa sombre carrière,alors qu’il siégeait sur son fauteuil de député mal élu, réfugiéderrière son immunité parlementaire, fou de pouvoir, l’ex-commissaire de police des années de plomb est devenu leaderpolitique présidant aux destinées d’un parti né dans les brasdu pouvoir, une aberration de la démocratie marocaine.

Une bataille politique, médiatique, juridique mais aussi dedéfense des droits humains s’est alors enclenchée. Enrétablissant la véritable image de l’ex-commissaire faite dedouleur et de sang des victimes, la journaliste Narjis a fait figure de précurseur dans le microcosme des médias. Pionnièreencore, cette jeune femme a déposé plainte contre Archanequand il l’a insultée, diffame, humiliée sur les colonnes dujournal édité par son parti de droite, « La voix du centre », ainsique sur d’autres journaux. Des insultes dignes d’un tortionnaire,un vocabulaire puisé dans l’obscurité des geôles secrètes duroyaume des contrastes, et ce en réponse à l’article publié parNarjis sous le titre « Les fours crématoires de Archane ». Leseul titre de la réponse de Archane rattrapé par ses démonsest significatif du non respect de la dignité humaine dont lebourreau a fait plus qu’un métier, une profession de foi : « Unefemelle en mal de mâle : les ruts de Narjis ».

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Pour la première fois de son histoire, le tribunal de premièreinstance de Rabat a abrité une confrontation juridique historiquequi allait durer de longs mois. Le procès a été véritablementune victoire sur plus qu’un niveau :

Victoire pour des défenseurs de la vérité sur les années deplomb. Victoire pour les anciens détenus politiques, victimesde Archane et d’autres bourreaux qui se sont rendus coupablesd’exactions des droits humains.

Le Tribunal de première instance de Rabat a prononcé sonverdit. Archane l’ancien commissaire de police politique a étécondamné, et, ce faisant, c’est toute une mentalité qui a régnéen maître absolu pendant de trop nombreuses décennies auMaroc. La justice marocaine a aussi triomphé, grâce à un jugecourageux, qui a osé refuser de prendre en considérationl’immunité parlementaire de Archane lequel avait tenté d’utiliser une arme constitutionnelle pour échapper à la justice. Son siège de parlementaire, tel un bateau ivre, a finipar provoquer son naufrage.

Sur le chemin de la vérité, les questions se bousculent.Combien sont-ils ces cas de falsification du passé, ces faitstronqués et ces réalités gommées par les services du régimede Hassan II pour justifier d’étranges jugements, en tout casnon démocratiques et à contre-courant de l’Histoire.

Les interrogations reprennent de plus belle. Comment lepouvoir politique marocain a-t-il instrumentalisé le pouvoirjudiciaire, de la même manière que le sécuritaire, pour légitimer– oserais-je écrire sur un plan judiciaire – des crimes commispar l’État ? Pour draper aussi et d’une fausse vérité les procès-verbaux falsifiés commis durant les enquêtes préliminaires etles interrogatoires des opposants en détention.

Mais Narjis était là, démasquant le jeu de Archane, de sespatrons Oufkir, Dlimi, Basri... et de ses semblables, pour écrireau nom de la vérité, sa chronique, « Parlons-en », et la véritésur « les fours crématoires de Archane ». En ouvrant la boîtede Pandore, Narjis ignorait très probablement que son articleallait inaugurer une ère nouvelle dans l’histoire du Maroc.

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Archane ne savait pas non plus qu’à la mort du Roi Hassan II,le Royaume allait entreprendre de lire les pages du passé enchoisissant comme seule et unique langue, celle de la vérité.

La création du conseil consultatif des Droits de l’Hommeau début des années 1990 et la mise en place, en 1999, del’instance d’arbitrage indépendante de réparation aux victimesde la disparition forcée et de la détention arbitraire n’ont passu panser les plaies et encore mener à la réconciliation.D’autant qu’en avril 1999, le conseil consultatif des Droits del’Homme avait, à l’approbation du Roi défunt du rapport finalde l’instance d’arbitrage, annoncé que Hassan II avait accordésa grâce à tous ces criminels qui se sont rendus coupablesd’exactions.

Les pages sombres des violations des droits humains etdes disparitions forcées étaient loin d’être lues pour êtredéfinitivement tournées.

L’année 1999 s’est achevée sur une nouvelle qui a donnédu baume au cœur à tous ceux et celles qui se battent pourque la vérité sur les années de plomb soit enfin faite en terremarocaine. Le nouveau monarque du Maroc venait en effetd’annoncer la création de l’Instance Équité et Réconciliation.Les membres de cette commission marocaine ont été installésen 2004 et ont produit 18 mois plus tard leur rapport final surles années de plomb, et une panoplie de recommandationsau nom du « plus jamais ça ». Les questions épineuses sontpourtant restées sans réponse, et les divergences ont surgi,opposant les uns et les autres sur les perspectives de réformesgarantissant la sécurité des citoyens de ce pays et la rupturetotale avec un passé complexe. Une rupture qui ne peutréellement s’incarner qu’à travers :

• La vérité, toute la vérité, sur les violations graves desdroits humains,

• Les excuses : c'est-à-dire les excuses du Roi au nom del’État,

• Les procès de ceux qui se sont rendus coupables deviolations des Droits de l’Homme,

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• La résolution du dossier des décès sous la torture, desenlèvements et des disparitions forcées.

Et malgré tout ce processus enclenché sous le règne dedeux monarques, Hassan II et Mohammed VI, la justicemarocaine est toujours silencieuse, incapable de participer àl’écriture de l’Histoire, la vraie, après que cette même justiceait participé d’une manière ou d’une autre à la falsification del’Histoire et de la vérité en ces années de plomb, si lointaineset en même temps si proches de nous. Face à une justicesilencieuse et aux ordres, le commissaire Archane et sessemblables sont toujours sur le devant de la scène politique,sous les feux des projecteurs sans le moindre sentiment deremords.

C’est pourquoi Narjis, cette journaliste marocaine, a été aucœur du changement de la cause des Droits de l’Homme enterre marocaine. Des articles de presse, les siens et ceux deses confrères qui ont la défense des droits et de la dignitéchevillés au corps, ont accompagné ce mouvement.

Quand le tribunal de Rabat a condamné Archane dans sonjugement rendu le 7 juin 2000 et que Narjis a reçu le dirhamsymbolique qu’elle avait réclamé en guise de réparation, c’estl’échec politique des choix de tout un régime en matière desDroits de l’Homme qui a été aussi signé par la justicemarocaine. Archane a été condamné, donc reconnu coupable.L’homme ne pouvait plus pavoiser ni se réfugier derrière un trèsdouteux « je travaillais pour protéger l’État des subversifs ».L’Histoire offrait enfin à toutes ses victimes, celles qu’il amenottées, torturées, souillées, un bout de ciel bleu.

Le procès politique et symbolique du commissaire Archanen’aura pas lieu. Reconnu coupable mais sans être interpellésur les exactions commises, sans être questionné sur lesviolations. Une monarchie perplexe, entre le marteau etl’enclume – juger les tortionnaires reviendrait à faire le procèsde Hassan II – des pouvoirs publics peu enclins à ouvrir laboîte de Pandore. Le rapport final de l’Instance Équité etRéconciliation de 2006 procède de cette même logique pour

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que la page du passé soit tournée sans que ne soient entendusceux qui se sont rendus coupables d’exactions, sans mêmequ’un véritable devoir de mémoire ait eu vraiment lieu. C’estde cette même logique que procède encore la non exécutionde la commission rogatoire envoyée par le juge d’instructionfrançais Ramel pour que soient écoutés des témoins tels qu’ungénéral de la gendarmerie, de hauts responsables de la policepolitique, et faire la lumière sur le plus vieux dossierd’enlèvement d’un leader politique marocain, Mehdi Benbarka.

Autant de signaux qui démontrent avec force les pointsmarqués par la monarchie sur le double front de l’Histoire etde la politique.

Mais il suffit que Narjis ait offert à toutes les Marocainesune leçon de courage. Une leçon où la défense des droitshumains, la justice et la liberté sont aux toutes premières lignes.

Narjis n’a pas changé. Elle ressemble exactement à lajournaliste qui a intenté un procès à l’ancien tortionnaire. Sesprises de positions se mesurent à l’aune de ses convictionset ses articles de presse résonnent jusqu’aux mémoires lesplus rétives.

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Le nébuleux destin de Rothman Salazar.Plaidoirie contre les

attentes illégales infligées aux sans-papiers

Maître Cavit Yurt

Bruxelles – Belgique

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LA DÉFENSEDES DROITS

DE L’HOMME

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Le 30 août 2008, à vingt-trois heures et trente minutes,Rothman Salazar, un jeune Équatorien de 19 ans, se faisaitexpulser du territoire belge, via l’aéroport de Schiphol àAmsterdam, embarqué dans un avion en partance pour Quito…

Au même instant, TF1 diffusait un énième épisode de lasérie New York unité spéciale, pendant que France 2 repassaitles meilleurs moments de l’émission On n’est pas couchés…

Toujours au même instant, je marchais dans les rues duVieux Bruxelles, tout juste sorti de chez un ami que je n’avaisplus revu depuis longtemps.

Neuf semaines plus tard, le 7 novembre 2008, un peu avantonze heures, je prenais un train Bruxelles-Namur, pour suivreune formation en Droit des étrangers.

Au même instant, un avion atterrissait à Bruxelles. Rothmanétait de retour en Belgique avec un visa d’étudiant.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les membres du jury, Mesdames, Messieurs, je suis ici pourévoquer le nébuleux destin de Rothman Salazar.

Je vais d’abord vous exposer les faits, dans leur intolérablecruauté. Je vais ensuite vous parler d’une maison dans laquelle des êtres humains attendent, attendent et attendent.Encore et toujours. Je plaiderai enfin contre ces attentesillégales, contre ces attentes criminelles, contre ces hontes de nos démocraties.

Ma prise de parole aujourd’hui a pour modeste espoir depeser sur le cours des choses. Peser sur le cours des choses,car les mots ont leur poids, car prendre la parole, c’ests’engager, c’est aussi engager les autres, engager, en un sens, l’humanité.

Tout a commencé en l’an 2000. Nuria, la mère de Rothman,arrive en Belgique. Un an plus tard, le 24 décembre 2001, laveille de Noël, Rothman et ses sœurs arrivent en Allemagneet se font refouler à la frontière. Retour en Équateur. Plusieursmois s’écoulent et le 21 novembre 2002, Rothman et ses sœursarrivent en Belgique. Du temps passe. Leur mère Nuria fait

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une demande de régularisation de séjour pour ses enfants etpour elle. Après de longs mois d’attente, la demande estrejetée. Et puis, juridiquement, il ne se passe rien.Juridiquement, car la vie, elle, continue. Une vie sans papiers.Avec son lot de faux espoirs et de mauvais conseils. Pendantplusieurs années. Rothman apprend le français. Il est polyglotte.Il a une scolarité impeccable. Pour ses études secondaires, ilreçoit même de la part des autorités municipales le prix de lameilleure réussite. Il veut poursuivre ses études à Bruxelles etdevenir ingénieur industriel. Sa mère l’a d’ailleurs déjà inscrità l’Institut Supérieur Industriel de la capitale. En deux motscomme en cent : une intégration exemplaire.

Puis, soudain, tout bascule.Rothman n’oubliera jamais ce soir de l’été 2008. Ce soir

du 13 août, où il se trouve chez des amis. C’est la fête. Et làoù il y a fête, il y a bruit. Les voisins s’en plaignent. La policeintervient. Contrôle d’identité. Rothman n’a pas de titre deséjour. Il se fait arrêter et emmener au commissariat. Il y estentendu et passe 10 heures au cachot. Il est ensuite transféré auCentre fermé 127bis de Steenokkerzeel, en Flandre. Un centrefermé où les illégaux attendent leur expulsion. Un horizon debarbelés. Il y passe un demi-mois. Tous les recours intentéspour le faire libérer échouent. Et le 30 août 2008, à vingt-troisheures et trente minutes, Rothman se fait expulser du territoirebelge. 10 000 km de vol et 2 policiers. Arrivé en Amériquelatine, Rothman fait une demande de visa d’étudiant. Samédiatisation n’y étant sans doute pas étrangère, il obtientsans trop de difficulté son visa et le 7 novembre 2008, il estde retour en Belgique. À l’Institut Supérieur, les cours ontdébuté en septembre. Et nous sommes déjà en novembre. 10 000 km de vol retour et 2 mois de retard scolaire.

Quelle mascarade. Quelle logique bureaucratique. Quelleabsurdité. Quel aveuglement dans l’application de nos loisimparfaites. Quel gaspillage de ressources humaines etéconomiques (rapatrier par avion une personne en séjour illégal coûte entre 10 000 et 15 000 euros à la collectivité).

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Et surtout, quel manque d’humanité.L’histoire personnelle de Rothman rejoint les cent mille

autres histoires personnelles des sans-papiers de Belgique.Ces cent mille histoires, prises ensemble, participent de lagrande Histoire, de l’histoire politique d’une Belgique et d’un Continent déboussolés.

Déboussolé, le Continent ? Oui, car en juin 2008, lesinstances de l’Union européenne ont adopté une directive –la Directive dite Retour – permettant d’enfermer des étrangersdans des centres fermés pour une durée pouvant atteindre 18mois. Les milieux associatifs ont rebaptisé cette Directive : « Directive de la Honte ».

Déboussolée, la Belgique ? Oui, car en octobre 2008,l’opinion publique a pu lire dans la presse un entretien donnépar Madame la ministre de la Politique de Migration et d’Asile,Annemie Turtelboom. Cet entretien révèle à mes yeux desreflets de honte institutionnelle, car c’est une ministre quis’exprime et qui déclare : « Je veux fermer la porte arrière ».Je cite ses propos : « Quelqu'un qui entre dans ma maison parla porte arrière, qui s'assied dans mon fauteuil et demande lesclés de la porte d'entrée, c'est non ! »

Madame la ministre a pris l’image d’une maison. Cetteimage constitue à la fois une aberration juridique et une percherhétorique.

Une aberration juridique, d’une part, car un État,contrairement à une maison, n’est pas une chose privée. UnÉtat, c’est la res publica, la chose publique, la chose de tous.

Une perche rhétorique, d’autre part, car si l’on acceptecette image – et la représentation de la réalité qu’elle véhicule – qu’il me soit permis de dépeindre cette maison avec plus de nuances.

Les sans-papiers, s’ils sont chez nous, dans notre maison,ne sont sûrement pas rentrés par la porte arrière. Cette porteest déjà fermée depuis l’arrêt officiel de l’immigration légaleen 1974. Pour se retrouver sous notre toit, les sans-papiersont souvent dû risquer leur vie. En tentant de se glisser dans

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nos insalubres cheminées. En profitant de la nuit, pour atterrirdans nos sous-sols via nos soupiraux. En essayant de passerpar nos fenêtres aux carreaux brisés.

Les sans-papiers ne se sont pas installés dans les fauteuilsde nos salons. Ils travaillent souvent dans la pénombre de noscuisines et de nos caves. Dans une clandestinité qui rendpossible une traite des êtres humains, une traite économique,sexuelle ou criminelle. Des sujets de droit deviennent ainsi lesobjets monnayables des ateliers clandestins et des coinssombres de nos latitudes. Les sans-papiers n’occupent pas,que je sache, une position de pouvoir dans nos sociétés. Ilsen sont les fantômes, les laissés-pour-compte, ceux dont onfeint d’ignorer la présence physique, mais dont on se réjouitd’exploiter la force de travail économique.

Au sommet de notre maison belge, au grenier, il y a unendroit inaccessible : l’Office des Étrangers. Cet office dépenddu ministère de l’Intérieur. Dans ce bureau, le téléphone sonne.Il sonne tous les jours. Et longtemps. Quand un sans-papiersappelle l’Office des Étrangers, il entend ceci… « Welkom bijde Dienst Vreemdelingenzaken. Om verder te gaan in hetNederlands, druk 1. Bienvenue à l’Office des Étrangers. Pour continuer en français, appuyez sur 2… Veuillez vousassurer que vous avez sous la main le numéro de sûretépublique ou le numéro de visa. Vous êtes un particulier, appuyez sur 1. Vous êtes avocat, appuyez sur 2… »

La voix du répondeur demande ensuite de préciser l’objetde l’appel. Choix auquel il est invariablement répondu : « Toutes nos lignes sont occupées, merci de bien vouloirpatienter… »

Et cela, pendant trente, quarante-cinq minutes, voire uneheure. Le tout avec une musique qui vous accompagne danscette attente. Une musique choisie par un hasard plein d’ironieet diffusée en boucle, jusqu’à la nausée : le Stabat materdolorosa de Pergolèse ! L’Office des Étrangers a donc commemusique d’attente de son répondeur un chant liturgique quidépeint Marie pleurant son enfant crucifié… Et dont les

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premiers mots chantés en latin sont « Quel homme pourraitretenir ses pleurs ? Qui ne pourrait s’affliger ? »

Qu’est-ce qui m’indigne, dans cette maison que je viensde décrire ? Qu’est-ce qui me choque, dans ces lignesoccupées qui ne s’occupent de personne ?

L’attente.Il ne s’agit pas, Mesdames, Messieurs, de ces attentes qui

empoisonnent nos jours occidentaux. Ces files d’attenteagaçantes que nous subissons aux bureaux de poste ou dansles grandes surfaces. Sur les quais de nos gares. Non, il s’agitpour eux d’attentes autrement plus éprouvantes, et qui, elles,s’étalent sur des semaines, des mois, voire des années.

Le parcours de Rothman a été et reste parsemé d’attentes.L’attente du sort réservé à sa demande de régularisation,l’attente du lendemain imprévisible, l’attente dans un centrefermé avant expulsion. Rothman a confié à un journaliste, alors qu’il était détenu au Centre 127bis : « Je me mets àculpabiliser, comme si j’avais fait quelque chose de mal, degrave. Comme si je devais payer quelque chose, ici au centrefermé. Et puis parfois j’ai la haine, l’envie de crier aux politiquesqu’ils se trompent. » L’attente de l’expulsion. L’attente d’unvisa, l’attente du retour. L’attente d’un futur.

Ces attentes sont illégales. Elles sont la honte de nosdémocraties.

Elles sont illégales parce qu’elles violent le principe desécurité juridique, le principe du délai raisonnable et le droitde mener une vie conforme à la dignité humaine.

Avant toute chose, la sécurité juridique. Dans un État dedroit, les hommes et les femmes doivent pouvoir prévoir lesconséquences juridiques des actes qu’ils posent. Le droit doitdonc être clair, accessible et prévisible. Ce principe estconsacré par la Cour européenne des Droits de l’Homme(songeons aux arrêts Sunday Times contre Royaume-Uni ouencore Hentrich contre France). Ce principe est en outreconsacré par la Cour constitutionnelle belge. Ce qui est grave,en Droit des étrangers, c’est que l’insécurité juridique peut

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entraîner une insécurité d’existence. Quand des Droits del’Homme et des libertés fondamentales sont en jeu, le flou oule vide juridique sont des abîmes qui s’ouvrent sous les piedsdes justiciables. Or, ces abîmes d’insécurité juridique sont lelot quotidien des sans-papiers en Belgique. Une législationaux allures de grand bricolage, des critères flous, des pouvoirsdiscrétionnaires. Des délais qui confinent les sans-papiers,mais aussi les candidats réfugiés, dans une dangereuseprécarité. Dans une totale insécurité juridique.

Ensuite, le principe du délai raisonnable. Ce principe estgaranti, en matières pénale et civile, par l’article 6 de laConvention européenne des Droits de l’Homme. La Courconstitutionnelle belge a, elle, érigé le principe du délairaisonnable en principe général de droit interne, lequel a doncvocation à s’appliquer en toutes matières. Je plaide aujourd’huipour que ce principe général du délai raisonnable s’appliqueà toute situation impliquant un élément temporel d’attente ettouchant à un droit de l’homme ou à une liberté fondamentale.L’État belge devrait donc être tenu d’appliquer ce principe au-delà des seuls champs pénal et civil visés par la Conventioneuropéenne. Le droit des étrangers ne devrait par conséquentpas demeurer cette zone où des délais déraisonnables sontla règle et où cette déraison ne semble pas émouvoir outremesure l’Administration. Administration qui est par ailleurstenue, depuis l’arrêt Schouten et Meldrum contre Pays-Basde la Cour de Strasbourg, de respecter, elle aussi, l’obligationdu délai raisonnable.

Le droit, enfin, de mener une vie conforme à la dignitéhumaine. Droit garanti par l’article 1er de la Déclarationuniverselle des Droits de l’Homme. Droit consacré par l’article23 de la Constitution belge. La dignité humaine comporte ledroit de ne pas devoir attendre des années une réponseétatique à une question humaine. La dignité humaine, c’estaussi le fait de n’avoir pas à se cacher pendant ces attentesdéraisonnables. Cela implique le droit de vivre au grand jour,homme parmi les hommes, femme parmi les femmes.

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J’entends déjà certains me rétorquer : « Si vous ne voulezpas que ces gens attendent, expulsons-les dès demain ! »À ceux-là, je réponds que les principes de sécurité juridiqueet de délai raisonnable sont avant tout des garde-fous tenantaux procédures et aux formes, si nécessaires au droit. Mais ilfaut encore, bien entendu, que le contenu du droit lui-mêmerespecte le droit à la dignité humaine et les droits et libertésque nous avons mis des siècles à énoncer. Il ne suffit bienévidemment pas de faire vite pour faire bien. La Courconstitutionnelle belge a ainsi, en mai 2008, annulé unedisposition légale. Celle-ci prévoyait, pour les demandes desuspension en extrême urgence contre les décisionsd’éloignement ou de refoulement dont l’exécution estimminente, un délai de recours de 24 heures seulement. Notre Cour Suprême a récusé cette façon de faire. Les délaisne peuvent pas non plus être déraisonnablement courts.

Tout acte posé par un État ou par une personne véhiculeune image, un modèle. Par nos actes, nous montrons aumonde entier ce que nous sommes. Ces dernières années,nous en sommes arrivés à reprocher à des rescapés de lamisère ou de la guerre de vouloir réaliser leur rêve d’une viemeilleure. Cela me fait penser à des lignes lucides qu’UmbertoEco a écrites au sujet de notre société. Il a expliqué que notrepropre vie se carnavalise et que nous assistons tous les joursà des « spectacles, (…) qui représentent la vie comme un éternelCarnaval, où des bouffons et de très belles filles ne lancentpas des confettis mais une pluie de milliards que tout un chacunpeut gagner en jouant (et après, – poursuit Eco – nous nouslamentons parce que les Albanais, séduits par cette image denotre pays, font de faux papiers pour venir en ce Luna Parkpermanent) ».

Quelle raison valable avons-nous de refuser ces personnes ?De quel droit repousserions-nous des êtres humains qui

vivent dans notre maison depuis des années, qui y ont leursenfants qui jouent avec nos enfants, dans notre langue qu’ilsparlent comme leur langue maternelle ? De quel droit les

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grands-pères de nos grands-pères ont-ils, au juste, spolié lesmaisons et les jardins d’autrui sur d’autres continents ? Ils ontenfoncé les portes de leurs maisons, et, non, cela ne date pasdu Moyen Age, cela date tout juste d’avant-hier. Par ailleurs,nous n’avons pas non plus hésité, il y a quelques décenniesà peine – c’était hier – à accueillir à bras ouverts des millionsd’hommes et de femmes, quand il s’agissait de descendresous nos terres pour aller chercher le charbon.

Aujourd’hui, on entend souvent qu’on ne peut tout de mêmepas accueillir toute la misère du monde. Mais si l’on creuse,si l’on va au fond des choses, on peut aussi se souvenir dupropos de Kant qui, dans son Projet de paix perpétuelle, parlait« du droit de commune possession de la surface de la terresur laquelle, en tant que sphérique, les hommes ne peuventse disperser à l'infini; il faut donc qu'ils se supportent les unsà côté des autres, personne n'ayant originairement le droit dese trouver à un endroit de la Terre plutôt qu'à un autre ».Personne n’a originairement le droit de se trouver ici plutôtque là-bas. Tout système juridique est une constructionnécessairement humaine. Un voile tout artificiel jeté sur laréalité. Or, cette réalité ne s’encombre pas des frontièresjuridiques qui délimitent nos espaces.

Ma réalité à moi, c’est Bruxelles. Et si Bruxelles me plaît,c’est parce qu’on y parle mille langues, qu’on y mange toutesles cuisines du monde, qu’on y rencontre, à toute heure dujour et de la nuit, des hommes et des femmes de tous horizons.Avec ou sans papiers… Mais nos vies se résumeraient-ellesà des bouts de papier ? Humainement, économiquement etculturellement, les sans-papiers nous offrent déjà beaucoupdes choses. Dans la clandestinité. Quelle hypocrisie nousempêche-t-elle de voir la réalité en face ?

La vie de Rothman est en Belgique : il y a sa famille, ses amis,sa petite amie, son entourage. Il y poursuit des étudessupérieures. Il y projette son futur, car, aujourd’hui, il est d’ici. Toutsimplement. Son pays natal lui est d’ailleurs devenu… étranger.

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Nous nous sommes proclamés hérauts des Droits del’Homme.

Qu’attendons-nous, au juste, pour faire concorder nos actesavec nos paroles ?

Et voilà que nous nous retrouvons devant une questionéternelle…

Celle que nous nous posons toutes et tous, tout au longde nos existences. Celle dont nous remettons souvent laréponse au lendemain, car la réponse que nous pressentons,parfois, nous fait peur. Peur de remettre en cause nos structuresétablies, nos conforts, nos repères.

La question : qu’est-ce que nous attendons pour changer ?C’est aujourd’hui que les changements doivent intervenir.

C’est dans le présent qu’il faut agir.Que cessent ces attentes illégales.Le 1er février 2009, à Bruxelles, Rothman Salazar poursuit

le rêve d’une vie meilleure.Au même moment, dans la clandestinité des rues belges,

des sans-papiers attendent…

Toujours au même moment, à Caen, un jeune avocatbruxellois prononce humblement les derniers mots de saplaidoirie et vous remercie de l’avoir écouté.

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Pour la défense de Salim Hamdan

et de tous les combattants ennemis

des Etats-Unis,en détention

à perpétuité *

Maître Robert King

Washington DC - Etats-Unis

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LA DÉFENSEDES DROITS

DE L’HOMME

* plaidoirie en langue étrangère traduite en français

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Il s’agit ici d’un cas de justice pour l’exemple.

Mesdames et Messieurs les membres du jury, Mesdames, Messieurs,Le 7 août 2008, un jury composé de six officiers militaires

a accusé le chauffeur de Oussama Ben Laden - Salim Hamdan - d’avoir apporté son aide matérielle au terrorisme.Le jury l’a alors condamné à une peine d’emprisonnementrelativement courte. Ce même gouvernement des États-Unisqui a créé ces tribunaux militaires spéciaux dans sa « Guerrecontre le terrorisme », n’a pas respecté la décision du jury.

De fait, il est possible que les États-Unis ne libèrent jamaisM. Hamdan.

Le Parquet a demandé au jury de condamner M. Hamdansur la base des accusations les plus graves, en tant queprétendu combattant ennemi. Il a également requis une peine d’emprisonnement allant de 30 ans à perpétuité.Toutefois, le jury n’a condamné M. Hamdan qu’à cinq moisd’emprisonnement supplémentaires, en sus de la détentiondéjà effectuée. Ce verdict a considérablement embarrassé legouvernement américain au cours de son premier procès d’unterroriste présumé à Guantánamo Bay, Cuba. Le procès deM. Hamdan était supposé constituer un modèle pour d’autrespoursuites judiciaires dans les mois, années et probablementdécennies à venir. Il devait s’agir de ce que les Américainsnomment « un procès pour l’exemple ». Peu importe que lesjuristes et avocats militaires aient affirmé que les argumentsretenus contre M. Hamdan étaient faibles. Le Parquet n’a établiaucun lien entre M. Hamdan et tout acte terroriste. L’accusationa toutefois insisté sur le fait que M. Hamdan était un membredu cercle intime de Ben Laden. Ce procès a donc pris le passur les autres procès au « Camp de la Justice ». Les chosesne se sont pas déroulées comme l’avait prévu le Parquet.

En même temps que M. Hamdan, les États-Unis font leprocès de leur propre appareil judiciaire à Guantánamo Bay.

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Salim Hamdan vient du Yémen. Lorsque les troupesaméricaines l’ont placé en garde à vue en Afghanistan en 2001,c’était l’un des sept chauffeurs de Oussama Ben Laden. C’étaitle seul emploi qu’il avait pu trouver. Il gagnait 200 $ par moiset avait terriblement besoin de cet argent pour subvenir auxbesoins de sa famille.

Après l’avoir capturé, les soldats ont emmené M. Hamdandans une prison gérée par la Central Intelligence Agency enAfghanistan. Les détails concernant la détention de M. Hamdanen Afghanistan sont secrets. Un juge militaire a toutefois rejetél’utilisation des aveux de M. Hamdan lors du procès, car laC.I.A. avait obtenu ces aveux sous la torture. Les fuitesprovenant des notes de service de l’administration Bush ontrévélé que la C.I.A. employait des méthodes physiques etpsychologiques extrêmes à l’encontre de ses détenus. L’unedes méthodes est une simulation hautement réaliste del’étouffement, nommée la torture par l’eau. Les experts ontaffirmé qu’il s’agissait de torture. La Convention des Nationsunies contre la Torture de 1984, à laquelle ont pris part lesÉtats-Unis, interdit et condamne une telle pratique.

La C.I.A. a par la suite transféré M. Hamdan à Guantánamo,où il a été traité tout aussi durement. Il a subi un isolementprolongé, des humiliations sexuelles et d’autres torturesphysiques et psychologiques. Une profonde dépression l’a poussé à cesser de s’alimenter et de boire. Et ce, mêmelorsque les gardiens de M. Hamdan se sont inquiétés de sonévidente dégradation. Finalement, les avocats l’ont encouragéà absorber de la nourriture et de l’eau pour l’amour de sesenfants.

Lors de son procès, le tribunal a refusé à M. Hamdan l’accèsà des documents critiques et à d’autres preuves vitales poursa défense. Le tribunal a entendu des témoignages et menédes procédures en secret, et ce à plusieurs reprises. Lesinterprètes du tribunal étaient tellement incompétents qu’ilsont constamment traduit le terme « chauffeur » par « avocat »lorsqu’ils se référaient à M. Hamdan. Le tribunal n’a condamné

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M. Hamdan qu’après avoir accepté des témoignages sous lacontrainte, des dépositions sur la foi d’un tiers et un secondaveu obtenu après 50 jours complets de privation de sommeil.Les personnes ayant procédé à l’audition n’ont pas signifié àM. Hamdan ses droits concernant l’auto-incrimination. Malgréces avantages dont bénéficiait l’accusation, l’Armée n’a pucondamner M. Hamdan sur la base des accusations les plussérieuses de conspiration en vue de commettre des actesterroristes. Le jury a simplement refusé d’y voir une preuve dedélit grave lorsque cette preuve n’existait pas.

Les avocats de la défense se sont interrogés pour savoirsi le fait de fournir une assistance matérielle au terrorismeconstituait réellement un crime de guerre. L’accusation étaitsans précédent au niveau du droit international ou du droit de la guerre. C’était une nouvelle accusation, conçuespécialement pour les Commissions Militaires créées en 2006, des années après l’arrestation de M. Hamdan. Lesavocats militaires ont également remis en question la mise en accusation de quelqu’un qui travaillait en qualité de simplechauffeur. Les historiens ont noté que les procureurs deNuremberg n’ont pas accusé le chauffeur d’Adolf Hitler, ErichKampka, de crimes de guerre.

Dans le cas de M. Hamdan, ce système juridique artificieldéformait fortement les règles et allait à l’encontre de sa défense.

Ce même système a alors refusé d’accepter la décision du jury lorsque le gouvernement s’est montré insatisfait desrésultats. Dernièrement, l’Armée a obligé l’avocat commisd’office de M. Hamdan à quitter la Marine, pour se venger dene pas avoir réussi à contraindre son propre client à plaidercoupable, comme on le lui avait ordonné.

Suite à la condamnation de M. Hamdan, un porte-paroledu Pentagone a rapidement reformulé le droit auto-proclamédu gouvernement à identifier, arrêter et détenir quelqu’un pourune durée indéterminée, en tant que combattant ennemi. Celaincluait M. Hamdan. Les verdicts et jugements n’excluent pasles détentions à durée indéterminée.

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Par conséquent, les avocats du gouvernement ont déposéune requête afin de modifier la décision du jury de porter aucrédit de M. Hamdan le temps qu’il avait déjà passé en prison.Le juge du procès de l’affaire Hamdan a rejeté la requête.Néanmoins, le Pentagone rappelait au juge dans cette requêteque le gouvernement ne considérait pas les décisions dutribunal concernant Guantánamo comme exécutoires.

Le Pentagone soutient que le statut des combattantsennemis est indépendant de toute condamnation. En vertu dudroit des conflits armés, le gouvernement affirme qu’il peutdétenir un combattant ennemi jusqu’à ce que la guerre contrele terrorisme ait pris fin. En outre, la guerre contre le terrorismepeut ne jamais s’achever.

Vu que l’Armée réclame d’être investie de l’autorité qui luipermettrait d’identifier les combattants ennemis, presque toutle monde a jugé choquante cette attitude du Pentagone, enraison du risque de détention abusive pour une duréeindéterminée. La requête d’annulation du verdict concernantl’affaire Hamdan indique clairement que l’Armée s’estime au-dessus des lois et au-delà des tribunaux.

Ces actions, tant lors du procès que par la suite, enfreignentdirectement l’article 9 de la Déclaration Universelle des Droitsde l’Homme, qui stipule que « Nul ne peut être arbitrairementarrêté, détenu ou exilé. »

Le traitement des détenus enfreint également les articlesde la Déclaration visant la protection des accusés dans lesaffaires pénales.

L’article 10 affirme également que toute personne accuséed’infraction a droit à ce que sa cause soit entendueéquitablement et publiquement par un tribunal indépendantet impartial.

Selon l’article 11, toute personne accusée est présuméeinnocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalementétablie au cours d'un procès public où toutes les garantiesnécessaires à sa défense lui auront été assurées. L’articleinterdit également la condamnation pour des actions ou

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omissions qui, au moment où elles ont été commises, neconstituaient pas un acte délictueux d'après le droit.

La législation américaine reconnaît ces mêmes protections.La détention arbitraire et à durée indéterminée de M. Hamdanenfreint ces principes légaux établis, que l’on retrouveintégralement dans la Constitution américaine. La législationaméricaine renvoie également aux protections mentionnéesdans les articles 5 à 8 de la Déclaration, garantissant que nulne sera soumis à la torture, assurant le droit à la reconnaissancede sa personnalité juridique ainsi qu’une égale protection dela loi et un recours effectif contre les actes violant les Droitsfondamentaux de l’Homme.

La Constitution américaine garantit en outre un procèspublic rapide. Les États-Unis ont toutefois emprisonné desdétenus à Guantánamo pendant plusieurs années sans procès.

Sans aucune justification légitime du point de vue légal, legouvernement prétend que les inculpés de Guantánamo nepeuvent bénéficier de telles protections.

L’administration Bush a soutenu que les dispositions de laTroisième Convention de Genève, concernant le traitementdes prisonniers de guerre, ne concernaient pas les « combattants ennemis illégaux ». Ce terme a été créé par lesÉtats-Unis eux-mêmes lors de la guerre menée contre leterrorisme. C’est une accusation ambiguë, qui comprend unevaste série d’actes, y compris le simple fait de se trouver aumauvais endroit, au mauvais moment.

Aucune condamnation n’est nécessaire. Le Pentagonesoutient que le fait d’avoir été identifié en tant que combattantennemi suffit à entraîner une détention à durée indéterminée.La jurisprudence et les commentaires sur le sujet établissentque personne n’est hors la loi dans des mains ennemies. Le Président Theodore Roosevelt déclarait que « Nul hommen’est au-dessus des lois, et nul homme n’est en-dessous deslois ». C’est l’un des principes chéris de la législation américaine.

Les États-Unis ont traité M. Hamdan et ses compagnonsdétenus comme s’ils étaient en-dessous des lois.

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De surcroît, le gouvernement les a détenus hors des États-Unis, dans une tentative de les mettre hors de portéede ses tribunaux en place. La Cour Suprême des États-Unisa rejeté cette tactique l’an dernier, en prononçant une décisionqui garantissait aux détenus de Guantánamo le droit decontester leur détention (habeas corpus).

Environ 255 détenus sont actuellement emprisonnés àGuantánamo Bay. Les procureurs militaires déclarent avoiractuellement l’intention de juger 80 détenus pour leurs liensprésumés avec Al-Qaida ou les Talibans. Nul doute que cesprocès emprunteront les mêmes chemins sinueux que le procèsde M. Hamdan.

Mohammed Jawad, arrêté en Afghanistan alors qu’il n’étaitqu’un jeune homme, fait partie des détenus qui attendent depasser en jugement. Le Parquet accuse M. Jawad d’avoir lancéune grenade qui a blessé deux soldats américains et leurinterprète en 2002. S’il est condamné, il risque la prison àperpétuité. En septembre de l’an dernier, le procureur chargéde l’affaire a démissionné après avoir accepté une demandede non-lieu présentée par la défense en faveur de M. Jawad.Le procureur précédent, Darrel Vandeveld, un Lieutenant-colonel de l’Armée, avait affirmé que le gouvernement rejetaitles éléments à décharge dans l’affaire de M. Jawad, notammentle fait que deux autres hommes avaient avoué le délit. Un jugemilitaire a exclu l’utilisation des aveux de M. Jawad lors deson futur procès, car les personnes ayant recueilli ses aveuxles ont obtenus sous la torture, en le menaçant, entre autres,de tuer sa famille. L’Armée refuse toujours de rendre uneordonnance de non-lieu.

Le Parquet a abandonné les poursuites engagées contrecinq autres détenus après que le Colonel Vandeveld ait affirméqu’il témoignerait en leur faveur au cours de leur procès. Cescinq détenus sont toujours en prison pour une durée indéterminée.

L’ancien Procureur général Morris Davis, un Colonel del’Armée de l’Air, s’est démis de ses fonctions en octobre dernieraprès avoir accusé le Pentagone d’interférence politique

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avec Camp Justice. Il a par la suite attesté que le Général du Pentagone en charge des tribunaux militaires avait faitpression pour que le procès de M. Jawad ait lieu avant celuides autres détenus. Le Colonel Davis a déclaré que le Généralpensait que la condamnation de M. Jawad était nécessaire au Pentagone pour encourager le soutien populaire desAméricains envers la procédure à Guantánamo. En d’autrestermes, les tribunaux militaires avaient besoin de gagner unprocès retentissant, suite à l’embarras des relations publiquesdans l’affaire Hamdan. L’accusation portée contre M. Jawaddoit représenter cette occasion pour le gouvernement.

La détention à Guantánamo pour une durée indéterminéene se limite pas aux terroristes présumés. Les troupesaméricaines ont pris en Afghanistan un petit groupe de Turcsmusulmans connus sous le nom de Ouïgours, au début del’invasion en 2001. Le gouvernement reconnaît maintenantque les Ouïgours n’ont commis aucun crime. Ce sont desmembres d’une minorité religieuse de l’Ouest de la Chine. Ils s’étaient réfugiés en Afghanistan et se sont simplementtrouvés au mauvais endroit, au mauvais moment.

Après avoir prétendu dans un premier temps que lesOuïgours constituaient une menace pour les États-Unis, lesresponsables de Guantánamo ont admis à contrecœur queles Ouïgours ne représentaient aucun danger. Un juge fédérala ordonné qu’ils soient libérés.

Le gouvernement continue toutefois à refuser d’obéir. Leretour des Ouïgours en Chine n’est pas une optionenvisageable, en raison des persécutions qu’ils subiront sansdoute chez eux. Compte tenu du refus du gouvernementd’autoriser les Ouïgours à s’établir en Amérique, aucun autrepays ne souhaite maintenant les accueillir. Il est peu probableque le gouvernement américain libère les Ouïgours en Amériquesans avoir livré une lutte acharnée en justice, laquelle a déjàcommencé. Les Ouïgours comptent sur les tribunaux fédérauxaméricains pour faire valoir la primauté du droit sur les hommesqui pourraient par la suite les placer en détention.

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La Suprême Cour américaine et l’intégralité des Courssuprêmes de 50 États ont écrit que les États-Unis étaientgouvernés par les lois et non par les hommes.

Le traitement subi par M. Hamdan et d’autres détenus deGuantánamo les place non pas dans les mains de la loi, maisdans les mains arbitraires du gouvernement, et même dansles poings de l’Armée. L’abandon des règles de droit àGuantánamo est manifeste dans la saga de M. Hamdan etdes autres détenus dont nous ne connaissons pas encoretotalement les nombreuses histoires. Un discours défendantM. Hamdan constitue forcément une mise en accusation dusystème qui le retient à tort prisonnier à Guantánamo Bay, demême que d’autres détenus.

Les exemples de conduites honteuses et nonprofessionnelles sont bien trop nombreux à Guantánamo.

Il est fort regrettable que les États-Unis aient permis à leursystème judiciaire d’être associé à la torture.

Pas très loin de ce Mémorial, mon oncle – dont je porte lenom – gît dans une tombe au-dessus des plages deNormandie, où il est tombé au cours d’une bataille à l’âge de21 ans, peu après le Jour J. Il aurait sûrement été horrifié queson pays bien-aimé soit identifié d’une quelconque manière àla torture, une violation fondamentale des Droits de l’Hommequ’il aurait associée aux régimes brutaux et totalitaires contrelesquels lui et les autres soldats alliés luttaient, pendant laSeconde Guerre mondiale.

Le jury de Hamdan et les avocats de la défense ontcertainement fait preuve de courage et de professionnalisme.Ainsi, quatre procureurs au moins ont préféré démissionnerplutôt que participer à des poursuites judiciaires abusivesenvers certains détenus.

Il existe une lueur d’espoir. La justice ne peut toutefois pasreposer dans les mains des hommes et femmes bienfaisantsqui font bien les choses. Elle repose sur la remise de chaqueinculpé dans les mains impartiales de la loi, afin que le même

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traitement soit assuré aux amis et aux ennemis. C’est cequ’exigent la Constitution américaine, la Déclaration Universelledes Droits de l’Homme et les Conventions de Genève.

Une démocratie moderne ne peut livrer son systèmejuridique et ses protections légales à la peur, la frustration, lacolère ou la revanche. La torture ne peut non plus être unecomposante du Système de Justice pénale, quelle que soit lagravité des délits commis par les auteurs. Ceux qui ont souhaitépresque tout accepter au nom de la sécurité doivent réaliserque les droits et protections refusés à l’un peuvent être refusésà tous. Nous protégeons nos propres droits légaux et humainsen les assurant aux autres, et même à ceux qui sont accusésou se sont rendus coupables de crimes abominables.L’adhésion à ces principes ne peut reposer sur un individu ousur un groupe exerçant le pouvoir à un moment donné. Ils sontimmuables. Les États-Unis doivent maintenant respecter cesprincipes dans l’affaire Hamdan.

Le gouvernement devrait libérer et rapatrier M. Hamdan.C’est une question de dignité pour le système judiciaireaméricain.

La législation, tant nationale qu’internationale, exige de faire preuve de respect envers l’affaire de chaque détenu.Camp Justice et ses tribunaux militaires ont été fortementdénigrés et jugés inaptes à cette tâche aux yeux du peupleaméricain ou du monde. Les États-Unis doivent abroger laMilitary Commissions Act - loi anti-terroriste américaine - de2006, et sa prétendue immunité pour quiconque s’est renducoupable d’une conduite délictuelle lors du traitement desdétenus. L’Armée doit également remettre les détenus deGuantánamo aux tribunaux civils et militaires en place, en vue de trancher leur cas équitablement et dans les meilleursdélais.

Enfin, les États-Unis doivent fermer la prison deGuantánamo Bay.

C’est la seule manière de faire de la justice un exemple.

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Les pas s’approchent

Maître Camélia Assadi

Castenet Tolosan - France

LA DÉFENSEDES DROITS

DE L’HOMME

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J’entends des bruits de pas derrière la porte.Ils s’approchent ; je retiens mon souffle. S’ils s’arrêtent

devant ma cellule, c’est que mon tour est arrivé.Normalement, c’était prévu pour le 28 août. Mais le 25, ils m’ont dit que la date avait été repoussée.Ça ne m’a pas empêché de passer des nuits blanches,

parce que tu sais, depuis le coup qu’ils ont fait à Behnam, jene leur fais plus confiance.

Tu n’as pas entendu parler de Behnam ? Alors, je t’explique.Le 21 avril 2005 Behnam s’est retrouvé impliqué dans une

bagarre avec un homme. Il avait un couteau à la main, il lui aporté un coup au cou.

La blessure a été grave puisque l’homme en est mort.Behnam s’est fait arrêter le 13 novembre 2005.Il a été jugé pour assassinat, ce qui veut dire qu’il avait

prémédité son geste, et le Tribunal l’a condamné à mort.Je ne trouve pas ça normal parce que je suis sûr que le

coup est parti dans un geste de défense et que Behnam nevoulait pas tuer.

Et puis même, je ne comprends pas à quoi sert de tuerquelqu’un coupable de meurtre ou d’assassinat : à part prendreune vie de plus, à quoi cela peut-il bien servir ?

Ils l’ont gardé longtemps dans la partie des condamnés àmort, puisque encore en février 2008, un ayatollah avait ordonnéune dernière tentative de négociation avec la famille de lavictime, pour voir si celle-ci ne pouvait accorder son pardonen échange d’une indemnisation.

Donc, Behnam, attendait les résultats de ces tentatives.Il faut croire qu’« eux » n’ont plus voulu attendre, parce

qu’ils sont venus le chercher le 26 août.Ce jour-là, les pas se sont arrêtés devant la porte de sa

cellule. Ce jour-là, ils l’ont pendu à la prison de Chiraz, sans prévenir

ni ses parents, ni son avocat. Il est mort seul.

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Je ne trouve pas ça normal.Je pense qu’on aurait pu au moins lui permettre de dire au

revoir, de tenir la main de sa mère, pour que sa chaleur luidonne du courage ; le courage d’affronter la mort.

Parce que lorsque l’on est enfant, on n’est pas préparé àattendre la mort.

Lorsque l’on est enfant, on te dit que tu es sacré, qu’il n’ya rien de plus précieux que toi dans la société.

On te dit que tuer un enfant, c’est comme tuer l’espérance,c’est détruire l’innocence.

C’est comme porter atteinte à l’essence même del’humanité.

On te dit que l’homme qui tue un enfant, il tue son propreavenir.

Alors, comment veux-tu qu’on se prépare à... être mis àmort ?

Je suis sûr qu’il a eu peur ; peut-être même qu’il a eu enviede pleurer.

Peut-être même qu’il a tourné la tête de tous les côtés pouressayer de trouver du réconfort dans un regard.

Mais dans ces moments-là, où peux-tu trouver du réconfortsauf dans le regard d’un être cher, mais dont on t’a privé dela présence, comme une dernière punition.

À moins que ce n’ait été un ultime signe de mépris ?C’est pour cela que je pense qu’ils auraient pu, au moins,

lui éviter d’avoir (peut-être) un peu moins peur au moment departir, en permettant à sa famille d’assister à son exécution.

Mais en dehors de tout cela, je ne trouve pas ça normal,parce qu’au moment des faits, Behnam n’avait que 15 ans.

Il était mineur.Comme moi.Tu comprends maintenant pourquoi je ne peux plus leur

faire confiance.Jusqu’à présent, j’avais l’espoir qu’ils auraient peut-être

pitié, parce que moi aussi, en 1996, quand j’ai tué ma mammie,moi aussi je n’avais que 15 ans.

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Je ne l’ai pas tuée parce que je ne l’aimais pas, au contraire.C’est parce qu’elle souffrait, qu’à 70 ans elle en avait assez,et qu’elle m’avait confié qu’elle voulait se suicider.

Moi, j’ai voulu l’aider. J’ai tué ma mammie parce que jel’aimais.

Je leur ai expliqué quand ils m’ont jugé.Ca leur a paru bizarre que l’on puisse tuer par amour. C’est

normal, eux ils tuent parce qu’ils ne savent pas ce que c’estque l’amour : l’amour de la vie.

C’est normal, la vie des autres n’a aucune valeur pour eux.Mais, mes explications leur ont paru tellement bizarres que

le premier juge a ordonné une expertise. À la suite de cet examen, ils m’ont expliqué que j’avais des

troubles psychologiques.Le juge m’a donc condamné à 5 ans d’emprisonnement, mais

aussi à payer la « diya » (littéralement, « le prix du sang ») à lafamille de la victime ; autrement dit à ma propre famille.

C’est là que les problèmes ont commencé.Certains membres de la famille ont fait appel.Je n’ai pas compris pourquoi, parce que je pensais que

lorsque l’on était de la même famille, on devait s’aimer.J’ai donc été rejugé, et cette fois-ci, la Cour Suprême m’a

condamné à mort.On m’a expliqué qu’il suffisait qu’une seule personne de la

famille de la victime ne soit pas d’accord, et je serai exécuté,même si la diya est payée aux autres.

On m’a expliqué que l’Iran est signataire de la Conventionrelative aux droits de l’enfant, et du Pacte International Relatifsaux Droits Civils et Politiques, lesquels interdisent l’exécutiondes mineurs délinquants.

Mais alors, comment se fait-il qu’ils ont exécuté Behnam ?

On m’a alors expliqué qu’en réalité, il ne s’agissait pas làd’« exécutions » mais de mesure de « réparations ».

En effet, selon le droit islamique, à défaut d’avoir obtenu lepardon de tous les membres de la famille de la victime, même

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après paiement de la diya, la « réparation » prévue en casd’homicide est l’application de la condamnation à mort.

Selon la législation iranienne, une personne reconnuecoupable de meurtre n’est pas autorisée à demander la grâceaux autorités.

Par conséquent, le droit de vie ou de mort sur le condamnéappartient à la famille de la victime.

Elle seule dispose du choix entre exiger la mise enapplication de la peine de mort prononcée, et le pardon enéchange d’une compensation financière.

Comme ce qui est arrivé dans ma famille.Mais je t’avoue que l’on a beau m’expliquer, j’ai du mal à

comprendre.C’est sans doute parce que j’ai des troubles psychologiques

que je n’arrive pas à comprendre tout cela.Et puis cela fait maintenant 12 ans.12 ans pour vieillir alors qu’un jeune de mon âge, à 27 ans

aujourd’hui, commence à peine à mûrir.12 ans que, un jour j’attends ma mort, un jour j’espère dans

la vie.Des jours comme le 16 octobre dernier par exemple, où le

Procureur adjoint avait laissé entendre que les autorités avaientdécidé de ne plus exécuter des mineurs délinquants.

Ce jour-là, je m’en souviendrais toujours … enfin « toujours » … Ce jour-là, j’ai eu du soleil dans le cœur.Ce jour-là, mon cœur s’est emballé parce qu’il a pensé qu’il

allait continuer à battre.Ce jour-là, je me suis dit que ces 12 années passées en

prison à attendre ma mort, avaient bien valu la peine d’êtrevécues, malgré tout.

Seulement, juste 13 jours après, ils ont exécuté Gholamreza,ici, dans cette prison.

Gholamreza était mon copain, il était dans la cellule d’àcôté.

Lui, on ne lui a pas laissé le temps de « vieillir ». Il n’avaitque 19 ans au moment de sa mort.

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C’était un copain d’infortune certes, mais un copain quandmême, parce qu’au moment du meurtre qu’il avait commis surla personne d’un adulte qui, selon lui, avait offensé sa sœur,il n’avait que 17 ans.

Ils sont venus le chercher le matin du 29 octobre ; deux ansaprès.

C’est toujours le matin ; je me demande pourquoi.C’est comme si tout d’un coup, ils se rendent compte que

le moment est venu d’ôter une vie, et que cette vie-là n’a pasbesoin de finir la journée.

Mais après tout, c’est peut-être mieux ainsi. Lorsque lemoment arrive, plus on te fait attendre, plus tu as le tempsd’avoir peur.

Cela fait 12 ans que je me pose ce genre de question.Cela fait 12 ans qu’à chaque fois que midi arrive, c’est

comme si j’avais gagné toute une vie.Cela fait 12 ans que chaque aube est un moment de

supplice.Cela fait 12 ans que je crois mourir tous les matins, et

j’essaie de vivre une vie pendant le reste de la journée qui mereste.

12 ans qu’à chaque fois que les pas s’approchent, j’ai peurqu’ils ne s’arrêtent.

Qu’à chaque fois qu’ils s’arrêtent, mon cœur, lui, s’emballe.Cela n’aide pas à comprendre.Je continue à attendre depuis le 28 août.CHUT, j’entends des pas …

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Hélas, seul le dialogue est imaginaire.

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Ken Bougoul ou la tragédie des sans voix

Maître El Hadji Daouda Seck

Dakar - Sénégal

LA DÉFENSEDES DROITS

DE L’HOMME

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Il est assez fréquent qu’en prélude à son ouvrage, l’auteurplaque un avertissement, comme une sorte de parapluieopportunément ouvert pour se protéger des éclaboussuresde son propos. S’il m’était permis d’en faire autant et au reboursde ce à quoi nous sommes accoutumés j’aurais dit : « Cecin’est pas un conte. Ceci n’est pas un divertissement.Touteressemblance avec des personnages et situations ayant existén’est ni le fruit du hasard, ni une malencontreuse coïncidence,mais une tragique réalité. »

Mesdames Messieurs, Pourtant tout aurait pu commencer comme dans un conte :

Il était une fois, un beau navire qui desservait la liaison maritime entre Dakar capitale du Sénégal et Ziguinchor, plusau sud, dans la verte Casamance.

Le Joola, tel était le nom de ce navire, c’était aussi touteune ambiance : les promenades sur le pont où les contactsse nouaient après la cohue de l’embarquement.

Le bonheur de découvrir le ballet des dauphins avant ledébarquement.

Le jeudi 26 septembre 2002, vers 23 heures, le navire quiétait prévu au maximum pour 550 passagers chavirait avecenviron 2 000 personnes à son bord.

Combien étaient-elles, combien sont mortes ? On ne lesaura jamais avec exactitude !

La carcasse engloutie d’un navire d’une capacité théoriquede 550 passagers est la pathétique ultime demeure d’une listenominative, à jamais provisoire de 1 953 victimes !

1 953 morts... 64 survivants… dont une seule femme, KenBougoul.

Dans la langue la plus parlée au Sénégal, la langue Ouolof,Ken Bougoul signifie littéralement « personne n’en veut ». Maisc’est par des prénoms de ce genre que selon certainescroyances, et pour conjurer le mauvais sort, on baptise l’enfantissu d’un ménage où les bébés décèdent de façon répétitive.

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Et pour toute réaction à une pareille tragédie, aucuneréaction ! On érige le silence en roi dans ce royaumed’interrogations, comme pour faire diversion.

Ken Bougoul et toutes les victimes sont des sans voix. Sansvoix parce que pour le plus grand nombre, on ne les entendraplus. Sans voix parce que pour ceux qui réclament justice c’estcomme si on refusait de les entendre.

Et pourtant, personne ne voudrait connaître le sort de ceuxqui ont péri dans ce navire. Personne ne voudrait vivre ce queles familles de victimes continuent de souffrir.

Paradoxalement, personne ne veut les entendre et l’on veutvite en finir.

Le maître mot c’est le silence, puisque c’est une causemalcommode que l’on veut engloutir.

Alors j'ai choisi de porter cette robe noire à l’image de cejeudi sombre qui les éprouve encore.

Noire comme le dédale de ces procédures ténébreuses quiinspirent une mise à mort.

Noire comme ce mépris inacceptable qu’on leur oppose àtort.

Noire comme cette injustice monstrueuse qui ne sera passans remords.

Avec ma robe, je serai « la bouche de ceux qui n’ont pointde bouche » comme le fut Césaire.

Je vais hurler pour que nul n’en n’ignore, si c’est encorenécessaire.

Et plaider en ce lieu la violation des Droits de l’Hommecomme il en est le sanctuaire.

Âmes sensibles éprises de Justice, est- il permis de se taire ?Devant une concession dont les murs réclament

désespérément une couche de peinture.Je vais à la rencontre de Ken Bougoul, la seule femme

rescapée du drame.Poules, pintades et canards égaient paradoxalement le

décor d’une maison dont l’atmosphère rappelle celle d’un lieude recueillement.

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Avec une voix faible, mon interlocutrice me confie : « Leschoses se sont passées avec une rapidité telle que personnen’a compris. Le ciel était tout noir et il pleuvait faiblement, ceux qui étaient sur le pont avaient commencé à rejoindre lescabines. Brusquement, un violent mouvement du bateau, leslampes s’éteignent et on sentait l’eau envahir le navireprogressivement sous les cris des passagers terrorisés dansle noir et qui ne comprenaient rien de ce qui se passait ».

Les passagers n’avaient donc rien compris mais le comblec’est que leurs familles cherchent toujours à comprendre, maison ne veut pas leur expliquer, ni même les entendre.

Et pourtant, Dieu sait qu’elles ont des choses à dire.Pourquoi a-t-on remis en mer un navire coutumier des

incidents récurrents et immobilisé pendant près d’un an ?Pourquoi a-t-on entassé autant de personnes dans un bateaudont un des moteurs avait été rafistolé pendant que l’autreétait en rodage ? Pourquoi l’alerte n’a-t-elle été déclenchéequ’à 8h du matin pour un naufrage intervenu à 23h la veille ?

Pourquoi aucun appel de détresse n’a-t-il été reçu ?Pour toute réponse… un silence assourdissant alors que

le naufrage continue jusqu’à ce jour à éprouver rescapés etfamilles de victimes.

1 953 morts…. 64 survivants… et on fait comme si toutallait bien.

Ken Bougoul se souvient « j’avais déjà une certaineexpérience de la mer car je partais à la pêche en pirogue dèsmon jeune âge et c’est peut-être ce qui m’a permis de pouvoirremonter à la surface. L’eau de mer était fortement mélangéeau gasoil qui déferlait du navire et j’en ai beaucoup avalé ».

Ken Bougoul était enceinte de quatre mois au moment dunaufrage.

L’eau de mer fortement mélangée au gasoil fut son uniquebreuvage.

Elle a accouché d’une fille surnommée « bébé Joola » maisle bonheur de cette naissance n’a jamais illuminé son existencequi tangue vertigineusement entre bâbord et tribord.

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« Bébé Joola » est malade et sa mère sans ressources nepeut lui offrir le luxe d’un médecin.

Les droits des enfants et le droit à la santé peuvent attendred’autres lendemains.

Pour l’heure, la priorité de Ken Bougoul réside dansl’équation du prochain repas.

Avec huit enfants à charge, il faut vite aviser ou les voirpasser de vie à trépas.

Et pourtant, l’article 25 de la Déclaration universelle desDroits de l’Homme proclame généreusement : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sasanté, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pourl'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicauxainsi que pour les services sociaux nécessaires (…) ».

Et il poursuit : « La maternité et l'enfance ont droit à uneaide et à une assistance spéciale (…) ».

Ken Bougoul, une femme enceinte de quatre mois qui pourcoûte que coûte sauver sa vie et celle qu’elle porte avale eaude mer et gasoil en un sombre mélange.

Ken Bougoul, une mère indigente et malade avec à sonchevet, son enfant de 6 ans malade, également, mais sansaucune forme d’assistance.

Et pourtant, la Constitution de l'Organisation mondiale dela Santé (OMS) adoptée en 1946, proclame : « La possessiondu meilleur état de santé qu'il est capable d'atteindre constituel'un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles quesoient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa conditionéconomique ou sociale ».

À quand le respect de ces droits reconnus à la maternité,à l’enfance et à la santé ?

L’État sénégalais a commencé par une cargaison depromesses dans le navire d’amertume des familles de victimesvoguant vers le port de l’espérance.

À l’arrivée, c’est un conglomérat d’avaries impropres à laconsommation.

Les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs : pas de

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renflouement du navire pour permettre aux familles de faireleur deuil, pas d’association de familles de victimes, le ministrede l’Intérieur ayant dissout l’association sans aucune formed’explication, pas de musée du souvenir comme promispuisque le site précédemment retenu est affecté à autre choseet comme si tout ceci ne suffisait pas : pas de Justice.

« La raison du plus fort reste décidément toujours lameilleure » aurait pu dire La Fontaine. Pourtant il ne s’agit pasd’une fable, même tragique, et nous ne sommes pas lesanimaux de la jungle.

C’est la dignité humaine qui est menée à l’autel du sacrificepar d’autres humains.

Le crime qui ne peut être absous est celui d’être victimedu mauvais sort.

Le Président Wilson Churchill disait : « En temps de guerre,la vérité est tellement précieuse qu’elle est escortée par un tasde mensonges ».

Le fait que ce navire était géré par des militaires permet-ilde penser que nous serions en perpétuel temps de guerre ?

Le 16 mars 1978 au large de Portsall l'Amoco Cadiz,pétrolier battant pavillon libérien s'était échoué. Conséquencesjudiciaires ? 14 ans de procès.

Le 12 décembre 1999, le pétrolier Erika sombrait dans leFinistère, alors qu'il transportait une cargaison d'hydrocarbures.Conséquences judiciaires ? Jusqu’à ce jour, le procès est encours.

Le 26 septembre 2002 au Sénégal le naufrage du "Joola"faisait plus de victimes que "Le Titanic" 1 953 morts … 64rescapés. Conséquences judiciaires ? Classement sans suite.

Pour les hydrocarbures, pour les gros intérêts en jeu, pourles plages polluées, ce sont procédures à l’infini ! Mais pour1 953 morts, silence… C’est le coup du sort.

Le 7 août 2003, le Procureur général près la Cour d'Appelde Dakar annonce que le Ministère public a pris la décision declasser sans suite pénale le dossier du naufrage.

Par un raisonnement d’une virtuose acrobatie, le Parquet

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est arrivé à la conclusion renversante qui attribue l’entièreresponsabilité du naufrage au Commandant du navire,opportunément décédé dans la tragédie.

Écoutez ce réquisitoire : « Les causes essentielles de cettetragédie (…) engagent la responsabilité du commandant à quiil incombe seul la décision d’appareiller. Il est évident quecompte tenu de la surcharge avérée, il lui appartenait de refuserd’appareiller comme le ferait tout commandant de bord qui seconforme à la réglementation.

Le commandant du bateau faisant partie des personnesdisparues, l’action publique doit être considérée comme éteinteà son égard, ce qui, au vu de l’article 6 du Code de procédurepénale, conduit le Ministère public à la décision de classementsans suite du dossier au plan pénal ».

C’est ainsi que dans un huis clos anonyme et honteux ona hermétiquement clôturé le drame.

Le regard perdu de Ken Bougoul me revient et visiblementtoutes ces tracasseries l’ennuient.

Quand je lui demande son sentiment sur ce capharnaümjuridique elle me répond qu’elle n’y comprend rien et que sapréoccupation c’est plutôt sa fille malade.

« Dieu m’a sauvée » dit-elle avec détachement, « j’auraispu périr comme ceux qui sont restés dans le navire et je neserais pas là à vous parler ».

Cette réflexion de mon interlocutrice trouble ma doubleconscience : la professionnelle et la spirituelle.

Pour l’avocat que je suis c’est une opération arithmétique :faits avérés + imputabilité indiscutable = responsabilité.

Pour le croyant que je souhaite devenir chaque jour encoreplus, Ken Bougoul me montre la voie en parlant du Tout-Puissant.

J’ai dû recourir à la doctrine pour y voir plus clair, mais pascelle du Dalloz.

En effet, dans son discours du 1er octobre 2002 le Présidentde la République du Sénégal parlait fort justement de cause :

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« Sénégalaises, Sénégalais, Mes Chers compatriotes, Notre pays vient d'être durement frappé par une immense

tragédie qui a coûté à notre peuple plus d'un millier depersonnes, hommes, femmes et enfants. Notre douleur estinsondable, notre malheur incommensurable, tant le désastrepar son étendue touche toutes les catégories ethniques,sociales et religieuses de notre pays.

Bien sûr, le destin est le fait du Tout Puissant mais Dieu nousa aussi dotés de liberté, donc de responsabilité dans les actesque nous commettons et qui peuvent précipiter le cours deschoses ».

Responsabilité ! Le mot est lâché. Ken Bougoul et toutesles victimes méritent justice.

Je pense à ces deux pères de famille rencontrés à Dakarqui ont perdu respectivement trois et quatre enfants d’un coupmais dont la détermination force le respect.

Je pense à cette maman française qui n’hésite pas à fairele voyage entre l’Europe et l’Afrique œuvrant sans relâche etavec courage pour le triomphe de la justice.

Je pense à tous ces frères, sœurs, oncles, tantes, cousins,cousines, amis, camarades, professeurs, voisins, ces anonymeschoqués par le drame pour tout dire, à ces êtres humainssensibles à la tragédie des sans-voix.

Et pourtant, l’article 8 de la Déclaration universelle des Droitsde l’Homme ajoute : « Toute personne a droit à un recourseffectif devant les juridictions nationales compétentes contreles actes violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnuspar la constitution ou par la loi ».

L’État a reconnu sa responsabilité civile et indemnisécertaines familles de victimes.

Pour d’autres, ce n’est pas une question d’argent mais unbesoin de Justice qu’elles désespèrent d’assouvir un jour.

Et pourtant, là encore, l’article 10 de la Déclarationuniverselle des Droits de l’Homme dispose : « Toute personnea droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue

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équitablement et publiquement par un tribunal indépendant etimpartial, qui décidera, soit de ses droits et obligations, soitdu bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigéecontre elle ».

Équitablement et publiquement dit le texte mais de l’autrecôté c’est le huis clos du classement sans suite pour un drameaffectant des passagers de 12 nationalités différentes dont laGuinée-Bissau, le Ghana, le Cameroun, le Niger, le Liban, laSuisse, les Pays-Bas, la Belgique, la Norvège, l’Espagne, laFrance, et le Sénégal bien sûr !

En vertu de la compétence personnelle passive, régie parl’article 113-7 du Code pénal français, une information judiciairea été ouverte le 1er avril 2003 en France.

Le 12 septembre 2008, coup de théâtre !Le juge Jean-Wilfried Noël du Tribunal de Grande Instance

d'Évry qui instruit l’affaire du « Joola », lance 9 mandats d’arrêtinternationaux contre de hauts responsables sénégalais enfonction au moment du naufrage pour « homicides involontaireset non-assistance à personnes en danger ».

Les autorités sénégalaises désapprouvent et au nom de laréciprocité, le doyen des juges d’instruction du tribunal deDakar lance à son tour un mandat d’arrêt international contrele juge Noël pour forfaiture... Peut-être qu’il a commis le crime…de vouloir rompre le silence pour faire parler la loi.

1 953 morts…. 64 survivants…1 900 orphelins mineurs…et « bébé Joola » malade auprès de sa mère malade qui croitencore à l’Humanité et aux Droits de l’Homme.

Mesdames, Messieurs,Ce n’est pas pour moi que je réclame vos lauriers !En m’en couronnant, vous mettrez un terme à ce concert

assourdissant de silences !

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La dure vie d’un enfant

albinos au Mali « il faut sauver

le petit Karim Koulibali »

Maître Guy-Paul Kiele

Puteaux - France

LA DÉFENSEDES DROITS

DE L’HOMME

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La situation des Albinos dans nos sociétés demeurepréoccupante. Être albinos en Afrique est en effet unesouffrance, une épreuve pénible et un destin particulièrementinsupportable, notamment pour les enfants albinos du Mali.

Agé de 8 ans, c’est le cœur abattu et les larmes aux yeuxque le petit Karim Koulibali m’a fait part du calvaire qu’il vit auquotidien à cause de sa couleur de peau.

Du latin « Albus » qui signifie blanc, l’albinisme désigne ladiminution ou l’absence totale de mélanine (matière colorante).Lorsque cette carence en mélanine est double, la peau et lespoils sont de couleur blanche, alors que les yeux sont rougeâtres.

Exposés aux rayons de soleil, il y a un risque potentiel pourque les Albinos soient atteints du cancer de la peau. Il convientcependant de préciser que l’albinisme n’est pas une maladiemais une défectuosité dans la synthèse de la Mélanie.

Toutefois, compte tenu de leur fragilité, la société danslaquelle ils vivent devrait leur assurer une protection et uneattention humaine particulières. Or, il est consternant deconstater que c’est le contraire qui se produit. Les Albinossubissent injustement les pires abominations (rejets, injures,frustrations, humiliations, crimes..). Le vrai drame dans cedossier, c’est que les auteurs de ces atrocités se fondent surdes préjugés obscurs. À se demander s’il ne s’agit pas deprétextes pour justifier des actes répréhensibles et contrairesau Droit de l’Homme.

Les premières victimes de ces préjugés criminogènes (queje m’efforcerai de réfuter) sont les enfants, comme en témoignele cas saisissant de Karim Koulibali, lequel exprime sessouffrances comme un vibrant appel au secours, afin que lesenfants albinos soient traités comme des êtres humains dansle respect des Droits de l’Homme.

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Les souffrances du jeune Karim Koulibali : un appel ausecours

Victime de préjugés, rejeté par ses proches, Karim Koulibaliest en danger. Il est temps de combattre ces préjugésmonstrueux et de faire évoluer les mentalités.

À cause de certains préjugés, Karim est en danger

En premier lieu, notons que l’albinisme suscite denombreuses interrogations, car personne ne parvient àexpliquer pourquoi ces Africains ont la peau blanche. Cemystère donne lieu à toutes sortes de préjugés. D’aucuns yvoient un signe de malédiction, l’albinos est alors considérécomme un porte-malheur.

Certains pensent qu’ils sont le fruit de mauvais esprits, dela souillure (enfants conçus durant la période des règles, femme ayant fait l’amour à la belle étoile ou avec un blanc).D’autres disent qu’ils renferment en eux des pouvoirs magiqueset leur attribuent une puissance maléfique.

Pour récupérer d’imaginaires pouvoirs magiques, lesmarabouts n’hésitent pas à enlever les enfants albinos afin deles sacrifier. Ces féticheurs ont en effet besoin du sang desalbinos pour asperger leurs clients. Dans le cadre de ces rites,les enfants albinos sont enterrés vivants…

Le petit Karim Koulibali, élève en 2ème année à l’école deSikasso (Mali), n’échappe pas à la règle.

Il est rejeté dans son établissement scolaire et au sein desa propre famille.

Au sein de son établissement scolaire, Karim vit un calvaire. Ses camarades le chargent de railleries, de crachats.

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Il est écarté de tous les jeux dans la cour de récréation. Imbibésde préjugés, ils le traitent de « petit blanc...», et l’accusentsans raison d’être un sorcier.

Ne supportant plus d’être traité avec autant de dédain etd’inhumanité, il préfère ranger ses affaires et s’isoler dans uncoin pour pleurer à chaudes larmes jusqu’à épuisement. Etdans sa tristesse, il ne cesse de se demander : « PourquoiDieu m’a-t-il créé pour souffrir autant ? ».

Les seules personnes auprès desquelles il espérait trouverun peu de consolation et de chaleur humaine, c’est-à-dire sesparents, l’ont rejeté. Ils ont honte de lui. Sa mère ayantemménagé avec un autre homme refuse de l’héberger. Il sesent cruellement abandonné. Près de 99 % des parentsabandonnent leur enfant albinos. Car la naissance d’un albinosest perçue comme un signe de malédiction pour toute la famille.

Observons en second lieu que cette situation d’abandonexpose les enfants albinos à un grand danger. Celui d’être àla merci de personnes malveillantes dont nous n’ignorons pasles desseins.

Les enfants albinos sont réduits à la mendicité. C’est dansces circonstances qu’ils seraient prêts à céder à despropositions destinées à les attirer dans un piège. Beaucoupde crimes se commettent ainsi. Étant précisé que les meurtresdes enfants albinos, anormalement qualifiés de « sacrifice »,sont rarement condamnés. Selon de nombreux témoignagesen effet, sacrifier un albinos n’est pas considéré comme uncrime, mais un rite qui s’inscrit dans une tradition pour le moinsobscure. C’est une honte pour l’humanité.

Il faut sauver le petit Karim, lequel craint légitimement d’êtreenlevé à tout moment et sacrifié sans que cela n’inquiètepersonne.

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Marginalisé à cause de sa couleur de peau, le jeune Karimvit dans un état de grande pauvreté. Il survit grâce à l’aide quelui apporte l’Association des Albinos de Sikasso, présidée parMonsieur Traoré. Lequel témoigne avoir été victime d’exclusionparce qu’il est albinos : « J’ai été rejeté par mes parents etpar la société… ». Par le truchement de son association, il aideà son tour ceux qui sont maltraités parce qu’ils ont le malheurd’être albinos. Les aides consenties se traduisent par des donsde fournitures scolaires, de vêtements, de médicaments. C’estgrâce à cette association que Karim a pu trouver une chambredans un foyer. Cet élan de solidarité est appréciable.

Il est grandement temps de combattre ces préjugés quifont tant de dégâts.

Combattre les préjugés macabres, faire évoluer lesmentalités et assurer la protection des enfants albinos

En premier lieu, relevons que les préjugés invoqués pourjustifier les mauvais traitements infligés aux enfants albinossont infondés.

Rien ne prouve en effet que ces enfants sont détenteursde pouvoir maléfiques parce qu’ils ont une anomalie génétique.C’est une vue de l’esprit…

Il n’a pas plus été prouvé que l’albinisme s’explique par lefait que la femme aurait conçu son enfant albinos pendant lapériode de ses règles. Ce qui est d’ailleurs scientifiquementimpossible selon les experts qui ont été interrogés à ce sujet.

Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, l’albinisme estsimplement une anomalie génétique héréditaire, Il n’y a paslieu d’y voir autre chose. En réalité, ces préjugés servent deprétextes à ceux qui croient aux sciences occultes pour justifier

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leurs atrocités. Sous couvert de rites scabreux, ce sont desêtres humains qu’ils exécutent sans scrupule ; et ce, en toutimpunité.

Il convient en second lieu de réformer les mentalités. Lasociété malienne ne doit plus tolérer de tels actes. Cela passepar une véritable information en vue de faire progresser lesmentalités.

En général, ces populations sont mal informées. Une bonnecommunication sur ce sujet serait très utile (colloques,conférences…) Objectifs : bien expliquer ce qu’est réellementl’albinisme ; sensibiliser l’opinion publique nationale etinternationale sur le fait que les albinos sont des êtres humainsfragiles. Ils doivent en conséquence être traités, non commedes sous-hommes parce qu’ils souffrent d’anomaliespigmentaires, mais comme des hommes à part à part entière.

Je suis persuadé que suite à ce travail de communication,les mentalités pourraient évoluer en un sens plus positif etavoir un regard plus humain sur les albinos.

Les enfants albinos sont des êtres humains qu’il convientde traiter dans le respect des droits de l’homme : commentsauver Karim

L’exclusion et les mauvais traitements dont Karim fait l’objetpeuvent être assimilés à une discrimination contraire aux Droitsde l’Homme. Il devient urgent de garantir la protection desenfants albinos.

Les mauvais traitements dont se plaint Karim constituentune discrimination en violation des principes fondamentauxrelatifs à la protection de la personne humaine

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Tout d’abord, l’article 1er de la Convention internationale du4 janvier 1969 sur l’élimination de toutes formes dediscriminations énonce que « L’expression discrimination racialevise toute distinction, exclusion, restriction ... fondée sur larace, la couleur de peau… ».

Dans le cas de Karim, ses camarades l’excluent, l’insultentà cause précisément de sa couleur de peau, de ses cheveux.D’ailleurs, ils ne manquent pas de le lui faire savoir en le traitant de : « nègre-blanc…petit blanc…café au lait…blancslocaux… ». Et ce, alors même qu’ils sont conscients d’avoiraffaire à un Africain de race noire. C’est ubuesque !

Il s’agit donc bien de discrimination en raison de la couleurde la peau au sens du texte précité. De tels actes sontéminemment graves. Ils constituent une offense à la dignitéhumaine. À ce titre, ils doivent être condamnés et sanctionnés,comme l’exige la déclaration des Nation unies du 20 novembre1963 sur l’élimination de toutes les formes de discriminationsraciales. Aux termes de ce texte : « La discrimination entreles êtres humains pour motif de race, de couleur…est uneoffense de la dignité humaine et doit être condamnée (…)comme une violation des Droits de l’Homme » (résolution 1904XVIII).

Ensuite, l’article 2 de la convention précitée du 4 janvier1969 dispose que « Toute personne aura accès dans desconditions d’égalité à tous lieux et services destinés à l’usage du public, sans distinction de race, de couleur depeau… ».

Or, bien souvent, l’inscription des albinos dans les écoleset universités relève du parcours du combattant. Malgré leurdiplôme, ils ont difficilement accès à de hautes fonctions. Lesalbinos vivent mal cette frustration. Elle est d’autant plusoffensante que les victimes sont de la même race que les

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La dure vie d’un enfant

albinos au Mali « il faut sauver

le petit Karim Koulibali »

Maître Guy-Paul Kiele

Puteaux - France

LA DÉFENSEDES DROITS

DE L’HOMME

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La situation des Albinos dans nos sociétés demeurepréoccupante. Être albinos en Afrique est en effet unesouffrance, une épreuve pénible et un destin particulièrementinsupportable, notamment pour les enfants albinos du Mali.

Agé de 8 ans, c’est le cœur abattu et les larmes aux yeuxque le petit Karim Koulibali m’a fait part du calvaire qu’il vit auquotidien à cause de sa couleur de peau.

Du latin « Albus » qui signifie blanc, l’albinisme désigne ladiminution ou l’absence totale de mélanine (matière colorante).Lorsque cette carence en mélanine est double, la peau et lespoils sont de couleur blanche, alors que les yeux sont rougeâtres.

Exposés aux rayons de soleil, il y a un risque potentiel pourque les Albinos soient atteints du cancer de la peau. Il convientcependant de préciser que l’albinisme n’est pas une maladiemais une défectuosité dans la synthèse de la Mélanie.

Toutefois, compte tenu de leur fragilité, la société danslaquelle ils vivent devrait leur assurer une protection et uneattention humaine particulières. Or, il est consternant deconstater que c’est le contraire qui se produit. Les Albinossubissent injustement les pires abominations (rejets, injures,frustrations, humiliations, crimes..). Le vrai drame dans cedossier, c’est que les auteurs de ces atrocités se fondent surdes préjugés obscurs. À se demander s’il ne s’agit pas deprétextes pour justifier des actes répréhensibles et contrairesau Droit de l’Homme.

Les premières victimes de ces préjugés criminogènes (queje m’efforcerai de réfuter) sont les enfants, comme en témoignele cas saisissant de Karim Koulibali, lequel exprime sessouffrances comme un vibrant appel au secours, afin que lesenfants albinos soient traités comme des êtres humains dansle respect des Droits de l’Homme.

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Les souffrances du jeune Karim Koulibali : un appel ausecours

Victime de préjugés, rejeté par ses proches, Karim Koulibaliest en danger. Il est temps de combattre ces préjugésmonstrueux et de faire évoluer les mentalités.

À cause de certains préjugés, Karim est en danger

En premier lieu, notons que l’albinisme suscite denombreuses interrogations, car personne ne parvient àexpliquer pourquoi ces Africains ont la peau blanche. Cemystère donne lieu à toutes sortes de préjugés. D’aucuns yvoient un signe de malédiction, l’albinos est alors considérécomme un porte-malheur.

Certains pensent qu’ils sont le fruit de mauvais esprits, dela souillure (enfants conçus durant la période des règles, femme ayant fait l’amour à la belle étoile ou avec un blanc).D’autres disent qu’ils renferment en eux des pouvoirs magiqueset leur attribuent une puissance maléfique.

Pour récupérer d’imaginaires pouvoirs magiques, lesmarabouts n’hésitent pas à enlever les enfants albinos afin deles sacrifier. Ces féticheurs ont en effet besoin du sang desalbinos pour asperger leurs clients. Dans le cadre de ces rites,les enfants albinos sont enterrés vivants…

Le petit Karim Koulibali, élève en 2ème année à l’école deSikasso (Mali), n’échappe pas à la règle.

Il est rejeté dans son établissement scolaire et au sein desa propre famille.

Au sein de son établissement scolaire, Karim vit un calvaire. Ses camarades le chargent de railleries, de crachats.

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Il est écarté de tous les jeux dans la cour de récréation. Imbibésde préjugés, ils le traitent de « petit blanc...», et l’accusentsans raison d’être un sorcier.

Ne supportant plus d’être traité avec autant de dédain etd’inhumanité, il préfère ranger ses affaires et s’isoler dans uncoin pour pleurer à chaudes larmes jusqu’à épuisement. Etdans sa tristesse, il ne cesse de se demander : « PourquoiDieu m’a-t-il créé pour souffrir autant ? ».

Les seules personnes auprès desquelles il espérait trouverun peu de consolation et de chaleur humaine, c’est-à-dire sesparents, l’ont rejeté. Ils ont honte de lui. Sa mère ayantemménagé avec un autre homme refuse de l’héberger. Il sesent cruellement abandonné. Près de 99 % des parentsabandonnent leur enfant albinos. Car la naissance d’un albinosest perçue comme un signe de malédiction pour toute la famille.

Observons en second lieu que cette situation d’abandonexpose les enfants albinos à un grand danger. Celui d’être àla merci de personnes malveillantes dont nous n’ignorons pasles desseins.

Les enfants albinos sont réduits à la mendicité. C’est dansces circonstances qu’ils seraient prêts à céder à despropositions destinées à les attirer dans un piège. Beaucoupde crimes se commettent ainsi. Étant précisé que les meurtresdes enfants albinos, anormalement qualifiés de « sacrifice »,sont rarement condamnés. Selon de nombreux témoignagesen effet, sacrifier un albinos n’est pas considéré comme uncrime, mais un rite qui s’inscrit dans une tradition pour le moinsobscure. C’est une honte pour l’humanité.

Il faut sauver le petit Karim, lequel craint légitimement d’êtreenlevé à tout moment et sacrifié sans que cela n’inquiètepersonne.

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Marginalisé à cause de sa couleur de peau, le jeune Karimvit dans un état de grande pauvreté. Il survit grâce à l’aide quelui apporte l’Association des Albinos de Sikasso, présidée parMonsieur Traoré. Lequel témoigne avoir été victime d’exclusionparce qu’il est albinos : « J’ai été rejeté par mes parents etpar la société… ». Par le truchement de son association, il aideà son tour ceux qui sont maltraités parce qu’ils ont le malheurd’être albinos. Les aides consenties se traduisent par des donsde fournitures scolaires, de vêtements, de médicaments. C’estgrâce à cette association que Karim a pu trouver une chambredans un foyer. Cet élan de solidarité est appréciable.

Il est grandement temps de combattre ces préjugés quifont tant de dégâts.

Combattre les préjugés macabres, faire évoluer lesmentalités et assurer la protection des enfants albinos

En premier lieu, relevons que les préjugés invoqués pourjustifier les mauvais traitements infligés aux enfants albinossont infondés.

Rien ne prouve en effet que ces enfants sont détenteursde pouvoir maléfiques parce qu’ils ont une anomalie génétique.C’est une vue de l’esprit…

Il n’a pas plus été prouvé que l’albinisme s’explique par lefait que la femme aurait conçu son enfant albinos pendant lapériode de ses règles. Ce qui est d’ailleurs scientifiquementimpossible selon les experts qui ont été interrogés à ce sujet.

Ainsi que nous l’avons déjà indiqué, l’albinisme estsimplement une anomalie génétique héréditaire, Il n’y a paslieu d’y voir autre chose. En réalité, ces préjugés servent deprétextes à ceux qui croient aux sciences occultes pour justifier

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leurs atrocités. Sous couvert de rites scabreux, ce sont desêtres humains qu’ils exécutent sans scrupule ; et ce, en toutimpunité.

Il convient en second lieu de réformer les mentalités. Lasociété malienne ne doit plus tolérer de tels actes. Cela passepar une véritable information en vue de faire progresser lesmentalités.

En général, ces populations sont mal informées. Une bonnecommunication sur ce sujet serait très utile (colloques,conférences…) Objectifs : bien expliquer ce qu’est réellementl’albinisme ; sensibiliser l’opinion publique nationale etinternationale sur le fait que les albinos sont des êtres humainsfragiles. Ils doivent en conséquence être traités, non commedes sous-hommes parce qu’ils souffrent d’anomaliespigmentaires, mais comme des hommes à part à part entière.

Je suis persuadé que suite à ce travail de communication,les mentalités pourraient évoluer en un sens plus positif etavoir un regard plus humain sur les albinos.

Les enfants albinos sont des êtres humains qu’il convientde traiter dans le respect des droits de l’homme : commentsauver Karim

L’exclusion et les mauvais traitements dont Karim fait l’objetpeuvent être assimilés à une discrimination contraire aux Droitsde l’Homme. Il devient urgent de garantir la protection desenfants albinos.

Les mauvais traitements dont se plaint Karim constituentune discrimination en violation des principes fondamentauxrelatifs à la protection de la personne humaine

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Tout d’abord, l’article 1er de la Convention internationale du4 janvier 1969 sur l’élimination de toutes formes dediscriminations énonce que « L’expression discrimination racialevise toute distinction, exclusion, restriction ... fondée sur larace, la couleur de peau… ».

Dans le cas de Karim, ses camarades l’excluent, l’insultentà cause précisément de sa couleur de peau, de ses cheveux.D’ailleurs, ils ne manquent pas de le lui faire savoir en le traitant de : « nègre-blanc…petit blanc…café au lait…blancslocaux… ». Et ce, alors même qu’ils sont conscients d’avoiraffaire à un Africain de race noire. C’est ubuesque !

Il s’agit donc bien de discrimination en raison de la couleurde la peau au sens du texte précité. De tels actes sontéminemment graves. Ils constituent une offense à la dignitéhumaine. À ce titre, ils doivent être condamnés et sanctionnés,comme l’exige la déclaration des Nation unies du 20 novembre1963 sur l’élimination de toutes les formes de discriminationsraciales. Aux termes de ce texte : « La discrimination entreles êtres humains pour motif de race, de couleur…est uneoffense de la dignité humaine et doit être condamnée (…)comme une violation des Droits de l’Homme » (résolution 1904XVIII).

Ensuite, l’article 2 de la convention précitée du 4 janvier1969 dispose que « Toute personne aura accès dans desconditions d’égalité à tous lieux et services destinés à l’usage du public, sans distinction de race, de couleur depeau… ».

Or, bien souvent, l’inscription des albinos dans les écoleset universités relève du parcours du combattant. Malgré leurdiplôme, ils ont difficilement accès à de hautes fonctions. Lesalbinos vivent mal cette frustration. Elle est d’autant plusoffensante que les victimes sont de la même race que les

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auteurs. Seul l’aspect pigmentaire change. Pour le reste, ilssont tous Africains de race noire. C’est renversant.

Toute discrimination à l’égard des albinos doit être dénoncéeet condamnée au même titre que toute autre discriminationraciale. Faire une hiérarchie entre les différentes formes dediscriminations serait profondément injuste.

Par conséquent, les juridictions nationales et internationalesqui seraient amenées à statuer sur des plaintes dediscrimination concernant les albinos doivent appliquer lestextes dans toute leur sévérité. Dans le cas contraire, c’est le sentiment d’impunité qui l’emporterait sur la justice et ledroit.

Il est temps de faire preuve d’une grande fermeté à l’égardde ceux qui maltraitent les enfants albinos sous des prétextesou préjugés fallacieux. C’est une question de dignité humaine,comme l’indique la déclaration précitée des Nations unies du20 novembre 1963.

Protéger les enfants albinos : comment sauver Karim

Il est indispensable d’assurer la protection des enfantsalbinos. D’abord, notons que les atteintes à leur intégritéphysique ne sont pas acceptables. Ils doivent pouvoir bénéficierde mesures de sûreté. Des peines aggravées doivent êtreprévues pour les crimes et délits sur les albinos ; lesquelsdoivent être considérés comme des personnes particulièrementvulnérables. D’ailleurs, soulignons que sur le plan international,l’Organisation Mondiale de la Santé (l’OMS) a reconnul’albinisme comme un handicap. À ce titre, les dispositions duCode pénal malien sur les peines aggravées doivent s’appliqueraux infractions contre les albinos.

Ensuite, ils doivent être protégés contre les risques demaladies, compte tenu de la fragilité de leur peau et de leurs

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auteurs. Seul l’aspect pigmentaire change. Pour le reste, ilssont tous Africains de race noire. C’est renversant.

Toute discrimination à l’égard des albinos doit être dénoncéeet condamnée au même titre que toute autre discriminationraciale. Faire une hiérarchie entre les différentes formes dediscriminations serait profondément injuste.

Par conséquent, les juridictions nationales et internationalesqui seraient amenées à statuer sur des plaintes dediscrimination concernant les albinos doivent appliquer lestextes dans toute leur sévérité. Dans le cas contraire, c’est le sentiment d’impunité qui l’emporterait sur la justice et ledroit.

Il est temps de faire preuve d’une grande fermeté à l’égardde ceux qui maltraitent les enfants albinos sous des prétextesou préjugés fallacieux. C’est une question de dignité humaine,comme l’indique la déclaration précitée des Nations unies du20 novembre 1963.

Protéger les enfants albinos : comment sauver Karim

Il est indispensable d’assurer la protection des enfantsalbinos. D’abord, notons que les atteintes à leur intégritéphysique ne sont pas acceptables. Ils doivent pouvoir bénéficierde mesures de sûreté. Des peines aggravées doivent êtreprévues pour les crimes et délits sur les albinos ; lesquelsdoivent être considérés comme des personnes particulièrementvulnérables. D’ailleurs, soulignons que sur le plan international,l’Organisation Mondiale de la Santé (l’OMS) a reconnul’albinisme comme un handicap. À ce titre, les dispositions duCode pénal malien sur les peines aggravées doivent s’appliqueraux infractions contre les albinos.

Ensuite, ils doivent être protégés contre les risques demaladies, compte tenu de la fragilité de leur peau et de leurs

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yeux : distribution de tubes de crèmes solaires ; prise encharge de consultations dermatologiques et ophtalmologiques.Enfin, assurer la prise en charge totale de l’éducation et de laformation de ces enfants.

Je me suis demandé les raisons pour lesquelles, malgréles souffrances qu’il endure, cet enfant de 8 ans (Karim)s’accroche à la vie, persévère dans ses études. J’ai comprisque c’est parce qu’il a un rêve : devenir diplomate. C’est unobjectif qu’il s’est fixé et auquel il s’agrippe comme une bouéede sauvetage. C’est peut-être cette lueur d’espoir qui lui donnel’envie de continuer à se battre. Il fera un bon ambassadeurpour la cause des Droits de l’Homme, comme son aîné, lechanteur malien Salif Kheita. Lequel a été victime dediscrimination dans son enfance.

Sauver Karim consiste également à l’aider à améliorer sesconditions de vie. J’ai donc envisagé de défendre sa causeau Mémorial de Caen et de le faire bénéficier d’un programmede parrainage et de secours alimentaire que j’élaboreactuellement.

J’ai également informé le Bâtonnier du Mali de la situationde Karim afin qu’il puisse intervenir en tant que de besoin. Lebut étant de permettre à ce jeune garçon de réaliser son rêveet d’envisager l’avenir en toute sécurité.

Je voudrais que Karim sache qu’un jour de février 2009, lepays qui a proclamé les Droits de l’Homme, et qui a la missionde répandre partout les idées humanitaires qui font sa propregrandeur, a été particulièrement sensible à ses souffrances eta entendu son appel au secours. Ce qui serait pour lui et tousles enfants albinos un précieux encouragement, d’autant qu’ilsne s’y attendent pas.

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Ayons toujours présent à l’esprit que les albinos sont nossemblables et qu’ils ont besoin d’être secourus. Car noussommes tous engagés vers le même but singulier : « Aiderchaque être humain dans le monde qui est dans le besoin, quia faim, donner à tous la possibilité de rêver à un avenir quiserait radieux ».

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Le chemin de la Justice et de

la Paix *

Maître Raymond Lesniak

Elizabeth, NJ - Etats-Unis

LA DÉFENSEDES DROITS

DE L’HOMME

* plaidoirie en langue étrangère traduite en français

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Si je me présente devant vous aujourd’hui, ce n’est paspour plaider la cause d’une victime dont les droits humainsfondamentaux ont été bafoués, mais pour défendre le fait quela peine de mort viole les doits fondamentaux du genre humain.Dans mon pays, aux États-Unis d’Amérique, plus de 3 000êtres humains attendent leur exécution, certains pour un crimequ’ils n’ont pas commis. Je plaide contre la peine de mort auxÉtats-Unis, en Irak, au Pakistan, au Japon, ou dans quelquepays que ce soit, une peine qui expose des innocents àl’exécution, constitue une offense aux familles des victimesd’un meurtre, n’a aucune finalité pénale et amènedangereusement la société à croire que la vengeance estpréférable à la réparation.

Le 17 décembre 2007, le New-Jersey est devenu le premierÉtat de l’Union à abolir la peine de mort, depuis sonrétablissement par la Cour Suprême des États-Unis en 1976.Lorsque le Gouverneur Jon Corzine a promulgué la loid’abolition de la peine de mort que j’avais soutenue, il aégalement commué la peine de mort de huit personnes. LaCommunauté de Sant'Egidio à Rome, en Italie, une organisationcatholique de laïcs qui œvre activement pour l’abolition de lapeine de mort au plan mondial, a illuminé le Colisée pour fêtercette victoire des Droits de l’Homme.

Comment cette victoire a-t-elle été remportée ? D’abord,en démontrant que la peine de mort donne la possibilitéd’exécuter un être humain innocent. L’un de nos pèresfondateurs, Benjamin Franklin, citant le juriste britanniqueWilliam Blackstone, a déclaré qu’il était préférable de libérer100 coupables plutôt que d’emprisonner un innocent. Mais leGouverneur Corzine et ma législation ne remettent pas decoupable en liberté. Ils ne font que remplacer la peine de mortpar un emprisonnement à vie sans libération conditionnelle,ce qui élimine tout risque de tuer un être humain innocent.

Byron Halsey aurait pu être cet être humain. Le 9 juillet2007, Byron est sorti de prison en homme libre après 19 annéesd’emprisonnement pour le plus atroce des crimes : le meurtre

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d’une fillette de sept ans et d’un garçon de huit ans. Tous deuxavaient été violés, la fillette avait été étranglée, et des clousavaient été plantés dans la tête du garçon.

Halsey, qui avait quitté l’école vers l’âge de 11 ans, et quiavait de grandes difficultés d’apprentissage, avait été interrogépendant 30 heures, peu de temps après la découverte descorps des enfants. Il a avoué les meurtres et, bien que sadéclaration ait reposé sur des faits inexacts en termes delocalisation des corps et de cause des décès, ses aveux ontété admis comme valables par une Cour de Justice. LeMinistère public a requis la peine de mort.

Halsey a été condamné sur deux chefs d’accusation demeurtre dans la perpétration d’une infraction majeure et d’unchef d’accusation de viol aggravé. Il a été condamné à deuxemprisonnements à vie : il a échappé à la peine de mort dejustesse grâce au vote d’un juré qui a « tenu bon » pendant ladétermination de la peine lors du procès.

Après avoir passé près de la moitié de sa vie derrière lesbarreaux, une analyse ADN réalisée après le procès, adéterminé avec une certitude scientifique que Byron n’avaitpas commis les meurtres. Un témoin du Ministère public lorsdu procès est maintenant accusé de ces crimes.

Sans le bon jugement d’un seul juré, M. Halsey aurait puêtre exécuté et le véritable meurtrier n’aurait jamais été niretrouvé ni jugé.

Des histoires comme celle de Byron ne sont pas rares.Depuis 1973, 130 personnes condamnées à mort dansl’ensemble des États-Unis ont été libérées pour avoir étécondamnées à tort. Pendant cette même période, 1 100prisonniers ont été exécutés. Combien parmi eux étaientinnocents ? Il reste 3 309 condamnés dans les couloirs de lamort aux États-Unis. Combien parmi eux sont innocents ?Combien d’innocents seront exécutés ?

Cela pourrait être Troy Davis. Il est emprisonné depuis 1989dans l’État de Georgie pour un meurtre qu’il affirme n’avoirpas commis. Lors de l’un des nombreux procès en appel de

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Davis, le Président de la Cour Suprême de Georgie a déclaré,« Dans cette affaire, pratiquement tous les témoins qui lors duprocès avaient identifié Davis comme étant le tireur se sontmaintenant rétractés, en déclarant qu’ils ne pouvaient pasl’identifier de façon fiable. Trois personnes ont déclaré queSylvester Coles avait avoué être le tireur ». Coles avait témoignécontre Davis lors du procès.

Le 23 septembre 2008, moins de deux heures avantl’exécution de la sentence de mort par injection létale, il a reçuune ordonnance de surseoir à l’exécution émanant de la CourSuprême des États-Unis. Le 14 octobre, le sursis a été levé etl’État de Georgie a délivré un mandat d’exécution pour le 27octobre. Trois jours avant la date de l’exécution, la 11e Courd’Assises a décidé de surseoir à l’exécution pour examiner unnouvel appel.

Troy Davis sera-t-il le prochain innocent à être sauvé del’exécution, ou sera-t-il le prochain innocent à être exécuté ?La peine de mort sert-elle à quelque chose, à part le fait denuire à toutes les personnes concernées et à la société engénéral ?

La peine de mort console-t-elle au moins les familles desvictimes du meurtre ?

Non, si l’on en croit 63 membres de familles de victimes demeurtres qui ont déclaré dans une lettre adressée à laLégislature du New-Jersey : « Nous sommes des membres defamilles et des êtres chers de victimes de meurtres. Les parents,les enfants, les frères et sœurs, et les époux / épouses quenous avons perdus nous manquent cruellement. Nous vivonsquotidiennement dans la douleur et l’immense chagrin dû àleur absence et nous serions prêts à tout pour les ramener àla vie. Nous avons été heurtés par le système de justice pénaleà bien des égards que nous n’aurions jamais pu imaginer etque nous ne souhaitons à personne. Notre expérience nousporte à parler haut et fort pour que cela change. Bien que nospoints de vue diffèrent sur la peine de mort, chacun d’entrenous convient que le système de la peine capitale du New-

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Jersey ne fonctionne pas, et que notre État se porte mieuxsans elle. »

Ou, comme le rapporte plus explicitement Vicki Schieber,dont la fille, Shannon, a été violée et assassinée en 1998, « Lapeine de mort est une politique préjudiciable qui exacerbe ladouleur des familles des victimes ».

Certains argumentent que la peine de mort est dissuasiveen matière de meurtre, mais sur plus d’une douzaine d’étudespubliées ces 10 dernières années aucune n’a démontré soneffet dissuasif.

Richard Dieter, Directeur Exécutif du Centre d’informationsur la peine de mort à Washington, D.C., témoignant devantle Sous-Comité chargé de la Constitution, des Droits civils etdes Droits de la propriété du Conseil de la Magistrature duSénat des États-Unis a attesté en février 2006 que les Étatsdont la législation ne prévoit pas de peine de mort ont destaux de criminalité nettement plus faibles que ceux quiprévoient la peine de mort. M. Dieter a également attesté queparmi les quatre régions géographiques des USA, le Sud, quireprésente 80 % de toutes les exécutions du pays, présentele taux de criminalité le plus élevé. En revanche, le Nord-Estqui procède à moins de 1 % de toutes les exécutions,enregistre le taux de criminalité le plus faible de la nation.

Même ceux qui croient que la peine de mort peut êtredissuasive admettent que les résultats de la recherche actuellene sont pas concluants. Le Professeur Erik Lillquist de la Facultéde Droit de l’Université de Seton Hall du New-Jersey a rapportéque de récentes études économétriques concluent que la peinede mort ne peut être dissuasive que si elle est appliquée dansun nombre « suffisant » de cas. En revanche, il a égalementmaintenu que d’autres études laissent entendre que, dans descirconstances particulières, des exécutions peuvent avoir un« effet déshumanisant », qui se traduit par une augmentationdu taux de criminalité.

Selon le Professeur Lillquist : « Il est peut-être toutsimplement impossible de savoir quel est l’effet de dissuasion

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ou de déshumanisation… du moins sous un aspect empirique –simplement parce que nous n’aurons jamais de base dedonnées suffisamment importante qui, libérée de ses facteursconfusionnels, nous permettrait de parvenir à une conclusion.Lorsque les scientifiques réalisent des études en général, ilss’efforcent de le faire dans un environnement contrôlé. Celaest impossible pour les meurtres et la peine de mort. »

Jeffrey Fagan, Professeur de Droit et de Santé publique, àl’Université de Colombia et Steven Durlauf, Kenneth J. ArrowProfesseur d’Économie, à l’Université de Wisconsin-Madisona écrit dans une lettre à la rédaction du Philadelphia Enquirerdu 17 novembre 2007 : « Des chercheurs sérieux étudiant lapeine de mort continuent à trouver que la relation entre lesexécutions et les homicides est fragile et complexe, sanshomogénéité entre les États, et hautement sensible auxdifférentes stratégies de recherche. La seule conclusionscientifiquement et éthiquement acceptable de l’ensemble despublications existantes en sciences sociales sur la dissuasionet la peine de mort est qu’il est impossible de dire si les effetsdissuasifs agissent fortement ou faiblement, ou si ces effetssont effectivement existants. »

« Tant que la recherche ne résistera pas aux exigences strictesde la réplication, à l’expérimentation approfondie des hypothèsesalternatives et à un solide examen impartial de ses pairs, ellene fournira aucun fondement permettant d’ôter la vie. »

Alors que la peine de mort exécute inévitablement desinnocents, exacerbe la douleur et la souffrance des famillesdes victimes d’un meurtre et n’a aucune finalité pénale, elleporte encore davantage préjudice à une société qui croit qu’ellea besoin de privilégier la vengeance à la réparation. Le besoinde vengeance est source de haine et de violence. La réparationouvre la porte à l’apaisement et à la paix. La vengeance leurclaque la porte.

Une société qui refuse le principe de la réparation secramponne inévitablement à la colère et au besoin devengeance dans une quête d’accomplissement qui ne peut

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être atteint par ces émotions destructives. La réparation estla porte ouverte à l’espace qui pose des questionsd’apaisement après la violence, des questions sur la préventiondes crimes, des questions sur les raisons qui poussent certainsêtres humains à accorder si peu de valeur à la vie qu’ils laprennent sans hésitation aux autres, des questions qui nousaident à comprendre ceux qui sont engagés dans la violence,des questions qui ne s’imposent pas et sont souvent ignoréesquand nos esprits et nos émotions sont submergés par unbesoin de vengeance.

Trente-six États et le gouvernement fédéral des États-Unisimposent toujours la peine de mort. Les États-Unis ont plusd’êtres humains en prison et plus de violence que pratiquementtout autre pays civilisé au monde. Tant que nous continueronsà privilégier la vengeance à la réparation, nous resterons à lapremière place en termes de quantité de violence et de quantitéde population carcérale. Cela n’est pas nécessairement ainsi.

Lorsque l’État de New-Jersey a aboli la peine de mort, il aprivilégié la réparation à la vengeance, en remplaçant la hainepar l’apaisement, la guerre par la paix. D’autres États ainsi quenotre gouvernement fédéral devraient faire les mêmes choix.

Méditez sur les gros titres suivants qui ont été publiés côteà côte dans le New York Times :

« Les chefs irakiens déclarent que rien ne s’oppose àl’exécution de 'Chemical Ali'. »

« Un bombardier tue des dizaines de personnes lors d’unenterrement au Pakistan. »

L’Irak et le Pakistan appliquent tous deux la peine de mort.Après l’annonce fixant la date de l’exécution de « Chemical Ali »,San Jawarno, originaire du Kurdistan, Irak, dont le père et d’autresmembres de la famille avaient été tués dans des attaquesconduites par Ali Hassan al-Majid, connu sous le nom de « Chemical Ali » déclare « Maintenant que Chemical Ali va êtreexécuté, mon père pourra reposer en paix dans sa tombe ».

Il n’existe aucun lien entre les deux événements, lebombardement au Pakistan et les paroles du fils éploré dont

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le père a été tué. Nous devons nous faire entendre, à chaqueforum, dans nos maisons, nos églises, nos synagogues, nosmosquées et nos temples, auprès de nos organes législatifs,à chaque fois que l’opportunité se présente, pour convaincreles leaders politiques, les chefs des communautés, les chefsreligieux, quiconque nous écoutera, que la peine de mort n’aaucune raison d’exister, qu’elle encourage la violence, etn’apporte la paix à personne, mort ou vivant.

J’aurais dû conclure ici ma plaidoirie en faveur de l’abolitionde la peine de mort. C’est alors que j’ai lu le rapport d’AmnestyInternational sur la jeune fille de 13 ans qui a été lapidée à mortdans un stade peuplé de 1 000 spectateurs à Kismayo,Somalie. Son crime ? Les militants islamistes l’ont accuséed’adultère après qu’elle ait été violée par trois hommes. Cettetuerie inutile, inhumaine finira-t-elle un jour ?

Peut-être. La brutalité de la peine de mort et des militantsislamiques peut cesser si nous nous élevons contre, partoutoù elle existe, sous cette forme, sous n’importe quelle forme.

La peine de mort est un acte de brutalité arbitraire. Sonapplication dans les tous les États-Unis se fait au hasard, selonle lieu où le meurtre a été perpétré, la race et le statutéconomique de l’auteur du meurtre, et, bien entendu la qualitéde la défense juridique.

Je suis fier du peuple de l’État du New-Jersey qui a élu desleaders politiques qui ont mis fin à cet acte de brutalité arbitraire– la peine de mort, et je félicite Amnesty International d’avoirattiré l’attention du monde sur la brutalité des militantsislamiques en Somalie qui ont lapidé à mort cette pauvre fille.

La peine de mort n’amène rien de bon, qu’elle soit imposéepar des gouvernements dûment élus, ou par des fanatiquesreligieux radicaux. Rien de bien.

La charge de la preuve devant le Tribunal de l’Opinionpublique doit incomber à ceux qui militent pour la peine demort. Cette obligation n’a pas encore été remplie. Elle ne lesera pas avant longtemps. Nous en sommes très loin.

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Pour toi Anatole,je plaide le

droit d’aimer. En toute liberté

Maître Frédérique de Courten

Genève - Suisse

LA DÉFENSEDES DROITS

DE L’HOMME

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C’est en empruntant les mots de Victor Hugo que j’ail’honneur de me présenter à vous :

« Chose étrange, après dix-huit siècles de progrès la libertéde l'esprit est proclamée ; la liberté de cœur ne l'est pas. Etpourtant aimer n'est pas un moins grand droit de l'homme quepenser. »

Je m’en indigne, mais c’est depuis la nuit des temps qu’estdénoncée cette insupportable réalité. Un changementd’époque, d’histoire et de mœurs… Et pourtant, j’en suisfâchée, la liberté de cœur n’est toujours pas une évidence.

Eh bien ! C’est elle qui me conduit devant vous. Elle seramon alliée aujourd’hui, et l’homophobie ma coriace adversaire.

Cette liberté qui, à l’heure où je parle, j’en suis frappée destupeur, reste une utopie dans bon nombre d’États. Oui, êtrelesbienne ou gay signifie encore risquer la répression pénaledans 86 États, et la peine de mort dans 7 États.

Au nom de tous ces hommes auxquels on nie la liberté decœur, ma plaidoirie fait appel à la solidarité et à la responsabilitéinternationale pour dépénaliser l’homosexualité, lutter contreles crimes homophobes et encourager l’octroi de l’asile auxrequérants exposés à un haut risque de condamnation pénaleen raison de leur seule orientation sexuelle.

Mesdames, Messieurs du jury, Mesdames, Messieurs, jene suis pas seulement ici pour dénoncer l’homophobie d’État,mais pour défendre la cause d’Anatole Zali.

Je viens ici remplir un véritable devoir de conscience aprèsavoir contacté Anatole pour lui parler du Concours, l’avoirrencontré et avoir pris connaissance des moindres détails desa sordide histoire où ont été balayés d’un brutal coup de fouetses droits humains les plus fondamentaux.

Anatole a 19 ans. Il est noir. Il est seul et misérable. Il estcet honnête homme qui subit harcèlements et violences depuisdes années.

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Il est ce qu’on appelle un"pédé" et appartient au Cameroun àcette couche honteuse d'une population qui vit mais n’existe pas.

Anatole, l’homo du Cameroun ! Ce fantôme dont la vie estsuspendue à une procédure d’asile en Suisse et à une décisionattendue depuis des mois.

Si je défends sa cause, c’est peut-être parce que je suisSuissesse et que j’aurais trop honte de rester silencieuse ;peut-être aussi parce que ma thèse de doctorat soutient que l’homosexualité doit être un obstacle à l’extraditionlorsqu’elle expose l’individu poursuivi à des sanctions dansl’État requérant ; peut-être encore parce qu'il n'est pas troptard pour humaniser sa demande ; peut-être enfin parcequ'ensemble, nous pourrons sans doute restituer à Anatoleun peu de sa dignité, bafouée depuis si longtemps.

Mais venons-en immédiatement aux faits.Persécuté puis chassé de son village natal en raison de

menaces homophobes, abusé par son propre cousin, isolé etlivré en proie au sauvage monde de la nuit de Douala, Anatolesera paradoxalement recherché au Cameroun pour un crimenommé « pratique homosexuelle ».

Dans cette atmosphère dangereuse, hantée par l’épouvanteet l’angoisse, survivre c’était avoir la force de continuer, avecune trouille au ventre dont on ne se débarrasse jamais.

C’est ainsi qu'Anatole hésitera entre le suicide et la fuite.Un ultime espoir et la douce voix de sa maman le conduiront

à préférer la vie.Il fuit le Cameroun le 3 février 2008.Destination : l’Europe la Magnifique.En transit à Zurich, Anatole est contrôlé en possession

d’une autorisation de séjour volée et falsifiée...Exposé à un renvoi imminent, il demande l'asile, le statut

de réfugié, la protection des Conventions de Genève.Anatole est immédiatement mis en détention à la zone de

transit de l’aéroport.Voici un extrait du rapport d’audition : « Je suis rejeté dans

mon pays par ma famille (…) C’était grave à la maison (…)

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Dans la famille, ils ne veulent pas de pédés. (…) J’ai étémenacé partout, ils parlaient de ça en public. (…) Mes tanteset mes frères disaient que je ne suis pas de la famille, que jedois partir. (…) Quand je venais au salon, on me chassait. (…)J’étais insulté. (…) Je pouvais plus me promener dehors. (…)On m’a lancé des cailloux. (…) Les gendarmes de Yaoundéont commencé à dire que je dois aller à la brigade si jen’arrêtais pas ça (…) ».

Malheureusement, ses déclarations n’auront pas la forcede convaincre… Sans doute parce que, voyant se tracer autourde lui le chemin du retour au temps des ténèbres, ses motssont-ils restés imparfaits pour décrire son inqualifiable vécu.

Anatole se souviendra longtemps de ce 14 février 2008. Cejour où, dans la plupart des pays occidentaux, tous lesamoureux homo, hétéro, trans et bi saisissent l’occasion dese manifester leur amour.

On regrettera qu’à cette date symbolique qui nous renvoieà l’image de la Saint-Valentin, la décision de l’Office fédéraldes Migrations soit tombée en ces termes : « Il n’est pascrédible que l’intéresse ait vécu ces événements et situations.(…) Les déclarations du requérant ne satisfont pas auxexigences de vraisemblance. »

Contester la crédibilité d’un homme sous prétexte « qu'aucun détail ou anecdote précis n'apparaissentspontanément au cours du récit » ; reprocher au requérant undiscours « vague et stéréotypé » ; mettre en doute sontémoignage en raison de photos montrant des jeunes souriantsparmi lesquels deux de ses 9 frères et sœurs ; en déduire lapreuve « d'une bonne intégration sociale et familiale » ;minimiser l’importance des poursuites judiciaires au Camerounen prétendant que » l’homosexualité est tolérée dans les villescomme Douala et Yaoundé » !

Autant d’arguments arbitraires et sinistrement immoraux,qui ne peuvent raisonnablement emporter conviction.

Sans surprise, son recours est rejeté. Il sera expulsé le 2mars 2008.

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Quel effet cela fait d’apprendre que son passé tortueuxn’est pas crédible ? Que l’on est pris pour un infâme menteurou plutôt « qu'aucun sérieux » n'est accordé au requérant,pour reprendre le parler officiel ?

Anatole me l’a dit dans des mots qui m’ont fait pleurer etdont le puissant écho résonne encore en moi… Son corpslâche. La sueur et bientôt les excréments se mêlent à l’urineet glissent le long de son corps meurtri. Englouti dans cetteindescriptible saleté, Anatole se mettra même à manger sespropres matières fécales.

Soudain, coup de théâtre ! Coup d’humanité !La communauté internationale se mobilise. Amnesty, alarmé

par la Croix-Rouge, mène des actions urgentes. Assisté d’unavocat, Anatole introduit une nouvelle demande en Suisse.Elle sera prise en considération et Anatole relaxé, après 45jours d’une privation de liberté aussi injuste que révoltante. À ce jour, la décision finale est à l’examen.

Je dois vous confier qu’en présence de telles atteintes àson droit le plus indérogeable de vivre ou plus exactementd'exister, je m’étonne que la Suisse hésite encore.

Ce qui me parait certain, c’est qu’Anatole ne peut êtreabandonné à son triste sort par nos autorités : il est impossiblede renvoyer Anatole au Cameroun. Impossible, un point c’esttout.

Si je déplore que la Suisse ait tant de mal à se prononcer,ce qui déclenche ma fureur, c’est d’être confrontée au férocerécit des violations de ses droits fondamentaux au Cameroun.

À défaut de se planquer, d’accepter une existence souscontrôle, de modifier sa façon de s’habiller et même sa façond’être, le quotidien d’Anatole n’était qu’assemblage de craintes,humiliations et souffrances incessantes.

En voici une illustration, lorsque, à bien plaire, Anatole servaitd’objet sexuel à son cousin : « Il se déshabillait, se lavait et medisait de me laver aussi. Quand j’avais ma petite culotte, il m’apoussé et je suis tombé sur le lit. Il m’a dit "quand tu étais auvillage, tu faisais déjà ça. On dit qu’à Yaoundé tu

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donnes tes fesses, et à moi, tu les refuses ! (...) Je lui ai dit queje ne me sentais pas bien, que je ne voulais pas faire ça. Il m'adit "juste un petit plaisir"(...) ».

Par pudeur, je vous épargnerai la suite de cette pièceobscène...

Mais de grâce, la volonté de le réduire à l’impuissancen'est-elle pas évidente ? Y a-t-il encore de la place pourprétendre que le récit d’Anatole est stéréotypé comme l’ontqualifié les autorités suisses ?

Votre silence parle.Il y a Anatole. Mais il y a aussi les autres que l’on ne peut

oublier. Ce droit à une libre orientation sexuelle n’est passeulement le sien. C’est aussi celui de ces hommes, libyens,iraniens, yéménites, afghans, syriens ou encore marocainspour n’en citer que certains… Victimes de législationshomophobes et otages de tels systèmes répressifs, ils sont fréquemment arrêtés, persécutés, lapidés, torturés etparfois même cruellement exécutés aux quatre coins dumonde.

Leurs libertés sont réduites à néant. Écrabouillées. Broyéesdans un système condamnant l’homosexualité en tant quevaleur non acceptée dans leur société.

Nulle considération de l’individu dans tout cela. Seul comptel’être collectif dont le règne social passe par l’intimidation etla terreur.

Ces régimes assassinent les principes de non-discrimination, d’égalité, de liberté d’association, de libertésexuelle, de Jogjakarta, du droit à la vie privée et, enfin, dudroit de disposer de son corps.

Pour rappeler que certaines valeurs sont universelles etdoivent être défendues au-delà de toute croyance, lesmobilisations contre les condamnations homophobes sonttrès importantes. Des associations dites LGBT (lesbiennes,gays, bisexuels et transsexuelles), ainsi qu’une multitude d’ONG mènent une lutte quotidienne pour combattre cessystèmes sanglants.

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Pour que nous aussi, de la lointaine Europe, nous nous enrappelions, le 17 mai est même sacré Journée internationalecontre l’homophobie.

Pour le Cameroun, ce sont entre autres l’associationcamerounaise pour la défense de l’homosexualité (ADEFHO)et Alternatives qui se dressent contre la marginalisation dela minorité homosexuelle. Au chapitre de la comptabilitémacabre, on rapportera qu’en 2007, ce ne sont pas moinsde 11 cas qui furent l’objet de l’application sévère du glacialarticle 347 bis du Code pénal camerounais qui condamne« Toute personne qui a des rapports sexuels avec unepersonne de son sexe » d’une peine allant de 6 mois à 5 ansde prison et d’une amende équivalent à un montant de 31à 305 euros.

Pour fournir la preuve de la culpabilité, des ordonnanceslocales franchissent même un pas supplémentaire dansl’inimaginable en permettant le recours à l’analyse des voiesanales.

Tant de procédés ignobles qui vident de leur sens lesstandards minimaux de protection des Droits de l’Homme.

C’est pour raviver leur existence que nous avons le devoird’agir.

Parce que c’est à nos pays que s’adressent ces âmes enpérils pour supplier l’application :

• des articles 12 de la Déclaration universelle des Droits del’Homme ; 8 et 14 de la Conventions européenne des Droitsde l’Homme ; 17 du Pacte international relatif aux droits civilset politiques ;

• de la résolution de 2006 du Parlement européen sur lamontée des violences racistes et homophobes en Europe ;

• de la Charte des droits fondamentaux de l'Unioneuropéenne et du traité instituant la Communauté européenne.

Si je peux comprendre que les États accueillants craignentdes afflux de demandes en créant un tel précédent, je peuxdifficilement accepter que soit déléguée la responsabilitéd’homosexuels avérés à des État homophobes.

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Aujourd’hui, c’est la Suisse qui semble désemparée faceà cette brûlante question juridique et éthique. Cette moderneSuisse qui autorise le PACS, ou partenariat entre personnesde même sexe !

Et demain, ce sera à vous, chers États voisins, d’y répondre !Eh bien je vous le demande, est-il acceptable dans une

société démocratique de renvoyer un individu homosexuel auguet-apens d'un État homophobe ? Y a-t-il plus grande hontequ'un tel renvoi ? Plus grand outrage à tous les principesfondamentaux des Droits de l'Homme ?

Je vous laisse méditer l’opportunité d’un tel renvoi. À mesyeux, de tels retours forcés constituent des « mesureshomophobes déguisées » et contreviennent aux engagementsinternationaux en rendant illusoires les mécanismes deprotection des Droits de l’Homme.

Parce qu’examiner l’homophobie face aux procéduresd’asile, c’est à la fois analyser les garanties fondamentales dudroit des réfugiés mais aussi considérer d’autres instrumentslégislatifs, parmi lesquels l’interdiction des discriminations etla protection des libertés.

À ce titre, je me réjouis de citer le majestueux exemple del’Office français pour la Protection des Réfugiés et apatridesqui a accordé le 28 mai dernier le statut de réfugié à PaulPatience, un homosexuel camerounais qui craignait deretourner dans son pays à cause de son orientation sexuelle.

Pourtant, il est vrai que rien ne nous oblige formellement àsuivre cet exemple et à protéger Anatole. Rien, excepté lesavoir-vivre, les mœurs et la morale dont on ne peut ignorerl'existence.

Alors, pour mettre fin aux « cimetières homosexuels », ilfaut le dire et peut-être même le crier : Anatole, c’est untournant dans l'histoire, c’est le combat pour la reconnaissancedu droit des adultes consentants de s’aimer. Partout dans lemonde, pour toujours et à tout jamais.

Courage la Suisse ! L’histoire d’Anatole peut être le berceaud’un message au monde. C’est la Suisse libératrice, la Suisse

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émancipatrice, la Suisse gardienne des Droits de l’Homme quidoit se déchaîner contre l’homophobie.

Il est venu le temps d’accorder l’asile basé sur l’orientationsexuelle au nom de la compétence universelle.

Il est venu le temps de reconnaître la liberté deshomosexuels d'aimer comme garantie indérogeable des Droitsde l'Homme.

Il est venu le temps de rendre à Anatole sa dignité, auxquelsles textes suisses et instruments internationaux lui donnentdroit.

Parce que les législations homophobes sont un attentatcontre la nature humaine.

Parce que lorsque c’est l’Homme qui est en cause, c’estl’humanité toute entière qui doit se défendre.

Parce qu’il faut agir, à tout prix, jusqu’à l’abolition totale deces crimes diaboliques.

C’est visiblement une question de vie ou de mort.Je m’arrête. Je ne veux pas abuser plus longtemps de vos

moments.Mais c’est à Anatole que j’adresse mes derniers mots : tu

es, Anatole, le symbole universel du droit d’aimer. Alors, soisfier, sois inébranlable dans tes convictions et souviens-toi deMusset :

« On est souvent trompé en amour, souvent blessé etsouvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bordde sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière et on sedit : j'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, maisj'ai aimé. C'est moi qui ai vécu, et non pas un être factice… »

Je vous remercie.

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Pour Anwar Al-Bunni :être volontairement

aveugle n’est pas être libre

Maître Tanguy Barthouil

Avignon - France

LA DÉFENSEDES DROITS

DE L’HOMME

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Mesdames, Messieurs du Jury,Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,Comme il est dit dans l'Ecclésiaste « Il y a un moment pour

tout et un temps pour toute chose sous le ciel ». Notamment,« un temps pour se taire, et puis un temps pour parler ».

Epictète, quant à lui, conseillait ceci, à ce propos, dès avantla naissance du Christ : « Sois le plus souvent silencieux. Nedis que ce qui est nécessaire et en peu de mots. S'il arrive,rarement toutefois, que s'offre l'occasion de parler, parle. Maisque ce ne soient point des premières choses venues ».

Je suis avocat. Et tant que je souffrirai de la souffrance desautres, je pourrai parler pour eux. Parce que je considère,comme Marc-Aurèle en son temps, que le bonheur de l'hommeest de faire ce qui est le propre de l'Homme : être bienveillantenvers ses pareils, quoi qu'ils aient pu faire. Cela, aussi, parceque je sais que les hommes sont faits les uns pour les autres.Et qu'il faut donc toujours œuvrer à les réconcilier. En dernièreanalyse, la raison d'être d'un avocat est de pratiquer la Justice.Mais du fond de son âme. Donc, nécessairement, de dire laVérité.

La vérité, aujourd'hui, pour moi, je crois, est de clamer aumonde qu'Anwar Al-Bunni, mon confrère (il est avocat), maisnotre frère à tous (il est un être humain, avant d'être avocat) aété injustement condamné, le 24 avril 2007, par la PremièreCour d'Assises de Damas, à cinq années de prison. Cela, auterme d'un procès inique et sur la base d'affirmations aussimensongères qu'absurdes.

À la même période, ont également été condamnés, toutaussi injustement, Monsieur Michel Kilo, journaliste et écrivain,et Monsieur Mahmoud Issa, professeur d'anglais et traducteur.Mais l'un et l'autre ont fait appel. Pas Anwar Al-Bunni, qui y arenoncé car il savait que la nouvelle décision à intervenir seraitconfirmative de la première. Alors qu'il est, à ce jour encore,maltraité en prison, après que ses gardiens l'ont, au momentde son arrestation, en mai 2006, tondu pour l'humilier ; puis,contraint à ramper à leurs pieds bottés.

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Inscrit au Barreau de Damas, horrifié par le nombre dedétenus politiques dont il se voit confier la défense et parcequ'il sait qu'on pratique le plus souvent sur eux la torture,Anwar Al-Bunni finit par choisir de ne plus se consacrer qu'àleur cause.

S'ensuivent, pour lui et sa famille, des années terribles desurveillance policière, d'agressions physiques et d'intimidationsmultiples. Une campagne de dénigrement, destinée à lui faireperdre sa clientèle, est organisée. Il lui sera même faitinterdiction d'exercer sa profession devant certaines juridictions.

Mais rien n'y fait, Anwar Al-Bunni s'obstine. Il poursuit saquête de démocratie en continuant à militer pour le respectdes droits de ses concitoyens. Membre fondateur del'Association Syrienne des Droits de l'Homme (Human RightsAssociation In Syria – HRAS), Anwar Al-Bunni ose réclamer,avec certains de ses confrères, de meilleures conditions dedétention et des procès équitables pour les prisonnierspolitiques. Malgré les dangers auxquels il sait s'exposer, AnwarAl-Bunni parle aux médias, mène des campagnes desensibilisation, s'élève contre les procès faits au député MamunAl-Hunsi et à neuf autres prisonniers d'opinion maintenus endétention depuis septembre 2001.

Tant et si bien que, finalement, la Commission Européenneva lui confier, en accord avec le gouvernement syrien, ladirection d'un Centre de Formation aux droits humains. Lepremier de Syrie. En principe, tout du moins. Car ce centre neverra jamais le jour. En mai 2006, Anwar Al-Bunni est arrêté ;puis condamné, un an plus tard, à cinq ans de prison.

La raison de son arrestation ? Avoir fait partie des 274signataires de la "Déclaration Beyrouth-Damas/Damas-Beyrouth", proclamée en mai 2006 et appelant à lanormalisation des relations entre le Liban et la Syrie dans lerespect de l'identité de chacun de ces deux pays. Textepacifique, apaisé et courageux s'il en est ; qui émergea dansun contexte politique défavorable à la Syrie ; alors contraintede retirer ses troupes du Liban, après avoir été soupçonnée

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d'avoir fomenté l'assassinat, en février 2005, de Rafic Hariri,ancien Premier Ministre libanais, comme chacun s'en souvient.

Quant aux crimes retenus contre lui par la justice syrienne ?Ils sont au nombre de trois, sanctionnés par les articles 286,288, 376 et 378 du Code pénal syrien.

D'abord, avoir « diffusé de fausses informations susceptiblesde porter atteinte au moral de la nation ». Base de cetteaccusation ? Avoir dénoncé, dans la presse, la mort, en prison,de Mohamed Shahaer Haissa âgé d'une trentaine d'années.Cause officielle de la mort : crise cardiaque. Tandis que lecadavre, rendu à la famille, portait en vérité de très nombreusestraces de tortures…

Ensuite, deuxième très grand crime d'Anwar Al-Bunni, avoirtenté de créer, avec l'aide de la Commission Européenne, lepremier Centre de Formation de la Société civile de Syrie. Alorspourtant que ladite Syrie avait donné son accord à ce projet.Avant de changer d'avis !

Enfin, troisième et dernier très grand crime d'Anwar Al-Bunni,avoir « diffusé et calomnié des organes et institutions officielleset judiciaires » ; c'est-à-dire avoir, en vérité, accordé un entretienau quotidien "Quatari Alraii", dans lequel Anwar Al-Bunni a, encoreet toujours, parlé des Droits de l'Homme et de la nécessité, pourles dirigeants de son pays, d'enfin se décider à les respecter.

Pour l'heure, en France, on a tendance (le Président de laRépublique le premier, d'ailleurs) à confondre, à tort, justiceet thérapie ; partant, à sombrer dans "l'hystérie victimaire",selon la très juste expression de mon confrère Michel Konitz.Ce faisant, on commet l'erreur de tromper les victimes en leurdonnant à croire que leur douleur cessera avec le procès – àla condition, bien sûr, que la peine soit lourde pour l'accusé !

C'est là appeler à punir plus que la Raison ne le commande –oubliant par le fait les enseignements pourtant si précieuxd'Aristote, de Cicéron, de Saint-Thomas d'Aquin et de Portalis.Et c'est surtout, en vérité, desservir les victimes en les enkystantdans leur souffrance. Au lieu de les mettre sur le chemin dudépassement de leur traumatisme ; voire, du pardon.

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Anwar Al-Bunni est aussi une victime. Mais d'un tout autregenre. Il est quelqu'un qui a courageusement choisi decombattre pacifiquement (au prix de sa liberté et au risque desa vie) un pouvoir oppresseur, prédateur de la liberté du peuplequ'il est pourtant censé organiser, guider et, surtout, servir etprotéger. Dans ces conditions et parce que nous ne sommespas face à une victime qui réclame vengeance, mais face à unhomme seul, victime certes mais qui demande avant tout justicepour les autres, il est de notre devoir et de notre honneur, àtous, d'intervenir.

« À force de me défendre, j'ai fini par être haineux ; mais,si j'étais plus fort, je n'utiliserais pas une telle arme », a écritKhalil Gibran. C'est dans cet état d'esprit, parce qu'elles sontfortes de leurs peuples et de leurs idées, qu'il appartient àl'Europe (à laquelle la situation de détention actuelle d'AnwarAl-Bunni fait particulièrement affront) et à la France d'intervenirauprès de la Syrie. En s'adressant directement, puisque c'estde lui que dépend la solution, à la personne de son Président,Bachar Al Assad.

Pour lui rappeler qu'aucun homme ne peut, ni ne doit porterla main (lui-même ou par subalterne interposé) sur un autre.Pour lui rappeler que, de la terre souillée de sang, jamais nesortira le moindre fruit savoureux. Pour lui rappeler qu'à la findes fins, seuls les semeurs de Paix et de Justice mériterontleur place dans l'Histoire des Hommes. Et pour lui direqu'Anwar Al-Bunni est déjà l'un de ces semeurs.

Aujourd'hui, comme le constate lumineusement MonsieurEdgar Morin (in "Résistances – Le Journal du Refus de laMisère", 17 octobre 2007), « La science, la technique,l'économie et le profit vont ensemble et créent un processusqui conduit la planète à la catastrophe. Chacun de nous peutdésormais s'en rendre un peu plus compte chaque jour. Notrecivilisation mondialisée détruit les anciennes solidaritésindividuelles et crée, petit à petit, une machine de solidaritéanonyme. En Occident, quand quelqu'un tombe dans la rue,nous continuons notre chemin en nous disant que c’est

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aux services médicaux d'urgence et à la police de le prendreen charge. Cette mentalité, strictement individualiste, ne cesse de gagner toujours plus de terrain. Et, ainsi, la Fraternité,pourtant inscrite sur nos monuments, ici, en France, se meurt. »

Nous ne voyons même pas que, ce faisant, nous sommesles artisans de tous nos maux actuels et à venir ; individuelset collectifs. Il nous faut donc faire évoluer nos cœurs. Pourque la seule vraie révolution, celle pacifique, bouleverse lasociété humaine dans son ensemble.

Nous n'avons pas d'autre choix que celui-là, à l'heure duvillage planétaire. L'Homme, s'il veut survivre, doit enfin devenirce qu'au fond il n'a jamais cessé d'être : un compagnon, etnon pas un ennemi, pour ses semblables.

Anwar Al-Bunni nous crie silencieusement cela du fond desa geôle. Il nous dit, comme des voix s'élevaient déjà en cesens dans l'Antiquité contre l'esclavage, que nous appartenonstous à la même famille humaine. Et que nous devons doncsinon forcément nous aimer, au moins nous respecter les unsles autres. Et être solidaires. Et que c'est la clef pour le mondesans frontières dans lequel nous pourrions vivre demain ; quiserait alors, peut-être, un monde meilleur.

Aussi vous, Puissants du monde démocratiqued'aujourd'hui, qui avez sollicité vos peuples pour qu'ils vousélisent, intervenez auprès de ceux de vos homologues quicontinuent à opprimer, à faire souffrir et disparaître leursopposants. Faites en sorte que la peur ou, mieux, si possible,la compassion habite enfin tous ces dirigeants qui maltraitentimpunément leurs semblables pour défendre leurs privilègesde toutes natures. Apprenez-leur, comme vous le voudrez,comme vous le pourrez ; mais apprenez-leur que, « pours'enrichir, il ne faut pas augmenter son avoir, mais bien diminuerses désirs ». Sauf, assurément, celui de s'occuper toujours etau mieux de ses semblables.

Je ne parle pas ici pour accuser, mais pour en appeler à laconscience de chacun.

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Ils veulent faire taire Anwar Al-Bunni ! Et ils y réussiront sipersonne ne le soutient. Car il n'aura pas toujours la force derésister. Ils veulent le faire taire. Et moi je m'y oppose. Mais,seul, je ne peux pas faire plus que cela. Aussi, je vous ledemande, unissez-vous à moi. Ensemble nous pouvonsbeaucoup. Le pire n'est jamais sûr et le destin n'existe pastant que la mort ne l'a pas fait naître.

À l'heure où je m'exprime, Anwar Al-Bunni est vivant. Cethomme n'a jamais rien voulu d'autre que le bien de ses frèresen humanité. Il n'est coupable que de cela.

Combien de temps encore acceptera-t-on que les meilleursd'entre nous soient maltraités par les pires d'entre nous ? Àla réflexion, cette indifférence est d'autant plus méprisable, ethonteuse, que nous sommes majoritaires à être indifférents ;et, donc, sommes objectivement plus forts que la minorité desoppresseurs.

Mais peut-être le plus convaincant est-il simplement devous donner à entendre Anwar Al-Bunni parler à ses "juges" :« Les accusations dont je suis l'objet sont pour moi desdécorations que je porte sur ma poitrine et une source de fiertéet d'honneur. Je sais, vous savez, et chacun sait, que je suisprésenté ici, devant vous, non pas pour répondre d'un crimecommis ; mais plutôt pour me faire taire et m'empêcher dedivulguer et de dénoncer les atteintes aux Droits de l'Hommeen Syrie. Je n'y renoncerai jamais, tant que je vivrai et tant qu'ily aura un cri de protestation contre l'injustice. » (Prison d'Adra,19 novembre 2006, Interrogatoire d'Anwar Al-Bunni, par lePremier Tribunal Pénal de Damas, siégeant à huis clos).

« Moi, je ne veux pas tuer ou être tué. Je veux, comme tousles Syriens, vivre selon mes convictions, selon mes principeset mes idées. Je suis porteur d'un message : la défense de ladignité et de la liberté de l'Homme. Pour combattre lesdisparités, l'injustice et la torture. Les gens ont entendu monmessage et l'ont compris, mais mon espoir est que le vôtresoit porteur du changement de la justice syrienne. Pour qu'elleaille vers sa neutralité et son indépendance, s'agissant des

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jugements politiques. Il est certain que nous nous présenteronstous, un jour proche, devant les tribunaux des gens et del'Histoire. » (Maison d'arrêt d'Adrar, 20 mars 2007, Plaidoiriede défense d'Anwar Al-Bunni, devant la Première Courd'Assises de Damas).

Et voici ce que vit probablement Anwar Al-Bunni depuisqu'il est emprisonné : « Lève la tête, chien… Et ouvre la bouche,que je voie. J'ouvre la bouche. (Le gardien) me demande del'ouvrir plus. Je l'ouvre plus. Il renâcle puissamment. Trois foisde suite. Sans rien voir, je devine que sa bouche est pleine deglaire. Je sens sa tête s'approcher de moi… Il crache tout lecontenu de sa bouche à l'intérieur de la mienne. Réflexe naturel,elle veut se débarrasser de ça : je suis pris d'une envie de vomir.Mais il est plus rapide que moi : il me ferme la bouche d'unemain pendant que l'autre fond comme un éclair sur mesorganes génitaux. Il m'attrape les testicules et les presseviolemment. La douleur qui monte de mon bas-ventre me faitpresque perdre conscience. Ma respiration est coupée deux,trois secondes, cela suffit à me faire avaler son crachat quandje reprends mon souffle. Il continue à m'écraser les testiculesjusqu'à ce qu'il soit bien sûr que j'ai tout avalé. J'ai continuéà avancer, à tourner, les yeux fermés, la tête courbée. Petit àpetit, la douleur de mes testicules broyés s'est atténuée ; une sensation d'ordure s'est mise à monter en moi. » (MustaphaKhalifé, ancien prisonnier politique en Syrie, "La Coquille"p. 79).

Je vous en conjure : faisons sortir Anwar Al-Bunni, et tousses compagnons d'infortune, de cet enfer…

« La seule condition au triomphe du mal, c'est l'inactiondes gens de bien », aurait dit Edmund Burke. J'y ajoute qu'êtrevolontairement aveugle n'est pas être libre, mais bien être trèslâche. Honteusement lâche et égoïste.

Cela, toi, tu l'as bien compris : Salam Aleikoum Anwar !

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TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

PLAIDOYER POUR LES DROITS DE L’HOMME . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

Aboubacar Barry, victime d’un système : la mauvaise gouvernance . . . . . . . . . . . . . . . . . 9Maître Aimé Christophe LABILÉ KONE / Conakry - Guinée

La victoire de Narjis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19Maître Abderrahim JAMAI / Kenitra – Maroc

Le nébuleux destin de Rothman Salazar. Plaidoirie contre les attentes illégales infligées aux sans-papiers . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27Maître Cavit YURT / Bruxelles – Belgique

Pour la défense de Salim Hamdan et de tous les combattants ennemis des Etats-Unis, en détention à perpétuité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39Maître Robert KING / Washington DC - Etats-Unis

Les pas s’approchent . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51Maître Camélia ASSADI / Castenet Tolosan - France

Ken Bougoul ou la tragédie des sans voix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59Maître El Hadji DAOUDA SECK / Dakar - Sénégal

La dure vie d’un enfant albinos au Mali « il faut sauver le petit Karim Koulibali » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69Maître Guy-Paul KIELE / Puteaux - France

Le chemin de la Justice et de la Paix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81Maître Raymond LESNIAK / Elizabeth, NJ - Etats-Unis

Pour toi Anatole, je plaide le droit d’aimer. En toute liberté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91Maître Frédérique DE COURTEN / Genève - Suisse

Pour Anwar Al-Bunni : être volontairement aveugle n’est pas être libre . . . . . . . . . . 101Maître Tanguy BARTHOUIL / Avignon - France

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Réalisé avec la collaboration d’Annie Bouchard

Imprimé en France par NII

Maquette : AprimDépôt légal : janvier 2009

ISBN : 978-2-84911-144-4