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HIS43A – Contraintes et risques, Iwan Le Berre - UBO 3 2.2. Le froid La présence humaine est rare au nord du cercle polaire de l’hémisphère boréal : 2 millions d’habitants (0,03% de la pop. Mondiale) habitent sur 1/10 des terres émergées ; le continent antarctique ne compte aucun habitant permanent sur 13,6 millions de km 2 . a) Pourquoi fait-il froid aux pôles ? Les mécanismes d’un déficit thermique Bilan radiatif annuel moyen (W/m2) source NOAA sur eduscol.education.fr La Terre étant sphérique, la surface de réception du rayonnement solaire est 57 plus étendue aux pôles qu’à l’équateur (et llépaisseur d’atmosphère à traverserplus grande) ; Du fait de l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre : durant la nuit polaire (6 mois), les pertes dues au rayonnement de la Terre ne sont pas compensées par la faible énergie fournie par l’ensoleillement estival (6 mois) ; La glace est un « corps blanc » : une grande partie du rayonnement est réfléchi (Albedo) ; L’air froid des pôles étant « subsidant » (il plonge vers le sol), les pressions y sont élevées, générant un anticyclone permanent. b) « Nordicité » et délimitation des zones froides Quel critère employer : Cercle polaire, isotherme de 10 °C en juillet, présence de pergélisol, limite de la banquise, front forestier ? « Dans une perspective de géographie globale, il faut faire appel aussi à des critères d'ordre humain et économique tels que la population, l’accessibilité par les moyens de transport terrestres et l'avion, les activités économiques… pour cerner le monde polaire et les régions subpolaires » Godard & André, 1999 Les milieux polaires Nordicité géographique - Louis-Edmond Hamelin, 1963

2.2. Le froid

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2.2. Le froid La présence humaine est rare au nord du cercle polaire de l’hémisphère boréal : 2 millions d’habitants (0,03% de la pop. Mondiale) habitent sur 1/10 des terres émergées ; le continent antarctique ne compte aucun habitant permanent sur 13,6 millions de km2.

a) Pourquoi fait-il froid aux pôles ? Les mécanismes d’un déficit thermique

Bilan radiatif annuel moyen (W/m2) source NOAA sur eduscol.education.fr

• La Terre étant sphérique, la surface de réception du rayonnement solaire est 57 plus étendue aux pôles qu’à l’équateur (et llépaisseur d’atmosphère à traverserplus grande) ;

• Du fait de l’inclinaison de l’axe de rotation de la Terre : durant la nuit polaire (6 mois), les pertes dues au rayonnement de la Terre ne sont pas compensées par la faible énergie fournie par l’ensoleillement estival (6 mois) ;

• La glace est un « corps blanc » : une grande partie du rayonnement est réfléchi (Albedo) ; • L’air froid des pôles étant « subsidant » (il plonge vers le sol), les pressions y sont élevées,

générant un anticyclone permanent.

b) « Nordicité » et délimitation des zones froides Quel critère employer : Cercle polaire, isotherme de 10 °C en juillet, présence de pergélisol, limite de la banquise, front forestier ?

« Dans une perspective de géographie globale, il faut faire appel aussi à des critères d'ordre humain et économique tels que la population, l’accessibilité par les moyens de transport terrestres et l'avion, les activités économiques… pour cerner le monde polaire et les régions subpolaires » Godard & André, 1999 – Les milieux polaires

Nordicité géographique - Louis-Edmond Hamelin, 1963

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Variation de la nordicité à Chibougamau (Québec, Canada)

• L'occupation du territoire de Chibougamau remonte à plus de 5000 ans ; • À partir du début du XIXe siècle, les

Autochtones y font du troc avec les Blancs (commerce de la fourrure avec la Compagnie de la Baie d'Hudson) ;

• À la fin du XIXe siècle, le potentiel géologique de la région est exploré. Graduellement, Chibougamau devient un lieu d'importance. La population de la ville atteint le millier d'habitants en 1930 et Chibougamau est au cœur des activités minières de la région ;

• Malgré la Seconde Guerre mondiale, son expansion se poursuit. Chibougamau est désormais reliée au Saguenay-Lac-Saint-Jean, puis à Chapais par la route. Les minières y sont de plus en plus nombreuses et on y compte déjà 25 scieries ;

• En 1954, Chibougamau obtient le statut de ville. Sa croissance et ses activités d'exploitation sont telles qu'en 1960, elle et sa voisine Chapais, sont les plus grands producteurs de cuivre de l'est du Canada. Trois ans plus tard, l'entreprise forestière Chantiers Chibougamau ouvre ses portes ;

• Au fil du temps, Chibougamau assume de plus en plus un rôle de centre névralgique régional. La municipalité est pourvue d'une base militaire, d'une station de radio locale, d'un hôpital régional et d'un aréna. Son offre de services continue de se déployer et elle devient la « plus grande agglomération » du Nord-du-Québec (7656 hab. en 2011).

La contrainte de nordicité, n’est donc pas insurmontable et apparaît surtout liée aux ressources accessibles pour les sociétés humaines et aux moyens qui sont déployés pour les exploiter.

c) Les cryosphères des milieux polaires (> 800 vapos) « L’envers du Paradis terrestre » (Gabrielle Roy)

Inlandsis et banquise des pôles (un pôle Nord maritime entouré par une ceinture continentale ; un pôle Sud continental ceinturé par un vaste océan)

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Des déserts continentaux, mais des biotopes littoraux très favorables à la vie : riches en phytoplancton grâce aux sels nutritifs des remontées profondes, donc riche en zooplancton, dont se nourrissent le « krill »… Endémisme et adaptation sont la règle : • migration (record de la sterne arctique qui va hiverner en Antarctique ! • adaptations morphologiques (nanisme, dispositif en rosette ou en coussinet, épaisseur de la

fourrure chez les animaux, graisse) ; • adaptations physiologiques : ralentissement du métabolisme (hibernation), abaissement de la T°

et dormance des végétaux (dessication et induration de leurs tissus), augmentation de la teneur en chlorure de sodium du sang pour abaisser la T° de congélation chez certains poissons, synthèse de glycoprotéines ("antigel") ;

• adaptations éthologiques : stockage de réserves en fin d'hiver, changement d'habitat et de régime alimentaire, refuge sous la neige, migrations en profondeur (plancton), "tortue" dos au vent des manchots pour réduire les pertes calorifiques.

L’Homme, quant à lui, a dû attendre le début du XXe siècle pour atteindre les pôles (explorations de Robert Peary (Etats-Unis) au Pôle Nord, 1909 ; de Roald Amundsen (Norvège) au Pôle Sud, 1911)

• L’Antarctique est totalement inhabité en dehors de 52 bases scientifiques, dont 37 permanentes, implantées par 19 pays

« Il est de l'intérêt de l'humanité toute entière que l'Antarctique soit à jamais réservée aux seules activités pacifiques et ne devienne ni le théâtre ni l'enjeu de différends internationaux » Traité sur l’Antarctique, 1er décembre 1959, Washington.

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• Alert est le lieu habité le plus au nord de la planète, à seulement 817 km du Pôle Nord, situé dans le territoire du Nunavut. Situé à l'extrême nord de l'Île d'Ellesmere, il s'agit d'une base militaire canadienne, créée en 1958, avec une station du Service météorologique du Canada, installée en 1950). Le site est occupé en permanence par des militaires (70 personnes) pour la surveillance radar de l'extrême nord inhabité du pays et pour affirmer la souveraineté sur ce territoire.

d) Le Grand Nord (500-800 vapos) Cette zone de transition entre désert polaire et forêt boréale, occupe les espaces non englacés où les températures moyennes mensuelles sont supérieures à 0 °C pendant au moins un mois de l'année, sans jamais dépasser + 10 °C, même au cœur de l'été. Elle connaît donc un dégel saisonnier qui permet le développement d’une végétation rase, pauvre en espèces (200 à 300), faite de cryptogames (mousses, lichens), d’herbacées (graminées et cypéracées principalement) et d’arbrisseaux (sorbiers, saules, bouleaux nains) : la toundra

Du point de vue de la végétation, la contrainte majeure y est le froid qui se traduit par le gel du sous-sol sur plusieurs centaines de mètres d’épaisseur. Le pergélisol occupe une surface continue de 7 millions de km2 (13 dans l’Antarctique), qu’il occupe depuis les derniers épisodes glaciaires, le réchauffement post-würmien n’ayant pas été assez fort, ni assez long pour le faire disparaître.

Coupe verticale et localisation du pergélisol en arctique (Godard & André, 1999)

Le dégel saisonnier produit le Molisol, couche boueuse dégelant et regelant saisonnièrement et qui impose les constructions sur pilotis…

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Le Grand-Nord est occupé depuis plusieurs millénaires par les « peuples hyperboréens » qui ont su nouer une relation intime avec leur environnement, leur permettant de survivre :

• 60 000 Sâmes (Lapons), 40 000 Nenets ; 35 000 Evenks ; 30 000 Khanty, etc. soit 200 000 personnes au total en Eurasie ;

• 155 000 Inuits en Amérique. Depuis le 1er avril 1999, les Inuits canadiens disposent d’un territoire autonome, le Nunavut qui couvre 2 121 102 km2 soit un cinquième de la surface du Canada. Mais ne rassemble que 35600 habitants, dont 85 % d'Inuits (soit une densité de 0,02 habitants au km2). Sa capitale Iqaluit ne compte que 6200 habitants.

Distribution des peuples hyperboréens

www.underthepole.com/milieu-polaire/les-peuples-de-larctique/)

De nouvelles populations sont venues s’ajouter au peuplement traditionnel des espaces polaires dont la “dénordification” passe par la création de microcosmes artificiellement rendus vivables dans un contexte dont les contraintes naturelles dépassent les limites de tolérance de l’organisme ou de l’esprit humains.

« Si certaines sociétés triomphent en apparence des conditions physiques, elles ne peuvent le faire qu’au prix d’efforts puissants et coûteux qui restent le témoignage de la dépendance originelle » (Beaujeu-Garnier, 1971)

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Enjeux stratégiques en arctique

www.monde-diplomatique.fr

Leur présence est donc liée à des activités spécifiques : seules les ressources du sous-sol, les exigences stratégiques ou les recherches scientifiques justifient un peuplement extérieur, et il a fallu une forte politique volontariste pour y créer des bases : presqu'île de Kola (platine), Yellowknife (or du grand lac des esclaves), Port Radium (Echo Bays, grand lac de l'ours - uranium)

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e) Les domaines circumpolaires, le Moyen-Nord (200-500 vapos) L’isonord 200 vapos est un seuil fondamental qui place plus du 70 % du territoire canadien hors de l’écoumène. Dans ce climat subarctique se déroule une bande large d'environ 800 km, où s’épanouit la forêt boréale, à base de conifères, couvrant des sols – podzols et gleys – incultivables en raison de l’acidité de leur humus mal décomposé.

Distribution de la forêt boréale (www.grida.no/ d’après Olson et al., 2001)

L’été ne manque pas car la moyenne de juillet est supérieure à 10 °C et l’on compte plus de 9 jours sans gel. Mais le tapis nival persiste plus de 185 jours, la moyenne de janvier est inférieure à -3 °C, avec des minimum absolus à -45 °C. Ces espaces, appartiennent toutefois à la zone tempérée !

La végétation est dominée par les conifères dont les aiguilles et la sève résineuse permettent l’adaptation au stress thermique. La grande simplicité floristique (4 genres : Pin, Epicéa, Mélèze, Sapin) et l’uniformité des paysages sont liées à une reconquête très récente du sol par des espèces de grande résistance et de facile dissémination depuis environ 10000 ans.

Les étapes de la déglaciation en

Amérique du Nord

Godard & André, 1999

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L’exploitation de ces milieux par l’homme reste très contraignante. • Pour l’agriculture, le climat bloque toute croissante végétale pendant de longs mois (la pratique

de la céréaliculture nécessite 160 jours sans gelées) ; les sols jeunes, mal décomposés et très acides, sont difficilement cultivables ;

• L’ exploitation forestière, fournis 87% des volumes mondiaux de bois de conifères, à faible valeur ajoutée (pâte à bois de papeterie), mais elle impacte fortement les miieux à cause de l’extrême lenteur de la repousse ;

• Les infrastructures doivent être construites sur pilotis pour palier les inconvénient de la fonte du pergélisol ;

• Le froid reste intense…

f) Exemple de la colonisation noroise du Groenland Le début historique de l’ère viking est conventionnellement fixé par le pillage, le 8 juin 793, du monastère de Lindisfarne, dans le Northumberland, sur la côte orientale de l’Angleterre. Il marque le début d’une expansion territoriale, dont le moteur serait la croissance démographique dès le début du IXe siècle en Scandinavie

• Islande : (108 000 km2) plus grande terre vierge de la planète quand débuta sa colonisation. En l’an 930, l’île comptait plus de 60 000 habitants.

• Groenland, Banni pour trois années, Eirik Thorvaldsson explora, à partir de 982, la côte occidentale du « Pays vert ». En 986, il y conduisit une expédition pour fonder deux colonies qui comptèrent, à partir de 1126, 1 200 fermes, 13 paroisses, 1 évêché (Gar∂ar, Igaliku) et de 3000 à 7000 habitants.

Colonisation noroise de l’Atlantique nord (McGovern & Perdikaris, 2000)

Deux colonies situées respectivement aux latitudes d’Oslo et de Trondheim :

• Østerbygd (la colonie de l’est), dans le district de Qaqortog à 61° N (75% de la population) ; • Vesterbygd (la colonie de l’ouest) établie dans la région de Nuuk, par 64° N.

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Le poids du changement climatique dans l’abandon

A partir de 1320, les activités agropastorales disparaissent, les derniers navires norvégiens visitèrent les colonies en 1393, les ultimes relations avec l’Islande cessèrent en 1411, et le silence s’appesantit sur le Groenland, au point qu’en 1578, l’explorateur Martin Frobisher n’y rencontra que des Inuits. Trois siècles de tenaces efforts furent nécessaires pour déterminer l’emplacement exact des colonies.

Colonisation viking et évolution climatique (Boyer R., 2002. Les Vikings. Histoire et civilisation)

Il est probable que cette colonie de peuplement a profité du "petit optimum climatique" médiéval, sous un climat légèrement plus tiède, suffisamment pour stimuler, en tout cas faciliter, les entreprises des Vikings qui y installèrent des fermes jusqu'au début du XIIe siècle, se hasardèrent au moins jusqu’au 73°N, où ils érigèrent la pierre runique de Kingigtorssuap, et atteignirent probablement les côtes américaines.

Il était certes possible de survivre en autarcie au Groenland, comme le montre le cas des Inuits, mais à condition de s’adapter au milieu sans chercher à maintenir les modes de vie hérités du passé scandinave.

Il est généralement admis que les Vikings n’auraient pas survécu parce qu’ils auraient refusé de renoncer à leurs valeurs fondamentales, notamment parce qu’ils refusaient de se nourrir de poisson, très abondant dans ces mers froides. Or, il semble bien que leur régime alimentaire s’est profondément transformé puisqu’il n’aurait intégré que 20 % de produits marins jusqu’au XIIIe siècle et quelque 80 % au cours de ce siècle, avec la disparition de la culture du foin. Il serait donc faux d’affirmer que les Vikings ont voulu vivre à la norvégienne dans un Groenland en cours de refroidissement, mais, du moins, tous les auteurs insistent sur le rôle primordial de la péjoration climatique du Petit Âge Glaciaire dans la chute des rendements et l’isolement géographique.

Malgré la réduction des troupeaux de bovins au profit des ovins, puis des caprins, moins exigeants en fourrage hivernal, et la sollicitation accrue des ressources cynégétiques terrestres, puis marines, il semble que les tentatives d’adaptation des Norses furent infructueuses. Confrontés à une crise environnementale, leurs capacités de réaction se seraient épuisées.