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HOMME ORIGINE ET ÉVOLUTION DE L’HOMME GÉNÉRALITÉS L’humanité actuelle est très hétérogène en apparence, mais elle est plutôt homogène sur le plan strictement génétique. Tous les hommes appartiennent à une espèce unique, Homo sapiens, qui est adaptée à la vie dans les milieux les plus disparates : en plaine, en montagne, dans les forêts tropicales, les déserts les plus arides et les régions glacées de la zone circumpolaire. Au cours de l’histoire évolutive, la technologie et la culture ont permis à l’homme d’élargir sa distribution géographique en colonisant toute la planète. Selon des classifications récentes fondées sur les distances génétiques, les singes anthropomorphes africains (chimpanzés et gorilles) et l’homme font partie de la famille des Hominidés. À l’intérieur de ce groupe, l’espèce moderne H. sapiens et ses ancêtres directs sont réunis dans la sous- famille des Hominiens. En français, toutefois, a prévalu l’usage (auquel nous nous conformerons) d’appeler ces dernières formes Hominidés bipèdes, ou plus simplement Hominidés, conservant pour ce regroupement le sens traditionnel, qui est celui de réunir des formes semblables sur des bases morphologiques. Considérées à l’échelle temporelle des ères géologiques, l’origine et l’évolution des Hominidés sont des processus historiques plutôt récents. Nous pouvons dater, de faÁon presque certaine, à environ 4 millions d’années avant notre ère le témoignage des plus anciens ancêtres directs de l’homme : les Australopithèques, singes bipèdes au visage proéminent qui vécurent dans les savanes africaines. Les calculs concernant l’âge du genre Australopithecus, basés sur ce que l’on appelle l’horloge moléculaire (une méthode qui permet de dater les processus évolutifs en analysant et en confrontant la structure des molécules) donnent une époque assez proche de celle que l'on peut déduire des fossiles : environ 6 millions d’années. Par la suite, les premiers Hominidés du genre Australopithecus, descendants de grands singes semi-arboricoles semblables aux chimpanzés actuels, s’adaptèrent à la vie dans les vastes étendues de savane de l’Afrique orientale et méridionale, eurent un grand succès évolutif et se diversifièrent très rapidement. Parmi les adaptations acquises, la plus surprenante, déterminante pour les développements successifs de l’histoire évolutive de l’homme, est certainement l’acquisition de la locomotion bipède et de la station debout. 1

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HOMME

ORIGINE ET ÉVOLUTION DE L’HOMME

GÉNÉRALITÉS

L’humanité actuelle est très hétérogène en apparence, mais elle est plutôt homogène sur le plan strictement génétique. Tous les hommes appartiennent à une espèce unique, Homo sapiens, qui est adaptée à la vie dans les milieux les plus disparates : en plaine, en montagne, dans les forêts tropicales, les déserts les plus arides et les régions glacées de la zone circumpolaire. Au cours de l’histoire évolutive, la technologie et la culture ont permis à l’homme d’élargir sa distribution géographique en colonisant toute la planète.Selon des classifications récentes fondées sur les distances génétiques, les singes anthropomorphes africains (chimpanzés et gorilles) et l’homme font partie de la famille des Hominidés. À l’intérieur de ce groupe, l’espèce moderne H. sapiens et ses ancêtres directs sont réunis dans la sous-famille des Hominiens. En français, toutefois, a prévalu l’usage (auquel nous nous conformerons) d’appeler ces dernières formes Hominidés bipèdes, ou plus simplement Hominidés, conservant pour ce regroupement le sens traditionnel, qui est celui de réunir des formes semblables sur des bases morphologiques.Considérées à l’échelle temporelle des ères géologiques, l’origine et l’évolution des Hominidés sont des processus historiques plutôt récents. Nous pouvons dater, de faÁon presque certaine, à environ 4 millions d’années avant notre ère le témoignage des plus anciens ancêtres directs de l’homme : les Australopithèques, singes bipèdes au visage proéminent qui vécurent dans les savanes africaines. Les calculs concernant l’âge du genre Australopithecus, basés sur ce que l’on appelle l’horloge moléculaire (une méthode qui permet de dater les processus évolutifs en analysant et en confrontant la structure des molécules) donnent une époque assez proche de celle que l'on peut déduire des fossiles : environ 6 millions d’années.Par la suite, les premiers Hominidés du genre Australopithecus, descendants de grands singes semi-arboricoles semblables aux chimpanzés actuels, s’adaptèrent à la vie dans les vastes étendues de savane de l’Afrique orientale et méridionale, eurent un grand succès évolutif et se diversifièrent très rapidement. Parmi les adaptations acquises, la plus surprenante, déterminante pour les développements successifs de l’histoire évolutive de l’homme, est certainement l’acquisition de la locomotion bipède et de la station debout. Ce n’est que par la suite que commença le développement progressif de la boîte crânienne et du cerveau. Ce développement accompagna les progrès technologiques des hommes du Paléolithique, et l’évolution de leurs capacités intellectuelles, comportementales et culturelles typiques de notre espèce.Des millions d’années après les premiers témoignages africains, apparurent des formes que l’on peut déjà définir comme humaines. La variabilité qui avait existé jusque-là entre les différentes espèces d’Hominidés disparut, faisant place à l’évolution d’une seule espèce, Homo erectus, responsable de la première grande diffusion géographique, du continent africain à l’Eurasie.Il y a un million d’années, l’Homo erectus avait déjà atteint les franges situées les plus à l’est du continent asiatique. Par la suite, en se déplaçant vers des latitudes plus septentrionales, il parvint à coloniser également une bonne partie des

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territoires de l’Europe méditerranéenne et continentale. Par suite de cette vaste diffusion, les populations humaines, dispersées géographiquement et souvent isolées, protégées par des micro-milieux déjà partiellement artificiels, se différencièrent en types morphologiques locaux, en variétés géographiques, en races. Cette variabilité donna lieu à des Hominidés difficiles à classer, qui connurent une histoire et un destin différents (comme l’homme de Néanderthal), et aux premiers représentants de l’espèce moderne : Homo sapiens.C'est ainsi que vers 100 000 ans avant notre ère firent leur apparition les plus anciens représentants de notre espèce, d’abord en Afrique puis dans les autres continents. Ces hommes d’aspect moderne se caractérisèrent par la rapidité de leur évolution culturelle. Les graffiti que l’on peut observer sur les parois rocheuses des cavernes franco-cantabriennes, dans les abris sous roche du Sahara central et dans de nombreux autres lieux du monde, peuvent être considérés comme les premières formes de ce système particulier de représentations symboliques qui, des dizaines de millénaires plus tard, est à présent sous nos yeux, archivé sous forme d’écriture dans les pistes magnétiques d’un disque compact.

L’ÉVOLUTION DES PRIMATES

Les caractères adaptatifs

L’évolution des Primates, à partir des Mammifères primitifs du Mésozoïque supérieur, est un exemple typique de radiation adaptative, qui a eu lieu au cours de soixante-dix millions d’années de l’histoire de notre planète. Actuellement, il existe sur Terre environ 230 espèces de Primates, réunies en plus de 60 genres et appartenant à 13 familles. L’homme mis à part, les Primates sont distribués sur presque tous les continents, entre 35° de latitude sud et 45° de latitude nord, avec des adaptations plus ou moins développées pour la vie arboricole.À la fin du Mésozoïque, quand s’éteignirent les Dinosaures et les autres Reptiles qui, pendant des dizaines de millions d’années, avaient dominé la vie sur Terre, apparurent les conditions écologiques qui ont favorisé l’évolution des Oiseaux et des Mammifères (voir évolution animale). Parmi ces derniers, après la séparation des proto-insectivores (Mammifères primitifs semblables aux actuelles musaraignes), apparurent les Primates, nouveaux colons du milieu forestier. Par la suite, en compétition avec d’autres Mammifères grimpeurs, les Primates se différencièrent par leurs habitudes et par leurs formes, occupant les innombrables niches écologiques offertes par la vie sur les arbres, à une époque où les forêts humides et luxuriantes étaient particulièrement abondantes dans toute la zone centrale de la planète.Parmi les nombreuses adaptations que connurent les Primates au cours de leur histoire évolutive, les plus importantes furent :1) l’amélioration des facultés visuelles (stéréoscopie, perception des couleurs) ;2) la plus grande mobilité des membres ;3) le développement d’extrémités pentadactyles dotées d’une grande liberté de mouvement et d’opposabilité du pouce et du gros orteil, indispensables pour une prise plus sûre ;4) le développement d’un appareil de mastication en mesure de permettre un régime très varié ;5) le développement d’un cerveau capable de mémoriser et de gérer les informations provenant du monde extérieur de façon à compléter les facultés

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contrôlées par différents systèmes anatomiques et fonctionnels (en mesure, par exemple, de relier la vue et la manipulation des objets).

La radiation adaptative des Primates

Les plus anciens témoignages de l’existence des Primates ont été trouvés sur le territoire de l’actuelle Amérique du Nord. Il y a 70 millions d’années, vivait en effet dans les forêts Purgatorius, un animal semblable par la forme et les dimensions à l’actuelle musaraigne, mais déjà Primate, si l’on en croit sa dentition. En analysant la documentation fossile, à partir de cette date et pendant tout le Cénozoïque (l’ère géologique qui va de moins 65 à moins 2 millions d’années), nous assistons à la radiation adaptative des prosinges et des singes.Au Paléocène et à l’Éocène (entre moins 65 et moins 40 millions d’années), apparut dans l’hémisphère boréal un groupe hétérogène de formes qui n’ont pas laissé de descendants directs, mais qui avaient les caractères présents aujourd’hui chez certains prosinges (lémuriens et tarsiers). Leurs membres, par exemple, étaient adaptés pour la préhension et la locomotion arboricole, tandis que le développement des orbites frontales indique qu’ils avaient déjà acquis une bonne vue stéréoscopique (perception de la profondeur de champ).Une deuxième grande séparation dans l’histoire évolutive des Primates est celle qui a eu lieu au cours de l’Oligocène entre les singes américains (ou Platyrhiniens) et les singes africains et eurasiatiques (Catarhiniens). En Afrique, il y a environ 35 millions d’années, apparurent les plus anciens témoignages d’un Primate déjà proprement simiesque de par sa dentition, par la forme de son arc mandibulaire et par les dimensions de son crâne. Il s’appelle Aegyptopithecus et fut trouvé dans le gisement d’El Fayum en Égypte. Il s’agit de la première forme arboricole diurne qui, avec l’oligopithèque (Oligopithecus) puis avec le propliopithèque (Proliopithecus), constitue la base évolutive de ce que l’on appelle les Primates supérieurs (singes anthropomorphes et homme).Le plus grand développement de la radiation adaptative des Primates supérieurs eut lieu au bout d’environ 50 millions d’années d’histoire évolutive, au Miocène. C’est alors qu’apparurent différents genres éteints aujourd’hui qui furent les ancêtres des actuels singes cynomorphes (babouins et similaires) et anthropomorphes (chimpanzés, gorilles, etc.). Les nombreuses espèces identifiées pendant cette période fournissent une image du succès évolutif d’adaptations non plus liées à une vie exclusivement arboricole, à une époque caractérisée par de profonds changements du climat, de la flore et de la faune.

L’ORIGINE DES HOMINIDÉS

Changements du climat et du milieu

Vers la moitié du Cénozoïque se produisit une détérioration climatique progressive (diminution de l'humidité et alternance des saisons plus marquée) qui, dans la zone intertropicale, aboutit à une réduction graduelle des forêts dans lesquelles s’étaient adaptés et diversifiés les Primates, et à une augmentation progressive des zones de brousse et de savane. Ces circonstances ont été interprétées comme le principal agent sélectif ayant opéré sur des espèces déjà adaptées pour vivre aux marges de la forêt. Certains Primates ont été, par exemple, conduits à quitter leur

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habitat originaire, pour gagner les grandes étendues de savane limitrophes (voir savane : habitat des premiers Hominidés).Les Primates qui s’étaient le plus spécialisés dans la vie arboricole ressentirent profondément cette réduction progressive du manteau forestier, ce qui se traduisit par leur extinction ou par leur adaptation aux nouvelles conditions écologiques. C’est probablement ce processus qui mena à la disparition de genres et de familles entiers. C’est peut-être le cas de l’Oreopithecus, un Primate arboricole ayant vécu il y a environ 9 millions d’années, dont les restes ont été retrouvés dans des mines de lignite de la Toscane. Mais il est possible également que certains groupes soient parvenus à s’adapter à la vie semi-arboricole, ou pleinement terricole, dans des milieux plus ouverts.Dans ces conditions, il se développa au cours du Miocène une grande quantité de formes qui annonçaient l’apparition des singes anthropomorphes actuels et de l’homme lui-même. Mais les Hominidés, c’est-à-dire les Primates bipèdes marchant debout, ne s’étaient pas encore séparés de l’orang-outang, du gorille et du chimpanzé, comme nous le savons à partir des calculs fournis par l’horloge moléculaire. Sur la base des distances génétiques entre les espèces actuellement vivantes, les chercheurs ont pu dater à environ 6 millions d’années avant notre ère la séparation entre la ligne évolutive humaine et celle des singes anthropomorphes africains, tandis que l’ancêtre commun entre ces derniers et l'orang-outang asiatique serait encore plus ancien et remonterait à plus de 10 millions d’années. Malheureusement, sur le plan paléontologique, il reste un vide de plusieurs millions d’années (précisément entre moins 10 et moins 5 millions d’années), qu'il n’a pas encore été possible de remplir, par suite de l’absence presque complète de fossiles. Il concerne le bout de chemin que nous avons fait avec les seuls singes anthropomorphes africains (les gorilles et les chimpanzés).

La Rift Valley

Sur la base des résultats obtenus en analysant les distances génétiques qui séparent l’homme des singes anthropomorphes (voir paragraphe précédent), il est évident que nous devons considérer l’Afrique (où vivent nos parents les plus proches : les gorilles et les chimpanzés) comme le plus vraisemblable des « berceaux de l’humanité » ou, pour mieux dire, des Hominidés. En Afrique, et particulièrement en Afrique orientale, la détérioration climatique générale s'accompagna d'un événement géologique d’une portée colossale (voir expansion des fonds océaniques), la formation d’une fracture tectonique longue de plus de 5 000 km qui commença à séparer la plaque sur laquelle reposait l’Afrique orientale (y compris Madagascar) du reste de ce continent. Ce phénomène provoqua, d’une part la formation de la série de profondes dépressions et de sillons qui caractérisent, dans la zone orientale africaine, ce que l’on appelle la Rift Valley, et, d’autre part, la formation d’importants complexes volcaniques qui dépassent souvent 4 000 m.Il est évident que ces bouleversements de nature géologique ne pouvaient qu’influer profondément sur le climat de cette région, favorisant une forte augmentation de la variété des milieux et accentuant l’assèchement aux marges de la Rift Valley. Le changement du régime des précipitations, l’apparition de nouveaux bassins lacustres importants, l'existence d'altitudes et de végétations très diversifiées (des vallées arides aux luxuriantes forêts de montagne), toute cette mosaïque de facteurs favorisa les nouvelles adaptations et la diversification de

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nombreux groupes zoologiques. Parmi eux, figuraient les premiers Hominidés appartenant au genre Australopithecus (voir aussi Une région riche en histoire).

La savane, habitat des premiers Hominidés

La savane est le biome qui caractérise aujourd’hui une grande partie de la zone intertropicale de notre planète. Elle est constituée de manteaux herbeux à perte de vue, parfois arborés, marqués de place en place de maquis arbustif. La savane est limitée d’un côté (en direction de l’équateur) par des brousses de plus en plus épaisses et par des forêts et, de l’autre côté, par des territoires de plus en plus arides et par des déserts.Quand, dans la deuxième partie du Cénozoïque, le vaste manteau forestier de la Terre subit une réduction draconienne, une grande partie des forêts se réduisirent en brousse ou furent remplacées par la savane. Il en est dérivé un paysage varié et discontinu, dans lequel la densité et la distribution de la végétation reflètent des variations de pluviosité aussi bien locales que saisonnières.La savane constitue l’habitat de nombreuses espèces animales et végétales, dans lesquelles ont été sélectionnées des adaptations particulières pour la survie durant les périodes de sécheresse. Bien que l’eau représente un facteur limité durant les saisons arides, la savane comprend une grande variété de niches écologiques, au point de pouvoir être considérée comme un milieu particulièrement riche aussi bien pour la flore que pour la faune. La biomasse végétale de la savane, constituée surtout de plantes herbacées, est en mesure par exemple de fournir de la nourriture à d’importants troupeaux d’herbivores. Les gnous, les antilopes, les zèbres et les girafes constituent à leur tour une source de nourriture pour les lions, les léopards, les hyènes et les vautours. À proximité des lacs et des fleuves, la concentration de plantes et d’animaux est encore plus grande. On peut y rencontrer des crocodiles, des hippopotames et d’autres formes qui ont des adaptations marquées au milieu aquatique, ainsi que tous les autres animaux de la savane et des forêts environnantes, qui s’y rendent pour s’y abreuver.

La radiation adaptative des Hominidés

Ce n’est qu’à partir de 4,5 - 4 millions avant notre ère que nous trouvons des restes fossiles d’Australopithecus dans les sites de l’Afrique orientale et méridionale. Ces premiers Hominidés, dont les liens de parenté avec d’autres formes de singes anthropomorphes éteintes restent encore à explorer, peuplèrent la savane pendant au moins 3 millions d’années.Les Australopithèques avaient en moyenne un cerveau de dimensions semblables à celui des singes anthropomorphes actuels et, tout en vivant dans un milieu ouvert, maintinrent un lien partiel avec leurs origines arboricoles (comme semblent l’indiquer les proportions, encore remarquables, des membres supérieurs par rapport au corps). Une caractéristique typiquement humaine les distinguait : ils étaient bipèdes et ils marchaient presque debout.L’abondance des ressources alimentaires de la savane offrit l’occasion aux Australopithèques d’abord, puis aux espèces du genre Homo, d’occuper avec succès plusieurs niches écologiques dans un milieu tout à fait nouveau. La compétition pour les ressources était faible, si bien que différentes espèces d’Hominidés purent se différencier et peupler dans la même période les savanes africaines dans les millions d’années qui suivirent l’apparition d’Australopithecus.

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Après celle des Primates dans les forêts du Cénozoïque, nous avons maintenant affaire à une nouvelle radiation adaptative des Hominidés, plus circonscrite dans l’espace et dans le temps, qui apparaît comme le résultat naturel de la différenciation, à partir d’une seule espèce, et de l’adaptation, particulièrement bien réussie, des populations pré-humaines à leur nouvel habitat.

Bipédie et station debout

La locomotion bipède permanente et la station debout qui en dérive sont des caractéristiques communes à tous nos ancêtres pré-humains qui ont peuplé la savane à la fin du Cénozoïque, bien qu’ils puissent avoir eu dans le temps des expressions relativement différentes.Les formes d’Australopithèque les plus anciennes connues se déplaçaient déjà dans la savane en s’appuyant sur les seuls membres inférieurs. Les empreintes laissées sur les sables volcaniques de Laetoli, en Tanzanie, il y a plus de 3,5 millions d’années en sont le témoignage le plus sensationnel et le plus convaincant. Les fossiles de la même époque, par exemple les os pelviens de la célèbre « Lucy », qui vécut en Éthiopie il y a environ 3 millions d’années, confirment cette donnée, et montrent que le squelette du tronc et des membres inférieurs a été, avec les dents, le premier acteur de la course évolutive qui a porté à l’apparition de l’homme.Les adaptations anatomiques et fonctionnelles propres à développer la locomotion bipède ont comporté une série d’interactions biomécaniques qui ont impliqué le squelette tout entier, une grande partie de la musculation et, d’une façon ou d’une autre, tout l’organisme du Primate arboricole originaire.L’orifice occipital situé à la base du crâne s’est déplacé vers l’avant, dans l’axe vertébral, qui a joué dès lors le rôle d’une véritable colonne. Le crâne s’est trouvé ainsi en équilibre au sommet de la colonne vertébrale, et c’est ainsi qu’ont été jetées les bases « statiques » pour l’accroissement du cerveau et de la boîte crânienne, qui devinrent par la suite de plus en plus volumineux.Cette verticalisation générale a conféré au bassin un rôle central dans la statique des rapports entre le tronc et les membres inférieurs, l’amenant à tourner sur lui-même, à devenir plus large et évasé, à fournir de plus grandes surfaces d’attache pour les muscles fessiers plus volumineux et puissants.Le squelette des jambes aussi s’est modifié, car leur structure musculaire devait être plus robuste et la dynamique du mouvement était nouvelle. Dans le pied, le gros orteil a perdu ses attributs d’opposabilité et de préhension, la voûte plantaire s’est formée, pour assurer un soutien plus stable à tout le poids corporel et pour améliorer l’efficacité du pas.Grâce à l’acquisition de la station debout, la main des Hominidés s’affranchit de la fonction locomotrice et devient un formidable instrument pour la manipulation des objets, exploitant et perfectionnant l’opposabilité particulière du pouce aux autres doigts, qui s’était développée au cours de l’évolution des Primates.On doit observer que l’homme descend d’un ancêtre commun aux singes anthropomorphes africains, qui grimpaient sur les arbres en utilisant les quatre membres et en marchant sur les jointures (démarche clinograde), quand ils se déplaçaient sur le sol. Si l’on considère que cet ancêtre n’a pas pu vivre il y a beaucoup plus que 6 millions d’années et que les premiers Hominidés bipèdes apparurent il y a environ 4,5 - 4 millions d’années, l’acquisition de notre forme de locomotion particulière doit avoir été un processus évolutif relativement court à l’échelle des temps géologiques. Cela est particulièrement surprenant si l’on

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considère tous les bouleversements dans l’anatomie, dans la physiologie et dans les comportements que la conquête de cette démarche particulière a nécessités.

LES AUSTRALOPITHÉCIDÉS

Caractères généraux et distribution géographique

Le genre Australopithecus comprend différentes espèces ayant vécu dans l’Afrique orientale et australe le long de la Rift Valley, la région traversée par une série de fractures tectoniques qui se succèdent de la corne d’Afrique à l’extrémité méridionale du continent.Les Australopithèques apparurent il y a plus de 4 millions d’années et s’éteignirent au bout de 4 millions d’années environ. Il s’agissait d’individus de petite taille qui marchaient comme nous sur deux pieds (même si nombre d’entre eux devaient conserver de grandes capacités de déplacement sur les arbres) et qui étaient dotés d’un cerveau d’un volume semblable à celui des singes anthropomorphes actuels. La variabilité à l’intérieur de chaque espèce devait être importante, surtout dans les formes les plus anciennes, avec de fortes différences entre les deux sexes.

Une région riche en histoire

Dans une bande étroite de l’Afrique orientale, le long de la Rift Valley, on a retrouvé les témoignages les plus anciens d’Hominidés ayant vécu sur la Terre : des restes fossiles qui remontent à il y a plus de 4 millions d’années. Les mêmes sites, constitués de dépôts à ciel ouvert, ont restitué également des fossiles de périodes plus récentes de l’histoire évolutive de l’homme. Certains de ces fossiles concernent la transition du genre Australopithecus au genre Homo, et plus particulièrement l’espèce Homo habilis, d’autres, l’apparition et les premières phases évolutives d’Homo erectus (il y a 1,5 million d’années environ). On a également retrouvé dans quelques-uns de ces sites certains des plus anciens restes osseux de l’espèce humaine moderne, Homo sapiens (remontant à il y a 100-150 millions d’années). Cette zone n’est pas seulement le « berceau » des Hominidés, mais également de l’humanité.En allant du nord vers le sud, les localités de l’Afrique orientale dans lesquelles on a trouvé des restes d’Hominidés se distribuent sur les territoires de l’Éthiopie, du Kenya et de la Tanzanie. Les sites les plus importants sont : Hadar, le cours moyen du fleuve Awash, Melka Kunturé et la basse vallée de l’Omo, en Éthiopie ; Koobi Fora, Nariokotome (Turkana ouest) et Kanapoi, toutes situées sur les bords du lac Turkana, outre les formations fossilifères près du lac Baringo, au Kenya ; Peninj, Olduvai et Laetoli, en Tanzanie.En Afrique méridionale, en revanche, les sites sont localisés dans les cavités de nature karstique (voir érosion karstique), d’où proviennent certains fossiles « historiques » d’Australopithecus. À Taung, par exemple, fut trouvé le crâne d’un enfant qui constitue le premier fossile d’A. africanus, remontant à 1924. En plus de ce dernier, certains sites d’Afrique du Sud, importants pour nos connaissances sur ces anciennes formes d’Hominidés, sont ceux de Sterkfontein, Swartkrans, Kromdraai et Makapansgat.

Les différentes espèces

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On distingue de 4 à 6 (mais il pourrait y en avoir 8) espèces différentes, réunies dans le genre Australopithecus. Deux autres espèces d’Hominidés furent en partie contemporaines de certaines espèces Australopithèques : Homo habilis et Homo erectus, c'est-à-dire la plus ancienne des espèces appartenant à notre genre, elle aussi exclusivement africaine, et l’espèce suivante du même genre, qui se répandit également en Asie et en Europe.De façon schématique et par ordre chronologique, les espèces hypothétiques du genre Australopithecus (avec leurs distributions géographiques respectives, les périodes où ils vécurent et, dans certains cas, la taille et les caractères relatifs au crâne et à la dentition) furent les suivantes :

1) Australopithecus ramidusÉthiopie. De 4,5 à 4 millions d’années avant notre ère.Il s’agit d’une espèce décrite sur la base de fossiles partiels (provenant du site d’Aramis, en Éthiopie) et, par conséquent, plutôt hypothétique. Il pourrait s’agir d’une forme archaïque de A. afarensis, ou d’un ancêtre du chimpanzé moderne. Les découvreurs ont dans un deuxième temps préféré attribuer cette espèce à un nouveau genre éteint : Ardipithecus.

2) Australopithecus anamensisKenya. Un seul fossile remontant à 4 millions d’années avant notre ère.Découvert en 1995 au Kenya, dans deux sites sur les rives du lac Turkana. C’est une forme archaïque possible, ou un ancêtre de A. afarensis.

3) Australopithecus afarensisAfrique orientale. De 3,8 à 3 millions d’années avant notre ère.Taille moyenne : 1,35 m ; poids moyen : 40 kg.Capacité crânienne moyenne : 415 ml.Certains chercheurs considèrent que les fossiles réunis sous ce nom pourraient en réalité représenter deux (ou plus) différentes espèces d’Hominidés.

4) Australopithecus africanusAfrique méridionale et (de façon plus hypothétique) orientale. De moins 3 millions à moins 2 millions d’années avant notre ère.Taille moyenne : 1,45 m ; poids moyen : 45 kg.Capacité crânienne moyenne : 440 ml. Dentition : incisives et canines plus petites, molaires et prémolaires plus grandes que chez l’A. afarensis.

5) Australopithecus aethiopicusAfrique orientale. Il y a environ 2,5 millions d’années avant notre ère.Espèce hypothétique, reconnue sur la base d’un seul crâne et de peu d’autres restes.

6) Australopithecus robustusAfrique méridionale. De 2 à 1,2 millions d’années avant notre ère.Taille moyenne : 1,55 m ; poids moyen : 55 kg.Capacité crânienne moyenne : 500 ml.

7) Australopithecus boiseiAfrique orientale. De 2,5 à 1 millions d’années avant notre ère.Taille moyenne : 1,55 m ; poids moyen : 55 kg.

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Capacité crânienne moyenne : 500 ml.

Les chercheurs ne sont pas tous d’accord sur cette classification et certains attribuent les restes fossiles à trois différents genres : Ardipithecus, auquel appartiendrait l’espèce la plus archaïque (A. ramidus), Australopithecus, considéré comme valable pour les formes souvent dites « graciles » (A. afarensis et A. africanus) et Paranthropus qui, selon les tenants de cette hypothèse, devrait réunir les formes appelées « robustes » (A. aethiopicus, A. robustus et A. boisei).

Le premier Australopithecus et les formes « graciles »

Chez les plus anciens Australopithèques, la forme de la face et de la voûte crânienne témoignent clairement de la dérive évolutive de ces Hominidés de singes anthropomorphes ayant vécu à partir du Miocène. Rappelons par exemple la petite capacité crânienne (environ 415 ml en moyenne pour A. afarensis), les fortes insertions musculaires sur la voûte crânienne, la base du crâne large, les incisives développées, les canines proéminentes et le diastème correspondant, le développement remarquable en avant de la mâchoire sous l’ouverture nasale (prognathisme sous-nasal), etc. Inversement, le squelette du tronc (en particulier, les os pelviens) et des membres inférieurs (fémur, tibia, os du pied) montre clairement - au moins chez A. afarensis - la présence d’une conformation nécessaire pour une locomotion bipède de type humain. D’autres caractères des os des membres supérieurs (par exemple, leur longueur relative) et des doigts des mains et des pieds, laissent penser à la permanence d’attitudes marquées de type arboricole. Un aspect qui fait beaucoup discuter les anthropologues (au point de supposer que plusieurs espèces soient comprises sous l’actuelle dénomination d’A. afarensis) est la remarquable diversité entre les sexes, qui se manifeste dans des différences de volume corporel et dans des aspects plus particuliers (par exemple, les dimensions des canines) entre les mâles et les femelles.Pour le squelette du tronc et des membres, il n’existe pas de différences particulières entre les formes les plus anciennes d’Australopithecus et d’A. africanus. Nous trouvons dans le crâne de cette dernière espèce des éléments de nouveauté qui portent, d’un côté, vers les formes « robustes » d’Australopithecus et, de l’autre, vers le genre Homo. En particulier, A. africanus montre une augmentation modeste de la capacité crânienne (440 ml en moyenne) et un type de structure dentaire de conformation « gracile » (vers lequel est orienté également A. afarensis), avec des incisives et des canines plus petites (auxquelles est liée une réduction du prognathisme sous-nasal), une augmentation des dimensions des molaires et des prémolaires, et des changements dans la structure des os de la mâchoire et de l’arcade zygomatique, tout comme dans le développement relatif des muscles destinés à la mastication.

Les formes « robustes »

Les formes d’Australopithèques appelées « robustes » ne montrent pas non plus de différences substantielles quant au squelette du tronc et aux membres supérieurs par rapport aux formes les plus anciennes, à l’exception d’une légère augmentation de la masse corporelle (à laquelle correspond une capacité crânienne plus élevée). Pour ces formes également, valent les considérations sur la locomotion bipède et

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sur le maintien des adaptations à la vie arboricole que nous avons faites à propos d’A. afarensis (voir paragraphe précédent).Les caractéristiques qui distinguent ces formes d’Australopithèques - et les caractérisent comme « robustes » - tiennent plutôt à la forme du crâne et, surtout, à l’appareil masticatoire (dents, os et muscles liés à la mastication).Pour les dents, on observe par exemple une réduction accentuée des dents antérieures (incisives et canines) et un développement extraordinaire des dents postérieures (prémolaires et molaires). Les molaires, en particulier, atteignent de grandes dimensions et les prémolaires sont « molarisées » (c'est-à-dire qu’elles ont une forme semblable à celle des molaires).Les os maxillaires et la mandibule présentent une taille considérable, mais l’arcade zygomatique se développe elle aussi. Au sommet de la voûte crânienne, il se forme en outre une crête osseuse caractéristique, qui fait office d’insertion pour les puissants muscles temporaux.Par l’ensemble des caractères qu’elles présentent, les formes « robustes » d’Australopithèques constituent un groupe très spécialisé d’Hominidés, probablement entièrement étranger aux dynamiques évolutives qui, au même moment, mènent à l’apparition du genre Homo.

Que mangeaient les Australopithèques ?

D’un point de vue alimentaire, on pense que le régime des différentes formes d’Australopithecus devait être plutôt varié, pas très différent de celui des chimpanzés actuels : fruits, feuilles, racines, œufs et petits animaux en constituaient probablement les éléments fondamentaux.On reconnaît par ailleurs une distinction plus précise entre le type d’alimentation des formes « graciles » et des formes « robustes ». On considère en effet que les secondes avaient une prédilection pour les éléments végétaux coriaces (graines, noix, tubercules) du schéma diététique de base commun à tous les Australopithèques, comme en témoignent aussi bien la présence d’un appareil masticatoire robuste et particulier (dents incluses), que les signes macroscopiques et microscopiques laissés sur les dents par l’usure. Les Australopithèques de type gracile se seraient orientés probablement, avec une augmentation progressive des aliments d’origine animale, vers l’alimentation omnivore qui sera le propre par la suite du genre Homo.

ARBRES PHYLOGÉNÉTIQUES

On a construit de nombreux arbres phylogénétiques, c'est-à-dire des diagrammes qui montrent l’histoire évolutive, concernant l’origine et les relations généalogiques entre les Hominidés qui vécurent dans les savanes de l’Afrique orientale et méridionale entre 5 et 2 millions d’années avant notre ère (Australopithèques et premières formes du genre Homo). Les arbres phylogénétiques représentent des interprétations possibles de ce que l’on connaît sur la base de la documentation fossile dont nous disposons, à savoir les espèces fossiles reconnues comme valables (ou possibles), leur distribution géographique et chronologique, les aspects particuliers de leur morphologie squelettique. Les diagrammes de ce type varient de façon plus ou moins importante, selon l’interprétation que l’on donne de tel ou tel autre aspect controversé, et ils représentent des hypothèses de travail.

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Les arbres phylogénétiques qui ont été proposés pour interpréter la diversité dans le temps des différents Hominidés, peuvent être réunis en deux représentations synthétiques, alternatives l’une à l’autre, des différentes hypothèses actuellement considérées. Ces arbres se distinguent en ce qu’ils indiquent respectivement le nombre minimum et le nombre maximum d’espèces d’Hominidés mais, dans un cas comme dans l'autre, les chronologies adoptées sont les mêmes.

L’hypothèse « minimale »

À partir d’une évolution séquentielle qui mène d’Australopithecus ramidus à A. afarensis, on observe - entre 3 et 2,5 millions d’années avant notre ère - la diversification des formes robustes de l’Afrique orientale (A. boisei et A. aethiopicus) et de l’espèce gracile (A. africanus). Celle-ci, à son tour, vers 2 millions d’années avant notre ère, figure comme l’ancêtre commun des formes « robustes » d’Afrique du Sud (A. robustus), d’un côté, et du genre Homo, de l’autre. Ce dernier devant être considéré dans la séquence évolutive générale H. habilis-H. erectus-H. sapiens.Cette hypothèse se caractérise en particulier (par rapport à l’hypothèse alternative) par :1) l’inclusion dans la plage de variabilité de A. boisei de ce que l’on appelle le « crâne noir » des gisements du Turkana ouest (KNM-WT 17 000), considéré selon d’autres hypothèses comme le témoignage d’une espèce séparée (A. aethiopicus) ;2) la dérivation d’A. robustus d’A. africanus selon une trajectoire évolutive différente de celle qui mène à l’autre espèce « robuste » d’Australopithecus (A. boisei). Ce schéma évolutif se fonde sur une analyse des affinités et des différences entre ces formes sur lesquelles les spécialistes ne sont pas tous d’accord ;3) l’origine, toujours à partir d’A. africanus, d’une seule ligne évolutive rattachée au genre Homo.

L’hypothèse « maximale »

À partir d’une espèce ancestrale, A. ramidus, dérivent deux formes d’Hominidés : la première, représentée par le célèbre squelette retrouvé dans le site d’Hadar et surnommé « Lucy », se serait orientée vers les formes « graciles » ultérieures d’Australopithecus et vers le genre Homo, tandis que la seconde, constituée pour l’essentiel des autres fossiles retrouvés à Hadar et Laetoli, aurait déjà des affinités avec les formes « robustes » ultérieures, dont elle représenterait par conséquent l’ancêtre commun. Ces deux formes différentes dérivées d’A. aramidus sont celles qui sont actuellement réunies dans l’espèce A. afarensis, que beaucoup considèrent comme une catégorie qui rassemble à tort des fossiles trop variables quant aux formes et aux dimensions.Vers 2,5 millions d’années avant notre ère, la branche des formes « robustes » évolue, passant par l’espèce A. aethiopicus, en deux variétés, ou espèces proprement dites, différentes : l’une en Afrique méridionale (A. robustus), et l’autre en Afrique orientale (A. boisei). À l’appui de cette interprétation, il y a la très grande ancienneté d’A. aethiopicus (2,5 millions d’années) et l’aspect du fossile qui caractérise cette espèce - le « crâne noir » des gisements du Turkana ouest (KNM-WT 17 000) - dans une certaine mesure intermédiaire entre A. afarensis et A. boisei. Cette séparation nette et ancienne des formes « robustes » par rapport à tous les autres Hominidés justifierait par ailleurs la définition du genre Paranthropus

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(au lieu de Australopithecus), reconnu par certains chercheurs (voir différentes espèces), ainsi que leur différence par rapport à la ligne évolutive qui a mené au genre Homo.La ligne « gracile » des Australopithèques serait celle qui par la suite évolue en une ou plusieurs espèces du genre Homo, dont une est l’ancêtre direct d’Homo erectus et, par conséquent, d’Homo sapiens. À ce sujet, les chercheurs sont partagés entre deux hypothèses :1) le genre Homo dériverait d’A. africanus et non pas directement de l'Hominidé précédent, représenté par le squelette fossile connu sous le nom de « Lucy » (A. afarensis) ;2) le genre Homo proviendrait d’une seule espèce (H. habilis). Il aurait existé, entre 2 et 1,6 millions d’années avant notre ère, plusieurs espèces que nous pourrions attribuer à Homo (H. habilis, H. rudolfensis et H. ergaster) mais elles n’auraient pas toutes eu une descendance évolutive.

HOMO HABILIS : L’ESPÈCE HUMAINE LA PLUS ARCHAÏQUE

Une ou plusieurs espèces ?

Au tournant du Pliocène et du Pléistocène, en Afrique orientale (mais peut-être aussi en Afrique méridionale), il a existé une ou plusieurs formes d’Hominidés que, de par leurs caractéristiques crâniennes, nous devons distinguer aussi bien des formes « graciles » que, surtout, des formes « robustes » d’Australopithecus. Il s’agit encore de gros singes bipèdes de savane, mais qui cette fois sont rattachés à la plus ancienne espèce du genre humain, Homo habilis. Il s'agit donc d'une sorte de « charnière » de notre évolution, puisqu’elle représente la transition fondamentale des Hominidés non encore humains ou presque hommes.Chez ces Hominidés, le squelette ne devait pas être très différent de celui des Australopithèques qui en étaient contemporains, tandis que des changements significatifs s’étaient produits dans la forme du crâne et des dents. Il existe en effet des fossiles compris entre environ 2 et 1,6 millions d’années avant notre ère qui font ressortir une augmentation importante des dimensions de l’encéphale (avec un volume de 630 ml en moyenne), qui s’accompagne d’une structure dentaire de type plus humain, c'est-à-dire privée de cette extrême extension des dents postérieures (molaires et prémolaires), qui caractérise surtout les espèces « robustes » d’Australopithecus. À ces aspects principaux, s’associent en outre certains caractères qui, dans une certaine mesure, en sont la conséquence comme, par exemple : un développement différent des différentes zones de la voûte crânienne, une réduction des superstructures osseuses et de la face, une arcade dentaire plus parabolique.Paradoxalement, l’augmentation de la documentation fossile et des connaissances que nous avons sur cette phase de l’évolution humaine, au lieu de mener à de plus grandes certitudes, a montré chez certains Hominidés une variabilité plus grande que ce que l’on pensait par le passé. Cela a contribué à mettre en question les fondements mêmes des définitions originaires d’Homo habilis, et a ouvert une nouvelle frontière scientifique pour les paléoanthropologues du futur. Par exemple, il reste encore à définir si l’on peut parler d’une seule espèce, ou si nous n’avons pas plutôt affaire à deux ou trois différentes formes humaines primitives. On parle en effet d’H. habilis, d’H. rudolfensis et d’H. ergaster, formes plus ou moins contemporaines, dont une seule aurait été l’ancêtre des espèces ultérieures du

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genre Homo. L’ouverture à l’avenir des frontières de l’Afrique du Sud aux chercheurs du monde entier permettra peut-être de répondre à ces questions.

Le sens évolutif des capacités intellectuelles

Indépendamment des problèmes de classification et de la reconnaissance des relations de parenté qui font discuter les spécialistes sur la première espèce du genre humain (voir paragraphe précédent), et en admettant pour le moins l’existence d’une « phase habilis » au cours de notre évolution, on doit considérer que ces formes africaines de 2 millions d’années environ avant notre ère avaient atteint une opposabilité complète du pouce et que leur cerveau était désormais en mesure de contrôler les mouvements nécessaires pour ce que l’on appelle la « prise de précision ».L’habileté manuelle - conséquence indirecte du fait que la station debout avait été complètement atteinte - permit à Homo habilis et à ses successeurs de fabriquer les premiers outils, et cette habileté contribua profondément au développement d’un cerveau plus grand. Selon un modèle à « rétroaction positive », avec l’augmentation des potentialités cérébrales, on eut une amélioration supplémentaire de la dextérité manuelle, qui favorisa à son tour de plus grandes potentialités cognitives, et ainsi de suite. Il est probable par conséquent que, avec le temps, quelques unes des plus importantes caractéristiques qui distinguent l’homme des autres Primates ont connu une évolution parallèle, se renforçant réciproquement.Le volume croissant du cerveau des Hominidés est exprimé selon la capacité crânienne. Toutefois, cette mesure a en elle-même peu de valeur, puisqu’elle ne tient compte que des dimensions du cerveau, tandis qu’une évaluation plus exacte des potentialités intellectuelles requiert également le rapport entre le volume du cerveau et la masse corporelle, ainsi que des éléments sur la qualité de l’organisation cérébrale. Rappelons en effet que l’augmentation des dimensions encéphaliques a eu lieu également à travers une réorganisation complète de la masse cérébrale et, en particulier, du cortex. Celui-ci reçoit et associe les informations sensorielles provenant du milieu interne et externe, et est le siège de la mémoire et donne les commandes motrices volontaires (voir système nerveux central). Pour l’essentiel, ce sont ces mêmes ingrédients qui - dosés et mélangés de façon appropriée - finissent par constituer la qualité humaine peut-être la plus déterminante pour le succès évolutif de notre espèce : l’intelligence. Une qualité qui toutefois n’aurait aucun sens, si elle ne s’appuyait sur des phénomènes évolutifs comme ceux qui ont libéré la main des anciens Hominidés des nécessités de la locomotion (la rendant disponible pour une manipulation plus précise des objets), et si cette aptitude ne prenait pas place dans un contexte sociale et culturel en perpétuelle évolution.

Nouvelles habitudes alimentaires

On considère que l’apparition du genre Homo a marqué un profond changement dans les stratégies d’adaptation des Hominidés, aussi bien du point de vue comportemental que du point de vue strictement alimentaire. En d’autres termes, tandis que les formes « robustes » d’Australopithèques se seraient spécialisées pour se nourrir d’aliments végétaux coriaces, certaines formes « graciles » particulières d’Hominidés (peut-être H. habilis) auraient accompli le saut décisif vers un régime plus carnivore, tentant une escalade de la hiérarchie écologique et visant

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la catégorie qui se trouve au sommet, celle des prédateurs (voir Que mangeaient les Australopithèques ?). Il est probable que ces nouveaux développements adaptatifs des Hominidés au milieu de la savane aient reçu une impulsion décisive du refroidissement du climat sur toute la planète qui eut lieu dans cette période (vers 2,5 millions d’années avant notre ère). Un phénomène semblable produisit, sur les plateaux de l’Afrique orientale, un abaissement de la température et, surtout, un nouveau dessèchement.Pour l’orientation carnivore d’H. habilis, nous ne pouvons probablement pas encore parler d’activité de chasse, mais de carcasses d’animaux déjà morts qui étaient conquis par des bandes aguerries d’Hominidés, en compétition avec d’autres animaux saprophages ou charognards (hyènes, chacals, vautours, etc.). L’homme n’apparaît pas comme un chasseur de la mythologie anthropologique du passé, mais comme une sorte d’éboueur de la savane, ayant contracté la saprophagie à cause de la faim. Ce n’est que par la suite que l’homme deviendra (et restera longtemps) un véritable prédateur.

Les premiers outils

Les nouvelles caractéristiques du comportement s’accompagnent de la production d’outils, comme les chopper : pierres fracturées par de gros coups irréguliers. Les plus anciens objets fabriqués que l’on connaisse proviennent de sites d’Afrique orientale, comme Hadar et le val de l’Omo en Éthiopie. Des datations hypothétiques les font remonter à 2,5-3 millions d’années avant notre ère. C’est à la période où vécut l’Homo habilis (de 2 à 1,6 millions d’années avant notre ère) qu’appartiennent les plus importantes découvertes archéologiques d’Olduvai (Tanzanie), de Koobi Fora (Kenya), de Melka Kunturé (Éthiopie) et de nombreux autres sites de l’Afrique orientale et méridionale.La phase initiale du Paléolithique inférieur à laquelle remontent ces très anciens témoignages archéologiques a été appelée Olduvaien, du nom du site où furent trouvés les premiers fossiles.L’association entre les plus anciens représentants du genre Homo et les premiers objets fabriqués est le fruit d’évaluations au moins en partie arbitraires, même si elles sont corroborées par une certaine coïncidence chronologique entre les nouvelles caractéristiques morphologiques (augmentation de la capacité crânienne, structure dentaire de type humain, etc.) et l’apparition des premiers outils en pierre. D’autre part, il n’est pas exclu que l’Australopithecus aussi fit usage d’instruments élémentaires (par exemple les « bâtons d'excavation » en bois) qui n’ont laissé aucune trace visible du point de vue archéologique. Il est tout à fait raisonnable de penser que ces anciens Hominidés avaient également des aptitudes manuelles et des potentialités intellectuelles suffisantes pour créer et utiliser des instruments, tout comme les actuels chimpanzés peuvent le faire.

ÈRES GLACIAIRES ET INTERGLACIAIRES

La dernière ère géologique dans l’histoire de notre planète - le Quaternaire - est caractérisée dans l’hémisphère boréal par un phénomène d’une portée immense pour la vie animale et végétale, constitué par l’alternance de phases glaciaires prolongées, avec expansion des calottes polaires. L’avance du front des glaciers et l’abaissement du niveau des mers qui s’en est suivi ont provoqué des changements dans le profil des terres émergées. Durant les phases les plus froides, des isthmes

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de liaison entre les aires continentales et insulaires ont émergé, qui ont favorisé les flux migratoires entre régions différentes, avec un impact considérable sur la distribution de la flore et de la faune.Les glaciations furent alternées avec des phases interglaciaires aussi longues, avec des températures plus douces et un climat semblable au climat actuel. Au terme de chaque période glaciaire, les glaciers se retiraient progressivement et le niveau des mers montait parfois de plus de 100 m. À cette alternance climatique est évidemment liée l’alternance de flores et de faunes typiques des climats froids et de flores et de faunes caractéristiques des climats chauds.Dans ce milieu, il y a plus d’un million d’années, alors que plusieurs espèces d’Hominidés bipèdes s’étaient adaptées depuis longtemps aux savanes africaines et étaient sur le point de s’éteindre, certaines populations d’Hominidés plus évoluées avaient colonisé non pas la seule Afrique mais aussi des régions de l’Afrique et de l’Europe. Ces Hominidés capables d’affronter l’alternance saisonnière des climats tempérés et les effets des glaciations quaternaires, appartenaient à une nouvelle espèce, Homo erectus, la première dont on connaisse une distribution pluricontinentale (voir chapitre suivant), comme en témoignent les restes fossiles et archéologiques retrouvés dans tout l’Ancien Monde : du Turkana, d’Olduvay et des autres sites africains, aux célèbres localités de l’île de Java, de la Chine et de l’est de l’Asie en général, jusqu’aux terres du bassin méditerranéen.

HOMO ERECTUS : À LA CONQUÊTE DE NOUVEAUX CONTINENTS

L’origine et la diffusion géographique

Les plus anciens fossiles que l’on peut attribuer avec certitude à Homo erectus ont été retrouvés dans les gisements proches du lac Turkana, au Kenya, et on pense qu’ils remontent à plus de 1,6 million d’années. Ils sont constitués de fragments de crâne appelés (au moyen du sigle du musée national du Kenya) KNM-ET 3733 et 3883, ou du célèbre adolescent de Nariokotome (KNM-WT15000), représenté par un squelette presque complet. Les échantillons fossiles de deux variétés asiatiques d’Homo erectus sont eux plus récents. Il s’agit du pithécanthrope (littéralement « homme-singe »), qu'on trouve à Java, il y a un million d’années avant notre ère, et du sinanthrope (littéralement « homme de la Chine ») provenant de la grotte de Zoukoudian, près de Pékin, ayant vécu entre 500 000 et 250 000 années avant notre ère.Grâce à de récentes datations absolues, on a abouti toutefois à un âge très ancien, analogue à celui des fossiles africains (1,6 million d’années et plus), et à certains des fossiles humains retrouvés dans l’île de Java. Ces anciens représentants du genre humain de l’Extrême-Orient - les « pithécanthropes de Java » - pourraient donc remettre en discussion le tableau admis des origines africaines d’Homo erectus, ou pour le moins pourraient indiquer que le départ d’Homo erectus de l’Afrique a eu lieu dans une époque plus lointaine qu’on ne le pensait (à peu près 2 millions d’années avant notre ère).Le fait est que ces nouvelles datations, quoique très fiables et précises quant à la méthode (transmutation argon-argon), ne concernent pas directement les restes fossiles humains, mais des dépôts volcaniques dans lesquels on pense que ces fossiles ont été retrouvés par le passé. Ces dépôts sont par ailleurs de nature fluviale et par conséquent, capables de mélanger irrémédiablement les éléments stratigraphiques qui les composent (stratigraphie). En l’état, nous devons donc

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continuer à penser que les fossiles africains du Turkana sont les ancêtres de toutes les variétés d’Homo erectus, y compris les variétés asiatiques qui peuplèrent par la suite l’île de Java et les autres régions de l’Extrême-Orient. À la première époque (il y a 1 million d’années ou moins) sembleraient appartenir également les premiers témoignages archéologiques, indirects, de la présence de cette espèce en Europe.Tant que de nouvelles données ne viendront pas démentir de façon convaincante ce tableau, nous pouvons donc considérer que l’évolution et l’apparition du genre Homo (d’abord avec Homo habilis puis avec Homo erectus) a eu lieu en Afrique. C’est là que les populations de l’espèce la plus archaïque du genre humain (l’hypothétique Homo habilis) furent soumises à des pressions sélectives qui favorisèrent des individus de taille robuste, massifs d’un point de vue squelettique, présentant un volume encéphalique plus élevé et en possession de nouvelles technologies pour la préparation d’outils en pierre et (selon toute probabilité) en os et en bois. Par la suite, ces Hominiens furent les acteurs d’une diffusion géographique inédite à l’échelle pluricontinentale (de l’Afrique méridionale à l’Asie la plus orientale en passant par l’Europe), avec l’occupation de milieux très différents et la transformation de leur niche écologique. De consommateurs primaires (vivant pour l’essentiel de la cueillette de végétaux et ne chassant qu’occasionnellement), ils devinrent consommateurs secondaires (ou prédateurs) habituels (avec une véritable activité de chasse, probablement en groupes organisés), tout en conservant toujours un régime riche en végétaux.

L’aspect physique

En ce qui concerne la structure du squelette - et, en particulier, du crâne - dès la première apparition africaine d’Homo erectus on voit se profiler cette morphologie typique qui accompagnera l’homme pendant plus d’un million d’années, jusqu’à l’acquisition de l’anatomie moderne. Il faut toutefois souligner qu’il s’agit là pour le moment d’une interprétation plus que d’un fait proprement dit. Seule une plus importante documentation fossile pourra permettre à l’avenir de la considérer comme valide ou erronée. Actuellement, en effet, les avis sont partagés entre les spécialistes. Certains considèrent qu’Homo erectus représente sous l’aspect évolutif une espèce stable dans le temps dans son million et plus d’existence, d’autres au contraire pensent qu’il faut prendre en considération les changements de type graduel que l’on observe, par exemple, touchant le volume croissant de l’encéphale ou du squelette.Le crâne d’Homo erectus est massif et présente des parois épaisses, il est bas, ou pour mieux dire « platycéphale », et il se caractérise par une largeur maximale située très bas (à la hauteur des canaux auditifs), par un torus sus-orbitaire robuste, avec un front fuyant vers l’arrière et un rétrécissement rétro-orbitaire marqué de la boîte crânienne (vue du haut), par un profil fortement angulaire des pariétaux (vus de l’arrière) et par un occiput qui se tend vers l’arrière en pointe.La face est également massive et plutôt large, avec un développement prononcé vers l’avant aussi bien de l’ouverture nasale que de la mâchoire. La mandibule est elle aussi robuste, et se présente privée de menton. Les dents sont grandes, mais moins que chez Homo habilis. Les incisives ont fréquemment une forme particulière « en pelle » (avec un épaississement caractéristique des marges internes de la dent).Le squelette possède une structure massive, avec des membres inférieurs relativement courts par rapport au buste. Les différents éléments squelettiques présentent des caractères d’une robustesse particulière, et le canal médullaire des

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os longs (par exemple du fémur) semble restreint par le fort développement de la structure corticale. Dans le fémur, on observe en outre un important aplatissement antéro-postérieur, qui confère à l’os une section ovoïdale caractéristique.La taille et le poids corporel sont élevés, ils peuvent atteindre des valeurs qui pourraient être en place dans la plage de variabilité de l’homme moderne. Le seul squelette presque complet d’Homo erectus - celui de l’adolescent retrouvé dans le site de Nariokotome, au Kenya - présente même une taille particulièrement élevée pour son âge, indiquant qu’il pourrait atteindre et dépasser 180 cm à l’âge adulte. La capacité crânienne elle aussi commence à être élevée avec une valeur moyenne d’environ 1 050 ml qui touche les limites inférieures de la variabilité humaine actuelle.

Les conquêtes technologiques

Avec un cerveau plus grand et qualitativement meilleur, Homo erectus fut en mesure d’élaborer une technologie complexe et de s’organiser dans des formes de vie sociale plus avancées. Des bandes de prédateurs nomades, se diffusèrent vers de nouveaux territoires, de nouvelles latitudes, de nouveaux climats et de nouveaux milieux.Une innovation technologique plus que toute autre rendit possible l’adaptation des populations d’Homo erectus à une variété de milieux bien différents : la capacité de contrôler et d’utiliser le feu. C’est alors que l’évolution culturelle commença à se superposer de façon significative à l’évolution biologique ? Des problèmes importants et complexes restent ouverts à ce propos, tout comme la question aussi complexe de la possession d’une forme quelconque de langage comme moyen de communication entre les individus.La découverte du feu marqua quoi qu’il en soit l’acquisition d’une maîtrise typiquement humaine : la capacité à modifier le milieu, de façon à rendre habitables des lieux potentiellement inhospitaliers. Le feu permit en effet à l’homme de se déplacer vers le nord tempéré et froid, d’affronter les milieux périglaciaires, de se chauffer et de se sécher, de cuire la nourriture et de la rendre ainsi plus digestible, de tenir en respect les prédateurs, etc.La documentation archéologique concernant Homo erectus, qui semble témoigner de l’existence de liens complexes entre l’organisation sociale, les nouvelles acquisitions technologiques et la transmission des connaissances d’une génération à l’autre (autrement dit la transmission culturelle) est très riche. Restes de campements, sites de chasse et lieux d’abattage, instruments en pierre plus élaborés (parmi lesquels ce que l’on appelle les « haches à main » ou « bifaces ») qui caractérisent une grande partie du Paléolithique inférieur, les manifestations d’une vie sociale complexe, avec des divisions probables des tâches entre les membres du groupe, les documents concernant les activités de chasse organisée.Selon certaines interprétations d’inspiration ethno-antropologique, l’exploitation des ressources du milieu aurait été réalisée par ces anciens groupes humains, à travers des formes de nomadisme à cycle annuel. Lors de ces migrations périodiques, des emplacements différents, où étaient effectuées des activités différentes, étaient occupés de façon saisonnière par la même bande de prédateurs, leur permettant une utilisation diversifiée du milieu. Une stratégie semblable avait permis à Homo erectus et à ses descendants (comme l’homme de Néanderthal) d’optimiser l’utilisation des ressources disponibles dans une aire extrêmement variée : les zones côtières et tempérées, les prairies, les forêts et la toundra périglaciaire.

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VERS L’HOMME MODERNE

L’évolution d’Homo erectus

Les circonstances de l’extinction d’Homo erectus restent un thème controversé, qui se superpose à d’autres questions, par exemple à la question de l’évolution de l’homme de Néanderthal (en Europe et au Proche-Orient) ou à la question des origines de l’Homo sapiens de type moderne (peut-être en Afrique).Au Pléistocène moyen (entre 700 000 et 130 000 années avant notre ère), en effet, apparurent dans tout l’Ancien Monde des formes humaines hétérogènes, difficiles à classer. En substance, il s’agit de formes de transition entre Homo erectus et Homo sapiens, qui peuvent être ramenées de différentes façons aussi bien à l’espèce archaïque qu’à l’espèce moderne.Il est probable que les profondes modifications du milieu, dues aux longues périodes glaciaires et interglaciaires alternées, ainsi que les différentes stratégies d’adaptation au milieu, ont été à l’origine de la diversification des groupes humains qui eut lieu alors. Une humanité très ancienne et archaïque - distribuée dans les deux hémisphères dans des zones géographiques très vastes, au terme d’une histoire évolutive ayant duré des centaines de milliers d’années - fut soumise à des pressions du milieu capables d’influer profondément sur sa biologie et sur ses comportements. Les populations, dispersées géographiquement et souvent isolées les unes des autres, protégées par des micro-milieux naturels et artificiels, se différencièrent de la sorte en variétés géographiques, dont naquirent des formes humaines locales qui eurent des histoires et une destinée différentes.Pour l’Afrique et l’Asie, nous pouvons suivre l’histoire de l’évolution d’Homo erectus au cours de plusieurs centaines de milliers d’années. La documentation africaine, est, comme nous le savons, celle qui nous amène le plus loin dans le temps (jusqu’aux origines du genre Homo), tandis que la documentation asiatique est peut-être plus intéressante sur le plan de la diversité d’Homo erectus, de l’Homo erectus tardif et des différentes formes dérivées de cette espèce (quel que soit le nom qu’on leur donne, par exemple « sapiens archaïque »).En présence d’une diversité de formes comme celle que les fossiles humains du Pléistocène moyen manifestent, il n’est pas possible de fournir une description univoque de leur aspect morphologique. En outre, nombre d’entre eux se révèlent de datation incertaine, ce qui complique plus encore l’interprétation des données.

La capacité crânienne augmente

Dans leur diversité, toutefois, les populations humaines intermédiaires entre Homo erectus et Homo sapiens présentent une caractéristique commune importante : le phénomène connu comme encéphalisation, consistant dans l’augmentation des dimensions encéphaliques et, par conséquent, du cerveau. Au terme de ce parcours évolutif, nous trouvons en effet des formes humaines comme celles de Kabwe, Ndutu, Laetoli (LH.18) et Jebel Irhoud (en Afrique), ou celles de Ngandong, Dali et Jingniushan (en Asie), qui divergent les unes des autres de par l’ensemble des caractères archaïques et dérivés que chacune d’elles présente - sans parler des Néanderthaliens et de leurs ancêtres en Europe - mais qui ont toutes en commun des dimensions croissantes du cerveau. La capacité crânienne moyenne de ces hommes atteint et dépasse des valeurs situées autour de 1 300 ml : nous sommes tout à fait dans la plage de variabilité de l’humanité actuelle.

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Si cet aspect semble fournir une clef de lecture au phénomène de l’évolution humaine au cours du Pléistocène moyen, tout se complique au moment où l’on prend en considération les restes archéologiques des activités et des cultures humaines de cette phase. De ce point de vue, il semble en effet que l’on assiste à une certaine fixité comportementale. Des centaines de milliers d’années s’écoulèrent sans changements notables. Les documents archéologiques montrent une faible variabilité, aussi bien dans l’espace que dans le temps, ce qui contredit la pression évolutive évidente vers des dimensions de plus en plus grandes du cerveau. Il se peut que la poussée principale dans ce sens soit venue d'exigences de socialisation (langage inclus), plutôt que de la nécessité de survivre en adoptant des innovations technologiques (instruments, abris, organisation de l'espace, etc.).Selon une vision pour ainsi dire gradualiste du phénomène évolutif, les fossiles de cette phase sont fréquemment attribués à ce que l'on appelle le « sapiens archaïque ». Les fossiles européens, en particulier, prennent le nom d'Anténéanderthaliens, en considération de l'apparition progressive de caractères du squelette qui annoncent la conformation propre à l'homme de Néanderthal, qui se manifestera pleinement et se stabilisera des centaines de milliers d'années après, au cours de la dernière glaciation quaternaire.

Le cas particulier de l'Europe

Le premier peuplement de l'Europe pourrait avoir commencé il y a beaucoup plus d'un demi-million d'années, même si une documentation fossile suffisamment ancienne a manqué pendant longtemps. Toutefois, en août 1995, on a signalé pour la première fois en Europe la découverte de fossiles humains qui pourraient remonter à environ 780 000 années avant notre ère : il s'agit des restes de quelques individus, retrouvés dans un site près de Burgos (Atapuerca), dans les Pyrénées espagnoles, qui doivent encore faire l'objet d'une identification morphologique précise et d'un contrôle soigneux de la datation à laquelle ils sont attribués. Immédiatement après, en septembre 1995, a été annoncée la découverte (à certains égards révolutionnaire) d'un crâne incomplet aux caractéristiques véritablement archaïques - en l'état actuel de nos connaissances, il s'agit des premiers Européens -, retrouvé à proximité de Ceprano (Latium), en Italie. Ce nouveau fossile également pourrait être vieux de plus de 700 000 ans.On dispose également de témoignages directs, c'est-à-dire archéologiques, de la présence de l'homme en Europe, qui pourraient remonter à une époque proche ou plus ancienne encore de celle des nouveaux fossiles espagnols et du très ancien et énigmatique crâne de Ceprano. Un exemple peut être celui du site italien d'Isernia (La Pineta), daté à plus de 730 000 ans avant notre ère. Il existe aussi des sites français et espagnols, avec une industrie lithique de type archaïque, qui remonteraient à plus d'un million d'années avant notre ère.Avant toutes ces découvertes, le fossile humain considéré comme le plus ancien était la célèbre mandibule de Mauer, retrouvée près de Heidelberg, en Allemagne, en 1907, remontant à une époque comprise entre 650 000 et 450 000 ans avant notre ère. Il s'agit là d'un fossile qui, bien que limité à la morphologie de la mandibule et des dents de l'arcade inférieure (relativement petites) manifeste des caractères assimilables à ceux des formes typiques de l'H. Erectus d'Afrique et d'Asie. On a retrouvé à Boxgrove, sur la côte anglaise de la Manche, un tibia remontant à peu près à la même époque que la mandibule de Mauer.Nous devons attendre presque 100 000 ans pour que la documentation fossile augmente considérablement. Vers 400 000 années avant notre ère, nous trouvons

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en effet les restes crâniens fragmentaires de Bilzingsleben (en Allemagne de l'Est), l'occipital de Vértesszollos (près de Budapest), la série de fossiles de la Caune de l'Arago (dans les Pyrénées françaises), les dents de Fontana Ranuccio (en Italie). C'est à peu près à la même époque que pourrait remonter également le crâne massif de Petralona, retrouvé par hasard dans une grotte de la péninsule Chalcidique, en Grèce, en 1960, et aujourd'hui encore de datation incertaine. Les fossiles de cette phase présentent déjà les effets de l'évolution régionale « vers » l'homme de Néanderthal. Certains des caractères les plus archaïques s'atténuent (le terme technique est « plésiomorphes »), tandis que commencent à apparaître les premiers caractères dérivés (ou « apomorphes ») néanderthaliens, par exemple dans certains aspects du squelette facial et de la mandibule. Ce processus est encore plus évident dans les fossiles, de plus en plus nombreux et consistants dans la phase suivante, celle qui va de il y a environ 350 000 années au début de la glaciation quaternaire, le Würm, qui commence il y a environ 80 000 ans. Atapuerca (Espagne), Forbe's Quarry (Gibraltar), Biache, Fontéchevade et La Chaise (France), Swascombe (Angleterre), Steinheim et Erhingsdorf (Allemagne), Castel di Guido et Saccopastore (Italie), Krapina (ex-Yougoslavie), ce sont là quelques-uns des noms-clefs de nos connaissances concernant cette phase de l'évolution de l'homme en Europe.À cet intervalle chronologique compris entre 350 000 et 150 000 années avant notre ère pourrait également remonter le squelette humain de morphologie archaïque retrouvé en octobre 1993 près de la ville d'Altamura, dans la province de Bari (Italie). Il s'agit d'une autre découverte d'importance extraordinaire, aussi bien pour l'ancienneté que pour le caractère complet du fossile. Après ceux de Lucy (voir Bipédie et station debout) et de l'adolescent de Nariokotome (voir Une région riche en histoire), le squelette d'Altamura est le squelette humain (presque entier) le plus ancien jamais retrouvé.Ces différents restes fossiles prouvent qu'en Europe on assiste à une apparition progressive des caractères néanderthaliens, au cours du long intervalle chronologique qui précède la glaciation würmienne et l'apparition de l'homme de Néanderthal proprement dit. L'apparition de ces caractères n'est pas uniforme cependant, et elle n'est pas non plus constante dans tous les restes. On parle en effet d'évolution « en mosaïque », en ce sens que chacun de ces caractères peut se combiner ou non avec d'autres caractères sur le même fossile, ou être présent de façon différente sur des restes contemporains, donnant lieu à des morphologies hétérogènes même si elles proviennent du même site ou de la même zone.

L'HOMME DE NÉANDERTHAL

Un cousin de l'homme moderne

L'homme de Néanderthal est une forme humaine qui vécut dans une zone géographique limitée et à une période bien définie (au moins dans sa forme typique), pendant la première moitié de la dernière glaciation quaternaire, le Würm. Décrit à tort par le passé comme l'habitant simiesque des cavernes, à partir de la moitié de ce siècle, l'homme de Néanderthal a été considéré, sinon comme un « frère », du moins comme un « cousin » de l'homme moderne. C'est pour cette raison qu'il a été compris dans l'espèce H. Sapiens.Distribué exclusivement en Europe et au Proche-Orient, l'homme de Néanderthal était de taille moyenne-basse, marchait rapidement et possédait une corpulence massive. À part les hommes anatomiquement modernes de l'époque paléolithique,

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l'homme de Néanderthal est certainement la forme humaine fossile que nous connaissons le mieux, tant par la grande homogénéité morphologique que présentent les restes retrouvés, que, surtout, pour le grand nombre d'échantillons de squelette dont nous disposons. La quantité de données est telle qu'elle fournit des indications sur la structure démographique des populations et sur les caractéristiques du cycle vital des individus (durée de la gestation, âge du sevrage et de la maturité sexuelle, longévité).

L'aspect physique

En ce qui concerne l'aspect physique, le crâne néanderthalien est de structure archaïque, même si ses dimensions sont remarquables (surtout l'encéphale). Il est en effet très développé en longueur et en largeur, mais pas toutefois en hauteur (comme chez l'homme moderne), et atteint de toute façon un volume élevé (plus de 1 500 ml de capacité crânienne en moyenne), même par rapport à la variabilité moderne (environ 1 450 ml). La voûte crânienne, vue de derrière, présente un profil caractéristique en bombe. Le front est fuyant, précédé par un relief sus-orbitaire continu (torus), généralement à arc double, et l'occipital présente une saillie caractéristique en chignon.La face est caractérisée par une forme de développement en avant particulière (prognathisme), qui est appelée médio-faciale. C'est comme si on prenait le bout du nez et que l'on tirait vers l'avant la partie centrale de la face, mâchoire et zygomatiques compris. Il en résulte un modèle morphologique très caractéristique, dans lequel les os maxillaires se présentent comme gonflés, les zygomatiques inclinés vers l'arrière et les arcades dentaires déplacées vers l'avant. Les orbites sont grandes et rondes, l'ouverture nasale est très grande et le menton est absent. Pour les dents, soulignons l'usure fonctionnelle particulière des dents antérieures - arrondies pour un usage extra-alimentaire - et la conformation taurodonte (avec une expansion de la cavité de la pulpe dentaire) des prémolaires et des molaires.L'homme de Néanderthal possédait en outre quelques caractéristiques particulières du squelette, du tronc et des membres. Par exemple, au niveau de l'articulation de l'épaule, les mouvements d'allongement (abduction) et de flexion des membres supérieurs devaient être favorisés par une conformation particulière de l'omoplate. Parallèlement, le squelette de la main semble bien adapté pour une prise extrêmement efficace et présente des caractères qui doivent probablement être rattachés aux technologies de production des instruments en pierre et aux activités de chasse. Un autre aspect concerne la conformation particulière de la région pubienne. Chez les individus de sexe féminin, le bassin semble relativement plus large qu'il ne l'est actuellement. Il est possible - mais cette hypothèse n'est pour l'instant ni vérifiable, ni admise par tout le monde - que cela facilitât le passage d'un fœtus plus volumineux et, par conséquent, plus mûr que notre nouveau-né.Ces traits, caractéristiques des néanderthaliens européens du Würm (« classiques ») sont présents, quoique sous une forme moins accentuée, chez les populations néanderthaliennes du Proche-Orient retrouvées dans une zone comprise entre la Palestine et le Caucase. On observe la même atténuation de la caractérisation morphologique du crâne chez des formes européennes un peu plus anciennes, telles que les fossiles interglaciaires de Saccopastore, retrouvés à Rome sur les rives de l'Aniene il y a plus d'un demi-siècle, quand l'actuelle banlieue de la ville était encore occupée par la campagne. Cela a mené les chercheurs à formuler l'hypothèse selon laquelle la branche proche-orientale de la variabilité néanderthalienne aurait été d'origine européenne. Après s'être séparée à l'époque

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de Saccospatore (il y a environ 120 000 ans), elle aurait ensuite évolué de façon autonome par rapport à l'homme de Néanderthal plus typique de l'Europe continentale et méditerranéenne.Si l'histoire des origines de l'homme de Néanderthal semble aujourd'hui assez claire, de nombreuses questions en revanche demeurent ouvertes en ce qui concerne son évolution. Ainsi, les chercheurs se sont de nouveau demandés si, et dans quelle mesure, l'homme de Néanderthal doit être considéré comme faisant partie de l'espèce humaine actuelle (sous l'appellation d'H. Sapiens neanderthalensis), ou si au contraire il vaut mieux le rattacher à une espèce autonome (H. Neanderthalensis). Cette question, apparemment pédante, est étroitement liée à l'une des interrogations fondamentales de la paléoanthropologie, à savoir le problème de l'origine de l'humanité moderne (voir origines de l’homme moderne) et les rapports de celle-ci avec les dernières formes archaïques.

Les premières sépultures

Il se peut que l'homme de Néanderthal ait eu une attention particulière (inconnue précédemment) et une attitude de type rituel envers la mort. Un certain nombre de squelettes néanderthaliens ont, en effet, été retrouvés qui présentaient des caractéristiques de déposition, dans des contextes archéologiques qui font penser à des pratiques de sépulture. Tous les spécialistes ne sont pas d'accord, toutefois, sur la façon dont ces sépultures doivent être interprétées. On rencontre les mêmes problèmes d'interprétation - et des points de vue diamétralement opposés - pour des questions telles que le cannibalisme (rituel et/ou alimentaire), le « culte des crânes » et la possession de la part de l'homme de Néanderthal et de ses contemporains d'un langage articulé comparable à celui qui, selon toute probabilité, fut l'apanage des formes humaines anatomiquement modernes.

Industrie des éclats : Le Moustérien

Du point de vue archéologico-préhistorique, l'homme de Néanderthal appartient au Paléolithique moyen, c'est-à-dire à une phase de l'évolution culturelle du genre Homo qui se distingue des précédentes (Paléolithique inférieur) par l'affirmation définitive de l'industrie sur éclat et par le déclin, voire la disparition de l'industrie du galet.Il nous faut à présent opérer un retour en arrière, jusqu'aux « haches à main » (ou bifaces), les outils les plus caractéristiques de l'H. Erectus (voir conquêtes technologiques). Il s'agissait dans ce cas d'instruments de galet. Autrement dit, le bloc de matière première - un gros galet de silex, par exemple - était percuté de façon à obtenir, par détachement systématique d'éclats, une forme donnée aux bords affilés. Les éclats, en revanche, ne faisaient pas l'objet d'une attention particulière. Le bord tranchant en était probablement utilisé. Parfois ils étaient retouchés (pour renforcer ou aiguiser le bord utile), mais il ne semble pas que la technique d'éclat eût pour objectif la production d'éclats.Au cours du Paléolithique inférieur, on observe une augmentation progressive de la présence et des variétés d'éclats dans les sites archéologiques. C'est ainsi que naît l'exigence, pour les chercheurs, d'introduire des types particuliers pour décrire les techniques d'éclat, tandis que parallèlement augmente le nombre de sites dans lesquels on ne signale pas la présence de l'industrie du galet. Il semble donc que l'intérêt de l'homme préhistorique se porte alors davantage vers les éclats, et vers

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la production de formes particulières d'éclats : pointes, racloirs, etc. Par exemple, quand, avec l'homme de Néanderthal, nous nous trouvons au Paléolithique moyen, en Europe s'est déjà affirmée la technique de taille qui prend le nom de Levallois (du nom du site français), qui consiste à obtenir des éclats de forme « prédéterminée » par suite d'une préparation particulière du noyau de silex. L'intentionnalité (dans la production d'une forme donnée d'éclat) devient , dès lors, évidente.Les types d’outils que le Néanderthal était en mesure d’obtenir prennent aussi le nom de Moustérien, un terme qui est utilisé aussi pour décrire des complexes archéologiques se rattachant à d’autres formes humaines de la même époque, aussi bien morphologiquement archaïques (« sapiens archaïque ») que modernes (H. sapiens). Un autre terme archéologique qui est utilisé pour les Hominidés de cette phase évolutive, en particulier en Afrique centrale et en Afrique du Sud, est celui de Middle Stone Age (âge moyen de la pierre) : un contexte dans lequel se sont probablement développées les premières formes humaines anatomiquement modernes.

HOMO SAPIENS : L’HOMME MODERNE

Les origines de l’homme moderne

Les hypothèses sur les circonstances et le lieu d’apparition des premiers hommes anatomiquement modernes se fondent sur la documentation fossile et sur la comparaison et l’intégration des données archéologiques et paléontologiques avec les données concernant la différence génétique des populations humaines actuelles.Il existe deux principaux modèles sur les origines de l’homme moderne. Le premier, qui s’inspire de la vision traditionnelle et prend le nom de modèle multirégional, considère l’évolution de l’homme moderne comme le résultat d’un processus graduel de transformation d’anciennes populations d’Homo erectus répandues dans différentes zones de la Terre ; le deuxième, qui peut être défini comme le modèle de l’origine africaine récente, n’admet pas de séparation très ancienne des différentes populations humaines et suggère un unique centre d’origine de l’espèce moderne.Le modèle multirégional soutient que les populations humaines anatomiquement modernes ont évolué en Afrique, en Asie et en Europe à partir des formes d’Homo erectus (et/ou de « sapiens archaïque ») de leurs zones géographiques respectives. Cette hypothèse se fonde sur une vision gradualiste de l’évolution : la diversité humaine actuelle serait le fruit de petits changements génétiques constants, à partir des populations d’Homo erectus qui, il y a plus d’un million d’années, s’étaient déjà répandues sur une vaste région géographique. De puissants mécanismes de flux génique auraient permis aux différentes populations et aux variétés géographiques de maintenir l’unité de l’espèce, en empêchant des formes extrêmes de différenciation, et en contribuant à diffuser les mutations avantageuses.Le modèle de l’origine africaine récente soutient, lui, que la transition d’Homo erectus à Homo sapiens a eu lieu dans une zone circonscrite (comprise entre l’Afrique centro-méridionale et l’Asie mineure) et à une époque assez récente (il n’y a pas plus de 200 000 années). Ensuite, dans leur expansion géographique ultérieure, les formes modernes se seraient répandues sur tous les continents,

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remplaçant les populations archaïques préexistantes sans se mélanger avec elles de façon significative.En plus de ces deux modèles principaux (et extrêmes), il existe d’autres hypothèses de travail intermédiaires. Certains chercheurs, par exemple, suggèrent que l’homme est effectivement apparu dans la zone géographique et à l’époque envisagées par le modèle de l’origine africaine récente mais que, lors de l’expansion suivante, les formes modernes ont pu se mélanger, de façon importante, avec les populations archaïques des différentes régions.Si nous essayons de définir le tableau pluricontinental de la documentation fossile dont nous disposons pour évaluer la validité de ces modèles sur les origines de l’homme moderne, il en ressort un tableau parfois contradictoire, au sein duquel les mêmes témoignages ont abouti à des interprétations à ce point différentes, qu’elles ont pu être avancées alternativement à l’appui de l’un ou de l’autre modèle (Comparaison des modèles).

Les restes fossiles

En Afrique, on a retrouvé les restes fossiles qui pourraient être le témoignage d’une transition de formes humaines archaïques à l’Homo sapiens moderne, ayant eu lieu vers 150 000 années avant notre ère. Il s’agit de fossiles d’anatomie essentiellement moderne, provenant des sites de Omo Kibish, en Éthiopie, et de Border Cave et Klasies River Mouth, en Afrique du Sud, qui pourraient remonter à une époque comprise entre 130 000 et 80 000 années avant notre ère. Toutefois, l’élément le plus controversé n’est pas la modernité anatomique de ces restes, mais plutôt la fiabilité de leurs datations, qui, si elles étaient confirmées, seraient les plus anciennes au monde pour des hommes anatomiquement identiques à nous.Au Proche-Orient, on considère en revanche comme fiables les dates obtenues à la fin des années 80 pour les sites palestiniens de Qafzeh et Skhul (il y a environ 100 000 années), desquelles on peut déduire que les premières formes humaines anatomiquement modernes du Proche-Orient sont, d’un côté, chronologiquement cohérentes avec une origine africaine de l’Homo sapiens moderne et, d’un autre côté, plus vieilles de 30 000 ou 40 000 ans par rapport à de nombreux restes néanderthaliens de cette même région. Ces nouvelles datations ont, par conséquent, littéralement renversé les éléments de jugement en vertu desquels on considérait par le passé que l’homme de Néanderthal était l’ancêtre de l’homme moderne. Dans cette zone géographique au moins, le fils (l’Homo sapiens moderne) semblerait être plus vieux que le père (voir homme de Néanderthal) ! Une hypothèse plus acceptable est que ces deux humanités différentes aient connu une longue période de contact et d’interaction (probablement compétitive sur le plan écologique), avant la transition complète vers les formes complètement modernes de l’Homo sapiens.Pour l’Asie orientale et l’Australie, le tableau disponible au moment où nous écrivons semble indiquer - plus qu’ailleurs - la présence de formes de transition entre Homo erectus et « sapiens archaïque ». Un aspect plus controversé est celui de la continuité entre cette dernière forme humaine archaïque et l'H. sapiens moderne, qui se fonde sur la persistance régionale de certains caractères anatomiques mineurs.En Europe centrale aussi, les restes fossiles suggèrent, selon certains chercheurs, un certain degré de continuité entre l'homme de Néanderthal et les premières populations anatomiquement modernes. Au contraire, dans d'autres zones du

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continent européen, la transition semble plus soudaine et se concilie mal avec l'hypothèse d'une évolution in situ ou d'une continuité biologique régionale.En tout état de cause, en plus de l'incidence de caractères anatomiques mineurs, on constate un degré plus élevé de variation morphologique, comme par exemple, la forme globale du crâne. Dans toutes les régions géographiques, dans une période variable d'une région à l'autre, mais comprise de toute façon entre 130 000 et 30 000 années avant notre ère, nous observons un changement assez soudain qui, d'une voûte crânienne basse et allongée (la platycéphalie des formes archaïques), porte à celle de l'humanité moderne, caractérisée par une élévation verticale du front, des parois latérales de la voûte et de l'arc occipital. Ce type de variation morphologique - rapide et structurale - semble difficilement interprétable en termes d'évolution multirégionale (il faudrait invoquer d'improbables parallélismes évolutifs), et fait pencher pour l'hypothèse d'une diffusion à partir d'un centre d'origine unique.

Comparaison des modèles

Pour définir correctement le problème des origines de l’homme moderne, il a été possible durant les dix dernières années de recourir non seulement à des fossiles, mais également à une vaste documentation archéologique (datations comprises), et aux données sur l’écologie des populations humaines anciennes. En outre, les recherches sur la variabilité génétique des populations actuelles ont revêtu une importance de plus en plus grande. Sur la base des progrès récents de la biologie moléculaire, en effet, on est en mesure, aujourd’hui, de déduire les parcours évolutifs du passé à partir de la plage de variabilité génétique existant entre les populations actuelles. C’est la logique de ce que l’on appelle l’horloge moléculaire, sur la base de laquelle nous avons la possibilité d’identifier l’époque à laquelle une nouvelle forme s’est séparée de l’espèce-mère, les événements d’expansion géographique et de diversification ultérieurs.Les preuves de ce genre qui sont apparues sur la scène ces dernières années semblent favoriser l’hypothèse de l’origine africaine récente et démentir les fondements de l’origine multi-régionale. Les études menées sur l’ADN mitochondrial (un segment particulier d’ADN contenu dans les mitochondries des cellules et transmis d’une génération à l’autre uniquement par voie maternelle) semblent indiquer que la séparation évolutive de l’espèce moderne (H. sapiens) des formes plus archaïques (H. erectus et ce que l’on appelle le « sapiens archaïque ») a eu lieu en Afrique à une époque relativement récente, entre 200 000 et 150 000 années avant notre ère.D’autre part, les fossiles et les autres informations de nature paléontologique, comme nous l’avons vu, ne contredisent pas cette donnée, et semblent même - fût-ce de façon encore peu claire - l’indiquer. Un nombre croissant de spécialistes est d’accord en ce qui concerne les étapes principales du parcours ultérieur de diffusion de l’espèce, curieusement semblable aux routes migratoires suivies par Homo erectus plus d’un million d’années auparavant. D’autres données encore - à propos de l’homme de Néanderthal, par exemple - indiquent comme improbable une origine de l’homme moderne en Europe et au Proche-Orient à partir des populations archaïques locales respectives ou même une co-spécificité (et donc l’éventualité de croisements) entre les deux formes.Si tout cela sera confirmé et étendu également à l’Asie la plus orientale et à l’Indonésie, nous disposerons donc d’un tableau convaincant des origines de l’homme moderne très déséquilibré vers le modèle de l’origine africaine récente.

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Autrement dit, il s’agit d’un tableau dans lequel un événement évolutif très circonscrit dans l’espace et le temps (qui aurait eu lieu dans une région africaine, dans des temps rapides et à une époque relativement récente) aurait été suivi de la diffusion géographique de la nouvelle espèce et du remplacement des populations archaïques de l’Afrique, de l’Asie méditerranéenne, de l’Extrême-Orient et de l’Europe. Ainsi, selon ce tableau, l’homme de Néanderthal aurait subi le destin d’autres populations archaïques, s’éteignant, tandis que l’Homo sapiens moderne, parti de l’Afrique il n’y a pas plus de 150 000 ans, aurait atteint le Proche-Orient il y a environ 50 000 ans, pour parvenir enfin en Asie orientale, d’un côté, et en Europe, de l’autre, il y a environ 50 000 ans.Pour compliquer un peu les choses, il faut se souvenir que les origines et la diffusion de l’homme moderne sont un thème trop complexe et articulé pour pouvoir être expliqué de façon satisfaisante par un seul modèle d’interprétation. La comparaison mutuellement exclusive de la théorie multirégionale et de l’hypothèse de l’origine africaine récente - utile dans une première phase du débat scientifique - semble en effet dépassée à présent. Autrement dit, on peut dire que toutes deux tendent à simplifier de façon excessive le phénomène, en le présentant comme un unique problème indivisible, exempt de la complexité de processus évolutifs qui pourraient avoir plutôt suivi une évolution plus articulée, avec des temps et des modalités différents à l’échelle aussi bien géographique que chronologique. En bref, le fait que la principale origine évolutive de l’homme moderne provienne de l’Afrique, est une conclusion partagée par la plupart des spécialistes, mais on doit encore approfondir l’hypothèse selon laquelle la nouvelle espèce humaine a été en mesure de se croiser (et dans quelle mesure) avec les populations archaïques répandues dans les différentes régions de l’Afrique et de l’Eurasie.

Vers l’humanité actuelle

Avec l’apparition de l’espèce moderne commence véritablement une autre histoire : celle qui porte droit jusqu’à nous : moi et vous, assis confortablement derrière un bureau, tapant sur le clavier de nos ordinateurs respectifs, certains que le moniteur nous enverra des signaux d’entente rassurants et qui nous donnera ainsi l’impression d’écrire (à moi) et de lire (à vous) ces textes hypertextuels sur le passé éloigné de notre espèce.Précisément parce que c’est une autre histoire, nous ne la traiterons que de façon très sommaire, par rapport à ce que nous en savons. Ce n’est qu’avec l’apparition de l’Homo sapiens anatomiquement moderne que commence véritablement la Préhistoire. Le moment où les caractéristiques biologiques de nos ancêtres devinrent conformes à celles de l’humanité actuelle fut probablement aussi celui où le furent toutes les potentialités adaptatives propres à notre espèce, le langage et la culture.

L’homme de Cro-Magnon

Quelle qu’ait été l’évolution de l’Homo sapiens, nous savons qu’à partir de 35 000 ans avant notre ère, il ne vivait plus sur la Terre de populations biologiquement archaïques. En Europe, par exemple, à l’époque de la disparition de l’homme de Néanderthal, nous trouvons dans la documentation fossile des individus dont le squelette a acquis désormais tous les caractères que nous pouvons encore observer chez les populations modernes. C’est le type humain qui

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est souvent appelé « homme de Cro-Magnon » (du nom d’un site français). Parallèlement, nous observons une explosion culturelle sans précédent, dans laquelle - en plus d’une production d’instruments en pierre massive et innovatrice - nous rencontrons les premières formes d’art véritables : nous sommes au Paléolithique supérieur.

L’aspect physique

Une description précise de la morphologie du squelette de l’homme moderne relève à présent de l’anatomie humaine, plutôt que de la paléoanthropologie. Avec l’humanité moderne, nous sommes, par ailleurs, en présence d’une grande diversité dans la physionomie et dans les adaptations (aussi bien biologiques que, et surtout, culturelles) des différentes populations, diversité qui a de plus en plus augmenté avec le temps (voir variabilité). En outre, après l’apparition des premières populations anatomiquement modernes, l’espèce a connu un processus de gracilisation progressive du squelette. Le squelette des populations actuelles (et cela vaut aussi pour les dents) est, en effet, généralement moins robuste qu’il ne l’était chez les formes humaines archaïques (par exemple, le Néanderthal), mais aussi chez les premiers représentants paléolithiques de l’espèce. Il est très probable que cela montre les effets d’un passage progressif à une moindre dépendance de la force physique pour pouvoir survivre.D’un point de vue comparatif, il peut être utile de souligner que le crâne moderne se présente - dès les phases les plus anciennes - plus élevé verticalement qu’auparavant et de grandes dimensions encéphaliques, avec une capacité crânienne moyenne plutôt variable de population en population, mais habituellement supérieures à 1 350 ml. Par suite du rehaussement vertical du crâne, le front est droit, les parois latérales de la voûte crânienne sont parallèles entre elles, et l’occiput est arrondi. On n’a pas, en outre, de superstructures osseuses particulièrement accentuées (par exemple, au-dessus des orbites il n’y a plus une visière (le torus), mais des arcades sourcilières plus ou moins robustes). Les dimensions faciales sont réduites et le profil est plus vertical que chez les formes archaïques. En outre, on peut observer différents éléments de gracilité dans la structure de la face et de la mandibule, qui est pourvue de menton.

L’évolution culturelle

Par rapport au Paléolithique inférieur (Homo habilis et Homo erectus) et au Paléolithique moyen (homme de Néanderthal et ses contemporains), les typologies et les techniques de production de l’industrie lithique du Paléolithique supérieur se multiplient et se différencient à un rythme serré : la documentation archéologique s’enrichit d’éclats de silice de forme allongée, qui prennent le nom de « lames » et qui sont réalisées avec une capacité de variation sur le thème sans précédent. En même temps, apparaissent les premières manifestations artistiques, comme les peintures et les gravures rupestres, les sculptures (ce qu’on appelle « vénus paléolithiques »), des pendentifs et autres objets d’ornement personnel. Dans le rapide progrès culturel, on distingue le début d’une évolution exponentielle qui mènera, en quelques dizaines de milliers d’années, du Paléolithique, au Mésolithique, au Néolithique, aux âges des Métaux, et aux époques historiques ultérieures.

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La vie sédentaire

Il y a environ 12 000 ans, les bancs de glace de la dernière glaciation quaternaire (Würm) commencèrent à se contracter et à reculer vers les pôles. Par suite de la fonte des glaces, le niveau de la mer recommença à monter, faisant disparaître sous l’eau les plaines côtières qui étaient précédemment émergées et qui avaient permis à l’homme de coloniser des continents entiers (en particulier, par Béring, le continent américain). On estime que la mer a englouti à l’époque environ 1/20 de la surface terrestre, mais une quantité équivalente de terres émergées fut libérée par les glaciers (par exemple, tout le Nord de l’Europe).À la fin de ce processus (au début de l’Holocène) grâce à un climat plus chaud et plus humide, le milieu se modifia dans de nombreuses zones de la Terre. Par exemple, le désert du Sahara - qui s’était étendu et asséché de façon démesurée pendant la glaciation - connut une période d’humidité relative, fut recouvert en grande partie par une végétation de savane et fut fréquenté par des groupes humains qui commençaient à devenir bergers et à cultiver la terre, avant la nouvelle et plus récente désertification de toute la bande nord-africaine.De façon plus générale, le manteau arboré commença à s’étendre et c’est ce que firent également les ancêtres sauvages des céréales. C’est ainsi que se formèrent des champs de Graminées, et dans trois différentes zones de la Terre (à l’est de la Méditerranée, en Chine et en Amérique centrale) à quelques milliers d’années d’intervalle, et de façon vraisemblablement indépendante, se développèrent les principaux centres de l’agriculture, une pratique auparavant inconnue. Avec l’agriculture, à laquelle s’associa le début de la domestication du bétail, se produisirent deux phénomènes importants : une nouvelle expansion démographique et un mouvement intense de populations. L’humanité, qui à la fin de l’époque glaciaire ne dépassait probablement pas de 5 à 10 millions d’individus, en 8 000 ans, c’est-à-dire après que l’agriculture se fut diffusée sur tous les continents, atteignit des niveaux numériques de 30 à 50 fois supérieurs.Avec le Néolithique, grâce à l’adoption de pratiques directes de la nourriture, c’est-à-dire à travers l’agriculture et l’élevage, la plupart des populations humaines cessa la vie nomade des prédateurs et devint sédentaire. Il s’agit là d’un changement qui transforma profondément les rapports des hommes avec la nature et avec leurs semblables. C'est ainsi que furent jetées les bases de la naissance des grandes civilisations du passé et, à travers les millénaires du Cuivre, du Bronze et du Fer, du début de cette histoire que l’homme a commencé à écrire et à transmettre.

LA VARIABILITÉ

GÉNÉRALITÉS

La diversité humaine est bien évidente. Il nous suffit de jeter un coup d'œil autour de nous pour nous apercevoir que chaque individu est différent des autres. La forme des yeux, la couleur de la peau et des cheveux, la forme du visage, la structure du nez, la hauteur et de nombreux autres détails morphologiques font de chacun de nous un être unique et différent de tous les autres. On observe des différences entre individus analogues chez les animaux et chez les plantes également même si, pour nous en rendre compte, nous devons souvent procéder à

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un examen approfondi de leurs caractères. La différence est sans doute une caractéristique fondamentale de tous les organismes vivants.À côté des différences, on peut cependant observer également des ressemblances entre les individus appartenant à un même groupe. À l’intérieur d’une même famille, par exemple, le père et le fils pourront avoir la même couleur de cheveux, deux frères pourront avoir la même forme de nez, deux jumeaux pourront même être à ce point semblables qu’on ne puisse les distinguer à première vue.Si l’on prend en considération un groupe plus large, comme peut l’être une population, il sera possible de reconnaître des caractères qui rapprochent les individus qui en font partie et qui, en même temps, les différencient des membres d’autres populations. D’autre part, si l’on se déplace d’un continent à l’autre, on peut remarquer des ressemblances entre les individus qui appartiennent à des populations éloignées les unes des autres mais vivant dans des milieux semblables (par exemple les Bochimans du Kalahari et les aborigènes australiens).Les différences et les ressemblances biologiques entre les différents individus et les populations ont fait l’objet de longues études de la part des anthropologues. Ceux-ci ont examiné les caractères relatifs à différents champs d’étude (morphologie, biométrie, physiologie, biochimie, etc.). Toutefois, ces trente dernières années, la contribution de la génétique est devenue déterminante, à travers des techniques d’enquête sophistiquées. En étudiant le patrimoine génétique de groupes humains déterminés, certains chercheurs ont pu parcourir à rebours l’histoire de l’homme, et identifier les liens de parenté entre les nombreuses populations qui habitent la planète, tout en identifiant les voies à travers lesquelles les hommes ont lentement peuplé tous les continents.

LE RÔLE DE LA GÉNÉTIQUE

Pour comprendre la transmission des ressemblances et l’origine des différences parmi les hommes, il faut comprendre les mécanismes de l’hérédité. Certaines différences héréditaires, comme celles que l’on peut observer entre un parent et un enfant, ou bien celles que l’on trouve dans le patrimoine génétique de deux jumeaux homozygotes, sont dues aux mutations, autrement dit à des erreurs de copie de la molécule d’ADN. Si ces erreurs avaient lieu dans l’ADN des cellules germinales, les mutations seraient héréditaires, c'est-à-dire qu’elles seraient transmises à la descendance. Si, en revanche, les mutations ont lieu dans l’ADN des cellules somatiques (soma), elles n’auront de conséquences que sur l’organisme de l’individu dans lequel elles se sont manifestées.La mutation est un phénomène assez rare. L’organisme humain est en effet une machine complexe et délicate, et une erreur dans l’ADN peut dans certains cas avoir des conséquences très graves, voire mortelles. Pour éviter l’apparition de mutations graves, l’organisme est doté de mécanismes de correction et de contrôle du processus de copie de nucléotides. C’est ainsi qu’au cours d’une génération, on trouvera dans une cellule quelques douzaines de nucléotides « erronés » tous les trois milliards de nucléotides « corrects », ce qui équivaut à une erreur sur 200 millions de nucléotides par copie.

Des mutations à la variabilité géographique

Le processus de mutation est tout à fait fortuit et chaque mutation peut être indifféremment positive, négative ou neutre. C’est à travers la sélection naturelle

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que se fait une sorte de tri automatique des individus. Ceux qui ont subi une mutation constituant un avantage pour la vie dans le milieu dans lequel ils sont, auront une progéniture plus nombreuse que les autres individus de la même population. Évidemment, les avantages et les inconvénients sont évalués par rapport au milieu environnant. Ce qui peut être avantageux dans un contexte spatio-temporel donné peut ne pas l'être dans d’autres circonstances. Autrement dit, ne sont favorisées que les mutations qui permettent une meilleure adaptation au milieu dans lequel vit une population.Avec le temps, les mutations - neutres et avantageuses - s’accumulent dans chaque organisme, qui les hérite de ses parents et les transmet à ses descendants. C’est pour cette raison qu’à l’intérieur de chaque population, certaines caractéristiques génétiques tendront à être partagées par les individus qui la composent. De génération en génération, à travers la reproduction sexuelle, l’ensemble de ces mutations finit par constituer un « fonds » commun, le pool génique, partagé par la population tout entière. Si cette population est isolée, autrement dit, en l'absence de croisements avec d'autres populations différentes, le pool génétique demeurera assez stable dans le temps et fixera les mutations avantageuses. De cette façon, on verra se stabiliser les ressemblances entre les individus de cette population, et leurs différences par rapport aux individus de populations éloignées. C’est pourquoi aujourd’hui nous pouvons distinguer un individu qui appartient à une population donnée (un Tibétain par exemple) d’un individu provenant d’une population très éloignée et adaptée à un milieu différent (un Pigmé par exemple). Quand une espèce est formée de populations bien isolées géographiquement et bien différenciées au moins au niveau morphologique, on dit d’elle qu’elle est divisée en sous-espèces ou races géographiques. En outre, de nombreuses espèces sont polytypiques, c'est-à-dire qu’elles sont formées de plusieurs races géographiques qui occupent des parties différentes de son aire de distribution.Si l’isolement se prolonge, les populations pourront devenir des espèces différentes. Cela signifie que les individus d’une population ne pourront plus engendrer de progéniture fertile avec les individus de l’autre. Chez les animaux, ce processus s’est produit très fréquemment, ce qui a donné lieu à des millions d’espèces, à l’issue de périodes d’isolement plus ou moins longues. Mais chez l’homme, le processus de spéciation, c'est-à-dire de formation d’espèces différentes, n’a jamais été possible. En effet, l’histoire de l’humanité est faite d'échanges et de contacts entre populations parfois très éloignées les unes des autres et de déplacements de grands groupes (migrations) à la recherche d’un nouveau territoire, autant de phénomènes qui ont empêché l’isolement total d’une population par rapport aux autres.Souvent, l’émigration - c'est-à-dire la séparation d’un groupe d’individus de sa population d'origine - peut conduire à la naissance de différences entre populations, en ce sens qu’elle interrompt le flux génique entre les individus des deux groupes. Quoi qu'il en soit, l’absence d’isolement prolongé entre les populations a empêché la formation de véritables races humaines.

Dans quelle mesure sommes-nous différents ?

Habitués comme nous le sommes à remarquer les différences entre les caractères extérieurs du corps, comme la couleur de la peau ou la forme des yeux, nous pensons que les différences génétiques entre les populations humaines qui habitent la planète sont très grandes, et qu'on peut donc parler de races humaines

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différentes (voir paragraphe précédent). En fait, ces différences apparemment marquées sont dues à des différences génétiques peu importantes et peu constantes.Les différences de couleurs de peau sont intéressantes à étudier. Un individu dont la peau est noire a un patrimoine génétique très semblable à celui d'un individu à peau blanche. Les différences entre les deux concernent quelques gènes, dont ceux qui contrôlent la production de mélanine, la substance responsable de la pigmentation de la peau, et non pas les gènes qui contrôlent la synthèse des molécules fondamentales pour la vie de l'organisme. Ces derniers sont en effet absolument identiques chez tous les individus de notre espèce. Par conséquent, les différences somatiques entre les différents groupes humains ne correspondent pas à des différences génétiques importantes. Cela est dû à la grande adaptabilité de l'homme à tous les types de milieu (déserts, glaces, forêts, etc.) et à son aptitude à franchir les obstacles naturels (mers, montagnes, etc.) qui empêchent la dispersion d'autres animaux. C'est ce qui a empêché depuis toujours l'isolation géographique complète et prolongée des populations, de telle sorte que la continuité du flux génique a été assurée.

Pourquoi sommes-nous différents ?

De nombreuses différences visibles à l'œil nu sont liées aux milieux dans lesquels les populations ont évolué. Il s'agit donc du produit d'un phénomène de sélection naturelle des individus en fonction des caractéristiques climatiques du lieu dans lequel ils vivent. Prenons encore une fois pour exemple les différences de couleurs de peau. Il est facile d'observer que la couleur de la peau varie selon la latitude. L'explication de ce phénomène doit être recherchée dans le processus de sélection. La peau sombre, en effet, protège l'organisme contre les dommages provoqués par les rayons ultraviolets. Il s'agit donc d'un caractère « utile » dans les régions où le rayonnement solaire est intense et prolongé. Ainsi, pour les populations humaines habitant la zone tropicale, la sélection a abouti à un type de peau plus sombre et adaptée à ces climats. Dans les régions où le soleil est moins fort, la sélection a abouti à un type de peau plus claire, qui permet le passage des rayons ultraviolets qui, à petites doses, sont nécessaires à l'organisme. Étudions à présent la forme du nez. Dans les régions froides, il est utile d'avoir un nez long et fin, aux narines très petites, de sorte que l'air glacé provenant du dehors met plus de temps pour arriver aux poumons, où il parvient réchauffé. Dans les régions chaudes et humides, au contraire, la sélection a abouti à un nez court aux narines larges, qui facilitent l’arrivée de l'oxygène. De la même façon, les recherches de certains anthropologues américains ont montré que le crâne facial mongol, caractérisé par une face large et écrasée, est le résultat d'une adaptation aux climats froids. Dans un visage dépourvu d'appendices proéminents, la dispersion de la chaleur à l'extérieur est moindre. Puisque les caractères sont influencés dans une large mesure par le milieu, il est raisonnable de s'attendre à ce que les populations qui habitent dans des régions au climat semblable présentent plus ou moins les mêmes particularités somatiques. Chez les populations qui habitent la zone tropicale du continent africain et chez les aborigènes australiens, par exemple, la sélection a abouti à une couleur de la peau assez semblable. En outre, certains caractères d'origine plus récente, ont été sélectionnés par suite des activités dans lesquelles les différentes populations se sont spécialisées depuis des temps immémoriaux. Par exemple, les pasteurs nilotiques des savanes africaines ont une taille très élevée, pour mieux surveiller les troupeaux dans les pâturages

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dominés par des Graminées très hautes. Les Pigmés, eux, vivent de chasse et de cueillette et peuvent, grâce à leur petite taille, se déplacer de façon plus agile dans le sous-bois des forêts où ils vivent.

L'horloge génétique

Après avoir examiné les raisons qui rendent semblables les individus appartenant à une même population, et qui en même temps les distinguent de ceux des autres populations, nous pouvons aborder l'étape suivante, et essayer de comprendre à quel moment sont apparues les différences et les ressemblances des différents groupes humains. Pour ce faire, il nous faut remonter très loin dans l'histoire de l'homme, et analyser à rebours l’itinéraire parcouru à l’éclairage de la génétique.Selon les généticiens modernes, il est possible de construire une sorte d'horloge génétique permettant de savoir, avec une bonne approximation, l'époque à laquelle ont eu lieu les premières séparations entre les populations, et de déterminer leur lieu d'origine ainsi que les voies par lesquelles elles se sont répandues dans le monde. Le fonctionnement de cette horloge particulière repose sur le principe de la mutation. En d'autres termes, on peut mesurer la distance génétique (c'est-à-dire la parenté) entre deux populations, en déterminant le nombre de nucléotides différents entre deux individus appartenant à deux populations éloignées. Plus il s'est écoulé de temps depuis la séparation de ces deux populations, plus grand sera le nombre de nucléotides différents. Au moyen de cette horloge particulière, il est alors possible de construire un « arbre généalogique de l'humanité ». À chaque feuille correspond une population, et chaque branche indique les relations de parenté génétique entre les différentes populations.

La recherche sur les groupes sanguins

La première tentative en vue de construire l'arbre généalogique de l'humanité grâce à la distance génétique remonte aux années 60. Elle s'est concentrée surtout sur la recherche concernant les groupes sanguins, c'est-à-dire sur des systèmes de classification des individus en fonction de leur type de sang. Le système le plus répandu est celui qu'on appelle A, B, 0. Sur la base ce système, l'espèce humaine est répartie en quatre groupes sanguins différents : le groupe A, le groupe B, le groupe AB et le groupe 0. Mais le système AB0 n'est pas le seul à être utilisé pour la classification des groupes sanguins. Dans les années 40, on a découvert dans les globules rouges de certains êtres humains une substance appelée facteur Rh (de Rhésus, l'ancien nom scientifique d'un singe asiatique appelé aujourd'hui Macaca mulatta chez lequel on l'avait trouvée pour la première fois). Sur la base de ce système, on définit Rh+ (positifs) les individus dans le sang desquels on trouve cette substance, et Rh- (négatifs) ceux chez qui cette substance est absente. La fréquence d'individus de type Rh- est élevée surtout dans les populations d'origine européenne. La fréquence maximum se trouve chez les Basques (qui vivent dans les Pyrénées). Dans cette population, la fréquence peut atteindre 30 %. En Asie et parmi les Indiens d'Amérique (ou, plus exactement, Amérindiens), les individus Rh- n'existent pas.

Des groupes sanguins à l'arbre généalogique

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Les groupes sanguins (voir paragraphe précédent) sont importants pour reconstituer l'arbre généalogique de l'espèce humaine, car l'appartenance à l'un ou à l'autre de ces groupes est un caractère héréditaire, c'est-à-dire transmis par les parents à leur descendance. En outre, du fait de leur importance en médecine, ces valeurs ont été étudiées chez des milliers de populations, si bien que les généticiens disposent d'une masse de données suffisamment importante pour la construction de l'arbre généalogique.Dans le cas de la valeur Rh, pour calculer la distance ou l'affinité génétique de deux populations, il faut soustraire le pourcentage d'individus Rh- présents dans une population donnée à ceux qui sont présents dans une autre population. Chez les Anglais, par exemple, ce pourcentage s'élève à 16 %. Si l'on soustrait cette valeur à celle que l'on trouve chez les Basques (30 %), on trouve une différence de 9 %. Mais si l’on compare les Anglais aux habitants de l'Asie orientale, la différence atteindra 16 %. Cela signifie que les Anglais sont génétiquement plus proches des Basques que des Orientaux, et que les deux populations (la population européenne et la population asiatique) se sont séparées il y a très longtemps.

L'arbre évolutif

Dans les années 60, un groupe de savants coordonné par le généticien italien Luigi L. Cavalli Sforza, en collaboration avec l'anglais Anthony W. F. Edwards, parvint à construire un premier arbre généalogique de l'espèce humaine en analysant 20 variantes génétiques, parmi lesquelles les groupes sanguins AB0 et le système Rh, chez 15 populations différentes (trois par continent). Les résultats furent surprenants. Selon cet arbre, les Maoris de la Nouvelle Zélande auraient des liens de parenté étroits avec les Esquimaux, qui vivent aujourd'hui à des milliers de kilomètres de distance, tandis que les Anglais seraient plus proches, du point de vue génétique, des populations bantous que des Coréens. À la base de cet arbre, on trouve deux branches principales, qui représenteraient les deux groupes de populations ayant le plus grand nombre de différences génétiques. Ce critère a permis de définir deux grands regroupements bien délimités. D'une part les habitants de l'Europe, de l'Asie occidentale et de l'Afrique (les Lapons, les Anglais, les Turcs, les Bantous, etc.) ; d'autre part les habitants de l'Extrême-Orient, de l'Amérique et de l'Australie (les Esquimaux, les Maoris, les Coréens, les Amérindiens, etc.).Au cours des années qui ont suivi, les généticiens ont essayé de construire des arbres généalogiques de plus en plus précis et complets, en augmentant les variantes génétiques prises en compte et le nombre des populations étudiées. C'est ainsi qu'en 1988 le groupe de Cavalli-Sforza a examiné vingt variantes génétiques différentes - parmi lesquelles les groupes sanguins, les protéines du sang, les enzymes et d'autres caractères héréditaires - pour 42 populations différentes. L'arbre ainsi obtenu fait ressortir une nette séparation entre les Africains et les autres populations, ce qui conforte l'hypothèse, avancée par de nombreux paléoanthropologues, selon laquelle l'homme moderne est né en Afrique et, de là, s'est répandu dans le reste du monde. Selon ce nouvel arbre, les populations non africaines sont à leur tour réparties en deux branches principales. La première comprend les populations qui vivent dans la région du Pacifique et dans l'Asie du Sud-Est. L'autre grande ramification comprend les peuples qui habitent l'Asie du Nord et les Amériques, et les Caucasiens, européens et non européens, parmi lesquels certaines populations de l'Inde méridionale.

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Il ressort de ces premières tentatives de construire des arbres généalogiques que nous sommes bien loin de connaître les origines de notre espèce et les relations de parenté entre les populations humaines. L'aspect physique et la proximité géographique sont des éléments souvent trompeurs, du fait des mouvements migratoires ayant eu lieu par le passé et des phénomènes de parallélisme. Il faut tenir compte aussi du fait que les caractères biochimiques et physiologiques peuvent subir des phénomènes de convergence adaptative et nous induire en erreur. Un arbre généalogique définitif de l'homme ne sera possible qu'à l'issue de longues recherches visant à recueillir toutes les informations possibles dans les différentes disciplines.

Les cartes génétiques

Les études menées par les généticiens nous aident non seulement à reconstruire l'arbre généalogique des différentes populations, et à en déterminer par conséquent les rapports de parenté éloignés, mais aussi à tracer l'histoire de leurs déplacements d'un continent à l'autre au cours des millénaires.Les cartes génétiques permettent de comprendre de quelle façon la génétique peut contribuer à la reconstitution des déplacements de l'homme au cours de son histoire. Une carte génétique est une carte géographique sur laquelle figurent les courbes « isogénetiques », c'est-à-dire des lignes qui unissent les régions dans lesquelles on a observé la même séquence d'un gène déterminé.En 1954, Arthur E. Mourant, l'un des premiers chercheurs de géographie génétique, mit au point une carte génétique de l'Europe en étudiant les fréquences du gène pour le facteur Rh (voir recherche sur les groupes sanguins). Mourant fut le premier à s'apercevoir que chez les Basques, la fréquence de Rh- était plus grande que chez toute autre population. En Europe de l'Est et en Asie, les individus Rh- étaient beaucoup moins nombreux, voire absents. Autrement dit, la carte témoignait de l'arrivée, du Moyen-Orient en Europe, de peuples possédant originairement les gènes Rh+, qui s'étaient mélangés, au cours de leurs déplacements, avec des populations ayant des gènes principalement ou exclusivement Rh-. Selon ce chercheur, cela démontrait que les Basques étaient les plus anciens habitants de l'Europe, descendants de l'homme de Cro-Magnon, et qu'ils avaient conservé une partie de leur constitution génétique originaire, en évitant les contacts ultérieurs avec les populations arrivant de l'est.Ces hypothèses furent confortées vingt-cinq ans plus tard par les recherches de Luigi L. Cavalli-Sforza et de deux de ses collègues, Paolo Menozzi et Alberto Piazza. En 1978, en effet, ces chercheurs italiens appliquèrent la méthode de Mourant (en utilisant une analyse statistique connue comme méthode des composantes principales) aux fréquences de 39 gènes. Et ils découvrirent que la première composante, celle qui exprime la fraction la plus importante de variabilité génétique, présentait une valeur maximum dans la région du Moyen-Orient, et diminuait progressivement vers la périphérie, mettant en évidence des valeurs minimales là où vivent aujourd'hui les Basques.La deuxième composante génétique étudiée par les chercheurs italiens montre en revanche une diffusion de la variabilité des régions septentrionales de l'Europe aux régions méditerranéennes. La composante est en effet très importante dans les pays scandinaves et de moins en moins fréquente quand on passe vers les latitudes plus basses. Selon certains, ce phénomène pourrait simplement refléter une adaptation génétique au climat froid de l'Europe du Nord. Mais puisque la distribution des fréquences est très semblable à celle des langues de famille

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ouralienne dans la région, il est plus probable que, dans ce cas également, il s’agisse de la migration de populations qui se sont déplacées vers le nord à des époques très anciennes, et qui se sont adaptées génétiquement aux conditions de vie dans la zone arctique.La troisième composante principale des gènes européens présente un lien étroit avec les données provenant de l’archéologie. La carte refléterait, selon les hypothèses les plus communément admises, la diffusion de pasteurs nomades de langue indo-européenne provenant des steppes de l’Asie mineure il y a entre 6 000 et 4 500 années.La quatrième composante génétique figurant sur la carte semble être en rapport avec l’expansion grecque, qui a culminé entre 1 000 et 500 av. J.-C. mais qui a probablement commencé bien plus tôt.La cinquième composante montre, quant à elle, que les populations du Paléolithique supérieur et du Mésolithique ont résisté partiellement à l’avancée d’autres populations sans se mélanger complètement, restant donc génétiquement distinctes des populations voisines. La zone qui est restée pratiquement entièrement isolée est celle où les Basques vivent aujourd’hui.

L’histoire génétique de l’humanité

Le travail mené par les généticiens sur l’Europe (voir cartes génétiques) est disponible aujourd’hui pour tous les continents. Autrement dit, il existe des cartes génétiques de tous les continents, construites sur la base des différentes variables.Du continent africain, où il est apparu, l’homme moderne s’est donc répandu sur toute la planète, suivant différentes directions. Les généticiens ont formulé l’hypothèse selon laquelle l’homme moderne serait arrivé sur le continent asiatique, par le détroit de Suez ou de l’Éthiopie, il y a environ 100 000 ans. L’arrivée en Australie et en Nouvelle-Zélande aurait eu lieu beaucoup plus tard, il y a 55 000 ou 60 000 ans. La première occupation de l’Europe quant à elle, à partir de l’Asie occidentale, doit avoir eu lieu il y a 35 000-40 000 années. La colonisation du continent américain, à travers ce qui est devenu aujourd’hui le détroit de Behring, mais qui était autrefois une langue de terre émergée, remonterait à une date comprise entre 35 000 et 15 000 années. Le passage de l’Asie au continent américain eut lieu si tard parce qu’il nécessitait probablement une meilleure adaptation au climat très froid et peu hospitalier de l’Asie du Nord-Est.L’expansion peut avoir été déterminée par certains avantages importants de type biologique ou culturel, dans un paysage préhistorique dominé par la compétition biologique entre peuples différents. En outre, il est probable que ce processus ait été fortement influencé par la capacité de communiquer à travers le langage, qui doit avoir été extrêmement utile pour favoriser l’exploration de terres inconnues à la recherche de nouveaux territoires de chasse et de pâturage.

LES ROUTES DE L’HOMME

Quelles routes l’homme a-t-il parcourues en provenant de l’Afrique pour traverser le continent asiatique ? Le problème n’a pas été résolu à ce jour, même si les différences que l’on observe entre les populations de l’Asie orientale et celles de l’Asie du Sud-Est laissent à penser qu’il s’est fait selon deux directions. La première migration aurait eu lieu à travers l’Asie centrale, la deuxième le long de la côte méridionale du continent. En suivant cette dernière direction, les populations

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auraient ensuite occupé l’Australie et la Nouvelle-Guinée. Là, toutefois, les nouveaux colonisateurs furent bloqués à cause de l’élévation du niveau de la mer, après la dernière glaciation qui, il y a 18 000 ans, sépara définitivement l’Océanie des autres continents. Ce n’est qu’avec le développement des premiers moyens de navigation, il y a 5 000 ou 6 000 ans, que les populations de l’Asie du Sud-Est purent de nouveau suivre les routes du Pacifique et coloniser la Polynésie.

L’histoire génétique de l’Afrique

Si l’homme moderne est apparu en Afrique, les populations de ce continent doivent avoir traversé l’isthme de Suez il y a environ 100 000 ans, pour atteindre l’Asie. Le passage de l’Afrique à l’Arabie doit avoir été favorisé par le fait que, par suite de la glaciation würmienne, le niveau de la mer était plus bas, et que, par conséquent, les terres émergées autour de la mer Rouge étaient plus étendues. Il est probable en outre que les premières populations qui quittèrent l’Afrique disposaient de moyens de navigation primitifs, qui leur permirent de se déplacer le long de la côte de la péninsule arabique, vers l’est. De là, différents groupes humains doivent s’être déplacés plus encore vers l’est et vers le nord, à une époque comprise entre moins 60 000 et 40 000 années avant notre ère. Mais le parcours de l’Afrique à l’Asie ne s'est pas fait en sens unique. Il est probable en effet que, dans cette même période, certaines populations ont fait le trajet dans le sens inverse, arrivant de l’Asie le long de la côte septentrionale du continent africain. Là, dans cette partie de l’Afrique du Nord que l’on appelle aujourd’hui le Maghreb, s’étaient établies des populations caucasiennes, arrivées 20 000 ans auparavant de la péninsule ibérique par le détroit de Gibraltar. Dans cette même région, 10 000 ans plus tard, arrivèrent du Moyen-Orient des populations de bergers néolithiques. Les Berbères qui habitent aujourd’hui encore le Sahara occidental sont probablement leurs descendants. À côté de la direction nord-est, dirigée vers l’Asie, d’autres groupes humains se déplacèrent également à l’intérieur du continent africain. De l’Orient, de nombreuses tribus migrèrent vers le sud, d’autres vers le nord et vers les régions occidentales.

L’histoire génétique de l’Asie

L’Asie est le continent le plus vaste et le plus complexe au point de vue génétique. Il est toutefois possible de définir une grande subdivision entre les différents groupes humains, qui suit une direction est-ouest. Les populations caucasiennes occupent la moitié ouest, tandis que les populations mongoloïdes occupent la partie est, avec une frontière qui court de l'Oural du Nord à l’Inde orientale.Il y a de 100 000 à 50 000 ans, les ancêtres des Caucasiens modernes et des Mongoloïdes se développèrent à partir d’une souche d'origine africaine. À la fin de cette période, dans une région qui, en l'absence de données archéologiques, il n’est pas possible de localiser à ce jour, mais qui pourrait vraisemblablement se trouver dans la partie occidentale de l’Asie, eut lieu une profonde évolution culturelle, qui poussa les populations eurasiatiques à se répandre dans toutes les directions : vers le nord et vers l’est, occupant l’Asie du nord-est, les régions arctiques et le continent américain ; vers l’ouest, s'enfonçant jusqu’en Europe ; et enfin vers le sud, où elles se mêlèrent probablement aux descendants des populations arrivées à l’occasion de la première migration africaine.

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Il y a entre 9 000 et 10 000 ans, grâce au développement de l’agriculture, se produisit une nouvelle expansion de populations d’agriculteurs du Moyen-Orient suivant quatre directions. Une première migration partit de l’Anatolie, la Turquie d’aujourd’hui, et aboutit à de nouveaux établissements en Europe. D’autres populations se dirigèrent vers l’Afrique du Nord, à travers l’isthme de Suez. D’autres se déplacèrent vers l’est, de l’Iran au sous-continent indien, tandis que d’autres encore atteignirent les steppes centrales de l’Asie et de l’Europe orientale.Les cultures côtières de l’Asie du Sud-Est furent quant à elles, à l'origine, il y a 6 000 ou 7 000 ans, de grandes migrations vers les îles de la Polynésie.

L’histoire génétique de l’Europe

L’Europe est le continent le plus étudié du point de vue génétique, mais il n’est malheureusement possible de reconstituer que très partiellement les étapes de sa colonisation par l’homme moderne, qui couvre une période d’au moins 40 000 ans. Nous ne disposons de documents que pour les 3 000 dernières années, tandis que toute la période précédente reste encore entourée d’ombre. En particulier, le rôle de l’homme de Néanderthal dans le développement de la culture de l'ancien continent est encore très controversé. Toutefois, il est très probable que l’expansion massive de l’homme moderne des régions de l’Asie occidentale vers l’Europe, dans la période comprise entre il y a 30 000 et 40 000 ans, a eu des effets néfastes pour les habitants néandertaliens.Dans certaines parties du continent, et en particulier dans les régions occidentales (comme dans le Sud-Ouest de la France), les conditions de vie favorisèrent le développement de quelques fortes cultures locales, dont les archéologues ont découvert des traces importantes. Au plus fort de la dernière glaciation, les populations qui habitaient le continent européen étaient certainement limitées aux régions méridionales. Cette situation pourrait avoir déterminé un grand isolement de la péninsule ibérique et de ses premiers habitants, les Basques, dont les caractéristiques génétiques - ou, pour le moins, certaines d’entre elles - diffèrent de celles de toutes les autres populations. Les Basques sont par conséquent probablement les premiers habitants de l’Europe.La situation devient plus claire au fur et à mesure que l’on se rapproche du présent. Dans la période comprise 10 000 et 6 000 ans avant notre ère, l’Europe fut profondément transformée, au point de vue génétique et culturel, par l’apparition lente mais graduelle de l’agriculture, introduite par les agriculteurs néolithiques (voir vie sédentaire) qui provenaient du Moyen-Orient, en particulier de l’Anatolie. Selon certains linguistes, cela aurait marqué le début de la pénétration de langues indo-européennes sur le continent européen.L'isolement de la Sardaigne et de l’Islande a favorisé leur particularité génétique. L’origine de l’Islande est assez récente, au point que ses liens historiques et génétiques avec la Norvège sont encore évidents. L’origine du peuplement de la Sardaigne, qui est dix fois plus ancienne, est obscure. Sa colonisation par les Carthaginois et par les Phéniciens peut expliquer en partie ses liens avec les populations libanaises, mais il est probable qu’il existe des causes plus éloignées encore, néolithiques, liées au Moyen-Orient, et même paléolithiques.

L’histoire génétique de l’Amérique

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Le continent américain a été colonisé à plusieurs reprises. En particulier, les preuves linguistiques et paléoanthropologiques témoignent de trois grandes vagues migratoires : la vague amérindienne, la vague Na-Dene (dont font partie des populations telles que les Apaches et les Navajos) et la vague esquimaude. Cette dernière vague peupla assez rapidement la côte arctique, mais ne s'enfonça que rarement dans les régions intÈrieures. Dans certains cas assez rares (au Groenland par exemple), les Esquimaux se sont mêlés aux Caucasiens, probablement à cause de contacts avec les Vikings du Groenland, qui disparurent par la suite dans des circonstances qui n'ont pas encore été bien éclaircies. Il semble même probable qu’une partie de cette population ait été absorbée par les Esquimaux du Groenland. En Amérique du Sud, on peut distinguer trois grandes zones génétiques : les Andes, le bassin amazonien et le plateau méridional. Il s’agit de régions très différentes du point de vue écologique, et l’échange génétique pourrait avoir été assez difficile entre les différentes populations. Dans le reste du continent, il n’existe pas de différences génétiques si accentuées.Les nombreuses populations qui colonisèrent le continent américain descendaient probablement d’un nombre restreint de fondateurs, et se déplaçaient fréquemment à la recherche de territoires plus riches en gibier, surtout dans le bassin amazonien. Chaque groupe social était probablement composé d’environ 500 individus. Quand le groupe dépassait ces dimensions, certains individus (environ un quart de la tribu initiale) s’en éloignaient pour fonder d’autres communautés. Ces dernières doublaient de taille à chaque génération, soit tous les 25 ans environ. En l’espace de deux générations, une tribu parvenait à se déplacer de 250 milles soit de 400 à 500 kilomètres (à peu près 5 milles par an). Si ce modèle était confirmé, le peuplement des Amériques pourrait s’être achevé en l’espace de quelques milliers d’années.

L’histoire génétique du Pacifique

Les données génétiques recueillies par les savants ne fournissent malheureusement que peu d’informations sur la séquence possible des migrations et sur les modèles de peuplement de l’Océanie. Quoi qu’il en soit, il est certain que la colonisation de l’Australie et de la Nouvelle-Guinée commença il y a environ 50 000 ans. Il ne s’agit probablement pas d’une seule vague migratoire, mais de différentes colonisations successives. Les premières populations passèrent peut être à travers la Nouvelle-Guinée, d'où elles parvinrent jusqu’à l’Australie du Nord-Est. Les côtes du continent australien pouvaient supporter des densités élevées de population.Les relations entre l’Australie et la Nouvelle-Guinée témoignent d’une parenté éloignée dans le temps. Il existe peut être un lien plus étroit pour les zones du Nord et du Nord-Ouest de l’Australie. Les populations de la Nouvelle-Guinée, quand on passe de la côte à l’intérieur des terres, présentent des différences génétiques qui pourraient être dues à différentes vagues migratoires provenant de l’Asie du Sud-Est. La dernière de celles-ci, celle des constructeurs des vases Lapita, fut probablement responsable de l’introduction des langages austronésiens dans cette région. Avant cette migration, la plupart des îles mélanésiennes avaient déjà été occupées par les populations de langue indo-pacifique.Les Austronésiens s’établirent dans différentes zones le long des côtes de la Nouvelle-Guinée et sur les îles de la Mélanésie. Dès le début, il se forma une mosaïque complexe de villages habités par des populations qui parlaient des

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langues des deux familles différentes, et nombre d’entre elles existent encore aujourd’hui.Les contacts avec les Européens, qui introduisirent de nouvelles cultures, causèrent une nouvelle augmentation des populations, mais, pour l'essentiel, n’altérèrent pas la structure des tribus de la Nouvelle-Guinée.Les premières migrations vers les îles plus éloignées, qui aboutirent au peuplement de la Micronésie septentrionale et de la Polynésie orientale, ne commencèrent que plus tard.

ÉLOGE DES DIFFÉRENCES ENTRE POPULATIONS

La variabilité entre les populations représente une condition nécessaire à la survivance de l’espèce, sans laquelle les processus évolutifs ne pourraient pas avoir lieu. En effet, plus grande est la variabilité, et plus grandes sont les possibilités que la population contienne une série d’individus capables de s’adapter à un nouveau milieu. De cette façon, quand les conditions du milieu deviennent défavorables pour la vie du groupe tout entier, certains de ses membres, différents des autres de par quelques caractéristiques particulières, auront la possibilité de survivre et d’avoir une descendance, atteignant un nouvel état d’équilibre avec le milieu.Et pourtant, au cours des siècles, la diversité des hommes a souvent été prise comme prétexte pour démontrer la supériorité ou l’infériorité d’une population sur les autres. Selon le Talmud, les trois fils de Noé - Sem, Cham et Japhet - donnèrent naissance respectivement aux Sémites, aux Chamites (c'est-à-dire aux populations de peau noire) et aux Japhétiques. Les Chamites étaient considérés comme inférieurs à cause de la malédiction que, selon la Genèse, leur ancêtre s’était attirée pour avoir manqué de respect à son père. Selon une légende chinoise, Dieu généra l’homme en le cuisant au four. À la première tentative, son ouvrage s’avéra trop cuit (les Africains) ; à la deuxième tentative, pas assez cuit (les Européens) et, à la troisième tentative, il atteint le degré de cuisson voulu : un Chinois sortit du four. Dans la mythologie grecque, l’origine des différences entre les populations de peau claire et les populations de peau sombre remonte à Phaéton, le fils d’Hélios. Incapable de maîtriser le char du Soleil que son père lui avait permis de conduire, Phaéton s’était trop approché de certaines zones de la Terre, noircissant ainsi les populations de ces lieux, et il était resté loin d’autres régions, dont les populations avaient pâli à cause du froid excessif. Les mythes grecs attribuaient donc déjà au climat la différence de couleur de la peau entre les populations.

EXISTE-T-IL DES RACES HUMAINES ?

La notion de race a donné bien souvent lieu à une remarquable confusion. Parfois, le mot de « race » est employé de façon impropre pour désigner l’espèce humaine tout entière (la « race humaine »). Plus fréquemment, toutefois, il sert à désigner l’une des nombreuses subdivisions possibles, sur une base linguistique (les « Aryens »), ou religieuse (la « race hébraïque »), ou bien comme synonyme de nation ou de peuple. Du point de vue génétique, en réalité, il n’existe pas de races humaines à proprement parler, en ce sens que la variabilité existant entre les populations tient à une portion très petite du patrimoine génétique. En tout état de cause, la variabilité que l'on observe parmi les populations humaines est une variabilité de type continu, sur laquelle les fréquences géniques passent d’une

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valeur à une autre de façon graduelle. C’est pourquoi le choix de la frontière qui devrait séparer les différentes races est arbitraire. Sur la base de quels caractères, en effet, serait-il possible de tracer une division ? Certainement pas sur la base de la couleur de la peau ou d’autres caractères facilement susceptibles de phénomènes de convergence adaptative. En tout cas, il n’existe pas de races pures, en l’absence d’isolement complet et continu des populations.Le caractère arbitraire de toute subdivision du genre humain en races ressort bien du fait que, par le passé, on n’est jamais parvenu à établir combien de races humaines existent sur la planète. Depuis le premier schéma de Johann-Friederich Blumenbach, qui en 1775, dans le même esprit classificateur que Carl von Linné, son contemporain, proposait de diviser l’humanité en cinq races (caucasienne ou blanche, mongoloïde ou jaune, éthiopienne ou noire, américaine ou rouge, malaise ou brune), on s’est acheminé vers une multiplication progressive des races, pour finir avec un auteur qui en définit pas moins de deux cents.

LE CORPS HUMAIN

GÉNÉRALITÉS

L’image de la machine est souvent utilisée pour donner une idée de la façon dont est fait et fonctionne notre corps. Chaque machine possède un système de soutien et une couverture extérieure, assure certaines performances et consomme du carburant, élimine des déchets, a besoin d’un système de régulation et de contrôle. Le corps fonctionne de la même façon. Il est maintenu par un squelette et couvert par la peau, il consomme des sucres pour remplir ses activités, élimine les déchets du métabolisme et a un système nerveux qui fonctionne à la manière d’un centre de contrôle et de régulation. De plus, grâce aux muscles, le corps est capable de se mouvoir.Cependant, sur certains plans, l’homme est bien différent de la machine. Aucun dispositif artificiel ne s’autodéfend et ne répare seul les dommages qu’il subit, tandis que nous, nous tenons en respect nos agresseurs au moyen des défenses immunitaires, et nous pouvons réparer les dommages subis par notre peau, par nos organes et même par nos os. En outre, aucune machine ne laisse de descendants comme nous le faisons. Aucune machine n’a un spectre de performances aussi étendu que le nôtre, puisqu’il nous permet d’élaborer une composition musicale ou un système philosophique. Aucune machine n’est consciente d’exister, alors que c’est le propre des êtres humains.Notre corps, qui est adapté pour vivre sur la terre ferme dans une plage de température assez étendue, est une structure extraordinairement complexe, à laquelle sont indispensables l’oxygène et certains nutriments essentiels. Il est formé de plusieurs milliers de milliards de cellules, et assure ses activités grâce à l’interaction de systèmes anatomiques et fonctionnels harmonisés et contrôlés par le système nerveux.La peau protège les tissus sous-jacents et, par différents mécanismes, fait en sorte que la température du corps reste constante.Le système digestif pourvoit à la digestion de la nourriture, puis à l’absorption des substances nécessaires à la satisfaction de nos besoins en énergie et au renouvellement constant nos tissus.Le système locomoteur, grâce au squelette et aux muscles, permet aux os et aux différents segments du corps de se mouvoir selon les exigences du moment. Le

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squelette est la structure articulée formée de plus de 200 os qui nous permet de nous tenir debout et de nous déplacer.Le système cardio-vasculaire, par une circulation continue garantie par le cœur, permet aux organes, à travers les artères, de recevoir sans cesse les nutriments nécessaires. Grâce aux veines, il rend possible la libération simultanée des déchets.Le système respiratoire garantit l’échange continu de gaz entre le sang et l’extérieur, en particulier l’inhalation de l'oxygène indispensable à la combustion cellulaire et l’élimination du gaz carbonique qui se forme au cours de cette combustion.Le liquide qui circule dans le corps, le sang, est en réalité un tissu qui remplit des fonctions de transport et de défense : c’est le véhicule du gaz, des substances nutritives et des déchets toxiques et, avec le système immunitaire, il nous défend contre les agressions des microbes. La lymphe est le véritable milieu intérieur dans lequel baignent les cellules.Le système endocrinien - les glandes et les hormones - en étroite collaboration avec le système nerveux, contrôle la nutrition, le métabolisme, la croissance, le développement physique, la maturation psychique, la reproduction, l'adaptation à l'effort et l'équilibre du milieu intérieur.Le système excréteur assure à la fois l'élimination des déchets du métabolisme azoté et la régulation de la teneur en eau et en électrolytes.Le système reproducteur permet l’accouplement sexuel entre l’homme et la femme et donne la possibilité d’avoir des enfants.Le système nerveux, qui comprend l’encéphale, la moelle épinière et les nerfs, reçoit les stimuli provenant de l’intérieur et de l’extérieur du corps, stimuli auxquels il répond par des réactions volontaires ou involontaires.Les organes des sens servent à percevoir le milieu et les signaux de danger.

LA PEAU

Constituée d’un tissu imperméable, la peau est la première ligne de défense contre les dommages possibles et les agressions microbiennes. La peau joue également un rôle important dans la régulation de la température du corps et dans les relations avec le milieu, à travers le toucher. C’est l’organe le plus étendu que nous possédions. Chez l’adulte, il a une surface moyenne de 1,75 m

2, constitue 7 % du

poids total et reçoit environ un tiers du sang pompé par le cœur.

Trois couches de cellules

En allant de la surface vers la profondeur, on peut distinguer trois niveaux dans la peau.Le plus extérieur, l’épiderme, crée une véritable couverture protectrice sur l’ensemble du corps, particulièrement épaisse dans les zones les plus soumises à usure comme la plante des pieds, où elle peut se durcir en formant des cals, plus fine ailleurs, par exemple sur les paupières. L’épiderme est constitué de cinq couches de cellules qui sont régénérées en permanence car les cellules neuves, qui se forment en profondeur, se déplacent progressivement vers le haut pour remplacer les plus vieilles. Au cours de ce déplacement, les cellules s’éloignent de leurs sources de nourriture, se remplissent de déchets, puis finissent par mourir. C’est ainsi qu’a lieu un renouvellement continu. On estime que nous changeons

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complètement de peau toutes les 3 semaines et que, au cours de l’existence, nous perdons approximativement 20 kg de cellules. Les cellules de l’épiderme contiennent de la kératine, une protéine dont la structure moléculaire confère résistance et élasticité à la peau, aux poils et aux ongles.Le niveau intermédiaire de la peau, le derme, d’environ 3 mm d’épaisseur, est formé d’un réseau de protéines et fournit à la peau résistance et élasticité, caractéristiques qui vont en diminuant avec l’âge. Il est traversé par des vaisseaux sanguins et lymphatiques, et contient des terminaisons nerveuses, différents types de glandes et les follicules pileux.Plus en profondeur encore, on trouve le troisième niveau, l’hypoderme, une couche riche en eau et en cellules adipeuses. C’est là que se produisent les changements que nous observons quand nous grossissons ou que nous maigrissons. La graisse déposée dans l’hypoderme sert de réserve d’énergie et fonctionne comme un amortisseur contre les chocs. De plus, la graisse est un isolant thermique, puisqu’elle fait obstacle à la dispersion de la chaleur. Chez la femme, cette isolation est meilleure que chez l’homme car, chez elle, la graisse est plus développée (28 % en moyenne contre 18 %).

La couleur de la peau

La couleur de la peau est liée à la présence, dans l’épiderme, de cellules, les mélanocytes, qui contiennent des granules d’un pigment foncé, la mélanine. Le nombre de ces granules est une caractéristique génétique, c'est-à-dire qu’il varie d’une personne à l’autre et se transmet héréditairement. Chez les personnes ayant la peau claire, les mélanocytes contiennent peu de granules qui sont très nombreuses en revanche dans les mélanocytes des personnes ayant la peau foncée. En outre, les mélanocytes des personnes ayant des yeux foncés sont plus riches en mélanine que ceux des personnes ayant des yeux bleus. Sous l’action de la lumière solaire, la production de mélanine et le nombre des cellules productrices augmentent. Comme le pigment absorbe les rayons lumineux, les couches les plus profondes de la peau sont protÈgÈes. Le bronzage n’est rien d’autre qu’une manifestation de ce mécanisme de protection qui, toutefois, offre un écran imparfait. Les personnes qui sont exposées pendant de nombreuses années à la lumière solaire, les marins par exemple, présentent un vieillissement de la peau plus rapide et une plus grande fréquence de cancers de la peau. L’apparition des cheveux blancs est elle aussi liée à la présence de mélanine. L’homme « blanchit » au fur et à mesure que la production de mélanine diminue, jusqu’à cesser tout à fait.

Poils et ongles

Les poils et les ongles sont formés de cellules modifiées et remplies de kératine. Les poils se développent à partir de « bulbes » localisés dans le derme, les follicules pileux. Chacun de ces follicules produit une tige de kératine qui s’allonge en permanence. Il est doté d’un muscle érecteur qui permet de faire bouger le poil (cela arrive si l’on a froid ou peur).

Les glandes

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Dans l’épaisseur de la peau se trouve un grand nombre de glandes de différentes natures. Les glandes sébacées produisent une substance grasse, le sébum, qui lubrifie la peau et forme une pellicule protectrice qui limite l’évaporation. L’épiderme contient 3 millions de glandes sudoripares qui produisent un liquide salé, la sueur. Ces glandes libèrent les déchets et contribuent à la régulation de la température corporelle. Si celle-ci augmente, à l’occasion d’un effort musculaire ou d’une forte chaleur, la production de sueur augmente aussi. La sueur, provenant de l’intérieur de la peau, véhicule la chaleur et, une fois à la surface, s’évapore en dispersant la chaleur excédentaire. Pendant un exercice physique intense, on peut perdre jusqu’à un litre et demi d’eau par heure.

Les empreintes digitales

La peau de la paume de la main présente de légers froncements et des sillons très fins qui forment des sortes de cercles concentriques, les empreintes digitales. Ces empreintes sont différentes pour chacun d’entre nous, au point qu’elles sont utilisées par les polices du monde entier pour l’identification des individus.

LE SYSTÈME DIGESTIF

Les organes qui constituent le système digestif ont pour rôle principal de permettre à l'homme de transformer les aliments en nutriments utilisables par ses cellules. Des enzymes assurent cette dégradation, puis des membranes se chargent de diffuser dans le sang les constituants utiles et d'éliminer les substances nocives. L'appareil digestif est ainsi à la fois une surface d'échanges et une barrière entre l'homme et son environnement.L'homme se nourrit au cours de repas ponctuels alors que les cellules du cerveau, des muscles et des os se nourrissent en permanence. Cela est possible grâce à la fonction de réservoir de l'appareil digestif, dont la plus grande partie est localisée dans le ventre, ou abdomen. Les aliments sont d'abord introduits dans la bouche, où ils sont mâchés et mêlés à la salive, formant ainsi le bol alimentaire. Déglutis (envoyés par la langue) par petites fractions dans l'œsophage, ils descendent jusqu'à l'estomac, qui est le premier organe réservoir. Ils traversent ensuite l'intestin, dans lequel sont déversées les sécrétions biliaires et pancréatiques. Ainsi réduits, ils sont assimilés ou éliminés.

De la bouche à l’estomac

La bouche est la cavité ouverte à l’extrémité de laquelle commence le tube digestif et où la nourriture est broyée par les dents et mélangée à la salive. La salive est le liquide produit par les glandes salivaires, qui commence le processus de digestion des sucres grâce à une enzyme digestive, l’amylase salivaire. La production de salive, qui est en moyenne de 1 l et demi toutes les 24 heures, est stimulée en général par la présence de nourriture dans la bouche, mais la vue ou l’idée même de la nourriture peuvent suffire. L’action combinée des dents, de la salive et des mouvements de la langue prépare des fragments de nourriture, qui sont déglutis un à un à travers le pharynx jusqu’à l’œsophage, un tube de 25 cm qui se termine dans l’estomac. Tant que la nourriture est dans la bouche, nous pouvons en maîtriser les déplacements, tandis que dans l’œsophage, tout a lieu de façon

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involontaire et automatique. La phase de passage entre ces deux processus est la déglutition, un réflexe qui commence par le mouvement volontaire d’absorption de la bouchée, et qui se poursuit par une contraction involontaire de la musculature pharyngée et œsophagienne. Cette contraction sert, entre autres choses, à fermer l’ouverture supérieure des voies respiratoires au moyen d’une membrane, l’épiglotte, évitant ainsi que les aliments aboutissent dans les poumons.

L’estomac

L’estomac est une poche digestive qui accumule la nourriture. C’est là que commence la digestion. La résection chirurgicale de cet organe est toutefois compatible avec la vie, parce que c’est surtout dans l’intestin que la nourriture est digérée. Dans la paroi de l’estomac se trouvent environ 35 millions de glandes qui produisent le suc gastrique, un mélange acide contenant de la mucine, une substance qui lubrifie la masse alimentaire, de l’acide chlorhydrique et de la pepsine, une enzyme qui digère les protéines. On estime qu’en moyenne une personne produit 2 000 à 3 000 cm

3 de suc gastrique par jour. Le suc gastrique sert

à digérer mais aussi à détruire, par son acidité, les germes ingérés avec la nourriture. Les cellules qui revêtent la surface interne de l’estomac pourraient être endommagées par le suc gastrique, mais une pellicule de mucus produite en permanence, adhère à la paroi de l’estomac et les protège.

L’intestin

Le dernier segment du tube digestif, l’intestin, est divisé en deux segments successifs, l’intestin grêle et le gros intestin (ou côlon). Le premier, d’environ 6,50 m de long, se subdivise à son tour en trois parties, le duodénum, le jéjunum et l’iléon.Après être passée dans l’estomac, la nourriture partiellement digérée de consistance semi-liquide arrive dans le duodénum, où elle reçoit du pancréas du bicarbonate, qui neutralise l’acidité des sucs gastriques, ainsi que différentes enzymes : l’amylase pancréatique, qui complète la dégradation des glucides (ou sucres), la lipase, qui commence la dégradation des lipides, la trypsine et la chimotrypsine, qui dégradent les protéines. À ce stade, la digestion des protéines et des sucres présents dans la nourriture est accomplie, tandis que celle des graisses est prise en charge par la bile, un liquide de couleur jaune-vert produit par le foie.L'intestin grêle, la plus longue portion du tube digestif, mesure l'équivalent de la hauteur d'un joueur de tennis au service, depuis le sommet de la raquette jusqu'à la ligne de service. Il est également très large, du fait de ses nombreux replis intérieurs : si on arrivait à le déployer complètement, il couvrirait entièrement un terrain de tennis, sans les couloirs extérieurs ! L'intestin grêle a donc toutes les caractéristiques d'un lieu d'échanges : une surface importante d'absorption précédée d'un réservoir, l'estomac, et largement irriguée, à l'intérieur par le liquide digestif contenant les aliments, à l'extérieur par les vaisseaux sanguins et les vaisseaux lymphatiques.Au cours d’une journée, l’intestin est traversé par 10 l de liquide, dont 2 sont d’origine alimentaire, tandis que les 8 autres représentent l’ensemble des sécrétions salivaire, gastrique, intestinale, hépatique et pancréatique. De 1 à 2 l seulement arrivent à l’intestin grêle. Il est tapissé de fins replis allongés de 0,5 à 1 mm de longueur, les villosités, revêtues de cellules absorbantes, dont la surface

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présente des plis microscopiques, les microvillosités. On compte de 20 à 40 villosités par millimètre carré de surface intestinale. Au centre de chaque villosité, se trouvent des fibres musculaires qui leur permettent de se contracter et de se dilater de façon rythmique et, un réseau dense de capillaires sanguins qui recueillent les substances absorbées par les cellules. Les villosités et les microvillosités ont pour fonction de multiplier la surface totale d’absorption de l’intestin jusqu’à lui permettre d’atteindre 300 m

2, bien que sa longueur totale soit de

2,5 m. Dans l’intestin également, les parois sont revêtues de cellules qui sécrètent du mucus et qui sont renouvelées en permanence, en moyenne tous les cinq jours.L'intestin grêle s'abouche avec le côlon par un système de deux lèvres qui empêchent le reflux du contenu du second vers le premier. Cet abouchement se fait dans le cæcum, portion du côlon qui se prolonge par l'appendice, organe du système immunitaire ouvert comme un doigt de gant dans le cæcum. Le côlon, sombre et court (1,50 m), a un diamètre de trois à quatre fois supérieur à celui de l'intestin grêle. Il forme un cadre dans l'abdomen et se prolonge par un réservoir de 12 cm de long (le rectum), qui se termine par l'anus. Ce dernier est un petit canal de 2 à 4 cm de long dont l'intérieur est recouvert d'une surface plissée qui fait la jonction à l'extérieur avec la peau. L'anus, ayant une fonction de robinet, est enchâssé dans un ensemble de muscles en partie contrôlés, de façon automatique, par un système sensible au contenu du rectum.Le côlon sert à accumuler et à concentrer les résidus de nourriture non digérés ou non digestibles, par exemple les fibres végétales, et à récupérer l’eau et le sodium. De cette façon, grâce à la réabsorption de 90 % de l’eau présente dans le contenu de l’intestin, il entre chaque jour dans le côlon de 1 à 2 l de substance liquide et environ 150 g de fèces sont expulsées. La nourriture met environ 4 heures et demie pour aller de la bouche jusqu’au gros intestin, tandis que les résidus, les Bactéries et les cellules mortes de la paroi intestinale peuvent demeurer sous forme de fèces pendant plus de 24 heures. Les Bactéries intestinales qui constituent ce qu’on appelle la flore microbienne sont importantes car elles produisent certaines vitamines et d’autres composés indispensables.

Digestion et hormones

Le processus digestif est contrôlé par un mécanisme hormonal qui implique plus d’une dizaine de substances. Quand la nourriture arrive dans le duodénum, celui-ci commence à produire deux substances, la sécrétine et la cholécystokinine (CCK). La sécrétine excite la sécrétion du suc pancréatique, de la bile et du suc intestinal. La cholécystokinine, sous l’influence du passage dans la muqueuse du duodénum d’acides ou de graisses, provoque la contraction de la vésicule biliaire. En outre, elle augmente la motilité de l’intestin grêle, accélérant le transit digestif. Elle augmente aussi les sécrétions enzymatiques du pancréas.

Segmentation et péristaltisme

La nourriture est mélangée et avance dans l’intestin grâce à des mouvements de segmentation et au péristaltisme. Les premiers sont de simples contractions annulaires, qui intéressent des segments éloignés de l’intestin et qui apparaissent par ondes, d’abord sur une série de segments, puis sur les segments voisins, si bien que le contenu de l’intestin subit un mouvement d’avant en arrière. Le péristaltisme se traduit par une série de contractions annulaires qui, commençant

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en un point, se propagent longitudinalement de proche en proche dans les différentes parties et font progresser le bol alimentaire, réalisant l’onde péristaltique.Au niveau du duodénum, les mouvements péristaltiques s’associent à des mouvements antipéristaltiques qui permettent de protéger le grêle contre l’arrivée d’aliments « dangereux » (trop volumineux, trop froids, trop acides et surtout trop gras).Au niveau du grêle, le péristaltisme se combine avec une segmentation rythmique (fragmentation et brassage) et mouvement pendulaire (homogénéisation).Au niveau du gros intestin, péristaltisme et antipéristaltisme s’associent pour assurer au contenu intestinal un mouvement de va-et-vient qui favorise la résorption d’eau dans la côlon.

Où va la nourriture ?

Les cellules des villosités fonctionnent comme des unités d’absorption et de transformation du contenu intestinal. Les produits de la digestion des sucres et des protéines sont d’abord absorbés puis introduits dans les capillaires des villosités d’où ils arrivent dans un système de veines. Ces vaisseaux convergent dans la veine porte (voir système circulatoire), dirigée vers le foie, où les substances sont encore modifiées. Les acides gras et le glycérol dérivés de la digestion des graisses sont utilisés par les cellules pour la synthèse de lipides puis convoyés vers les vaisseaux lymphatiques appelés alors vaisseaux chylifères.

Le foie

Le maintien du fonctionnement permanent, et à des rythmes divers, des cellules du corps humain est assuré par la mise en réserve des nutriments apportés par le sang. Le foie est l'organe principal impliqué dans ce système de stockage et de redistribution, régulé par le système hormonal ; les informations relatives aux besoins de l'organisme sont émises en permanence.Comme les glandes salivaires et le pancréas, le foie est une glande annexe qui déverse ses sécrétions dans l'intestin ; elle est la plus volumineuse (environ 1,5 kg). Le sang pauvre en oxygène, mais riche en glucose et en acides aminés, est amené directement au foie par la veine porte. Les lipides suivent habituellement un circuit plus complexe : transportés à travers le système lymphatique sous forme de lipoprotéines solubles dans le plasma, ils sont partiellement stockés dans le foie (triglycérides, cholestérol). Comme les lipides, toutes les molécules sont modifiées avant d'être mises en réserve, car en solution elles produisent une pression (pression osmotique) qui dépend plus de leur nombre que de leur volume. Ainsi, le glucose est stocké sous forme d'un polymère, le glycogène, constitué de plusieurs molécules de glucose liées entre elles. Cette réaction, appelée glycogénogenèse, est contrôlée par les sécrétions hormonales du pancréas et sert à la régulation du taux de glucose dans le sang (la glycémie normale est de 1 g/l). En excès (hyperglycémie), le glucose est mis en réserve selon les modalités précédentes, puis, s'il vient à manquer, les cellules du foie, ou hépatocytes, le libèrent en hydrolysant les molécules de glycogène (glycogénolyse, ou glycogenèse). Les substances hormonales qui contrôlent ces phénomènes sont l'insuline et le glucagon. La première favorise la glycogénogenèse et la consommation du glucose par les cellules musculaires, en

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particulier lors d'un effort physique ; le taux de glucose dans le sang diminue. La seconde à une action antagoniste, qui permet la fabrication de glucose.Un mécanisme semblable à la glycogénogenèse permet aux acides aminés d'être stockés sous forme de protéines. En revanche, les lipides sont mis en réserve dans le tissu adipeux et sous-cutané, dans les muscles, sur le cœur et les reins.La mise à disposition des nutriments entre les repas dépend des besoins des différents organes. Le cerveau, qui ne consomme que du glucose, a des cellules spécialisées, localisées à sa base, capables de déclencher la synthèse d'hormones qui, indirectement, permettent la libération du glucose du foie. Les muscles ont un système de rétrocontrôle (feed-back) : l'effort terminé, ils libèrent deux acides aminés - l'alanine, captée par le foie, et la glutamine, captée par l'intestin - pour enrayer la glycogénolyse. Dernier exemple, plus complexe : au moment d'un stress ou d'une émotion, l'excitation du cerveau est transmise au bulbe, à la moelle épinière, des nerfs à la médullosurrénale, ce qui entraîne l'émission d'adrénaline et de glucagon, hormones hyperglycémiantes. Il existe d'autres systèmes secondaires de régulation hormonale.

L’APPAREIL LOCOMOTEUR

L’appareil locomoteur qui permet à l’homme d’accomplir des mouvements est formé d’une partie passive, le squelette et les articulations, et d’une partie active, les muscles et les structures qui relient ces derniers aux éléments squelettiques, par exemple les tendons.Le squelette est l’ensemble des os du corps et constitue notre système de soutien, le point d’attache des muscles et dans certains cas, le récipient protecteur d’organes vitaux comme le cœur, les poumons et le cerveau. Les articulations sont les points de raccord d’os différents dans lesquels, dans de nombreux cas, mais pas toujours, l’une se déplace par rapport à l’autre. Les muscles sont les organes du mouvement, aussi bien du corps dans son ensemble que des organes internes, comme le cœur ou l’intestin.

LE SQUELETTE

Le squelette assure cinq fonctions principales : maintien de la forme du corps, chez l'homme comme chez tous les autres Vertébrés (sans une solide charpente, un être vivant ne peut prendre de forme complexe, notamment la position verticale en milieu aérien, au-delà d'une certaine limite de masse, sous peine de s'effondrer sur lui-même) ; protection des organes logés dans la cage thoracique et dans la boîte crânienne (amorti des chocs et diminution de la probabilité d'une lésion directe) ; mise en mouvement du corps grâce aux articulations complexes et aux membres, qui permettent un déplacement efficace et rapide (les os fournissent des points d'ancrage aux muscles, moteurs du mouvement) ; stockage du calcium, sel minéral au rôle important dans de nombreuses réactions chimiques, lors de la contraction musculaire, dans l'ensemble des micromouvements des cellules et pour la transmission de l'influx nerveux (la structure des sels de calcium intervient dans la solidité mécanique des os) ; enfin, production, par la moelle logée à l'intérieur des os longs, des cellules hématopoïétiques.Le squelette comprend en tout 206 éléments, les os, et il est constitué de deux types de tissu conjonctif : le tissu osseux et le tissu cartilagineux. La colonne vertébrale, qui en constitue l’axe médian, s’articule aussi bien avec les membres

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supérieurs et inférieurs, par l’intermédiaire de ceintures (épaules et bassin), qu’avec la tête, directement.

Os vivants, résistants et élastiques

Nous sommes habitués à penser que les os sont des supports rigides et sans vie, mais ce n’est pas le cas. Cette idée erronée naît du fait qu’il nous arrive d’observer des os morts, secs et fragiles, hors de l’organisme auquel ils appartenaient. Les os sont en fait constitués d'un tissu calcifié qui est le siège d'un renouvellement cellulaire constant et qui persiste longtemps après la mort de l'individu.La matière première des os est constituée de cellules ainsi que de sels de calcium et de phosphore, responsables de leur dureté, et de tissu fibreux, qui les rend élastiques et leur confère leur double propriété de résistance à la traction et à la compression. L’élasticité de l’os est environ deux fois moins importante que celle de l’acier. La présence de cette armature fibreuse et élastique peut être démontrée par le fait que, si nous mettons un os en contact avec des substances qui dissolvent les sels - c'est-à-dire sa partie minérale - l’os peut être plié et noué. Au contraire, si nous le chauffons de façon à en détruire les protéines et à ne laisser que la partie minérale, l’os devient très fragile.

La structure des os

Dans le corps, nous avons trois types d’os : plats, courts et longs.Les premiers, à la fois résitants et légers, servent à protéger des organes. Le crâne, par exemple, qui contient le cerveau, est formé de quelques os plats dont les marges sont unies. Les os plats sont constitués de deux plaquettes d’os compact entre lesquelles est interposé de l’os spongieux.Les os courts, caractérisés par leur légèreté et leur élasticité, se trouvent, par exemple, au niveau du poignet ou de la colonne vertébrale.Les os longs servent à soutenir un poids ou à résister à la traction. Ils se trouvent dans les membres. Ils possèdent quelques spécificités que les autres os n'ont pas : un canal central, la cavité médullaire, dans lequel se trouve la moelle osseuse, c'est-à-dire les cellules mères de toutes les lignées cellulaires sanguines (globules rouges, globules blancs, plaquettes) ; des extrémités renflées, ou épiphyses, dont les surfaces lisses, en contact avec les os voisins, sont dites articulaires ; une portion centrale, la diaphyse, longue et cylindrique ; et, enfin, les métaphyses, zones comprises entre la diaphyse et les épiphyses.Le tissu osseux se présente sous deux formes : le tissu compact et le tissu spongieux. Ce dernier, localisé par exemple dans l'épiphyse des os longs, est formé d'un enchevêtrement en trois dimensions de spicules et de trabécules osseux, ramifiés et anastomosés ; il en résulte un véritable labyrinthe de petits segments calcifiés délimitant des espaces communicants (aréoles) remplis par la moelle osseuse et par une riche vascularisation. Le tissu compact, situé dans la partie périphérique de la diaphyse des os longs, a des structures géométriques régulières très caractéristiques, les ostéones, aussi appelées systèmes de Havers. Celles-ci sont constituées de 4 à 20 lamelles osseuses cylindriques disposées de façon concentrique autour d'un canal, dit de Havers, dans lequel on trouve les vaisseaux sanguins et les fibres nerveuses. Tous les systèmes de Havers sont reliés les uns aux autres, mais également à la cavité médullaire, par des canaux transversaux et obliques, dits de Volkman.

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Les articulations

Là où les os entrent en contact les uns avec les autres pour former des points d’articulation mobiles, les surfaces osseuses sont couvertes de cartilage, un tissu élastique et à la surface lisse. Ainsi, au cours du mouvement, les extrémités de deux os peuvent glisser plus facilement l’une contre l’autre, ce qui est encore facilité par la présence d’une substance lubrifiante qui baigne les surfaces articulaires des os.

L’os et le cartilage

Les matériaux de construction du squelette sont l’os et le cartilage.L’os est formé de cellules vivantes et de la matière non vivante que ces dernières produisent.La matière non vivante, ou substance intercellulaire, est constituée en particulier d’une protéine, le collagène, qui forme un châssis sur lequel se dépose l’hydroxyapatite, une substance minérale qui confère à l’os sa rigidité et sa dureté et qui est responsable de 45 % de son poids. L’hydroxyapatite se compose à son tour de phosphate, de calcium et de carbonate. Le collagène et l’hydroxyapatite, cimentés entre eux, confèrent à l’os la robustesse du ciment armé. Les cellules osseuses, ou ostéocytes, situées entre les lamelles des ostéones, sont placées dans de petites cavités, des ostéoplastes, limitées par la matrice osseuse minéralisée. Celle-ci comprend des éléments organiques (fibres de collagène entourées d'une substance fondamentale à base de mucopolysaccharides) et minéraux (cristaux d'hydroxyapatite). Du corps cellulaire fusiforme des ostéocytes naissent de nombreux prolongements cytoplasmiques, plus ou moins longs, qui s'enfoncent dans la masse minérale.Dans le squelette d'un adulte, on distingue trois types de cartilage (hyalin, fibreux et élastique). Dans le cartilage hyalin, les cellules cartilagineuses, ou chondrocytes, sont volumineuses : leur cytoplasme est riche en glycogène et en inclusions lipidiques. La matrice qui entoure les chondrocytes a un aspect homogène : elle est composée de fibres de collagène de faible diamètre, qui forment un réseau à larges mailles, et d'une substance fondamentale riche en mucopolysaccharides de type chondroïtine sulfate. Le cartilage hyalin est présent dans la plupart des articulations et dans les voies aériennes supérieures (trachée et bronches principales).Le cartilage fibreux présente une structure comparable mais remarquable par son important réseau de fibres de collagène. Ce tissu cartilagineux est localisé au niveau des disques intervertébraux, du nez, de la symphyse pubienne et au point d'insertion du talon d'Achille. Le troisième type de cartilage, caractérisé par la présence de très nombreuses fibres élastiques, est essentiellement situé au niveau de la face (pavillon de l'oreille), des trompes d'Eustache, de l'épiglotte et du larynx. Les tissus cartilagineux ne contiennent aucun vaisseau sanguin ou lymphatique. Ils reçoivent des matières nutritives par diffusion à partir de la vascularisation du tissu conjonctif, ou périchondre, qui les entoure.

Le remodelage osseux

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Il y a deux types de cellules vivantes dans l’os : les ostéoblastes, qui produisent du nouveau matériau osseux, et les ostéoclastes, qui l’éliminent. Les deux types de cellules sont en permanence en activité, si bien que l’os n’est jamais identique à lui-même, mais subit un remodelage incessant selon les stimuli auxquels il est soumis. Comme les canaux de l’os sont reliés au sang, le remodelage osseux détermine un déplacement continu de sels de calcium entre ce tissu fluide et les os. Grâce à l’action du remodelage, les os font office de réserve de sels minéraux. En cas de jeûne, les os vont jusqu’à perdre un tiers de leur contenu en calcium pour satisfaire les nécessités de l’organisme. Durant la grossesse, quand le squelette de l’enfant en cours de croissance a besoin díun approvisionnement continu en sels minéraux, ces derniers sont prélevés sur le squelette de la mère.La concentration de calcium dans le sang est donc un facteur qui agit sur le remodelage osseux. Les efforts mécaniques auxquels les os sont soumis agissent aussi sur le remodelage. Si ces efforts diminuent, comme cela a lieu chez les astronautes qui restent longtemps dans l’espace en absence de gravité ou simplement chez les personnes immobilisées au lit pendant des semaines, l’action des ostéoclastes prédomine et l’os devient moins dense et plus fragile. Durant une activité sportive ou un travail intense, c’est l’inverse qui se produit.

Après une fracture

Comme tous les corps riches en sels, l’os est susceptible de subir des fractures, mais à la différence d’une assiette de porcelaine, il a la capacité de s’autoréparer. L'organisme va, de lui-même, consolider la fracture par le développement d'un cal osseux. Dans un premier temps, le sang et la lymphe envahissent l'espace interfragmentaire de la fracture, tandis que des bourgeons de tissus conjonctifs colonisent l'hématome pour former un cal conjonctif. Puis, grâce à la réserve calcique des tissus osseux voisins amenée par les vaisseaux, le cal se minéralise. Le périoste, richement vascularisé, joue un rôle fondamental dans cette étape. Enfin, la continuité osseuse est progressivement rétablie.

Les parties squelettiques

Le squelette humain est formé d’une partie de soutien, ou tronc, et d’un appendiculaire. La première comprend le crâne, la colonne vertébrale, les côtes et le sternum, tandis que la seconde comprend les deux membres, c'est-à-dire les membres supérieurs, ou thoraciques (bras) et les membres inférieurs, ou pelviens (jambes). Chaque membre est relié au reste du corps à travers une structure de liaison, la ceinture, formée d’os et de muscles.Le membre supérieur est formé, dans l’ordre - c'est-à-dire en allant de son extrémité libre vers le tronc - par la main, l’avant-bras et le bras proprement dit (c'est-à-dire la portion comprise entre le coude et l’épaule). Sa liaison à l’épaule se fait à travers la ceinture scapulaire (l’épaule), dont font partie deux os (la clavicule et l’omoplate). L’humérus, dont l’extrémité supérieure est articulée avec l’omoplate, constitue le squelette du bras. Le radius et le cubitus, articulés à la tête inférieure de l’humérus, sont les os de l’avant-bras. Dans la main, on distingue les phalanges des doigts, les os du métacarpe et, vers le poignet, ceux du carpe.Le membre inférieur est relié au tronc, à travers la ceinture pelvienne, par l’os de la hanche (le bassin), tandis que les os de la cuisse et de la jambe, proprement dite, (le segment qui va du genou au pied), sont le fémur et, respectivement, le tibia et la

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fibula ou péroné. Dans le pied on distingue les phalanges des doigts et, plus en arrière, le métatarse et le tarse. Le membre inférieur comprend également la rotule, un os plat et arrondi situé devant, à l’extrémité inférieure du genou.

LES MUSCLES

Tandis que les os font office de soutien, les muscles, faisant levier sur eux, permettent le mouvement. Le corps humain compte environ 600 muscles, de formes et de dimensions différentes, tandis qu’un ver peut en avoir 2 000.Les muscles sont à première vue des organes « élémentaires », producteurs de force et de mouvement, qui se caractérisent par leur pouvoir de contraction, et qui constituent, avec les os et les articulations, un véritable appareil locomoteur, capable d'exécuter un mouvement ou de maintenir le corps dans une position particulière. Pourtant, leur organisation très complexe n'est clairement décrite que depuis les années 50. Leur étude se situe aujourd'hui au carrefour de nombreuses sciences, dont l'anatomie, l'histologie, la biochimie, l'électrophysiologie et la neurologie. Le poids de la masse musculaire représente près de la moitié de celui du corps, et elle est sollicitée dans presque toutes les fonctions de l'organisme : par exemple, le muscle cardiaque (le myocarde) intervient dans la circulation sanguine, tandis que les muscles lisses, qui tapissent de nombreux organes, interviennent dans diverses fonctions, notamment dans la digestion, la respiration, la tension artérielle.Il existe deux types de muscles : les muscles lisses et les muscles striés. Un muscle strié a généralement la forme d'un fuseau aux extrémités duquel se trouvent des tendons, qui assurent sa fixation sur les os. Mais il peut aussi être plat - muscles de l'abdomen, diaphragme - ou avoir la forme d'un anneau, comme l'orbiculaire des paupières, lequel permet entre autres au visage de marquer l'étonnement.Le muscle strié est un assemblage de faisceaux parallèles, appelés encore fascicules, enveloppés dans du tissu conjonctif élastique constitué de collagène ; chaque faisceau est formé de fibres musculaires disposées parallèlement. Enfin, le muscle est tributaire du système nerveux : toutes les cellules qui le composent sont innervées par des neurones spécifiques, les motoneurones.L’action spécifique des muscles est la contraction, c'est-à-dire le raccourcissement, qui détermine le mouvement des os auxquels ils sont reliés. Par exemple, le biceps du bras est relié par un côté à l’avant-bras et par l’autre côté à l’épaule. Grâce à l’articulation du coude, la contraction détermine la flexion de l’avant-bras. Le mouvement opposé d’extension est dû à la contraction d’un autre muscle, relié aux faces opposées de l’avant-bras et du bras.Dans les organes internes du corps, des contractions musculaires spéciales assurent le battement cardiaque ou les variations de diamètre des artères et des veines. Tandis que les muscles qui mettent le corps en mouvement sont sous le contrôle de la volonté, et pour cette raison sont appelés volontaires, les muscles des viscères se meuvent de façon autonome et involontaire, et sont commandés par une partie spéciale du système nerveux, appelée système nerveux autonome.La musculature involontaire a un rôle fondamental dans notre vie, car c’est d’elle que dépendent des fonctions comme le battement cardiaque ou les mouvements de la nourriture dans le tube digestif. Le muscle « involontaire » particulier qui constitue le cœur est appelé myocarde. Il a la particularité de se contracter de façon rythmique et automatique, c'est-à-dire sans avoir besoin de signaux nerveux volontaires. Mais il est commandé par des signaux nerveux du système nerveux

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autonome. Si le cœur est coupé en morceaux et que ces derniers sont mis dans des conditions adéquates, il continue de battre. Cela s’explique par le fait qu’il est, entre autres, composé de fibres « régulatrices de rythme », qui se contractent automatiquement. Dans le cas du cœur, les signaux nerveux servent seulement à accentuer ou ralentir cet automatisme.

Les tendons

La liaison entre les muscles et les os est assurée par des bandes fibreuses d’ancrage particulières, les tendons, reconnaissables au toucher parce qu’ils sont semblables à de fines cordes. Chaque tendon a un point d’attache sur un os, le point d’insertion, souvent reconnaissable sous la forme d’une protubérance, d’un petit relief ou d’une crête.

Muscles au travail

La plupart des muscles sont organisés sous la forme de couples à action opposée, par exemple fléchisseur-extenseur, abducteur-adducteur (qui éloigne - qui rapproche), etc. Quand un élément du couple agit, l’autre se relâche, puis se contracte et fait revenir les muscles dans la position de départ. Lorsque l’on marche, par exemple, il se produit une séquence ordonnée de flexions et d’extensions de différents muscles antagonistes. Dans certains cas, la contraction simultanée des muscles antagonistes sert à maintenir ferme une articulation, comme lorsqu’on se tient debout. Le poids du corps tendrait à faire plier l’articulation du genou, mais ceci n’a pas lieu du fait de la contraction simultanée des muscles antagonistes de la partie antérieure et postérieure de la cuisse.Les muscles du corps humain ont des dimensions très différentes mais ils sont tous formés de la même façon et fonctionnent sur la base d’un même principe. La contraction du muscle est provoquée par l’arrivée d’une impulsion nerveuse. Si cette dernière cesse, le muscle se relâche et, sous l’effet de muscles antagonistes, peut se rallonger et rester dans la nouvelle position atteinte. Tandis que la première phase - la contraction - est active, dans le sens qu’elle est déterminée par un signal, la deuxième - le relâchement - est passive.

Le mécanisme moléculaire de la contraction

Chaque muscle est formé de fibres, c'est-à-dire de cellules allongées et constitué d’unités plus petites, dites fibrilles, qui courent parallèlement à la longueur de la cellule. Ces dernières, à leur tour, sont constituées d’autres unités parallèles encore plus petites - les filaments - formées de protéines spéciales à même de glisser l’une sur l’autre à l’arrivée de l’impulsion nerveuse. Dans la fibre musculaire au repos, ces protéines sont disposées l’une à côté de l’autre mais, à l’arrivée de l’impulsion, elles se superposent en partie, coulissant l’une sur l’autre. Le résultat est le raccourcissement et, au niveau du muscle, la contraction et le mouvement.Entre l’arrivée du signal nerveux et le mouvement du muscle, il se produit deux événements. Le signal fait se déclencher dans la terminaison nerveuse dirigée vers le muscle la libération d’une substance, l’acétylcholine, et celle-ci à son tour fait que la fibre musculaire libère du calcium. La contraction se déclenche avec la libération

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du calcium et se termine quand la concentration de cet élément atteint un niveau critique.Comme tout autre mouvement, le mouvement microscopique des protéines musculaires consomme de l’énergie chimique, raison pour laquelle le muscle a été défini comme « une machine à convertir de l’énergie chimique en énergie mécanique ». Le carburant utilisé est l’ATP (sigle de l’adénosine triphosphosphate), une substance que les cellules fabriquent à partir de l’énergie contenue dans les molécules de glucose (voir métabolisme cellulaire). Dans l’ensemble, le muscle en action consomme de l’ATP et de l'oxygène et libère de la chaleur, du gaz carbonique et, quand l'oxygène est insuffisant, de l’acide lactique. La sensation de fatigue musculaire et les crampes que l’on éprouve en cas d’effort musculaire prolongé dépendent précisément de l’accumulation d’acide lactique.

LE SYSTÈME CARDIO-VASCULAIRE

La circulation périphérique peut être divisée en deux parties : la circulation pulmonaire, ou petite circulation, et la circulation systémique, ou grande circulation.La circulation pulmonaire va de l'artère pulmonaire aux veines pulmonaires en passant par les poumons, alors que la grande circulation part de l'aorte, qui se divise en artères périphériques irriguant tous les organes par l'intermédiaire de petits canalicules, les vaisseaux capillaires. Le sang revient ensuite au cœur droit par les veines caves, supérieure et inférieure. L'approvisionnement en éléments nutritifs est assuré par la circulation veineuse provenant du tube digestif (absorption) et du foie (réserve) ; la circulation pulmonaire assure l'approvisionnement en oxygène à partir de l'air des alvéoles pulmonaires. L'ensemble sera réparti dans les tissus par les artères de la grande circulation. La circulation pulmonaire assure en même temps l'élimination du gaz carbonique ramené des tissus au cœur par la circulation veineuse. Les autres déchets sont éliminés grâce aux circulations rénale (urine), digestive (bile) et cutanée (sueur).

Les vaisseaux sanguins

Les artères ont une structure en trois tuniques : une tunique interne (intima) formée d'un tissu conjonctif ; une tunique moyenne (média), la plus épaisse, qui comporte des fibres musculaires lisses et des fibres élastiques ; une couche périphérique, l'adventice, qui comprend un tissu fibreux et les vaisseaux nourriciers de l'artère. Les fibres élastiques de la tunique moyenne sont en plus grande abondance dans les vaisseaux de gros calibre, alors que les fibres musculaires lisses sont plus importantes dans les petites artères. Les grosses artères sont donc très élastiques et peu contractiles, à l'inverse des petites, qui sont peu élastiques mais très contractiles. Les artères sont recouvertes à leur face interne d'une mince couche cellulaire, l'endothélium.Les artères se ramifient en artérioles, lesquelles se subdivisent en une infinité de capillaires dont le diamètre est proche de celui d'un globule rouge. C'est à ce niveau que se font les échanges entre le sang et les tissus de la périphérie ou, dans la petite circulation, entre le sang et l'air des poumons à travers une paroi très mince. Les capillaires sont groupés en veinules, elles-mêmes réunies en veines. La structure des veines varie avec leur topographie. Certaines sont riches en tissu élastique alors que d'autres sont riches en tissu musculaire. La tunique interne des

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veines présente par endroits des valvules semi-lunaires qui dirigent le courant veineux.

Le cœur

Le cœur humain est situé en position oblique dans le thorax, entre les deux poumons et en arrière du sternum. D'un poids moyen de 260 g, il est constitué d'une tunique musculaire, le myocarde, qui est l'élément contractile. Le myocarde est formé lui-même de trois couches : une membrane très mince, continue, qui tapisse l'intérieur de la cavité cardiaque et de ses annexes, c'est l'endocarde ; à la périphérie du myocarde se trouve l'épicarde ; entre l'endocarde et l'épicarde se trouve la plus grande partie du muscle cardiaque, le myocarde proprement dit.Anatomiquement et fonctionnellement, on distingue deux parties, que l'on appelle parfois cœur droit et cœur gauche, chaque ensemble contenant deux espaces distincts : les oreillettes (l'adjectif correspondant est « auriculaire ») dans la partie supérieure et les ventricules dans la partie inférieure. Si la paroi des oreillettes, qui fonctionnent comme des réservoirs, est fine, celle des ventricules, qui servent de pompes à sang, est plus épaisse ; en outre, la paroi du ventricule gauche est environ deux fois plus épaisse que celle du ventricule droit. L'épaisseur du muscle cardiaque, qui varie de 2 à 15 mm, est en rapport avec la pression maximale qui peut être développée dans chaque cavité.L'oreillette droite présente une forme ovoïde à grand axe vertical. Elle possède en avant un prolongement, l'auricule droite, dont la cavité est cloisonnée. L'oreillette droite reçoit la veine cave supérieure à sa partie supérieure et la veine cave inférieure et le sinus coronaire à sa partie inférieure.L'oreillette gauche est allongée transversalement. Elle reçoit quatre veines pulmonaires disposées deux à deux, avec à droite comme à gauche une veine pulmonaire supérieure et une inférieure. Comme pour l'oreillette droite, il existe en avant un prolongement, l'auricule gauche, mais qui, lui, n'est pas cloisonné. La cloison séparant les deux oreillettes, ou cloison interauriculaire, présente en son centre une dépression, la fosse ovale, entourée de l'anneau de Vieussens.Le ventricule droit a une forme de prisme triangulaire. Il donne naissance, en arrière et en haut, à l'artère pulmonaire, qui est précédée d'une dilatation de la cavité ventriculaire, l'infundibulum. Du ventricule gauche, ovoïde, part l'aorte, qui est munie - comme l'artère pulmonaire - de valves sigmoïdes. La cloison qui sépare les deux ventricules, ou cloison interventriculaire, est très épaisse ; elle bombe à l'intérieur de la cavité ventriculaire droite.Pour assurer sa contraction, le muscle cardiaque a besoin d'une importante irrigation sanguine, assurée par les deux artères coronaires. Celles-ci ont la particularité d'être terminales et non connectées entre elles. L'oblitération d'une artère crée dans le territoire ischémié, c'est-à-dire privé d'apport sanguin, une lésion à l'origine de l'infarctus du myocarde.

Le sang en mouvement

Le sang chargé de gaz carbonique arrive à l’oreillette droite qui, en se contractant, le pousse vers le ventricule sous-jacent. De là, une deuxième contraction le pousse jusqu’aux poumons, où a lieu l’échange gaz carbonique-oxygène. Le sang riche en oxygène revient donc vers le cœur, dans l’oreillette gauche, où la contraction le

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pousse d’abord dans le ventricule gauche puis dans l’aorte, l’artère la plus grande du corps.La circulation du sang est garantie par le battement cardiaque, c'est-à-dire par la contraction et la dilatation rythmiques des parois du cœur. La période de contraction est appelée systole, celle de repos diastole.À chaque contraction, le cœur pousse avec force le sang dans l’aorte et dans les artères plus grandes qui sont donc soumises à un stress mécanique continu, atténué par le fait que leurs parois sont riches en fibres élastiques et musculaires. Ces parois s’élargissent et se rétrécissent de façon rythmique pour permettre l’avancement du sang qui ne peut pas revenir en arrière du fait de la fermeture des valvules sigmoïdes. Au fur et à mesure que l’on s’éloigne du cœur, l’alternance de la dilatation et du rétrécissement s’atténue, si bien qu’à la hauteur des artérioles, le sang circule de façon presque continue. Ces petites artères possèdent aussi une paroi musculaire et peuvent se rétrécir et se dilater.Le sang circule des artérioles vers les capillaires qui sont faits de canaux anastomosés d'un diamètre de 5 à 20 µm, avec une paroi formée d'une seule couche de cellules. Les capillaires sont extensibles et très peu contractiles. Leur structure permet les échanges entre le sang et les tissus en raison de leur surface considérable (plus de 7 000 m2 chez un adulte). La pression sanguine s'abaisse progressivement dans le capillaire.Il existe trois grands types de capillaires : les capillaires continus, formés sans interruption de cellules endothéliales, sont les plus répandus dans la plupart des organes ; les capillaires « fenêtrés », possédant de nombreuses perforations dans le cytoplasme des cellules de leurs parois, sont présents dans les organes où les échanges liquidiens sont importants (reins, intestins, etc.) ; les capillaires discontinus, présents dans le foie, la rate et la moelle osseuse, sont formés de cellules qui restent indépendantes les unes des autres et qui sont séparées par de grands interstices permettant le passage de globules.Le passage du sang en plus ou moins grande quantité dans les capillaires dépend essentiellement des variations de diamètre des vaisseaux qui les précèdent, car les capillaires ont, à leur entrée, des fibres musculaires lisses disposées en sphincters qui, lorsqu'ils se ferment, empêchent la circulation de sang dans le capillaire. Il se forme alors des shunts entre les artérioles et les veinules, et ainsi le débit peut-il augmenter ou diminuer dans les capillaires selon le nombre de sphincters précapillaires ouverts.

Valvules cardiaques

Les valvules cardiaques jouent un rôle fondamental dans la dynamique cardiaque. Il existe deux sortes de valvules : auriculo-ventriculaires et artérielles.Les valvules auriculo-ventriculaires ont la forme d'un entonnoir fibreux dont le sommet se situe dans la cavité ventriculaire ; leur rôle est double : elles canalisent le sang de l'oreillette vers le ventricule et elles empêchent, lors de la contraction, ou systole ventriculaire, le reflux de sang du ventricule vers l'oreillette. La valvule auriculo-ventriculaire droite, ou tricuspide, se situe sous l'infudibulum pulmonaire. La valvule auriculo-ventriculaire gauche, ou valvule mitrale, se situe sous l'aorte ; elle est constituée de deux valves. Lorsque la pression régnant dans le ventricule gauche s'élève, au moment de la contraction, la valvule mitrale, formée d'une membrane fibreuse très mince, bombe dans la cavité auriculaire et, maintenue par les piliers et les cordages, se ferme, ce qui empêche le reflux de sang du ventricule vers l'oreillette.

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Au niveau des artères (aorte et artère pulmonaire), il existe aussi des valvules, appelées sigmoïdes ou semi-lunaires, qui empêchent le retour du sang de l'artère vers le ventricule lors du relâchement du muscle cardiaque, ou diastole ventriculaire.

Battement et rythme cardiaque

Les battements cardiaques, c'est-à-dire les sons associés à la fermeture des valvules cardiaques, sont dus au fait que, de façon rythmique, dans une zone du cœur placée dans la paroi de l’oreillette droite - le nœud sinusal - se forme une onde de signaux électriques qui provoque la contraction simultanée des deux oreillettes. Cette onde arrive au nœud auriculo-ventriculaire avec un retard de 0,4 seconde. Là, un faisceau de fibres spécialisées la transmet aux deux ventricules qui se contractent simultanément. Le nœud sinusal, dont la fonction est de contrôler le battement cardiaque, est appelé également pacemaker naturel, c'est-à-dire « donneur de rythme ». Son fonctionnement est conditionné par différents paramètres, nerveux ou chimiques. La peur, par exemple, peut provoquer une accélération du rythme cardiaque car elle induit une décharge d’adrénaline. Le tabac et la caféine sont également générateurs de tachycardie. En cas d’altérations du rythme cardiaque, on peut implanter un pacemaker artificiel, appelé aussi stimulateur cardiaque.

La tension artérielle

Sous l'influence de la contraction cardiaque, le sang circule dans les artères sous une certaine pression, qui s'équilibre avec la tension de leurs parois distendues. Bien qu'elles représentent des forces de sens opposés, pression sanguine et tension artérielle recouvrent le même phénomène. La pression sanguine (ou la tension artérielle) est fonction à la fois de l'éjection cardiaque et des propriétés des artères et des capillaires. Chez le sujet normal, dans les grosses artères, où elle est habituellement mesurée, la pression artérielle maximale se situe entre 120 et 140 mm de mercure, et la minimale entre 70 et 90 mm de mercure. Les valeurs normales de la pression artérielle varient dans une très faible mesure en fonction du calibre de l'artère considérée. En revanche, la valeur maximale va s'abaisser fortement au niveau des plus petites artérioles pour avoir une valeur similaire en systole et en diastole d'environ 50 mm de mercure.

Le débit cardiaque

Le débit cardiaque est la quantité de sang expulsée en une minute par chaque ventricule dans la circulation systémique. On le mesure en montant une petite sonde dans l’artère pulmonaire.

Le contrôle de l’activité cardiaque

La régulation nerveuse de la circulation se fait essentiellement à deux niveaux : cardiaque et périphérique vasculaire. Outre le système nerveux, de nombreuses

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substances naturelles ont un rôle très important dans la régulation du système circulatoire.Régulation nerveuse : au niveau cardiaque, l'automatisme est créé dans les cellules du nœud sinusal situé dans l'oreillette droite. Celui-ci reçoit néanmoins des informations des centres nerveux qui commandent le cœur par deux groupes de nerfs à actions opposées : les fibres qui modèrent et celles qui accélèrent la fréquence cardiaque.Il existe aussi de nombreux arcs réflexes qui permettent de modifier l'automatisme cardiaque. Les actions des systèmes sympathique et parasympathique se font par l'intermédiaire des neuromédiateurs. Les principaux sont, pour le système parasympathique, l'acétylcholine, et pour le système sympathique, l'adrénaline et la noradrénaline. Ces substances produisent les mêmes effets que la stimulation, respectivement, du parasympathique ou du sympatique. Elles agissent sur les cellules par l'intermédiaire des récepteurs sur lesquels elles se fixent.Au niveau vasculaire, la motricité des vaisseaux (vasomotricité) peut se modifier rapidement en cas de perturbations, temporaires ou non, d'un point quelconque du circuit. Il existe là aussi deux systèmes : vasoconstricteur et vasodilatateur. Le premier dépend des centres nerveux du bulbe rachidien, mais aussi de centres répartis à tous les niveaux du système nerveux ; il correspond en gros au système sympathique. Bien que l'action de ce dernier soit essentiellement vasoconstrictrice, il n'a pas d'effet sur les vaisseaux cérébraux ; au contraire, il dilate les vaisseaux coronaires. Le système vasodilatateur a des centres dont la localisation est moins bien connue. Ses fibres passent à la fois dans les systèmes sympathique et parasympathique. Elles ont une origine bulbo-médullaire et se dirigent vers les organes dont l'activité est métabo-lique ou fonctionnelle. L'innervation artérielle peut être mise en jeu directement par stimulation des centres nerveux (par exemple, une élévation de la température qui provoque une vasodilatation), mais c'est surtout par un mécanisme réflexe indirect que la motricité est mise en jeu. L'origine du réflexe est dans les zones aortique et carotidienne. Toute variation de pression à ce niveau entraîne une réaction compensatrice en sens opposé : s'il se produit, par exemple, une hypotension, une vasoconstriction périphérique sera déclenchée pour augmenter la pression artérielle. Il existe aussi des récepteurs sensibles à la composition chimique du sang (chémorécepteurs) dans les zones aortique et carotidienne. Ces récepteurs sont sensibles aux variations de teneur en gaz carbonique et en oxygène.Régulation hormonale : parmi les facteurs chimiques, le plus important est l'adrénaline, laquelle est sécrétée par la glande médullosurrénale. Les facteurs qui, comme la douleur ou l'émotion, stimulent la sécrétion d'adrénaline provoquent une vasoconstriction indépendante de l'intervention des nerfs vasomoteurs. Il existe d'autres substances naturellement produites par l'organisme qui ont une action vasoconstrictrice, par exemple l'angiotensine.À l'inverse, certaines substances provoquent une vasodilatation. Il en est ainsi de l'acétylcholine, mais aussi de certaines substances qui miment l'action du système sympathique.Le système rénine-angiotensine est le deuxième grand système de régulation de la pression artérielle. Lorsque la pression artérielle diminue, des cellules à granules des reins sont excitées, ce qui provoque la libération d'une substance hormonale, la rénine. Cette hormone agit comme une enzyme pour fabriquer, à partir d'une protéine plasmatique, un peptide puissamment vasoconstricteur : l'angiotensine.À côté de la régulation nerveuse et des deux grands systèmes hormonaux de la pression artérielle (catécholamines et système rénine-angiotensine) existent

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d'autres systèmes de régulation. Les uns sont des mécanismes agissant de façon aiguë : c'est le cas de la bradykinine et des prostaglandines, qui sont vasodilatatrices, ou des substances sécrétées par l'endothélium. Il existe aussi des régulations à plus long terme qui modifient la volémie (volume liquidien circulant). Les principales sont l'hormone antidiurétique sécrétée par l'hypophyse postérieure, qui favorise la réabsorption de l'eau dans le tubule distal du rein, et l'aldostérone sécrétée par la corticosurrénale, qui augmente la réabsorption de sodium par le tube contourné distal et, de ce fait, retient l'eau, ce qui augmente le volume du compartiment liquidien extracellulaire. Régulations particulières : deux organes bénéficient d'une régulation spécifique, le cerveau et le cœur. Dans les deux cas, les facteurs nerveux jouent probablement un rôle peu important. Circulation cérébrale : le cerveau doit être irrigué en permanence : chez l'homme, 90 % de la circulation artérielle cérébrale est assurée par le système carotidien, qui possède des récepteurs sensibles à la pression. Toute chute de pression dans la carotide entraîne une stimulation immédiate de la vasoconstriction, afin que le débit cérébral ne s'abaisse pas.L'irrigation cérébrale échappe presque complètement au système vasomoteur précédemment décrit. La régulation est avant tout d'origine humorale. Le stimulus le plus efficace est la quantité de gaz carbonique dissous dans le sang artériel : toute augmentation de celle-ci entraîne une augmentation considérable du débit cérébral. Circulation coronaire : bien que ne représentant que 5 ‰ du poids corporel, le cœur a besoin à lui tout seul de 5 % du débit cardiaque, car sa consommation en oxygène représente 14 % de la consommation totale. Cet apport est assuré et par un débit cardiaque élevé, et par une extraction plus importante de l'oxygène des vaisseaux ; c'est ainsi que le sang veineux coronaire est celui qui a la plus faible teneur en oxygène de tout l'organisme. Une des particularités de la circulation coronaire est que les vaisseaux coronaires qui irriguent le cœur sont comprimés lors de la systole par la contraction ventriculaire, de telle sorte que la perfusion coronaire ne se fait qu'en diastole (à l'inverse des autres organes, dont la perfusion s'effectue au cours de la séquence systole-diastole). La régulation principale est assurée par la quantité d'oxygène délivré à la cellule : tout abaissement de la pression en oxygène du sang artériel entraînera une vasodilatation réflexe importante ; cet effet peut être direct ou nécessiter la médiation d'une substance, l'adénosine.

LE SYSTÈME RESPIRATOIRE

Comme celle de tous les Mammifères, la respiration de l'homme est dite aérienne car elle puise dans l'air ambiant l'oxygène nécessaire au métabolisme. L'oxygène est inspiré jusqu'aux poumons, puis il diffuse dans le sang pour être distribué à l'ensemble des cellules du corps.Chez l'homme, l'appareil respiratoire est constitué par des conduits spécialisés, qui canalisent l'air jusqu'aux poumons, organes en contact intime avec le sang.

Le métabolisme

Puisque l'oxygène est indispensable à l’activité chimique des cellules, c'est-à-dire au métabolisme, il est important de pouvoir en mesurer la consommation par unité

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de temps pour déterminer le taux métabolique global. Les substances brûlées par les besoins énergétiques du corps peuvent être des sucres, des graisses ou des protéines, mais dans tous les cas, à chaque litre d’oxygène consommé correspond la production d’une certaine quantité d’énergie. En médecine et en physiologie, on mesure souvent le métabolisme basal c’est-à-dire la quantité de chaleur, exprimée en calories, produite par le corps humain, par heure et par mètre carré de la surface du corps, au repos. Pour un homme adulte de 25 ans et de 70 kg, le métabolisme basal est de 1 700 kilocalories (1 kcalorie = 1 000 calories).

Les poumons

Les poumons occupent l'essentiel du volume thoracique, de la première côte jusqu'au diaphragme. Leur couleur naturelle est rose pâle, ornée de stries noires plus ou moins marquées selon l'âge de l'individu et la quantité d'impuretés inspirées. La plèvre, membrane séreuse composée de deux feuillets, enveloppe chaque poumon. Le feuillet viscéral adhère à la surface pulmonaire tandis que le feuillet pariétal est en contact avec la paroi thoracique. Le poumon droit est divisé en trois lobes (supérieur, moyen et inférieur) tandis que le gauche, plus petit, n'en comporte que deux (supérieur et inférieur). Chaque lobe est compartimenté en une dizaine de segments pulmonaires qui sont plus ou moins indépendants sur le plan fonctionnel, chacun étant associé à une bronche segmentaire. Bronches, vaisseaux sanguins, vaisseaux lymphatiques et nerfs pénètrent par le pédicule de chaque poumon.Dans les poumons, les bronches se ramifient comme les branches d'un arbre, les bronchioles aboutissant à l'unité fonctionnelle qu'est le sac alvéolaire. Celui-ci est formé d'alvéoles, lieu des échanges gazeux, reliées entre elles par un conduit alvéolaire. Le diamètre de chacune d'entre elles est compris entre 0,06 et 0,2 mm. On estime que le nombre d'alvéoles varie entre 200 millions et 750 millions pour les deux poumons, soit une surface d'échange totale de 55 à 200 m2. La face interne des alvéoles est recouverte de surfactant, sécrété par les pneumocytes. Ce liquide facilite, par sa composition chimique particulière, l'écoulement de l'air dans les alvéoles et les empêche de s'affaisser. Entre les alvéoles, un réseau de fibres élastiques associées à des fibres musculaires lisses permet une adaptation constante de la surface respiratoire en fonction des besoins en oxygène.Les mouvements respiratoires sont provoqués par les muscles dits respiratoires, sous contrôle de centres nerveux. La ventilation est le mécanisme par lequel l'air extérieur riche en oxygène (O2) est inspiré jusqu'aux poumons puis en ressort chargé de dioxyde de carbone (CO2). On distingue deux temps dans la ventilation : l'inspiration, qui fait pénétrer l'air à l'intérieur des poumons, et l'expiration, qui expulse l'air vers l'extérieur. Les poumons sont contenus dans la cage thoracique, limitée par la colonne vertébrale vers l'arrière, par les côtes latéralement, par les côtes et le sternum vers l'avant. Dans leur partie inférieure, les poumons reposent sur le diaphragme.Au cours d'une inspiration, le volume de la cage thoracique augmente dans toutes les directions. L'accroissement de volume vers l'avant résulte du soulèvement des côtes et du sternum, provoqué par la contraction des muscles intercostaux externes. En se soulevant, les côtes s'écartent également sur les côtés, ce qui entraîne une augmentation latérale du volume thoracique.L'accroissement de volume vers le bas est dû à la contraction du diaphragme. Ce muscle à forme convexe orientée vers le haut s'aplatit vers le bas en se contractant. Le centre du diaphragme peut ainsi s'abaisser de 2 cm au cours d'une

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inspiration normale, et jusqu'à 7 cm au cours d'une inspiration forcée. La colonne vertébrale est le seul élément du thorax qui demeure fixe au cours d'une inspiration.Les poumons restent solidaires des mouvements de la cage thoracique grâce à la plèvre. En effet, il règne entre les deux feuillets une pression négative qui les maintient proches l'un de l'autre.Enfin, il existe des muscles accessoires de la respiration tels que les scalènes et les sterno-cléido-mastoïdiens qui n'interviennent que pour des fréquences respiratoires importantes. D'autres muscles, comme les muscles postérieurs du cou, ceux des joues ou des ailes du nez, peuvent également intervenir pour faciliter l'écoulement de l'air dans les voies respiratoires. L'expiration peut être passive ou active. Chez un individu au repos, la ventilation est calme, et l'expiration se fait par simple relâchement des muscles respiratoires. La diminution de leur tonus entraîne la rétraction de la cage thoracique, qui, en compressant les poumons, les vide d'une partie de leur air. Le diaphragme, repoussé par la pression abdominale désormais supérieure à la pression thoracique, reprend sa forme initiale. En cas d'expiration active, les muscles intercostaux internes se contractent et, par leur action opposée à celle des intercostaux externes, commandent l'affaissement des côtes. Les muscles abdominaux sont également mis à contribution pour accélérer la remontée du diaphragme.

Les voies respiratoires

Ce sont successivement le nez et les fosses nasales ou la cavité buccale, le pharynx, le larynx, la trachée artère et les ramifications bronchiques. Le nez est formé par un assemblage d'os et de cartilages qui composent deux cavités symétriques séparées par une cloison, ou septum. L'intérieur de ces cavités est tapissé par des muqueuses permettant d'humidifier l'air, de le réchauffer et de le débarrasser des poussières. À l'entrée des narines, des poils, orientés vers l'extérieur, empêchent la pénétration de corps étrangers. Le nez est également l'organe de l'olfaction, car il abrite la muqueuse olfactive dans la partie supérieure de ses cavités.La cavité buccale est la deuxième entrée possible de l'air, bien que celle-ci ne soit généralement utilisée qu'en cas de besoins accrus en oxygène (pendant ou après un effort) ou d'une obstruction partielle des voies respiratoires. L'air ayant pénétré par le nez ou la bouche est dirigé vers le pharynx, conduit composé de trois segments. Dans la partie supérieure, faisant suite aux cavités nasales, se trouve le nasopharynx. La partie moyenne, ou oropharynx, continue la cavité orale pour former le carrefour des voies digestives et respiratoires. La portion inférieure, ou hypopharynx, se situe à hauteur du cartilage cricoïde. Elle est strictement digestive et se poursuit par l'œsophage.Le larynx, dit également organe vocal, se trouve dans la partie antérieure du cou. Il a la forme d’une pyramide triangulaire et est constitué de neuf cartilages mus par des muscles (voir paragraphe suivant).La trachée artère assure la continuité des voies respiratoires entre le larynx et les bronches. Située en avant de l'œsophage, elle a la forme d'un tuyau souple, long d'une douzaine de centimètres, pouvant s'étirer ou se courber suivant les divers mouvements de la tête. Sa structure est renforcée par un certain nombre de cartilages (entre quinze et vingt) en forme de U, et son diamètre peut être modifié par des muscles disposés dans sa paroi membraneuse. La trachée artère se

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termine par une bifurcation qui donne naissance aux deux bronches principales, celle de gauche étant plus verticale et plus longue que celle de droite. En pénétrant dans le hile pulmonaire, les bronches principales se divisent à leur tour en bronches lobaires, trois à droite et deux à gauche, qui se dirigent chacune vers un lobe pulmonaire. Les bronches lobaires donnent naissance aux bronches segmentaires, de diamètre plus petit, se divisant elles-mêmes en bronches de calibre de plus en plus fin. Les dernières ramifications sont les bronchioles respiratoires, dépourvues de cartilage, mais dont la paroi contient encore des muscles lisses capables de moduler leur diamètre. La surface interne des conduits trachéo-bronchiques est recouverte par un épithélium cilié sur lequel circule un mucus, produit par des cellules caliciformes et des glandes muqueuses, qui entraîne tous les débris et particules étrangères vers la région bucco-pharyngée.

Un organe pour la voix : le larynx

Le larynx, soutenu par l'os hyoïde, est formé de plusieurs cartilages (thyroïde, cricoïde, épiglottique et aryténoïdes). Divers muscles hyoïdiens mobilisent l'ensemble du larynx tandis que les muscles laryngés externes et internes positionnent les pièces laryngées les unes par rapport aux autres. Sur les parois internes du larynx on remarque quatre replis saillants, les cordes vocales, dont les éléments inférieurs sont les organes de production des sons.Il comporte deux plis de tissu contenant des ligaments élastiques fibreux, les cordes vocales. Quand nous parlons ou que nous chantons, nous créons un courant d’air depuis les poumons vers le haut qui fait vibrer les cordes vocales, de façon différente selon le son produit. Avec les notes aigües, par exemple, les cordes sont tendues et rapprochées. Les ondes sonores générées traversent le pharynx, la bouche et les cavités nasales, qui font office d’appareil de résonance. Les différences de voix entre les personnes dépendent des dimensions du larynx, qui au moment de la puberté s’accroît de façon différente chez les mâles et les femelles, donnant à ces dernières une voix plus haute et moins profonde.Outre sa fonction respiratoire et vocale, le larynx a un rôle protecteur des voies respiratoires inférieures grâce à l'épiglotte qui obstrue son entrée.

Un air plus propre

Dans les voies respiratoires inférieures, l’action d’épuration de l’air qui a commencé dans le nez continue. Alors que celui-ci retient les particules de poussière les plus importantes (d’un diamètre supérieur à 10 millièmes de millimètre), les poils très fins, ou cils, qui revêtent la trachée et les bronches, retiennent les particules plus petites (de 10 à 2 millièmes de millimètre), grâce au fait que ces cellules sont également revêtues d’un voile de mucus. Les cils se déplacent de façon coordonnée pour créer un mouvement qui entraîne les particules de poussière à la vitesse de 16 mm par minute, en les déplaçant vers le haut jusqu’au pharynx pour qu’elles soient dégluties. Les vaisseaux pulmonaires captent aussi les impuretés, qui auraient pu bloquer la circulation lors de leur passage dans des artérioles de faible diamètre. Une fraction des accidents vasculaires tels que l'obstruction d'une artère coronaire ou d'une artère cérébrale par un petit caillot sanguin peut ainsi être évitée.

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Échanges respiratoires

C'est au niveau des alvéoles et du réseau capillaire qui leur est associé qu'ont lieu les échanges gazeux. Ces derniers se conforment exactement aux lois physiques régissant la diffusion des gaz. La règle essentielle est qu'une substance diffuse toujours de la région où elle est le plus concentrée (zone où règne la pression partielle la plus élevée pour un gaz) vers la région où elle est le moins concentrée (zone de pression partielle la moins élevée). L'atmosphère est un mélange gazeux comprenant de l'azote (N2 = 79 %), de l'oxygène (O2 = 20,9 %), du gaz carbonique (CO2 = 0,04 %), de la vapeur d'eau (H2O) et quelques traces de gaz rares. Au niveau de la mer, la pression exercée par l'atmosphère est de 760 mm de mercure (Hg). La pression partielle de l'oxygène cor-respond à 20,9 % de la pression atmosphérique, soit 159 mm Hg. On trouve une pression partielle de 0,3 pour le dioxyde de carbone et de 600 pour l'azote.Au niveau des alvéoles pulmonaires, les pressions partielles de ces gaz sont différentes, les valeurs moyennes étant de 104 (O2), 40 (CO2), 569 (N2) et 47 (H2O) mm Hg. Dans le sang veineux (chargé en CO2 et appauvri en O2) qui arrive au contact des alvéoles, les pressions partielles sont de 40 (O2), 46 (CO2), 573 (N2) et 47 (H2O) mm Hg. Comme la paroi alvéolo-capillaire est très perméable aux gaz, le dioxyde de carbone diffuse librement du sang vers les poumons tandis que l'oxygène va des poumons vers le sang. Ainsi, à la sortie des poumons, les nouvelles pressions partielles dans le sang sont de 100 (O2), 40 (CO2), 573 (N2) et 47 (H2O) mm Hg. Le sang a été enrichi en oxygène et appauvri en dioxyde de carbone. Le phénomène de diffusion inverse se produit ensuite dans les tissus de l'organisme consommateurs d'oxygène et producteurs de gaz carbonique.

La régulation de la respiration

Les mouvements respiratoires sont sous la commande de centres nerveux qui se trouvent dans le bulbe rachidien, situé en haut de la moelle épinière. Ce centre respiratoire reçoit, par l'intermédiaire des fibres nerveuses du nerf vague (le dixième nerf crânien), des informations sensitives provenant des diverses régions de l'arbre bronchique. Le cerveau est ainsi renseigné sur le mouvement des alvéoles, et également sur des excitations (stimulation par un petit corps étranger, par exemple) auxquelles les bronches et les bronchioles sont soumises. Le centre respiratoire reçoit également des informations venant de récepteurs chimiques (chémorécep-teurs) sensibles à la teneur en oxygène et en dioxyde de carbone du sang, ainsi qu'à son acidité (pH, ou concentration en ions hydrogène H+). La détection d'une baisse du taux d'oxygène (hypoxie) ou d'une augmentation du taux de gaz carbonique (hypercapnie) entraînera rapidement une augmentation du rythme respiratoire.Le centre respiratoire est également un centre effecteur qui va commander et coordonner l'activité des muscles respiratoires, notamment par l'intermédiaire du nerf phrénique. Cette activité peut se dérouler de façon totalement automatique, comme au cours du sommeil, ou bien être le résultat d'une commande volontaire. Mais le centre respiratoire peut aussi intervenir sur le diamètre des alvéoles, des bronches, des bronchioles ou des vaisseaux sanguins et réguler la sécrétion du mucus. Certaines des fibres nerveuses impliquées dans la régulation de la respiration forment une structure complexe (le plexus pulmonaire) située au niveau de la scission de la trachée en bronches souches et du hile pulmonaire.

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LE SANG

Le sang est véhiculé par l'appareil circulatoire jusqu'aux tissus où il remplit des fonctions essentielles (voir aussi système cardio-vasculaire) ; en mouvement permanent, il représente l'élément de liaison entre tous les tissus. Le sang est une suspension de cellules dans un liquide complexe, le plasma ; ce dernier, constitué d'eau, de sels minéraux, de lipides, de protides et de glucides, communique avec la lymphe, liquide riche en protéines et qui est en contact direct avec les cellules.Dans le sang, on trouve, entre autres, les facteurs de la coagulation et des immunoglobulines. Le sang est un tissu quatre fois privilégié : par sa facilité de prélèvement ; par la présence d'éléments cellulaires et protéiques, qui ont permis de former le concept de pathologie moléculaire ; par la permanence de certains de ses caractères (les groupes sanguins, les hémoglobines, les enzymes) ; par son caractère de « miroir de l'écologie » (les infections, les intoxications, les modes de vie se reflètent dans le sang, voire l'altèrent).Les cellules du sang sont issues de cellules souches hématopoïétiques de la moelle osseuse. Elles appartiennent à trois catégories : les globules rouges (dénommés aussi hématies, ou érythrocytes), les globules blancs (ou leucocytes) et les plaquettes (ou thrombocytes).On identifie quatre fonctions majeures du sang. La première est le transport des gaz, qui assure les échanges entre les poumons et les tissus : le sang apporte l'oxygène nécessaire à leur fonctionnement et emporte le dioxyde de carbone, déchet du métabolisme tissulaire, afin qu'il soit éliminé ; en effet, nombreuses sont les substances - des nutriments, tel le glucose, aux électrolytes, en passant par les hormones et les déchets organiques - qui doivent être épurées et éliminées ; le sang joue également un rôle dans la thermorégulation.Le sang participe à la défense immunitaire de l'organisme, et il dispose de plusieurs mécanismes pour lutter contre le développement de micro-organismes (Bactéries, virus, parasites). Cette fonction, qui repose essentiellement sur les globules blancs, consiste en des réactions immunes spécifiques de l'antigène et des réactions non spécifiques.Sa fonction tampon permet au sang, en relation avec les poumons et les reins, de participer, grâce aux différents sels qu'il contient (tels les bicarbonates), au maintien de l'équilibre acido-basique du milieu intérieur. La fonction d'hémostase et de coagulation sanguine intervient pour arrêter tout saignement, qu'il soit interne ou externe : au cours d'une première étape, dite « hémostase primaire », entrent en jeu les plaquettes ; la seconde étape, la coagulation proprement dite, correspond à l'activation de nombreux facteurs plasmatiques solubles (appelés facteurs de la coagulation) aboutissant à la production de fibrine pour obtenir un caillot insoluble.

Le plasma

Fraction liquide du sang, de couleur citrine, le plasma est constitué d'eau (90 %) et de substances dissoutes (sels et molécules organiques) ; l'ensemble des protéines plasmatiques est quantitativement important (entre 50 et 75 g/l). Elles ont de très nombreux rôles biologiques : l'albumine intervient dans le transport de beaucoup de substances et dans le maintien de la pression intérieure des vaisseaux ; les immunoglobulines possèdent des fonctions d'anticorps ; les facteurs de la

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coagulation (particulièrement le fibrogène) interviennent dans l'hémostase ; enfin, les lipoprotéines sont responsables du transport des lipides.

Les globules rouges

L'hématie normale a la forme d'un disque biconcave (circulaire, si elle est disposée sur une lame de microscope), avec un diamètre de 7 à 8 microns. Cellule anucléée et dépourvue d'organites cellulaires, elle est constituée d'eau, d'ions (surtout potassium) et d'hémoglobine, protéine lui donnant sa couleur rouge. L'hématie est composée d'une membrane et d'un cytosol (milieu interne) qui contractent entre eux des interactions indispensables au maintien de l'intégrité fonctionnelle de l'hémoglobine, du métabolisme énergétique, de l'équilibre ionique et des fonctions membranaires. L'hématie se déforme facilement et peut ainsi traverser des vaisseaux, dont le diamètre maximal n'excède pas 1 micron.La membrane de l'hématie est faite d'une couche externe de mucopolysaccharides, contenant les substances des groupes sanguins, des lipides et des protéines membranaires, dont certaines, telles la spectrine et l'actine, font partie de son squelette.De nombreux facteurs nutritionnels interviennent dans la production et la fonction de l'hématie : vitamine B12 ; acide folique ; vitamines B6, C et E ; des minéraux tels que le fer, le cuivre et le zinc. Le taux normal de fer sérique se situe entre 13 et 32 µmol/l. Le fer est fixé sur une protéine porteuse, la sidérophiline (ou transferrine)  ; 60 % du fer de l'organisme sont incorporés dans l'hémoglobine. La transfusion de 1 l de globules rouges apporte 1 g de fer, pour des pertes physiologiques de 1 à 2 mg de fer par jour. Il existe, chez les polytransfusés par exemple, des situations pathologiques - appelées hémochromatoses - d'accumulation anormale de fer (de pigments ferrugineux) dans certains organes. L'absence d'un ou de plusieurs facteurs nutritionnels peut provoquer des modifications sanguines.Le globule rouge assure le transport des gaz respiratoires (oxygène et gaz carbonique) entre les poumons et les tissus. L'hémoglobine, protéine de transport de l'oxygène, joue un rôle fondamental dans la respiration. Chez l'homme au repos, 250 ml d'oxygène sont consommés et 200 ml de gaz carbonique sont produits chaque minute ; au cours d'un effort, ces valeurs sont multipliées par 10. L'hémoglobine permet le transport d'une quantité d'oxygène 100 fois supérieure à celle acheminée par le plasma seul.

Les globules blancs

Ces cellules incolores et nucléées sont plus grandes que les globules rouges (de 10 à 20 µm). Trois types de leucocytes sont identifiables, sur les frottis de sang normal, en fonction de divers caractères morphologiques, comme la forme du noyau ou la présence, après coloration, de granulations dans le cytoplasme : ainsi, les polynucléaires présentent un noyau segmenté en plusieurs lobes, et les mononucléaires (lymphocytes, monocytes) ont un noyau simple et arrondi. Le nombre des leucocytes varie de 4 à 10 x 109 par litre (ou 4 à 10 000 par microlitre). L'établissement de la formule leucocytaire sur un frottis permet de différencier trois catégories de leucocytes : les polynucléaires, ou granulocytes, les lymphocytes et les monocytes.Parmi les polynucléaires, on distingue les granulocytes neutrophiles, éosinophiles et basophiles. Les granulocytes neutrophiles, de 10 à 14 µm de diamètre, sont

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caractérisés par un noyau polylobé (de 2 à 5 lobes) et par la présence de granulations contenant diverses substances, dont des enzymes protéolytiques. Ils sont capables d'émettre des pseudopodes (prolongements cytoplasmiques) servant à leurs déplacements. Ils représentent 45 à 70 % des leucocytes, soit de 2 à 7 x 109 par litre. Les granulocytes neutrophiles constituent un élément essentiel du système immunitaire de l'organisme. Fabriqués dans la moelle osseuse, leur séjour dans le sang circulant est bref (de 6 à 18 h) ; ils s'y répartissent entre un pool intravasculaire circulant et un pool marginal accolé à l'endothélium. Ils gagnent ensuite les tissus, où se déroule leur action antixénique (contre les agents extérieurs). L'importance physiologique des granulocytes se mesure à la gravité des infections qui se développent chez les sujets atteints d'un déficit quantitatif ou qualitatif de ces cellules.Trois fonctions ont été individualisées : le chimiotactisme, qui permet au granulocyte de migrer en direction de sa proie ; la phagocytose, qui consiste en l'englobement de la proie dans une vacuole endocellulaire, avec la fusion entre les granules du polynucléaire et la vacuole ; la bactéricidie, qui représente la destruction de la proie au sein de la vacuole phagocytaire, grâce aux enzymes protéolytiques contenues dans les granulations.Les granulocytes éosinophiles contiennent un noyau généralement bilobé et de grosses granulations cytoplasmiques orangées. Ils représentent 1 à 5 % des leucocytes, soit 0,05 à 0,5 x 109 par litre. Ils agissent également au niveau des tissus, et possèdent deux types de fonctions : certaines similaires à celles des neutrophiles, d'autres plus spécifiques, comme leur responsabilité dans l'hypersensibilité immédiate et dans la destruction des parasites intracellulaires. L'absence de polynucléaires éosinophiles est compatible avec une vie normale.Les granulocytes basophiles, qui ont un noyau peu visible, contiennent de grosses granulations cytoplasmiques violacées, cachant le noyau. À l'hémogramme, ils représentent moins de 1 % des leucocytes, soit 0,04 x 109 par litre. Les granulocytes basophiles sont impliqués essentiellement dans les phénomènes d'hypersensibilité immédiate, fonction liée aux substances chimiques contenues dans leurs granulations : la dégranulation des basophiles, après intervention d'immunoglobulines E (IgE), se produit par l'intermédiaire de vésicules d'exocytose, et s'accompagne d'une libération d'histamine et autres amines vasopressives responsables de réactions anaphylactiques.La lignée lymphocytaire, polymorphe, comporte des cellules de taille différente, dont le diamètre peut varier de 10 à 20 µm. On distingue les petits (cellule ronde presque entièrement occupée par le noyau) et les grands lymphocytes, avec leur noyau excentré. Le cytoplasme, incolore, peut parfois contenir quelques granulations. Les lymphocytes, qui représentent 20 à 40 % des leucocytes (de 1,5 à 4 x 109 par litre), sont les cellules centrales de la « machinerie » immunitaire spécifique.Les monocytes et les macrophages sont de grandes cellules avec un noyau de forme variée (arrondie, réniforme) souvent excentré. Ils représentent 3 à 10 % des leucocytes, soit de 0,2 à 1 x 109 par litre. Les monocytes, mais surtout les macrophages, sont disséminés dans les tissus de l'organisme, où ils assurent un rôle de surveillance, de nettoyage des cellules mortes et d'élimination des particules étrangères. Les macrophages, qui participent à l'immunité spécifique et non spécifique, sécrètent une variété de protéines sériques et des cytokines, facteurs de régulation.

Les plaquettes et la coagulation

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Ce sont des cellules de petite taille (de 2 à 5 µm), anucléées et fabriquées dans la moelle osseuse. Leur vie, exclusivement sanguine, dure de 8 à 10 jours ; elles forment des amas sur les frottis sanguins prélevés sans anticoagulant. Leur numération normale varie de 150 à 400 x 109 par litre. Les plaquettes sont responsables du premier temps de l'hémostase : leur agrégation permet de colmater les petites brèches vasculaires. Elles jouent aussi un rôle dans la coagulation par l'intermédiaire des substances contenues dans leurs granulations. Des anomalies quantitatives (numération inférieure à 100 x 109 par litre) ou qualitatives (adhésion ou agrégabilité défectueuse) sont à l'origine d'hémorragies, souvent externes (ecchymoses, hémorragies des muqueuses), parfois internes - et alors de plus grande gravité.

Des os au sang

La moelle osseuse est un tissu gélatineux qui chez l’adulte est présent uniquement dans certains os, les os spongieux, par exemple dans le sternum. C’est la véritable « fabrique du sang », car elle contient des cellules qui se multiplient en permanence donnant lieu à trois « lignes de descendance » différentes, des globules rouges, des globules blancs et des plaquettes. Dans certains cas, cette production continue est régulée par des signaux hormonaux. Par exemple, quand le corps a besoin de plus de globules rouges, une plus grande quantité d’érythropoiétine est produite. Il s’agit d’une hormone qui stimule la moelle osseuse pour fournir plus de globules rouges.

Les groupes sanguins

Les groupes sanguins sont classés sur la base de la présence dans les globules rouges d’antigènes particuliers (voir système immunitaire). Les groupes les plus connus sont ceux du système AB0 et Rh (Rhésus), mais il en existe beaucoup d’autres. Les individus ayant sur la surface des globules rouges l’antigène A appartiennent au groupe A, ils possèdent alors des anticorps anti-antigène B. Ceux qui possèdent l’antigène B au groupe B ; de même, ils possèdent des anticorps anti-antigène A. La présence des deux antigènes détermine l’appartenance au troisième groupe sanguin, le groupe AB qui ne possède pas d’anticorps contre les antigènes A ou B, tandis que leur absence définit le groupe 0. Dans ce cas, au contraire, les individus possèdent des anticorps anti-anti-gène A et des anticorps anti-antigène B. La présence ou l’absence d’un autre facteur, l’antigène Rh, détermine deux autres groupes : le groupe Rh positif et le groupe Rh négatif. Une personne de groupe 0 Rh négatif est un donneur universel car elle n’a pas d’antigènes qui puissent déclencher des réactions d’incompatibilité qui se vérifient lorsqu’on transfuse, par exemple, du sang du groupe B à une personne de groupe A ou du sang du groupe 0 Rh positif à une personne A Rh négatif. Inversement, la personne ayant un groupe AB Rh positif est receveur universel, car il ne possède pas d’anticorps anti A ou anti B.

LA LYMPHE ET LE SYSTÈME LYMPHATIQUE

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La lymphe, dans laquelle circulent les lymphocytes, est dérivée du liquide interstitiel qui pénètre dans les vaisseaux lymphatiques. Sa composition, et en particulier sa concentration en protéines, est similaire à celle du liquide interstitiel issu de chaque tissu : la lymphe en provenance du foie contient jusqu'à 6 g/dl de protéines ; celle du thorax, de 3 à 5 g/dl. Le système lymphatique est l'une des voies majeures de l'absorption des nutriments, principalement des lipides, à partir du tractus gastro-intestinal : après un repas riche en graisses, la lymphe du canal thoracique peut contenir de 1 à 2 % de lipides.La lymphe est un véritable milieu intérieur pour les lymphocytes issus de la circulation sanguine, qui y empruntent leurs principes nutritifs. Plus riche en eau et en urée que le sang, elle possède moins de sels minéraux et de fibrinogène. Sa coagulation est plus lente : lorsque son caillot se rétracte, il libère une plus grande quantité de sérum. Des particules volumineuses comme les Bactéries peuvent pénétrer entre les cellules endothéliales des capillaires lymphatiques et être détruites au moment où la lymphe traverse les ganglions lymphatiques. Il circule approximativement 100 ml de lymphe par heure dans le canal thoracique d'un homme au repos (lors d'un exercice, ce flux peut être 10 à 30 fois supérieur). Le flux de la lymphe est cependant relativement faible en regard du volume total de liquide échangé entre le plasma et le tissu interstitiel. La vitesse du flux lymphatique est déterminée principalement par deux facteurs : la pression du liquide interstitiel et le degré d'activité de la pompe lymphatique. Des valves existent dans les canaux lymphatiques ; celles des grands canaux sont séparées de quelques millimètres. On observe des contractions intrinsèques des vaisseaux lymphatiques, et n'importe quel facteur externe (contraction des muscles, mouvement du corps, pulsation artérielle) qui comprime le vaisseau lymphatique peut être responsable d'un effet pompe. Le système lymphatique joue un rôle dans la concentration en protéines, le volume et la pression des liquides interstitiels. Les vaisseaux lymphatiques capillaires, dont une extrémité est en cul de sac, conduisent la lymphe depuis les espaces extravasculaires jusqu'au sang. Aux capillaires lymphatiques succèdent des vaisseaux de plus grand diamètre, qui aboutissent aux gros collecteurs : canal thoracique et canal lymphatique droit, qui se jettent dans les gros vaisseaux du cou. Ils présentent des valves dont le bord libre est dirigé dans le sens du courant et empêche le reflux.Les ganglions, reliés à la circulation lymphatique, reçoivent la lymphe par des vaisseaux qui pénètrent dans la capsule. La voie lymphatique efférente quitte le ganglion par le hile. L'organisation des sinus médullaires du ganglion constitue un système de filtration et d'échanges remarquablement efficace entre le parenchyme ganglionnaire et la lymphe.La rate fait partie aussi bien du système lymphatique que du système circulatoire. Elle produit des lymphocytes neufs et détruit les globules rouges usés, en récupérant le fer qu’ils contiennent. En outre, elle peut faire office de réservoir pour retenir de 1/5 à 1/3 de toutes les cellules du sang, et de cette façon elle peut réguler le nombre de celles qui circulent.On ne connaît pas de cancer de la rate. Selon certains chercheurs, cela s’explique par le fait qu’elle est très riche en cellules défensives.

LE SYSTÈME IMMUNITAIRE

Dans le milieu extérieur vivent des micro-organismes constitués, comme les tissus humains, de protéines, de lipides et de glucides. Pourtant, notre système immunitaire détruit les virus, les Bactéries, les parasites, et de façon générale

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toutes les cellules anormales et étrangères, ce qui suppose qu'il est capable de faire la différence entre le « soi » et le « non-soi » de l'organisme. Les immunologistes émettent diverses théories pour tenter d'expliquer le phénomène au niveau moléculaire. L'instauration, pendant les premières étapes de la vie, d'une tolérance au « soi » fait que le système immunitaire ne développe normalement pas de réactions contre nos propres constituants.Le système immunitaire est doué de mémoire : gardant le souvenir des substances étrangères qu'il a éliminées, il s'en défend plus rapidement et plus efficacement lors des rencontres suivantes ; c'est sur cette propriété que se fonde la vaccination.Le système immunitaire se dérègle parfois et devient incapable de distinguer les composants de l'organisme, le soi, des agresseurs, le non-soi ; des réactions auto-immunes se déclenchent alors. Mais il peut aussi fonctionner trop et réagir à la moindre particule extérieure, même si ce n'est pas un agent pathogène ; c'est le cas de l'allergie. Lorsque le système immunitaire ne fonctionne plus, l'organisme est dit « immunodéficient ». Dans le cas du sida (syndrome d'immunodéficience acquise), un virus attaque une catégorie particulière de globules blancs, ce qui entraîne un dysfonctionnement du système immunitaire et son incapacité à lutter contre les infections.Le système immunitaire fonctionne grâce à un ensemble de cellules hétérogènes dans leur forme, leurs fonctions, leur capacité à se multiplier et à se transformer, ainsi que dans la durée de leur vie : ce sont les globules blancs, ou leucocytes, qui naissent dans la moelle des os, puis circulent dans tout l'organisme, transportés par le sang et par la lymphe.Pendant la vie embryonnaire, les cellules de l'immunité naissent également dans le foie, la moelle et le foie fœtal contenant des cellules sans fonction, appelées cellules souches, et capables de se différencier en cellules immunitaires. Certaines cellules souches, précurseurs des lymphocytes T, quittent la moelle et forment, au cours des premières années de la vie, un organe bilobé situé à la base du cou, le thymus, où elles donnent donc naissance aux lymphocytes T. Les autres cellules souches sont à l'origine de cellules qui constituent les organes lymphoïdes et de cellules phagocytaires ou des lymphocytes B, dits aussi « nuls ». La moelle osseuse et le thymus sont des « organes lymphoïdes primaires », dans lesquels les cellules lymphoïdes acquièrent, à l'issue de modifications génétiques importantes, la capacité de reconnaître les substances étrangères.Les cellules de l'immunité sont réparties en plusieurs organes, qui ne sont pas nécessairement indispensables : l'ablation des amygdales ou de ganglions n'empêche pas un organisme de lutter contre les infections. Nous sommes protégés des infections malgré les multiples voies possibles de pénétration des virus ou des Bactéries, car même les muqueuses des voies respiratoires, intestinales et génitales contiennent des cellules organisées en un « tissu lymphoïde » diffus capable d'accomplir des réactions immunes. Par ailleurs, il existe, notamment dans la peau, des cellules spécialisées chargées d'amener l'élément étranger (antigène) au niveau des ganglions. Les amygdales, les ganglions, le tissu lymphoïde présent dans les muqueuses bronchiques, intestinales ou vaginales, les plaques de Peyer de l'intestin, la rate constituent les « organes lymphoïdes secondaires », où s'effectuent les réactions immunitaires ; ce sont les lieux de vie et de rencontre des différentes catégories de lymphocytes et des cellules phagocytaires venant des organes lymphoïdes primaires.Véhiculées par le sang à travers tous les tissus, les cellules de la lignée granuleuse - appelées ainsi car elles contiennent des granules visibles au microscope optique -, ou polymorphonucléaires, constituent la première base de défense contre les infections : les éosinophiles et les neutrophiles englobent puis tuent les micro-

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organismes grâce à leurs granules, véritables réservoirs d'enzymes capables de morceler et de digérer la paroi des Bactéries ; les basophiles jouent un rôle dans les défenses antiparasitaires et dans l'allergie.Les monocytes sont acheminés par le sang vers les tissus, où ils se différencient en des types cellulaires très variés, dont les macrophages. Ceux-ci éliminent par phagocytose, phénomène d'immunité naturelle qui consiste en l'ingestion des substances étrangères ou des cellules mortes, puis en leur destruction par l'action de substances très toxiques qu'ils libèrent. Outre ces fonctions primaires de défense, les cellules de la lignée monocytaire jouent un rôle clé dans le déclenchement des réactions immunes dites « spécifiques » : dans une première phase, appelée « présentation antigénique », elles permettent à l'antigène d'être digéré puis présenté sous forme « immunogène » aux lymphocytes, étape d'information qui aboutit à la production d'anticorps ou de cellules tueuses ; on regroupe parfois ces cellules sous le terme de « cellules présentatrices de l'antigène » (CPA).Cellules de l'immunité cellulaire, les lymphocytes T passent par le thymus avant de rejoindre les organes lymphoïdes secondaires. Pendant la vie embryonnaire et les premières années de la vie, le thymus contient beaucoup de cellules, alors que chez l'adulte le nombre de cellules souches le constituant est moins élevé et ne cesse de diminuer. Les lymphocytes T acquièrent, au contact des cellules présentatrices de l'antigène - qui sont dans le thymus -, la capacité de reconnaître les substances étrangères. Véhiculés par le sang jusqu'aux organes lymphoïdes secondaires, ces lymphocytes deviennent capables d'accomplir des fonctions plus complexes : les uns sont transformés en lymphocytes tueurs, ou cytotoxiques (Tc), les autres en régulateurs des réponses immunes. Ces derniers peuvent soit supprimer les réponses (Ts), soit les amplifier (Th, de l'anglais helper, « coopérant »).Les lymphocytes T matures, qui ont la capacité de reconnaître l'antigène, portent le type de récepteur approprié à celui-ci, ou TcR (de l'anglais T cell receptor, « récepteur des cellules T »), proche de la structure d'un anticorps. À ce récepteur est associée une molécule, appelée CD3, qui permet l'activation des cellules par l'antigène. Les différentes populations de lymphocytes T possèdent également des marqueurs spécifiques : les lymphocytes Th expriment des molécules T4, et les lymphocytes Tc et Ts des molécules T8, ce qui permet de les identifier à l'aide des anticorps monoclonaux correspondants. Dans le cas du sida, le taux de lymphocytes T4 - qui amplifient les réponses immunes - est critique, car le virus VIH en se liant préférentiellement aux molécules T4 les infecte.Cellules de l'immunité humorale (processus qui fait intervenir les anticorps), les lymphocytes B, fabriqués par la moelle chez l'adulte et par le foie chez l'embryon, atteignent directement les organes secondaires : au contact de l'antigène, certains y deviennent des plasmocytes sécréteurs d'anticorps, puis meurent ; d'autres, les lymphocytes B « à mémoire », en sortent par la voie lymphatique, rejoignant le sang et circulant à nouveau ainsi pendant plusieurs années. Chaque jour 1028 lymphocytes B environ sont fabriqués par la moelle osseuse d'un adulte ; ils représentent 5 à 15 % des lymphocytes sanguins et portent sur leur membrane des immunoglobulines jouant le rôle de récepteur pour l'antigène. Les lymphocytes « nuls » n'expriment pas de récepteur d'antigène, ils constituent cependant la troisième population de lymphocytes ; leur rôle est primordial dans les réactions contre les cancers. Certains, les lymphocytes « tueurs naturels » (ou NK, de l'anglais natural killers) sont capables de tuer des cellules tumorales. D'autres tuent des cellules recouvertes d'anticorps, comme les cellules infectées par un virus qui sont recouvertes d'anticorps antivirus.

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Pour qu'un système aussi complexe que le système immunitaire puisse fonctionner, il est indispensable que les cellules qui le constituent communiquent entre elles. Pour y parvenir, elles doivent se reconnaître et s'adresser des messages par l'intermédiaire de récepteurs. Les messages sont portés par des protéines de petite taille, appelées lymphokines lorsque ceux-ci sont produits par des lymphocytes, et plus généralement cytokines.Lorsqu'un antigène présent sur la membrane d'une Bactérie ou d'un virus pénètre dans l'organisme, il est capté par des cellules spécialisées, comme les monocytes et les macrophages, qui le présentent au système immunitaire. Il est ensuite fixé sur des molécules de membrane spécialisées appelées molécules du complexe majeur d'histocompatibilité (CMH). Un lymphocyte T, possédant un récepteur membranaire qui reconnaît l'association antigène-molécule du CMH, s'accole alors à la cellule présentatrice. Ce lymphocyte produit alors de l'interféron g (IFNg) ainsi que toute une série de lymphokines, ou interleukines (IL), qui amplifient les réactions de défense du système immunitaire, mais pas seulement : l'IL-1 - elles ont été numérotées, au fur et à mesure de leur découverte, interleukines 1, 2, 3, 4, 5, 6... - agit par exemple sur les cellules du système nerveux.Les lymphocytes B ont besoin, eux aussi, de signaux provenant de lymphocytes T pour se multiplier et développer la machinerie cellulaire aboutissant à la production d'anticorps. La première étape d'activation d'un lymphocyte B commence après l'interaction de l'antigène avec un récepteur spécifique à la membrane du lymphocyte. La seconde étape aboutit à la multiplication des lymphocytes B spécifiques de l'antigène ; cela se produit grâce à plusieurs lymphokines agissant successivement, notamment les interleukines 4 et 5. La différenciation finale des lymphocytes B en cellules productrices d'anticorps est sous le contrôle des interleukines 5 et 6. La multiplication des plasmocytes producteurs d'anticorps est rendue possible in vitro par la présence d'interleukine 6. Ces étapes illustrent un aspect majeur de l'action des cytokines, l'effet en cascade : les différentes cytokines interviennent l'une après l'autre au cours de la différenciation cellulaire.Il existe deux types de lymphocytes, les uns capables de détruire des cellules de l'organisme lorsqu'elles sont infectées par un virus ; les autres, lorsqu'elles sont devenues cancéreuses. Certains sont des lymphocytes T équipés d'un récepteur spécifique de l'antigène associé à des molécules du CMH. D'autres sont des lymphocytes NK, cellules tueuses naturelles qui détruisent des cellules cancéreuses à l'aide d'un système de reconnaissance encore inconnu. L'interleukine 2, dont la production est induite par l'antigène, influence la multiplication des lymphocytes tueurs (T ou NK) et leur activité de destruction ; elle est utilisée en immunothérapie.

LE SYSTÈME ENDOCRINIEN

Les glandes endocrines gèrent de nombreux phénomènes. Chargé, avec le système nerveux, de maintenir la stabilité du milieu intérieur, le système endocrinien - les glandes et les hormones - est en fait indispensable à la vie. En étroite collaboration avec les centres végétatifs du cerveau et le système nerveux, il contrôle la nutrition, le métabolisme, la croissance, le développement physique, la maturation psychique, la reproduction, l'adaptation à l'effort et l'équilibre du milieu intérieur. Chaque élément du système intervient par modification des quantités d'hormones déversées. Ces quantités sont le plus souvent régulées par rétroaction, la glande endocrine réglant directement son fonctionnement d'après la composition du milieu. Mais ce n'est pas toujours le cas : la libération d'adrénaline ou de

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noradrénaline par la médullosurrénale est déclenchée par une impulsion nerveuse, et notamment par les centres hypothalamiques ; en fait, il existe une véritable corrélation entre le système nerveux et le système endocrinien, qui peut être illustrée par l’exemple suivant : la succion du mamelon maternel, lors de la tétée, provoque des stimulations sensorielles qui s'acheminent vers les centres nerveux supérieurs via la moelle épinière. Ce message nerveux est transmis à l'hypothalamus qui libère une hormone peptidique, l'ocytocine, dans la circulation générale. Cette hormone atteint la glande mammaire, qui déclenche l'éjection de lait. Dans ce cas, le message hormonal émis par l'hypothalamus ne passe pas par une glande endocrine, mais va agir directement sur l'organe cible. Ce processus intégrant un réflexe nerveux et une sécrétion hormonale illustre la communication neurohormonale.Les hormones sont produites par des organes spécialisés, les glandes endocrines, dont certaines ont une liaison fonctionnelle très étroite entre elles. La production hormonale peut être stimulée par un phénomène physique ou chimique, par exemple par la variation d’une certaine substance dans le sang, ou par une autre hormone qui fait en pratique office de stimulateur. Tandis que les glandes exocrines, comme celles qui produisent la salive ou la sueur, versent leur produit à l’extérieur au moyen d’un tube d’évacuation, les glandes endocrines, elles, versent leurs hormones dans le sang. En comparaison avec d’autres parties du corps, les glandes endocrines ont une masse très petite : dans l’ensemble elles ne pèsent pas plus de 150 g.

L’hypophyse

L'hypophyse, située à la base du cerveau, entre en jeu dans le système endocrinien par l'intermédiaire de son lobe antérieur, l'adénohypophyse. Cette glande est en étroite relation avec le système nerveux central, plus particulièrement avec l'hypothalamus, qui lui transmet des « ordres » grâce aux messagers chimiques (hormones). Elle agit, également par voie hormonale, sur les glandes endocrines qui sont sous le contrôle du système nerveux central. L'hypophyse et l'hypothalamus sont les « chefs d'orchestre » de la sécrétion endocrine.L'hypophyse a la dimension d’un petit pois et est logée dans une fossette à la base du crâne, juste au-dessous du cerveau. Elle est divisée en un lobe antérieur formé de cellules épithéliales spécialisées, et un lobe postérieur, fait de tissu nerveux. Elle produit de très nombreuses hormones, certaines à effet direct, d’autres régulant l’activité d’autres glandes, chacune étant sécrétée par un sous-groupe de cellules hypophysaires. Les hormones régulatrices sont :1) l’hormone thyréotrope (ou TSH), qui stimule la thyroïde, une glande du cou, à produire de la thyroxine ;2) l’hormone folliculo-stimulante (ou FSH, en anglais : folliculo stimulating hormone), dont l’action déclenche la croissance des follicules ovariens dans l’ovaire et stimule la production d’œstrogènes ;3) l’hormone lutéotrope (ou LH, en anglais : luteinizing hormone), qui commande l’ovulation et augmente la quantité de progestérone ;4) l’hormone adrénocorticotrope (ou ACTH), régulatrice de l’activité de la surrénale, qui stimule la production de cortisone.Les hormones à effet direct, autrement dit qui agissent sans la médiation d’une autre hormone, sont :1) l’hormone de la croissance (ou GH), régulatrice de la croissance du corps. Elle agit sur l’allongement des os et sur le développement des muscles et des tissus ;

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2) l’ocytocine, qui commande la contraction de l’utérus pendant l’accouchement, l’expulsion du placenta et l’émission de lait de la mamelle ;3) la prolactine (PRL), dont dépend la production du lait ;4) la vasopressine, ou hormone antidiurétique (ADH), qui augmente la pression du sang et favorise l’absorption de l’eau au niveau rénal.Les effets surprenants de l’hormone de la croissance sont évidents de façon macroscopique quand l’hypophyse en produit trop ou pas assez. Dans le premier cas, le corps prend des dimensions bien supérieures à la norme au point que l’on parle de gigantisme, dans le deuxième cas, la croissance s’arrête bien au-dessous de la moyenne, et l’on parle de nanisme hypophysaire.

L’hypothalamus

L’activité de l’hypophyse est régulée par la zone du cerveau à activité sécrétrice située immédiatement au-dessus, l’hypothalamus, qui enregistre à son tour les variations de concentration des différentes hormones ou bien d’autres paramètres. En fait, deux hormones hypophysaires, l’ocytocine et la vasopressine, sont produites dans l’hypothalamus et le long des axones de certaines de ces cellules et sont transférées à l’intérieur de l’hypophyse qui les introduit dans le sang. Dans d’autres cas, l’hypothalamus produit des libérines (ou RH, initiales de l’anglais Releasing Hormone), c’est-à-dire des hormones qui couvrent le bref parcours hypothalamus-hypophyse pour stimuler la sécrétion de leur hormone par un sous-groupe de cellules. Dans le cas de la thyréolibérine (TRH), c’est la température du corps qui régule la sécrétion, tandis que pour les autres libérines, c’est la concentration des hormones hypophysaires dans le sang qui fait office d’élément régulateur.

La thyroïde

La thyroïde se trouve à la base du cou et produit deux hormones semblables, la thyroxine (ou tétraiodothyronine, ou T4) et la triiodothyronine (ou T3), outre une troisième hormone, la calcitonine.Les deux premières, notamment la thyroxine, revêtent une importance fondamentale dans le contrôle du métabolisme corporel et d’autres fonctions liées à ce dernier. Si la thyroïde produit peu de thyroxine (hypothyroïdie), la personne est « pauvre » en énergie, elle présente un abaissement de la température et de la tension artérielle et a tendance à grossir. Si par contre la production de thyroxine est excessive (hyperthyroïdie), c’est le contraire qui se produit. Les hormones thyroïdiennes contiennent de l’iode et, si l’alimentation fournit un apport insuffisant de cet élément, la thyroïde grossit car elle tente d’en compenser le manque en augmentant le tissu producteur.La calcitonine a un effet complètement différent, car elle agit sur l’os qu’elle stimule à former du nouveau tissu, et donc aussi à prélever dans le sang le calcium qui en est un constituant fondamental. L’hormone participe de cette façon au contrôle de la concentration du calcium dans le liquide corporel, avant tout dans le sang, et tend à l’abaisser.

Les parathyroïdes

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Derrière la thyroïde se trouvent quatre petites glandes, les parathyroïdes, qui produisent la parathormone (PTH). Cette substance a des effets opposés à ceux de la calcitonine produite par la thyroïde, car elle commande la résorption de l’os, en augmentant par conséquent la calcémie (la concentration de calcium dans le sang). En bref, la calcitonine a des effets hypocalcémiants tandis que la parathormone est hypercalcémiante. La découverte des parathyroïdes eut lieu dans des circonstances tragiques, quand des personnes opérées de l’ablation de la thyroïde manifestèrent des signes d’hypercalcémie. Les chirurgiens avaient enlevé par erreur les parathyroïdes adjacentes, dont on ignorait l’existence.

Le pancréas

Le pancréas est une glande qui possède deux modalités de fonctionnement. Il fait office de glande exocrine, car il produit les enzymes digestives qui sont introduits dans le tube digestif, mais il sert également de glande endocrine. À l’intérieur du pancréas sont présentes des zones délimitées, les îles de Langerhans, qui fabriquent deux hormones régulatrices de la concentration de glucose dans le sang, ou glycémie. L’une est l’insuline, qui tend à l’abaisser et permet aux cellules d’utiliser le glucose, l’autre est le glucagon, qui a pour effet de l’augmenter. Le métabolisme des sucres est régulé également par d’autres hormones, en particulier l’adrénaline et le cortisol, produites par les surrénales. Le glucose est le principal carburant des cellules, et le pancréas endocrinien joue donc un rôle clé dans le fonctionnement correct des cellules et de tout l’organisme. Une maladie assez commune, le diabète, est due à une production insuffisante d’insuline.

Les surrénales

Les glandes surrénales, situées de part et d'autre de la colonne vertébrale, coiffent le pôle supérieur des reins et se subdivisent en deux grandes parties : la corticosurrénale et la médullosurrénale. La première maintient l'équilibre hydrominéral de l'organisme par l'intermédiaire de deux types d'hormones, les minéralocorticoïdes (dont fait partie l'aldostérone) et les glucocorticoïdes (le cortisol notamment), et sécrète des androgènes qui ont une action sur les caractères sexuels secondaires. La seconde produit l'adrénaline (80 %) et la noradrénaline, hormones catécholamines qui jouent un rôle dans la défense de l'organisme lorsque celui-ci est dans un état critique (chocs émotionnels, colère, peur...). Par ailleurs, l'adrénaline stimule les sécrétions (salivaires, gastriques, sudorales) des glandes exocrines ; la noradrénaline a presque les mêmes effets sur l'organisme. Toutes deux déterminent une augmentation de la tension artérielle, mais elles le font de façon différente : la noradrénaline en commandant le rétrécissement (vasoconstriction) des capillaires périphériques, l’adrénaline en augmentant le débit cardiaque, une fonction sur laquelle la noradrénaline a un effet opposé : elle en commande la diminution. En ce qui concerne l’action sur les capillaires, l’adrénaline a un effet vasoconstricteur sur ceux de la peau, du tube digestif et du rein, tandis qu’elle induit la dilatation dans les vaisseaux qui irriguent le cœur (coronaires), le foie et les muscles. L’adrénaline agit également sur les bronches, dont elle détermine la dilatation. Les effets semblables des deux hormones sont l’augmentation de la glycémie, la stimulation du système nerveux (elles déterminent une sensation de colère) et la stimulation du métabolisme. L’entité de ces effets est naturellement fonction de la concentration des deux hormones dans le sang. Pour

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indiquer l’ensemble de ces effets, on a dit qu’ils « préparent le corps à une réaction de fuite ou d’attaque ».

Le testicule et l’ovaire

Bien qu’il ne s’agisse pas d’une fonction exclusive, l’ovaire et le testicule font eux aussi office de glandes endocrines car ils produisent des hormones sexuelles responsables des caractères sexuels secondaires (caractéristiques qui distinguent les deux sexes). Les glandes et les organes reproducteurs sont appelés caractères sexuels primaires.Dans le testicule, la fonction hormonale et celle consistant à produire des gamètes sont distinctes. La première est exercée par les cellules de Leydig, qui libèrent dans le sang des hormones ayant un effet masculinisant, et pour cette raison appelées androgènes. La plus importante est la testostérone qui chez l’homme, durant la phase de développement sexuel, contrôle la mue, la localisation caractéristique des poils sur le corps, l’apparition de la barbe et un fort développement des épaules et de la musculature. C’est en raison de cette dernière caractéristique que les autorités sportives interdisent aux athlètes l’utilisation des androgènes qui, en quantités excessives, induisent un développement exagéré des muscles.Chez la femme, la production des hormones sexuelles se fait dans l’ovaire, dans les follicules ovariens, où tous les 28 jours se forment une cellule œuf. Les hormones féminisantes sont les œstrogènes et, dans une moindre mesure, la progestérone. Elles contrôlent les changements qui se produisent dans le corps de la femme durant le cycle menstruel et l’apparition des caractères sexuels secondaires féminins, par exemple le développement des seins (voir système reproducteur).

LE SYSTÈME EXCRÉTEUR ET L’ÉQUILIBRE HYDROMINÉRAL

L'appareil urinaire, qui comprend les reins, la vessie et des conduits urinaires (uretères et urètre), assure au sein de l'organisme à la fois l'élimination des déchets du métabolisme azoté et la régulation de la teneur en eau et en électrolytes. Ces fonctions vitales font des reins des organes aussi essentiels que le cœur.Les reins - normalement au nombre de deux - sont des organes de couleur rouge foncé, situés dans la cavité abdominale. Ils ont la forme générale d'un haricot de 12 cm de long, en moyenne, pour 6 de large et 3 d'épaisseur. Leur poids varie entre 120 et 300 g, avec une moyenne de 150. Généralement, le rein droit, situé sous le foie, est placé plus bas que le gauche, lequel est localisé sous la rate. Ils sont positionnés de part et d'autre de la colonne vertébrale, en arrière de la cavité péritonéale, et leur axe longitudinal correspond à peu près à l'axe du corps. Leur pôle supérieur est, approximativement, à la hauteur de la douzième vertèbre dorsale, tandis que le pôle inférieur se place au niveau de la troisième vertèbre lombaire. Chez l'adulte, la surface des reins est parfaitement lisse, alors qu'une subdivision en lobes, analogue à celle rencontrée chez certaines espèces animales, est encore visible chez le nouveau-né.Chaque rein est entouré d'une capsule fibro-adipeuse, ou loge rénale, qui fixe et protège l'organe. Le lobe supérieur rénal est coiffé par une glande surrénale, dont la pointe est en contact avec le diaphragme. Ces glandes ne font pas partie du système urinaire, mais constituent un élément important du système hormonal.

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Les reins ne sont pas fixés de façon rigide dans la cavité abdominale et ne possèdent aucun ligament suspenseur. Cette relative mobilité offre une protection contre les chocs ou les vibrations. Au cours des mouvements respiratoires profonds, les reins peuvent ainsi se déplacer d'une demi-dizaine de centimètres dans le sens vertical, voire plus lors d'un mouvement tel qu'un saut ou un choc violent. Des mouvements de bascule ou de rotation sont également possibles.En coupe longitudinale, le rein montre deux zones distinctes : le cortex, en périphérie, et la médulla, les deux étant organisés autour d'un sinus central. Le cortex, d'une épaisseur de 1 cm, a une couleur brunâtre. La médulla, constituée de pyramides - en fait des faisceaux de tubes - dont les sommets pénètrent dans le sinus, a un aspect strié et une couleur rouge, foncé dans la partie externe et plus pâle dans sa partie interne.Chaque rein est alimenté en sang oxygéné par une artère rénale provenant du segment abdominal de l'artère aorte. La quantité de sang parvenant ainsi à ces organes représente près du tiers du débit de la grande circulation, soit à peu près 1,2 l/min. En général, l'artère rénale se scinde en deux ramifications juste avant d'entrer dans le rein au niveau du hile. Des divisions successives de ces vaisseaux, associées à une réduction de leur diamètre, vont finalement former un système d'irrigation particulièrement dense, notamment dans la zone corticale : les artères interlobaires pénètrent dans la médulla entre chacune des pyramides, et forment, après ramification, les artères arquées, situées entre la médulla et le cortex ; ces dernières se transforment ensuite en artères interlobulaires, ramifications ascendantes vers le cortex, lesquelles donnent naissance à leur tour aux artérioles afférentes terminées par des pelotons vasculaires, floculus servant à l'ultrafiltration du sang. Le sang est ensuite véhiculé par des vaisseaux efférents pour rejoindre un réseau capillaire et être drainé directement par les veines interlobulaires. Par ailleurs, les artères arquées et les artérioles efférentes se ramifient en artérioles droites qui descendent dans la médulla ; après passage dans un réseau capillaire, le sang est collecté par les veinules droites. Ces dernières rejoignent les veines interlobulaires au niveau des veines arquées, elles-mêmes réunies en veines interlobaires, lesquelles amènent le sang collecté jusqu'à la veine rénale ; ce dernier rejoint la circulation générale par la veine cave inférieure.

Le néphron

L'étude microscopique du rein montre une structure canaliculaire complexe composée de néphrons et de tubes collecteurs. Le néphron, composé d'un glomérule (ou corpuscule) de Malpighi et d'un tubule, est l'unité structurale et fonctionnelle du rein. On en compte entre 0,9 et 1,6 million par organe.Le glomérule de Malpighi a la forme générale d'une sphère de 150 à 250 µm de diamètre. Il renferme un floculus, qui comprend une trentaine de boucles capillaires. Le sang y pénètre par un vaisseau artériel afférent et en ressort par un vaisseau artériel efférent. Les capillaires sont entourés par des cellules conjonctives qui forment le mésangium. Ce dernier définit, avec la paroi du glomérule rénal (ou capsule de Bowman), un espace qui permet de recueillir l'urine primaire. Le glomérule a la fonction d'un filtre, dont la surface est de 0,2 m2.Surmontant le corpuscule rénal, on trouve l'appareil juxtaglomérulaire, qui intervient dans le contrôle de la pression artérielle. Il est composé par la macula densa, par un amas de cellules mésangiales et par le coussinet polaire, groupe de cellules musculaires lisses, de l'artériole afférente, ayant acquis une fonction sécrétrice endocrine.

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Le tubule urinifère est constitué de trois segments : le principal, ou tube proximal, est pelotonné au voisinage du corpuscule (partie « contournée »), puis il devient rectiligne en se dirigeant vers la médulla (pars recta) ; le segment de transition, dont les parties descendantes puis ascendantes forment l'anse de Henle ; le dernier segment, ou tube distal, remonte jusqu'à la partie pelotonnée du segment principal. Un segment d'union court permet ensuite une communication avec les canaux collecteurs (tubes collecteurs de Bellini), qui se réunissent en conduits papillaires de plus grand diamètre se terminant au sommet de la papille, ou pyramide rénale. L'urine, libérée par les papilles dans les calices, est collectée par le bassinet, qui se transforme en un tube unique, l'uretère.Pour maintenir un taux constant d'eau et de sels, en particulier, de sodium, chaque néphron remplit trois fonctions :1) Il filtre le sang grâce au passage passif d'un plasma privé des protéines les plus grosses, et convoie le produit de la filtration dans le tubule ;2) Par un mécanisme actif de transfert, il ajoute d'autres substances au liquide qui se forme et qui avance dans le tubule ;3) Enfin, il réabsorbe le sodium et la plus grande partie de l'eau filtrée.Dans des conditions de fonctionnement normales, les reins filtrent 125 ml de sang par minute, soit 180 l toutes les 24 heures. Mais puisque dans une journée on observe une production de 2 l d'urine, cela signifie que 99 % de l'eau filtrée est réabsorbée le long des conduits des néphrons et que la plupart des ions sodium sont réintroduits dans le sang.Ces passages d'eau et de sels sont rendus possibles par le fait qu'il existe un gradient de concentration dans les tissus rénaux, c'est-à-dire que la concentration du composé est plus importante à l'extérieur du tube qu'à l'intérieur. Ainsi, l'urine produite est beaucoup plus concentrée que le liquide qui parvient au néphron.

Le contrôle de la fonction rénale

Le fonctionnement des reins est régulé en permanence grâce à un mécanisme de compensation contrôlé par des capteurs du taux d'eau et de sels du sang présents dans l'hypothalamus. Ces capteurs régulent la production d'une hormone par l'hypophyse, l'hormone antidiurétique (ADH), qui a pour effet de diminuer la production d'urine. Si, par exemple, le sang comporte un excès d'eau après l'ingestion d'une grande quantité de liquide, la variation est enregistrée par les capteurs hypothalamiques et par ceux de la tension artérielle. Le message envoyé par l'hypothalamus fait diminuer la production de l'hormone antidiurétique et le résultat net est la libération d'une plus grande quantité d'urine diluée, plus riche en eau et plus pauvre en sels, qui ramène la pression aux valeurs précédentes. Après une forte suée, c'est le contraire qui a lieu. Deux autres hormones contrôlent la fonction rénale : l'aldostérone, produite par les glandes surrénales, qui commande l'absorption du sodium et de l'eau, et l'hormone natriurétique (ANF), produite par le cœur, qui a l'effet opposé.Les reins ont aussi pour fonctions l'élimination de la quantité excessive de potassium et la régulation de l'acidité du sang.

LE SYSTÈME REPRODUCTEUR

Le système reproducteur a pour fonction de donner naissance à de nouveaux individus par voie sexuée, c'est-à-dire à travers la fusion du patrimoine génétique

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des parents. La survie de l'espèce dépend de la possibilité de faire naître des enfants. L'activité reproductrice n’est pas uniquement dépendante de facteurs physiologiques mais aussi affectifs, psychologiques et sociaux. Les rapports sexuels, rendus possibles par le système reproducteur, permettent aussi de procurer du plaisir.

L'appareil reproducteur masculin

Les testicules, glandes qui fabriquent les spermatozoïdes, possèdent une fonction endocrine : ils sécrétent les hormones androgènes.La formation de cellules reproductrices ou spermatozoïdes (spermatogenèse) est une fonction exocrine. Le cycle spermatogénétique, primordial pour les processus reproducteur, dure 74 jours chez l'homme ; il se déroule dans les tubes séminifères : les spermatogonies (cellules souches en périphérie du tube) se transforment continuellement en spermatocytes I (phase d'accroissement), qui donnent par division des spermatocytes II, au stock chromosomique réduit de moitié - il existe à ce moment un risque d'apparition d'anomalies chromosomiques. Une seconde division produit les spermatides (cellules différenciées proches de la lumière des tubes), lesquels se transforment en spermatozoïdes ; ceux-ci sont formés d'une tête, d'une pièce intermédiaire et d'un flagelle, qui plus tard servira au déplacement.Les cellules de Sertoli et leurs ramifications étendues, également présentes dans la paroi des tubes, jouent un rôle particulièrement important dans le bon déroulement de la spermatogenèse : apport nourricier, maintien de la cohésion du tube, coordination, libération des spermatozoïdes et sécrétion d'un liquide qui facilite leur transport jusqu'à l'épididyme.Après leur libération dans la lumière des tubes séminifères, les spermatozoïdes achèvent leur maturation dans l'épididyme : immobiles et inféconds à leur arrivée, ils deviennent mobiles et capables de féconder un ovule ; ils sont de plus recouverts d'un enduit protéique qui leur permettra d'être acceptés par l'organisme de la femme. Les spermatozoïdes sont stockés, entre deux éjaculations, dans la queue de l'épididyme, qui peut en contenir des milliards. Ils sont propulsés, par la contraction des conduits génitaux lors d'un rapport sexuel, vers l'urètre, et se mêlent aux sécrétions des vésicules séminales et de la prostate pour former le sperme. Celui-ci est émis par saccades, lors de l'éjaculation, grâce aux contractions des muscles du périnée.Le testicule, par l'intermédiaire des cellules de Leydig, situées entre les tubes séminifères, fabrique 95 % des hormones androgènes de l'organisme, la principale étant la testostérone. Celle-ci est libérée dans le sang, où elle circule sous deux formes : l'une liée à des protéines vectrices (95 %), l'autre libre (testostérone biodisponible). Les autres androgènes proviennent de la surrénale (glande localisée au-dessus des reins).La régulation hormonale dépend du taux de testostérone (rétrocontrôle), par l'intermédiaire de l'hypothalamus, qui sécrète la LH-RH ; celle-ci stimule la libération par l'hypophyse de FSH-LH, dont la sécrétion stimule à son tour la libération de la testostérone testiculaire.La verge, ou pénis, est constituée d'une enveloppe contenant les corps caverneux et spongieux, qui entoure l'urètre et forme le gland. L'érection, pendant laquelle le pénis se comporte comme une « éponge active », comprend plusieurs phases : les fibres musculaires lisses du tissu érectile des corps caverneux se relâchent ; sous l'effet des stimulations, le débit artériel augmente (vasodilatation) et les corps

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caverneux se remplissent de sang (tumescence) ; quand ils sont pleins, la phase de rigidité est maintenue jusqu'à ce que le sang reparte par les veines (détumescence).

L'appareil reproducteur féminin

Les organes génitaux de la femme sont tous situés à l'intérieur de l'abdomen, à l'exception de la vulve, ou ouverture. Le vagin constitue l'organe d'accouplement, au fond duquel est situé le col de l'utérus ; celui-ci est la « porte d'entrée » vers l'utérus (ou matrice), qui est susceptible d'accueillir une grossesse. Il est formé à l'extérieur de fibres musculaires (le myomètre) recouvertes d'une muqueuse (l'endomètre), qui subit de nombreuses variations lors du cycle menstruel. Le fond de l'utérus se prolonge de chaque côté par les trompes de Fallope, à l'extrémité desquelles se trouve un ovaire. Les glandes sexuelles de la femme ont une double fonction : produire les cellules reproductrices et sécréter les deux hormones sexuelles.Chaque gamète est d'abord un ovocyte, contenu dans un follicule (support nourricier). Dès la vie embryonnaire, tous les ovocytes sont présents, mais la plupart dégénèrent (atrésie). Au 5e mois le fœtus en a produit 6 millions. À la naissance, il n'en reste que 2 millions, puis seulement 300 000 vers l'âge de 12 ans. De la puberté à la ménopause, un seul follicule mûrit chaque mois et, s'il est fécondé, peut donner lieu à une grossesse. La sécrétion, par le follicule, des hormones (œstrogènes et progestérone) suit les variations du cycle menstruel.

Le cycle menstruel

C'est la période qui s'écoule entre deux menstruations, ou règles. Caractérisé par les modifications d'un ovaire et de l'utérus, le cycle se divise en trois phases : la maturation folliculaire, qui débute au moment des règles et finit à la ponte ovulaire ; l'ovulation, qui se produit vers le 14e jour après le premier jour des règles ; la phase lutéinique, qui dure environ 14 jours, de l'ovulation au premier jour du cycle suivant.Lors de la première phase, l'ovocyte mûrit dans un follicule qui se remplit de liquide et qui bombe à la surface de l'ovaire ; juste avant l'ovulation, sa taille est de 20 mm. En principe un seul follicule, situé soit dans l'ovaire droit, soit dans le gauche, arrive à maturité (folliculogenèse) pendant un cycle. Cette phase est caractérisée par l'élévation du taux d'œstrogènes sécrétés.L'ovulation correspond à la rupture, grâce à l'action d'enzymes et de contractions ovariennes, du follicule mûr ; il expulse alors l'ovocyte, resté libre dans la cavité folliculaire pendant près de 40 heures. Cet ovocyte, entouré de cellules folliculaires qui assurent sa nutrition, est capté par le pavillon de la trompe de Fallope. Normalement immobile, il est acheminé, grâce aux parois ciliées de la trompe, jusque dans l'ampoule de celle-ci ; c'est là que se produit la rencontre avec les spermatozoïdes, s'il y a eu rapport sexuel. La date de l'ovulation est difficilement prévisible, car un cycle régulier de 28 jours est rare. Seule la durée de la deuxième phase du cycle (14 jours) est établie avec certitude.Au cours de la phase lutéinique, le follicule rompu se transforme en corps jaune : lorsqu'il se referme, après la ponte ovulaire, les vaisseaux sanguins le pénètrent et participent à la constitution d'un caillot sanguin, entouré de cellules devenues lutéales. La sécrétion d'œstrogènes diminue tandis que celle de la progestérone augmente, ce qui prépare l'utérus à la nidation (connexion de l'embryon à la paroi

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de l'utérus) : l'endomètre (muqueuse interne) se gonfle de sang, et les contractions qui ont lieu lors de la folliculogenèse cessent (on parle de « silence utérin »), ce qui permet à une grossesse éventuelle de se maintenir.Après l'ovulation, deux possibilités se présentent : si l'ovocyte a été fécondé par un spermatozoïde, la sécrétion de progestérone persiste et la grossesse débute. En l'absence de fécondation, les sécrétions hormonales s'atténuent, le corps jaune régresse et la muqueuse utérine revient à un état de repos ; sa couche superficielle se nécrose et se décolle, entraînant un saignement, l'hémorragie menstruelle, ou règles. L'écoulement, qui se produit pendant les quatre ou cinq premiers jours du cycle, est constitué pour les trois quarts de sang et pour un quart d'eau, plus précisément de caillots, de débris de la paroi utérine, de cellules vaginales, de Bactéries. La muqueuse se reconstitue ensuite sous l'action des œstrogènes.La durée du cycle, qui varie de 23 à 36 jours selon les femmes, peut être modifiée par un stress - dans certains cas, les règles disparaissent. Elle dépend de la durée de la première phase, et donc de la survenue de l'ovulation, qui peut être repérée en suivant les variations de la température corporelle au cours du cycle. La courbe, établie par la femme elle-même, est diphasique : au-dessous de 37 ºC durant la première phase du cycle et au-dessus pendant la deuxième ; elle augmente rapidement jusqu'à une valeur limite, conservée jusqu'aux règles suivantes.Cette augmentation est due à la progestérone, qui exerce une action hyperthermisante. Au moment des règles, la température chute, sauf en cas de grossesse : le maintien du plateau hyperthermique est un de ses premiers signes.Le cycle ovarien est régulé par l'ovaire lui-même, qui sécrète des hormones ; celles-ci contrôlent à la fois les étapes de la maturation du follicule à l'origine de la ponte ovulaire et l'atrophie des autres follicules (régulation paracrine). Chaque cellule ovarienne subit une régulation de sécrétion d'une substance par rapport à une autre (régulation autocrine).Le lobe antérieur de l'hypophyse située à la base du cerveau produit deux sortes d'hormones, appelées les gonadostimulines, ou hormones hypophysaires, qui stimulent la sécrétion des gonades : la FSH (follicle stimulating hormone), responsable de la croissance du follicule et de sa maturation ; la LH (luteinizing hormone), responsable de la rupture du follicule et du développement du corps jaune. Libérées dans les veines hypophysaires, elles vont jusqu'à l'ovaire commander directement la production d'hormones œstrogènes (l'œstradiol surtout) et de progestérone. Elles agissent en synergie, en particulier au milieu du cycle, quand leur quantification montre des valeurs maximales (pics d'une courbe), ce qui permet de dire qu'elles sont responsables de l'ovulation. Leur sécrétion est cyclique et autorégulée par le taux de sécrétion d'œstrogène et de progestérone ovarien.Les sécrétions de LH et de FSH sont stimulées et modulées par les hormones de l’hypothalamus, ou RH (releasing hormone). On distingue la LH-RH (luteinizing hormone-releasing hormone), spécifique de la LH ; la FSH-RH (follicle releasing hormone), spécifique de la FSH, et la GnRH (gonadotrophin releasing hormone), qui provoque la libération de la LH et de la FSH. L'hypothalamus est une région cérébrale minuscule, qui reçoit en permanence des informations du système nerveux central par l'intermédiaire de régulateurs chimiques (dopamine, prostaglandines, endorphines...). Leur mise en jeu explique que le stress, les perturbations psychologiques, les maladies psychiques et même certains médicaments (psychotropes) puissent influencer le cycle menstruel de la femme.La sécrétion des gonades est sous la dépendance de l'axe hypothalamo-hypophysaire. Toutes les structures nerveuses sont imprégnées par les hormones sexuelles qui circulent dans le sang. Celles-ci vont donc orienter non seulement le fonctionnement physiologique de l'hypothalamus, mais aussi le comportement

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sexuel. Dès la vie embryonnaire, les testicules commencent à sécréter de la testostérone, ce qui oriente l'évolution du sexe du fœtus en un appareil génital mâle, et non femelle. À partir de la naissance, d'autres facteurs, comme l'éducation, influencent également de façon importante le comportement sexuel humain. Tout l'organisme est sous la dépendance du système neurohormonal, le cerveau commandant les organes et leur fonctionnement et les hormones apportant des informations complémentaires.

Le développement embryonnaire

Pour qu’un embryon se développe, il faut qu’il y ait eu fécondation. Pendant un rapport sexuel classique, les millions de spermatozoïdes sont libérés dans le vagin de la femme. La remontée des spermatozoïdes dans les voies génitales féminines est très rapide : ils traversent le vagin en 4 à 5 min, et atteignent les trompes en 1 heure. La glaire cervicale élimine 99 % des spermatozoïdes, notamment ceux présentant une anomalie de forme ou de mobilité. Si le rapport sexuel a lieu au moment de l'ovulation, la rencontre de l'ovule et du spermatozoïde se produit dans la trompe. La centaine de spermatozoïdes qui franchit les obstacles cervicaux et tubaires entoure l'ovule, lequel est recouvert d'une épaisse couche de cellules nourricières. Les enzymes contenues par la tête des spermatozoïdes leur permettent de pénétrer cette barrière, mais un seul spermatozoïde s'introduit dans l'ovule.Dès l'entrée de la tête - le flagelle devenu inutile reste à l'extérieur -, une réaction chimique s'amorce, qui empêche la pénétration d'autres spermatozoïdes. Chaque cellule sexuelle, l'ovule ou le spermatozoïde, contient 23 chromosomes, dont la réunion constitue une cellule œuf à 46 chromosomes, soit 23 paires de chromosomes (2n = 46). L'œuf ainsi constitué commence la transformation qui aboutira à l'embryon: entre 25 et 35 heures après la pénétration du spermatozoïde, la première division cellulaire produit un embryon à deux cellules; les stades 4 et 8 cellules sont atteints 60 heures environ après la fécondation.L'œuf, tout en poursuivant ses divisions, entame sa migration vers la cavité utérine; sa descente est facilitée par les contractions tubaires et la présence de cils vibratiles sur la surface interne de la trompe. Il atteint la cavité utérine le 4e jour après la fécondation et se présente sous la forme d'une petite masse sphérique caractéristique, la morula, composée de 8 à 12 cellules. Son volume ayant peu augmenté, l'œuf est à peine plus gros que l'ovule non fécondé; il est libre dans la cavité utérine pendant deux jours. (C'est à ce stade morula que s'effectue la réimplantation d'un œuf dans l'utérus d'une femme bénéficiant d'une fécondation in vitro.) Au sein de cet amas de cellules, certaines se différencient tout en se regroupant: les unes, en périphérie pour former le trophoblaste (futur placenta), les autres pour élaborer le bourgeon embryonnaire. Il se crée alors au centre de l'œuf une cavité remplie de liquide, le cœlome extra-embryonnaire.Lorsque l'œuf arrive dans la cavité utérine, il pénètre la muqueuse, ou endomètre, qui tapisse l'utérus. Cette muqueuse a déjà été préparée à la nidation par l'action d'hormones, les œstrogènes et la progestérone. Ce processus de nidation est possible grâce au trophoblaste, dont les cellules érodent les vaisseaux maternels présents dans l'épaisseur de la muqueuse. Par la création de ce lien avec l'organisme maternel, l'œuf s'assure l'apport d'éléments indispensables à son développement. Le sang maternel n'est jamais mêlé au sang fœtal, le placenta servant de filtre aux différents nutriments et gaz (oxygène notamment).

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Au cours du premier trimestre de la grossesse, l'embryon se développe, met en place ses différents organes et se transforme en fœtus. Après trois semaines de vie intra-utérine, l'embryon est constitué de trois feuillets : l'ectoblaste, le mésoblaste et l'endoblaste. Chaque cellule composant ces feuillets est programmée pour s'intégrer à un organe donné à un moment précis ; la migration des cellules a pour effet de délimiter les différents organes. L'ectoblaste se différenciera en tissu nerveux : système nerveux central (cerveau et moelle épinière), nerfs et peau. Le mésoblaste donnera naissance au cœur, aux vaisseaux artériels et veineux, aux reins ainsi qu'aux muscles et aux os. L'endoblaste sera à l'origine des organes respiratoires et digestifs.La formation du système nerveux central, notamment de la moelle épinière, débute vers le 12e jour de vie intra-utérine. Ce tube neural (future colonne vertébrale) est ouvert dans la cavité amniotique. À une extrémité, le cerveau se met en place, avec formation d'une masse liquidienne visible par échographie, le ventricule cérébral unique.La circulation sanguine commence vers le 16e jour : les vaisseaux véhiculent des globules rouges synthétisés par une petite vésicule située près de l'embryon, la vésicule ombilicale. Le cœur commence à battre très tôt, vers le 23e jour ; il se développe en dehors du thorax, pour ensuite être intégré dans la cavité thoracique. Les vaisseaux reliant le placenta à l'embryon forment le pédicule embryonnaire, qui se constitue dès la troisième semaine. À 22 jours de vie intra-utérine, l'intestin primitif, dérivé de l'endoblaste, est constitué à l'extérieur de la cavité abdominale. La face s'esquisse vers le 25e jour : les lèvres s'unissent sur la ligne médiane (la fente labiale, ou bec-de-lièvre, est une anomalie se produisant tôt au cours de la grossesse). La peau, comprenant les glandes sébacées et les poils, se forme à partir de l'ectoblaste. L'origine embryonnaire commune de la peau et du système nerveux central explique la grande intrication fonctionnelle entre peau et innervation (sensibilité tactile). L'appareil urinaire, et notamment les reins, se forme à la même période, vers le 25e jour de vie intra-utérine.L'embryon devient un fœtus à partir du troisième mois ; il mesure environ 10 cm et pèse 45 g. L'embryogenèse, ou mise en place des différents tissus et organes, est terminée ; le jeune fœtus peut alors croître et rendre matures les fonctions de son organisme. Au terme de l'organogenèse se produit la différenciation sexuelle des organes génitaux internes et externes. Le liquide amniotique, milieu dans lequel baigne et se développe le fœtus, est produit par les membranes de l'œuf et du fœtus lui-même. Ce dernier avale ce liquide stérile - il en régurgite une partie -, puis l'élimine par sa vessie après que les reins l'ont filtré.Une petite partie du liquide amniotique absorbé par le fœtus est éliminée par le cordon ombilical, et rejoint la circulation maternelle. La totalité du liquide amniotique est renouvelée en trois heures.Le rôle du liquide amniotique est triple : il fonctionne comme un amortisseur contre les chocs (bruits ou traumatismes) ; antibactérien, en créant une atmosphère stérile autour du fœtus, il lui permet de se mouvoir, et évite les malpositions des membres que l'on peut observer en cas d'anamnios ; par ailleurs, en pénétrant dans le poumon fœtal, il contribue au bon développement des alvéoles pulmonaires.

La grossesse

Après la nidation de l'embryon, il se développe dans la paroi utérine un organe vasculaire, le placenta.

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Il est important que la paroi utérine demeure intacte et que l'utérus augmente de volume pour s'adapter aux exigences de l'embryon. Cela n'a lieu qu'en présence de quantités appropriées œstrogènes et de progestérone, hormones qui dans les trois premiers mois sont fournies par le corps jaune, et par la suite par le placenta. Pendant toute cette période, il est nécessaire que le mécanisme à rétroaction (voir cycle menstruel) soit détourné, car de grandes quantités d'hormones auraient pour effet d'interrompre la production de FSH et de LH, causant l'involution du corps jaune et la suspension de la production hormonale pour provoquer finalement une menstruation et l'interruption de la grossesse. Cela n'a pas lieu car, après l'implantation dans la paroi utérine, les cellules, qui par la suite, formeront le placenta produisent la gonadotrophine chorionique, une hormone ayant des effets analogues à ceux de LH, qui maintient en vie le corps jaune. Par la suite, le placenta produira des œstrogènes et de la progestérone de façon autonome.Pendant la grossesse, il est recommandé d'être suivie une fois par mois par un médecin ou par une sage-femme. Les consultations de début de grossesse servent à établir le diagnostic de gravidité, à s'assurer du bon départ de cette grossesse.Les différents examens réalisés au cours du deuxième trimestre ont pour but de dépister les complications obstétricales : contractions utérines fréquentes et douloureuses, anomalies de la croissance fœtale, hypertension artérielle maternelle.Lors des dernières consultations, faites au rythme d'une tous les 15 jours, le médecin surveille l'état maternel (prise de poids, tension artérielle...). La présentation fœtale est également vérifiée, le fœtus devant se placer, pour faciliter l'accouchement, la tête en bas au début du 9e mois.

Le placenta

Le trophoblaste, qui assurait au tout début de la grossesse la vascularisation de l'embryon, va progressivement se transformer en placenta, l'organe nourricier du fœtus. Il constitue en effet le lieu de passage de l'oxygène et des nutriments de la mère vers le fœtus bien qu'à aucun moment les deux circulations ne soient mélangées. Les échanges ont lieu dans la chambre intervilleuse. L'unité de fonctionnement du placenta est le cotylédon. Le sang maternel, par l'intermédiaire d'une membrane poreuse, le chorion, fournit l'oxygène et les aliments au fœtus. Le placenta se charge en retour d'évacuer les déchets produits par le fœtus.Le double rôle du placenta (nutrition et excrétion) est complété par une fonction de filtre très sélectif pour différentes protéines ou vitamines. Il retient également de nombreux virus ou des Bactéries, protégeant ainsi le fœtus de l'infection.

Amniocentèse et biopsie des villosités choriales

Dans le liquide amniotique (voir développement embryonnaire) se trouvent des cellules qui se sont détachées de la peau de l'embryon, qui peuvent être prélevées et analysées pendant la grossesse. L'examen, appelé amniocentèse, est effectué de la façon suivante. À l’aide d’une seringue, on aspire une petite quantité de liquide amniotique, puis on examine les chromosomes des cellules qu'il contient pour vérifier s'ils ne présentent pas de défauts. Dans le cas contraire, les parents peuvent décider d'interrompre la grossesse. La biopsie des villosités choriales a la même fonction. Elle peut être effectuée dès la 9e semaine de grossesse. Pour cet examen, le prélèvement a lieu au niveau du placenta.

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L'accouchement

Après 9 mois d'attente, le grand moment arrive, la naissance représentant le point culminant après une longue préparation physique et psychologique. La joie et l'impatience se mêlent à une certaine anxiété et à une incertitude concernant les propres réactions maternelles : Va-t-on supporter la douleur ? Sera-t-on à la hauteur de l'événement qui va se dérouler ?...Le mécanisme exact du déclenchement du travail est encore inconnu dans l'espèce humaine, mais plusieurs hypothèses sont évoquées : les prostaglandines, hormones sécrétées par les membranes de l'œuf, ainsi que la progestérone joueraient un rôle d'une importance déterminante dans la mise en route du travail. L'ocytocine, hormone d'origine hypophysaire (cérébrale), n'intervient pas directement dans le déclenchement des contractions utérines, mais entretient et renforce leur intensité. Les contractions « utiles » - différentes des contractions qui peuvent survenir plusieurs mois avant l'accouchement et qui sont sans incidence - ont pour rôle de modifier le col utérin, de le dilater et d'assurer l'expulsion fœtale. L'utérus, organe musculaire creux, est composé de fibres disposées dans des directions contraires. La contraction s'exerce sur toutes les fibres musculaires qui composent la paroi utérine. Cette distribution est parfaite pour produire le maximum de poussée au moment des efforts d'expulsion.

LE SYSTÈME NERVEUX

Les informations issues du monde extérieur, comme du milieu intérieur, sont analysées par le système nerveux pour donner naissance à la perception, à la mémoire, et, dans certains cas, induire un comportement moteur, voire une pensée. Ces différentes fonctions du système nerveux résultent de l'activité des cellules nerveuses qui le composent. Il s'agit bien sûr en premier lieu des neurones et de leurs interactions, mais également des relations entre les neurones et les cellules gliales (voir aussi psychobiologie).

La réception des stimuli

Les signaux provenant du milieu extérieur, les stimuli, sont identifiés par des cellules spécialisées, les récepteurs, qui dans de nombreux cas sont regroupés dans des organes des sens plus ou moins complexes. Chaque récepteur est spécialisé pour capter une forme particulière d'énergie, l'énergie lumineuse dans le cas des yeux, l'énergie chimique dans le cas des récepteurs de l'odorat et du goût, ou encore l'énergie thermique ou mécanique. Quand le récepteur ou l'organe des sens est stimulé, il envoie des signaux au système nerveux et au cerveau en particulier, qui décide au cas par cas s’il doit y répondre. Le cas échéant, il envoie des messages à un organe effecteur-exécuteur qui est en règle générale un muscle.

Les cellules nerveuses

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Le système nerveux est très complexe : ses quelque cent milliards de cellules (1011, à un facteur de 10 près) peuvent être classées en plus de 1 000 catégories, chacune comprenant plusieurs sous-classes selon des critères incluant leur taille, leurs arborisations, les contacts afférents ou efférents. Cette apparente complexité masque en fait une grande similitude fonctionnelle, la particularité de chaque cellule reposant principalement sur sa position dans un circuit donné.On peut dès lors essayer de mieux comprendre le système nerveux à partir de propriétés simples des cellules qui le composent : les mécanismes qui donnent naissance aux potentiels d'action neuronaux, les modes de transmission synaptique, les interactions fondamentales entre neurones et cellules gliales.

Les neurones

Le neurone est l'unité fonctionnelle du système nerveux. Sa configuration cellulaire spécifique le rend capable de générer, de transmettre et/ou de recevoir des informations sous forme de signaux électriques (influx nerveux).Les neurones sont entourés d'autres cellules : les cellules gliales (du grec gloios, « glu ») - elles ont longtemps été considérées comme de simples éléments de remplissage entre les neurones. On compte environ dix fois plus de cellules gliales que de neurones, et il est clair aujourd'hui que leurs fonctions, essentielles à l'activité neuronale, sont multiples.Le neurone est constitué de quatre grandes régions : le corps cellulaire, ou soma, les dendrites, les axones et les terminaisons présynaptiques. Chacune de ces différentes régions joue un rôle bien défini dans l'initiation et le transport de l'information. Le soma, qui contient le noyau du neurone, en est le centre métabolique, car il comprend aussi toute la machinerie de synthèse de ses différents constituants. Du corps cellulaire partent deux sortes de prolongements, les dendrites et l'axone. Les dendrites, qui se ramifient au point de former un arbre touffu autour du corps cellulaire (arbre dendritique), sont les voies par lesquelles l'information arrive. Elles sont le siège d'une activité métabolique intense et d'une synthèse protéique active : la microscopie électronique permet d'y distinguer des mitochondries en abondance, ainsi qu'un réticulum endoplasmique rugueux, porteur de nombreux ribosomes.L'axone, prolongement au diamètre constant (de 0,2 à 20 µm), peut atteindre 1 m de longueur. Il est la voie privilégiée de sortie de l'information, et, contrairement aux dendrites, l'activité métabolique y est peu importante. L'axone transporte en revanche les macromolécules stockées dans des vésicules, ou organelles, au sein du corps cellulaire. Dans certains cas, ce transport permet une maturation de la molécule, importante pour sa fonction.Près de sa terminaison, l'axone se divise en fines ramifications, les terminaisons présynaptiques. Ces dernières sont le site de stockage des neurotransmetteurs, qui vont permettre le transfert de l'information aux dendrites du neurone postsynaptique.

La transmission de l’impulsion

L'une des propriétés essentielles du neurone est sa capacité à produire, puis à acheminer loin du corps cellulaire, une information sous la forme d'un groupe d'impulsions électriques, les potentiels d'action. Décrite dès 1849 par le biologiste allemand Emil Du Bois-Reymond, cette aptitude résulte des propriétés de la

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membrane cellulaire du neurone et des protéines qu'elle contient. Les protéines membranaires des cellules de l'organisme peuvent être regroupées en cinq grandes familles : les pompes, les canaux, les récepteurs, les enzymes et les protéines de structure. Les pompes utilisent l'énergie produite à partir de la dégradation des sucres pour déplacer activement des ions et d'autres molécules contre leur gradient de concentration (un gradient est créé de fait par les différences de concentration d'une substance de part et d'autre d'une membrane ; celle-ci peut être traversée passivement - sans nécessiter de pompes - par les ions, du milieu le plus concentré vers le moins concentré, c'est-à-dire dans le sens du gradient). La composition ionique du milieu intracellulaire est différente de celle du milieu extracellulaire, et ce pour toutes les cellules de l'organisme. À l'intérieur d'un neurone, il y a dix fois plus de potassium et dix fois moins de sodium qu'à l'extérieur.La pompe Na-K-ATPase échange trois ions sodium de l'intérieur contre deux ions potassium de l'extérieur. Ces échanges ioniques induisent une différence de potentiel au niveau de la membrane ; celle-ci a un potentiel d'environ 60 mV. Comme le milieu intérieur, concentré en protéines chargées négativement, est négatif, et que le milieu extracellulaire, choisi comme référence, est à zéro, le potentiel de repos d'un neurone se situe à - 60 mV. Cette valeur est prise comme base à partir de laquelle les variations traduisent l'apparition d'une information. Toute augmentation (en valeur absolue) du potentiel transmembranaire (de - 60 à - 70 mV, par exemple) est une hyperpolarisation ; inversement, une diminution de potentiel (de - 60 à - 50 mV, par exemple) est une dépolarisation. L'hyperpolarisation éloigne du seuil d'apparition d'un potentiel d'action, tandis que la dépolarisation est l'étape initiale pouvant donner naissance, si elle est suffisamment intense, à la « décharge » du neurone : le potentiel d'action. Lorsqu'un signal atteint le neurone, il en résulte une hyperpolarisation ou une dépolarisation. Dans le premier cas, on parle de signal inhibiteur, tandis qu'il est excitateur dans le second. Le stimulus peut être de toute nature : lumière, bruit, odeur, étirement musculaire, molécule chimique libérée par un autre neurone, etc. Il en résulte une perturbation du potentiel de repos de faible amplitude (moins de 10 mV), locale et graduée : locale, car la résistance passive de la membrane limite la diffusion de la perturbation ; et graduée, car le changement de potentiel est proportionnel à l'intensité de la stimulation ; on parle de potentiel de récepteur et/ou de potentiel synaptique.L'ensemble des potentiels qui atteignent un même neurone est intégré au niveau d'une zone spécialisée de la membrane, appelée trigger zone, ou zone gâchette. C'est là que la sommation des hyper-et/ou des dépolarisations élémentaires se transforme ou non en un potentiel d'action.Le potentiel d'action est une dépolarisation ample (jusqu'à 110 mV), brève (1/1 000 s), générée selon la loi du « tout ou rien », et propagée activement le long du neurone et de l'axone sans diminution d'amplitude.À partir de la trigger zone, le potentiel d'action avance vers l'extrémité de l'axone à grande vitesse. Toutefois, en raison des pertes dues aux résistances de membrane, ce potentiel doit être régénéré de façon active tout au long de son parcours.La synapse est la zone spécialisée qui fait la jonction entre deux neurones. La plupart des synapses utilisent un neurotransmetteur, molécule chimique accumulée dans la terminaison présynaptique, et libérée, lors de l'arrivée du potentiel d'action, de façon discrète, sous forme de paquets de molécules, ou quanta. La dépolarisation de la terminaison entraîne un influx massif de calcium par l'ouverture de canaux sensibles au voltage et perméables à cet ion. L'augmentation de la

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concentration en calcium de la terminaison induit à son tour une cascade de réactions, notamment de multiples phosphorylations de protéines, dont le résultat est la libération d'une quantité donnée de neurotransmetteur. Ce médiateur traverse l'espace synaptique pour se lier à des récepteurs spécifiques situés sur le neurone postsynaptique. La liaison du neurotransmetteur à son récepteur induit une hyper- ou une dépolarisation de l'élément postsynaptique ; il peut en résulter la genèse d'un potentiel d'action au niveau des dendrites qui portent le récepteur. La transmission de l'information est orientée de l'élément pré- vers l'élément postsynaptique. On connaît actuellement près d'une centaine de molécules chimiques ayant un rôle de neurotransmetteur : des plus petites, les monoamines (dopamine, adrénaline, sérotonine), jusqu'aux protéines de plusieurs dizaines d'acides aminés ; toutes ne sont pas présentes au sein d'une même synapse. Mais les travaux réalisés depuis les années 80 ont montré la possibilité d'une « co-localisation » de plusieurs neurotransmetteurs dans une même terminaison, ce qui est sans doute à l'origine d'une grande finesse de nuances dans les processus de communication cellulaire.Les synapses électriques sont généralement rassemblées en des zones permettant de coordonner de façon rythmique l'activité d'un groupe de neurones. Une jonction serrée de type gap met en communication le cytoplasme de deux neurones. Dans ce cas, la communication peut, en principe, se faire dans les deux sens.

Système nerveux central et périphérique

Le système nerveux comprend deux grandes parties : le système nerveux central (cerveau et moelle épinière) et le système nerveux périphérique (ganglions rachidiens et nerfs périphériques). Il existe une continuité fonctionnelle entre ces deux compartiments.Les six grandes divisions qui constituent le système nerveux central correspondent à des segments distincts du tube neural au cours du développement. Ce sont le cortex, le thalamus, l’hypothalamus, le cervelet, le tronc cérébral et la moelle épinière.Autour du système nerveux central se trouvent des gaines de revêtement protectrices, les méninges, entre lesquelles est interposé un liquide, le liquide céphalo-rachidien, qui sert à atténuer d’éventuels traumatismes et à transporter des substances d’une zone à l’autre. Le transfert de l’information et des signaux nerveux du système nerveux central à la périphérie et de celle-ci aux premières, est assuré par les nerfs périphériques, formés d’un faisceau de fibres nerveuses rangées les unes contre les autres et revêtues d’une gaine isolante, la gaine myélinique.

Système nerveux autonome

On distingue un système nerveux autonome et un système nerveux somatique. Ce dernier est constitué des neurones sensitifs des racines dorsales de la moelle et des ganglions crâniens, qui innervent la peau, les muscles et les articulations. Les neurones de ces ganglions fournissent les informations sensitives et sensorielles sur notre environnement et sur la position de nos muscles et de nos articulations. Très différent, le système autonome assure le contrôle moteur des viscères, de la musculature lisse, en particulier des vaisseaux sanguins, et des glandes exocrines. Trois parties, à la fois fonctionnelles et anatomiques, sont reconnues : le système

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nerveux sympathique, principalement impliqué dans les réponses de l'organisme au stress ; le système parasympathique, qui agit de façon à conserver les ressources de l'organisme et à maintenir l'homéostasie (équilibre du milieu interne) ; enfin, le système entérique, qui contrôle la musculature lisse des intestins.

Réponses simples : les réflexes

Un réflexe est une réponse spécifique et stéréotypée à un stimulus donné. Le plus simple ne nécessite que deux neurones, l'un afférent et l'autre efférent : on parle de réflexe monosynaptique, comme l'étirement de la jambe en réponse à la frappe du tendon du quadriceps sous la rotule. Plus souvent, les réflexes mettent en jeu plusieurs neurones, on les appelle alors polysynaptiques.Le réflexe d'étirement, ou myotatique, est l'exemple même du circuit nerveux le plus simple, et il sous-tend notre tonus musculaire. Au sein de chaque muscle existent des fuseaux sensibles à l'étirement qui sont en fait des fibres musculaires modifiées. Ces fuseaux reçoivent une innervation motrice qui détermine à chaque instant un état de référence du degré d'étirement ou de contraction du muscle. À partir de cet état, tout étirement dû à une cause extérieure, par exemple à la percussion du tendon rotulien par le marteau à réflexe d'un médecin, provoque une bouffée de potentiel d'action au sein des terminaisons sensitives qui entourent le fuseau. L'information est ensuite véhiculée le long des prolongements axoniques de neurones sensitifs, dont le corps cellulaire est situé dans les ganglions postérieurs (fibres de type Ia). Puis elle est transmise à l'autre extrémité aux motoneurones  responsables de la contraction du muscle. Ainsi, une contraction sera induite pour rétablir le niveau de référence. Ces fibres sont myélinisées, d'où la rapidité de la réponse.Parallèlement existe une projection sur des interneurones inhibiteurs qui maintiennent au repos les muscles antagonistes correspondants. Le premier réflexe, monosynaptique, est en synergie avec le second, polysynaptique. Ce mécanisme nous permet à chaque instant de tenir notre posture en luttant contre la gravité. La perte de la modulation du degré d'étirement, par exemple après une lésion de la moelle épinière, libère de façon permanente le réflexe d'étirement et explique la spasticité qui en résulte.

Réponses complexes

Les grandes fonctions du système nerveux s'organisent en circuits qui acheminent l'information, de la périphérie vers le cortex cérébral, et l'ordre moteur, du cortex vers les muscles. Selon le circuit spécialisé concerné, la myélinisation des fibres et le nombre de synapses à franchir rendent compte des vitesses d'acquisition et de réponse. De plus, certains relais, comme le thalamus, semblent posséder des rythmes spontanés propres, sortes de pacemakers déterminant un degré d'activité permanent sur lequel le signal spécifique va, ou non, inscrire sa singularité. Enfin, un signal n'a de sens qu'en fonction du contexte dans lequel il est perçu. Le rugissement d'un tigre ne provoque pas la même réponse motrice selon qu'il est entendu par une personne qui visite un zoo ou par une autre égarée dans la jungle. On voit, ici encore, que dans le système nerveux les perceptions (sens, proprioception, douleur, état du milieu intérieur), comme les réponses motrices, ne peuvent s'envisager sans la participation de notre cerveau émotif (système limbique) et de notre mémoire.

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Le cerveau

La partie la plus développée du système nerveux central des Mammifères, et plus particulièrement chez l'homme, est le cortex cérébral. Il existe à ce niveau des régions directement impliquées dans la réception de l'information ou dans l'élaboration de la commande motrice. On parle alors de cortex primaire : moteur au niveau du lobe frontal, sensitif pour le lobe pariétal, visuel pour l'occipital, auditif pour le temporal. Mais la majeure partie du cortex est dévolue à des tâches associatives, qui mettent en relation plusieurs aires corticales et qui permettent, au-delà de la sensation, la perception, puis la comparaison avec des traces mnésiques, l'émotion, puis finalement l'élaboration de comportements complexes impliquant des processus d'idéation.Sous-jacents au cortex, plus internes mais fonctionnellement liés, on trouve les ganglions de la base, ou noyaux gris centraux, et le système limbique. Les ganglions de la base (noyau caudé, putamen, globus pallidus, noyau sous-thalamique) sont principalement impliqués dans le contrôle moteur ; leur atteinte provoque selon les cas l'absence de mouvement, comme l'akinésie-rigidité de certains syndromes parkinsoniens, ou des mouvements anormaux involontaires, du tremblement à la chorée. Le système limbique, aboutissement de multiples voies issues de différentes régions cérébrales, est principalement représenté par l'hippocampe, l'amygdale et le septum. Il est en relation directe avec l'hypothalamus et se trouve ainsi au carrefour des souvenirs, des émotions et du contrôle des systèmes végétatif (rythme cardiaque, respiratoire, ouverture des pupilles) et hormonal.

Le thalamus et l’hypothalamus

Dans le cerveau, on distingue une région centrale, le diencéphale, organisée autour du thalamus et de l'hypothalamus. Le thalamus est un relais obligé de toutes les afférences sensorielles et sensitives et de toutes les commandes motrices allant vers le cortex cérébral ou venant de celui-ci. L'hypothalamus, plus ventral, est le centre organisateur de toutes les fonctions autonomes et l'interface entre le système nerveux et le système endocrine (contrôle des sécrétions hormonales). Il reçoit de multiples informations issues du thalamus, du cortex cérébral et du bulbe, et bien sûr du système nerveux autonome.

Le cervelet

Il se présente comme un petit cerveau, avec des hémisphères et un axe médian, le vermis. Il reçoit toutes sortes d'informations motrices et positionnelles issues des centres cérébraux, de la moelle épinière et des organes de l'équilibre. Il joue un rôle majeur dans le contrôle du tonus musculaire, de la posture, du déroulement harmonieux du mouvement et de l'ajustement final à la cible. L'ivresse alcoolique et les symptômes qu'elle induit correspondent à un dysfonctionnement cérébelleux.

Le tronc cérébral

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Situé au-dessus de la moelle épinière, il est composé de bas en haut par le bulbe, puis le pont, ou protubérance, auquel est appendu en arrière le cervelet, et, enfin, par les pédoncules cérébraux. En place des nerfs spinaux, on trouve les nerfs crâniens, voies d'entrée des informations sensitives de la face et du cou, ainsi que des informations sensorielles (vue, audition, équilibre, goût), mais aussi voies de sortie des commandes motrices correspondantes (mouvement des yeux, de la tête et du cou, de la langue, commande de l'axe pharyngo-laryngé). Le tronc cérébral est également un lieu de relais pour les voies nerveuses longues, issues ou destinées aux étages sous-jacents. Il sert aussi de centre intégrateur pour différentes fonctions vitales et inconscientes : il comprend, par exemple, un système neuronal diffus, appelé formation réticulée, jouant un rôle majeur dans les phénomènes de sommeil et d'éveil. Le bulbe abrite les centres de contrôle de la pression artérielle et de la respiration.

La moelle épinière

Elle s'étend de la base du crâne à la première vertèbre lombaire et n'occupe donc pas la longueur totale de la colonne vertébrale. Il existe une nette segmentation, facilement observable grâce aux 31 paires de nerfs spinaux. À chaque étage médullaire, la jonction de la racine dorsale et de la racine ventrale forme le tronc nerveux périphérique. Les informations sensitives atteignent la moelle par la racine dorsale. La racine ventrale, formée par les axones des motoneurones, des neurones sympathiques préganglionnai-res et des neurones parasympathiques, oriente, à l'inverse, la commande centrale vers les muscles et les viscères. L'intérieur du cordon médullaire est constitué de deux parties : l'une, périphérique et blanche ; l'autre, centrale et grise. La première contient les cordons nerveux postérieurs - qui remontent vers les centres supérieurs et transmettent les informations sensitives - et antérieurs, qui descendent depuis le cerveau en étant porteurs d'afférences motrices. La seconde partie, appelée substance grise, se présente sous la forme d'un papillon, où les informations sensitives arrivent par les cornes dorsales, tandis que la commande motrice se projette vers ses organes cibles à partir des cornes antérieures.

LES ORGANES DES SENS

Comme chez les autres animaux, il existe chez l’homme des dispositifs servant à percevoir le milieu et les signaux de danger. Il s’agit de récepteurs, dispersés sur toute la surface du corps, isolés ou bien structurés en organes des sens. Les organes des sens sont le goût, l’odorat, le toucher, l’ouïe et la vue, mais notre spectre sensible est en fait plus large. Nous disposons d’au moins 11 types de sensibilités conscientes - de la vision à la proprioception - et de 9 autres dont nous ne percevons pas les stimuli, (tension artérielle et concentration d’oxygène dans le sang, par exemple).

Les récepteurs

Les récepteurs sont des cellules particulières capables de capter des informations provenant de l’extérieur ou de l’intérieur d’un organisme, de les analyser et de les transférer au système nerveux dont ils constituent un appendice. Comme chaque

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récepteur peut capter une forme particulière d’énergie ou un certain type de substances, nous disposons de 5 types de récepteurs :1) des chémorécepteurs, sensibles aux variations du milieu chimique et responsables du goût et de l’odorat ;2) des mécanorécepteurs, sensibles à l’étirement et à la pression et responsables du toucher, de l’équilibre, de l’ouïe, de l’étirement musculaire et de la douleur ;3) des photorécepteurs, sensibles à l’énergie lumineuse, présents dans l’œil et responsables de la vue ;4) des thermorécepteurs, sensibles à la température et présents dans la peau.5) des barorécepteurs, sensibles à la pression artérielle par exemple.Le stimulus capté est transformé par le récepteur en impulsions nerveuses de fréquence proportionnelle à l’entité du stimulus, signaux qui sont transmis au système nerveux pour y être analysés.

Le goût et l’odorat

La gustation et l’olfaction sont des sens chimiques, c’est-à-dire qu’ils permettent d’associer une sensation, ou éventuellement une combinaison de sensations, à une substance. Ces deux registres sensoriels sont toujours en étroite relation : lorsqu’on goûte un aliment, il exhale dans la cavité buccale, des odeurs qui remontent jusque dans la cavité nasale et stimulent les récepteurs olfactifs. L’odorat humain est moins performant que celui des animaux qui utilisent ce sens pour localiser leur nourriture ou pour identifier un partenaire sexuel, et ce parfois à des kilomètres de distance. Chez l’homme, la diminution de la compétence olfactive a été compensée par la présence d’un système visuel très élaboré.L’odorat est basé sur la présence de chémorécepteurs sur la paroi interne du nez qui « capturent » les substances chimiques transportées par l’air. L’aire de la muqueuse olfactive s’étend sur quelques centimètres carrés. Les cellules olfactives, ou cellules réceptrices - évaluées à 6 millions chez l’homme - sont de véritables neurones sensoriels. Chaque neurone comprend environ 1 000 cils qui baignent dans un mucus. L’homme peut identifier plusieurs milliers de substances chimiques différentes.Les récepteurs du goût, les papilles gustatives, se trouvent sur la langue, et sont disposées de façon spécifique selon leur sensibilité aux quatre saveurs primaires : sucré, salé, acide et amer. La zone de l’amer est située sur la partie postérieure de la langue ; la zone du sucré est située sur la partie antérieure ; Les zones de l’acide et du salé sont localisées sur les bords, vers l’arrière pour les premières et vers l’avant pour les secondes. Il est quasi impossible de trouver une substance qui ne stimule effectivement qu’une seule saveur primaire. Sur la face supérieure de la langue, les papilles (petites saillies) qui hérissent la muqueuse sont réparties en cinq groupe : les hémisphériques, les papilles foliées, les filiformes, les caliciformes et les fongiformes. Seuls les deux derniers types renferment les bourgeons du goût, les papilles filiformes ne renfermant que des terminaisons tactiles. On dénombre environ 800 bourgeons du goût dans les papilles caliciformes. La vocation première du goût était de sélectionner les aliments dont notre organisme a besoin. Dans notre civilisation, le goût est modelé par un ensemble de traditions culinaires et sociales.

Le toucher

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Dans le cas du toucher, les stimuli sont reçus par des mécanorécepteurs et des thermorécepteurs (voir récepteurs) présents dans la peau, même s’ils sont distribués de façon non uniforme. Ces récepteurs captent des stimuli de différents types (douleur, pression, chaleur) et sont constitués aussi bien de terminaisons nerveuses isolées que de corpuscules de différent type (de Pacini, de Meissner, de Krause, de Ruffini). Les informations sont recueillies par les nerfs et, à travers la moelle épinière et le thalamus, elles parviennent jusqu’au cortex cérébral où elles se distribuent de façon spécifique selon leur zone de provenance. Il y a dans le cortex du lobe pariétal une « carte du corps » - appelée homunculus - où les différentes zones sont représentées selon le nombre de récepteurs. Ainsi, par exemple, la main, le visage et les lèvres ont une extension plus importante que le dos ou les jambes. Les différents types de récepteurs tactiles présents dans l’épaisseur de la peau répondent de façon différente aux différents stimuli.

L’ouïe

L’organe de l’ouïe est l’oreille. En fait, il faudrait parler d’organe stato-acoustique car l’oreille, qui reçoit les sons, contient également des récepteurs de l’équilibre (voir sens de l’équilibre).L’oreille de l’homme est composée de trois parties anatomiques distinctes : les oreilles externe, moyenne et interne. L’oreille externe comprend le pavillon et le conduit auditif interne, qui conduit au tympan. L’oreille moyenne est logée dans une cavité osseuse du crâne appelée caisse du tympan. L’oreille moyenne comprend trois petits osselets : le marteau, dont le « manche » est relié au tympan ; l’enclume ; et l’étrier. L’oreille interne, située dans une capsule osseuse très compacte, regroupe l’organe nerveux de l’audition, la cochlée et l’organe de l’équilibre, ou vestibule. La cochlée est un tube osseux, creux, enroulé en spirale et rempli de liquide ; appelé aussi limaçon, il est divisé sur toute sa longueur par deux membranes, celle dite de « Reissner » et la membrane basale ou basilaire, qui délimitent, en leur centre, le canal cochléaire, et latéralement les rampes vestibulaires et tympaniques. Celles-ci sont baignées par la périlymphe, tandis que le canal central contient l’endolymphe. L’organe sensoriel proprement dit, l’organe de Corti, repose sur la membrane basilaire. Il est composé de deux types de cellules ciliées adaptées à la réception des vibrations. Chez l’homme, on dénombre environ 3 500 cellules ciliées internes et 12 000 cellules ciliées externes, au sommet desquels se trouvent des cils rigides, les sténocils, alignés en 3 ou 4 rangées de taille croissante.Les sons parviennent au pavillon de l’oreille, où ils sont dirigés vers le conduit auditif externe. À l’extrémité de ce canal, ils exercent une pression sur la membrane du tympan, qui se met à vibrer à la même fréquence qu’eux. Les osselets de l’oreille moyenne, solidaires du tympan par le marteau, entrent également en vibration, assurant ainsi la transmission de l’onde sonore jusqu’à la cochlée. L’endolymphe du canal cochléaire vibre alors à son tour. Les sténocils, agités par les mouvements liquidiens, transforment la vibration acoustique en potentiels d’action (messages nerveux) ; ces derniers sont transmis au cerveau par l’intermédiaire du nerf cochléaire, dont les fibres se rassemblent pour aller rejoindre le nerf auditif.La sensation sonore dépend du nombre de cellules ciliées qui sont stimulées et de la façon dont elles le sont. Chaque fréquence sonore stimule des cellules ciliées spécifiques, et puisqu’il y a correspondance entre cellules ciliées, fibres nerveuses et cortex acoustique, chaque son produit une stimulation différente. La

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détermination de la direction d’où vient le son dépend de l’évaluation de la vitesse à laquelle le son arrive aux oreilles.

Le sens de l’équilibre

L’oreille contient les récepteurs de l’ouïe mais aussi des mécanorécepteurs qui analysent notre position dans l’espace, nos mouvements et même nos accélérations et nos décélérations. Ces récepteurs se trouvent dans deux organes adjacents, l’utricule et les canaux semi-circulaires qui perçoivent respectivement les accélérations et les décélérations linéaires, et les accélérations et les décélérations angulaires. L’utricule est une cavité à l’intérieur de laquelle se trouvent de petites concrétions minérales, les otolithes, qui reposent sur un groupe de cellules ciliées. Les mouvements linéaires du corps déplacent les otolithes qui mettent les cils en mouvement. Des signaux nerveux sont ainsi générés et envoyés au cerveau, l’informant de la variation de position. Les accélérations et les décélérations linéaires sont, elles, analysées dans les trois canaux semi-circulaires, disposés à angle droit l’un par rapport à l’autre. Chaque canal est empli d’un liquide au centre duquel se trouve une structure gélatineuse, la saccule, à laquelle sont reliés les cils des cellules réceptrices. Lorsque la tête tourne, le liquide tend par inertie à maintenir sa position tandis que la saccule bouge de façon à stimuler les cellules qui génèrent des impulsions.

La proprioception

Il y a dans les muscles et dans les tendons qui les relient aux os un type particulier de mécanorécepteurs, sensibles à l’étirement. Il sont capables d’analyser le degré de tension d’un muscle ou d’un tendon, que la tension soit active ou passive, c'est-à-dire due au mouvement ou à l’étirement passif. Cela permet de calibrer la contraction des muscles durant le mouvement. Par exemple, lorsque nous nous touchons la pointe du nez avec l’index en gardant les yeux fermés, nous utilisons notre expérience passée et le souvenir inconscient du fait que pour arriver sur la « cible » il nous faut allonger, c'est-à-dire étirer, certains muscles et certains tendons d’une façon déterminée. C’est ce qui se produit aussi pour de nombreux mouvements complexes qui finissent avec le temps par devenir automatiques. Il existe deux types de récepteurs de l’étirement. Les récepteurs tendineux se trouvent dans les tendons des muscles et à proximité des articulations, où ils enregistrent en permanence l’état de tension - et par conséquent le degré de contraction des muscles - auxquels les tendons sont reliés. Les fuseaux neuromusculaires sont contenus dans les muscles et enregistrent le degré d’allongement des muscles et la vitesse de la contraction. Les fuseaux sont des organes allongés parallèles aux fibres des muscles. Quand ces dernières s’allongent ou se raccourcissent, les fuseaux envoient des signaux à la moelle épinière où les cellules nerveuses motrices des muscles modulent la contraction des muscles, parvenant ainsi, à travers le mouvement et le contrôle de ces derniers, à la maîtrise du geste.

La vue

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L’œil est un organe très mobile, bien protégé dans l’orbite. Il est composé de divers tissus conjonctifs et d’un tissu nerveux sensible à la lumière et responsable de la vue. Cet organe, sphérique, est limité par une membrane particulièrement résistante, la sclérotique, elle-même recouverte de la conjonctive, fine membrane muqueuse qui se continue par la cornée, membrane plus mince, parfaitement transparente. La convexité de la cornée lui confère ses propriétés optiques.La cavité interne de l’œil est divisée en deux compartiments : la chambre antérieure et la chambre postérieure. La première, remplie de l’humeur aqueuse, est limitée en avant par la cornée et en arrière par l’iris. L’iris est une sorte de diaphragme optique inséré au niveau des corps ciliaires. Le cristallin, lentille transparente biconvexe située derrière l’iris, sépare les chambres antérieures et postérieures. La chambre postérieure est remplie d’une substance gélatineuse transparente, le corps vitré.La rétine, tissu nerveux de l’œil, contient des récepteurs photosensibles qui sont connectés à différents types de cellules nerveuses. Il existe deux types morphologiques et fonctionnels distincts de récepteurs visuels : les cônes et les bâtonnets. Ces derniers répondent à un très large spectre de longueurs d’ondes et à des intensités lumineuses très basses, tandis que les cônes ne réagissent qu’à des spectres relativement étroits ; il existe trois variétés de cônes, sensibles au rouge, ou au vert, ou au bleu.Lorsque la lumière, qui a traversé tous les milieux transparents de l’œil, vient frapper la rétine, l’énergie contenue dans les photons est transformée en message nerveux.Comme les cellules ganglionnaires, les cellules du cortex possèdent un champ récepteur et sont toutes organisées en colonnes d’environ 1 mm2 de section, dans lesquelles tous les paramètres du signal visuel sont traités. Certaines d’entre elles sont sensibles à l’orientation du stimulus, tandis que d’autres sont sensibles à la fois à son orientation et à son sens de déplacement. D’autres, enfin, détectent les différences entre les informations apportées par les deux rétines pour une même zone de champ visuel. La vision en relief est fondée sur ce traitement des informations binoculaires. L’étape suivante, qui conduit à la sensation visuelle elle-même, impliquant une reconstruction totale de l’image associée aux propriétés de chacun de ses éléments, est encore très mal connue.

La douleur

La douleur est différente des autres sensations, notamment parce qu’elle dépend de la stimulation de terminaisons nerveuses et non de récepteurs à proprement parler. Elle peut être déterminée par n’importe quel genre de stimulus - thermique, mécanique ou chimique - s’il a une intensité supérieure à celle qui active le récepteur spécifique. Dans le cas de la chaleur, par exemple, on commence à percevoir la douleur avec des stimuli 100 fois plus intenses que ceux qui activent les récepteurs de la chaleur. Comme pour tout autre type de sensibilité, les signaux de la douleur sont transmis par des voies nerveuses spécifiques et arrivent d’abord au thalamus, puis au cortex cérébral. Les informations dont nous disposons suggèrent que la douleur est perçue même en l’absence de cortex cérébral, mais que celui-ci est indispensable à une analyse exacte du stimulus douloureux.

L’ESPRIT

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GÉNÉRALITÉS

On appelle « esprit » un ensemble de capacités complexes qui caractérisent l’espèce humaine. Parmi celles-ci, on peut citer la conscience, le langage, le raisonnement, la perception et la mémoire et, de façon générale, l'intelligence (voir aussi psychobiologie). On trouve chez d’autres espèces, en particulier chez certains Primates supérieurs, certaines de ces capacités. Mais seuls les humains possèdent l’ensemble de ces compétences. Les composantes complexes qui constituent l’esprit sont l’expression de l’activité du cerveau, qui est considéré comme le substrat matériel de nos activités intellectuelles. Les lésions spécifiques du cerveau se traduisent par des pathologies et des troubles mentaux également spécifiques (voir aussi système nerveux).De nombreuses disciplines étudient l’esprit et les facultés intellectuelles supérieures de façon scientifique. Citons par exemple la psychologie, la psycholinguistique et les neurosciences, c’est-à-dire les sciences qui étudient le système nerveux. Mais pour donner une définition de l’esprit qui ne se limite pas à la description de son fonctionnement, nous devons faire appel aux sciences humaines, à la philosophie en particulier. L’esprit est l’ensemble le plus complexe de fonctions qu’un être humain développé soit à même de remplir. En ce sens, le corps joue un rôle aussi important que le cerveau dans certaines activités mentales comme l’intelligence motrice, c’est-à-dire la coordination et la capacité à se mouvoir de façon adaptée dans des situations compliquées.

L’INTELLIGENCE

La notion d’intelligence recouvre la capacité de comprendre et de s'adapter; elle a pris des acceptions variées depuis la première moitié du XIXe s.

Un concept récent

À la naissance du concept, au XIXe s., la « théorie intellectualiste » opposait l'intelligence à l'instinct, à l'habitude et à l'affectivité, et considérait la pensée comme la combinaison d'associations d'entités psychologiques. Les thèses mécanicistes préconisées par les associationnistes allaient à l'encontre des positions défendues par les « idéalistes », qui, comme Henri Bergson, privilégiaient la conception d'une « fonction symbolique ». Philosophes, psychologues, psychanalystes, neurologues et neurophysiologistes ont tenté de répondre à la question de savoir si l'intelligence est une fonction globale ou si elle correspond à une multiplicité de fonctions. L'établissement de divers types d'intelligence - logique, pratique, sociale - renvoyait surtout à l'hétérogénéité de modes de fonctionnement et d'adaptation individuels. Des positions parfois divergentes des psychologues cliniciens et des psychologues du comportement ou du développement révèlent que l'hypothèse d'un clivage entre cognition et affects est toujours maintenue dans la recherche.

Le rôle du cerveau

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Le développement particulier du lobe frontal chez l'homme avait conduit le médecin allemand Franz Josef Gall et les « localisationnistes » à désigner le cerveau comme le siège de l'intelligence. Il est probable, en effet, que les différences morphologiques observées entre le cerveau de l'homme et celui des autres espèces animales rendent compte du rôle du langage et de l'activité réflexive. Aujourd'hui, les techniques d'imagerie cérébrale permettent d'observer les circuits impliqués au cours des activités cognitives et renforcent l'idée que le lobe central joue le rôle de « régulateur central ».

Mesure de l’intelligence et études des activités mentales

Définie comme une aptitude ou une faculté, l'intelligence commence à être mesurée dès le début du XXe s. Les tests psychologiques remplissent très vite des fonctions sociales : en France, à la suite de la scolarisation obligatoire instituée sous Jules Ferry, ils sont utilisés pour le « dépistage des enfants manifestant un retard scolaire », tandis qu'aux États-Unis ils sont appelés à faciliter, lors de la Première Guerre mondiale, la « répartition efficace des recrues dans l'armée ». Les concepteurs des tests, qui se sont référés à la terminologie psychiatrique du XIXe s. (« arriération », « débilité », « idiotie ») et à des normes statistiques, ont procédé à une classification en distinguant l'intelligence inférieure, moyenne et supérieure.Les résultats obtenus lors de l'évaluation des tests ont prolongé le débat sur le caractère inné ou acquis de l'intelligence et sur la signification des différences observées chez les individus de sexe opposé ou appartenant à divers groupes sociaux.Constatant la généralité des caractéristiques de l'intelligence (adaptation, anticipation, synthèse) et se rendant compte que les tests ne peuvent contribuer au développement de l'approche théorique, les psychologues contemporains soumettent à une analyse critique la notion d'intelligence, à laquelle ils reprochent de « réifier une faculté » (Pierre Oléron). Aussi procèdent-ils à l'étude expérimentale des activités intellectuelles ou mentales: l'abstraction, l'induction, le classement (François Richard). Ils examinent l'intelligence pratique, par exemple la conduite de détour (l'approche du but par des trajectoires détournées) ou l'utilisation d'un outil, mais ils cherchent aussi à élaborer des schémas ou des modèles qui permettent de rendre compte de la formation de concepts et de la résolution de problèmes.Les sciences cognitives adoptent des modes d'analyse privilégiant les mécanismes de traitement de l'information (la reconnaissance de la parole, de formes), et proposent des modèles théoriques. Dans la résolution d'une tâche, on s'efforce ainsi de dissocier des étapes de traitement: dans une résolution de problème on distingue la compréhension de l'énoncé, le choix des informations pertinentes pour la solution, la planification de la stratégie, la prévision des étapes, l'évocation des connaissances adéquates, la réalisation des opérations et enfin la généralisation à une tâche du même type. La clinique neuropsychologique permet de tester certains de ces modèles (en étudiant, par exemple, les dysfonctionnements du langage oral ou écrit).

La phylogenèse et l'ontogenèse

L'animal est capable, comme l'homme, d'utiliser et de fabriquer des outils. Le singe peut confectionner des instruments, comme l'a démontré, en 1917, Wolfgang

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Köhler ; certains oiseaux savent utiliser une pierre pour casser un œuf, et d'autres espèces sont capables d'inventer et de se transmettre l'usage d'un outil. La complexité des apprentissages possibles varie selon les espèces, mais entre l'intelligence des autres espèces et celle de l'homme les différences sont essentielles : l'homme est seul à avoir la capacité de créer des modèles et des systèmes symboliques, de « fabriquer des objets artificiels, en particulier des outils à faire des outils » (Henri Bergson), et sa pensée « est tissée dans sa personnalité » (Frederik Buytendijk). Chez l'enfant, l'évolution de l'intelligence a souvent été décrite comme une élaboration progressive liée à l'éducation. Dans un premier temps, les études psychologiques ont mis en relief les différences qui existent entre l'enfant et l'adulte : ainsi, l'intelligence pratique a été opposée à l'intelligence rationnelle par André Rey, en 1935. Selon la théorie exposée dans les années 40 par Jean Piaget, l'intelligence est une forme d'équilibration : chez l'enfant il n'y a pas d'emblée de séparation consciente du sujet et de l'objet, les structures opératoires - de l'intelligence sensori-motrice aux opérations formelles - se construisent progressivement par l'action. Par conséquent, ces structures cognitives sont conçues comme des états d'équilibre qui se complexifient et se succèdent logiquement, par étapes.La théorie psychanalytique fonde les premières représentations sur l'absence et le manque : par exemple, l'absence de la mère, quand le nourrisson désire téter, permet progressivement à celui-ci de constituer le sein puis la mère comme des objets indépendants de lui-même ; grâce à cette absence, le nourrisson parvient à comprendre que la mère continue d'exister alors qu'il ne la voit pas. À la différence de la psychologie génétique, la psychanalyse n'adhère pas à l'hypothèse selon laquelle les stades de développement se succèdent dans un ordre immuable. Ainsi, l'intelligence intuitive, fondée sur la conscience sensori-motrice, et l'intelligence pratique et relationnelle, forgée par la communication préverbale, d'une part, et l'intelligence conceptuelle liée aux représentations mentales, d'autre part, se trouvent assimilées par certains psychanalystes.En partie opposés au constructivisme de Piaget, les fonctionnalistes privilégient l'explication par le patrimoine biologique. Les recherches effectuées en 1990 par Jacques Mehler auprès de nouveau-nés illustrent la précocité des compétences qui leur permettent de faire des acquisitions fondamentales, notamment celle du langage. Dans d'autres travaux, qui insistent sur le rôle du milieu et de l'apprentissage, les clivages entre les tenants de l'inné et ceux de l'acquis sont moins radicaux: Jacques Lautrey a démontré que la réussite scolaire est liée au type de structuration de la famille dans la régulation de la vie quotidienne et à son statut socio-économique. La psychologie différentielle souligne les différences interindividuelles, liées au milieu, à l'âge, au sexe.

Les dysfonctionnements

La psychopathologie révèle que le potentiel intellectuel de chaque individu ne correspond pas nécessairement à son actualisation et qu'il existe pour un même individu une variabilité non négligeable. L'émotion a une influence considérable sur l'efficience intellectuelle : comme l'a montré Pierre Janet en 1905, elle fait chuter le « niveau mental » ou, au contraire, le stimule. Temporaires ou chroniques, acquises ou congénitales, régressives ou évolutives, les pathologies peuvent correspondre à l'expression de conflits psychiques ou à des processus somatiques.

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Il peut y avoir lien, ou rupture, entre l'affect et les processus de pensée. Les causes de l'échec scolaire - limité et accidentel ou total et définitif - en sont une bonne illustration, dans la mesure où elles sont liées à des processus divers touchant directement l'enfant et son milieu social. Dans certains cas, l'« équipement » intellectuel de l'enfant est insuffisant (débilité mentale), dans d'autres ses capacités se sont développées de façon hétérogène (dysharmonies évolutives, dysharmonies « cognitives », psychoses de l'enfance). L'inhibition intellectuelle, produite par l'anxiété ou par une névrose d'échec, correspond à l'incapacité du sujet à utiliser ses ressources intellectuelles: la passation d'examens, dont le succès permet à l'adolescent d'acquérir son autonomie, constitue souvent une situation ambivalente, la réussite pouvant être redoutée parce qu'elle signifie la fin de l'enfance.Le « ralentissement intellectuel » peut indiquer de la fatigue, de la dépression ou un déficit permanent. L'affaiblissement intellectuel lié à l'âge (involution) est assimilé, malgré d'importantes différences individuelles, à un phénomène normal; mais, dans ce cas comme dans celui des démences, un mécanisme global déficitaire de l'activité intellectuelle ne se déclenche pas nécessairement.Un même processus peut empêcher ou faciliter une bonne adaptation : l'intellectualisation (ou rationalisation) peut constituer un mode de résistance dans la cure psychanalytique (le patient traite alors ses problèmes en termes rationnels pour éviter d'aborder les conflits affectifs), mais elle peut être aussi une forme de sublimation permettant à tout individu de créer.Aujourd'hui l'étude des dysfonctionnements ne vise plus prioritairement à prendre la mesure d'une efficience globale, elle est centrée sur l'analyse des processus. Diverses méthodes ont été proposées pour aider ceux qui ne savent pas, ne peuvent pas ou ne peuvent plus utiliser leurs compétences. Des méthodes pour apprendre à penser, pour adopter des stratégies, pour mieux se connaître laissent entrevoir que le potentiel intellectuel de chacun est résolument perfectible.

LA CONSCIENCE

Le terme de conscience vient du latin cum scientia, (avec savoir) et désigne la capacité qu'a l'homme de sentir, de penser, et d'agir en le sachant. Dans la vie immédiate, ce savoir spontané nous accompagne en demeurant périphérique et inaperçu : nous sommes adhérents à nous-mêmes et à nos actes tout en nous rendant compte que nous nous souvenons, que nous imaginons, que nous faisons telle ou telle chose en étant tristes ou joyeux. Nous projetons sur le monde notre propre monde intérieur affectif et intellectuel, nous prenons part aux valeurs et aux significations.Toutefois, savoir que l'on fait une chose n'implique pas que l'on sache véritablement ce que l'on fait en la faisant. La capacité psychologique de se rendre compte se double du pouvoir de rendre des comptes: acte de la conscience de soi qui fonde la notion morale de responsabilité. Répondre de soi sollicite un dialogue intérieur qui, par lui-même, n'aurait aucun sens ni aucune possibilité d'apparaître hors de la présence proche ou lointaine d'autrui. C'est donc par la présence à/de l'autre que ce qui était périphérique peut devenir centre d'un questionnement instaurant une double distance par rapport à la chose que l'on faisait et par rapport à soi-même.La réflexivité spontanée contient donc la possibilité de la conscience réfléchie par un acte s'explicitant dans le langage et qui est à l'origine de notre esprit critique tant vis à vis du monde existant que de nous-mêmes. Comme le souligne Alain, les dimensions psychologique et morale se trouvent toujours implicitement liées. Nous

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entrons dans l'immoralité par ce refus du dialogue intérieur mis en évidence par Kant sous le terme de conformisme ou par Sartre sous celui de mauvaise foi. C'est en voulant penser qu'il ne pense pas que l'homme abandonne son pouvoir propre à un autre homme ou à un principe extérieur qu'il constitue comme transcendant. Ainsi la bonne conscience débouche-t-elle sur l'obéissance aveugle qui fait dire aux accusés coupables d'inhumanité du tribunal de Nuremberg qu'ils n'ont fait qu'obéir aux ordres. Par opposition à cette possibilité de l'inhumain, la conscience apparaît comme ce savoir propre inhérent à l'humanité qui la pousse à se questionner sur la valeur de ses actes et de ses pensées. Le sens de la préposition cum de cum scientia prend alors le sens d'un double rassemblement; rassemblement de soi et rassemblement de l'humanité dans le partage du savoir. Le retour à cette appartenance première excède toute dénomination particulière, culturelle, administrative par son accès à l'universel : il s'agit moins d'un état ou d'une identité définitivement possédée que d'une exigence concernant l'aptitude de l'homme à réaliser empiriquement ce qu'il est essentiellement. L'exigence de rassemblement est corrélative de la non-coïncidence à soi par laquelle l'homme s'arrache au déterminisme de la nature pour s'ouvrir à l'histoire en tant qu'être pour soi : dans la Phénoménologie de l'Esprit Hegel explique ce dialogue intérieur/extérieur dans le double processus théorique et pratique de maturation de la conscience de soi à la fois subjectif et s'objectivant qui structure toute conduite humaine, et par lequel l'humanité s'autoproduit. Certes, il y a loin entre cette rejonction hégélienne de la conscience de soi par le surconcept d'histoire et la mise entre parenthèses historique et sociale du cogito par laquelle Descartes inaugure la philosophie du sujet. Par-delà la clôture de son système, c'est dans la lumière projetée par Hegel que s'explicite l'obscurité de la conscience. Marx dans sa critique de l'idéologie et son analyse de l'aliénation, Nietzsche par sa méthode généalogique puis Freud avec l'hypothèse d'une activité psychique radicalement inconsciente mettrons tour à tour l'accent sur la puissance d'illusion de la conscience en rendant plus problématiques les prétentions à une réelle maîtrise de soi. Des philosophies aussi différentes que celles de Marx et de Bergson, les diverses approches phénoménologiques de Heidegger, Jaspers, Sartre, Binswanger ou Merleau-Ponty font de la temporalité la dimension même de la conscience : en terme de dessein de présence, de projet, s'interprètent les manières d'être de l'homme dans leurs ambivalences, leurs contradictions et leurs « embarrements » paradoxaux. Comme le montre J. Gabel (la Fausse Conscience), la détemporalisation apparaît dans toutes les formes aliénées, perturbées, déchues, de la conscience tant dans les aspects psychopathologiques individuels et collectifs que dans ceux de l'existence normalisée. Automatisme, répétition, atomisation, inauthenticité, anonymisation, et différences exclusives ou exclues et pertes d'identité marquent l'arrêt des dialectiques articulant le même et l'autre, l'unité et la multiplicité, dans des abstractions ou tout l'être de l'homme se réifie.Comme unité de synthèses perceptives, cognitives et personnelles, la conscience est une puissance de contrôle de soi et d'autonomie variable et relative, tant dans le champ toujours plus ou moins complet des éléments qu'elle prend en compte que par la clarté plus ou moins intense qu'elle porte sur les éléments de ce champ. Elle est capable de degrés qui vont de l'attention au coma en passant par le rêve ou les automatismes. Sa réflexivité en fait une unité bipolaire capable elle-même de se réfléchir. Cette refente sur elle-même est source de toutes les rectifications et accroissement par maturation et prise de conscience, comme elle peut aussi conduire au morcellement et à la perte de soi dans un dédoublement pathologique. Totalisante, elle reste toujours partielle et risque d'être partiale; objectivante, elle

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reste subjective en risquant de se méconnaître comme telle; duale, elle risque toujours la duplicité.Depuis les années 70, nous savons que certains singes sont conscients si l'on entend par conscience l'établissement d'un lien réflexif entre soi-même et sa propre image dans un miroir (E. Morin, la Vie de la vie ). La conscience proprement humaine est la conscience de la mort. Par la conscience de l'irréversibilité du temps et de sa finitude, l'homme n'est plus un vivant parmi les vivants. Son angoisse l'arrache à la plénitude déterminée de la vie biologique et le propulse soit vers l'impossible oubli de soi, soit dans une transcendance de sa séparation par l'accomplissement de sa liberté créatrice.

La théorie freudienne

La théorie métapsychologique freudienne accorde à la conscience un rôle essentiel comme repère situant les phénomènes psychiques. Dans sa première topique Freud organise autour de la conscience les trois instances de l'inconscient, du préconscient et du conscient.La conscience est liée à ce que Freud appelle « le système perception-conscience ». C'est une fonction périphérique de l'appareil psychique qui reçoit les informations du monde extérieur et celles venant des souvenirs et des sensations internes de plaisir ou de déplaisir. Le caractère immédiat de cette fonction perceptive entraîne une impossibilité pour la conscience de garder une trace durable de ces informations. Elle les communique au préconscient, lieu d'une première mise en mémoire. La conscience perçoit et transmet des qualités sensibles. Freud emploie des formules comme « indice de perception, de qualité, de réalité » pour décrire la teneur des opérations du système perception-conscience.Sur le plan économique, la conscience dispose d'une énergie libre et mobile capable d'investir avec plus ou moins d'intensité des éléments externes ou internes. C'est le mécanisme de l'attention.Sur le plan dynamique, la conscience intervient dans les processus de pensée, à entendre comme reviviscence des souvenirs, raisonnements ou élaborations à partir des représentations psychiques. Selon Freud la prise de conscience des processus de pensée dépend de leur association avec des « restes verbaux » pris comme nouvelles perceptions. C'est à cette fonction qu'il est fait appel dans la cure analytique qui s'efforce de mobiliser des éléments inconscients pour les ramener à la conscience. Ainsi le patient pourra perlaborer, c'est-à-dire retravailler ces éléments après leur remémoration, leur construction dans l'analyse, leur répétition dans le transfert et leur interprétation par le thérapeute. Si la conscience joue un rôle important dans la dynamique des conflits psychiques (évitement conscient des perceptions désagréables), sa place dans le mécanisme de la cure reste un thème majeur de réflexion.

LE RAISONNEMENT

On appelle raisonnement, en logique et en psychologie, tout procédé de pensée qui, à partir de certaines données, aboutit à des conclusions, en vertu de règles implicites ou explicites, et sans qu'il soit nécessaire de procéder à de nouvelles constatations.

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Les données du raisonnement peuvent être soit des faits observés, soit des propositions que l'on tient pour vraies (même si ce n'est qu'à titre hypothétique ou provisoire).Tous les raisonnements ou inférences peuvent être pratiquement ramenés à deux types ou à leur combinaison: induction et déduction.La démarche qui consiste à partir de faits observés pour aboutir à une proposition plus générale formulant la loi qui régit ces faits s'appelle induction. Le raisonnement qui consiste, au contraire, à tirer une proposition nouvelle de propositions antérieurement admises se nomme déduction.

L’induction

« Il n'y a pas de fumée sans feu », « La flamme chauffe, le pain nourrit » : ces énoncés sont des inductions de la vie courante.Induire, ici, consiste à dégager une liaison constante entre deux ou plusieurs faits et à exprimer cette liaison dans un langage approprié. L'induction est évidemment liée aux nécessités de l'action et de la vie professionnelle : les paysans ont appris à relier tel aspect du ciel à l'imminence de l'orage, le démarcheur commercial a dégagé par expérience le lien entre un certain type d'arguments et la réponse favorable de ses clients.L'induction scientifique diffère de ces inductions empiriques en ce qu'elle rapproche des faits très éloignés que l'observation courante n'aurait pas cherché à mettre en rapport (l'action de la lumière sur le courant dans l'effet photoélectrique, par exemple) ; de plus, elle exprime ces liaisons sous une forme le plus souvent mathématique, comportant des mesures très précises ; enfin, lorsque la science a atteint un certain niveau de développement, elle produit elle-même, grâce à des techniques très élaborées, la plupart des faits qu'elle observe.

La déduction

« On peut lui faire confiance, c'est un ami. » Cette affirmation, considérée sur le plan logique, suppose en réalité un enchaînement de propositions, certaines sous-entendues, qu'on pourrait rétablir de la façon suivante : « Tout ami est digne de confiance ; or cet homme est un ami ; donc cet homme est digne de confiance. »Ainsi exprimé, le raisonnement s'appelle syllogisme (forme classique la plus simple de la déduction) et l'on doit au philosophe grec Aristote une logique fondée sur son emploi systématique.Dans la déduction mathématique, le nombre des prémisses (deux dans le syllogisme) s'élève : on doit en effet compter dans les prémisses servant à établir un théorème quelconque toutes les notions, les règles, les théorèmes antérieurement démontrés que l'on utilise. Parmi ces prémisses certaines ont un caractère particulier, car on se sert d'elles pour établir d'autres résultats, mais elles ne sont elles-mêmes déduites d'aucune proposition antérieure: ce sont les « axiomes ». Enfin, loin de se borner, comme le syllogisme, à un simple emboîtement de classes ou de termes (le terme « cet homme » est compris dans la classe des « êtres dignes de confiance »), la déduction mathématique procède par invention de constructions très complexes et c'est dans ces constructions que réside le génie mathématique.

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Le raisonnement et la vie

Dans la réalité, l'usage du raisonnement ne sépare pas induction et déduction. C'est souvent par une induction qu'on établit les propositions dont on tire ensuite, déductivement, les conséquences. De plus, le raisonnement et la constatation des faits interfèrent sans cesse, tandis que l'imagination intervient pour proposer des hypothèses. Dans son Introduction à l'étude de la médecine expérimentale (1865), Claude Bernard propose d'appeler raisonnement expérimental l'usage que fait tout chercheur de la méthode expérimentale et il montre comment l'observation des faits, l'invention de l'hypothèse, l'expérimentation, la déduction, en intervenant à tour de rôle, constituent la démarche même de la science qui se fait.

Le raisonnement et la rigueur

On peut trouver la même synthèse de procédés de pensée très divers dans la vie courante, sauf qu'ils n'ont pas la rigueur de la pensée scientifique et qu'ils dépendent du domaine où ils s'appliquent : « On ne raisonne pas de la même manière en matière de météorologie, de pêche, de police, de guerre ou d'élection, ni dans chaque domaine selon la connaissance plus ou moins approfondie qu'on en a », écrit un psychologue (P. Oléron), qui qualifie ces raisonnements de « matériels » puisqu'ils dépendent du contenu auquel ils s'appliquent. Il n'en reste pas moins vrai que le raisonnement scientifique constitue la norme (le modèle) dont les autres raisonnements doivent tenter de se rapprocher.

LE LANGAGE

La faculté linguistique est une caractéristique typiquement humaine. Grâce à l’abaissement de la glotte, l'organe de la phonation chez l'homme (voir larynx) s’est conformé de façon à permettre une émission contrôlée des sons, condition nécessaire pour parler une langue. Notre espèce a mis au point des zones cérébrales spécialisées dans l'émission et la compréhension des sons. Les lésions des zones de Broca et Wernicke, en particulier, compromettent gravement la faculté linguistique. Les langues humaines se caractérisent par une double articulation et par leur caractère systématique.

Les caractères généraux du langage

Un seul trait ne suffit pas à distinguer le langage des autres systèmes de signes. En outre, ce qui fait l'intérêt de ces traits, c'est qu'ils ne sont ni complètement indépendants, comme le serait une liste de faits, ni tout à fait déductibles les uns des autres.

Caractéristiques structurelles

La plupart des systèmes linguistiques des humains sont voco-auditifs, d'où leur efficacité à distance, leur disparition rapide, leur transmission omnidirectionnelle même si leur source peut être localisée. Ces traits se retrouvent, entre autres, dans

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les cris des singes (il y a là une utilité manifeste: prévenir; communiquer dans les forêts, à distance, la nuit...).Les signes des langues sont, au moins partiellement, arbitraires : ils ne sont pas liés à ce pour quoi ils valent par un lien de ressemblance (comme les images) ou de dépendance (feu/fumée). Certes, un signe que l'on voit peut être arbitraire (un trait, quand il signifie qu'un acte a été accompli), mais il y a un lien intelligible entre le caractère audio-oral et le caractère arbitraire, puisque, pour le dire vite, le réel est plus pour les hommes ce qu'ils touchent et ce qu'ils voient que ce qu'ils entendent.Corrélativement, les signes des langues sont spécialisés dans leur fonction de signes : ils ne sont que cela, alors que beaucoup de gestes ou de cris font directement partie du comportement qu'ils annoncent, par exemple dans le cas de la menace ou du début du geste de frapper.Les signes vocaux sont pour l'essentiel linéaires : ils se succèdent. Cela est lié à l'aspect audio-oral et aussi à l'aspect arbitraire du langage: tout système arbitraire n'est pas forcément linéaire, mais un système linéaire ne peut pas ressembler à tout ce qui, dans la réalité, est multidimensionnel.Il y a un double niveau d'organisation du langage ; le linguiste français André Martinet a parlé de double articulation : elle consiste dans la faculté de bâtir avec un nombre strictement limité d'unités de niveau inférieur (les sons) un nombre pratiquement illimité d'unités de niveau supérieur (les mots). Ainsi, avec les trente-six sons de la langue française, on construit des dizaines de milliers de mots. Les unités de niveau inférieur ont uniquement une fonction distinctive, c'est-à-dire qu'elles servent seulement à distinguer les unités supérieures les unes des autres; par exemple, les sons [p] et [o] peuvent servir seulement à distinguer pot de sot, peau de seau, pas de sas, puis de suis, etc. Les unités de niveau supérieur ont une fonction significative, c'est-à-dire qu'elles renvoient à un sens: [p] en soi n'a pas de sens (c'est une unité de niveau inférieur), mais « pot » a un sens.On peut par ailleurs constater que les sons que l'on rencontre dans les différentes langues divergent beaucoup plus que leur organisation grammaticale : c'est bien cette différence de sons qui fait à première audition discerner une langue comme étrangère. Mais alors, si sur le plan de leur organisation interne les langues ont des ressemblances, trois (au moins) grands types d'hypothèses peuvent rendre compte de leur diversité.- La diffusion à partir d'une première langue commune : on a longtemps disputé pour savoir si une langue connue (l'hébreu, par exemple) représentait cette langue originelle. Un pharaon fit élever des enfants dans une pièce close, en interdisant qu'on leur adressât la parole, pour découvrir quels sons et quelle langue ils exprimeraient spontanément : les enfants moururent sans avoir parlé. Aujourd'hui, des chercheurs russes et américains tentent de déterminer sinon le centre de diffusion d'une langue unique pour l'humanité, du moins celui des parlers indo-européens.- La présence de caractères innés ainsi que d'une organisation cérébrale spécifique.- La réponse similaire, dans des sociétés différentes, à des problèmes analogues. Il y a, en effet, beaucoup d'activités communes à tous les hommes : se servir d'outils, produire et conserver le feu, s'habiller (parfois « symboliquement »), ne pas (trop) exercer de violence à l'intérieur du groupe, traiter les cadavres humains autrement que les dépouilles animales, respecter certains interdits sexuels - tous ces comportements ne sont pas forcément innés du fait même de leur universalité.

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Modes de fonctionnement du langage

Fondé sur l'interchangeabilité - tous les membres d'une communauté sont à la fois émetteurs et récepteurs (même si, dans certaines cultures primitives, il y a des discours réservés aux chefs, aux prêtres, aux chamans) -, le langage fonctionne primordialement sous forme de dialogue: on répond à ce que dit l'autre, alors que les animaux réagissent aux signaux qu'on leur envoie (à ce titre, la réponse des abeilles à la danse de leurs congénères qui leur signalent la présence de pollen ne serait pas un message stricto sensu, mais une action). D'autre part, quel que soit le problème posé par l'aptitude générale de l'homme au langage, une langue particulière est apprise par transmission sociale, et non génétiquement : on peut apprendre la langue d'un autre groupe (on sait cependant aujourd'hui qu'au cours de la dernière partie de sa vie intra-utérine le fœtus « se familiarise » avec la langue de sa mère).Tout émetteur perçoit son propre message, alors que nous ne recevons pas de la même façon nos mimiques ou les significations portées, par exemple, par notre démarche. Un locuteur peut même parler à voix basse ou haute uniquement pour lui-même.Les signes humains ont, pour une part variable, une fonction référentielle et pas seulement interactive : on peut montrer, nommer, décrire, qualifier, indépendamment de la nécessité actuelle de le faire.Enfin, il y a une réflexivité du langage : il communique et sur des objets extérieurs et sur lui-même. Cette réflexivité est une des conditions de l'ouverture du langage : on n'a pas besoin de montrer des objets pour faire comprendre le sens de mots inconnus. Et il est important de noter que beaucoup de termes grammaticaux ont pour fonction de « parler sur » le mode de fonctionnement des autres signes. Ainsi dans le stylo, « le » pourra signifier « celui qui est là » ou « celui dont j'ai parlé »; dans un stylo, « un » pourra signifier « n'importe lequel » ou « stylo en général ».

Langage et pensée

Il peut y avoir langage sans pensée : des formules de salutation, de remerciement peuvent s'échanger automatiquement, d'une manière réflexe. Inversement, il y a des activités intentionnelles (orientées vers un but, complexes) sans systèmes de signes, ainsi des savoir-faire qui se transposent. Une chose est sûre : certains des traits de ce qu'on appelle pensée sont fondamentalement liés au maniement du langage, tout d'abord dans la possibilité d'évoquer des objets absents (contrairement aux savants fous que Gulliver rencontre dans ses voyages et qui traînent après eux les objets dont ils veulent parler). Plus fondamentalement, la distinction des significations lexicales et grammaticales et la possibilité métadiscursive de pouvoir catégoriser le même objet de différentes façons constituent les conditions essentielles de l'abstraction. Ainsi serait-il bien difficile de dessiner la différence entre des moutons, ces moutons et les moutons. Ou de dire, malgré Magritte, par un dessin que « ceci n'est pas une pipe ».

Le langage et ses différenciations

Peut-être y a-t-il un préjugé dans l'idée que, pour saisir ce qui caractérise le langage, il faudrait s'intéresser à ce qui est commun à l'ensemble des maniements

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du langage. Peut-être, au contraire, importe-t-il davantage de comprendre qu'il peut fonctionner selon des régimes différents.

Dialogue et monologue

Le langage ne s'apprend que dans le dialogue. Mais, même entre adultes, on ne demande pas seulement à un discours de relier des unités qui font sens : plus fondamentalement, on veut qu'il réponde à une question ou qu'il suscite l'intérêt chez l'autre. Tout discours s'organisera alors selon des relations avec l'autre, présent, absent ou fictif. Certes, on peut dire que des monologues (par exemple un récit, un poème, une explication) sont aussi des formes de dialogue: ils partent d'un discours déjà là, qu'ils reprennent, modifient, et ils anticipent sur une réponse possible.La description des langues a trop oublié cette relation au dialogue pour ne prendre en compte que des caractéristiques objectives des signes et de leurs combinaisons. On devra donc dire, avec Bakhtine, qu'il y a du dialogue sous-jacent à tout monologue, et aussi que les enchaînements qui manifestent les genres de discours sont aussi réels que les formes de la langue. Ces enchaînements se différencient donc d'abord en dialogues réels avec un autre et en dialogues fictifs (monologues) avec des autres absents, et ce dans la rêverie, l'œuvre littéraire, le texte officiel.

Oral et écrit

On sait que les langues écrites se distinguent en premier lieu par leur type de relation à l'oral. Ainsi y a-t-il des langues à notation syllabique, d'autres qui notent plutôt les phonèmes, d'autres enfin de type pictographique ou idéographique.Dans une langue comme le français se mêlent des relations diverses de l'écrit à l'oral. D'une part, les lettres transcrivent les sons de la langue ou plutôt la réalité abstraite des traits communs à plusieurs prononciations du même phonème; d'autre part, la graphie est morphologique: elle rapproche, par la présence du d non prononcé de grand, ce mot de grandir, grande et grandement. Elle montre ainsi des aspects du sens qu'on n'exprime pas - encore plus nettement dans les graphies étymologiques, vraies ou fictives (sang, cent, sans, etc.). Plus généralement, faces orale et écrite du langage sont à la fois liées et indépendantes, ce qui se vérifie dans le cas de la lecture. Il n'y a pas très longtemps, savoir lire c'était savoir déchiffrer. Mais on voit mieux maintenant qu'il y a plusieurs sortes de lecture : de la lecture rapide, qui cherche l'accès direct au sens, à la lecture épellative lorsque les mots sont mal connus.De même, les règles de la syntaxe orale et de la syntaxe écrite sont partiellement communes : on ne dit pas et on n'écrit pas garçon le. Mais si l'on peut dire : « Ben tu sais, ce type, sa sœur, il l'a battue , il n'est pas normal de l'écrire.Cela tient à ce qu'il y a, du moins en français, une langue populaire et une langue soutenue. Mais aussi à ce que les modes de fonctionnement du langage ne sont pas les mêmes. La langue orale est pour l'essentiel du côté de la présence : présence de celui qui parle et signifie par son corps, ses gestes, ses regards; présence fréquente de l'objet, qu'il ne sera pas nécessaire de nommer ou de caractériser (ou au contraire, dans l'exemple ci-dessus, familiarité de l'objet qu'on évoque après un signe d'appel ou de contact) ; présence aussi de l'interlocuteur, dont on saisira par ses gestes qu'il a compris, qu'on l'ennuie...: tous traits qui

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fonctionnent à l'opposé de la langue écrite. En effet, que ce soit pour celui qui écrit ou pour celui qui lit, celle-ci comporte une relation spécifique à la solitude. Ce qu'on appelle élaboration de la langue écrite est en grande partie lié à la relation d'un émetteur absent et/ou inconnu à des récepteurs également absents et/ou inconnus, dans un discours portant sur des réalités non familières.

Les genres de discours

En s'inspirant de Bakhtine, on dira qu'on ne peut parler de langage qu'au pluriel, qu'il n'existe que des genres de discours. Comme on ne peut en faire une liste exhaustive, on présentera quelques relations qui permettent de les cerner.La définition même du signe change selon qu'on considère qu'il vaut pour quelque chose qui est donné autrement ou que, au contraire, l'objet présenté n'est donné que par le langage : d'un côté, le signal routier qui annonce le croisement ; de l'autre, le discours de fiction. Mais parmi les « discours du réel », ce n'est pas la même chose de donner un ordre ou de signifier une interdiction que de montrer, de nommer ou d'expliquer. Dans une perspective proche, on pourrait classer les genres de discours par leur relation au temps : commentaires de l'actuel, Mémoires, généalogies, projets, anticipations ou discours à prétention atemporelle. Et ce en rappelant que ces aspects peuvent se mêler, que c'est la présence de l'absent que sont le passé ou le futur qui fonde « le réel » : le « pur présent » n'est guère saisissable.Une indication routière peut être écrite ou dessinée ; un poème peut être une quasi-musique. Le plus souvent, les relations sont plus complexes encore. Il suffit de comparer un film au roman dont il est tiré pour constater qu'il peut y avoir référence commune, mais aussi des traits qui ne peuvent être que transposés d'un système dans l'autre et, enfin, des aspects irréductibles.Si tout discours est nécessairement réponse à un discours déjà tenu ou, à l'opposé, renvoi à une réponse possible, il reste qu'on peut distinguer discours fait sur le mode de la répétition (qu'il s'agisse de famille, d'école, de religion, de politique, on ne cesse de répéter ce qui a été dit) et discours de transgression, moquerie, critique, commentaire: dans ce cas, le discours ne prend sens que par la distance à l'égard du discours de l'autre.Ces trois types de relation - à l'objet, à l'autre, aux autres signes - vont s'entremêler si l'on essaie de classer les jeux de langage en fonction de leur degré d'explicitation, de celui qui se veut tout à fait explicite (ce qui n'a de sens qu'en fonction d'un interlocuteur), au rappel, à l'allusion, au « mi-dire » et au silence complice.Certains sémioticiens, comme Iouri Lotman, ont proposé d'opposer un langage sacré à un langage profane: seraient profanes les usages du langage qui peuvent être traduits ; sacrés, ceux qui ne peuvent être modifiés. Dans le premier cas, on sait que l'interlocuteur a compris lorsqu'il reformule avec ses propres mots ; dans le second, on retrouvera tout ce qui va de la formule magique ou religieuse au slogan ou à l'identité du « nom propre ».

Origine et évolution du langage

Si la diversité des façons d'être du langage témoigne d'une grande complexité technique et culturelle, on peut essayer de l'éclairer par la saisie des modifications qu'il subit à travers les pratiques de ceux qui parlent. S'il est difficile d'interpréter les

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vestiges du passé que transmettent - consciemment ou non - les textes, il est possible d'observer et d'analyser le processus d'acquisition et de développement du langage chez l'enfant.

L'enfant et le langage

Comme l'enseigne l'expérience, citée plus haut, du pharaon curieux de l'origine des langues, un enfant sans échange langagier avec d'autres humains ne développe pas de langage (mais des jumeaux peuvent développer un langage compris d'eux seuls).Le développement du langage dépend de l'intégrité de zones cérébrales spécialisées. En cas de lésions précoces, les zones « normales » peuvent subir un transfert : les droitiers parlent, pour l'essentiel, avec leur hémisphère cérébral gauche ; si celui-ci est lésé précocement, l'enfant parlera, mais sans doute moins bien, avec son hémisphère droit.L'enfant ne commence pas par apprendre la langue. Il va « de la communication au langage ». Le langage se développe à partir d'interactions non verbales: le cri et son interprétation par la mère, les gestes de démonstration, les jeux d'imitation et d'alternance. Qui plus est, avant même l'apparition de la langue proprement dite (dès la vie dans l'utérus), l'enfant réagit de façon différentielle plus à la voix humaine qu'à d'autres sons, plus à la voix de sa mère qu'à d'autres voix humaines.Le langage de l'enfant est d'abord interactif (demander, attirer l'attention, refuser). Mais très vite se développent dans l'interaction des conduites référentielles : nommer des objets isolables, regardés ensemble ou pointés. Avant 2 ans, l'enfant est capable de parler d'objets absents ou, du moins, d'évoquer de l'absent à l'occasion de ce qui est présent. De même, il est capable avant 3 ans de se parler à lui-même.Si l'on considère la relation à autrui, il apparaît que dans toutes les communautés du monde les adultes utilisent un baby-talk (« parler-bébé ») qui comporte simplifications phonétiques, messages brefs, accentuation plus importante, utilisation préférentielle du lexique concret plutôt que des termes abstraits ou grammaticaux, référence aux objets de l'entourage familier. Sans oublier que, d'ordinaire, les adultes comprennent les messages de l'enfant, même lorsqu'ils sont formellement imparfaits.De son côté, l'enfant simplifie les messages, élimine les groupes de consonnes ou les formes irrégulières (tout petit enfant francophone a sans doute dit « les chevals »). On peut dire qu'il domine les relations sémantiques avant l'ordre syntaxique: ainsi, en ce qui concerne les noms, il isole de grands rôles sémantiques, ou cas (agent, patient, bénéficiaire), avant de prendre en compte des fonctions comme sujet ou objet grammaticaux.Pour une part, la langue est reçue : l'enfant n'invente pas les sons de sa langue maternelle, les mots également ne sont pas inventés. Mais pour une part tout aussi importante, l'enfant invente, ou en tout cas déplace, les mots ou les combinaisons entendus : il peut inventer des mots qui n'appartiennent qu'à lui; il peut appliquer les mots à des réalités auxquelles les adultes ne les adaptent pas, créer par dérivation de nouveaux mots sur un modèle donné. Par rapport au langage de l'autre, l'enfant n'a pas une seule façon d'apprendre: il imite en modifiant, il crée de façon analogique, il apprend à avoir des conduites complémentaires (répondre aux questions par exemple). Il combine, il utilise dans d'autres conditions ; très vite, il parle au sujet du langage et pas seulement des objets. Toutes ces procédures de

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changement se font dans un espace et dans une perspective à prédominance ludique.Si on veut considérer le développement du langage dans son ensemble, peut-être pourrait-on imaginer une sorte de boucle: la capacité de faire semblant, de jouer, de n'être pas dans le réel est sûrement extérieure et antérieure au développement de la compétence linguistique. Mais c'est par le système des signes des langues que se met en place cet autre que le réel immédiat, plus réel que lui: le passé, le futur, le possible, la loi et l'exception.Il faut alors se représenter des développements quantitatifs : ceux qui font que des unités se combinent, que la phrase se complexifie, que le lexique s'accroît. Mais aussi des sauts qualitatifs : parler sous la dépendance de l'adulte, lui imposer son jeu ; répondre, raconter; nommer le réel, inventer; parler avec l'autre, parler à haute voix, se parler à soi-même dans sa tête...

LA PERCEPTION

La perception par laquelle se réalise la rencontre avec le monde qui nous entoure a pour condition l'intermédiaire de l'ensemble de notre système sensoriel et pour horizon le terme plus général d'expérience.

La perception comme source de savoir

Questionnée sur sa valeur de vérité, la perception entre dans le cadre de la théorie de la connaissance et de la constitution de l'objectivité scientifique: il faut déterminer ce qui vient de l'objet, qui est reçu par le sujet, ce que le sujet prend dans l'objet et ce qu'il y ajoute. Les divers sens du verbe latin percipere (de per capere « prendre à travers ») recouvrent cette ambiguïté puisqu'il signifie « s'emparer de », « récolter, recevoir », « éprouver », « se pénétrer de », « connaître avec certitude ».Comme l'indique Gaston Bachelard, la science contemporaine est en rupture complète avec la perception, réélaborant constamment les espaces perceptifs par ses instruments (microscopes, télescopes) et par ses concepts : elle construit des sur-objets, calcule l'inobservable (physique des particules), pose un univers dont la description mathématique échappe à toute représentation concrète (théorie de la relativité générale d'Einstein).

La perception, objet d'études

Si la psychologie classique du XIXe siècle (Condillac) avait cru pouvoir décomposer la perception en éléments (les sensations), croyant que l'immédiat était simple, la Gestalttheorie a renversé cette naïveté. Cette « théorie de la forme » a fourni un appui à deux approches profondément distinctes de la perception, celle de la cybernétique et celle de Merleau-Ponty.

La description cybernétique de la perception

La description cybernétique de la perception se veut la plus complète et la plus complexe du mécanisme perceptif. Associant les psychologies quantitatives et du

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comportement, les sciences génétiques, cognitives et neurophysiologiques, les cybernéticiens formulent le système de la perception en termes de messages, de codages et décodages d'informations dans des modèles mathématiques et informatiques complexes qui intègrent l'aléatoire. Ils cherchent à « déterminer un comportement statistique [...] à partir d'un modèle normalisé de l'organisme humain transcriptible en termes mathématiques » pour parvenir à « l'intégration complète de l'homme dans l'univers physico-chimique ». (A. Moles, Théorie de l'information et perception esthétique).

La phénoménologie de la perception

Merleau-Ponty dégage la signification existentielle de la perception par un retour réflexif sur la subjectivité et une description de l'expérience perceptive. Percevoir, c'est une certaine manière de rencontrer les choses, de donner sens au monde en l'orientant à partir de cette manière d'être. Toutes nos perceptions sont des directions de sens. La perception n'est pas un événement parmi les autres dans un monde tout fait, c'est par elle que se constitue tout événement, de même qu'elle reconstitue chaque fois le monde en prenant ce qui est significatif, en lui donnant une signification. Par la même voie phénoménologique, Henri Maldiney, dans le chapitre « Comprendre » de Regard. Parole. Espace. articule les approches psychanalytique et esthétique des structures signifiantes et existentielles de la perception.

LA MÉMOIRE

La mémoire, liée au fonctionnement du cerveau qui en est la base biologique, résulte d'une « programmation » purement psychologique grâce à des mécanismes multiples. Ainsi la mémorisation des données simples, comme la forme graphique d'une lettre, ou des souvenirs complexes dépend de nombreux processus entre différentes « couches » de la mémoire, qui échangent des informations à grande vitesse.

Les modules de la mémoire

Dans les recherches contemporaines, très influencées par le développement de l'informatique, la mémoire est conçue comme un ensemble de modules synthétisant et stockant des informations selon des modes variés, les codes.La grande variété des mémoires correspond pour une part au fait qu'entre la réception des signaux physiques par les organes des sens (œil, oreille...) et le rappel des souvenirs il existe un grand nombre d'étapes de codage de l'information. Par exemple, le mot que nous croyons voir dans un livre n'existe pas en tant que tel sur la page, il est une construction psychologique: au départ, il n'est qu'une structure, un pattern de zones éclairées ou sombres, et ce n'est qu'après différents niveaux d'analyse que ce pattern sera identifié, d'abord comme une suite de graphismes puis comme un mot. C'est ce qui explique que nous serions bien incapables de mémoriser trois mots écrits en japonais. À ces niveaux d'analyse sont associées des « mémoires » qui permettent de conserver l'information, de quelques millisecondes à des années.

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Pour l'essentiel, on peut distinguer trois niveaux d'élaboration de l'information : les codes sensoriels et moteurs; les codes intermédiaires, lexical et imagé ; et un code conceptuel, très abstrait, le code sémantique. Cet ensemble de mémoires fondé sur des représentations mentales - mots et images - est appelé mémoire déclarative, par opposition à la mémoire « procédurale », qui concerne des apprentissages sensori-moteurs, le plus souvent automatisés, comme faire du vélo ou conduire une voiture.

Les codes sensoriels

Il semble qu'il existe des mémoires associées à tous les fonctionnements sensoriels, de la vision à l'olfaction.Le code visuel, ou « mémoire iconique », en est le plus étudié. De l'avis général, notre mémoire visuelle est excellente. Cependant des tests simples permettent de se rendre compte qu'en réalité elle est très éphémère.Le code auditif est un autre code sensoriel associé à l'analyse des sons du langage (phonologie). Il permet un stockage un peu plus long, d'environ trois à cinq secondes, de sorte qu'à court terme (quelques secondes) il est plus efficace de lire à voix haute ce qu'on veut se rappeler (par exemple, un numéro de téléphone).

Le code lexical

Après avoir été codée sensoriellement, l'information verbale est recodée dans un module supérieur, qui intègre les aspects visuels (orthographe) et auditifs : c'est le code lexical (du grec lexi, qui signifie « mot »). La mémoire lexicale serait donc une sorte de dictionnaire contenant le fichier de tous les mots. On peut considérer chaque unité lexicale comme l'enveloppe du mot, qui en représente l'intégration des caractéristiques phonologiques et orthographiques ainsi que le programme articulatoire (prononciation). La fonction du module lexical est double : il stocke tous les mots, mais il permet également de les identifier, qu'ils soient présentés visuellement, dans la lecture, ou auditivement, dans une conversation ou à la radio.

Le code imagé

Alors que la mémoire iconique est éphémère (sauf apprentissage intensif, par exemple, de la même page de cours), il existe une mémoire imagée, constituée de représentations mentales des objets qui nous entourent (y compris celles des fleurs et des animaux). Ces images présentent des analogies avec les objets perçus, mais, loin d'être des « photographies » de la réalité, elles sont des représentations abstraites résultant d'une synthèse d'images à partir de nombreuses « prises de vues » de nos yeux (trois par seconde) et de multiples souvenirs. Ainsi, nous reconnaissons des objets que nous voyons sous des angles nouveaux : une fleur ou un arbre seront identifiés comme tels même si leur couleur ou leur taille n'ont jamais été enregistrées auparavant.Si la mémoire iconique est fugitive, la mémoire imagée est en revanche extrêmement puissante et durable, comme on le pensait du reste depuis l'Antiquité: une expérience de laboratoire a montré que, sur 2 500 diapositives présentées en plusieurs jours, on en reconnaît 90 %. La supériorité des dessins est telle que cette

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mémoire résiste le mieux aux effets de l'âge, y compris dans de graves maladies affectant la mémoire.

Le code sémantique

Bien que découverte tardivement - dans les années 70 - par des psychologues et des informaticiens, la mémoire sémantique est certainement le niveau de codage le plus abstrait et le plus fondamental de la mémoire, avec une capacité extraordinaire permettant de mémoriser des dizaines de milliers de concepts. Si cette forme de mémoire n'est étudiée que depuis peu de temps, c'est sans doute parce qu'en apparence le code sémantique est indissociable du mot. Mais, en réalité, il ne concerne que le sens des mots et des choses (les images), et il apparaît distinct du code lexical. La meilleure illustration en est le phénomène du « mot sur le bout de la langue », c'est-à-dire lorsque nous cherchons à dire un mot, connu par ailleurs. Ce mot commun ou ce nom d'un personnage qui nous échappent reviennent sans effort plus tard, preuve qu'ils n'étaient pas oubliés : il y avait activation sémantique du concept, mais l'accès à l'unité lexicale (la « carrosserie » du mot) était inaccessible ou occupé par un autre mot lui ressemblant. Un deuxième phénomène, connu des enseignants, montre également la dissociation lexical/sémantique : un enfant peut lire parfaitement une leçon tout en étant incapable de répondre à des questions. Cette fois, c'est l'inverse qui se produit: le fonctionnement lexical se déroule alors correctement - le décodage du visuel en lexical se fait dans la lecture -, mais ne donne pas accès à la mémoire sémantique (compréhension).La mémoire sémantique peut être considérée comme un module supérieur de codage permettant de transcoder les images en mots, et réciproquement. Elle se caractérise également par une organisation fondamentale et néanmoins complexe sous forme d'associations comme « abeille-miel », ou de catégories comme « animal-chien », « fleur-tulipe », ou encore de scénarios incluant des concepts correspondant à des épisodes familiers, comme le « boulanger pétrissant du pain... »

Les codes moteurs

Le rappel n'est pas une expression directe, sans intermédiaire, de l'information ou des souvenirs stockés. Il nécessite en particulier le recodage des informations, en vue de leur transfert dans le système vocal, dont la fonction est comparable à celle d'une imprimante dans un réseau informatique. Ainsi, la vocalisation est une activité courante pendant la mémorisation (d'une formule, d'un poème...) et s'exerce de façon répétitive; elle est silencieuse chez les adultes. Ce phénomène, appelé « autorépétition », participe au recodage lexical durant la lecture et sert de mémoire artificielle (par exemple, on répète un numéro de téléphone pendant quelques secondes). Si on supprime l'autorépétition ou la subvocalisation, la mémorisation baisse d'environ 40 %.

Le fonctionnement de la mémoire

Non seulement un mot et un objet présentés sont codés à des niveaux croissants d'abstraction, mais encore ils subissent des codages multiples. C'est le cas

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notamment des dessins plus facilement mémorisables que les mots. Cette supériorité est due à un double codage : les dessins ou objets sont codés à la fois dans le module imagé et de manière verbale (modules lexical et sémantique). Ainsi, des dessins présentés dans un film vidéo, où chacun n'est « visible » que pendant 2/10 s, ne peuvent plus être recodés verbalement; alors ils ne sont pas mieux rappelés que des mots. Contrairement à l'opinion répandue selon laquelle la mémoire serait « photographique », la mémoire imagée est donc complexe et nécessite des codages multiples. En particulier, la mémoire des visages semble très complexe : elle nécessite un encodage imagé, un accès dans une unité de reconnaissance des visages ; une connexion avec un processus d'identification des personnes (niveau sémantique) qui précède la génération du nom (niveau lexical)  ; enfin, elle implique des processus d'analyse de l'expression émotive du visage et de l'expression de la parole.

Les processus d'organisation

L'ensemble des modules ne peuvent être activés simultanément, c'est seulement l'activation d'une sous-partie appelée « mémoire à court terme » ou « mémoire de travail » qui est possible. À l'instar de l'écran d'un ordinateur, la mémoire à court terme ne permet d'activer qu'une petite partie de la mémoire à long terme. Représentée comme un ensemble de fenêtres ouvertes sur les modules de la mémoire à long terme, elle peut fonctionner comme mémoire de travail (calcul mental), mémoire fichier (récupération de mots)...La mémoire à court terme est limitée à environ sept unités (mots ou phrases familiers...). Des expériences montrent que, du fait de cette limitation, les groupements des informations à apprendre rendent plus efficace la mémorisation: elle est particulièrement performante dans le cas d'une liste de mots groupés par catégories familières (animaux, fleurs, pays). Très fréquents, ces processus d'organisation ordonnent notamment les phrases et les paragraphes d'un texte, le plan d'un manuel scolaire.

Les processus de récupération

S'inspirant d'une fonction informatique (l'adressage), des chercheurs ont démontré qu'il était souhaitable de fournir des indices dits de récupération pour retrouver des informations spécifiques dans les mémoires. Ainsi, si l'on veut faire apprendre une longue liste de mots groupés en vingt catégories, l'oubli sera important malgré les possibilités d'organisation. Mais la présentation des titres des catégories permettra d'en rappeler un très grand nombre. Des indices phonétiques (comme la première syllabe d'un mot) ou une photo sont des informations efficaces qui feront resurgir des souvenirs oubliés. Un mot ou un visage représentent des indices particuliers dans la mesure où ils constituent l'information elle-même, qui donne lieu à la reconnaissance dans 70 % à 90 % des cas : des photos d'anciens camarades de collège présentées cinquante ans après sont reconnues par 90 % des sujets.Les indices eux-mêmes peuvent être organisés par une méthode connue sous le nom de « procédé mnémotechnique ». Par exemple, la phrase clé « Me Voici Tout Mouillé, Je Suis Un Nageur Pressé » est une organisation des indices: les initiales des mots rappellent le nom de Mercure, Vénus, Terre, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune, Pluton.

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L'oubli

Mis à part les processus biologiques tels que la lésion ou le vieillissement, l'oubli est principalement provoqué par l'absence d'indices de récupération et par les processus d'abstraction. Dans les expériences utilisant des indices de récupération (par exemple, des noms de catégorie), on a constaté un phénomène appelé oubli des indices : des informations apparemment oubliées étaient conservées, mais restaient inaccessibles faute d'indices, comme dans une gigantesque bibliothèque.L'autre phénomène, qui est irréversible, appelé oubli épisodique, provient du fait que les processus de codage font une synthèse des épisodes qui se ressemblent : ainsi, nous oublions des épisodes multiples (par exemple, avoir fermé une porte à clé), pour ne rappeler qu'un scénario général.

La mémoire autobiographique

Alors que les modules codent et stockent des informations spécifiques, les souvenirs de la vie quotidienne sont des complexes utilisant plusieurs modules, des images (souvenir d'une maison), des histoires et des visages (évoquant un anniversaire), des connaissances sémantiques (une guerre). Ces ensembles d'informations sont structurés à un haut niveau sémantique (scénario) et rattachés à des évaluations affectives et sociales. Ainsi, dans l'évocation libre de souvenirs, environ 80 % d'entre eux sont liés à des événements de la vie privée, et seulement 20 % à des événements publics. Parmi les événements privés, beaucoup ont une tonalité affective importante, concernant des accidents, des « premières » ou des épisodes romantiques.Les souvenirs autobiographiques mélangent de façon paradoxale à la fois des thèmes centraux et des détails qui paraissent insignifiants. Des détails tels qu'une vieille porte de maison ou un jouet serviraient en fait d'indices de récupération pour compléter le souvenir en l'intégrant en particulier aux connaissances stockées en mémoire sémantique.

GÈNES ET CULTURE

Que ce soit dans les astres, les oracles ou, plus récemment dans l'histoire de la médecine, dans la forme du crâne ou le contenu des chromosomes, les hommes ont toujours recherché des déterminants, des explications à leurs actes, leur personnalité, leurs comportements. À chaque époque sa sorte de déterminant : c'est ainsi qu'au XIXe s. on avait cru trouver l'explication des instincts criminels dans certaines bosses du crâne ; dans les années 60, avec la découverte de la formule chromosomique individuelle, on crut découvrir le « chromosome du crime ». Aujourd'hui, à l'heure de la génétique, des chercheurs affirment avoir découvert les gènes de l'agressivité.

La médiatisation des recherches en hérédité des comportements

Les médias en font volontiers leurs titres (« Naître criminel, intellectuel, homosexuel… », « Les gènes de la colère », « Le puzzle génétique des affections mentales »), qui témoignent de la mode actuelle du « tout génétique ».

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La source de ces articles se trouve, pour une bonne part, dans la revue américaine Science. C'est en effet aux États-Unis que la controverse est la plus vive. En 1992, par exemple, à l'université du Maryland, une conférence sur les aspects génétiques de la violence a dû être annulée sous la pression de manifestants. Il faut dire que, dans ce pays, il ne s'agit pas seulement d'un débat d'idées, d'une controverse purement théorique. Étant donné la gravité de certains problèmes sociaux, liés pour une bonne part aux inégalités de sort des différentes ethnies, les hommes politiques n'hésitent pas à rechercher, dans les théories qui leur conviennent, des justifications aux mesures qu'ils souhaitent prendre.Les recherches sur l'hérédité des comportements ne sont pas nouvelles. Depuis plus d'un siècle, les revues scientifiques traitent régulièrement de cette question, et depuis la révolution technologique de la génétique, au début des années 80, de nombreuses équipes de recherche, dans le monde entier, essaient de traquer les gènes responsables. Cependant, à ce jour, les résultats en termes de gènes identifiés sont relativement peu nombreux.Comment expliquer cela ? L'une des raisons, et non la moindre, tient à la difficulté de définir l'objet étudié : qu'est-ce, au juste, qu'un « comportement » ? Questionnez donc les gens autour de vous : il est probable que vous récolterez presque autant de définitions différentes que de personnes interrogées !Ensuite, quand on estime avoir réussi à définir et quantifier l'objet de l'étude, que l'on dispose de paramètres mesurables, il reste, comme on le verra dans de nombreux exemples, tous les problèmes de méthodes et d'interprétations. Enfin, il est impossible d'aborder la controverse sur l'hérédité des comportements sans considérer son interaction étroite avec l'idéologie, et l'histoire sociale et politique.

Les études de jumeaux

Le style amoureux est-il génétiquement déterminé ? Des recherches aussi ridicules et sans intérêt ne sont pas rares en ce moment, donnant lieu à publication dans des revues parfois très sérieuses. Les auteurs, des chercheurs californiens, ont utilisé la « méthode des jumeaux » et affirment avoir examiné, à l'aide de tests de personnalité et de comportement, 345 paires de vrais jumeaux, 100 paires de faux jumeaux et 172 épouses de jumeaux. Conclusion de l'étude : le style du comportement amoureux d'un homme n'est pas génétiquement déterminé !L'observation des jumeaux est l'une des techniques les plus anciennes pour mettre en évidence l'influence de l'hérédité. Rappelons que les vrais jumeaux sont issus d'un seul œuf fécondé, tandis que les faux proviennent de deux œufs fécondés au même moment. Les premiers reçoivent donc le même patrimoine génétique, ce qui n'est pas le cas des seconds.Le raisonnement est le suivant : si deux personnes ont le même équipement génétique, toutes les différences observables, sur le plan biologique comme sur le plan comportemental, seront imputables à l'environnement. De cette façon, si un comportement est plus souvent partagé par les vrais jumeaux que par les faux, on peut théoriquement déduire l'existence d'un déterminisme génétique de ce comportement.En médecine, les études de jumeaux ont permis de montrer le rôle indéniable joué par l'hérédité dans certaines prédispositions à des maladies ou dans la constitution de « terrains » favorables au développement de certaines infections. Cependant, quand il s'agit de l'appliquer à l'étude du comportement, cette méthode est l'objet de vives critiques quant à son principe même.

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En effet, pour pouvoir affirmer qu'un comportement partagé par des jumeaux puise son origine dans leur identité génétique, il faut qu'ils aient été séparés dès la naissance et adoptés dans des familles distinctes, de milieux différents, et sans contact d'aucune sorte. L'ensemble de ces conditions se trouve rarement réalisé. De plus, les appels des scientifiques cherchant des volontaires se font généralement par télévision ou voie de presse. Comment peuvent répondre à de tels appels des vrais jumeaux séparés à la naissance et ignorant chacun l'existence de l'autre ?Par ailleurs, même s'ils ont réellement vécu séparément, les vrais jumeaux ont les mêmes particularités et capacités physiques, les mêmes prédispositions aux maladies et partagent la même histoire d'enfant orphelin ou abandonné, puis adopté… Toutes choses qui peuvent évidemment favoriser des réactions ou des comportements similaires de la part de la société et des proches.Ces études servent souvent de prétexte à des publications, complaisamment reprises et amplifiées par les médias - parmi les plus connues, figurent celles entreprises depuis la fin des années 70 par Thomas J. Bouchard dans le Minnesota. Cet auteur émaille toujours ses publications d'anecdotes qui sont naturellement mises en avant par les médias comme autant de « preuves scientifiques » de l'hérédité des comportements : par exemple, le fait que les jumeaux Oskar et Jack portaient tous deux des chemises à épaulettes quand ils furent réunis pour la première fois, et que tous deux ont l'habitude de tirer deux fois la chasse d'eau aux toilettes, une fois avant et une fois après…Les comportements pour lesquels les chercheurs affirment avoir démontré, par des études de jumeaux, une influence héréditaire sont fort variés, allant de pathologies comme la schizophrénie, l'autisme, la psychose maniaco-dépressive, la maladie d'Alzheimer, jusqu'à des traits comme l'alcoolisme (mais beaucoup plus chez les hommes que chez les femmes), la tendance à la dépression, les troubles du comportement alimentaire, mais aussi la personnalité « antisociale », la tendance à la névrose, à l'extraversion, la délinquance, la violence, la tendance à la soumission ou à la domination, l'orientation sexuelle, la réussite scolaire, la mémoire et l'intelligence, l'amour-propre, la timidité , voire le conformisme

Les marqueurs génétiques

Des méthodes beaucoup plus récentes, apparues dans les années 80, sont basées sur l'analyse du support même de l'hérédité, la molécule d'ADN, qui forme à l'intérieur des chromosomes des dizaines de milliers d'unités fonctionnelles, les gènes. Une méthode largement utilisée consiste à étudier les marqueurs familiaux. Il s'agit de fragments d'ADN présents chez tous les porteurs d'un même trait (caractéristique physique, comportementale, ou maladie génétique). On peut espérer, dans certains cas, par une étude de plus en plus resserrée de la région chromosomique contenant le marqueur, arriver à cerner le gène responsable.

La chorée de Huntington

C'est ainsi que le gène en cause dans la maladie de Huntington (ou chorée) a pu être identifié. Cette maladie neurodégénérative, dont les conséquences dramatiques apparaissent généralement vers l'âge de quarante ans, se traduit par des mouvements choréiques (appelés ainsi parce qu'ils rappellent ceux de la danse), une détérioration intellectuelle progressive et conduit à la mort, en

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moyenne en dix à vingt ans. Une grande famille durement touchée par cette maladie avait été recensée au Venezuela. L'étude de marqueurs d'ADN dans des échantillons de sang prélevés chez ses membres a permis, en 1983, de cerner puis, en 1993, d'identifier le gène sur le chromosome 4.Cependant, un marqueur génétique peut très bien être trouvé chez des personnes portant un trait sans qu'il y ait nécessairement une relation de cause à effet. Il peut, par exemple, contenir un gène qui n'intervient que de façon indirecte, ce qui risque de poser de gros problèmes d'interprétation.Une autre méthode utilisant des marqueurs est de plus en plus employée actuellement. Au lieu de s'appliquer à des familles, elle s'applique à des échantillons beaucoup plus importants pris dans la population. Il s'agit de comparer la fréquence d'un marqueur chez des personnes porteuses d'un trait à sa fréquence dans la population générale.

Des pathologies héréditaires

Avec ces techniques, on a identifié des gènes dans un petit nombre de pathologies : outre la chorée de Huntington, un type de retard mental a pu être corrélé en 1991 à une fragilité particulière du chromosome X. Le « syndrome de l'X fragile » est aujourd'hui la première cause de retard mental après le syndrome de Down (ou mongolisme). Un gène lié à un type de maladie d'Alzheimer héréditaire qui apparaît à un âge moyen (environ 1 % des cas) a été trouvé sur le chromosome 21.

La recherche de gènes improbables

Les « gènes de la colère » ont fait, en octobre 1993, les titres des médias : pour un type particulier de violence impulsive, un gène du chromosome X a pu être « incriminé ». Il a été trouvé dans une famille hollandaise qui totalisait un nombre impressionnant d'hommes ayant commis des viols, des agressions diverses, et provoqué des incendies. Ce gène permet normalement la synthèse de la MAOA (mono-amine-oxydase A), une enzyme qui régule les concentrations de certains neurotransmetteurs dans le cerveau. Chez ces personnes, le gène ne fonctionne pas. Les chercheurs suggèrent que là se trouve la cause de ces « comportements agressifs ». Mais cela n'a pas été démontré. Cependant, la découverte de tels gènes soulève des problèmes éthiques, sur lesquels nous reviendrons.Ces quelques résultats concernent des pathologies neurologiques ou neurochimiques. Mais qu'en est-il de tous ces gènes dont la découverte a été annoncée avec éclat ces dernières années ? Ceux de l'alcoolisme, de l'homosexualité, de l'agressivité, de la passion du jeu, de la psychose maniaco-dépressive et de la schizophrénie ? Leur découverte n'a pu être confirmée. Pour certains d'entre eux, les chercheurs ont même dû se rétracter : ce fut le cas pour ceux qui s'intéressaient au gène de la psychose maniaco-dépressive.Des événements analogues se produisirent pour la recherche des marqueurs ou de gènes pour la schizophrénie, l'alcoolisme, la passion pathologique du jeu, la toxicomanie et les phénomènes de dépendance en général. Plusieurs études ont montré que les travaux sur le « gène de l'homosexualité » ne sont pas davantage à prendre au sérieux.

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Les généticiens du comportement

Certains chercheurs admettent aujourd'hui que c'est la vision schématique de ces affections ou de ces traits qui est à l'origine de tous ces déboires. Il est très probable, si toutefois des gènes interviennent, qu'ils soient plusieurs, et qu'ils fonctionnent en interaction complexe. Dans un tel système, un gène donné n'est ni nécessaire ni suffisant. De plus, ce déterminisme n'est certainement pas strict. Il faudrait plutôt parler de susceptibilité, de prédisposition. L'environnement et l'histoire propre de l'individu joueraient un rôle au moins aussi important.Mais les chercheurs en génétique du comportement continuent à penser qu'il est très important de découvrir ces gènes. Ces dernières années, l'exploration du génome humain a toutefois porté ses premiers fruits. On dispose désormais de cartographies dont le pouvoir de résolution a beaucoup augmenté. Il va devenir possible, en « ratissant » le génome, de détecter des « points chauds », c'est-à-dire des zones contenant des gènes pouvant être impliqués dans les affections mentales et de nombreux traits comportementaux.Beaucoup d'argent et de nombreuses équipes de recherche sont mobilisés dans ces études : en tout, pour la seule psychose maniaco-dépressive, douze équipes dans le monde, dont dix américaines, une canadienne et une européenne, dans laquelle le CNRS et le Généthon (laboratoire qui fonctionne essentiellement avec les fonds recueillis lors du Téléthon) jouent leur partie.

La recherche des gènes des comportements

Pourquoi tous ces investissements ? Ces recherches vont-elles permettre aux gens de vivre mieux ? Les publications des généticiens font rarement état de ces questions éthiques ; ils se contentent en général d'affirmer qu'en connaissant mieux le déterminisme d'une maladie on saura mieux la traiter. Cependant, depuis la découverte de gènes responsables d'affections « purement » physiques comme la myopathie ou la mucoviscidose, aucun progrès thérapeutique décisif n'a pu être accompli à partir de la connaissance du gène. Il est donc évident que si plusieurs gènes interviennent en interaction et de façon variable, il y a un monde entre leur mise en évidence et les progrès thérapeutiques que ces chercheurs nous promettent !

La notion d’individus à risque

Ce qui se profile à l'horizon de ces recherches c'est, en revanche, la possibilité de repérer dans la population les individus « à risque », ou encore d'établir, pour un individu donné, un « profil » de susceptibilité à divers traits pathologiques ou simplement comportementaux. Le repérage d'individus à risque se fait déjà en épidémiologie : ainsi, l'association de certains gènes de lipoprotéines et le risque de maladie cardio-vasculaire est maintenant bien connu.Dans le domaine du comportement, on a pu montrer une corrélation entre la maladie d'Alzheimer d'apparition tardive et une lipoprotéine sanguine, l'apo-E4. Sa fréquence est de 0,40 chez les patients et de 0,15 chez les contrôles. La différence peut sembler faible, mais le résultat repose sur l'examen de très grands échantillons : elle est donc tout à fait significative.De telles études ne prétendent pas mettre en évidence un déterminisme génétique strict, mais une probabilité accrue de développer la maladie. La présence du gène

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correspondant (les généticiens parlent d'« allèle ») n'est ni nécessaire ni suffisante ; ainsi, de nombreux patients ne présentent pas cet allèle ; inversement de nombreuses personnes ayant cet allèle ne développent pas la maladie. Mais cette caractérisation permet de « classer » les gens selon leur propension plus ou moins élevée à développer la maladie. La méthode tend à se généraliser. Des corrélations sont actuellement à l'étude pour certains types de schizophrénie et certaines formes d'alcoolisme et de toxicomanie.Ainsi, après des décennies de recherches biaisées, d'objets d'étude mal définis, de problèmes méthodologiques, en un mot, de « mauvaise science », il est possible que les techniques d'analyse du génome humain permettent bientôt de dévoiler les diverses prédispositions mentales.

Les études génétiques et la société

Si des variations de prédispositions, pathologiques ou simplement comportementales, devaient être mises au jour entre populations humaines, il est peu probable que notre société y verrait la complémentarité offerte par la diversité, les admirables richesses du genre humain. Il est plus vraisemblable qu'elle chercherait aussitôt à établir des jugements de valeur sur ces différences, qu'elle y verrait des « inégalités ».Plus prosaïquement, et ainsi que cela se fait déjà pour des prédispositions à des maladies comme le cancer, les compagnies d'assurances ne manqueraient pas de faire valoir ces informations pour déterminer des montants différentiels de primes. La tentation serait grande aussi pour les employeurs de se saisir de telles informations pour établir des discriminations à l'embauche. Le contexte social et économique actuel ne s'y prête-t-il pas particulièrement ?D'autres problèmes éthiques sont illustrés par ce qui s'est produit lors de la découverte du gène de la MAOA. La responsable du groupe qui a fait la découverte raconte que, juste après la publication de l'article, elle a été assaillie de coups de fil d'avocats qui voulaient faire tester leurs clients condamnés pour meurtre. Au cas où le test révélerait une déficience en MAOA, ils espéraient que cela aiderait à les. D'un autre côté, certains commentateurs de radio suggérèrent de stériliser les porteurs du « gène sadique ». Il est impossible, constate cette scientifique, d'empêcher les gens de raisonner selon des équations dans lesquelles tel gène entraîne tel comportement, même si les chercheurs apportent un démenti. Elle continue pourtant ses recherches, affirmant que le but de la génétique du comportement est d'aider les personnes prédisposées en intervenant sur leur environnement, en leur donnant le soutien dont elles ont besoin.

L’intelligence est-elle héréditaire ?

Que l'on choisisse de parler d'aptitudes cognitives, de facteur g (c'est plus à la mode) ou de quotient intellectuel (QI), la question du déterminisme de l'intelligence est particulièrement redoutable sur le plan scientifique comme sur celui de ses implications sociales. Premier problème : sa définition. Il s'agit en effet d'une fonction extraordinairement complexe, à laquelle ne peut correspondre aucune définition unique satisfaisante. Si l'on considère l'une des plus courantes, c'est-à-dire l'aptitude à s'adapter à des situations nouvelles, à découvrir des solutions aux difficultés que l'on rencontre, alors l'observation de la simple vie courante nous

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montre l'étonnante diversité des méthodes utilisées selon les individus et selon les circonstances, la multiplicité des formes d'intelligence possibles.Pourtant, on voit régulièrement réapparaître le débat opposant les tenants de l'hérédité à ceux qui affirment que l'intelligence est due à l'« environnement », c'est-à-dire à l'éducation, ou au milieu socio-économique de la famille.Que peut-on penser de ce débat ? Une chose est certaine : une multitude de gènes interviennent, directement ou indirectement, dans le fonctionnement du cerveau et il ne fait aucun doute qu'une combinaison complexe de gènes, spécifique à l'être humain, explique que les membres de notre espèce partagent des capacités qui n'existent nulle part ailleurs dans le monde animal. Ainsi, l'équipement génétique d'un chimpanzé, le plus astucieux de nos cousins primates, ne lui permettra jamais, quels que soient les efforts faits pour l'éduquer, d'acquérir l'intelligence conceptuelle et symbolique d'un être humain. En ce sens, on peut dire que l'intelligence est génétiquement déterminée.

Les partisans de l’hérédité de l’intelligence

Mais le débat entre « héréditaristes » et « environnemen-talistes » ne se situe pas à ce niveau. Les premiers voudraient faire de l'intelligence, de son « degré », un caractère racial. C'est le cas de Charles Murray et de Richard Herrstein, auteurs d'un ouvrage intitulé The Bell Curve (« la Courbe en cloche »), paru fin 1994 aux États-Unis. Les remous provoqués outre-Atlantique par la parution de ce livre ont fait des vagues jusque dans notre pays. Il y a de quoi, car ce que les auteurs cherchent à démontrer, derrière les graphiques et les statistiques de QI qui inondent les pages, est clair : la politique sociale d'intégration doit être abandonnée puisqu'il est impossible d'augmenter l'intelligence des Noirs ; leur infériorité génétique les condamne, quoi qu'on fasse, à la délinquance, au chômage et à la pauvreté.Si tous les héréditaristes ne sont pas aussi extrémistes, presque toutes les études visant à démontrer l'hérédité de l'intelligence pèchent par de nombreux travers de méthodes ou d'interprétation. Par exemple, une confusion fréquente porte sur les notions d'hérédité et d'héritabilité. Si le premier terme désigne ce qui est transmis par les gènes, le second a trait à ce qui est transmis par l’environnement familial et pas nécessairement par la biologie. On peut constater, par exemple, que la réussite sociale (sur le plan financier) est hautement héritable : la probabilité pour qu'un enfant fasse plus tard partie de la tranche de population à hauts revenus est beaucoup plus élevée si les parents de cet enfant sont eux-mêmes aisés. Si l'on considère la réussite scolaire, le taux d'échec est environ quatre fois plus élevé chez les enfants issus de la classe ouvrière que chez les enfants de cadres. Les Noirs, aux États-Unis, sont aussi les plus pauvres, ceux qui réussissent le moins à l'école et dans les affaires. Ce sont les mêmes qui, statistiquement, ont les moins bons résultats aux tests de QI. Pour Murray et Herrstein, l'explication réside dans des différences génétiques.

L’étude du QI

Pour de nombreux psychologues, les différences de réponses aux tests de QI entre races et groupes ethniques ne peuvent être interprétées en termes de différences génétiques. Chaque personne répond aux questions posées en fonction de son

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expérience vécue, de son environnement culturel, du mode de vie de la population à laquelle elle appartient.Mais aussi selon l'habitude qu' elle a ou non de passer des tests, de l'angoisse qu'elle peut éprouver devant un examinateur… Ces facteurs ont probablement une influence plus grande que ce qu'on imagine habituellement. Dans un autre domaine, on a pu constater que les simples conditions de prise de la tension artérielle peuvent faire varier sa valeur de façon significative. C'est dire combien les facteurs de type émotionnel peuvent influer quand il s'agit de passer des tests destinés à mesurer les aptitudes mentales !

Autres facteurs de variation du QI

L'affectif joue un très grand rôle dans l'expression des capacités intellectuelles, et il est bien connu que certaines névroses « rétrécissent » le champ de la conscience. Un événement traumatisant peut également affecter l'expression de l'intelligence, comme l'illustre l'histoire du petit Pierre : au début de sa scolarité, ce petit garçon était un bon élève. Sa mère mourut au cours d'un accident. Il changea de classe, son nouveau maître d'école trouva que c'était un mauvais élève, et même qu'il était stupide. On voit, avec cet exemple, à quel point l'affectif peut, comme disent les psychologues, envahir la sphère intellectuelle.Enfin, une critique essentielle que l'on peut faire aux travaux portant sur le QI concerne l'objet même de l'étude. Personne ne peut prétendre que le quotient intellectuel donne une mesure de l'intelligence. Les divers tests de QI sont en rapport avec la maîtrise du langage et du raisonnement abstrait. Mais ils sont imprégnés d'éléments propres à la culture de ceux qui les inventent et aux normes sociales en vigueur. Par exemple, certains tests demandent d'identifier des personnages de la littérature, de juger des « bonnes » et des « mauvaises » manières… À des tests construits empiriquement de façon à s'accorder aux performances scolaires, l'idée qu’ils mesuraient l'intelligence a été ajoutée par la suite.

Héréditaristes contre environnementalistes

Certains environnementalistes mettent en avant l'existence d'une corrélation statistique entre les résultats obtenus aux tests de QI et le statut socio-économique (SES) de la famille dans laquelle la personne a été élevée. Cela prouverait, d'après eux, que l'intelligence est déterminée par le milieu. Ce qui va très loin puisque certains psychologues, notamment en France, n'hésitent pas à fonder des études sur une équivalence entre faible QI et SES bas !Il est possible que les auteurs qui défendent la thèse environnementaliste pensent promouvoir une idéologie de « gauche », l'idée généreuse selon laquelle tous les individus devraient avoir les meilleures conditions possibles de vie, d'éducation et d'instruction. Cette idée humaniste est naturellement tout à leur honneur.Cependant, une telle vision déterministe peut avoir d'autres conséquences. Car, finalement, est-ce qu'elle n'aboutit pas à enfermer les individus dans une fatalité presque aussi implacable que celle des gènes ? L'idée que tout est joué d'avance quand on est issu d'un milieu donné n'est-elle pas tout aussi réductrice et dangereuse que celle d'un déterminisme génétique ?

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Le rôle donné au milieu de vie

Avec une telle vision des choses, certains journalistes se plaisent à trouver des déterminants sociaux à l'origine de certains faits divers. Ainsi, à propos des « enfants tueurs » de Liverpool qui défrayèrent la chronique à la fin de l'année 1993, le Nouvel Observateur prétendit trouver la cause de leurs actes criminels dans leur enfance. Parlant de la mère d'un des petits assassins, le journaliste « expliqua » : « C'était une femme agressive qui avait transmis son agressivité à ses enfants. » De là à conclure qu'un certain type de milieu (par exemple, les banlieues) « produit » certains types de comportements (par exemple, la délinquance), il n'y a qu'un pas, terrifiant de simplicité, que certains se feront malheureusement un plaisir de franchir…Ainsi, qu'il soit social ou génétique, le déterminisme comportemental ne laisse pas sa place à l'histoire personnelle, il tend à enfermer les individus dans un destin tracé à l'avance. Et que devient la responsabilité d'un individu si son comportement est prédéterminé ?

LE COMPORTEMENT

Le comportement est la manière dont un sujet quelconque réagit aux stimulations du milieu naturel ou social dans lequel il vit (terme utilisé en psychologie, en médecine mentale et en biologie).En psychologie, l'emploi de ce terme est dû à l'Américain John Broadus Watson (1878-1958), fondateur de la psychologie du comportement ou behaviorisme. Watson avait tiré la leçon des critiques adressées à la fin du XIXe siècle à la méthode introspective, c'est-à-dire à la description de ses « états de conscience » par le sujet, méthode qu'Auguste Comte, en France, avait écartée de la science positive par un jugement sans appel : « L'œil ne se regarde pas lui-même ». Dans l'article Psychology as the Behaviorist Views It paru en 1913, Watson se proposa de faire de la psychologie la science du « comportement objectivement observable des êtres humains ».

Le couple stimulus-réponse

Au sens étroit (que lui a donné Watson), la notion de comportement exclut radicalement toute référence à la conscience, car celle-ci, jugée trop subjective, ne peut être un objet d'étude scientifique. Le comportement d'un être humain (ou de tout autre être vivant) peut toujours être décrit en termes de stimuli et de réponses. Le stimulus désigne toute excitation en provenance soit du milieu extérieur (ondes lumineuses ou sonores, particules matérielles affectant l'odorat, chocs, action d'un acide, d'un courant électrique, etc.), soit du milieu interne (mouvements des muscles et sécrétions des glandes) (voir réception des stimuli). La réponse désigne toute modification des muscles lisses ou striés, toute sécrétion glandulaire provoquée par l'action du stimulus. La relation stimulus-réponse n'est pas quelconque, mais vise à un effet d’adaptation (loi de l’ajustement). Le but de la psychologie du comportement est d’établir les relations constantes qui existent entre un ensemble donné de stimuli et les réponses correspondantes, de sorte que, l’un des termes étant donné ou connu, on puisse prévoir ou détecter l’autre. Watson exclut les réponses à long retardement en psychanalyse, et même, plus paradoxalement, l’étude des processus nerveux intermédiaires. On peut dire que

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pour lui, la réponse R est fonction (f) de la situation S : R = f (S), c’est-à-dire que la réponse est une réaction mécanique plus ou moins complexe à une situation donnée.

Psychologie du comportement

Les difficultés que souleva bientôt l’application du behaviorisme strict (en particulier la mise à l’écart totale des données conscientes et la négligence de l’étude complète des réactions organiques) conduisirent les psychologues behavioristes à élargir considérablement le sens du terme. L’étude moderne du comportement se préoccupe à la fois de l’influence des stimuli et de celle des réactions conscientes ou inconscientes du sujet à l’action du milieu pour expliquer ses actes. À la suite de Pierre Janet, on a proposé le terme de conduite pour tenir compte de cet élargissement légitime du sens primitif.D’autre part, sous l’influence d’un disciple de Watson, Tolman, on a intercalé entre le stimulus et la réponse une série de variables intermédiaires qui enrichissent, en le modifiant, le rapport trop mécanique défini par Watson : facteurs physiologiques de tous ordres, équipement héréditaire, âge, influence de l’apprentissage antérieur, traumatisme affectifs, etc. Le comportement désigne alors toute activité de l’être vivant en fonction des situations dans lesquelles il se trouve, sous la seule réserve qu’elles puissent donner lieu à des observations objectivement contrôlables. Dans son Traité de psychologie expérimentale, Paul Fraisse propose de remplacer la formule mécaniste citée plus haut par R = f (SP), la double flèche indiquant que la conduite dépend de l’interaction entre la situation S et la personnalité P du sujet. Dans ce sens, la behaviorisme ayant cessé d’être une doctrine réductrice pour devenir une méthode expérimentale contemporaine est bien une psychologie du comportement (ou de la conduite).

LE DÉVELOPPEMENT DU COMPORTEMENT

Le concept de stades

Durant la première moitié du XXe s., la psychologie de l'enfant va s'efforcer de reconstituer les stades successifs de l'évolution de l'enfance à l'âge adulte.Deux psychologues se sont affrontés sur le problème du découpage de l'évolution de l'enfant : le Français Henri Wallon et le Suisse Jean Piaget.

Wallon et les « étapes de la personnalité »

Henri Wallon, qui fait partie de l'école française de psychologie, où les chercheurs acquièrent une double formation de philosophe et de médecin, commence par s'intéresser au domaine de la pathologie : il étudie notamment les troubles psychomoteurs chez l'enfant.Le résultat de cette première recherche, à la fois pratique et théorique, se résume en une vision négative du développement: le trouble « psychomoteur » semble, pour Wallon, être l'indice d'un arrêt du développement, qui suppose, entre autres choses, une réduction - une inhibition - de la motricité.

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Toute la difficulté consiste à montrer comment se met en place un tel frein, qui serait la condition même de la pensée. Aussi Wallon abandonne-t-il rapidement le terrain de la pathologie pour s'intéresser à l'évolution psychologique de l'enfant.Dans ce domaine, Wallon, contrairement à la démarche qui sera adoptée par Piaget, n'entreprendra pas directement des expérimentations sur l'enfant. Dans l'Évolution psychologique de l'enfant (1941), il établit, d'un point de vue plus global que Preyer, des comparaisons entre l'enfant et l'animal: il se réfère aux travaux de psychologie animale, notamment à ceux qui ont été poursuivis sur les primates et, s'appuyant sur des monographies d'ethnologues, il cherche à confronter « la mentalité primitive et celle de l'enfant ». De toutes ces comparaisons se dégage la spécificité du développement de l'enfant, autrement dit son « évolution psychologique ».Dans la théorie de Wallon, le développement de l'enfant s'étend sur une période qui va de la naissance à l'âge scolaire, c'est-à-dire jusqu'à l'âge de 5 ans environ : au cours de cette période se constitue la « personne », ou la « personnalité ». Dans la construction de la personnalité, Wallon distingue quatre étapes, ou stades. « Ces étapes, écrit-il, se succèdent dans un ordre nécessaire, chacune formant une préparation indispensable à l'apparition des suivantes. »

Le stade impulsif

Succédant à la situation de symbiose organique, propre à la vie intra-utérine, il est caractérisé par des mouvements « impulsifs », dont l'efficacité immédiate est nulle. Mais parmi ces mouvements figurent les cris, qui peuvent obtenir un résultat: les pleurs du nourrisson font intervenir l'entourage.

Le stade émotionnel

Il s'étend entre 3 et 6 mois. À la différence du stade précédent, il n'est pas dominé par l'activité motrice, mais par celle de « relation ». En effet, au cours de cette période, où ses sourires deviennent définitivement sociaux, l'enfant s'imprègne d'attitudes et de mimiques prises dans son entourage.

Le stade sensori-moteur

Lors de cette troisième étape, qui va de l'âge de 9 mois à plus de 1 an, on constate un retour vers les mouvements, qui s'affinent et se finalisent. On sait que c'est à cette époque que l'enfant se lève, puis marche, avant d'accéder au stade du langage.

Le stade de la personnalité

Cette quatrième étape débute par « la crise de personnalité de 3 ans » et s'achève vers 5 ans, au moment de la prise en charge de l'enfant par l'école. Elle est marquée « par un retour de l'enfant vers lui-même, pour un nouvel effort de libération ». Cet effort est volontariste, négativiste : c'est l'âge du « non », du « moi » et du « mien ».

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Cette description de l'évolution psychologique de l'enfant correspond tout simplement à ce qu'un observateur sagace pourrait noter. Mais Wallon ne se limite pas à décrire ces étapes; il se propose aussi d'expliquer comment s'effectue le passage de l'une à l'autre. Ce qui assure ce passage, c'est moins un processus de transition que d'opposition. Ce phénomène est particulièrement clair entre les stades impulsif et émotionnel: c'est de leur contradiction que découle leur succession. Pour Wallon, c'est le fait même de surmonter une contradiction ou un conflit qui permet d'accéder à une conduite supérieure. En ce sens, il considère l'évolution comme un processus « dialectique ».Dans cette interprétation du développement de l'enfant, une importance primordiale est accordée à l'entourage et, par conséquent, à l'éducation. Pour Wallon, l'enfant est en effet « organiquement sociable ». C'est là l'opposition la plus fondamentale de sa théorie avec celle de Piaget.

Piaget et les stades de l'intelligence

Piaget commence ses travaux au moment où Wallon occupe dans le domaine de la psychologie de l'enfant une place prépondérante. Ses recherches, qui s'inscrivent dans l'hypothèse de la récapitulation, s'éloignent cependant de la démarche théorique de Wallon et s'inspirent plutôt de celle de Baldwin. Elles se placent surtout dans la perspective de l'élaboration d'une théorie de la connaissance.Piaget écarte d'emblée la question du langage et par conséquent celle de l'éducation. Pour lui, l'enfant est replié sur lui-même : c'est un être « égocentrique » dont le développement se fait « spontanément ». Isolé de son entourage humain, l'enfant ne dispose, selon Piaget, que des objets pour se développer. Son développement consiste à « construire le réel », puis à l'organiser de façon logico-mathématique. En d'autres termes, le développement de l'enfant, dès la naissance, se limite à l'évolution de son intelligence. Dans cette perspective, il n'y a pas de place pour l'affectivité; dès lors, le conflit entre l'affectivité et l'intelligence - évoqué par Wallon - est exclu du processus. Si, d'une manière générale, cette théorie ne réussit pas vraiment à rendre compte de la dynamique nécessaire au progrès, il faut reconnaître que le principal mérite de Piaget consiste à avoir introduit la méthode expérimentale dans la psychologie de l'enfant.Les expériences les plus importantes de Piaget sont celles qui portent sur « la conservation des quantités physiques ». L'une d'elles consiste à montrer à l'enfant deux récipients identiques, remplis d'une même quantité de liquides, mais de couleurs différentes. L'enfant admet facilement qu'il y a « la même chose à boire » dans les deux récipients. On transvase alors le liquide de l'un des deux récipients dans un troisième, de forme différente - soit plus bas et plus large, soit plus haut et plus étroit -, et on repose la même question. La réponse correcte, qui consiste à dire que la quantité ne change pas, puisqu'on n'a rien ajouté ni retiré, n'exige pas de recours à l'expérience : elle peut être qualifiée par Piaget de « logico-mathématique ». Obtenue chez les enfants de 11-12 ans, cette réponse définit le dernier stade du développement de l'intelligence: celui des opérations formelles. Un peu avant cette époque, vers 8 ans, l'enfant se repère sur le niveau du liquide : il affirme alors que la quantité diminue lorsque baisse le niveau du liquide, et qu'elle augmente lorsque celui-ci monte. Cependant, au cours du transvasement, l'enfant peut reconnaître occasionnellement qu'il y a retour à l'égalité. C'est pourquoi ce stade est celui des opérations concrètes : l'équivalence peut être reconnue, mais de façon épisodique, c'est-à-dire non logique.

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Piaget étudie également ce qui se passe plus tôt, lorsque l'enfant ne sait pas encore parler et ne peut donc être interrogé : l'expérience consiste alors à inviter l'enfant à retrouver un objet caché, conservé dans un endroit différent. Les gestes que l'enfant accomplit alors sont analysés en termes de « déplacements » par le psychologue, qui en donne une interprétation logique. Le premier stade de l'intelligence chez l'enfant, qui commence dès la naissance, est appelé « sensori-moteur » par Piaget. Le développement de l'enfant - identifié avec le développement de l'intelligence - passe donc par trois grands stades, dont la succession revêt un caractère nécessaire: en fait, dans ce système, il n'y a pas de place pour l'arrêt, l'erreur ou l'inversion.Le passage d'un stade à l'autre a beaucoup préoccupé Piaget, qui a proposé une sorte de modèle probabiliste, fort critiqué par d'autres psychologues. Par ailleurs, il a procédé à une subdivision plus minutieuse à l'intérieur de chacun des trois grands stades, mais cette segmentation à l'infini n'a pas abouti à la solution du problème, qui reste entier.La théorie de Piaget, dont le nom se confond à l'heure actuelle avec la notion de développement de l'enfant, donne à l'adulte une image indéniablement très satisfaisante et rassurante de l'enfant. Dans cette interprétation, celui-ci apparaît dès sa naissance comme un être intelligent, qui ne semble se préoccuper d'autre chose que de le devenir davantage, sans l'intervention intempestive de l'adulte ni, surtout, celle de l'école.

LA COMMUNICATION NON VERBALE

La notion de communication non verbale est au centre de travaux en sciences sociales qui considèrent l'activité corporelle comme base de l'interaction sociale. Elle a notamment été introduite par l'anthropologue américain Ray Birdwhistell qui, en analysant plan par plan des séquences filmées d’interaction entre des personnes, a montré que, dans l'acte de parler, les yeux, le visage, les membres et le torse produisent des signes qui, s'ils semblent passer inaperçus, transmettent néanmoins de l'information. Ces signes non verbaux peuvent être comparés au langage, avec lequel ils sont coordonnés à tous les niveaux. Selon Edward Hall, on peut affirmer qu'entre 50 et 90% de l'information est véhiculée par des moyens non verbaux. Il serait néanmoins abusif de parler de communication non verbale comme d'un phénomène isolable de la communication en général : celle-ci est en effet un phénomène complexe, multidimensionnel, qui utilise de multiples canaux.

Les signes non verbaux

Des signes non verbaux considérés comme allant de soi, souvent émis inconsciemment, jouent un rôle essentiel dans la manifestation des attitudes et des intentions, et servent d'indices comportementaux. La signification assignée à des éléments non verbaux, comme l'apparence physique, l'habillement, le maintien, les mouvements, les attitudes, l'intensité de la voix, les gestes, le maquillage du visage, les mimiques, l'expression émotionnelle, forment le contexte dans lequel le message verbal prend un sens, même si les personnes n'ont pas conscience d'attribuer des intentions à ces éléments. Si un individu peut s'arrêter de parler, il ne peut s'empêcher de communiquer par le langage du corps.Parmi ces éléments non verbaux on distingue :

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- des signaux paralinguistiques, tels que hauteur de voix, rythme de parole, contours d'intonation, position de l'accent, aspect mélodique de la segmentation du flux de paroles, indicateurs intonatifs de tours de parole, et gestes quasi linguistiques remplaçant ou soulignant des éléments verbaux ;- des messages du corps, conscients ou inconscients, interprétés de façon technique ou non, composant, par symbolisme corporel, un dialecte des attitudes et des gestes (la kinésique étudie la façon de se mouvoir et d'utiliser son corps) ;- des signaux relevant de la proxémique, qui se rattache à l'usage que l'homme fait de l'espace (la position du corps dans la conversation, l'agencement des espaces intérieurs…) et notamment à la manière dont la distance interpersonnelle et ses variations sont utilisées pour communiquer ; - la synchronie conversationnelle, par laquelle des personnes engagées dans une conversation synchronisent leurs mouvements en même temps qu'elles communiquent ;- les mouvements des yeux, très utilisés en programmation neurolinguistique, qui sont en corrélation avec nos façons de penser et fonctionnent comme des indicateurs précédant l'expression verbale.Qu'on parle ou qu'on se taise, tout comportement peut prendre valeur de message. On ne peut pas ne pas communiquer, et ce que nous émettons aux niveaux verbal et non verbal exerce une influence sur nos interlocuteurs. Nous communiquons beaucoup plus que nous n’en sommes conscients.

Diversité des systèmes non verbaux

Les systèmes non verbaux sont étroitement liés à l'ethnie. Chaque culture a sa propre manière de marcher, de s'asseoir, de se tenir debout, de s'appuyer, de gesticuler. Chaque culture a son propre langage de l'espace.Or, dans tous les groupes, il y a une tendance à penser que chaque modèle de communication non verbale est universel. C'est pourquoi les malentendus de la communication interculturelle apparaissent souvent avec des divergences dans les conventions de signalement, au niveau de la perception et de l'interprétation, de signes faciaux et gestuels qui semblent à première vue triviaux. La façon dont les gens rythment leurs rencontres et synchronisent leurs interactions est aussi un facteur culturel de cohésion ou de rupture.Selon certaines hypothèses, les informations verbales et non verbales seraient traitées par deux systèmes symboliques distincts, fonctionnellement indépendants, interconnectés et différenciés au niveau des hémisphères cérébraux, le système verbal, de type digital, étant localisé dans l'hémisphère dominant (en général gauche chez les droitiers) et le système figuratif, de type analogique, spécialisé dans l'organisation spatiale et visuelle, se trouvant dans l'autre hémisphère.

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