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bulletin trimestriel du Comité Amérique Latine de Caen n°100 - automne 2016 (parution : septembre 2016) 2 Colombie : enfin la paix ? Mexique : pétition pour la vérité sur les 43 étudiants disparus d’Ayotzinapa Solidarité : financement participatif pour une école populaire de cinéma, de théâtre et de télévision 40 ans de solidarité avec l’Amérique latine

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bulletin trimestriel du Comité Améri que Latine de Caen

n°100 - automne 2016 (parution : septembre 2016) 2 €

Colombie : enfin la paix ?

Mexique : pétition pour lavérité sur les 43 étudiants disparusd’Ayotzinapa

Solidarité : financementparticipatif pour une école populaire decinéma, de théâtre et de télévision

40 ans de solidaritéavec l’Amérique latine

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Novembre 1985 :

Le numéro 0 du bulletin du Comité

qui ne s’appelait pas encore

SOLAL, puis quelques-unes des

couvertures des années 80

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1SOLAL n° 100 Automne 2016

40 années de solidarité avec lespeuples d'Amérique latine

e centième numéro coïncide avec le quarantième anniversaire de notre comité ;une occasion rêvée pour retracer 40 ans de luttes en Amérique Latine ainsi que

les orientations et formes que nous avons choisis de donner à la solidarité. Le CAL :son histoire, ses origines, son évolution liée aux événements politiques de l'époque,ses engagements militants... bref, l'occasion aux anciens de se retourner sur notrepassé (avec nostalgie, ou non...), se reposer certaines questions ou réabordercertains débats et pour les plus jeunes de découvrir et interroger cette solidarité quenous avons mise en œuvre toujours guidés par la boussole du soutien aux luttes despeuples d'Amérique latine.

40 années à retracer, beaucoup trop pour un seul SOLAL ; nous nous arrêterons doncaux années 90, la suite au prochain numéro...

Editorial du numéro 0 (novembre 1986) : (extraits)Le nouveau bulletin est arrivé… Une nouvelle revue de plus ! s’écrieront

certains, on plie déjà sous les informations et voi là que des amateurs selancent dans l'édition d’un canard boiteux pour meu bler leurs longues soiréesd’hiver.…

L’Amérique latine est le continent du rêve. Rêve de la jeunesse qui tourneses regards vers cette multitude de pays où tout se mble possible. Les espaces ysont infinis, les fleuves gigantesques, les forêts palpitantes de mystère, etles espoirs d’une société nouvelle en perpétuelle g estation. « Che » Guevarapouvait-il être issu d’un autre monde ? Rêve des in génieurs que fascinent lesmontagnes de fer et de manganèse, les routes longue s de milliers de kilomètres.Rêve des capitalistes à la recherche de gains à la mesure de leurs ambitions.Rêve de ceux et de celles qui, devant les temples a ztèques du Mexique ou lesforteresses Incas du Pérou, attendent de l’histoire qu’elle leur restitue tousles secrets des peuples pré-colombiens.

Dans le numéro 4 ( février 1988) on trouve un résum é de l’activité de solidaritéavec l’Amérique latine qui, à Caen, avait déjà plus de 10 ans d’histoire :

Solidarité - Une question toujours d’actualité

Depuis de nombreuses années (1976), ont existé à Ca en des Comités desolidarité avec les peuples d’Amérique latine ; Com ité Chili, COBA (Argentine78), Comité Chili – Amérique latine, Comité Salvado r Amérique centrale,regroupés aujourd’hui dans le « COMITE AMERIQUE LAT INE » (CAL).

Notre but est d’être un centre de discussion, de ré flexion,d’initiatives et d’action. Nous pensons que le sout ien aux luttes des peupleslatino-américains n’est la propriété de personne, c ’est pourquoi nous nousadressons systématiquement à l’ensemble des organis ations ou associationspolitiques, syndicales, humanitaires, pour qu’ensem ble, et c’est souventpossible, nous proposions des initiatives.

Cette politique d’unité nos paraît la plus adaptée pour démultiplierl’information et les tâches concrètes de la solidar ité. Toute initiative sur lesréalités des peuples d’Amérique latine prise par un e section syndicale, unsyndicat, un foyer socio-culturel, une association, une organisation , a notresoutien et participe de notre action. Nous tenons à la disposition de toutes cesstructures les informations locales et nationales a insi que notre presse et nosmoyens de communication (Solal, montage audio-visue l, expo photos) afinqu’elles puissent animer leurs initiatives.

C

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2SOLAL n° 100 Automne 2016

Toute l’Amérique latine ?

Ambitieux projet que de soutenir tous les peuples d ’Amérique latine. Bienentendu, nous sommes obligés de faire des choix, po ur ne pas nous disperser :Nicaragua et Amérique centrale, Chili, constituent aujourd’hui nos priorités.Le Nicaragua est l’exemple type d’une Révolution qu i a défait une dictaturesoutenue par les USA et qui reconstruit une économ ie (de pays sous-développé)en répondant aux aspirations des couches populaires tout en subissant de pleinfouet l’agression des USA.

A l’heure actuelle, le gouvernement nicaraguayen es t engagé dans une vastenégociation diplomatique à travers le plan de paix «Arias ». Les USAaccepteront-ils que les Centro-américains règlent e ntre eux leurs problèmes ?

14 ans après le coup d’Etat au Chili, la dictature de Pinochet reste unedes plus sanglantes qui résiste, pour le moment, au vent de la démocratisationdans le cône Sud.

Voilà, expliqués en quelques mots, les axes princip aux de notre travail.Nous prendrons des initiatives (soirées-débats, int erventions, …) pourdévelopper la solidarité autour de ces thèmes.

Eléments de bilan financier :

Comité Chili :60.000 F environ (de l’époque),aide aux familles d’exilés sur Caenaide au Chili : clinique populaire, cantine d’enfan ts, paysans…

Comité Salvador Amérique centrale :Campagne « un million pour le Salvador » en 82 …..1 0.750 F

Comité Amérique Latine :Nicaragua :- Brigade 85 : 22.370 F- Brigade 86 : 16.000 F- Brigade 87 : 37.500 F- matériel médical 86 8.000 F- école 86 1.250 F- pétition 86 5.000 F- Cardenal 87 4.000 F

Chili 86 :- don aux syndicats 2.000 F

Salvador 86 :- don 2.000 F

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Dossier 40 ans de solidarité

Les débuts du ComitéAmérique Latine de Caen

Témoignages d'Alain, Chantal, Jacques, Jean Claude, Jutta, Guy, Raquel

n 1973, après le coup d'état au Chili, il y aeu des mobilisations partout en France et

dans d'autres pays avec des manifestations et lacréation de multiples Comités de soutien Chili.C'était surtout une mobilisation de l'extrêmegauche, bien organisée, et de la jeunesse quiétait très politisée ; une des conséquences de mai68 et de la guerre du Vietnam.

Les premiers réfugiés chiliens ont commencé àarriver ; une vague de libérations-expulsions deprisonniers politiques, des centaines de personnes,accueillies essentiellement en France, en Suède et enAllemagne. Il y avait urgence, il fallait accueillir, aiderà trouver des logements, tout …

Raquel et Michel évoquent cette période, de leurs points de vuerespectifs (voir plus loin)

Et puis, il y a eu le coup d'Etat en Argentine en 1978 etça a donné lieu aussi à toute une vague demobilisations, de militantisme partagé entre lesdifférents comités, organisations.

On militait la journée mais le soir on allait quandmême voir les matchs à la télé! rires

Guy qui a été un des animateurs du COBA à Caen rappelle cettecampagne. (voir plus loin)

En parlant de foot, je me souviens d'avoir été au Chiliquand on était encore sous Pinochet, au début desannées 80, et d'avoir été invité par mes hôtes au stade,à Santiago, pour voir un match d'ailleurs vraiment pasde grande qualité. Le stade, qui était redevenu un stadede foot normal avec des matchs normaux, ça faisaitvraiment bizarre de se retrouver là. Et, à un moment, 2joueurs se sont rentrés dedans et la balle est partie enchandelle très haut. Et immédiatement, les gens se sontlevés et ont commencé à chanter "y va a caer, y va acaer". D'un seul coup, voir et entendre 20, 25 000personnes debout chanter ça, c'était incroyable. La

police, les militaires ne pouvaient rien faire. "y va acaer" (elle va tomber), c'était le début du slogan des"protestas", un mouvement de grandes manifestationspopulaires - évidemment non autorisées et violemmentréprimées - qui se développait de plus en plus. Leslogan c'était "y va a caer, y va a caer la dictaduramilitar" (elle va tomber la dictature militaire). Pourmoi, ce moment là représente bien l'esprit impertinentet blagueur des chiliens.

Après, en 1979, le Comité Salvador Amérique centrales'est crée pour soutenir la lutte des guérillas et nous, lesmilitants, on faisait souvent partie des 2 comités. Onsuivait ça de près, c'était fort. Il y avait la coordinationnationale pour soutenir les zones libérées par leFMLN. Frente Farabundo Martí de LiberaciónNacional ( Front Farabundo Martí de libérationnationale) .

E

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4SOLAL n° 100 Automne 2016

Nous, on collectait de l'argent pour soutenir larésistance au Salvador – qui incluait aussi la résistancearmée. On organisait des concerts avec des musiciens,des groupes latinos, on participait à la Fête descoteaux, on organisait des choses à la Fac, dans leslibrairies, les lycées, on tenait une table de presse aumarché.

C'est vrai qu'on se mobilisait beaucoup pour leSalvador et le Nicaragua, mais le Guatemala est restéun peu le parent pauvre. Mais je me rappelle de celivre de Rigoberta Menchu: Me llamo RigobertaMenchú y así me nació la conciencia (Moi, RigobertaMenchu), publié presque simultanément en espagnol eten français ; on s'est mis à parler plus de ce qui sepassait là-bas.

Et finalement, on a fusionné lescomités petit à petit parce qu'on étaittoujours un peu les mêmes quiparticipaient alors, il valait mieuxfaire une seule réunion! (Rires)

Et puis, tout au long de ces années,on a reçu des gens, des "invités demarque"! (Rires)

Il y avait un vrai intérêt. Par exemple,on a reçu Fernando Cardenal, àl'époque ministre de l'éducation auNicaragua, frère du poète. On a reçuaussi Jean Ziegler, Samuel Mejia, lemaire de Rama, petite ville de larégion Est où nous allions en brigadede solidarité.

Il y a 40 ans, les débuts du Comité ChiliTout a commencé en 1976 ; des réfugiés chiliensarrivent à Caen. Le premier mouvement c'est l'accueil :des couples arrivent avec des enfants, l'un de cesenfants vient de naître, d'autres ont quelques années.Des hommes seuls aussi.

L'urgence, c'est de trouver des logements et derécupérer tout ce qu'il faut pour vivre : Solidaritéélémentaire avant toute question !

Premier temps qui voit la naissance d'un noyau dequelques personnes qui travaillent ensemble,s'organisent, créent des liens entre elles, trouvent dessolutions. Des relations se nouent aussi avec cespremiers réfugiés.

Dans un deuxième temps, il s'agit pour les uns et lesautres de comprendre. Que s'est-il passé ?

Si personne n'ignore le nom d'Augusto Pinochet et soncoup d'état du 11 septembre 1973, tous ont besoin deconnaître l'engrenage des événements : comment celaa-t-il pu se produire ? Comment un pays démocratiquequi a élu un président socialiste, Salvador Allende, a-t-il pu succomber devant un général d'armée, undictateur, qui allait prendre le pouvoir, réprimant,arrêtant les dissidents, emprisonnant, torturant,envoyant en exil,

C'était aussi en même temps faire savoir tout cela àCaen et dans la région. Elargir la solidarité paraffichage en ville et sur le campus de l'université. Maisaussi en organisant des soirées d'information et demusiques latinos comme celle des KARAXU...

C'était surtout croire en la solidarité, au delà de sonpré carré individuel.

Michel Couenne

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Notre arrivée en FranceEn 1976 nombreux étaient les réfugiés politiques quiarrivaient du sud de l'Amérique latine. Par centaines,par milliers. C'était une époque sinistre pour nous,militants de gauche, et aussi pour la population engénéral à cause du coup d'état militaire dans monpays : le 11septembre 1973, la junte militairereprésentant les 4 branches des forces armés du Chilisous la direction de Pinochet avait renversé leprésident élu : Salvador Allende. Nous étions tristes dedevoir quitter le pays, nos camarades, nos familles.

Une fois arrivés à Paris on était orientés vers desfoyers avec l'aide de France Terre d'Asile. Là on seretrouvait parmi les argentins, uruguayens, brésiliens,paraguayens, boliviens et chiliens.... Des années plustard on a eu connaissance de l'horrible « PlanCondor» : les dictatures militaires d'Amérique du Sudavaient passé un accord pour échanger et fairedisparaître les opposants : d'où l'exode des militantssud-américains. Au bout d'un certain temps chaquefamille ou réfugié, quittait le foyer pour trouver unlogement, apprendre la langue, trouver un travail.

Pourquoi notre arrivée à Caen, ville qu'on neconnaissait pas, puisque la plupart d'entre nous n'avaitjamais quitté son pays ? Pour ma part, le choix decette ville est dû à l’existence d'un comité de solidaritéavec le Chili et les réfugiés politiques.

Développer la solidarité avec le Chili et l'Amériqu edu Sud

Ici on a trouvé des militants de la solidarité avec quiparler de notre expérience en tant que personne etmilitant, disposés aussi à nous aider dans notreinstallation dans notre nouvelle vie. Notre premierobjectif était de faire connaître l’ampleur de larépression commise par la dictature. Il y avait l'urgencede parler des prisonniers politiques, des disparitions etassassinats de militants et dirigeants populaires. LeComité Chili a alors mis en œuvre des campagnespour dénoncer la dictature au Chili, et soutenir larésistance.

Le comité Chili a fait partie d'une coordination decomités en France. Et en coordination avec les autrescomités, nous avons lancé une campagne de boycottdes fruits importés du Chili: « Boycott des fruits de ladictature ». Nous avons organisé des réunionspubliques avec des invités pour parler de la situationpolitique de l'époque en Amérique du Sud dont lesplus marquantes avec:

Carmen Castillo, militante chilienne dont lecompagnon Miguel Enriquez, dirigeant du MIR(Mouvement de la Gauche Révolutionnaire) avait étaitassassiné par la DINA, police politique de la junte ;

Eder Sader, réfugié politique brésilien, professeur desociologie qui avait vécu un double asile : en 1964 leprésident élu João Goulard est renversé par unedictature militaire soutenue par la CIA. Aussitôt aprèsle renversement du président, la guerre sale

s'intensifie contre la population civile C'est comme celaque des militants provenant du Brésil sont arrivés auChili. Nous les chiliens étions alors dans une périodepleine de projets et d'espoirs, en lutte contrel'oligarchie et l'impérialisme yankee. Et en 1973 aprèsle renversement du gouvernement chilien, Eder et safamille étaient contraints de s'exiler une nouvelle foisen France.

le journaliste du Monde diplomatique Bernard Cassen,pour une conférence sur les politiques libérales queles dictatures avait mises en place au Chili et dansd'autres pays d'Amérique latine.

En 1978 en France se crée le COBA pour boycotterl'organisation du mondial de football en Argentine.L'Argentine avait subi un coup d'état militaire dirigé parle général Videla en1976. L'objectif du COBA était deconvaincre les joueurs de football de ne pas se rendreen Argentine car avec cet événement la junte militaireespérait donner une image respectable du régime. Lecomité Chili a participé au côté du COBA àl'organisation de meetings pour sensibiliser lapopulation en dénonçant la répression.

Nous avons aussi organisé des concerts et spectaclesavec des artistes engagés :Isabel et Angela Parra, losJaivas , Karaxu, Patricio Manns, Xibalba Théatre … Lebénéfice de ces spectacles servait à soutenir larésistance chilienne.

Dans les années 80, le MIR lance la politique « elretorno » ...le retour. Des militants vont rentrer au Chilipar la voie clandestine. Cette politique du MIR étaitsecrète pour la sécurité des militants : il s'agissait dequitter les pays où ils étaient réfugiés, pour sepréparer à la lutte armée et rentrer au pays pour fairepartie de la résistance. Quelques membres du comitéont soutenu cette action restée secrète. Mesure desécurité exige !

A la fin des années 70 et au début des années 80,d'autres nouvelles nous arrivent d'Amérique centrale.En 1980 l'assassinat de l’archevêque de San SalvadorMgr Oscar Romero par un escadron de la mortmarque le début d'une guerre civile sanglante entrel'armée et le gouvernement soutenus par les EtatsUnis d'une part et la guerilla du Frente FarabundoMarti de Liberacion National et les organisationspopulaires d'autre part. Un Comité Salvador s'est alorsconstitué à Caen, certains de ses membres étant aussimembres du Comité Chili.

Par ailleurs, le 19 juillet 1979, le Nicaragua change dedestin politique. Le Front Sandiniste défait l'armée dudictateur Somoza, ce qui ouvre de nouvellesperspectives au mouvement de solidarité. Dans lesannées qui suivent, le Comité Chili et le ComitéSalvador vont fusionner dans le Comité Amériquelatine, qui continuera, jusqu'à la chute de Pinochet en1990 et après, à soutenir le mouvement populairechilien.

Raquel Zamorano

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1978 : Le Comité Contre laCoupe du Monde en Argentine(COBA)En 1976, un coup d’état chassa la présidente élueIsabelle Perón et porta au pouvoir une junte militaireavec à sa tête le général Videla. La répression fut unedes pires du continent : tortures, disparitions, le bilande 7 ans de dictature militaire fut terrible (pire encoreque la dictature chilienne) : 30.000 morts et disparus,500.000 exilés. C’est dans ce contexte qu’eut lieu lacoupe du monde de football en 1978.

La dictature voulait utiliser cette manifestation pouraméliorer son image dans le monde, créer un climatd’union nationale, faire oublier la réalité.

La comparaison était immanquable avec la coupe dumonde de 1934 en Italie Mussolinienne ou avec lesjeux olympiques de Berlin en 1936 avec Hitler.

En France et un peu partout dans le monde eut lieuune campagne contre cette coupe du monde. Descomités pour le boycott du mondial se créèrent (ce futle cas à Caen), faisant campagne pour que l’équipe deFrance ne se rende pas en Argentine. Manifestations,distributions de tracts, vente d’un plagiat du journal« l’Equipe », réunions publiques eurent lieu pendanttout le Mondial.

Cela n’empêcha pas le déroulement de la Coupe maiseut quand même un certain écho jusque dans lesmilieux du football. Mais les milieux officiels en Francerestèrent discrets. La France avait beaucoup d’intérêtséconomiques en Argentine. Et, ce qu’on apprendraplus tard, des anciens militaires gradés de l’AlgérieFrançaise participèrent à la formation de militairesargentins pour la torture (voir le livre de Marie MoniqueRobin « Escadrons de la mort, l’école française », laDécouverte 2004).

Le COBA qui eut donc une existence temporaire sefondit dans ce qui devint le Comité Amérique Latine deCaen.

D’autres événements, la lutte des femmes contrela disparition d’enfants (appelées par la dictatureles « folles de la place de Mai »), des résistancessyndicales, nombreuses mais à haut risque, laguerre des Malouines perdue contre l’Angleterre,la crise économique, l’endettement extravaganteurent raison de la dictature militaire qui céda lepouvoir en 1983.

Guy Maunoury

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Dossier 40 ans de solidarité

Soutien à la révolutionsandiniste au Nicaragua

Des prêtres augouvernement

u Nicaragua, la dictature a duré 45 ans (de1934 à 1979). Ce furent des années de

domination militaire, de concentration de larichesse dans un petit nombre de mains, depersécution politique et de répression enversla population. La famille Somoza a accumulébeaucoup de richesses et a exercé le pouvoirde façon illimitée.

Ces conditions d’injustice sociale ont été à l’origine,pendant les années 60, de la création du FrontSandiniste de Libération Nationale (FSLN), qui en1979, a renversé la dynastie somoziste.

La révolution a amené au pouvoir le gouvernementsandiniste (1979 à 1990) ; c’est au sein de cegouvernement que quelques prêtres ont assumé descharges comme chrétiens engagés et défenseurs del’être humain. Ce sont :

Ernesto Cardenal, prêtre diocésain, Ministre de laCulture, Fernando Cardenal, prêtre jésuite, Ministre del’Education, Miguel d’Escoto, religieux de l’OrdreMaryknol, Ministre des Relations extérieures et EdgarParrales, prêtre diocésain, ambassadeur du Nicaraguaà l’Organisation des Etats Américains (OEA).

Ils ont rempli ces charges en s’étant dégagés de leursordres religieux respectifs, considérant qu’en tant queprêtres ils étaient au service du peuple.

Leur travail n’a pas été facile parce que qu’il y avaitbeaucoup de difficultés, il fallait savoir écouter etprésenter les critiques, mais malgré cela, lesdifférentes expériences qu’ils mirent en œuvre furenttrès précieuses : campagne d’alphabétisation,développement culturel, rôle joué dans desorganismes internationaux et autres.

Bernardo Boulang

texte recueilli par Marta, militante syndicalesalvadorienne

Témoignages d'Alain, Chantal, Guy, Jacques,Jean Claude, Jutta, Raquel

Autour de la révolution sandiniste, la solidaritéeuropéenne s’est surtout manifestée en Suède, enFrance et en Allemagne. En France, sous la forme debrigades internationales et des collectes de matérielmédical…

Que ressentiez-vous à ce moment-là, en tant quemilitants, par rapport à ce qui se passait auNicaragua ?

-Un grand espoir, de l’enthousiasme, de la solidarité…

-Plusieurs d’entre nous avons été voir et entendreOrtega à Paris, en 89.

-Tous les fonds qu’on récoltait allaient aux projets surplace. C’est nous-mêmes qui les donnions auxautorités locales lors des brigades de solidarité. Noussommes partis tous les ans entre 85 et 89. C’étaient desbrigades temporaires en été ; elles duraient troissemaines mais la plupart d’entre nous restaient pluslongtemps pour découvrir le pays.

-A notre retour, on parlait de ce qu’on avait vécu sousforme de témoignages et nous diffusions des montagesdiapos. On rendait aussi compte de la façon dont étaitutilisé l’argent. Beaucoup de gens venaient, les amphisétaient pleins. Dans les années 70 à 85 tu faisais deuxspectacles et les salles étaient pleines. Tu récoltais desfonds facilement pour soutenir une lutte.

Comment le Comité diffusait-il l’information ?

-SOLAL était déposé dans les bibliothèques de Caen.Tous les dimanches matin il y avait des militants, nousétions sur le marché Saint Pierre. Les affiches étaientcollées à l'Université,dans les collèges et les lycées oùcertains d’entre nous travaillaient… Ce sont desaffiches qu’on n’oserait plus coller aujourd’hui, avecdes gens armés. La lutte armée aujourd’hui n’est pasbien comprise par l’opinion publique

A

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8SOLAL n° 100 Automne 2016

Qui participaient aux brigades ?

-Il n’y avait pas que des membres du Comité ; il yavait aussi des militants de gauche, des prêtresouvriers, et des personnes non militantes, quidécouvraient à la fois le Tiers Monde et un processusrévolutionnaire. Certaines d’entre elles fonctionnaientplus sur des valeurs humanistes, voire humanitaires,que politiques.

Parlez-nous un peu de l’organisation…

-Certaines brigades étaient reliées à une structurenationale, le CSN (Comité de Solidarité avec leNicaragua). Cette structure-là était surtout le faitd’organisations d’extrême-gauche. On est partis deuxfois dans ce cadre. D’autres brigades étaient organiséespar la CGT et le PC.

-Les trois brigades suivantes ont été organisées parl’intermédiaire de Bernard Boulang, prêtre militant dela solidarité qui vivait depuis de nombreuses années,d'abord au Salvador, au Honduras d'où il fut expulsé,puis au Nicaragua. Il nous a trouvé les contacts ; c’estpar lui qu’on a été un peu en décalage avec la structurenationale, qui considérait qu’on allait dans une zone unpeu dangereuse. Plus précisément, nous on était à LaEsperanza, une petite municipalité de Rama, dans larégion de Juigalpa une des plus pauvres du Nicaragua.

Qu’est-ce que vous faisiez, une fois là-bas ?

-Quand on arrivait dans le village, on était saisis par lapauvreté. Certaines familles étaient là pour fuir laguerre, elles venaient de la campagne. La premièrechose qu’on faisait, c’était de donner à la municipalitéle fruit de nos collectes, pour contribuer audéveloppement du village. Dans la première brigade, à

Corinto, un port de la côte pacifique qui fut miné parl'armée US, on a financé la construction de maisons. Achacune des trois dernières brigades, on a financé enpartie la salle communale, un petit kiosque à boissonset une partie de l’école.

-Dans la journée, on travaillait sur les chantiers deconstruction, avec les Nicaraguayens ; notre présencen’était pas d’ordre technique, on faisait la maind’œuvre et surtout, ça nous permettait de vivre avec lapopulation . On était logés chez eux, on dormait et onparlait avec eux, et nous nous rendions rendre comptede leurs conditions de vie. Beaucoup de familles duvillage avaient perdu des enfants à la guerre.

-A notre retour, nous faisions tout un travaild’information en témoignant de ce que nous avionsvécu et compris au sujet de la situation de ce pays. Enparticulier, on a réalisé plusieurs montages diapo; àl’époque c’était le moyen classique pour communiqueraux autres notre expérience et leur donner une idée unpeu vivante. Ces montages nous prenaient beaucoup detemps ! On passait deux ou trois mois à les réaliser.

Racontez-nous quelques souvenirs marquants…

-Une femme nous faisait la cantine ; on mangeait touschez Gloria des haricots rouges et du café vraiment pasbon. Nous étions hébergés dans les familles, c’étaitparfois sommaire, je n’avais pas de chambre, mais unrideau. Un matin à cinq heures ils ont tué le cochon del’autre côté. Et quand je me suis levée, j’ai trouvél’animal en morceaux juste à côté de moi. Pour selaver, on n’avait pas de douche.

-Moi j’étais chez Agapito, c’était un vieux militant, ilavait son arme chez lui, comme beaucoup. A quelquescentaines de mètres du village, il y avait une brigadede l’armée avec une automitrailleuse pour la défense.Le pont était gardé jour et nuit. Les contras étaitdispersés dans les alentours, ils faisaient des actionsparfois la nuit.

-A côté du village, des paysans de la montagne étaientregroupés dans un « asentamiento », une sorte decamp, pour se protéger des contras. C’étaient despaysans sans terre, ils étaient au moins cinquantefamilles. Les gens nous avaient invités, ils avaient tenuà nous faire à manger. Ils étaient encore plus pauvresque les habitants de La Esperanza.

-Moi j’étais logée chez une dame qui faisait ça pourl’argent. Impossible de discuter avec elle, l’ambiancen’était pas terrible. Ma chambre ne fermait pas à clé,chaque nuit il y avait du bruit. Pour me laver, je devaisaller au río (la rivière). Les gens se faisaient descendrepar la Contra ; quand j'entendais des tirs, certainesnuits, je me cachais sous le lit. Après j’étais aussi logéechez Agapito.

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9SOLAL n° 100 Automne 2016

-Moi je n’ai jamais eu vraiment peur. Ou alors j’étaisinconscient. Parce qu’objectivement il y avait quandmême quelques risques. Mais on n’avait pas le droit desortir du village, sans être accompagnés par des gensarmés. Les sandinistes faisaient tout pour qu’il ne nousarrive rien.

-Un soir qu’on faisait la fête dans la salle municipale(celle qu’on avait contribué à financer) avec lapopulation, deux militants sandinistes se sont fait tuerà 200m de là, en pleine nuit. Tous les gens sont partissur le pont, à côté des morts, avec les familles.

-Après la brigade, on partait quelques semaines dans lepays. C’était intéressant de voir comment vivaient lesgens qui étaient loin de la guerre et aussi la vie un peuprofonde. A Masaya on a dormi dans un hôtelmisérable, on était au-dessus d’un tripot, un espèce decasino rudimentaire, des gens lisaient La Prensa,c’était un repère de gens qui ne semblaient pas troppartager les idées sandinistes…

-A Granada, la famille propriétaire de l’hôtel vivaitdans une maison avec un patio et tu avais l’impressionqu’ils vivaient enfermés dans cet espace-là, sans sortir,et n’étaient pas du tout en relation avec ce qui sepassait dans le pays à l’extérieur…

L’île d’Ometepe, sur le lac Nicaragua, était presque unlieu de vacances… Dans les hôtels c’était pas du luxe,des anciens bordels ou ...des porcheries…

Soutenir une lutte armée, cela n’a pas fait débat ausein du Comité ?

-A l’époque, la question ne se posait pas. L’évocationde la lutte armée n’avait rien de choquant nid’immoral. On n’avait pas d’à priori idéologique« pour une révolution armée ou non armée ». C’étaitune position pragmatique. Le Nicaragua, avec Somoza,c’était Franco en pire, une dictature intégrale, doncc’était pas choquant qu’il y ait une lutte armée. Mêmesi tu n’es pas pour la lutte armée, quand c’est un tyrancomme Somoza tu peux pas être contre.

-Une question s'est posée à un moment: desinternationalistes auraient voulu s’impliquer dans lalutte armée, mais les autorités du Nicaragua nevoulaient pas.

-Il y a eu aussi l’ambiguïté du mot « brigade » : on aété obligé de l’expliquer parce qu’il était associé auxbrigades internationales en Espagne.

-Moi, j’étais antimilitariste. Mais dès ma premièrebrigade, j'ai rencontré une armée très différente decelle qu'on connaissait ici en France. Une arméevraiment du peuple ;l e contact avec les soldats étaittrès chaleureux, on dialoguait. C'est vraiment quelquechose de singulier dans ce que ça crée de la perception

d'un pays qui est dans ce mouvement de révolution. Cen'était pas une armée menaçante pour le peuple oupour nous. Une l’armée faisant la révolution, moi jedécouvrais ça ; donc j’ai changé de position là-dessus,et j’ai reconnu que dans certaines situations il n’y avaitpas le choix.

-Pas mal de kalachnikovs traînaient dans les maisonsoù on était logés, c'était normal, naturel. Un militantsandiniste qui m’hébergeait me faisait dormir dans sachambre. Il y avait sa kalachnikov et la croix du Christ.

-Moi je suis monté un jour dans un camion militaire enstop…

- Avec les membres de la brigade, nous étions allésprès de la frontière avec le Honduras, un secteur deconflit, donc assez militarisé. En cours de route, nousavons acheté une bouteille de rhum pour partager avecles Nicas. Du fait de la pénurie de verre, on nousversait le contenu de la bouteille dans des sacs enplastique… Avant de rentrer, l’un d’entre nous est allépasser un moment dans une caserne, boire un coupavec les militaires, y compris le chef de la garnison. Leretour a été difficile et long, car il y avait aussi pénuriede moyens de transport. A ce moment, nous étionslogés dans un bâtiment d’une coopérative agricole quicultivait le café. Celle-ci était gardée militairement dufait de son importance économique – donc stratégique.Nous sommes rentrés alors que la nuit était tombéedepuis longtemps. Un jeune sandiniste de garde a tiré –à côté, heureusement. Avait-il eu peur d’une intrusionde contras ? A-t-il raté sa cible – que d’ailleurs il nepouvait pas bien distinguer du fait de l’obscurité, ouétait-ce un simple tir de sommation ? Après discussion,nous avons pu rentrer et finir d’évacuer les dernièresvapeurs d’alcool (rires).

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Il y a eu un soutien en France et une sensibilité trèsimportante face au coup d’Etat au Chili. Par rapportau Nicaragua, est-ce que l’intérêt du public était dumême ordre ?

-Le Chili était assez connu. La dynamique autour duprogramme commun en France (programme degouvernement signé par les principales forces degauche) expliquait la sympathie pour l’Unité populairechilienne. En effet, les situations politiques à cetteépoque en France et au Chili étaient assez semblables(le Chili est structuré comme la France au niveau despartis politiques), et dans la perspective – que l’onsentait proche – d’une victoire en France de la gauche,on regardait attentivement ce qui se passait là-bas. Il yavait quelque chose de possible enfin… D’où cettesympathie pour le Chili, qui eux, y étaient arrivés.Toute la gauche française regardait ce qui se passait là-bas. Quand le coup d’état est arrivé, en plus de sonaspect « spectaculaire », le retentissement a étéénorme.

-Au Nicaragua il s’agissait du renversement d’unedictature, donc a priori on pouvait s’attendre à ungrand soutien, sauf que ce pays était quasimentinconnu du grand public ; la structuration politiquen'avait rien à voir ; la libération du Nicaraguaressemblait plus à celle de Cuba. Les sympathisants sesituaient souvent à l’extrême-gauche.

-Et aussi dans les milieux catholiques progressistes. LeNicaragua était très majoritairement catholique ; il y amême eu trois prêtres dans le gouvernement sandiniste(suspendus d'ailleurs pour cette raison par le pape)1.

-On sentait une certaine sympathie au début de larévolution. La campagne d'alphabétisation (leNicaragua fut le deuxième pays d'Amérique latine àéradiquer l'analphabétisme, après Cuba) a eu des échostrès positifs, particulièrement dans les milieuxenseignants en France ; des collectes ont été faites.Mais quand les EU se sont engagés davantage, avecleur propagande et le soutien aux contras, la tendance aété de plus en plus défavorable, d'abord dans lesmédias puis dans l'opinion.

-La presse française s’est alignée sur celle des EU. LeMonde avait soutenu le Chili, il n’a pas soutenu dutout le Nicaragua. Aux EU, le Nicaragua était déclaréofficiellement « danger pour la sécurité des EU ». Ilsracontaient que les chars du Nicaragua étaient à unejournée de leur frontière…

-Il y a eu des manipulations de photos : par exemple,Le Figaro Magazine a publié une photo d’un soi-

1 Cette décision fut annulée par le pape en 2004, enreconnaissance, tardive, de leur action.

disant massacre d’Indiens Miskitos organisé par desSandinistes. Il s’agissait en fait d’une photo priseailleurs, les corps étaient des victimes d’untremblement de terre, brûlés par la Croix-Rouge pouréviter la contamination. D’ailleurs, sur la photo, ledrapeau de la Croix-Rouge avait été masqué.

Le journal « Le Monde » était contre le pouvoirsandiniste qu’il qualifiait de façon totalementcaricaturale de «Le goulag tropical».

Extraits d’un article de Solal n° 8-9 (n° spécial :Nicaragua – 10 ans de liberté) publié en mai 1989

LE NICARAGUA VU PAR « LE MONDE »

Quiconque a vécu la réalité quotidienne etpartagé la vie des gens – ne serait ce queq pendant quelques semaines – estparticulièrement scandalisé parl’information dans notre pays sur leNicaragua.S’il ne s’agissait encore que des fameusesphotos truquées du Figaro Magazine sur lesMiskitos (1983), on s’en formaliserait àpeine tant on sait de quelles bassessesest capable ce journal.Certes ‘Le Monde’ ne se met pas à ceniveau – d’ailleurs il ne publie pas dephotos – mais, à sa manière, c’est-à-direavec toute « l’objectivité » qu’on luiconnaît, ce journal se livre aussi à cequ’il faut bien appeler une campagne dedésinformation.…Le « Surarmement » du Nicaragua

Washington a mené une campagne - trèsmenaçante – contre le « surarmement » duNicaragua. Outre que c’est tout à faiterroné (d’après les informations mêmes du« Monde »), en comparaison des paysvoisins, cela devient grotesque dans labouche du pays le plus armé du monde. Loind’en relever le ridicule, « Le Monde »semble prendre très au sérieuxl’accusation étatsunienne. Il trouve mêmeles sandinistes irresponsables et voitdans le voyage d’Ortega à Moscou rienmoins qu’une provocation.

Mais que Washington s’ingère dans lesaffaires d’un Etat indépendant, comme s’ils’agissait d’une vulgaire républiquebananière, notre quotidien ne trouve rienà redire.

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Et la presse au Nicaragua ?

-La Prensa était le journal le plus lu. C’était un journalde droite, qui attaquait le gouvernement de toutes lesfaçons possibles : « ça va donner le communisme »« c’est un nouveau Cuba », il y avait une propagandeterrible contre les Sandinistes.

-Le cardinal Obando et la hiérarchie catholiquedéfendaient aussi la contra ainsi que les évangélistes deplus en plus présents. Ils tenaient des propos haineuxcontre les Sandinistes ou cherchaient à les diaboliserlittéralement.

Est-ce que malgré tout, la population a continué à lessoutenir ?

-Nous on a vu le soutien aux Sandinistes diminuer,surtout en 89. La cause principale de cette baisse, c’estla guerre qui se prolongeait. Il ne faut pas oublier

qu’elle durait depuis le début des années 80. Lescontras étaient financés, entraînés par Washington etles gouvernements complices comme le Honduras et leCosta Rica. Mais le Congrès interdisait officiellementla fourniture d’armes. Pour contourner cela, legouvernement de Washington vendait des armes àl’Iran (pays ennemi pourtant !) et l’argent servait àfinancer la contra (scandale de l’Irangate). L’argentvenait aussi de la vente de drogue, fournie par lescartels de Medellín en Colombie.

-Les Contras étaient appelés « les combattants de laliberté » par Reagan, un président très agressif contreun gouvernement qu'il voyait comme une avancée ducommunisme. En 1975 les USA perdent la guerre duVietnam ; Carter fait profil bas. Avec Reaganl’Amérique reprend sa place, d'où l'attitude trèsagressive contre le Nicaragua sandiniste.

- L’objectif de la contra et des USA, c’était d’user lesgens. Ils détruisaient des constructions faites par legouvernement, tout ce qui le faisait avancer, par

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exemple des centres de santé, des écoles, il y avait desassassinats ciblés, de tous les gens qui appuyaient etétaient utiles au gouvernement.

-Le poids de la guerre était très lourd ; l'arméesandiniste recrutait des soldats de plus en plus jeunes ;le budget de l’armée représentait jusqu'à 60% dubudget de l’état. Il y a eu beaucoup de victimes,plusieurs dizaines de milliers.

-La dernière brigade en 89, ça se sentait dansl’atmosphère, moins légère et positive que l’annéeprécédente.

Est-ce cela qui explique la défaite électorale desSandinistes en 1990 ?

-Il faut rappeler que malgré la guerre, les sandinistesont organisé des élections démocratiques en 1984,qu’ils ont gagnées. En 1990, ils les ont perdues maiscela n'a pas gêné Le Monde de prétendre que c’étaientles premières élections démocratiques, parce que ladroite avait gagné. On voyait la radicalisationantisandiniste de la part de la presse, devenuecarrément hostile.

-Au niveau de la direction sandiniste au Nicaragua, onpensait que les élections étaient « gagnées d’avance »,ils n'arrivaient pas à voir l'usure, la fatigue du peuple.Ils étaient toujours dans l'urgence de tous lesproblèmes à régler, de toutes les réformes à mettre enplace. Je me rappelle d'un débat à Paris avant lesélections, et des discours triomphalistes des militants.Mais nous à La Esperanza, on n’était pas dans un fiefdu FSLN. On était dans une région qui souffraiténormément de la guerre et nous, on voyait bien queles gens doutaient, critiquaient…. Dans d’autresrégions plus centrales, on sentait moins cette pression.

-Lors de la dernière brigade, on a senti très fortementl’usure des gens contre la guerre ; ce qui m’avaitsidérée c’était le discours d’un optimisme béat descadres du Front Sandiniste par rapport à ces électionsqu’ils étaient convaincus de remporter les doigts dansle nez. J'avais l'impression qu'ils étaient coupés desréalités du terrain.

-En 1988, j'étais déjà dans une famille qui était venuede la montagne se réfugier ici. Ils appuyaientclairement le front sandiniste. En 1989 je suis retournédans la même famille ; j’entendais alors desdissensions dans le village, ils critiquaient les gens duFront ; il y avait des jalousies concernant ladistribution de l'aide matérielle suite aux dégâts del'ouragan de la fin 1988. L’ambiance politique sedégradait ; 6 mois après, ils ont perdu les élections.

Et dans le Comité ?

-Le Solal précédent les élections a publié un article« pourquoi les sandinistes ne perdront pas lesélections » ; certains avaient ressenti cette perte deconfiance et d'autres moins (dans l'ensemble desmilitants de la solidarité et même dans notre proprebrigade) ; parfois on avait sous estimé l'usure !

-Le soutien a décliné. Mais 10-15 ans après, quand unautre cyclone a ravagé le Nicaragua, il y avait encoredes groupes qui envoyaient des gens là-bas, en lienavec des instances qui étaient restées sandinistes.

-On a tous mal vécu la défaite sandiniste. C’étaitl’effondrement d’un projet auquel on croyait…

Ce fut un rude coup pour le Comité. Un passageà vide s’ensuivit…

La suite au prochain numéro !!

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La solidarité est unacte d'amourdésintéressé

ous avons connu « Elisabeth » à Managuadurant l'été 1985, lors de la première

brigade de solidarité avec le Nicaragua. Elle étaitalors la représentante internationale du syndicatde professeurs du Salvador, ANDES, et ce n'estque plus tard que nous avons connu sonvéritable nom, Martita, l'état de guerre dans sonpays imposant alors aux militants salvadoriensde vivre dans la clandestinité. Depuis lors, nousl'avons à plusieurs reprises reçue à Caen pournous parler de son pays, puisqu'elle effectue desséjours réguliers en Normandie, invitée parl'association de solidarité avec l'Amériquecentrale SOLAC(http://club.quomodo.com/solac/) créée àCoutances par Bernard Boulang.

Notre peuple est combatif et travailleur ; il s'esttoujours rebellé contre les gouvernements qui l'ontopprimé et ont violé ses droits. En conséquence, il a dûaffronter des périodes difficiles, comme celle de laguerre civile, qui a duré 12 ans (1980-1992).

Avant la guerre civile, entre 1970 et 1980, lapopulation a vécu des années de répression. Ce fut uneépoque de terreur pour la société civile. La violationdes droits humains nous a conduit au conflit armé, lesattaques contre le mouvement syndical, lesorganisations sociales et des droits de l'homme ontdonné lieu à de nombreux massacres.

Tout ceci a provoqué l'émigration de milliers deréfugiés salvadoriens, vers de nombreux pays :Canada, Etats-Unis, Mexique, Amérique centrale,quelques pays européens...

C'est dans ce contexte que je suis partie au Nicaragua(entre 1981 et 1986). Le gouvernement sandiniste a ététrès solidaire ; depuis le Nicaragua, nous avons pudénoncer à la face du monde ce qui se passait dansnotre pays.

Notre Association de Professeurs « ANDES 21 dejunio » (Association Nationale d'EducateursSalvadoriens) a ouvert à Managua un bureau desrelations internationales, dont j'ai été responsable. C'estde là que nous avons créé et renforcé les relations avecles groupes de solidarité, les syndicats enseignants, et

développé le travail de la Fédération des OrganisationsEnseignantes d'Amérique centrale (FOMCA).

En 1983, le compañero Bernard Boulang, prêtrefrançais que j'avais connu et avec qui j'avais travailléau Salvador (1969-1984) est arrivé au Nicaragua. Dèsson arrivée, il s'est intégré en accompagnant ettravaillant aux côtés des paysans. C'est ainsi qu'il areçu différents groupes de solidarité venus de Francepour affirmer de différentes manières leur solidarité, etconnaître les réussites et les difficultés de laRévolution Sandiniste.

Bernard a également rendu possible que nous nousréunissions avec ces groupes pour expliquer notreréalité. C'est ainsi que j'ai connu Christine, l'une descompañeras qui est allée au Salvador durant la guerre,Raquel, Jacques, Pierre, Chantal et Cécile.

Aujourd'hui, cette solidarité née à cette époquen'a pas disparu, elle continue à se développerdans un autre contexte historique ; la lutte pourla construction d'une société humaine et juste sepoursuit.

Marta RomeroTémoignage recueilli par Christine Guezet

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COLOMBIE

Enfin la paix ?...

ous avons retranscrit le plus fidèlementpossible une interview de Maurice

Lemoine diffusée sur le site Mémoire des Luttesle 20 août 2016 et intitulée : « En attendant lapaix en Colombie, au cœur des FARC ». Unefois de plus ce journaliste nous éclaire sur unesituation complexe aux enjeux multiples: celuipolitique de cette guérilla mais aussi l'enjeuhumain pour ces guérilleros, celui du possibledevenir économique et social de la Colombiesuivant les différents scenari de cette périodequ'il qualifie d'ouverture de l'espacedémocratique.

Mémoire des Luttes :

Maurice Lemoine revient du département du Choco auNord Est de la Colombie. Ce département a laparticularité d'avoir un accès aux deux océansPacifique et Atlantique et une ouverture stratégiquecar frontalier avec le Panama. Il a passé plusieursjours au sein des FARC , ce mouvement de rébellionau cœur de l'actualité internationale car dans ladernière ligne droite des négociations visant un accordde paix définitif. Ce conflit est l'un des trois plus vieuxencore en activité au monde après celui entre l’Israëlet la Palestine, et celui du Cachemire entre le Pakistanet l'Inde. Le conflit armé colombien a démarré il y aplus de 50 ans.

Maurice Lemoine, quelle est l'ambiance actuellementdans le Choco et que se dit il dans la forêt andine ?

Maurice Lemoine :- Je précise que je n'étais pas seulmais accompagné du réalisateur Pierre Carles quitourne actuellement un film sur les FARC. Nous étionsdans le campement du « front 57 » du Choco.L'ambiance est bien évidemment marquée par lesévénements récents que représentent les négociationsde paix commencées en 2012. Je reviens tout de mêmesur le passé : le conflit a démarré en 1948, donc il y aplus de 50 ans avec un solde terrible estimé par une

commission historique à 220.000 morts depuis 1958mais cela esquive les 200.000 morts de la périodeprécédente qu'on a appelé « la violencia ». En réalitéc'est un conflit qui a fait entre 400 000 et 450 000morts sans compter les 50 000 disparus estimés. C'estplus que l’Argentine des dictatures, plus que le Chiliqu'on présente souvent comme le paradigme de larépression.

Depuis 2012 les négociations de paix ont avancéesavec quatre accords passés ; c'est long mais dans lesprocessus de fin de conflit, il y a deux approchesdifférentes. Dans le cas d'une DDR (DémobilisationDésarmement Réinsertion), on dit aux combattants : «la guerre est finie », on leur procure une petiteformation par exemple comme taxi et c'est« débrouillez vous »

L'autre approche, le mode de négociations consiste àessayer d'aller jusqu'aux sources du conflit. Les FARCs'en sont toujours revendiqué , aussi bien d'ailleurs quel'Armée de libération nationale (ELN), deuxièmeguérilla colombienne en importance. Ces négociationssont forcément très lentes : on a affaire non pas à ungroupe de délinquants qui se rendraient, mais à despolitiques qui négocient une sortie du conflit demanière à ouvrir l'espace démocratique jusqu'à présentfermé en Colombie.

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Le 23 juin a été signé un accord majeur celui du cessezle feu définitif, on l'espère en tous cas ; effectivementcela influe sur ce qui peut se passer dans la forêt dansles montagnes colombiennes puisque les combattantsdes FARC savent maintenant qu'ils sont dans ladernière ligne droite.

Pour certains qui sont dans l'opposition armée depuis20,25,30 ans, c'est un moment enthousiasmant ; ilssont tous ravis parce que contrairement à ce qu'onpourrait imaginer depuis notre vieille Europe leguérillero n'est pas forcément par définition un violentqui aime la guerre et qui aime jouer avec des pistoletsmitrailleurs. Ils ont tous perdu des camarades et vumourir des compagnons ; ils voient donc venir cettepaix avec enthousiasme mais aussi avec une grandeincertitude. Incertitude d'abord sur le planpersonnel :quand vous avez passé autant d'années dansla guerilla et qu'on vous dit « tu vas revenir à la viecivile », les premières questions sont « qu'est-ce que jevais faire, ou je vais trouver du boulot ? ». Incertitudesur le plan politique : le projet de démobilisation telque l'entendent les FARC n'est pas une démobilisationindividuelle comme celle à laquelle on a pu assister enAmérique centrale au début des années 90 où chacunrepart dans son coin.

On verra comment cela se passe pour les FARC par lasuite, mais la différence c'est que leur projet estcollectif. Les combattants vous expliquent comme lecommandant Pablo Atrato du Front 57 que ladémobilisation se fera en tentant de mettre en place desprojets collectifs dans les zones sous influence desFARC depuis parfois des décennies : projets productifsou agricoles en lien avec la population. Ceci amène àune première réflexion : effectivement les FARC,contrairement à ce qui a été longtemps prétendu, ontune base sociale dans certaines zones du pays mais enmême temps elle n'est pas la totalité de la population.C'est à dire, lorsque les guérilleros envisagent : « jevais déposer mon M16 ou ma Kalachnikovimmédiatement », après ils vous disent : « oui, maisquand on va sortir, dehors les gens savent d'où onvient, on va être tout nu ». Il y a une réelle crainte cardans un conflit de ce type, l'arme fait partie del'individu ; on est dans cette espèce d'ambiance entrechien et loup un peu crépusculaire. Cela fait un an queles FARC ont décrétés un cessez le feu unilatéral etqu'ils n'ont pas tiré un coup de feu quasiment ; du faitdu rapprochement de l'éventuelle fin du conflit, lanature de la vie dans les campements des FARC achangé. Par exemple il n'y a plus d’entraînementphysique ; il est remplacé par des études, un travailpolitique . Les guérilleros se couchent plus tôt selèvent plus tard ; ils ne sont plus dans la mêmediscipline. C'est un moment pour la troupe assez

dangereux ; le commandant Atrato a expliqué qu'il fautmaintenir la discipline pour que la cohésion ne se diluepas. En effet les FARC ont survécu depuis 1964, leurnaissance historique, parce que c'est une organisationpolitico-militaire donc structurée comme une arméeavec une discipline avec des règles, et voilà qu'unchangement profond s'opère sur cette structurationfondamentale.

Mémoire des luttes : dans ce contexte est ce qu'ilsse sentent moins sous la menace de l'arméecolombienne ?

Maurice Lemoine : Avec l'armée colombienne lesaffrontements ont cessé. Dans le Choco du coté deVigia del Fuerte les guérilleros expliquent qu'un cessezle feu unilatéral a été décrété. Les militaires le saventet ne viennent plus les chercher ; eux même lorsqu'ilsaperçoivent les militaires, ils les évitent. C'est le statuquo. En gros c'est un phénomène que l'on a connu enAmérique centrale : personne ni d'un coté ni de l'autrene veut être le dernier à mourir.

Mais en revanche il n'y a pas de cessez le feu entre lesFARC et les paramilitaires. Si on prend l'exemple duChoco que l'on peut élargir sur un certain nombre dezones en Colombie, des bandes criminelles sévissent.En fait ce sont des paramilitaires recyclés et ils sont entrain de reprendre du terrain ; ceci pose le problème dela démobilisation. Il est prévu dans les accords signésle 23 juin que les guérilleros vont être regroupés dans23 « veredas » (juridiction administrative colombiennela plus petite, moins grande qu'une municipalité) pourles zones où l'influence des FARC est établie et danshuit campements pour les zones plus éloignées commele Choco.

Les guérilleros du Choco doivent se réunir aucampement de Riosucio alors que ce territoire est entrain d'être envahi massivement par les paramilitaires.Évidemment se pose pour les combattants un problèmegrave dans la mesure où il y a déjà eu un précédentrelativement connu. En 1984 le président BelisarioBetancur a signé un cessez le feu bilatéral d'un andemandant aux FARC de créer un parti politique ; lesguerilleros avec d'autres forces de gauche colombienneont alors créé « l'Union patriotique ». Aux premièresélections ce parti politique a obtenu 19 congressistes,des députés et des sénateurs . Il s'en est suivi lemassacre de 4000 dirigeants, sympathisants, militantsassassinés. Les FARC ont en mémoire cette tragédie.Dans l'accord du 23 juin il est prévu des garanties desécurité pour les guérilleros ; pendant la période des 6premiers mois ils bénéficieront de la protection d'untriple anneau de sécurité à l’intérieur des campementset des zones « verenales » où ils seront rassemblés : lepremier anneau les FARC, le deuxième l'ONU et le

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troisième l'armée avec la police. Si le processus va àson terme pendant ces 6 mois symboliquement ils vontremettre leurs armes à l'ONU ; ils ne veulent pas lesremettre aux militaires colombiens étant uneorganisation politique qui n'a pas été vaincuemilitairement. Mais après cette période ils seront« lâchés dans la nature » ; ainsi qu'adviendra t-il àRiosucio où tout le monde sait que les paramilitairessont en train de réinvestir cette zone et que l'état ne faitrien contre eux ?

Mémoire des luttes : on sait par expériencequ'avant d'arriver à la paix il faut que un accordtienne alors que certains n'y ont pas intérêt et setrouvent dans toutes les parties. On peut avoir desradicaux de chaque bord qui n'acceptent pas l'issueproposée. Un accord est un compromis par définition,donc quelque chose d'insatisfaisant. Est-ce un scénarioredouté aujourd'hui en Colombie pour ce post-accordoù il y a à la fois d'un coté des paramilitaires, desforces liées ou agitées par quelqu'un comme MonsieurUribe, mais aussi peut être du coté des FARC et del'ELN ou des secteurs qui n'acceptent pas finalementles conditions de cette paix et pouvant la remettre encause par des actions allant jusqu'à des formes deviolence assez intenses. Est-ce quelque chose qui estdiscuté dans le Choco ? Comment les guérillerosvoient cela et vous même, comment percevez-vous toutcela?

Maurice Lemoine : à la question posée il y a deuxréponses, celle concernant l'incertitude et celleconcernant la certitude. L'incertitude est présente chezun certain nombre de colombiens qui considèrent lesFARC comme une organisation terroriste, malfaisante,etc. Il faut évidement mentionner que les FARC nesont pas des enfants de cœur et qu'ils ont violés le droitmilitaire international ; il ne s'agit pas de lestransformer en une armée de premiers communiants.Ces colombiens considèrent que les guérilleros ne vontpas respecter les accords. Si on compare avec lesprocessus de démobilisation qui ont eu lieu dans larégion, je pense en particulier à l'Amérique Centrale,on peut imaginer qu'effectivement il y a peut-être entre5 et 10 % des membres des FARC qui n'accepterontpas l'accord. On a un exemple concret, puisque dans lecampement où nous étions cela a été discuté en notreprésence; dans le premier front des FARC sur les 8000guerilleros, une centaine semblent vouloir fairedissidence estimant que les garanties de sécurité nesont pas suffisantes. La réponse de l'état major, lesecrétariat des FARC à la Havane, dit qu'en réalité cen'est pas une question politique ; c'est un groupe quiest en train de devenir un groupe mafieux et quisouhaite préserver ses affaires. Les FARC sont souventaccusés d'être une narco-guérilla, ceci est globalement

faux mais évidemment dans l'ensemble de cemouvement armé il y a certains éléments qui eux sontentrés de plain-pied dans ce trafic.

Mémoire des luttes : pourquoi pensez-vous quel'accusation de narco-trafic ne tient pas la routeglobalement ?

Maurice Lemoine : de mon point de vue et je saisqu'il est minoritaire, les FARC ne sont pas un cartel dela drogue. Ils ont effectivement financé leurmouvement et sont devenus puissants militairementparce qu’ils ont établi un impôt sur la coca. C'est lamatière première permettant de fabriquer la cocaïnesur la première transformation de coca en pâte base ;ils ont permis aux trafiquants de venir chercher lamatière en leur imposant eux aussi un impôt. Ils sontdonc impliqués dans la chaîne, mais ils n'ont pas deréseau d'exportation ni de réseau d'importation desproduits chimiques nécessaires à la fabrication de lacocaïne. Le terme de narco-guérilla a d'ailleurs étéutilisé par un diplomate Lewis Tambs, ambassadeurdes états unis en Colombie en 1986 ; on a l'impressionque c'est lui qui a imposé ce terme qui a disqualifiécomplètement les FARC étant entendu qu'il y aforcément des individus ici où là qui eux sont entréscarrément dans le narco-traffic. Cet ambassadeur aensuite été muté au Costa Rica d'où il a été expulsé ;avec la drogue du Cartel de Medellín il organisait lefinancement des Contras qui attaquaient le Nicaragua.Donc on est là dans un grand jeu politique dépassant laColombie; le terme de « narco-guérilla » a été unmoyen pour disqualifier la guérilla.

Nous avons assisté à des réunions au sein du front 57,c'était extraordinaire : on est en pleine forêt dans leChoco, une des régions les plus pauvres, les plusreculées, les plus insalubres, en plein milieu de la forêt,il n'y a rien et les guérilleros réussissent à entrer encommunication avec La Havane par internet, ils sonttechnologiquement très avancés. Il y a aussi chez lesFARC un sens de la hiérarchie et de la discipline quisont extrêmement fort, plus que dans une armée ; lapeine de mort y est appliquée.

La vraie crainte, la vraie incertitude, c'est qu'il y a unpuissant courant politique en Colombie qui est celuid'Alvaro Uribe celui des grands propriétaires terriens ;ce sont ceux qui ont toujours profité en particulier dunarco trafic et donc fermement opposé aux accords depaix. Uribe, deux jours après que la courconstitutionnelle ait autorisé l'organisation d'unplébiscite pour entériner les accords de paix, a appelélittéralement à la désobéissance civile. Son mouvementle Centre Démocratique n'a pas encore pris clairementposition sur Non ou abstention mais c'est un obstaclemajeur car ce courant politique est lié historiquement

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au para-militarisme. Ainsi l'ancien chef de la sécuritéd'Alvaro Uribe au palais présidentiel à Bogota, legénéral Mauricio Santoyo, a été condamné à 13 ans deprison aux États Unis pour ses liens avec le narcotrafic.Le frère de Alvaro Uribe, Santiago Uribe a lui étéarrêté en février 2016 pour ses liens avec le groupeparamilitaire » los doce apostoles » (les douzeapôtres). Une douzaine de membres proches d'AlvaroUribe ont été arrêtés pour leur lien avec le para-militarisme ou le narcotrafic.

Sur la question les combattants des FARC vont-ilsobéir aux consignes , tout va dépendre de la manièredont va se dérouler la démobilisation. Si par malheurles guérilleros sortant de la lutte armée se font tirercomme des lapins par les paramilitaires un certainnombre vont repasser dans le maquis ou mêmeéventuellement iront rejoindre l'ELN (Armée deLibération Nationale) qui est sans doute sur le pointd'entamer des négociations mais qui ne l'a pas encorefait. On peut comprendre le temps que prend l'ELNpour commencer à négocier : attendre de voir commentcela va se passer avec les FARC. On va être dans unepériode non pas de post-conflit mais de post-accord ;actuellement ce qui est négocié ce n'est pas le futursystème social mais l'ouverture d'un espacedémocratique. Pour une gauche qui est très divisée enColombie c'est l'occasion de se réorganiser et luttercontre le néolibéralisme. Le projet du président JuanManuel Santos est complètement opposé; pour luil'objectif est l'ouverture aux multinationales, lalivraison du territoire national au grand capital donc lecombat politique lui va continuer.

Mémoire des luttes : effectivement lorsqu'en août2012 aux prémices du dialogue entre Santos et lesFARC, au même moment ce gouvernement de Santosfait approuver au congrès une loi de réforme du codeminier colombien qui va dans le sens d'une

libéralisation de l'activité minière en Colombie. PourSantos et les franges les plus modernistes de labourgeoisie colombienne ce conflit nuit au potentielminier du pays en particulier pour l'exportation sur lesmarchés internationaux, l'or et quantité de mineraisdont est riche la Colombie. Quel projet défend-ilréellement, un projet économique d'ouverturecommercial de la Colombie au niveau internationalpour cette extraction et cette importation de minerais?

Maurice Lemoine : Bien sur, il est évident que lapersistance de zones dans lesquelles l'opposition arméeest présente empêche les multinationales d'allerinvestir. Le Choco par exemple a 70 % du territoire quiest déjà préempté par des multinationales. Laguérilla n'est pas naïve mais le problème est qu'il n'y apas de victoire militaire possible. Les FARC saventmaintenant qu'ils ne pourront pas prendre le pouvoirpar les armes ; au bout de 400 000 morts il faut arrêterle massacre. Le président Santos lui sait qu'il ne pourrapas défaire les FARC mais qu'en même temps s'ilréussit à établir la paix il pourra mener son modèlenéolibéral. Ensuite c'est la lutte politique qui vapermettre de mettre en avant l'un des modèles défendupar les FARC. Dans le domaine de l'agricole avec unepartie de la gauche colombienne ils défendent lemodèle des zones de réserve paysannes, c'est à direcelui de l'agriculture paysanne soutenu chez nous parla Confédération Paysanne face à la FNSEA. Ils ont lesmêmes débats que chez nous; les FARC soutiennent unmodèle agricole productif soutenable et humain alorsque Santos veut imposer l'agriculture industrielle avecpar exemple de la palme africaine, des plantations àgrande échelle où les paysans deviendront des salariésdes grandes firmes. L'affrontement politique et socialva rester, personne n'est dupe. Les FARC ne sont pasroulés dans la farine, ils savent très bien que le combatpolitique va continuer comme pour la gauche

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colombienne qui n'est pas liée à la lutte armée. A telpoint que le président Santos l'a dit : avec ladémobilisation les conflits sociaux vont s'accentuer ; ilest en train de renforcer l'ESMA (Descuadron MovilAntidisturbios), les forces de choc de la policecolombienne pour réprimer les futurs mouvementssociaux.

Mémoire des luttes : une dernière question. Il y aun sujet qui n'est pas du tout traité par les médias celuidu rôle de la diplomatie latino-américaine. Larésolution ou en tout cas les avancées dans ce conflit,tout ça se négocie depuis 2012 à la Havane avec despays latinos accompagnateurs dont le Vénézuéla et leChili . Les états unis sont restés plutôt en dehors ducénacle des négociations ce qui est tout à fait nouveau.Si on passe du post-accord au post-conflit, si on yarrive sans bouleversement, ou sans incertitudes, estce aussi une victoire d'une diplomatie intra latino-américaine ?

Maurice Lemoine -Déjà dans un premier temps si oncontextualise le moment actuel en Amérique Latine ily a un fait qui est notable : la très contestée OEA n'a eustrictement aucun rôle dans cette affaire. Elle a étécomplètement écartée, c'est à dire que le traditionnelbras politique de Washington a été éliminé. Le 23 juinl'accord de cessez le feu a été signé solennellement à laHavane en présence de Nicolas Maduro présidentVénézuélien, Raoul Castro, Ban Ki Moon le présidentde l'Onu, Michèle Bachelet. Hugo Chavez l'ancienprésident Vénézuélien et son ministre des affairesétrangères Nicolas Maduro aujourd’hui président ontété applaudis pour leurs rôles dans l'avancée duprocessus de paix en Colombie donc Cuba qui estl’amphitryon de tout ce processus. Lorsqu'on analyseracette période de l'histoire avec le recul apparaîtra lerôle très important de la gauche latino-américaine.

Cela a démarré à un moment où elle était encore enposition dominante ; c'est évidemment plus compliquéaujourd'hui puisque la droite néolibérale est en train dereprendre l'offensive. En tout état de cause il estnotable que les Etats unis ont finalement appuyé lanégociation, sans doute -c'est une hypothèse- parce quele président Santos, à qui d'ailleurs il faut rendrehommage bien qu'il soit un adversaire politique pour lagauche, représente la bourgeoisie éclairée de laColombie. D'une certaine manière ils en terminentavec la période de la Colombie pourrissante d'AlvaroUribe, des grands propriétaires terriens et dunarcotrafic ; il y a là une conjonction d’intérêts maisaussi évidemment une incertitude pour la date de lasignature des accords de paix définitifs et là dessus jene me peux pas me prononcer.(cf. NdR)

Mémoire des luttes : – pour vous aujourd’hui cen'est pas encore fait ?

Maurice Lemoine : Je peux me tromper, ce qui estcertain c'est que le président avait déjà annoncé lasignature des accords de paix pour mars dernier, puis illes a annoncé pour le 20 juillet maintenant certainsdisent début août, d'autres le 20 août moi je dis soyonsprudent, il y a encore beaucoup de points qui ne sontpas réglés.

Néanmoins l'impératif pour tout le monde aussi bienpour le gouvernement de Santos que pour les FARCc'est de le signer cette année en 2016 parce que il y adeux dates butoir. Tout d'abord les électionsprésidentielles : si le processus de paix n'était pasarrivé à son terme ce serait considéré par une partimportante de la société colombienne comme un échec,donc la droite uribiste corrompue pourrait reprendre lepouvoir. Et les élections aux Etats-unis où personne nesait trop ce qui va se passer : Donald Trump esttotalement imprévisible et Hillary Clinton n'est pasforcément une amie de la gauche latino-américaine.

Transcription : Céline Paredes, Chantal Picart

NdR : aux dernières nouvelles, l’accord de paixété signé, le 26 septembre et le plébiscite sedéroulera le 2 octobre. Un minimum de 13%d'approbation est nécessaire pour sa validation.

Samedi 17 septembre, les FARC ont tenu leurdixième et dernière conférence pour confirmerleur intention de signer cet accord historique.Rodrigo Londoño Echeverri alias TimoleónJiménez alias Timochenko, commandant en chefde l'organisation a conclu son intervention ainsi :«Pour les FARC et notre peuple, la plus grandesatisfaction est d'avoir gagné la paix».

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Colombie

Une anecdote de l'Histoire qui en dit unpeu plus sur la société colombienneChronique d'Anthony Bellanger le 21/09 sur Fance Inter : « En Colombie, on

a tout fait pour effacer la mémoire du seul président noir du pays ».

l s'appelait Juan José Nieto Gil. C'est vraiqu'il n'a pas été président bien longtemps : six

petits mois entre janvier et juin 1861. EnColombie, on fait tout pour effacer la mémoiredu seul président noir du pays. C'est vrai aussique la Colombie a longtemps eu d'autres chats àfouetter qu'à compter le nombre exact de sesprésidents.

Nieto Gil était le 14ème. Mais ce qui est étonnant, c'estqu'aucun livre d'histoire du pays n'a conservé lamémoire de cet homme, descendant d'esclaves et doncseul président noir du pays. C'est comme si il avait étédélibérément effacé de la mémoire collective.

Pourquoi il n'a pas démérité : c'est tout de même à luiqu'on doit le premier texte abolissant l'esclavage enColombie (NdR : et l'instauration de l'école primairegratuite obligatoire). C'est même lui qui a écrit lepremier roman vraiment national, c'est-à-dire écrit enColombie : une bluette intitulée La Fille de Calamar.

Il existe un seul et unique portrait de lui. Un portraitque l'on a retrouvé dans les caves des archives deCarthagène, sur la côte caraïbe colombienne. Unportrait rongé par l'humidité, mais où on reconnaît bienle président Nieto Gil ceint de l'écharpe tricoloreprésidentielle. Mais il y a un problème : son visage etses mains ont été blanchies. Et on sait même où : àParis, lors d'une restauration plutôt maladroite.

En fait, il était tellement insupportable à l'élite blancheet descendante d'Espagnols d'avoir eu, ne serait-ce quesix mois, un président noir, qu'elle a envoyé son seulportrait officiel se faire blanchir la peau en France.Comme le résultat n'était pas encore assez probant, lescaciques de l'époque ont décidé d'être plus radicauxencore : le portrait a été remisé dans les caves, latombe du président Nieto Gil a été saccagée et le sonseul buste connu, détruit.

L'opération d'effacement a presque réussi : pendant150 ans, personne n'a jamais rien su du président noirNieto Gil, pas plus les historiens que les Noirscolombiens, qui de toutes façons, sont les grandsoubliés de l'histoire du pays.

Saviez-vous qu'il y a 10% de Noirs en Colombie, tousdescendants d'esclaves ? Mais aussi des Afro-Péruviens, des afro-équatoriens et des Afro Boliviens(respectivement 4 et 7% de la pop.) Non, personne nes'en doute et croyez-moi pas pour de bonnes raisons. »

Quelques « éclaircissements » sur France 24du 24/03/2009

Tout d'abord d'Anne-Marie Losonczy anthropologue etdirectrice d'études à l'Ecole pratique des Hautes Etudes(EPHE). Spécialiste de la Colombie, elle s'intéresseparticulièrement au Choco et à al côte caribéenne d'oùétait originaire José Nieto Gil.

« Nieto Gil a été effacé de l'Histoire parce qu'il étaitmulâtre, mais aussi parce qu'il venait de la région de lacôte caraïbe, peuplée d'afro-colombiens et qui atoujours été considérée comme marginale par lepouvoir central de Bogota.

C'était un libéral républicain. Il a été député de ce quel'on appelait à l'époque 'la Confédération grenadine'[actuelle Colombie] et est ensuite devenu gouverneurde l'Etat de Bolivar. En 1861, avec plusieurs alliéslibéraux, il a renversé le gouvernement centralconservateur et s'est autoproclamé Président. Pourl'anecdote, c'est un de ses alliés blancs qui devait

I

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devenir Président, mais n'étant pas arrivé à temps àl'investiture, c'est Nieto Gil qui a pris sa place. Il estresté à ce poste pendant six mois.

Son portrait a été peint juste avant son accession à laprésidence. L'œuvre a immédiatement été envoyée enFrance pour y être blanchie et rendre Nieto Gil plus'digne' aux yeux de l'élite de Carthagène, racialementtrès fermée. Le tableau a ensuite été 'renoirci' en 1974quand Fals Borda l'a sorti de l'ombre. Mais ce n'est quetrès récemment qu'il a été réexposé au musée deCarthagène.

Nieto Gil est toujours absent de l'historiographieofficielle, alors que d'autres présidents, restés moinslongtemps que lui au pouvoir, sont régulièrementmentionnés. Cette histoire révèle que les préjugés anti-noirs sont profondément ancrés chez l'élitecolombienne." »

Puis Juan Carlos Jaramillo ancien diplomatecolombien et consultant en politique internationale àBogota.

« Le racisme était déjà très fort à l'époque de NietoGil. Les Blancs n'allaient pas à la plage de peur queleur peau brunisse. Ces préjugés à l'encontre des afro-colombiens sont encore très présents aujourd'hui.

Les indigènes aussi souffrent du racisme mais ils sesont mieux organisés pour faire entendre leurs droits.Ils ont créé leurs propres groupes de pression pourpeser dans les assemblées démocratiques. Les Noirs,encore aujourd'hui, sont littéralement hors du champpolitique. Ils sont ghettoïsés dans la région du Chocó.Et même là-bas, où ils représentent 95 % de lapopulation, les ressources, par exemple les mines d'or,appartiennent aux 5 % de Blancs. La population y estextrêmement pauvre et l'analphabétisme élevé, ce quiexplique que certains pans de l'histoire, tout à faitinexacts ou volontairement oubliés, n'ont pas pu êtrerécupérés et rectifiés par les afro-colombiens.

Le pouvoir est extrêmement centralisé enColombie. Ce sont les Blancs de Bogota quidécident ce qu'est l'histoire du pays. Que ce soitdans la police ou dans la haute administration,on ne retrouve pas la diversité ethnique quicompose la Colombie. Et il n'y aurait aucunechance aujourd'hui pour que la Colombie éliseun président noir.»

MexiquePétition :

Rendons justice aux 43étudiants disparus

d’Ayotzinapa

u Mexique, plus de 25.000 personnes ontdisparu depuis 2006. Les 43 étudiants

d’Ayotzinapa en font partie. Il y a deux ans, le 26septembre 2014, alors qu’ils se rendaient à unemanifestation, ils se sont fait arrêter et emmenerpar la police. On ne les a pas revus depuis. Siune enquête a été ouverte, elle a été entachée denombreuses irrégularités et les autoritésmexicaines ne sont toujours pas parvenues àlocaliser les étudiants ni à traduire lesresponsables en justice.

Bien qu’un mécanisme de suivi ait enfin été mis enplace à la mi-août, la recherche des victimes doitreprendre. De manière plus générale, des enquêtesdoivent être menées par les autorités mexicaines surtoutes les affaires d’enlèvements ou de disparitionsforcées. Les responsables doivent être traduits enjustice et des mesures structurelles, comme la mise enplace d’une loi sur les disparitions, doivent être prisespour prévenir ces crimes.

Exigez à nouveau des autorités mexicaines que toutela lumière soit faite sur les crimes de disparition.Signez la pétition d'Amnesty :

http://www.amnesty.be/je-veux-agir/agir-en-ligne/signer-en-ligne/43mexico

A

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Solidarité et Culture

Appel au soutien de l'Ecole Populaire et Latino-Américaine de Cinéma, Théâtre et Télévision

ous avons reçu de Thierry Deronne1,journaliste belge établi depuis plus de vingt

ans au Venezuela, un appel à soutenir un projetde développement de cette école qu'il y a créé en1994.

En 20 ans d’existence, l’École Populaire et Latino-américaine de Cinéma, Télévision et Théâtre(EPLACITE) a réalisé des milliers d’ateliers pourformer de futurs cinéastes tels le salvadorien SergioSibrián. Dans "Le Tigre et le Cerf", sa première œuvre,un paysan indigène de 103 ans enseigne la flûte à unjeune apprenti pour qu'il puisse perpétuer la mémoirede la rébellion populaire de 1932. Ce film a reçu lePrix du Meilleur Documentaire Latino-américain auFestival Sunscreen 2015 (Floride).

HistoriqueL’EPLACITE a été créée en 1994 au Venezuela parThierry Deronne. En 22 ans, elle a offert plus de milleateliers à de nombreux collectifs du Venezuela etd'Amérique latine comme le Mouvement desTravailleurs Ruraux Sans Terre du Brésil, l'École deVidéo Mésoaméricaine au Salvador, la FondationLuciernaga au Nicaragua, le Centre de CommunicationPopulaire Aymara SAPHI ARU (Voix des Racines) enBolivie, l'Association Paysanne de la Vallée du FleuveCimitarra (Colombie), les télévisions associatives duVenezuela et du reste du continent, etc...

Le fait qu'aujourd'hui en Amérique latine les ondes detélévision restent concentrées aux mains de grandsgroupes privés explique pourquoi les médias alternatifstendent à reproduire le langage commercial. Espacepermanent de formation pour les jeunes talentspopulaires, l'EPLACITE veut briser ce joug et formerune nouvelle génération de réalisateurs(trices).

Chaque mouvement social sélectionne les étudiant(e)sde l"EPLACITE sur la base de leur vocation créatriceet de la motivation à transmettre les connaissancesacquises au reste du collectif

1 Son blog venezuelainfos.wordpress.com constitueun des meilleurs sites d'information sur le Venezuela. Il estégalement vice-président de la chaîne publique Vive TV.

Les enseignants de l'EPLACITE mettent en pratiqueune méthodologie participative qui part des besoinsdes mouvements sociaux et usent d'outils adaptés auxrythmes de vie des participant(e)s dont la majoritétravaille ou étudie. Les exercices se font tantôtindividuellement, tantôt collectivement. Les élémentsthéoriques sont enseignés comme réponses auxproblèmes posés lors des exercices. Les diplômé(e)ssont en mesure de s'engager directement dans lesdiverses activités d'une télévision associative existanteou d"initier la création d'une télévision dans leurquartier. Le bagage transmis est intégral pour éviterune excessive division du travail et pour garantir lapossibilité d'une transmission des savoirs auxmouvements sociaux.

En plus d’être un organisme pédagogique et un espacede production, l'EPLACITE est une plate-formed’articulation et d’échange entre professionnels ducinéma et mouvements sociaux d’Amérique latine etdes Caraïbes.

À quoi servira la collecte ?Le but de la collecte est de multiplier l'organisation decours, stages et ateliers pratiques avec de grandsprofessionnels de l’Amérique latine pour lesétudiant(e)s de l'EPLACITE. Les salaires étant plusbas au Venezuela qu’en Europe, chaque tranche de1000 euros servira directement à payer intégralementle salaire d'un professeur vénézuélien ou latino-américain pour une année entière ! L’objectif de 4.000euros correspond donc à l'engagement de 4 nouveauxprofesseurs- intervenants et si nous dépassons notreobjectif, le nombre de professeurs croîtra.

L'autonomie de mouvements sociaux dans la maîtrisede leurs outils culturels et informationnels étantfondamental en Amérique latine comme ailleurs, leComité Amérique latine appelle les lecteurs de Solal àsoutenir ce projet, soit sur le site de financementparticipatif www.kisskissbankbank.com/soutien-a-l-ecole-populaire-et-latino-americaine-de-cinema-theatre-et-television-eplacite, soit en adressant leur don(qui fera l'objet d'un reçu permettant la déductionfiscale de 66% de son montant sur les revenus 2016)au Comité (mention soutien EPLACITE).

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SOLALSolidarité Amérique LatineBulletin du Comité Amérique LatineDe l’agglomération caennaise

Directrice de la publication :Chantal PicartImprimerie : UD CGT du CalvadosCommission paritaire n° 0421 G 80652ISSN : 0987-4232Dépôt légal

���� : 02 31 75 28 1902 31 43 79 75

courriel : [email protected]

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Au sommaire de ce numéro 100:

� Dossier : 40 ans de solidarité avec lespeuples d’Amérique latine: p 1Les débuts du Comité Amérique Latine deCaen : p 3Les débuts du comité Chili : p 4Notre arrivée en France : p 5Le Comité contre la coupe du monde enArgentine (COBA) : p 6Soutien à la Révolution sandiniste : p 7La solidarité : un acte d’amourdésintéressé : p 13

� Colombie : enfin la paix ? : p 14Une anecdote de l’histoire : p 19

� Mexique : pétition pour la justice pour l es 43étudiant disparus d’Ayotzinapa : p 20

� Solidarité et culture : soutien à l’écolepopulaire latino-américaine de cinéma, dethéâtre et de télévision : p 21

Pour nous contacter :

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Calendrier 2017disponible auprès du comité - 7 €

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