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51372196 Emmanuel Chauvet La Philosophie Des Medecins Grecs

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medecine

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  • PRFACE

    En 1855, je soutenais en Sorbonnc une thse

    latine sur la philosophie d'Hippocrate, et l'anne

    suivante je lisais l'Acadmie des sciences mo-

    rales et politiques un mmoire sur le mme sujet,

    plus approfondi, sans l'tre encore assez. Depuiscette poque, travers d'autres proccupations,d'autres travaux, et les mille misres humaines,

    je n'ai cess de poursuivre, btons rompus,les mmes recherches sur les autres mdecins

    grecs, lesquels sont tous, en des mesures diverses,des mdecins philosophes, et notamment sur

    Galien, le mdecin philosophe par excellence.C'est de l qu'est n ce livre, comprise de ces

  • VI J'IUCl'ACK.

    ludes successives, corriges ou dveloppes,fondues ensemble, et compltes par des tudes

    nouvelles sur des points qui m'avaient d'abord

    chappe.Sans rien prjuger du sort rserv une pu-

    blication si svre, je suis du moins certain de

    ne regretter jamais le temps que j'y ai employ.

    Convaincu, ds la premire heure, comme on

    l'est gnralement aujourd'hui, de la ncessit

    d'allier troitement la philosophie et les sciences,

    singulirement les sciences mdicales, j'estimeavoir fait oeuvre utile en montrant comment les

    mdecins grecs entendaient et pratiquaient celte

    alliance-l. J'ai en mme temps tir de l'injusteoubli o elles gisaient au tond de traits que tout

    le monde honore sur la foi de la tradition, que

    personne ne lit, maintes thories logiques, mo-

    rales, physiques, les unes vraies, les autres

    ingnieuses, quelques-unes fort analogues nos

    plus rcentes dcouvertes, presque toutes de na-

    ture claircir des obscurits de la philosophie

    ancienne, ou combler des lacunes. Enfin, il ne

    me dplat pas, ayant commenc ma carrire parun essai sur les Thories de l'entendement humain

  • l'IOEl'ACE. Vil

    dans l'antiquit, de la terminer par un essai sur

    La philosophie des mdecins grecs : deux ou-

    vrages plus d'un gard complmentaires l'un

    de l'autre, et qui se rapportent galement cette

    belle antiquit, qui procure ses fervents tant de

    solides et srieuses satisfactions, et ne laisse

    indiffrents que ceux qui ne la connaissent pas.Je crois pouvoir dire que j'ai souvent march

    en des chemins infrquents. Si, toutefois, per-sonne avant moi, ma connaissance, n'avait

    entrepris de ce point de vue un si long voyage

    travers de si vastes espaces, plusieurs, et des

    illustres, m'avaient aplani la voie, ouvert des

    claircies, par de savantes ditions, de profonds

    commentaires, des tudes circonscrites sur une

    priode, une cole ou un mdecin. Littr et Da-

    remberg m'ont t une lumire et un secours

    perptuels. M. Guardia, galement comptent en

    philosophie et en mdecine, en science et en

    histoire, m'a souvent guid ou averti. Je n'ai pasconsult sans profit le Dr Houdart, trop peuconnu. J'ai trouv peu de renseignements exactschez nos modernes historiens de la mdecine,

    trop peu familiers avec, la philosophie, mais je

  • -"1"v^\ \'jr rj^
  • INTRODUCTION

    LA PHILOSOPHIEET LA MDECINEEN GRCE, LEURSRAPPORTS.

    Le gnie grec est minemment synthtique. Dansles sciences, il distingue les objets, les points devue, les questions ; il ne les spare pas. Il embrassetout sans confusion, c'est sa vertu comme son besoin.Cela se voit surtout lorsqu'on observe en regard l'unede l'autre la philosophie et la mdecine. Indpen-dantes de bonne heure, ou mme ds le principe,elles se dveloppent dans de constants rapports. Lephilosophe no ddaigne pas les enseignements delmdecine, et le mdecin no croit pas droger endemandant la philosophie des lumires cl des direc:lions. Platon applique l'lude de l'homme lamthode du grand Hippocralc , et celui-ci, ouquelqu'un des siens, proclame le mdecin-philosophe'< l'gal des dieux. Magnifique unit, fcond accord,qui met au service de chaque science toutes lesautres sciences, et forme, par le concours de toutesles connaissances runies, ces grandes et belles in-telligences, objet de l'admiration universelle, unHippocrale, un Platon, un Arislote.

    Il n'est pas sans intrt de considrer comment, en

  • I.NTROUL"(VriO>".

    Grce, la philosophie et la mdecine, peine sortiesdu berceau, vont au devant l'une du l'autre, et sesentant soeurs, cimentent une alliance qui dure autant

    que l'antiquit.

    I.

    La philosophie nat en Grce au sein des mystres,clans l'ombre des temples, parmi les crmonies etles croyances religieuses. Mais, comme son essenceest la libert et son premier besoin la lumire, dsqu'elle a conscience d'elle-mme, elle brise ses en-traves, elle se dveloppe en plein jour et en pleineindpendance. Ignorant tout, elle veut tout ap-prendre. Avec une confiance tmraire, mais quil'honore, elle embrasse la fois l'univers entier, etse met la recherche du premier principe des tres,de l'lment gnrateur des choses, de l'intelligencequi les soumet ses lois, et enfante d'abord millesystmes analogues, divers, contradictoires, en Asie-Mineure, en Sicile, en Italie, partout o souille lelibral esprit de la Grce. Dans ses spculations sansbornes, comme le monde, elle n'a garde d'oublierl'homme. Mais elle ne croit pas possible de connatrel'homme sans la nature, ni la nature sans l'homme;et. dans l'homme, l'me sans le corps, ni le corpssans l'me, la sant sans la maladie, ni la maladiesans la sant. Elle appelle donc la mdecine sonaide et lui donne franchement la main.

    Cette union de la philosophie avec la mdecine estsingulirement remarquable dans l'cole ionienne. Ilsemble que ces philosophes prennent leur point dedpart dans l'tude de l'organisation vivante et de-

  • LNROIIUCTIOX. Xf

    mandent ce qui sera un jour la physiologie leursexplications de la nature en gnral et de la naturehumaine. N'est-ce pas parce que Thaes est frapp dece grand phnomne de la vie qu'il fait du mondeun tout vivant, et, comme diront plus tard d'autresphilosophes, un animal? Et n'est-ce pas parce qu'ilvoit la vie paratre et se dvelopper dans l'lmenthumide qu'il place dans cet lment l'origine univer-selle (1)?tiaxiinne ne procde pas autrement.C'est encore la vie qu'il observe, non au momentde l'closion, mais dans les conditions ncessaires son entretien. L'homme, comme l'animal, ne"vit que par la respiration, et ne respire que parl'introduction de l'air : donc rien ne vit, rien n'existeque par la vertu de l'air, aliment universel (2).

    Diogne d'Apollonie recueille cette ide et la dve-loppe, en la suivant dans ses applications particu-lires. Constatant la prsence de l'air dans le sang,il rend compte de la sensation et de la pense par ladiffusion de l'air qui, ml au sang, voyage avec luidans les veines, du coeur aux extrmits (3). Ildistingue les ventricules du coeur, appelant le ven-tricule gauche a/'triaquo,, ce qui semble indiquerune certaine connaissance des artres, et dcrit h safaon la distribution des veines, tout cela dans unpassage conserv par Aristote (i) et qui devait l'airepartie de son trait De la nature (5). Si Heraclite

    [1}Arist., De anima, I. n, 23.Plutarq., Deplac, IV, 2.(2,i Plut., De phic, I, 3.(3; Arist., D anima,., I, n, o. Simpl., Plitjs., fol. 82, 33.-

    Plul.. De plac, IV, 5.(4) De pari, animal., III.)Simpl., Phys., lll, fol. 3!).

  • XII INTRODUCTION.

    substitue le feu h l'air, comme Anaximne avaitsubstitu l'air l'eau, ce n'est pas qu'il change demthode. Le feu est ses yeux le fond mme de lavie, et par consquent le fond de toute existence. Eului et par lui respire tout ce qui vit, tout ce qui est.11 faut mme ajouter : tout ce qui pense; car cetteatmosphre universelle, essentiellement intelligente,en se communiquant, communique la pense (1).

    Anaxagorc s'lve videmment de l'organisationhumaine la pense humaine, et de celle-ci lapense divine. C'est parce qu'il constate au sein del'organisation une intelligence particulire qui lameut et la dirige, qu'il conoit, dans le grand corpsde l'univers une intelligence universelle, motrice la fois et ordonnatrice. Il distingue les tres orga-niss de ceux qui ne le sont pas, et fait de l'organi-sation la condition sans laquelle un tre ne sauraitparticiper l'intelligence. Il tudie les sens, maisbien moins en eux-mmes ou dans leurs objets quedans leurs conditions organiques, cl, arrive lathorie des contraires, invente par lui ou renouveled'Heraclite i). Cette organisation, non moins essen-tielle la pense qu' la vie, il la considre l'tatmorbide, aussi bien qu' l'tat sain, puisque Aristotenous apprend qu'Anaxagore plaait la cause desmaladies aigus dans la surabondance de la bile (3).

    (li Diog. Laerce, IX.-Stob., Eciotj., II, p. 010; 1, p. 500.Orig., Cont. Cels.,\l, p. IDG.Scxt. Emp., Adu. math., VII, 120.('2) Arist., Met., I, ni. Simpl., P/iys., fol. 33, 35. Stob.,

    V.clorj., I, 700.Tlioph., De sensu, I, 27.Voir, pour plus dedtails, mon histoire -Desthories de l'entend, hwn. dans l'an-tiquit, p. 1-53.(3) De pari., animal., IV, 2.

  • I.NTRDUCTIOX. XIII

    On le voit, donc, la philosophie ionienne, cosmolo-gique par son objet et son ambition, est biologiqueet physiologique par sa mthode, insolemment, maiscertainement. Sa parent avec la mdecine est mani-feste et saule aux yeux, mme en cet loignement,mme en cette disette de documents.

    Sur les ctes de la Grande-Grce, dans les institutsde Pythagore, mmes rapports intimes entre laphilosophie et la mdecine. Nous n'avons plus affaire des physiciens, mais des mathmaticiens, il estvrai ; mais dans leur proccupation dos nombres etde l'harmonie, ces mathmaticiens n'oublient pas lamatire dont il s'agit d'expliquer l'ordre et les mou-vements, et dans l'homme en particulier ils ne tien-nent pas moins compte du corps que de l'mc. L'meest un nombre, mais elle anime le corps, qui vit,d'ailleurs, par la vertu d'un principe diffrent, lefeu, ou la chaleur qui en mane. Cette me a sesfacults, savoir, l'intelligence et le courage; cettevie a ses fonctions, savoir, la nutrition et la procra-lion. Facults et fonctions ont leurs siges et leursinstruments dans des organes spciaux : l'intelligencedans le cerveau, le courage dans le coeur, la nulii-fion dans le foie et la procration dans l'organegnrateur. C'est l qu'il faut les chercher, si l'onveut les trouver ; l qu'il faut les tudier, si l'onveut les connatre. La sensation, ceLle partie inf-rieure, mais ncessaire, de l'intelligence, s'expliquepar la thorie des semblables, chacun des cinq senscorrespondant chacun des cinq lments. Notezque les pythagoriciens cultivent en outre la mde-cine, soit pour elle-mme, soit dans ses applications la morale. La thorie mdicale des jours critiques,

  • xiv IXTROBUCTFOX.

    des priodes ternaires et quaternaires est sans nuldoute d'origine pythagoricienne. La dittique, quiLient tant de place dans l'ancienne mdecine (1),pourrait bien venir aussi, des pythagoriciens, quel'histoire nous montre si proccups de l'alimenta-tion et si partisans de l'abstinence. Et n'est-ce pas GroLone que l'on commena de comprendre l'impor-tance des exercices gymnasliques et autres et del'hygine au point de vue des moeurs (2)?

    Les coles d'Elc ci d'Abdre, greffes en quelquemanire sur les prcdentes, en continuent les tra-ditions. 11 suffit de citer Empdocle dans la pre-mire (3) et Dmocrite dans la seconde. Empdocleest si peu tranger la mdecine qu'il est mdecinaussi, bien que philosophe (4). S'il a crit un pomc,De. la Nalitre, il a crit un ouvrage, pome ou non,sur la mdecine, lx-p>:/.zq oyc;, dit Diogne Laerce.Si peu et si mal que nous le connaissions aujour-d'hui, on discerne 'facilement le mdecin dans lephilosophe, comme le philosophe dans le mdecin.Sa thorie del sensation est d'un naturaliste, d'unphysiologiste, d'un mdecin ontin. Gomme les pytha-

    (1) Voir le trait De l'ancienne mdecine.(2) Ba'ckl., Pliilul., 21,-Diog. Laerce, Vie de Pijiharjorc. -

    Ari.st., Mlaph., T. .").Voir aussi Renouard, Ili.sl. de la Mcl.,t. I, p. 12'K Sprengel, Jlist. de la Mikl., t. I, p. 130 cl suiv.;Guaivlia, La md. a travers les sicles, p. U2et suiv.; Chauvel,Des thories de l'entend. Inun. dans l'anli((nit, p. 5i-(S..">)A'oir, Des thor. de l'entend, lutin., p. 85 cl. suiv., quelles

    raisons me; l'ont ranger Empdocle parmi les lates.(i) Il est mme all del mdecine h la. philosophie, en sorte

    qu'il conviendrait de voir en lui un mdecin-philosophe bienplutt qu'un philosophe-mdecin, .le ne sais pourquoi l'usagecontraire a prvalu.

  • I.NTHOlil'GTIOX. XV

    goriciens, il professe la thorie des semblables, et il yajoule celle des manations et des pores, ceux-ciservant de chemin celles-l. Il donne de chacundes sens des explications qui supposent une tudeattentive de l'organisme (1). Sa thorie de l'intelli-gence proprement dite accuse le mme esprit et lesmmes proccupations. L'intelligence humaine ,dit-il, trouve son aliment dans les flots bouillonnantsdu sang; c'est l que rside proprement la raison ; lesang qui environne le coeur, telle est la raison del'homme (2). Le mdecin parat plus visiblementdans les thories de la respiration, de la nutrition etsurtout de la gnration; ses ides sur cette dernirefonction vitale ayant survcu mme l'antiquit etlaiss des prjugs qui durent encore (3). Enfin c'estun mdecin et mme un praticien qui rappelle lavie une femme asphyxie qu'on croyait morte ('i), quimet fin une pidmie cause par un vent malsain,en lui bouchant le passage entre deux montagnes (-5),et qui bannit les livres en conduisant des eaux viveset pures travers un marais pestilentiel (G).

    (!) Platon. iIciHOii,('j\\. Charp., t. IV. p. 'XV).Arisi., De fcns.et sensil., III. Plutarq., De plac, J, 'J.Voir l'exposition d-taille de toute cette thorie de la sensibilit, Des t/iories lel'entend, hum., p. 87-92.(2) Empdocle, De la Nat., vers 315.(3; Plutarq., De plar..,X,xu: Malien, De seminc, Il ; -Arist.,

    .Degnent!, animal., II, 1.,i) l.'iog. I.aerc,, VIII.

  • xvi LNTHOJIUGTIOX.

    Sans tre expressment mdecin comme Emp-doclc, Dmocrite n'est gure moins que lui versdans la mdecine. Sa doctrine en porte de frappantesmarques. Il procde du corps l'me, qui lui res-semble par sa composition, et explique la continuitde la vie par la respiration, sur laquelle il a uneingnieuse thorie. Il adopte la thorie des semblableset rend compte de la sensation par les manationsde l'objet cL les pores du sujet, sans qu'on puissesavoir si ces ides ont t empruntes par Dmocrite Empdocle, ou par Empdocle Dmocrite, ouinventes des deux cts la fois. Tout ce qu'onpeut dire, c'est que Dmocrite parat les avoir dve-loppes davantage et y a attach son nom. On l'aaccus de folie: ne serait-ce pas que, philosophe-mdecin, il s'est beaucoup occup de cette lamen-table maladie, qui n'est ni du corps ni de l'me,mais de l'homme tout entier? Enfin on a pu sansinvraisemblance lui prter ces remarquables paroles : Tous les hommes, Ilippocrate, devraient treinitis aux secrets de la mdecine. Quelle belle choseque cet art, et combien utile, et combien digne d'unsavant homme! La sagesse et la mdecine, ce sontdeux soeurs faites pour vivre dans une troite inti-mit. La sagesse calme les passions de l'me, la m-decine gurit les maladies du corps (1). Toutindique que Dmocrite cultivaiL la mdecine pourelle-mme. Il dissquait des animaux, et Pline assurequ'il avait consacr tout un livre dcrire l'anato-

    (I) Platai-que, Symp., VIII, v, 2. Lettre de Dmocrile llippoc, sect. VIII.

  • lyiT.niircTiox. xvit

    mie du camlon (1). Il avait tudi les principalesfonctions vitales, singulirement la gnration, avaitobserv les pidmies, plac la cause des maladiesclans les irrgularits de la nutrition et les influencesdu dehors, leurs remdes dans le rgime. Et toutesces recherches avaient fait le sujet de plusieursouvrages do mdecine, qui lui sont formellementattribus par Goelius Aurelianus, savoir: De la na-ture de Fhomme ou de la chair; Des humeurs;

    Des pestes, ou des maux pestilentiels ; Le pronostic ; De la dite;Sur les fivres ;Sur les maladiesconoulsices.

    Ainsi, durant tout cet ge, la philosophie est dansun troit et constant rapport avec la mdecine. Ellese livre h mille recherches mdicales, mille obser-vations mdicales, d'o elle tire ses explicationsgnrales ou particulires des choses; et, commeelle embrasse tout dans ses ambitieux systmes, elledonne toujours, ou presque toujours, ses doctrinesde l'homme en sant leur corollaire naturel, unedoctrine de l'homme malade.

    Socrate, qui apporte cependant une mthode nou-velle, des directions nouvelles, des inspirations nou-velles, ne modifie pas notablement ces habitudes dela philosophie. Aprs lui comme avant lui, l'organi-sation vivante, telle qu'elle apparat dans l'hommeou l'animal, conlinue de servir de type la concep-tion de l'univers. Aprs lui comme avant lui, l'uniehumaine est considre, tudie dans son union aucorps, sans lequel elle serait comme si elle n'taitpas, mme lorsqu'on admet qu'elle en diffre essen-

    ;1) L. XXVIII, eh. vin.

  • XVflI INTRODUCTION.

    liellement. Aprs lui comme avant lui, l'tat morbidedes organes n'est pas plus nglig que l'tat normal,et la pathologie, la thrapeutique, pas plus oubliesque la morale et la politique. C'est toujours le mmeesprit de synthse qui, amoureux d'unit et d'uni-versalit, distingue tout sans rien sparer.

    Gela saule aux yeux dans Platon. Ce chantre del'idal a une cosmologie qui est comme la biologiede l'univers; ce coryphe du spiritualisme, commel'appelle (Mien, a une physiologie, au sens modernede ce mot; ce philosophe mystique, ou peu s'en faut,a un systme mdical.

    La cosmologie de Platon se trouve dans le Time.L on voit d'abord que le monde a un corps et uneme, et qu'il est proprement un animal raisonnable.Puis le corps du monde est dcrit, ses lments, saforme, ses proprits, ses mouvements, qui se r-duisent un seul. Puis l'me du monde est dcrite,son origine, les essences qui la composent, ses facul-ts, dont les unes ne s'lvent pas au-dessus del'opinion, et les autres atteignent jusqu' la scienceparfaite. Et c'est cette me dans ce corps, ou pluttce corps dans cette me, qui est l'univers, le vivantunivers (1).

    Dans l'tude de l'homme, Platon n'oublie pas plusle corps qu'il n'oublie l'me dans celle du monde.Le corps humain est partag en trois compartimentspour loger les trois parties de l'me humaine. Lerle du cerveau, plac dans le crne avec l'meraisonnable ; celui du coeur, plac dans le thorax avecl'me virile; celui du foie et de la rate, placs dans

    (I) Platon, dit. Charp., t. VI, p. 181-103.

  • i.vriiuiii.'i'.Tiox. xix

    le ventre avec l'rne bestiale; celui de la moelle,divise en formes rondes et allonges, lesquellessonl comme les ancres o seraient enchanes lesmes infrieures ; celui des nerfs et de la chair ;celui des veines, qui sont comme les canaux destins porter partout le liquide nourricier, tout cela estdtermin avec le soin qu'il mrite et les dveloppe-ments qu'il comporte. Les sens, commencer parcelui qui est rpandu par tout le corps, c'est--direle loucher, sont observs dans leurs organes, et lesdiverses impressions et sensations, ainsi que le plai-sir et la douleur, expliqus par le rapport qui s'ta-blit entre ces organes et les objets trangers (1).

    C'est l l'homme normal ; mais il y a aussi l'hommemalade, qui attire l'attention de Platon. Il connatsi bien les maladies, qu'il croit pouvoir les classer.11 en distingue de trois sortes. Une premire cat-gorie a pour cause l'excs et le dfaut, le dplace-ment et enfin les altrations des quatre genres desubstances qui entrent dans la constitution du corps:l'air, le feu, l'eau et la terre. Ces maladies, entrelesquelles sont les fivres, sont de beaucoup les plusnombreuses. Une seconde classe de maladies, moinsfrquentes, mais plus graves et douloureuses, a sonorigine dans les compositions secondaires, c'est--diredans les substances animales, la chair, le sang, lesos, la moelle, etc. Elles ont lieu lorsque ces sub-stances, loin de se produire les unes les autres dansleur tat naturel, se dcomposent et retournentchacune la substance d'o elle procde. La plusterrible de ces maladies csL sans doute celle qui

    (I) Platon, dt. Clmrii., 1. II. p. 3>2-l2l:V2'i0-"271.

  • .XX l.vrnn]jtcJG.\.

    attaque la moelle. Enfin, une troisime classe com-prend les maladies qui viennent cle l'air respir, dela pituite et de la bile. L'une d'elles est la maladiesacre (1).

    La cosmologie d'Arislote a un caractre plus abs-trait que celle de Platon ; la mtaphysique y joue unrle prpondrant. Nanmoins, quoique ce point devue soit moins dvelopp, il n'est pas douteux quela conception del vie, telle qu'on l'observe chez lestres organiss, ne l'inspire d'un bout l'autre. Lemouvement mme, ce mouvement sans commence-ment ni fin qui agite l'univers, est comme une vieinfuse dans tous les tres de la nature (2). Si lesplantes et les animaux naissent et croissent, c'est envertu d'une chaleur vivifiante partout rpandue, et,le monde entier est en quelque sorte rempli d'mecl de vie (3j. Le monde est un tre vivant et anim,et cause de cela principe de vie et de mouve-ment (4). Et ce qui est vrai du tout l'est des parties :la terre, elle aussi, est vivante, est anime, et,pareille l'animal.et la plante, elle est sujette lajeunesse et la vieillesse (5). Les parties sont lesorganes, le tout est le corps, et corps et organesvivent galement, sont galement anims, parcequ'ils participent galement de la vie et de l'meuniverselles.

    Mais o parat d'une manire frappante le mdecin

    (!) Platon, dit. Charp., t. VI, p. 280-288.(2) Ovi lor'riTICoOaaTCI;cfa-Eicnivsrrwor'.Trffiv,Aristotc, Physiq.,

    VIII, 1.(3) Arist.j Ue ijenerat. animal., III, t.(il Idem, Du cmlo, II, 2, 5.(">''Idem, De r/en. animal., IV, 10.

  • l.NTRolHT.TOX. XXI

    clans le philosophe , c'est lorsque Aristote tudiel'homme sans le sparer des animaux, c'est--direen naturaliste, et l'me sans la sparer du corps,c'est--dire en anatomiste et en physiologiste. C'estbien un naturaliste, c'est bien l'auteur de YHistoiredes animaux et de tant d'autres traits qui s'y rap-portent (1) qui, distinguant dans l'me trois mes,savoir, l'me nutritive, qui est celle de la plante,l'me sensilive et motrice, qui est celle de l'animal,et l'me intellectuelle, qui est celle de l'homme, lesobserve tour tour avec le mme soin, et les observel o elles doivent tre observes, savoir: la pre-mire chez tous les tres vivants, commencer parles plantes; la seconde chez tous les animaux, commencer par les moins parfaits; et la dernirechez l'homme seulement, puisqu'on ne la trouve quel. C'est bien un anatomiste et un physiologiste,c'est bien celui que l'on a pu regarder comme lecrateur de l'anatomie et de la physiologie compa-res qui, considrant que les trois mes l o ellescoexistent n'en font qu'une, leur assigne dans lecoeur un sige unique ; discute et dtermine le rledu cerveau dans ses rapports cette me triple etindivisible, comme aussi celui des autres organesdont l'ensemble est le corps vivant; explique enfinles diirentes oprations vitales, les plus levescomme les plus humbles, par la nature et le jeu desinstruments que la nature leur a prpars, aussibien que par les qualits de leurs objets respectifs.Pour ne parler ni de la nutrition , ni de la gn-

    (j) Des parties des animaux; Du mouvement des animaux;Del marche des animaux; De la gnration des animaux-;De la gnration et de la destruction.9

  • XXI INTRODUCTION.

    ration, sa consquence, qui sont des fonctions pluttque des facults, et qui appartiennent exclusivementl'anatomie et la physiologie, la sensibilit, quicomprend l'imagination et la mmoire, la locomotionet enfin l'intelligence mme sont observes, ana-lyses et expliques dans leur rapport au corps, faitpour elles, organis pour elles. C'est en dcrivantl'organe particulier de chaque sens particulier, etl'organe commun du sens commun, et en montrantleur appropriation aux objets sentis, qu'Arisloterendcompte de la sensation (1). C'est en notant et ex-posant, cte du rle de l'apptit et du souflle,celui du coeur, de l'pine dorsale , des nerfs et desos, des articulations, qu'il rend compte de la loco-motion (2). Et s'il n'attribue pas d'organe particulier l'intelligence, s'il en fait une facult hors ligne,je ne veux pas dire divine (3), il la met cependantdans la dpendance du sensorium commun, ou ducoeur, en la mettant dans la dpendance de l'imagi-nation , qui s'exerce l et par l (4). Voil commentprocde rislote , et je demande si un mdecin ,traitant les mmes questions, pourrait procder plusmdicalement.

    Enfin, il n'est pas douteux qu'Aristote n'et unethorie proprement mdicale, une doctrine des ma-ladies. On est all jusqu' dire qu'il avait exerc lamdecine Athnes (5), ce qui est peu vraisemblable ;

    (Ij Deanim., Il, 5-12 ; III, 1, 2.(2) Ibid., III, '.)-!1.De motu animal, tout entier.(3) Voir Des thories de l'uni, hum., 35(J-370.(4) De anim., III, S.(.">)Franc. Palricii disculionum peripateticarum, t. IV, Bas-

    1581, fol. p. 3.

  • INTRODUCTION. X.X1H

    on lui a attribu des ouvrages de mdecine, ce quin'est pas certain. Mais ce qui l'est, c'est qu'il appar-tenait la famille des Aselpiades, c'est qu'il taitfils do mdecin, c'est qu'il tait fort vers dans lamdecine, ses livres en font foi. On peut donc affir-mer qu'il avait, comme tous les philosophes avantlui, et plus forte raison, un systme mdical , soitqu'il l'et ou ne l'et pas couch par crit.

    picure , pas plus que Dmocrate, son matre, neparat avoir conu l'univers la ressemblance destres organiss, sous la forme d'un immense animal.C'est le point de vue physique qui domine ici. Lemonde n'est qu'un assemblage de corps, forms parla rencontre et les combinaisons des atomes ter-nellement mobiles dans le vide ternel. Ce qui faitles tres vivants, c'est au sein de corps autrementagencs des atomes d'une nature plus subtile; cequi fait les tres pensants, c'est au sein des mmescorps des atomes encore plus dlis. Si ces concep-tions ne sont pas prcisment celles d'un mdecin,elles sont moins encore celles d'un philosophe quine serait que philosophe.

    Le mdecin se montre davantage, sans effacer lephysicien, dans ce qu'on pourrait appeler la psycho-logie d'Epicurc. Le principe vivant est distingu duprincipe pensant et rpandu clans tout l'organisme,par celte raison que l'organisme vit dans toutes sesparties. Le principe pensant est renferm dans lapoitrine exclusivement, par cette raison que c'est lseulement que se font sentir le plaisir et la douleur,toutes les impressions en gnral. EL ces deux prin-cipes, qui sont l'me sous ses deux formes, raison-nable et irraisonnable, tant composs de quatre

  • XXIV INTRODUCTION.

    lments, le premier du souille, del chaleur el del'air, et l'autre d'un quatrime lment sans nom,rendent compte des diffrents tempraments, par laprdominance de tel ou tel de ces lments sur lestrois autres (1). La vie a ses fonctions, qu'on expliquephysiologiquement. La pense comprend, outre lasensation et l'imagination, l'anticipation ; mais celle-ci n'est que le souvenir d'une sensation ou d'unereprsentation souvent rpte , donc une simple,gnralisation. Quant l'imagination et la sensa-tion, elles ont une double cause, l'une au dehors, cesont les images et autres particules (2) ; l'autre ennous-mmes, ce sont les organes et les pores dont ilssont percs. Telle est mme l'importance de ces porcseL de ces organes, qu'il faut dire : les yeux voient,et lion : ruine voit par les yeux; les oreilles enten-dent, et non : l'me entend par les oreilles, etc. (3).On n'est pas plus physiologiste, ni, quant ce der-nier point, plus aveuglment.

    Epicure s'esl-il proccup de l'homme malade? Ilest difficile de ne pas le croire, quand on songe qu'ila t malade toute sa vie, ce point qu'un de sesdisciples a pu crire un trait De la lan/ueur d'Epi-cure. (A). Ajoutez qu'il lui arrive d'attester la maladie,pour prouver soit la matrialit (5), soit la mortalitde l'me (6). Souvenez-vous enfin queDiogcneLaercelui attribue positivement un trait Des maladies,

    (1) Lucrce, De nat. reritm, III, p. '232-325.(2) Voir De* Ihcor. de l'entend, lutin., p. 387-101.(3) Lucr., De nat. rerutii, III, 325-370.('() Jltrodorc, vripl :% 'Kt'.v.opoyppcoiTio;;.(5) Lucr., De nat. reruiii, 400-171.(6) kl., lbid., 509-51',).

  • I5TK0DU('.T10>". XXV

    reps voor^-ctov. Et ne peut-on pas supposer que Lu-crce s'est inspir de ce trait la fin du livre VI du Denatura rerum (1), o il dtermine l'origine des ma-

    ladies, il serait plus exact de dire des pidmies, etdcrit la terrible peste d'Athnes ? 11 est certain queles explications du pote latin sont absolument con-formes la physique picurienne, puisqu'il rapporteles causes des maladies aux particules rpandues

    . dans l'air, les unes vivifiantes, les autres dltres,soit que ces dernires nous arrivent travers les es-paces , comme des nuages chargs de venin, soit

    qu'elles s'exhalent du sein de la terre, comme d'im-pures vapeurs,

    Avec les stociens, nous retrouvons dans toute sanettet et sa prcision la conception biologique del'univers. L'univers est un tre organis, anim,puissant, raisonnable. Tout ce qui est clans lesparties est en lui, parce qu'il vient de lui ; et voilpourquoi on ne peut lui refuser ni la vie, ni raine,ni l'intelligence (2). C'est un animal parfait, commedans le systme platonicien , avec cette diffrenceque cet animal parfait est Dieu mme. EL cet animaldivin est si bien un animal, qu'il est le gnrateurdes choses, la semence de laquelle tout s'engendre,suivant une loi rationnelle, As-,-;; c-iTsp;j.aTiy.c(3). Unmdecin matrialiste pourrait-il s'exprimer autre-ment et d'une manire plus prcise et plus forte ?

    Lorsque, au lieu d'expliquer le monde en gnral,les stociens considrent l'homme spcialement, le

    Cl) V. 1089, jusqu' la fin.(2) Diog. Laerco, Vie de Zenon; - Cic, De liai. Deor., II, fi-8.(?>)niog. Luerce. Ibid. Stobe, Eclotj., I, p. 372.

  • XXY1 LVrUOLiUUTIX.

    rle del mdecine dans leurs spculations est sinonplus rel, au moins plus vident. Au-dessous del'me, ils distinguent la nature, cmc, qui se trouveaussi dans les animaux ; au-dessous de la nature,Vhabitude, Ib.c, qui se trouve aussi dans les plantes,et ils tudient les facults naturelles et habituelles,c'est--dire les fonctions, aussi bien que les facultsintellectuelles ou psychiques (1). L'me est la force,mais cette force est le souffle qui se rpand ducentre, c'est--dire du coeur, o il s'appelle la raison,aux extrmits, o il s'appelle les sens, la parole, lagnration. La thorie de la raison mme, ou pluttdu sige de la raison, nous montre les stociens fa-miliers avec la mdecine et les controverses des m-decins (2). Zenon, Chrysippe, Diogne de Babylone,dmontrent l'envi que la raison rside au coeur, parce motif qu'elle se confond avec le discours ou lavoix, et que celle-ci part de la poitrine et traverse lepharynx avant de venir clater sur les lvres. Ils dis-cutent l'opinion des mdecins contemporains qui ,mettant le point de dpart des nerfs dans la tte, ymettent aussi l'me et la raison. Aprs avoir essayde prouver que, les nerfs ayant leur origine dansle cerveau, il ne s'ensuivrait pas que la partie direc-trice y a son sige, ils soutiennent avec Aristole quele systme nerveux tout entier a ses racines au

    (1) Sextus Einp., Adr. math., IX, 81.(2) Diogone l.aercc [Via de Y.cnon) nous dit on propres termes,

    parlant de la physique, des stociens, que, la partie qui traite descauses est double, et que la premire comprends rechercliesdes mdecins et les questions qu'ils Iraitunl sur la partie direc-trice de l'unie, sur les choses tjui s'y passent, sur les germes etautres sujets semblables.

  • IXTROLUCiOX. XXVII

    coeur (1). Voil, ce semble, beaucoup de mdecinedans une doctrine qu'on et pu croire exclusivementphilosophique.

    Il est difficile de supposer que les stociens, si fortmls la mdecine, et dans un temps o celle-cifaisait de notables progrs, n'aient pas eu leur doc-trine mdicale proprement dite, conformment latradition antique. Mais l-dessus les renseignementsfont compltement dfaut. Si quelqu'un d'entre euxavait crit, comme picure, son trait Des maladies,il n'y en a pas trace dans les catalogues de DiogneLaerce : il est vrai que ce mdiocre auteur annoncela liste des ouvrages de Zenon sans la donner, et quesa liste des ouvrages de Chrysippe s'arrte dans nosditions prcisment aux livres de physique.

    Il n'y aurait pas lieu de nous occuper des colestoutes critiques dePyrrhon et d'Arcsilas, si le scep-ticisme pyrrhonien no comptait au nombre de sesreprsentants Sextus Empiricus. 11 en est de Sextuscomme d'Empdocle : les historiens de la philosophieles ont inscrits sur leurs listes , probablement parceque les seuls de leurs ouvrages qui aient surnagsont leurs oeuvres philosophiques ; en ralit, ce sontdeux mdecins. Mais, si l'on persiste subordonner,dans la personne de Sextus, le mdecin au philosophe,il ne faut cependant pas le mconnatre; il faut sesouvenir, au contraire, que ce philosophe-l est essen-tiellement un mdecin, un mdecin del secte empi-rique, et qui a crit des ouvrages de mdecine aussibien que de philosophie. S'il n'a pas alli la mde-cine la philosophie dans des recherches que sa qua-

    (I) Galion. Des dmjm. d'IJipp. al de Platon, I. II. p. 256 cl suiv.

  • xxv ni INTHODLT.TION.

    lit de sceptique lui interdisait, il avait sans nuldoute une doctrine mdicale, celle de son cole, peut-tre avec des vues personnelles dont ses Mmoiresempiriques gardent le secret.

    Nous voici arrivs l'cole philosophique d'Alexan-drie. Or, le mysticisme oriental de cette cole nel'empche pas de s'inspirer en quelque mesure de lamdecine, l'exemple de Platon, son premier matre.Et ce qui le prouve d'abord, c'est la manire dontPlotin conoit l'univers et les parties de l'univers.L'univers, c'est l'animal universel, compos, commeles animaux terrestres, d'une organisation et d'unprincipe dvie, d'un corps et d'une me; les partiesde l'univers, les astres, sont des animaux; la terreelle-mme est un animal (1). Et dans toutes les re-cherches auxquelles Plotin croit devoir se livrer surla nature de l'animal universel et des autres animauxdivins, c'est toujours dans la considration des ani-maux terrestres qu'il prend son point do dpart. C'estainsi qu'il se demande si l'animal universel persistedans son individualit , conservant toujours lesmmes lments dans le mme tat, ou si, semblableaux animaux qui meurent sans que la l'orme del'espce prisse, il persiste seulement dans sa formespcifique, son corps tanL dans un flux et un coule-ment perptuels (2). C'est ainsi qu'il se demande sil'animal universel a besoin d'aliments, comme lesanimaux qui, perdant sans cesse quelque chose deleur substance, ont sans cesse besoin de la rparer (3).C'est ainsi qu'il se demande si l'animal universel est

    (1) Ennadas, II, i, 1; IV, v, 24 et suiv.(2) Ibid., II, i, \A.(?,) Ibid., \, il s,

  • INTRODUCTION. NX1X

    dou de sensibilit, et si cette sensibilit s'exercepar des sens distincts, ayant des organes distincts,ou si elle ne se rduit pas plutt cette sensationintime de soi-mme (ouvak6r,5i

  • XXX IiXTRllUGTIOX.

    et de se nourrir, celle d'engendrer. Sans se livrer des recherches trs-personnelles et Lrs-approfondiessur ces fonctions, il les tudie cependant comme ellesveulent l'tre, au poinl de vue physiologique (1).Dans l'animal, il distingue la facult de ptir, ou lapassion, la facult de se mouvoir, ou la locomotion,et la facult de sentir proprement dite, c'est--direla connaissance des corps par les cinq sens ; et surchacun de ces points le mdecin parat clairementdans le philosophe. La passion comprend : 1 le plaisiret la douleur : Plotin les explique par les modifica-tions du corps, tantt altr et tantt perfectionndans sa constitution ; 2 les apptits : Plotin lesexplique par les ncessits ou les besoins de la vie,et les loge dans le foie, le propre organe de la vievgtative ; 3 la colre : Plotin l'explique par uncertain tat du sang, et consquemment de la bile,et la place dans le coeur o le sang, venu du foie,s'labore et se perfectionne (2). La locomotion n'attiregure l'attention de note philosophe ; mais en larefusant l'me, qui donne seulement l'ordre dumouvement (3), et en chargeant l'animal de l'excu-tion, il montre assez qu'il la considre comme uneopration physiologique. N'est-ce pas un anatomisle,ou un disciple des anatomistes alexandrins, qui,plaant dans le cerveau l'origine des nerfs, et dansles nerfs la puissance de mouvoir, fait rsider celle-cidans le cerveau (41 ? La thorie de la sensibilitrapporte, comme la locomotion, au cerveau et aux

    (1) Eimades. IV, in, 19, 23 ; VJ, 28. - I, i, 8. Y, ix, G.(2) Ibid , I, i, 1, 5, 7. - IV, xi, 18, 19, 20, 21, 28.(3) lbid., I, I, 3, i.(4) Ibid , IV, m, 23.

  • IXTBODCGTIOX. XXXI

    nerfs (1) ; explique, non par les milieux, commedans la doctrine pripatticienne, mais par les im-pressions sympathiques de ranimai universel dontnous faisons partie (2), nous atteste encore lesproccupations physiologiques et mdicales de Plotin.Et lorsque, s'levant de degr en degr, il arrive l'me pure eU ses facults suprieures, si le mta-physicien les dclare indpendantes des organes,c'est le mdecin qui ajoute du moins ce correctifque, lies la sensibilit, elles sont lies indirecte-ment, mais rellement, au systme nerveux enc-phalique (3).

    Plotin, ou quelqu'un des siens, a-t-il eu une doc-trine mdicale, une pathologie, une thrapeutique?La question, d'ailleurs insoluble, paratra moinstrange aprs tout ce qui prcde, aprs surtout quenous aurons remarqu que Plotin cherche quelque-fois ses arguments dans l'tat de maladie, ou mmedans certaines observations sur le cadavre,, o toutevie ne s'teint pas immdiatement l'instant de lamort, comme le prouve la croissance posthume desongles, des poils, etc. (4).

    Yoil le spectacle que nous prsente la philosophiegrecque. Du commencement la lin, elle ne cessede s'allier la mdecine, soit pour concevoir l'univers, soit pour tudier dans la nature humaine lesfonctions aussi bien que les facults, soit pour luiemprunter des faits l'appui de telle ou telle thorie

    Cl) Ennadcs.(2) Ibid., IV, v, 1-8. Voir Des Uiories de l'entend, humain,

    p. 491-498.(3) Ibid., IV, m,23.CI) Ibid., IV. iv, 21, 29.

  • XXXII INTRODUCTION.

    particulire, soit enfin pour se donner elle-mmeun systme sur les maladies et les moyens de lesgurir.

    La mdecine grecque va mettre sous nos regardsle spectacle inverse. Du commencement la fin,nous la verrons s'allier de son ct la philosophie,soit qu'elle s'en inspire dans la dtermination desrgles suivre dans la recherche, des devoirs observer dans la pratique ; soit qu'elle lui demandedes thories sur des objets trangers, pour s'claireren s'tendant et se compltant.

    II.

    La premire origine de la mdecine en Grce estfort obscure et se perd dans les nuages de la mytho-logie. Ce qui parait certain, c'est qu'elle a son berceaudans la religion, comme la philosophie, comme lacivilisation mme. Esculape en serait le pre et ledieu tout la fois. Podalire et Machaon l'auraientintroduite, avec le culte d'Esculape, le premier dansle Ploponse, le second en Asie Mineure. DesAsclpions furent alors btis et l, en des en-droits salubres, sur les hauteurs, parmi des boissacrs; et, dans ces temples, les malades furenttraits et quelquefois guris par les prtres, aumoyen de remdes plus ou moins efficaces, mls des crmonies superstitieuses (1). C'est l'ge des

    (1) Voir Lillr, OEuv. compl. d'TUpp., t. I, p. 9. 10; Bouchut,Hist. de la md., t. t, p. 15-18. Voir d'intressants dtails dansVAsclapeeion d'Athnes, pur Paul Girard.

  • INTRODUCTION. XXXIH

    temples ; c'est l'enfance de la mdecine grecque,d'abord exclusivement religieuse (1).

    Mais un mouvement se fait bientt dans les esprils.Du libre gnie grec sort spontanment la philosophie,c'est--dire la curiosit universelle, qui s'applique tout pour tout expliquer. Or la philosophie ne selivre pas seulement pour son propre compte toutessortes de recherches mdicales, elle provoque, ct d'elle, la naissance d'coles mdicales, quis'inspirent d'elle, d'coles libres comme elle. Tellessont les coles de Crotone et d'Agrigente, et peut-trel'cole de Gyrne, cite et vante par Hrodote, maisdont le vrai caractre est mal connu (2). peuprs dans le mme temps, les gymnases prennent del'importance. Les directeurs de ces tablissements,gymnasiarques et gymnastes, invits par leurs fonc-tions mme donner leurs clients des soins hygi-niques, remdier aux accidents, construisent peu pou un systme mdical qui leur est propre, etfondent une sorte de mdecine populaire, qu'on peutappeler, qu'on appelle la mdecine des gymnases (3). Or, de celte publicit et, si je puis le dire, decette lacit des coles mdicales issues de la gymnas-tique et de la philosophie, rsulte cette chose grave :soit entranement, soit ncessit de lutter contreune rivalit menaante, les Asclpions , jusque-lhermtiquement clos, s'ouvrent, et les Asclpiades,jusque-l sdentaires, en sortent, pour aller de villeen ville, de maison en maison, exercer la mdecine

    (T) Liltr, OEuv. coiip. d'lipp., t. I, p. 5, G.(2) Houdarl, Hist. de la md. grecq., I, ni, p. 128-133.(3) Sprengel, Hisl. de la md., t. I, p. 273-273. '

  • XXXIV INTRODUCTION.

    au grand jour. Les voiles se dchirent, et l'anciennemdecine, celle de la tradition, se scularise. De ltrois grandes coles mdicales, trois coles asclpia-denncs, celle de Rhodes, celle de Gnide, celle deCos. C'est l'ge des coles ; c'est la jeunesse de lamdecine grecque, maintenant mancipe (1).

    Puis Alexandrie se fonde, aux confins de deuxmondes et de deux civilisations ; les Ptolmes yrassemblent des livres et des collections, y crent labibliothque et le muse, appellent les philosophes,les savants., qui accourent; un grand mouvementintellectuel nat, se dveloppe, se propage. La mde-cine en reoit une impulsion nouvelle. Le gnie desanciennes coles de Gnide et de Gos se rallume plusardent en ce vaste et brlant foyer, et leurs doc-trines contraires s'accusent avec plus de nettet etde force, en s'opposant et se combattant. L'empi-risme et le dogmatisme, arms de toutes pices, semesurent, s'enlacent, comme deux athltes, tour tour vaincus eL vainqueurs. Un troisime lutteurparat enfin dans l'arne, le mthodisme, issu duscepticisme de Pyrrhon et de l'atomisme d'picure.C'est l'ge des sectes ; c'est la virilit de la mdecinegrecque, enfin scientifique.

    Or, si vous mettez part la mdecine exclusive-ment religieuse du premier ge, et, dans le second,la mdecine exclusivement pratique des gymnases,vous constaterez partout une alliance perptuelle,infime, entre la mdecine et la philosophie.

    Peut-tre y aurait-il lieu, mme dans la mdecinedes gymnases , de chercher quelque ide philqso-

    ''. t

    (\) Littr, OEuv, comp. d'ilipp., t. I, p. C, 9.

  • IXTRODIXION. XXXV

    phique ou du moins morale. C'est ce que donne

    penser un passage remarquable (i) o Platon blmeHrodicus d'avoir employ les exercices et le rgime prolonger la vie des valtudinaires. Cet art de fairevivre des gens qui n'en ont pas la force, de quelleutilit est-il l'tat? A ce point de vue tout rpu-blicain, qui est celui de l'antiquit, Hrodicus a-t-ilsong h opposer le point de vue, qui sera le ntre,de l'individu rendu sacr par sa qualit d'agentmoral ? Nul doute qu'il n'ait t conduit par le soinde sa sant chancelante se proccuper de celle deses pareils ; mais, une l'ois sur celle voie, il n'est pasimpossible que lui ou quelqu'un des siens se soientlevs une conception qu'il est si naturel d'yrencontrer.

    Mais o il n'est pas douteux que la philosophie aitsa place au sein de la mdecine, c'est dans les colesmdicales issues de la philosophie, notamment danscelle que Galien appelle italique (2) et qui comprendles coles de Crotone et d'Agrigenle.

    L'cole de Crotone, la plus clbre de lottes dutemps d'Hrodote, qui l'aiirme et qui devait lesavoir (3), ayant son sige au sige mme du pylha-gorisme, fille du pyfhagorisme, ne pouvait pas nepas tre toute pntre de philosophie cl de philo-sophie pythagoricienne. Le peu que l'on sail deDmocdc ne nous apprend rien cet gard ; maisun renseignement sur Alcmon nous est une lueurdans ces obscurits. Alcmon dfinissait la sant

    (1) dition Charpentier, t. VII, p. '173et suiv.(2) Liltr, OEuv. compl. (VUi}>}>.,t. I. p. 10.(H)Exil dans la Grande Grce, il composait son histoire

    Thui'ium.

  • XXXVI INTRODUCTION.

    l'harmonie et la maladie la discordance,

    Sprengel veut qu'il s'agisse de l'harmonie et de ladiscordance des fondions (L) ; mais j'en croiraisplutt, quoi qu'il dise, Stobe (2) et Plularque (3),qui entendent l'harmonie et la discordance des qua-lits lmentaires : le sec et l'humide, le chaud et lefroid, l'amer et le doux. Gomme l'observe Littr (i),ces oppositions taient connues ds ce temps-l.Quoi qu'il en soit, cette harmonie et cette discor-dance sont toutes pythagoriciennes et laissent de-viner un philosophe de cette cole dans le mdecinAlcmon (5).

    L'cole d'Agrigente ne parat pas moins imbue dephilosophie. Epicbarmc, n Gos, mais qui passa savie en Sicile, nous est donn comme un disciple dePythagore, et l'on trouverait sans doute des tracesde pythagorisme dans ses ouvrages de mdecine, s'ilen restait quelque chose (G). Il est permis de croireque Pausanias, ami d'Empdocle , en partageaitjusqu' un certain point les ides philosophiques (?).Quant Acron, galement contemporain d'Emp-docle, mais son rival, quelques-uns en l'ont un

    (-1)IHsl. de la mcd., l. I, p. 243.(2) Disc, 99, p. 542.(3) P/iy.s-,phil. dcret., 1. V, ch. xxx.(4) (FAIV.compl. d'IIipp., t. I, p. 14.(5) Diog. Laerce (Vie d'Alcmon) l'ait d'Alcmon un' disciple do

    Pythagore lui-mme el dit que, suivant lui, toutes les choseshumaines sont doubles , ce qui semble bien se rapporter l'op-position des qualits lmentaires.(6) Diog. Laerce, YIII (Vie d'Epicharme); Pline, Hist.nat.,

    1. XX, cb. II. Non-seulement ces ouvrages sont perdus, maisaucun auteur n'en cite de passages.(7; lloudart, Uisl. de la md. grecq.

  • >T0T)T'CT0>'. XXXVll

    pythagoricien, tandis que Pline et mme Galien leconsidrent comme le premier anctre de la secteempirique. Peut-tre a-t-il ressenti l'influence del'cole ionienne, plus particulirement voue l'ob-servation ; peut-tre, dans l'ardeur de la lutte, a-t-iloppos l'exprience aux vises spculatives de sonadversaire. 11 serait alors le premier mdecin qui seserait spcialement occup de la logique de sonart (1).

    Avec les coles asclpiadennes, plus de lumireva se faire, grce de nombreux ouvrages subsis-tants. .Te pense l'cole de Cos, car nous savonspeu de chose de l'cole de Cnide, et rien de cellede Rhodes.

    L'cole de Rhodes parat avoir brill de bonneheure, mais d'un clat peu durable. Ds l'poqued'IIippocrate et d'Euryphon, elle tait en pleine d-cadence et ne comptait plus. Comment n'est-il rienrest de recherches de mdecins qui furent clbres,pas mme les noms, et rien de livres qui furentnombreux (2), pas mme les litres? C'est le secretdu temps. Tout ce qu'on peut conjecturer, en celte,complte absence de renseignements, c'est quel'cole de Rhodes, plus ancienne, a d faire unemoindre place l'lment philosophique.

    Le grand nom de l'cole de Cnide est Euryphon,cit comme tel par Galien. Contemporain d'Hippo-crate, il tait son an. On nomme aprs lui Ctsias,plus jeune qu'Hippocrate, qu'il parat avoir critiqu

    (1) Diog. Laerce, VIIL(Vie

  • XXXYJII INTRODUCTION.

    sur une pratique chirurgicale ; Eudoxe, aslronomeaussi bien que mdecin ; et Ghrysippe (de Cnide),son disciple (1). Tous ces mdecins avaient sansdoute crit. On attribue Euryphon les Sentencescnidiennes, dites deux fois, la seconde avec deschangements notables (2); quel qu'en soit l'auteur,cet ouvrage, cit et critiqu par Hippocrate (3), nousfournirait certainement, de prcieuses donnes. Onattribue encore Euryphon, ou tout au moins soncole, le trait Des affections internes, le 2 livre dutrait Des maladies, et peut-tre le trait Du rgimedes gens en sant, gars dans la Collection hippo-cralij/ae. Dans ces divers ouvrages, et surtout dansles deux premiers, on voit l'oeuvre ce qui paratavoir t la mthode propre des mdecins de Cnide,savoir l'observation pure et simple, l'observationenferme dans le dtail des cas particuliers. On s'ar-rte, pour ainsi dire, chaque symptme, et oncompte autant de maladies diffrentes que de symp-tmes diffrents. Le trait Des affections internesnomme et dcrit quatre phthisies, quatre maladiesdes reins, quatre hydropisies, trois hpatites, cinqmaladies de la rate, quatre ictres, six espces detyphe (fivre inflammatoire?), trois espces de passioniliaque, quatre espces de grossissement (du ventre),quatre espces de sciatique, trois espces de t-tanos, etc. On trouve des numrations analoguesdans le trait Des maladies ; le trait Du rgime desgens en sant prsente encore le mme caractre. Le

    (1) Iloudar.l, Ihiii.; - Sprengul, t. I, p. 276, 286. 365, 417.Ci) Galien cil par Littr, t. I, p. 8.(3) Galien l'avait encore sous les yeux.

  • IXTIOUUCTIOX. XXXIX

    particulier, sans rien de gnral; l'observation,-quiconstate les faits sur les individus, sans le raisonne-ment qui, liminant l'accidentel, dtermine de vri-tables espces morbides. C'est du reste le reprochequ'Hippocrate adresse la mdecine enidienne, aucommencement du trait Du rgime dans les mala-dies aigus. Ceux qui ont recueilli les Sentencesenidiennes, dit-il, ont bien dcrit les symptmes danschaque maladie particulire, et sa terminaison ; maisle premier venu, sans tre mdecin, en ferait autant,en s'informant prs des malades de ce qu'ils prou-vent. Il est des choses que le malade ne peut dire,que le mdecin doit savoir, et sans lesquelles on neconnat ni le mal ni le remde qui lui convient. Voil de visibles traces d'une lutte dont l'histoire aconsacr le souvenir entre Guide et Gos, et dont lamthode suivre dans la dtermination des maladieset des remdes aurait t le principal objet. De sortequ'il y a lieu dpenser que Euryphon et les Cuidiensont eu leur logique mdicale, ce qui est une ma-nire d'avoir une philosophie.

    La philosophie mdicale, si l'on peut ainsi parler,gagne du terrain avec l'cole de Cos, autrement ditavec Hippocrate, qui la reprsente glorieusement.

    Celte cole, qui est sans contredit la grande colemdicale de l'antiquit, est encore enveloppe d'om-bres que ni l'rudition ni la critique ne sont en me-sure de dissiper. La famille hippocratiquo, qui enest le centre et la lumire, est peu prs connuedans ses reprsentants et leur ordre chronologique.Un historien ancien, y incitant la dernire prcision,et par cela mme un peu suspect, nous donne lagnalogie suivante: E-culape, pre de Podalire,

  • XL INTRODUCTION.

    pre de Sostrate Ior, pre de Dardanus, pre deChrysamis I", pre de Thodore Ier, pre de Sos-trate II, pre de Chrysamis II, pre de Thodore II,pre de Clomittads, pre de Sostrate III, pre deNebrus, pre de Gnosidicus, pre d'Hippocrate Ier,pre d'Hraclide, pre d'Hippocrate le Grand. Nousavons, d'autre part, les noms des successeurs imm-diats d'Hippocrate, savoir Polybe, son gendre,Thessalus et Dracon, ses deux fils. Mais dans l'colede Gos, comme dans les autres coles asclpia-dennes, il y avait, outre les Asclepiad.es de nais-sance, les Asclpiades par initiation. Or, de ceux-l,on ne cite qu'un seul, Apollonids. Voil une singu-lire lacune. Et puis, les noms propres ne sont pastout, il y a les doctrines et les oeuvres o elles sontconsignes. Or il est absolument impossible de par-tager ce qui subsiste des thories et des crits de lamdecine de Gos entre les divers membres, soit del'cole, soit de la famille d'Hippocrate. C'est tout auplus si l'on peut attribuer Polybe le Lrait De lanature humaine. Il est arriv ceci : Hippocrate a jetun tel clat que sa famille a fini par absorber l'cole,et lui sa famille. Il est devenu lui seul toute lamdecine de Cos. On lui a tout rapport. Les ou-vrages de sa famille et de son cole sont devenusses propres ouvrages. Et c'est l la Collection hippo-cratique, du moins dans ce qu'elle a de vraimenthippocratique.

    A cette distance o nous sommes, l'Hippocrate dela tradition n'est donc pas l'Hippocrate de la ralit.C'est moins un individu qu'une famille, moins unefamille qu'une cole. C'est un cycle. Et il ne faut pasoublier qu'en lisant Hippocrate, c'est l'cole de Cos

  • INTRODUCTION. XLI

    qu'on lit, ; qu'en analysant la philosophie d'ippo-crate, c'est la philosophie do l'cole de Gos qu'onanalyse.

    Or, ainsi compris, Hippocrate allie dans une largemesure la philosophie la mdecine.

    Non qu'il se livre, en dehors de la mdecine, auxrecherches propres aux philosophes. Ce grand m-decin sait se montrer grand philosophe sans cesserd'tre mdecin exclusivement. Sa philosophie, c'estla philosophie de la mdecine. Il ne traite pas de lalogique en gnral, mais de la logique du mdecin ;ni de la morale en gnral, mais de la morale dumdecin ; ni de la physique en gnral, mais de laphysique du mdecin (c'est--dire de la physiquecirconscrite dans les limites do la nature humaineet des choses utiles ou nuisibles la sant). Il a unelogique mdicale, une morale mdicale, une physiquemdicale , constituant une philosophie mdicale :rien de plus. Il no sort pas de l. Mais sur ces objetsparticuliers, nettement dfinis, il a des vues admi-rables en des ouvrages profonds.

    Dans le trait De Vancienne- mdecine, il tablit laralit et l'antiquit de la mdecine comme art ; sonorigine, qu'il place dans l'observation des alimentset de leurs effets, soit sur les gens en sant, soit surles malades ; sa mthode, qui consiste toute dansl'exprience, laquelle constate les faits, et le raison-nement, lequel en tire les consquences ; sa con-dition, qui est de s'abstenir des recherches gnralessur la Nature, la manire d'Empdocle, et de seborner l'tude des rapporLs des objets la sant.

    Dans la Loi, il traite de la dignit de l'art mdical,compromis par les mauvais mdecins; des disposi-

  • XLII NTHODITTIOX.

    lions naturelles et des efforts sans lesquels on nepeut ni l'tudier avec fruit, ni le pratiquer avecsuccs.

    Dans le trait De l'art, vritable apologie de lamdecine, il entreprend de la dfendre contre lesattaques des sophistes, discutant une une les ob-jections qu'on lui oppose, prouvant son efficacit,aussi bien que sa ralit, et que ce qu'elle ne faitpas, elle ne peut pas le faire.

    Dans les Prceptes, ou du moins la premire partie,il montre la ncessit de l'exprience et du raisonne-ment, et qu'il n'y a de salut pour la mdecine quedans leur alliance.

    Or, n'y a-L-il pas l tous les lments d'une logique,la logique hippocralique de la mdecine?

    Dans le Serment, llippocrate affirme magistrale-ment les devoirs du mdecin envers son matre, sesdisciples, ses malades, et les place sous l'gide de lareligion.

    Dans le Irai t De la biensance, il expose que lasagesse et la mdecine sont essentiellement faitespour s'unir l'une l'autre; que la mdecine doitpratiquer toutes les vertus qu'enseigne la sagesse;que la sagesse doit ratifier tous les devoirs pro-fessionnels du mdecin. Il numre ces devoirs, sanscraindre d'entrer dans les dtails les plus techniqueset les plus minutieux.

    Dans le trait Du mdecin, il reproduit les mmesdevoirs, en-y ajoutant des rgles de prudence mdi-cale et chirurgicale. Dans le trait Des prceptes, niais cette fois dans laseconde partie, sans ngliger les prescriptions quiconcernent les moeurs, les qualits extrieures, etc.,

  • LNTHODBCTIO.X. XLIII

    il traite deux questions nouvelles et qui n'ont pasperdu leur -propos, celle des honoraires et celle desconsultations.

    Or, n'y a-t-il pas l tous les lments d'une morale,la morale hippocratique de la mdecine?

    Dans le trait Des airs, il explique que l'air estpartout et principe de tout; que sa puissance paratplus visiblement encore dans les tres anims ; qu'ilest proprement, en ceux-ci, et singulirement enl'homme, l'me ou la vie, et que, cause de cela,il est la premire origine de la sant et de lamaladie.

    Dans le trait De la maladie sacre, il fait voir quecette maladie, qui n'a rien de sacr, a son principedans le cerveau, comme la plupart des maladies, lecerveau tant le lieu o rside l'me, l'organe ol'air apporte la sensibilit avec la vie, l'intelligenceavec la sensibilit. Il tablit cette doctrine du sigede l'me dans le cerveau, directement, c'est--direpar l'observation des faits, et indirectement, par larfutation des doctrines qui la mettent dans le dia-phragme ou dans le coeur.

    Dans le trait Du rgime (livre I), il expose que laconstitution humaine rsulte de deux principes con-traires, mais galement ncessaires, le feu et l'eau ;que du mlange et des proportions diverses de cesdeux lments naissent des diffrences, des temp-raments, comme on dit; que la pense, avec tout cequi s'y rapporte, varie selon ces tempraments : d'ol'on voit l'extrme importance du rgime qui, modi-fiant la pense avec le temprament, modifie toutl'homme, et le fait meilleur en mme temps quemieux portant.

  • XLIV INTRODUCTION.

    Dans le trait Des airs, des eaux et des lieux, ilnote et dcrit les influences, bonnes ou mauvaises,des vents, de la configuration du sol, de la qualitdes eaux, des climats, des contres orientales etoccidentales, sur le corps et sur l'me, sur la sant etles moeurs, sur la vie publique et prive.

    Dans le trait Des lieux dans l'homme, s'il nenomme pas les autres facults de l'me et de l'intel-ligence, il commence du moins par une descriptionphysiologique des sens de l'oue, de l'odorat et de lavue, qui n'est pas absolument sans intrt.

    Enfin, dans le trait Des so?ir/es, il analyse l'tat del'me sous l'influence du sommeil et comment l'in-telligence, momentanment affranchie des organes,s'exerce dans sa force et sa plnitude, ce qui faitdes rves de vritables indications pathologiques etthrapeutiques.

    Or, n'y a-t-il pas l tous les lments d'une phy-sique, la physique hippocratique de la mdecine?

    Conclusion : Hippocralc n'a pas seulement donn la mdecine sa philosophie, mais une philosophiecomplte, pourvue de tous ses organes.

    Aux coles asclpiadennes leur dclin succdentdans la faveur publique et la renomme les sectesalexandrincs.

    EL d'abord le dogmatisme. Cette secte, qui prtendremonter jusqu' Hippocrate par Praxagoras et Dio-gne de Caryste, commence vritablement avec H-rophile de Chalcdoine et rasistrate de Cos, venusde Grce en Egypte, sous le rgne de Ptolme Soter.Ces deux mdecins remarquables semblent avoir faitcole dans l'cole, et les historiens, par exempleSprengel. rangent les dogmatiques en Hrophiliens

  • INTRODUCTION. XLV

    et rasistratens (1). Les diffrences qui sparent lesuns des autres sont difficilement apprciables aujour-d'hui, et nous nous bornerons dire que les nomsles plus clbres du dogmatisme, aprs Hrophile etrasistrate, sont ceux de Dmtrius cVApame,Mantias, Andras de Caryste, Icsius, etc.

    Or, tous ces dogmatiques sont galement philoso-phes par un mme endroit, la proccupation de lamthode applicable la mdecine ; et c'est de cellequ'ils adoptent qu'ils tirent leur nom. Ce sont deslogiciens, la manire d'Hippocrate, des logiciens deFart mdical spcialement. On peut mme affirmerqu'ils approfondirent cette question, soit cause deson intrt, soit par la ncessit de se dfendrecontre leurs adversaires, les empiriques et les m-thodiques. On voit dans les traits de Galien relatifs la mthode mdicale, et notamment les traits Dessectes aux tudiants et De la meilleure secte Tlira-sybule, avec quel soin ils avaient dtermin, avecquelle rigueur ils avaient dfini les divers procdsde la mthode dogmatique, et, sans proscrire ni l'ob-servation, ni l'histoire, ni \Qpassage du semblable ausemblable, avaient mis en lumire le rle et la n-cessit du raisonnement, qui, appuy sur la connais-sance de la nature humaine, de la nature en gnralet de leurs rapports, cherche dans la cause du mall'indication du remde. Sans doute celte mthode ne

    (.1) \ oici les listes de Sprengel. Ilrophiliens : Dmtriusd'Apame, Mantias , Baccliius de Tanagre, Zenon de Laodice.Apollonius de Libieum, Callimaque, Andras de Caryste, etc.Erasistratens: Strabou de Baryte, Straton de Lampsaque,Apollonius de Memphis, Icsius, etc.

  • XLVI LNTItOBUGTlON.

    s'tait pas constitue tout d'an coup et ds le premierjour. Elle fut l'oeuvre progressive du temps et desmdecins qui se succdrent, unis dans la mmeinspiration hippocratique. Il ne serait certes pas sansintrt de suivre ce dveloppement, et dfaire chacun sa part dans ce commun travail. Malheureu-sement, les renseignements font dfaut. G-alien etGelse, qui nous parlent assez longuement des m-thodes mdicales et des sectes, citent en bloc lesdogmatiques, les empiriques, les mthodiques, et cen'est que rarement et par-exception qu'on rencontredans leurs expositions les plus dveloppes un nompropre. Hrophile n'est jamais nomm par Galen (1),et Erasistrate une seule fois. Il parat qiv'Erasislralefaisait une demi-concession aux empiriques. Il ad-mettait que l'exprience (2) permet de dcouvrir desremdes simples contre des maladies simples, maisnon des remdes compliqus contre des maladiescompliques, de sorte qu'il ne faut ni lui accorder nilui refuser toute espce d'utilit (3). Quoi qu'il ensoit, il reste avr que les mdecins de la secte dog-matique attachrent tous une extrme importance la logique dans la sphre mdicale et travaillrenttous, chacun son rang et sa date, la constitu-tion de la mthode qui leur semblait tre la vraie.

    Ou ne peut gure douter non plus qu'ils aienttourn leur attention du ct des devoirs particuliersdu mdecin, continuant ainsi de marcher sur lestraces d'tlippocrate et des hippocratistes. Une fois

    (1) Dans les traits de logique mdicale, bien enlondu.(2) Comprenez l'exprience rduite elle-mme.(3) Des sec/., au.r lucl., eh Y.

  • INTRODUCTION. XLY1I

    entre dans cetle voie, la mdecine n'en pouvaitgure sortir, et de fait elle y est toujours reste (1).Une indication de Galien (2) recueillie par Sprengel (3)nous apprend qu'un de ces mdecins, Manlias, avaitcrit un trait Des devoirs du mdecin, et rien neprouve qu'il ait t le seul.

    Dans le champ de la physique, et je dirais volon-tiers dans le champ mdical de la physique, il ne sepeut pas que les dogmatiques n'aient pas rencontret plus ou moins discut plusieurs questions philo-sophiques. Ils avaient fond l'anatomie, l'anatomiedirecte, qui observe l'homme sur l'homme, par ladissection de cadavres humains (4). Ils avaient tudispcialement le sysime nerveux et y avaient fait deprcieuses dcouvertes. Cela les menait tout droit la philosophie ou, comme nous disons aujourd'hui, la psychologie; car, entre le systme nerveux etl'mc, les rapports sont trop troits, ou mme tropintimes, pour qu'on puisse s'occuper beaucoup dupremier, sans s'occuper en quelque mesure de laseconde. Et, on eiet, les rares documents que nouspouvons consulter nous montrent tous ces mdecinssoucieux de dterminer le sige de l'Ame, l'agent dela sensibilit et du mouvement. Hrophilc ouvre lamarche, ici comme ailleurs. Il avait reconnu le rlepsychique du systme nerveux, et constat que c'estpar lui que nous imprimons le mouvement et rece-

    (1) On crit encore aujourd'hui les Irai ls le morale mdicale,tmoin le livre rcent : Le Mdecin; Deuoirs privs et publics. leM. Decharnbre.C2)Commentaire de l'ojf. du mdecin.(o) llisl. de la md.. t. I. p. 153.(i-.iCelse, De ee medie.i, suli inilio.

  • XLVIII INTRODUCTION.

    vons la sensation (1). Il avait mme suivi la sensationde nerf en nerf jusque clans le cerveau, et plus pr-cisment jusqu' la partie postrieure de la vote trois piliers, o la sensibilit aurait son sige et sonfoyer (2). Erasistrate avait pris le mme chemin. Ilavait aussi rapport la sensibilit et le mouvementaux nerfs, comme leurs instruments, au cerveau,comme leur centre. Il s'tait mme d'abord tromp,puis corrig, sur ce point particulier. Il avait cru,tant jeune, que les membranes qui enveloppent lesnerfs et le cerveau en sont la partie essentielle ; mais,devenu vieux, et plus libre de dissquer et d'observer,il avait rendu la substance intrieure du nerf et ducerveau sa juste importance, et reconnu que c'est parelle qu'ont lieu les actions psychiques (3). Est-ce luiqui avait d'abord fait rsider l'me dans les mnin-ges (4), ce qui semble assez conforme sa premireopinion ; et l'a-t-il ensuite fait rsider dans le cerveaumme, ce qui semble conforme la seconde? Cettedernire supposition ne paratra pas douteuse, si l'onsonge cette vue d'Erasistrate, rapporte par Galien:il avait sembl ce grand anatomiste-psychologuequ'il existe un rapport naturel entre les circonvolu-tions crbrales et l'intelligence (5), et que, si l'intel-ligence humaine a des facults plus hautes, c'estque le cerveau humain a un dveloppement plus

    (1) Rufus, De apellat. pari., c. h. 1. II.(2) Galien, De l'usage des parties, 1. VIII.(3) Ici., Des dogm. d'Hipp. et de Plat., 1. VII, cl), m.(4) M., De l'as, des part., 1. I, ch. vin.(5) On ne s'attendait pas trouver si loin dans l'histoire le

    premier antcdent de la phrnologie.

  • INTRODtCnOX. XUX

    grand (1). S'il fallait en croire TerLullien (2), An-dras de Garyste, dogmatique comme les prcdents,et sans doute anatomisle comme eux, se serait refus localiser l'me, par cette raison, qui n'en semblepas une, qu'elle se confond avec les sens.

    Mais ces questions du sige de l'me et des or-ganes propres de la sensibilit et de la motilit, queles dogmatiques, en leur qualit d'anatomistes, de-vaient ncessairement loucher, ne sont pas les seulesdont ils se soient inquits. On peut affirmer que lesrecherches mdicales, toujours voisines des re-cherches psychologiques, en ont mis d'autres surleur chemin, et qu'ils y ont au moins jet un regard.C'est ainsi qu'Erasistrate, tudiant dans son traitDe la paralysie l'influence de l'habitude dans l'tatde sant et de maladie, notait avec un soin gal leshabitudes de l'esprit et les habitudes du corps, parun heureux et fcond mlange de la psychologieet do la physiologie. Gela se voit clairement, etavec intrt, dans un long passage conserv parG-alien (3;.

    Enfin, il n'est pas jusqu'aux questions les plusgnrales et les plus hautes de la physique philoso-phique auxquelles les dogmatiques ne se soientintresss. Erasislrate, qui parat tre le plus phi-losophe des mdecins de cette secte et de cet ge,avait une forte teinture pripatticienne, commel'atteste Galien ( i), qui lui reproche, peut-tre tort,

    (1) Gai., Des dogm. d'Hipp. et de Plat., 1. VIII, cli. ni; De Vus.des part., 1. VIII, ch. xm.;2; De anima, ch. v.(3) Des habitudes, ch. i, sub fine.(4) Des fac. naturelles, 1. II, ch. x.

  • L INTRODUCTION.

    d'avoir mal compris Aristole. Sur les traces du matre,dans un livre que Galien cite plusieurs fois (1), sansnous en rvler le vritable objet. De l'universalitdes choses, il semble Lien qu'il ait embrass la natureen gnral avec la nature humaine, et qu'il ait tudiles tres, et singulirement l'homme, du point devue de la finalit. Nous voyons partout, dans letrait Des facults naturelles (2), dans le trait DeFusar/e des parties (3\ que Erasistrate affirmait quela nature a toujours un but cl ne l'ail rien en vain;qu'il clbrait l'art, l'industrie de. la nature allanttoujours par les meilleurs moyens aux meilleuresfins. Galien, il est vrai, l'accuse d'avoir souventmanqu de fidlit ses principes dans l'explicationparticulire de tel ou tel organe du corps humain ;mais, en supposant le grief fond, il reste toujoursque Erasistrate avait tent d'expliquer la nature hu-maine au moins du point de vue tlologique.

    L'empirisme est aussi ancien que la mdecine, dontil est ncessairement le premier dbut et naturelle-ment la premire forme : comme secte, il ne remontepas au-del de Philinus de Gos, disciple d'IIrophile,dont il se spara par une raison inconnue, pour mar-cher dans une voie diffrente (-i). Srapion d'Alexan-drie, que Gelse regarde comme le chef des empiri-ques, parat avoir t le plus remarquable d'entreeux. 11 faut encore citer les deux Apollonius, pre et

    (t) Des fac. nalur., ch. m, IV; De l'us. des pari,, 1. IV, V, VII.[i) L. II, ch, m, iv, vi.(3) L. IV, ch. xv ; 1. V, ch. vi; i. VII, ch. via.i'n Los empiriques avaient la prtenlion pou fonde (le proc-

    der de l'Airrigeritin Acron.

  • TLNTRODUCTIOX. LT

    fils, d'Anlioche, Mnodole, Hraclidc et Theutas (1).Ou peul ajouter Glaucias , nomm avec honneurpar Celse.

    Or ces mdecins-l sont encore philosophes enquelque mesure, quoique malgr eux, leur corpsdfendant. En leur qualit d'empiriques, ils n'ontaucun got pour les choses caches, qui sont cellesprcisment auxquelles la philosophie s'intresse ;ils ne se livrent donc sciemment aucune recherchephilosophique. Ils n'aiment pas l'analomie, qui leurparat inutile, sinon dangereuse ; ils ne sont doncconduits s'enqurir ni du sige de rame, ni desinstruments de ses facults. Mais cette mme qualitd'empiriques les condamne discuter les questionsde mthode, et les voil bon gr mal gr logiciens,donc philosophes.

    Dgots de la mthode dogmatique, peut-tre parl'abus qui s'en faisait autour d'eux, peut-tre parl'influence du pyrrhonisme, comme le veulent nosmodernes historiens de la mdecine (2) ; rsolus se passer du raisonnement, qui scrute les causes, et s'en tenir l'exprience, qui constate les faits, lesempiriques, pour satisfaire aux ncessits de leurart, comme pour rpondre aux attaques de la secterivale, durent faire une tude approfondie du pro-cd exprimental appliqu la mdecine. Il ne pa-rat pas qu'ils y aient manqu. Ces ennemis superbesde l'analomie ont fait celle de l'observation, si je

    (1) Galien, Da mdec, oh. m; De l'empirisme, ch. xui. Hra-clicle est perptuellement cit par Coelius Aureliamis, De morb.acut., 1. I, 17; II, 9, 21, 29, 38; III, 8, 17.(2) Sprengel, t. I, p. 470; Bouchut, llist. de la md., t. I,

    p. 426, 427.

  • LU INTRODUCTION.

    puis ainsi dire, et distingu avec un art merveilleuxses divers organes. Par une analyse pntrante, ilsont discern dans l'exprience en gnral l'observa-tion proprement dite, l'histoire, qui est l'observationdans le pass, et le passage du semblable au sem-blable, qui est l'observation concevant l'inconnu l'image du connu. C'est l le fameux trpied empi-rique. Et ils ne s'en sont pas tenus ces gnralits.Dans chacun de ces genres, ils ont compt et dcritdes espces. L'observation proprement dite com-prend, selon eux, l'observation fortuite et l'obser-vation cherche : la premire qui a une doublesource, savoir le hasard, comme lorsqu'une chutenous ouvre un abcs et nous en dbarrasse, et lanature, comme lorsqu'un saignement de nez nousdlivre de la livre ; la seconde qui consiste tanttdans un essai qui russit et tantt dans Yimitationd'un procd dj heureusement employ. L'his-toire est de deux sortes, avec ou sans contrle, etn'a de valeur que dans le second cas. Le contrles'opre par trois moyens : les moeurs de l'crivain,qui dposent pour ou contre son intelligence et sabonne foi ; l'analogie des faits raconts avec ceuxque nous avons nous-mme observs ; la concor-dance entre les tmoignages. Mais la concordance esttrs-diffrente selon qu'elle se rapporte des chosescaches et de raisonnement ou des choses vi-dentes et d'exprience. Cette dernire mrite seuleconsidration (1). Le passage du semblable ausemblable est galement de deux sortes : s'il se fondesur une prtendue connaissance des causes des

    (1) Galien, De l'empir., cli. x, xn.

  • INTRODUCTION. illt

    maladies et des proprits des mdicaments, touteschoses qui se drobent, c'est Yanalogisme ; s'il n'agard qu'aux ressemblances sensibles, aux phno-mnes qui sautent aux yeux, c'est Ypilogisme, qu'onpourrait dfinir un raisonnement vident, parce quetoutes les donnes en sont videntes, mais qui, n'en-gendrant qu'une certitude provisoire, pourrait bien,tout en tant indispensable dans la pratique, ne pasfaire partie de la science (1).

    Harcel par le dogmatisme, et le harcelant sontour, l'empirisme tait amen bien d'autres distinc-tions. 11 distinguait deux espces de dfiuitions , ladfinition dogmatique, laquelle dtermine la naturede la maladie ; la dfinition empirique, laquelle dcritses principaux phnomnes et pour ainsi dire sonaspect extrieur (2) ; il appelait cette dernire, pourla mieux caractriser, une hypotypose (3).Il distin-guait deux espces de concours des symptmes , leconcours dogmatique, lequel comprend une srie desymptmes considrs comme essentiels, c'est--direcomme se rapportant la nature du mal et la dcla-rant; le concours empirique, lequel comprend unesrie de symptmes concomitants, c'est--dire quiparaissent ensemble, croissent ensemble, dcroissentensemble, disparaissent ensemble. Ce concours-lest la propre dfinition de la maladie ; un concours

    (1) Galien, Les sect. aux tud., eh. v.(2) Au lieu de dfinir la fivre, avec Erasistrate, une affection

    provenant du passage du sang des veines dans les artres, ilsdisaient : La fivre est une affection qui se manisi'este parl'acclration du pouls et l'augmentation de la chaleur, accom-pagne de soif.(3; Gai., Bi l'empir., c. vit.

    4

  • L1V INTRODUCTION.

    qui n'est pas constant est sans valeur pathologique.Dans le concours tel qu'il l'entend, l'empirisme dis-tinguait encore le propre et le commun. Le propre,qui est plus compliqu, est celui qui ne reprsentequ'une seule maladie; le commun, qui l'est moins,en reprsente plusieurs (1). Il distinguait de mmediffrentes espces de prvision, diffrentes espcesde traitement, etc. (2).

    Tout ce travail logique ne s'tait pas fait, bien en-tendu, en une heure et par les mditations d'un seul.11 s'tait opr petit petit, par une action et ractionentre les partis adverses, et par les efforts successifsclc leurs reprsentants. Sans la ncessit de faire faceaux attaques du dogmatisme prconisant le raison-nement, et dfiant ses rivaux de s'en passer, ceux-cin'eussent sans doute pas song tudier l'expriencede si prs et en analyser toutes les diversits pouren montrer toutes les ressources. Sans la ncessitd'opposer la rigueur systmatique du dogmatismeune pareille rigueur, les empiriques n'eussent sansdoute pas song distinguer l'hypoiypose de la dfini-tion proprement dite, et le concours des symptmesconcomitants du concours des symptmes essentiels.Mais l-dessus nous sommes rduits aux conjectures.Il est galement impossible de dterminer la part dechaque ouvrier dans l'oeuvre totale. Le dernier cha-pitre du trait De l'empirisme donne au lecteur une

    (1; La fivre, l;i difficult de respirer, la toux, des crachatscolors : voil un concours commun qui convient la l'ois lapleursie et la pipneumonie; ajoutez une douleur de cotaigu, un pouls dur avec tension : voil un concours propre quine convient qu' la pleursie.(2) Gai., De Vemprr., cli v.

  • IXTUODUGTIOX. LV

    fausse joie. Galien annonce d'abord qu'il dira en quoidif'rentlcs empiriques Srapion, Mnodote, Hraclideet Teutas ; mais il nous entretient seulement ensuitede leur jactance, de leur orgueil effrn, de leurs vio-lences et de leurs injures l'gard des dogmatiques,sans excepter Hippocrate. Il faut recueillir ailleursquelques indications douteuses et de peu d'intrt.Il est remarquer que , parmi les auteurs, les uns(c'est le plus grand nombre) attribuent la fondationde la secte empirique Philenus (1) , les autres Srapion (2j : on peut induire de l que le premier aseulement mis l'ide gnrale du systme, qui estde s'en rapporter l'exprience seule, et que le seconda commenc la dvelopper (3), en analysant l'exp-rience et en distinguant ses espces. La division euobservation , histoire et passage du semblable ausemblable, parait en effet remonter jusqu' lui (4).Mnodote est l'inventeur du mot pilogisme, enopposition au mot analogismc (5). Il est probable que,avertis par l'empirisme, les dogmatiques, tout enmaintenant la ncessit du raisonnement, admet-taient l'utilit du passage du semblable au semblabledans certains cas et l'expliquaient leur faon ;Mnodote l'aurait alors expliqu la sienne, dans lesens empirique , et aurait consacr cette interprta-tion par un moL nouveau, pour la mieux distinguerde l'interprtation adverse. Il aurait dplus considrle passage du semblable au semblable comme un

    (1) Inlrod. attribue Galien, ou du Mdecin, ch. IV.(2) Gelse, De re medica., prasfatio.(3) Sprengol, Uist. de la md., t. I, p. 483.(4) Gai., De l'empir., ch, m et xm.(3) Id., ibid , ch, xm.

  • LVI INTRODUCTION.

    procd indispensable dans la pratique, mais nulle-ment scientifique. Tentas , partageant la mme opi-nion , se ft galement refus, dans son livre Desparties, admettre le passage du semblable au sem-blable parmi les parties de la mdecine (1). II semble,avec Hraclide, et peut-tre sur ses traces, avoir faitjustement remarquer que, si les empiriques n'em-ploient pas le raisonnement, comme les dogmatiques,pour dcouvrir les causes des maladies, ils en usent,comme le commun des hommes, pour distinguer legnral du particulier, le vrai du faux et le clair del'obscur x2).Une dernire indication: si j'entendsbien un passage de Galien (3), le mot trpied appliquaux trois oprations de la mthode empirique seraitde Glaucias.

    Le mthodisme, le dernier venu dans la familledes sectes alexandrines, a une autre patrie, commeil a un autre caractre. Plus troitement li la phi-losophie , ou du moins une certaine philosophie ,c'est Home qu'il prend naissance et se dveloppeavec un succs aussi rapide qu'clatant. Il est repr-sent tour tour par sclpiade , Thmison , Celse ,Thessalus, Soranus, Coelius Aurelianus. L'auteur deXIntroduction ou du mdecin cite encore parmi lesmthodiques Mnasas, Denys, Proclus, Anlipater (4).Mais les premiers noms, plus clbres, exprimentcette doctrine mdicale clans tout ce qu'elle a d'essen-tiel et de notable.

    Il faut encore distinguer entre ces noms: Ascl-

    (i) Gai., De l'cmph'., ch. ir, m, iv.(2) Id., ibid., cli. il, ni, iv, XIII.(3) id., ibid., ch. n, m. v.(4) h\.,ibid., ch. v.

  • INTRODUCTION. tVII

    piade , Thmison et Thessalus sont, videmment lestrois grandes personnalits mthodiques. Ils sontcits comme tels par tous les anciens, singulirementGalion etCoelius Aurelianus. Celui-ci met toujours enpremire ligne Asclpiade et Thmison (1); il citemoins souvent Thessalus, mais encore avec hon-neur (2). Gelse , qui n'tait peut-tre pas mme m-decin, n'a fait que rdiger excellemment la doctrinede ses matres ; on ne saurait rien de Soranus sansCoelius Aurelianus ; et, si celui-ci n'est pas un simpletraducteur, il est difficile toutefois de voir autre chosequ'un commentaire ou une compilation dans letrait Des maladies aigus et chroniques (3).

    Or Asclpiade, Thmison et Thessalus paraissentavoir chacun leur rle spcial. Asclpiade est lephysicien de la doctrine , et, quoiqu'il Lire do sonsystme de la nature en gnral et de la naturehumaine en particulier une mthode mdicale cons-quente et des applications mdicales rigoureuses, illaisse sur ces deux points beaucoup faire sessuccesseurs : ce qui nous explique comment Galienattribue la fondation de la secte Thmison, et faitfigurer Asclpiade parmi les dogmatiques, la suite

    (1) De morbis acuiis et chronicis, I, 11, 15, 10; II, 9, 12, 23,38, etc.(2)Ibid., II, 33, 37 ; III, etc.(3) De cette phrase de Coelius : Soranus aulem, cujus tiens -

    simas apprehensiones latius sermone describere laboramus (II,27) , on a conclu qul n'avait fait que traduire Soranus. C'estexagrer le sens de describere. On voit par mille passages queCoelius reproduit la pense de Soranus, mais librement. Quandil cite simplement, il l'indique (II, 19. 22, 26, 29, 31, 33, 34, 37etc., etc.).

  • LVIII INTRODUCTION.

    d'Erasistrate (1). Thmison est le logicien par excel-lence du mthodisme, et comme le mthodisme,ainsi que l'indique le terme mme, est tout dans lamthode, on conoit qu'il ait pu en tre considrcomme l'auteur. Thessalus, esprit infrieur, bien quetrop maltrait par Galien, est encore un logicien safaon. 11 simplifie la mthode dj si simple de Th-mison, sans y apporter de modifications essentielles.

    On voit que ces mdecins sont en mme temps phi-losophes dans une large mesure , on pourrait diresont premirement philosophes, puisque leur thra-peutique est Loute dans leur logique, et celle-ci toutedans leur physique. Ainsi que l'a remarqu l'auteurd'une thse sur Asclpiadc (2), les mthodiques nes'inspirent pas seulement de l'esprit philosophique ,ou ne traitent pas par occasion seulement telle outelle question philosophique, comme l'avaient faitleurs prdcesseurs, Hippocratc en tte ; ils mettentle point de dpart et le fondement de leur doctrinemdicale dans une doctrine philosophique, ils ddui-sent la mdecine de la philosophie.

    Comme il a t dit, c'est Asclpiade qui jette leshases philosophiques du mthodisme. Contemporainet peut-tre ami de Lucrce, venu Rome en pleinefaveur de l'picurisme, tous les tmoignages nousmontrent en lui un disciple d'Epicure. Mme concep-tion du inonde, mme conception de l'homme, corpset me. Il explique toutes choses par les atomes ter-nels, leurs rencontres, leurs combinaisons, sans but

    (l) IiUrod. ou du Md., ch. IV; Des fac. nat., 1, 17 ; De Vus.des pari., rass.('2) laynaud, De Asclepiado Dylliino, medico et philosopha.

    ch. i.

  • INTRODUCTION'. LIX

    sous la seule loi du hasard, qui n'en est pas une. 11explique le corps humain de la mme manire : cesont des atomes aussi, qui se sont rencontrs aussi,se sont combins aussi, et ont form cet agrgat par-ticulier, ce compos dtermin qui doit sa constitu-tion et ses proprits la l'orme et aux rapports deslments composants, fortuitement rassembls. Ilexplique l'me de la mme manire : ce sont encoredes atomes, plus subtils, plus mobiles, dans uneagitation et une activit perptuelles, qui se spare-ront comme ils se sont runis, par aventure (1). C'estprcisment la physique picurienne, avec la physio-logie et la psychologie picuriennes, ses dpendances.

    Mais il y a lieu de croire que Asclpiade ne s'estpas tran servilement sur les traces d'Epicure. Il ad avoir son originalit (2). Galien , dans plusieurschapitres du trait Des facult naturelles et du traitDe l'usafje des parties, nous signale des diffrences ;Coelius Aurelianus, dans le chapitre 14, 1. Ie 1' du Demoris acutis et cltronicis, chapitre qui est un rsumcomplet, malheureusement un peu obscur par trop deconcision, du systme philosophico-mdical dVVscl-piade, nous signale des diffrences. On conoit d'ail-leurs qu'un philosophe-mdecin et un mdecin-philo-sophe regardant les choses avec des proccupationsdiffrentes, tout en professant la mme doctrine gn-rale, diffrent sur des points particuliers, soit par lanature des thories, soit mme seulement par leurdveloppement, selon qu'elles intressent plus ou

    (!) Gui., De Vus. des pari., VI, 13; XI, S ; XVII, 1; Des fac-wtlur., 1,1-2, l;s, U- Coel. Aurcl., De morb. aca.l., I, li.('2)Hayouud, ch. iv, p. 2;!.

  • LX INTRODUCTION.

    moins l'objet spcial de leurs tudes. Et enfin s-clpiade et-il crit un trait Des lments (Ilspic-cor/_!uv), comme l'atteste Galien, s'il et d rptermot mot son matre picure?

    Ds les premiers fondements de la doctrine gn-rale, on entrevoit une diffrence entre picure etAsclpiade. Celui-ci, nous dit Coelius Aurelianus,avait d'abord tabli comme principes des corps lesatonies, corpuscules perus par l'entendement, sansqualit dtermine et originelle , ternellement enmouvement (1). Ces corpuscules, connus de l'en-tendement seul, sans qualits primitives, ternelle-ment mobiles, ce sont bien les atomes d'picure (2).Mais Ccelius Aurelianus ajoute que ces corpusculesse heurtent dans leur marche et, par l'effet de leurschocs mutuels, se brisent en une infinit de fragments,diffrents par la grandeur et la figure (3); que cesfragments, se mouvant leur tour, donnent nais-sance, par adjonction ou conjonction, toutes leschoses sensibles, susceptibles d'un quadruple chan-gement, selon la grandeur, le nombre, la figure etla disposition (4). Or , ces corpuscules qui se brisent

    (1) PrintO'i'dia, namqv.e corporis primo constituerai alomos,corpuscula intclleclu senset, sine ulla qualilata sohta, atque exiniLio comilula, oeternum se movenlia. (2) Lorsqu'Asclpiade, comme le dit plus loin Ccelius Aure-

    lianus , expliquait que les corpuscules n'ont aucune qualitsensible, disant : Autre est le tout, autres les parties ; l'argentest blanc en bloc, et noir en poudre, il tait encore en par-faite, conformit de pense avec Epicure.(3) Quoi sno incursu offensa, mutais iclibus in infinita par-

    1ium fragmenta soluanlur, magniludine atque sclwmate diff-rentiel,. (';) Qu.oe rursum eurido, sibi adjacla vol conjuncta, omnia

  • INTflODUCTION. LXI

    en se rencontrant, qui se rsolvent en une multitudede fragments, lesquels se meuvent leur tour et parleurs combinaisons forment les choses sensibles, cene sont plus les atomes d'Epicure, ni mme desatomes quelconques. Des corpuscules qui se divisentne sont pas des lments indivisibles. Et l'on estamen se demander si ce n'est pas par inadvertanceque Coelius Aurelianus emploie ici le mot atome, siparfaitement impropre. Galien, dans le trait Del'usage des parties, emploie constamment le mot -pisi(molcules) pour dsigner les lments d'Asclpiade,et ailleurs il lui arrive d'crire moiyjXx vapjxa (les l-ments inharmoniques). Ces expressions sont aussijustes que celle de Coelius Aurelianus l'est peu. Jedois toutefois mentionner une conjecture de M. leDr Raynaud(l) : les G-pwLseraient les fragments rsul-tant du choc des corpuscules , les moi/eia oevap|;.aseraient les corpuscules eux-mmes, et enfin ces der-niers supposeraient avant eux les atomes, dont ilsseraient les premires et imparfaites combinaisons.Mais les textes ne se prtent pas cette interprta-tion. Ce sont proprement les corpuscules que CoeliusAurelianus dsigne par le mot atomes , et clansla langue de Galien les 7x01 et les a-oiyda vap[j.a sontdans le systme d'Asclpiade ce que sont les atomesdans celui d'Epicure. Il reste donc qu'Asclpiade amodifi sur ce point capital la doctrine du matre,sans qu'on sache ni pourquoi ni comment. Pourdissiper cette obscurit , qui enveloppe comme unnuage le point de dpart do la doctrine de notre

    faciant sensibilia, autpsr magv.itudinem sui, aut per mullitu-dinem, aut per schma, aut per ordinem, (1) Ch. iv.

  • LXII LYl'RODIJCTIOX

    mdecin philosophe, il faudrait pouvoir lire sonHep:

  • IXTR0DUCT10X. LXIII

    nulle politesse qu'Asclpiade, qui conteste ce qui luisaute aux yeux, est un menteur, et picure, quiexplique ce qu'il ne peut expliquer, un sophiste (1).

    Sur la nature humaine, et d'abord sur le corpshumain, Asclpiade, sans sortir de l'picurisme,semble avoir encore sa physionomie propre. En saqualit de mdecin, proccup de la sant, delmaladie et de leurs causes, il attache une importanceparticulire aux pores, qui sont le vide prsent l'intrieur du corps, comme partout. Le corps hu-main est compos de pores aussi bien que de mol-cules. Ces molcules, en s'unissant et s'enchevtrantde mille faons, forment des chemins, des conduits,des sinuosits que nous concevons par l'entendementsans les voir et qui diffrent par la grandeur et lafigure (2). A travers ces pores, dans ces impercep-tibles canaux, coulent sans cesse, du dehors audedans et du dedans au dehors, des flots de mol-cules d'une grande subtilit, et singulirement lesouffle, form des plus subtiles de toutes; et ainsinat et s'entretient la \ie, ainsi s'expliquent la sant,qui n'est que le libre mouvement du ilux vital, et lamaladie, qui en est l'arrt et le dsordre (3).

    Dans ce petit monde, pas plus de nature intelli-

    (i) Epicure tait cependant, n'en dplaise Galien et sadoctrine, sur le chemin du vrai, tmoin la thorie contem-poraine de l'quivalence des forces et de leur rduction aumouvement.(2) a Fieri eliam vias et complexione corpusculorum, hitel-

    lactu seitsas, ex marjnitudine alque scliemale diffrentes (Coel.Aur.,1,14).(3) (Vias) per quas succorum duclus solilo mealu percurrens,

    si nullo fuerit impedimenta retenlus, sanilas maneal, impedilusvero corpusculorum slatioue, -morbos ef/ieiat (Coel. Aur., bid.).

  • U'IV INTRODUCTION.

    gente, si l'on regarde l'organisation, pas plus deforces et de proprits, si l'on regarde au jeu de lavie et aux fondions, que dans le grand. Si certainstendons sont pais et d'autres grles ; s'il y a unediffrence de volume entre les veines du corps engnral et les veines du poumon en particulier, nedites pas : C'est la nature qui a fait cela, pour pro-curer tel ou tel avantage ; la nature n'a rien l'ait,et ces diffrences s'expliquent par l'exercice. Lesparties, plus exerces, se dveloppent davantage;moins exerces, se dveloppent moins; laissesinertes, s'atrophient (1), Si certains lments sontintroduits dans l'organisme et d'autres rejets, nedites pas : C'est la force attractive qui attire les pre-miers, la force expulsive qui repousse les seconds; il n'existe ni force expulsive ni force attractive. Touts'explique par le seul mouvement des fluides tra-vers les pores (2). Il n'y a partout que corps et mou-vement (3).

    Asclpiade n'avait pas plus nglig l'me hu-maine (i) que le corps humain. Et l comme ailleurs,il semble diffrer d'Epicurc par plus de simplicit etd'exclusion. On ne voit pas figurer Vlement sansnom du matre dans