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178 LU, VU, ENTENDU méthode renverse le cours de l’histoire, en change l’écriture, voilà qui ne sera pas du goût de certains, voilà qui paraîtra même forcé, exa- géré, comme de faire de la destruksion freudienne des illusions de l’humanité une déconstruction… et pourtant ! Pourtant, la reconstruction établie par les auteurs nous est familière, elle s’impose d’elle-même : on est saisi en lisant les extraits de l’œuvre freudienne, finement choisis, de leur terrible et criante actualité : il faut bien prendre acte de la lucidité de Freud quant à la force des pul- sions de pouvoir et de cruauté, de son absence de préjugés dans de nombreux domaines, de son anticipation de bien des événements depuis la guerre jusqu’à l’impérialisme américain, de sa prise de po- sition en faveur de l’analyse profane, alors que toutes ces choses se rejouent actuellement, d’une façon peut-être même inédite. Ce qui s’impose aussi, c’est la prise en compte, dès les débuts de l’aven- ture analytique, de la notion de calcul inconscient. On dira comme on l’a souvent dit, au mépris de l’enseignement freu- dien, que la psychanalyse n’a que faire du politique, qu’elle ne doit pas laisser exporter ses concepts, que l’on peut se passer de la notion de pulsion de mort… On dira encore – mais on n’aura pas tort – que cette nouvelle biogra- phie est derridienne, dans cet ouvrage qui sans nommer l’homme, lui rend clairement hommage : voilà peut-être ce qui sera proprement le plus impardonnable : dès les premières pages, mettant les phares sur ce qui s’archive ou s’anarchive, sur ce qui est à venir – promesse ou menace – elle est résolument marquée de cette empreinte. Elle fait la preuve, s’il en était besoin, qu’on ne peut plus lire Freud sans Derrida… d’autant que ce dernier n’a cessé d’appeler la psycha- nalyse à s’efforcer de penser l’impensé de la cruauté, sans alibi. Cette biographie fait ressortir – voire impose – un Freud que tout le monde connaît sans vouloir toujours le voir… Bien sûr les motifs – le Nom, la trace, le contretemps, l’après-coup, tant d’autres encore – qui traversent depuis longtemps le travail de René Major, comme celui de Chantal Talagrand, – tout l’esprit de Confrontation et de Contretemps – sont là, présents, réunis dans ce livre mis à la portée d’un large public, mais sans aucune concession à la fa- cilité de pensée, dans ce très beau et très juste regard sur Freud. Tant il s’agit, tant il s’est toujours agi pour eux, de faire dialoguer la psychanalyse avec ses autres. Dans plus d’une langueAnne Bourgain Le dictionnaire du corps en sciences humaines et sociales B. Andrieu, Paris : CNRS Éditions, 2006, 552 p. Constitué de plus de 400 articles, ce dictionnaire multidisciplinaire donne un aperçu des diverses perspectives d’étude du corps et tisse ainsi un vaste spectre d’approches complémentaires. Ce projet est issu des travaux d’un réseau de chercheurs en sciences humaines travaillant sur les représentations du corps et sur les différentes constructions sociales qui le constituent. Les thèmes traités ne se limitent de loin pas aux seuls travaux sur les pratiques sportives et leurs dérives (éducation physique, entraînement, hooliganisme, culte du sport, dopage, déviances sportives). Le choix des articles étant particulièrement original et stimulant. Les approches sont aussi bien sociologiques (articles : image du corps, prison, pier- cing, peau, gay, queer, suicide, SDF, pauvreté), qu’historiques (gueu- les cassées, zoo humain, éducation, colonisé, eugénisme), psychologi- ques (plaisir, pulsion, résilience, inconscient, empathie, conflit psychique, rêve) ou médico-sociales (VIH, contraception, clonage, gérontologie, handicap, mutilation, douleur, avortement). Le thème de la sexualité est également un des éléments fort de cet ouvrage, abordée sans complexe sous ses divers aspects (eros, homosexualité, hermaphrodisme, pornographie, transsexualisme, hétérosexualité, travestissement, transgenre, masochisme, impuissance). Un grand nombre d’articles proposent, au delà des analyses des- criptives de sciences humaines, des réflexions conceptuelles, voire d’ordre philosophique (corps politique, réflexivité, représentation, matérialisme, virtuel, normes, mimésis, cyborg, praxis), à noter également quelques articles originaux sur le rapport corps-religion (stigmates, excision, judaïsme, Islam, résurrection, péché, rituel), ainsi que sur les représentations artistiques du corps (butô, sur- réalisme, roman, bio-art, happening, body art, hip-hop, cinéma, marionnette). L ’ouvrage comble une lacune dans les dictionnaires de sciences humaines existants. Ses articles très courts et synthétiques, de une à deux pages, complétés par des indications bibliographiques en font un outil de travail particulièrement utile et maniable. On peut re- gretter cependant pour un tel sujet, l’absence d’iconographie. Florence Quinche Médecin des sans parole, approches éthiques P. Corbaz, édition de l’AIRE, Vevey, 2006. 134 p. Tous les patients, handicapés mentaux, déments, requérants d’asile ou tout simplement en perte d’autonomie se rejoignent et conver- gent en un point : ils n’ont pas la parole, qu’elle soit réelle ou symbo- lique. L’auteur, Pierre Corbaz, est médecin généraliste en Suisse. « L’éthique l’aide aux carrefours difficiles, à choisir sa route. L’éthi- que illumine sa relation à l’autre et lui donne un sens parfois in- soupçonné. ». La médecine de celles et de ceux qui n’ont pas la parole comporte et provoque une gerbe bariolée de questionnement dans le domaine de l’éthique. Pierre Cobaz dira « gagner sa vie et y trouver du plaisir, c’est rendre possible l’artisanat du soin dans sa dimension pratique, c’est un moyen, ce que ne doit pas être le patient. » « Améliorer constamment mon attitude, mon être (…) » c’est ré- pondre encore à la proposition d’Emmanuel Kant : « Quelles sont les fins qui sont en même temps des devoirs ? Ce sont : ma perfection propre et le bonheur d’autrui. » Kant permet d’éclairer le concept de dignité dans le 1 er chapitre, le chapitre suivant est consacré au consentement éclairé. L’étude commence par une revue des textes de loi mais, pour leur donner vie, pour les mettre en lumière, l’auteur a interrogé Lévinas. « Et alors… Tout cela prend sens dans la responsabilité que ce visage appelle en moi ». Au travers de l’histoire de Jeanne, de Paul et des autres, le regard des philosophes vient éclairer le chemin de Pierre Corbaz. Pour finir, nous reprendrons la pensée de A. Badiou : « La philosophie ne vaut pas une heure de peine, si elle n’éclaire pas l’en- gagement ». Un ouvrage à lire, une histoire d’homme et de médecine, profon- dément humaine. Dominique Letheuil Berry Penser autrement la pratique infirmière. Pour une créativité éthique de Bouvet, M. Sauvaigne, Édition de Boeck, Bruxelles, 2005. 159 p. Dans un contexte de technicisation croissante de la médecine et de la médicalisation de la santé, tous les jours nous constatons que les in- firmières sont en grande difficulté entre le désir de prendre soin de la personne souffrante et les conditions dans lesquelles s’exerce leur profession. Au sein du groupe infirmier les causes de souffrance sont nombreuses…

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LU, VU, ENTENDU

méthode renverse le cours de l’histoire, en change l’écriture, voilà quine sera pas du goût de certains, voilà qui paraîtra même forcé, exa-géré, comme de faire de la destruksion freudienne des illusions del’humanité une déconstruction… et pourtant !Pourtant, la reconstruction établie par les auteurs nous est familière,elle s’impose d’elle-même : on est saisi en lisant les extraits de l’œuvrefreudienne, finement choisis, de leur terrible et criante actualité : ilfaut bien prendre acte de la lucidité de Freud quant à la force des pul-sions de pouvoir et de cruauté, de son absence de préjugés dans denombreux domaines, de son anticipation de bien des événementsdepuis la guerre jusqu’à l’impérialisme américain, de sa prise de po-sition en faveur de l’analyse profane, alors que toutes ces chosesse rejouent actuellement, d’une façon peut-être même inédite. Cequi s’impose aussi, c’est la prise en compte, dès les débuts de l’aven-ture analytique, de la notion de calcul inconscient.On dira comme on l’a souvent dit, au mépris de l’enseignement freu-dien, que la psychanalyse n’a que faire du politique, qu’elle ne doitpas laisser exporter ses concepts, que l’on peut se passer de la notionde pulsion de mort…On dira encore – mais on n’aura pas tort – que cette nouvelle biogra-phie est derridienne, dans cet ouvrage qui sans nommer l’homme, luirend clairement hommage : voilà peut-être ce qui sera proprement leplus impardonnable : dès les premières pages, mettant les phares surce qui s’archive ou s’anarchive, sur ce qui est à venir – promesse oumenace – elle est résolument marquée de cette empreinte.Elle fait la preuve, s’il en était besoin, qu’on ne peut plus lire Freudsans Derrida… d’autant que ce dernier n’a cessé d’appeler la psycha-nalyse à s’efforcer de penser l’impensé de la cruauté, sans alibi.Cette biographie fait ressortir – voire impose – un Freud que tout lemonde connaît sans vouloir toujours le voir…Bien sûr les motifs – le Nom, la trace, le contretemps, l’après-coup,tant d’autres encore – qui traversent depuis longtemps le travail deRené Major, comme celui de Chantal Talagrand, – tout l’esprit deConfrontation et de Contretemps – sont là, présents, réunis dans ce livremis à la portée d’un large public, mais sans aucune concession à la fa-cilité de pensée, dans ce très beau et très juste regard sur Freud.Tant il s’agit, tant il s’est toujours agi pour eux, de faire dialoguer lapsychanalyse avec ses autres. Dans plus d’une langue…

Anne Bourgain

Le dictionnaire du corps en sciences humaines et socialesB. Andrieu, Paris : CNRS Éditions, 2006, 552 p.

Constitué de plus de 400 articles, ce dictionnaire multidisciplinairedonne un aperçu des diverses perspectives d’étude du corps et tisseainsi un vaste spectre d’approches complémentaires. Ce projet estissu des travaux d’un réseau de chercheurs en sciences humainestravaillant sur les représentations du corps et sur les différentesconstructions sociales qui le constituent.Les thèmes traités ne se limitent de loin pas aux seuls travaux sur lespratiques sportives et leurs dérives (éducation physique, entraînement,hooliganisme, culte du sport, dopage, déviances sportives). Le choixdes articles étant particulièrement original et stimulant. Les approchessont aussi bien sociologiques (articles : image du corps, prison, pier-cing, peau, gay, queer, suicide, SDF, pauvreté), qu’historiques (gueu-les cassées, zoo humain, éducation, colonisé, eugénisme), psychologi-ques (plaisir, pulsion, résilience, inconscient, empathie, conflitpsychique, rêve) ou médico-sociales (VIH, contraception, clonage,gérontologie, handicap, mutilation, douleur, avortement). Le thèmede la sexualité est également un des éléments fort de cet ouvrage,abordée sans complexe sous ses divers aspects (eros, homosexualité,

hermaphrodisme, pornographie, transsexualisme, hétérosexualité,travestissement, transgenre, masochisme, impuissance).Un grand nombre d’articles proposent, au delà des analyses des-criptives de sciences humaines, des réflexions conceptuelles, voired’ordre philosophique (corps politique, réflexivité, représentation,matérialisme, virtuel, normes, mimésis, cyborg, praxis), à noterégalement quelques articles originaux sur le rapport corps-religion(stigmates, excision, judaïsme, Islam, résurrection, péché, rituel),ainsi que sur les représentations artistiques du corps (butô, sur-réalisme, roman, bio-art, happening, body art, hip-hop, cinéma,marionnette).L ’ouvrage comble une lacune dans les dictionnaires de scienceshumaines existants. Ses articles très courts et synthétiques, de une àdeux pages, complétés par des indications bibliographiques en fontun outil de travail particulièrement utile et maniable. On peut re-gretter cependant pour un tel sujet, l’absence d’iconographie.

Florence Quinche

Médecin des sans parole, approches éthiquesP. Corbaz, édition de l’AIRE, Vevey, 2006. 134 p.

Tous les patients, handicapés mentaux, déments, requérants d’asileou tout simplement en perte d’autonomie se rejoignent et conver-gent en un point : ils n’ont pas la parole, qu’elle soit réelle ou symbo-lique. L’auteur, Pierre Corbaz, est médecin généraliste en Suisse.« L’éthique l’aide aux carrefours difficiles, à choisir sa route. L’éthi-que illumine sa relation à l’autre et lui donne un sens parfois in-soupçonné. ». La médecine de celles et de ceux qui n’ont pas laparole comporte et provoque une gerbe bariolée de questionnementdans le domaine de l’éthique.Pierre Cobaz dira « gagner sa vie et y trouver du plaisir, c’est rendrepossible l’artisanat du soin dans sa dimension pratique, c’est unmoyen, ce que ne doit pas être le patient. »« Améliorer constamment mon attitude, mon être (…) » c’est ré-pondre encore à la proposition d’Emmanuel Kant : « Quelles sontles fins qui sont en même temps des devoirs ? Ce sont : ma perfectionpropre et le bonheur d’autrui. » Kant permet d’éclairer le conceptde dignité dans le 1er chapitre, le chapitre suivant est consacré auconsentement éclairé.L’étude commence par une revue des textes de loi mais, pour leurdonner vie, pour les mettre en lumière, l’auteur a interrogé Lévinas.« Et alors… Tout cela prend sens dans la responsabilité que ce visageappelle en moi ». Au travers de l’histoire de Jeanne, de Paul et desautres, le regard des philosophes vient éclairer le chemin de PierreCorbaz. Pour finir, nous reprendrons la pensée de A. Badiou : « Laphilosophie ne vaut pas une heure de peine, si elle n’éclaire pas l’en-gagement ».Un ouvrage à lire, une histoire d’homme et de médecine, profon-dément humaine.

Dominique Letheuil Berry

Penser autrement la pratique infirmière. Pour une créativité éthiquede Bouvet, M. Sauvaigne, Édition de Boeck, Bruxelles, 2005. 159 p.

Dans un contexte de technicisation croissante de la médecine et de lamédicalisation de la santé, tous les jours nous constatons que les in-firmières sont en grande difficulté entre le désir de prendre soin de lapersonne souffrante et les conditions dans lesquelles s’exerce leurprofession. Au sein du groupe infirmier les causes de souffrance sontnombreuses…