71875 11186 14243 La Scolarisation Des Enfants Nouvellements Arrives en France

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    La recherche dont il est question ici sesteffectue dans le cadre dun projet financ

    par la rgion PACA dans le dpartement

    du Vaucluse, dpartement qui accueille

    chaque anne environ 300 lves nouvellement

    arrivs, la plupart originaires du Maroc1.

    cette tude se sont ajouts les tmoignages

    de nombreux enseignants de lHexagone:

    observations de CLIN, CRI et CLA2 du Vaucluse

    et, au Maroc, dans une cole primaire rurale

    en milieu berbrophone, afin de recenser les

    pratiques pdagogiques et de rflchir aux

    modalits dun continuum entre pratiques

    pdagogiques du pays daccueil et du pays

    dorigine;

    tmoignages denseignants (via un forum de

    discussion en ligne) et entretiens pour mieuxcomprendre leurs difficults et recenser leurs

    besoins en termes de formation continue et

    doutils pdagogiques;

    recueil de questionnaires auprs dENAF portant sur leurs

    pratiques linguistiques et leurs reprsentations de leur

    langue maternelle et de la langue franaise et sur leurs

    reprsentations initiales du pays daccueil3;

    entretiens avec des mres nouvellement arrives pour

    mieux comprendre leur projet migratoire, leurs repr-

    sentations de lcole et de la socit daccueil.

    LANALYSE DES BESOINSDES LVES NOUVELLEMENT ARRIVSDe nombreuses tudes en didactique du franais langue

    seconde ont soulign les besoins linguistiques de ces lves

    pour qui le franais est la fois langue de communica-

    tion pour lintgration dans une nouvelle socit et langue

    permettant lacquisition de savoirs scolaires autres que

    langagiers.Ces enfants doivent donc apprendre la langue et

    apprendre dans cette langue. Mais, outre cette ncessit dematriser la langue de lintgration et de la russite scolaire,

    notre enqute nous a permis de constater bien dautres

    besoins lis ladaptation un nouveau systme duca-

    tif et un nouvel environnement socio-

    culturel.

    En effet, ladaptation un nouveau systme

    ducatif ne va pas de soi, car rythmes de

    travail, techniques denseignement, pra-

    tiques pdagogiques et donc techniques

    dapprentissage diffrent. De plus, ces en-fants et adolescents ont besoin de repren-

    dre confiance en eux en tant qulves car,

    1 Essentiellement des zones berbrophones du Nord marocain : rgion du Rif,

    en particulier des villes dOujda, de Nadir, Ttouan et Taza.

    2CLIN: classe dinitiation (cole primaire) ; CRI : classe de rattrapage intgr

    (cole primaire); CLA: classe daccueil (collge).

    3 Recueil de dessins raliss par des lves de CLA partir dexpriences de

    terrain (dans M.-T. Vasseur et B. Grandcolas, Conscience denseignant, conscience

    dapprenant. Rflexions interactives pour la formation, universit Ren Descartes-

    Paris V, 1999) : consiste demander aux enfants de se dessiner en train dap-

    prendre et de fournir les cinq mots qui leur viennent lesprit quand on leur dit

    la France, la langue franaise.

    Un tat des lieux sur la scolarisation des lves nou-

    vellement arrivs en France (ENAF) afin de recenser les

    besoins de ces lves et de leurs enseignants et de

    contribuer la rflexion sur les moyens de favoriser

    leur intgration et leur russite scolaire.

    La scolarisation des enfants

    nouvellement arrivs en France

    Stphanie CLERC

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    pour ceux qui ont dj t scolariss, ils se trouvent placs

    dans des classes en de du niveau atteint dans leur pays

    et sont donc de deux trois ans plus gs que leurs cama-

    rades.Ainsi, certains semblent vite intgrer lchec scolaire

    comme une fatalit.

    Les souffrances psychologiques dceles lors de notreenqute rvlent galement que le projet de migration ne

    rpond pas ncessairement au dsir de lenfant parfois

    coup dune partie de sa famille (frres ou surs rests au

    pays) ou partageant le dsarroi dune mre, non partie

    prenante dans ce projet,ainsi quen tmoignent des mres

    maghrbines avec qui nous avons pu nous entretenir.Pour

    beaucoup de ces mres interroges,et contrairement bien

    des reprsentations rpandues dans limaginaire collectif,

    limmigration napparat pas toujours dans leurs discours

    comme une solution vers un avenir meilleur, pas mmecomme une solution un problme conomique.Pour elles,

    cest mektoub, le destin, la fatalit, lobligation de suivre

    un mari install depuis plus longtemps en France.

    On peut donc penser que les lves qui viennent darriver

    partagent le sentiment de leur mre dtre pris entre des

    cultures qui se juxtaposent sans jamais vraiment sinter-

    pntrer (culture de l-bas, culture de la maison/culture

    du pays daccueil, culture de lcole), ce qui ne peut que

    renforcer le sentiment douloureux de ntre nulle part

    sa place, ni dici ni de l-bas car mme si on va l-bas envacances, cest toujours pas notre place.

    Lcole doit donc galement prendre en compte les aspects

    psycho-affectifs lis la migration, aux souffrances de

    lexil4, cette identit tiraille entre les origines, les raci-

    nes et la ncessit de reconstruire des repres dans la

    socit daccueil pour parvenir se sentir un peu aussi

    chez soi dans ce nouveau pays.Elle a aussi pour mission

    daider llve tranger se sentir bien dans sa nouvelle

    appartenance et sintgrer dans un nouvel environne-

    ment socioculturel dont les valeurs et les normes diffrentde celles acquises dans la culture dorigine.

    Certes, lenfant nourrit gnralement au dbut de son arri-

    ve des reprsentations positives sur le pays daccueil

    (comme en tmoignent questionnaires et dessins raliss

    en CLA),mais nous savons quelles nvoluent pas toujours

    positivement,notamment parce que notre socit entretient

    des attitudes particulires lgard des populations

    migrantes.

    LES BESOINS EXPRIMSPAR LES ENSEIGNANTS

    La majorit des enseignants interrogs exprime

    prioritairement son besoin de formation spci-

    fique en didactique du franais langue tran-gre (FLS). En effet, les enseignants sont

    rarement prpars dans leur formation initiale

    (en IUFM) enseigner des lves trangers et

    jugent insuffisante leur formation continue

    grene en cours danne par des CASNAV5

    surchargs dans leurs missions dvaluation,

    de suivi des ENAF et de formation des ensei-

    gnants.

    Une formation la didactique des langues

    trangres, la pdagogie interculturelle, auxdimensions psychologiques prendre en

    compte avec ces lves prparerait ces ensei-

    gnants grer linscurit psycho-affective des

    lves; leur apporterait une mthodologie

    adapte pour mieux grer lhtrognit cogni-

    tive, sociale et culturelle de ce type de public.

    Le deuxime besoin exprim est celui doutils

    pdagogiques adapts, car les manuels exis-

    tant sur le march de ldition (mthodes FLE)

    rpondent insuffisamment aux besoins de leurslves qui, comme nous lavons soulign,

    doivent apprendre simultanment le franais et

    des savoirs scolaires dans cette langue.

    De nombreux enseignants regrettent galement

    que ces lves bnficient de si peu dheures

    de cours de franais langue seconde (entre

    quatre heures et demie et neuf heures hebdo-

    madaires) alors que le Bulletin officiel de lduca-

    tion nationale du 25 avril 2002 prcise quun

    enseignement quotidien o est prioritairementvise la matrise du franais est souhaitable (le

    texte officiel se contente cependant de recom-

    mander pas moins de 12 heures de franais),

    insiste sur le fait que la scolarisation de ces

    lves rclame une attention particulire de

    toute lquipe enseignante et demande ce

    quelle fasse partie du projet dcole. Il est gale-

    ment recommand dencourager la mise en

    place de dispositifs permettant aux ENAF de

    4Cf.Abdelmalek Sayad, La Double Absence (Le Seuil,1999,prface de P. Bourdieu).

    5 Centre acadmique pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants

    du voyage.

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    poursuivre ltude de leur premire langue

    comme LV1 ou LV2, ce qui tmoigne dun souci

    de veiller la valorisation de la culture dori-

    gine, indispensable au chemin vers lAutre.

    Hlas, la ralit du terrain, faute de moyens,

    est bien loigne de ces bonnes intentions.Pire,on rencontre encore des lves non pris en

    charge parce quinsuffisamment nombreux

    pour ouvrir un dispositif dans leur tablisse-

    ment ou par manque de crdits allous par les

    rectorats. Et cest alors lenseignant,professeur

    des coles ou professeur de franais,non form,

    quincombe cette responsabilit de faire avan-

    cer un lve tranger sans ralentir les autres!

    Quant lenseignement de la langue dorigine,

    il se fait sporadiquement et le plus souvent endehors du temps scolaire, et nest que rarement

    propos aux enfants francophones, au mme

    titre que langlais, lallemand ou lespagnol.

    Enfin, les enseignants expriment leur besoin

    dtre reconnus par leurs collgues et de

    travailler en quipe pour favoriser lintgration

    scolaire des ENAF. Or il apparat, dans les rpon-

    ses aux questionnaires soumis aux enseignants,

    que le travail en quipe est insuffisant et que

    ces enseignants sont souvent considrscomme des profs part.Pour les professeurs

    des coles itinrants, qui partagent leur temps

    entre plusieurs coles, il apparat bien difficile

    de mettre en place ce travail dquipe. Quant

    aux professeurs contractuels du secondaire,

    nombreux sont ceux qui dplorent que lquipe

    ducative ne se sente pas suffisamment

    concerne par ces lves.

    Les quelques tmoignages ci-dessous en disentlong sur la solitude de lenseignant de CLIN,de

    CRI ou de CLA:

    Depuis que je circule, jentends des choses comme

    toi cest pas pareil et les enfants sont des cas

    part souvent, en tout cas presque laisss de ct [].

    En tout cas, cest sr, ils ne sont pas dans le projet

    dcole mais plutt ct!

    On est parfois considr comme ntant pas des profs

    part entire (que dire si en plus on est contractuelle?)

    Il faut du temps pour se faire admettre (et faire admettre ces

    lves) et que notre travail soit reconnu.

    Au bout de deux ans, jai russi tre reconnue comme une

    vraie prof (Ah bon, tu as le Capes?) et un quart des ensei-

    gnants commencent changer avec moi sur ces lves afin de

    mettre en place un suivi rgulier.

    CONCLUSIONAu vu des carences releves dans le cadre de cette recher-

    che, il parat urgent de reconsidrer la formation au mtier

    de professeur des coles et de professeur de franais en

    intgrant une solide formation la didactique des langues

    et des cultures trangres. Comment en effet peut-on conti-

    nuer confier la mission denseigner le franais des lvesnon francophones en ne prparant les enseignants qu

    lenseignement du franais langue maternelle?

    Il conviendrait galement:

    de viser un apprentissage intgr du franais, o lap-

    propriation de la langue serait un objectif scolaire dans

    toutes les matires;

    dadopter dans toutes les disciplines une relle pratique

    de la pdagogie interculturelle pour mieux rpondre aux

    besoins de lcole daujourdhui, fondamentalement

    multiculturelle, en duquant tous les enfants la diff-rence et aux enrichissements qui lui sont inhrents6;

    de valoriser davantage lcole les langues et cultures

    dorigine en proposant lapprentissage des langues dori-

    gine tous les lves, de manire les sensibiliser la

    diversit linguistique et culturelle prsente sur notre terri-

    toire et favoriser les changes entre lves francopho-

    nes et non francophones (autre moyen dviter des formes

    de ghettosation). Par ailleurs, ce serait un moyen de

    lgitimer les langues dorigine de ces lves dont le bilin-

    guisme est peu valoris par linstitution alors que noussavons combien le plurilinguisme favorise, entre autres,

    une prise de conscience des phnomnes langagiers, ce

    qui ne peut tre que bnfique au dveloppement cogni-

    tif gnral des lves;

    dassurer plus de continuit entre lcole et le priscolaire,

    avec les associations uvrant dans ce domaine qui sont

    des partenaires privilgis des actions ducatives.La rus-

    site scolaire des enfants de migrants ne se joue pas seule-

    ment lcole, et lon connat les bienfaits du travail

    triangulaire cole famille associations. Or, de mesentretiens avec les acteurs du priscolaire

    ressort la difficult de mettre en place ces 6 Lcole et les cultures, VEI n 129 (juin 2002).

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    structures dchange avec lcole. Il parat donc nces-

    saire de mettre en place davantage de circularit,de dialo-

    gue entre associations et acteurs scolaires (chefs

    dtablissement,enseignants, conseillers dducation) en

    inscrivant, par exemple, ce partenariat dans les projets

    dtablissement.

    Nous esprons avoir esquiss ici quelques pistes pour une

    meilleure intgration scolaire et sociale de ces lves. Les

    recherches en didactique des langues et cultures trang-

    res7, qui depuis plus de vingt ans sintressent cette ques-

    tion, seront, nous lesprons, davantage prises en compte,

    faute de quoi notre cole court le risque de contribuer

    lexclusion et aux ressentiments lgard dune socit qui

    postule quune bonne connaissance de la langue franaise

    est un devoir sans offrir les moyens suffisants un appren-tissage approfondi de cette langue.

    STPHANIE CLERC est matre de confrences luniversit dAvignon et des Pays duVaucluse.

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    7 Notamment les travaux de M.Abdallah-Pretceille (1982) et de L. Porcher (1984).

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