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7. Dans la production éditoriale courante relative aux origines du christianisme et à Jésus-Christ, de nouveaux ouvrages ne cessent de paraître, dont certains seraient le produit « de nouvelles enquêtes, de nouvelles recherches, de nouvelles hypothèses » débouchant, éventuellement, sur de « nouveaux paradigmes. » Le terme de « nouveau paradigme » très employé, en effet, est également fortement sujet à caution. Le but de notre propre recherche est d’envisager un changement de paradigme, mais en prenant ce terme au sens exact que lui donne Kuhn. Une autre lecture de l’histoire, peut-être « révolutionnaire » du point de vue religieux, est-elle envisageable ? Au-delà des dommages « collatéraux qu’elle pourrait entraîner, pourrait-elle avoir, parallèlement des effets bénéfiques ? De quel point de vue ? Pour qui ? pp 35-37 La raison fonctionne [ selon Benoît XVI ] sur un mode historiquement conditionné. Elle est susceptible, elle a même besoin, de recevoir des corrections et des compléments. D’où viennent ces corrections et ces compléments ? de la foi, évidemment. Plus précisément de ce que Benoît XVI nomme l’herméneutique de la foi qui doit se conjuguer à l’herméneutique historique, laquelle, réduite à ses seules ressources doit absolument, selon Benoit XVI, devenir consciente de ses propres limites. L'herméneutique historique, ou herméneutique de la foi qui, selon Benoît XVI, devrait succéder à la méthode historico-critique, puisque celle-ci aurait donné tout ce qu'elle pouvait, possède un autre nom qui est celui de méthode canonique. Selon un article récent du journal Le Monde de la Bible, " la méthode canonique ne prétend pas se substituer à la méthode historique, mais plutôt la compléter P32 La méthode canonique (Annexe Vol 2, pp 17-18) . Cette méthode canonique (ou dogmatique) recouvre désormais une grande variété d'approches de textes bibliques. Elle se concentre sur les questions de la communauté (dans laquelle le canon a été reçu) et de l'autorité des textes. Ce questionnement est, par définition, plus théologique. (...)Cette méthode de lecture est celle que Benoît XVI se propose de suivre, commme il l'explique dans l'introduction de son Jésus de Nazareth. Pour lui, tout le Nouveau Testament peut être lu dans une perspective canonique, comme témoignage de l'accomplissement dans l'événement Jésus-Christ des promesses confiées à Israël. Claire Lesegrétin Le Monde de la Bible, sept-oct.nov 2012, page 15 Plutôt que les limites qu’aurait atteint la méthode historico-critique, les limites dont la méthode canonique fait montre, ce sont celles de la mémoire qu’a l’Église du rôle qui fut le sien durant toute la période de la crise moderniste où la raison essayait d’opposer les lumières de l’évidence à une interminable suite de siècles où la foi s’était conjuguée avec le plus noir obscurantisme. Or, non seulement la

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7. Dans la production éditoriale courante relative aux origines du christianisme et à Jésus-Christ, de nouveaux ouvrages ne cessent de paraître, dont certains seraient le produit « de nouvelles enquêtes, de nouvelles recherches, de nouvelles hypothèses » débouchant, éventuellement, sur de « nouveaux paradigmes. » Le terme de « nouveau paradigme » très employé, en effet, est également fortement sujet à caution. Le but de notre propre recherche est d’envisager un changement de paradigme, mais en prenant ce terme au sens exact que lui donne Kuhn. Une autre lecture de l’histoire, peut-être « révolutionnaire » du point de vue religieux, est-elle envisageable ? Au-delà des dommages « collatéraux qu’elle pourrait entraîner, pourrait-elle avoir, parallèlement des effets bénéfiques ? De quel point de vue ? Pour qui ?

pp 35-37

La raison fonctionne [ selon Benoît XVI ] sur un mode historiquement conditionné. Elle est susceptible, elle a même besoin, de recevoir des corrections et des compléments. D’où viennent ces corrections et ces compléments ? de la foi, évidemment. Plus précisément de ce que Benoît XVI nomme l’herméneutique de la foi qui doit se conjuguer à l’herméneutique historique, laquelle, réduite à ses seules ressources doit absolument, selon Benoit XVI, devenir consciente de ses propres limites. L'herméneutique historique, ou herméneutique de la foi qui, selon Benoît XVI, devrait succéder à la méthode historico-critique, puisque celle-ci aurait donné tout ce qu'elle pouvait, possède un autre nom qui est celui de méthode canonique. Selon un article récent du journal Le Monde de la Bible, " la méthode canonique ne prétend pas se substituer à la méthode historique, mais plutôt la compléter

P32

La méthode canonique (Annexe Vol 2, pp 17-18) . Cette méthode canonique (ou dogmatique) recouvre désormais une grande variété d'approches de textes bibliques. Elle se concentre sur les questions de la communauté (dans laquelle le canon a été reçu) et de l'autorité des textes. Ce questionnement est, par définition, plus théologique. (...)Cette méthode de lecture est celle que Benoît XVI se propose de suivre, commme il l'explique dans l'introduction de son Jésus de Nazareth. Pour lui, tout le Nouveau Testament peut être lu dans une perspective canonique, comme témoignage de l'accomplissement dans l'événement Jésus-Christ des promesses confiées à Israël.

Claire Lesegrétin Le Monde de la Bible, sept-oct.nov 2012, page 15

Plutôt que les limites qu’aurait atteint la méthode historico-critique, les limites dont la méthode canonique fait montre, ce sont celles de la mémoire qu’a l’Église du rôle qui fut le sien durant toute la période de la crise moderniste où la raison essayait d’opposer les lumières de l’évidence à une interminable suite de siècles où la foi s’était conjuguée avec le plus noir obscurantisme. Or, non seulement la

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méthode historico-critique n’a pas atteint ses limites, mais le modernisme a posé des questions qui attendent toujours des réponses. C’est l’historien de la crise moderniste, François Laplanche, (et quelques autres avec lui) qui le dit : « Le modernisme revient à l’ordre du jour. On s’aperçoit que les questions posées par lui sont toujours sans réponse et qu’il importe, dans une ambiance irénique, d’en reprendre l’étude. » Il est difficile que les changements de paradigmes ne s’accompagnent pas de polémiques, parfois violentes. Or, c’est probablement à un changement de paradigme que devra conduire le divorce de l’histoire d’avec la théologie. Toujours dans son deuxième tome, Benoit XVI écrit : Du point de vue théologique, il faut dire que si l’historicité des paroles et des événements essentiels pouvait être démontrée comme impossible de façon vraiment scientifique, la foi aurait perdu son fondement. D’autre part, comme il a déjà été dit, en raison de la nature de la connaissance historique, des preuves de certitude absolue ne peuvent pas être attendues sur chaque détail. Il est donc important pour nous de vérifier si les convictions de la foi sont historiquement possibles et crédibles, même confrontées au sérieux des connaissances exégétiques actuelles. Beaucoup de questions accessoires peuvent demeurer ouvertes »

p 33 L’enjeu, concernant, les origines du christianisme serait moins dramatique, si les méthodologies historiques voulaient un jour s’ouvrir à ce qui a acquis droit de cité dans une science aussi rigoureuse que la micro-physique où, pour résoudre certaines phénomènes défiant presque la raison, les savants ont été amenés à inventer des concepts tels que l’interaction forte et l’interaction faible. Pourquoi ne pas introduire - et nommer - quelque chose comme des principes de probabilité ou d’incertitude en histoire ? Pourquoi, au-delà, d’une historicité possible, faudrait-il s’interdire de considérer des faits, des actes, des paroles, des personnes, des documents comme étant, selon les cas, d’une historicité forte ou d’une historicité faible ? Mieux encore : puisque les exégètes ont construit des critères d’historicité qui permettraient de dégager la réalité des constructions postérieures pourquoi serait-il impossible d’imaginer entre le niveau fort et le niveau faible toute une série de degrés ?

p 34

(...) dans un chapitre intitulé Les mouvances « chrétiennes » vers la fin du 1er siècle de son gros ouvrage Le christianisme, des origines à Constantin , Simon-Claude Mimouni clôt tout son développement en dénonçant « la mise en place d’une « mémoire manipulée » et « une histoire réécrite"

p 34

Dans un numéro hors-série de Sciences Humaines, consacré à La religion, un enjeu pour les sociétés, sous le titre Aux origines du christianisme, le journaliste

scientifique Laurent Testot écrit :

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" L'histoire des premiers temps du christianisme est longtemps restée une chasse gardée des théologiens. Depuis quelques décennies, nombre de chercheurs ont commencé à défricher ce champ. Leurs études permettent aujourd'hui d'ébaucher des éléments de réponses à certaines questions fondamentales. D'ou vient le christianisme ? Du judaïsme, bien évidemment. Voici la réponse que fera tout chercheur contemporain à cette question. Mais le consensus s'arrête là (...) A la lumière de l'interprétation des textes disponibles, une chose semble quasiment acquise : il a bien existé un personnage nommé Jésus. Il était juif et il a selon toute probabilité destiné ses prêches aux seuls juifs. C'est un processus initié par ses successeurs qui a expulsé son enseignement vers d'autres horizons que celui du peuple d'Israël (...) Quant aux textes religieux (...) ceux qui ont inclus dans le Nouveau Testament ont longtemps été présentés par les Eglises comme historiques. On s'accorde aujourd'hui à dire qu'ils ont été produits dans d'autres buts que la narration de l'histoire telle que nous la concevons (...)

p 35

L'ouvage d'un non spécialiste nous aura beaucoup aidé tout au long de cette recherche. Il s'agit de Les nouvelles hypothèses sur les origines du christianisme, enquête sur les recherches récentes. Entre autre intérêt, cet ouvrage permet de s'apercevoir que l'épicentre des "recherches récentes" se situe outre-atlantique : à quelques rares exceptions près, les noms des chercheurs français qu'il cite remontent aux années 1950-1960. Cela étant, bien que le terme ne figure ni dans le titre, ni dans le sous-titre, l'ouvrage se place sous l'emblème du "concept qui s'est avéré fécond, celui de paradigme", dû à Thomas Kuhn, grâce à quoi, l'auteur va dans sa démonstration opposer "le paradigme des Églises" aux "autres paradigmes. En conséquence, Jacques Giri va classer les chercheurs (en grande majorité, donc, nord-américains) en six catégories, qu'il définit en fonction du degré de proximité ou d'éloignement par rapport aux églises établies. Comme nous le verrons ultérieurement, la notion de paradigme ne doit son succès, aux dires Thomas Kuhn lui-même, qu'à une profonde ambiguïté sémantique.1 Jacques Giri prend-il exactement le terme de paradigme au sens kuhnien qui est celui de matrice disciplinaire ? Nous envisagerons plus loin l'importance d'une précision sémantique qui nous semble fondamentale; pour notre part, nous ne distinguerons pas six paradigmes, comme Jacques Giri, mais seulement deux, l'ancien et le nouveau (...) Un nouveau paradigme, au sens de Kuhn, peut avoir l'effet d'un tremblement de terre. L'américain parle de révolution scientifique. Le paradigme à venir concernant les origines du christianisme - si tel devait être le cas - non seulement bousculerait un bon nombre d'idées reçues, ce qui peut être en soi le signe de sa pertinence et ne devrait donc pas nous inquiéter mais il pourrait - le domaine qui nous occupe, étant les origines du christianisme - heurter, peut-être fortement, certains sensibilités religieuses, ce qui est plus regrettable. Pourquoi, dans ce cas, envisager un changement de paradigme, au sens le plus radical ? Quel peut bien être l'objectif recherché ? Dans le dernier chapitre de son ouvrage, Jacques Giri utilise une expression, celle de l'ensemble explicatif cohérent, et d'autre part une image, celle des pièces manquantes dans le jeu de société qu'on appelle puzzle. "L'ensemble explicatif cohérent" est une expression qu'il emprunte à Pierre Nora et nous semble renvoyer à peu près à l'exacte réalité de ce que Thomas Kuhn entend par paradigme. Quant aux "pièces manquantes", c'est, pour Jacques Giri, la caractéristique de l'histoire des origines du christianisme. Elle présente, dit-il, un

1 Voir infra p. 270

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monceau de pièces manquantes. (...)Les origines du christianisme seraient donc un puzzle difficile à reconstituer en raison de pièces manquantes. En effet, si la divinité de Jésus pose historiquement un problème, comme le montrent bien Frédéric Lenoir et Bernard Sesbouë, c'est en raison des pièces manquantes. Mais il y a pièces manquantes et pièces manquantes. Comme très souvent dans l'histoire de l'antiquité, des pièces manquent parce qu'elles ne nous sont pas parvenues, pour telle ou telle raison. Elles sont matériellement absentes. Mais il y a aussi des pièces qui manquent uniquement dans certains raisonnements ou dans certaines reconstitutions, tout simplement parce qu'elles n'entrent pas dans la cohérence du dessin que le joueur veut reconstituer. Paradoxalement, Jacques Giri les appelle "les pièces en trop". Ce sont les pièces dont on ne veut pas. Ce sont des pièces rejetées qui modifieraient le dessin d'ensemble, éventuellement jusqu'à le rendre méconnaissable, si on voulait les intégrer. Cette analogie, comme toute analogie, a ses limites, mais elle donne une bonne idée du risque que représente un changement de paradigme. C'est vers ce risque que nous allons nous diriger (...)

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