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( 86° ANNEE - 4753 25 SEPTEMBRE 1971 IRIBIJnlJX HEBDOMADAIRE JUDICIAIRE Edmond Picard 1882 - 1899 Léon Bennebieq 1900 - 1940 Charles Van Reepinghen 19'4- -1966 Le conflit entre le traité interne en international ' a la et la ·1oi de l'arrêt la Cour suite par SECTION C. L'affaire Fromagerie Franco-Suisse « Le Ski » c. Etat belge. Nous retracerons maintenant rapidement les antécédents de l'affaire qui allait donner l'oc- casion à la Cour de cassation de prononcer son arrêt du 27 mai 1971 en examinant succes- sivement : la demande en restitution des taxes 1er), le jugement du 6 février 1967 2), la loi du 19 mars 1968 3) et l'arrêt de la cour d'appel du 4 mars 1970 4). § 1. - LA DEMANDE EN RESTITUTION DES TAXES. Les Etablissements Detry, aux droits des- quels la société anonyme Fromagerie Franco- Suisse « Le Ski > devait succéder, acquittèrent de novembre 1958 à novembre 1964, 67.713.800 francs de droits spéciaux à l'occa- sion de l'importation, soumisè à licences, de produits laitiers. La partie de ces droits afférents aux pro- duits importés par des pays membres de la Communauté économique européenne s'élevait à 59.638.636 francs. Les taxes en question étaient perçues en ap- plication de l'arrêté royal du 3 novembre 1958, qui s'appuyait sur des lois des 30 juin 1931 et 30 juillet 1934, abrogées et remplacées par celle du 11 septembre 1962. Au cours de l'année 1965, les Etablissements Detry s'avisèrent que la légalité <lesdites taxes pouvait être contestée sur deux plans : tout d'abord, parce qu'elles auraient être rati- fiées par le législateur et ensuite, parce qu'elles étaient dans une certaine mesure contraires au droit communautaire. Absence de ratification des arrêtés royaux. Les lois des 30 juin 1931 et 30 juillet 1934 disposaient que les arrêtés royaux pris en exé- cution de ces lois seraient soumis dans des délais déterminés à la ratification des Cham- bres législatives. L'arrêté du 3 novembre 1958 n'avait pas reçu une telle ratification. Contrariété avec le droit communautaire. La compatibilité de ces taxes avec le traité de Rome du 25 mars 1957, instituant la Com- munauté économique européenne (approuvé par la loi belge du 2 décembre 1957). et en parti- (*) Pour le début, voy. J.T. du 18 septembre 1971, pages 509 à 520. rendu Belgique le 27 mai de cassation (*) 1971 culier avec l'article 12 dudit traité (109) fut contestée officiellement par la Commission de la C.E.E. dans une lettre du 1961, dans la mesure où lesdites taxes étaient appli- cables aux importations de produits laitiers ori- ginaires des Etats membres ou en libre pratique dans ces Etats. Après avoir reçu les observations du gouver- nement belge, la Commission, par un avis mo- tivé du 3 avril 1963, constata que le gouverne- ment belge avait manqué aux obligations dé- coulant de l'article 12 du traité et l'invita à prendre les mesures nécessaires pour se con.foi;- mer à celui-ci dans le délai d'un mois (110). la même invitation fut adressée au gouverne- ment luxembourgeois qui avait institué une ta- xe similaire. La Commission pouvait entretemps s'appuyer sur l'arrêt de la Cour de justice des Commu- nautés européennes rendu Je 5 février 1963 dans sa célèbre décision préjudicielle à propos du litige Van Gend et Loos c. Administration fiscale néerlandaise (111). Dans ce célèbre arrêt, la Cour avait exposé que: « La communauté économique euro- péenne constitue un nouvel ordre juri- dique de droit international, au profit duquel les Etats ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et dont les sujets sont non seulement les Etats membres mais éga- lement leurs ressortissants; > que partant, le droit commmunautai- re, indépendant de la législation des Etats membres, de même qu'il crée des char- ges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique; > que ceux-ci naissent non seulement lorsqu'une attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi en raison d'obligations que le traité inî.pose d'une manière bien définie tant aux particu- liers qu'aux Etats membres et aux in- stitutions communautaires; > ••• attendu que le texte de l'article 12 énonce une interdiction claire et incondi- tionnelle qui est une obligation non pas (109) L'article 12 se lit comme suit: «Les Etats membres s'abstiennent d'introduire entre eux de nou- veaux droits de douane à l'importation ·et à l'exporta- tion ou taxes d'effet équivalent, et d'augmenter ceux qu'ils appliquent dans leurs relations commerciales mu. tuelles ». (110) Recueil, X, 1964. 1225. (111) Recueil, IX, 1963, 7 (affaire n 08 26-62). EDITEURS: MAISON FERD. LARCIER S. A. Rue des Minimes, 39 1000 BRUXELLES de faire, mais de ne pas faire; que cette obligation n'est d'ailleurs assortie d'au- cune réserve des Etats de subordonner sa mise en oeuvre à un acte positif de droit interne; > que cette prohibition se prête parf ai- tement, par sa nature même, à produire ·des effets directs dans les relations ju- ridiques entre les Etats membres et leurs justiciables >. (112). La Cour avait conclu en disant : « qu'il résulte des considérations qui précèdent que selon l'esprit, l'économie et le texte du traité, l'article 12 doit être interprété en ce sens qu'il produit des effets immédiats et engendre des droits individuels que les juridictions internes doivent sauvegarder. > (113). La Belgique et le Grand-Duché, ayant main- tenu lesdits droits en dépit des observations de la Commission, cette dernière introduisit con- tre ces deux gouvernements un recours devant la Cour de justice des Communautés européen- nes, en conformité avec l'article 169, alinéa 2 du traité (114). Le 13 novembre 1964, la Cour de justice des Communautés devait arrêter que : « le gouvernement du Royaume de Belgique et le gouvernement du Grand- Duché de Luxembourg, en établissant et en appliquant après le 1er janvier 1958 un droit spécial perceptible à l'occasion de la délivrance de licences d'importa- tion de poudres de lait écrémé sucré ou non, poudres de lait entier sucré ou non, lait concentré, sucré en boite, fro- mages à pâtes dures ou demi-dures, fro- mages fondus, fromages à pâte molle, fromages à pâte persillée, ont manqué aux obligations prévues à l'article 12 du traité. > (115). En évidente relation avec cette action diri- gée contre lui, le gouvernement belge devait réduire les taxes à nihil par un arrêté minis- tériel du 29 octobre 1964, puis finalement les abroger à partir du 24 novembre 1965, par un arrêté royal du 23 octobre 1965. Les taxes, n'étant abrogées que pour l'ave- nir et non pour le passé, les Etablissements Detry introduisirent le 27 décembre 1965, de- vant le tribunal de première instance de Bru- xelles, une demande de restitution des droits spéciaux versés par eux du pr novembre 1958 au 1er novembre 1964, fondée d'une part sur le défaut de ratification par les Chambres des (112) Recueil, IX, 1963, 23 et 24. (113) Recueil, IX, 1963, 25. (114) Pour mémoire, l'article 169 du traité a Je contenu suivant : « Si la Commission estime qu'un Etat membre a manqué à une des obligations qui lui incombent, en vertu du présent traité, elle émet UD avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet Etat en mesure de présenter ses observations. » Si l'Etat en cause ne se conforme pas à cet avis, dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice ». (11.5) Affaires jointes n° 5 90 et 91-63, « Commission de la C.E.E. c. Grand-Duché de Luxembourg et Royaume de Belgique», Recueil, X, 1964, 1237.

86° ANNEE - N° IRIBIJnlJX...(110) Recueil, X, 1964. 1225. (111) Recueil, IX, 1963, 7 (affaire n08 26-62). EDITEURS: MAISON FERD. LARCIER S. A. Rue des Minimes, 39 1000 BRUXELLES

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Page 1: 86° ANNEE - N° IRIBIJnlJX...(110) Recueil, X, 1964. 1225. (111) Recueil, IX, 1963, 7 (affaire n08 26-62). EDITEURS: MAISON FERD. LARCIER S. A. Rue des Minimes, 39 1000 BRUXELLES

(

86° ANNEE - N° 4753 25 SEPTEMBRE 1971

IRIBIJnlJX HEBDOMADAIRE JUDICIAIRE

Edmond Picard

1882 - 1899 Léon Bennebieq

1900 - 1940

Charles Van Reepinghen

19'4- -1966

Le conflit entre le traité interne en

international

' a la et la ·1oi

de l'arrêt la Cour

suite par

SECTION C.

L'affaire Fromagerie Franco-Suisse « Le Ski » c. Etat belge.

Nous retracerons maintenant rapidement les antécédents de l'affaire qui allait donner l'oc­casion à la Cour de cassation de prononcer son arrêt du 27 mai 1971 en examinant succes­sivement : la demande en restitution des taxes (§ 1er), le jugement du 6 février 1967 (§ 2), la loi du 19 mars 1968 (§ 3) et l'arrêt de la cour d'appel du 4 mars 1970 (§ 4).

§ 1. - LA DEMANDE EN RESTITUTION DES TAXES.

Les Etablissements Detry, aux droits des­quels la société anonyme Fromagerie Franco­Suisse « Le Ski > devait succéder, acquittèrent de novembre 1958 à novembre 1964, 67.713.800 francs de droits spéciaux à l'occa­sion de l'importation, soumisè à licences, de produits laitiers.

La partie de ces droits afférents aux pro­duits importés par des pays membres de la Communauté économique européenne s'élevait à 59.638.636 francs.

Les taxes en question étaient perçues en ap­plication de l'arrêté royal du 3 novembre 1958, qui s'appuyait sur des lois des 30 juin 1931 et 30 juillet 1934, abrogées et remplacées par celle du 11 septembre 1962.

Au cours de l'année 1965, les Etablissements Detry s'avisèrent que la légalité <lesdites taxes pouvait être contestée sur deux plans : tout d'abord, parce qu'elles auraient dû être rati­fiées par le législateur et ensuite, parce qu'elles étaient dans une certaine mesure contraires au droit communautaire.

1° Absence de ratification des arrêtés royaux.

Les lois des 30 juin 1931 et 30 juillet 1934 disposaient que les arrêtés royaux pris en exé­cution de ces lois seraient soumis dans des délais déterminés à la ratification des Cham­bres législatives. L'arrêté du 3 novembre 1958 n'avait pas reçu une telle ratification.

2° Contrariété avec le droit communautaire.

La compatibilité de ces taxes avec le traité de Rome du 25 mars 1957, instituant la Com­munauté économique européenne (approuvé par la loi belge du 2 décembre 1957). et en parti-

(*) Pour le début, voy. J.T. du 18 septembre 1971, pages 509 à 520.

rendu Belgique le 27 mai

de cassation (*)

1971

culier avec l'article 12 dudit traité (109) fut contestée officiellement par la Commission de la C.E.E. dans une lettre du ~novembre 1961, dans la mesure où lesdites taxes étaient appli­cables aux importations de produits laitiers ori­ginaires des Etats membres ou en libre pratique dans ces Etats.

Après avoir reçu les observations du gouver­nement belge, la Commission, par un avis mo­tivé du 3 avril 1963, constata que le gouverne­ment belge avait manqué aux obligations dé­coulant de l'article 12 du traité et l'invita à prendre les mesures nécessaires pour se con.foi;­mer à celui-ci dans le délai d'un mois (110). la même invitation fut adressée au gouverne­ment luxembourgeois qui avait institué une ta­xe similaire.

La Commission pouvait entretemps s'appuyer sur l'arrêt de la Cour de justice des Commu­nautés européennes rendu Je 5 février 1963 dans sa célèbre décision préjudicielle à propos du litige Van Gend et Loos c. Administration fiscale néerlandaise (111).

Dans ce célèbre arrêt, la Cour avait exposé que:

« La communauté économique euro­péenne constitue un nouvel ordre juri­dique de droit international, au profit duquel les Etats ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et dont les sujets sont non seulement les Etats membres mais éga­lement leurs ressortissants;

> que partant, le droit commmunautai­re, indépendant de la législation des Etats membres, de même qu'il crée des char­ges dans le chef des particuliers, est aussi destiné à engendrer des droits qui entrent dans leur patrimoine juridique;

> que ceux-ci naissent non seulement lorsqu'une attribution explicite en est faite par le traité, mais aussi en raison d'obligations que le traité inî.pose d'une manière bien définie tant aux particu­liers qu'aux Etats membres et aux in­stitutions communautaires;

> ••• attendu que le texte de l'article 12 énonce une interdiction claire et incondi­tionnelle qui est une obligation non pas

(109) L'article 12 se lit comme suit: «Les Etats membres s'abstiennent d'introduire entre eux de nou­veaux droits de douane à l'importation ·et à l'exporta­tion ou taxes d'effet équivalent, et d'augmenter ceux qu'ils appliquent dans leurs relations commerciales mu. tuelles ».

(110) Recueil, X, 1964. 1225. (111) Recueil, IX, 1963, 7 (affaire n08 26-62).

EDITEURS:

MAISON FERD. LARCIER S. A.

Rue des Minimes, 39

1000 BRUXELLES

de faire, mais de ne pas faire; que cette obligation n'est d'ailleurs assortie d'au­cune réserve des Etats de subordonner sa mise en œuvre à un acte positif de droit interne;

> que cette prohibition se prête parf ai­tement, par sa nature même, à produire

·des effets directs dans les relations ju­ridiques entre les Etats membres et leurs justiciables >. (112).

La Cour avait conclu en disant : « qu'il résulte des considérations qui

précèdent que selon l'esprit, l'économie et le texte du traité, l'article 12 doit être interprété en ce sens qu'il produit des effets immédiats et engendre des droits individuels que les juridictions internes doivent sauvegarder. > (113).

La Belgique et le Grand-Duché, ayant main­tenu lesdits droits en dépit des observations de la Commission, cette dernière introduisit con­tre ces deux gouvernements un recours devant la Cour de justice des Communautés européen­nes, en conformité avec l'article 169, alinéa 2 du traité (114).

Le 13 novembre 1964, la Cour de justice des Communautés devait arrêter que :

« le gouvernement du Royaume de Belgique et le gouvernement du Grand­Duché de Luxembourg, en établissant et en appliquant après le 1er janvier 1958 un droit spécial perceptible à l'occasion de la délivrance de licences d'importa­tion de poudres de lait écrémé sucré ou non, poudres de lait entier sucré ou non, lait concentré, sucré en boite, fro­mages à pâtes dures ou demi-dures, fro­mages fondus, fromages à pâte molle, fromages à pâte persillée, ont manqué aux obligations prévues à l'article 12 du traité. > (115).

En évidente relation avec cette action diri­gée contre lui, le gouvernement belge devait réduire les taxes à nihil par un arrêté minis­tériel du 29 octobre 1964, puis finalement les abroger à partir du 24 novembre 1965, par un arrêté royal du 23 octobre 1965.

Les taxes, n'étant abrogées que pour l'ave­nir et non pour le passé, les Etablissements Detry introduisirent le 27 décembre 1965, de­vant le tribunal de première instance de Bru­xelles, une demande de restitution des droits spéciaux versés par eux du pr novembre 1958 au 1er novembre 1964, fondée d'une part sur le défaut de ratification par les Chambres des

(112) Recueil, IX, 1963, 23 et 24. (113) Recueil, IX, 1963, 25. (114) Pour mémoire, l'article 169 du traité a Je

contenu suivant : « Si la Commission estime qu'un Etat membre a manqué à une des obligations qui lui incombent, en vertu du présent traité, elle émet UD

avis motivé à ce sujet, après avoir mis cet Etat en mesure de présenter ses observations.

» Si l'Etat en cause ne se conforme pas à cet avis, dans le délai déterminé par la Commission, celle-ci peut saisir la Cour de justice ».

(11.5) Affaires jointes n°5 90 et 91-63, « Commission de la C.E.E. c. Grand-Duché de Luxembourg et Royaume de Belgique», Recueil, X, 1964, 1237.

Page 2: 86° ANNEE - N° IRIBIJnlJX...(110) Recueil, X, 1964. 1225. (111) Recueil, IX, 1963, 7 (affaire n08 26-62). EDITEURS: MAISON FERD. LARCIER S. A. Rue des Minimes, 39 1000 BRUXELLES

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arrêtés royaux sur lesquels avait été basée la perception de ces droits et, d'autre part, sur l'incompatibilité de ces arrêtés avec l'article 12 du traité de Rome, dans la mesure où ces droits frappaient l'importation de produits en prove­nance de la Communauté.

Par jugement du 6 février 1967, le tribunal de première instance de Bruxelles devait dé­clarer cette demande non fondée.

§ 2. - LE JUGEMENT DU 6 FEVRIER 1967.

La motivation - en résumé - était la sui.­vante :

1° pour ce qui est de l'absence de ratification.

Le tribunal estime que c'est à tort que la demanderesse « assimile l'absence de ratifica­tion à une absence de conformité à la loi des dispositions de l'arrêté royal>.

Certes, c'est un peu tard, au cours de plai­doiries de la cause, le 9 novembre 1966, que, au nom du Roi, le ministre des Affaires écono­miques a soumis aux Chambres un projet de loi pour ratifier l'arrêté royal de 1958 et ceux qui le suivirent, mais :

« Attendu qu'il appartient aux Cham­bres législatives et à elles seules de ra­tifier les arrêtés en question ou de ne pas les ratifier, et en ce dernier cas de déterminer le sort à réserver aux droits perçus;

» que la seule obligation du Roi et de ses ministres est de présenter les arrêtés royaux aux Chambres, pour y être sou­mis à ratification;

»Attendu que c'est à présent chose fai­te, depuis le 9 novembre 1966; que les Chambres législatives statueront sur ce projet de foi, qui leur est soumis quand et ce qu'elles estimeront convenir;

» Attendu que l'obligation de soumet­tre à la ratification parlementaire qu'elles ont imposée (les lois des 30 juin 1931 et 30 juillet 1934 et 11 septembre 1962) n'est assortie dans ces lois d'aucune sanction et sort des principes et règles généraux; ,

» Attendu que le législateur a imposé au gouvernement une obligation non sanctionnée, dont lui seul appréciera le respect et la violation, et que lui seul avait le loisir de surveiller plus éroite­ment; »

Le tribunal en concluait que c'était à tort que la demanderesse avait soutenu que l'arrê­té royal du 3 novembre 1958 était illégal, et que le tribunal ne pouvait l'appliquer.

2° pour ce qui est de la contrariété avec le droit communautaire.

Le jugement reconnaît que l'arrêté royal du 3 novembre 1958 a manqué aux engagements pris par la Belgique dans l'article 12 du traité du 25 mars 1957 et constate que la Cour de justice des Communautés européennes en a a1n­.si décidé dans son arrêt du 13 novembre 1964. Mais

« Attendu qu'aux termes de l'article 171 du traité de la C.E.E., la consé­quence de cet arrêt est que les Etats membres concernés sont tenus de pren­dre les mesures que comporte l'observa­tion de la décision rendue et celle des obligations qui leur incombent en vertu du traité. » (116).

Le tribunal estime que l'arrêté ministériel du 29 octobre 1964 en réduisant à néant les taxes en question « a, en fait, satisfait d'avance à

(116) L'article 171 dispose que l'Etat «est tenu de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour de justice ».

l'arrêt du 13 novembre 1964; que l'arrêté royal du 23 octobre 1965 supprimant ces taxes est l'exécution définitive de la décision prise par la Cour de justice ».

Le tribunal ajoute encore les surprenantes considérations suivantes pour ce qui concerne la période antérieure au 13 novembre 1964 :

» Attendu que cet engagement entre Etats (il s'agit de l'article 12 du traité C.E.E.) obligeait ceux-ci entre eux, mais ne donnait pas encore aux justiciables d'action personnelle pour faire apprécier ce manquement, ni pour faire rétracter la loi nationale;

»que ce n'est que depuis que la Cour a arrêté que la Belgique a manqué aux obligations prévues à l'article 12 du traité que les justiciables pourront s'in­surger personnellement contre l'exigence ultérieure des taxes condamnées;

»Attendu que, du reste, les traités n'ont pas de primauté sur la loi.»

Le tribunal en concluait donc que les droits demeuraient régulièrement dus pour la période du 3 novembre 1958 au 1er novembre 1964 et que l'action en restitution n'était pas fondée en tant qu'elle tendait au remboursement d'un prétendu indu.

Appel de cette décision fut interjeté le 1 pr avril 1967, par la S.A. Fromagerie Franco­Suisse «Le Ski», qui succédait aux Etablisse­ments Detry.

§ 3. - LA LOI DU 19 MARS 1968.

Entretemps, une loi du 19 mars 1968 (117) devait ratifier, avec effet rétroactif, au jour de leur entrée en vigueur, les arrêtés royaux qui avaient servi de base à la perception des droits spéciaux en disposant que :

« les sommes versées en application de ces arrêtés sont définitivement acqui­ses, leur ·paiement est irrévocable et ne peut donner lieu à contestation devant quelque autorité que ce soit. »

La Fromagerie Franco-Suisse « Le Ski », con­tinuatrice des Etablissements Detry, abandonna dès lors par ses conclusions additionnelles d'ap­pel, le premier fondement de sa demande, c'est­à-dire le défaut de ratification des arrêtés royaux. Elle en maintient en revanche le se­cond, c'est-à-dire l'incompatibilité desdits droits ratifiés par la loi du 19 mars 1968 avec l'ar­ticle 12 du Traité de Rome.

En conséquence, elle limita le montant de sa demande à la partie des droits spéciaux af­férente aux produits importés des pays mem­bres de la C.E.E. soit 59.638.636 francs.

Avant de résumer l'arrêt de la cour d'appel, il est intéressant de rappeler les circonstances qui ont éntouré la rédaction du projet de loi qui devait donner naissance à la loi du 19 mars 1968. Le projet fut soumis à la section de législation le 17 juin 1966 en vertu de la procédure d'urgence.

Les alinéas 2 et 3 de l'article unique de la loi en projet prévoyaient :

« Les sommes versées en application de ces arrêtés sont définitivement acqui­ses. Leur paiement est irrévocable et ne peut donner à contestation, répétition ni indemnisation devant quelque autorité et pour quelque motif que ce soit.

» Les dispositions du présent article sont applicables aux instances pendantes, à quelque degré de juridiction que ce soit. »

Dans son avis du 28 juin 1966, le Conseil d'Etat fit remarquer que la deuxième phrase de l'alinéa 2 était conçue en termes si généraux

(117) Mon. b., 1968, 2860.

qu'elle exclurait toute contestation, répétition ou indemnisation, même si elle était fondée sur une autre cause que sur l'irrégularité des arrêtés. Le gouvernement déclara au Conseil que telle n'était pas son intention.

En outre, le Conseil mit ainsi le législateur en garde :

« Etant donné le bref délai qui lui a été imparti, le Conseil d'Etat n'a pu vé­rifier si les arrêtés soumis à ratifica­tion... ne sont pas en opposition avec des dispositions du traité instituant la Communauté économique européenne. »

(118).

A la suite de cet avis, lorsque le projet de loi fut déposé le 17 novembre sur le bureau de la Chambre (119), le 3• alinéa critiqué par le Conseil d'Etat fut supprimé ainsi que les mots «et pour quelque motif que ce soit», le ministre des Affaires économiques se bor­nant dans son exposé des motifs à déclarer :

« Ils ont sorti ... leurs effets [les divers arrêtés royaux] : les droits spéciaux qu'ils instituent ont été appliqués; les sommes perçues ont été versées . en recette au Trésor. Il convient qu'en vertu d'une disposition formelle du législateur, ces sommes demeurent acquises à l'Etat, sans que leur paiement puisse être, sous une forme ou sous une autre, mis en discussion devant quelque autorité que ce soit» (120).

Lors de la discussion à la Chambre, le dé­puté Défraigne critiqua vivement le gouverne­ment (121).

La proposition de M. Defraigne de con­sulter à nouveau le Conseil d'Etat sur la compatibilité du projet de loi avec les obli­gations internationales de la Belgique et no­tamment avec le Traité de Rome, ne fut pas retenue pour des considérations d'urgence. Ses doutes ne furent ni confirmés ni infirmés par le gouvernement.

(118) Doc. parl., Chambre, session 1966-1967, 288, n° 1, p. 3.

(119) Idem. (120) Ibid., p. 1. (121) Annales pari., Chambre, séance du mercredi

21 déc. 1966, p. 15 : « Si on nous demande la ratification actuellement,

c'est parce qu'il existe certaines procédures qui sont pendantes devant le pouvoir judiciaire.

Mesdames, Messieurs, je ne me prononcerai pas sur les mobiles qui ont amené le gouvernement à déposer le projet de loi; je voudrais cependant dire que je crois que c'est une tactique qui n'est pas adéquate et conforme au but poursuivi et voici· pourquoi.

Un arrêté royal du 3 novembre 1958 et d'autres, qui sont proposés à notre ratification, ont été décla­rés, par un arrêt de la Cour de justice européenne du 13 novembre 1964 - nous ne sommes pas ici en matière linguistique ! - contraires à l'article 12 du Traité de Rome, qui. en application de cet article 12, peljillet à chaque citoyen d'exercer un recours en vertu de ses droits individuels.

Mesdames, Messieurs, je me demande dans quelle mesure le projet qui nous est soumis n'est pas con­traire à nos obligations internationales; le Conseil d'Etat, lorsqu'il a été consulté une première fois au moment du dépôt du projet de loi, n'a pas donné son avis à ce sujet et semble avoir aperçu le problème puisqu'aussi bien il nous a dit qu'il n'a pas eu le temps, dans les trois jours qui lui étaient impartis, - d'examiner si ce texte était conforme à nos obliga­tions internationales.

Lorsque j'ai dit tout à l'heure que je ne suis pas du tout certain que l'objectif poursuivi par le gou­vernement sera atteint par le vote de ce projet de loi, c'est parce que, ainsi que vous le savez, les juridictions belges disent de plus en plus - c'est une jurisprudence ·qui résulte notamment d'arrêts de la Cour de cassation et de l'avis de M. le procureur général Hayoit de Termicourt - que la législation internationale ou plus exactement les traités, priment le droit national et même les lois que nous pourrions voter».

Page 3: 86° ANNEE - N° IRIBIJnlJX...(110) Recueil, X, 1964. 1225. (111) Recueil, IX, 1963, 7 (affaire n08 26-62). EDITEURS: MAISON FERD. LARCIER S. A. Rue des Minimes, 39 1000 BRUXELLES

Le vote acquis à la chambre le fut sans autre discussion le 22 décembre 1966.

Au Sénat, la question fut d'abord invoquée incidemment par M. Dehousse qui fit sur ce point de justes critiques au gouvernement lors de la séance du mardi 17 janvier 1967 consacrée à la discussion du budget des Af­faires étrangères et du Commerce extérieur (122).

Ce n'est qu'un an plus tard que le rapport de la Commission des ~·Affaires économiques du Sénat sur cette question fut distribué aux . sénateurs (123). Ce rapport fait état des ob­servations suivantes fournies par le ministre des Affaires économiques :

l° quant à l'exécution de l'arrêt de la Cour.

« a) La censure exercée par la Cour n'est pas une censure de l'annulation, faisant disparaître une mesure prise par un Etat membre agissant dans son ordre interne. Cette censure est le constat d'un manquement. Elle ne comporte pas, dans le chef de la Cour, pouvoir de redresser, dans l'ordre juridique d'un Etat membre, les effets de ces manque­ments; la Cour n'a pas compétence pour se prononcer sur la validité d'actes des pouvoirs nationaux en ce qui concerne leurs effets dans le ressort national (arrêt dans l'affaire 6/60 du 16 déc. 1966, Rec., VI, p. 1125 et s.).

» b) On observe que dans toutes les affaires de constat de manquement, les Etats se sont conformés aux arrêts prononcés en retirant (sans effet ab initio, mais au mieux, à partir de la date de l'arrêt) leurs actes querellés. ( ... )

» c) La commission n'a soulevé au­cune objection à cette interprétation. En l'espèce, elle n'a fait aucune remar­qué alors qu'elle a connaissance que la Belgique a retiré les actes querellés à partir du pir novembre 1964 et- non ab initio. » (124).

2° quant à une action éventuelle contre la ratification des arrêtés par le Par­lement.

~ La réponse à donner à ce problème est la suivante :

(122) « J'aurais voulu entretenir les deux ministres des Affaires étrangères sur la nécessité de respecter les traités européens non seulement dans les rapports internationaux, mais dans l'ordre intérieur belge. Je vois qu'ils me donnent des marques d'approbation.

J'attire leur attention sur une projet de loi qui por­tait à la Chambre le n° 288 et qui y a été voté le 22 décembre dernier. Après le ter janvier 1958, la Belgique avait maintenu des droits spéciaux de li­cence sur l'importation de certanis produits laitiers. C'était contraire au Traité de Rome et cela se faisait en vertu d'arrêtés royaux qui auraient dü être soumis à l'approbation du Parlement et ne l'ont jamais été. Devant la Cour de justice de Luxembourg, la Bel­gique a été condamnée et a retiré ses arrêtés. Mais voici maintenant que survient un projet de loi qui ratifie les arrêtés en question et ceci à un moment où un procès est pendant devant le tribunal civil de Bruxelles ! Il est peu élégant de modifier les données d'un litige alors que celui-ci est encore en cours.

Ce projet de loi est contraire à l'article 12 du Traité de Rome, et s'il était voté, par le Sénat, il y aurait certainement un nouveau recours devant la Cour de justice des Communautés européennes, et cela mettrait la Belgique en mauvaise posture. J'attire donc l'attention des ministres sur cette situation. La Bel­gique ne peut s'engager dans cette voie. » (Sénat, Compte rendu analytique, séance du 17 janv. 1967, p. 163).

(123) Documents parlementaires, Sénat, session 1967-1968, 130 du 1 ei· févr. 1968.

(124) Ibid., p. 4.

pour le juge national se trouvant devant une prescription catégorique du lé­gislateur national dont il doit réaliser les commandements, le litige s'arrête avec le constat que ce législateur a tranché le problème.

» c) En effet, même si l'on peut ad­mettre qu'une loi postérieure à un traité est applicable si elle ne se conforme pas à ce traité, encore cet enseignement est-il nécessairement limité dans ses effets.>

« Certes, si un texte constitutionnel prescrivant· aux tribunaux d'appliquer les lois internes, même dans la mesure où elles contredisent un traité antérieure­ment approuvé et publié, encore en vi­gueur, ou si une loi - soit par une dis­position générale, - soit par une dis­position concernant une matière déter­minée, - énonçait formellement pa­reille obligation, les tribunaux seraient contraints de se conformer à cette pre­scription s'agit-il de traités ayant les caractères spécifiques des traités insti­tuant les Communautés européennes » (R. Hayoit de Termicourt, « Le conflit Traité-loi interne», J.T., 1963, p. 486). Dès ce moment, il apparaît qu'il ne pouvait y avoir procès justifié ni, par conséquent, question préjudicielle pour le juge appelé à faire prévaloir le traité sur la loi disposant dans les termes qui sont ceux que le projet adopte (en s'in­spirant, comme on l'a relevé plus haut, de la loi du 30 juillet 1934). » (125).

Le point de vue du ministre fut âprement contesté par un membre de la Commission qui, en bref, fit valoir que le projet allait à l'encontre de l'évolution du droit européen; que la Commission ou les autres Etats mem­bres des Communautés pourraient attraire à nouveau la Belgique devant la Cour des Communautés, où nous pourrions être con­damnés une deuxième fois car les arrêtés sont en opposition avec le traité. L'Etat peut en être rendu responsable.

«Le législateur ne peut donner l'or­dre de transgresser un traité. En face de la thèse du ministre, il convient de considérer d'autres positions admises sur le plan européen. En ce qui con­cerne la controverse sur le point de savoir si les arrêtés contestés auraient dû être abrogés ab initio, il conviendrait, d'après l'intervenant, de faire usage de la faculté de demander une décision préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes.» (126).

Sans prendre position sur les questions de principe; le rapport concluait de la manière suivante:

«Au sujet de cette ratification, deux thèses ont donc été défendues au sein de votre Commission. En résumé, la thèse du ministre revient à constater que la Belgique a rempli ses obligations à l'égard de la C.E.E. en abrogeant en 1964 les arrêtés incriminés. A l'opposé de ce point de vue, il y a l'autre thèse d'après laquelle les arrêtés ont été pris illégalement puisqu'ils sont contraires au Traité de la C.E.E.

» Etant donné que l'adoption de la deuxième thèse entraînerait, d'après le ministre, ·l'obligation pour l'Etat de rem­bourser plus de 1 milliard de francs et que la Commission de la C.E.E., ainsi que les autres Etats membres ont tou­jours la possibilité de déterminer leur

(125) Ibid., p. 5. (126) Ibid., pp. 6-7.

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attitude en la matière, votre Commis­sion estime qu'il convient d'adopter le projet de loi.» (127).

On peut conclure de cet exposé que si le législateur était averti de la possible incom­patibilité entre la loi qu'il allait voter et le Traité de Rome, il n'y avait sur ce point au­cune certitude. Le gouvernement lui donnait des apaisements ! On verrait bien !

§ 4. - L'ARRET DE LA COUR D'APPEL DU 4 MARS 1970.

L'arrêt a déjà été rapporté dans ces co­lonnes (128); aussi nous bornerons-nous à le résumer en en rappelant les principaux motifs.

Comme nous l'avons déjà dit plus haut, la Fromagerie Franco-Suisse « Le Ski >, limita le montant de sa demande à la partie des droits spéciaux afférente aux produits importé des pays membres de la C.E.E. et le fondement de cette demande à l'incompatibilité <lesdits droits ratifiés par la loi du 19 mars 1968 avec l'ar­ticle 12 du Traité de Rome.

1° La cour repousse tout d'abord l'alléga­tion d'excès de pouvoir soutenue par le dé­fendeur (l'Etat belge) du fait qu'elle censu­rerait la loi en ne l'appliquant pas :

« Attendu qu'en acceptant de con­naître du litige tel qu'il se présente de­vant elle, la cour n'excède pas ses pou­voirs s'il se vérifie qu'en ce qui con­cerne ces mêmes importations, les. effets de la loi du 19 mars 1968, postérieure à l'intégration du Traité de Rome, dans la législation nationale, sont arrêtés;

» Qu'admettre l'affirmative ne revient nullement à « censurer la loi »; que la question à résoudre, si une incompati­bilité se manifestait entre la norme de droit international conventionnel et la norme de droit interne, reviendrait à décider laquelle doit prévaloir; »

A la fin de l'arrêt, elle reviendra sur la même idée en déclarant:

« Attendu que contrairement à ce qu'objecte l'intimé, la prétention de l'appelante ne conduit pas à déclarer une loi nulle et non avenue, mais à constater que ses effets sont arrêtés dans la mesure où elle est en conflit avec une disposition directement appli­cable du droit international convention­nel;»

2° La cour recherche s'il existe un conflit entre le traité et la loi du 19 mars 1968.

Elle constate tout d'abord que l'article 12 du Traité de Rome produit des effets immé­diats et engendre dans le chef des justiciables des droits individuels que les juridictions in­ternes doivent sauvegarder (elle cite à cet égard l'arrêt Van Gend en Looz et la mer­curiale de M. Hayoit de Termicourt). A l'in­timé qui prétendait que la seule sanction à l'inobservation des dispositions du Traité de Rome résidait dans la procédure de constat de manquement qui ne comporte aucun pou­voir d'annuler ou de faire déclarer nul ab initio l'acte censuré, la cour répond :

« Attendu que la procédure visant à établir un constat de manquement est celle qui est intentée par la Commis­sion contre un Etat membre en vertu des article 169 et 171 du traité; qu'elle n'exige pas que la disposition violée soit « self-executing > (c'est-à-dire di-

(127) Ibid., p. 7. (128) J.T .. , 1970, 413. Il a été commenté par Léon

Goffin et Arlette Burlion dans un article intitulé « Le droit communautaire prévaut-il sur le droit national ? », J.T., 1970, 605-608.

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rectement applicable); qu'elle ne con­cerne pas les droits individuels que les justiciables peuvent füer d'une disposi­tion « self-executing » et exercer de­vant les juridictions internes; que l'ar­gument de l'Etat ne tient pas compte de ce que l'article 12 prémentionné à ce caractère; »

Elle en conclut que la loi du "19 mars 1968 qui valide indistinctement toutes perceptions de droits spéciaux établis par les arrêtés royaux qu'elle ratifie pour le temps où ils étaient appliqués, est incompatible avec l'article 12 du traité dans la mesure où celui-ci interdi­sait d'introduire des droits.

3° La cour pose ensuite le principe général de la supériorité du droit conventionnel in­ternational en citant la mercuriale de 1968 de M. le procureur général Ganshof van der Meersch:

«Attendu que «Les Etats ont le de­voir de veiller à ce qu'une norme de droit ln.terne incompatible avec une norme de droit international conven­tionnel qui répond aux engagements qu'ils ont pris, ne puisse pas être vala­blement opposée à celle-ci. Cette obliga­tion doit avoir pour corollaire la supé­riorité de la norme conventionnelle sur la norme interne ... » (M. le procureur général Ganshof van der Meersch, « Réflexions sur le droit international et la révision de la Constitution », J.T., 1968, p. 494, col. 2). Attendu que la supériorité du droit international s'im­pose à la fois pour des raisons de mo­rale sociale et parce que la supériorité du droit interne serait la condamnation du droit international, puisqu'elle con­sacrerait la menace constante qui pèse sur le caractère général de celui-ci par l'impossibilité, pour les règles du droit international, d'atteindre et de maintenir ce caractère (ibid., p. 494, col. 3 ). »

4° La cour estime cependant qu'en cas de violation délibérée par le législateur du traité international, les cours et tribunaux devraient appliquer la loi;

«Attendu qu'en l'absence d'une dis­position constitutionnelle - ce qui est bien le cas - ou législative prescrivant formellement aux tribunaux d'appliquer en tout état de cause même dans la me­sure où elle contredirait une loi pos­térieure à un traité approuvé et publié, encore en vigueur, ce n'est point à la jurisprudence qu'il incombe de créer pareille obligation (voy. la mercuriale précitée de M. le procureur général Hayoit de Termicourt, J.T., 1963, p. 486, col. 1; cons. aussi Waelbroeck, Traités internationaux et juridictions in­ternes dans les pays du Marché commun, p. 274 et s.)

» Attendu qu'une détermination im­plicite de contraindre à l'application de la loi interne contrevenant aux engage­ments du traité international ne saurait être acceptée que si elle n'était en rien douteuse;»

Mais en l'occurrence la cour estime qu'une telle détermination n'est pas prouvée;

« Attendu qu'une telle détermination ne résulte pas ipso facto de ce que la loi considérée en l'espèce interdit toute contestation au sujet des sommes per­çues; que le texte légal ne dit pas que l'interdiction vise aussi le cas où elle irait à l'encontre du Traité de Rome; Attendu que l'analyse des travaux pré­paratoires ne conduit point à la certi­tude que le Parlement a voulu ou cru voter une telle injonction ... >

SECTION D.

L'arrêt de la Cour de cassation du 27 mai 1971.

Ses enseignements et sa portée.

L'arrêt du 27 mai 1971 est remarquable à bien des égards. - Tout d'abord en ce qu'il prend position

clairement sur la nature de l'acte d'assen­timent donné au traité conformément à l'article 68 alinéa 2 de la Constitution. Cette prise de position conduit à l'abandon de la traditionnelle équivalence établie en­tre le traité et la loi qui aboutissait à l'adoption d'un critère temporel pour ré­soudre les conflits (§ 1er).

- Il pose en principe la prééminence de la norme conventionnelle internationale sur la norme interne en la justifiant par la na­ture même du droit international conven­tionnel (§ 2).

- Il écarte implicitement l'objection tirée de la constitution et de la séparation des pou­voirs parfois alléguée pour empêcher la reconnaissanre de la prééminence du droit international (§ 3).

- Il place au centre des conditions que doit remplir la norme de droit international conventionnel pour que sa prééminence soit assurée sur la norme de droit interne, la notion d'effet direct (§ 4).

- Il s'abstient de faire une distinction en matière de prééminence selon que la norme avec laquelle la norme interne en­tre en conflit, soit internationale ou com­munautaire. La règle de prééminence vaut dans les deux cas (§ 5).

- Il ne distingue pas selon que le conflit entre la norme législative et la norme in­ternationale soit ou non volontaire dans le chef du législateur. La primauté du droit international s'impose même en cas de vio­lation délibérée du traité par le législateur (§ 6).

- Il confirme que l'effet de la prééminence n'est pas de censurer ou d'annuler la loi mais d'en écarter l'application, d'en arrêter les effets à la mesure du conflit (§ 7).

§ 1. - LA NATURE DE L'ACTE D'AS­SENTIMENT DONNE AU TRAITE CONFORMEMENT A L'ARTICLE 68 ALINEA 2, DE LA CONSTITU­TION.

Ainsi qu'il avait déjà eu l'occasion de le démontrer dans sa mercuriale précitée du 2 septembre 1968, le procureur général Gans­hof van der Meersch a rappelé, dans ses conclusions, pour quelles raisons le traité n'est pas la loi.

Il est l'œuvre de l'exécutif. Sa source est dans la volonté des Hautes Parties contrac­tantes, c'est le traité lui-même qui est le siège des normes juridiques et non pas l'acte d'as­sentiment donné par les Chambres sous for­me de loi. L'assentiment pourrait constitution­nellement être donné sous forme de résolution des Chambres.

L'acte d'assentiment n'est une loi ni au point de vue matériel (il ne contient pas de normes juridiques), ni par ses effets (qui dé­pendent de l'exécutif tant pour la mise en vi­gueur que la terminaison sur le plan inter­national) ni par sa procédure de confection.

La cour ratifie le point de . vue de son pro­cureur général en déclarant que:

«même lorsque l'assentiment à un traité exigé par l'article 68, alinéa 2 de la Constitution, est donné dans la forme d'une loi, le pouvoir législatif, en accomplissant cet acte, n'exerce pas une fonction normative. »

Une telle constatation avait pour effet de permettre à la cour d'échapper à l'équivalence traditionnelle : traité = loi qui avait pour co­rollaire l'application du critère temporel comme mode de solution des antinomies entre ces deux sources.

Le procureur général avait déclaré : « Il ne saurait y avoir de « conflit de

lois » dans la cgnfFootation du traité approuvé par un acte du pouvoir légis­latif et une loi. »

La cour reprend la formule : « Que le conflit qui existe entre une

norme de droit établie par un traité in­ternational et une norme établie par une loi postérieure, n'est pas un conflit en­tre deux lois;

>Attendu que la règle d'après laquelle une loi abroge la loi antérieure dans la mesure où elle la contr.edit est sans ap­plication au cas où le conflit oppose un traité et une loi. »

Si la solution de l'antinomie ne se trouve pas dans le critère temporel, il faut la recher­cher dans le critère hiérarchique. Celui de la valeur supérieure de la norme internationale.

§ 2. - LA PREEMINENCE DE LA NOR­ME CONVENTIONNELLE INTER­NATIONALE SUR LA NORME JNTERNE SE JUSTIFIE PAR LA NATURE MEME DU DROIT IN­TERNATIONAL CONVENTION­NEL.

lei encore, dans ses mercuriales de 1968 et 1969, comme dans ses conclusions, ia position du procureur général était connue et conforme d ailleurs à l'enseignement de tous les interna­t10nalistes.

Les Etats doivent respecter leurs obligations internauonales et veiller à ce que leur drqj.t interne soit compatible avec leurs engagements internationaux. Cette obligation pèse sur tous les pouvoirs de l'Etat et donc aussi sur le juge qui, par le jeu de la règle de l'épuisement des voies de recours interne que connaît le droit international, a une responsabilité particulière à cet égard.

Toute violation de l'engagement interna­tional peut entraîner la mise en œuvre de la responsabilité de l'Etat sur le plan interna­tional.

Tout ceci est donc finalement question de bonne foi, de moralité au plus haut sens du mot, et de logique. Le droit doit être cohérent et cette cohérence implique la primauté de la règle de droit international.

Si la norme internationale doit recevoir la primauté, c'est en vertu de sa nature même de règle de droit international. C'est ce qu'ad­met la cour avec des nuances que nous envi­sagerons plus loin en disant :

« Attendu que, lorsque le conflit existe entre une norme de droit in­terne et une norme de droit interna­tional qui a des effets directs dans l'or­dre juridique interne, la règle établie par le traité doit prévaloir; que la préémi­nence de celle-ci résulte de la nature même du droit international conven­tionnel.>

§ 3. - LE POUVOm JUDICIAIRE PEUT­IL CONSTITUTIONNELLEMENT DONNER LA PREEMINENCE AU TRAITE SUR LA LOI ?

La question se posait d'autant plus que la jurisprudence - on l'a vu plus haut - a souvent tiré prétexte de la séparation des pou­voirs pour soutenir que le pouvoir judiciaire ne pouvait en aucun cas donner la prééminence

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au traité sur la volonté du législateur exprimée par la loi.

Le procureur général, après avoir cité Paul De Visscher (129) qui écrivait, il y a quelques années, que si

«les cours et tribunaux se sont in­clinés devant les lois édictées en viola­tion manifeste des traités antérieurs, cette solution ne leur avait pas été dic­tée par un texte formel de la Constitu­tion»

expose avec raison qu'une disposition expresse de la Constitution affirmant la primauté des traités n'est pas indispensable dans notre sys­tème constitutionnel qui est un système souple, laissant place à des développements en fonc­tion de l'évolution.

« La Constitution est... muette en ce qui concerne les rapports entre le traité et la loi interne. Nulle disposition ne· donne à cette dernière une prééminence sur la règle de droit international. »

Dans une situation identique, la Cour supé­rieure de justice du Grànd-Duché de Luxem­bourg s'est engagée dans cette voie que justi­fie la nature même de la règle de droit inter­national. De même aux Pays-Bas, le Hoge Raad dès 1949 devait prendre cette position que le constituant allait ensuite confirmer.

Comme on le sait, la Cour, sans traiter de la question, s'est implicitement ralliée à ce point de vue (130).

§ 4. - CONDITIONS QUE DOIT REM· PLffi LA NORME DE DROIT JN. TERNATIONAL CONVENTION· NELLE POUR QUE SA PREEMI· NENCE SOIT ASSUREE SUR LA NORME DE DROIT INTERNE.

La Cour a utilisé la formule suivante : « lorsque le conflit existe entre une

norme de droit interne et une norme de droit international qui a des effets di~ rects dans l'ordre juridique interne, la règle établie par le traité doit prévaloir. »

(C'est nous qui soulignons).

Si l'on se réfère aux distinctions que nous avons proposées dans la première section de cet article, il nous semble que, par cette for­mulation, la Cour requiert :

a) une norme de droit internationl : c'est donc une norme en vigueur dans l'ordre inter­national et liant la Belgique;

b) la référence à l'effet dans l'ordre juridique interne implique son insertion et sa publi­cation dans cet ordre inteme;

c) la notion d'effets directs enfin nous sem­ble provenir de la jurisprudence constante de la Cour des Communautés où la notion recouvre trois éléments :

la clarté de la norme; son caractère complet (131); son aptitude a être invoquée comme un droit propre par les particuliers.

Il semble que ce soit à dessein que la Cour ait choisi cette terminologie. La notion anglo-

(129) Les po~itions actuelles, op. clt., pp. 608-609.

(130) M. Waelbroeck, dans son article précité à la R.B.D.I., 1965/2, p. 356, avait déjà montré que le principe de la séparation des pouvoirs n'était pas en cause. C. Carnbier et autres, op. cit., p. 54, font valoir à juste titre que « là où le juge applique à un acte émanant d'une autre autorité étatique une cen­sure qui est de pure légalité, il ne sort point de son office et cela, singulièrement, s'il n'y va que de la censure négative d'un refus d'application».

(131) Dans les distinctions que nous avons présen­tées dans la première section, nous regroupions ces deux éléments sous le vocable d'efficacité de la nor­me (caractère complet· et précis de la norme).

saxonne de « self-executing » utilisée en 1963 par M. Hayoit de Termicourt n'eût pas été heureuse dans un arrêt de la Cour, ne fût-ce que pour des raisons linguistiques. Celle de « disposition directement applicable » utilisée par M. le procureur général Ganshof van der Meersch est équivalente dans la définition qu'il en donne (132) à celle d'effets direct qu'utilise exclusivement la Cour des Communautés.

Au-delà d'une préférence terminologique en­tre deux vocables ayant le. même contenu, il faut peut-être voir dans le choix de la Cour de cassation, le désir de rompre avec la notion étroite de disposition directement applicable telle qu'elle fut longtemps en honneur avant que les Communautés ne donnent l'exemple de la manière selon laquelle· il convient d'in­terpréter les conventions internationales pour leur donner plein et entier effet dans un ordre juridique où droit international et droit inter­ne forment un ordre juridique unique. L'arrêt choisit ainsi l'ouverture.

Si cette interprétation est conforme à la réalité, elle comblera certainement tous ceux qui critiquaient la notion classique limitée de «disposition self-executing » ou de «dis­position directement applicable » dans le sens étroit de disposition conférant expressément des droits ou des obligations aux particuliers.

§ 5. - L'ARRET S'ABSTIENT DE FAIRE UNE DISTINCTION EN MATIERE DE PREEMINENCE, SELON QUE LA NORME AVEC LAOUELLE LA NORME INTERNE ENTRE EN CONFLIT, SOIT INTERNATIO­NALE OU COMMUNAUTAffiE.

Ici encore, le procureur général Ganshof van der Meersch avait indiqué la seule voie en montrant dans ses conclusions la nécessité d'admettre le principe de la prééminence du droit international conventionnel sur la loi interne avant d'aborder l'application évidente qu'il fallait en faire en matière communautaire.

Si certains se seraient contentés d'une demi­mesure, pailiant le plus pressé, c'est-à-dire les exigences de l'ordre juridique communautaire, ce n'aurait été ni la voie de la logique ni celle du devoir. Déjà le procureur général Hayoit de Termicourt dans sa mercuriale de 1963, tenté par cette solution, s'était rendu compte de son caractère illogique et l'avait écartée. C'est l'engagement pris internationalement par traité auquel on entend donner la prééminence, non la matière que cet engagement a pour ob­jet ou les relations avec certains partenaires. Protéger les traités communautaires mais pas un traité avec la France ou les Etats-Unis n'est défendable ni en logique ni en droit. La Cour a heureusement évité de faire de l'esprit de clocher ou du chauvinisme à six. Si ces relations sont privilégiées en fait, elles ne le sont pas en droit (133).

(132) «En s'inspirant de la jurisprudence de la Cour de justice, on doit admettre qu'est directement appli­cable en droit communautaire la disposition claire du traité, consacrant une obligation juridiquement com­plète, qui impose aux Etats, soit de s'abstenir, soit d'agir d'une manière déterminée, et qui peut être invoquée, comme un droit qui leur est propre par les ressortissants de ces Etats, ressortissants auxquels elle peut aussi imposer des charges. La règle direc­tement applicable ne saurait laisser à l'Etat de pouvoir discrétionnaire». J.T., 1971, p. 469.

<133) Les seules normes qui - en droit international - ont un caractère privilégié dans le sens qu'il n'est permis d'y déroger par aucune convention particulière sont les normes de jus cogens (cf. art. 53 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités : Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impé­rative du droit international général ... » et art. 64 : « Si une nouvelle norme impérative du droit international général survient, tout traité existant qui est en con­flit avec cette norme devient nul et prend fin ») et

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C'est à juste titre, en revanche, qu'elle a montré que la solution qui s'impose en droit international est a fortiori nécessaire en droit communautaire :

«Attendu qu'il en est a fortiori ainsi lorsque le conflit existe, comme en l'es­pèce, entre une norme de droit interne et une norme de droit communautaire;

Qu'en effet, les traités qui ont créé le droit communautaire ont institué un nouvel ordre juridique au profit duquel les Etats membres ont limité l'exercice de leurs pouvoirs souverains dans les domaines que ces traités déterminent. »

On voit dans cette formule utilisée par la Cour de cassation l'impact de celle qui est employée par la Cour de justice des Commu­nautés, mais avec de sensibles modifications toutefois.

La Cour de justice de Luxembourg; en parti­culier dans l'affaire Costa c. ENEL (134), a développé la thèse de la spécificité du droit communautaire par les célèbre attendus sui­vants:

« Attendu qu'à la différence des trai­tés internationaux ordinaires, le traité de la C.E.E. a institué un ordre juri­dique propre, intégré au système juri­dique des Etats membres lors de l'entrée en vigueur du traité et qui s'impose à leurs juridictions;

» Qu'en effet, en instituant une Com­munauté de durée illimitée, dotée d'in­stitutions propres, de la personnalité, de la capacité juridique, d'une capacité de représentation internationale et plu$ particulièrement de pouvoirs réels issus d'une limitation de compétence ou d'un transfert d'attribution des Etats à la Communauté, ceux-ci ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et crée ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes. »

Plus loin, la Cour parle de « limitation défi­nitive de leurs droits souverains».

La légitime fierté des juges de Luxembourg sur la réalisation communautaire se . conçoit; elle ne justifie cependant pas la prétention à la spécificité du phénomène. D'autre traités créant des organisations internationales ont mis en œuvre les même mécanismes, qui en soi n'ont rien d'original. Qu'il suffise de citer déjà au XIXe siècle la Commission européenne du Danube qui répondait à toutes les caractéris­tiques exposées par la Cour. La plupart des traités créant des organisations internationales ont pour effet d'attribuer à ces organisations la personnalité internationale et interne, une capacité juridique propre, une capacité de représentation internationale et des pouvoirs réels issus d'une limitation de compétence (135).

Ce qui est particulier aux Communautés, c'est l'intensité du phénorrième, l'utilisation massive de techniques traditionnelles du droit international jointe à la création de techniaues nouvelles (comme les directives), l'importance

l'article 103 de la Charte des Nations Unies: «En cas de conflit entre les obligations des membres des Nations Unies en veTtu: de la présente charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord. international, les premières prévaudront. »

(134) Recueil, X, 1964, pp. 1158-1159.

(135) Voyez sur la question: Waelbroeck, M., «Con­tribution à l'étude de la nature juridique des Com­munautés européennes», Mélanges Henri Rolin, 1964, p. 506; - Wengler, W., «Réflexions sur l'application du droit international public par les tribunaux in­ternes», R.G.D.I.P., 1968, p. · 952; __;_ Rigaux, F., «Nature juridique des Communautés», Droit des Communautés européennes, Les Novelles, n08 105 et s.; - Verhoeven, J., note aux C.D.E., 1969, p. 713.

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des matières qui font l'objet des transferts de compétence, la volonté systématique d'inté­gration. Toutes ces caractéristiques accumu­lées - bien que non originales en soi - con­fèrent certainement aux Communautés une par­ticularité. Mais cette particularité se définit par son degré et non par sa nature.

Dans ses conclusions, M. le procureur géné­ral Ganshof van der Meersch avait d'ailleurs exprimé des réserves sur la terminologie uti­lisée par la Cour de justice de Luxembourg et notamment sur l'expression «limitation dé­finitive de leurs droits souverains ». Il ex­pose ce qui suit :

«Il est difficile de discerner avec cer­titude si, là où elle use des mots « limi­tation définitive de leurs droits souve­rains » (ceux des Etats), la Cour a en­tendu éviter d'user des mots « compé­tences » ou « pouvoirs » qui eussent paru plus exacts lorsqu'il s'agit d'un trans­fert définitif, pour permettre de ne voir là que le droit souverain de transmettre l'exercice seulement des compétences ou des pouvoirs étatiques »

et en note le procureur général se réf ère à l'article 25bis de la Constitution.

Ce dernier, on le sait, se lit comme suit : « L'exercice de pouvoirs déterminés

peut être attribué par un traité ou par une loi à des institutions de droit inter­national public. > (136).

Par la formule précitée qu'elle a utilisée, la Cour de cassation n'a pas voulu, avec raison, s'éloigner de la terminologie constitutionnelle, plus conforme d'ailleurs à la réalité.

§ 6. - L'ARRET NE DISTINGUE PAS SELON QUE LE CONFLIT ENTRE LA NORME LEGISLATIVE ET LA NORME INTERNATIONALE SOIT OU NON VOLONTAmE DANS LE CHEF DU LEGISLATEUR.

Ici encore la Cour a pris une position coura­geuse.

On se souvient que dans sa mercuriale de 1963, M. Hayoit de Termicourt avait réservé expressément le cas où une loi énoncerait for­mellement l'obligation d'appliquer la loi in­terne contraire au traité. Nous avons cité cet extrait ci-dessus.

Cette réserve était faite aussi par une partie de la doctrine (137). Elle fut explicitement in­voquée par le pourvoi en cassation qui faisait valoir que:

«les dispositions de la loi du 19 mars 1968 ... impliquent la volonté du légis­ateur belge de faire appliquer cette loi nonobstant toute autre disposition con­traire, de quelque/ nature qu'elle soit, et notamment des dispositions de l'ar­ticle 12 du traité. »

La cour d'appel, on l'a vu, tout en sacrifiant à la réserve de la volonté délibérée du légis­lateur, estimait qu'en l'occurrence une telle vo­lonté n'était pas prouvée et qu'il n'appartenait pas au juge de la présumer.

La Cour de cassation aurait pu trouver dans ces considérations une porte de sortie aisée si elle avait voulu éviter d'aborder de front la difficulté.

(136) Voyez Louis, J.V., «L'article 25bis de la Con­stitution belge», R.M.C., no 136, sept. 1970, pp. 410-416. L'auteur rappelle qu'une proposition de certains parlementaires de limiter la possibilité d'attributions à des insittutions de droti public européen s'est vu opposer son caractère inadéquat, équivoque et restric­tif, et fut aisément repoussée.

(137) Voyez note Slusny, M. et Waelbroeck, M., sous Comm. Brux., 16 juin 1960, J.T., 725; - Wael­broeck, M., Traités internationaux, op. cit., n05 244 et 246; - Cambier, C. et autres, « Mécanismes ju­ridiques», op. cit., p. 58.

C'eut été mal connaître la droiture de son procureur général et mésestimer le sens du de­voir de la Cour.

On avait déjà pu remarquer que dans sa mer­curiale du 1er septembre 1969, M. Ganshof Van Der Meersch s'était gardé de reprendre à son compte la réserve de M. Hayoit de Ter­micourt. Il posait en principe que « la dispo­sition de droit international ou de droit com­munautaire directement applicable résout, pour le juge interne, le conflit. Elle sera appliquée par lui nonobstant toute loi nationale. »

Dans ses conclusions, le procureur général s'est refusé à escamoter le problème; il l'a abordé de front avec la détermination qu'on lui connaît. On nous permettra de reproduire in extenso les réflexions dont il a, sur ce point, fait part à la Cour :

« . . . l'argument constitue une inad­missible pétition de principe, en partant de l'idée que l'autorité nationale, sou­mise à la prééminence de la règle com­munautaire, pourrait néanmoins, quand elle a clairement exprimé sa volonté, se soustraire à cette prééminence qui s'im­pose à elle; il va à l'encontre de toute logique juridique; le droit ne permet pas de superposer à la priorité de la règle proclamée et démontrée une «sur­priorité » de l'opportunisme. Si la règle de droit international directement appli­cable et la règle de droit communau­taire priment la règle de droit interne, on ne saurait soutenir que celle-ci peut néanmoins s'imposer à elles lorsque la volonté de son auteur est clairement ex­primée à l'égard de règles de droit in­ternational et de droit communautaire antérieures. La règle de droit interne ne saurait être à la fois soumise et domi­nante dans ses rapports avec la règle de droit international et la règle de droit communautaire.

En réalité, c'est le principe même de la réserve qui ne saurait se justifier. Si la règle de droit international conven­tionnel prime la règle de droit interne, c'est en raison de sa nature même, et les autorités nationales doivent respec­ter cette prééminence; à peine d'engager la responsabilité internationale de l'Etat; il n'appartient pas à un des organes de celui-ci, fût-ce le judiciaire ou même le législatif, de se soustraire à l'obligation qu'il a de la respecter. Le législateur -ou le Parlement - a d'ailleurs pu déci­der souverainement s'il donnait ou non son approbation au traité; il était le maître souverain de la situation; l'assen­timent qu'il a donnéi a permis au Roi de lier définitivement la Belgique par un traité qualifié au deuxième alinéa de l'article 68 de la Constitution. Si la si­tuation s'est modifiée, après que cet as­sentiment a été donné par les Chambres ou par le pouvoir législatif, l'Etat qui souhaite se soustraire à la règle contrac­tuelle à laquelle il a souscrit en pleine connaissance de cause et dans le plein exercice de son pouvoir constitutionnel, peut dénoncer le traité en conformité avec les règles du droit international, ou prendre, conformément à celui-ci, telle autre initiative de nature à permettre de modifier la situation que le traité consacre.»

Il n'y a rien à ajouter ni à retrancher à ces paroles; c'est une question de logique et d'hon­nêteté.

La Cour l'a bien compris et a statué en termes généraux que :

« la règle établie par le traité doit prévaloir et la prééminence de celle-ci résulte de la nature même du droit in­ternational conventionnel. »

§ 7. - L'ARRET CONFIRME QUE L'EF­FET DE LA PREEMINENCE N'EST PAS DE CENSURER OU D'AN· NULER LA LOI, MAIS BIEN D'EN ECARTER L'APPLICATION, D'EN ARRETER LES EFFETS A LA MESURE DU CONFLIT.

C'est le pourvoi qui lui en donne l'occasion en déclarant, à l'appui du premier moyen, que:

«l'arrêt attaqué n'a pas pu légale­ment annuler, même partiellement, la loi du 19 mars 1968 sous le couvert d'en « arrêter » les effets. »

et à l'appui du troisième que : « la distinction faite par l'arrêt atta­

qué entre le fait de ne pas déclarer nulle la loi, d'une part, mais de constater simplement que ses effets seraient ar­rêtés dans la mesure où la loi est con­traire à une disposition de droit con­ventionnel international directement ap­plicable, d'autre part, est inopérante et n'empêche aucunement que, dans les deux cas, les obligations dérivant de la loi sont annulées. »

L'arrêt attaqué n'avait pourtant jamais pré­tendu que la loi était nulle parce que contraire à l'article 12 du traité ou qu'il annulait la loi. Il disait simpleIJ1ent que : « Les effets de la loi du 19 mars 1968 ... sont arrêtés ».

La formule est classique. C'est celle -nous l'avons mentionné plus haut - de l'arrêt de la Cour de· cassation du 8 janvier 1925 (13 8). M. Hay oit de Termicourt déclarait aussi:

« Il serait inexact de dire que, même approuvé par une loi, un traité abroge la loi interne antérieure qu'il contre­dit. Un traité ne peut que suspendre l'application de la loi interne ou y dé­roger pendant la durée de la mise en vigueur. » (139).

Comme le relève le procureur général Gans­hof Van Der Meersch dans ses conclusions à propos du moyen du demandeur :

«C'est là vouloir ignorer la différence fondamentale qui existe en droit public entre le refus d'application d'une règle de droit positif et son annulation. »

L'arrêt de la Cour déclare : « qu'il résulte des considérations qui

précèdent que le juge avait le devoir d'écarter l'application des dispositions de droit interne qui sont contraires à cette disposition du traité ...

»que l'arrêt a pu décider, sans violer les dispositions légales indiquées dans les moyens, que les effets de la loi du 19 mars 1968 étaient «arrêtés dans la » mesure où elle était en conflit avec une » disposition directement applicable du » droit international conventionnel »;

» qu'à cet égard les moyens manquent en droit.»

L'arrêt a donc bien précisé que la sanc­tion est non pas 1' annulation mais bien l'inop­posabilité de la disposition interne contraire au traité.

REMARQUES SUR ·L'INCIDENCE QUE POURRAIT AVOIR L'ARRET SUR LES TRAVAUX DE LA CONSTITUANTE

ET EN PARTICULIER SUR LE PROJET D'ARTICLE 107bis.

L'arrêt rendu par la Cour et reconnaissant la primauté du droit intematioal dans la mesure que l'on a indiquée est susceptible

(138) Pas., 1925, 1, 101. (139) J.T., 1963, 482; voyez aussi D.P., Sénat, 1959-

1960, n° 138, p. 13 : «Dès l'insta.llt où le traité cesse d'être en vigueur, la loi redevient applicable».

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d'avoir une incidence sur les travaux de la constituante, en particulier à propos du projet d'article 107 bis relatif à la primauté du droit international sur le droit interne.

On sait que la revision en cours de la Constitution porte sur divers articles relatifs aux relations internationales: les articles 25bis, 68 et 107bis. L'article 25bis a déjà été adopté. Nous en avons incidemment rappelé le texte ci-avant. L'article 68 nouveau est en bonne voie. La commission de revision de la Consti­tution au Sénat vient de déposer rapport (140). L'article 107bis qui fait l'objet des travaux de la même commission du Sénat a déjà donné lieu à de nombreuses discussions et plusieurs textes s'affrontent.

Le texte initialement proposé par le gou­vernement avait le contenu suivant :

«Les cours et tribunaux n'applique­ront les lois et arrêtés qu'autant qu'ils sont conformes aux règles du droit in­ternational, et notamment aux traités en vigueur régulièrement publiés. »

A un certain stade des travaux de la com­mission, M. Dehousse, alors rapporteur de la commission, avait cru pouvoir proposer le texte suivant :

«Les cours et tribunaux n'applique­ront les lois et arrêtés qu'autant qu'ils sont conformes aux dispositions direc­tement applicables des traités en vigueur régulièrement publiés, à l'exception de ceux dont les Chambres auraient sus­pendu l'application en Belgique. ».

Dans une note remise à la commission, M. Rolin a, pour sa part, fait la proposition suivante:

« La loi ne peut être appliquée par aucune juridiction lorsque cette applica­tion serait inconciliable avec le respect des règles de droit international· géné­ral visant l'ordre juridique interne. Il en va de même si la loi est incon­ciliable avec des dispositions de traités antérieurs ou postérieurs ayant des ef­fets directs dans l'ordre juridique in­terne ainsi que des mesures obligatoires prises par les organes des institutions internationales dans le cadre des pou­voirs qui leur ont été régulièrement at­tribués. » (141).

La rédaction du texte de l'article 107 bis est évidemment difficile et délicate.

Si le texte de M. Dehousse nous paraît devoir être écarté pour les raisons de principe qui ont été mises en lumière ci-dessus (section D, § 6), en revanche on peut hésiter entre le texte gouvernemental et le texte· de M. Rolin. Le premier plus vague et plus concis laisse plus de ·marge à une évoltltion lente qui sera l'œuvre des juridictions nationales. Le second est plus précis et plus détaillé. De ce fait, il peut donner plus d'apaisement au constituant.

On peut se demander cependant s'il n'existe pas maintenant une troisième voie pour le constituant qui consisterait à prendre acte de la « revision silencieuse» (142) opérée par le judiciaire et par conséquent d'omettre pure­ment et simplement tout article sur la ques­tion.

Etant donné l'article 25bis, qui implicite­ment admet déjà la primauté du droit inter­national sur le droit interne, ainsi que l'arrêt de la Cour de cassation dont le caractère

(140) D.P., Sénat, session 1970-1971, no 596 du ter juill. 1971.

(141) Note d'observations distribuée à la commission du Sénat sur la revision de l'art. 101bis comme do­cument de travail n° 3, sous presse dans la R.B.D.I., 1971/2.

(142) Nous reprenons l'expression à De Visscher, P. («Les positions actuelles ... », op. cit., p. 608) qui l'ap­pelait alors de ses vœux.

déclaratif est évident (143), le silence cir­constancié du constituant est une voie qui mérite de retenir l'attention.

On laisserait aux juridictions le soin de dé­gager, progressivement et prudemment, au fil des situations, du mûrissement des problèmes, de l'évolution de l'ordre international et des degrés de compénétration avec l'ordre in­terne, la mesure et les limites de la primauté acquise dans son principe. La solution juris­prudentielle permettrait, en l'absence de texte formel, une évolution plus souple et progres­sive.

Certes, à l'analyse, la différence entre les deux méthodes est mince. Si le texte gou­vernemental et celui de M. Rolin vont plus loin que celui de la Cour qui n'a disposé que du cas de conflit entre le traité ayant des ef­fets directs et le droit interne, il importe de noter que la Cour n'a ainsi tranché que le seul problème dont elle était saisie. Toutefois, son raisonnement, fondé sur la nature de la norme internationale et sa nécessaire préémi­nence pour des raisons de bonne foi, de lo­gique juridique et de cohérence du système, devrait la conduire tôt ou tard, par identité de motifs, à étendre les effets de son rai­sonnement à toute norme du droit interna­tional (droit dérivé des traités et peut-être même la coutume internationale) pourvu qu'elle présente mutatis mutandis les carac­téristiques dégagées à propos des traités.

On ne peut pas non plus présumer de la manière dont la Cour pourrait traiter cer­taines hypothèses que le texte du gouverne­ment est susceptible de couvrir, notamment le traité n'ayant pas d'effet direct et le traité non accompagné de l'assentiment des Cham-bres. .

Envisageons d'abord la seconde hypothèse, celle du traité non accompagné de l'assenti­ment des Chambres.

Il convient de distinguer si le traité doit ou non recevoir l'assentiment des Chambres en vertu de l'article 68, alinéa 2 de la Consti­tution. Si cet assentiment est requis et n'est pas réalisé en l'espèce, la Constitution est nette et un tel traité ne peut avoir d'effet en Bel­gique (144).

En revanche, pour les traités que le Roi ne doit pas soumettre à l'assentiment des Chambres, il n'est plus acceptable de limiter leur valeur à celle d'un arrêté royal; mais dira-t-on, comment envisager l'application d'un tel traité qui, par définition, ne lie pas individuellement les Belges et ne grève pas l'Etat (art. 68, al. 2) ?

C'est là que l'on rejoint la première hypo­thèse, celle du· traité n'ayant pas d'effet direct.

Nous souhaitons sur cette dernière ques­tion faire deux observations.

D'une part, on a noté ci-dessus comment la jurisprudence partant d'une notion étroite du « traité directement applicable » a élargi les possibilités d'invocation par les particu­liers des traités internationaux en adoptant une notion plus large : celle du traité ayant un effet direct. Cette adoption a été guidée par les nécessités de l'évolution tant des idées que de la technique des traités qui, dans di­vers secteurs (Europe communautaire, droits

(143) Dans ses conclusions, le procureur général Gansho.f van der Meersch ·a souligné que « Si la Con­stitution devait demain contenir en s'inspirant du prin­cipe exprimé dans des constitutions étrangères l'affir­mation de la supériorité des traités ou accords régu­lièrement approuvés et ratifiés sur les lois, pareille disposition aurait, je pense, le caractère déclaratif. »

(144) Le texte de l'article 68 revisé adopté par la commission du Sénat renforce cette tendance puisque le nouveau paragraphe 4, alinéa ter, de l'article 68 porte qu' « Aucun traité ne peut lier la Belgique ni individuellement les Belges, sans l'assentiment préalable des Chambres».

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de l'homme, etc.), améliorent les mécanismes d'intégration. Tout ceci incite à la prudence. Rien ne dit que l'évolution est arrivée à son terme et que les traités ne peuvent pas être appliqués encore plus largement par le juge.

D'autre part, rejoignant une partie de la doctrine, notamment MM. Waelbroeck et Verhoeven, nous estimons que l'exigence de l'effet direct, si elle s'explique par des raisons de compétence pour les tribunaux judiciaires et au contentieux de la réparation du Conseil d'Etat, est totalement injustifiée lorsqu'il s'agit du contentieux de l'annulation et de la défense objective de la légalité.

Il y a donc là des voies d'évolution juris­prudentielles qui restent ouvertes.

Pour ceux qui, en revanche, ont quelque inquiétude quant au rôle de la volonté du législateur dans le système, nous ne pouvons que rappeler ce qu'a exprimé, dans ses con­clusions, le procureur général Ganshof van der Meersch. Le législateur possède deux armes puissantes à l'égard de l'exécutif :

1°) Par la loi d'approbation - acte de haute tutelle - c'est lui qui décide de donner effet en Belgique à toute une série de traités. S'il estime que le traité n'est pas bon, il a alors la possibilité de dire non. C'est ainsi que le Parlement français, on s'en souviendra, fit avorter le projet de Communauté européenne de défense. S'il estime que les catégories de traités soumises à son assentiment sont trop étroites, il lui appartient, lors de la revision de l'article 68, de les élargir. C'est d'ailleurs la voie dans laquelle il semble s'être engagé. S'il trouve que son contrôle du fond des trai­tés est difficile à réaliser dans l'état actuel des procédures parlementaires, il ne tient qu'à lui de les améliorer en s'entourant des avis qualifiés qu'il estimera devoir obtenir avant de donner son assentiment. Mais une chose est certaine, une fois donné cet assentiment -et sous réserve du 2° ci-dessous - le légis­latif, tout autant que l'exécutif, est lié par l'obligation de bonne foi et par la maxime pacta sunt servanda.

2°) Si les circonstances viennent à changer et que le législatif considère qu'il y a lieu de mettre fin à un engagement contractuel ou d'en obtenir la réformation, ce n'est pas en votant une loi contraire au traité qu'il peut se délier, mais en engageant l'exécutif ou bien à dénoncer le traité selon les règles ap­plicables en droit international en matière de terminaison de traité, ou bien à obtenir des cocontractants une revision ou un amen­dement au traité. L'exécutif sera tenu d'agir en ce sens, soit par une modification de l'ar­ticle 68 associant plus directement le légis­latif au treaty making power (notamment par l'exigence de l'acte contraire) (145), soit par le jeu traditionnel de la responsabilité mi­nistérielle.

Le constituant, on le voit, peut choisir différentes voies. Ou bien la revision silen­cieuse ou bien l'adoption de l'article 107bis (dans la rédaction gouvernementale ou dans celle proposée par M. Rolin). Dans l'hypothèse de l'adoption d'un texte, il ne faut pas ou­blier que son application dans le détail sera l'œuvre du juge. Il vient de nous montrer une fois de plus qu'il sait allier le sens de la prudence, celui de la cohérence et celui du devoir. Jean J. A. SALMON.

(145) Sur ces points, voyez les propositions De Vis­scher, P. - Smets, P.F., dans leur rapport sur «la revision de l'article 68 de la Constitution belge» ainsi que le Rapport de synthèse de De Visscher, P. dans : L'adaptation de la Constitution belge aux réalités internationales; la commission du Sénat s'est engagée dans cette voie puisque le projet de paragraphe 6 du nouvel article 68 dispose que·: « Les traités sont dé­noncés suivant les règles en vigueur pour leur appro­bation. »

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J U R 1 s_ P R U D E N C E Cass. (Ire ch.), 22 avril 1971.

Prés. : MM. VALENTIN, cons. ff. prés.; DE WAER­SEGGER, baron RICHARD, BusIN, LEGROS, cons.

Min. publ. : M. DEPELCHIN, av. gén. Plaid. : MMes J. V AN RYN et René PHILIPS.

(S.A. «Anciens établissements d'leteren Frères» c. S.P.R.L. de droit allemand « Kleb und

Dichtstoff » G.M.B.H.)

VENTE. - DELIVRANCE. - Article 1585 du Code civil. - Dérogation conventionnelle. - Conséquences. - Incendie de la mar­chandise.

Le juge du fond ayant considéré que les parties avaient conventionnellement dérogé à la règle énoncée dans l'article 1585 et étaient convenues que la délivran­ce des marchandises ne serait pas subor­donnée aux mesures prévues par ledit ar­ticle, l'arrêt décide de manière implicite mais certaine que l'incendie des bidons de colle s'est produit après leur délivran­ce.

Ouï M. le conseiller Valentin en son rapport et sur les conclusions de M. De­pelchin, avocat général;

Vu l'arrêt attaqué, rendu le 15 décem­bre 1969 par la cour d'appel de Bruxelles;

Sur le moyen pris de la violation des articles 1134, 1138', 1147, 1148, 1302, 13115, 1319, 1320, 1322,, 1585, 1603, 1604, 16124, du Code civil et 97 de la Constitution,

en ce que, après avoir constaté, d'une part, qu'aucun des éléments versés aux dé­bats ne permettait de préciser les causes de l'incendie dans lequel les marchandi­ses vendues avaient péri et, d'autre part, la vente litigieuse s'analysant en une vente au poids et au compte, que les parties avaient conventionnellement dérogé quant à l'attribution des risques, à la rè­gle édictée par l'article 1585 du Code ci­vil en disposant que les marchandises voyageaient aux risques de l'acheteur et que le prix était dû pour vente et livrai­son de marchandises expédiées aux ris­ques et périls de l'acheteur, l'arrêt atta­qué déclare fondée l'action de la défen­deresse en paiement du prix des mar­chandises détruites et justifie cette déci­sion par la considération que « s'il fallait penser que l'incendie ayant entraîné la perte des marchandises qui se trouvaient encore sur le véhicule du voiturier, a pré­cédé leur délivrance, il faudrait de toute façon conclure, compte tenu de ce qui fut stipulé sur les risques, que les con­séquences pécuniaires de la perte s.urve­nue sont à charge de l'intimée» (ici de­manderesse) et « que, de son côté, l'appe­lante (ici défenderesse) aurait été mise dans l'impossibilité matérielle de satisfai­re en entier à son obligation de délivran­ce»,

alors que, première branche, lorsque la chose vendue périt avant la délivrance, la charge de la preuve que la perte est imputable à une cause étrangère incombe au vendeur, tenu de l'obligation de la dé­livrer, que cette règle n'est pas modifiée lorsque les parties ont, par des clauses appropriées, telles que celles stipulées en l'espèce suivant les constatations de l'ar­rêt entrepris, attribué les risques au ven­deur dès l'instant de leur remise au trans­porteur, que, dès lors, en décidant que la perte était pour la demanderesse tout

en constatant que la cause de l'incendie dans lequel les marchandises avaient péri était demeurée inconnue, l'arrêt a mis à charge de la demanderesse une preuve, celle du cas fortuit qui aurait exonéré la défenderesse de son obligation de déli­vrance, qui incombait à celle-ci (viola­tion de l'article 1315 du Code civil et, pour autant que de besoin, des autres dis­positions légales visées au moyen) ;

deuxième branche, s'il est vrai que le vendeur de choses de genre est libéré de son obligation de délivrance lorsque, au moment où elle a péri, la chose se trou­vait aux risques de l'acheteur, la preuve que la perte de la chose est due à un cas fortuit, incombe au ven­tleur, que, dès lors, l'arrêt qui considère que s'il fallait penser que l'incendie litigieux a précédé la délivran­ce, la défenderesse aurait été mise dans l'impossibilité matérielle de satisfaire en entier à son obligation de délivrance et qui relève que la cause de cet incendie n'a pu être déterminée, a, en décidant que la perte des marchandises était pour la demanderesse, imposé à celle-ci la preuve du fait qui exonérait la défende­resse de son obligation de délivrer et, par suite, renversé indûment la charge de la preuve (violation de l'article 1315 du Code civil et, pour autant que de be­soin, des autres dispositions légales visées au moyen);

troisième branche, s'agissant d'une ven­te de choses de genre, la constatation que s'il fallait penser que l'incendie litigieux a précédé la délivrance dès marchandi­ses, il faudrait conclure que, de son côté, la défenderesse aurait été mise dans l'im­possibilité matérielle de satisfaire en en­tier à son obligation de délivrance est, comme telle, impuissante à justifier léga­lement la libération de la défenderesse et la condamnation de la demanderesse au paiement du prix des marchandises dé­truites (violation des articles 1147, 1148, 1302, 1603, 1604, 1624 du Code civil et 97 de la Constitution) :

Attendu que l'arrêt, après avoir con­staté que la vente des bidons de colle litigieux avait été effectuée au poids et au compte, observe que «si l'article 1585 du Code civil devait s'appliquer», les bi­dons « auraient été » aux risques de la venderesse jusqu'à ce qu'ils aient été comptés et que leur poids en eût été vé­rifié;

Qu'à cette considération d'ordre géné­ral, l'arrêt objecte : «Mais attendu que les parties étaient libres de modifier par leurs conventions les effets que l'article 1585 préci~é attribue au poids, au compte ou à la mesure ... ; que, dans le marché litigieux, il n'y avait aucun inconvénient pratique à ce que la colle vendue, mar­chandise telle qu'elle pouvait être aisé­ment distinguée d'autres produits du mê­me genre, ait été mise aux risques de l'intimée (ici demanderesse) avant qu'el­le ait été spécifiée en présence de cette dernière ou de son mandataire éventuel »;

Attendu qu'il ressort de ces motifs non critiqués que le juge du fond a consi­déré que les parties avaient convention­nellement dérogé à la règle énoncée dans l'article 1585 et étaient convenues que la délivrance des marchandises ne serait pas subordonnée aux mesures prévues par ledit article;

Qu'ainsi l'arrêt décide de manière im­plicite mais certaine que l'incendie des bidons de colle en question s'est produit après leur délivrance;

Que le passage des motifs reproduit au moyen révèle par son libellé même, à sa­voir «s'il fallait penser que l'incendie ... a précédé leur délivrance ... il faudrait de toute façon conclure ... », qu'il s'agit là d'une hypothèse envisagée par le juge du fond à titre surabondant;

Que le moyen est, partant, non receva­ble à défaut d'intérêt;

Par ces motifs :

LA Couil. Rejette le pourvoi.

Gand (3e ch.), 25 juin 1971. Siég. : MM. VAN MALLEGHEM, prés.; VERHEGGE et

DUJARDIN, cons. . Min. publ. : M. VANHOUDT, 1'er av. gén. Plaid. : MMes L.J. MARTENS et L. VAN BuNNEN

(Bruxelles), G. CARDON, I. HuBENÉ et A. MEEUS (Anvers).

(Ch. syndicale coteture parisienne et Sociétés Rouf!, Patou et cons. c. divers.)

DROIT D'AUTEUR. - Dessins et modèles. - 1. Qualité pour déposer plainte. - In­térêt moral suffisant. - Poursuites receva­bles. - II. Preuve des droits d'auteur. -Sociétés commerciales. - Application de l'article 2 de l'arrêté royal du 29 janvier 1935. - Présomption de l'article 7 de la loi sur le droit d'auteur. - Applicable aux modèles diffusés sous le seul nom d'une société. - Modèles créés par l'organe d'une personne morale ou par ses préposés. -Propriété originaire de la personne moralè en droit belge. - Solution identique en droit français. - III. Dro1it d'auteur. - Absten­tion de s'informer de l'existence du droit. - Acquisition de patrons à des fins commer­ciales. - Intention frauduleusè réalisée. -Revente et échange de patrons. - Mauvaise foi.

_ 1. - Pour avoir qualité pour déposer plainte en matière de droit d'auteur, il suffit d'être intéressé et de pouvoir pré­tendre avoir été lésé par la contrefaçon, sans que la partie plaignartte doive, pour cela, prouver sa qualité d'auteur, un in­térêt moral étant sllffisant; dès lors la Chambre syndicale dt; la couture pari­sienne, en .tant que représentante d'inté­rêts professionnéls collectifs des mem­bres qui ont adhéré à elle, c'est-à-dire les autres parties civiles, était qualifiée pour déposer plainte car elle avait un droit moral personnel à s'efforcer d'endiguer la contrefaçon. A également qualité pour déposer plainte la société qui peut soup­çonner au début d'une instruction qu'il y ait eu également contrefaçon de ses modèles même si finalement aucune pré­tention n'est retenue en ce qui concerne les modèles et patrons de cette partie ci­vile.

II. - Les sociétés de couture parisien­ne, autres parties civiles, jouissent éga­lement de la protection de la loi car il peut être difficilement dénié que le.i; mo­dèles dont la contre{ açon est l'objet du procès, ont été créés pour compte de ces différentes sociétés commerciales.

Le texte de l'article 2 de l'arrêté royal du 29 janvier 1935 prévoit expressément la possession d'un droit d'auteur dans le elle{ des personnes morales._Dès lors, les modèles en cause qui ont été créés pour compte des plaignantes, soit par un ou

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plusieurs salariés, soit par les organes de la société, doizJent être considérés comme étant à titre originaire la propriété même des sociétés intéressées.

Ce droit originaire trouve son fonde­ment ou bien dans la théorie de l'organe (le créateur du modèle est en même temps organe de la société s'identifiant avec celle-ci) ou bien, suivant une deuxième possibilité, le créateur du mo­dèle est au service de la société en tant qu'appointé.

Dans cette seconde hypothèse, les créa­teurs des modèles sont des appointés au service de la société; payés pour les pre­stations de travail qu'ils fournissent dans le cadre de leur contrat d'emploi, leurs créations, faites dans les liens d'un louage de services, sont la propriété du patron du moins dans leurs éléments matériels. Par conséquent cet employeur devient le titulaire de droits patrimoniaux.

La preuve des droits d'auteur résulte d'ailleurs également de la présomption instituée par l'article 7 de la loi sur le droit d'auteur, en faveur de l'éditeur d'un ouvrage d'un auteur anonyme, étant don­né qu'en l'espèce les auteurs réels per­sonnes physiques n'ont pas été mention­nés.

Il s'en déduit que les modèles litigieux à l'égard des tiers doivent être considé­rés comme un ouvrage anonyme ou en tout cas un ouvrage pseudonyme, lors­qu'ils ont été diffusés seulement sous le nom des sociétés; à cet égard, la loi fran­çaise est encore plus catégorique que la loi belge (art. 8 de la loi du 11 mars 1957).

Les données fournies à l'occasion du présent procès sur l'identité des quelques­unes des personnes physiques qui ont contribué, comme collaborateurs à la création des modèles, ne changent rien à la portée de la présomption légale dès lors qu'aucune de ces personnes ne se prévaut d'un droit d'm1teur à exercer à la place des parties civiles; d'autre part, le terme même d'éditeur mentionné dans l'article 7 a une signification plus large q11i, manifestement, ne se limite pas à la personne qui a fait éditer un ouvrage protégé par la loi szzr le droit d'auteur mais est également applicable à toute per­sonne ou société qui assure la publica­tion et la vente des travaux d'un auteur.

III. - En matière de droit d'auteur, si l'intention méchante est absente, l' exis­tence d'une intention frauduleuse, - par la recherche d'un profit à réaliser au dé­triment de tiers, - suffit pour que l'in­fraction soit retenue.

La prévenue, qui reconnait n'avoir ja­mais acheté directement à des maisons parisiennes de haute couture des patrons à reproduire mais qui les a achetés à un tiers, avoue indirectement son délit; en effet, le caractère frauduleux consiste en­tre autres à s'abstenir préalablement à des achats de modèles ou avant l'exéclltion de copie de s'informer si un droit d'auteur existe; ce défaut de vérification et de recherche est déjà de nature à faire accuser de consciente la prétendue ignorance de la prévenue et à rendre de ce fait la disposition de l'ar­ticle 22, alinéa 2 de la loi sur le ·droit d'auteur applicable.

Eqllivalent à un aveu les déclarations d'autres prévenus où il est reconnu que pour chacun des patrons achetés par eux à la maison X, un modèle a été exécuté dans leur propre atelier pour leur propre collection, qui était la reproduction fi­dèle du modèle français.

Traduction

Préalablement à l'examen du fond. Concernant la qualité pour porter

plainte et concernant la recevabilité de la poursuite du chef des préventions dé­crites sous littera A :

Attendu que le premier juge n'a pas examiné le point de savoir si les pré­ventions prévues au littera A étaient ou non prouvées ma~s a décidé simplement que « à défaut de preuve concernant la vaJidité de la plainte» émanant des par­ties civiles, les prévenus devaient être ac­quittés des poursuites;

Attendu que, suivant le premier juge, le défaut de qualité de la Chambre syn­dicale de la couture parisienne et de la société Jacques Griffe pour se porter par­tie civile, résulte du fait que dans le ca­dre de l'affaire «il était clair qu'ils ne pourraient faire valoir de prétentions en aucun cas relativement au moindre dom­mage » étant donné qu'en effet « il ne ré­sultait de rien qu'ils puissent invoquer la possession de droit d'auteur à quel­que titre que ce soit», tandis que pour les autres parties civiles, ce défaut de qualité résulte de l'absence de preuves dans leur chef relativement au droit d'au­teur invoqué sur les créations de mode visées dans l'exploit introductif d'instan­ce - (dessins, modèles ou toiles) ;

Attendu que, en ce qui concerne le pro­blème ainsi posé préalablement de la re­cevabilité ou de la non-recevabilité de la plainte, une distinction s'im­pose entre la première partie civile, la Chambre syndicale de la couture pa­risienne et les autres parties civiles;

Attendu qu'il convient de dire immé­diatement que le premier juge s'est, à cet égard, rallié à un point de vue erroné, non seulement en ce qui concerne la Chambre syndicale de la couture pari­sienne, mais aussi en ce qui concerne les autres parties civiles;

Attendu qu'il est objecté à bon droit, par la partie civile la Chambre syndicale de la couture parisienne, que pour avoir qualité en la présente matière, il suffit d'être intéressé, en ce sens qu'elle peut prétendre avoir été lésée par la contre­façon ( « se prétend lésée » cf. art. 26 de la loi sur le droit d'auteur) sans qu'elle doi­ve, pour cela, prouver sa qualité d'auteur puisqu'il n'est pas nécessaire d'être titu­laire du droit d'auteur; qu'une présomp­tion de préjudice suffit et que même un intérêt moral est suffisant (cf. P. Recht, Le droit d'auteur en Belgique, p. 873, n°s 3 et 4 - Les Novelles, «Le droit d'au­teur», n:0 587 et n° 590);

Attendu dès lors que le premier juge a décidé à tort que la Chambre syndicale de la couture parisienne n'avait pas qua­lité pour déposer plainte;

Qu'en effet, en tant que représentante d'intérêts professionnels collectifs des membres qui ont adhéré à elle (=les autres parties civiles) elle avait aussi un droit moral personnel à. s'efforcer d'endi­guer la contrefaçon, du moins la trompe­rie en rapport avec les modèles vendus;

Attendu qu'en ce qui concerne la par­tie civile «Jacques Griffe», celle-ci peut faire valoir des droits d'auteur person­nels sur les modèles relevant de son pa­trimoine si bien qu'au début de l'instruc­tion elle pouvait soupçonner qu'il y avait eu aussi contrefaçon de ses modèles;

Qu'elle était donc également en droit de déclencher la poursuite par voie de plainte; que cette plainte, il est vrai, de­vait finalement demeurer simplement de

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principe puisque, à la suite de l'instruc­tion, aucune prévention n'était retenue dans l'ajournement en ce qui concerne des modèles ou des patrons de cette par­tie civile;

Attendu que, pour ce qui concerne les autres parties civiles, d'autres objections complémentaires sont encore soulevées par les différents prévenus;

Attendu que, suivant la loi sur le droit d'auteur, - dont l'article 26 prévoit que le délit de contrefaçon est un délit su­bordonné à une plainte, - seul l'auteur, son cessionnaire ou ayant droit ou en­core tout intéressé (cf. supra) jouit de la protection de la loi en ce sens qu'ils

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peuvent faire valablement poursuivre en tant que partie civile lésée le délit sur plainte en question;

Attendu que - en ce qui concerne plus spécialement les autres parties civiles, -il faudrait encore, suivant les prévenus, qu'ils soit prouvé qu'elles sont titulaires d'un droit d'auteur ou en tout cas d'une fraction ou d'une partie d'un tel droit auquel il a été porté préjudice par con­trefaçon, en d'autres termes qu'ils dispo­sent de droits privatifs sur les modèles dont ils incriminent la contrefaçon mé­chante ou frauduleuse;

Attendu que, à cet égard, les prévenus formulent une première constatation re­lative à l'existence ou non d'une person­nalité juridique des plaignants; attendu que, puisque les personnes morales étran­gères peuvent valablement intervenir . en Belgique, il appartient aux parties civi­les de prouver qu'en tant que prétendues sociétés de droit français, elles satisfont aux formalités légales exigées par leur droit national pour bénéficier de la per­sonnalité juridique auquel cas il peut être admis que la plainte a été déposée par l'organe de la société qui, suivant le droit français, représente cette société légale­ment;

Attendu qu'il a été suffisamment prou­vé par les pièces déposées que les par­ties civiles, suivant le droit français, étaient bien des sociétés qui peuvent in­voquer la personnalité juridique; que la Chambre syndicale de la couture pari­sienne est un syndkat avec une person­nalité juridique constitué conformément à la loi françaisè du 21 mars 1884 mo­difiée par la loi du 12 mars 1920;

Qu'au reste, la personnalité juridique des plaignantes trmIYe son fondement dans les dispositions de l'article 196 des lois coordonnées sur les sociétés commer­ciales de sorte qu'il peut être conclu que les parties civiles ont soit la forme d'une société anonyme soit la forme d'une so­ciété de personnes à responsabilité limi­tée dans leur propre pays, possèdent éga­lement la personnalité morale et sont donc justifiées pour agir judiciairement dans notre pays;

Qu'en ce qui concerne leur identité et leur siège social, aucune confusion n'est possible;

Attendu que, en outre, il peut être dif­ficilement dénié qu"e les modèles dont la contrefaçon prétendue est l'objet du pré­sent procès, ont été créés pour compte de ces différentes sociétés commerciales de droit français;

Que le texte de l'article 2 de l'arrêté royal du 2:9 janvier 1935 prévoit expres­sément la possession d'un droit d'auteur dans le chef de personnes morales;

Attendu que lesp révenus font égale­ment une autre objection concernant l'ap­plication de l'article 7 sur le droit d'au­teur;

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Attendu que les parties civiles en effet invoquent ledit article qui dispose : « L'éditeur d'un ouvrage anonyme ou pseudonyme est réputé à l'égard des tiers en être l'auteur» pour soutenir que cette façon qu'en l'espèce leur qualité de titu­laire du droit d'auteur est prouvée à suf­fisance de droit;

Attendu que cette thèse des parties ci­viles est à cet égard fondée; qu'en con­séquence, c'est à tort que le premier juge a également rejeté l'argument complé­mentaire puisé dans la disposition de l'a.r­ticle 7, contenant la présomption en fa­veur de l'éditeur d'un ouvrage d'un au­teur anonyme;

Attendu en effet que la qualité d'auteur peut résulter à suffisance de la présomp­tion légale instituée par le susdit article; qu'en effet, en l'espèce, les auteurs réels (personnes 'physiques) n'ont, en général, pas été une fois mentionnés;

Qu'il s'en déduit que les modèles liti­gieux, à l'égard des tiers, doivent être considérés comme un ouvrage pseudony­me lorsqu'ils ont été diffusés seulement sous le nom des sociétés; qu'à cet égard la loi française est encore plus catégori­que que la loi belge (art. 8 de la loi du 11 mars 1957);

Que le fait même que certaines des par­ties civiles, à l'occasion du présent pro­cès ont fourni certaines données sur l'identité de quelques-unes des personnes physiques qui ont contribué, comme col­laborateurs, à la création des modèles; ne change rien à la portée de la présomp­tion légale ci-avant, étant donné que des attestations apportées, il résulte suffisam­ment qu'aucune de ces personnes ne se prévaut du droit d'auteur à exercer à la place des parties civiles; qu'ainsi, il doit être admis que les différentes personnes morales sont titulaires des droits d'au­teur; que d'ailleurs, d'un point de vue concret, il n'est que normal que dans une activité aussi typique que celle de la créa­tion de mode, l'éditeur se fasse assister dans les tâches pratiques préparatoires, par des modélistes subordonnés qui n'in­voquent pas leur contribution technique et qui ne prétendent aucunement au titre rl'« auteur»;

Que d'autre part, le terme même d'« édi­teur» mentionné dans le prédit article 7 a une signification large qui manifeste­ment ne se limite pas à la personne qui a fait éditer un ouvrage protégé par la loi sur le droit d'auteur mais est également applicable à toute personne ou société qui assure la publication et la vente des tra­vaux d'un auteur;

Attendu que - toujours pour répon­dre à l'argumentation des prévenus - il convient de préciser que les sociétés ne sont pas seulement en droit d'invoquer la présomption légale de l'article 7 de la loi du 22 mars 1886 sur le droit d'auteur _mais qu'il peut être également admis que, étant donné que les modèles en cause ont été créés pour compte des sociétés plai­gnantes soit par un ou plusieurs salariés soit par les organes de la société (cf. à ce sujet, infra) les modèles doivent être également considérés comme étant à titre originaire la propriété même des sociétés intéressées; que cela résulte expressé­ment de l'article 2 de l'arrêté royal n° 91 du 21 janvier 1935 concernant les dessins et modèles et du rapport au Roi qui pré­cède cet arrêté : « si le dessin ou le mo­dèle est l'œuvre d'un ou de plusieurs sa­lariés, œuvre exécutée pour le compte de la société qui doit en être considérée com­me la créatrice et la propriétaire origi-

naire, la protection s'étendra sur une pé­riode de cinquante ans à dater de la créa­tion».

Qu'en conséquence, l'on peut conclure que les parties civiles sont à considérer comme possédant des droits d'auteur sur les modèles litigieux à un double titre;

Attendu que les prévenus combattent également cette dernière conclusion en­core que son fondement puisse être ap­porté à un double point de vue;

Attendu que ce droit originaire trouve son fondement, ou bien dans la théorie de l'organe de la société (le créateur du modèle est en même temps organe de la société ou encore P.D.G. «Président Di­recteur Général», s'identifiant avec la société elle-même, d'une S.A.) ou bien, suivant une deuxième possibilité, le créa­teur du modèle est au service de la so­ciété en tant qu'appointé;

Que dans la première hypothèse, - ce qui est notamment le cas des sociétés Balmain et Pierre Cardin - où les socié­tés acquièrent des droits par leurs orga­nes, il est clair que lorsque ces sociétés ont l'un de leurs organes qui est en même temps créateur des modèles, elles possèdent « ab origine » des droits d'auteur sur les créations dues à l'initiative de leur gérant ou P .D.G. dans le cadre de l'objet social qui nous occupe;

Que dans une seconde hypothèse -s'appliquant aux autres sociétés - il a déjà été souligné que les créateurs de mo­dèles travailfant dans des rapports col­lectifs, sont des appointés au service de la société de sorte que dans ce cas l'em­ployeur est considéré comme le créateur aux termes de l'article 2 précité de l'ar­rêté royal du 29 janvier 1935;

Que d'ailleurs ces subordonnés sont payés pour les prestations de travail qu'ils fournissient dans le cadre de leur contrat d'emploi de sorte que leurs créations faites dans les liens d'un louage de service, du moins dans leurs éléments matériels, sont la propriété du patron (cf. Van Isacker, De· morele rechten van de auteur, blz. 128); que par conséquent cet employeur devient le titulaire des droits patrimoniaux liés aux créations artistiques de s,es salariés que ce soit tacitement, à la suite d'un contrat d'emploi ou encore expressé­ment à la suite d'accords particuliers de cession ou de transfert;

Attendu, il est vrai, qu'en ce qui con­cerne cette conclusion (relative à la ces­sion ou au transfert) les prévenus invo­quent encore finalement ce qu'est la loi française du 1.1 mars 1957 qui est ici d'application pour ce qui est de la rela­tion des parties civiles à l'égard de leurs modélistes préposés; que l'article ter de cette loi prévoit que l'auteur physique jouit, du seul fait de sa création, de la propriété de son œuvre, même née dans les liens d'un contrat d'emploi et que les droits patrimoniaux qui y sont attachés ne se transmettent à un tiers que par ces­sion ou transfert;

Attendu qu'en principe, c'est en effet la loi française qui à cet égard est appli­cable et non la loi belge;

Que toutefois, la jurisprudence fran­çaise a depuis lors admis à bon droit que le contrkt de louage de services a pour conséqu~nce la cession au profit de l'em­ployeur Ides attributs d'ordre patrimonial afférents à l'œuvre ,créée par les salariés (cf. App. Aix-en-Provence, 21 octobre 1965, Rec. Dalloz, 1966, p. 70 avec note P. Greffe; J.C.P., 1966, 14657 avec note Boursigot) ;

Attendu qu'il y a lieu de tenir compte de cette évolution pragmatique de la ju­risprudence et de la doctrine françaises qui fait écarter avantageusement de l'ap­plication stricte, « au pied de la lettre », des dispositions de la loi française pré­mentionnée dans la mesure où elle a trou­vé déraisonnable que l'employeur qui verse un salaire à un préposé en même temps qu'il met à sa disposition-tout un matériel désigné à la création de dessins et modèles, ne soit pas libre de disposer, à tout le moins des droits patrimoniaux liés aux créations de ses subordonnés, si bien que dans le présent procès aussi, le texte légal prémentionné doit équita­blement être interprété en ce sens que par le simple effet du contrat d'emploi le droit de reproduction et les consé­quences qui y sont attachées appartien­nent à l'employeur (cf. encore à cet égard : Juriscl. «Dessins et modèles», P. Greffe, fascicule X, n° 11 et s.; du même auteur, «Les droits des éditeurs publici­taires» Dalloz, 196ü, p. 4 et s.) ;

Attendu que la réfutation des diverses objections formulées par les prévenus, de quelque façon qu'on les considère, fait apparaître que ce sont les parties civiles elles-mêmes qui sont les uniques titulai­res des droits d'auteurs sur les dessins et modèles invoqués, de sorte qu'en toute hypothèse, c'est à tort que le premier ju­ge a décidé que la preuve qui concerne la validité des plaintes relatives aux faits prévus sous le littera A n'étant pas faites, les prévenus devaient être relaxés;

AU FOND:

AU PENAL:

I. - En ce qui concerne les préventions prévues sous le littera A :

Attendu qu'en premier lieu se pose la question ayant trait à l'originalité ou l'absence d'originalité des dessins et mo­dèles décrits dans la citation;

Attendu que suivant l'article ter de la loi sur le droit d'auteur du 29 janvier 1935, il y a lieu de considérer comme dessins et modèles susceptibles d'être protégés par la loi du 22 mars 1886 sur le droit d'auteur : «toutes combinaisons de lignes, de figures, de couleurs, ou de formes plastiques, dessinées, appliquées, gravées, sculptées, repoussées moulées, tissées, brodées etc... ayant pour but de donner à un produit un aspect nouveau ou une forme originale ».

Attendu toutefois que cette nouveauté ou originalité ne doit pas être absolue et complète (R.P.D.B., tome III, v0 Des­sins et modèles, p. 70ü, n° 15); qu'en ef­fet, toute combinaison nouvelle d'élé­ments déjà connus et appartenant au do­maine public est susceptible de protec­tion du moment que son ensemble pré­sente un nouvel effet ou une ·nouvelle im­pression (cf. R.P.D.B., supra, ibidem) de sorte qu'un résultat nouveau est obtenu qui puisse prétendre à une originalité suf­fisante- que pour se distinguer de réalisa­tions antérieures (Cass., 25 mai 19135, J.T., n° 3471); .

Attendu qu'il y a contrefaçon même en l'absence d'une reproduction servile, dès lors qu'il y a possibilité de confusion en­tre deux modèles dont l'un revêt un ca­ractère original;

Que cette originalité est appréciée sou­verainement par le juge du fond;

Attendu que la contrefaçon de dessins et modèles peut donner lieu à poursuites pénales sur base de l'article· 20 de l'ali-

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néa ter de la loi du 22 mars 1886 s'il y a mauvaise foi, c'est-à-dire si la copie s'est produite méchamment ou frauduleu­sement;

Que cette même mauvaise foi est exi­gée pour l'infràction décrite dans l'alinéa 2 de l'article 22 de la même loi;

Attendu que si l'intention méchante est absente, l'existence d'une intention frau­duleuse - par la recherche d'un profit à réaliser au détriment de tiers - suffit pour que l'infraction soit retenue;

Attendu que, afin d'être informé au su­jet de l'originalité ou l'absence d'origina­lité des patrons et modèles litigieux, dans une matière aussi spéciale et délicate que celle de la mode féminine, il était plus que justifié de confier le soin de l'ex­pertise à un expert féminin dont le rap­port, largement et sérieusement motivé, témoigne d'une compétence profession­nelle étendue;

Que la cour - qui par nature n'est pas versée en cette matière - entend dès lors se ranger aux conclusions de ce rap­port;

Attendu que manifestement le fait qu'il est apparu maintenant de l'instruction que près de 3.000 modèles environ par an sont créés par des maisons de modes spécialisées de Paris, constitue déjà une indication que l'esprit créatif des coutu­riers parisiens - assistés des formes mo­dernes de publicité -- trouve aussi son impulsion et un stimulant dans des rai­sons de caractère spéculatif accordées à la connaissance psychologique de la si séduisante vanité féminine qui, surtout dans notre société actuelle de consomma­tion, cherche à s'extérioriser toujours d'une manière nouvelle;

Que bien que cette considération doive, d'évidence, exercer une influence sur l'appréciation de l'aspect civil à traiter ci-après, cela n'empêche pas que sur le seul terrain de l'expertise, il y ait lieu de suivre l'expert qui, avec une admirable patience, a su faire le nécessaire triage et procéder à une analyse, modèle par modèle, pour ne retenir seulement que les modèles dont l'originalité était suffi­samment manifeste compte tenu des prin­cipes rappelés plus haut;

Attendu qu'il ne peut rlès lors être re­proché à l'expert de n'avoir pas exami­né: (1) si les éléments de chaque œuvre qui

présente un aspect ou une forme qui, au moment de la création, pouvait être qualifié d'original à l'égard de la mode existante, ne pouvait pas être retrouvés dans le passé ou à l'étran­ger;

2) si les éléments que l'expert a considé­rés comme original donnaient à tout le vêtement un nouvel aspect ou une forme originale à l'égard de tous les autres vêtements de la même maison de couture et des autres maisons de couture;

3) si l'originalité litigieuse ne pouvait se retrouver dans d'autres modèles de la même maison ou de concurrent;

Attendu qu'il est suffisamment justifié que l'expert, - ce qui répondait d'ail­leurs à sa mission, - ait comparé les pièces à conviction consistant en patrons, modèles, dessins et photos avec les ori­ginaux afin de déterminer si elles pou­vaient être qualifiées de contrefaçons; qu'elle a en même temps, de façon jus­tifiée, décrit les modèles considérés par elle comme contrefaits, en montrant par quelles combinaisons de. lignes ou de for-

mes (cf. supra : principes) ils présen­taient un aspect nouveau ou une forme originale;

Que l'expert a donc réalisé un rapport sérieux comprenant notamment : 1) un résumé concis contenant les prin­

cipes de l'originalité; 2) un rapport par affaire avec indication

des détails par patron correspondant à une copie du même genre;

Attendu qu'ainsi le rapport d'expertise a fait apparaître que la plupart des exem­plaires saisis sont des copies sérieuses;

Que, pour ce qui concerne les modè­les, patrons et toiles, l'expert a opéré une division tripartite, témoignant du carac­tère consciencieux de son examen, à sa­voir: 1) une première partie comprenant cer­

tains modèles, patrons et toiles bien précisés par elle, qui présentent tou­tes les caractéristiques de l'original, jusqu'au moindre détail;

2) une seconde partie, comprenant une série de modèles qui présentent toutes les caractéristiques des originaux exis­tants, dont ils ont été, sans aucun dou­te, inspirés et dont les différences ex­térieures sont si minimes qu'elles ne peuvent être remarquées par des pro­fanes;

3) une dernière série de modèles qui ne concordent pas avec les pièces à con­viction déposées, probablement par­ce que lors de la constitution des dos­siers par les couturiers, certaines sai­sons ont été confondues;

Attendu qu'après ces constatations gé­nérales, l'expert se livre à un examen pré­cis des modèles, par couturier et par pré­venu, pour formuler enfin ses conclusions par modèle;

Attendu que la cour peut donc se li­miter à faire sienne cette étude appro­fondie sur la motivation de celle-ci qui contient les cas finalement retenus sans devoir tomber dans la répétition, en la recopiant, ce qui serait un travail à la fois sans fin et superflu;

Attendu qu'une fois admise la preuve de la contrefaçon des modèles mention­nés dans la citation, il reste un dernier problème auquel il faut répondre, du point de vue pénal, à savoir l'existence ou non d'un caractère frauduleux, l'in­tention méchante pouvant déjà être im­médiatement exclue;

Que, par conséquent, il y a lieu d'exa­miner si les prévenus ont agi avec l'in­tention de réaliser un profit au préjudice des parties civiles plaignantes et avec la connaissance exigée de l'atteinte aux droits d'auteur de celles-ci, en d'autres termes s'ils ont agi de bonne ou de mau­vaise foi;

Attendu qu'il peut déjà être observé ici, en réponse à l'objection formulée re­lativement à l'éventuelle prescription de certains faits que, en toute hypothèse (au cas où l'intention frauduleuse existe) les faits retenus doivent être considérés com­me la succession de plusieurs comporte­ment délictueux maintenus systématique­ment en fonction d'une même intention délictueuse de sorte que la prescription -- qui ne commence à courir qu'à partir de la date où le dernier de ces faits a été accompli - n'est pas acquise pour ces faits puisqu'elle a été régulièrement interrompue par le renvoi, ordonné en 1969; 1° A l'égard de la première prévenue G ...

Attendu que cette prévenue fait valoir qu'elle a acheté les patrons de bonne foi

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à des personnes connues dans le monde de la mode et dont elle savait qu'ils se trouvaient en rapport avec des couturiers français, de telle sorte qu'elle a pu être convaincue que la vente était autorisée;

Que n'étant pas en possession d'une carte d'acheteur, de l'une de ces maisons de mode où l'interdiction de vente est mention née, elle n'était pas au courant non plus des stipulations contractuelles que les couturiers parisiens imposent à leurs cocontractants;

Attendu que cette explication assez sim­pliste de la prévenue peut difficilement être admise;

Qu'en effet, il résulte des données du dossier répressif que la prévenue qui ex­ploite sa propre affaire de couture, assez importante, est très familiarisée avec les usages et négociations du monde de la couture;

Qu'elle reconnaît même n'avoir jamais acheté directement à des maisons pari­siennes de haute couture connues des mo­dèles ou patrons car ces achats impli­quent l'assistance à Paris à des défilés fü~ mode où il faut acheter pour un mon­tant minimum tandis que la possibilité en Belgique existe de se procurer à des prix et à des conditions plus avantageu­ses des modèles auprès des maisons qui assistent à ces défilés à Paris et y font leur choix;

Que cette explication louvoyante ren­ferme déjà un aveu indirect; qu'elle re­connaît en même temps avoir vu chez Kreitz les collections exécutées mais ne s'être jamais souciée de savoir s'il s'agis­sait de modèles achetés à Paris ou exécu­tés dans l'atelier K ... même;

Que précisément le caractère fraudu­leux consiste, entre autres, à s'abstenir préalablement à des achats de modèles ou avant l'exécution de copies, de s'infor­mer si un droit d'auteur existe; que ce défaut de vérification et de recherche est déjà de nature à faire accuser de con­sciente la prétendue ignorance et à ren­dre applicable de ce fait la disposition de l'article 22, alinéa 2 de la loi sùr le droit d'auteur du 22 mars 1886, R.P.D.B., v 0 Droit d'auteur, n° 189);

Que d'ailleurs, de l'ensemble des don­nées disponibles surgit à tout le moins la présomption sérieuse que la prévenue n'a pu se tromper sur la qualité suspecte de ses cocontractants (les maisons K ... et A ... ) dont elle a manifestement dû sa­voir qu'elles n'étaient pas mandatées par les maisons de couture parisienne aux fins d'accorder en leur nom des autorisa­tions de reproduction de leurs modèles; que même le fait que «Vogue» édite des patrons déterminés ne constitue pas un argument en sa faveur - comme la pré­venue entend soutenir - étant donné qu'il est notoirement connu que «Vogue» a obtenu l'autorisation de diffuser cer­tains modèles sous certaines conditions, modèles également qui ne présentent rien de commun avec ceux qui ont été contre­faits n'a été réalisé sur base de patrons édités par «Vogue»;

Attendu que la thèse de la prévenue ne peut davantage être suivie lorsqu'elle soutient que peuvent seulement entrer en ligne de compte pour sa condamnation éventuelle les patrons dont elle reconnaît finalement la contrefaçon (soit les sept patrons décrits dans ses conclusions du 2.9 avril 1971) tandis que pour le reste des patrons et modèles - considérés éga­lement par le rapport d'expertise comme contrefaits - elle devrait rester impunie pour la raison que, selo.n elle, la posses-

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sion, en elle même, n'est pas incriminée par la loi;

Attendu qu'en réponse à ce dernier ar­gument, il faut remarquer que la préve­nue a acquis conscienmment tous les mo­dèles ou patrons contrefaits en sa pos­session à des fins commerciales, à savoir pour leur exécution et en même temps avec la connaissance et l'intention de pouvoir se soustraire au paiement des droits revenant aux véritables créateurs;

Attendu qu'il est ainsi superflu de s'étendre sur les données très relevantes fournies par la prévenue De W ... qui ex­plique en détail comment il est entré en contact avec la maison G... à Gand « . . . avec laquelle il y avait des affaires à réaliser » ;

2° En ce qui concerne le deuxième pré­venu, B ...

Attendu que les faits mis à charge du prévenu sont très clairement prouvés par les données du dossier répressif; que plus précisément il est prouvé que le prévenu · en tant qu'exploitant responsable de la maison X... à Bruxelles a été un chaînon important dans l'escroquerie des patrons et modèles manifestement frauduleuse­ment acquis; que tel est aussi le cas pour les patrons et modèles mentionnés à sa charge dans la citation et pour lesquels aucune preuve d'achat régulier n'a pu être fournie ;

3° A l'égard du troisième et du quatriè­me ·prévenus.

Attendu que les faits mis à charge de ces prévenus sont prouvés à suffisance par les données de l'instruction répressi­ve;

Attendu .que le troisième et le quatriè­me prévenus, sont les gérants de la P.V.B.A. K ... à Anvers; que l'énorme in­struction en ce qui les concerne a pu dé­montrer que cette maison était un dès plus grands fournisseurs frauduleux de modèles de couturiers parisiens;

Qu'ils ont toutefois reconnu n'avoir ja­mais été en possession d'une carte d'ache­teur et avoir, à partir de 1963 déjà sur­tout chez B ... , deuxième prévenu, com­mencé à acheter des patrons à 2.500 francs pièce;

Que le prévenu W... ne cache pas qu'existe, presque entre toutes les gran­des maisons de mode de Belgique, un « un commerce intense » de patrons pari­siens;

Que les patrons qu'ils ont acheté de B ... ont été échangés par etix à l'étranger tan­dis qu'il est arrivé également que des co­pies faites par eux de ces patrons aient été revendues à des maisons belges de haute couture; ·

Attendu qu'il n'est donc pas question dans leur chef de bonne foi;

Qu'équivalent à un aveu leurs déclara­tions où il est reconnu que pour chacun des patrons acheté par eux à la maison B ... un modèle a été exécuté dans leur propre atelier pour leur propre collec­tion « ces modèles étaient la reproduction fidèle du modèle français» ... «des pa­trons que nous échangions ou que nous revendions, nous faisions nous-mêmes une copie du patron des croquis et des références que nous adressions aux clients»;

Attendu que les prévenus font encore valoir que l'interdiction de reproduire des modèles protégés ne résulterait que d'un accord, de sorte qu'il ne pourrait leur être reproché d'avoir copié des mo­dèles étant donne qu'ils n'ont conclu au,.

cun accord avec les parties civiles· inté­ressées et que par conséquent aucune vio­lation de contrat ou d'engagement ne peut leur être reprochée à faute;

Attendu que ce point de vue ne tient manifestement pas étant donné que l'in­terdiction de reproduire des modèles ori­ginaux résulte de la loi elle-même (art. i er de la loi du 22 mars 1886).

4° En ce q11i concerne le cinquième et le sixième prévenus.

Attendu qu'en ce qui concerne ces deux prévenus, le caractère pénalement répréhensible des faits mis à leur charge n'est pas prouvé à suffisance de droit étant donné que des données de l'affaire il peut être admis qu'ils ont agi de bonne foi;

Attendu en effet que l'affaire commer­ciale N ... , couturier-fourreur, . établi à Liège, fut exploitée par feu N ... , décédé le 2:0 septembre 1966, lequel dirigeait en­tièrement cette affaire, sans intervention des prévenus, respectivement son épouse et son fils;

Que les faits reprochés se situent avant le décès de N ... ;

Qu'en outre l'intervention occasionnel­le des prévenus dans l'affaire paraît avoir été une exécution absolument de bonne foi d'instructions de feu N... qui était à l'époque malade mais continuait à diri­ger l'affaire;

Que leur bonne foi doit donc être ad­mise même si, sur instructions de feu N ... , ils se sont procurés quelques pa­trons- auprès de la maison K. .. à Anvers, sans qu'évidemment j.ls aient été initiés à la technique particulière et aux obli­gations découlant de telles négociations;

II. - En ce qui concerne la prévention prévue sous littera B.

Attendu que le premier juge a déclaré, à hon droit, les faits non établis dans le chef de tous les prévenus;

Attendu qu'il ne résulte de rien que les prévenus aient jamais trompé le moindre acheteur concernant la nature ou l'origi­ne de la chose vendue puisqu'en aucune façon il n'a été prouvé que les prévenus aient vendu des vêtements, modèles, pa­trons ou des toiles qui soient semblables en apparence à ceux que les acheteurs avaient acheté ou croyaient acheter, à savoir comme étant authentiquement ori­ginaires des. sociétés parties civiles en cause ou encore comme présentés sous le nom de ces parties civiles;

Que d'ailleurs aucun acheteur de vê­tements n'a été entendu; qu'à cet égard aucune plainte n'est connue et que d'au­tre part les prix des vêtements tels que mentionnés dans le dossier répressif dé­montrent déjà en eux-mêmes que les acheteurs ou acheteuses étaient suffisam­ment au courant de ce que les pièces q1i'ils achetaienf n'étaient pas fabriquées par les maisons de mode françaises;

Que de même aucune tromperie n'a existé manifestement lors de la vente ou de l'achat de modèles et patrons telle qu'elle est visée à l'article 498, alinéa 3 du Code pénal.

SUR LE PLAN CIVIL :

Attendu que les préventions décrites et retenues sous le littera A à charge de la première, deuxième et quatrième préve­nue sont en lien direct de cause à effet avec le préjudice subi par les parties ci­viles;

Attendu que, étant donné que le cin­quième et le sixième prévenus sont ac­quittés, la cour doit se déclarer incom­pétente pour statuer au sujet des deman­des des parties civiles dans la mesure où elles sont dirigées contre ces préve­nus;

Attendu qu'en ce qui concerne le se­cond prévenu, il est fait état par les par­ties civiles d'un paiement transactionnel effectué par lui de sorte qu'aucune de­mande n'est dirigée contre lui; que ce­pendant ni le montant ni le contenu de ce règlement amiable n'a été révélé de sorte qu'un élément important de com­paraison est refusé à la cour;

I. -- A l'égard de la demande formulée par la Chambre syndicale de la couture parisienne.

Attendu que l'action de cette partie ci­vile en tant qu'elle est dirigée contre G ... , D ... et De W ... et tend à la condamnation de chacun d'entre eux à la somme de 1 franc comme préjudice moral est re­cevable et fondée pour les motifs déjà énoncés plus haut;

Qu'il n'existe pas de raison d'ordon­ner la publication du présent arrêt aux frais des condamnés pour les raisons qui seront indiquées ci-après;

II. - A l'égard des demandes des autres parties civiles (voy. jugt n°5 8 à 21 -actuellement n°ll 2 à 15 à l'exception de la S.A .. Jacqzzes Griffe qui n'introduit pas de demande).

Attendu que les actions de ces parties civiles en tant qu'elles sont dirigées con­tre G ... , D ... et De W ... sont recevables et partiellement fo!1dées; . Attendu toutefois que le dommage ma­tériel subi par ces parties civiles ne peut être chiffré mathématiquement pour les raisons explicitées ci-dessous;

Attendu que les parties civiles en pre­mier lieu invoquent le fait que par l'ac­quisitiOn irrégulière de modèle, patron ou copie de ceux~ci, les prévenus ont réa­lisé des économies en échappant au prix véritable qu'ils auraient dû payer, sui­vant des tarifs déterminés, en cas d'ac­quisition régulière;

Attendu que ce point de vue n'est que partiellement valable; qu'en effet, dans leurs conclusions, les parties civiles re­connaissent elles-mêmes que le prévenu B ... agissant pour la PVBA a été la sour­ce principale des agissements irréguliers;

que par conséquent, en raison de la transaction conclue avec B ... , une cer­taine indemnisation a déjà été obtenue;

Que d'autre part, en ce qui concerne l'affirmation du prix d'achat épargné, il y a lieu de mentionner que pour les « non -Français » le prix d'achats en de­hors du modèle, du patron et de la toile, comprend un certain droit de reproduc-tion limitée; ·

Attendu que les parties civiles invo­quent ensuite toute sorte de coûts et de frais (par exemple des frais de voyage et de déplacement, coùts de conversa­tions et de visites) occasionnés par une recherche rayonnant largement à travers tout le pays;

Attendu toutefois que tous ces frais ne peuvent être mis à charge des trois pré­venus p11isque pas mal de secteurs d'in­vestigation ont eu lieu où aucun d'entre eux n'avait rien à voir;

Que par ailleurs, suite à l'enquête ré­pressive, les parties civiles ont déjà oh-

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tenu un avantage appréciable, par le fait que les larges investigations de cette in­struction ont permis de démanteler un marché d'échange parallèle de patrons en dehors de la Belgique et auquel les ac­tuels prévenus sont totalement étrangers;

Attendu enfin que les parties civiles invoquent encore un préjudice commer­cial causé par la perturbation du marché normal engendrée par les délits : confu­sion jetée dans le monde de la mode, em­pêchement de la diffusion régulière des modèles en bref, préjudice porté à la ré­putation et au nom des couturiers inté­ressés;

Attendu qu'il est certain qu'un préju­dice commercial a été infligé à la suite des infractions commises; que toutefois ce préjudice ne peut se fonder sur des données ou des documents concrets et contrôlables qui permettraient d'en me­surer la répercussion sur le volume de leurs propres activités et de déterminer les pertes de profit sur le marché normal tenant compte de l'ensemble des circon­stances;

Que cependant on n'aperçoit pas com­ment les trois seuls prévenus déclarés responsables auraient pu causer un impor­tant préjudice à la clientèle des parties civiles à Paris ou sur le territoire fran­çais, clientèle évidemment différente de celle des trois exploitants prémentiOnnés de maisons de mode belge;

Attendu que l'importance finale de la présente affaire de mode doit être rame­née à sa proportion véritable; qu'à ce propos, il y a lieu de penser que le prin­cipe de la mode n'a jamais évolué à un tel rythme qu'aujourd'hui si bien qu'il y a lieu de n'attribuer au travail créatif mais extrêmement éphémère des coutu­riers la seule importance qui lui revient;

Attendu que tenant compte de toutes ces données et considérations, il apparaît fondé de déterminer ex aequo et bono le préjudice subi par les parties civiles en ayant en même temps à l'esprit le nombre respectif des modèles et patrons;

Attendu qu'ainsi, à charge de G ... il peut être reconnu à titre d'indemnité aux différentes parties civiles ce qui suit:

Attendu qu'il n'y a pas lieu, comme le demandent les parties civiles, d'ordon­ner que le présent arrêt soit publié aux frais des condamnés;

Que toute autorisation de publication aux frais des prévenus apparaît non fon­dée et a perdu comme forme de répara­tion son intérêt actuel en raison des con­sidérations développées ci-avant;

Attendu qu'en vertu de la disposition de l'article 23 de la loi du 22 mars 1886 sur le droit d'auteur, la confiscation des modèles, patrons et toiles contrefaits sai4

sis respe~tivement chez eux ne peut être prononcées qu'à charge des seuls con­damnés;

Par ces motifs :

LA CouR. Déclare à l'unanimité les faits décrits

au littera A prouvés à charge de la pre- ·~ mière prévenue H ... , du deuxième pré­venu B ... , du troisième prévenu D ... et du quatrième prév.enu D.W ... et con­damne de ce chef chacun des pré­venus à 100 francs, cette amende aug­mentée de 190 décimes, étant ainsi portée à 2.000 francs pour chaque amen­de de 100 francs.

Déclare la prévention prévue sous le Iittera A non établie dans le chef des cinquième et sixième prévenus, L. .. et N ... ; acquitte ces deux prévenus con­cernant ces faits de la poursuite sans frais;

Déclare confisqués les modèles, pa­trons et toiles ou copies de ceux-ci saisis chez le premier, deuxième, troisième et quatrième prévenus, à savoir ceux, en ce qui les concerne, décrits dans l'exploit introductif;

Ordonne la restitution des autres piè­ces saisies aux propriétaires légitimes;

Confirme le jugement attaqué à l'égard des dispositions relatives aux préventions prévues sous le littera B;

Sur le plan civil : Met à néant le jugement attaqué dans

toutes ses dispositions; Emendant et statuant au fond, se dé­

clare incompétent pour statuer concer­nant les demandes des parties civiles en tant qu'elles sont dirigées contre le cin­quième et le sixième prévenus, eu égard à l'acquittement de ces deux prévenus;

Déclare fondée l'action de la partie ci­vile Chambre syndicale de la couture pa­risienne, en tant qu'elle est dirigée con­tre les trois mêmes prévenus;

Condamne en conséquence G ... , D ... et De W ... à payer à titre de dommage moral la somme de un franc à la Chambre syn­dicale de la couture parisienne augmen­tée des intérêts judiciaires à partir de ce jour;

Condamne G ... à payer à titre de dom­mages-intérêts aux parties civiles sui­vantes, respectivement : 1) à la S.A. Pierre Balmain 5.000 FF

en principal; 2) à la société Madeleine De Rauch

·6:00 FF en principal; 3) à la S.A. Jacqueline Godard WO FF

en principal; 4) à la S.A. Jacques Heim 1.20:0 FF en

principal; 5) à la S.A.R.L. Guy Laroche 400 FF en

principal;

541

6) à la S.A. Jean Patou 1.700· FF en principal;

7) à la S.A.R.L. Nina Ricci 1.400 FF en principal;

8) à la S.A.R.L. J.L. Scherrer 120 FF en principal;

toutes ces sommes principales exprimées en francs français à changer et à payer à leur contrevaleur en francs belges au cours d'aujourd'hui augmentées des in­térêts judiciaires à partir d'aujourd'hui;

Condamne D... et De . . . in solidum, à payer à titre de dommages-intérêts aux parties civiles suivantes respectivement : 1) à la S.A. Pierre Balmain 6.000 FF en

principal; 2) à la S.A. Castillo 200 FF en principal; 3) à la société Madeleine De Rauch

1.500 FF en principal; 4) à la S.A.R.L. Christian Dior 4.000 FF

en principal; 5) à la S.A. Jeanne Lanvin 1.500 FF en

principal; 6) à la S.A.R.L. Guv Laroche 1.000 FF

en principal; ~ 7) à la S.A. Jean Patou 4.000 FF en

principal; 8) à la S.A.R.L. Nina Ricci 2.500 FF

en principa:l; 9) à la .S.A.R.L. Pierre Cardin 5.00 FF

en principa'l; 10) à la S.A. Maggy Rouff :200 FF en

principal;

toutes ces sommes en principal libellées en francs français étant à convertir et à payer à leur contrevaleur en francs bel­ges au cours d'aujourd'hui et augmentées des intérêts légaux à partir d'aujourd'hui.

Entend que les parties civiles suppor­teront le reste de leurs frais respectifs;

Dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner la publication du présent arrêt aux frais des prévenus ni d'autoriser les parties civiles à faire publier ledit arrêt à titre de ré­paration judiciaire aux frais des préve­nus.

Maison Ferdinand LARCIER,. S. A. Éditeurs RUE DES MINIMES, 39 - 1000 BRUXELLES - C.C.P. 423.75

VIENT DE PARAITRE

Georges BRICMONT Avocat à la Cour d'appel de Bruxelles

LA RESPONSABILITÉ DES ARCHITECTE ET ENTREPRENEUR

AVEC LA COLLABORATION DE

Jean-Marie PHILIPS Avocat à Bruxelles

TROISIEME EDITION COMPLETEE ET MISE A JOUR

Un volume in-8°, 232 pages . 850 FB

Page 14: 86° ANNEE - N° IRIBIJnlJX...(110) Recueil, X, 1964. 1225. (111) Recueil, IX, 1963, 7 (affaire n08 26-62). EDITEURS: MAISON FERD. LARCIER S. A. Rue des Minimes, 39 1000 BRUXELLES

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LA CHRONIQUE JUDICIAIRE

Une profession sans avenir C'était, en 1834 celle d'exécuteur des hautes œuvres, celle du bourreau investi de la

pénible charge de manœuvrer la guillotine. Ce n'était déjà plus une profession stable et son avenir était compromis par l'érosion du droit pénal existant.

En 1821 avait disparu de la scène des moralistes et des politologues Joseph de Maistre. On sait assez combien une page, plus exactement un passage célèbre des Soirées de Saint­Pétersbourg (1) a été reprochée a un homme qui ne manquait ni de cœur, ni d'esprit de finesse. Gustave Lanson a reconnu en lui « le plus respectable et le plus tendre des pères » (2). L'impact de la redoutable doctrine de la vengeance publique n'a été, du reste, ni universel ni immédiat à l'époque.

Il résulte, en tout cas, de la lettre qu'on va lire (3), elle ne prétend pas à l'humour noir mais témoigne de la conscience professionnelle de son auteur, que, dès 1826, la position de non-activité de certains des fonctionnaires de la guillotine était prévue par le ministre de la Justice.

La missive est adressée le 11 mars 1834 par Auguste Harmignie, procureur du Roi à Mons, au procureur général à la cour d'appel de Bruxelles.

Il ne s'agit de rien de moins que de suggérer au procureur général ce qu'on pourrait, sans abuser au sens des termes, qualifier de « rationalisation » dans l'emploi des bois de justice et dans celui du personnel affecté a leur service.

C'est la grandeur, c'est aussi, la servitude du ministère public d'être appelé a traiter avec la hiérarchie de tous les thèmes qui intéressent l'exécution des actes de justice; des «hautes » œuvres comme des autres.

On rendra cette justice au procureur du Roi de Mons. et ici, nous empruntons le termes de la loi d'organisation judiciaire en matière de mercuriales de rentrée de l'avoir fait en vo­cables « convenables à la circonstance ».

Il s'agit, en somme, de faire subir à certains exécuteurs de hautes œuvres ce que sans ironie on peut qualifier de véritable capitis deminutio, de privation d'emploi, assortie toutefois de conservation du traitement.

Ample sujet pour les fervents du droit administratif que cette position de' non-activité «par cessation d'emploi» dans l'intérêt, non pas du service, mais de la vie humaine.

Il faut faire ce qu'il faut... Le procureur du Roi de Mons ne perd pas de vue que le non-emploi de la guillotine durant un certain temps a pour effet d'en compromettre le bon état. Il relève fort à propos que l'instrument n'a « heureusement » servi qu'une seule fois depuis quelques années !

On portera au crédit de l'auteur de la lettre qu'il se soit aventuré non pas au cours d'un aparté, non pas au cours d'un entretien privé au palais, mais dans une lettre de service, à qualifier le mode légal, et alors en vigueur, de la procédure par voie. de contumace, de «ridicule» ! Comme l'exprime savoureusement l'argot parisien, le procureur du Roi de Mons ne craignait pas de se « mouiller », au palais et ailleurs.

Trait. d'époque: l'importance réservée aux économies sur les menues dépenses (4), trait d'époque la forme assez paternaliste sous laquelle le procureur du Roi désigne· les fonc­tionnaires de la guillotine : « ces sortes de gens »; trait d'époque, le rappel du vocable « Monsieur» sous l'énoncé de la qualification du haut magistrat à qui la lettre est adressée. Le procureur du Roi Harmignie ne s'adresse pas seulement à son supérieur hiérnrchique. C'est au Monsieur qui occupe ces fonctions élevées qu'il° entend parler !

R.W.

(1) Voici le texte qui a été l'objet de tant de gloses non contrôlées : «Toute grandeur, toute puissance, toute subordination repose sur l'exécuteur; il est l'horreur et le lien de l'association humaine. Otez du monde cet agent incompréhensible; dans l'instant même l'ordre fait place au chaos, les trônes s'abîment et la société disparaît» (Soirées de Saint-Pétersbourg, Bruxelles, De Mat, 1845, t. 1., p. 36). On est, bien sûr, aux antipodes de la « défense sociale » actuelle. Le gentilhomme savoisien était de son époque. Les com­mentateurs ont assurément prêté à un riche. Mais ils ont été trop généreux ...

(2) G. Lanson, Histoire de la littérature française, Paris, 1968, p. 898.

(3) Arch. gén. Parquet général, n:0 68.

(4) Cfr., in fine, la suggestion de rappeler au service ... actif l'exécuteur des hautes œuvres, admis à la pension à la suite de cessation d'emploi.

Mons, le 11 mars 1834.

Le procureur du Roi, à Monsieur le procureur général.

Monsieur,

J'ai l'honneur de vous adresser le relevé demandé par la dépêche de Monsieur le mi­nistre de la Justice jointe à votre lettre du 7 de ce mois, n° 496.

Quant aux traitement des exécuteurs, vous n'ignorez pas qu'ils ont été fixés par un arrêté du 3 Z octobre 1826, lequel cependant laisse en jouissance de leurs traitements anciens les exécuteurs lors existants.

Quant à la diminution du nombre des exécuteurs et de leurs aides, je la crois très possible. Cependant, je tiens que ceux actuel­lement existants devraient être dans tous les cas maintenus dans la jouissance de leurs traitement ou au moins d'une pension suffi­sante jusqu'à leur décès. On sent assez que ces sortes de gens ne pourraient guère trouver dans la société d'autres moyens d'existence. Toutefois, les avis que demande à cet égard Monsieur le ministre de la Justice me parais­sent devoir être subordonnés aux modifica­tions à apporter à notre système pénal. Sans doute si la peine de mort était sinon abolie au moins restreinte à des cas très rares, si la peine du 'carcan, comme peine principale était supprimée, si celle de la marque l'était aussi, si l'on restreignait encore à des cas très rares l'exposition publique préalable (si toutefois on ne se détermine pas à la supprimer en­tièrement comme inutile, en y substituant plu­tôt dans certains cas l'impression et l'affiche du jugement par procès-verbal d'huissier, ce que ·pour mon compte je tiens comme bien préférable). Si enfin, l'exécution des arrêts de contumace aussi ridicule que la procédure elle-même était aussi supprimée, alors je di­rais qu'un seul maître des hautes œuvres et quelques aides résidant dans la capitale suf­firaient pour tout le royaume. La dépense de frais de transport et de séjour réglée par un tarif modéré serait loin d'atteindre les traite­ments énormes que l'on paie à neuf ou dix exécuteurs et plus du double d'aides, et il y aurait une réelle économie. Il suffirait aussi, dans ce cas, d'un seul instrument de mort, entretenu par leurs soins dans· un état con­venable de service, et qui serait transporté là où devraient avoir lieu de rares exécutions. L'entretien de ce matériel dans chaque pro­vince forme une dépense plus considérable qu'on ne le croit. Depuis peu d'années, à ma connaissance, cet entretien a coûté dans le Hainaut plus de 400 francs, l'instrument n'a heureusement servi depuis lors qu'une seule fois, et je tiens que si l'on devait aujourd'hui en faire usage, il nécessiterait de nouvelles réparations plus ou moins coûteuses.

Que si notre système pénal restait tel qu'il est aujourd'hui ou n'était que peu modifié sous le rapport des exécutions publiques, en­core alors je penserais qu'il y aurait économie n'entretenant qu'un seul instrument de mort, et un seul exécuteùr avec deux aides dans chaque chef-lieu de cour d'appel, et que ce personnel suffirait aux tristes nécessités qui se présenteraient dans tout le ressort de cha­cune d'elles. Dans l'un comme dans l'autre de ces systèmes, on opérerait économie en appe­lant successivement aux charges d'exécuteurs maintenues, qui viendraient à vaquer, les exé­cuteurs supprimés qui auraient été pensionnés. La pension ne leur serait provisoirement ac­cordée qu'à cette condition de reprendre un service actif lorsqu'ils y seraient appelés.

Agréez, Monsieur le Procureur général, les nouvelles assurances de mes sentiments distingués.

Page 15: 86° ANNEE - N° IRIBIJnlJX...(110) Recueil, X, 1964. 1225. (111) Recueil, IX, 1963, 7 (affaire n08 26-62). EDITEURS: MAISON FERD. LARCIER S. A. Rue des Minimes, 39 1000 BRUXELLES

Non, les Français ne sont pas seuls à défendre leur langue qui est aussi la nôtre. A preuve, la récente publication, par !'Of­fice du bon langage, et sous le patronage de la Fondation Charles Plisnier, de Chasse aux belgicismes, sous la triple signature de

. Joseph Hanse, Albert Doppagne et Hélène Bourgeois-Gielen. Les lecteurs du Journal des Tribunaux du Travail bénéficient sou­vent de la chronique de langue qu'y rédige celle-ci.

Quoique les 160 pages de ce volume soient consacrées à la langue courante, et guère à celle du Palais, chacun aura inté­rêt à les lire, de manière à se rappeler entre autres que les accisiens n'existent pas, qu'on s'accapare quelque chose, qu'aucune œuvre n'est caritative, qu'un livre se coupe et ne se découpe pas, qu'on renforce mais ne déforce pas, qu' entièreté est aussi ima­ginaire qu'exemplatif, que le bourgmestre marie et les fiancés épousent, qu'on ne sau­rait se méconduire, qu'un argument ne se rencontre pas, qu'on peut renseigner quel­qu'un sur quelque chose, et jamais quelque chose à quelqu'un, que rétroactes n'existe pas, etc., etc.

Nonobstant ma gratitude et mon admira­tion envers les auteurs de ce précieux ma­nuel, j'avais cru y découvrir une faute là où ils écrivent : « tout sympathiques que sont ces mots, il faudra y renoncer >,

Que sont ou que soient? «Tout ... que, enseigne Grévisse, marque

ordinairement la réalité d'un fait et, selon l'usage classique, régit l'indicatif... Cepen­dant, chez les auteurs modernes, tout ... que, par analogie avec si... que, se con­struit le plus souvent avec le subjonctif».

De même, dans son Nouveau (et précieux) dictionnaire des difficultés du français (Ha­chette - Tchou), Jean-Paul Colin écrit que « cette locution conjonctive, à sens conces­sif, se construit de plus en plus avec le subjonctif, alors que l'indicatif était tenu jadis pour seul correct >. .

André Thérive jugeait déjà qu' « il n'est pas. un écrivain sur vingt, même habillé de vert, qui construise encore tout ... que avec l'indicatif ».

René Georgin conclut, lui, que « le fait que tout ... que, jadis construit avec l'indi­catif, se construise souvent aujourd'hui, par analogie avec quelque ... que, avec le sub­jonctif, sans que l'expression ait aucune­ment changé de sens, prouve qu'il ne faut pas attacher trop d'importance à la défi­nition toujours fort arbitraire des modes >.

L'Académie demeure plus classique et, dans la dernière édition de sa grammaire, affirme encore que «les expressions pour ... que, si... que, tout... que, accompagnées d'un adjectif, marquent une restriction ou une opposition; les deux premières se con­struisent avec le subjonctif, tout ... que avec l'indicatif ».

L'un de nos trois auteurs lui-même, Jo­seph Hanse, en son dictionnaire des diffi­cultés grammaticales, prêche le libre choix.

Non, Madame, non, Messieurs, vous n'avez pas failli.

TERTIUS.

DOCUMENTATION

Le procès de l\f arrakech. Les associations d'étudiants des Universités

de Bruxelles, Liège et Louvain ont adressé au monde politique belge et à diverses associations nationales et internationales la lettre ci-des­sous. A cette lettre est jointe une chronologie des événements au Maroc de 1944 à 1971. Le Cercle du libre-examen de l'U.L.B. fournit des renseignements complémentaires. (22, ave­nue Paul Héger, 1050 Bru.,;elles.)

Le procès intenté le 14 juin dernier à Mar­rakech contre 193 citoyens marocains apparte­nant au parti d'opposition Union nationale des forces populaires, accusés d'atteinte à la sûreté intérieure de l'Etat, touche à sa fin .

Sans prétendre augurer des sentences qui se­ront rendues à l'encontre des inculpés, le Cer­cle du libre-examen de l'Université libre de Bruxelles, l' Association générale des étudiants de l'Université catholique de Louvain et l'Union générale des étudiants de l'Université de Liège ont pris l'initiative de vous faire part des inquiétudes que leur inspire l'action en COUTS devant le tribunal criminel de Marrakech. Ce faisant, ils espèrent susciter auprès de vous et de ceux que vous représentez les interven­Lions les mieux appropriées en faveur des pré­venus, dont le sort encourt des dangerss cer­tains.

Il ressort tant de lia nature des comptes rendus de journaux que des rapports d'observateurs d'organismes internationaux, comme celui de la Fédération internationale des droit de l'hom­me, que le procès n'a pu établir à charge des inculpés le bien-fondé des griefs et que les aveux avaient été obtenus dans des conditions à tout le moins discutables par la durée de la mise aTL secret, qui s'était prolongée pour cer­tains des accusés à un an et demi, et par les plaintes quant aux traitements subis pendant cette période.

La livraison, en février 1970, de deux des in­culpés tenus par le chef d'accusation pour l'âme du « complot)), en violation du droit international et de la législation espagnole, par les autorités de Madrid au gouvernement marocain et à la demande de celui-ci, nous inciterait à penser que l'actuel procès, tout en simulant le respect des formes de la procédure, se devra d'entériner des décisions pré-établies.

Les derniers événements au Maroc ont per­mis à l'opinion mondiale de mesurer la gravité de la situation politique, économique et so­ciiale dans ce pays. Au moment où la nécessité de transformations fondamentales, d'une meil­leure répartition du revenu national et de la mise en place d'institutions véritablement démo­cratiques n'est plus à démontrer, les peines qui frapperaient les prévenus du procès de Marra­kech jetteraient sur le régime marocain, déjà impliqué dans l'assassinat du leader politique Mehdi Ben Barka, un discrédit supplémentaire.

Les exécutions sans procès, après l'épisode du 10 juillet dernier, d'éléments de l'armée marocaine, ne sont pas de nature à apaiser nos appréhensions. Les 48 condamnations à mort et les 122 détentions à perpétuité que vient de requérir le procureur du Roi, jointes au refus des avocats. en accord avec leurs clients, de plaider vu le caractère outrancier et non con­forme à la vérité des accusations du procureur, sont révélateurs quant à l'issue. du procès. Ces divers éléments rendent plus indispensables que jamais les démarches auprès des autorités ma­rocaine8 afin que l'irréparable ne soit pas ac­compli.

ELECTIONS AU BARREAU Le Journal des Tribunaux publie les résul­

tats des élections au barreau. au fur et à mesure de leur réception :

AUDENARDE Bâtonnier : M0 Robert De Brouwer. Membres: MM" 8 Paul Vanden Broecke, Jac­

ques Piessevaux, Gérard V ander Linden, Jean Rollewagen.

543

Un aller simple. Tellement simple qu'il en devient un peu

simpliste ce film qu'on projette depuis quel­que temps sur les écran bruxellois et dont l'en­seigne, on l'aura deviné, illustre un trajet sans retour.

C'est celui que suit dans l'image désormais conventionnelle et banale mais commerciale­ment prisée, le truand au grand cœur. Pour­chassé P'ar la poNce, meurtrier d'un policier qui allait l'abattre, d'où légitime défense (sic), etc... l'histoire donc n'est pas nouvelle mais elle s'inscrit, fait inhabituel sur une toile de fond familière : le film a en effet été entière­ment tourné en Belgique, à Anvers et à Bru­xelles.

Ce qui permet aux réalisateurs de donner quelques belles séquences sur le port de la métropole.

La trame du film autant que son décor res­tent comme le souligne le générique, fictifs. Néanmoins les policiers et toutes les brigades qui · déploient fours forces à la poursuite du truand évadé, apparaissent dans l'uniforme de notre pays.

Et lorsqu'après avoir capturé une prem1ere fois le fugitif, les policiers « en civil )) lui réservent un traitement choc pour le faire parler, on a beau se dire qu'il s'agit là de certaines mœurs de la police en général qu'on veut fustiger, on se défend difficilement con­tre un sentiment de malaise.

Publicité f onction.nelle insolite. Malaise qui ne se dissipe pas quand entre

en scène « l'avocat)). On sait que les réali­sateurs français ont la plupart du temps tracé un portrait édifiant du défenseur de la veuve et de l'orphelin : maître-chanteur, complice, prêt à toutes les vénalités et dans le même temps, recommandé comme le meilleur avocat de 1a ville ou de la région.

En l'occurrence c'est, selon l'appréciation d'un des héros du film, le meilleur avocat de Bruxelles qui pratique ces vertus peu théo­logales : elles ne lui seront finalement guère profitables car il meurt sous les coups de son « client)). M,ais il a auparavant occupé largement l'avant-scène, ayant d'ailleurs col­laboré activement à un vol de bijoux impor­tant.

On peut évidemment imaginer une publicité fonctionnelle plus proche de la réalité.

Ces portraits de l'avocat, du policier tout sommaires et robots qu'ils soient, contrastent singulièrement avec l'image assez désarmante qui est présentée du gangster. Généreux, bien sûr, faut-il le dire, mais en outre le cœur prêt à fondre au spectacle des défail­lances du cœur du prochain, en l'espèce ce­lui d'un gardien privé brutalement de ses pi­lules adéquates.

On n'est pas près d'oublier non plus la scène finale où deux truands s'en vont main dans la main à la guillotine en chantant quel­que refrain appris chez les scouts.

Comment s'étonner après de telles séquences, que l'homme de la rue se fasse une idée quel­que peu fausse de ceux qui sont censés col­laborer au maintien de l'ordre et dans une certaine mesure à celui de la justice ?

ASSOCIATION BELGE DES EXPERTS -ABEX - (groupant les experts de toutes les disciplines). La liste des experts avec le détail de leurs spécialités est envoyée gracieusement aux magistrats et aux avocats. Toute corres­pondance est à adresser à l' Association belge des Experts boulevard d'Anvers, 13 - 1000 Bruxelles. Tél. 17 .46.48.

Page 16: 86° ANNEE - N° IRIBIJnlJX...(110) Recueil, X, 1964. 1225. (111) Recueil, IX, 1963, 7 (affaire n08 26-62). EDITEURS: MAISON FERD. LARCIER S. A. Rue des Minimes, 39 1000 BRUXELLES

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COMMUNIQUE

Au Conseil d'Etat.

Le 7 décembre prochain, une session du con­cours prévu par l'article 31 de lia loi organique du Conseil d'Etat, modifié par la loi du 3 juin 1971, sera ouverte au siège de l'institution, 33, rue de la Science à Bruxel1es, en vue du recrutement d'un auditeur adjoint et d'un ré­f érendiaire adjoint du rôle français, de deux au­diteurs adjoints et d'un référendaire adjoint du rôle néerlandais et d'un greffier de section bi­lingue du rôle français. Un avis officiel paraî­tra au M onitcur.

La durée de validité du concours étant de deux ans, on peut prévoir, en outre, un certain nombre de vacances de places par suite des dé­parts qui se produiront pendant ce délaii.

Le programme du concours comporte trois épreuves écrites : - un rapport sur une affaire à caractère ad­

ministratif dont le dossier est mis à la dis­position des candidats;

- le commentaire d'un arrêt ou d'une dispo­sition légale ou réglementaire en rapport avec les attributions du Conseil d'Etat;

- l'examen critique d.e la forme d'·un texte juridique.

Il comporte, en outre, deux épreuves orales : - une discussion portant sur l'e rapport sur

l'affaire à caractère administratif et sur le commentaire de larrêt faisant l'objet des épreuves écrites;

-- un échange de vues sur des questions tou­chant aux grands problèmes juridiques en rapport avec le droit administratif ainsi que sur 1' origine, l'organisation et la procédure du Conseil d'Etat.

Aucune die ces épreuves ne sera éliminatoire. Des codes seront mis à la disposition des

candidats. Ceux-ci doivent être âgés de 30 ans accom­

plis, être docteurs en droit et avo-ir, en Belgique et pendant au moins trois ans, sruivi le barreau, exercé des fonctions judiciaires, administratives ou scientifiques ou enseigné le droit dans une université.

Le traitement de base des auditeurs et réf é­rendaires adjoints est fixé à 255.000 F, majorés au l er octobre 19.71 de 40 % et des al0Locations de programmation sociale, notamment. Ceux-ci, après deux ans de fonctions, peuvent être nom­més auditeurs ou référendaires au traitement de 346.000 F.

Ces traitements sont majorés en ce qui con­cerne les auditeurs, les référendaires, les audi­teurs adjoints et les référendaires adjoints de neuf augmentations triennales d'un montant to­tal de 192.000 F. Il sera tenu compte de l'an­cienneté acquise dans les fonctions antérieures.

La rémunération ne pourra jamais être infé­rieure à celle dont bénéficie déjà Le candidat qui occupe un emploi dans la magistrature ou dans une administration pu~lique.

Les demandes de participation, accompagnées des documents établissant que les candidats remplissent les conditions exigées par lia loi, doivent être adressées à M. le premier prési-

. dent du Conseil d'Etat, rue de la Science 33, 1040 Bruxelles.

TRADUCTIONS JURÉES ail. - angl. - néerl. vers le fran)çais

Tél. 02/72.15.80

Ed. LIMPACH

ing. civ. lie. se. eomm. finane.

Ch. de Boitsfort, 118 - 1170 Bruxelles.

DATES RETENUES

* Conférence du Jeune barreau. -· Le jeudi 7 octobre 1971 aura lieu l'accueil des sta­giaires de première année :

11 h visite du Palais. Rendez-vous dans la salle des pas perdus.

12 h 30 déjeuner des stagiaires'. Tous les nouveaux stagiaires sont invités 'au premier déjeuner de la Conférence, qui ,aura lieu à , la Trattoria, 5, avenue de la Toison d'Or. Les confrères sont invités à y venir très nombreux. Inscriptions chez M. Vanderstraeten, au vestiaire des avocats.

14 h 30 accueil du bdtonnier et du président de la Conférence. M. le bâtonnier et les membres de la Commission 1accueilleront tous les stagiaires dans la salle d'audience de la ire chambre de la cour d'appel. Les lau:riéats des [prix Lejeune et Janson 1971, Me Feinard Schrnitz ·et Serge Lévy, y produiront un exercice de plaidoirie.

A l'issue de cette démonstration, il sera procédé au tirage au sort des exercices de plaidoirie qui sont obligatoires pour les sta­giaires de pœmière année.

* Union internationale des magistrats. -Section belge~ - La Section belge de l'Union internationale des magistrats organise le samedi 9 octobre prochain une . contérence donnée pax M. André Grisez, président de la Cihambr.e constitutionnelle au tribunal fédéral suisse et professeur à l'Université de Neuchâtel.

M. Grisel parlera du « Tribunai fédéral suisse'».

Cette conférence, en langue française, aura lieu à 17 h., au Palais de justice de Bruxelles, en [a salle d'audience de la pre­mière chambre civile de lia ,cour d'appel.

Les magistrats. et les membres du barreau sont cordialement invités.

1

C@JF Emission continue de parts de la

Copropriété foncière

au prix actuel de 1.237 ,-

BANQUES DEPOSITAIRES :

- Banques de Paris et des Pays-Bas Belgique

- Banque Nagelmackers, FHs et Cie

Notre délégué, M"• Cox-Anthoni'S,

avoué honoraire, avenue Messi­

dor, 129 - 1180 Bruxelles,

téléphone : 02/45.31.67, est à votre

disposition pour vous fournir, sans

engagement de votre part, tous

renseignements complémentaires.

SOMMAIRE du 25 septembre 1971.

DOCTRINE: Jean J. A. Salmon. - Le conflit entre

le traité international et la loi interne en Belgique à la suite de l'arrêt rendu le 27 mai 1971 par la Gour de cassation (2e partie).

JURISPRUDENCE : Vente. - Délivrance. - Article 1585 du

Code civil. - Dérogation conventionnelle. - Conséquences. - Incendie de la mar­chandise (Cass., ire ch., 22 avril 1971).

Droit d'auteur. - Dessins et modèles. -I. Qualité pour déposer plainte. - Intérêt moral suffisant. - Poursuites recevables. - II. Preuve des droits d'auteur. - Socié­tés cornmercia1es. - Application de l'ar­ticle 2 de l'arrêté royal du 29 janvier 1935. - Présomption de l'article 7 de la loi sur le droit d'auteur. - Applicable aux modè­les diffusés sous le seul nom d'une société. - Modèles créés par l'organe d'une per­sonne morale ou pax ses préposés. - Pro­priété originaire de la personne morale en droit belge. - Solutiion identique en droit français. - III. Droit d'auteur. - Absten­tion de s'informer de l'existence du droit. - Acquisition de patrons à des fins com­merciales. - Intention frauduleuse réali­sée. - Revente et échange de patrons. -Mauvaise foi (Gand, 3e ch., 25 juin 1971).

CHRONIQUE JUDICIAIRE : Varia: Une profession sans avenir, par

R. W. - Coups de règle, par Tertius. -Documentation : Le procès de Marrakech. - Elections au barreau: Audenarde. -Echos. - Communiqué: Au Conseil d'Etat. - Dates retenues.

FEMME JEUNE DOCTEUR EN DROIT

Longue expérience toutes branches conten­tieux . assurances, cherche place secrétaire collaboratrice chez avocat Bruxelles.

Ecr. N° 179 Dépt Pub!. JI• Tribunaux, 163, Chée Vilvorde, Meise, qui transmettra.

Le JOURNAL DES TBIBUNA.1JX

_DIRECTION Jean DAL, rédacteur en chef. Secrétaire général de la rédaction: Roger-0. DALCQ. Secrétaires de la rédaction : Wivine BoURGAUX et Ma-

rie-Thérèse CUVELLŒZ. Chronique judiciaire: Bernard VAN REEPINGHEN. Comité de direction: Cyr CAMBIER, Robert PmsoN, Ro­

bert HENRION.

ADMINISTRATION : Maison Perd. LARCIER, s.a., rue des Minimes, 39.

1000 Bruxelles - Tél. 12.47.12 - C.C.P. 423.75

Administrateur-délégué : J.-M. RYCKMANS, docteur en droit.

ABONNEMENT ANNUEL: 1900 FB. Le numéro : 64 FB.

Les numéros séparés, sont envoyés contre virement ou versement postal de 64 francs ou contre rembour­sement de la somme de 70 francs.

Les manuscrits ne sont pas rendus.

© Maison :Perd. LARCIER, s. a., Bruxelles, déc. 1881.

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