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A la découverte du
Lean Six Sigma
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A la découverte du
Lean Six Sigma
Florent FOUQUE
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Auteur-éditeur :
Florent FOUQUE 10 rue du 23 Août 1944
69780 Mions Siret : 442 614 475 00022
Crédit Photo Couverture :
Stephen Davies www.picturewales.com
Crédit Couverture/illustrations du livre :
Florent FOUQUE
© 2009 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon, aux termes des articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
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A propos de l’auteur Après 10 années d’expérience comme contrôleur de gestion et responsable informatique dans les secteurs de la grande distribution et des services (SSII), Florent FOUQUE s’est orienté vers le métier du consulting. Sa spécialisation l’amène aujourd’hui à conduire des projets dʹoptimisation des processus transactionnels pour le compte dʹindustriels présents sur le plan international.
Passionné par l’innovation, et plus spécifiquement par l’innovation des processus, c’est tout naturellement, qu’il s’est approprié les outils les plus poussés dont font partie le Lean Six Sigma et la Systémique.
Diplômé d’une Maitrise de Gestion au CNAM et d’un Mastère Spécialisé en Management de la Technologie et de l’Innovation à l’EM‐Lyon, Florent FOUQUE reste captivé par les sciences du management organisationnel.
Si ce livre constitue son premier ouvrage, Florent FOUQUE a déjà réalisé de nombreuses publications sur ses deux blogs (leansixsigma.free.fr et analysesystemique.free.fr), ainsi que dans des revues spécialisées comme Supply Chain Magazine, Qualité Online, ou BPM‐channel.
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Remerciements Cet ouvrage n’aurait jamais vu le jour ; du moins pas sous une forme aussi aboutie que celle‐ci ; sans la contribution directe ou indirecte de quelques personnes…
Permettez‐moi donc de rendre hommage à Paul, l’ambidextre du savoir et de l’action, à qui je dois l’initiation à l’innovation ; à Arturo, Tran et Dirk sans qui, mes connaissances en Lean Six Sigma se seraient arrêtées à la théorie ; à Alexandre et Damien qui auront posé leurs yeux avisés sur les aspects techniques des concepts exposés ; à Laëtitia ma principale relectrice qui a eu du mérite à procéder au travail de « débroussaillage » de la toute première version ; à mes employeurs d’hier et d’aujourd’hui qui me permettent d’avancer sans m’en rendre compte, à Isabelle, ma douce, qui s’est fait une raison de mes réveils matinaux pour m’adonner aux joies de la connaissance ; à ma fille Satine pour son énergie inépuisable et le calme dont elle peut faire preuve pour me permettre d’écrire ; et enfin à tous mes amis qui m’apportent la convivialité et les plaisirs simples, nécessaires à contrebalancer le stakhanoviste que je suis lorsqu’il s’agit d’apprendre les sciences du management organisationnel.
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Avantpropos Ma première rencontre avec la méthodologie du Lean Six Sigma s’est réalisée au cours d’un module de formation enseigné à l’EM‐Lyon. Je suis ressorti de cette courte introduction avec un sentiment étrange. D’une part, l’assurance du discours de l’intervenant me laissait penser que la méthode était robuste et efficace, d’autre part, je n’avais rien retenu de la façon dont ce type de projet pouvait être mis en œuvre.
Par la suite, j’ai approfondi mes connaissances avec la lecture de six livres reconnus sur le sujet. Lors de cette deuxième prise en main du Lean Six Sigma, j’étais stupéfait de constater à quel point les outils étaient présentés de manière inaccessible. Certes, les livres sur le sujet ne manquaient pas. Chaque livre présentait les outils et leur efficacité. Certains s’aventuraient même à donner des exemples d’utilisation, mais aucun ne présentait le déroulement d’un projet dans sa continuité.
J’étais assez surpris de lire autant de livres traitants d’une méthode de conduite de projet, qui se faisaient pourtant l’économie de dérouler un projet dans son ensemble. Quel exemple serait plus parlant pour présenter une méthode de gestion de projet, que celui qui serait conservé du début à la fin ? Mon deuxième étonnement était de constater le peu de livres disponibles pour présenter la méthode dans le contexte des services. Améliorer les processus qui traitent des flux physiques est une chose, s’intéresser à l’optimisation des processus
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transactionnels en est une autre. Il me semblait qu’il y avait là un vide important. D’autant plus que les problématiques d’aujourd’hui sont de plus en plus liées aux flux d’informations.
Mon apprentissage sur le sujet se finalisa par une formation présentielle dispensée par plusieurs Master Black Belt. Là je me rappelle m’être félicité, d’avoir approfondi le sujet par la lecture des ouvrages évoqués précédemment, avant d’attaquer le séminaire, car cela m’a permis de bénéficier d’un prérequis non négligeable. En revanche, autant dire que la plupart des autres participants se sont vite fait submerger par la quantité et la complexité des concepts présentés.
Les raisons en sont multiples :
‐ Une focalisation trop importante sur des outils complexes qui ne servent que dans très peu de cas.
‐ Une incapacité à lier les étapes du DMAIC (Définir, Mesurer, Analyser, Innover, Contrôler) les unes aux autres.
‐ Une présentation poussée des outils au détriment de la présentation de leur contexte d’utilisation.
‐ Des exemples présentés qui sont aux antipodes des problématiques rencontrées par les étudiants.
‐ Un volume très important de connaissances, fourni dans un délai aussi court.
‐ Un nombre de participants trop important rendant impossible une étude individuelle de chaque projet.
Bref, pour une formation sur la qualité, et ce, malgré le niveau d’expertise des intervenants, il me semblait que de grands progrès restaient à faire.
Par ailleurs, après quelques projets, il me semblait que la méthode présentait quelques failles qui pouvaient facilement se résorber par l’utilisation d’outils externe au Lean Six Sigma. Je pense notamment à l’approche systémique, aux techniques de créativité…etc.
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Ce livre est donc né de l’idée de rendre accessible la méthodologie du Lean Six Sigma. Oui, le DMAIC et les outils qu’il intègre, peuvent être d’une incroyable complexité en fonction des problématiques rencontrées. Mais dans la plupart des cas, cette méthode de gestion de projets se déroule très simplement et peut être mise en œuvre par n’importe quel manager, quel que soit son niveau de connaissance dans les statistiques.
Cet ouvrage est destiné à :
‐ tous les managers et opérationnels qui souhaitent optimiser les processus au sein de leur entreprise,
‐ des chefs de projet qui recherchent une méthodologie robuste et efficace,
‐ des consultants qui souhaitent s’approprier une démarche axée sur les résultats,
‐ des formateurs qui recherchent un support de formation simple et convivial avec des exemples concrets,
‐ tous les chefs d’entreprises qui souhaitent orienter leur organisation sur la voix de l’excellence opérationnelle,
‐ des étudiants en science du management, ‐ des managers impliqués dans la supply chain de leur
organisation, ‐ des praticiens du Lean Six Sigma qui s’interrogent sur l’apport
de la systémique dans la conduite du DMAIC, ‐ et enfin à toutes les personnes qui s’intéressent de près ou de
loin à l’amélioration des organisations.
Voilà l’objectif affiché : démocratiser le Lean Six Sigma, la systémique, et plus largement l’excellence opérationnelle auprès des managers. Dans cette idée d’évangélisation de la méthode, le livre a été écrit sous forme de roman. Il est également accompagné d’un CD‐Rom, qui reprend le modèle de suivi de projet du livre, ainsi que tous les fichiers de travail, ceci afin de permettre à chacun de se lancer dans l’aventure s’il le souhaite.
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Chapitre 1
L’APPEL A L’AVENTURE
Le bras droit et un balancier court faisaient émerger le volant d’une dizaine de centimètres. C’était juste assez pour que le geste, éprouvé d’un coup de raquette furtif, vienne happer les quelques plumes vers le terrain adverse. Le tir vint chercher la ligne de fond. Le jeu de jambes hâtif permettait à l’adversaire de dérouler un retour à contre‐pied. L’homme au service stoppa sa course, puis tendit son revers, trouvant le volant et le restituant d’une courte portée ; juste assez pour épouser le filet et finir aux pieds de l’adversaire. 15/12 ! La sentence était tombée. Nos deux managers transpiraient de fierté d’assumer une heure de sport intensif à l’orée de leurs 55 ans.
Le rituel de la douche invitait les deux hommes à démarrer leur discussion favorite : le travail. Cela ferait bientôt 30 ans que les deux amis se côtoyaient. Bernard et Jean‐Louis s’étaient rencontrés chez Mister Bricolo, une enseigne de la grande distribution du bricolage. A l’époque Bernard, était un jeune approvisionneur alors que Jean‐Louis occupait un poste de chef de produit*. Après une collaboration de cinq ans dans cette entreprise, Bernard avait évolué sur un poste de
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Demand Planner* chez Green & Garden, un manufacturier d’outillage de jardin. Quelque temps après, Jean‐Louis fut débauché par un client de Mister Bricolo. C’est ainsi qu’il démarra sa carrière de responsable marketing au sein de la structure Home Design. Après deux décennies à évoluer au sein de la même filière, nos deux managers étaient devenus de vrais experts dans leur domaine respectif. A présent, Jean‐Louis était Responsable Marketing et Responsable de l’Innovation au sein de Maisons de Byzance, l’un des principaux groupes de BTP en Europe. De son côté, Bernard avait intégré Martin’s Garden depuis huit ans au poste de Demand Planning Manager sur la zone EMEA*. Il dirigeait une équipe de sept personnes.
Bernard avait toujours mis un point d’honneur à séparer sa vie professionnelle de sa vie privée. Ainsi, il n’avait gardé de contact qu’avec très peu de ses anciens collègues. Avec Jean‐Louis, c’était différent. Malgré leur appartenance sociale éloignée, Bernard était issu d’une famille ouvrière avec des valeurs très ancrées sur le travail et la famille, alors que Jean‐Louis était issu d’un milieu plus aisé où le sentiment de réussite et de liberté intellectuelle prévalaient sur le reste. Ils ressentaient une complicité sans pareil qu’ils assimilaient aisément à leur goût pour les relations sincères et franches.
Bernard était un grand gaillard d’un mètre quatre‐vingt‐cinq, dont la carrure laissait deviner quelques années passées sur les terrains de rugby. Son visage carré et sa barbe épaisse tranchaient avec la jovialité que dégageaient ses traits d’expression. Jean‐Louis était quant à lui plus fin. Sa silhouette longiligne se rapprochait du physique des marathoniens. Côte à côte dans les vestiaires, les deux hommes formaient un tableau atypique.
Une fois les cheveux séchés et leur costume réintégrés, nos deux amis rejoignirent le bar et poursuivirent leur conversation autour d’un demi. Les deux hommes trinquèrent puis Jean‐Louis prit la parole :
‐ Y’a un nouveau directeur qui vient d’être recruté chez nous. Il arrive dans un mois. Je le vois gros comme une maison : il va vouloir tout
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chambarder ! Le pauvre, il va vite prendre une douche froide. C’est vraiment dur de faire bouger les choses dans cette entreprise. Les mentalités n’ont pas changé depuis 20 ans. Et moi qui suis un agent de l’innovation qui aspire à faire changer les choses, je peux te dire que c’est dur. T’as beau connaître la nature humaine, des fois t’as envie de tous les envoyer « bouler ». Enfin bref, on verra bien ce qu’il proposera pour faire avancer les choses… Et toi quoi de neuf ?
‐ C’est vrai que tu dois t’en voir, lui rétorqua Bernard. Toi, responsable de l’innovation au sein d’un des secteurs les plus traditionnels qui soient. Mon pauvre, tu n’as pas choisi le bon côté de la filière. Pour moi il n’y a pas vraiment de problème. Tu sais, chez Martin’s Garden, la structure matricielle* favorise le changement et d’ailleurs ça me va bien. Moi aussi j’aurais du mal à affronter le scepticisme tous les jours. Enfin, ce type d’organisation, ça n’est pas la panacée non plus. Ce sentiment que chacun a de n’être responsable envers personne, a tendance à conduire au ʺ je‐m‐en‐foutisme ʺ… Bah sinon, c’est la routine pour moi. Tiens, demain j’ai mon entretien d’évaluation. Je ne sais pas ce que ça va donner. Comme tous les ans, les objectifs sont atteints, mais je ne sais pas… Cette année je le sens moyen. J’ai croisé deux trois fois mon supérieur et j’ai l’impression qu’il se trame quelque chose de pas très catholique. Enfin bref, on verra ça demain.
‐ Tu sais… Il ne faut pas trop se faire de films, lui répondit Jean‐Louis avec une mine à moitié convaincue. A 55 ans, qu’est‐ce que tu veux qu’ils fassent de nous ? Au pire, ils te proposent une préretraite. En France on aime bien ça ! Dire aux séniors que ce sont les meilleurs, qu’ils apportent une richesse formidable de par leur expérience, blablabla, et au prochain passage à vide dans l’économie, cʹest‐à‐dire à peu près tous les cinq ans, hop, ils te pondent un plan social avec des mises en préretraite.
‐ Non, je ne pense pas… grommela Bernard après une gorgée de bière. Ce n’est pas le genre de l’entreprise. Tu sais, c’est une boîte américaine. Là‐bas, si tu as la tête sur les épaules et que tu rapportes de l’argent, ils ne pensent qu’à un truc : faire le nécessaire pour que tu
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restes. Non vraiment, je te dis, je ne vois pas ce qui peut se tramer. Il faut que je te laisse. Je t’aurais bien payé une tournée, mais en ce moment, avec Eloïse, ça n’est pas la grande joie. Ça aussi je ne sais pas comment ça va se terminer… Ça fait plusieurs semaines que nous ne nous adressons plus la parole. Et là, malheureusement, nous n’avons pas d’entretien planifié pour faire le point.
Sur ce mot, nos deux acolytes avalèrent leur breuvage d’une traite, payèrent la note, puis regagnèrent leur foyer.
Bernard ouvrit la porte lentement pour ne pas faire de bruit. Il pointa son nez dans le salon où sa femme Eloïse regardait la télé. Par paresse, il se suffit d’un : ʺ Je suis rentré ! ʺ, puis regagna son bureau après avoir pris deux trois choses à grignoter dans le réfrigérateur.
Cela faisait quelques mois déjà que les choses se passaient ainsi. Avec sa femme, ils se croisaient, mais n’échangeaient plus beaucoup. Bernard avait le sentiment de reproduire le même schéma d’échec que lors de son premier mariage. Après sept ans, le citron était pressé. Les petites attentions avaient disparu. Le temps partagé se réduisait à peau de chagrin, et les défauts de l’autre prenaient le pas sur ses qualités. Notre manager était triste de cet état de fait. Il savait qu’il avait sa part de responsabilité, mais il percevait mal comment influencer le cours des choses.
Pour se changer les idées, Bernard retravailla son entretien d’évaluation pour le lendemain, puis il prit congé de ses notes au bénéfice d’une petite toilette et des bras de Morphée.
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Mardi 27 janvier. Au son de son réveil, Bernard se leva puis se prépara pour aller travailler. Les bureaux de Martin’s Garden étaient à 10 minutes de chez lui. A son arrivée, Bernard posa sa sacoche et ses effets personnels dans son bureau, puis il passa dire bonjour à son équipe. Enfin, il regagna son bureau pour y prendre son cahier de notes et éditer les différents tableaux de bord de suivi de l’activité de son service.
L’heure de la réunion était déjà là ; Bernard se rendit dans le bureau de son hiérarchique. La pièce était à la fois sobre et moderne. La présence aux mûrs de photos du tournage d’ « Edouard aux mains d’argent » témoignait du goût de l’entreprise à cultiver le storytelling*. Toutes les sculptures botaniques du héros furent réalisées avec des outils estampillés Martin’s Garden. A l’époque, la réussite du film avait contribué à une forte visibilité de la marque auprès du grand public. Depuis, la société entretenait la légende avec des clichés présents dans les halls d’entrée de chaque entité et les bureaux des quelques privilégiés qui avaient eu accès aux coulisses du tournage. Daniel, un homme charpenté au visage bienveillant, se leva de sa chaise pour accueillir son collaborateur.
‐ Ah, Bernard, comment vas‐tu ? S’enthousiasma Daniel OURANOS, son supérieur hiérarchique.
‐ Ça va, je te remercie, rétorqua Bernard. Je suis content que nous puissions nous voir. Nous nʹavons que trop rarement l’occasion d’échanger longuement et de prendre du recul sur le travail que nous faisons…
‐ Oulah… Je vois que tu es déjà dans l’entretien, s’amusa Daniel. Je t’en prie, assis toi. Avant qu’on démarre, dit moi : comment ça va, toi, en ce moment ? Ta famille, ça va ? Le boulot : je sais que ça va, mais j’observe que tu pars toujours aussi tard le soir…
Bernard tentait de lire entre les lignes et percevoir ce que son supérieur cherchait à lui faire comprendre. D’autant plus que Daniel savait très bien que Bernard n’aimait pas parler de sa vie privée. Cette
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première question sur la famille était plus que suspecte. Par nature, Bernard restait méfiant dans sa relation avec autrui, surtout au travail. Mais au fil des années, il avait fini par prendre conscience de ce biais cognitif et avait réussi à appréhender ses échanges avec les autres de manière positive. Ainsi aimait‐il « cultiver l’a priori du doute positif ». Ce leitmotiv raisonnait en lui à chaque fois qu’un doute le gagnait sur les intentions de son interlocuteur.
‐ Effectivement, je passe beaucoup de temps au bureau, lui répondit Bernard. Et du coup, ça se ressent sur la vie de famille. Mais bon, tu sais que je n’aime pas trop m’appesantir sur ce genre de sujet.
‐ Oui je sais, concéda Daniel. Ça fait un petit moment que nous nous connaissons tous les deux, donc je ne vais pas y aller par quatre chemins…
Bernard se fit plus attentif. Son appréhension se traduisait sur son visage par un froncement de sourcils. Daniel poursuivit :
‐ Nous ne parlerons pas de tes objectifs ; nous les suivons tous les jours et nous savons quʹils sont tenus à la perfection. Nous nʹallons pas non plus définir les prochains, car ils vont changer de nature.
‐ Ils vont changer de nature ? Sʹinquiéta Bernard.
‐ Oui, ils vont changer de nature, car tu vas changer de poste, poursuivit le hiérarchique. Voilà ; si tu te souviens, il y a quelques semaines, la direction des ressources humaines a réalisé un audit sur lʹorganisation. Il ressort de cette étude que Martinʹs Garden nʹest pas prête à affronter la prochaine décennie avec le personnel dʹaujourdʹhui. Alors, je sais que ça peut paraître loin une décennie, mais une pénurie de managers sʹannonce. Tout le monde en parle et personne ne fait rien. Tu connais aussi la vision à long terme de lʹentreprise. Bref, lʹidée cʹest que Martinʹs Garden pérennise sa structure hiérarchique avant que les managers ne deviennent une denrée rare sur le marché de lʹemploi.
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Figure 1.1 - Extrait organigramme de Martin's Garden
‐ Et donc, la meilleure solution pour pérenniser la structure, cʹest de mettre au placard ceux qui ont fait leur preuve, comme moi ! S’énervait Bernard.
‐ Non, tu nʹy es pas, rétorqua Daniel. Ce nʹest pas un placard que je vais te proposer : cʹest un projet à part entière ! Et autant te dire que le projet en question est stratégique. Il lʹest pour lʹentreprise, mais il lʹest également pour toi ! Comme tout le monde dans la société, tu as dû entendre parler des problèmes que nous avons actuellement sur le marché français avec le client «Jardins de plaisir». Aujourdʹhui les choses se corsent, car ils projettent de nous écarter de la prochaine négociation. Cʹest notre sixième client en France et il est inconcevable de le perdre alors qu’il pèse prêt de 10% du chiffre dʹaffaires. Donc ta mission, cʹest de faire en sorte que nous gardions ce client.
Bernard nʹen croyait pas ses oreilles :
‐ Quoi ? Tu me proposes de travailler sur le dossier «Jardins de plaisir» ? Mais ça nʹest pas un placard que tu me proposes : cʹest un ticket pour aller pointer au chômage ! Je nʹy connais rien en commercial, moi. Jʹai travaillé toute ma vie sur les prévisions de vente et les contraintes de supply chain*, et à 55 ans, tu veux que je
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mʹimprovise responsable comptes clés face à des acheteurs de la GSA (Grandes Surfaces Alimentaires).
‐ Calme‐toi, interrompit Daniel. Laisse‐moi terminer, après tu me diras ce que tu en penses. «Jardins de plaisir» est déjà rattaché à un responsable comptes clés. Même si nous avons des raisons de douter de la qualité de son travail, il ne sʹagit pas de le remplacer. Tu vas mener un projet. Dans ce projet, tu devras cerner ce qui pose problème pour le client. Puis tu feras le nécessaire pour corriger tous ces problèmes. Et une fois que les problèmes seront réglés, cʹest Luc MORIN, le directeur commercial France, qui reprendra la main. Tout le long du projet, il te faudra tenir au courant Sylvain, puisque cʹest son client. Tu devras également te rapprocher de Luc pour tʹassurer que Sylvain le tient informé de lʹavancement de ton projet. De mon côté, je ferai tout ce que je peux pour tʹaider si tu en as besoin. Je nʹai pas encore tout formalisé, mais je vais tʹenvoyer dès cet après‐midi tous les éléments du dossier. Ça y est, jʹai fini pour ta nouvelle mission ! Te reste‐t‐il des interrogations ?
‐ Tout ça dʹun coup ça fait beaucoup, répondit Bernard dʹun ton désabusé. Envoie‐moi tes éléments et je reviendrai vers toi si besoin ! Mais, dis‐moi : si je mène ce projet, qui sʹoccupera de mon service ?
‐ Nous y venons. Comme je te disais, lʹidée, cʹest de renouveler lʹencadrement pour que lʹentreprise puisse faire face à la pénurie de managers qui sʹannonce pour les prochaines années. Donc, cʹest Eric GAUTHIER qui va te remplacer. Je ne sais pas si tu tʹen souviens, il avait fait un stage il y a deux ans au service marketing. Ensuite, il a intégré le programme ʺManagers de talentʺ. Pendant ces deux dernières années, il a fait une petite dizaine de missions dans différentes entités de Martinʹs Garden. Aujourdʹhui, il a une vision très complète de lʹactivité de notre entreprise. Je lʹai eu en entretien et je pense quʹil sera un très bon manager. Il est encore un peu jeune, mais il apprendra vite.
‐ Bon, OK. Quand arrive‐t‐il ce ʺjeune talentʺ ? Reprit Bernard sur un ton plus calme.
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‐ Il sera là lundi prochain. Dʹici là, il faut que tu formalises ton poste et que tu prépares le passage de témoin. Tu dois comprendre que cʹest un point important de ton nouveau poste. Dʹune part, tu auras le projet à mener sur «Jardins de plaisir» et dʹautre part, tu devras tʹassurer que le petit GAUTHIER sʹen sorte bien sur son poste. Vis‐à‐vis de ton équipe, tu peux communiquer comme tu le souhaites, sachant que les choses seront officialisées, dans lʹensemble des services, jeudi avec la communication de ta lettre de mission.
‐ Bon, tout est dit ? Demanda Bernard prêt à partir.
‐ Oui Bernard, nous avons fait le tour, acquiesça Daniel. Mais je tiens à te dire que je suis sûr que tu réussiras ce projet. Et personnellement, je mʹengage à te fournir tout le support nécessaire. Alors, nʹhésite pas à venir me voir si tu rencontres un quelconque souci.
‐ OK ! Cʹest noté ! Répondit Bernard avant de sortir du bureau et de lâcher un sourire désabusé.
Après cet entretien, le sentiment de Bernard était mitigé. Après tout, il avait fait le tour de son poste et ce projet était peut‐être lʹoccasion de partir sur une nouvelle dynamique. A côté de ça, il se voyait bien attendre tranquillement sa retraite. Il commençait également à réfléchir pour diminuer son temps de présence au bureau et se consacrer un peu plus à son couple. En partant sur un nouveau projet comme celui‐ci, ses marges de manœuvre lui paraissaient plus restreintes.
De retour à son bureau, Bernard remit à jour sa ToDo liste* et y intégra la formalisation de ses missions. Il lʹédita puis se mit à lʹouvrage. Bernard était un manager très structuré, si bien quʹil bénéficiait déjà des documents nécessaires pour ce travail de formalisation. Ainsi, il ressortit lʹorganigramme de son service avec les fiches de poste de chacun de ses collaborateurs. Midi sonnant, Bernard prit sa veste puis rejoignit sa fille Eglantine dans un restaurant à deux pas de Martinʹs Garden.
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Quand Bernard arriva au restaurant, sa fille Eglantine était déjà à table. Un sourire dʹattention et une bise furent échangés puis Bernard prit place. Notre manager aimait à partager des moments avec sa fille. Depuis quʹelle était sortie de ses études et quʹelle sʹétait insérée dans la vie professionnelle, il était épris dʹune fierté sans pareil à son égard. A 31 ans, la jeune femme était chef de produit chez un industriel de la parfumerie. Son métier et son élégance naturelle faisaient dʹelle une femme au charme assumé. Sa longue chevelure brune se dérobait sur une silhouette bien charnue. Son visage éclairé faisait apparaître un sourire sans concession.
‐ Ça va ma fille ? Lâcha Bernard encore un peu essoufflé par ses pas pressés.
‐ Oui Pʹpa et toi ?
‐ Oulah, beaucoup de changement à venir pour moi…
‐ Du changement ? Sʹinterrogea Eglantine, inquiète de la tristesse affichée sur le visage de son père.
‐ Oui, au travail ! Plutôt que de me laisser aller jusquʹà la retraite tranquillement, ils ont rien trouvé de mieux que de me remplacer et de me refiler un projet explosif. Enfin bon, je vais attendre de voir ce quʹil en retourne exactement pour voir ce que je peux faire.
‐ Ah bon, ils vont te remplacer alors ? Sʹinquiéta la jeune marketeuse.
‐ Oui, je vais être remplacé par un petit jeune de ta génération, répondit‐il sur un ton amusé. Mais oublions ces petits tracas, comment ça va toi ?
‐ Oh bah… Pour moi, tu sais, ça roule pas mal ! Au boulot les progressions à deux chiffres sont devenues monnaie courante. Cʹest à nʹy rien comprendre. Les petites gens ont de moins en moins de sous et ils dépensent de plus en plus en produits cosmétiques. Et dans le même temps, ceux qui sont fortunés, trouvent de plus en plus leur
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compte dans lʹhyper segmentation* que nous réalisons. Bref, la disparition des classes moyennes, cʹest bête à dire, mais cʹest tout ʺbénefʺ pour nous !
‐ Eh bien, je vois que tu es toujours aussi lucide sur ton travail. Et ton petit chéri, ça va ?
‐ Oh Greg, avec lui tout va bien ! Dʹailleurs, tu sais, nous avons décidé de nous installer ensemble. C’est déjà plus ou moins le cas, mais jusqu’à maintenant nous conservions nos appartements respectifs. Normalement, à partir de la semaine prochaine, nous devrions commencer à chercher quelque chose de plus grand pour nous deux.
Elle savait très bien que son père était toujours un peu jaloux de ses compagnons. Sʹil était rassuré de voir sa vie sentimentale stabilisée, il restait un peu possessif.
‐ Mais toi alors, tu me disais lʹautre jour au téléphone que ça ne sʹarrangeait pas avec Eloïse ?
‐ Non, tu lʹas dit ! Ça ne sʹarrange pas, avoua Bernard. Tu sais, lorsque nous nous sommes quittés avec ta mère, jʹavais vraiment le sentiment que cʹétait ce quʹil y avait de mieux à faire. Nous avons vécu une bonne vingtaine dʹannées ensemble et les années faisant, notre investissement respectif dans notre vie professionnelle avait gagné sur notre passion initiale. Avec Eloïse, ça nʹest pas pareil. Quand nous nous sommes rencontrés, nous avions lʹexpérience dʹun premier mariage. Nous devrions appréhender chaque jour ensemble, avec, dans lʹidée, de refouler chaque petit tracas avec sagesse. Au lieu de ça, nous réécrivons lʹhistoire et nous retombons dans les mêmes travers. Bref, nous ne nous parlons presque plus et dʹailleurs nous ne faisons aucun effort pour ça. Je mʹétais promis de lui accorder plus de temps, car cʹest ce quʹelle me réclame, mais là, avec ce changement soudain au travail, je ne sais pas comment je vais faire. Voilà ; mais je vais arrêter de tʹennuyer avec mes histoires de vieil homme.
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‐ Tu ne mʹennuies pas Pʹpa ! Je suis sûr que tu vas réussir à gérer tout ça ! Pour moi, tu restes le plus grand des papas ! Eglantine savait que ce genre de petite phrase aidait son père à retrouver le dynamisme nécessaire.
‐ Oui, tu as raison ! Sʹexclama‐t‐il ! Je vais réfléchir à tout ça et trouver la solution adéquate à tous ces petits tracas.
Une serveuse sʹapprocha près de la table.
‐ Vous avez choisi Messieurs Dames ?
Le père et la fille sʹéchangèrent un regard puis un éclat de rire rayonna dans la salle. Bernard, avec un flegme de circonstance, invita la serveuse à repasser un peu plus tard.
Après ce repas de détente, notre manager retourna au bureau. A son arrivée, il consulta ses emails. Parmi la vingtaine de courriels, deux retinrent son attention. Le premier était celui de son vieil ami Jean‐Louis qui lʹinvitait à passer boire lʹapéritif en fin de journée. Il y répondit dʹun succinct :ʺJe serai là à 19h ;‐) ʺ. Le deuxième était en provenance de son hiérarchique et contenait le détail de la mission :
ʺComme prévu, voici, avec célérité, le détail de ta mission :
Objectif : Faire le nécessaire pour être présent à la table des négociations, avec un avantage concurrentiel lors de la prochaine commission de référencement organisée par le client «Jardins de plaisir».
Délai : La commission de référencement à lieu courant juin. Les problèmes doivent donc être réglés dʹici là.
Moyens : Tous les moyens humains nécessaires. Le projet est stratégique et tout le monde y sera sensibilisé. Moyen financier : aucun budget supplémentaire ne sera alloué. Si des investissements sʹavèrent nécessaires, nous devrons statuer en leur faveur au détriment dʹautres projets en cours.
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Livrables attendus :
‐ Un rétro planning mettant en avant les différentes phases du projet. (Échéance : demain)
‐ Un point par courriel chaque quinzaine sur lʹétat dʹavancement du projet.
‐ Une réunion de présentation des actions correctives, à mettre en œuvre début Mars, pour observation des premiers résultats concrets sur avril.
‐ Tableau de bord de suivi dʹindicateurs pour une quantification de lʹamélioration de la qualité de service apportée au client.
‐ Formalisation des process (après implémentation).
Voilà, tu as tous les éléments.
Je te joins également le mail que jʹai préparé pour informer le personnel de tes nouvelles responsabilités. Je le transmettrai après‐demain.
Objet : Réorganisation du service Supply Chain EMEA
A partir de ce lundi 02 février, Bernard TALIN intégrera ses nouvelles fonctions :
‐ Lʹaccompagnement dʹEric GAUTHIER au poste de ʺResponsable Demand Planning EMEAʺ.
‐ La conduite dʹune mission dʹaudit de qualité pour Martinʹs Garden France.
Objectif : Identifier tous les problèmes organisationnels de Martinʹs Garden France et plus largement, Martinʹs Garden EMEA, qui entrave la qualité de service attendu par le client «Jardins de plaisir».
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Moyens : Toutes les personnes étant intégrées de près ou de loin aux problématiques rencontrées par Bernard devront lui apporter leur support et lʹaide nécessaire à la bonne conduite du projet.
Merci de vous joindre à moi pour souhaiter à Bernard une pleine réussite dans ses nouvelles fonctions.
Une note concernant lʹarrivée dʹEric GAUTHIER vous sera également transmise en fin de semaine.
Daniel OURANOS
Directeur Supply Chain EMEA
Après la lecture de ce mail, notre manager blanchit de découragement. L’énumération des différents points de description de la mission, ainsi que des livrables attendus, lui fit prendre conscience qu’il n’avait jamais vraiment dirigé de projets. Bien sûr, il lui était arrivé d’être partie prenante de différents dossiers et il savait, grosso modo, ce que cela impliquait. Cela dit, il y était toujours intervenu comme participant, jamais en tant que chef de projet. Il maîtrisait parfaitement le suivi de son service, mais ce travail n’était pas du même acabit. Un projet a une limite dans le temps, un impératif de résultat, une méthodologie bien spécifique dont il ne connaissait ni les tenants, ni les aboutissants.
Le courage retrouvé, il glana, par‐ci par‐là sur la toile, quelques articles sur la gestion de projet. Il les édita avec le mail de son supérieur puis quitta le bureau pour se rendre chez son ami Jean‐Louis.
19h pile. La sonnerie de la belle villa retentissait.
‐ Entre ! Lui cria Jean‐Louis. C’est ouvert !
Malgré son habitude des mœurs «locales», Bernard ressentait toujours une gêne à entrer chez les gens de la sorte, fussent‐ils aussi intimes
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que son meilleur ami. Il hésita comme à chaque fois, puis entra timidement. Il retira sa veste et la posa sur le porte‐manteau qui jonchait l’entrée, pendant que Jean‐Louis le rejoignait.
‐ Comment vas‐tu mon ami ? Alors, cet entretien… Je suis sûr que tu as tout explosé comme d’habitude ! S’enthousiasmait Jean‐Louis envahi d’un dynamisme inquiétant.
‐ Qu’est‐ce qui t’arrive ? Tu as commencé l’apéro sans moi ou quoi ? Lui répondit Bernard d’un ton caustique.
‐ Non même pas, tu vois. Je ne sais pas. Je me sens en pleine forme. Je dois faire une crise de cyclothymie, s’exclama‐t‐il en souriant.
‐ Bah, à vrai dire, je ne sais pas trop quoi en penser de cet entretien, reprit Bernard.
‐ Viens. Assis‐toi et explique‐moi… Tu prends un scotch, je présume ?
‐ Oui, un scotch c’est parfait, répondit notre manager avant de poursuivre. Ils m’ont refilé un projet qui ne sent pas très bon. Ils me racontent que c’est un projet stratégique, mais j’ai plus l’impression que c’est un projet pour me mettre en porte à faux et leur donner une bonne raison de me virer. D’habitude, j’essaie de rester positif, mais là j’avoue qu’à l’idée d’affronter ce projet, je faiblis. En plus, ils m’ont déjà trouvé un remplaçant. Il arrive lundi. Bref, je ne sais plus où donner de la tête. J’ai récupéré quelques documents sur Internet sur la gestion de projet, mais ça reste très vague : rien de très opérationnel. Tiens : voilà ma fiche de mission, lança Bernard en tendant l’édition de son mail à Jean‐Louis.
Ce dernier échangea le mail contre le verre de scotch. Les deux amis trinquèrent. Jean‐Louis but une gorgée de son breuvage puis entama la lecture du document.
‐ Effectivement, c’est aux antipodes de ce que tu fais aujourd’hui, introduisait Jean‐Louis. Je ne sais pas si tu te rappelles, y’a quelques
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mois, je t’avais parlé d’une nana que j’avais rencontrée lors d’un séminaire de formation. L’intervenante était vraiment impressionnante de clarté et de pédagogie sur son sujet. Elle bosse sur l’innovation. La formation que j’ai suivie concernait les études marketing sur un produit innovant, cʹest‐à‐dire un produit qui n’a pas encore de marché. Evidemment, ça n’a rien à voir avec ton projet. Mais j’avais acheté un de ses livres. Ça s’appelle « Les 7 voyages de l’innovateur ». Même si les sept sujets abordés ne me concernaient pas nécessairement, j’ai vraiment trouvé ce bouquin génial. Attends deux secondes : je vais aller te le chercher, lança Jean‐Louis avant de se rendre dans son bureau.
Bernard se leva et le suivit.
‐ Tu sais, je crois que j’ai assez de boulot devant moi pour m’amuser à lire un livre sur l’innovation, enchaîna Bernard avec une intonation démotivée.
‐ Ah le voilà, se réjouit Jean‐Louis en attrapant le livre. Tu n’y es pas du tout, poursuivit‐il en parcourant le livre. Regarde ! Il y a un des sept voyages qui s’intitule « Le voyage du Black Belt ».
‐ Et donc ? Répondit Bernard toujours aussi enthousiaste.
‐ Et donc, tu trouveras dans ce livre la solution à ton problème, poursuivit Jean‐Louis. Regarde ! Tu peux suivre étape par étape le livre et conduire ton projet d’amélioration de processus. Bon, c’est vrai que ça peut paraître difficile de se lancer tout seul pour la première fois, sur un projet comme le tien, uniquement aidé d’un livre. Mais rien ne t’empêche de le lire. Après tu verras, tu pourras peut‐être la contacter. C’est quelqu’un de très accessible. Regarde ! J’ai sa carte de visite en marque‐page.
‐ Montre voir ! Répliqua Bernard soudainement intéressé.
Il parcourut le livre et s’arrêta sur une illustration de synthèse.
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Figure 1.2 - Le Voyage du Black Belt
‐ Eh bien, si on m’avait dit qu’à 55 ans j’aurais à me préparer pour aller sur la Lune… Regarde ça !
‐ Oui, je te remercie, mais je l’ai déjà lu, s’amusa Jean‐Louis. Allez ! Emmène‐le et prends‐en soin. Ma bibliothèque de livres de management c’est ce que j’ai de plus précieux !
‐ Ok, je te remercie, salua Bernard. Bon, je vais y aller.
‐ Non, tu rigoles, Béatrice va arriver d’une minute à l’autre. Tu vas rester manger avec nous !
‐ Bon OK, répondit Bernard sans se faire prier. Je vais quand même appeler Eloïse pour lui dire.
L’échange par téléphone entre Bernard et sa femme fut plus que succinct. Béatrice, la compagne de Jean‐Louis, arriva puis ils passèrent à table.
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Quand notre manager rentra chez lui, il était déjà 23h30. A son arrivée, Eloïse lisait un livre en buvant une tisane dans son lit. Après une toilette succincte, il la rejoignit et commença lui‐même à bouquiner son nouveau livre. Elïse était par nature quelqu’un de calme et posé. Son physique préservé lui donnait une dizaine d’années de moins. Son visage affiné dégageait une certaine plénitude. Pourtant ce soir‐là, ses boucles brunes et ses pupilles dilatées accentuaient par contraste, l’ardeur de sa colère.
‐ Tu te fous de moi ? L’interrogea Eloïse. Ça fait deux jours que tu rentres à une heure pas possible ! Et quand tu rentres, tu lis un livre alors que tu n’as pas ouvert un bouquin depuis au moins cinq ans. C’est à croire que tu cherches des prétextes pour que nous n’ayons plus à nous adresser la parole.
‐ Mais non, excuse‐moi ma chérie. Ça n’est pas du tout ça… S’expliquait notre déserteur du foyer conjugal. Tu sais j’ai eu une dure journée. Au boulot, ils veulent me remplacer et j’ai un projet de fou à mener… Alors, je suis passé voir Jean‐Louis pour me changer les idées.
‐ Ah d’accord. Parce qu’avec moi ça te paraît trop dur de te changer les idées ? Tu aurais pu m’inviter au restaurant par exemple. Non ! Ça ne t’a pas effleuré l’esprit que j’en ai marre de passer mes soirées, toute seule devant la télé ?
‐ Mais oui ma chérie, je suis d’accord avec toi. Mais Jean‐Louis avait un livre à me donner pour m’aider au boulot.
‐ Bien sûr ! Essaie de te justifier, rétorqua Eloïse fulminant de rage. Donc, quand ça n’est pas pour t’amuser, c’est pour le boulot ? Tu trouves que cette raison est plus légitime ? Quand te décideras‐tu à te préoccuper un peu plus de moi et moins de ton travail ?
Pour Bernard, c’en fut trop pour une seule journée. Il se leva et partit se coucher dans la chambre d’ami. Il savait que, quoi qu’il ait pu dire, les choses se seraient empirées.
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‐ C’est ça, va dormir dans ta chambre ! S’égosilla Eloïse. Il faudra quand même que tu apprennes un jour à discuter, plutôt que de te sauver après avoir usé et abusé de mauvaise foi !
Après ce quart d’heure d’orage, un vent d’accalmie se posa sur le foyer de nos deux amoureux mal aimés.
Chapitre d’introduction intitulé ʺLe Voyage du Black Beltʺ, issu du livre ʺLes 7 voyages de lʹinnovateurʺ de Salomé NYX.
De manière assez surprenante, la mission APPOLO 11 fait une parfaite analogie de la façon de mener un projet Lean Six Sigma*. Je vous invite donc à découvrir le DMAIC* au prisme de cette fabuleuse aventure humaine. Dans un premier temps, faisons un bref survol de la méthodologie avant de rentrer un peu plus dans le détail des outils.
La première étape du DMAIC correspond à la phase Définir. Cela induit la définition de la mission à accomplir, mais également la description de l’objet étudié. Pour la NASA, il s’agissait de déterminer très précisément les composantes du voyage lunaire (l’équipage d’astronautes, l’objectif de la mission, les étapes, jour par jour, montrant la façon dont devraient se dérouler les choses…etc.). Dans un premier temps, vous devrez également vous atteler à préciser avec rigueur la finalité de votre projet : ce qu’il doit inclure et ce qu’il doit exclure, le planning, l’équipe qui vous entourera…etc.
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Ce travail aboutit à votre premier livrable : la charte de projet. Ensuite, de la même façon dont la NASA a dépensé du temps à observer la Lune afin d’avoir assez d’informations pour appréhender avec sérénité le voyage, vous devrez chercher à comprendre le fonctionnement de votre processus. Pour cela, vous disposez d’outils de cartographie des processus comme le SIPOC (Supplier, Input, Process, Output, Customer), la VSM (Value Stream Map) ou même la carte détaillée du processus.
La phase suivante du DMAIC concerne la Mesure du processus. Cela inclut la définition de l’indicateur à suivre pour le projet, mais également la fiabilité du système de mesures. Avant de lancer sa fusée, la NASA s’est intéressée de très près à la trajectoire orbitale de la Lune. Pour cela, elle a fait de nombreux calculs pour connaître précisément le positionnement de la Lune lorsque la fusée devait se mettre en orbite autour de l’astre. Sans nul doute, ces calculs ont été vérifiés à maintes reprises afin d’en assurer la validité. Pour votre projet Lean Six Sigma, c’est la même chose. Une fois que vous aurez défini votre indicateur : le Y, il sera fondamental de vous assurer de la qualité de votre outil de mesure. Pour cette deuxième phase « Mesurer », les livrables sont : la définition du niveau 6 sigma actuel du processus, les standards de qualité attendus par le client (définis en amont par la voix du client), et la validation du système de mesures avec l’outil GR&R (Gauge, Repeatability and Reproductibility ‐ > Justesse, répétabilitée,et reproductibilité).
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La troisième phase, celle qui consiste à Analyser, s’identifie à la période orbitale. C’est le moment où l’on tourne autour du problème pour s’en rapprocher petit à petit. Dans un premier temps, il s’agit de définir le niveau 6 sigma du processus, pour savoir où l’on se situe. Ensuite, il faut identifier les raisons principales (à l’aide de différents outils comme le diagramme de Pareto, le Fishbone), qui induisent un écart entre les standards définis par le client et la position actuelle de l’indicateur. Enfin, il est nécessaire de remonter aux causes initiales (avec la méthode des 5 whys) pour être en mesure d’agir sur les vrais problèmes plutôt que sur les symptômes qu’ils révèlent.
Innover constitue la quatrième étape du DMAIC. C’est le moment où l’équipe estampille le processus de l’emblème du LSS. Cela consiste à apporter les améliorations nécessaires pour répondre aux problématiques rencontrées lors de la phase précédente. Que l’innovation sur le processus
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soit d’ordre incrémental ou de rupture, à la fin de cette étape, le processus doit être à même de ramener l’indicateur observé en adéquation avec les attentes du client. Les livrables de cette phase sont : une liste d’améliorations, une matrice de faisabilité et d’impact des innovations, et un plan d’action.
La dernière étape du DMAIC consiste à contrôler que les améliorations apportées conduisent bien l’indicateur vers les objectifs définis en amont du projet. C’est la phase de prise de recul, où l’on observe de loin, mais de manière attentive, la façon dont processus évolue. Dans le cadre de la mission APOLLO11, c’est le retour sur Terre. Cela induit un suivi scrupuleux du plan d’action, la formalisation des améliorations apportées sur les processus et un bilan de fin de projet pour situer ce qui a fonctionné et les difficultés rencontrées. Enfin, c’est l’occasion de clôturer le projet et d’en faire le deuil afin que les équipes mobilisées soient remerciées de leur implication. Les livrables sont, pour cette toute dernière phase : le suivi du respect de la mise en œuvre du plan d’action, la formalisation des processus améliorés avec les opportunités de nouveaux gains décelées, et le bilan du projet, avec une évaluation financière des gains obtenus, mais également les points clés qui ont permis le succès de la mission.
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Chapitre 2
LA MISSION
Mercredi 28 janvier. Bernard s’était levé très tôt.
‐Y’a pas idée d’installer des lits si inconfortables pour recevoir les amis, ruminait‐il dans sa barbe tout en se rasant.
Il gagna la cuisine, but son expresso d’une traite puis sauta dans sa voiture, son livre à la main.
Arrivé au bureau, notre manager s’isola pour travailler ardemment à la réalisation de son rétro planning. Il reprit les différentes étapes mentionnées dans le livre qu’il avait très brièvement parcouru. Puis il tenta, à la louche, de leur affecter un délai. A y réfléchir, il trouvait aberrant d’avoir à fournir un rétro planning si tôt alors qu’aucune analyse n’était entamée. Mais il comprenait aisément que son supérieur en ait besoin pour juger de la faisabilité du projet dans le temps imparti.
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Figure 2.1- Planning du projet.
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Il était 11h quand notre manager fit partir par mail le fruit de son travail. Au même moment, il vit son équipe prendre place autour de la table de réunion qui monopolisait la moitié de son bureau. C’était la réunion du mercredi. La réunion qui lui permettait de faire le point avec son équipe sur les dossiers en cours. Pour la première fois de sa vie de manager, il n’avait pas préparé sa réunion. Ainsi, entama‐t‐il sur un ton hésitant :
‐ Bon, tout d’abord bonjour à ceux d’entre vous que je n’ai pas encore croisés. La réunion d’aujourd’hui sera un peu spéciale. Tout d’abord, vous savez que je mets un point d’honneur à ce que chacun travaille les réunions auxquelles il a à participer. Figurez‐vous qu’aujourd’hui je n’ai rien préparé et pour cause, cela n’a plus lieu d’être. Je suis affecté à de nouvelles responsabilités, par conséquent je vais être remplacé très prochainement.
Un brouhaha commençait à s’installer dans le bureau quand Serge, un des business analystes, prit la parole.
‐ Cʹest‐à‐dire de nouvelles responsabilités… Une promotion ou un placard ? Ironisa‐t‐il avec compassion pour son hiérarchique.
‐ Sacré Serge va ! Ce qui est sûr, c’est qu’on ne pourra pas te remplacer toi ! S’amusa Bernard avant de se tourner vers l’ensemble de l’équipe. Ne vous inquiétez pas. Je serai tout de même chargé d’accompagner mon remplaçant. Je pourrai ainsi veiller à ce que les choses se passent bien. Mais entre nous, je ne vois pas ce qui pourrait clocher : vous êtes tous relativement autonomes ! Bref, exceptionnellement, nous ferons cette réunion lundi, après que je me sois entretenu avec Eric GAUTHIER, mon remplaçant. Comme ça, il sera directement dans le bain.
A son tour, André, brûlé par la curiosité, prit la parole :
‐ Tu ne nous as pas répondu sur tes nouvelles responsabilités ?
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‐ Je suis chargé de l’épineux dossier «Jardins de plaisir». En résumé, je dois faire en sorte que l’entité Martin’s Garden France se retrouve à la table des négociations en juin pour la prochaine commission de référencement. Et à ce jour, visiblement, ils y sont opposés.
Notre manager passa encore quelque temps à rassurer son équipe avant de s’isoler de nouveau. Une fois seul, il rouvrit son livre sur la double page qui embrassait la carte de visite. Il posa longuement son regard dessus puis se lança. Il prit le combiné et composa le numéro.
Les bips retentirent…
‐ Salomé NYX au téléphone que puis‐je pour vous ?
‐ Bonjour, je m’appelle Bernard TALIN. J’ai un ami qui a suivi une de vos conférences et m’a prêté votre livre. Je l’ai parcouru rapidement et je pense qu’il peut m’aider sur mon projet, mais je ne suis pas sûr d’être en capacité d’intégrer tous les concepts et de les mettre en œuvre par moi‐même. Voilà, je suis…
‐ Je ne suis pas sûre de pouvoir vous aider, Monsieur TALIN, coupa la jeune femme craignant des détails inutiles. Dites‐moi, quel livre avez‐vous entre les mains et quelle est la nature de votre projet ?
‐ Oui bien sûr ! Répondit notre manager en perdant son aplomb initial. C’est « les 7 voyages de l’innovateur ». Le passage qui m’intéresse le plus concerne l’analogie entre la mission APPOLO 11 et un projet Lean Six Sigma.
‐ Très bien. Et donc quelle est la nature de votre projet ? Reprit‐elle.
‐ Je dois travailler sur des processus et améliorer la qualité que nous apportons à un de nos clients qui nous menace de nous sortir de son référencement.
‐ A quel niveau de la supply chain travaillez‐vous Monsieur TALIN?
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‐ Je travaille pour un manufacturier. Martin’s Garden plus précisément. Le projet concerne l’entité française, mais il y aura peut‐être d’autres maillons de la supply chain qui seront impliqués, comme les fournisseurs, la plateforme logistique, les transporteurs…
‐ Très bien, vous êtes donc situé au siège. Et vous pilotez l’ensemble de la supply chain depuis vos bureaux donc…
Bernard, ne sachant pas trop comment prendre la question, minauda un petit :
‐ Oui en quelque sorte.
‐ Très bien, je pense que vous m’en avez assez dit. Je fais une conférence mercredi prochain sur Paris. Profitez‐en pour passer me voir, nous échangerons un peu plus sur votre projet. Vous trouverez les infos sur le lieu, l’heure et les modalités de réservation sur mon blog. Dʹici là, lisez attentivement le chapitre que vous m’avez cité et envoyez‐moi par mail une synthèse de ce que vous en avez retenu. J’en profiterai pour vous envoyer des documents de support qui vous aideront tout au long de votre projet. Vous avez d’autres questions ?
‐ Non merci, Madame NYX. Je vous remercie et vous dis à mercredi alors…
‐ Très bien, à mercredi, conclut notre experte en innovation d’un ton plus détendu.
Bernard raccrocha et bascula son fauteuil pour regarder au plafond. Il avait le sentiment de sortir d’un entretien éprouvant.
Cette femme est une adepte de l’efficience. Deux trois questions et elle cerne directement les contours du projet. J’ai l’impression qu’elle en sait déjà plus que moi sur ce qui m’attend. Et dire que Jean‐Louis me parlait d’elle comme une personne accessible. J’ai plus l’impression que c’est une folle furieuse. Mais bon, après tout elle m’a invité à venir la voir et elle ne m’a pas refusé
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son aide. C’est l’essentiel. Allez, oublions cette première approche un peu sèche. Elle doit être tellement sollicitée…
Mille relents de sentiments envahissaient notre manager à la suite à ce court appel. Bernard balançait entre l’enthousiasme de rencontrer un personnage étrangement talentueux et la peur de ne pas être à la hauteur.
Le téléphone sonna. Il ne décrocha pas. Mais cet appel lui permit de revenir à la réalité. Il se lança à la recherche du blog. Puis il fit le nécessaire pour réserver les billets afin se rendre à la capitale la semaine suivante. Il édita quelques articles puis profita de l’heure du déjeuner pour rentrer.
Arrivé chez lui, notre manager se prépara un léger repas puis déjeuna. Puis, après une courte sieste de vingt minutes, il but un café et se rendit dans son bureau. Il passa ainsi trois heures à lire et à prendre des notes. Après lʹabsorption de la dernière page, il ferma le livre et fixa la première de couverture quelques instants.
Ce livre est vraiment bien fait ! Cette façon quʹelle a de conduire son analogie entre un projet Lean Six Sigma et la mission APPOLO 11 est stupéfiante de pédagogie et dʹingéniosité. Au premier abord, tout ça paraît un peu conceptuel, mais au final, la présentation des outils et de leur enchaînement reste très opérationnelle. Et puis, toutes les étapes se déroulent naturellement. Non vraiment, je suis bluffé. Jʹai hâte de rencontrer cette talentueuse Salomé NYX.
Il posa ainsi rapidement sur le papier le fruit de sa réflexion et il la synthétisa sur son ordinateur. Après relecture, il transféra par mail le fichier à son nouveau mentor incarné en cette jeune innovatrice.
Les jours suivants, Bernard profiterait de la fin de la semaine pour déménager son bureau. On lui avait affecté une pièce dans la partie sud du bâtiment qui accueille lʹentité France de Martinʹs Garden. Ainsi, il restait dans les mêmes locaux et pouvait venir en aide à son remplaçant en cas de besoin. En même temps, il intégrait les locaux de
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lʹentité française qui était directement concernée par le projet quʹil avait à mener. Il en profiterait également pour prendre rendez‐vous avec Marina ZELOS, la directrice générale de lʹentité France, Luc MORIN, le directeur commercial et Sylvain SIOUX le responsable comptes clés en charge du client «Jardins de plaisir».
Pour le week‐end, Bernard et Eloïse sʹétaient organisés une petite sortie. Cela leur aurait permis de décompresser et de retrouver une intimité perdue du fait des dernières contrariétés. Malheureusement, la météo nʹétait pas de leur côté. Ainsi, ils furent obligés de tout annuler. Ils restèrent donc chez eux, avec toujours aussi peu de chose à échanger. Lʹune face à sa télé, lʹautre le nez dans les livres. Pas évident de faire face à ce paradoxe : Eloïse reprochait à Bernard de ne pas lui accorder assez de temps, et quand ils se retrouvaient bloqués tout un week‐end chez eux, ils n’avaient rien à se dire… Une certaine résignation s’était installée. Nos deux tourtereaux en avaient bien conscience, mais que pouvaient‐ils y faire ? Au final, ce week‐end fut long, très long.
Figure 2.2- Extrait organigramme de Martin's Garden
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Lundi 2 février Bernard était officiellement retiré de sa fonction de ʺResponsable Demand Planning EMEAʺ au profit du jeune Eric GAUTHIER. Notre manageur éprouvait un réel plaisir à accueillir le jeune homme. Durant toute sa carrière, Bernard nʹavait jamais ressenti dʹamertume à lʹarrivée de nouvelles têtes. Il trouvait toujours cela très stimulant pour lʹentreprise. Mais bien obligé de constater tout de même que certaines nouvelles recrues, sorties des grandes écoles de commerce, sʹavéraient parfois correspondre davantage à des ʺtêtes à claquesʺ quʹà des têtes ʺbien faitesʺ. Le jeune Eric sʹétait présenté à lʹheure, vêtu dʹun costard cravate qui lui permettait dʹasseoir un peu plus de crédibilité. En écoute plutôt quʹextraverti lors de lʹentretien, il décrivit de manière synthétique son cursus : grande école de commerce, divers stages à droite à gauche dans des multinationales, puis finalisation par lʹintégration de Martinʹs Garden dans le cadre du programme ʺmanagers de talentsʺ, qui consistait en lʹintégration dʹun jeune à fort potentiel, pour le former pendant deux ans aux métiers de lʹentreprise, avant de le positionner comme manager.
Après cette courte présentation, Bernard lui présenta le service, les fonctions de chaque personne, les différents profils de lʹéquipe, les indicateurs régulièrement suivis, le rythme des réunions de travail ainsi que les interactions avec les autres services.
Après deux journées passées à faire le tour de ces différents éléments, le jeune manager commençait à prendre pied dans sa nouvelle fonction. Pendant quelques semaines, Bernard resterait disponible pour les ʺaffaires courantesʺ. Mais il devrait rester discret afin que le jeune manager puisse sʹimposer et gagner le leadership nécessaire pour manager l’équipe en place.
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Mercredi 4 février. Le jour de la conférence de Salomé NYX avait montré son nez. Bernard, avant de partir, avait imprimé le mail que son nouveau mentor lui avait transmis la veille. Il en avait également profité pour éditer la ʺcharte de projetʺ quʹil avait réalisé sur la base du modèle quʹelle lui avait transmis.
Extrait du chapitre ʺLe Voyage du Black Beltʺ issu du livre ʺLes 7 voyages de lʹinnovateurʺ de Salomé NYX.
Avant de lancer son équipage sur la Lune, la NASA avait défini avec beaucoup de précautions les tenants et les aboutissants du projet. De la même façon, cette ʺcharte de projetʺ reprend des éléments essentiels qu’il est important de définir avant le démarrage de votre projet. Cette charte constitue votre document de référence. Si lors du projet, quelqu’un vous soumet un doute sur la bonne direction de celui‐ci, c’est vers la ʺcharte du projetʺ qu’il vous faudra vous tourner.
Le responsable du projet :
Tout projet doit avoir un leader, une personne qui le représente. Tout le monde se souvient du nom de Neil A. Armstrong car c’est cet homme qui a incarné la mission APPOLO 11. Un projet LSS doit également avoir son leader. Le responsable de projet doit être reconnu et avoir toute légitimité pour prendre les décisions nécessaires. Veillez bien à tout cela. Si vous ne vous imposez pas en leader et/ou que vous n’avez pas de légitimité auprès des
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équipes impliquées dans le projet, vous aurez énormément de mal à le conduire à son terme avec succès.
Le Master Black Belt* :
La mission APPOLO 11 a été réalisée par lʹéquipage embarqué. Si les choses se réalisaient concrètement dans la capsule spatiale, sur terre, il y avait toujours quelqu’un, avec assez de recul, pour orienter les choses et pour donner des conseils sur la démarche à suivre. Pour le projet LSS, c’est la même chose : le Master Black Belt n’est pas là pour réaliser le projet à votre place. En revanche, il vous guidera dans la conduite du projet.
Champ d’application :
Ils sont allés sur la Lune et ils n’ont pas fait de détour par Mars. Pour cause, l’objet de la mission était d’aller sur la Lune et d’en revenir (point). Il est tout aussi important, avant de se lancer dans un projet LSS, de définir là où vous allez et sur quoi vous allez travailler. Une fois le champ d’application déterminé, il sera d’autant plus facile de définir si les éléments rencontrés sur votre chemin font partie du périmètre établi ou si vous devez les écarter de votre analyse.
L’objectif :
L’objectif de la mission APPOLO 11 était clairement défini : poser le drapeau des Etats‐Unis d’Amérique sur le sol lunaire pour prouver la supériorité des américains faces aux Soviétiques. Et vous ? Quel sera le drapeau qui prouvera que vous avez atteint vos objectifs ? Un objectif doit être factuel et précis. Si l’objectif est clairement défini alors, il sera facile de juger si celui‐ci a été atteint ou non. Si l’objectif reste vague alors, son évaluation sera nécessairement subjective.
L’équipe projet :
L’équipage de la mission APPOLO 11 a été minutieusement constitué avec les meilleurs astronautes du moment et notamment les plus compétents pour cette mission. Vous devez également constituer votre équipe avec les
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personnes les plus à même de faire face aux problématiques que vous allez aborder. La plupart du temps, l’équipe projet ne sera pas officiellement constituée, car un projet LSS se déroule souvent en parallèle des activités du quotidien. Cependant, formaliser la participation de chacun dans votre projet vous permettra de faire prendre conscience aux personnes de leur pleine contribution à la réussite de votre mission. Et si elles se sentent impliquées, elles auront tout intérêt à vous aider. Inscrivez donc le nom des personnes susceptibles d’être concernées par votre projet puis sensibilisez‐les sur ce document à chacune de vos réunions.
Planning :
Avant de lancer son équipage sur la Lune, la NASA avait programmé chaque étape de la mission à la seconde près, depuis le décompte du lancement du module spatial jusqu’au retour sur la terre ferme des astronautes. Il en est de même pour votre projet LSS. Vous devez définir des échéances pour chacune des étapes du DMAIC, voire même pour chaque livrable attendu. Ne soyez pas pessimiste sur la définition de ces dates butoirs. Ce sont les challenges qui sont mobilisateurs. Si vous avez des doutes là‐dessus, reportez‐vous à la loi de Parkinson.
Le retard de son train amena notre manager à se présenter un peu tardivement à la conférence. Lorsquʹil sʹinstalla, la présentation avait déjà commencé depuis 1/4 dʹheure. Il sortit un calepin de sa sacoche et une plume de son veston puis se concentra sur lʹanimatrice, Salomé NYX.
La Master Black Blet (MBB) menait sa conférence dʹune main de maître. Cʹétait une oratrice hors pair. Elle s’adressait à son auditoire en variant son mode de communication : elle sollicitait les kinesthésiques avec de courtes analogies et des interpellations dans le public ; aux visuels, elle présentait des slides bien structurées avec des illustrations percutantes ; pour les auditifs, elle usait avec agilité de la technique du disque rayé en marquant à trois ou quatre reprises les éléments fondamentaux de son discours.
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Figure 2.3- Slide "Project Charter" du fichier de suivi du projet.
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La jeune érudite présentait le Lean Six Sigma comme une boîte à outils. Elle fulminait contre tous les MBB qui présentaient la méthode comme une démarche qui nécessitait une expertise toute particulière dans les statistiques et le traitement des données. Elle dénonçait également les praticiens qui présentaient le Lean comme une nouvelle philosophie. Bref, avec elle, tout le monde en prenait pour son grade. Cʹétait pour elle une bonne manière dʹattirer lʹattention de son auditoire. Par ailleurs, si cette présentation des choses interpellait quelque peu, elle avait surtout le mérite de rassurer le public quant à sa capacité à mettre en œuvre le Lean Six Sigma.
Bernard, prenait sa part dʹenthousiasme sur ce point. Jusquʹici, il en était à moitié convaincu. Mais cette conférence fut un déclic : si le LSS nʹétait quʹune somme dʹoutils et de bon sens, alors notre ami sʹimaginait déjà sʹaffranchir des difficultés à venir.
A la fin de la conférence, lʹanimatrice semblait très pressée. Bernard rangea son calepin et se présenta à Mlle NYX.
‐ Bonjour Mlle NYX, je suis Bernard TALIN, nous avons déjà échangé quelques mots au téléphone et par mail.
‐ Oui, bonjour M. TALIN, ravie de vous rencontrer ! Avez‐vous trouvé la conférence intéressante ?
‐ Oui bien sûr. Elle a éclairé davantage quelques zones dʹombre. Il en reste encore, mais petit à petit je commence à mʹimprégner de la méthode. Tenez, jʹai réalisé la charte de projet avec le modèle que vous mʹaviez transmis.
‐ Parfait, je vois que vous ne perdez pas de temps ! Cʹest très bien ! Lançait notre jeune experte après avoir parcouru en quelques secondes le document. Votre projet mʹintéresse, poursuivit‐elle. En France, le LSS est très peu répandu. Et sʹil est connu dans les usines de production, il est quasi inexistant dans les services.
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‐ Vous savez, je pense que ce sont surtout des problèmes de supply chain. Nos services sont surtout en support de lʹorganisation, mais ce ne sont pas eux qui génèrent les problèmes. Dʹailleurs, cʹest plutôt le contraire : ils sont là pour les réduire, sʹaventura notre manager.
‐ Précisément, non, M. TALIN ! Ou devrais‐je dire Bernard maintenant que nous savons que nous allons travailler ensemble ? La gestion des flux physiques doit sûrement nécessiter des optimisations. Mais, à la vue des volumes que vous traitez dʹores et déjà, votre supply chain est plus efficace que vous ne le pensez. Ce sont bien vos processus transactionnels* qui sont ici en jeu. Si vous avez lʹimpression que cʹest la supply‐chain et sa gestion des flux physiques, alors cʹest quʹil y a derrière cela un processus transactionnel qui coince. Et cʹest précisément pour cela que votre projet mʹintéresse. Des projets de réduction des stocks, dʹoptimisation des coûts de transport, de réduction des coûts dʹapprovisionnement, tout le monde sait les traiter aujourdʹhui ! Mais le dernier bastion à conquérir, ce sont les bureaux, là où tout se gère.
‐ Ah OK ! Minauda Bernard déstabilisé, avant d’enchainer. Vous savez, jusquʹà maintenant, jʹétais partagé entre le découragement dʹavoir à mener un projet qui ne relève dʹaucunes de mes compétences et la joie de me lancer dans quelque chose de nouveau. Mais à vous écouter, jʹai lʹimpression de partir de loin. Dʹautant plus que le client, à mon avis, nous lʹavons déjà perdu. Pensez‐vous vraiment que nous puissions retourner la situation en quatre mois ?
‐ Oui, je le pense. Ne regardez pas ce que vous aurez à faire demain ! Prenez chaque jour comme un nouveau jour et avancez. Surtout, soyez conscient d’une chose : le délai de réalisation d’une tâche dépend avant tout du temps que nous lui accordons. Alors, veillez bien à ne pas accorder trop de temps à la réalisation de certains travaux. Autre chose ; avant dʹentamer chaque action, posez‐vous cette question : est‐ce que cette tâche est déterminante pour mon projet ? Si cʹest oui, faites‐la immédiatement. Si vous nʹavez ne serait‐ce quʹune seconde de doute, mettez‐la de côté. Voilà, je suis désolée, mais je dois y aller. Tout au long de votre projet, ne pensez quʹà une
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chose : ce que vous dit le client ! Pas ce que vous pensez quʹil dit, mais CE QUʹIL DIT !
Elle serra la main de Bernard puis entama son départ.
‐ Attendez ! Lança Bernard. Quel est le deal entre nous ? Vous voulez bien être ma Master Black Belt sur ce projet ? Comment fait‐on financièrement parlant ?
‐ Pour lʹensemble de ce projet, je vous accorde 5 mails et 2 coups de téléphone. Le téléphone, cʹest uniquement en cas dʹurgence ! Je suis disponible pour vous répondre du mardi au vendredi. Si vous atteignez votre objectif, vous me devrez une demi‐journée en tête à tête pour mʹexpliquer votre projet dans son ensemble. Si vous échouez, je vous devrai ma collection complète de livres. Alors, ne me décevez pas et soyez à la hauteur du service que je vous rends.
Puis elle sʹesquiva en laissant à son interlocuteur un clin dʹœil enthousiasmant.
Charmé par son interlocutrice, notre manager en revint vite à des soucis très concrets :
ʺCinq mails, deux coups de téléphone sur une méthode dont je ne connais presque rien… Elle est folle… En même temps, elle ne me demande aucune compensation financière, ce qui tombe très bien, car je nʹai aucun budget…Bon allez, arrête de rêvasser Bernard ! Tu as encore un train à prendre.ʺ
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Jeudi 5 février. Alors que Bernard avait pris rendez‐vous pour la semaine suivante avec Sylvain SIOUX, le responsable compte clé, il décida dʹavancer son entretien. Il avait suivi à la lettre les recommandations de Mlle NYX et il sʹétait ainsi rendu compte que toutes les tâches quʹil avait programmées pour la fin de la semaine nʹavaient que peu dʹintérêt pour le projet (préparation dʹune réunion dʹouverture de projet, formalisation de documents pour son remplaçant…etc.). Il fallait avancer et sans tarder.
Ainsi, à 8 h 30, il se présenta dans le bureau du jeune commercial.
‐ Salut Sylvain ! Tu vas bien ?
‐ Ça va, je te remercie. Quʹest‐ce qui me vaut ta visite ? On doit se voir lundi il me semble ?
‐ Effectivement, nous avions programmé notre entretien lundi, mais je pense quʹil faut attaquer au plus vite ce projet. Alors, jʹai mis de côté des choses sans importance pour que nous puissions commencer tous les deux à ʺdébroussaillerʺ le terrain. Quʹest‐ce que tu en dis ?
‐ Jʹen dis que ce dossier est assez sensible pour le prendre à bras le corps au plus vite. Cela fait plusieurs semaines que jʹessaie dʹalerter tout le monde sur les problèmes que rencontre ce client et personne ne réagit. Alors, ce nʹest pas le jour où lʹon va me presser que je vais freiner de mon côté ! OK. Laisse‐moi deux minutes pour éditer les dernières réclamations et je suis à toi.
Le jeune homme récupéra les feuilles éditées puis attrapa le dossier de son client dans lʹarmoire.
‐ Vas‐y, je tʹécoute. Dis‐moi ce qui ne va pas pour ton client.
‐ Déjà, comme je viens de te le dire, cela fait plusieurs semaines que jʹalerte tout le monde sur ce dossier et nul ne sʹaffole. Jʹai lʹimpression que personne ne me prend au sérieux dans cette boutique.
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Bernard savait quʹil était inclus dans le ʺpersonneʺ énoncé par son interlocuteur. Il se rappelait lʹavoir reçu à propos de ce client. Seulement le jeune commercial exprimait avec tellement de dédain les problèmes de ses clients et pressait tellement les gens pour les faire travailler, quʹau final, il nʹobtenait que le contraire : personne ne faisait dʹeffort pour arranger ses problèmes.
‐ Ecoute Sylvain, commençait à sermonner Bernard. Je suis bien placé pour te dire que tu ne présentes pas tes problèmes de la meilleure façon pour inciter les gens à travailler pour toi. Maintenant, le passé cʹest le passé. Essayons de travailler ensemble pour que tu sois à la table des négociations au mois de juin. Si nous passons notre temps à savoir qui a bien fait ou mal fait les choses, je peux tʹassurer que cet été, nous y serons encore. Alors, dis‐moi ce que «Jardins de plaisir» nous reproche.
‐ OK, avançons ! Concéda Sylvain, assagi par lʹexpérience de son contradicteur. Il tendit un mail à Bernard et poursuivit. Ici, ils nous reprochent des ruptures* de stock sur une action commerciale, alors quʹils nous avaient envoyé leur engagement de commande six mois à lʹavance. Lorsque jʹai contacté la plate‐forme, ils mʹont dit quʹil était impossible de réserver du stock pendant 6 mois, et que, si le produit était en rupture, c’était certainement dû à une sous‐estimation de la demande. Ensuite, je suis venu te voir, si tu te souviens, Bernard. Et tu mʹas dit, à lʹépoque, quʹil nʹy avait pas eu de ruptures puisque la livraison du client avait eu lieu.
‐ Oui je me rappelle, acquiesça Bernard. La marchandise était partie de la plate‐forme avec un jour de retard.
‐ Oui, un jour de retard pour la plate‐forme. Ensuite, le service réception du client a décalé de trois jours la livraison, car ils nʹavaient plus de créneaux disponibles. Ce qui fait quʹau final, le client a reçu la marchandise le mardi alors que la campagne promotionnelle avait démarré le jeudi dʹavant. Comme ils ont perdu les ventes du week‐end, ils mʹont demandé de reprendre la marchandise invendue ; ce
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que je nʹai pas pu faire puisqu’une décision au niveau européen interdit toutes reprises de marchandises.
Pendant ce temps, Bernard prenait des notes afin de ne rien perdre des éléments mentionnés par le responsable compte clé. Celui‐ci poursuivait :
‐ Ici, ils nous reprochent dʹavoir livré le concurrent et de leur avoir demandé s’ils pouvaient aller chercher eux‐mêmes la marchandise.
‐ Comment ça, nous leur avons demandé de récupérer la marchandise chez le concurrent ? Fit Bernard, interloqué.
‐ Oui ! Jʹétais aussi surpris que toi, mais apparemment, cette procédure est en place depuis quelques mois. Pour réduire les coûts de retour de marchandises, au centre d’appels, ils sont chargés de demander aux clients de récupérer eux‐mêmes la marchandise en échange dʹun geste commercial sur la facture à recevoir.
Sylvain fit passer son mail à Bernard puis poursuivit avec le suivant :
‐ Ici, ils nous reprochent de leur livrer des produits quʹils nʹont jamais référencés. Il y a eu une erreur lors de la saisie de la commande. Quand je suis allé voir la personne qui saisit les commandes, celle‐ci m’a répondu que ça arrivait... que lʹerreur est humaine !
‐ Effectivement, ça peut arriver, concéda Bernard avec un regard qui devenait de plus en plus sombre.
‐ Ici, ils nous reprochent les écarts de prix entre leurs commandes et les factures quʹils reçoivent. Cela génère chez eux des surcoûts de gestion au service comptabilité. Alors, je suis allé voir le service informatique et quand ils ont fait le test sur le tarif, cʹétait le bon ! Mais quand ils sont remontés dans lʹhistorique du fichier, ils se sont rendu compte que le prix avait été saisi une semaine après sa date de mise en application. Alors, je suis allé voir Emile STEVEN, le responsable marketing. Il mʹa répondu que le data manager*avait mis
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une semaine pour fournir un retour sur sa demande de changement de tarif. Alors, je me suis rendu au service informatique, qui mʹa objecté que le service marketing ne lui avait pas donné tous les éléments pour valider le tarif en question. Bref, tout le monde se renvoie la balle, et moi je mʹamuse à passer de service en service pour comprendre ce quʹil se passe. Au final, je nʹai aucune réponse à apporter à mon client ! Quʹest‐ce que tu veux que je lui dise ? Tu veux que je lui raconte tout ça ?
‐ Effectivement, je comprends mieux ton désarroi. Et j’appréhende davantage les raisons qui poussent le client à nous écarter du prochain référencement.
‐ Tu mʹétonnes ! Surenchérissait Sylvain. Alors avec tout ça, si tu arrives à tʹen sortir : chapeau ! En tout cas moi, je ne vois pas la solution.
‐ Bon tu mʹas tout dit ? S’assurait Bernard.
‐ Oui ! Globalement, nous avons fait le tour.
‐ OK. Est‐ce que tu pourrais me transférer tous les mails que tu as échangés sur ces différents problèmes ? Je les lirai à tête reposée. Et est‐ce que tu pourrais me donner tes contacts chez «Jardins de plaisir» afin que je puisse savoir ce quʹils pensent de tout cela ?
‐ Pas de problème, je tʹenvoie ça tout de suite. Et nʹhésite pas à mʹappeler si tu as des questions ! Mon responsable mʹa confirmé que ce projet était important et il mʹa bien fait comprendre que je devais tʹapporter toute lʹaide nécessaire.
‐ Je tʹen remercie Sylvain. Je nʹhésiterai pas à revenir te voir.
Après cette réunion, Bernard ne savait plus où donner de la tête. Il avait lʹimpression que le projet partait dans tous les sens : problèmes de stocks, de livraison, dʹerreurs de saisie, de tarifs, de processus interservices. Il prit la journée pour structurer toutes ces informations
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et y voir plus clair. Il en profita également pour contacter le chef de produit de «Jardins de plaisir» et le solliciter pour un rendez‐vous qu’il envisageait dès le lendemain ; ce quʹil réussit à obtenir sur un créneau horaire plutôt matinal : de 7h30 à 8h.
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Vendredi 6 février Il était 7h30 quand Bernard se présenta dans les locaux de «Jardins de plaisir». L’enseigne siégeait à Paris. Aussi, notre manager était parti de chez lui à 5h, frais comme un gardon. Lʹhoraire matinal faisait prendre conscience à Bernard de la beauté cachée de la capitale, quand tout y est si calme. Dʹailleurs, cʹétait tellement paisible que Bernard trouva portes closes quand il arriva. Au pied de lʹimmeuble, il prit son téléphone et contacta Daniel MANIAR, le chef de produit en question. Celui‐ci décrocha immédiatement :
‐ Je viens vous ouvrir tout de suite, M. TALIN !
‐ Très bien. Je patiente, lui répondit Bernard en souriant.
Le parisien ouvrit la porte à notre manager et lʹaccompagna à son bureau où deux cafés les attendaient.
‐ Je présume que vous prendrez un café, M. TALIN ?
‐ Bien volontiers. Je vous remercie.
‐ Comme je vous lʹai dit hier, je ne pouvais vous recevoir que ce matin, sinon, cela nous aurait reportés à dans deux semaines et dʹaprès ce que jʹai cru comprendre, cela faisait trop loin pour vous. Alors, je vous écoute. Nous avons jusquʹà 8h pour discuter ensemble.
Bernard avala une gorgée puis démarra en reprenant point par point chacun des griefs dont lui avait parlé Sylvain. Mais le chef de produit lʹarrêta très vite :
‐ Je sais que jʹai transmis tous ces problèmes à M. SIOUX mais les choses sont plus compliquées que cela ! Vous savez, ce nʹest pas moi qui suis mécontent. Les conditions commerciales de Martinʹs Garden sont très intéressantes et c’est pour moi une bonne raison de reconduire votre référencement chaque année. Entre nous : tous les petits problèmes dont vous me parlez existent. Cependant, ces problèmes sont également présents chez vos concurrents ! Ma
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difficulté aujourdʹhui, cʹest que je fais partie dʹune entreprise avec un mode de gouvernance un peu particulier. Vous êtes ici au siège de la franchise, mais les décideurs sont nos affiliés. Alors bien sûr, mon rôle consiste à vous rencontrer, vous, Martinʹs Garden, et les autres, puis de déterminer le meilleur fournisseur pour nos rayons. Mais si les adhérents me disent tous en bloc que vous êtes mauvais et que je dois prendre un autre fournisseur, alors je serai obligé de répondre favorablement à leurs attentes. «Jardins de plaisir», ce nʹest pas Mc Do. Nous nʹavons pas « tout pouvoir » de décision et ensuite nos affiliés suivent. Ici, cʹest nous qui sommes au service de nos franchisés. Alors, je vous accorde que pour prendre des décisions, ce nʹest pas très facile, mais il faut faire avec.
‐ Très bien. Alors, quʹest‐ce que vous attendez de nous ? Demanda Bernard plus dubitatif que jamais.
‐ Ecoutez, je ne suis pas sûr que cela dépende vraiment de vous. Dʹaprès ce que jʹai pu comprendre, cela fait plusieurs mois que votre principal concurrent, Garden Tools, essaie de traiter en direct avec les clients sans passer par la case ʺréférencementʺ de la centrale. Cʹest la politique du ʺdiviser pour mieux régnerʺ. Ainsi, il propose des conditions très avantageuses à quelques clients pour que ceux‐ci fassent pression sur moi pour l’intégrer. Mais l’ennui, cʹest que lorsque j’associe ce fournisseur à une négociation, il ne propose pas les mêmes conditions. Car sur lʹensemble de nos magasins et sur la totalité des produits, il ne serait plus rentable. Mais les franchisés, eux, ce quʹils voient, cʹest que vos prix sont plus chers et surtout que vos commerciaux sont moins présents que ceux du concurrent. Pour lʹinstant, jʹai réussi à canaliser les demandes en intégrant le fournisseur Garden Tools sur une toute petite gamme dʹaccessoires. Mais, du coup, les clients en profitent pour commander les autres produits. Si bien que lʹannée dernière, nous nʹavons pas atteint les objectifs que nous nous étions fixés avec votre marque et dans le même temps, votre concurrent bénéficie dʹune dynamique sur son chiffre dʹaffaires ; ce qui renforce nos adhérents dans lʹidée quʹil faut changer de fournisseur sur ce rayon. Vous comprenez ?
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Avec ces explications, Bernard cernait mieux le problème et appréhendait davantage les soucis de surstock quʹil avait rencontrés sur certaines références dont on lui avait reproché de mauvaises prévisions de vente.
‐ Oui. Effectivement. Je comprends mieux. Mais, sʹil sʹagit dʹun problème ʺpolitiqueʺ, pourquoi vous vous efforcez à nous transmettre ces problèmes qui, à vous écouter, nʹen sont pas réellement !
‐ Vous avez raison ! Ça nʹest pas à moi de traiter ces problèmes opérationnels. Et ça ne relève pas non plus de la compétence de M. SIOUX. Normalement, les magasins devraient prendre directement contact avec votre service client et traiter cela avec eux. Mais les directions, qui veulent changer de fournisseurs, se servent de ces litiges pour mettre en avant votre manque de qualité. Je vous le redis : je suis persuadé que Garden Tools nʹapporte pas une meilleure qualité de service ! Dʹailleurs, je mʹen suis dʹores et déjà assuré avec la gamme dʹaccessoires que nous avons mise en place avec eux. Mais la perception des magasins vis‐à‐vis de ce concurrent est meilleure. Que voulez‐vous ? Cʹest comme ça ! On ne peut rien y faire !
‐ Vraiment ? Vous pensez que nous ne pouvons rien y faire ! Sʹexclama notre manager.
‐ Ecoutez, je ne veux pas vous décourager. Si vous êtes venu si tôt ce matin de si loin, cʹest que vous êtes déterminé à faire avancer les choses. Je vais vous donner les coordonnées des adhérents qui ont le plus dʹinfluence dans notre réseau vous verrez bien ce quʹils vous diront. Tenez ! Vous avez ici le responsable de lʹadministration des ventes (ADV) de lʹun de nos plus gros adhérents. Et voici la liste de tous les Responsables ADV du réseau. Voilà, M. TALIN, jʹespère vous avoir aidé. Je suis désolé, je ne peux converser avec vous plus longtemps. Il est déjà 8h et jʹai un rendez‐vous qui ne va pas tarder dʹarriver.
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‐ Très bien. Je vous remercie, M. MANIAR. Vous mʹavez apporté beaucoup dʹinformations qui me seront dʹune grande utilité. Pourrais‐je vous contacter à nouveau en cas de besoin ?
‐ Bien sûr ! Nʹhésitez pas.
Les deux hommes se saluèrent sur le perron de lʹimmeuble haussmannien puis Bernard regagna la station de métro la plus proche, direction Gare de Lyon. Dans le TGV, Bernard passa une heure de son temps à formaliser les informations recueillies, puis il sʹassoupit le temps restant pour récupérer un peu dʹénergie.
De retour à son bureau, il profita de sa dynamique matinale pour attraper le téléphone et appeler le premier contact fourni. La carte de visite annonçait M. PICOLLA. La sonnerie retentit à plusieurs reprises. Au moment où Bernard allait raccrocher, quelquʹun prit lʹappel.
‐ Service administration des ventes de «Jardins de plaisir», bonjour !
‐ Bonjour. Cʹest Bernard TALIN de la société Martinʹs Garden. Jʹaurais souhaité parler avec M. PICOLLA.
‐ Il est absent des bureaux. Il est en visite magasin. Est‐ce que je peux prendre un message ?
‐ Heu… Je ne sais pas. Répondit notre manager un peu déçu. Vous pouvez peut‐être mʹaider. Comme je vous lʹai dit, je fais partie de la société Martinʹs Garden. Nous approvisionnons vos magasins sur les outils de jardin.
‐ Oui, bien sûr que je vous connais. Dites‐moi : en quoi puis‐je vous être utile ?
‐ Nous avons enregistré quelques problèmes de votre part sur la qualité de nos services. Jʹaurais souhaité en savoir davantage.
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‐ Oui, effectivement, nous avons transmis les demandes de la part des magasins à Daniel MANIAR. Mais ici, à lʹadministration des ventes, nous nʹavons pas de problèmes particuliers.
‐ Ah bon ! Vous êtes sûrs ? Pour vous, tout va très bien chez Martinʹs Garden ?
‐ Tout va très bien… On ne va pas aller jusque‐là, mais nous ne rencontrons pas plus de difficultés avec vous quʹavec les autres fournisseurs. Pour nous, ce qui pose le plus de problèmes ce sont les ouvertures de magasins. Vos procédures de création de compte client sont trop lourdes et nous prennent énormément de temps. Il arrive même parfois que lorsque le magasin ouvre, votre rayon soit le seul à ne pas être installé. Sinon, pour tous les autres problèmes, il faut que vous voyiez directement avec les points de vente. Ici, nous ne faisons que de la consolidation dʹinformations. Nous ne sommes que lʹintermédiaire entre les magasins et la centrale. Alors bien sûr, nous connaissons les problèmes rencontrés puisque nous faisons l’interface. Nous pourrions très bien vous dire les problèmes qui sont remontés, mais il est parfois difficile d’évaluer la légitimité de certaines complaintes… La seule chose que je peux vous dire, c’est que lors de la dernière réunion plénière, votre dossier a fait l’objet de nombreuses contestations. M. PICOLLA pourrait vous en dire davantage, mais malheureusement comme je vous l’ai dit, il n’est pas là ! Je pense que pour comprendre quels sont les vrais problèmes, vous devriez vous rapprocher des responsables de magasin.
‐ Ah ! Très bien, je vois. Je vais contacter directement les magasins alors. Je vous remercie. Bonne fin de journée. Au revoir.
‐ A votre service Monsieur ! Au revoir.
Bernard raccrocha le téléphone puis se bascula dʹun geste brusque en arrière pour prendre sa tête à deux mains.
Mais je ne vais jamais mʹen sortir. Cʹest qui mon client ? Cʹest le Chef de Produit de la centrale dʹachat ? Cʹest lʹAdministration Des Ventes ? Cʹest le
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Magasin ? Chacun y va de son petit problème. Je comprends mieux la remarque de la miss NYX ʺEcoutez ce que dit le client et non ce que vous pensez quʹil dit !ʺ. A chaque fois que je gratte un peu plus, je tombe sur des problèmes différents... Bon je vais aller au centre d’appels. Eux, ils doivent bien savoir les difficultés que rencontrent les magasins puisque cʹest leur job de les enregistrer.
Bernard se leva puis sortit de son bureau expressément pour rejoindre celui de Roger ALECTO, le responsable du centre d’appels de l’entité française.
‐ Salut Roger. Entamait Bernard. Tu vas bien ?
‐ Bien, et toi Bernard ? Tu t’en sors avec ton projet ? Je ne te cache pas que quand j’ai reçu le mail avec la présentation de ta nouvelle mission, je t’ai plaint de tout mon cœur.
‐ Ne m’en parle pas ! J’essaie de comprendre ce qui se passe avant de trouver des solutions. Je t’avoue que ce n’est pas évident. Plus je tire sur la pelote et plus le fil me paraît long. C’est d’ailleurs pour cela que je viens te voir. Je souhaiterais avoir une vision de l’ensemble des problèmes que vous avez enregistrés sur «Jardins de plaisir».
‐ OK, je vais m’en occuper rapidement. Je fais un point avec mon équipe dans la journée et je te prépare un dossier complet pour cet après‐midi. Cela te convient‐il ?
‐ Parfait. Je t’en remercie. Avant d’avoir un dossier détaillé, est‐ce que tu pourrais me dire quel est le magasin de «Jardins de plaisir», dans la région, qui génère le plus de litiges à traiter ?
‐ Ah, pour ça, pas besoin de demander à mes équipes… Le magasin de Bron est un des plus gros points de vente de «Jardins de plaisir». Et depuis quelque temps, il ne se passe pas une semaine sans que nous l’ayons au téléphone. En plus, il s’arrange toujours pour nous faire remonter les infos par le responsable compte clé. Bref, avec lui, c’est quasiment du harcèlement !
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‐ Super ! S’enthousiasma Bernard. C’est exactement ce qu’il me faut : un client à proximité qui a plein de reproches à nous formuler et qui est basé juste à côté, je ne pouvais rêver mieux !
‐ Si ce client t’intéresse tant, poursuivit Roger un peu désemparé par l’enthousiasme de son collègue, je peux t’envoyer un petit récapitulatif de ses problèmes. Car, vu son activité à celui‐là, nous le suivons à la trace. A vrai dire, je me doutais bien que ça finirait par mal tourner. De notre côté, nous essayons de faire le nécessaire pour calmer le jeu, mais je t’avoue que mes équipes en ont « ras la casquette » de se faire insulter au téléphone. Sans compter l’autre coco de Sylvain qui vient faire le beau, nous donner des leçons et nous dire ce qu’il faut faire. Je te donnerai tout ce que tu veux, mais à mon avis, si y’a des choses à améliorer, ce n’est sûrement pas ici que tu trouveras du grain à moudre.
‐ Ok Roger, c’est entendu ! Mais chaque chose en son temps si tu veux bien. Commençons par voir ce qui ne va pas. Ensuite, nous tâcherons d’améliorer les choses. Je sais que tu gères ton service d’une main de maître ! Mais bon, toi comme moi, nous savons aussi très bien que nous avons tendance à nous enfermer dans des routines. Je ne dis pas que des améliorations seront nécessaires avec ton équipe, mais je ne m’interdis aucune piste d’amélioration.
‐ Ok Bernard. Acquiesça Roger d’un ton dubitatif. Je te transfère le mail de suivi de ce magasin et comme convenu, je te dépose le dossier avant ce soir.
‐ Je t’en remercie ! A bientôt Roger.
Bernard regagna son bureau. Le temps d’éditer le suivi des litiges du point de vente de Bron, de téléphoner au responsable de magasin pour lui proposer de passer le voir dans l’après‐midi, et c’était déjà l’heure d’aller se restaurer.
Après son déjeuner, Bernard fila directement au magasin «Jardins de plaisir», situé à une vingtaine de kilomètres des bureaux de Martin’s
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Garden. Arrivé au point de vente, notre manager se dirigea directement à l’accueil. Un homme d’une quarantaine d’années, assis derrière le comptoir, le toisait. A l’approche de notre manager, le directeur se leva pour le saluer.
‐ Bonjour Monsieur, que puis‐je pour vous ?
‐ Bonjour, je suis Bernard TALIN de Martin’s Garden. J’ai téléphoné il y a un peu plus d’une heure, je souhaiterais m’entretenir avec M. LARINTE.
‐ C’est moi‐même. Je suis ravi de vous voir. Il faut dire que cela fait un moment que nous n’avons pas vu quelqu’un de chez vous !
‐ Ah bon, comment cela se fait‐il ?
‐ Eh bien, j’espérais que vous alliez me le dire ! Depuis que le dernier commercial est parti de chez vous il y a six mois, nous n’avons plus jamais vu personne.
Bernard se souvenait des soucis de recrutement de représentants que rencontraient les services commerciaux des différents pays, et plus particulièrement sur le marché français. Au service du Demand Planning, il ne travaillait que sur des quantités commandées. Il n’avait donc pas à se soucier de la façon dont se vendait la marchandise. Vu depuis son service, si les produits étaient de qualité, cela débouchait nécessairement sur des commandes. Face au client, il comprenait mieux le travail du représentant. Celui‐ci est le seul lien entre la « grosse machine à produire » que constituait la multinationale Martin’s Garden, et les points de vente à taille humaine comme ce magasin «Jardins de plaisir». Aussi, Bernard tenta de rassurer le client.
‐ Je sais que nous rencontrons des difficultés pour recruter un commercial digne de ce nom. Je vous promets que je vais me renseigner dès mon retour au bureau. Je vous tiendrai informé sur ce point très rapidement.
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‐ Bah oui, parce que, vous comprenez, quand nous avions un problème, nous appelions le commercial. Avec lui, nous arrivions toujours à trouver une solution. Maintenant que nous n’avons plus personne, il faut que nous contactions votre hotline. Pour y avoir quelqu’un, il faut parfois attendre plus de 5 minutes. Vous croyez que nous n’avons que ça à faire, attendre au téléphone lorsque nous tenons un magasin comme celui‐ci.
Bernard savait qu’il ne servait à rien de se justifier. Alors, il écoutait attentivement son interlocuteur poursuivre ses griefs tout en prenant bien soin de noter chaque source de désagrément. Pendant ce temps, le responsable de magasin poursuivait son monologue :
‐ Non, évidemment nous n’avons pas que cela à faire ! En plus au service client, ils ne sont pas très arrangeants. Il faut toujours leur donner tout un tas d’informations : notre numéro de client, notre numéro de commande…etc. Toutes ces infos, vous les avez, je ne comprends pas pourquoi vous nous les demandez à chaque fois ! Vous pensez que pour nous c’est si simple ? Vous imaginez, si à chaque fois que nous appelons un fournisseur pour un litige, nous devions retrouver notre numéro de client et la commande concernée ! Non vraiment, vous ne vous rendez pas compte. Tenez ! Venez voir le rayon.
Le directeur prit Bernard par le bras pour lui montrer le chemin puis l’entraîna jusqu’au rayon où étaient présentés les outils de Martin’s Garden. Notre manager le suivit tandis que le responsable de magasin continuait à fulminer.
‐ Regardez‐moi ce rayon ! Ah, c’est sûr que les présentoirs sont bien jolis ! Ça, vous savez faire… Pour le marketing, pas de problème ! Mais pour livrer les bons produits au bon moment, ça n’est pas la même chose. Qu’est‐ce que vous voyez là ?
‐ Euh, il semblerait qu’il vous manque quelques références... Balbutia Bernard sans trop savoir où son interlocuteur voulait en venir.
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‐ Oui, plus précisément, il manque douze références ! Alors, il peut y avoir plusieurs cas de figure : soit vous nous livrez des références différentes de celles que nous vous avons commandées, soit vous êtes en rupture. Alors, vous allez me dire que l’erreur est humaine et qu’il peut arriver qu’il y ait des ruptures… Mais, vous trouvez normal que nous ne soyons pas livrés en temps et en heure sur des commandes promotionnelles que nous vous passons plus de six mois à l’avance ? A quoi cela sert‐il de vous faire des engagements de commande, si vous êtes infoutus de nous livrer les produits présents sur le tract avant la promo ? Parce que je préfère vous prévenir tout de suite : lorsqu’on me livre la marchandise d’une promo après le premier week‐end de la période promotionnelle, je fais repartir la marchandise immédiatement ! Il est hors de question de garder six mois de stock parce que vous êtes incapables de nous livrer à temps.
Bernard poursuivait sa prise de note pendant que son interlocuteur se dirigeait vers le fond du magasin.
‐ Venez, suivez‐moi. Je vais vous montrer autre chose, continuait M. LARINTE d’un ton plus calme, en passant une porte qui menait à l’arrière‐boutique. Vous voyez cette palette ? Après l’avoir réceptionnée, nous nous sommes rendus compte qu’elle ne correspondait à aucune de nos commandes. Nous avons contacté votre service client et il se trouve qu’ils se sont trompés. En fait, cette commande est destinée à notre concurrent d’en face. Et vous connaissez la meilleure ? La personne que nous avons eue au service client nous a demandé s’il était possible que nous amenions la marchandise en face où qu’ils viennent la chercher. Il manquerait plus que ça de livrer les produits à votre place au concurrent, pendant que moi, je reste en rupture de stock parce que vous êtes infoutus de me livrer comme il faut ! Voilà, maintenant j’imagine que vous comprenez mieux notre colère. Et comme nous n’avons aucun contact direct et que les choses n’ont pas vraiment l’air d’avancer chez vous, et bien nous faisons remonter tous ces points au siège de la franchise à Paris. Mais bon, de leur tour d’ivoire, j’imagine bien qu’ils n’en ont pas grand‐chose à faire. Mais cette fois‐ci, on ne va pas passer sur
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l’affaire. Je dis « On » car nous sommes plusieurs responsables de magasin à constater les mêmes problèmes !
Sentant que le client avait fini d’exprimer de bon cœur son courroux, Bernard reprit la parole.
‐ Ecoutez. Visiblement, vous avez de bonnes raisons de ne plus vouloir de nos produits dans vos rayons. De mon côté, je suis là pour vous écouter et tenter d’apporter des réponses et des solutions à vos problèmes. Soyez convaincus que je ferai de mon mieux pour obtenir des résultats concrets sur chacun des points que vous m’avez présentés. Si vous voulez bien, je souhaiterais balayer tout ce que vous venez d’énumérer pour être sûr de ne rien oublier.
‐ Je vous en prie, acquiesça le responsable de magasin.
‐ Très bien, voici ce que j’ai noté : absence de représentant, temps d’attente au centre d’appel trop longs, prise en charge de l’appel contraignant (références demandées trop nombreuses), retards de livraison sur les commandes promotionnelles, erreurs de référence des produits livrés, erreurs de points de livraison. Voilà, tout y est ?
‐ A peu près. Pendant que vous y êtes, vous pouvez ajouter le montant du franco* qui est trop important. Ici, vous êtes dans un grand magasin où ça ne pose pas de soucis, mais j’ai des collègues qui m’ont signalé que pour eux, 300 euros de franco c’était trop important. Certains m’ont également signalé qu’ils recevaient plusieurs fois la même commande, ce qui générait des demandes de retour de marchandises à traiter et surtout, cela prend de la place dans le stock pour rien… ! Voilà, il me semble que nous avons fait le tour ! Mais vous pouvez toujours vous rapprocher de votre service client, ils enregistrent tout ! Il y a d’autres choses qui, pour nous, sont moins importantes comme les litiges de tarifs, mais c’est vrai que cela nous consomme énormément de temps… Temps que nous préfèrerions passer à renseigner la clientèle du magasin !
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‐ Oui, je comprends tout à fait. J’ajoute ces trois points à la liste. Précisa Bernard sur un ton rassurant.
‐ En tout cas, je vous remercie beaucoup de vous être déplacé pour entendre et constater de vous‐même les problèmes que nous rencontrons en magasin. Pour être franc avec vous, vos produits sont très bons et cela nous dérangerait de les voir quitter nos rayons, mais vous devez comprendre aussi que les problématiques d’ordre logistique sont tout aussi importantes que la qualité des produits. Donc, si vous arrivez à faire en sorte que les choses s’arrangent ; ce qui est, d’après ce que j’ai pu comprendre, votre objectif, nous ne manquerons pas de vous solliciter à nouveau...
‐ C’est entendu. Mais avant de penser à cela, tâchons de résoudre ces nombreux problèmes qui vous empoisonnent la vie.
‐ A qui le dîtes‐vous ! S’exalta de directeur de magasin.
‐ Merci beaucoup d’avoir pris le temps de me recevoir M. LARINTE. Je travaille sur vos problèmes et vous tiens informé dès que possible sur les différents points que nous avons abordés ensemble.
‐ Très bien. Merci à vous.
Bernard regagna sa voiture avec un sentiment partagé. Il était très heureux des derniers mots encourageants de son client. Mais d’un autre côté, les problèmes s’ajoutaient et il percevait mal comment il pouvait apporter une amélioration sur tant d’éléments aussi disparates.
Le trajet en voiture, du magasin aux bureaux, fit prendre conscience à Bernard d’une chose importante : depuis toutes ces années où il travaillait chez Martin’s Garden, c’était la première fois qu’il touchait du doigt les problématiques du client. Bien sûr il avait une idée, qu’il croyait précise, de ce qu’attendait le client ; mais ce jour‐là, il se rendit compte que tout cela ne relevait que de l’a priori. Il décida donc de se rapprocher du service marketing pour avoir une idée plus précise des
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besoins du client. Il avait entendu la voix d’un magasin. Mais cette voix‐là était‐elle à l’image de l’ensemble des clients de Martin’s Garden ?
De retour dans les locaux de l’entreprise, Bernard se dirigea directement dans le bureau d’Emile STEVEN, le responsable marketing de l’entité France. Ce cadre d’une cinquantaine d’années avançait une carrure imposante qui lui procurait une légitimité de circonstance. Malgré ce physique hors norme, son crâne rasé et son style décontracté en faisait quelqu’un d’accessible.
‐ Bonjour Bernard, comment vas‐tu ?
‐ Ma foi, très bien et toi ?
‐ Oh tu sais, la routine, répondit le Marketeur sur un ton un peu désabusé.
‐ La routine dans le marketing… Tu plaisantes, j’espère ?
‐ Oui, tu as raison, tout part dans tous les sens. Mais au fond, tout ce chaos est organisé alors au final, c’est un peu une routine. Mais j’imagine que si tu viens me voir, ça n’est pas pour épiloguer sur mon sort… Dis‐moi, qu’est‐ce qui t’amène ?
‐ Tu as raison, reprit Bernard, poussé par l’enthousiasme de sa dernière rencontre. Voilà, je rentre tout juste d’une visite en magasin et je me suis aperçu que toutes les problématiques qu’il rencontrait m’étaient particulièrement étrangères jusqu’à aujourd’hui. Mais je ne voudrais pas me méprendre et considérer ce que m’a dit ce client, comme une parole divine et universelle qui pourrait s’appliquer à n’importe lequel de nos clients. J’imagine que dans ton service, vous devez avoir tout un tas d’études marketing qui identifient nos différents clients et leurs attentes en fonction de leur taille, de leur structure…etc. Si je pouvais bénéficier d’une vue plus globale sur les besoins de l’ensemble de nos distributeurs, cela me permettrait de mieux identifier où se situent les besoins de «Jardins de plaisir».
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‐ Oui, tu as tout à fait raison, mon cher Bernard. Ta démarche est la bonne ! Mais je crains de ne pouvoir t’aider. Ici, nous ne traitons que des besoins des consommateurs. Nous n’avons quasiment rien sur nos propres clients. Nous travaillons sur les offres promotionnelles et achetons quelques études marketing sur l’évolution des comportements de consommation de nos clients finaux, mais nous avons peu de choses sur nos propres clients. Pour moi, cela relève des responsables compte clé de savoir ce que leurs clients attendent…
‐ Tu as raison Emile, mais tous les clients ne sont pas gérés par des responsables compte clé et quand je suis allé voir Sylvain, je n’ai pas eu l’impression qu’il avait une vue générale sur la structure du portefeuille clients*.
‐ Oui, tu as raison… Concéda le responsable marketing en reprenant son souffle avant de poursuivre. Maintenant que j’y pense, il me semble que Gabrielle, une des chefs de produit, pour sa synthèse de fin d’études, avait réalisé une analyse des attentes de nos clients. Je m’y étais peu intéressé donc je ne pourrai pas t’en dire davantage. Attends, ne bouge pas ! Je vais l’appeler.
Le manager prit son téléphone et demanda à la jeune marketeuse de les rejoindre dans le bureau. Gabrielle ne tarda pas à le retrouver. Elle s’avança dans le bureau d’un pas léger et rapide. Sa réactivité et sa fraicheur laissait transparaître une volonté à aller de l’avant.
‐ Bonjour ! Entonnèrent en cœur les trois protagonistes.
‐ Dis‐moi Gabrielle, je crois que tu avais réalisé l’année dernière une étude sur nos clients. Cela pourrait peut‐être intéresser Bernard dans sa mission sur «Jardins de plaisir»…
Notre manager enchaîna :
‐ Oui, j’aurais besoin de savoir comment se situent les besoins que j’ai identifiés dans un magasin de «Jardins de plaisir», sur l’ensemble de
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nos clients, pour voir si leurs besoins sont représentatifs ou pas de ceux de l’ensemble de nos clients.
‐ Je pense que mon étude devrait pouvoir vous aider. Si vous voulez, je peux vous la présenter.
‐ Super ! Dites‐moi, quand êtes‐vous disponible ?
‐ Là, je préparais les tarifs de la prochaine promo, mais si c’est urgent, je peux prendre un petit quart d’heure pour vous expliquer globalement ce qu’il en est.
‐ Très bien ! Ça me va ! Lança Bernard, charmé par la réactivité et l’appoint de la jeune femme. On s’installe dans mon bureau ?
‐ OK, je passe éditer mon étude de marché et je vous rejoins de suite. Répondit Gabrielle avant de sortir du bureau.
‐ Je te remercie, mon cher Emile. Passe un bon week‐end, si on ne se revoit pas !
‐ Bon week‐end à toi aussi ! Lança Emile d’un clin d’œil d’autosuffisance.
Après quelques minutes, la jeune chef de produit avait rejoint Bernard dans son bureau pour lui présenter son étude.
‐ Voilà, pour commencer, j’ai réalisé cette étude à partir d’entretiens que j’ai réalisés auprès d’une vingtaine de clients. J’ai essayé d’interviewer des clients sur l’ensemble de la chaîne de distribution, du chef de produit en central au responsable de rayon de grande surface, en passant par des responsables de magasin ou même parfois des responsables de plateformes logistiques régionales. A l’issue de ces entretiens, j’ai identifié ce qui relevait des fonctionnalités du produit et ce qui relevait des comportements d’achat. J’ai ainsi obtenu une première segmentation technique* comme vous pouvez le voir ici.
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Figure 2.4- Segmentation technique.
Gabrielle tendit à Bernard l’annexe de son étude sur la segmentation technique, avant de reprendre :
‐ Nous pouvons voir que nos clients attendent quatre types de produits. Certains ne sont intéressés que par notre marque. Par exemple, nous avons un manufacturier qui fabrique des récupérateurs d’eau à notre marque. Sur ce type de produit, nous ne faisons que toucher des royalties.
‐ Ah, tiens ! Je ne savais même pas qu’il existait des récupérateurs d’eau Martin’s Garden… C’est marrant ça ! Interrompit Bernard surpris de son ignorance qui ne faisait qu’augmenter d’heure en heure.
‐ C’est normal, nous ne voyons rien transiter sur ces produits, nous ne récupérons que de l’argent pour l’apparition de notre marque sur le produit. C’est tout ! Si nous continuons, nous voyons que les clients attendent trois autres types de produits : les outils « haut de gamme » où c’est le côté innovant qui est très attendu, ensuite, nous avons les MDD* qui sont des produits reconnus par le public sous la marque de nos distributeurs. Et enfin, nous avons les outils professionnels pour
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les artisans du jardin, où les fonctions les plus importantes sont la robustesse et la capacité à apporter un SAV rapide et de qualité.
Avant de poursuivre, Gabrielle sortit une deuxième annexe avec la présentation de sa segmentation comportementale*
Figure 2.5- Segmentation comportementale.
‐ Alors, ici, comme vous pouvez le voir, nous avons notre segmentation comportementale avec les différents critères de segmentation. Cette matrice nous permet de discerner cinq typologies de clients : tout d’abord, les manufacturiers qui ne portent aucun intérêt à nos produits puisqu’ils vendent juste notre marque. Nous avons aussi les chefs produits acheteurs de la GSA* et la GSB*. Ceux‐là se caractérisent par leur pouvoir de négociation, car ils achètent des volumes très importants. Ils sont également très structurés, ce qui
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débouche sur des contraintes très fortes sur le plan de la logistique. Par exemple, ils ont des créneaux horaires de livraison très précis, ils refusent la marchandise si les cartons sur la palette ne sont pas disposés de la bonne façon…etc. Nous avons ensuite les petites boutiques. Ce sont, en général, des quincaillers ou des petites boutiques de LISA*. Ceux‐ci se démarquent par leur niveau de qualification. Ce sont les meilleurs conseillers de nos produits, car ils s’y intéressent vraiment. En revanche, ils ont un volume d’activité très faible et rencontrent parfois des difficultés à nous passer des commandes du fait des contraintes de franco que nous leur imposons. Ensuite, nous avons les discounters. Ces clients ne travaillent avec nous qu’en « one shot* ». Selon les opportunités du moment, ils sont avant tout intéressés par les offres que nous pouvons leur faire sur les excès de stock et les fins de série. Ces clients‐là n’achètent qu’une chose : du prix ! Enfin, nous avons les chefs produits des grandes surfaces spécialisées. Ce segment se situe entre les intervenants de la grande distribution et les petites boutiques. Lorsque j’ai réalisé cette segmentation, j’ai été très ennuyée par ce segment, car à l’intérieur, nous avons différentes typologies de clients. Mais au final, je me suis rendue compte que les problématiques étaient communes : pour gagner en cohérence et en clarté, je n’ai conservé qu’un seul segment. Pour la plupart, ils sont dans une phase de croissance et de structuration. Donc, pour une même enseigne, vous allez avoir : d’un côté, des magasins avec une surface importante qui génère des volumes de vente conséquents qui les rapprochent des comportements de la GSB, et d’un autre côté, vous allez avoir des magasins plus petits, mais qui se développent et souhaitent se structurer comme leurs « grands frères », si je puis dire…
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Figure 2.6- Segmentation de marché.
‐ Et bien, dites‐moi ! Vous avez fait un travail remarquable ! C’est bon, j’ai identifié mon client ! «Jardins de plaisir» doit faire partie de ce dernier segment.
‐ Oui, vous avez raison : «Jardins de plaisir» c’est l’exemple parfait de l’enseigne qui regroupe des magasins de différentes tailles en phase de structuration. Mais si vous voulez bien, je vais poursuivre ma présentation…
Bernard écoutait avec attention la jeune marketeuse qui faisait preuve d’une grande maturité dans la démonstration de son travail.
‐ Après la réalisation de mes deux segmentations, la segmentation technique et la segmentation comportementale, j’ai réalisé la segmentation finale qui consiste à identifier les segments de marché aux croisements non vides des deux segmentations.
‐ Nous obtenons ainsi huit segments de marché : S1, le segment des ventes de licences ; S2, les outils haut de gamme destinés à la GSA GSB ; S3, les mêmes outils vendus aux petites boutiques ; S4, le segment des fins de série vendues aux discounters, S5 le segment des produits haut de gamme vendus à la GSB et aux LISA en phase de développement. Nous avons ensuite les MDD vendues à la GSA qui
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constituent S6. Les clients en phase de structuration commencent également à nous demander des MDD : c’est le segment S7. Et enfin, nous avons S8 qui est le segment des outils professionnels destinés aux artisans du jardin, et qui se vend soit en GSB, soit dans les grandes surfaces professionnelles. Ceux‐ci sont également en phase de structuration. Voilà pour la segmentation, M. TALIN.
‐ Et bien, je suis impressionné par votre travail. Et vous avez réalisé tout cela avec uniquement une vingtaine d’entretiens ? Je pensais que les études de marché reposaient sur des données statistiques qui nécessitaient une population à étudier relativement importante… En fait, il n’en est rien, le travail que vous m’avez présenté paraît très concret et surtout très représentatif de la réalité du marché.
‐ Oui, vous avez raison, la plupart des études de marché sont réalisées par téléphone sur des populations plus importantes. Mais il ne s’agit pas de la même chose. Ce type d’étude de marché apporte des informations complémentaires, notamment sur la quantification des marchés. L’étude de marché que j’ai réalisée est qualitative et non pas quantitative. J’ai travaillé à partir de la méthode de ségmentuition ®. Celle‐ci repose sur la combinaison de l’intuition et de la rationalisation. Personnellement, j’étais aussi très inquiète de passer à côté d’un ou plusieurs segments de marché en me limitant, faute de temps, à une vingtaine d’entrevues… Mais au final, après une douzaine d’entretiens, je retombais sur les mêmes problématiques et les mêmes attentes au niveau des produits. Alors, par précaution, j’ai réalisé mes derniers rendez‐vous, mais je n’y ai pas appris grand‐chose de plus.
‐ Très bien. Ecoutez, je pense que vous m’avez déjà montré beaucoup de choses. Je vois aussi que, dans la segmentation comportementale, vous avez identifié des points qui me seront très utiles comme leurs attentes sur ce qui concerne les contraintes de supply chain, ou leur mode de passation de commandes. Avec tout ça, j’y vois déjà un peu plus clair sur le positionnement de «Jardins de plaisir» par rapport aux autres clients.
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Sentant que Bernard voulait s’en tenir là, la jeune marketeuse lui coupa la parole pour dérouler la suite de son analyse :
‐ Effectivement, je pense que ce document pourra vous aider. La suite de l’étude vous apportera quelques compléments intéressants, je pense... Par exemple : j’ai réalisé une étude sur l’intérêt que portaient les clients aux services que nous leur apportons au quotidien. Sur la base de la matrice de Kano, j’ai recontacté chaque personne que j’avais interviewée et pour chaque service, listé ici sous forme de fonctionnalité, je leur ai demandé quel serait leur niveau de satisfaction, si celle‐ci était présente, et ensuite si celle‐ci était absente. Pour la petite anecdote, mon premier entretien fut catastrophique. Le client ne comprenait rien à ce que je lui disais… Je lui demandais : « Si nous faisons des campagnes promotionnelles régulièrement, cela vous fait plaisir ? C’est le minimum pour vous ? Cela vous est égal ? Vous l’acceptez ? Ou cela vous dérange beaucoup ? ». Alors, le client répondait sans problème et ensuite, quand je lui demandais « Si nous NE faisons PAS de campagne promotionnelle régulièrement, cela vous fait plaisir ?...etc. Il me disait que je venais de poser la même question… Bref, je me suis rendue à l’évidence que cet outil était à prendre avec des pincettes… ! J’ai donc modifié ma façon de faire. Dans un premier temps, j’ai posé l’ensemble des questions avec la présence de la fonctionnalité puis je les rappelais le lendemain pour reposer les questions en cas d’absence de la fonctionnalité. Bref, tout ça pour vous dire que cette matrice n’a pas été évidente à obtenir, mais je pense que le résultat en vaut la chandelle !
‐ Heu… Pour être franc avec vous, Gabrielle, moi non plus je n’y comprends pas grand‐chose à ce que vous venez de me raconter…
‐ Oui, je sais que ça n’est pas très simple au premier abord, mais regardez concrètement ce que ça donne. Voici la valorisation des fonctionnalités pour le segment des « structures intermédiaires » dont fait partie «Jardins de plaisir».
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Figure 2.7 – Matrice d’évaluation des fonctionnalités selon la méthode de Kano
‐ Comme nous pouvons le constater, il arrive qu’il y ait des disparités dans les réponses des interlocuteurs. Ces différences proviennent du niveau des interlocuteurs dans la supply chain. Très clairement, les responsables magasins ne perçoivent pas les mêmes enjeux que les CP responsables des référencements de produits au niveau de la centrale.
‐ Oui, ça, j’avais cru le comprendre… S’invita à commenter Bernard au milieu du monologue de la jeune érudite avant que celle‐ci ne poursuive.
‐ Par exemple, sur l’utilisation de l’EDI, les cinq responsables de magasins ont répondu que ça leur était égal de pouvoir en bénéficier alors que dans le même temps, au niveau de la centrale, ils considèrent que c’est un minimum. A l’inverse, sur la présence d’un commercial, les responsables de magasin plébiscitent les démarches
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d’un VRP sur le terrain. Ils pensent que cela leur apporte un vrai lien avec notre entreprise. Alors que pour la centrale, la présence du commercial n’a pas d’importance, et j’en ai même eu un qui me disait qu’il ne supportait pas les commerciaux, car il a l’impression qu’ils poussent aux achats et donc au surstock. Il arrive que certains en profitent pour placer des produits qui ne font pas partie du référencement. Donc, le commercial, au niveau de la centrale, peut parfois être perçu comme quelqu’un qui vient faire de l’ingérence dans leur travail. Voilà, je vous dis ça, car il ne faut pas perdre de vue qu’en fonction du niveau de son interlocuteur dans la supply chain, le besoin n’est pas forcément le même.
‐ J’aurais dû venir vous voir plus tôt ma chère Gabrielle ! Tout ce que vous me fournissez là comme information vaut de l’or ! En revanche, si je puis me permettre, votre matrice n’est pas très facile à lire. Il faut à chaque fois jongler entre la présence et l’absence de fonctionnalité… C’est une gymnastique pas très aisée.
‐ Oui, bien sûr ! Ça n’est qu’un document de travail ! La matrice de Kano, plus accessible, est ici.
Relativement fière d’elle, la jeune chef de produit poursuivait son analyse sous l’œil curieux de Bernard.
‐ Comme vous pouvez le voir, le taux de service* est une fonction proportionnelle. Cela signifie que plus nous serons capables de fournir au client le bon produit au bon moment, et plus il sera satisfait. Vous pouvez également remarquer que dans le cadre de promotion, le taux de service devient une fonction obligatoire. Cʹest‐à‐dire que nos clients trouveraient vraiment anormal de se retrouver en rupture sur un produit qui apparaît dans un tract. Si nous continuons l’analyse, nous nous apercevons que les frais de port se révèlent être une fonction contraire. En d’autres termes, plus le montant des frais de port est élevé et plus le client est mécontent. D’ailleurs, à l’époque, j’avais eu plusieurs remarques sur le fait que le montant de notre franco était trop important.
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Figure 2.8 – Répartition des fonctions sur la matrice de Kano
Toujours dans les fonctions contraires, nous pouvons observer que cette typologie de clients est très réfractaire à l’échange d’informations stratégiques, comme les remontées caisse*, pour fiabiliser le taux de service. Toutes les fonctions liées à une meilleure collaboration sont jugées comme contraintes. C’est vraiment spécifique à ces clients, car pour les magasins de la GSA, qui n’apparaissent pas ici, c’est tout le contraire. Si nous ne pouvons pas affirmer qu’ils sont demandeurs pour nous envoyer des informations aussi stratégiques que les remontées caisse, nous constatons tout de même qu’ils sont ouverts à l’idée. Mais bon, là je m’écarte un peu du sujet. Si nous revenons à la typologie de clients dont fait partie «Jardins de plaisir», nous constatons que la possibilité qu’ils transmettent et suivent leurs commandes par internet est perçue comme une fonction attractive. Cela signifie que cette fonction est vraiment reçue comme un plus que nous pouvons leur apporter. Voilà, toutes les fonctions sont reprises sur la matrice, je vous laisserai regarder plus en détail si vous le souhaitez.
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‐ Vraiment, je ne sais quoi vous dire Gabrielle. Vous avez réalisé un travail impressionnant ! Comment se fait‐il que ce document n’ait pas fait le tour de l’entreprise ? Tout le monde devrait avoir connaissance de ce que les clients attendent de nous !
‐ Je suis bien d’accord avec vous M. TALIN, mais vous savez, j’ai fait ce travail l’année dernière quand je n’étais encore que stagiaire. Et comme vous le savez, la jeunesse et la qualité même de stagiaire ne me donnaient pas beaucoup de légitimité pour crier sur tous les toits ce que j’avais fait. D’autant plus que l’on m’avait prise en stage pour faire le travail de chef de produit qui, au final, consiste plus à créer des tarifs pour les campagnes promotionnelles que de faire de la stratégie de marché comme il en est question dans cette étude.
‐ Malheureusement, vous avez raison… Les vieux bougres que nous sommes, avons bien du mal à nous remettre en question. Mais une chose est sûre : votre travail ne restera pas inconnu longtemps ! Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, j’en intègrerai quelques parties dans mon dossier et vous demanderai de présenter votre travail, comme vous venez de le faire, lors de la première revue de projet. Cela vous convient‐il ?
‐ Oui, oui, bien sûr ! Je serai ravie de présenter ce travail et de vous aider dans ce projet.
‐ Et bien c’est entendu, faisons comme cela ! Bon, je vais vous libérer. Vous deviez me consacrer un quart d’heure et cela fait près de deux heures que nous papotons ensemble. Merci encore beaucoup pour ce magnifique travail !
‐ De rien. N’hésitez pas à venir me voir si vous avez des questions. Je vous transmets dès que possible l’étude par mail, ainsi il vous sera plus aisé d’en exploiter le contenu. Au revoir M. TALIN. Bon week‐end !
‐ Merci Gabrielle, bon week‐end à vous également.
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La jeune femme sortit du bureau, laissant seul notre manager. Bernard se leva de sa chaise pour aller jeter un coup d’œil par la fenêtre et rêvasser quelques instants.
Etonnante cette petite. C’est impressionnant comme nous pouvons passer sans le savoir à côté de gens d’une qualité aussi remarquable. Si jeune et si ingénieuse, je ne doute pas que cette fille‐là ait un avenir prometteur.
Après un long étirement qui laissait transparaître sa fatigue, notre manager, levé depuis quatre heures du matin, méritait bien de regagner son logis.
A son arrivée chez lui, un mot d’Eloïse l’attendait sur le buffet de la cuisine.
Mon Chéri,
La vie que nous menons depuis quelque temps n’a plus de sens ! Je pars pour le week‐end. Je verrai si je repasse à la maison lundi. Si tu ne me vois pas, c’est que j’aurai pris une semaine de congé. Je vais profiter de ces quelques jours pour penser à toi, à nous. Je t’encourage à en faire autant. Je sais que ton travail te préoccupe beaucoup en ce moment. Ça n’est peut‐être pas le meilleur moment pour t’infliger ça, mais de mon côté, je ne peux plus supporter cette situation. J’aimerais que nous retrouvions l’harmonie originelle de notre couple. Je tiens à toi.
Eloïse.
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Lundi 9 février Bernard avait passé un week‐end épouvantable. Il n’avait eu de cesse de ressasser le départ de son épouse. Les questions l’envahissaient inlassablement. Parmi tous les reproches qui lui étaient faits, il n’arrivait plus à discerner le bon grain de l’ivraie. Dans un autre contexte, il se serait réjoui de disposer d’un week‐end complet pour lui. Mais, l’idée même qu’Eloïse était susceptible de ne pas revenir l’entraînait dans un profond désarroi qui annihilait tout autre sujet de réflexion. C’est dans cet état d’esprit que notre manager repartit pour une semaine à gérer le dossier «Jardins de plaisir».
Arrivé à son bureau, Bernard feuilleta rapidement le dossier qui reprenait toutes les problématiques du magasin de Bron. Sentant qu’il rencontrerait des difficultés à se concentrer, il prit la décision de partir s’installer au service client. D’une part, l’activité du call center l’obligerait à ne plus penser à ses tracas personnels, et d’autre part, le centre d’appel constituait un endroit stratégique pour prendre la température de la qualité de service apportée par Martin’s Garden à ses clients. Ainsi, il prit son ordinateur portable et son attaché‐case où il introduisit ses dossiers puis se dirigea tout droit vers le bureau de Roger ALECTO.
‐ Bernard, comment vas‐tu ? Quʹest‐ce qui nous vaut cette visite si matinale ? Tu as trouvé le dossier que j’ai déposé sur ton bureau vendredi dernier ?
‐ Salut Roger ! Répondit Bernard en serrant la main de son interlocuteur avant de poursuivre. Oui, je te remercie. Dis‐moi… Je me disais que la meilleure façon d’appréhender les problèmes que rencontrent les clients, c’était de me poser au milieu de ton service pour écouter les différents litiges que tes collaborateurs sont amenés à traiter. Qu’est‐ce que tu en penses ?
‐ Bah oui, pourquoi pas ? Concéda le manager de service, trahi par la mimique de son faciès.
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‐ Ne t’inquiète pas Roger. Je ne suis pas là pour surveiller si tu fais bien ton job. Je veux juste être en contact direct avec les problèmes que rencontrent nos clients. Et puis, tu verras, je resterai discret.
‐ Non non, je ne me fais pas de soucis. C’est juste que j’aurais préféré les avertir avant, improvisa M. ALECTO pour cacher son animosité.
‐ OK. Très bien. Où puis‐je m’installer alors ?
Le manager du service client sortit du bureau en devançant Bernard. Il présenta l’objet de la venue de Bernard dans le service et lui proposa de s’installer sur un bureau disponible.
Bernard passa ainsi le début de sa semaine à écouter attentivement les échanges entre les équipiers du centre d’appels et les clients qui formulaient leurs réclamations. Il prit également soin d’interroger certains collaborateurs pour comprendre vraiment le travail de chacun.
Dans un premier temps, il rencontra Michelle SIMON qui s’occupait de la saisie des commandes. Elle lui présenta, étape par étape, la façon dont elle enregistrait les commandes qui lui parvenaient par fax et par mail.
Puis, dans un deuxième temps, il échangea avec Richard VINTAR qui était le doyen du service et qui, à ce titre, maîtrisait toutes les ficelles du métier.
Enfin, il s’entretint avec Ingrid BARATIE qui s’occupait d’enregistrer les litiges reçus par courrier ou par fax pour alléger le travail des conseillers du centre d’appels.
Suite à ces entretiens, Bernard se lança dans la formalisation des processus qu’il venait d’auditer sur la base des explications du livre de Mlle NYX.
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Figure 2.9 - Extrait organigramme de Martin's Garden
Une fois sur le papier, les processus semblaient plus complexes que l’image qu’il s’en était faite. Cependant, cette formalisation visuelle lui procurait une meilleure compréhension du process dans sa globalité. Un SIPOC lui donnait la possibilité de cerner quelles étaient les informations en amont et en aval du principal processus que constituait le traitement des commandes. A côté de ça, la road map lui permettait de faire un focus plus détaillé sur le traitement des commandes, étape par étape.
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Figure 2.10- Slide "SIPOC" du fichier de suivi du projet.
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Figure 2.11- Slide "Road Map" du fichier de suivi du projet.
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Pour aller plus loin dans la description de ses processus, Bernard avait besoin de réaliser des requêtes dans le système pour quantifier certains éléments comme : le nombre de commandes bloquées, le délai entre la réception de la commande et sa livraison effective, le taux de commandes qui généraient des litiges par rapport à l’ensemble des commandes reçues du client…etc. Pour cela, il irait consulter l’expertise du directeur informatique.
David EUTERPI était arrivé chez Martin’s Garden il y 22 ans. Après tant d’années, il faisait un peu partie des murs. Mais, sa passion pour les systèmes d’informations et les utilisateurs faisaient de lui quelqu’un de très chaleureux et particulièrement efficace. Avant de travailler chez Martin’s Garden, pour Bernard, les projets informatiques étaient synonymes de « retard systématique ». Mais avec David, jamais aucun retard n’avait été observé. Ainsi, il avait accompagné l’entreprise dans la plupart des bouleversements technologiques connus lors de ces deux dernières décennies. Bernard savait que pour son projet, David serait un allié important. Il décida donc de bien préparer sa demande et la présentation de son projet afin d’intéresser au maximum son interlocuteur. Après cette introduction, Bernard enchaîna sur les éléments dont il avait besoin :
‐ Voilà David, tu vois, je t’ai listé les informations que j’aurais besoin de quantifier.
Liste d’indicateurs :
‐ Nombre de commandes sans intervention
‐ Nombre de commandes livrées dans les temps et complètes
‐ Nombre de commandes bloquées par motif de blocage (rupture, prix, compte client bloqué, franco…etc.)
‐ Délai, en nombre de jours, entre les différentes étapes de la commande (réception, saisie, déblocage, préparation, expédition, livraison…etc.)
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‐ Taux de litiges sur CA par motif
David, élevé sur une frêle silhouette, les cheveux grisonnant, s’empara de la liste puis commença à la parcourir avant de lui répondre.
‐ Ok, Bernard. Je vais m’en occuper. Dans la liste que tu m’as donnée, pour la plupart des indicateurs, nous avons déjà des requêtes qui existent. Cela ne devrait donc pas prendre trop de temps. Sur quelle période souhaites‐tu travailler ?
‐ Bonne question ! Lui rétorqua Bernard. Disons, les six derniers mois.
‐ Ok mais comme tu vas travailler sur des litiges : je pense qu’il serait préférable que nous ne tenions pas compte du dernier mois.
‐ Pourquoi ? Je ne comprends pas ? S’interrogeait notre responsable de projet.
‐ Si nous sortons les commandes livrées sur le dernier mois, il est possible que certaines d’entre elles génèrent des litiges après notre extraction. Ainsi, elles seront considérées comme OK dans ton analyse alors qu’elles génèreront des problèmes. C’est pour ça que je pense qu’il serait préférable de travailler avec au moins un mois de décalage.
‐ Oui, tu as raison. Excuse‐moi, mais je ne suis pas encore au fait de toutes les subtilités du « requêtage », s’amusa Bernard, prenant conscience de sa médiocrité sur le sujet.
Bernard salua David et le remercia de son aide, avant de regagner son bureau au service client pour poursuivre son observation des litiges soumis par les clients.
Après trois jours passés au centre d’appels, Bernard avait une idée plus précise des différents problèmes auxquels il allait devoir faire
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face. Afin de bénéficier d’une vue synthétique, il réalisa une carte heuristique de ses notes.
Avant de rentrer chez lui, Bernard reçut un mail de David avec les requêtes demandées. Il avait également recueilli le tableau de bord de suivi d’activité auprès de Roger, le responsable de service. Ainsi, il pourrait passer les deux jours à venir sur la quantification des problèmes.
C’était mercredi soir. Quand Bernard rentra chez lui. Eloïse n’était pas revenue. Un message sur le répondeur lui était destiné : « Bernard, finalement j’ai décidé de prendre deux semaines de congés. A vrai dire, je ne sais pas où j’en suis, mais une chose est sûre : je pense beaucoup à toi ». Le bip de fin retentit pendant que Bernard laissait son dos glisser le long du mur pour finir assis à terre, la tête entre les mains. L’intensité du message l’amena aux sanglots. Quelques minutes plus tard, visualisant le tableau qu’il illustrait, il se leva d’un coup et s’essuya les yeux.
« Et bien, voilà bien longtemps que je n’avais pas chialé comme ça...! »
S’amusa‐t‐il de lui‐même à haute voix avant de préparer de quoi faire face à sa fringale.
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Figure 2.12- Carte heuristique « difficultés perçues au Service Client ».
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Jeudi 12 février Bernard s’installait à nouveau dans son propre bureau. Il estimait que son immersion d’une semaine était suffisante pour toucher du doigt les principaux problèmes rencontrés sur le dossier «Jardins de plaisir».
C’est équipé du livre de Salomé NYX et bien conscient qu’il devait limiter ses demandes auprès d’elle, que Bernard se lançait dans la formalisation des processus par la réalisation d’une Value Stream Map sur le traitement des commandes. Au même instant, Eric GAUTHIER, son jeune remplaçant, rentra dans son bureau à une vitesse inquiétante.
‐ Bonjour M. TALIN !
‐ Bonjour Eric, tu peux m’appeler Bernard tu sais ! Comment ça va ?
‐ A vrai dire, pas très bien. Je n’arrive pas à m’en sortir. Je ne suis pas venu plus tôt car je sais que votre nouveau projet est très prenant, mais là, j’ai peur que les choses tournent vraiment mal.
L’agitation du jeune homme faisait tomber une mèche rebelle sur ses yeux. Sous la contrainte de l’inconfort, Eric, d’un balayage de la main reposait sa chevelure émancipée. La répétition du mouvement rendait l’anxiété du manager candide, quelque peu grotesque.
‐ Oulah ! Calme‐toi mon grand ! Enfonçait Bernard d’un ton paternaliste. Quoi qu’il se passe, cela ne vaut pas que tu te mettes dans cet état. Assieds‐toi et raconte‐moi ton problème.
‐ Voilà Bernard : j’ai le sentiment de ne rien contrôler. Personne ne me dit rien et quand je pose des questions, tout le monde me dit que c’est bon : « Ils gèrent ». Mais je vois bien que sur les tableaux de bord que vous m’avez montrés, les choses ne tournent pas rond. Nous sommes en surstock sur une vingtaine de références et en rupture sur une dizaine d’autres. Si je n’ai pas d’info de la part de l’équipe, je ne vois pas comment je peux gérer les problèmes !
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‐ Ecoute Eric, c’est vrai que je t’ai laissé un peu vite aux commandes, mais il est important que tu fasses ta place. Si j’étais resté à tes côtés, l’équipe aurait continué de travailler comme avant en me consultant directement. Je me doutais qu’il arriverait ce que tu me racontes. Tu es jeune, pas moins méritant, mais jeune. Alors ils te testent. Mais il faut que tu saches une chose : c’est que, s’ils te disent qu’ils maîtrisent, c’est que c’est le cas. Tu paniques parce qu’ils font de la rétention d’information, mais je leur fais assez confiance pour continuer à travailler avec le sérieux que je leur connais. Donc, pour commencer, arrête de paniquer ! Donne‐moi tes tableaux de bord pour voir.
Le jeune homme assagi s’exécuta. Après une courte analyse du tableau, Bernard poursuivit :
‐ Tu vois là, pour ces quinze références en surstock, il y a une vente prévue sur internet. C’est une vente qui se fait sur un week‐end. C’est un « one shot ». Elle n’apparaît pas dans tes commandes, car c’est un client un peu spécial qui nous transmet la commande le lundi qui suit la vente sur internet. Pour les 5 autres références, nous sommes sortis de la saison. Donc, le surstock, tu l’avais déjà il y a une semaine. Il faut que tu te rapproches du service commercial pour trouver un client qui t’achète la marchandise en « obsolète » avec une remise supplémentaire. Maintenant pour les ruptures, comme tu peux le voir, les prévisions étaient bonnes. Le problème, c’est que la marchandise s’est vendue plus que prévu sur les autres pays. Du coup, tu es victime de la mutualisation du stock. Comme je te l’avais expliqué, nous disposons d’un stock européen, si bien que, si les autres pays vendent plus qu’attendu et bien tu te retrouves sans stock malgré tes bonnes prévisions. C’est comme ça ! Il faut faire avec.
‐ Bon, il n’y a pas de problème alors, se résignait à conclure le jeune manager.
‐ Non, effectivement, il n’y a pas de problème plus important qu’à lʹaccoutumée. En revanche, tu as beaucoup à apprendre de cet épisode. Tu dois montrer à ton équipe que tu es solide. S’ils ne te fournissent pas d’informations alors, demande‐leur de te faire un
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point régulièrement. Non pas sur une difficulté qu’ils rencontrent, comme tu as dû le faire pour te porter en sauveur, mais juste pour te tenir informé. Il faut te rapprocher d’eux et ne surtout pas rester dans ton bureau. Par exemple, invite‐les à manger à midi. Tu les prends, un par un, et tu apprends à les connaître. Tu sais, la légitimité se gagne sur quatre choses : ton charisme ; d’ailleurs sur ce point, tu gagnerais à prendre de l’embonpoint ; ton expérience ; celle‐ci reste à construire ; ton réseau ; là encore, rien n’est fait ; et tes diplômes ; sur ce dernier point, tu te défends bien. Mais tu vois, globalement, tu as beaucoup à travailler sur ton relationnel pour construire ton expérience. Et obtenir des galons qui te feront gagner en charisme. Alors dans un premier temps : essaie de prendre conscience que le chemin va être long et fixe‐toi des objectifs sur chacune des trois formes de légitimité qu’il te reste à construire.
Le jeune homme restait attentif et réfléchissait profondément à ce que venait de lui dire son manager de tutelle. Il se mit à prendre des notes quand Bernard se leva et rapprocha le paperboard. Il y dessina une matrice avec deux axes.
‐ J’imagine que tu dois connaître cette matrice !
‐ Oui je la connais, mais vous savez, la théorie c’est une chose, comprendre concrètement comment s’en servir, ça en est une autre…
‐ Ok, je vais te faire le lien entre la théorie et la pratique alors. Ajouta Bernard sur un ton amusé. Tu vois, tu as deux niveaux d’implications : en abscisse, ton implication dans les tâches à réaliser et en ordonnées, l’implication de l’équipe dans les décisions que tu es amené à prendre. Alors toi, moi et n’importe quel manager digne de ce nom, a une préférence pour l’un de ces quatre modes de management. Le problème, c’est que le management doit d’abord se faire en fonction des collaborateurs plutôt que des aspirations personnelles du manager. Donc, si tu as le sentiment de manquer d’informations et de ne rien contrôler, c’est que tu as un penchant pour la réalisation des tâches. Tu as tendance à t’approprier toutes les tâches pour être sûr de maîtriser ton sujet.
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Ce n’est pas une mauvaise chose, mais il faut que tu t’adaptes à ton public. Tu ne pourras pas mener un management directif ou persuasif avec l’équipe qui est en place. Chacun des collaborateurs que tu as entre les mains maitrise parfaitement son sujet. Tu dois donc adopter un management participatif et déléguatif. Et pour cela, tu dois absolument faire confiance à ton équipe. Tiens, prends cette feuille et réfléchis à tout ça. Mais ne t’inquiète pas, tu vas t’en sortir ! Tu as eu le bon réflexe de venir me voir. N’hésite pas à repasser si tu sens que tu es à nouveau en difficulté.
Bernard arracha la feuille du paperboard puis la tendit au jeune manager.
‐ Merci beaucoup pour ce cours de management, Bernard. Je crois que j’y vois un peu plus clair. Je vais essayer de réfléchir à tout ça et surtout à la façon dont je peux changer mon comportement pour que les choses repartent dans le bon sens.
Figure 2.13- Matrice styles de management
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Ce petit aparté sur le management situationnel avait redonné à Bernard le sentiment qu’il maîtrisait encore certains sujets. Depuis le début de son projet Lean Six Sigma, cette sensation lui était devenue étrangère. Il avait l’impression de voir, dans la posture d’Eric, la même appréhension qui l’avait envahi face à Salomé NYX. Bernard abandonna l’idée vertigineuse de finir « candide éternel » et se remit à la réalisation de sa Value Stream Map.
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Figure 2.14- Slide "VSM" du fichier de suivi du projet.
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Sa Value Stream Map lui avait permis de cerner quels étaient les temps de traitement à valeur ajoutée et les temps d’attente entre les différentes manipulations. Sur ce point, il avait été frappé par les délais d’attente entre les différentes étapes. Pour 25 minutes de traitement effectif, la commande pouvait attendre jusqu’à 34 jours avant d’être livrée. Il fit également la distinction entre les commandes qui pouvaient être bloquées et celles qui partaient directement en préparation, pour voir la différence de délais entre les commandes à problèmes et les commandes sans blocage. Lors de cette construction schématique, qu’il avait réalisée sur la base d’extractions du système et d‘informations recueillies auprès du service client, Bernard s’était également aperçu que bon nombre de commandes étaient annulées au cours du processus, car elles n’atteignaient pas le franco et que les clients ne répondaient pas aux fax qui leur étaient transmis. A présent qu’il avait finalisé la formalisation des processus, il bénéficiait d’une connaissance assez juste des processus sur lesquels il travaillait pour avancer.
Jusque‐là, notre manager avait suivi les conseils de son mentor et avait avancé pas à pas sur son projet en reprenant les étapes énoncées dans le livre, qui lui servait de guide. Il arrivait à présent à un moment charnière de son projet : le choix de son Y., l’indicateur qui devrait lui permettre de suivre la qualité de service apportée au client « Jardins de plaisir ».
Si la formalisation des processus lui avait permis de toucher du doigt la complexité des processus sur lesquels il travaillait, il avait toujours du mal à percevoir globalement comment il pouvait améliorer les choses. Il se retrouvait avec une quantité importante d’informations. Certaines étaient intimement liées, mais la plupart s’avéraient très disparates. Certaines problématiques, comme les problèmes de tarifs ou de rupture de stock, étaient liées à des processus en amont de la supply chain alors que d’autres, comme la génération d’avoirs suite à des litiges, intervenaient en aval. Comment avoir une vue générale d’une seule et même problématique, la qualité de service apportée à «Jardins de plaisir», quand les indicateurs touchent à tous les maillons de la chaîne ? C’était le grand dilemme sur lequel Bernard bloquait.
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Il y réfléchit à plusieurs reprises puis finit par envoyer un mail à Salomé NYX.
Bonjour Mlle NYX,
J’ai bien peur d’avoir déjà besoin de votre aide…
Vous trouverez en fichier joint les premiers processus que j’ai formalisés. Si j’ai bien suivi votre livre, je dois maintenant sélectionner un indicateur.
Malheureusement, même si j’ai beaucoup d’éléments d’informations je ne dispose pas d’une vue d’ensemble qui me permette de faire le choix d’un Y. En analysant les différents problèmes (commandes bloquées, avoirs générés suite aux litiges, ruptures de stock, saturation du centre d’appels), je me retrouve avec un nombre très conséquent d’indicateurs. Comment n’en choisir qu’un seul ? Et surtout, comment résoudre des problèmes qui touchent à autant de processus en amont et en aval de la commande. Vraiment je ne sais plus quoi faire…
Merci par avance de votre aide.
Bernard TALIN
L’envoi de ce mail mit notre manager en appétit. Il quitta donc son bureau pour se prendre un petit encas dans une sandwicherie du quartier. Malgré un vent glacial, Bernard profita du beau temps pour manger son pain bagnat sur un coin de verdure d’un parc longeant Martin’s Garden. C’était déjà jeudi, le weekend serait vite là. Que va faire Eloïse ? Vat‐elle finir par revenir ou passer récupérer définitivement ses affaires. Autant de questions qui envahissaient l’esprit de notre manager chaque fois qu’il se détournait de son projet.
De retour à son bureau, Bernard était agréablement surpris que Salomé lui ait déjà répondu :
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Mon cher Bernard,
Suite à la consultation de votre fichier de suivi de projet : je suis agréablement surprise de voir que vous vous en sortez très bien. La formalisation n’est pas une chose aussi aisée que nous pourrions l’imaginer. Et les quelques processus que vous avez déjà cartographiés illustrent une bonne capacité d’analyse de votre part.
Ma plus belle surprise fut de voir votre matrice de Kano. Je suis impressionné, car ce type d’outil est très parlant, mais souvent très difficile à mettre en place. Je ne peux pas croire que vous ayez consulté vos clients sur autant de points si rapidement, j’imagine qu’elle était déjà existante dans votre entreprise. En tout état de cause, vous avez des ressources dans votre équipe qui vous permettront d’aller de l’avant.
J’ai également vu que vous aviez répertorié certains problèmes sous forme de mind map. C’est un très bon outil et vous avez bien fait de commencer à lister les problèmes. Mais faites attention à ne pas tomber dans le piège d’affecter une solution en face de chaque problème. Cette liste doit rester un document de travail, car vous verrez par la suite, dans la partie analyse, que les problèmes seront encore plus nombreux et que ce que vous y avez inscrit pour le moment n’est qu’une ébauche de ce qui vous attend.
Pour votre problème. Si j’ai bien compris, il vous manque une unité de mesure globale des difficultés que vous rencontrez. C’est la limite de l’approche analytique. Nous avons trop tendance à découper les cheveux en quatre pour comprendre ce qui les compose et appréhender leur fonctionnement. Vous avez fait la même chose : vous avez attrapé tous les indicateurs et toutes les informations qui étaient susceptibles d’intervenir dans votre projet. Le problème c’est que votre rationalité est limitée et qu’il vous est totalement impossible d’appréhender autant d’informations. Voilà pourquoi vous vous sentez perdu.
Il faut que vous arriviez à prendre du recul sur tout ça. Bref, il vous faut une vision macroscopique du problème. Je vous conseille de lire « Le Macroscope » de Joël de ROSNAY ainsi que « La cinquième discipline » de Peter M. SENGE. Ces deux livres sont de vraies perles. Ils vous
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permettront de concevoir les problèmes d’une manière plus globale. Après la lecture de ces ouvrages, il vous faudra passer de la théorie à la pratique en modélisant le ou les systèmes de votre projet. J’insiste vraiment sur ce point : il est fondamental que vous pensiez votre projet de manière systémique, car si l’approche analytique que vous avez menée jusqu’ici vous permet de répondre à la question « De quoi c’est fait ? », seule la modélisation systémique* vous permettra de comprendre « Qu’est‐ce que ça fait ? ». Aussi, si vous n’entamez pas ce travail de représentation du système pour en cerner la finalité, soyez sûr que vous n’aurez résolu aucun problème, au mieux vous les aurez déplacés à l’extérieur de votre champ d’analyse.
Concernant votre Y, avec mon expérience, il me paraît évident… Mais ce ne serait pas vous aider que de vous le donner. Regardez bien : il transpire dans toutes vos formalisations de processus ! Pour le trouver, vous n’avez qu’une seule question à vous poser : quel indicateur me permet de suivre la qualité de service que le client attend de moi.
Cet Y peut déboucher sur plusieurs y qui seront des indicateurs plus opérationnels. Vous n’êtes pas limités à un seul indicateur, mais faites attention : pour que l’amélioration des résultats reste perceptible, il ne faut pas noyer vos interlocuteurs avec une multitude de chiffres incompréhensibles. Nous en revenons toujours à la même chose : la rationalité limitée. Un ou deux grands indicateurs détaillés en six ou sept feront très bien l’affaire.
Bon courage.
« Et bien voilà… Si Eloïse ne rentre pas ce weekend : je saurai ce que j’ai à faire. Deux livres à lire et une énigme à relever. Pour mon Y j’y réfléchirai à tête reposée… Allez, je remballe, et fonce à la première librairie du coin pour acheter « Le Macroscope » et « La cinquième discipline. »
Puisqu’il était coincé sur son projet, Bernard décida de prendre son vendredi pour appréhender cette discipline que constituait la systémique. A la sortie du bureau, il s’arrêta dans une grande librairie, rentra chez lui et se plongea dans le premier ouvrage.
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Vendredi 13 février. Il était 11H quand Bernard sortit de son lit. Il n’avait pas l’habitude de se lever si tard, mais il n’avait pas non plus l’habitude de lire jusqu’à 3H du matin. Ainsi, il avait lu l’approche systémique de Joël de Rosnay d’une seule traite. Histoire d’être bien réveillé, Bernard resta un bon moment sous la douche. Il sait que c’est sous la douche que lui viennent les plus brillantes idées. Et ce matin il lui fallait imaginer la représentation systémique de son projet. Après quelques minutes de réflexion : il finit par abandonner. La tête dans le guidon, Bernard sentait que son cerveau tournait en rond. De grandes incertitudes prenaient place en lui : comment gérer autant de problèmes d’un seul coup, mais surtout comment faire face à la décision d’Eloïse ; quelle qu’elle soit d’ailleurs. Pour faire lever ce brouillard épais de son esprit, Bernard décida d’appeler Jean‐Louis pour savoir s’il pouvait passer le week‐end avec lui et son épouse dans leur maison de campagne en Provence. Son vieil ami accepta avec plaisir.
Après trois heures de route, Bernard arrivait chez ses amis. De manière bienveillante, Jean‐Louis et son épouse Béatrice évitèrent toute discussion à propos d’Eloïse. L’apéritif s’enchaîna sur un diner des plus somptueux, le tout dans une ambiance très chaleureuse où nos amis aimaient à échanger par nostalgies sur les péripéties de leurs jeunes années. Quand ils se retrouvaient dans cette maison, nos deux amis finissaient toujours la soirée au coin d’une table d’échecs.
Après une vingtaine de minutes de jeux, Bernard avait perdu sa reine. Cependant, il avait joué assez finement pour que la perte de cette reine se transforme en sacrifice contre les deux tours de Jean‐Louis. Avec un nombre de pions plus importants et surtout plus proches de la ligne de fond de son adversaire, Bernard basait sa stratégie sur la réalisation d’une nouvelle reine. Il s’y employa à merveille sans que Jean‐Louis y prête attention. Ce dernier, depuis la suppression de la reine de Bernard, jubilait à l’idée de le mettre échec et mat, ce qui n’arrivait que très rarement. Bernard, petit à petit, grignotait tous les pions de son adversaire et avançait les siens pour augmenter ses chances de transformer un de ses pions en nouvelle reine. Jean‐Louis tenta un… « Echec ! ». Pour protéger son roi, Bernard ramena un fou
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juste devant, pour le protéger de la reine de Jean‐Louis. Par manque de chance pour Jean‐Louis : à cette nouvelle place, le fou de Bernard mettait son roi en échec, ce qui l’obligea à faire un coup à blanc pour le protéger. Cela permit également à Bernard d’avancer un pion sur la ligne de fond. Ainsi, il obtint une nouvelle reine grâce à sa stratégie menée sur ce pion. « Echec et Mat ! », Jean‐Louis avait fait l’erreur de laisser son roi en fond de jeux pensant ainsi qu’il serait mieux protégé. Mais à trop vouloir attaquer, Jean‐Louis en avait oublié de préserver sa défense.
‐ Bravo ! Tu as gagné Bernard, lança Jean‐Louis un peu déçu.
Bernard restait fixé sur le jeu sans répondre. Après quelques secondes il s’enflamma :
‐ Mais oui c’est ça ! Mon Y, mon indicateur : c’est ça ! C’est mon pion qui arrive en fin de course pour devenir une reine…
‐ Heu, je crois que tu as un peu forcé sur le whisky et le vin ce soir mon cher Bernard.
Bernard sauta sur Jean‐Louis et le prit dans ses bras.
‐ Merci Jean‐Louis ! Cette partie d’échec est le plus beau des cadeaux ! J’ai trouvé la solution.
‐ Tu peux m’expliquer là parce que je ne comprends rien.
‐ Tu sais, j’étais bloqué sur mon projet, car je n’arrivais pas à trouver l’indicateur me permettant de suivre la qualité de service attendue par le client… Et bien, je viens de le trouver. J’ai avancé mes pions jusqu’à ce que l’un d’entre eux arrive sur ta ligne de fond et se transforme en reine. Il est là mon indicateur.
‐ Heu oui bien sûr… Tu peux être plus précis s’il te plaît ?
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‐ Lorsque la commande de «Jardins de plaisir» arrive chez Martin’s Garden, elle passe par différentes étapes. A chacune de ces étapes, elle peut être bloquée ou passer l’étape suivante, jusqu’au moment de la livraison. Ensuite si elle rencontre un problème : le client génère un litige, dans le cas contraire : il paie la facture. Tu vois c’est comme les pions aux échecs : la commande suit un parcours et à n’importe quel moment elle peut être bloquée ; pour minimum de commande, écart de prix, manque de stock, problème de livraison…etc. ; et ne pas aboutir où alors avec du retard. Donc mon indicateur c’est le nombre de commandes qui arrivent jusqu’au paiement de la facture sans aucun problème par rapport à la totalité des commandes. C’est mon taux de transformation de commandes initiale en commandes reines. Voilà mon Y : le taux de commandes reines ! Qu’est‐ce que tu en penses !?
‐ Je pense que tu es un fêlé mon pauvre ami. Répondit Jean‐Louis d’un ton amusé.
‐ Tu as raison : je suis un fêlé. Ou alors, je suis un génie… car aux yeux des autres : un génie passe toujours pour un fêlé, lança Bernard engaillardi par sa trouvaille et les quelques verres ingurgités dans la soirée.
Après quelques fanfaronnades persistantes de Bernard, nos deux amis regagnèrent leur chambre. Il était une heure et quart du matin quand les lumières s’éteignirent laissant disparaître la villa dans la nuit noire de la campagne provençale.
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Figure 2.15- Présentation de l’indicateur.
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Chapitre 3
DEFINITION DES PARAMETRES ORBITAUX
Chaque projet donne naissance à un objectif à atteindre. Cependant, quel que soit le niveau de formalisation de cet objectif, celui‐ci est rarement cristallisé par la sélection d’un indicateur. Le choix de l’indicateur est donc une étape particulièrement importante puisque la réussite du projet sera jugée sur ce seul critère.
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Si ce point est important, il n’est pas toujours aisé de déterminer ce qui est appelé le « Y ». Deux hypothèses sont envisageables :
‐ Soit un indicateur émerge rapidement de la problématique rencontrée, auquel cas il s’agit de s’assurer de l’existence de sa mesure dans le système de l’entreprise et de le mettre en place si c’est nécessaire.
‐ Soit le projet est trop complexe pour ne faire émerger qu’un seul Y. Dans ce cas, il est nécessaire de passer par une étape supplémentaire pour définir l’indicateur.
Dans ce deuxième cas de figure, il est possible d’utiliser la méthode du Goal Question Metric, mis au point par la NASA. L’approche consiste à se poser des questions dont les réponses permettraient de déterminer si l’objectif du projet est atteint ou en voie de l’être. Ensuite pour chaque question posée, il faut déterminer les indicateurs capables d’apporter une réponse, ou une partie de la réponse.
Pour la mission APPOLO 11, l’objectif du projet est d’aller sur la Lune. Une des questions que nous pourrions être amenés à nous poser est « A quel moment aura lieu l’atterrissage ? », l’indicateur qui pourrait répondre à cette question serait « l’écart entre le temps réel lors de la mission et celui initialement prévu dans le plan de vol ». Une autre question pourrait être
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« Qu’est‐ce qui pourrait prouver que l’équipe a bien marché sur la Lune ? ». L’indicateur pourrait être l’existence d’une photo…etc.
Quel que soit l’indicateur retenu, celui‐ci doit être le révélateur de la réussite ou de l’échec du projet.
Une fois le Y du projet sélectionné, il est impératif de vérifier la fiabilité de son système de mesure. Trop souvent les entreprises exploitent les données de leur système d’information en postulant de leur fiabilité. C’est une erreur majeure. Toutes données avant d’être travaillées devraient être vérifiées.
Pour tester le système de mesures, l’utilisation de GR & R est préconisée (Gauge = Justesse, Repeatability = Répétabilité, Reproductibility = Reproductibilité). Dans certains cas les données devront être vérifiées à posteriori. Il sera alors judicieux de cibler les plus grosses erreurs en contrôlant que la loi de Benford se vérifie.
A titre d’exemple : Le plan de vol de la mission APPOLO 11 prévoyait un atterrissage sur la Lune à la 102ème heure 47ème minute et 11ème seconde après le décollage. En réalité l’atterrissage a eu lieu à 102:45:40 avec 91 secondes d’avance.
Pour arriver à un tel niveau de précision, à nʹen pas douter : le système de mesure a dû être vérifié comme il se doit.
Extrait du livre ʺLes 7 voyages de lʹinnovateurʺ de Salomé NYX.
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Lundi 16 février. Arrivé au bureau, Bernard s’empressa de se rendre au centre d’appels pour remettre des formulaires aux conseillers. La feuille qui devait être renseignée comportait l’identification de la personne et un tableau à deux colonnes : une pour le numéro de la commande traitée et une autre pour le problème rencontré.
A la fin de la demi‐journée, Bernard disposerait ainsi d’un échantillon de commandes qui auraient subi au moins une intervention ; ce qui lui permettrait de vérifier qu’elles se retrouvent bien dans l’extraction du système informatique.
En parallèle de cet échantillon, il lui fallait affiner sa demande auprès de David EUTERPI pour bénéficier d’une requête qui lui fournisse la liste des commandes ayant subi une modification et une autre qui comptabilise le nombre total de commandes. D’un point de vu informatique, la demande restait très similaire à celle qu’il avait effectuée la semaine précédente, ce qui permit à David de lui transmettre le travail en milieu d’après‐midi.
Il fut alors possible pour Bernard de reprendre le modèle de suivi de projet de Mlle NYX et d’évaluer la fiabilité de son système de mesures.
Sur la base des relevés d’informations qu’il avait récupérés auprès du personnel du service client, Bernard était à même d’évaluer la justesse du système de mesure. Cependant, le livre et le fichier de suivi de projet de Mlle NYX faisaient référence à deux autres variables : la répétabilité et la reproductibilité. Malgré la pédagogie de son mentor sur ces termes techniques, Bernard percevait mal comment il pouvait avancer sur cette étape. Pour y voir un peu plus clair, il décida d’aller demander conseil à Charly ETHER, l’un de ces anciens collaborateurs du demand planning.
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Figure 3.1- Identification des CTQ.
Figure 3.2- Tableau de validation du système de mesure.
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Charly était ingénieur en statistiques, il travaillait au service du demand planning depuis deux ans. Sa principale fonction consistait à optimiser les modèles statistiques pour fiabiliser les prévisions de vente de Martin’s Garden.
Avant d’attaquer dans le vif du sujet, Bernard fit à Charly un petit préambule sur l’état d’avancement de son projet et le choix de son indicateur. Charly connaissait le Six Sigma sur le bout des doigts, aussi il perçut très vite les difficultés de son ex‐manager.
‐ Ok Bernard, je comprends ton souci ! Mais je ne pense pas que tu puisses faire mieux. Sur ton tableau tu as mesuré la justesse des mesures en comparant les erreurs liées aux commandes que tu es censé retrouver dans tes commandes « à problème ». Pour évaluer la reproductibilité, il eut fallu que chaque personne du service client traite les mêmes problèmes, ce qui n’arrive quasiment jamais. Les clients ne rappellent pas deux fois pour déclarer un litige ! Ensuite pour mesurer la répétabilité, il eut fallu que les clients rappellent un autre jour pour vérifier que les personnes enregistrent bien les mêmes infos. Et là encore, si cela arrive, ce doit être rarissime. Non franchement, vu la problématique sur laquelle tu travailles, le test de fiabilité de ton système de mesure tient la route. Et quatre‐vingt‐dix pour cent de fiabilité c’est bien. J’imagine que tu as repéré d’où viennent les 10 pour cent restants !
‐ Oui, les écarts de mesures proviennent essentiellement d’appels téléphoniques de demandes de renseignements. Tu vois ici : le client a appelé pour savoir quand il recevra sa marchandise. Comme cela ne génère aucun changement dans le système, la commande ne ressort pas dans la requête. C’est la même chose pour les clients qui ont appelé pour des retours en garantie. Dans un premier temps, on les renseigne sur la procédure. A ce moment‐là, il n’y a aucune manipulation d’opérée dans le système. En revanche : le jour où le client nous transmettra son fax de demande de retour pour garantie et que nous l’enregistrerons dans le système : là le problème apparaîtra dans ma requête. De la même façon, pour le client qui nous contacte
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pour savoir où en est sa commande, l’erreur apparaîtra le jour de sa livraison, car elle ne sera pas conforme au délai demandé.
‐ OK, ça se tient !
‐ Pendant que je te tiens Charly, j’aurais besoin de toi pour la suite des évènements. Tiens regarde sur cette clé USB, dans le répertoire « Projet ʺJardins de plaisirʺ ». Le plus gros fichier : c’est ma requête avec les commandes à problème. Le deuxième c’est celui qui me donne le nombre total de commandes de «Jardins de plaisir». Et le dernier, c’est mon fichier de suivi de projet. Ouvre‐le tu verras les étapes sur lesquelles je suis bloqué ! Voilà tu vois ici je dois définir si les données sont continues ou discrètes… Je n’y comprends rien ! Tu peux m’expliquer ?
‐ Bah, tout dépend de ton indicateur. Si ton indicateur c’est la commande en elle‐même, à savoir si ta commande est reine « oui » ou « non ». Tu travailles ici, sur une valeur qualitative, donc ta variable sera forcément discrète. En revanche si ton indicateur c’est les taux de commandes reines alors ta variable est continue !
‐ Bon, merci à toi, mais je ne suis pas sûr que tes explications me rendent les choses plus claires.
‐ Je sais Bernard que ça n’est pas très simple. A ta place je travaillerais sur le taux de commandes reines, car avec une variable continue tu auras toujours plus de facilité à analyser ta distribution. Donc, tes données sont continues. Mais tu sais, en soi, ça ne sert pas à grand‐chose de connaître la nature de tes données. Le plus important c’est que tu sois capable de les analyser.
‐ Bien, justement… en parlant d’analyse : regarde les slides suivantes. Il y a plein de graphiques dont je ne comprends absolument rien.
‐ OK, ne bouge pas. Je vais récupérer tes données et reproduire les mêmes graphiques. Si je t’explique avec tes taux de commandes reines je pense que ce sera plus parlant.
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Charly récupéra les données sur son ordinateur et fit plusieurs manipulations avec une dextérité déconcertante pour Bernard. Après quelques instants le statisticien reprenait sa démonstration.
‐ Voilà j’ai refait les mêmes graphiques avec tes données. Le premier diagramme te montre comment se présente ta distribution. Tu vois le logiciel classe par ordre croissant les taux de chaque semaine pour que tu puisses voir où se trouve ta médiane. Ici ta médiane est à 48,88%.
‐ Merci Charly, mais au risque de te poser une question bête… Pourrais‐tu me dire ce qu’est une médiane ?
‐ Ne t’inquiète pas Bernard : il n’y a pas de question bête… Au contraire, je trouve ça plutôt marrant d’expliquer à mon ancien chef les rudiments des statistiques.
Figure 3.3- Représentation graphique / Relevés du Taux de Commandes Reines.
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Bernard prenait avec sourire la légère pointe d’ironie qu’il percevait dans la bouche de son jeune collègue.
‐ Bon bah vas‐y je t’écoute…
‐ La médiane c’est la valeur qui va couper ta distribution en deux. Ici cela signifie que la moitié de tes relevés est au‐dessus de 48,88% et l’autre moitié est au‐dessous. Dans le même état d’esprit, tu as le premier et le troisième quartile. Le premier te découpe ta distribution au premier quart. Par exemple ici ton premier quart de relevés est en dessous de 46,61%.
‐ Bon, je crois que j’ai compris ce qu’étaient la médiane et les quartiles. Je ne vois pas en quoi cela m’apporte plus d’informations que la moyenne, mais bon ce n’est pas grave, lâcha Bernard un peu agacé d’avoir à se familiariser avec ce type d’outils sans en percevoir l’intérêt. Pourrais‐tu me dire en quoi cela me sert de savoir tout ça ?
‐ Pas à grand‐chose si ce n’est que cela te permet de visualiser l’amplitude de variation de tes relevés. Avec les quartiles, tu peux voir comment sont réparties tes valeurs sur l’ensemble de la distribution. Pour la moyenne, il se trouve que dans ton exemple elle est très proche de la médiane. Mais il faut que tu saches que la moyenne n’est pas un indicateur très robuste. Par exemple, elle est fortement dépendante des extrêmes. Regarde ! Si au lieu de prendre ton taux de commandes reines, j’analyse les montants de tes commandes. Tu vois nous obtenons une valeur moyenne de 887 euros alors que ta médiane n’est que de 369 euros. Ici, c’est flagrant ! Ta valeur moyenne de commande est fortement impactée par quelques commandes avec des montants de plusieurs milliers d’euros. Donc voilà, ce graphique te permet juste d’avoir un aperçu sur la répartition de ta distribution. Cela te parait anecdotique pour ton projet. C’est sûr que ce n’est pas cela qui va faire améliorer ton indicateur, mais cela te donne quand même une belle image de ce sur quoi tu travailles.
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Figure 3.4 Représentation graphique / distribution montants de commandes client JDP.
‐ Ok Charly. Je crois que j’ai compris l’intérêt de celui‐ci. On passe au suivant ? Lança Bernard impatient d’avancer et de toucher du doigt des problématiques plus concrètes.
‐ Alors ensuite, dans ton modèle, il est demandé de faire un test de normalité. Cela nous permet de savoir si ta distribution est normale.
‐ Pourquoi elle ne serait pas normale ! Je n’y ai pas touché moi.
Charly se mit à hurler de rire laissant Bernard dans la plus profonde incompréhension.
‐ Quand tu auras fini de te foutre de moi, on pourra avancer…
Charly, qui commençait à pleurer, s’essuya les yeux et tenta de reprendre.
‐ Excuse‐moi Bernard mais tu es trop drôle. On dit d’une distribution qu’elle est normale quand elle répond à une loi de Gauss. Tu as
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plusieurs types de distribution, la gaussienne comme la tienne, la bimodale, … etc.
‐ Bien bien… Je vois que c’est de plus en plus clair… Là encore : tu peux me dire à quoi cela sert de savoir que ma distribution est normale ?
Calmé par l’impatience de Bernard, Charly repris sur un ton plus sérieux.
‐ Pour faire le test statistique qui suit et qui permet de connaître ton niveau 6 sigma : tu as besoin de connaître la loi qui correspond à ta distribution. D’ailleurs pour réaliser ce graphique : j’ai besoin que tu me spécifies ton objectif et les limites acceptées.
‐ Tu peux être plus claire s’il te plait ?
‐ Pour ton projet 6 sigma, une fois que tu as défini ton indicateur, ici le taux de commandes reines, il te faut définir les performances standards de cet indicateur.
‐ Ah oui, ça me rappelle quelque chose. Si je me souviens bien, je dois me baser sur les attentes du client ou sur ce qui se fait chez les concurrents. Mais comment vais‐je pouvoir faire ? Je ne vais quand même pas aller demander à mon client ce qu’il attend comme taux de qualité. A coup sûr, ils vont me rire au nez et me demander 100%.
‐ Effectivement pour ton indicateur ça n’est pas évident. Je sais que certains industriels travaillent sur le taux de commandes parfaites. Ton taux de commandes reines en est très proche.
‐ Tu m’intéresses là ! Quʹest‐ce que tu entends par « taux de commandes parfaites » ?
‐ La commande parfaite est une commande qui arrive chez le client dans les délais, en totalité, sans problème de qualité et sans écart de tarif qui pourrait donner lieu à un litige de facturation. Ton indicateur
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des commandes reines est un peu plus contraignant, car si nous réalisons une manipulation sur la commande, quelle qu’elle soit, la commande sortira en défaut alors qu’il est possible qu’elle ait atteint le niveau de qualité requis par le client. En même temps, j’imagine que si nous avons à réaliser une opération sur une commande, c’est qu’elle a de grandes chances de déboucher sur un problème pour le client. En plus, ton indicateur sera plus parlant pour nous en interne car, tout en intégrant la mesure de la qualité pour le client, il se focalise sur nos processus métiers.
‐ Bon, tout va bien alors ! En revanche, ça ne me dit pas comment définir le standard. Il existe des benchmarks sur ce type d’indicateur ?
‐ Franchement, en France : je ne pense pas. Mais peut‐être pouvons‐nous essayer de le calculer ?
‐ Ok. Et comment ferais‐tu ? S’intéressa Bernard, d’un regain de vivacité.
Charly prit une feuille et commença à énumérer à voix haute les hypothèses retenues.
‐ Si on considère un taux de service optimal de 98%, avec un taux de commandes livrées dans les temps de 98%, avec un taux de qualité de 99% à la saisie de la commande, un taux de 99% de passage de commandes au contrôle crédit, avec un taux de 99% de qualité sur la livraison et un taux de 99% de justesse au niveau de la facturation : nous obtenons un standard de qualité de 92,25%. Disons grosso modo 90%.
‐ Ouhaou… 90% avec les chiffres que tu m’as annoncés comme taux de service ? C’est impossible !
‐ Si on définit une limite minimale à 80% je pense que tu disposeras d’une bonne base de travail. Et puis ça ne reste qu’un objectif, si déjà tu réduis de moitié les commandes à problème : je pense que ton client s’en rendra compte !
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Figure 3.5- Performance attendue.
‐ Bon OK. Qu’est‐ce que cela donne comme niveau 6 sigma si on retient ces caractéristiques ?
‐ Comme tu peux le voir : tu es très loin des spécifications que nous avons définies. Dʹune part, la variabilité de ton process est beaucoup trop importante. Cʹest‐à‐dire que selon les semaines, tu as de trop fortes disparités sur les taux obtenus. Mais le pire c’est ta localisation : aujourd’hui tu tournes autour des 50%. Alors effectivement pour atteindre les 90% : tu vas avoir du travail.
‐ Oui, c’est vrai que j’ai du pain sur la planche. Je te remercie Charly, je crois que tu m’as donné de quoi avoir des migraines jusqu’à la fin de la semaine. Je me rends compte que venir te voir c’est un peu comme allez chez le dentiste. On préfèrerait ne pas avoir à revenir !
‐ Arrête, tu déconnes ! Ça n’est pas si horrible les stats ! Et franchement, je ne vois pas comment j’aurais pu être plus pédagogue…
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Figure 3.6- Niveau 6 sigma / Normalité des données.
‐ Oui c’est bien ça le problème, rétorqua Bernard en reprenant à son compte la moquerie du jeune collaborateur.
Les deux collègues échangèrent encore quelques pics avant de se séparer. Bernard, assez fatigué des efforts de compréhension qu’il avait dû faire pour intégrer les tenants et aboutissants de la statistique descriptive, rentra directement chez lui.
Arrivé à son domicile, il se posa devant la télévision et lui accorda ; une fois n’est pas coutume ; un peu de temps de cerveau disponible.
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Chapitre 4
MISE EN ORBITE
La phase d’analyse est un cheminement long qui démarre à l’évaluation du niveau 6 sigma du processus étudié, jusqu’à la compréhension profonde des mécanismes en place. Il ne s’agit pas ici de prendre une photo des problèmes apparents pour tenter de les résoudre. Cela consiste davantage à comprendre les interactions et la finalité du système pour en redéfinir la structure.
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L’erreur majeure à ce niveau du projet serait de considérer que ce sont les comportements défectueux qui sont à l’origine des dysfonctionnements du système. S’il est plus facile de remettre la responsabilité sur les hommes, il n’en demeure pas moins que c’est la structure du système qui induit les comportements et non le contraire. Aussi il convient de cerner la structure du système et sa finalité pour la repenser dans son ensemble et définir la nouvelle vision qui devra conduire le processus vers l’excellence opérationnelle.
La mission APPOLO 11 est un exemple parfait de la prise en compte des interactions plutôt que d’une vue statique de l’objet étudié. Imaginez le nombre de paramètres en constante évolution :
‐ La distance à parcourir par la capsule spatiale en fonction de l’heure de décollage.
‐ La force gravitationnelle de la Terre qui s’opère sur la capsule pour lui donner assez d’élan pour atteindre l’orbite de la Lune.
‐ Les créneaux horaires de lancement disponibles pour que la nuit ne devienne pas une contrainte trop importante pour gérer les différentes manœuvres.
‐ La coupure possible de la retransmission du fait qu’une seule antenne de réception aux états unis ne pouvait conserver le signal envoyé par la Lune quand celle‐ci se retrouverait à son opposé…etc.
Extrait du livre ʺLes 7 voyages de lʹinnovateurʺ de Salomé NYX.
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Mardi 17 février. Couché tôt, levé aux aurores. A 7h30, Bernard déjà au bureau, réfléchissait aux sujets susceptibles d’être traités par l’approche systémique. Malgré tout, sa pensée revenait inexorablement à l’approche analytique. Son entendement l’incitait ainsi à penser les différentes extractions qui lui permettraient d’en savoir davantage sur les interventions réalisées sur les commandes de «Jardins de plaisir».
Il formalisa sa réflexion par un mail envoyé au responsable informatique :
David,
Merci encore pour toute l’aide que tu m’apportes sur ce projet. Pour aller plus loin dans l’analyse de mes commandes : j’aurais besoin de connaître la nature des opérations qui sont effectuées. Pour chacune des commandes : j’aurais besoin de savoir à quel niveau celles‐ci ont subi une manipulation. Cela me permettra de définir quelles sont les sources de déblocage les plus importantes.
Inutile de te sensibiliser davantage sur l’urgence et l’importance de ce projet ;‐).
Par avance, merci !
Bernard.
Après la rédaction de ce mail, Bernard lança plusieurs requêtes dans le système d’information pour faire un benchmark de son indicateur avec les marchés européens les plus proches.
Dans la démarche présentée par Salomé NYX, il n’était nullement mentionné de mettre en vis‐à‐vis l’indicateur de son projet avec d’autres sources d’information. Mais pour Bernard, le benchmark était un outil puissant qui permettait de niveler par le haut les résultats de chacun, en alignant les processus sur les meilleures pratiques observées.
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Figure 4.1- Benchmark JDP – Moyenne marchés européens.
Même si ce premier travail d’analyse ne lui permettait pas de comprendre les sources d’écart entre les différents pays, Bernard était content de constater que les résultats de «Jardins de plaisir» étaient peu mirobolants en comparaison des moyennes de chaque pays. Il bénéficiait ainsi de marges de progression certaines. D’une part, le taux de commandes reines pour ce client était moindre que la moyenne de la France et d’autre part il y avait des pays comme l’Italie qui affichaient des taux bien supérieurs à la France. Cependant, Bernard observait deux bémols à cette analyse : dʹune part, la variabilité du taux de l’Italie était bien plus forte. Dʹautre part, les taux observés restaient très éloignés de l’objectif fixé. Bloqué sur cette analyse globale, Bernard s’impatientait de ne pouvoir accéder à un niveau de détail supplémentaire pour en savoir davantage. Pour éviter de perdre du temps, il décida de transmettre un mail à Mlle NYX pour avancer sur l’approche systémique qu’elle lui avait proposée de réaliser.
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Bonjour Mlle NYX,
Tout d’abord, merci pour votre mail de la dernière fois ! Celui‐ci m’a été très bénéfique.
J’ai fini par trouver mon indicateur. Je l’ai nommé le Taux de Commandes Reines. Cela correspond au nombre de commandes qui ne font l’objet d’aucun problème depuis la saisie jusqu’au paiement par rapport au nombre total de commandes entrées.
J’ai également travaillé sur mon système de mesures et sur le calcul du niveau Six Sigma. Sur ce point, heureusement que j’avais un statisticien sous le bras, car j’ai eu de la peine à comprendre l’intérêt des outils dans la méthodologie…
Enfin, j’ai commencé à travailler sur un benchmark pour comparer la situation de mon client avec la moyenne française et quelques autres pays européens.
Aujourd’hui je reviens vers vous, car je suis bloqué sur votre dernière recommandation. Vous m’aviez convié à réaliser une modélisation systémique de mon projet. Mais à vrai dire, même si j’ai trouvé la lecture du « Macroscope » et de « La cinquième discipline » passionnante, j’ai du mal à percevoir comment je peux l’utiliser dans le cadre de mon projet.
Pourriez‐vous me fournir un peu plus d’informations sur ce point afin que je puisse avancer ? Vous en remerciant par avance.
La fin de la journée était déjà arrivée. Bernard passa un bref coup de téléphone au responsable informatique pour savoir où en était sa demande du matin. David rencontrait des difficultés, car s’il était facile de savoir si une modification avait été opérée dans le temps : il était beaucoup plus complexe de remonter à la source du problème. Conscient qu’il y avait urgence sur le dossier, David promit à Bernard que la requête serait disponible le lendemain quand il arriverait au bureau.
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Mercredi 18 février. Comme annoncé, David avait transmis à Bernard un mail avec l’extraction demandée ainsi que le nom de la requête correspondante dans le système. Un mail de Salomé NYX attendait également la lecture de Bernard :
Mon cher Bernard,
Je suis ravie de voir que vous avancez à grands pas sur votre projet. Vous avez réussi à déterminer votre indicateur et celui‐ci parait en phase avec les besoins de votre client. C’est une très bonne chose.
En revanche je suis un peu surprise de la façon dont vous paraissez poursuivre votre projet. A aucun moment mon support de travail ne mentionne la nécessité de réaliser un benchmark. J’espère que vous n’avez pas perdu trop de temps sur cette partie…
D’une part comme vous pouvez le voir : les résultats atteints par les autres pays restent très éloignés de l’objectif que vous vous êtes fixé. D’autre part croyez‐vous vraiment que les autres marchés rencontrent les mêmes problématiques que vous ? Laissez‐moi en douter !
Par ailleurs, je souhaiterais vous poser une question : pensez‐vous que les meilleurs fassent du benchmark ? Non ! Car s’ils sont les meilleurs : ils n’ont pas à rechercher les meilleures pratiques chez les autres. Comment voulez vous devenir le meilleur si vous basez votre analyse sur les autres, au mieux vous arriverez au niveau du meilleur d’entre eux, avec toujours un temps de retard.
Autre point : quand vous arriverez à la phase d’amélioration, si vous visualisez les solutions pensées par les autres, vous allez vous enfermer dans ces solutions. Lors de la phase d’amélioration : c’est tout le contraire qu’il faut faire : sortir du cadre existant pour imaginer les solutions les plus innovantes.
Pour en finir avec cet outil : si vous faites aujourd’hui un benchmark, cela signifie que vous raisonnez déjà en termes de solution. Tant que vous n’êtes
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pas remonté à la source des problèmes : n’envisagez aucune solution. C’est un point fondamental !
Je crois savoir que votre projet est contraint par l’échéance imposée par votre client… Alors, ne perdez pas de temps à chercher de faux raccourcis ! Restez sur la base du modèle que je vous ai fourni et les choses avanceront comme il faut.
Pour votre « blocage » sur la systémique : je vous propose de travailler dans un premier temps sur une analyse qui se réfère à une petite problématique ou du moins un thème qui ne fait pas interagir trop d’informations. Cela vous permettra de vous faire la main sur ce nouvel outil. Gardez le livre à côté de vous et essayez de poser un à un les éléments. Je sais que vous allez y arriver. Je vous ai joint en exemple une modélisation systémique sur la lecture rapide, cela vous aidera peut‐être.
Bon courage.
(Modélisation systémique de la lecture rapide disponible en annexe.)
Bon et bien je m’en suis pris une bonne là. Je crois que je vais faire une croix sur mon benchmark. Et pour la systémique je ne suis pas plus avancé. Lisons cette analyse du système de la lecture rapide, nous verrons bien si ça donne des idées…
Avec la lecture du document transmis par Salomé NYX, Bernard assimilait un peu mieux la façon dont la systémique lui permettrait d’appréhender son projet d’un point de vu plus global. Cependant, il percevait encore mal, comment faire concrètement. Son mentor avait raison : il lui fallait trouver une problématique sur laquelle s’exercer à cette nouvelle discipline. Comme rien ne lui venait à l’idée, il décida de travailler sur les extractions transmises par David la veille.
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Figure 4.2- Pareto des blocages de commande.
Il ressortit de son analyse que les validations de commandes représentaient à elles seules près de 80% des déblocages ; arrivaient ensuite les notes de crédit de litiges. Pour bénéficier de plus de détails concernant des deux sources de défaut, Bernard retourna voir David pour lui demander une nouvelle extraction sur le détail des déblocages de commande. Puis il passa voir Eric BERTRAND, le contrôleur de gestion France, pour lui demander s’il disposait d’un tableau de bord de suivi des avoirs.
La nouvelle requête demanderait encore quelques heures de travail tandis que le détail des notes de crédits générées sur le client «Jardins de plaisir» lui fut fourni immédiatement. Bernard constatait, résigné, que s’il était facile d’obtenir des indicateurs financiers, en revanche les indicateurs opérationnels tels que le suivi des commandes reines étaient totalement inexistants.
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Figure 4.3- Pareto des sources d’avoirs.
L’analyse Pareto des notes de crédit démontra que les trois premières sources d’avoirs, les retours de garantis, les erreurs de saisie en interne et les livraisons trop tardives, représentaient 88% de la totalité des avoirs accordés à «Jardins de plaisir».
Face à ce résultat, Bernard se redressa contre le dossier de sa chaise pour réfléchir à voix haute.
« Je savais que les garanties impactaient fortement la marge, mais de là à représenter près de la moitié des avoirs… C’est énorme ! Avec plus de 7 millions de chiffres d’affaires sur la même période, ces problèmes de défectueux pèsent tout de même 6% du CA ! Mais bon, ces retours garantis ne font pas parties de mon projet : sur tous les entretiens que j’ai eus, je n’ai pas entendu parler de problèmes qualité sur nos produits, ce sont peut‐être des consommateurs qui abusent de la possibilité de ramener les produits sans justification… J’imagine que ces taux doivent être les mêmes chez nos concurrents... Maintenant si je regarde ce qui correspond directement à mon projet, les erreurs de saisie et les retards de livraison représentent 40% des
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avoirs. Cela me fait deux leviers d’amélioration importants. C’est une bonne chose. Je vais aller voir Roger pour lui parler de tout ça… Il pourra surement m’éclairer davantage sur ces chiffres. »
Bernard édita ces graphiques et partit directement rejoindre Roger, le responsable du service client.
‐ Tiens, Bernard, comment vas‐tu ?
‐ Salut Roger, ça va bien. Je te remercie. Je viens te voir pour te demander comment tu analyses ces chiffres.
Notre manager tendit son diagramme de Pareto à son collègue. Celui‐ci prit quelques secondes pour l’analyser avant de donner son verdict :
‐ Ouhep… Rien de nouveau sous le soleil… ! Pour les garanties, ce sont des problèmes de qualités : il faut que tu voies ça avec le service qualité Europe. Et pour les erreurs, je ne vois pas ce qu’on peut faire. C’est humain de faire des erreurs ! Si tu veux que le nombre d’erreurs baisse, alors il faut demander aux clients de passer plus de commandes par EDI. Le problème vient aussi du fait que les représentants passent des commandes de leur côté alors que dans le même temps, on reçoit celle du client. Ce qui fait un doublon de commande. Pour ça nous avons une procédure de contrôle, mais il y en a toujours qui passent à l’as.
‐ Bon OK… Mais dis‐moi Roger : ça ne te paraît pas beaucoup 6% du CA en retour de garantie ?
‐ Bah tu sais les consommateurs bénéficient de 2 ans pour nous retourner les produits défectueux. Ça fait beaucoup. Et puis il y les 30 jours de « satisfait ou remboursé » qui rentrent en ligne de compte. Tu as des consommateurs qui viennent acheter nos produits, qui les utilisent et les ramènent pour se faire rembourser… Qu’est‐ce que tu veux faire à ça !?
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‐ Très bien. Si pour toi, il y a rien d’anormal…
Bernard pris une dizaine de secondes pour réfléchir puis repris d’un ton assuré.
‐ J’aimerais quand même comprendre plus en détail la nature de ces erreurs de saisie et comment se passe l’enregistrement des retours de garantie. Est‐ce que je pourrais m’entretenir avec quelqu’un de ton équipe pour en savoir davantage ?
‐ Je ne suis pas sûr qu’ils t’en disent plus, mais après tout c’est toi qui vois. Je dirai à Richard que tu passeras le voir demain. Le jeudi, il y a moins d’appels ; il aura plus de temps pour te répondre.
‐ Parfait ! Sinon pour les livraisons trop tardives. Peux‐tu m’en dire un peu plus ?
‐ Oui. Bien sûr. Tu peux avoir différents cas. La plupart du temps, ce sont des commandes promotionnelles qui arrivent après le début de la campagne. Dans ce cas les clients considèrent qu’ils ont perdu des ventes du fait de notre retard alors ils renvoient la marchandise. Il arrive également que l’on bloque les commandes, car nous sommes en rupture sur certains produits. Dans ce cas, il peut arriver que certains clients considèrent le délai comme trop long alors ils refusent la marchandise.
‐ Attends, je ne suis pas sûr de bien comprendre… Pourquoi ne livrons‐nous pas en plusieurs fois ? Et même si nous le livrons plus tard, si le client commande, c’est bien qu’il a besoin de la marchandise.
‐ Mais Bernard, répondit Roger sur un ton légèrement condescendant. Tu sais bien que les choses ne sont pas si simples ! Tu as des clients, comme, «Jardins de plaisir» par exemple, qui ne gèrent pas les reliquats de commandes, car cela génère des problèmes lors du rapprochement de facture. Concernant ta remarque sur le besoin de la marchandise. Si nous sommes à mi‐saison et que le client passe une
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commande qui lui est livrée avec un mois de retard ; tu peux comprendre qu’il annule sa commande pour ne pas se retrouver avec la marchandise sur les bras en fin de saison.
‐ Ouhai ! Pas si simple comme tu dis. Bon, je crois que j’en sais assez. Merci de ta patience, conclut Bernard en quittant le bureau de son collègue par un remerciement furtif.
Les réponses très sommaires du responsable de service l’avaient peu convaincu. Mais il en saurait davantage le lendemain après l’interview de Richard VINTAR, le doyen du service.
Avant de quitter le bureau et de rejoindre Jean‐Louis pour une partie de badminton ; Bernard repassa vite fait voir David pour s’assurer que sa requête serait bien disponible le lendemain.
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Jeudi 19 février. A la première heure, Bernard se rendait au bureau. Comme prévu, David lui avait transmis la requête avec le détail des manipulations réalisées pour débloquer les commandes.
Après quelques manipulations, Bernard édita le diagramme de Pareto qu’il obtint. Il regroupa les autres éléments qui nécessitaient davantage d’explications puis il rejoignit Richard du service client.
Pour éviter d’être interrompus, les deux collègues se réunirent dans un bureau isolé. Bernard introduisit la discussion :
‐ Merci à toi Richard de te prêter à ce petit jeu de questions réponses…
‐ Oh… Tu sais Bernard, je ne suis pas sûr de t’apprendre grand‐chose. Mais bon si je peux t’aider, je le ferai avec plaisir.
‐ OK, allons‐y alors ! Tu savais que les retours pour garantie représentent la moitié du chiffre d’affaires chez «Jardins de plaisir» ?
‐ Pour «Jardins de plaisir», je ne sais pas. Nous ne suivons pas cela client par client. Mais oui effectivement c’est la plus grosse source de note de crédit. Pourquoi ? Ça te paraît beaucoup ?
‐ Bah quand même oui ! Pourrais‐tu m’expliquer la procédure de saisie des retours ?
‐ C’est simple, le client nous envoie, par fax, sa demande de retour garantie en joignant une photocopie du ticket de caisse. De notre côté, l’accord de retour est saisie. Et une fois que la réception de la marchandise défectueuse est enregistrée à l’entrepôt, le client bénéficie de son avoir. Comme Roger m’avait prévenu que tu me parlerais des retours de garantie, je t’ai préparé quelques photocopies des dernières demandes envoyées par des magasins de «Jardins de plaisir». Les voici.
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Bernard regarda dans le détail les photocopies que Richard venait de lui transmettre. Puis il formula une interrogation :
‐ Bizarrement, il n’y a que quelques demandes de retour qui ne font apparaître qu’un seul produit. En dehors de ça, la grande majorité des formulaires compte un bon nombre de lignes. Et le plus étrange, c’est que dans la plupart des cas, le ticket de caisse n’est pas apparent…
‐ Oh ça n’est pas si bizarre ! C’est nous qui leur demandons de regrouper leurs demandes de retour, car faire déplacer le transporteur pour une machine, ça coûte cher. Pour les tickets, j’imagine tout simplement qu’ils ne les conservent pas.
‐ Mais les tickets de caisse ne sont pas obligatoires pour valider la demande de retour pour garantie ?
‐ Bien sûr que c’est obligatoire ! Mais tu imagines ce que cela donnerait si nous devions rappeler les clients à chaque fois qu’il nous manque des tickets ? Ça deviendrait ingérable ! S’exalta Richard.
‐ Bon OK, très bien, reprit Bernard recherchant l’accalmie de son interlocuteur. Passons à la suite. La source d’avoir correspond aux erreurs de saisie en interne. Est‐ce que tu pourrais me dire quel type d’erreur peut être commis ?
‐ Oh… Les erreurs… Ce peut être une saisie de commande sur un mauvais compte client, ou une erreur de référence produit, ou même dans la quantité. Voilà, qu’est‐ce qu’il peut y avoir d’autre ? Lança Richard faisant mine de s’interroger. C’est à peu près tout il me semble. Mais bon, je ne sais pas ce que tu vas chercher là. Ça fait seize ans que je travaille au service client, et des erreurs, il y en a toujours eues. La pauvre Martine, elle fait ça toute la journée. A sa place, n’importe qui aurait fait autant d’erreurs, voire peut‐être même plus encore.
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‐ Mais je n’en doute pas, mon cher Richard. Je cherche juste à comprendre comment vous travaillez pour voir les solutions que nous pourrions apporter.
‐ OK, tu as d’autres questions ? Demanda le vieil homme pressé de retravailler sur des tâches qui lui paraissaient plus concrètes.
‐ Oui. J’ai sorti ce matin le détail des déblocages de commandes. Voici le graphique. Est‐ce que tu pourrais me le commenter s’il te plait ?
‐ Bon, allons‐y ! Lâcha Richard d’un ton résigné. Visiblement, la première source de déblocage concerne les clients qui ne gèrent pas de reliquats. Il y a quelques années en arrière ; ça remonte à loin ; je ne pourrais même pas te dire l’année, le directeur Supply Chain de l’époque avait demandé à ce que toutes les commandes des clients qui ne gèrent pas les reliquats, soient bloquées en automatique. A l’époque, il avait été jugé que nous perdions trop d’argent à envoyer des commandes incomplètes du fait des ruptures de stock. Nous devons donc chaque jour aller vérifier chacune de ces commandes et les valider si nous estimons que le taux de remplissage de la commande est OK.
‐ Oui, c’est ce que m’avait expliqué grossièrement Roger, reprit Bernard. Ensuite les franco, si je me souviens bien, ce sont les commandes pour lesquelles un port sera facturé si la commande est validée. Mais je ne pensais pas qu’il y en avait tant que ça.
‐ Bah, je t’avouerais que nous non plus. Avant, ce genre de chose était négocié entre les clients et le service commercial. Ensuite la fiche du client mentionnait si le client acceptait où non ce port et c’était géré en automatique dans le système. Puis, un beau jour, il y a eu un contrôleur de gestion qui est passé par là et qui a décidé que les coûts de transport étaient trop importants sur les petites commandes et que cela générait trop de retard de paiement du fait que certains clients refusaient de les payer. Donc, la solution qui a été retenue fût de bloquer toutes les commandes en dessous de 300 euros, et c’est au client de nous rappeler pour nous dire s’il est OK. Alors, c’est sûr que
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du côté du recouvrement, ils doivent rencontrer moins de problèmes ! Mais à mon avis, nous avons perdu un paquet de petits clients avec cette nouvelle procédure.
‐ Pourquoi, plus les petits clients ? Demanda Bernard. Parce qu’ils ont plus de difficultés à atteindre le minimum de commande ?
‐ Oui, mais pas seulement, c’est aussi parce que quatre fois sur cinq, ils ne voient pas le fax que nous leur envoyons pour les informer que la commande est bloquée.
‐ Comment ça, ils ne le voient pas ?
‐ Bah, soit le fax part directement à la poubelle, car ils pensent que c’est de la pub, soit ils ont l’impression que c’est un accusé de réception de la commande. Il peut arriver également que le fax soit hors service. Ou même, il peut arriver que le numéro de fax ne soit pas renseigné dans la fiche client. Enfin bref, tu vois, il peut y avoir de multiples raisons… !
‐ Bon OK ! Je vois que ce n’est pas gagné. Pour finir, quʹest‐ce que tu peux me dire sur les écarts de prix ?
‐ Là c’est simple : soit, le tarif n’est pas à jour dans notre système ; c’est surtout le cas pour les campagnes promotionnelles ; soit, c’est le système du client qui n’est pas à jour ; cela arrive essentiellement en début d’année lors du changement de tarif. Voilà, je t’ai tout dit ! Conclut Richard VINTAR épris d’une envie d’en finir avec cet entretien.
‐ Bon très bien je te remercie. Il se peut que je revienne te voir si j’ai d’autres questions.
‐ OK, ponctua Richard en quittant Bernard.
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Notre manager prit quelques minutes pour relire ses notes et ramasser les documents de son dossier. Il partit déjeuner puis il passa son après‐midi à formaliser toutes ces informations dans son fichier de suivi de projet.
Figure 4.4- Pareto blocages de commande – Niveau 2.
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Figure 4.5- Road Map faisant apparaître les sources d’erreur à la saisie de commande.
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A 18h35, alors que Bernard s’apprêtait à partir, Daniel, son responsable, entra dans son bureau.
‐ Ah tiens ! Daniel comment vas‐tu ?
‐ Ah, je suis content de voir que tu es encore là ! Lança le Responsable Supply Chain sans avoir prêté attention à l’entrée en matière de Bernard. Alors comment ça avance ton projet ?
‐ Et bien écoute c’est un peu fastidieux, mais il me semble que ça avance comme il faut…
Avant que notre manager n’ait le temps de rentrer dans le détail, son responsable reprit la parole.
‐ Tu sais que tu devais me tenir au courant toutes les quinzaines. Cela fait bientôt trois semaines que tu bosses sur ce projet et je n’ai eu aucun retour. Je sors d’une réunion de direction avec Gilles, Carlos et Christian et je peux te dire que ton dossier est venu sur la table très rapidement. Figure‐toi que le ralentissement des ventes en France nous amène à nous focaliser davantage sur les risques à court terme de perdre des clients plutôt que de développer des initiatives trop coûteuses pour gagner des parts de marché. A ce titre là, tu comprendras aisément que nous voulons connaître les solutions que tu penses apporter pour conserver « Jardins de plaisir » dans notre bastion. Nous avons convenu de nous réunir à nouveau mercredi prochain pour que tu nous présentes le fruit de ton travail. Les principaux intéressés de l’entité France seront également présents. Il y aura Marina, Luc, Sylvain, et Roger avec qui tu as pas mal travaillé il me semble. Tu penses que ce sera bon ? Finit par conclure Daniel emparé d’un stress qui lui ressemblait peu.
‐ Bah écoute Daniel, tu me prends un peu de court, là ! C’est bien beau de fixer des réunions, mais il aurait fallu me demander avant !
‐ Pourquoi faire Bernard ? Si je t’ai mis à cent pour cent sur cette mission, c’est pour que les choses avancent vite. Je t’avais mentionné
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le début du mois de mars pour faire un point. Mercredi nous serons le 25, donc tu dois bien commencer à avoir une idée des solutions à apporter !
‐ Non, Daniel. Je ne me cache pas derrière mon petit doigt, mais tu savais très bien qu’en me confiant cette mission, tu donnais la responsabilité d’un projet à un novice dans la matière. Tu m’as fait confiance pour cette mission et je t’en remercie, mais tu dois savoir que pour moi, il n’est pas très confortable de travailler dans l’urgence sur des problématiques dont je ne percevais même pas l’existence. J’ai réussi à trouver une méthode qui semble avoir fait ses preuves. Je la conduis du mieux que je peux avec les contraintes de temps que tu connais. Mais si aujourd’hui tu me demandes si j’ai des solutions, alors je te réponds : « NON !».
‐ Comment ça, tu n’as pas de solutions ? Alors qu’est‐ce que tu as fait depuis trois semaines ?
‐ Et bien précisément, j’essaie de comprendre le problème, ou plutôt la multitude de problèmes !
‐ Bon écoute, je ne veux pas en savoir davantage Bernard. Mercredi prochain, il y a une réunion de Direction et tu auras un créneau d’une heure pour présenter ton travail. Si tu n’as pas de solutions, je te conseille d’en trouver d’ici là. Personnellement, je t’apporterai tout mon soutien, mais il faut que tu me donnes des billes. Transfère‐moi mardi ta présentation, que j’y jette un coup d’œil et nous verrons bien ce que cela donne.
‐ OK, bon allez j’y vais moi ! Conclut Bernard sentant l’énervement qui montait en lui.
Pour faire le vide, Bernard décida d’aller nager quelques longueurs à la piscine qui se situait à cinq minutes de chez lui. Il avait pour habitude de nager sur une quarantaine de longueurs, mais ce soir, l’énergie qui l’animait et le vide qui l’attendait à la maison lui permirent de tenir les trois kilomètres. Il était 20h15 lorsqu’il sortit.
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Un sentiment de tranquillité régnait en lui. Il s’accorda un dîner dans un restaurant japonais. Ce soir‐là, le calme serait de mise.
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Vendredi 20 février. Bernard était à son bureau depuis six heures du matin. Depuis qu’Eloïse avait disparu de la circulation, notre célibataire de circonstance avait du mal à trouver un sommeil réparateur. Cela faisait deux heures qu’il tournait en rond dans son bureau pour trouver une solution à chacun de ses problèmes : comment faire revenir Eloïse alors que sa disponibilité allait en se réduisant ? Comment présenter son projet à l’équipe sans l’once d’une solution en perspective ? Comment réaliser la modélisation systémique sur laquelle il avait tant usé de procrastination ? Bref comment pouvait‐il se sortir de ce magma de problèmes plus compliqués les uns que les autres à traiter ?
Il était 8h15 quand Bernard décida d’appeler Mlle NYX. Peut‐être pouvait‐elle l’aider à sortir de cette impasse.
‐ Salomé NYX au téléphone, je vous écoute…
‐ Oui Bonjour Mlle NYX, c’est Bernard de Martin’s Garden…
‐ Oui Bernard, que me vaut l’honneur de cet appel si matinal ?
‐ Désolé de vous déranger si tôt, vous souhaitez que je vous rappelle plus tard peut‐être…
‐ Non ça n’est pas nécessaire, d’autant plus que vous n’avez le droit qu’à deux coups de téléphone je vous rappelle. Lâcha la jeune érudite, d’une joie de vivre amusante.
‐ Ah oui, c’est vrai ! Alors voilà, je vous appelle car je suis bloqué. En suivant scrupuleusement votre méthode, je passe beaucoup de temps à analyser d’où viennent les défauts. Au final, j’accumule les problèmes, sans pour autant trouver des solutions pour les éradiquer. D’autre part, je n’ai toujours pas fait la représentation systémique que vous m’aviez conseillée. Et pour couronner le tout, j’ai une réunion devant le top management la semaine prochaine pour présenter mon plan d’action…
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‐ OK. Reprenons. Vous avez le sentiment de passer trop de temps sur l’analyse : c’est une bonne nouvelle. Cela signifie que vous suivez la méthode comme il se doit. Il est fondamental d’avoir toutes les pièces du puzzle avant d’entamer sa réalisation sinon le résultat ne ressemblera à rien. A chaque fois que vous vous essayez à synthétiser l’ensemble des problèmes, votre rationalité limitée se rappelle à vous et vous plonge dans un sentiment d’incapacité à faire face à la situation. Là encore, c’est tout naturel. La modélisation systémique vous apportera la vue globale qui vous manque aujourd’hui. Concernant votre réunion de la semaine prochaine, montrez ce que vous avez déjà fait puis communiquez sur votre planning. De mémoire, même si vous aviez sous‐estimé la partie analyse, il me semble que ce que vous aviez prévu est toujours d’actualité. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il ne faut surtout pas arrêter votre analyse aujourd’hui pour commencer la mise en œuvre de solutions. Ce serait l’échec garanti !
‐ Dʹaccord, mais qu’est‐ce que je fais alors, je continue comme ça, sans rien changer ?
‐ C’est à peu près ça oui. Mais aujourd’hui vous me paraissez bien trop stressé pour avancer dans votre analyse. Ça n’est pas en vous forçant à trouver des solutions que celles‐ci vont apparaître. Vous faites trop travailler votre cerveau gauche mon cher Bernard : trop d’analyse, trop le nez dans le guidon. C’est l’hémisphère droit, celui de l’intuition et de l’imagination qui vous permettra de trouver le sésame…
‐ D’accord, Salomé, mais excusez‐moi si je reste un peu « terre‐à‐terre»… Vous ne voudriez pas être un peu plus concrète ?
‐ Très bien ! Alors très concrètement, je vous conseille de sortir, d’aller dans un parc pour vous balader, ne penser absolument à rien et laisser la sérendipité venir à votre rencontre. Bref : pratiquez le « Think out of the box ! ».
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‐ C’est la seule solution que vous ayez à me soumettre ? Lançait Bernard dans un dernier élan désabusé.
‐ Oui mon cher Bernard, sortez de ce bureau et allez profiter de cette belle journée ensoleillée. Cessez de raisonner en termes de productivité, pensez « efficacité » ! Tout ce que vous avez assimilé jusqu’à maintenant a besoin de décanter… Voilà, je ne pourrai pas vous aider davantage aujourd’hui. Bon courage et surtout bonne promenade !
La discussion était finie. A son goût, il était encore un peu tôt pour que Bernard prenne plaisir à flâner dans les allées d’un parc. Alors, il décida de plier ses affaires et de retourner chez lui.
Arrivé à son domicile, il posa son attaché‐case dans son bureau et se fit couler une tasse de café. Un sucre, une cuillère, et le voilà parti à faire le tour de son jardin.
« Et beh, il est bien triste ce jardin ! A l’image de ce que deviendrait ma vie si Eloïse ne daignait rentrer. Un terrain en friche, voilà ce qui m’attend. J’aurais beau résoudre les problèmes de ce client, ma propre vie n’en sortira pas grandie… Si au moins je savais ce qu’elle attend de moi, si je comprenais comment inverser la tendance… »
Tout à coup, cela fit tilt dans la tête de Bernard. S’il pouvait réaliser la représentation systémique de sa relation avec Eloïse, il avancerait sur les deux fronts à la fois.
Pris dans un élan soudain d’enthousiasme, Bernard retourna dans la maison chercher un crayon et son carnet de notes. Il s’installa sur la table du salon de jardin, avec les herbes mortes en mire d’inspiration. A ses côtés se jonchait « Le Macroscope », prêt à lui venir en aide à n’importe quel moment. Il dessina une première ébauche, la ratura, la gomma, la redessina, la gomma à nouveau, la retraça pour en faire poindre une nouvelle... Un brouillon était né. Il remit au propre les éléments qu’il arrivait encore à discerner et finalisa ainsi une première version aboutie de sa modélisation. Il récupéra son ordinateur
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portable dans son bureau et retranscrit le système sur informatique. Enfin, il l’édita, courut dans son bureau chercher le fruit tant attendu. De retour à la lumière du jour, désinhibé par sa solitude de circonstance, il s’emporta dans une description à grande éloquence de son analyse :
Alors, en amont du système, j’ai les différents ingrédients qui alimentent nos vies respectives à Eloïse et à moi‐même. A savoir : les loisirs personnels, le travail, et les amitiés qui participent à notre réalisation personnelle (EGO). De la même façon, nous avons les loisirs en commun qui participent à la relation conjugale. Ainsi, nous disposons tous les deux dʹun temps à répartir selon ces différents ʺpasse‐tempsʺ. En fonction de ce que nous faisons de ce temps, nous alimentons plus notre égo ou plus la relation que nous entretenons. Cette répartition du temps est illustrée ici avec mes blocs rouges et verts. Le vert symbolisant lʹéquilibre entre lʹégo et la relation et le rouge symbolisant un choix prononcé pour lʹune des deux possibilités (Ego ou relation).
Donc si mon système tient la route (et comme j’ai travaillé une journée dessus : il tient la route !), le problème ne tient pas tant du temps dépensé par chacun sur la réalisation personnelle et/ou la relation conjugale, que de lʹéquilibre entre ce que je vais offrir à Eloïse et ce qu’elle attend de moi.
C’est ici le problème ! Aux yeux d’Eloïse, je passe beaucoup trop de temps à m’accomplir et pas assez à m’investir dans notre relation. De son côté, elle est très attachée aux moments que nous partageons ensemble alors forcément il y a un gouffre entre ce que je lui propose ; une relation plus proche de la coexistence ; et ce qu’elle attend de moi, la relation intense des premiers jours : cʹest à dire l’amour fusionnel.
Ensuite, il y a le flux des évènements qui est alimenté par la vie. Ces évènements passent dans la vie de notre couple au prisme de la qualité de la relation que nous entretenons. Ainsi, si des évènements difficiles devaient mettre à l’épreuve un couple en harmonie, la relation aurait tendance à s’affirmer davantage.
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Figure 4.6- Modélisation systémique de la relation amoureuse.
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Inversement, un évènement difficile, comme ce satané projet qui arrive au mauvais moment, pourra sʹavérer déclencheur dʹune rupture dans une relation déséquilibrée.
Lʹévènement, passé au prisme de la relation, alimente ensuite les sentiments et plaisirs (ou douleurs) de chacun. Ces sentiments malheureux nous ont conduits à réaffecter tout notre temps sur notre égo au moment même où nous avions besoin de nous retrouver.
Aujourd’hui nous avons toute liberté de reconsidérer l’affectation de notre temps. Pour redécouvrir les bons sentiments et revenir dans une spirale positive, promis Eloïse, je réallouerai mon temps en fonction de tes attentes. Peu importe les concessions à venir !
Et dire qu’il me fallait une approche systémique pour me rendre compte de cela…
Pris d’un enthousiasme débordant et d’une exaltation juvénile, Bernard bondit dans sa voiture pour rejoindre sa douce dans leur maison de campagne à deux heures de là.
A son arrivée, Eloïse lui ouvrit la porte. Bernard n’avait rien perdu de sa fraicheur. Il lui fit un exposé très détaillé de l’approche systémique de leur relation amoureuse. Eloïse, hilare devant la prestation quasi philosophique de son époux, ne cherchait pas vraiment à comprendre le pourquoi du comment. Elle savait qu’il percevait mieux ses attentes, qu’il avait décidé de lui accorder plus de temps. Bref, elle sentait qu’ils s’étaient retrouvés et c’était l’essentiel.
Nos deux tourtereaux passèrent le week‐end entrelacés. Difficile de les séparer. Ces deux semaines de séparation leur avaient fait prendre conscience que rien de leur amour n’était mort. Du manque entre les deux amoureux avait jailli l’intensité des sentiments oubliés.
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Lundi 23 février. Après ce dénouement aussi agréable qu’inattendu, Bernard sentait une source intarissable d’énergie en lui.
Il passa sa journée à travailler sur la modélisation systémique du service client. Il avait le sentiment que c’était dans ce service que tout se jouait.
Dans un premier temps, il dessina son système avec, à l’intérieur, les différents postes de travail. Il avait ainsi identifié différents processus : le poste de saisie (de commandes et de demandes de retour de garantie), le poste de traitement des litiges courriers et le poste de traitement des appels ainsi que les déblocages de commande. Une fois ces opérateurs inter‐système identifiés, il fit apparaître les éléments externes au système. Cela incluait le système informatique, l’entrepôt en charge du stock, le service marketing responsable des prix, et bien évidemment, le client « Jardins de plaisir ». Une fois la diversité des éléments mis en place dans le système, il restait à identifier les flux en interaction. Ceux‐ci étaient de trois natures : les flux de commandes, les flux d’appels, et les flux de litiges. Enfin, les réservoirs en amont et/ou en aval des process seraient positionnés pour accueillir les stocks d’encours.
17h30 pointait déjà du nez sur l’horloge de gare qui habillait le mur de son bureau. Il s’était juré de rentrer à la maison chaque soir avant 18h. Dorénavant, il ferait de cette contrainte un nouveau mode de vie. Il savait qu’Eloïse était plutôt du soir. En même temps, elle avait besoin de plus de sommeil que notre cher Bernard. L’équation était toute trouvée : notre manager commencerait ses journées plus tôt le matin.
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Mardi 24 février. Il faisait toujours nuit quand Bernard posa sa veste sur le porte‐manteau de son bureau. Une longue journée l’attendait. Il devait formaliser son système dans son fichier de suivi de projet. Mais plus important, il devait travailler sur la présentation qui l’attendait devant le comité de direction.
« Step by Step » se disait‐il, reprenant une expression omniprésente dans le livre de Salomé NYX. Puis il se mit le cœur à l’ouvrage et entama la mise au propre de sa modélisation systémique. A 11h40, il venait de terminer. Il reprenait alors la lecture de son analyse pour en vérifier la cohérence :
« En amont de mon système, j’ai mon client «Jardins de plaisir» qui alimente le processus de saisie de commande soit par les fax soit par l’EDI.
Premier cas de figure, une erreur est faite à la saisie de commande. Le processus de saisie alimente donc le réservoir des commandes qui contiennent des erreurs. Ce flux de commandes contenant des erreurs se transforme en appels des clients pour déclarer le litige. Ces appels ralentissent le traitement des commandes bloquées, réalisé par les mêmes opérateurs. Par la suite, ces litiges viennent alimenter le puits que constituent les notes de crédit.
Deuxième cas de figure : la commande ne contient pas d’erreur, cependant le manque de stock, le fait que le client refuse les reliquats, les écarts de tarifs ou le franco non atteint font que la commande peut être bloquée. Ici, les commandes sont soit annulées du fait du refus du client ou de son absence de réponse. Dans les autres cas, la commande sera débloquée par un opérateur avec le risque que le client reçoive sa livraison incomplète ou en retard. Auquel cas, celui‐ci pourrait décider de refuser la marchandise, ce qui génèrerait, à terme, un avoir. »
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Figure 4.7- Modélisation systémique du service client de Martin’s Garden
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Bernard s’arrêta quelques secondes, comme en admiration devant ce qu’il venait de réaliser, avant de reprendre :
« Ouahou… Impressionnant cette approche systémique ! Tout le foutoir dans lequel je me perdais prend enfin forme en un tout cohérent ! Bon allez, l’autosatisfaction ne me fera pas gagner de temps ! Je vais aller m’acheter un sandwich avant d’attaquer ma présentation de demain…»
Notre manager s’octroya un déjeuner, vite fait, sur le pouce. A peine vingt minutes plus tard, Bernard se remettait à l’ouvrage pour réaliser sa présentation du lendemain. Son fichier de suivi de projet constituait une matière première de qualité. Il supprima toutes les slides relatives aux calculs statistiques. Si ceux‐ci paraissaient opportuns dans la conduite du projet Lean Six Sigma, ils s’avéreraient plutôt perturbants dans le cadre d’un comité de Direction où l’on se focaliserait davantage sur les aspects opérationnels. Pour ne pas être pris en défaut sur la méthodologie qu’il maîtrisait encore peu, il écarta également toutes les notions qui se rapportaient au Lean Six Sigma.
A 17h25, tout était bouclé. Un quart d’heure plus tard, Bernard était dans les bras de sa gazelle.
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Mercredi 25 février. C’était le grand jour. Depuis 6h, Bernard s’entraînait à voix haute pour son grand oral. A chaque fois qu’il butait sur un passage, il affinait la présentation de la slide pour que les idées s’enchaînent d’elles‐mêmes. A 8h20, il était déjà dans la salle de réunion pour tester le matériel informatique. Même si, du fait de son ancienneté, il connaissait la plupart des personnes présentes lors de cette réunion, il savait également qu’il était mis dans une position où, a priori, il ne maîtrisait pas son sujet. Aussi pour rassurer son auditoire sur sa maîtrise du projet, il devrait se montrer à l’aise. Bref, il devait profiter de sa seule occasion de faire une bonne première impression !
A l’heure H, tout le monde était présent. Christian HERMES, le responsable commercial Europe, qui chapeautait toute l’entité EMEA depuis le remerciement du directeur général en décembre dernier, prit la parole en guise d’introduction. De son côté, Bernard se tenait debout, prêt à présenter son travail.
‐ Merci à tous d’avoir su vous libérer pour cette réunion dans un laps de temps aussi réduit. Comme vous le savez, l’activité est en perte de vitesse sur toute l’Europe. Et malheureusement, ce constat est d’autant plus vrai en France. Nous avions identifié depuis quelque temps un malaise chez nos clients, d’où le lancement du projet sur la satisfaction du client «Jardins de plaisir». Mais il semblerait, selon les derniers chiffres, que le problème se propage sur l’ensemble du portefeuille client. Nous sommes donc ici aujourd’hui pour prendre les mesures nécessaires à un retournement de situation en notre faveur. Dans un premier temps, Bernard va nous présenter son travail. Ensuite, Marina nous fera un point sur la situation et les perspectives d’amélioration qu’elle entrevoit. Bernard je te laisse commencer…
Marina ZELOS, directrice générale de l’entité France se leva et prit la parole au vol.
‐ Excuse‐moi Bernard. Christian, si tu me permets… Je voudrais dire qu’à ce jour je n’ai aucune visibilité sur le travail effectué sur le client
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«Jardins de plaisir». Et j’avoue que je suis contente que nous puissions avoir un premier retour aujourd’hui. Je tiens à le dire, car en travaillant chacun de notre côté, nous risquons de mettre en place des solutions qui ne vont pas dans le même sens.
‐ Très bien Marina, j’entends ce que tu me dis. Mais est‐ce que tu t’es rapprochée de Bernard pour te tenir au courant ?
‐ Non, mais il me semble que le reporting est tout de même la moindre des choses à faire. Je ne veux pas être derrière chaque fait et geste de Bernard sur ce dossier, mais je souhaiterais juste être tenue au courant de ce qui se passe dans les grandes lignes.
Bernard sentant que le climat s’alourdissait reprit à son compte le fil de la discussion.
‐ Attendez. Si vous me permettez, ce projet a démarré il y a un peu moins de trois semaines. Nous connaissons tous les circonstances exceptionnelles de son démarrage. Si vous avez eu le sentiment d’une quelconque opacité sur mon travail jusqu’ici, je tiens à m’en excuser. Cependant, vous semblez parler comme si j’étais aujourd’hui à même d’apporter une solution aux problèmes rencontrés et de l’imposer en tant que telle. Laissez‐moi vous présenter où j’en suis et je pense que nous pourrons discuter plus aisément sur les suites à donner.
Bernard se tourna vers Daniel, son responsable, pour recevoir son consentement. Ce dernier lui fit un geste sans équivoque. Notre manager se lança donc dans la présentation de son projet.
Il conclut par la présentation des étapes à venir :
‐ Voilà donc où nous en sommes. Nous voyons le bout de la phase d’analyse. Ce que je vous propose maintenant, c’est d’organiser une séance de brainstorming pour trouver des solutions. Ensuite, nous validerons les idées qui semblent avoir le plus d’impact sur notre taux de commandes reines. Est‐ce que vous avez des questions ?
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Roger ayant fait la moue tout le long de l’intervention, en profita pour prendre la parole.
‐ Bernard, tu as bien travaillé sur la phase d’analyse. Effectivement, les problématiques que tu présentes me paraissent représentatives des difficultés que nous rencontrons, mais, excuse‐moi si je suis un peu abrupt, était‐il vraiment nécessaire de faire tous ces schémas pour présenter une réalité que l’on connaît depuis longtemps ?
‐ Roger, je prends ta remarque comme un compliment et je t’en remercie sincèrement. Car si, de ton côté, tu appréhendais tous ces problèmes, du mien, je n’en avais nullement connaissance. Par ailleurs même si tu touchais du doigt la plupart de ces problèmes, je doute que tu ais pu appréhender d’une manière aussi détaillée les interactions entre les différentes problématiques. Un autre point : mon analyse quantifie les sources de commandes défectueuses. Et tu avoueras qu’il est plus judicieux de se pencher sur les problèmes les plus significatifs plutôt que d’attaquer tout en même temps.
Sur cette réponse pleine d’assertivité, Roger, notre responsable du service client, ne pipa mots.
Pendant que l’assistance restait dans l’expectative, Daniel reprit le flambeau.
‐ Bernard, pourrais‐tu revenir sur la slide de présentation de ton analyse Pareto des notes de crédit s’il te plaît ?
Notre manager s’exécuta aussi tôt, laissant Daniel poursuivre :
‐ La première source de note de crédit correspond aux avoirs pour retour de garantie. Ne serait‐il pas plus judicieux de les écarter de l’analyse ? Les problèmes de qualité touchent le consommateur final mais pas le revendeur.
‐ Oui, tu as raison Daniel ! Se dépêcha de répondre Bernard avant que Roger fasse une intervention opportuniste. Mais je souhaiterais
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approfondir la question auprès d’un responsable de magasin. Car il me paraît un peu étrange que les problèmes qualité n’apparaissent pas dans les attentes du magasin alors que cela représente en moyenne 6% de leur CA.
Ne pouvant s’en empêcher, Roger lança ce qu’il avait déjà dit lors de leur entretien en face à face avec Bernard.
‐ Il n’y a rien d’étrange là dedans. Je te l’ai déjà dit ! Ce sont des particuliers peu scrupuleux qui viennent te chercher une bécane et qui te la ramènent après utilisation pour se la faire rembourser…
‐ Ça n’est pas impossible Roger. Et si tel est le cas, le magasin qui me renseignera sur ces chiffres me fournira la même explication et nous pourrons écarter cette problématique du périmètre étudié.
Après les premiers échanges spontanés, un léger silence s’installa. La plupart des opérationnels avaient les yeux rivés soit sur leurs notes, soit sur la slide projetée au mur. Les plus courageux avaient la tête tournée vers le charismatique Christian HERMES, attendant de lui une intervention. Celui‐ci finit par prendre la parole :
‐ Merci Bernard pour ce beau travail. Pourrais‐tu revenir s’il te plaît sur la matrice qui présente les attentes du client ?
En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la slide était affichée au mur. Le directeur EMEA poursuivit alors, apostrophant par l’orientation de son corps, la directrice France.
‐ Marina, c’est intéressant le travail qui a été réalisé dans ton service marketing…
La directrice était visiblement très embarrassée. Et pour cause, elle n’avait pas eu connaissance du travail de la jeune stagiaire de l’époque. Pour soulever le silence foisonnant, Bernard reprit la parole.
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‐ Effectivement, Gabrielle a fait un très bon travail. Mais son humilité de jeune stagiaire, à l’époque, l’avait conduite à ne pas faire de tapage autour de son étude. Mais félicitons‐nous aujourd’hui de ce travail et de l’aide qu’il nous apporte.
Christian HERMES reprit alors :
‐ Très bien. Mais s’il y un document plus détaillé de cette étude, je suis preneur. Pour le projet «Jardins de plaisir», je ne suis pas sûr que l’orientation qui est prise soit la bonne. Le brainstorming, c’est bien pour trouver de nouveaux produits, mais pour améliorer la qualité apportée à nos clients, ça me paraît un peu léger. Je pense qu’il serait plus sage de lancer un benchmark sur toute l’Europe. Si nous retenons les « Best Practice » sur chacun des processus, nous nivellerons tous nos services clients vers le haut. Qu’est‐ce que vous en pensez ?
A l’unanimité moins un, tous acquiescèrent d’un hochement de tête. Bernard, qui avait encore en souvenir les remarques de Salomé NYX, fit une moue de la tête et tenta une contre‐argumentation.
‐ Christian, nous connaissons tous les vertus du benchmark, mais soyons honnêtes, le défi qui nous attend ici est d’une ampleur bien plus importante. J’ai tenté une première approche pour comparer les résultats de chaque pays. Mais si dans certains marchés les résultats sont meilleurs, d’une part la fluctuation est plus importante et d’autre part, nous restons très loin de l’objectif fixé. Alors peut‐être que le résultat cible est trop ambitieux. Mais pour que le client «Jardins de plaisir» puisse toucher du doigt les améliorations, nous devons mettre la barre très haute !
Le patron se tourna vers Daniel, le responsable de Bernard, en faisant mine d’attendre un sentiment de sa part. Le directeur Supply Chain, prit à cœur son rôle de sponsors.
‐ Même si nous nous attendions à des choses plus concrètes aujourd’hui, il me semble que Bernard à su nous prouver qu’il avait
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attaqué le projet de la meilleure des façons, cʹest‐à‐dire en élaborant une représentation globale de l’ensemble des problèmes. Personnellement, je lui donne toute ma confiance pour mener à bien la suite des évènements. Avec ce que j’ai vu aujourd’hui, je pense que nous pouvons lui donner notre assentiment sur l’utilisation de la méthode qui lui paraît la plus adéquate.
‐ OK, c’est entendu ! Approuva Christian. Je pense que nous allons arrêter là la réunion. Je vous remercie de votre participation. Je vous invite à vous mettre d’accord sur la suite à donner à cette présentation. Un prochain point sera fait pour que nous prenions connaissance du plan d’action à mettre en œuvre. Daniel, je te laisserai organiser cette réunion qui devra avoir lieu sous quinzaine. Marina, pour ta présentation, je te propose que nous déjeunions ensemble à midi.
La directrice de l’entité française du groupe acquiesça sans trop savoir ce qui l’attendait. Christian HERMES ne souhaitait pas amoindrir le leadership de Marina ZELOS, vis‐à‐vis de ses équipes, en faisant jouer son lien de subordination. Aussi il préféra un tête‐à‐tête pour échanger avec elle sur la présentation du projet de «Jardins de plaisir» et sur les choix tactiques à opérer pour redresser la barre.
‐ Marina, dis‐moi ce que tu penses de la façon dont Bernard travaille sur le dossier «Jardins de plaisir» ?
‐ Je pense que je me suis un peu emportée au début de la réunion. Il a fait un travail remarquable sur l’analyse des différents problèmes.
‐ Oui, c’est vrai qu’il a fait du bon travail… Qu’est‐ce que tu penses de son approche sur ce qu’il appelle « la voix du client » ?
‐ C’est vrai que nous avons trop tendance à imaginer ce que les clients attendent de nous. Et puis, il n’est pas évident de cerner qui est notre client. Notre culture du marché grand public nous amène à travailler de manière systématique sur les consommateurs, si bien qu’on en oublierait presque les besoins de nos revendeurs.
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‐ Oui, ça me fait plaisir de te l’entendre dire ! Je partage ton avis. Au final, que ce projet réussisse ou non, il aura eu le mérite de nous faire prendre conscience de l’importance de notre réseau de distribution. Notre culture d’entreprise privilégie la notoriété de la marque et le marketing de grande consommation. Mais au final, nous avons perdu le lien B to B* qui nous lie avec les revendeurs. Bien sûr, nous avons des responsables compte clé, mais on se rend bien compte que le système a ses limites. Car au final, nos commerciaux sont en lien avec les chefs produits des centrales qui eux‐mêmes semblent parfois déconnectés des besoins de leur propre réseau de magasins, en ce qui concerne les problématiques logistiques, ou de référencements.
‐ N’exagérons rien tout de même. Nous avons un service client et des représentants qui maillent le territoire pour répondre au besoin des clients.
‐ Oui, mais nous agissons là en réaction à des problématiques rencontrées. Nous devrions devancer les attentes de nos revendeurs de la même façon que nous surprenons nos consommateurs avec nos innovations de produits.
‐ C’est vrai. Tu as raison Christian. Mais aujourd’hui, notre service marketing n’est pas organisé pour ça. Ils ont déjà bien du mal à boucler les campagnes promotionnelles, je ne vais tout de même par leur demander de faire des études de marché auprès de nos revendeurs !
‐ Pourquoi faire une étude de marché ? D’après ce que j’ai vu ce matin, celle‐ci m’a l’air déjà toute prête !
‐ Pas faux. Qu’est‐ce que tu proposes donc ?
‐ C’est à toi de me le dire Marina. Lança Christian sur un ton amusé.
Mais il en fallait plus qu’une petite injonction pour que Marina soit désarçonnée.
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‐ Je vais demander à Gabrielle qu’elle nous présente son travail au prochain comité de Direction. Ensuite, sur la base de l’analyse réalisée par Bernard, nous élargirons si besoin le champ d’analyse pour que les besoins des segments autres que ceux de «Jardins de plaisir» soient intégrés dans la réflexion. Qu’en penses‐tu ?
‐ Je pense que c’est un bon début ! Bon bah voilà. Tu sais combien il m’insupporte de parler travail à table… Alors, regardons les bonnes choses qui nous attendent dans ce menu.
De son côté, pas peu fier d’avoir tourné la réunion à son avantage, Bernard avait passé le restant de sa matinée à préparer un mail à l’attention de Mlle NYX.
Bonjour Mlle NYX,
Tout d’abord, merci pour notre dernière conversation ! Je ne pouvais espérer un tel résultat sur une recommandation aussi inattendue que celle d’aller prendre l’air… Je ne vais pas trop m’étendre sur le sujet, mais sachez tout de même que l’aide que vous m’apportez va bien au‐delà de ce projet professionnel. Je vous en suis grandement reconnaissant !
Les résultats, les voici :
‐ J’ai formalisé une approche systémique de mon problème. Effectivement, cette analyse m’est d’une grande utilité, car elle me permet de visualiser d’un seul coup d’œil toutes les interactions qui s’enchaînent.
‐ La réunion de ce matin s’est très bien passée. Le projet est soutenu par la direction européenne, ce qui n’est pas rien.
Je ne gaspillerais pas mon 4ème email sur les cinq qui me sont accordés uniquement pour vous remercier…
Vous trouverez en fichier joint le fruit de mes différentes analyses. Je vais retourner voir un magasin cet après‐midi pour être sûr que les retours de
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garanties concernent bien des problèmes qualité. Ensuite, je pense que j’aurai assez travaillé sur la partie analyse.
Comme vous le savez, nous pouvons toujours aller plus en détail dans les extractions que nous réalisons, mais à un moment donné il faut savoir aller de l’avant. Bref, je vous envoie ce mail en guise de validation de l’étape d’analyse pour passer à la phase d’amélioration.
Vous en remerciant par avance.
Bernard.
A midi, Bernard partit déjeuner avec Daniel. Ce repas fut pour Bernard l’occasion de présenter, à son supérieur, la méthode du Lean Six Sigma qu’il avait tenu à cacher pendant sa présentation. Le directeur de la supply chain connaissait le Lean manufacturing, mais le Lean Six Sigma lui était complètement étranger. Il salua l’initiative de Bernard de se lancer dans cette méthodologie sans en connaître les fondements.
Après le repas, Bernard récupéra sa voiture et se rendit au magasin «Jardins de plaisir» de M. LARINTE. Dès qu’il passa la porte, le directeur, posté à l’accueil, le reconnut immédiatement.
‐ Tiens, vous revoilà vous ! Lança le responsable de magasin en broyant la main de notre manager.
‐ Oui. Vous voyez… Je me baladais dans le coin, j’ai vu de la lumière alors je suis rentré. Comment allez‐vous ?
‐ Bah écoutez, ça va ! Ça irait mieux si j’avais eu des nouvelles de votre part. Je ne sais pas si vous vous rappelez, mais vous deviez me donner un délai sur la venue d’un nouveau représentant pour notre secteur.
‐ Oui, vous avez raison… Je suis impardonnable. Ne bougez pas, je donne un coup de téléphone tout de suite et je vous dis ce qu’il en est.
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Bernard ressortit du magasin pour s’entretenir avec Luc, le responsable commercial.
‐ Allo Luc ?
‐ Oui, allo, c’est toi Bernard ?
‐ Oui, excuse‐moi de te déranger Luc, mais je suis au magasin «Jardins de plaisir» de Bron et le client me demande quand un représentant sera à nouveau disponible dans la région.
‐ Et bien, figure‐toi qu’il y a un nouveau représentant sur la région, mais il a pour consigne de ne pas traiter les clients qui sont déjà gérés par les responsables comptes clés.
‐ Ah bon, mais c’est nouveau ça ? Demanda Bernard un peu surpris de ne pas être au courant.
‐ Disons que c’est nouveau depuis le début de l’année. Nous avons mis en place cette nouvelle organisation pour plusieurs raisons : d’une part le travail du représentant fait redondance avec celui du responsable comptes clés, si bien qu’il arrivait que l’un pouvait être mis en porte à faux par l’autre. Par exemple, il pouvait se produire qu’un représentant fasse une offre plus avantageuse que celle négociée en central. Un autre phénomène se produisait : les représentants faisaient la démonstration de nouveaux produits en magasin alors que ces produits avaient été refusés en commission de référencement. Bref dans les deux cas de figure, notre responsable comptes clés perdait en crédibilité et cela mettait le bazar entre les magasins revendeurs et leur centrale d’achat. D’autre part, les petits magasins, qui ne bénéficiaient pas de centrale d’achat, achetaient très peu et nous faisaient perdre de l’argent du fait du manque de volume qu’ils généraient. Il a donc été décidé de reporter les représentants sur les petits magasins. Voilà pourquoi ton client n’a plus de commercial attitré.
‐ Ah bon, mais je ne peux pas lui répondre ça !
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‐ Bah, c’est pourtant la vérité !
‐ Bon OK. Merci de ton aide Luc. A plus !
‐ De rien Bernard.
Notre manager retourna dans le magasin avec une frêle assurance.
‐ J’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer M. LARINTE : votre enseigne ne peut plus bénéficier de représentant, car le travail de négociation est déjà réalisé auprès de la centrale.
‐ Non, mais c’est une blague ! Parce que vous pensez que de Paris ils savent ce dont nous avons besoin ! Et bien dites donc… Si vous avez dans l’idée que c’est comme ça que nous allons changer notre point de vue à votre égard, vous vous trompez !
‐ Attendez. Je vous donne juste la réponse qui m’a été apportée. Je n’ai pas dit que c’était définitif. Je suis précisément chargé de définir ce qui va et ce qui ne va pas pour le corriger.
‐ Et bien, je peux vous assurer que ce point sera à améliorer !
‐ C’est entendu M. LARINTE. De mon côté, j’aurais également une question à vous formuler.
‐ Oui. Dites‐moi !
‐ Voilà, la dernière fois que j’étais venu vous voir, vous m’aviez dit que nos produits étaient de bonne qualité. Il se trouve qu’en travaillant sur vos notes de crédit, il apparaît que la première cause d’avoirs concerne les retours pour garantie. Est‐ce que vous pouvez m’expliquer cela ?
Le responsable, visiblement très embarrassé, prit quelques secondes pour répondre.
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‐ Vous vous rappelez la dernière fois, je vous disais que si une promo était livrée en retard, je refusais la marchandise…
‐ Oui bien sûr je m’en rappelle ! Acquiesça Bernard.
‐ Et bien ça n’est pas aussi simple. Pour des petites promos inter saison, effectivement, il peut m’arriver de refuser une livraison, car je sais que ça n’aura pas d’impact sur mes ventes. Mais sur les grosses campagnes, je ne peux pas me le permettre. Alors dans ce cas, j’accepte la livraison et avant de réaliser mon inventaire, je fais un lot avec les retours pour garantie et je vous renvoie tout en même temps.
Un silence s’installa. Le responsable se sentit le besoin de se justifier davantage.
‐ Vous comprenez, avant, lorsqu’il y avait le représentant, nous arrivions toujours à nous arranger. Il passait récupérer la marchandise qu’il revendait à un autre magasin. De mon côté, je repassais une commande sur des produits de saison et tout le monde était content.
‐ Je comprends, Monsieur LARINTE. Inutile de vous justifier. Si vous le faites, c’est que le système que nous avons mis en place vous incite à le faire. Mais juste par simple curiosité : comment agissez‐vous avec les autres fournisseurs ?
‐ Eh bien, ça dépend ! Certains sont plus contraignants dans leurs procédures, alors dans ce cas nous essayons d’affiner un peu mieux notre besoin pour passer des commandes plus en phase avec la demande du marché.
‐ Bon, si je comprends bien, nous péchons par excès de laxisme alors…
‐ Ecoutez. Je ne sais pas quoi vous dire moi ! Je préfèrerais que vous livriez à temps, auquel cas j’aurais plus de chance d’écouler votre marchandise, et vous comme moi, enregistrerions plus de chiffre d’affaires.
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‐ Oui bien sûr… Mais je vous taquinais, M. LARINTE. Je vous remercie de votre franchise. Je vais tâcher de trouver des solutions à ces désagréments.
Les deux hommes échangèrent une poignée de main puis se séparèrent.
A 16h, Bernard rentra directement chez lui pour préparer un dîner aux chandelles en guise de surprise pour Eloïse.
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Figure 4.8- Modélisation systémique des incidences de retards de livraison
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Jeudi 26 février. A l’ouverture de son ordinateur, Bernard prenait connaissance de la réponse de Mlle NYX. Il était impressionné par la célérité à laquelle elle lui était revenue sur chacune de ses demandes. Du temps où il manageait le service du demand planning, il avait souvenir d’avoir toujours deux ou trois jours de retard dans la gestion de ses mails.
Bonjour Bernard,
Je suis ravie que mes éclairages vous permettent d’avancer comme il se doit.
Si je comprends bien votre courriel, vous demandez mon consentement pour passer à la phase d’amélioration du DMAIC…
Dans ce cas : c’est refusé !
L’analyse ne s’arrête pas à faire un ou deux diagrammes de Pareto… Et vous ne glanerez pas davantage d’informations à couper un cheveu en 16 ou en 32 une fois que vous l’aurez déjà coupé en 4 et en 8 ! Bref : il ne s’agit pas de rentrer dans le détail des problèmes mais plutôt de remonter à leurs sources.
Vous avez pu cerner avec l’approche systémique qu’il était possible de comprendre les interactions qui se produisaient entre les différentes composantes de votre problématique. C’est déjà une très bonne chose ! Mais s’il est important de poser le système en place, il demeure tout aussi fondamental d’en percevoir la finalité. Seul, le but du système en place vous permettra de prendre conscience de la défaillance structurelle de votre processus. Sans ça, vous pourrez bien évidement améliorer vos indicateurs, mais les bénéfices seront de courtes durées et les problèmes resurgiront tôt où tard.
Plus concrètement : reprenez chaque carte des processus et travaillez sur les problèmes en amont. Vous avez identifié, sur votre carte détaillée du processus de saisie de commande, les manipulations qui entraînaient des problèmes… C’est très bien, mais en amont, pourquoi ces erreurs de saisie existent ? Reprenez votre SIPOC (Supplier – Input – Process – Output – Customer) et décelez dans les données entrantes de votre processus, celles qui
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sont défectueuses. Rappelez‐vous l’adage anglais « Garbage in – garbage out ! ». Enfin, d’après votre VSM (Value Stream Map), certaines commandes sont bloquées jusqu’à 34 jours… Fouillez les raisons des cas les plus aberrants et décelez quels sont les problèmes à la source qui allongent vos délais sans apporter de la valeur à votre client. C’est dans les valeurs extrêmes que se cachent les sources de variabilité de votre processus.
Bref, votre analyse est loin d’être bouclée !
Bon courage.
Ce mail fit l’effet d’un coup de fouet sur Bernard qui prit à cœur de se remobiliser. Même s’il avait déjà le sentiment d’avoir bien fait le tour de la question, la musique du message de Salomé ronronnait en lui et trouvait un écho dans ses récentes lectures. Il se rappelait notamment un passage en référence à l’outil des 5 whys. Pour découvrir la source d’un problème, il s’agissait de poser à de multiples reprises la question « pourquoi ?». Se suffire de la première explication d’un problème amenait à ne travailler que sur les symptômes et non sur les causes profondes, souvent plus difficiles à déceler.
Il passa la fin de la semaine à réunir ses notes et à recontacter ses différents interlocuteurs pour construire, sur la base des différentes cartographies de processus, son analyse des 5 whys. Pour avoir un aspect visuel des problématiques décelées, Bernard retranscrivit son analyse approfondie sur une carte heuristique. Ainsi lorsqu’il descendait au niveau le plus fin de son arborescence, il accédait aux problèmes initiaux des symptômes révélés par la voix du client. Pour discerner les problèmes en interne de ceux du client, il avait différencié les deux natures de problèmes par une iconographie spécifique.
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Concernant l’extrait du mail qui faisait référence à la « finalité du système », Bernard péchait par découragement. Il lui fallait revisiter sa bibliographie pour en savoir davantage. Mais, la fin de semaine à ses pieds, la procrastination prévalait. Plus que jamais, notre manager avait une femme à bichonner.
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Figure 4.9 Schéma heuristique de l’analyse 5 whys – Problèmes Commandes Reines
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Figure 4.10 Schéma heuristique de l’analyse 5 whys des problèmes du call center
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Chapitre 5
LE DRAPEAU DU LSS
Il faut bien garder en tête que les problèmes d’aujourd’hui sont la conséquence des solutions apportées par le passé ! Bien souvent, le premier réflexe est d’ajouter des éléments dans le système pour l’améliorer (le contrôle qualité en est un parfait exemple). C’est une erreur majeure ! Ajouter un élément dans le système en place contribue à en augmenter sa complexité. Par ailleurs, chaque nouveau composant d’un système amène avec lui son lot
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de contraintes. Le Lean s’oppose à cette idée‐là. Plutôt que d’ajouter, il faut donc penser à supprimer.
En guise d’illustration, voici une anecdote sur le voyage lunaire :
La NASA a rencontré beaucoup de difficultés à concevoir des véhicules capables de supporter les variations de température oscillant sur la Lune entre 120°C le jour et ‐180°C la nuit.
Un des composants qui prit le plus de temps à aménager furent les ampoules. Tous les tests effectués démontraient que le verre ne résisterait par à de tels écarts de température. Alors, la NASA imagina de multiples solutions pour atténuer ces différences de température. La plupart de ces solutions passaient par l’ajout de nouveaux composants (solution de chauffages, substitution du verre par un autre matériau…etc.). Mais au final, toutes les hypothèses s’avéraient trop lourdes à mettre en place ou ne fonctionnaient tout simplement pas.
Un beau jour, un ingénieur trouva la solution : supprimer le verre de l’ampoule !
Lorsque Thomas EDISON inventa l’ampoule, la cloche en verre qui la recouvrait empêchait le filament incandescent de brûler et de se consumer au contact de l’oxygène présent dans notre atmosphère. La Lune étant dépourvue d’atmosphère, cette problématique n’avait plus lieu d’être. Il suffisait donc de supprimer la cloche en verre pour obtenir la solution.
Idées à retenir de cette anecdote :
1 – Les problèmes de la NASA étaient bien la résultante d’une solution d’antan.
2 – La solution apportée allège le système au lieu de le complexifier par l’apport de nouveaux composants.
Pendant la phase d’innovation, un seul mot d’ordre : la frugalité !
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A propos de frugalité… Saviez‐vous que ʺApollo Guidance Computerʺ, l’ordinateur embarqué qui pilotait la navigation de l’appareil, bénéficiait d’une mémoire morte équivalente à 64 ko et d’une mémoire vive de 4 ko ? Ces spécifications techniques sont des milliers de fois inférieures à celles de n’importe quel téléphone portable d’aujourd’hui.
Extrait du livre ʺLes 7 voyages de lʹinnovateurʺ de Salomé NYX.
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Samedi 28 février. Une belle journée ensoleillée annonçait le printemps. C’était l’occasion pour nos deux tourtereaux de passer une journée à flâner entre les allées du parc de la Tête d’Or. Entre les animaux du zoo, la roseraie, le vivarium et le plan d’eau, les amoureux avaient de quoi s’émerveiller et bécoter dans le plus paisible des environnements.
A 17 heures, le soleil s’approchait déjà de la ligne d’horizon. Bernard reçut un SMS de son ami Jean‐Louis.
« Ca vs dirait de venir manger à la maison ce soir ? JL »
‐ Qu’est‐ce que tu en dis Eloïse ? Un petit repas chez nos amis, ce pourrait être sympa ?
‐ Ça me va ! Je suis partante ! Répondit sa douce en prenant les deux mains de son mari pour lui voler un baiser de la pointe des pieds.
Quand une soirée se déroulait chez les RAVEN, les stéréotypes prenaient tout leur sens. D’un côté, Jean‐Louis et Bernard discutaient travail autour d’un apéritif. De l’autre, Béatrice et Eloïse parlaient soins de beauté et « peopleries » en préparant le festin dans la cuisine.
Au salon, Bernard expliquait avec enthousiasme tout le chemin parcouru sur son projet pour conclure :
‐ Tu vois : j’ai bien avancé !
‐ Oui je vois ça, c’est impressionnant ! Et maintenant, qu’est‐ce qu’il te reste à faire ? Demanda Jean‐Louis, peu aguerri de la méthode.
‐ Et bien, l’essentiel : trouver des solutions ! Comme j’ai bien défini mes problèmes à la source, cela ne devrait pas trop poser de soucis. Je dois organiser une séance de brainstorming. Je ne sais pas trop ce que cela va donner. La créativité, ce n’est pas trop mon truc…
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‐ Détrompe‐toi mon cher Bernard, la créativité, ça n’est pas si compliqué… Viens voir avec moi dans la bibliothèque. Je dois avoir deux trois ouvrages qui peuvent t’aider.
Les deux hommes passèrent du salon au bureau de Jean‐Louis sans même que leur compagne y apportent une quelconque attention.
‐ Alors, voyons voir où j’ai mis ça… Ah, c’est là ! Ce qui est bien avec les livres sur la créativité, c’est qu’ils sont très courts.
‐ Ça me va bien, répondit Bernard. Je n’ai pas trop de temps…
‐ Oui, mais les techniques de créativité, si elles sont bien assimilées, peuvent te faire trouver des idées qui par la suite te feront gagner énormément de temps ! Tiens, le premier c’est « Les 6 chapeaux de la réflexion » de BONO. L’idée c’est de sortir les gens de leur rôle habituel. Dans une réunion, tu as toujours des gens qui parlent trop, qui coupent la parole aux autres. Tu en as d’autres que tu n’entends jamais. D’autres encore sont d’un pessimisme à tuer la moindre âme de créativité qui pourrait s’élever. D’autres vont pinailler sur des détails… Bref, en général c’est la foire d’empoigne, où la loi de la jungle prend le dessus sur l’intérêt général.
‐ Et donc… Qu’est‐ce que ces chapeaux changent à tout ça ? Demanda Bernard impatient d’en savoir davantage.
‐ Pour commencer, ces chapeaux sont imaginaires, tu n’es pas obligé de demander à ton équipe de se rendre ridicule. Non, l’idée c’est déjà d’aborder la réunion comme un jeu de rôle. Ainsi, les gens ne sont pas censés parler en leur nom, mais ils doivent s’exprimer en fonction du chapeau qu’ils portent.
‐ Mais quel chapeau portent‐ils ?
‐ Attend j’y viens… ! Tu as six chapeaux. Le blanc pour les faits, les données brutes, le rouge pour les émotions, le noir pour les risques, le jaune pour les avantages, le vert pour la créativité et le bleu pour la
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prise de recul sur le déroulement de la réunion. Donc par exemple, dans un premier temps tu vas dire : « Pour savoir sur quoi nous allons travailler, je vais prendre mon chapeau blanc et vous présenter tous les faits que j’ai constatés par le biais de mes analyses…etc. ». Ensuite, sous le chapeau bleu, tu vas donner la directive à tous, de penser en termes de chapeau vert, pour proposer le plus de solutions possibles. Comme les idées nouvelles sont très fragiles, il suffit souvent de laisser dire que ça ne marchera jamais pour que l’idée soit abandonnée. Tu pourras demander à tout le monde de revêtir le chapeau jaune pour chercher les avantages de chacune des solutions. A certains moments, si tu sens qu’il y a beaucoup de ressentis qui pèsent sur la réunion, alors tu pourras leur demander de prendre leur chapeau rouge pour dire ce qu’ils ont sur le cœur. Voilà grosso modo la méthode. D’un premier abord, ça peut paraître un peu étrange, mais en lisant le livre, tu comprendras sur quoi reposent toutes ces idées.
‐ Oui, c’est vrai que ça me paraît encore un peu flou ton histoire de chapeaux !
Jean‐Louis pagina quelques instants le livre pour lire ses notes, avant de répondre à Bernard.
‐ Écoute ça, l’analogie avec la maison me paraît très parlante. Si tu as quatre personnes qui regardent une maison. La première hypothèse, c’est que chaque personne ne regarde qu’une seule face de la maison. Dans ce cas, chacun décrira la maison selon son angle personnel. Dans une réunion, c’est pareil ! Chacun va exprimer son point de vue. Ce point de vue dépendra de son expérience, de ses préjugés, et de ses intérêts personnels. L’idée de la technique des six chapeaux est de se dire : plutôt que de regarder la maison chacun de notre côté, faisons le tour tous ensemble et observons là tous en même temps avec le même angle de vision, cʹest‐à‐dire le même point de vue. Ainsi, une fois que tout le monde aura fait le tour de la maison, tous seront à même de faire une description précise de l’ensemble de la maison. Pour ta réunion, c’est pareil ! Plutôt que chacun reste sur son idée de départ du problème, tu obliges chacun à réfléchir sous tous les angles à la
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problématique que tu leur présentes. Et comme tu l’auras compris, les chapeaux sont le prétexte pour inciter les gens à changer de point de vue.
‐ Hé hé… Pas mal ton histoire de maison. Je comprends un peu mieux maintenant !
‐ Ce n’est pas mon histoire ! C’est celle de BONO. Tiens, prends ce livre, ce sera d’autant plus clair quand tu l’auras parcouru dans sa globalité.
‐ OK, j’achète ! Lança Bernard avec enthousiasme. Sinon, l’autre livre que tu as dans la main, de quoi parle‐t‐il ?
‐ Ah celui‐là ! ASIT ! C’est précisément le contraire de ce qui est exprimé dans le premier.
‐ Ah bon ! Comment c’est possible ça ? S’interloqua Bernard.
‐ C’est simple, poursuivit Jean‐Jouis. D’un côté, tu as des gens comme BONO qui te disent qu’il faut sortir du cadre de référence dans lequel nous sommes tous enfermés. Pour cela, il faut adopter ce qu’il appelle la pensée latérale, pour générer des idées provocantes. En gros, il faut se débrider l’esprit pour trouver des idées auxquelles nous n’avions pas pensé avant. Dʹun autre côté, tu as HOROWITZ qui te fournit une méthode très cadrée pour trouver des solutions créatives. Avec la méthode ASIT, plutôt que de chercher dans tous les sens ; et de provoquer ce changement de direction de ta pensée ; tu déroules toujours la même structure de pensée. A ce détail près que le cadre défini par ASIT n’est pas notre cadre de référence.
‐ Euh, je crois que tu m’as complètement largué là. Je ne suis pas bien sûr de tout comprendre… Laquelle dois‐je privilégier à ton avis ? Demanda Bernard en quête d’une solution sur mesure.
‐ Personnellement, je trouve les deux méthodes très robustes. Et pour moi, elles sont complémentaires. Les six chapeaux te permettent
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d’impliquer les équipes dans les solutions qui seront apportées. En clair, le fait de faire appel à leur jugement et à leur créativité fait qu’ils se sentiront plus impliqués, ce qui te facilitera les choses dans la mise en œuvre des solutions retenues. La méthode ASIT ne relève pas vraiment de la créativité. C’est plus un outil qui te permet de trouver facilement des idées créatives. Même si tu peux te servir de cette méthode pour animer une réunion, personnellement, je trouve que le cadre défini est trop rigide et peut devenir frustrant pour les participants. Par exemple, dans mon service marketing, j’imagine mal conduire une réunion sur la base d’ASIT. Si j’ai embauché des marketeurs c’est d’abord pour leur créativité. Ça n’aurait pas de sens de leur figer un cadre. En revanche, tous mes collaborateurs ont lu ce livre et aux vues des idées qui me sont parfois avancées, j’en conclus qu’ils appliquent la méthode, dans leur tête, de manière très judicieuse.
‐ Ouhai, pas évident. Je vais lire les deux et je verrai bien ce que j’en fais ! Lança Bernard résigné.
‐ Mais oui ! Ne t’inquiète pas. Au pire, tu utilises les six chapeaux pour ta réunion de brainstorming et tu utilises ASIT pour formuler tes propres idées de solutions.
‐ Yep ! Hum ça commence à sentir bon dis donc…
‐ Oui, tu as raison ! Allons voir où en sont nos chères et tendres.
Un joli festin attendait nos deux managers. La soirée se présentait de la meilleure des façons.
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Lundi 2 mars. Comme à l’accoutumée, Bernard était arrivé très tôt au bureau. La première des choses à faire était d’ouvrir son fichier de suivi de projet. Le planning en plein écran, notre manager était fier d’avoir tenu les délais qu’il s’était fixés. La phase d’analyse était définitivement terminée. Naviguant de slide en slide, il s’apercevait que toute la matière première dont il avait besoin pour imaginer des solutions était là, devant ses yeux. La phase « Innovation » du DMAIC, qu’il attendait tant, était arrivée. Maintenant, il s’agissait de faire preuve de créativité pour inverser la perception du client sur la qualité de service apportée par Martin’s Garden. Pour l’aider dans sa tâche, Bernard disposait des deux ouvrages qu’il avait lus dans le week‐end. Avant ces lectures, Bernard était encré dans le préjugé que la créativité était l’apanage de quelques illuminés. A présent, notre manager se sentait à même de formuler des idées créatives pour chaque problème identifié.
Avant de commencer à travailler sur des solutions, notre manager envoya deux mails pour convoquer les différents protagonistes à ses deux réunions de brainstorming. La première se focaliserait sur les problèmes rencontrés au centre d’appels alors que la deuxième s’attaquerait à la problématique plus générale du taux de commandes reines.
La notification expédiée, Bernard pouvait s’atteler à chercher des solutions créatives. Il ouvrit sa carte heuristique des 5 whys des problématiques issues de l’analyse du centre d’appel. Bernard avait peur que la réunion « ne prenne pas » et que personne ne se lance pour trouver des idées d’améliorations. En présentant quelques idées sur chaque problème, Bernard se constituait ainsi un stock d’idées pour amorcer la séance de remue‐méninges. Avec quelques solutions proposées, les équipiers seraient plus facilement tentés de surenchérir pour trouver des améliorations ou rebondir sur de nouveaux concepts.
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Figure 5.1 Extrait du schéma heuristique de l’analyse 5 whys avec les premières idées
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Après les premières idées facilement accessibles, et visiblement peu originales, Bernard tombait sur une problématique qui lui semblait difficilement gérable. Par ailleurs, il y retrouvait certaines caractéristiques énoncées dans les problématiques abordées par la méthode ASIT (Advanced Systematic Inventive Thinking). Aussi, il décida de se lancer pour voir sur quelle solution la méthode pourrait aboutir. Pour mieux se familiariser à l’outil, Bernard se lança dans la résolution du problème à voix haute :
« Alors, ce Monsieur HOROWITZ nous demande de raisonner dans un monde clos. Cʹest‐à‐dire que les objets et l’environnement de mon problème doivent rester les mêmes. Donc le Monde du Problème, qui correspond à ma situation de départ, aura la même structure que le Monde de la Solution. Cela implique que je ne peux pas ajouter de nouveaux éléments pour améliorer mon système, car cela induirait nécessairement un lot de nouvelles problématiques à gérer. En revanche, pour que le Monde du Problème se transforme en Monde de la Solution, il est nécessaire qu’au moins un facteur aggravant du monde du problème se transforme en facteur bénéfique où en facteur neutre. Dans mon exemple : « plus j’ai de litiges, plus mon manager est surchargé de travail ». Si je comprends bien, dans le Monde de la Solution, « Plus il y aurait de litiges à traiter et moins le manager serait surchargé » ou « Quelque soit la quantité de litiges à traiter, la charge de travail de mon manager ne serait pas affectée ». Essayons à présent de trouver une idée qui ferait que, plus il y a de litiges et moins le manager serait surchargé… Pas évident… Ah… Eurêka ! On pourrait constituer une base de connaissances où seraient répertoriés tous les cas de litiges qui ont fait l’objet d’une validation de la part du manager. De la même façon que les juges se réfèrent à la jurisprudence, les équipiers pourraient s’en remettre aux anciennes décisions du même ordre. Car après tout, en quoi une décision sur un litige jugé sensible serait différente d’une autre décision sur le même type de litige ? Du côté du call center, ils gagneraient en réactivité. En ce qui concerne le manager, plus il valide de litiges de natures différentes et moins il a de risques de retomber sur un type de litige qu’il n’a jamais validé. Et pour éviter que les responsables comptes clés ne soient pas tenus au courant des solutions retenues, nous pourrions imaginer un rapport de validation de litiges envoyé en automatique. Par ailleurs, rien n’empêche une fois par semaine de passer en revue les 20‐80* des litiges pour vérifier que la décision
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prise était la bonne. Ouhai ça me plait comme idée ça ! Mais testons quand même la deuxième hypothèse : quelque soit la quantité de commandes à valider, cela n’influerait pas sur la charge de travail du manager… Tiens, pourquoi ne pas supprimer purement et simplement cette validation ? Les conseillers sont tout à fait à même de gérer ces problématiques. Il suffit de les responsabiliser. Et comme pour la solution précédente, rien ne nous empêche d’organiser une réunion hebdomadaire qui reprendrait les décisions prises sur les litiges importants. Hum, de mieux en mieux…
Bon, testons la méthode sur un autre problème. Lorsqu’un client appelle : on lui demande tout un tas d’informations dont il ne dispose pas nécessairement. En premier lieu, le conseiller a besoin de son numéro de client pour pouvoir le renseigner. Si cette fois‐ci j’utilise la technique de l’unification, qu’est‐ce que cela peut donner ? Première étape : je définis les objets et l’environnement de mon problème. J’ai un client, un numéro de client et un opérateur. En guise d’environnement, je peux citer le téléphone et le système d’information. La deuxième étape consiste à déterminer l’action voulue. Dans mon cas, il s’agit « d’identifier le client dans mon système d’informations ». Troisième étape : opérer l’unification en testant l’action voulue avec chacun de mes objets, ce qui donne :
1 ‐ Le client me fournit son numéro pour l’identifier dans le système… Oui, c’est bien ça le problème… Continuons.
2 ‐ L’opérateur fournit le numéro du client qui permet de l’identifier dans le système… Nous pourrions imaginer une liste des clients avec les numéros, mais cela prendrait encore plus de temps que la recherche qu’ils effectuent aujourd’hui… Sinon il faudrait qu’ils apprennent par cœur tous les numéros des clients. A moins d’embaucher des autistes, cela semble difficilement applicable. Ou alors, nous pourrions définir un numéro de client qui soit mnémotechnique. Oui, pourquoi ne pas affecter une clé de recherche sur le client sur la base du code postal et des trois premiers caractères de l’enseigne. Toutes ces idées sont intéressantes, mais je n’ai pas l’impression que l’on y gagne beaucoup par rapport à la situation actuelle… Poursuivons… !
3 ‐ Le téléphone me fournit le numéro du client qui me permet de l’identifier dans le système… Ça n’a pas de sens. Le téléphone ne peut rien
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faire… A moins que… Quand j’appelle le service client de mon prestataire de téléphonie mobile, ils savent quel client je suis, car leur système prend en compte le numéro de téléphone avec lequel j’émets l’appel. Nous pourrions utiliser le même système chez Martin’s Garden ! Pas mal comme idée ! Le problème c’est que je n’ai pas de budget sur ce projet et qu’un tel système doit être assez couteux. Mais nous pouvons imaginer plus simple : le conseiller saisirait le numéro de téléphone du client qu’il voit apparaître sur son combiné, et s’il n’apparaît pas, il pourrait très bien le demander au client. Si celui‐ci ne se souvient pas de son numéro de client ; car il en a un pour chaque fournisseur ; il doit bien connaître son numéro de téléphone, et au pire il l’aura toujours à disposition. En fait, j’aurais pu y penser plus tôt c’est exactement comme ça que travaillent les livreurs de pizza, sur la base du numéro de téléphone ! Cette solution me paraît vraiment bien. Je la garde !
Bernard s’émerveillait tout seul de déceler en lui un tel potentiel de créativité. Si à l’époque de l’affectation de son nouveau bureau, notre manager avait eu le sentiment d’être mis un peu à l’écart, ce jour‐là il appréciait vraiment de pouvoir parler à voix haute. Verbaliser de cette façon les différentes étapes l’obligeait à ne pas passer trop vite sur des idées qui d’emblée pourraient sembler ridicules. Familiarisé avec la méthode ASIT, Bernard poursuivait ses recherches dans sa tête.
Bon il y a quand même un problème que je n’ai pas encore résolu : c’est celui de l’organisation du call center. J’ai vraiment le sentiment que l’organisation est plus complexe qu’elle ne devrait l’être. Dans tous les livres que j’ai lus ces derniers temps, il y a une idée qui ressort systématiquement : un problème complexe ne débouche pas nécessairement sur une solution complexe. Je viens de le vérifier avec mes deux petites trouvailles. Si j’arrive à retrouver mes notes sur le « Macroscope »… Ah tiens, elles sont là… La complexité d’un système dépend du nombre d’interactions et de la diversité des agents qui le composent. Donc si je redéfinis le portefeuille des clients pour chaque équipier de telle façon qu’un client ait un conseiller unique, je vais réduire le nombre d’interactions. Mais il restera toujours des interactions avec Michelle qui saisit les commandes et Ingrid qui enregistre les litiges. Il faut simplifier tout ça… Une seule personne qui gère tout le processus de A à Z et qui est responsable de son portefeuille client me paraît être une solution plus optimisée. En réorganisant le service de cette façon, dʹune part, je réduis la
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complexité du système, d’autre part je réduis, de fait, le nombre d’interactions entre les individus. On peut faire un test pendant quelques semaines, mais je suis quasiment certain qu’avec cette solution, le service ne sera plus surchargé. Même si les erreurs de saisie ne disparaissent pas totalement, au moins, ceux qui les feront prendront conscience des problèmes que cela génère puisqu’ils auront à gérer les litiges par la suite… ! Bon, en revanche, il me reste un problème de taille. Comment vais‐je réussir à faire admettre à Roger que cette nouvelle organisation est nécessaire ? Avec le soutient de ma direction je pourrais passer en force, mais s’il ne prend pas conscience de lui‐même que cette solution est bénéfique et que les équipiers sentent qu’il n’est pas en phase avec ce choix, la mise en œuvre sera catastrophique. Bon, la session de remue‐méninge pour le call center est demain, il faut à tout prix que j’en parle avec Roger avant… Il est bientôt midi, je vais aller voir s’il est disponible pour que l’on mange ensemble.
Bernard prit sa veste et se dirigea vers le bureau de Roger, le responsable du centre d’appel.
‐ Salut Roger, comment vas‐tu ?
‐ Ça va, ça va… Je n’étais pas là hier et je me retrouve avec une trentaine de mails à traiter… Bref, je ne manque pas de boulot !
‐ Qu’est‐ce que tu dirais de manger ensemble à midi ?
‐ Ouhai pourquoi pas, lança Roger après un moment de réflexion.
Puis les deux hommes quittèrent ensemble le bureau pour se rendre dans un petit restaurant mexicain à proximité du siège de Martin’s Garden. Sur le trajet, les deux collègues s’étaient limités à l’échange de quelques banalités. Le différend qui les avait opposés lors de la présentation du projet, avait laissé des traces. Après avoir passé commande, Bernard tenta une première approche :
‐ Bon Roger… Entre nous, cela ne sert à rien de tergiverser ! Si je t’ai invité à manger ensemble, c’est parce que je souhaitais revenir sur le petit incident de la semaine dernière. Voilà, je voulais te dire que la
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joute verbale dans laquelle nous nous sommes lancés devant les autres n’a pas vraiment dû donner l’impression que nous travaillions dans le même sens. Et pourtant, ça n’est pas le cas ! Toi comme moi, cherchons à améliorer les résultats de MG. Et ce n’est pas parce que nos points de vue divergent sur certaines choses que les actions que nous menons en parallèle sont contradictoires.
‐ Oui, ça me paraît évident ! Ponctua Roger, avec une mine qui se déridait sans toutefois laisser place au « lâcher‐prise».
‐ Roger, je pense que ton service va constituer un levier formidable pour la satisfaction du client «Jardins de plaisir». Au quotidien, quand un client appelle MG : sur qui tombe‐t‐il !?
Bernard laissait fuir un silence pour impliquer son interlocuteur.
‐ Et bien, il tombe sur un conseiller de mon service ! Répondit Roger.
‐ Précisément ! Reprit Bernard. Donc si nous cherchons à améliorer la perception des clients vis‐à‐vis de la qualité de MG, cela passera nécessairement par ton service.
‐ Oui. Je suis d’accord. Mais qu’est‐ce que tu attends de moi ? Questionna Roger qui commençait à percevoir son propre intérêt dans le projet.
‐ Je n’attends pas grand‐chose si ce n’est ton expertise sur le sujet. Est‐ce que tu aurais une idée de ce que nous pourrions mettre en place pour que le client se sente mieux pris en charge ?
‐ Bah, on fait déjà tout ce qu’il faut ! Lança Roger se sentant remis en cause.
‐ Bien sûr que tu fais le nécessaire… Le contraire m’inquièterait ! S’aventura Bernard sur le ton de la boutade avant de reprendre plus sérieusement. Je ne te demande pas comment nous pourrions mieux faire. Je te demande comment nous pourrions faire en sorte que le
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client perçoive mieux le service que nous lui apportons. Par exemple, quand un client appelle, il peut tomber sur six personnes différentes. Je me demandais si le client ne se sentirait pas mieux pris en charge s’il retrouvait systématiquement le même interlocuteur. Même si dans les faits, tous tes conseillers apportent la même qualité de service, peut‐être que le simple fait d’allouer un conseiller par client pourrait changer sa perception sur la qualité de notre service.
‐ Oui effectivement, ça n’est pas bête. En revanche, comment fais‐tu pour les périodes de vacances ?
‐ Je ne sais pas… Peut‐être pouvons‐nous constituer des binômes où chacun serait en charge d’un portefeuille de clients qui lui serait affecté. Et le jour où l’un des deux conseillers est en vacances, c’est son binôme qui prend la relève. De cette façon, la seule contrainte de tes conseillers c’est de faire attention à leur période de congé avec leur binôme.
‐ Ouhai… Ça me paraît tenir la route ton affaire. Je vais y réfléchir davantage.
‐ Oui bien sûr Roger, l’idée c’était vraiment d’échanger et que tu me donnes ton avis là‐dessus. Ton expérience te permettra de trouver plus facilement que moi les ajustements à apporter pour que cela fonctionne.
Une serveuse coupa succinctement la parole de nos deux managers pour leur servir le plat du jour. Après l’échange d’un « Bon appétit », nos deux managers prirent d’assaut leur assiette. Le temps d’engloutir quelques bouchées et Bernard relançait la discussion.
‐ J’avais également réfléchi à autre chose…
‐ Oui, dis‐moi. Répondit Roger confiant.
‐ Si nous affectons un portefeuille de clients à chaque conseiller, chacun va devenir un vrai spécialiste des enseignes qu’il aura à gérer.
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Est‐ce que nous ne pourrions pas demander à chaque conseiller de gérer l’ensemble du processus depuis l’arrivée de la commande au traitement des litiges. Qu’est‐ce que tu en penses ?
‐ J’en pense que ça va faire un gros changement… Les conseillers ne sont pas formés à la saisie de commandes et l’enregistrement des litiges prend un temps considérable. Mais nous pouvons y réfléchir…
‐ Oui, je pense qu’il serait bien que nous creusions cette piste. Dʹune part, je pense qu’ils seraient tous contents de ne plus faire la même chose. Avoue que cela doit devenir très rébarbatif de ne faire que de la saisie ! D’un autre côté, ne faire que du téléphone doit être très fatigant. D’autre part, le fait de pouvoir leur dire « Chacun de vous est responsable de son portefeuille de clients », peut se révéler gratifiant.
‐ Oui ça n’est pas faux. Mais tu sais, davantage de responsabilités, à leurs yeux, cela signifie un salaire plus important !
‐ Je n’en suis pas si sûr… Il y a d’autres moyens de récompenser les gens que par le salaire… Ça n’est peut‐être pas le moment, mais après tout, si nous arrivons à dégager des bénéfices de cette nouvelle organisation, pourquoi ne pas leur reverser une part de ces gains sous forme de primes sur objectif… Rien n’est interdit ! La seule contrainte c’est que cela ne coûte pas plus cher qu’aujourd’hui. Et sur ce point, je pourrai t’apporter mon support auprès de la Direction.
‐ Ouhai… Pourquoi pas ! Mais tu as raison, je pense qu’il est un peu tôt pour parler de ça. Dʹabord, je dois réfléchir aux répercussions pour voir si c’est faisable.
‐ OK. Nous avons la séance de brainstorming demain avec ton équipe. Est‐ce que tu penses que c’est jouable pour toi d’évaluer les impacts de cette nouvelle organisation d’ici là ?
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‐ Oh là ! Comme tu y vas ? Je t’ai dit ce matin que j’étais débordé. J’ai une trentaine de mails de retard, sans compter les litiges que je dois encore valider… Pour demain c’est impossible !
‐ Roger, tu as entendu comme moi le Père HERMES, il attend un plan d’action pour la fin de la semaine prochaine. Ce dossier est la première des priorités. En même temps, je ne te demande pas quelque chose de très détaillé ! Il faut simplement lister dans les grandes lignes, les impacts. Ce que je souhaiterais c’est que nous abordions la question demain avec ton équipe pour qu’ils nous disent ce qu’ils en pensent. Mais à ce jour, rien n’est définitif. Si nous nous rendons compte que ça n’est pas possible, alors nous oublierons cette solution ! Qu’est‐ce tu en penses ?
‐ Ok, si c’est dans les grandes lignes, ça doit pouvoir se faire. La réunion est à 14h. Au pire ça nous laisse la matinée pour peaufiner le sujet.
‐ Bon ça me paraît bien parti tout ça ! Lança Bernard revigoré par cet entretien de désamorçage réussi.
‐ Oui, oui… Quand on y réfléchit, que chacun traite l’ensemble du processus : c’est loin d’être aberrant… !
Les deux managers finirent leur repas sur un ton plus décontracté où l’actualité sportive avait repris le dessus sur les problématiques de bureau.
De retour au siège de Martin’s Garden, Bernard prolongea sa recherche de solutions avec la méthode ASIT et les différents exemples de management visuel présents dans le livre de Salomé NYX.
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Mardi 3 mars. Entre sa maison et le bureau, Bernard ne cessait de repenser au passage du livre de BONO qu’il avait relu la veille avant de se coucher. Dans le chapitre sur le chapeau vert, la créativité prenait forme sous le concept de pensée latérale. Cette idée de forcer notre esprit à raisonner dans une autre direction avait du sens. Si l’exercice qui consiste à prendre un mot au hasard dans le dictionnaire, pour chercher à construire une analogie, lui paraissait fantaisiste ; un autre axe de réflexion avait retenu son attention : « inverser les situations ». L’exemple cité dans le livre reprenait des concepts marketing de la grande distribution. Inverser la situation s’illustrait en transformant la phrase « Le client paie le magasin » en « Le magasin paie le client ». Ce simple renversement a donné naissance aux coupons de réduction imprimés au dos des tickets de caisse. Bernard testait ainsi toutes les hypothèses dans l’espoir de trouver la solution miracle. Ainsi, les interversions se succédaient jusqu’à obtenir le couple gagnant : « Jardins de plaisir » passe sa commande à Martin’s Garden » qui devient « Martin’s Garden passe la commande du client ».
‐ Mais oui ! Comment ne pas y avoir pensé plus tôt ? En passant les commandes à la place de «Jardins de plaisir», la plupart des problèmes disparaîtront ! Si nous connaissons les niveaux de stock en magasin et que nous définissons avec le client, en fonction des historiques de vente, les quantités de réapprovisionnement ; alors, la demande sera linéarisée dans le temps. Pour le magasin c’est plus simple ! Il n’aura plus de commandes à gérer, ce qui lui permettra de consacrer plus de temps à la vente. En plus, nous pouvons dire au revoir aux surstocks et donc aux fausses demandes de retour de garantie. De notre côté, il sera plus facile de gérer la demande, car nous serons en lien direct avec le marché. Et si nous sommes maîtres des commandes, nous pourrons optimiser davantage les niveaux de nos stocks. Oh… Cette fois, je crois que je tiens LA solution !
Bernard se délectait dans sa voiture d’avoir trouvé une idée qui lui paraissait si opportune. Arrivé devant le bâtiment, il se gara rapidement et fonça directement dans le bureau de David EUTERPI, le responsable informatique, pour en savoir plus sur la faisabilité de sa solution.
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‐ Salut David, comment vas‐tu ? Lançait notre manager dans un enthousiasme déconcertant.
‐ Oullah… Doucement mon cher Bernard ! Je viens juste d’arriver. Laisse‐moi t’offrir un café avant de te laisser me formuler ta requête !
‐ Ok, ça me va. Mais rassure‐toi, ce que j’ai à te demander ne nécessitera pas de travail… C’est juste pour information.
‐ Vas‐y : je t’écoute ! Répondait David en cherchant de la monnaie dans sa veste.
‐ Voilà, je crois que j’ai trouvé la solution miracle pour mon projet ! Mais j’ai besoin de savoir si c’est réalisable techniquement…
David sortit du bureau tandis que Bernard lui emboîtait le pas en poursuivant sa demande.
‐ Penses‐tu qu’il serait possible de passer les commandes de «Jardins de plaisir» à leur place.
‐ Techniquement : oui sans problème mon ami !
‐ Tu me réponds oui comme ça ! Sans même y réfléchir un instant !
‐ Oui mon ami. Au risque de te décevoir, tu n’as rien inventé ! Les industriels qui passent les commandes à la place des distributeurs cela s’appelle le VMI, Vendor Management Inventory ! Ce qui donne en français GPA : gestion partagée des approvisionnements. Et pour en finir avec les acronymes, il existe une version beaucoup plus aboutie qui est le CPFR*, Collaborative Planning Forecasting and Replenishement. Mais tu devrais plutôt aller voir ton jeune remplaçant, car ça fait une semaine qu’il ne me parle que de ça. Apparemment, il est en train de travailler sur la question.
‐ Ah bon ! Mais qu’est‐ce qu’il y connaît celui‐là ? Répondit Bernard avec une part de dédain qui ne lui ressemblait pas.
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David avait récupéré son gobelet de café avant de remettre des pièces dans la machine pour que Bernard fasse son choix.
‐ Tiens vas‐y, prends ce que tu veux… Tu sais, on reproche souvent aux jeunes leur manque d’expérience, mais il faut bien reconnaitre une chose : c’est qu’ils sont plus ouverts au changement que nous. Tu vois le gamin, il a fait un tour aux États‐Unis. Il s’est rendu compte que ça fonctionnait très bien, alors il s’est simplement dit « pourquoi pas ici ? ».
Bernard, après une petite dose de caféine, reprit :
‐ Tu as raison. A notre âge il est bien difficile de se remettre en cause… Bon et bien je vais aller voir ce petit pour qu’il me fasse une formation sur le GPS.
David éclata de rire.
‐ Pas le GPS… ! La GPA ou le CPFR…Remarque, le GPS pourrait aussi te servir, car apparemment tu ne sais plus où tu habites mon pauvre Bernard !
Les deux hommes rigolaient aux éclats quand un régiment de collaborateurs s’avança dans la salle pour accaparer la machine à café.
Bernard fit un signe de la tête pour remercier David. Puis il s’éclipsa pour obtenir plus d’informations sur la gestion partagée des approvisionnements auprès d’Eric, son jeune remplaçant au service du Demand Planning.
Pour atteindre le bureau du jeune GAUTHIER, Bernard devait traverser le service qu’il avait dirigé pendant tant d’années. Depuis sa nouvelle fonction, notre manager n’avait pas eu le temps de trop penser à ses ex‐collaborateurs. Il prit quelques minutes pour échanger avec eux, mais les deux réunions de brainstorming qui l’attendaient l’incitaient à poursuivre son chemin. S’il ne s’était pas attardé à papoter, il avait tout de même eu le temps de se rendre compte que la
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séparation avait été moins évidente pour son équipe que pour lui‐même. Eric s’était aperçu de l’arrivée de Bernard. Cependant, comme par respect, il était resté dans son bureau. Il se doutait que c’était lui que Bernard venait voir.
‐ Alors mon petit Eric, comment ça va ? J’imagine que si je ne t’ai pas vu depuis un bon mois : c’est que tout doit se passer à merveille !
‐ Bonjour Bernard. Ca fait plaisir de vous voir ici ! Effectivement, ça se passe un peu mieux. Merci encore pour votre aide ! Depuis que nous avons discuté ensemble, j’ai pris un peu plus de recul. J’essaie de me tenir au courant des affaires du moment sans être trop intrusif dans leur travail. Du coup, aujourd’hui, je perçois mieux les missions du service et je les laisse travailler avec l’autonomie dont ils bénéficiaient avant que j’arrive.
‐ Bon, très bien. Je vois que tu apprends vite. C’est une bonne chose… Dis‐moi, je suis venu te voir pour autre‐chose. Pour le projet « Jardins de plaisir », j’avais imaginé un système où nous passerions les commandes à la place des clients. Je suis allé voir David ce matin et il m’a dit que tu travaillais actuellement sur la question… Est‐ce que tu pourrais m’en dire un peu plus ?
‐ Oui bien sûr Bernard ! Comme vous le savez, dans le programme d’intégration que j’ai suivi, j’étais amené à réaliser des missions de différentes natures dans diverses entités du groupe. Il se trouve que j’ai passé les six derniers mois aux Etats‐Unis dans le service du demand planning. Cette mission a été pour moi l’opportunité de découvrir le CPFR. C’est une méthodologie de travail en commun entre les industriels que nous sommes et les réseaux de distribution. C’est très peu connu en Europe, mais là‐bas c’est très répandu.
‐ Dʹaccord, mais comment ça fonctionne précisément ? Relança Bernard vivement intéressé pour en savoir davantage.
‐ Grossomodo il y a un accord qui est signé entre l’industriel et le distributeur qui définit les bases du partenariat. Cela inclut
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l’engagement des deux parties à mettre en œuvre tout ce qui est nécessaire pour faire aboutir le projet. Cet accord peut intégrer également le périmètre des articles concernés. Mais ce contrat, c’est avant tout l’opportunité de discuter des modalités de confidentialité des données, ce qui représente le point le plus sensible pour nos clients.
‐ C’est tout. Un accord entre nous et le client et c’est parti ?
‐ Oulah non… ! C’est une fois que l’accord est signé que la mise en œuvre commence. Il faut se mettre d’accord sur les quantités à réapprovisionner en fonction de la typologie du magasin et des historiques de vente. Et si cela peut aller vite sur le référencement permanent, il est autrement plus difficile d’évaluer les volumes sur les promotions. Une fois que les règles de réapprovisionnement sont définies, il est nécessaire de statuer sur « qui reste maître de la validation de la commande »…
Figure 5.2 Processus Simplifié du CPFR .
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‐ Ah bon, mais je ne comprends pas, interrompit Bernard. Si c’est l’industriel qui passe la commande, il n’y a pas besoin de validation.
‐ Oui, sauf que la frilosité des clients nous amènera certainement à leur envoyer des propositions de commandes qu’ils n’auront plus qu’à valider.
‐ Ah bon, mais quel est l’intérêt pour le client de perdre du temps à valider des commandes dont il aura déjà validé les règles en amont.
‐ Oui, je suis complètement d’accord avec vous Bernard. Mais du point de vue du client ça peut se comprendre. Nous pourrions abuser du système pour pousser à la consommation et grossir leur stock en magasin.
‐ Bon, effectivement, il sera important de réfléchir à tout cela. Sinon côté technique, comment ça se passe ?
‐ Oh, pour ça il n’y a pas de problèmes ! De notre côté, nous disposons déjà des mappings* EDI utilisés aux USA. Il n’y a donc plus qu’à les installer. C’est d’ailleurs pour ça que je me suis rapproché de David. Côté client, cela dépendra des interlocuteurs à qui nous aurons à faire. Pour la GSA, il n’y a pas de problème puisqu’ils utilisent déjà ce type de flux EDI pour les articles à forte rotation. Pour ces clients, le risque serait qu’ils considèrent que nos produits sont trop saisonniers et qu’ils ne génèrent pas assez de volume. Ensuite dans la GSB il y a un peu de tout. Il y a quelques gros clients qui sont bien équipés et qui commencent à implanter ce type de processus. Mais il faut bien se l’avouer, aujourd’hui la plupart de nos clients ne travaillent pas avec ces flux EDI. Pire encore, c’est loin d’être leur priorité. Donc globalement, ça n’est pas terrible. Dʹailleurs, David me disait qu’aucun client ne lui avait fait la demande sur ce type d’échanges d’information.
‐ Et spécifiquement pour «Jardins de plaisir» : tu as des infos ?
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‐ Oui j’ai des infos, mais elles ne sont pas nécessairement bonnes. «Jardins de plaisir» est une enseigne d’indépendants. Donc, même si le siège de l’enseigne préconise ce type de flux, chacun fait un peu ce qu’il veut chez lui.
‐ Bon ça n’est pas gagné, mais ça n’est pas impossible non plus ! S’enthousiasma Bernard. Très bien. J’y vois déjà plus clair. C’est une bonne initiative que tu as prise, de travailler là‐dessus. Sincèrement, je te tire mon chapeau. Je dois y aller, je suis à la bourre sur la préparation de mes réunions… Dʹailleurs, ça me fait penser que je ne t’ai pas invité à notre réunion de demain. Je pense que le CPFR est une bonne piste d’amélioration. Est‐ce que tu pourrais venir pour le présenter devant les autres comme tu viens de me le faire ici ?
‐ Oui sans problème. Je vais formaliser tout ça de manière un peu plus digeste et je vous envoie ça dans l’après‐midi. Est‐ce que cela vous convient ?
‐ Oui parfait. Je te remercie beaucoup Eric. Allez, je te laisse. A plus.
‐ Au plaisir.
Bernard repassa à son bureau pour peaufiner sa présentation pour la séance de brainstorming consacrée aux problèmes du centre d’appels.
En fin de matinée, il fit le point avec Roger sur leur discussion de la veille. Le manager du service, après mûre réflexion, pensait qu’effectivement, il y avait beaucoup à gagner avec cette réorganisation. Pour lui les choses étaient décidées. A partir de la semaine suivante, la nouvelle organisation devrait se mettre en place. Bernard percevait cette décision comme précipitée, mais il faut dire que le temps jouait contre lui. S’il voulait que le client se rende compte des améliorations assez vite, il ne fallait pas perdre de temps dans la mise en œuvre des améliorations. Maintenant, il restait à convaincre les collaborateurs du centre d’appels pour qu’ils adhèrent de la même façon à cette nouvelle organisation.
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Après déjeuner. Tout le monde était présent dans la salle de réunion. Roger prit son rôle de responsable de service à cœur et introduisit le projet de Bernard avant de lui laisser la parole.
‐ Je te remercie, Roger, pour cette courte introduction. Effectivement, nous sommes là aujourd’hui pour que vous puissiez prendre connaissance de l’analyse que j’ai réalisée sur les problématiques de «Jardins de plaisir» et plus particulièrement sur les quelques soucis que vous rencontrez au centre d’appels pour faire fasse à l’activité. Mais je voudrais aussi profiter de cette réunion pour vous dire que nous attendons beaucoup de vous. Il est nécessaire que nous trouvions ensemble des idées pour améliorer la qualité de service perçue par les clients, mais aussi pour vous faciliter la vie dans vos tâches quotidiennes. Voilà pour l’introduction. Est‐ce qu’il vous reste des interrogations sur l’objet de cette réunion ou c’est assez clair ?
Personne ne pipa mot. Bernard déroula pendant une vingtaine de minutes la présentation de son analyse jusqu’à l’ouverture de la séance de brainstorming.
‐ Voilà, j’en ai fini avec l’analyse. Maintenant nous allons passer à la suite. Cʹest‐à‐dire aux idées d’améliorations.
Bernard avança sa présentation à la slide suivante qui reprenait les règles d’une séance de remue‐méninges.
‐ Je ne sais pas si vous avez déjà participé à une séance de brainstorming, mais voici les règles à respecter. C’est très simple : nous ne sommes pas là pour juger les idées, nous sommes là pour en trouver. Nous déciderons par la suite quelles sont les idées qui doivent retenir notre attention et quelles sont celles qui sont complètement absurdes. Mais j’insiste bien pour dire qu’aujourd’hui personne ne doit donner son avis sur les idées émises. Comme je sais que vous serez tout de même tentés de critiquer les nouvelles idées, chaque personne qui fera une remarque négative sur une idée émise par quelqu’un d’autre devra en émettre deux nouvelles. En revanche,
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il n’est pas interdit de surenchérir sur les idées des autres ou de leur trouver des alternatives qui vous semblent plus opportunes.
Si jusqu’ici l’assemblée brillait par son silence, un bourdonnement commençait à s’installer. Pour couper court aux discussions, Bernard reprit :
‐ Alors, voici comment nous allons procéder. Maintenant que vous connaissez les règles ; je vais projeter l’arborescence des problèmes que nous avons à résoudre. Nous passerons en revue l’ensemble des problèmes et j’ajouterai les idées au fur et à mesure. Voilà, cette fois je pense que nous pouvons démarrer. Alors comme vous pouvez le voir, la première problématique à résoudre est le nombre d’appels que vous recevez alors qu’ils ne vous sont pas destinés…
Richard, le doyen du service, prit la parole :
‐ Alors ça, depuis le temps que nous le disons… Effectivement, il est grand temps de se poser la question…
‐ Très bien Richard, qu’est‐ce que tu proposes ? Rétorqua Bernard.
‐ Je ne sais pas moi… Pourquoi ne pas renvoyer à tous les clients la liste de tous les numéros de téléphone. Au moins, ils les auront une fois pour toutes !
‐ Non, ça ne servira à rien d’envoyer les numéros de téléphone aux clients, lança Roger.
‐ Merci Roger de servir d’exemple à notre règle fondamentale… Tu viens de critiquer l’idée de Richard… Donc tu es redevable de deux nouvelles idées ! Conclut Bernard sur le ton de l’amusement.
‐ Hum, très sympa ta règle Bernard, je crois que nous allons beaucoup nous amuser… Répondit Roger. Alors voyons voir, deux nouvelles idées… Je crois savoir qu’il y a beaucoup d’appels pour le service comptabilité. Je ne me rappelle pas très bien du message d’accueil,
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mais il doit être formulé d’une façon à induire les gens en erreur. Peut‐être pourrions‐nous être plus précis dans les choix proposés. Au lieu de « Si vous voulez le service client tapez 3 » nous pourrions dire « Si vous avez une question à poser sur une commande, une livraison ou un litige en cours, tapez 3 ».
‐ Merci Roger, c’est une bonne idée. Traduire les noms des services en problématiques qui parlent aux clients… Ce n’est pas bête du tout… Aurais‐tu une deuxième idée à nous formuler ?
Roger, se prenant au jeu, poursuivit sur sa lancée.
‐ Bah, pendant que nous y sommes sur le téléphone, je vois plus bas que nous avons des problèmes pour obtenir le code des clients au téléphone. Peut‐être que nous pourrions profiter du temps d’attente du client au téléphone pour lui demander de préparer les documents relatifs à sa demande : son numéro de client, son numéro de commande…etc.
Bernard notait les idées en bout de branche sur le schéma heuristique qui reprenait la liste des problèmes. Puis il relança la discussion.
‐ Ok, continuons, nous reviendrons plus tard sur ce problème de transfert d’appels si vous avez d’autres idées. Le problème suivant, c’est qu’il y a trop d’appels des clients pour connaître les tarifs.
La petite Emilie, qui jusqu’ici s’était fait discrète, se lança :
‐ Oui par rapport à ça, cela fait un moment que je me demande pourquoi nous n’avons pas un site internet pour que nos clients accèdent à leurs tarifs sans avoir à nous appeler…
‐ Ah, mais il me semblait qu’il pouvait déjà le faire ! Rebondit Yvan, un de ses collègues.
‐ Roger, est‐ce que tu sais si les clients peuvent accéder à leurs tarifs à partir de notre site internet ? Lança Bernard, en quête d’éclairage.
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‐ En fait, seuls les clients qui ont un accès pour passer leurs commandes via le site disposent de cette fonctionnalité. Mais la plupart des clients passent leurs commandes soit par fax soit par EDI. Très peu aujourd’hui passent par le site. Donc effectivement, pourquoi ne pas leur ouvrir un accès d’office où ils disposeraient de l’accès aux tarifs ? En revanche, il sera nécessaire de communiquer dessus pour qu’ils soient au courant et l’utilisent. Tiens, et pourquoi ne profiterions‐nous pas, là encore, du délai d’attente au téléphone pour rappeler aux clients qu’ils bénéficient de la consultation des tarifs via le site internet.
‐ Oh, mais tu es en pleine forme mon cher Roger ! Se félicita Bernard tout en prenant soin de noter l’idée.
Le reste de la séance de brainstorming se poursuivit dans une ambiance très décontractée. L’équipe n’avait pas l’habitude de ce type de réunion, mais leur participation démontrait d’un intérêt certain à s’exprimer et à résoudre des problèmes qui les affectaient au quotidien.
En fin de réunion, Roger, le responsable du service, annonça le changement d’organisation qui impliquait que l’ensemble de l’équipe gère le processus de A à Z. L’idée ne choqua personne. Richard avait même repris l’historique de l’organisation pour rappeler que les différents postes étaient le fruit d’un rapatriement des fonctions de saisie de commande et de saisie de litiges, initialement basées respectivement au service commercial et à la comptabilité. A l’écoute de ce petit rappel historique, Bernard ruminait sourdement :
‐ Les problèmes d’aujourd’hui sont souvent le fruit des solutions apportées par le passé…
Bernard clôtura la réunion en remerciant tout le groupe de leur participation. Il leur donna également tous rendez‐vous pour l’étape suivante qui consistait à évaluer l’efficacité des solutions proposées.
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Mercredi 4 mars. C’était le grand jour. Tout le projet de Bernard reposait sur les solutions qui seraient apportées lors de la réunion de 10h. Tout le top management de l’entité France y était invité. Il y aurait également David pour la partie informatique, Eric pour présenter les avantages du CPFR, la jeune Gabrielle pour apporter des précisions, si nécessaire, sur les besoins exprimés dans la matrice de KANO, et le responsable compte clé Sylvain en charge du client «Jardins de plaisir».
En début de matinée, Bernard et Eric, son jeune remplaçant, s’étaient isolés dans la salle de réunion pour peaufiner la présentation de la solution du CPFR. Passer les commandes à la place des clients représentait une solution très innovante. Mais comme toutes les innovations, une période d’évangélisation était nécessaire à la mise en pratique. Il était donc fondamental pour nos deux managers de prévoir les critiques qui pouvaient leur être opposées. Mais il était difficilement envisageable d’appréhender toutes les problématiques à venir étant donné qu’eux‐mêmes ne maîtrisaient pas tous les tenants et les aboutissants de cette nouvelle méthode de travail. Pour pallier aux oppositions systématiques des réfractaires, et pour contourner les argumentations sans fin, Bernard aborderait la réunion à l’aide des six chapeaux de BONO.
A 10 heures précise, tout le monde était présent dans la salle de réunion. Certains protagonistes comme Bertrand ERIC, le responsable du contrôle de gestion, Nathalie DICET, la responsable comptabilité, et Emile STEVEN, le responsable marketing, n’appréhendaient d’aucune façon le niveau d’avancement du projet. Bernard fit donc une courte introduction pour reprendre dans les grandes lignes le fruit de son analyse des problèmes rencontrés par Martin’s Garden pour assurer la qualité de service attendue par «Jardins de plaisir».
Bernard clôtura son introduction par le lancement de la présentation du jeune Eric GAUTHIER.
‐ Voilà pour les problèmes que nous rencontrons… Lorsque j’ai commencé à réfléchir sur les solutions à apporter, j’ai eu une idée
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lumineuse. Pourquoi ne passerions‐nous pas les commandes à la place de nos clients ? Cette idée n’était pas si lumineuse que cela puisque, comme Eric va vous le présenter, cette méthode de travail est déjà utilisée dans notre entreprise aux Etats‐Unis. Je vous demande de bien être attentifs à la présentation d’Eric. Il va vous décrire plus en détail en quoi cela consiste et par la suite nous discuterons sur l’opportunité de le mettre en place en France. Eric, je te laisse la parole.
Pendant une dizaine de minutes, le jeune GAUTHIER présenta ce qu’était le CPFR ainsi que le niveau de maturité en France des industriels et des distributeurs sur ces échanges d’informations. Puis Bernard reprit la conduite de la réunion.
‐ Je vois qu’il y en a certains qui bouillent d’impatience de s’exprimer sur tout ce que nous venons d’évoquer ! Je vais bientôt vous donner la parole, mais avant cela je souhaiterais vous proposer une méthode pour cadrer cette réunion.
Bernard avança la présentation jusqu’à la slide où étaient présentés les six chapeaux.
‐ Je ne sais pas si vous connaissez ces six chapeaux… A voir vos têtes : j’imagine que non ! Vous allez voir, c’est très simple ! A chaque fois que l’un d’entre nous sera amené à intervenir, il devra le faire au prisme du chapeau qui lui sera affecté. Comme vous pouvez le voir, chaque chapeau correspond à un type de réaction bien différent. Le blanc ne doit fournir que des faits, aucun commentaire, juste des informations brutes. C’est le chapeau rouge qui vous permettra de dire ce que vous avez sur le cœur. Le vert, c’est pour les nouvelles idées. Le jaune est le chapeau de l’optimisme, ce qui permettra de trouver les avantages et les opportunités des idées avancées. Bien sûr, vous disposez du chapeau noir pour exprimer vos doutes et les risques que vous percevez. Enfin le chapeau bleu, que je porte en ce moment même, permet de conduire la réunion et de porter un jugement sur l’évolution des discussions. C’est bon, vous êtes tous prêts à jouer le jeu ?
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Une moue dubitative prenait place sur chacun des visages qui entouraient la table. Marina ZELOS, la directrice générale, se différenciait par un large sourire.
‐ Bien vu, Bernard, pour la méthode des chapeaux…
Puis s’adressant au reste de l’assemblée :
‐ Vous allez voir, ce type de discussion est vraiment très intéressant. Allons‐y mon cher Bernard ! Reprends ton chapeau bleu et dis‐nous ce que tu attends de nous.
‐ Très bien Marina. Je vois que tu connais la méthode… Alors comme vous avez pu le voir, Eric, avec son chapeau blanc, nous a décrit ce qu’était la situation sur ce nouveau processus d’échange d’informations. Je souhaiterais faire un premier tour de table en chapeaux rouges pour que vous me donniez vos premières impressions sur ce que vous avez entendu. Attention, je ne veux pas de bla‐bla, seulement ce que vous en pensez au premier abord. Marina, peux‐tu commencer ?
Bernard savait qu’en demandant à la directrice générale, il prenait le risque que tout le monde s’aligne sur sa position.
Mais, à sa façon de réagir sur la méthode des chapeaux, il percevait un a priori positif de sa part.
‐ Je suis plus qu’emballée par cette idée ! Lança Marina.
‐ Effectivement, nous aurions beaucoup à gagner à augmenter notre niveau de collaboration avec le client, poursuivait Bertrand ERIC.
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Figure 5.3 Signification des Six Chapeaux de la créativité de BONO
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‐ Personnellement, je pense que cette idée est complètement surréaliste ! Les clients n’accepteront jamais de nous transférer leurs statistiques de sorties caisses en direct !
‐ Très bien. Merci pour ta franchise Luc. Sylvain, qu’en penses‐tu ? Relançait Bernard.
‐ C’est vrai que ça me paraît difficile à mettre en place ! En même temps, ce serait un vrai challenge.
Le tour de table se poursuivait ainsi. La plupart exprimaient des doutes quant à la mise en œuvre. En revanche, personne ne remettait en cause les gains potentiels que cela pourrait dégager. Bernard, couvert du chapeau bleu, poursuivait :
‐ Très bien, maintenant, pourriez‐vous vous munir de votre chapeau jaune et me donner tous les bienfaits de ce type de solution ? Bertrand, d’un point de vue purement financier, qu’est‐ce que cette nouvelle méthode de travail pourrait nous rapporter ?
‐ Chapeau jaune, donc je ne dois voir que le côté positif ? S’assura le responsable du contrôle de gestion avant de se lancer. J’entrevois plusieurs bienfaits : une réduction du besoin en fond de roulement du fait de l’accélération des paiements par la réduction du nombre des litiges. Parce qu’entre nous, ces litiges sont souvent de bonnes excuses données aux clients pour bloquer les règlements. Nous devrions également réduire le nombre de retours dus aux erreurs de saisie, que ce soit de notre fait où même du client. Et j’imagine également que ce mode de gestion devrait nous permettre de réduire les ruptures de stock en linéaire*, ce qui ne pourrait avoir qu’un impact positif sur le chiffre d’affaires. A côté de ça, nous devrions également réduire les pénalités de nos clients sur les retards de livraisons où les produits en rupture. Voilà, pour ce qui me vient à l’esprit, mais je dois sûrement en oublier…
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Figure 5.4 Groupe de travail – Mise en œuvre du CPFR
Pendant que Bernard notait toutes les remarques, Marina reprit la parole.
‐ Il est évident qu’avec ce type de gestion des commandes, nous améliorerons sensiblement nos ventes ! Et je suis même certaine que nous gagnerons en part de marché. Car s’il sera difficile de convaincre les clients d’installer ces nouveaux flux EDI, Bernard, excuse moi pour ce petit aparté en chapeau noir… Une fois que ce sera mis en place, les clients ne pourront plus nous déréférencer aussi facilement. Dʹune part, cette gestion induira une collaboration plus étroite entre nos équipes et celles de nos distributeurs. Ce rapprochement ne pourra qu’être bénéfique. D’autre part, quand les magasins se rendront compte qu’ils dégagent plus de chiffre d’affaires sans avoir à se soucier de leur niveau de stock, je vois mal comment ils pourraient prendre un autre fournisseur en imaginant gérer à nouveau l’approvisionnement du linéaire.
‐ Merci Marina ! Est‐ce que quelqu’un d’autre souhaiterait exprimer des points positifs que nous aurions manqué de mentionner ?
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‐ Oui, il me semble qu’il y a encore un élément non négligeable, lança timidement Nathalie, la responsable comptabilité. C’est l’amélioration de la marge par la réduction des surstocks et des obsolètes. Si nous sommes en prise directe avec la demande du marché, j’imagine que nous serons capables de réaliser de meilleures prévisions de vente. Donc, la production devrait être plus en phase avec la demande. Logiquement, à terme, nous devrions donc réduire le nombre de ventes en déstockage et en conséquence, améliorer notre marge globale.
‐ Oui tu as raison Nathalie, reprit Bertrand le contrôleur de gestion. Ça me fait penser à un nouveau point positif. Aujourd’hui, nous définissons un niveau de stock de sécurité assez élevé pour pallier à l’incertitude de la demande. Là encore, si nous sommes en prise directe avec le marché, ce niveau d’incertitude va considérablement se réduire. Si bien qu’à terme, nous pourrions aisément imaginer réduire cette marge de sécurité. Là encore, nous devrions donc améliorer notre besoin en fond de roulement par la réduction du niveau de stock à financer. Nous avons également des charges variables qui sont liées au niveau de stock. Ces charges devraient également se réduire en conséquence.
‐ Et bien, dites‐moi ! Les chapeaux jaunes sont en pleine forme ! Se félicita Bernard.
‐ Oui c’est vrai. D’ailleurs personnellement je vous trouve bien optimistes, lança amèrement Luc MORIN, le responsable commercial.
‐ C’est le jeu, mon cher Luc ! Répondit Bernard. Mais je t’en prie, attrape ton couvre‐chef noir et dis‐nous quelles sont tes craintes.
‐ Très bien. Voici ce que le chapeau noir qui sommeille en moi souhaite signaler. Pour commencer, ce sont toujours les clients qui sont à l’initiative des nouveaux flux EDI. Sur ce point, nous ne sommes jamais « force de proposition », nous ne faisons que répondre à leur attente. Régulièrement, nous leur demandons leurs statistiques de sorties caisses pour évaluer les volumes des promotions à venir. Si
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nous parvenons parfois à les obtenir, dʹune part, cela ne concerne que quelques gros clients de la GSA (Grandes Surfaces Alimentaires) et d’autre part, nous y dépensons une énergie considérable ! Nous avons beau leur faire les yeux doux, si nous entretenons des relations très cordiales, ils ne manquent pas de nous rappeler à chaque négociation que nous avons des concurrents en face et qu’ils ne veulent qu’une chose : la meilleure offre ! Aujourd’hui, ils travaillent à la mise en place de plateformes d’achat en ligne pour accentuer cette concurrence et vous pensez qu’ils vont nous ouvrir les portes de leur système d’information comme ça ? Et pire encore nous laisser la maîtrise de leur approvisionnement et de leur stock ? Pour moi c’est simple, votre solution est aux antipodes des attentes des clients aujourd’hui !
‐ Très bien, Luc, je vois que le chapeau noir te va à ravir. J’ai bien noté tous les points que tu nous as mentionnés. Avant d’énumérer plus de points négatifs, pourrions‐nous mettre notre chapeau vert pour commencer à entrevoir des solutions aux problématiques soumises par Luc ?
La jeune Gabrielle paraissait être en désaccord sur certains points énumérés par le directeur commercial. Elle en profita donc pour prendre la parole.
‐ Bernard, si je puis me permettre… Avant de prendre mon chapeau vert, je souhaiterais mettre mon chapeau blanc pour vous parler de la segmentation de marché que j’ai réalisée l’année dernière.
‐ Oui, je t’en prie Gabrielle, éclaire‐nous de tes lumières ! La rassura Bernard avec un regard empli de complicité.
‐ Voilà, sur les différents entretiens que j’ai effectués, je n’ai pas beaucoup entendu parler d’e‐sourcing*. Même si certains travaillent dessus, je n’ai pas le sentiment que cela va se généraliser à l’ensemble des gammes de produits. En tout état de cause, pas dans les toutes prochaines années ! Concernant le CPFR, j’avais évoqué avec les clients le besoin de travailler plus en collaboration et par conséquent
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d’accroître nos échanges d’informations. Il apparaît que la GSA et les plus gros intervenants de la GSB sont très intéressés. Même si aujourd’hui ce type de flux EDI se limite à quelques gammes à forte rotation, ils sont convaincus que l’amélioration de leur taux de service passera nécessairement par un rapprochement de nos équipes. Mais attention, cette vision‐là est surtout présente en centrale. Plus on se rapproche du terrain et plus les gens se montrent méfiants, voire récalcitrants. Vis‐à‐vis des plateformes logistiques, certains ont le sentiment que nous nous substituerions à eux. Et dans les magasins c’est pire, car les responsables de rayons ont peur de perdre leur emploi. Donc, il faut bien être conscient qu’à chaque niveau de la chaîne logistique, la perception de ce mode de gestion est très différente. Je parlais des clients les plus avancés dans l’optimisation de leur organisation. Je voudrais dire que pour les autres clients, qui sont moins structurés, comme «Jardins de plaisir», les choses sont encore plus délicates, car chacun a son mot à dire dans les décisions. Et quand on demande l’avis de tout le monde, chacun prêche pour sa paroisse sans nécessairement rechercher l’intérêt général. Cela s’illustre par exemple sur les libertés prises sur le référencement de tout ou partie d’une gamme de produits alors que la centrale a fait le choix d’un plan de vente. Voilà pour l’état des lieux. Maintenant, je ne sais pas si je pourrai mettre mon chapeau vert aisément et trouver des solutions à toutes ces problématiques, mais une chose est sûre, si nous devons convaincre nos clients de l’implantation de ces nouveaux flux EDI, cela passera nécessairement par une évaluation des gains. Voire même par un engagement sur ces gains !
Daniel OURANOS, le sponsor du projet, prit la parole au vol.
‐ Gabrielle, je crois que tu tiens là un point important ! Nous devons vendre ce nouveau mode de gestion des commandes comme une offre‐produit avec une argumentation préétablie pour chacun de nos interlocuteurs, mais aussi les retombées financières qu’ils sont en droit d’attendre. Pour que nous soyons plus percutants, et que nous ayons un argumentaire solide et entendu, je propose que ce soit le service marketing qui prenne en charge ce travail.
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‐ Ça me va ! Lança Emile STEVEN, content d’avoir une occasion de valoriser le travail de son service. En revanche Bertrand, nous aurons besoin de ton aide pour la partie valorisation des gains. Nous aurons également besoin de la présentation que tu nous as faite, Eric, en début de réunion. Et Bernard, si tu pouvais nous faire parvenir le compte rendu de cette réunion rapidement, je pense que ce sera aussi d’une grande aide pour nous.
‐ Bien sûr Emile, nous ferons le nécessaire pour t’apporter l’aide dont tu as besoin.
‐ En revanche, Bernard, si je puis me permettre. Objecta Bertrand, le contrôleur de gestion. Je ne pourrai réaliser aucune évaluation financière sans informations de la part des clients. Il faudrait connaître leur niveau de stock, leur taux de service…
‐ Oulah ! Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de leur faire une évaluation au centime prêt, lança Bernard en coupant la parole. Eric viendra te voir. Nous disposons déjà d’un ordre d’idée sur les gains obtenus lors de la mise en place du CPFR aux Etats‐Unis. Je pense que nous pourrons partir sur cette base. L’idée, c’est de construire un argumentaire. S’ils sont OK pour faire un test, alors nous réaliserons une prévision plus précise.
‐ OK. Ça me va ! Hocha Bertrand de la tête.
Marina, qui écoutait attentivement jusquʹici, prit la parole :
‐ En tant que chapeau noir, je voudrais attirer votre attention sur un point important. L’idée de ce CPFR, si j’ai bien compris, c’est d’augmenter le niveau de collaboration entre nos équipes et nos distributeurs afin de prévoir au mieux les besoins des consommateurs. Une fois les paramètres définis en commun, le processus d’approvisionnement revient à notre charge…
Bernard et Eric hochèrent la tête avant que Marina reprenne.
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‐ A mon sens, c’est la collaboration avec nos clients qui induit une prise en charge de leur approvisionnement et pas le contraire. Donc personnellement, je pense qu’il serait préférable de vendre le côté « gagnant gagnant » plutôt que de leur faire croire que tous les gains sont pour eux. Je serais partisane pour que tout l’argumentaire repose là‐dessus. Et je pense même que l’évaluation des gains doit être réalisée de manière transparente chez nous comme chez eux.
‐ Attends, mais c’est très risqué de faire ça ! Lança Luc Morin le responsable commercial. Quelle sera notre marge de manœuvre lors des négociations, s’ils savent parfaitement ce que nous gagnons ?
‐ Il ne s’agit pas de cela Luc ! Il s’agit d’évaluer les gains de ce nouveau process de manière transparente pour eux comme pour nous. Si nous augmentons les ventes par la réduction des ruptures de stock, que ce soit nous ou le distributeur, nous avons tous à y gagner. De la même façon, si nous réduisons les déstockages, notre marge, comme la leur, va s’améliorer. Et je pense que c’est cette idée du « gagnant gagnant » qu’il faut mettre en avant. A côté de cela, je pense qu’il est nécessaire de blinder l’aspect juridique. Si nous leur proposons un contrat de collaboration qui porte particulièrement attention à la confidentialité des données, je pense qu’ils y seront sensibles !
‐ Tu as raison Marina, l’aspect juridique sera surement un point clé, appuya Bernard. Est‐ce qu’il y a d’autres éléments à prendre en considération ? David, on ne t’a pas beaucoup entendu parler. Côté technique, est‐ce que tu as des craintes à formuler ?
‐ Comme je te l’ai déjà dit hier, en préparation de cette réunion, il n’y a pas de problème technique puisque les mappings sont déjà existants. La crainte que j’ai à formuler concernerait plutôt le degré de priorité de ce projet chez nos clients. Aujourd’hui, j’ai un mal fou à mobiliser mes interlocuteurs chez les clients pour mettre en place des flux EDI. Quand il s’agit des flux qui les intéressent, comme les factures, il n’y a aucun souci. En revanche quand cela concerne un flux qui a priori est plus bénéfique pour nous, là ils sont moins
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réactifs. Donc à mon sens, si ce type de flux doit être mis en place, l’implication du top management est une nécessité.
‐ Nous sommes d’accord ! Approuva Marina. D’ailleurs, je veillerai personnellement à ce que les choses avancent comme il se doit. Et il est évident que nous devons entraîner les clients dans la même dynamique.
‐ Et bien, écoutez ! En tant que chapeau bleu je tiens à tous vous féliciter et à vous remercier d’avoir joué le jeu. Nous avons beaucoup avancé et j’en suis très heureux.
Figure 5.5 Extrait du Tableau d’évaluation des solutions proposées
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La réunion clôturée, les protagonistes continuaient de discuter des opportunités du CPFR. Bernard était ravi du succès de la réunion. A n’en pas douter, les chapeaux avaient leur part de responsabilité dans cette réussite.
Bernard passa son après‐midi à la rédaction du compte rendu de la réunion. Le reste de la semaine serait consacré à l’obtention des avis de chacun sur la faisabilité et l’efficacité des solutions envisagées lors des deux réunions de brainstorming. Enfin avant de partir en week‐end, il lui fallait encore travailler sur le plan d’action à mettre en œuvre pour être en capacité de le présenter lundi, à la première heure, devant le top management.
Figure 5.6 Matrice d’évaluation Efficacité / Faisabilité.
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Samedi 7 mars. Bernard méritait bien le paisible week‐end en famille qui l’attendait. Sa fille Eglantine et son compagnon Greg devaient les rejoindre dans leur maison de campagne située dans un petit village au pied du Mont Ventoux.
Dans la matinée, Bernard avait trouvé le courage de faire un tour de vélo. Pendant ce temps, Eloïse avait fait deux trois bricoles dans la maison et le jardin. A 11h, nos deux amoureux étaient devant les fourneaux pour préparer un somptueux repas à leurs convives.
Quand les jeunes tourtereaux arrivèrent à 12h30, tout était déjà prêt sur la table du jardin. Eglantine étincelait de joie de vivre dans sa robe printanière rouge coquelicot. Gregory, son apollon au physique élancé, avait opté pour une tenue « bobo » : jeans, basket, chemisette avec le pull à cheval sur les épaules. Une insouciante harmonie se dégageait des deux jeunes gens.
‐ Hum… Qu’est‐ce que ça sent bon ! S’enthousiasma délicieusement Eglantine.
‐ N’est‐ce pas, ma fille ? Répondit chaleureusement Bernard.
Eloïse, qui revenait de la cuisine avec les serviettes, invita tout le monde à prendre place.
‐ Ah. Qu’est‐ce que ça fait du bien de pouvoir manger à l’extérieur ! S’extasia Bernard.
‐ Effectivement, c’est un vrai régal ! Enchérissait le jeune Greg en manque de contenance.
‐ Tiens Eglantine, je t’en prie, prends un peu de charcuterie, fit Eloïse pour lancer les festivités.
‐ Oh non, je te remercie Eloïse, mais si je veux pouvoir me mettre en maillot de bain cet été il faut que je surveille ma ligne dès maintenant.
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‐ Tu rigoles ma fille ? Tu es parfaite !
‐ C’est ce que je n’arrête pas de lui dire, mais elle ne m’écoute pas ! Surenchérissait son compagnon.
‐ Mais vous arrêtez oui ? Je fais 58 kilos pour 1,65 m ! Je sais que ça n’est pas mon poids idéal. Et puis ce serait possible de passer à autre chose ? Je vais prendre de la salade et ça ira très bien ! Lança Eglantine en tirant la langue avant de se servir et de poursuivre.
‐ P’pa, tu ne voudrais pas plutôt nous parler de ton projet ? Comment ça se passe ? En quoi ça consiste exactement ?
‐ Oh, ma chérie je ne suis pas sûr que ce soit le moment ! Et puis je ne suis pas sûr que vous trouviez ça très intéressant…
‐ Pourquoi Bernard ? Lâcha Eloïse. Au contraire, vue l’énergie que tu y mets, je ne vois pas comment ce ne pourrait pas être intéressant.
‐ Très bien. Je vais essayer de vous expliquer, dans les grandes lignes, en quoi consiste mon nouveau travail. Je dois améliorer la qualité de service apportée à l’un de nos clients. Et pour cela, j’utilise une méthodologie bien spécifique qui s’appelle le Lean Six Sigma.
‐ Le Lean Six Sigma ? S’interrogea Eglantine.
‐ Oui ma chérie, le Lean Six Sigma. C’est une méthode qui se déroule en 5 étapes. La première consiste à définir le problème, la deuxième à le mesurer. Ensuite il faut analyser les sources du problème. Une fois que celles‐ci sont identifiées, c’est la phase d’amélioration. Et après la mise en œuvre des améliorations, la dernière étape consiste à contrôler le nouveau processus. Voilà, vous savez tout ! Ah oui, dernier point important : pour chacune des étapes, il y a une palette d’outils disponibles à mettre en œuvre selon les problématiques auxquelles nous sommes confrontés.
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Eglantine était pendue aux lèvres de son père. Intriguée par la courte introduction, elle challengea Bernard pour en savoir plus :
‐ Tu n’aurais pas un exemple à nous donner, histoire que ce soit un peu plus parlant ?
‐ Tiens, bah… Prenons ton poids par exemple ! Lâcha Bernard en rigolant.
‐ Ok P’pa. Vas‐y, je t’écoute !
‐ Très bien. Alors dans la première étape tu dois formaliser ton problème en considérant la voix du client. Donc dans ton cas, il faut connaître ton client. Vue ta réaction tout à l’heure, de mon avis, ainsi que celui de Greg, nous ne sommes pas tes clients… Alors est‐ce que tu sais pourquoi, ou pour qui, tu souhaites perdre du poids ?
‐ Bah, je ne sais pas. Simplement parce que ce n’est pas mon poids idéal !
‐ Ton poids idéal vis‐à‐vis de quoi ?
‐ Et bien, je me rappelle au collège, notre prof de physique nous avait donné une formule pour calculer notre poids idéal. Pour les filles il faut prendre la taille, retirer le 1 et diminuer de 10 la valeur qui reste. Donc pour moi qui fais 1,65 m : mon poids idéal est de 55 kilos.
‐ Super. C’est parfait. Donc tu te réfères aux standards du marché…Heu aux standards de beauté !
Bernard rigolait tout seul de sa blague.
‐ Eh bien P’pa, tu as mangé un clown au petit déjeuner, dis‐moi ! Se libéra Eglantine.
Eloïse, qui s’intéressait à la méthode, relança Bernard :
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‐ La phase de définition s’arrête là ?
‐ Non. Dans cette étape, c’est également l’occasion de formaliser le processus et de constituer l’équipe projet. Pour ton problème de poids, Eglantine, nous pourrions imaginer que tu prennes un coach pour te suivre sur le projet. Tu pourrais également consulter un diététicien. Bref, dans le cadre d’un projet LSS tu chercherais à t’entourer des personnes qui seraient susceptibles de te venir en aide.
‐ Pour l’instant, je suis. Ensuite qu’est‐ce qu’il se passe ?
‐ Une fois que ton projet est défini, tu passes à la phase de mesure. C’est ici que tu vas définir l’indicateur en phase avec le besoin exprimé par la voix du client. Dans ton cas, nous retiendrons le poids. Mais nous aurions également pu retenir l’indice de masse corporelle. Tu comprends ?
‐ Oui, oui ! Acquiesça Eglantine.
Greg, à côté, mangeait sans piper mot. Il savait que toute intervention de sa part aurait été mal interprétée. Pendant ce temps, Bernard poursuivait :
‐ Donc ton indicateur c’est le poids. Ton objectif c’est 55 kilos. Pour les seuils de tolérance, disons que tu t’accordes plus ou moins deux kilos d’écart…
‐ Comment ça, je m’autorise plus ou moins deux kilos d’écart ? Coupa Eglantine.
‐ Ton objectif c’est 55 kilos, mais tu es d’accord avec moi que tu ne peux pas faire constamment ce poids ! Donc, pour pallier aux variations inhérentes à tous processus, on admet une marge que l’on considère comme acceptable. Mais si deux kilos ça te paraît trop, nous pouvons réduire cette marge à 1 kilo. Après tout : c’est toi le client de ton projet !
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‐ Oui, je préfère 55 kilos plus ou moins un kilo. Ça me paraît plus cohérent !
‐ Très bien, alors partons là dessus. Maintenant, dans l’idéal, nous devrions mesurer ton niveau 6 sigma actuel. Mais pour cela, il nous faudrait ton poids de manière régulière sur une période relativement significative…
‐ Non P’pa désolée, mais je ne note pas mon poids à chaque fois que je me pèse.
‐ Ok, est‐ce que tu as une idée du nombre de fois où tu faisais entre 54 et 56 kilos sur l’année qui vient de s’écouler ?
‐ Sur l’année qui vient de s’écouler : aucune fois malheureusement… Ça oscille plutôt entre 57 et 59 kilos…
‐ Bah c’est parfait, comme ça c’est encore plus simple !
‐ Tu te fous de moi ou quoi ! Lança Eglantine faisant mine de se mettre en colère.
‐ Non, je dis juste que c’est plus simple pour calculer ton niveau Six Sigma. Comme tu n’as enregistré aucune mesure dans les spécifications de ton indicateur, tu es à 0 sigma.
‐ Ok, tout est à faire alors ! Se résigna la jeune femme.
‐ Oui, on peut dire ça comme ça…
‐ Donc la phase d’analyse permet dʹidentifier l’objectif, et la phase mesure, de le quantifier ? Essaya de synthétiser Eloïse.
‐ Oui, c’est à peu près ça ma chérie. Mais il y a un autre point qui est important dans la phase de mesure, c’est l’étape qui consiste à s’assurer de la qualité du système de mesures. Par exemple, si tu te pèses le matin et le soir il y a des chances que dans la même journée il
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y ait des disparités entrent les différentes mesures. De la même façon, si tu te pèses dans la même journée chez toi, chez le docteur et à la pharmacie, tu risques d’obtenir trois résultats différents. Pour éviter ces problèmes, la phase de mesure doit valider la qualité du système de mesures. Dans ton projet, nous pourrions imaginer que tu ne te pèses qu’une fois par semaine, le samedi matin, et uniquement sur ta balance personnelle. Ainsi, tu serais sûre que la variabilité de tes résultats ne serait pas la conséquence d’un problème de mesure.
‐ Pas bête ! Lança Grégoire sans s’en rendre compte. Bernard poursuivait :
‐ Ensuite, il y a la phase d’analyse. Dans cette étape, tu vas définir les principales causes de ton problème. Comme tous les jeunes d’aujourd’hui, les causes de ton surpoids, si je puis dire, sont sûrement le manque de sport et les repas déséquilibrés. N’est‐ce pas ma chérie ?
‐ Oui, disons ça comme ça… S’accorda Eglantine.
‐ Alors si nous avons trouvé les causes principales, il faut maintenant remonter aux causes initiales de ces problèmes !
‐ Cʹest‐à‐dire, les causes initiales ?
‐ Et bien, ce qui induit que tu manges déséquilibré et que tu ne fasses pas de sport.
‐ C’est simple, je n’ai pas le temps ! Quand je rentre le soir je suis crevée ! Je n’ai ni envie de préparer de bons petits plats, ni le goût à me faire un petit jogging. Et le midi c’est pareil, comme je n’amène rien à manger de la maison, je mange au restaurant…Forcément, ça n’arrange rien !
‐ Effectivement ma chérie, mais tu sais on a le temps qu’on se donne… Par exemple, j’imagine que tu dois facilement trouver le temps de manger du chocolat entre les repas.
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‐ Oui, mais le chocolat c’est bon pour la santé P’pa ! Répondit Eglantine sur un ton espiègle.
‐ OK. On ne va pas repenser ton mode de vie aujourdʹhui, mais il faut que tu sois consciente que tu n’obtiendras rien si tu ne changes rien. Passons à la phase d’amélioration.
‐ Attends ! Ne bouge pas mon chéri, lança Eloïse. Je vais chercher de quoi prendre des notes.
Tout le monde à table se mit à rire. C’était pour Bernard l’occasion de se servir un petit verre de rosé pour se désaltérer et d’ingurgiter un morceau de terrine de lapin. Sa femme de retour, il reprenait où il en était.
‐ La phase d’amélioration disait‐on… Tu pourrais par exemple t’interdire de manger entre les repas… Mais c’est plus facile à dire qu’à faire… Déjà, tu disposes des outils basiques du Lean. Pour commencer, tu as le management visuel. Je me rappelle d’une émission où on avait montré une pyramide alimentaire. Cela te permet de visualiser rapidement ce que tu peux manger et les aliments sur lesquels tu dois te restreindre. Tu pourrais reprendre cette pyramide et t’aménager un planning sur une semaine complète pour t’assurer que tu ne dépasses pas les quantités prescrites. Un autre outil du Lean s’appelle le Poka‐Yoke. C’est un accessoire qui physiquement, t’empêche de faire des erreurs. Par exemple, c’est utilisé pour toutes les prises que nous utilisons au quotidien. Typiquement, tu ne peux pas te tromper et mettre une prise de téléphone dans une prise électrique… Dans ton projet, un anneau gastrique pourrait constituer un beau Poka‐Yoke, mais je ne pense pas que ton cas soit aussi alarmant que cela…
‐ Oui merci P’pa. J’apprécie ta perspicacité ! Salua Eglantine.
‐ Mais de rien ma chérie. Répondait Bernard ironiquement. Non plus sérieusement, qu’est‐ce que nous pourrions trouver comme solutions créatives…
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Figure 5.7 Exemple de management visuel.
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Bernard se remémorait la méthode ASIT et la formulait à voix basse :
‐ Le monde de la solution est identique au monde du problème. Seul le facteur aggravant devient un facteur neutre ou un facteur bénéfique…
‐ Pourrais‐tu nous faire partager ta réflexion ? Lançait Eloïse intriguée.
‐ Oui, il y a une méthode de créativité qui consiste à imaginer une solution qui inverse les données du problème. Dans notre exemple, cela consisterait à trouver une solution où plus tu mangerais, Eglantine, et plus tu perdrais du poids.
‐ Oui, bien sûr ! Emit Eglantine, toute dubitative.
‐ Ca y est je l’ai ! S’écria Bernard. La solution serait de te faire payer une amende de 5 euros pour chaque morceau de chocolat. Et une fois que tu aurais 15 euros, tu serais obligée de faire une séance de badminton ou de squash, à ta convenance, pour perdre les calories dues à tes écarts de conduite.
‐ Ah, ce n’est pas bête ça ! S’aventura à dire le jeune Grégoire.
‐ Ouhai c’est bon toi ! Tu n’as pas besoin de la ramener. Et puis si j’ai à faire du sport, j’ai bien peur que tu sois également de corvée ! Alors, ne rigole pas trop vite.
‐ Mais oui ma chérie d’amour. En même temps, je pense que tu devrais écouter ton père. Il a de très bonnes idées.
‐ Je ne fais que ça… Vas‐y P’pa, continue je suis tout ouïe.
‐ Oui. Pendant les repas, tu pourrais manger des aliments dont la quantité n’influerait pas sur ton poids. Par exemple des fruits et des légumes qui sont très légers en calorie, mais là, je ne t’apprends rien. Maintenant si je faisais un peu de systémique, je te dirais que quelles que soient les contraintes que tu vas t’imposer pour tenir une forme
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olympienne… Si tu ne changes pas ta philosophie de vie, un jour ou l’autre, tu reviendras à tes habitudes actuelles et tu perdras tous les bénéfices de tes efforts.
‐ Tu es en train de m’expliquer qu’il ne suffit pas d’instaurer ce type de règle pour être tranquille de manière définitive ? Mais alors comment tu fais de ton côté pour être sûr de résoudre les problèmes de manière durable ?
‐ Tu touches là un point fondamental. Pour améliorer de façon irréversible un problème, il faut changer la structure du système et non les comportements.
Eloïse, les yeux grands ouverts, cherchait à comprendre.
‐ Dis‐moi mon chéri, je crois que j’ai décroché au milieu de ta dernière phrase. Est‐ce normal ? Lança‐t‐elle en fronçant les sourcils.
‐ Ok, je vais essayer d’être plus clair : c’est la structure du système qui influe sur les comportements et non le contraire. Donc si on veut changer les comportements de façon durable, il faut modifier la structure du système plutôt que tenter de modifier les comportements des individus qui le constituent.
‐ Oui bien sûr. Et là, tu étais censé être plus clair ?
‐ Ok, je reprends avec un exemple qui je l’espère vous paraîtra plus concret. Est‐ce que vous avez remarqué à quel point la route est sinueuse sur les dix derniers kilomètres qui nous mènent à cette maison ?
‐ Oui ne m’en parle pas ! Les quinze dernières minutes de ce trajet sont plus éprouvantes que les deux heures d’autoroute précédentes, lança Eloïse plus concentrée que jamais. Mais où veux‐tu en venir ?
‐ Et bien, qu’est‐ce qui d’après vous a influencé le tracé de cette route ?
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Une moue dubitative envahissait les visages autour de la table. Greg, relativement absent jusque‐là, tenta une réponse.
‐ J’imagine que ce sont, tout simplement, les chemins d’antan qui ont été goudronnés.
‐ Oui précisément Greg. Mais alors, qu’est‐ce qui a influé sur le tracé de ces chemins d’antan ?
‐ Bon allez, accouche ! S’énerva Eglantine.
‐ Et bien ce sont les vaches pardi ! Rétorqua Bernard.
‐ Tout ça pour ça ! Tu te fiches de nous mon chéri, reprit Eloïse avant de poursuivre sur sa lancée. Mais attends, tu viens de nous dire que c’est la structure qui influence les comportements et pas le contraire. Tu te contredis là ! Car si ce sont les vaches qui ont tracé le chemin, ce sont bien celles‐ci qui ont formé le chemin et ont donc décidé de son tracé...
Bernard se mit à rigoler, avant de repartir dans ses explications :
‐ Ah bon ! Dis donc, quelle considération tu as pour octroyer aux vaches un tel pouvoir de décision ! Non, plus sérieusement, si les vaches ont dessiné et fini par emprunter de manière aussi régulière ce sinueux chemin, c’est que la structure du terrain les a contraintes à agir ainsi. On peut aisément imaginer que pour le premier passage, les vaches se sont simplement évertuées à éviter les quelques pierres sur leur chemin, qu’elles ont contourné les nivellements qui leur auraient demandé trop d’efforts et même les zones trop dures ou très boueuses. Suite à plusieurs passages de la sorte, le chemin devenait davantage confortable et nécessitait de moins en moins d’efforts. C’est ce qu’on appelle « le chemin de la moindre résistance ».
‐ Hum, très intéressant ! Mais tu n’aurais pas un exemple plus proche de notre quotidien ? Questionna Eglantine.
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‐ Bien sûr. Les chemins de la moindre résistance sont partout autour de nous. Par exemple, la spécialiste du marketing que tu es, n’est pas sans savoir que les sols des grandes surfaces sont nivelés de telle façon à ce que les clients aillent tout naturellement au fond du magasin. Et quand les clients connaissent un peu trop bien où se situent les rayons, la structure d’organisation des linéaires est modifiée afin de s’assurer que les clients passent bien partout pour qu’ils soient plus enclins à réaliser des achats d’impulsion. A propos de ça, les têtes de gondole : n’est‐ce pas là un bel exemple de chemin de la moindre résistance ? Et Ikéa, qui t’oblige à traverser tout le magasin…
‐ Tu veux dire que quand on va faire nos courses nous ne sommes pas plus intelligents que des vaches au milieu d’un pré ? S’inquiéta Eloïse.
‐ Ça ne serait pas ma conclusion. Et puis il est toujours possible de prendre conscience de cette structure et de la contourner si besoin.
‐ Oui c’est vrai P’pa ! D’ailleurs chez Ikéa, tu peux prendre des raccourcis.
‐ Bien sûr ma chérie, mais prendre les raccourcis, c’est sortir du chemin de la moindre résistance. Certes tu peux le faire mais tu te confrontes à plusieurs risques : celui de revenir en arrière, celui de te retrouver à contre sens, ou celui de ne jamais arriver au rayon qui t’intéresse… Bref si tu t’y aventures, il y a de bonnes chances pour que la prochaine fois tu reviennes à une situation plus confortable… Celui du chemin de la moindre résistance !
‐ OK. J’ai bien compris. C’est la structure du système qui induit les comportements et non le contraire… Alors qu’est‐ce que cela signifie dans mon cas.
‐ Je te l’ai déjà dit ma chérie. Il faut que tu adoptes un nouvel art de vivre. Tu peux commencer par ce que nous avons trouvé comme idée, mais à terme, il sera nécessaire que le sport et les repas équilibrés
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deviennent aussi naturels que tes excès de chocolat et de restaurant le sont aujourd’hui.
‐ Oui, c’est l’effet yoyo en gros… C’est tout… ! La méthode s’arrête là ? Sonda Eloïse.
‐ Non pas tout à fait. Ensuite il y a la phase de contrôle. Lors de cette dernière étape, tu dois constater dans le temps si les améliorations apportées te permettent d’atteindre les objectifs que tu avais fixés. Par exemple, je te conseillerais de tracer deux axes sur une feuille à carreau. En abscisse, tu listes les numéros des semaines à venir et en ordonnée, tu fais une échelle de poids qui va de 53 à 60 kilos. Après chaque pesée, tu ajoutes un nouveau point à ta courbe. Ainsi, semaine après semaine, tu te rendras compte du fruit de tes efforts.
‐ OK. Pourras‐tu m’envoyer un petit récapitulatif par mail ? Car je ne suis pas sûre de tout retenir. S’inquiéta la fille de Bernard.
‐ Bien sur ma chérie. Je t’enverrai ça dimanche soir à notre retour. Et comme ma chère Eloïse a tout noté, tu seras certaine d’avoir tout en main pour réussir ton régime ! Mais de mon côté, je n’ai pas de problème de surpoids, alors je vous propose de reprendre la parole. A tant parler j’ai attrapé la fringale…
Pendant que Bernard se chargea de son assiette, les trois autres poursuivaient la discussion sur un tout autre sujet, la destination des prochaines vacances.
Le reste du week‐end fut tout aussi paisible. Notre manager profitait, autant que faire se peut, de ces moments de plénitude.
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Lundi 9 mars. C’était armé d’un grand sourire que Bernard faisait face au top management. Dans l’assemblée : Christian HERMES, Marina ZELOS, Luc MORIN et Daniel OURANOS restaient très attentifs tout au long de la présentation de notre chef de projet. Après une demi‐heure de présentation du plan d’action, Bernard concluait ainsi.
‐ Voilà le plan d’action tel qu’il est prévu. Je dois vous avouer que je suis très fier des résultats obtenus lors de ces deux dernières réunions. Tout le monde a joué le jeu. Dʹailleurs, j’en profite pour vous dire que toutes les échéances qui sont mentionnées ici sont des engagements fermes de la part des responsables de service. Tous savent que ce projet est aujourd’hui stratégique. Je ne suis donc pas inquiet sur le respect de ces échéances. Concernant la mise en place du CPFR avec le client «Jardins de plaisir», une grande inconnue subsiste. Nous ne savons pas s’ils seront prêts à s’investir autant que nous dans cette nouvelle forme de collaboration. Avant d’aller à leur rencontre pour leur proposer ce projet, il me semble que nous devrions savoir très précisément les concessions que nous sommes prêts à leur faire…
Marina emboîta le pas sur Bernard.
‐ Oui, tu as tout à fait raison. Il faut que nous sachions très précisément ce que nous pouvons leur proposer. Comme je le disais la semaine dernière, il faut que nous mettions en avant les gains respectifs. Car si de notre côté nous avons tout à y gagner, il faut également leur faire comprendre qu’eux aussi peuvent en tirer des avantages.
‐ A‐t‐on une estimation des gains de ce mode de gestion des commandes ? Interrogea Daniel.
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Figure 5.8 Plan d’action à mettre en œuvre.
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‐ Oui. Avec Bertrand et Eric, nous avons travaillé sur une estimation à minima qui nous amène à penser que nous pourrions gagner 2 points de taux de service et une augmentation de 20% du chiffre d’affaires liée au respect des plans de vente et à la réduction des ruptures en linéaires. Nous avions imaginé d’autres gains, comme les coûts de détention des stocks par exemple, mais nous ne sommes pas sûrs que l’utilisation de cette méthode pour un seul client ait un impact assez important pour constater des gains significatifs sur l’ensemble de notre structure de coûts. Ces deux points de taux de service et l’augmentation de 20% du chiffre d’affaires, sur les 20% des magasins «Jardins de plaisir» qui représentent 80% du chiffre d’affaires réalisé sur cette enseigne, permettraient de générer une marge opérationnelle supplémentaire de 620 000 euros.
‐ A minima ? Mais c’est énorme ! S’étonna Daniel.
‐ Effectivement, ça fait beaucoup ! Enchérissait Marina.
Christian HERMES, qui s’était abstenu jusqu’ici de prendre la parole, présenta le fruit de sa réflexion :
‐ Je ne suis pas étonné des gains que vous me présentez. Il faut absolument que ce projet soit une réussite. Marina tu as raison : il faut accentuer notre argumentation sur les gains qu’ils peuvent attendre de leur côté. Mais il faut garder à l’esprit ce que nous avons sous le pied pour avancer dans les négociations. Par ailleurs Marine, il me paraît essentiel que tu t’impliques personnellement dans ce projet. Si nous arrivons à mettre en place ce type de collaboration avec un client, nous nous assurons un avantage compétitif certain pour les années à venir.
Luc MORIN, le responsable commercial, s’aventura à donner son avis :
‐ Si je puis me permettre Christian… Je suis également convaincu que ce projet peut nous rapporter beaucoup. Cependant, je crains que d’impliquer de manière aussi importante le top management risque
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de faire penser au client que nous sommes prêts à tout, pour qu’ils acceptent. Peut‐être qu’aujourd’hui nous ne voyons que les points positifs, mais à l’avenir, quelle sera notre poids lors des négociations ? Je pense que si je mène le projet avec mon équipe, ce risque sera moindre. A côté de ça, rien ne nous empêche de dire au client que le projet est suivi de près par notre Direction. Qu’est‐ce que vous en pensez ?
‐ Je pense que vous faites du très bon travail, mais là n’est pas la question. Ce projet ne se résume plus à regagner la confiance d’un de nos clients, en l’occurrence «Jardins de plaisir». Il s’agit maintenant de rebondir sur une difficulté et de la transformer en opportunité. Peu importe le client, ce projet doit être une réussite, car il sera le modèle d’une nouvelle façon de travailler avec l’ensemble de nos distributeurs. Ce projet devient stratégique, car il va dessiner l’avenir de notre entité en France et peut‐être même en Europe. Alors, bien sûr, vous serez impliqués, vous et vos équipes, dans le projet. Mais il est fondamental que Marina participe à chacune des revues de projet. D’ailleurs, je compte sur vous pour faire en sorte que le top management de «Jardins de plaisir» soit également présent lors de ces réunions.
‐ Oui, tu as raison Christian, reprit Marina. Nous agirons ainsi.
Bernard buvait du petit lait. Il savait que l’implication du top management dans le suivi de la mise en œuvre du CPFR était nécessaire à sa réussite.
‐ Très bien. Conclut Christian. Merci Bernard pour ce beau travail. Je vois que les choses avancent bien. Je vous propose de fixer une nouvelle réunion dans un mois pour voir où nous en sommes dans la mise en œuvre de ce plan d’action.
Après avoir finalisé la rédaction de son compte rendu de réunion, Bernard improvisa un entretien avec M. LARINTE, le responsable du magasin «Jardins de plaisir» de Bron. Arrivé au point de vente, notre manager chercha du regard son interlocuteur aux alentours de la
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borne d’accueil. N’y voyant personne, il se faufila dans les linéaires jusqu’au rayon des outils de jardin. Si le spectacle était moins élogieux que lors de sa dernière visite, certaines références de Martin’s Garden semblaient manquer à l’appel.
‐ Ah, tiens ! Notre cher ami de Martin’s Garden. Lança M. LARINTE surgissant de nulle part.
‐ Bonjour, M. LARINTE, comment allez‐vous ?
‐ Et bien pas trop mal, dirons‐nous…
‐ D’après ce que je vois, il vous manque moins de référence dans le rayon…
‐ Oui, vous avez raison, ces derniers temps nous avons constaté moins de problèmes de livraison. Et je vous dirai même que les références qui manquent sont de notre fait. Nous avons fait une bonne journée samedi dernier si bien qu’on sait fait surprendre par les clients. Résultat : on se retrouve en rupture. Dʹailleurs, ça me fait penser qu’il faut que je vous passe la commande rapidement si je ne veux pas perdre trop de chiffre d’affaires.
‐ Comme quoi vous voyez, tout le monde peut rencontrer des petits soucis de temps en temps. Ironisa Bernard.
‐ Oui, mais pour vous, ça n’est pas la même chose, vous êtes le fournisseur ! S’amusa à répondre le responsable du magasin.
‐ Vous avez raison, M. LARINTE, nous devons être irréprochables ! Dʹailleurs, je suis venu vous rendre une petite visite pour vous dire que nous avançons à grands pas pour éradiquer nos problèmes de qualité. Nous avons réfléchi à une solution, mais je vais avoir besoin de votre aide pour la mettre en œuvre.
‐ Allez‐y, je vous écoute.
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‐ Voilà, nous souhaiterions mettre en place un nouveau mode de gestion des commandes. L’idée, c’est que nous définirions ensemble les critères de réapprovisionnement (stock de déclenchement de commande, quantités commandées…etc.) en début de saison. Ensuite c’est nous qui prendrions à notre charge la gestion des commandes en fonction des niveaux de stock et des sorties caisses que vous pourriez nous transférer par EDI.
‐ C’est une plaisanterie ou quoi ? Et pourquoi ne pas vous envoyer notre chiffre d’affaires pendant que nous y sommes ? Répondait M. LARINTE sur un ton plus ferme.
‐ Je comprends vos craintes M. LARINTE, mais entre nous, quelle valeur ajoutée générez‐vous avec ce type de travail purement administratif ? En plus, comme nous en parlions à l’instant, il peut arriver que vous soyez débordé et que vous n’ayez pas le temps de vous en occuper. Et vous savez comme moi que les ruptures sont source de perte de chiffre d’affaires et de parts de marché. Car sur ce type de matériel, les clients préfèrent aller acheter ailleurs plutôt qu’attendre et revenir chercher le produit dans le même magasin.
‐ Oui c’est ça… ! Vous feriez mieux de vous soucier de vos ruptures plutôt que des miennes ! Esquiva le responsable du point de vente.
‐ Oui M. LARINTE, c’est précisément ce dont je m’occupe ! Avec ce nouveau mode de gestion, je vous garantis que vous n’aurez plus aucun des problèmes que vous m’avez mentionnés. Plus de ruptures, plus de retards de livraison, plus de campagnes promotionnelles qui démarrent sans les produits en rayon, plus de livraisons qui ne vous sont pas destinées, plus de litiges et donc plus temps passé au téléphone à contacter notre service client. Imaginez tout le temps dont vous pourrez tirer profit pour faire ce qui compte le plus pour vous : apporter des conseils aux consommateurs et ainsi augmenter les ventes de votre magasin.
‐ Etes‐vous vraiment sûr de pouvoir faire disparaître tous ces problèmes comme ça ? Cherchait à se rassurer M. LARINTE.
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‐ S’ils ne disparaissent pas complètement, je vous assure qu’en tout cas Martin’s Garden deviendra le fournisseur avec qui vous dépenserez le moins de temps sur la gestion administrative !
‐ Bien, mais dites‐moi, ça coûte de l’argent tout ça…
‐ Oui, mais ça en coûte moins que ça n’en rapporte. Tous les problèmes techniques seront abordés lors des réunions de travail à venir. Car bien évidemment, ce type de gestion de commandes ne se met pas en place du jour au lendemain. Je venais simplement vous voir pour vous tenir au courant de l’avancée du projet. J’aurais également souhaité savoir si vous seriez d’accord pour être un des premiers sites pilotes où nous implanterions ce type de gestion. Pour moi, vous seriez le magasin idéal, car nous sommes proches géographiquement et donc nous pouvons être plus réactifs en cas de problème. De votre côté, vous avez tout à y gagner. Vous aurez moins de ruptures que vos concurrents. Et vis‐à‐vis de votre propre enseigne, je pense que cela peut apporter une visibilité supérieure à votre magasin.
‐ Oui pourquoi pas, marmonna le directeur de magasin.
‐ Donc, je peux considérer que vous seriez d’accord pour être le magasin pilote, si ce type de collaboration est validée auprès de votre société et du siège à Paris ?
‐ Oui, je suis d’accord. J’imagine que je vais essuyer les plâtres. Mais après tout, je ne peux pas à la fois vous reprocher de ne pas être efficace et refuser de jouer le jeu quand vous me proposez une solution qui répond à l’ensemble de mes problèmes…
‐ J’apprécie votre raisonnement, M. LARINTE. Je vais contacter M. PICOLLA et M. MANIAR pour voir si l’idée leur convient et je vous tiendrai au courant de la suite. Quoi qu’il en soit, sachez que notre engagement dans ce projet est total. Nous ferons donc tout ce qu’il est possible pour mettre en œuvre cette solution au plus vite.
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‐ Je suis ravi de vous l’entendre dire mon cher monsieur.
‐ Très bien. Je vais vous laisser travailler. Merci beaucoup pour votre aide, conclut Bernard en lançant une poignée de main à son interlocuteur.
En rentrant à Martin’s Garden, Bernard annonça la bonne nouvelle à Sylvain SIOUX, le responsable du compte «Jardins de plaisir» et l’invita à le rejoindre dans son bureau pour contacter M. MANIAR, le chef de produit de l’enseigne.
‐ M. MANIAR, société «Jardins de plaisir», Bonjour.
‐ Bonjour M. MANIAR, c’est M. SIOUX de Martin’s Garden. Je suis avec Bernard TALIN que vous aviez reçu il y a quelques semaines…
‐ Bonjour M. MANIAR. S’annonça Bernard.
‐ Bonjour Messieurs. Dites‐moi : que puis‐je pour vous ?
‐ Et bien nous vous rappelons, car comme vous le savez, nous travaillons de manière intensive pour résoudre nos problèmes de qualité. Suite à l’analyse que Bernard a réalisée avec votre aide et celle de votre réseau, nous sommes aujourd’hui à même de vous proposer une solution.
‐ Très bien, mais je ne vois pas de quelle manière je pourrais vous aider. Si vous avez des solutions de votre côté, et bien, mettez‐les en place puis nous jugerons des améliorations.
Bernard récupéra le combiné.
‐ Nous aurions besoin de votre aide, car la solution à laquelle nous pensons remet en cause toute la gestion des commandes…
‐ Cʹest‐à‐dire ? S’inquiéta l’acheteur.
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‐ Nous envisageons de mettre en place un système où nous passerions les commandes à la place de vos magasins. Ce système nous permettrait de réduire les ruptures de stock et d’être plus efficaces sur les campagnes promotionnelles.
‐ Oui, ça me dit quelque chose. Mais techniquement comment ça se passe ?
‐ Il suffit que nous nous mettions d’accord sur les modalités d’approvisionnement. Ensuite sur la base des remontées EDI des sorties caisses et des niveaux de stock en magasin, nous déclencherions de manière automatique les commandes. Explicitait Bernard.
‐ Dʹaccord, mais je ne suis pas sûr que nos adhérents soient très enthousiastes à l’idée de vous transmettre des informations aussi stratégiques que leurs niveaux de stock et les sorties caisses. Déjà que pour nous, ça n’a pas été simple alors pour les fournisseurs…
‐ Nous aurons l’occasion d’en rediscuter, mais ils auraient tout à y gagner ! Nous avons déjà convaincu le directeur du magasin de Bron d’être le premier site pilote.
‐ Effectivement si vous avez réussi à convaincre un magasin de faire des tests c’est déjà une bonne chose ! Mais je pense qu’il y aura aussi pas mal de réticence au niveau des sociétés qui pilotent les magasins… Concluait M. MANIAR.
‐ Oui, c’est pour cela que nous souhaiterions vous faire une présentation du projet avec les différents responsables de ce magasin, vous‐même au siège et votre direction. Cette réunion nous permettrait de vous démontrer tous les avantages de cette solution. Reprenait le jeune Sylvain.
‐ Je veux bien, mais ça me paraît un peu difficile. Si nous poursuivons le référencement chez vous, cette réunion sera la bienvenue, mais d’ici là j’ai peur que ce ne soit pas très opportun.
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‐ Nous comprenons votre appréhension, M. MANIAR. Mais je vous assure que ce projet peut vous apporter beaucoup. Nous avons évalué à 20% l’augmentation du chiffre d’affaires sur notre référencement dans vos magasins. Argumenta Bernard.
‐ 20% mais vous n’êtes pas sérieux ! S’interloqua le chef de produit de «Jardins de plaisir».
‐ Oui, 20% au minimum ! Cette estimation repose sur deux leviers. D’une part, l’augmentation du chiffre d’affaires par la suppression du manque à gagner des ruptures de stock en linéaires, qu’ils soient de votre fait ou d’un problème de livraison. Et d’autre part, l’implantation obligatoire de l’ensemble de la gamme dans les magasins participants. Car comme vous le savez, ça n’est pas parce que vous faites des plans de vente à l’échelon national que ceux‐ci sont suivis en magasins…
‐ Oh oui, je le sais ! Bon écoutez, ce que vous me dites là m’interpelle. Si nous pouvons gagner au minimum 20% de chiffre d’affaires avec votre solution, je pense que cela vaut le coup d’essayer. Je vais faire le nécessaire de mon côté pour organiser une réunion avec ma direction, le responsable informatique et notre adhérent qui détient le magasin de Bron. Ensuite, ce sera à vous de nous convaincre de lancer le projet.
‐ OK. Ça me va ! Conclut Bernard plus enthousiaste que jamais.
‐ Merci M. MANIAR, ajouta le jeune Sylvain.
‐ Très bien. Je vous envoie un mail d’ici la fin de la journée pour vous proposer une date.
‐ Parfait ! Merci beaucoup. Bonne fin de journée ! Lança Bernard avant de raccrocher.
‐ Au revoir, conclurent de concert Sylvain et M. MANIAR.
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Le plus dur était fait. Bernard avait obtenu une réunion pour présenter les gains du CPFR face aux principaux protagonistes de «Jardins de plaisir». De plus, il disposait d’un magasin pilote pour lancer le projet dès que celui‐ci serait validé. Tous les ingrédients étaient réunis pour qu’une nouvelle collaboration prenne place entre Martin’s Garden et l’un de ses principaux clients.
Tout le reste de la semaine serait consacré à la préparation de la réorganisation du centre d’appels.
Bernard travaillait en étroite collaboration avec Roger et ses équipes pour faciliter la transition vers la nouvelle méthode de travail. Plusieurs outils furent ainsi mis en place.
Le niveau d’expertise des conseillers, sur l’ensemble du processus, serait suivi visuellement par le manager.
Chaque personne bénéficierait d’un tableau de bord personnalisé. Celui‐ci lui permettrait de visualiser les principaux indicateurs qui le concernent : le nombre de commandes saisies, le taux de commandes saisies (par rapport à l’ensemble des commandes reçues), le nombre d’appels reçus, le temps d’attente moyen par appel, le taux d’appels perdus, et le taux de litiges qui font suite à une erreur de saisie.
Un tableau de bord pour suivre l’évolution du taux de commandes Reines serait également mis en place et reporté de manière hebdomadaire à la Direction. Plus largement, cet indicateur serait décomposé dans chaque service en fonction du niveau d’implication de celui‐ci.
Pour éradiquer totalement les erreurs sur le client destinataire de la commande, un tableau spécifique serait rempli au jour le jour manuellement par les équipes.
Plus anecdotique, mais pas moins efficace, un trait serait tiré sur les dossiers des clients afin d’en accélérer la consultation et le rangement selon les besoins.
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Figure 5.9 Management visuel – Marquage des dossiers clients.
Figure 5.10 Management visuel – Suivi des erreurs de commande
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Figure 5.11 Tableau visuel de suivi du niveau de maîtrise du centre d’appels.
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Les semaines suivantes seraient consacrées au contrôle de la réalisation du plan d’action et à l’accompagnement des différents projets lancés.
Le service marketing était mobilisé autour du projet Lean Six Sigma destiné à fiabiliser la gestion des tarifs.
En parallèle, le projet de mise en place du CPFR impliquait l’investissement de tous les services : le juridique et le commercial pour l’élaboration de l’accord de collaboration, le commercial et le marketing pour le plan commercial défini pour chaque typologie de magasin, le demande planning et le commercial pour la partie prévision de vente, le service client et la logistique pour la gestion des approvisionnements et enfin l’informatique et la finance impliqués de manière transversale sur l’ensemble du projet.
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Chapitre 6
RETOUR A LA BASE
La formalisation des améliorations apportées au processus est un élément très important pour assurer la pérennité des gains obtenus. Les équipes qui conduisent le projet Lean Six Sigma seront amenées à disparaître, un jour ou l’autre, de la vie du processus optimisé. Il est donc fondamental de préserver les connaissances acquises lors du projet sur les solutions apportées, mais également sur la conduite du projet. Poser par écrit les bonnes surprises et les contraintes qui ont constitué la vie du projet, est
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un bon moyen de comprendre le contexte de la mis en œuvre des améliorations. Enfin, c’est un bon moyen de faire le deuil du projet et de se donner le courage de repartir sur une autre mission.
Récemment, le gouvernement américain entreprenait de se lancer dans un nouveau programme spatial pour remettre le pied sur la Lune et ainsi tester les technologies pour une prochaine mission, encore plus ambitieuse : se poser sur Mars. Avec le franc succès de la mission APPOLO 11, l’idée de retourner sur la Lune ne paraît pas très compliquée à mettre en œuvre. Détrompez‐vous ! Tout doit être pensé, conçu, et testé à nouveau depuis le début. Savez‐vous pourquoi ? Car toutes les personnes qui ont contribué au premier pas sur la Lune ne font plus partie de la Nasa. Toutes les technologies sont devenues obsolètes, car les budgets ont été alloués par la suite à des programmes de toute autre nature. Enfin, la plupart des documents de l’époque sont inexploitables pour les équipes d’aujourd’hui. Bref, tout est à refaire.
Votre projet est plus riche que vous ne le pensez. Formaliser les améliorations apportées aux processus et les éléments importants du contexte dans lequel elles ont été mises en œuvre sera d’une grande utilité pour vos collaborateurs à venir. L’entreprise est une organisation apprenante. Pour avancer, elle a besoin de conserver un socle de connaissances et d’entretenir des « légendes ». La formalisation des processus et de la vie du projet rentre dans cette logique.
Extrait du livre ʺLes 7 voyages de lʹinnovateurʺ de Salomé NYX.
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Trois mois plus tard. A la terrasse d’un café de la place des Terreaux à Lyon, deux qualiticiens profitaient de la douceur des derniers rayons de soleil du printemps.
‐ Voilà Salomé, tout ce que nous avons mis en place à ce jour…
‐ Et bien, vous vous être vraiment très bien débrouillé. Mais dites‐moi au final : les objectifs sont‐ils atteints ?
‐ Et bien cela dépend… L’objectif initial du projet était d’être présent à la table des négociations lors de la commission de référencement de «Jardins de plaisir». Il se trouve que la commission de référencement est reportée à la fin du mois. Après les premiers résultats très encourageants du premier magasin qui travaille en CPFR, ils réfléchissent à l’élargissement de nos gammes. Donc assurément, nous serons à la table des négociations et à n’en pas douter, le référencement sera non seulement renouvelé, mais élargi de manière très significative. Maintenant, si je regarde mon indicateur de commandes reines, l’objectif est atteint sur le magasin pilote, mais sur l’ensemble des magasins de «Jardins de plaisir», nous sommes encore loin du compte !
‐ Oui, mais c’est normal puisque vous n’avez pas implémenté votre solution…
‐ Oui, oui, bien sûr, mais j’aurais espéré que les choses avancent plus vite et qu’il y ait assez de magasins installés pour que mon indicateur soit en phase avec l’objectif défini au démarrage !
‐ Ah mais, mon cher Bernard, vous ne connaissez pas l’adage qui dit « Les premiers 90% du projet prennent 90% du temps qui lui est consacré et les 10% restants prennent 90% de plus » ?
‐ Ah non, je ne connaissais pas cette citation. Mais, croyez‐moi : je la retiendrai !
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Figure 6.1 Management visuel – Suivi des erreurs de commande
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‐ Ah vous entendre parler, il semblerait que tout ce soit déroulé parfaitement. Je ne vous ai pas beaucoup entendu sur les oppositions et les problèmes que vous avez rencontrés.
‐ Pour les oppositions, je vous ai tout de même fait part de quelques altercations… Mais je dois avouer que globalement je n’ai pas rencontré beaucoup de difficultés lors de la phase d’amélioration, que ce soit sur le plan humain ou sur le plan technique. Sur ce point, je pense que la matrice AMDEC nous a permis d’aller au‐devant des risques potentiels. En travaillant sur cet outil et en le suivant par la suite, je me suis aperçu que le plus important n’est pas d’éliminer tous les risques inhérents au projet, mais plutôt de les prévoir pour mieux les appréhender lorsqu’ils se présentent.
‐ Vous avez tout à fait raison Bernard, l’essentiel est dans la prévision des risques. Parfois, le simple fait de percevoir un risque, en amont, suffit à l’éviter… Ecoutez, tout cela me paraît vraiment bien ! En plus, je vois que vous avez très bien documenté votre projet, c’est une très bonne chose !
Figure 6.2 Critères d’affectation des notes de la Matrice AMDEC du projet
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Figure 6.3 Matrice AMDEC du projet
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Figure 6.4 Plan de contrôle
‐ Oui. C’est vrai qu’à partir du lancement des actions d’amélioration, j’ai eu beaucoup plus de temps libre. Cela m’a permis de bien formaliser tous les nouveaux processus et la démarche suivie.
‐ Bien…. Vous allez faire des adeptes du Lean Six Sigma dans l’ensemble de votre entreprise alors ?
‐ Vous ne croyez pas si bien dire... Je viens d’être promu Responsable de l’excellence opérationnelle.
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‐ Mais dites‐moi, c’est une super nouvelle ! Mais je ne savais pas que votre entreprise était à ce point avancée dans l’optimisation des processus…
‐ Et bien moi non plus, figurez‐vous ! Concernant le Lean Six Sigma, j’avoue qu’au début je parlais de la méthode sans la nommer, de crainte d’effrayer tout le monde. Par la suite, j’ai appris que le LSS était déjà utilisé dans nos entités aux Etats‐Unis. Et la cerise sur le gâteau, c’est que lors de la dernière visite du top management de la société mère, j’ai présenté le projet pour leur démontrer les potentiels de croissance du CPFR. Vous n’allez pas me croire ! Mais dès l’affichage de la première slide de sommaire, le grand patron m’a coupé la parole pour me demander si c’était un projet Lean Six Sigma. Un peu surpris de sa question au début, j’étais obligé de lui répondre de manière affirmative. Et voilà, un petit entretien de concertation avec le responsable de la zone EMEA et c’était fait : j’étais promu Responsable de l’excellence opérationnelle !
‐ Super ! Vraiment, vous m’épatez Bernard ! S’enthousiasmait délicieusement Salomé.
‐ Oh, vous savez, si vous ne m’aviez pas aidé comme vous l’avez fait, je ne suis pas sûr que j’aurais aussi bien réussi !
‐ Je ne vous ai pas apporté tant de soutien que cela ! Je vous ai surtout aidé à vous poser les bonnes questions…
‐ Oui, effectivement, à chaque fois que je vous posais une question, vous me répondiez par une autre question. C’est vrai qu’au début c’est un peu frustrant, mais j’avoue que c’est d’autant plus gratifiant quand on trouve par nous‐mêmes la solution.
‐ N’est‐ce pas…
‐ Dʹailleurs, ça me fait penser qu’il y a une énigme que je n’ai pas réussi à élucider.
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‐ Ah bon, laquelle dites‐moi ? Lança Salomé avec malice.
‐ Attendez, je vais retrouver le mail que vous m’aviez envoyé, répondit Bernard en farfouillant dans son dossier. Ah ! Le voici… Je vous lis, de manière à éviter les erreurs d’interprétation : « Seul, le but du système en place vous permettra de prendre conscience de la défaillance structurelle de votre processus. Sans ça, vous pourrez bien évidement améliorer vos indicateurs, mais les bénéfices seront de courte durée et les problèmes resurgiront tôt où tard… ». Je n’ai jamais compris ce conseil. J’ai cherché le but de mon système, mais je ne l’ai jamais trouvé. Dois‐je en déduire que les améliorations que nous avons apportées ne seront pas pérennes ?
‐ N’ayez crainte ! Le plan d’action que vous lancez sera efficace et soutenu dans le temps. Maintenant, revenons à votre compréhension de ce que je mentionnais… Avant le CPFR, quelle était la finalité du système que constitue votre entreprise ?
‐ J’y ai bien réfléchi et il ne diffère pas de celui d’aujourd’hui. Il s’agit de mettre à la disposition du client final, le bon produit au bon moment.
‐ Allons Bernard, ne confondez pas but fixé par l’entreprise et la finalité effective de celle‐ci. Si le gouvernement vous dit que sa priorité c’est le développement durable et que le budget alloué à cette intention est rétrogradé aux derniers rangs, vous êtes bien conscient que la finalité exprimée n’est pas la finalité effective. Ce que vous venez de me dire correspond davantage à la finalité du système CPFR que vous mettez en place avec votre client «Jardins de plaisir». Mais le système qui régit la gestion des autres clients est tout différent ! Par exemple, quel aurait été l’intérêt du magasin de vous refuser la marchandise si le but était que celle‐ci aille aux consommateurs ?
‐ Heu… Bah… C’est ce que je n’ai jamais compris, concéda Bernard, plus perdu que jamais.
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‐ Allez, aujourd’hui je vais faire une exception et vous donnez la solution. Avant le CPFR, le système qui régissait votre organisation commerciale se délimitait aux frontières de votre structure juridique. Et contrairement à ce que vous pensez, la finalité du système n’était pas la satisfaction du consommateur, mais plutôt la vente de vos produits aux distributeurs. A côté de ça, vous aviez le distributeur qui constituait un autre système avec une finalité propre. Comme vous le savez, l’objectif du distributeur est de vendre le maximum de produits. Mais le distributeur n’a pas vocation à stocker, donc s’il reste des produits en fin de saison ou que ceux‐ci ne rencontrent pas la demande, le distributeur se chargera, comme il peut, d’écouler cette marchandise. Cela peut passer par des offres de déstockage, mais cela peut également se transformer en retours « sauvages » comme vous en avez fait les frais. Donc, il paraît évident que le système du distributeur et celui de l’industriel ont des finalités différentes qui peuvent parfois s’opposer. Avec le CPFR, vous avez redessiné les frontières du système. Il ne s’agit plus de deux systèmes qui interagissent, mais plutôt d’un système dont l’unique finalité consiste à proposer au client final le bon produit au bon moment. Alors, vous voyez que vous avez bien redéfini la structure de votre système plutôt que d’essayer de modifier des comportements ! C’est très important et vous l’avez fait avec brio. Vous avez mis en place une nouvelle vision. Et de la façon dont les choses semblent avancer, cette vision va devenir une réalité sur la majorité de votre portefeuille client.
‐ Oui j’ai bien compris qu’il était important d’influer sur la structure plutôt que sur les comportements, mais j’avoue que j’ai du mal à comprendre les fondements de cette idée.
‐ C’est simple ! Ça n’est pas en changeant les éléments qui constituent le système que vous pouvez modifier celui‐ci en profondeur. Prenons un exemple ! Chaque année, de nouveaux étudiants viennent remplir les amphithéâtres des universités alors que d’autres partent vers de nouveaux horizons. A une moindre fréquence, les professeurs et le personnel administratif sont remplacés de la même façon. Vous conviendrez volontiers que le fait que les éléments du système soient remplacés n’y change pas grand‐chose, les universités restent ce
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qu’elles sont. Il y a donc peu de changement. Maintenant si vous touchez à la nature des interactions comme vous l’avez fait avec la mise en place du CPFR, le changement est beaucoup plus important. Prenez le football par exemple, le jeu et les connexions entre les joueurs se font avec les pieds… Maintenant, si je vous dis que l’utilisation des pieds doit être remplacée par des passes à la main, tout en conservant le même but, cʹest‐à‐dire mettre le ballon dans les cages adverses, admettez que ça n’est plus le même sport !
‐ Effectivement, ça n’est plus du football, c’est du handball. Concéda Bernard.
‐ Tout à fait, le système est profondément modifié. De la même façon, lorsque vous changez la finalité d’un système ceci influencera fortement son mode de fonctionnement. Prenons par exemple une équipe de football, pensez‐vous que le jeu sera le même si celle‐ci joue pour l’argent, pour le sport ou pour le loisir ? Evidemment non ! Donc vous voyez, en modifiant la finalité du système vous impactez de manière extraordinaire les comportements en son sein.
‐ D’après ce que je comprends, le CPFR est une bonne solution alors… Mais vous pensez vraiment qu’il va être aussi aisé que ça, d’implémenter les autres clients ? Vous savez, je pense que mon implication dans ce projet et l’intégration de l’expression du client y ont été pour beaucoup dans cette réussite ! Sans parler de la Direction qui a pris le projet à bras le corps. Mais entre nous, je ne suis pas sûr que cette réussite soit si facilement renouvelable.
‐ Détrompez‐vous mon cher Bernard ! Certes, votre implication dans ce projet y est pour beaucoup dans sa réussite. Mais aujourd’hui, la vision est mise en place. Le top management de votre entreprise est convaincu que l’avenir de votre organisation commerciale passera nécessairement par le CPFR. Votre premier client, qui travaille sur ce principe de collaboration, paraît également convaincu. Dorénavant, qu’est‐ce qui peut empêcher l’expansion de ce mode de collaboration ? Sans le savoir, vous avez tracé un nouveau chemin. Le
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premier magasin implémenté constitue le sillon du prochain chemin de la moindre résistance.
‐ Ah, j’adore ce concept ! Reprit Bernard. Cela signifie que la réussite de ce magasin va obliger les autres à rentrer dans le même moule. Vous considérez donc que les gains obtenus vont obliger les autres magasins de l’enseigne à adhérer afin d’obtenir les mêmes progressions ! Et bien évidemment, si toute l’enseigne enregistre une forte croissance sur notre rayon, il y a des chances pour que les autres clients nous demandent de travailler selon le même schéma…
‐ Exactement ! Vous avez tout compris. Mais bien sûr, la dynamique de ce cercle vertueux reste fragile tant que la vision n’est pas partagée par tous.
‐ Comment ça ? Cela fait dix minutes que vous me démontrez que la solution apportée est pérenne. Maintenant vous me dites le contraire !
‐ Pas tout à fait le contraire, Bernard. Le point sur lequel je souhaite porter votre attention est le suivant : vous êtes en train de mettre en place un nouveau paradigme, avec de nouvelles règles. Cette nouvelle vision des choses bénéficie aujourd’hui de l’enthousiasme de toute votre organisation, mais imaginez que demain, le top management de votre entreprise change et que la nouvelle direction s’en remette aux bonnes vieilles habitudes ? Que se passerait‐il à ce moment‐là ? Le projet se poursuivrait pendant un temps jusqu’à ce que les protagonistes se lassent de travailler sur quelque chose qui n’est pas valorisant.
‐ Oui effectivement, je comprends mieux maintenant. Mais je pense que le chemin que prend notre organisation va plutôt dans le bon sens.
‐ S’ils vous ont promu Responsable de l’excellence opérationnelle, nous sommes effectivement en droit de croire que les choses évoluent de la meilleure des façons !
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‐ Oui c’est vrai. D’ailleurs, je souhaitais vous interroger par rapport à cette nouvelle fonction… En tant que Responsable de l’excellence opérationnelle je vais être amené à optimiser toute l’entreprise. C’est un grand chantier qui s’annonce et j’aurais voulu vous entendre sur la meilleure façon de procéder… Pour commencer, dans votre livre vous parlez d’amélioration continue qui semble être une amélioration presque imperceptible, mais conduite dans le temps de manière régulière. J’ai le sentiment que ce type d’amélioration est en opposition avec le changement radical du système sur lequel vous m’avez orienté sur ce premier projet… Qu’est‐ce que je dois en conclure ? D’après vous, quelle méthode dois‐je privilégier ?
‐ Vous soulevez ici une question importante, Bernard. Et puisque vous commencez à appréhender la pensée systémique : laissez‐moi poursuivre sous cet angle pédagogique… Ce que certains, peu scrupuleux vis‐à‐vis des questions de sémantique, considèrent être une autre philosophie de management n’est autre qu’une forme particulière d’homéostasie*.
‐ D’homéo quoi ? S’interloqua Bernard.
Salomé esquissa un sourire pour contenir la clownerie de son interlocuteur avant de reprendre :
‐ Ah, Bernard, votre capacité à vous émouvoir de quelques mots me fera toujours rire… Reprenons. L’homéostasie, c’est la capacité d’un système à maintenir son équilibre malgré les perturbations qu’il subit de son environnement.
‐ Excusez‐moi, mais je crois que j’ai décroché là. Je ne vois pas le lien entre votre homéostasie et le choix à faire entre l’amélioration continue et le changement radical des processus ?
‐ J’y viens Bernard. Ne soyez pas impatient ! L’amélioration continue est un système qui se maintient par le changement perpétuel. Quand vous faites du vélo, c’est le mouvement permanent qui permet de maintenir l’équilibre. Si vous arrêtez de pédaler ou d’avancer, le vélo
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perdra son équilibre. C’est ce qu’on appelle l’homéostasie cinétique. Cela signifie que le système arrive à se maintenir grâce au mouvement. Sans celui‐ci, le système ne fonctionne plus. Les entreprises qui mettent en œuvre l’amélioration continue fonctionnent de la même façon. Le système en lui‐même induit une amélioration constante... Mais vous comprenez bien que la mise en place de ce type de fonctionnement n’est pas aisée. Si les Japonais ont réussi à installer cette culture d’entreprise depuis des décennies, de notre côté il faut rester humble et envisager les choses différemment.
‐ Cʹest‐à‐dire par le changement radical… Poursuivit Bernard.
‐ Tout à fait. Pour employer des termes qui vous seront plus familiers, c’est la même idée qui oppose l’innovation incrémentale* et l’innovation de rupture*. Dans le premier cas, vous apportez de petites modifications, mais vous êtes obligés de vous renouveler sans cesse alors que dans l’autre cas, vous changez profondément les règles en place.
‐ OK, donc si je résume, vous me préconisez de lancer des projets d’améliorations radicales… Mais vous ne pensez pas que les risques sont plus importants avec ce type d’approche ?
‐ Vous avez raison Bernard, les risques d’échouer seront plus importants, car les oppositions seront plus virulentes. Mais c’est le prix à payer pour s’assurer que les améliorations ne soient pas abandonnées au fil du temps. Pour autant Bernard, vous devrez rester vigilant sur le nombre de projets que vous lancerez en même temps. Il vous sera plus bénéfique de démarrer les projets, un à un, et de vous assurer que les améliorations sont bien intégrées, plutôt que de lancer des projets tous azimuts, pour finalement vous rendre compte que c’est le foutoir, pardonnez‐moi l’expression, et que les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des espérances de votre direction.
‐ OK. Donc il faut y aller petit à petit, mais apporter d’importants changements, conclut Bernard.
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‐ Oui et côté de ça, rien ne vous empêche de monter un groupe de travail d’amélioration continue. Vous prenez quelques personnes de chaque métier, de préférence des gens motivés, et vous organisez des réunions régulièrement pour améliorer les problématiques de leur service. Par exemple, vous pourriez instituer une réunion bimensuelle ou chacun devrait venir avec une idée de suppression de quelque chose qui n’apporte pas de valeur ajoutée. Les entreprises regorgent de contrôles inutiles, de surprocessus, de stocks tampons inappropriés…
‐ Effectivement, ce n’est pas bête. Je vais réfléchir à tout ça, mais il me semble que je dispose d’ores et déjà de bonnes pistes de réflexion pour le démarrage de mon nouveau poste ! Concernant la terminologie, pensez‐vous que je doive utiliser le terme Lean Six Sigma pour le déployer ? Je dois vous avouer qu’au début j’ai eu beaucoup de mal à comprendre ce que cela induisait… Ne pensez‐vous pas que cela puisse freiner sa mise en place ?
‐ Sans aucun doute. Si vous avez peur de vous atteler à cette évangélisation, rien ne vous empêche de trouver un autre terme pour baptiser la dynamique que vous allez insuffler chez Martin’s Garden. Il est important que vos collègues identifient ce que vous faites et le programme dans lequel ils seront impliqués. Et puis vous savez, le terme « Lean Six Sigma » permet de cristalliser une certaine méthodologie avec de nombreux outils. Ce terme permet aux experts de partager entre eux et de faire évoluer les outils, mais force est de constater que sur le plan pratique, le nom de la méthode dessert plus souvent sa cause qu’il la fait avancer. Vos nouvelles responsabilités vont vous amener à adapter la méthode à votre entreprise, à sa culture, à ses employés… Bref, charge à vous de façonner le LSS pour atteindre les objectifs que vous allez vous fixer.
‐ Oui, vous avez raison. J’ai déjà cerné quelques outils qui me paraissent plus appropriés que d’autres. C’est entendu ! Je ferai ma petite salade…Bien, il me semble à présent que nous avons tout dit…
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Pour s’en assurer, Mlle NYX parcourut rapidement le document que Bernard lui avait remis.
‐ Je ne vois pas l’évaluation des gains financiers. Vous n’avez pas travaillé sur cette partie ?
‐ J’avais commencé à travailler sur la question avec le contrôleur de gestion, mais très rapidement nous nous sommes aperçus qu’il était difficile de projeter des gains avec le peu de recul que nous avions sur le premier magasin implanté. Cette partie est donc remise à plus tard. Mais ne vous inquiétez pas, je ne l’ai pas perdu de vue. Si vous le souhaitez, je vous le transmettrai dès que ce sera fait.
‐ Parfait. Ça me va, répondit la jeune érudite. Effectivement, je pense que nous avons tout balayé…
‐ Avant de partir, est‐ce que je peux vous poser une question qui me taraude depuis un moment ?
‐ Bien sûr, allez‐y Bernard.
‐ Qu’est‐ce que vous gagnez à accompagner des projets comme le mien si vous ne vous faites pas rémunérer ?
‐ Ah… Voici la fameuse question ! Lançait Salomé sur un ton espiègle. Voyez‐vous, je suis plutôt une horlogère quʹune horloge parlante !
La béatitude du visage de Bernard fit éclater de rire la jeune Salomé.
‐ La différence entre un horloger et une horloge parlante, mon ami, c’est que l’horloger fabrique des objets qui donnent l’heure indéfiniment. De son côté, l’horloge parlante ne fournit l’heure que lorsque vous l’appelez… En clair, je ne travaille que sur la réalisation de revenus passifs. Vous ne vous en doutez peut‐être pas, mais la valeur de ce que vous m’avez présenté ce matin est bien plus grande que ce que j’aurais pu vous facturer dans le cadre d’un contrat de prestation… Ce que vous m’avez expliqué et les documents que vous
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m’avez remis constituent pour moi la plus riche des matières premières pour l’écriture de mes livres. Et entre nous, les revenus que je génère avec les droits d’auteur m’invitent à penser que vous n’avez pas trop de soucis à vous faire pour moi.
‐ Et bien dites moi, vous êtes un sacré bout de femme, si je puis me permettre.
‐ Permettez‐vous, mon cher Bernard. S’amusa Salomé NYX. Allez, sur ce, je dois vous laisser. N’hésitez pas à m’envoyer des nouvelles de notre nouveau job. Et surtout, j’attends la valorisation financière de votre projet.
‐ Oui sans faute, je vous l’enverrai. A midi nous fêtons la clôture de mon projet avec l’ensemble de l’équipe de Martin’s Garden… Ça m’aurait fait plaisir que vous veniez vous joindre à nous.
‐ Non merci, Bernard. Aujourd’hui c’est vous qui êtes sous les projecteurs. Profitez‐en ! Ce sont des moments très importants dans la vie d’un chef de projet.
‐ Oui, je sais. Merci encore pour tout, s’écriait Bernard tandis que la jeune Salomé NYX disparaissait dans la foule qui submergeait la place.
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Figure 6.5 Valorisation des gains financiers
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ANNEXE 1 :
Modélisation Systémique ‐ La lecture rapide
Première approche :
Le système est représenté par le nuage orange. Comme vous pouvez le constater, cʹest un système ouvert. Nous avons, en amont du système, la source de lecture qui va lʹalimenter. A lʹintérieur, nous avons des éléments propres au système : des réservoirs de stockage (de mots, de sens), des processus (vision, interprétation, subvocalisation,...etc). Et enfin, nous avons lʹentropie, qui correspond en quelque sorte aux ʺdéchetsʺ (aux pertes) générés par le système.
Champ de vision et points de fixation :
Après cette courte description de notre système, venons‐en à son fonctionnement. En amont, nous avons une source de lecture (un
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livre, un magazine...). Cette source de lecture est visionnée par ʺpoint de fixationʺ. Selon le champ de vision de chaque personne, le nombre de points de fixation peut varier. Par exemple, une personne qui lirait mot à mot un livre de poche ferait entre 6 et 9 points de fixation par ligne. Alors que dans le même temps, un lecteur rapide se limiterait à deux points de fixation. Il est a noter que lʹœil et le cerveau ne mettent pas plus de temps pour enregistrer ce qui est dans le champ de vision quʹil y ait un mot ou quʹil y en ait quatre. Ainsi, il faut 1/4 de seconde pour que lʹinformation soit enregistrée, puis lʹœil continue son chemin (le changement de point de fixation prend 1/40 seconde). Je mʹattarde un peu ici, car cʹest vraiment le point fondamental de la lecture rapide. Personnellement, avant de lire ce livre, je faisais du mot à mot. Avec les gammes dʹexercices, jʹai appris à embrasser plusieurs mots dʹun seul regard. Cʹest pour cela que jʹai matérialisé la taille du réservoir de mots par la taille du champ de vision. Car selon les individus, le cerveau enregistrera sur un point de fixation un à 4 (voire 5) mots.
Le symbole avec le double réservoir et le robinet qui se ferme à la montée du flotteur, illustre ce que nous appelons une boucle de rétroaction négative. Cʹest un peu compliqué, mais en résumé, cʹest un élément régulateur dans le système. Ici, quand lʹœil se porte sur un point de fixation, il visualise 4 mots. Au‐delà de 4 mots, le champ de vision dʹun homme nʹest pas assez large. Il faut donc ʺviderʺ le réservoir pour pouvoir lʹalimenter à nouveau.
Subvocalisation, un processus sans valeur ajoutée :
Une fois que lʹinformation est visualisée, celle‐ci peut être interprétée. Sur le système apparaît un processus supplémentaire : celui de la subvocalisation. Certaines personnes, lorsqu’elles lisent dans leur tête, vocalisent chaque mot et chaque syllabe. Lire chaque syllabe dans sa tête revient à lire à haute voix; du moins du point de vue de la vitesse de lecture. Donc si vous ʺsubvocalisezʺ, il est important que vous corrigiez ce défaut, car il nʹaide en rien la compréhension du texte et en plus il vous ralentit.
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Sʹentraîner pour éviter la dyslexie :
Lors de lʹinterprétation, notre cerveau peut être amené à perdre du temps si nous faisons, ce qui est appelé dans le livre, de la dyslexie. Cʹest‐à‐dire que notre cerveau mélange graphiquement deux groupes de mots différents (par exemple ʺcomme un pouʺ et ʺcomme un fouʺ ou alors ʺmal de merʺ et ʺmal dʹaimerʺ). Là encore, il existe des exercices pour optimiser notre vitesse de lecture, car si le cerveau comprend un autre groupe de mots que celui qui est lu, le lecteur sera obligé de faire un retour en arrière pour comprendre le vrai sens de la phrase. Par ailleurs, vous aurez remarqué que le flux de mots, matérialisé par des flèches bleues, sʹest transformé en flux de ʺsensʺ, matérialisé par des flèches rouges.
Du sens des mots à lʹenregistrement de lʹinformation :
Enfin vient le moment de lʹenregistrement des données dans notre cerveau. Ici, il y a un capteur dʹintérêt qui va inciter le cerveau à se répéter les données afin que celles‐ci soient inscrites dans la mémoire à moyen et long terme. Si lʹinformation est jugée intéressante, les données sont transférées dans le réservoir de la mémoire à court terme. La mémoire à court terme alimente pour la plus grande part lʹentropie matérialisée dans ce système par lʹoubli.
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Glossaire :
20 ‐ 80 : Le terme de 20‐80 fait référence à la loi de distribution de PARETO. Cette loi, très utilisée dans les entreprises permet par exemple de se focaliser sur les 20% des clients qui représentent 80% du chiffre d’affaires de la société.
B to B : Contraction de Business to Business. Terme marketing pour désigner une relation de professionnel à professionnel en opposition à B to C (Business to Consumer) qui désigne un marché de vendeur à client final.
Chef de produit : Fonction d’une personne en charge du développement marketing et commercial d’une gamme de produits.
CPFR : Acronyme de Collaborative Planning, Forecating and Replennishment. Processus de partage de l’information entre un industriel et son distributeur afin d’être plus en phase avec la demande du marché.
Data manager : Le data manager est la personne responsable de la conformité des données enregistrées dans le système d’information de l’entreprise.
Demand planner : Fonction de la personne en charge de l’évaluation des prévisions de vente.
DMAIC : Acronyme qui reprend chaque étape utilisée par le Lean Six Sigma. Les différentes phases sont : Définir, Mesurer, Analyser, Innover, et Contrôler.
EMEA : Acronyme utilisé dans les entreprises présentes à l’international pour identifier la zone Europe, Moyen‐Orient (Middle East) et Afrique.
E‐sourcing : L’e‐sourcing est une méthode d’optimisation des achats qui repose sur la standardisation des offres transmises par les
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fournisseurs. Ce type d’outil peut également intégrer des enchères à la baisse, d’où les freins de certains industriels à mettre en place les interfaces nécessaires à son utilisation.
Franco : Terme logistique qui correspond au montant à partir duquel les frais de port d’une commande sont gratuits.
GSA : Acronyme qui désigne les Grandes Surfaces Alimentaires.
GSB : Acronyme qui désigne les Grandes Surface du Bricolage.
Homéostasie : Faculté d’un système à maintenir son équilibre malgré les perturbations de son environnement.
Innovation incrémentale : L’innovation est dite ʺ incrémentale ʺ lorsqu’elle apporte de modestes améliorations successives et continues dans le temps.
Innovation de rupture : Lʹinnovation est dite de ʺruptureʺ lorsquʹelle modifie profondément les conditions dʹutilisation du produit ou du processus
Lean Six Sigma (LSS) : Le Lean Six Sigma est une méthode de conduite de projet qui s’appuie sur la complémentarité des outils du Lean et du Six Sigma.
Lean : Le Lean est une boîte à outils qui permet l’amélioration continue et la suppression des gaspillages inhérents à la gestion des process.
Linéaire : Désigne les étalages des magasins où les produits sont mis à la disposition des clients.
LISA : Acronyme qui désigne les magasins de LIbre Service Agricole.
MDD : Acronyme qui désigne les produits fabriqués sous la Marque Du Distributeur.
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Modélisation systémique : Représentation d’un système.
Mapping : Description technique de fichier échangé par informatique.
Master Black Belt : Le Lean Six Sigma intègre un niveau de certification dispensée par les entreprises où des organismes de formation. Les principaux niveaux de certification sont, green belt, black belt, master black belt.
One shot : Travailler en one shot signifie travailler au coup par coup, sur des opérations ponctuelles.
Portefeuille clients : Ensemble des clients rattachés à une entité (le portefeuille client d’une entreprise, d’un commercial…etc.)
Processus transactionnels : Le mot processus est souvent assimilé aux processus de fabrication qui traitent davantage des flux physiques que des flux d’information. Le terme « processus transactionnel » permet d’identifier les processus utilisés dans le secteur tertiaire et plus largement dans l’ensemble des services administratifs des entreprises.
Remontées caisse : Les remontées caisses désignent les flux informatiques mis en place pour que les informations de ventes par produit au niveau des magasins soient remontées en amont de la chaîne logistique.
Rupture : Sous entendu rupture de stock. Désigne l’état d’un article qui n’est plus disponible à la vente jusqu’à son prochain approvisionnement.
Segmentation : La segmentation, en marketing, est un découpage du marché selon des critères de segmentation. Les critères les plus communément utilisés pour segmenter la clientèle sont : le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle…etc.
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Segmentation comportementale : Découpage d’une segmentation de marché sur la base de critères comportementaux.
Segmentation technique : Découpage d’une segmentation de marché sur la base de critères techniques ou de critères d’application.
Six Sigma : Le Six Sigma est une méthodologie structurée et basée sur l’utilisation d’outils statistiques, visant à une amélioration de la qualité et de lʹefficacité des processus.
Storytelling : Le storytelling est une technique qui consiste à raconter des histoires ou à entretenir des légendes. Cette technique peut être utilisée dans les domaines de la stratégie, du marketing et de la communication des entreprises et des organisations. Pour la stratégie, cela permet d’améliorer l’adhésion du personnel à la culture d’entreprise.
Structure matricielle : Fait référence à l’organisation matricielle utilisée dans certaines entreprises. Ce type d’organisation croise deux dimensions. D’une part une dimension fonctionnelle « classique », d’autre part une dimension transversale orientée processus (et non métier).
Supply Chain : La Supply Chain est constituée de l’ensemble des maillons de la chaîne logistique depuis les fabricants jusqu’aux distributeurs en passant par les entrepôts de stockage.
Taux de service : Le taux de service est un indicateur utilisé dans la grande distribution pour évaluer la qualité des commandes livrées par rapport aux commandes initiales (Disponibilité des produits, Livraison dans les délais…etc.)
ToDo liste : Le terme ToDo liste est dérivé de l’anglicisme « ToDo List ». Ce terme est utilisé pour évoquer une liste de tâches à réaliser.
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Bibliographie :
Par ordre d’apparition des concepts abordés :
CHAPITRE 1 - L’APPEL A L’AVENTURE
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NASA (2009) “Archives”, Consulté le 25 Juillet 2009 sur : http://www.hq.nasa.gov/ office/pao/History
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CHAPITRE 2 - LA MISSION
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CHAPITRE 3 - DEFINITION DES PARAMETRES ORBITAUX
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Florent FOUQUE (2008) “Pareto VS Benford ‐ 3ème volet de la guerre des indicateurs”, Consulté le 25 Juillet 2009 sur : http://leansixsigma.free.fr
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CHAPITRE 4 - MISE EN ORBITE
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CHAPITRE 5 - LE DRAPEAU DU LSS
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Robert FRITZ (1989) “The Path of Least Resistance: Learning to Become the Creative Force in Your Own Life”, New York, Fawcett Books.
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Carine BUHMANN (2001) “La Pyramide Alimentaire Pour Manger Équilibré Avec Plan Pour 2 Semaines”, Delémont, Viridis.
CHAPITRE 6 - RETOUR A LA BASE
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Donella H. MEADOWS (2008) “Thinking in systems”, Vermont USA, Celsea Green Publishing.
Timothy FERRISS (2007) “The 4‐Hour Workweek”, New York, Crown Publishing.
Dan S. KENNEDY (1996) “How to Make Millions With Your Ideas: An Entrepreneurʹs Guide”, Plume Books.
ANNEXE
François RICHAUDEAU, Michel GAUQUELIN, Françoise GAUQUELIN (2004) “Méthode de Lecture rapide”, Paris, Retz.
Florent FOUQUE (2009) “Modélisation Systémiques – La lecture rapide” Consulté le 25 Juillet 2009 sur : http://analysesystemique.free.fr