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A PROPOS DE LA PERMANENCE PH&NOMkNALE FAITS ET THEORIES A. MICWITE (Louvain) Au moment d’&ire ces pages que je d&e h mon vieil ami le professeur G. R&x%z 6 l’occasion de son soixante-dixi8me anniversaire, je ne puis m’emplcher de songer aux conclusions de Particle SW ,&‘cige et le talent” qu’il a publik dans les Miscel- lanea Psychologica, kditds 101-s de la c&&ration de man jubilt professoral en 194?. Son a&&t! scientifique illustre en effet de manike frappante ce qu’i2 disait alors: ,,. . . . l’homme crdatew, avangant en iige, conserve ses do.ns jusque dans la vieillesse, pour autant toutefois que les troubles corporels at mentaux qui rksultent de l’dge lui soient dpargnhs”. Et je souhaite ardemment qu’il puisse coni5nuer pendant de ncmbreuses an&es encore d apporter aux dkvelop- pements de la psychologie, le prkieux appui de son expkrience et de ses talenk Sa production a Ltt si kconnamment abondante et variie qu’il serait difficile de trouver un sujet d’6tude qui ne puke se .rattacher it son oeuvre. Le pr&ent travail en fournira d’ailleurs la preuva, car il touche e% plus d’un point, au proWme de la Constance des couleurs et & celui de l’kclairement que les recherchss expdtimentales poursuivies en collaboration, d8s 2907, par R&x%z et par Katz, ont largement conbib& h rkseudre. Le probl&me de la permanence des chases appartient B ce groupe d’Cnigmes qui ont vivement intikess6 les philosophes em- piristes du XVZII~me sikle, les associationnistes du XIX6me et quelques autres penseurs d’envergure comme Bergson par exemple, mais dont les rkonnances chez les psychologues ,,scienWques” ant &k bien faibles. Et c’est assez rrkemment en somme que des travaux sy+&ma- tiques ant &6 entrepris & son propos. Rappelons parmi les plus importants, les c616bres observations de Piaget et de ses Cl&es au point de vue g&&ique, et quelques recherches expkimen-

A propos de la permanence phénoménale faits et theories

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A PROPOS DE LA PERMANENCE PH&NOMkNALE

FAITS ET THEORIES

A. MICWITE (Louvain)

Au moment d’&ire ces pages que je d&e h mon vieil ami le professeur G. R&x%z 6 l’occasion de son soixante-dixi8me anniversaire, je ne puis m’emplcher de songer aux conclusions de Particle SW ,&‘cige et le talent” qu’il a publik dans les Miscel- lanea Psychologica, kditds 101-s de la c&&ration de man jubilt professoral en 194?.

Son a&&t! scientifique illustre en effet de manike frappante ce qu’i2 disait alors: ,,. . . . l’homme crdatew, avangant en iige, conserve ses do.ns jusque dans la vieillesse, pour autant toutefois que les troubles corporels at mentaux qui rksultent de l’dge lui soient dpargnhs”. Et je souhaite ardemment qu’il puisse coni5nuer pendant de ncmbreuses an&es encore d apporter aux dkvelop- pements de la psychologie, le prkieux appui de son expkrience et de ses talenk

Sa production a Ltt si kconnamment abondante et variie qu’il serait difficile de trouver un sujet d’6tude qui ne puke se .rattacher it son oeuvre. Le pr&ent travail en fournira d’ailleurs la preuva, car il touche e% plus d’un point, au proWme de la Constance des couleurs et & celui de l’kclairement que les recherchss expdtimentales poursuivies en collaboration, d8s 2907, par R&x%z et par Katz, ont largement conbib& h rkseudre.

Le probl&me de la permanence des chases appartient B ce groupe d’Cnigmes qui ont vivement intikess6 les philosophes em- piristes du XVZII~me sikle, les associationnistes du XIX6me et quelques autres penseurs d’envergure comme Bergson par exemple, mais dont les rkonnances chez les psychologues ,,scienWques” ant &k bien faibles.

Et c’est assez rrkemment en somme que des travaux sy+&ma- tiques ant &6 entrepris & son propos. Rappelons parmi les plus importants, les c616bres observations de Piaget et de ses Cl&es au point de vue g&&ique, et quelques recherches expkimen-

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tales de Metzger, de Ternus, de Lindemann, de Sampdio, de Knops, etc. 1).

On peut se demander quelle est la raison de cette defaveur. Est-ce peut-btre parce qu’on situait ce probleme plutot dans le domaine de 1’6pistemologie et qu’on le croyait peu susceptible de se pr&er 21 l’experimentation, ou encore parce qu’cn se figurait que les lois des phbnomenes de ,,constance” represen- taient la principale contribution que la psychologie de la per- ception pouvait apporter a sa solution?

Mais B vrai dire, dans quelle mesure s’agit-il d’un probleme de perception? Et que faut-il entendre au juste par permazzo ph&nomCnale?

On ne saurait assez insister lorsqu’on s’occupe de questions de ce genre, sur la distinction qu’il y a lieu de f&e entre: ,,connaissances acquises” et ,,apparences” 2).

Ainsi, pour ce qui concerne les problhmes de la permane:ice et de la non-permanence, l’elaboration des donnees complexes de l’experience aboutit naturellement a nous faire ,,savoir” ou ,,croire” que certaines chases existaient deja avant que nous les percevions (ou qu’elles continuent B exister apres que nous avons cesse de les percevoir), tandis que d’autres chases n’ont qu’une existence ephrSm&re dont la duree co’inside avec celle de leur perception. Mais cette ,,croyance” n’est pas tout. Un simple exemple suffira a le montrer.

Tout le monde a vu, au tours de s&ances de prestidigitation l’op&ateur faire apparaitre tout a coup, ou disparaitre subite- ment des chases dont on sait pertinemment qu’elles n’ont 6te ni crties ni aneanties a l’instant. Et rkanmoins il est incontes- table que l’on a parfois dans ces conditions une impression visuelle Bvidente de leur naissance ou de leur evnnouissement.

Cette creation et cet aneantissement ne sont, bien entendu,

r) On trouvera des indications detaillees I ce propos dans: A. C. Sam- Palo. La translation des objets comme facteur de leur permanence pheno- menal@. Louvain. Warny 1943. 31 p, et: L. Knops. Contribution a I’etude dc la ,,naissance” et de la ,,permanence” phenomenales dans le champ Visuel. Miscellanea Psychologica Albert Michotte. pp. 562-610 Editions de 1’In..

stitut Superieur de Philosophie. Louvain. 1947. *) A. Michotte. Le caractere de ,,realitd” des projections CinematOgra-

phirpres. Revue Internationale de Filmologie Cahier no 1. Paris 1949. p. 4.

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ye des illusions, mais i! n’y en a pas moins Ia un probleme ologique; et celui-ci se ramene en derniere analyse a un

probleme perceptif, car la production de ces phenomenes d6pen.d d’un cer%n type d’evolution des excitations visuelles qu’il appartient B la psychologie de la perception d’analyser.

Quant B la permanence apparente, les chases sont mains simples et dans certains cas msme, il semble inconcevable qu’elle puisse se manifester directement dans les donnees de l’exp& rience. La comparaison de ce probleme a eelui des ,,constances” est tr&s instructif A set Cgard.

La question de la Constance vise, comme chacun sait, le fait que certaines propriettk des chases, leur couleur, leur grandeur, leur forme ne se modifient pas dune fagon sensible, alors qu’il se produit des differences consid6raules dans le systeme des excitations correspondantes: sous l’influence de la nature de l’eclairement pour ce qui est de la couleur; sous l’influence de la distance pour ce qui est de la grandeur; sous l’influence de l’orientation de l’objet dans l’espace par rapport B i’observateur, pour ce qui est de la forme.

Cette constance re7 6t une importance capitale au point de vue de la permanence puisque, grke au jeu des lois qui la regissent, les caracteres propres des chases demeurent epparem- ment inchanges au tours du temps.

Mais la permanence va plus loin encore. Qn rencontre en effet: a chaque instant de s situations dans lesquelles une chose demeure pour nous identique ,,en soi”, bien que nous peweuions des dumgements dons ses propridtks, tels les cas; d’une barre de fer qui rougit au feu; d’un ballon qui se dilate; ou d’un coussin qu’on a,?latit. L’identit6 de l’objet peut resister m&me a sa disparition partielle ou totale du champ sensoriel.

D&s lops, il faut savoir ce que peut &tre ce ,,quelque chose” qui persiste ma&r& tout, et qui ne s’identifie pas avec ses proprietes apparentes. Est-il possible que ce ,,quelque chose” soit dorm& dans l’expkrience? Et ne s’agit-il pas uniquement d’une construction de l’esprit {substance, ou possibilitk perma- nente det sensations) qui ressortit essentiellement au domaine de la croyltwe dont il a 4tk question ci-dessus?

C’est d’ailleurs bien ainsi que les philosophes envisageaient la question, et c’est pourquoi ils se prikccupaient surtout de determiner l’origine de ladite croyance. Celle-ci Btait amorcee

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et justifike, pensaient-ils par certains indices fournis par l’exp&

rience: la recognition, les liens associatifs, les ,,besoi&, les manifestations de la motricitC, etc. Et tout cela intervient sari;;; aucun doute en l’occurrence. Mais est-il bien sOr que eette permanence rksistant aux altkations ou ti la disparition de

I’objet soit uniquement affaire de ,,savoir” ou de ,,croyance”, et qu’elle n’existe que sur le plan de la pen&e?

Quelque improbable que cela puisse paraitre a priori, il semble que les dw-&es de I’expCrience soient en Galit infiniment plus riches B ce point de vue et plus exhaustives qu’on ne le suppose1 ait. De nombreux faits dhmontrent en effet que ce genre de psrmanence se manifeste deja sous diffkentes formes dans la sphbre phknomenale elle-mCme, et le but de la presente etude est d’en signaler un certain nombre, et de les discuter.

avant d’aborder ce point cependant, et afin d’apporter quel- que clarth dans l’exposd, nous ra::?ellerons brikement les diverses CventualitQ de permanence et de non-permanence que l’on doit ewisager, ce qui nous permettra en outre de prtkiser la terminologie utilide dans la suite.

Pour ce qui est de la permanence elle-m&me, on peut en distinguer trois types fondamentaux: lo permanence d’antbrioritt qui se caractkise en ce que l’objet ou l’une de ses parties parait avoir p&exist6 A sa perception (c’est ce qui se produit lorsque Gar exemple, une chose apparait par suite de l’kar+;ement d’un objet qui Ba cachait au regard).

Le cas inverse, de la permanence de post&ioritC, est celui dans lequel un objet ou l’une de ses parties parait continuer B exister alors qu’il a cessi, d’&re visible (parce que, par exemple, un autre objet vient le recouvrir).

11 y a encore la permanence de continuitd c’est-kdire le fait qu’une chose semble demeurer elle-m&me, maintetir son identite fonciere pendant tuute la duree de so prksence eu ddpit mkne des changements apparents qu’elle peut hventuellement subk.

Quant A la non-permanence, il Taut distinguer trois CaS paral?.Gles:

la c&tion, quand un objet semble ,,naitre”, ,,surgir du n&ant”; l’ann&il&on, quand un objet p&sent ,,s%vanouit” sans laisser

de traces; la substitution qui se prksente lorsqu’un objet semble sou-

dainement remplad par un autre.

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12 va de soi que l’on peut rencontrer difkentes combinaisons de ces types d’k&ements, que la crbation, par exemple peut &re suivie d’une permanence de continuit6, et qu’A celle-ci peut faire suite une permanence de post6rioritG; ou bien que la prmanence d’ant&ioriti peut s’allier A une annihilation ultC- rieure, etc.

Cela &ant dit, nous allons proc6der & l’examen syst6matique et critique d’une s&ie d’essais expkrimentaux relatifs B la permanence et B la non-permanence des objets.

Le premier exemple qui nous arrQtera est une manifestation de la permanence de continuitk qu’il est facile de rkdiser de 1.5. ma.ni&re sui\ante 3).

On projette sur iiii 6cran une surface color6e quelconque, un cercle b!eu par exemple; et l’on en modifie brusquement la couleur, la grandeur ou la forme. On peut avoir dans ces con- ditions l’impression que l’objet a subi un changement tout en demexwant ,,Zui-m&me”; c’est ce m4me cercle lumineux qui est devexlu verd%re, par exemple, ou qui s’est dilate, ou qui s’est ovalis& L’observation est d’ailleurs tellement banale qu’il est &utile d’y insister.

Mais, et c’est ici le point important, cette impression de changemeat ne se produit que dans certaines limites de varia- tions que l’on peut d6terminer expkimentalement. Quand les modifications ont plus d’ampleur, et surtout lorsque plusieurs propriGtt% de l’objet sont alGr6es simultankment, l’impression est radicalement diffkrente: on voit apparaitre un nouvel objet, h l’endroit oh se trouvait le premier. I1 n’y a plus simple changement mais substituticn, remplacement instantant! de quelque chose par quelque chose d’autre.

Ben qu’ils r6pondent A des diff&ences graduelles dans le syst&me des excitants, changement et substitution sont done des Cvknements qualitativement diffkents, dont le premier

“) Cette experience, ainsi que d’autres qui seront relatf5es ulthieure- ment, a 616 r6alisBe en vision monoculaire, au moyen d’un appareil com- portant un feu de miroirs permettant de faire apparaitre successivement en un mdme endroit de l’espace deux objets diffhente. Un obturateur extrgmement rapide assure la substitution pratiquement inatantan&e de l’un h I’autre.

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est une manifestation de permanence, tandis que ie second traduit au contraire une non-permanence.

On serait naturellement tent6 de croire que l’impression de changement se justifie par le fait que l’alteration percue est partielle et faible, et que, par consequent, les aspects de l’objet qui n’ont pas et6 modifies constituent le ,,substrat” de la permanence, et cela semble logique.

Mais alors pourquoi n’en va-t-ii pas de m&me lorsyue les changenrients so:nt un peu plus marques ou quand ils se com- binent; car, dans l’experience do;it nous nous occupons, l’impres- sion de substitution se pro&iit bien que de nombreux aspects de l’objet demeurent identiques. Elle peut Gtre provoquee par exemple par une alteration combinde brillance-grandeur, avec maintien de la forme, de la microstructure de la surface, de sa plan&?, du caractke film de la couleur, etc., et logiquement parlant ii n’y a Bvidemment aucune raison d’affirmer 1.a per- manence dans un cas plutot que dans dans l’autre! Mais il n’est pas question de logique ici, et l’expQ,ence montre prkis6ment que la permanence peut se presenter sous la forme de ph6no- m&lies specifiques, telle l’impression de changement, dent la production est determinee par un systeme d’excitations bien def ini.

11 n’en reste pas moins qu’il y a 1A une enigme psychologique, car l’objet ne nous est present, semble-t-ii que sous l’aspect de ses proprietes et l’on peut se demander des lors ce que signifie cette identite de l’objet, opposke a la modification des dites propri&s. La question est d’autant plus pertinente que les reswats experimentaux montrent qu’aucune propriete iisolde, pas plus la forme que la couleur ou la mi.crostructure, ne posskle le privilege d’assurer l’identite de l’objet.

En rkalitk cependant, ii suffit de considerer le probieme dans le cadre des conceptions actuelles en matiere de perception pour entrc ;loir sa solution,

@e serait une erreur en effet de considerer les diffcrentes variables: couleur, forme, etc., comme autant de donnCes disso- &es et independantes. Elles apparaissent au contraire comme propri&Q d’un mQme objet; elks sont int&grees en me uni% en un mCme Tout.

On sait de plus qu’elles ne le sont pas au m&ne titre, que certaines sont plus ,,importantes”, plus ,,accentukes” que dautres,

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et aussi qu’elles s’infiuencent mutuellement. Le Tout dont il s’agit comparte done une veritable hierarohie, une organisation interne relativement complexe.

11 en r&.&e que ,,l’objet phknomenal” n’est pas une somme de proprietis (pas plus que sa forme geometrique n’est une somme de parties), mais un Tout structure, une Gestalt, dans laquelle les diverses variables sont intkgrkes et coordonnees. Ce terme de Gestalt ne cache pas, bien entendu, une ,,entitB” plus ou mains mystkieuse! Il a au contraire un sens bien p&is au point de vue phenomenal car il designe tout simplement le ,,cuchet sptkijique” qui caractkrise l’ensemble comme tel des aspects constitutifs de l’objet; et il n’est que trap 6vident que tout objet pergu, quelque simple soit-il, (se rkduisit-il mQme a un seul point lumineux) possede un pareil ,,cachet”.

Consider&s scus cet angle, les rkultats de notre essai devkn- nent clairement intelligibles.

L’impression de changement se produirait lorsque 1~s altkra- tions de aertains aspects de l’objet respectent le ,,cachet sp&fique” de l’ensemble; celle de substitution quand celui-ci s’kcclipse et qu’il est remplad par un autre. La permanence est done rendue possible en derniere analyse, g&e & l’autonomie relative de la Gestalt par rapport aux variables qu’elle englobe; et il appartient B la recherche expkrimentale de determiner ce qui est essentiel B son maintien et dans quelle mesure elle survit aux modifications que l’on apporte au systeme des excitations.

Cette situation est analogue B celle, bien connue de tous ceux qui se sont occupks de la perception des formes, et dans laquelle l’impression globale de la forme est conservee ‘bien que celle-ci paraisse pins ou moins altirke; telles les figures que nous voyons comme desl car& ou des cercles ,,deformW. La sevle difference entre les deux cas reside en ce que la Gestalt dent il s’agit ici r&&se l’inthgration de propriMs disparates: forme, wuleur, etc.

Ajoutons que cette man&e d’envisager la solution du pro- b%me oermet de rkpondre 5 la question que nous avons poke plus h&t lorsque nous nous demandions ce que pourrait bien 6tre ,,ce quelque chose qui persiste malgr6 tout”. On peut dire 6 prkent ‘que ce quelque chose n’est pas uniquement objet de pensee, et ne se r4duit pas au concept da substance, mais qu’il exkte aus& sur le plan phbnomenal comme Gestalt. C’est cette

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PLTGG, qui se dkfinit non seulement par la prksence de telles ou telles variables, mais essentiellement par leur intdgration et leur ordonnancement azi sein d’une structure globale, et qui constitue ce que nous avons appelC le ,,cachet spkifique” de l’objet.

Nous emprunterons un second exemple, relatif cette fois aux

permanences de priorit& et de postkioritk, A des rechershes dkjja partiellement publikes a).

On montre B un sujet une figure colorke, un carrk rouge p. ex.

et l’on fait apparaitre ensuite contre ce carrk une bande blanche plus Btroite, qui s’agrandit progressivement et dans une direction perpendiculaire au c&C3 du carrk auquel elle est adjacente.

Lorsque la vitesse et les dimensions sont convenablement choisies, l’observateur ne voit pas la bande naitre et croitre ensuite comme elle le fait ,,en reali@‘, mais il wit une bande rigide, de dimensions fixes, ,, sortir” du car&, glisser ,,hors du car&” qui la cachait pr6ckdemment. C’est ce que nous avons appel6 l’effet Ecran.

11 y a Gvidemment ici permanence d’ant&iorit& (et de postkrio- ritk quand on inverse l’expkrience) puisque la bande ,,sort” de derriere un &ran qui la couvrait. La partie ,,cachke” est dons prksente bien qu’on ne la voie pas 5). Elle est naturellement indkterminee au point de vue de sa grandeur; et au surplus ceci n’est possible, faut-il le dire?, que dans le cadre de Ba perception d’ensemble et B la condition qu’une partie au moins de l’objet soit visible, comme dans le cas classique de la distinction Figure-Fond.

L’expirience rCussit dans cent pour cent des cas; et m&me lorsque le sujet a Ct6 mis au courant de la technique utilisCe, il lui est pratiquement impossible de voir la bande se dilater ou s’agrandir !

11 n’est d’ailleurs pas difficile de se rendre compte qu’il doit en Btre ainsi, &ant don& que les conditions exp&imentales adopt&es pour cet essai ont pour effet d’assurer l’appartenance exclusive, au car&, de la frontirirre qui le &pare de la bande.

‘1 Voir: Sampaio et Knaps. lot. cit. g, Un cas similaire est celui de l’effet Tunnel dkcrit jadis Par Wed-

heimer.

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C’esthdire que ladite frontike est pergue uniquement comme une partie du contolur du cr.rr6, et que la bande elk-meme n’a pas de limite propre dans cette direction. EZZe semble done se pToZonge7 der&re Ze cawd (comme le Fond s’Ctend derrikre la Figwe).

D’autre part oa peut dkmontrer que les conditions de I’expC- rience et entre autres cette absence d’une limite propre de la bande, empkhent la production de ph6nomGnes de dilatation de contraction, ou de croissance apparentes de cet objet. 11 en rksulte que lo grandeur apparente de la bande doit demeurer constante (rigiditi).

Et cependant, il est kvident que la longueur visible de la bande aug.%ente progressivement.

11 suffit de rapprocher ces trois don&es pour constater qu’elles constituent les traits essentiels de la structure ,,sortir de”, puisque celle-ci se rkduit en dernikre analyse au fait que Z’on voit augmenter la longueur visible d’une bande rigide partielle- ment recouverte par le caxr6.

On a signal6 d6jl6) combien les manifestations de l’effet Ecran Ctaient frkquentes dans la vie courante: ouverture d’une Porte, d’un tiroir, des rideaux d’une fengtre, introduction d’une main dans une poche, disparition d’une auto ou d’une personne au :ournwt d’une rue, m&me simple ouverture des paupi&res, etc. Aussi ne pourrait-on surestimer le rale immense que cet effet doit jouer au pair+ de vue de la permanence apparente des chases.

Retenons pour le moment que cette seconde experience et beaucoup d’autres que nous avons r6ali&es en appliquant les mgmes principes, confirment pleinement les rbsultats de la premike. On constate en effet de nouveau que la permanence se manifeste sous la forme de pbCnomhnes spkifiques qui se traduiseut ici par l’impression de ,,sortir de” (ou son contraire, l’impression ,,d’entrer dans”) dont la production est d6terminCe par la structure du syst&me d’excitations a.gissant sur l’obser- vatew.

Un troisi&me exemple doit nous occuper plus longuement.

s, Cfr. Sampaio et Knops, lot. cit.

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11 nous est fourni par une constatation banale entre toutes et qui, cependant, constitue une rCelle Cnigme quand on y reflkhit un instant.

11 s’agit de 1’6ventualitk suivante. Lorsqu’on se trouve dans une chambre parfaitement obscure, dans sa chambre B coucher pendant la nuit par exemple, et qu’on allume brusquement la lumike, les objets que l’on apergoit, meubles, tentures etc. semblent kvidemment permanents; ils existaient dkjti avant que nous les percevions. Ce cas est d’autant plus intkessant que c’est pr6ciskment l’opposition entre la permanence des objets et l’intermittence de leur perception qui a le plus g@n&alement intriguC ceux qui se sont occup& du problime.

Notons en passant qu’une autre experience similaire, sonsis- tant A projeter soudain dans une Salle obscure une image lumineuse sur un &ran, donne un resultat qui semble & premike vue absolument diffkent; l’image parait e&e au moment de son apparition.

Ces observations sont tellement courantes et d’une interpri- tation apparemment si obvie que l’on ne saisit pas d’embl6e la difficulti qui s’y attache. Chacun en effet serait tent6 d’y voir la manifestation Qvidente de notre connaissance de la nature des ,,choses rkelles” et de celle des ,,images lumineuses”. Ce serait done notre croyance qui serait en jeu en l’occurrence soit directement, soit grlce g une influence qu’elle exercerait sur nos ,,impressions” sensorielles.

Mais cette opinion se heurte immkdiatement au fait que la ,,r&ditk” d’un objet qui apparait brusquement ne suffit nulle- ment P garantir sa permanence, ainsi que now l’avons signal6 A propos du cas du prestidigitateur. LL, il est vrai, on pourrait se montrer quelque peu sceptique, et tenter d’expliquer l’illusion par l’intervention d’autres factews: distraction, suggestion, etc. Mais voici un essai qui les Climine et qui donne nkanmoins le m&me rbultat.

On fait voir au sujet un car& gris de teinte uniforme, plus ou mains for&e, d’environ dix centimhtres de cGt4, dent il fixe le centre. Ce carrC est subitement rempiagk par un autre identique, tant au point de vue de sa brillance qu’g celui de sa microstructure, au milieu duquel se trouve un petit objet rGe& une vis par exernple. Et le dispositif est r&g16 de telle manike que le fond gris ne subisse aucun changement perceptible au

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moment de la substitution, et qu’il paraisse dalnc absolument stable pendant toute la durke de l’observation.

Les effets de cette experience sont constants; les sujets decrivent ordinairement ce qu’ils ont vu en disant que ,,l’objet” semble ,,se former”, ,, venir” de rien, sans que cela signifie en aucune maniere qu’il semble ,,sortir” du fond gris dans le sens ou l’on voit an objet ,,sortir de derriere un rideau”. 11 n’y a pas de trace de l’effet Ecran ici et l’objet apparait au contraire comme quelque chose qui ,,se deploie” soudainement 11 oti il il:y avait rien auparavant. Cette experience comporte un dyna- misme interne, un ,,devenir” de l’objet qui est evident. Et du reste les bons observateurs ne manquent pas de remarquer la presence de mouvements Gamma (particulierement accent&s pour les objets allong&) dont l’effet est que la ,,chose” parait ,,se developper” & partir du point de fixation 7).

11 se produit done une veritable impression de naissance, de creation dans le sens obvie du mot, analogue a celle que l’on o‘bserve Ilorsqu’on assiste a l’klosion d’une flamme ou a celle dune bullle de savon. Dans un cas comme dans l’autre, il y a ce travail initerieur d’expansion qui, soit dit en passant, parait bien etre essentiel au caractere de ,,creation” dans le domaine visuel.

En tout &at de cause, le fait fondamental, sur lequel nous devons insister pour le moment, est que la presence de ce caractere de creation, dans cette experience particuliere, est en contradiction patente avec la conviction du sujet que la chose aperGue existe reellemenc quelque part et qu’en verite elle ,,ne sort pas de rien”! Aussi tout adulte normal se rend il compte qu’il est le jouet dune illusion provoq:Se par un artifice quel- conque.

Mais, si l’on peut ainsi provoquer l’illusion de la creation d’un objet que l’on sait permanent, il cst possible Bgalement de produire une illusion de permanence pour un objet dont on sait qu’il se forme au moment meme oti c’n l’apercoit. Ainsi, il est aise de conferer une permanence apparente d’anteriorite aux images des projections lumineuses dont il Ctait question ci-dessus, en faisant intervenir l’effet Ecran.

On @ace devant l’objectif du projecteur un morceau de carton

‘) Cf. Knops, lot. cit. pp. 584 seq.

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qui intercepte les rayons lumineux et emphche l’image de se former. On fait alors pivoter lentement le projecteur autour de son axe de fagon que les rayons dkpassent l’obstacle et atteignent une feuille de verre d6poli. L’image commence alors B edster, et elle se d&place, tout en se complCtant, au tours de la rotation de la lanterne. Physiquement parlant, il y a done ,,crCation” B ce moment.

On peut expliquer tost cela au sujet, lui faire v’oir la manike dont fonctionne le dispositif, etc.; mais s’il se place ensuite de l’autre cdtC du verre dkpoli, il verra nCanmoins de man&e coikcitive l’image ,,sortir” de derrike quelque chose qui la cischait. Pour I’observateur, c’est J’image-sur-le-verre-dCpoli” elle-m&me qui glisse hors d’une cachette qui la recouvrait et oh p3r conskquent, elle prf5existait!

La conclusion s’impose. L’impression de permanence, comme celle de creation ne sont pas nkcessairement likes Q la nature phkomknale des objets; leur prksence est dktermi&e par les conditions d’excitation, aussi bien dans le cas de chases Selles que dans celui d’images lumineuses.

Ce point 6tant btab!i, nous pouvons examiner B p&sent d’un peu plus pr6s notre exemple de la chambre obscure afin de voir quelle es5 la raison de la permanence des objets dans ce cas spkial.

A cet effet, on peut rhaliser une expkicnce qui rappelle cette situation.

Le dispositif adopt4 pour cet essai est le m6me que celui de l’avant-derniere exphrience, B cette diffkencc p&s que le fond gris de la premike phase est supprime et que le champ visuel est absolument obscur au d&but (comme dans la chambre). A la seconde phase, apparaissent soudain le carr& gris et l’objet plac6 en son centre.

A l’inverse de ce qui se passait prCcCdamment toute impres- sion de crbation de l’objet fait ordinairement d&faut ici. L’objet semble stabilise d&s l’abord et il n’y a d’ailleurs plus de manifestation nette de mouvements Gamma. Cette premiere constatation, bien que purement nkgative, est intkessante en ce qu’elle montre que la crkation de Z’objet ne se produit pas nkessairement chaque fois qu’il y a excitation brusque, et we sa pr&ence Spend de facteurs additionnels comme les mauve-

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310 A. MKHOTTE

ments Gamma, qui rklisent un veritable ,,Gevenir” de l’objet. On pourrait chercher a d&xminer pourquoi les mouvements

Gamma sont absents dans le cas present, et il y aurait beaucoup ii dire rl ce propos, mais cette question &ant accessoire B notre point de vue actuel, nous ne nous y arri%erons pas, nous con- tentant d’enregistrer le fait comme tel.

Quand aux resultats positifs de l’experience, ils different d’apres les cas et on peut les classer en deux categories principales qu?, pour la facilite de I’expose nous appellerons A et B.

C&gorie A. Certains sujets se bornent & dire qu’ils ,,voient apparaitre l’objet” et il est assez difficile d’obtenir d’eux des indications plus p&&es. Toutefois, lorsqu’on insiste, il semble se degager de leur reponses que leur impression traduit assez acikquatement la situation physique; il y a pour eux simple succession d’un stade auquel ,,l’objet est present” B un stade ,,oti il n’y avait rien du tout” et le passage de l’un a l’autre n’est apparemment marque par aucun caractere particulier.

L’observateur est done entierement domint! par Z’objet inerte (absence de ,,devenir”), domine de faGon si exclusive que l’expansion de la lumiere qui se produit regulierement comme on le sait lors de toute illumination subite d’un champ plus ou moins etendu n’existe pas, ,,passe inapergue” pour lui; et dans la mesure ou elle existe phenomenalement, eile n’est en tout cas qu’un accessoire sans importance qui ne joue aucun role dans l’expkience d’enst nble.

Cutkl~orie B. Ici le tableau est tout different, et en tous points semblable a ce qui se passe dans le cas de la chambre noire. Les sujets ont l’impression de ,,l’Cclairement soudain d’un objet qui se trouvait deja li”! C’est dire qu’il y a creation de la lumiere et permanence d’anteriorite de l’objet.

La dissociation bien connue entre l’imyression de l’illumi- nation et celle de l’objet (de ses couleurs propres) est done capitale dans ce cas. La lumiere comme telle jouit d’une autonomic phenomenale marquee, et elle apparait comme l’un des constituants prineipaux de l’exp6rience globale.

Au point de vue descriptif, les categories A et B se differen- Gnt dam: essentiellement par la structure interne de la perception,. par la hierarchic qui s’etablit entre ses ccmposantes.

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LA PERMANENCE PHtiNOMtiNALE 311

Ceci &ant acquis, differents points demandent a &re discutes dune maniere plus approfondie.

En premier lieu, pourquoi n’y a-t.41 pas d’impression de ,,creation” dans le cas de la cat4gorie !I?

I1 suffi.t de formuler la question d’une autre manike pour la faire voir sous un jour tout different. Elle revient en effet, en derniere analyse ci se demander pourquoi l’objet ne possede pas de limite temporelle anterieure propre dans ce cas.

11 va de soi que l’apparition (la disparition Cventuelle de l’objet) se produit a un certain moment du temps phenomenal et qu’elle est done ,,situCe” dans le cows temporel g4nCral de la vie psycbique. Mais cette determination demeure extrinseque a I’objet et marque uniquement le debut de sa ,,prtsence”, sans impliques aucune indication relativement B son origine, B sa gen6se. Celle-ci reste com$&ement indetermmee; l’objet ne semble ni CT&, ni prdexistant, B l’instant oh il commence a faire partie de notre experience perceptive, et la seule chose que l’on puisse dire a son sujet est precisement ce que rapportent 12s observateurs lorsqu’ils repondent ,,qu’il n’y avait rien et que, maintenant, il y a quelque chose”, formule banale, mais qui est, au fond d’une exactitude etonnante.

On peut ajouter que cette situation phenonkale est tres semblable B celle que l’on rencontre souvent dans les cas de substitutions, tel celui de notre tout premier exemple. Ce serdt une erreur en effet de concevoir la substitution comme imp% quant necessairement une ,,crCation” succedant a une ,,annihi- lation” phenom&iales; il arrive frequemment au contraire qu’elle soit d&rite elle aussi au moyen de la formule suivante: ,,il y avait cela B tel endroit, et maintenant, tout B coup, il y a ceci”, formule semblable g la precedente et dont il semble rkwlter que I’impression typique de la categoric A se ram&e en fin de compte B une pure substitution.

Dans le cas de la ,,crCation”, il en va tout autrement. II ne s’agit plus uniquement d’un d&but de prksence, mais d’un corn- mencement d’exktence puisque l’on assiste i la formation de l’objet, & son deploiement a partir de rien! L’objet meme subit un developpement progressif, on le voit ,,devenir” ce qu’il est, processus evolutif qui peut se reduire dans les cas extr6mes a de simples mouvements Gamma.

Or, il est evident que l’objet possede dans ces conditions une

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312 A. MICHOTTE

structwe temporelle i.nttins&que correspondant au rythme de son d&eloppement, et que la limite antkrieure de cette dvolution constitue la limite temporelle propre de l’objet. Et celle-ci lui appartient au m6me titre que dans le domaine spatial, le contour d’une Gwe appartient $ celle-ci et non au Fond sur lequel elle se d&&e.

Tout; le probl&me se centre done SW la distinction, qui parait essentielle en la matike, entre le temps exteTne & l’objet, dans lequd cdui-ci est simplement localish, et son temps propre, caracrhstique intrin&que qui assigne une limite dhfinie au d&but de sa formation, en fonction de celle-ci m&me et pas seukmen:: en fonction du dhroulement de I’ensemble de la vie mentale.

En dkfinitive c’est done l’a,osence d’&olution apparente de l’objet (et mBme de i’illumination) qui semble devoir rendre cornpee du fait qu’il n’y ait aucune impression de naissance dans le eas de la catCgorie A, et cela explique d’une manikre g&6rale pourquoi I’apparition subite d’un objet dans notre exphence ne se prksente pas toujours sous la forme d’une ,,creation” phknomknale 8).

Ce qui prkdde fait aisCment comprendre par contre qu’il y ait impression de crkation de l’illumination dans le cas de la categoric B. Ceci r6su.lt.e B la fois de ,,l’expansion” phCnom6nale habituelle de la lumike, laquelle constitue une vkritable Gvolu- tion, et de l’autonomie considhrable qu’elle possGdait alors par rapport & l’objet 9).

Mais. il y a un autre aspect de la structure I3 que nous n’avons pas exore touch6 et qui est important lui aussi. 11 nous semble indubitablle en. effet qu’il y a dans ce cas impression de prCedstenrce de l’objet par rapport Q son illumination. Et ceci PW

“) La meme chose se vkifie semble-t-i1 dans le domaine de l’audition. Qcand on fait entendre soudain un son dans une chambre silencieuse, il y a figalemenl simple succession d’un stade de presence a un stade d’absence. Mais II en va autrement lorsque l’apparition s’accompagne d’une augmen- tation gr~gtessive d’intensit6. ou lorsque l’on fait entendre une melodic p4ui, par sa nature m&me, posskde un temps propre. _

Q, 1.a dissociation entre l’klairement et les couleurs propres de l’objet se manfestlaits a vrai dire Bgalement dans les autres exp&rieaces, en ce que l’objet donnait d’embl6e l’impreswon d’&re fortement &lair& (dans nos conditions exphimentales). Mais le fait essentiel dans ces cas etait Yabsence da ,,devenir” caractkistique de l’illumination.

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LA PERMANENCE PldNOM6NALE 313

constitue un nouveau probleme &ant don& que la pr6existence d’antkrioriti implique une certaine determination, si vague soit-elle d’ailleurs, de la duree propre de l’objet. Or, celui-ci paraissant inerte, stabilise, comment se fait-i1 qu’il presente ce caractere d’extension dans le passe?

La comparaison des catkgories A et B fournit peut-&re une indication a ce sujet. Si en effet, la prhexistence apparente ne se manifeste q_ue pour la catkgorie B, c’est qu’elle est lice d’une facon ou de l’autre au caractke qui diffkencie celle-ci de la categoric A, c’est-a-dire, Q la presence de l’impression de c&tion de Wlumination.

11 faut remarquer Q ce propos que les rapports de l’objet et de son Bclairement ne se rkduisent pa.s a une simple juxtaposition, La 1umiGre uffecte l’objet puisqu’elle l’illumine et, malgrk la distinction de ses diffhrents aspects, l’expkience globale constitue une uniti! tres forte, bien ordonnee, pleine de sens, qui s’oppose a ce point de vue au car-act&e un peu incoherent de la catkgorie A.

Mais si les constituants de l’experience subjective (objet et Bclairement) sont aussi etroitement unis, il n’est pas Ctonnant que les propri&% de l’un puissent avoir une certaine repercus- sion sur celles de l’autre. Reste a voir comment cette influence pourrait dtre conque.

On pourrait songer entre autres a une interpretation a:;sez simple, qui aurait en outre l’avantage d’6tablir un noweau rapprochement entre le domaine du temps et celui de l’espace. Co:mme nous l’avons signal6 il y a un moment, l’eclairement possede une li,mite temporelle ant&ewe propre puisqu’il semble c&e au moment de son apparition, tandis que l’objet n’en posskle pas. Or ceci fait naturellement penser encore une fois a la distinction entre Figure-Fond. La aussi, il s’agit de deux consti- tuants de l’experience dont l’un possede une limite alors que l’autre n’en a pas. Et le resultat de leur coordination dans l’espace se manifeste en ce que le fond semble se prolonger derriere la figure, ce yui pourrait s’exprimer encore en &ant que le fond semble exister en de$ des front&es de la figure. Pourquoi n’en irait-il pas de m&me pour le temps &ant donne que les conditions d’excitation sont paralleles dans les deux domaines? Les deux Wnements, illumination et apparition de l’objet ont,physiquement partant une limite temporelle commune

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314 A. MICHOTTE

puisqu’ils se produisent au m&me moment du temps physique, comme les deux plages du champ spatial (celle de la Figure et cede du Fond) ont une front&e commune dans l’espace physique. Mais phenomenalement parlant, la limite temporelle n’appartient qu’8 l’un des evenements, comme la front&e spatiale n’appartient qu’P I’une des plages. Dans ces conditions, on ne voit pas pour quelle raison l’autre constituant de l’expkience globale, l’objet, ne pourrait pas sembler se prolonger en de@ de la limite temporelle de l’illumination et donner par consequent une impression de preexistence, au meme titre que le fond donne l’impression d’Czre present derriere la Figure. Toutes les don&es du probleme nous paraissent au contraire @aider en faveur de cette conception.

D’autres hypotheses pourraient egalement Gtre prises en con- sidkation. Ainsi, il ne parait pas impossible que l’opposition entre le ,,devenir” de l’eclairement et la stabilite de l’objet se trouve accent&e dans la structure d’ensemble, ,,comme si” la progression, temporelle de l’illumination entrainait une Ggres- sion apparente de l.objet, et rejetsit celui-ci en quelque sorte dans le ,,passk”, passe indetermine d’ailleurs et qui se tradrxirait simplement par une impression de ,,dejH 15”.

Pareil phenomene pourrait se comprendre B l’instar de ce que l’on observe dans le cas des mouvements induits. Lorsque deux points forment une unite de groupe et que l’un d’eux se meut dans la direction de l’obrervateur alors que l’autre demeure immobile, on a dans certaines conditions, comme on Ze sait, l’impression que celui-ci se d&place en sens oppose. N’y aurait-il pas quelque chose de semblable ici?

Tout ted ne sont que de simples suggestions, bien entendu, mais des suggestions qui seraient sans doute susceptibles d’&re ~ontr&es en procedant a des experiences systematiques. On pourrait notamment cbercher B rendre moins ambig& les

conditions experimentales de faqon a ce qu’elles deviennent coercitives et imposent aux observateurs les impressions de la categoric B. Ce resultat serait atteint sans doute si l’on augmen- tait considkrablement la surface du fond et si l’on multipliait le nombre des objets qui se detachent sur celui-ci; ou mieux encore, si l’on remplaqait l’instantan6it4 physique de l’eclaire- ment par une augmentation progressive de l’intensit.6 lumineuse a partir de zero. Ceci aurait vraisemblablement pour effet

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LA PERMANENCE PHtiNOMbNALE 315

d’accentuer la skgrbgation de l’objet el de l’illumination, et permettrait d’htudier de plus PI& les conditions dhterminantes de la permanence d’ant&iorit8 de l’objet 10).

Enfin, les rhultats des observatiors de la catkgorie B montrent clairement nous semble-t-il, que la diffhrence signal&e plus haut entre le cas de l’illumination subite des objets et celul des projections lumineuses repose sur une confusion.

De fait, ce qui se passe lors des projections est tout B fait semblable en principe, B ce que l’on observe lors de l’klairement des objets. La seule difference rCside dans ce que l’on considkre respectivement comme objets et comme klairement; et c’est

cela qui peut prCter B malentendu.

La projection en effet est, elle-m&me ,,lunni&re” (projections

lumineuses!) et A supposer que !a Salle dans laquelle se trouve

I’observateur soit absolument obscure, celle-ci se trouve

,,&lairke”, ainsi quk les objets qui s’y trouvent: &ran, encadre-

ment, spectateurs, etc. au moment oti parait l’image, exactement

comme si Ton avait allurn soudain une lampe klectrique. 11 y a

done permanence de la Salle et de son contenu et ,,criation”

apparente de la lumi&e 11).

La confusion provient ici du fait que c’est une image rep6 sentant die-m&e des objets qui remplit la fonction de la ,,lumGre” et c’est Q ce dernier titre qu’elle semble ,,crC&e” dans ce cas 12) ; mais il n’en va pas nkessairement de m$me pour les

10) Peut-htre des experiences de ce genre pourraient-elks aussi provo- quer l’impression d’une creation simultanCe de l’objet et de l’kclairement, au cas oti la progression serait suffisamment lente pour qu’il y aitl au dbht un stnde non structurd et incolore, &o!uant vers une organisation et une coloration difinies.

11) Ce serait une erreur, il n’est peut 6tre pas inutile d’y insister, de croire quo l’apparition d’un &clairement” plorte toujours le caractke de ,,cr&ation”. L’bclairement, aussi bien que les couleurs films ou que leS couleurs d’objets peut, lui-sussi, sembler prbexistant. C’est ce qUi se realise par exemple lorsque l’on ouvre brusquement la Porte d’une chambre et que celle-ci apparait d’emblbe plus ou moins fortement IClalr8e.

12) 11 n’est pas impossible que i’on puisse rkaliser des conditions exP&- I,imentales telles. qu’une projection donne I’impression d’cn simple &laire- ment d’une image peinte ou dessinke prdalablement sur I’bXan, mais CeCi

demontrerait uniquement que certalns artifices ophratoires permettat de provoquer une structure perceptive semblable a celle que nOuS awns observbe A propos de l’zxpkrience 3 et n’aurait aucune Port&e theoriw spbciale.

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316 A. MICHOTTE

objets TeprBsentCs par l’image. Et il est intkressant de remarquer B ce propos que l’on retrouve, h l’intkrieur de l’image, la dissocia- tion entre les co*uleurs propres des objets et leur kclairement, et que cela peut justifier la permanence apparente des objets reprCsent&s. Que l’on songe seulement aux effets d’klairement que l’on observe au &&ma lorsqu’on y voit allumer les lumi&res ou ouvrir les rkeaux d’une chambre! C’est l$ un t&s be1 exemple de la s6gr6gation des espaces et e la skparation des ,,systGmes”, qui isole le champ propre de l’image, de celui de la Salle dans laquelle elle est projetCe 13).

Passons maintenant A I’examen d’un autre cas de permanence, appartenant cette fois au domaine du tact.

Lorsque nous touchons un objet, ou que dans l’obscurit4 nous heurtons du pied un obstacle que nous n’avons pas vu, ou encore quand un objet, une balle par exemple, vient nous heurter dans Ee dos, nous n’avons point l’impression d’une ,,crkation” de ces objets au moment ou nous les sentons. Et ii en va de mBme chaque fois que nous faisons quelques pas dans une chambre sans lumi&e, ou les yeux fermk; le sol dont nous percevons Ir? rkistance sous les pieds parait Cgalement pr4ez:ister A notre expkrience actuelle.

On dira peut-Ctre que ceci provient de ce que le contact brusque d’an objet nous donne immbdiatement l’impression d’un corps physique solide et resistant, et que ce caract&e serait determinant de la permarience apparente.

I1 ne manque pas d’arguments, d’ailleurs, qui paraissent plaider dans ce sells, et notamment la constatation que d’autres cathgories d’impressions tactiles prksentent l’aspect ,,crCation” lors de leur apparition, tels le chatouillement, la dbmangeaison, une douieur interne ou cutanke provoquee par une lCg&re piqQre, ou encore de faibles sensations de contact, voisines du seuil. Cela &ant, on pourrait imaginer que la permanence serait li&e A l’objectivation, et i’absence de permanence A la subjectivation des rkponses aux excitations tactiles-kinesthkiques.

Seulement notre discussion des exemples visuels est de nature B inciter & la prudence et B un certain scepticisme quant au r61e d’aspects de l’expkrience tels que l’objectivation et la subjec- tiration.

‘3 Cf. Nichotte, Inc. cit. p. 10.

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LA PERMANENCE PHeNOM&NALE 317

Et au surplus, il est sage de se demander s’il est vraiment necessaire de recourir B differents principes d’explication de la permanence ou de la non-permanence, principes qui varieraient suivant le domaine sensoriel que l’on considere.

Or, il suffit d’examiner la question d’un peu pres pour se rendre compte que la distinction entre les aspects objectif et subjectif de l’experience tactil, 13 intervient effectivement en l’espece, mais d’une maniere asset differente du r6ie qu’on serait tent4 de lui attribuer a premike vue.

11 est clair que dans la perception du contact d’un objet extikieur avec notre peau, ou de la pression qu’il exerce sur elle, il ne s’agit nullement d’une objectiva~ion pure, exclusive, car s’il en etait ainsi nous aurions simplement l’impression d’un objet situ6 A distance, en tel endroit de lespace tri-dimensionnel, comme dans le cas de l’experience visuelle. Or, I’impression est tout autre; c’est celle d’un objet en colatact avec telle ou telle purtie de notre corps. L’excitation produite sur la surface cuta- n&e donne done naissance B une double impression, l’une ,,objective” qui est celle de la chose, l’autre ,,subjective” qui est celle du contact avec la peau. En d’autres mots, on se trouve en presence d’un cas de dedoublement phenomknal, le mCme syst+me d’excitations produkant a la fois deux impressions differentes. Et il est bien evident que, si I’clbjet ne parait pas naitre au moment oh il est senti, l’impression de contact par contre semble Cphemere, elle est soudainement creee et s’evanouit ensuite.

L’impression du contact cutane joue done en somme dans l’experience tactile un role analogue P celui de l’iclairement dans l’expkience visuelle de la catesorie B. Et ceci est d’autant plus aisement comprehensible que le contact de l’objet avec la peau produit une dkformation progressivle de celle-ci et que par consequent, les conditions objectives sont de nature a favoriser l’aspect Cvolutif de l’impression de contact, et ce qui s’ensuit: structure temporelle intrinsitque, limites propres, creation et annihilation.

L’analyse des quelques cas discut6s dans ces pages fournit semble-t-i1 une documentation suffisante pour tenter u1 essai de synthese generale des problemes concernant la Permanence et la non-permanence phenomenales.

11 convient d’insister tout d’abord su.r cette v&it& que la

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318 A. MICHOT I-E

question de la permanence doit &ttre envisagee dans la perspec- tive de la psychologia du temps, a laquelle elle ressortit d’ailleurs par definition. Et, B ce point de vue, nous avons et6 amen& a souligner la distinction fondamentale entre le temps phenomenal externe aux processus et leur temps intrinseque.

Tous les e-enements constitutifs de la vie psychique se deroulent evidemment dans le cadre du temps phenomkal dans lequel ils sont ordonnes les uns par rapport aux autres. Et ii va de soi que le moment de l’apparition ou de la disparition d’un objet ainsi que sa &tree ont toujours leur place marquee dans ce courant chronologique. Mais cela parait d’importance secon- daire pour ce qui concerne la permanence phenomenale.

On a vu, en effet que dans les cas 06 un objet apparait ou disparait brusquement sans subir aucune evolution interne, les impressions de naissance ou d’aneantissement, de preexistence, ,... -l, _.. .rG swvie font defaut. L’apparition marque le debut de la ,,pr&ence” de l’objet, mais les donnees phenomkmles sont muettes au sujet du debut de son ,,e&tence”. Et, lorsque l’objet demeure stable pendant toute la duree de sa perception, sa presence continue implique il est vrai son existence, mais celle-ci n’est assuree que pour cette tranche du temps et rien n’indique sa p&ennit@, en de@ ou au deli de la p6riode de presence.

Or tout ceci ne touche g&e les veritables probl&mes de la permanence, car ceux-ci viscnt ,,l’existence” m&me de l’objet, son origine ou son terme et sa continuit6 dans le temps: pr& existence et survie, rnb ,ntien de son identite a travers les modifications diverses qu’il peut subir.

Le resultat de notre enqu&e a montre que ces aspects de la permanence et de la non-permanence pouvaient se manifester comme don&es specifiques d’expkicnce, sous la forme de phenomenes caractkristiques repondani B des conditions d’exci- tation bien determinees, et que, au surpZ.us, ils etaient intimement lies au fait que les processus posddent une structure temporelle intrinseque qui constitue leur temps propre.

Pour ce c@ est des impressions de creation et d’aneantisse- _ment d’un objet, elles correspondent au fait que l’objet m&me semble dans certaines conditions se former, se developper au moment de son apparition ou au contraire se replier sur lui- m&me qpand il disparaft. 11 ,,devient”, ou il ,,s%vanouit” progressivement, et cette evolution est un processus intrinseque

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LA PERMANENCE PHl?NOMl?NALE 319

qui n’est pas simplement incorpore dans le temps ,,externe”, mais qui a son rythme A lui et possede par consequent des limites propres, lesquelles marquent necessairement le debut ou le terme de ,,l’existence” de l’objet.

Quant 21 la permanence proprement dite, nous en avons mention& trois cas qui sont assez representatifs sans doute de la grande majorite de ceux que l’on rencontre dans la vie courante: le Changement, l’effet Ecran et l’effet Illumination. Et, au point ou nous sommes arrives B present, il est tout indique de les comparer et de tenter de les rapprocher les uns des autres.

L’impression de changement se caracterise par le maintien de I’identite de l’objet malgre les modifications apparerltes de

C&i&es de ses proprietes, et nous avons in&p&t& ce ph&+

mene en faisant appel A la notion de Gestalt, de ,,cachet spkifique global.” correspondant Q l’union et a la coordination de l’enssmble des prop&t& constitutives de l’objet.

Cela &ant, la possilnilit6 de la permanence de i'objet est

manifestement like au fait que le cachet specifique dont il est question est une donrke phenomenale sui gene&, jouissant d’une autonomie relative par rapport aux diverses proprietes particulieres qu’il englobe.

D’,autre part, un instant de reflexion permet de reconnaitre que ce cas, class4 jusqu’l present parmi ceux de permanence de continuite, n’est au fond qu’un cas de permanence d’anteriorite. En effet, le changement lui-m&me est un processus qui, si rapide soit-il, apparait toujours comme une dvoIution partielle de l’objet; il se prksente done comme un ,,devenir” et posdde de ce chef une limite temporelle anterieure propre. Mais cette evolution se bornant A certaines proprietb et n’atteignant pas le cachet spkifique lui-m$me, sa limite anterieure n’est pas celle de l’existence de l’objet; et celui-c? prdexkte au changement qu’il subit. Lorsqu’on parle de perm,-wnce de continuite dans ce cas, il s’agit simplement d’une autre perspective qui fait mettre l’accent sur le fait que l’objet dQjg existant, continU@ ix exister ulterieurement. Et l’on voit ainsi que (exception faite pour le cas de la continuite absolue qui ne pose en realite guere de problem& la distinction entre permanence de continuite et permanence d’anteriorite ou de posteriorit ne repose en somme

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320 A. IW3iOTTE

que sur la dSf&ence des poi.nts de vue que l’on adopte pour dtkrire ou pour exprimer une mBme don&e phknombnale.

Dans le cas de l’illumination, la preexistence d’ant&ioritk de l’objet se prkente dans des conditions tres diffkentes, en ce sens que I’c$3jet n’est pas visible et n’existe m&me pas phCno- menalement avant son bclairement. Et elle se vkrifie nkanmoins, crayons-nous, parce que l’illumination poss&de une limite temporelle antkieure propre, en de$ de laquelle l’objet parait s’ktendre dans le pass6 (un pas.4 indefini par nature), A l’instant 06 on le pergoit, ce qui se traduit par une impression spkifique de ,,dCjP I&“.

L’effet Ecran enfin, a, lui aussi, ses caractkes particuliers, &ant donne que les parties, encore (ou dkj&? caehkes de l’objet, existent ph6nomknalement par suite de l’appartenance exclusive Q l’&ran, de la front&e qui &pare celui-ci de l’objet recouvert. Et eeci se produit bien que ces parties ne soient pas actuellement visibles et qu’elles restent nkessairement indhterminkes dans leur grandeur.

Pour ce qui est du temps, l’apparition de l’objet se fait Cgalement d’une man&e spkiale puisque ce dernier semble sortir de derriPre l’kan, glisser progressivement. I1 y a done encore une fois &olution temporelle, et celle-ci a sa limite antkieure propre qui ma, que le commencement de l’apparitiorr de l’objet., 11 ne s’agit cependant pas d’une ,,cr&tion” de celui-cl parce que prCcisCment, les conditions spatial:es assurent sa prkexistence, et sa rigidit apparente 14). L’objet lui-m&me n’est done le siGge d’aucune kvolution interne, il parait d’emblke parfaitement stabilis6 comme darns le cas de l’illumination. Et, par consCquent, la limite temporelle n’appartient qu’au mouve- ment de glissement et ne marque que le dhbut de l’apparition de l’objet, sans l’affecter lui-m$me.

La comparaison de ces trois cas est extrGmement instructive. Elle montre en effet que, malgr6 lear diversite, ils r&pond& tous A un schema d’oTganka?ion structurale de la perception, qui est semblable en princifie.

Dans ltes trois exemples citb, il se produit un dedoublement

14) Vuir & ce propos: Knops. Ice. cit. pp. 589 seq.

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LA PERMANENCE PHtNOMkNALE 321

phenomenal, puisque le systeme des excitations aboutit A donner deux categories distinctes d’impressions jouissant d’une auto- mmie relative les unes par rapport aux autres, mais intimement 1iCes: le cachet global specifique et les proprietes particulicres de l’objet, pour le changement; 1’Cclairement et l’objet, pour l’illumination; l’ecran et l’objet recouvert, pour l’effet Ecran.

De plus, chaque fois, l’un de ces aspects de l’experience globale subit une evolution progressive et posdde de ce chef une limite temporelle anterieure propre; ce sqnt la modification apparente des proprietb, pour le changement; l’expansion de la lumiere, pour l’eclairement; et le glissement de l’objet, pour l’effet Ecran. Quant a l’autre aspect de l’experience, il est au contraire stabilise: cachet specifique global de l’objet dans le cas du changement, objet eclair6 dans celui de l’illumination, objet decouvert dans celui de l’effet Ecran.

11 y a done un parallelisme evident dans les structures per- ceptives, et ceci donne la cl6 de toute la question, car il n’est pas difficile de se rendre compte que ce genre de structure est le seul qui puisse correspondre B une permanence d’antkriorite; et que de plus, il doit necessairement en presenter l’apparence. En effet, la permanence d’anteriorite suppose par nature un d&alage des Zimites temporelles, &ant donne qu’il ne peut y avoir, par definition, de preexistence que si l’objet existe deja avant qu’un evenement qui le concerne commence B se produire. Sa limite temporelle a lui (pour autant qu’il en ait une au point de vue phrkomenal) ne peut done co’incider avec celle de l’evenement nouveau. Or ceci n’est possible que s’il y a dcdouble- ment phenomenal, c’est a dire si l’expkience toiale prkente deux aspects distincts fortement uais, dont l’un posstide une

front&e temporelle qui ne coincide pas avec le debut de l’existence de l’autre.

Le dedoublement phenomenal apparait ainsi comme une condition fondamentale de la permanence d’anteriorite, et pour le reste, le probleme se ramene en derniere analyse b celui de la cdincidence ou de la non-comcidence des limites temporelles.

Bref, la permanence des objets est non seulement, dans ccrtaines condit:ions, une donn6e phenomenale originelle, mais de Plus, elle se comprend aisement A partir des principes qui gouvernent l’organisation structurale des perceptions.

Les connaissances acquises au tours de la vie elargissent sans

Page 25: A propos de la permanence phénoménale faits et theories

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doute considerablement la port&e et la signification de la permanence, en la liant au concept de substance, et en confirmant appare‘mment nos convictions spontanGes & son egerd. Mais on trouve d&j& sur le plan perceptif m&me, ici eomme en d’autres mat&es, celles de la causalitC et de la &alit& notamment, une veritable prhfiguration ph&nom&Ae des resultats de l’elabora- tion des don&es de l’expkience par la pens&e non-critique (au sens phiksophique du mot), en fonction de laquelle se developpe normalement le comportement humain.