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Hisrory of .Europe~ Ideas. Vol. 9. No. 4, pp. 405-422, 1988 0191.6599188 $3.00+000 Printed in Great Britatn 0 1988 Pergamon Press plc. A PROPOS D’ISAAC CASAUBON: LA CONTROVERSE CONFESSIONNELLE ET LA NAISSANCE DE L’HISTOIRE FRANCOIS LAPLANCHE* La Reforme et la Contre-Rtforme ont produit un vaste bouleversement de l’occident chrttien, dont les effets sont reperables dans le champ non seulement religieux, mais encore social, politique, culturel.’ S’agissant de ce dernier, il n’est pas stir que ‘l’archeologie’ des ‘sciences humaines’ ait suffisamment cherche a s’instruire du c6te de l’histoire de la thtologie, laisste aux specialistes de l’incomprthensible ou aux courageuxtrudits de type ‘benedictin’. Pourtant, Paul Veyne, il n’y a pas si longtemps, attirait l’attention sur le veritable lieu oti devait 2tre cherchee la naissance de l’histoire a l’tpoque moderne: ‘si on cherche au XVIIe siecle quelque chose qui ressemble un peu a ce qu’on entend par science historique au XIXe sikcle, on le trouvera, non dans le genre historique, mais dans la controverse’.2 Nous nous rangerons volontiers a ce jugement, en notant toutefois, comme le prtcisera plus loin cet article, que les controversistes sont eux-mimes tributaires des recherches historiques entreprises au XVIe sikcle par les philologues et les juristes: la naissance de l’histoire doit etre cherchte aussidu c6te de la critique textuelle et de la justification erudite qu’exigeait la fondation juridique des Etats modernes.3 Cette precision ajoutte, nous voudrions montrer, sur un exemple particulier, celui de la critique des Annales de Baronius par Casaubon, comment et pourquoi la controverse confessionnelle concerne de prks la naissance de la science historique. Cette demonstration suppose le rappel prealable de la dimension proprement culturelle de la controverse confession- nelle aux XVIe-XVIIe siecles (5 1). Nous Cvoquerons ensuite le conflit entre l’historiographie protestante, reprtsentee par les Centuries de Magdebourg et l’historiographie catholique que leur opposent les fameuses Annales du cardinal Cesar Baronius (5 2). Nous examinerons au 9 3 comment pro&de Casaubon pour critiquer Baronius. Les Exercitariones de Casaubon se limitant a des remarques concernant seulement le premier tome des Annales de Baronius qui couvre le premier sikcle aprks le Christ, notre etude se tiendra dans ces bornes chrono- logiques.4 I-LE CADRE CULTUREL DE LA CONTROVERSE CONFESSIONNELLE 11 est hautement significatif que les compilateurs de 1’Histoire ecclksiustique des iglises francoises rkform~es (1580) fassent dater les debuts de la reformation de l’Eglise, non de la revolte de Luther contre le pape et ses thtologiens, mais du retour aux originaux de l’Ecriture, avec Reuchlin pour l’hebreu, Erasme pour le *2 Rue Emile Hatais, 49100 Angers, France. 405

A propos d'isaac casaubon: La controverse confessionnelle et la naissance de l'histoire

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Hisrory of .Europe~ Ideas. Vol. 9. No. 4, pp. 405-422, 1988 0191.6599188 $3.00+000 Printed in Great Britatn 0 1988 Pergamon Press plc.

A PROPOS D’ISAAC CASAUBON: LA CONTROVERSE CONFESSIONNELLE ET LA NAISSANCE DE L’HISTOIRE

FRANCOIS LAPLANCHE*

La Reforme et la Contre-Rtforme ont produit un vaste bouleversement de l’occident chrttien, dont les effets sont reperables dans le champ non seulement religieux, mais encore social, politique, culturel.’ S’agissant de ce dernier, il n’est pas stir que ‘l’archeologie’ des ‘sciences humaines’ ait suffisamment cherche a s’instruire du c6te de l’histoire de la thtologie, laisste aux specialistes de l’incomprthensible ou aux courageuxtrudits de type ‘benedictin’. Pourtant, Paul Veyne, il n’y a pas si longtemps, attirait l’attention sur le veritable lieu oti devait 2tre cherchee la naissance de l’histoire a l’tpoque moderne: ‘si on cherche au XVIIe siecle quelque chose qui ressemble un peu a ce qu’on entend par science historique au XIXe sikcle, on le trouvera, non dans le genre historique, mais dans la controverse’.2 Nous nous rangerons volontiers a ce jugement, en notant toutefois, comme le prtcisera plus loin cet article, que les controversistes sont eux-mimes tributaires des recherches historiques entreprises au XVIe sikcle par les philologues et les juristes: la naissance de l’histoire doit etre cherchte aussidu c6te de la critique textuelle et de la justification erudite qu’exigeait la fondation juridique des Etats modernes.3 Cette precision ajoutte, nous voudrions montrer, sur un exemple particulier, celui de la critique des Annales de Baronius par Casaubon, comment et pourquoi la controverse confessionnelle concerne de prks la naissance de la science historique. Cette demonstration suppose le rappel prealable de la dimension proprement culturelle de la controverse confession- nelle aux XVIe-XVIIe siecles (5 1). Nous Cvoquerons ensuite le conflit entre l’historiographie protestante, reprtsentee par les Centuries de Magdebourg et l’historiographie catholique que leur opposent les fameuses Annales du cardinal Cesar Baronius (5 2). Nous examinerons au 9 3 comment pro&de Casaubon pour critiquer Baronius. Les Exercitariones de Casaubon se limitant a des remarques concernant seulement le premier tome des Annales de Baronius qui couvre le premier sikcle aprks le Christ, notre etude se tiendra dans ces bornes chrono- logiques.4

I-LE CADRE CULTUREL DE LA CONTROVERSE CONFESSIONNELLE

11 est hautement significatif que les compilateurs de 1’Histoire ecclksiustique des iglises francoises rkform~es (1580) fassent dater les debuts de la reformation de l’Eglise, non de la revolte de Luther contre le pape et ses thtologiens, mais du retour aux originaux de l’Ecriture, avec Reuchlin pour l’hebreu, Erasme pour le

*2 Rue Emile Hatais, 49100 Angers, France.

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grec.5 Peut-on mieux dire que, d’emblee, la Reforme offre une nouvelle lecture de l’histoire de l’Eglise, ou se trouve privilegit le temps de l’origine? Avec celui-ci, la vieille Eglise ne peut entretenir qu’un rapport confus, incertain, puisque la transmission orale autorise la diffusion, sournoise ou na’ive, de toutes les rumeurs et la formation des lttgendes les plus absurdes (fussent-elles, au long du temps, mises par tcrit). L’ecrit, au contraire, si le lecteurest assure d’en posseder le texte original, defie l’usure et la corruption dues au temps qui passe. C’est en ce point prtcis d’affrontement entre partisans du retour a l’origine par la lecture d’une ‘tcriture’ et partisans de la soumission a une ‘tradition’ venue du fond des ages que se joue le drame religieux des XVIe et XVIIe siecles. La lecture de la ‘petite litttrature’ de controverse ne laisse aucun doute a cet igard: il y est moins question du contenu de la foi que de sa regulation (par 1’Ecriture seule ou par 1’Eglise). Le foisonnement des disputes sur les articles de doctrine controverses semble lasser les auteurs de cette ‘petite litttrature’; ils vont alors au plus press&: qui sera autorise a se dire ‘juge des controverses’?6

La reponse catholique ttait toute prete: ce sont les nouveaux Venus, les novatores, qui ont tort, car la v&rite se situe ntcessairement du cot& de l’antiquitt. I1 s’agissait la d’une conviction immemoriale, que les Peres de 1’Eglise avaient victorieusement opposee aux pa’iens, arguant de la ‘nouveaute’ du christianisme pour le rejeter hors de leur culture. Tout au contraire, rttorquaient les apologistes chretiens, c’est nous qui sommes les plus anciens, car notre religion est celle meme que Dieu a enseignee au premier couple humain et les votres n’en prtsentent que des copies deform&es.’ Le meme argument etait employ6 aussi par les eveques et docteurs de 1’Eglise ancienne contre toute contestation de l’enseignement recu: 1’Eglise ‘catholique’ (celle qui ne se rtduit pas a 1’Eglise locale) posstde la veritt par droit d’anciennete. Contre les protestants, les dtfenseurs de 1’Eglise romaine dressaient une eloquente liste d”innovations’: rejet hors du canon d’un certain nombre de livres bibliques, innombrables mutilations de la liturgie, suppression des ordres monastiques et du ctlibat des pretres, rupture avec les glorieuses traditions du royaume (en Angleterre et en France.. .). Aussi ancienne que la predication chretienne, notre Eglise remonte mkme aux premiers temps du monde, continuaient les controversistes catho- liques.8 Ou etait done votre Eglise avant Luther?

Face a cette antiquite impressionnante du catholicisme, la courte duke du protestantisme ne semblait en effet mordre que sur une tres mince frange du temps. 11 fallait, de toute necessite, relever le defi, revendiquer pour le protestantisme l’antiquite ‘veritable’ et retourner le prods, en denoncant dans les croyances et pratiques catholiques, soit une detestable ‘nouveaute’, soit une antiquite fabriquee a coup de faux documents. A la rigueur, la premiere demarche aurait suffi: en vertu du principe de la so/a Scriptura, les controver- sistes protestants pouvaient se contenter de mesurer l’ecart entre les donnees scripturaires et la rtalite catholique romaine. Mais la demonstration frappait davantage les esprits, si les innovations papistes se voyaient d&rites comme l’oeuvre de Satan, pkre du mensonge: le nombre de textes falsifies ou inauthentiques que la vieille Eglise conservait dans ses coffres invitait a entreprendre cette denonciation. L’oeuvre des Centuriateurs de Magdebourg prend place dans ce mouvement general de l’historiographie protestante. Toutefois, elle merite une mention speciale, dune part a cause de ses qualites

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scientifiques, d’autre part a cause de la ‘refutation’ de Baronius et de l’impulsion ainsi don&e a tout un mouvement de recherche historique.

2-LES CENTURIES DE MAGDEBOURG ET LES ANNALES DE BARONIUS

I-Les Centuries

A-L’hPritage historiographique: L’innovation culturelle n’est jamais totale. Elle se situe au croisement de

plusieurs traditions qu’elle remanie. Dans les Centuries, se lit en fond de decor le combat augustinien des deux cites que, depuis Melanchthon, l’historiographie protestante actualise en identifiant la cite de Dieu aux Eglises n&es de la Reforme, la cite du ma1 a la vieille Eglise. Puisque ce combat, aussi ancien que le monde, devient sptcialement virulent a partir de l’Incarnation, il faut montrer que les vrais chrittiens ont, dks les debuts de l’Eglise, adopt6 la lecture ‘protestante’ de I’Ecriture. Mtlanchthon avait deja tent6 la demonstration dans ses ouvrages historiques et il ttait parvenu, grace a ses ressources d’humaniste, a de solides rtsultats. Ainsi pouvait-il soutenir qu’un certain nombre de doctrines ou de coutumes romaines avaient Cti: inconnues des ages anciens: le septenaire sacramentel, la communion sous une seule esptce, la specification des peches dans la confession, le ctlibat eccltsiastique.’

Pour atteindre plus eficacement son but, la demonstration de 1”antiquitC des doctrines protestantes va choisir d’editer ou de rtediter des oeuvres patristiques ou mtditvales dtfavorables aux croyances romaines. Et, pour faciliter la t&he des controversistes, il sera tout indique de composer des recueils de textes ou d’extraits de textes marquant, depuis les temps apostoliques, l’existence d’une ‘perpttuite de la foi’ contraire a celle dont se prkaut Rome. Telle est l’origine des ‘catalogues de ttmoins de la v&it&’ composes par les protestants. Nous retiendrons ici que ce genre litteraire a et6 inaugure par le principal responsable des Centuries, Flavius Illyricus (Matija Vlacic): il entendait ainsi condamner la lachetit que constituait a ses yeux l’acceptation par les theologiens de Wittenberg de l’lnterim d’Ausbourg. Pour mieux resister a l’empereur et regrouper les protestants, Flavius concut encore un plus vaste dessein, celui de rediger une grande histoire de l’Eglise, qui dtmontrerait definitivement la nouveautt du papisme. lo L’histoire de la redaction des Centuries a Ctt solidement faite par Heinz Scheible et Jean-Francois Gilmont, qui ont souligni l’ampleur de la documentation recueillie, le caractere collectif de l’oeuvre et son originalitt.”

B-L’innovation culturelle:

1-Nouveautk des Centuries. Des le premier contact avec l’oeuvre, les Centuries frappent par un caracttre de nouveautt. Le temps de l’histoire sac&e n’est plus distribue selon les ages du monde, mais en sikcles (d’oti le nom de Centuries), g partir de la naissance du christianisme. Surtout, l’tcriture traditionelle de l’histoire est brisee: il ne s’agit plus de tenir une chronique des tvtnements, mais d’exposer une histoire universelle de l’Eglise, comprenant successivement la description gtographique des communautes (chap. II), l’etat

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de 1’Eglise (tranquillite et persecution, chap. II), la presentation des doctrines et des heresies (chaps. IV, V), l’etude des ceremonies (chap. VI), du gouvernement de 1’Eglise (chaps.VII, VIII, IX). Ensuite seulement, sont abordees les bio- graphies des personnages marquants (chaps. X, XI, XII). Un chapitre special examine, pour l’epoque considtrte, le probleme des miracles (chap. XIII), la question juive (chaps. XIV, XV), le sort des empires ou royaumes terrestres (chap. XVI). Le chapitre I prtsente l’argument general de la Centurie.

Un tel plan s’inspirait plus de la mtthode des loci, familitre en theologie, que de l’historicum dicendi genus, comme le remarqua aussitot Jean Sturm.r2 Heinz Scheible insiste beaucoup sur l’importance de cette Lokalmethode, pronee avant tout par le conseiller imperial Caspar von Niedbruck, ami et correspondant de Flacius. Celui-ci aurait, pour sa part, prefer5 une exposition a la fois chrono- logique et synthetique, presentant chaque periode de l’histoire ecclesiastique comme un tout.13

Ce nouveau decoupage de l’objet historique n’est pas cependant qu’un simple transfert de la methode des ‘lieux’ du domaine de la theologie a celui de l’histoire. 11 s’apparente aux projets d”histoire universelle’ ou d”histoire parfaite’ qui marquent au XVIe sitcle une rupture avec l’historiographie des ages anterieurs. La correspondance des Centuriateurs avec Francois Bauduin, alors professeur de droit a Heidelberg, est eclairante a cet tgard. Certes, Flacius et ses compagnons n’ont pas retenu en tous points les conseils de Bauduin: ils donnent peu de place a l’histoire profane; et leur histoire est bien plus ‘engagte’ que celle de I’irtniste francais, lie a Cassander et Castellion, oppose a Calvin et a Btze.” Mais l’importance a accorder aux documents d’ordre juridique, qui definissent les pratiques dune institution, est there a Bauduin et se retrouve dans les Centuries.”

2-L’historia plenior. S’il est un point sur lequel les Centuriateurs sont fort nets, des leur premiere preface, c’est sur leur volonte de rompre avec une certaine tradition historiographique. Pourquoi, en effet, demandent-ils, entreprendre de reecrire l’histoire eccltsiastique apres ses grands modeles que furent Eusebe, Socrate, Sozomtne, Theodoret. ?I6 Les lacunes reprochtes aces auteurs indiquent les espaces ou va se deployer la ‘nouvelle histoire’. Rtdigte a la mode ancienne, l’histoire ecclesiastique passe trop vite sur l’expose des doctrines, elle rapporte le r&it des controverses de facon confuse, elle ne donne que peu de place a l’examen des rites et des modes de gouvernement de 1’Eglise; bref, cette histoire est trop personnelle, trop biographique. I7 Les Centuriateurs, eux, projettent une historia plenior, oh I’expose des doctrines, l’etude des textes liturgiques et juridiques auront toute leur part. L’appellation d’historia plenior Cvoque, bien sfir, les projets contemporains d”histoire universelle’ et d”histoire parfaite’.

Pontien Polman a patiemment releve tout ce que les Centuries ont apporte dans le champ de l’trudition; en exhumant beaucoup de documents inconnus, en faisant parler ceux qui etaient deja publits, les Centuriateurs ont ouvert un grand chantier, dans lequel l’erudition protestante va travailler inlassablement. L’ttendue couverte par cette documentation est deja significative, dans la mesure oh, comme on l’a dit, ce ne sont pas seulement les rtcits anciens qui sont utilises, mais beaucoup de textes de provenance diverse (par exemple, les correspon- dances, les textes synodaux ou liturgiques, les archives des abbayes ou des

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dioceses). De plus, cette masse de textes est traitee non comme un reservoir de curiosites a rapporter, mais comme un ensemble de mattriaux destines a une construction.i8 Certes, le projet est ‘protestant’, dans la mesure oti les Centuria- teurs font une place decisive Zt l’exposi: de la doctrine chretienne, la foi en la Parole constituant le rot de 1’Eglise. 11s s’en expliquent dans les deux prefaces de la premiere Centurie (divisee en deux livres: le temps du Christ, les temps apostoliques). Un expose un peu abondant de la predication du Christ et de celle des apijtres Ctait indispensable pour deux raisons, expliquent-ils. La premke, c’est qu’il ne resterait rien de I’histoire du christianisme primitif en dehors de cette prksentation doctrinale. La seconde est plus importante: comment mesurer lkart entre l’origine et ce qui l’a suivie, si l’on n’a pas une idee Claire et nette de cette origine?

On ne doit pas s’ttonner, dans ces conditions, que l’expost de la doctrine chrktienne primitive soit tquivalemment celui de la thtologie lutherienne. Cette observation ne regle pas le probltme, car un theologien protestant pourra toujours demander si cette equivalence n’est pas inscrite dans les textes; les Centuriateurs, opposes a toute conciliation avec l’ancienne Eglise, ne pouvaient gukre ne pas tcrire en ‘protestants’.

3-Modemitt et archaikme des Centuries. Plutot que de nous contenter d’opposer histoire et theologie a propos des Centuries, nous prtftrons, dans la perspective d’histoire culturelle adopt&e dans cet article, nous interroger sur leur modernite et leur archakme.

La modernite de l’ouvrage tient essentiellement a la redistribution du materiau historique, au nouveau decoupage que nous avons deja signale. Mais un autre point vaut aussi d’etre not& l’exposi: des doctrines du Nouveau Testament a et& construit ri partir du sens litttrai des textes scripturaires: ‘Nous avons adopt6 la signification veritable et Claire, celle qu’engendrent les mots eux-m&mes: ce ne sont pas nos dogmes, mais ceux du Christ et des apotres, que nous avons rapport&s avec la plus grande sin&rite et la meilleure conscience.‘lg La precision est une precision d’humanistes, attaches au privilege des signifiants, contre la pretention des thtologiens a detenir par voie de tradition le signifit authentique des textes.20 11 est remarquable que, dans les Centuries, l’expost des points de doctrine controverses (par exemple, la justification) commence par de longues et fines etudes de vocabulaire. Dans la terminologie medievale, sens litthalet sens ~~stari~ue sont volontiers pris Pun pour I’autre. 2’ Peut-on dire pour autant que le souci philologique des humanistes debouche sur une interprktation historique du texte? La place de celle-ci est seulement ‘dessinte en creux’ et l’historiaplenior, B vrai dire, se cherche plutot qu’elle ne se trouve, car son ambition se heurte B certains obstacles, dont la presence redle au lecteur des Centuries le caractbre encore archdique de celles-ci.

Les auteurs des Centuries participent de la mentalitt fixiste qui ne commencera a bouger qu’au siecle des Lumitres, quand percera l’idee d’une ‘histoire de l’esprit humain’. Auparavant, la veriti: &ant cherchee du c&i: de l’antiquitt, il Ctait inevitable que le present fut projete sur le passe, sans conscience aucune dune aheritt culturelle. Ainsi, ce qui caracttrise la premiere Centurie, par exemple, n’est pas avant tout que la predication du Christ et des apotres soit ‘protestante’, mais qu’elle soit exposee en des termes et scion un plan qui sont

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ceux de la dogmatique lutherienne: il y est question des causes efficiente, mattrielle, formelle, instrumentale de la justification a propos de l’annonce tvangtlique du pardon; les apotres sont tenses avoir enseigne l’union hypo- statique. ** La presentation de l’enseignement chrtttien au premier sikcle com- mence par un De Verbo Dei, se continue par un De Deo uno et trino, puis viennent le De Deo creante, le De bonis et malis angelis, enfin les exposes relatifs a l’homme, son &tat avant et apres la chute, la reparation de celle-ci, les instruments de grace. 23 Nous voici devant un emploi, fort traditionnel cette fois, de la mtthode des ‘lieux’. Jamais n’est esquisse (au moins pour la premiere Centurie) un essai d’explication mettant en relation la situation historique et la formation de la doctrine.

Cette absence de perspective historique se denote enfin dans la facon dont sont juxtaposes, sans interpenetration, les chapitres des Centuries et, a I’interieur de chacun, les mathiaux engrangts. 11 s’agit dune nomenclature de doctrines, de rites de faits.24 Les Centuries, en tant qu’oeuvre historique, sont done travaillees par ;a contradiction qui traverse tome l’historiographe europeenne jusqu’au XIXe siecle: le rejet de l’histoire a la man&e antique(imprecise, souvent inexacte et trop exclusivement biographique) et l’impossibilite de construire un r&it historique structure autrement que le r&it antique. C’est pourquoi les historiens de ce temps oscillent entre la collection d’antiquites et la reprise d’une Ccriture traditionnelle de l’histoire, quitte a la farcir d’erudition ou a incliner le r&it dans le sens de leurs preferences confessionnelles ou politiques.25 Dans les Centuries, la documentation, aussi riche et diverse soit-elle, demeure au service dune tcriture traditionnelle de l’histoire, oh Dieu et Satan s’empoignent par personnages interposes. La formation des orthodoxies confessionnelles, apres le concile de Trente, accentuera encore le caracttre tpique et polemique des histoires eccltsiastiques concurrentes. Les conseils de prudence et le relativisme historique de Bauduin seront bien oublits: ceci est deja sensible dans les Annales de Baronius.

II-Les Annales de Baronius Les Annales de Baronius ont tte d’abord la matikre des tours enseignts par lui

aux jeunes religieux de sa congregation. Ce n’est que plus tard que se forma le projet de publier ces tours pour en faire une replique aux Centuries de Magdebourg. 26 Publits de 1588 a 1607, les douze tomes des Annales sont d&dies, soit aux papes Sixte-Quint, Clement VIII et Paul V, soit aux souverains des monarchies catholiques, notamment Philippe II et Henri IV.*‘Elles apparaissent ainsi comme un gigantesque monument de la Contre-Reforme, et c’est bien ainsi que les ont vues, dans le camp catholique, les approbateurs et les dttracteurs. Les approbateurs en ont et& les champions de l’infaillibilite pontificale et du pouvoir temporel des pontifes romains. *’ Les dttracteurs en ont Ctt: les catholiques de sensibilite gallicane, en entendant I’expression en un sens trks large, pour y inclure tous ceux qui soutenaient la complete indtpendance des Etats au temporel; comme ces ‘politiques’ etaient en m&me temps des trudits, ils ne se firent pas faute de critiquer Baronius.29

L’orientation franchement contre-reformatrice du cardinal explique la ma- niere dont il traite l’histoire ecclesiastique. L’examen de la litterature de controverse, nous l’avons vu plus haut, montre abondamment que souvent les

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polemistes catholiques ne se donnent pas la peine d’entrer dans les details. 11 y a pour eux une question prealable, celle de la rtgle de foi. Ce que disaient a Jeanne d’Arc les juges ecclesiastiques: ‘Jeanne, il faut vous soumettre a I’Eglise’ est indtfiniment, et hautainement, r&t6 aux ‘htrttiques’. C’est ainsi que, comme l’a note Polman, Baronius ne cherche pas a examiner mtthodiquement et rigoureusement le fondement des doctrines protestantes. ‘Parmi les milliers de citations que renferment les douze volumes des Annales, on pourrait a peine en recueillir une centaine qui concernent les doctrines fondamentales de 1’Eglise.‘30 Comment se prtsente done cette oeuvre fameuse? Comme une chronique de l’histoire eccltsiastique, diviste par an&es, et, pour le premier sikcle, organisee d’abord autour du personnage du Christ, puis autour des activites de Pierre.3’ Le souci de modernitt se manifeste dans la minutie de la chronologie et dans l’attention a l’authenticitt des tcrits anciens utilises par l’auteur. Le point principal a saisir pour notre propos n’est pas de savoir si la Chronologie du cardinal est toujours exacte ou s’il manque parfois de sens critique en accueillant tel ou tel texte suspect. 32 On ne saurait non plus reprocher a Baronius de faire appel a l’opinion des Peres de 1’Eglise pour tclairer la signification de textes scripturaires controversts, comme ceux qui concernent la primaute de Pierre.33 11 s’agit la en effet d’une rtgle de l’hermtneutique catholique, telle que l’a definie le concile de Trente (session IV). Bien stir, Flacius et les Centuriateurs tcrivent en thtologiens luthtriens et Baronius en thtologien catholique, mais ce n’est pas sur ce parti-pris confessionnel que cet article veut attirer l’attention. Les Annales portent, plus largement, la marque d’une ‘mentalitt’ ou d’une ‘culture’ catholique qui inflechit inconsciemment le jugement porti: sur les faits et qui transforme l’tcriture de l’histoire. Cette culture s’exprime foncikrement par un attachement aux traditions venues du passe, qui ne coincide pas exactement avec le respect pour ‘la Tradition’. Mais reprenons les deux points que nous venons de signaler.

A-Le jugement porti sur les faits:

I-Le poids du pass&. Baronius ne se sert pas seulement de la Tradition pour juger des points de doctrine, ce qui serait parfaitement correct d’un point de vue

catholique, mais il en use encore pour embellir son r&it ou pour trancher de pures questions de philologie ou de critique. 11 estime par exemple qu’il est bien ltger, comme l’a fait Lefevre d’Etaples, de nier l’unite des trois Madeleine.34 En effet, explique-t-i1 en s’appuyant sur Tertullien, si l’antiquite d’une doctrine a d’autant plus de poids contre les htrttiques qu’elle est plus reculie, les catholiques ne doivent-ils pas eux aussi se soumettre a cette antiquite? 11 faudrait de bien fortes raisons pour ebranler une tradition aussi ancienne et aussi bien emblie, selon Baronius, par les textes tvangeliques, que l’unid des ‘Madeleine’.35 Quand Baronius admet l’inauthenticiti: d’un document, il ne le fait qu’avec un certain regret: m2tme si les Canons apostoliques sont inauthentiques, ils reprbentent l’enseignement des apBtres;‘6 mkme si, dks le temps du pape GClase (fin Ve s.), il ttait connu que les lettres soi-disant &hang&es entre le Christ et le prince syrien Abagar ttaient apocryphes, Baronius a tenu a mentionner l’existence de ces ecrits, ‘non que nous voulions, Ccrit-il, transformer les apocryphes en Ccritures sac&es, mais soit pour que rien n’itchappe au lecteur, soit aussi pour que nul ne tienne pour tout a fait meprisable ce que beaucoup de nos

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prtdtcesseurs ont vtnere. ” De plus, le Christ await envoy6 au prince syrien un autoportrait: cette prkieuse image, rapporte Evagre au Vie siecle, faisait des miracles. Or, Baronius ne jette pas facilement par-dessus bord les l&gen&s miraculeuses.

2-Le don des miracles. Que 1’Eglise romaine, et elle seule, posstdat le don des miracles, etait un argument de choc, manit avec predilection par les controver- sistes catholiques. 11 s’averait mlme que les miracles se produisaient en des lieux ou par l’intermtdiaire de rites, d’objets, dont les novateurs niaient farouchement la sacralite. Ou bien, s’il s’agissait de chatiments, ils s’abattaient invariablement sur les ennemis de la puissance pontificale. 38 Aussi Baronius rapporte-t-i1 soigneusement les interventions surnaturelles qui ‘garantissent’ les croyances catholiques.

La maison oh la Vierge concut le Christ B l’annonce de l’ange fut transportee par d’autres anges en Dalmatie, puis a Lorette, afin que les infidkles ne pussent s’en saisir: ce monument illustre est encore ventrt par le totus christianus catholicus orbis. C’est par la Croix ou par le signe de la Croix que s’operent ou se sont operes beaucoup de miracles: il s’en produit m2me dans les lointaines Indes, la oti l’apotre Thomas trigea une Croix dans une eglise retrouvee par les missionnaires.40 En tout cela, il s’agit plutot de controverse que d’histoire. Baronius ne se montre gukre exigeant en matiere de critique historique, d&s qu’il peut ltgitimer des croyances ou usages chers a la pi& catholique.

B-L’tcriture de I’histoire:

I-Le travail sur le r&it. Baronius dans sa narration est si soucieux de dtmontrer l’antiquite ou l’apostolicite des doctrines ou des usages catholiques qu’il transforme le r&it scripturaire pour arriver a son but, en l’ornant de details qui convaincront le lecteur. Ainsi, la prophttesse Anne, qui ne quittait pas le temple, peut a bon droit etre consider&e comme une authentique moniale.41 Le mode de vie de Jean-Baptiste autorise a voir en lui le fondateur de la vie monastique, quoi qu’en disent les novatores. 42 Toutes ces affirmations ne sont pas invent&es par Baronius: il en appelle aux Peres de 1’Eglise ou au consentement de toute 1’Eglise. Mais voici que, prenant l’initiative, il decrit la confession de Cirsaree sur le modtle d’un concile oecumenique: ‘Que le lecteur diligent s’arrete ici et considtre un peu un fait digne de la plus grande attention. Car la conduite du Christ, si pleine ici de poids et d’autoritt, exprime en figure la celebration d’un concile.‘43 En effet, qui rtpond a la question du Christ: ‘Et vous qui dites-vous que je suis?’ Pierre seul, sans avoir consulti: les autres apotres: ce qui signifie qu’il appartient d’abord a lui (et, sous-entendu, a ses successeurs) de dtfinir la foi sans avoir besoin de l’opinion des autres. Le Christ consacre ce magistere infaillible en dtclarant que Pierre a park par un don special du P&e. Ici, Baronius a done organist: une mise en scene du r&it, a la gloire du siege romain.

2-Les diductions de Baronius. D’autres fois, Baronius ‘catholicise’ le r&it des origines chrttiennes en y ins&ant un raisonnement qui en transforme la nature ou en renforce l’effet. Les Actes des Apotres racontent-ils que l’ombre de Pierre guerissait les malades (Actes 5: 16)? Baronius souligne que puisqu’on entassait ceux-ci dans les rues de Jerusalem au passage du chef des apotres, c’est que son ombre seule, et pas celle des autres, avait cet effet curatif. De plus, comme les

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ombres ont donnt aux hommes I’idte de dessiner, les miracles opt& par celle de Pierre legitiment d’En-Ham le culte des images.44 Comme S. Augustin atteste que, selon les Peres, pendant les jours de deuil, Ctaient offerts des sacrifices pour les morts, et que, pour l’eveque d’Hippone, ‘selon les Peres’ designe une tradition venue des apotres, l’offrande de messes pour les defunts remonte sans nul doute aux premiers ages de 1’Eglise. C’est a propos de la sepulture de S. Etienne que Baronius entreprend cette explication, en donnant d’abondants details sur les obseques chretiennes aux premiers siecles, ce qui lui permet d’aborder le probltme du purgatoire.45

D’une tout autre man&e que les Centuriateurs, le pere de l’historiographie catholique soude ainsi le present au passe. Alors que l’antiquite des doctrines protestantes offrait a ceux$ matikre a une demonstration methodique, celui-ci raconte de man5re suivie une histoire des origines chretiennes impeccablement catholique. Pour le lecteur contemporain, le tixisme des Centuries apparait avant tout dans l’organisation systematique des doctrines et dans le caractere scolastique du vocabulaire employit. Celui de Baronius se manifeste autrement: des legendes aussi touchantes que nai’ves, des developpements narratifs em- pruntts aux Peres ou dus B I’imagination de l’auteur, des raisonnements plus ingenieux que solides, viennent corser le r&it des origines. 11 n’en fallait pas plus pour susciter l’indignation railleuse de Casaubon, l’un des princes de I’erudition europeenne.

3-LES EXERCITATIONES DE CASAUBON

Isaac Casaubon n’est pas un historien, mais un grand tditeur de textes anciens, qui a refltchi sur la connaissance historique, puisqu’il a Cditt des historiens antiques, surtout Polybe, en 1609. 46 Protestant, il est lie avec le milieu des gallicans parisiens et, comme eux, il estime que l’ittude de l’antiquiti? chretienne serait de nature a rendre les controverses confessionnelles plus fructueuses et plus sereines.47 Malheureusement, son sijour parisien ne lui procure pas toutes les satisfactions esptrtes: il est en butte aux pressions des leaders de la Contre- Rtforme, qui voudraient faire de lui un catholique. Passe en Angleterre apres l’assassinat d’Henri IV, Casaubon doit se plier aux volontts du roi Jacques Ier, ce qui ne le satisfait pas beaucoup, malgrt son inclination pour la ‘via anglicana’.4* Cependant la conspiration des poudres (Gunpowder Plot) vient a point nomme rechauffer ses reflexes antipapistes. En effet, pour reunifier ou au moins apaiser la chretiente, Casaubon, comme tous les irenistes, compte sur l’action des princes, en definitive plus sages que les eccltsiastiques.49 Mais ceci suppose que soit nite la puissance du pape sur les rois au temporel. Or l’attentat de novembre 1605 contre le Parlement anglais cherche a se legitimer en faisant appel au droit qu’ont les sujets catholiques de se rebeller contre un souverain htretique. Casaubon va done entrer en lice a samaniere, qui est celle non d’un pamphletaire, mais d’un grand philologue. Et puisque les Annales de Baronius sont vanttes a Rome comme un superbe monument tleve a la gloire de la papaute, Casaubon, muni lui aussi de sa Gunpowder, se glisse sous le batiment pour le faire sauter.

414 Francois Laplanche

I-Antiquitt et nouveautk Aussi bien darts l’epitre dtdicatoire au roi Jacques que dans les ‘prolegomenes

des Exercitationes, Casaubon designe d’emblee l’enjeu de la querelle: il s’agit de dtcrire le plus exactement possible 1’Eglise antique, puisque les deux partis en presence convergent sur un point: l’obligation de se garder de toute nouveaute, dans I’expost: de la doctrine chretienne. Mais certains se trompent du tout au tout en estimant que leur croyance est veritablement antique. Elle ne presente qu’une fausse antiquite, une antiquite apparente, qu’il faut appeler plus justement nouveautksO Ces trompeurs tromp&, ce sont bien stir, les catholiques, mais les protestants, suggere Casaubon, ne sont pas non plus exempts de fautes. Sans nommer personne, des le debut des prolegomknes, I’auteur critique done la corruption de l’histoire par les controversistes des deux camps, constat que reprendra a la fin du siecle le Dictionnaire de Bayle:

Quand il est question d’antiquite dans les controverses d’aujourd’hui, I’on constate que, pour les uns, rien n’est antique, sinon ce qu’au prkalable ils ont arbitrairement jug& orthodoxe; les autres, au contraire, veulent que soit antique tout ce qui leur pIa&, meme s’il s’agit de realites datant de quelques siitcles, d’hier ou d’avant bier.”

Ce jugement de Salomon parait aussi tranchant que fin: les premiers (les protestants) sont de rigides tenants de l’orthodoxie, les hommes de la doctrine et de la Parole; les seconds (les catholiques) se laissent aller au plaisir de tenir pour vrai (= antique) ce qui les favorise, ce sont des fantaisistes. Mais cette fantaisie s’avtre dangereuse chez Baronius. Car, sous I’apparence d’une agrtable narration, s’introduisent en contrebande les doctrines catholiques les plus ttranges, comme la transsubstantiation, les plus ridicules, comme le culte des reliques, ou les plus dangereuses, comme la puissance du pape sur le temporel des princes et sa primautt dans I’Eglise. Consacrees a I’apologie de cette puissance et de cette primaute, les Annales de Baronius doivent etre implacablement combattues. Personnellement, le cardinal merite quelque respect pour son erudition et son zkle. Casaubon declare qu’il examinera les Annales ‘avec candeur’ et ‘en ami de la verite’. Mais, quoique reflttant les convictions de la tour romaine au milieu de laquelle il travaillait, le papisme de Baronius ne doit trouver, lui, aucune indulgence.52

II-Les Annales sous le microscope de Casaubon Les critiques de Casaubon entendent correspondre a l’ampleur de l’entreprise

concue par Baronius. Celle-ci, selon son adversaire, couvre un quadruple champ: l’historiographie, la chronographic, la philologie, la thtologie. Des les proltgo- m&es, Baronius est examine dans ces quatre matikres et les notes obtenues sont tres mauvaises. 11 a paru commode de ranger sous ces quatre rubriques la selection des critiques que nous avons relevees dans le gros ouvrage de Casaubon, compose de notations dtcousues.53

A-L’historien: D’un historien, le lecteur est en droit d’attendre trois qualitts: diligentia,

judicium,fides (= sin&rite). Pour la diligentia, Baronius p&he parexces, non par defaut: entendons que I’embellissement du r&it encombre celui-ci a plaisir de

La Controverse ~onfessionne~~e 415

details inutiles ou faux, dont Casaubon dresse malicieusement la hste: pourquoi affirmer que le centurion romain dont il est question en Matthieu 8: 5 faisait partie de la Zegio ferrata, dont Dion icrit seulement qu’elle occupa la Judee aliquando? Pourquoi assurer que la captivite de Paul a Rome prit fin a I’occasion des rejouissances publiques qui marqdrent le meurtre d’Agrippine?s4 Quant au judicium, il ne manque pas a Baronius, qui a rejete nombre d’ecrits apocryphes, mais pas avec suffisamment de Constance. 55 Lafides est ce qui laisse le plus a desirer en Baronius l’historien. Son parti-pris confessionnel, son golit du pittoresque ou des vains raisonnements l’amknent a orner ses r&its de details manifestement invent&. Prenons quelques exemples dans les scenes de la Passion. L’auteur des Annales raconte que, pour celebrer la Paque, Ie Christ revbtit un habit de ciremonie, vesta coenatoria, et que ce fut cet habit, porte aussi par les apotres, que laissa entre les mains de la troupe juive le jeune homme qui s’enfuit nu (Marc 14~52)‘~ Baronius rapporte sans critique plusieurs legendes relatives a la mort de Judass7 11 s’essouffle a demontrer que l’inscription de la Croix etait redigte en hebreu, grec et latin, selon l’ordre descendant, parce qu’ainsi la langue indiquee en dernier lieu (le latin) s’ennoblit de sa proximite avec le visage du Christ, et qu’elle est ainsi designee sur le calvaire comme la langue la plus noble. Que Baronius n’a-t-i1 remarque qu’en Jean 19:20 l’ordre des langues de l’inscription n’est plus le mtme qu’en Luc 23:38?j8

B-k chronoiogiste: Le pro&s du chronologiste n’est plus a faire fc’est dans ce domaine que

Baronius sera deja critique au XVIIe siecle par les auteurs catholiques, notamment Pagi).S9 Casaubon est tellement persuade de la faiblesse de Baronius en tant que chronologiste qu’il passe vite: ce point, dit-il, a d&j& et& examine par plusieurs personnages ‘t&s exerces en cette mat&e (Casaubon evoque sans doute le De emendatione temporum de Scaliger 2e ed. de 1598). Les Exercitationes sont ponctuees de remarques ironiques sur les calculs de Baronius ou sur ses maladresses. 11 ne respecte m&me pas le titre de son ouvrage (Annales), puisqu’il melange des faits appartenant a des temps bien differents. Pourquoi parler de la translation de la domusiktariae B Lorette, en faisant le r&it de 1’Annonciation?60 Baronius, dans le calcul des temps, cherche des precisions inutiles ou ridicules: quel jour exactement furent conGus Jean-Baptiste et J~sus?~’ 11 domine ma1 les sujets trts difficiles, comme ~ident~i~ation du recensement de Quirinius (Luc 2:2), les differences entre la chronologie des patriarches selon le texte hebreu et selon la Septante, la date du dernier repas de Jesus avec ses disciples.62

C-L,e philologue et le critique: En philologie et en critique, Baronius laisse voir qu’il n’est qu’un apprenti et

non un peritissimus: sa connaissance du grec, de l’hebreu et des ‘antiquitts’ etant mediocre, il etait condamne a d’innombrables bourdes. Les proligomenes en dressent une liste accablante pour l’orgueil de Rome.63 Plusieurs passages des Exercitationes montrent la port&e de cette difaillance du cardinal. II ne comprend pas que, dans le texte de Matthieu relatif a la primaute de Pierre, les deux mots Petrus et petra sont a distinguer l’un de l’autre, comme l’ont dit SAmbroise et S.Augustin, et, apres eux, Calvin. C’est le Christ qui est le rocher sur lequel est fond&e 1’Eglise et le premier des apotres, par rang d’honneur, tire son nom du

416 Fran~~~s Lap~anche

Christ-Pierre, parce qu’il tient sa force de 1ui.h4 Abordant le rtcit de la Ckne, Baronius a voulu faire le philologue mais ma1 lui en a pris, car s’il a pu trouver dix mots designant 1’Eucharistie aux temps primitifs, Casaubon, en quatre-vingt cinq pages, lui dtmontre qu’il en aexiste vingt-Sept. Partial dans son choix(parce qu’il ne mentionne ‘ckne’ qu’avec regret, par antiprotestantisme), le cardinal se rkvele surtout insuftisant.6S

Comment ce mauvais philologue pourrait-il faire un bon critique? Dans les Livres Saints, ii voit des difficult& oh ii n’y en a pas, pour le plaisir tout catholique d’obscurcir les Ecritures. 11 insiste particulikrement sur la difficult6 de concilier entre eux les r&its des apparitions du Ressuscittt. Casaubon pense que la conciliation est assez aisC et fait la-dessus deux remarques: (1) Les historiens les plus soignes (Tacite, St.&one) ne sont pas exempts de telles contradictions. (2) L’inspiration des evangelistes implique que le Saint Esprit ait dirige leur mtmoire et leur intelligence, ainsi que leur plume, mais elle n’exige pas qu’ils aient perdu la simplicitas qui convenait a des hommes iiiiteratos et nuiia arte exeu/tos.66 Par contre, Casaubon critique la rapidite avec laquelle Baronius passe sur les divergences entres les gerkalogies du Christ selon S.Matthieu et selon S.LUC.~~ Si nous en venons maintenant au detail de l’extgbse du cardinal, nous le trouverons franchement tr’es faible. Soit l’episode de la vocation des apbtres (Luc 5:1-11 et paralltles). Baronius y decouvre les privileges de Pierre. Jesus ne change-t-i1 pas son nom de Simon en celui de Pierre (Jean 1:42)? Mais la meme transformation se produit pour les fils de Zebedte, devenus fils du tonnerre, et pour Saul, devenu Paul. Jesus monk dans la barque de Pierre: mais est-ce une marque de predilection, ou seulement l’indice d’une familiarite plus ancienne? Pierre effectue une p&he miraculeuse, mais it n’est pas le seul a avoir vocation de ‘pecheur d’hommes’, car tous les apotres seront envoy&s aux nations. Bref, il est impossible de tirer des r&its evangeliques narrant la vocation des apotres une justification quelconque de la monarchic pontificale.68

Le cardinal serait-it meilleur en patristique qu’en exegese? Ce n’est pas stir. I1 choisit les textes en fonction de la demonstration qu’il veut faire. Ainsi 1’Apparatus qui precede les Annales proprement dites rappelle, selon une demarche commune aux grands controversistes romains, que 1’Eglise catholique commence avec la creation du monde. 69 Casaubon observe alors que les Peres ne

sont pas unanimes sur ce point. Avant S.Augustin, la doctrine de la justification et de la redemption n’etait pas trts Claire. Quand done les Peres des temps anttrieurs ecrivent que la connaissance du Christ avant PIncarnation n’tttait pas ntcessaire au salut, its veulent parler d’une connaissance tres distincte.‘O En rigueur de termes, l’Eglise, communaute de ceux qui croient en Jesus-Christ Sauveur, ne peut etre dite coextensive a la duke du monde, objecte implicitement Casaubon. De mitme, Baronius ne prend pas garde que les Peres qui appliquent super hancpetram de Matthieu 16: 18 a Pierre, non au Christ, ne tirent nullement de cette exegtse le fondement de la monarchic pontificale: pour S.Cyprien, c’est sur l’ensemble des Cveques, solidaires de Pierre, que repose I’unite de 1’Eghse.7r

D-Le th~5~5gien: Tous ces exemples oti le professeur reprend I’apprenti-philologue sont

Cloquents: plus encore que l’imperitia, c’est la theologie romaine de Baronius qui corrompt la jides de l’historien et qui induit les bevues du chronographe et du

La Controverse Confessionnelle 417

philologue. Le cardinal sort du cadre des Annalesen mtlangeant les temps, parce que, de man&e obstdante, il projette le present de 1’Eglise romaine sur le passe de l’histoire Cvangtlique. Casaubon ironise sur la transformation de la confes- sion de Cesaree en concile oecumenique ou de l’episode du didrachme trouve dans le Poisson en preuve de l’exemption fiscale du clerge.72 Le prejuge thtologique du cardinal l’emporte a trancher arbitrairement les questions de philologie: il n’y a qu’une seule Madeleine, car Jesus a prophetis qu’elle serait honoree dans le monde entier (Matthieu 2613). Or cette veneration n’est possible, raisonnait Baronius, que grace a la liturgie de l’Eglise catholique, laquelle ne connait qu’une Madeleine. Double faute, estime Casaubon: non seulement ici, Baronius soumet la philologie a la theologie, mais il fait dtpendre la rtalisation d’un oracle divin d’une condition tout humaine: la redaction des livres liturgiques catholiques. Si la critique demontre qu’il a exist6 trois Madeleine, pourquoi 1’Eglise ne modifierait-elle pas sa liturgie?73 Enfin la pi&

du cardinal ne doit pas abuser le lecteur. 11 fait appel a la foi au miracle pour rendre acceptable la translation de la maison de Nazareth a Lorette. Mais cet appel ouvre la Porte a toute sorte de fables. Ici encore, une certaine thtologie vient occulter le sens critique.74

ConvoquC au tribunal de la philologie, Baronius recoit done sevkres admo- nestations. Ce n’est pas B dire que son censeur soit irreprochable. Casaubon ne rapporte pas toujours dans leur totalite les propos de l’annaliste romain: ainsi Baronius avail tcrit qu’il ne parlait qu’incidemment (obiter) de la translation de la maison de Nazareth l’ande de la conception de J~sus.~~ La refutation de l’exegese romaine de la reponse du Christ a la confession de Pierre n’est pas sans faiblesse: il est vrai, concede Casaubon, que le substrat syriaque des mots grecs petros et petra est unique (cephas), mais une graphie identique peut couvrir des signifies differents (les trois lettres ‘LEO’ dtsignent l’homme ou le lion).76 L’attitude intgalement critique de Casaubon devant les divergences des textes evangeliques pose aussi question: elle met en oeuvre une hermeneutique selon laquelle les regles philologiques s’appliquent d’autant mieux aux textes sac&s qu’il n’y est pas question de kites essentielles au salut.77 Mais, quoi qu’il en soit des faibiesses respectives des deux auteurs et des cascades de refutations qu’elles entrainerent de part et d’autre, l’enjeu de la bataille apparait clairement, et c’est lui qui nous importe, au terme de cette etude.

CONCLUSIONS

Globalement, Baronius se montre l’homme de la tradition, au sens le plus commun et le plus large du terme. I1 ne recoit les textes scripturaires et patristiques qu’enveloppes dans une interpretation stculaire, sans &tre trop regardant sur les dechets ou les boues charries par ce large fleuve. Casaubon au contraire entend faire coincider ses pratiques d’humaniste et ses convictions reformees: l’examen de tous les textes est a reprendre a frais nouveaux; c’est seulement au prix de ce lourd investissement erudit qu’on saura dans quel camp se trouvent ‘nouveaute’ et ‘antiquitt’. L’affrontement se revele non seulement comme theologique, mais aussi comme culturel. A-t-i1 CtC sterile ou fecond?

11 s’agissait de determiner quels furent les croyances et les rites de 1’Eglise antique. Sur ce point, tow sont d’accord: catholiques, protestants, irenistes (ou ‘moyenneurs’). Au grand dkouragement de la derniere categoric, cette determi- nation apparait presque impossible au temps des orthodoxies confessionnelles, car les rtgles d’interpretation des textes s’opposent radicalement d’un camp a l’autre, sans qu’il soit possible de trouver des principes communs a partir desquels sera conduite la discussion. Pour les catholiques, c’est la tradition dogmatique de I’Eglise qui fixe le sens des Ecritures et les textes patristiques sont trait&s comme des ttmoins de “la perpetuity de la foi”. Pour les protestants, l’exegese des Ecritures ne relke que de methodes grammaticales, complttttes par le renvoi d’un texte a l’autre (regle de la Scripfura interpres sui) et les documents patristiques ne presentent pas de caractere normatif. L’impasse semble done totale. Pourtant, cette opposition a grandement contribue a la naissance de la science historique. La volonti: des protestants de presser le texte scripturaire en sa litttralite inclinera leur exbgese a prendre de plus en plus en compte les destinataires de ce texte, c’est-a-dire i le placer dans son contexte historique (point de vue adopt6 aussi par Richard Simon). Du cot6 catholique, un fin travail sur les textes patristiques obligera les savants a reconnaitre discretement quelques variations ou hesitations dans la continuity doctrinale de leur Eglise.78

Pourtant, la prise en consideration de la difference culturelle entre l’tpoque de la redaction des textes et le temps actuel de 1’Eglise restera voilte jusqu’au XIXe siecle. C’est seulement a cette epoque que demarrera l’histoire ‘scientifique’ des origines chrttiennes. Mais ce serait un jugement hatif que d’attribuer ce retard a l’ttroitesse d’esprit des controleurs de l’orthodoxie. Pour ne pas demeurer dans le fixisme, pour ne pas projeter le present sur le passe, il a fallu aux savants, quels qu’ils fussent, mesurer la distance entre un age prescientifique et celui de l’avenement de la ‘raison’. Le triomphe de celle-ci n’est pas dQ seulement B la conquete ma~~matique de la nature et a la reflexion sur les fins de la politique. 11 tient aussi a l’extension de l’espace occupe en Europe par ‘la R~publique des Lettres’. Quelles qu’aient ete les passions investies dans la controverse confes- sionnelle, et a cause m&me de son acharnement, celle-ci a fini par imposer, envers et contre tout, la souveraine autorite du texte, regard6 de trts loin, dans sa signification t&s precisement historique. Les erudits des deux camps compren- dront que les auteurs des Ecritures, pas plus que les Peres de I’Eglise, n’ont ecrit rfabord dans le dessein de trancher des controverses apparues dix ou quinze sikcles aprb eux.79

Angers Francois Laplanche

NOTES

1. Lire la lecon, de conclusion, don&e par Alphonse Dupront au colloque de Tours (l-13 juillet 1983): Les rkformes. Enracinement sociocu/tureZ (Paris: Maisnie, 1985), pp. 415-34 (‘Reformes et modernity).

2. Paul Veyne, Comment on &it ~~~sioire, suivi de Foucaulr r~vo~u~ionne I’histoire

La Controverse Confessionnelle 419

(Paris: Seuil, 1978). ~011. Points-Histoire, p. 230. 3. D’apres les travaux de Anthony T. Grafton, Joseph Scahger. A Study in the History of

Classical Scholarship. Z. Textual Criticism and Exegesis (Oxford, 1983); George Huppert, L’ideede Z’histoireparfaite (Paris: Flammarion, 1973) trad. de I’americain: The Idea of Perfect History (University of Illinois Press, 1970); Jean Jehasse, La renaissance de la critique. L’essor de I’humanisme erudit de 1560 a 1614 (Universite de Saint Etienne, 1976); Donald R. Kelley, Foundations ofModem HistoricalScholarship. Language, Law and History in the French Renaissance (Columbia University Press, 1970).

4. Pour les autres Cpoques, I’on pourra se reporter a Marc Fumaroli, ‘Aux origines de la connaissance historique du Moyen Age’, in XVZZe sitWe (1977), 5-29; Enrico Norelli, ‘L’autorita della chiesa antiqua nelle Centurie di Magdeburgo e negli Annales de1 Baronio’, in Baronio storico e la Contrortforma (Centro di studi sorani ‘Vincenzo Pa,triarca’, 1982), pp. 253-308.

5. Histoire ecclbiastique des Eglises franqoises reformees, 3 ~01s. (Paris, 1883-9), t. I, pp. l-2.

6. Ce point est dtveloppe dans notre contribution a I’Histoire du christianisme, t. 8, l&e partie, chap. 6 (a paraitre chez Desclite).

7. Indications in F. Laplanche, L’evidence du Dieu chrttien. Religion, culture et socittt dans I’apologetique protestante de la France classique (Strasbourg, 1983), pp. 77-82.

8. Ainsi 1’Anglais Stapleton, in Opera, t. I, pars II, pp. 764-5, commentant S.Thomas d’Aquin, Somme ThPoI. IIa IIae, qu. 1, art. 7. Voir encore Suarez, De Fide, disp. II, sect. 6.

9. D’aprts Pontien Polman, L’element historique dans la controverse religieuse du XVZe siecle (Gembloux, 1932) pp. 237-44.

10. Sur l’lnterim d’Augsbourg, voir Emile G. Leonard, Histoire gtnerale du protestan- tisme. t. I. La Reformation2e Cd. (Paris, 1980), pp. 231-4; le Catalogus testium veritatis qui ante nostram aetatem reclamaruntpapae, de Flacius Illyricus, parut a Bale en 1556 (indications sur la redaction et le contenu de cet ouvrage dans les travaux signales a la note suivante).

11. Sur les travaux historiques de Flacius Illyricus, consulter: Polman, L’tlement historique, pp. 185-7, 213-4; P. Polman, ‘Flacius Illyricus, historien de l’Eglise’, in Revue dHistoire ecclesiastique 27 (1931), 27-73; Heinz Scheible, ‘Der Plan der Magdeburger Zenturien und ihre ungedruckte Reformationsgeschichte’, diss. Heidelberg (dact., 1960); H. Scheible, Die Enstehung der Magdeburger Zenturien (Schriften des Vereins fur Reformationsgeschichte, Giitersloh 1966) et Die Anfange der reformatorischen Geschichtsschreibung (Giitersloh, 1966) (recueil de textes con- cernant l’histoire eccltsiastique); Jean-Francois Gilmont, ‘Flacius Illyricus’, in Dictionnaire d’Histoire et de geographic ecclesiastique [DHGE] 17, (1971), c. 31 l-26; Oliver K. Olson, ‘Flacius Illyricus’, in Theologische Realenzyklopadie 11 (1982), 206-14.

12. D’apres Auguste Jundt, Les centuries de Magdebourg ou la renaissance de I’historio- graphie ecclesiastique au seizieme siecle (Paris, 1883), p. 30, n. 1.

13. Scheible, Die Enstehung der Magdeburger Zenturien, pp. 18-40. 14. Sur Bauduin, consulter Kelley, Foundations of Modem Historical Scholarship,

pp. 11648 et Mario Turchetti, Concordia o tolleranza? Storia, politica e rehgione nel pensiero di Francois Bauduin (1.520-1573) e di ‘Moyenneurs’ (Gentve: Droz, 1984).

15. La lettre de Bauduin aux Centuriateurs est reproduite dans Caspar Sagittarius, Zntroductio in Historiam ecclesiasticam, 2 vols., 2e itd. (ICna, 1718), t. II, pp. 137-51; Bauduin fait allusion a cette correspondance dans le De institutione historiae universae et ejus cum Jurisprudentia conjunctione ProZegomenBn IibriZZ(Paris, 1561), pp. 107-l 1.

16. Theodoret de Cyr, Socrate et Sozomene sont des ecrivains chretiens du Ve siecle qui

420 FranCok Laplanche

se prtoccuperent de continuer l’oeuvre historique d’Eusebe (consulter Dictionnaire de thtologie catholique [DTC] XV, c. 314-15; XIV, c. 2934-6, 2469-71.

17. Ecclesiastica historia, integram Ecclesiae Christi ideam. . complectens (Me: Oporin, 1559) preface du lib. I de la Cent. I. Rappelons que la publication des treize Centuries qui virent le jour s’echelonna jusqu’en 1574.

18. Polman, L’&%rtent historique, pp. 226-32. 19. Ecclesiastica historia, preface du lib. II de la Cent. I. 20. Sur la querelle entre humanistes et scolastiques, consulter: Robert Guelly,

‘L’evolution des methodes thtologiques a Louvain d’Erasme a Jansenius’, in Revue d’Histoire ecclesiastique 37 (1941), 31-144; F. Laplanche, L’Ecriture, le sacre et l’histoire. Erudits et politiques protestants devant la Bible en France au XVIIe siecle

(APA-Holland University Press, 1986), pp. 39-63. 21. D’aprks Bernard Guenie, Histoire et culture historique dans IOccident medieval

(Paris: Aubier, 1980) p. 19. 22. Historia ecclesiastica, Cent. I, lib. I, c. 94-l 12 et lib. II, c. 240-93. 23. D’aprts le plan du chap. IV du lib. I de la Cent. I. 24. Par exemple, le chap. II du lib. I de la Cent. I, a objectifgeographique, n’est qu’une

liste d’Eglises locales, avec les noms de leurs membres connus. Mais il ne comporte rien qui ressemble a une description des specificites theologiques propres B telle ou telle communaute primitive.

25. La difference entre ‘antiquaires’ et ‘historiens’ a tte bien mise en lumiere par Arnaldo Momigliano, ‘Ancient history and the antiquarians’, in C’ontributo alla storia degli studi classici (Rome, 1955) pp. 67-106.

26. D’apres Hubert Jedin, Kardinal C’esar Baronius. Der Anfang der katholischen Kirchengeschichtsschreibung im I6 Jahrhundert (Miinster, 1978) pp. 33-4.

27. Sur la redaction et lapublication des Annales, consulter Polman, L’element historique, pp. 527-30; A.Molien, ‘Baronius’, in DHGE 6 (1932), c. 871-82 et I’opuscule de H. Jedin signale a la note prtcedente.

28. Cette constatation ressort des lettres de Paolo Sarpi a ses correspondants francais. Voir la lettre de Sarpi a Casaubon in Casaubon, Epistolae, 2 ~01s. (Rotterdam, 1709), t. II, p. 472 et les lettres du mkme a Jacques Gillot in Boris Ulianich, Paolo Sarpi.

Lettere ai Gallicanai (Wiesbaden, 1961) pp. 14, 145. 29. Cette opposition et ce dedain s’expriment dans la lettre de Sarpi a Casaubon signal&e

ci-dessus et dans ce propos de J.A. de Thou rapporte par Casaubon: Non Anna/es

Ecclesiastici. sed de potestate Papae [Casaubon, Isaaci C’asauboni de rebus sacris et ecclesiastici Exercitationes XVI (Londres, 1614) epitre dedicatoire au roi Jacques Ier,

p. 331. 30. Polman, L’tlement historique, p. 533. 3 1. Polman (ibid., p. 53 1) fait remarquer que ce cadre chronologique se pretait mal a une

discussion methodique du contenu des C’enturies; d’une maniere generale, cet auteur est assez severe pour Baronius.

32. Sur les defauts des Anna/es et les corrections de Pagi, consulter Molien, ‘Baronius’, in DHGE 6, c. 875-6 et Polman, L’PIement historique, pp. 535-7.

33. Voir par exemple le no. XXI, anno Christi 33 [AnnalesEcc/esiastici(Rome, 1593), t. I, pp. 129-3 11.

34. Voir l’expose de cette question dans l’ouvrage de Jean-Pierre Massaut, Critique et tradition a la veille de la Reforme en France (Paris: Vrin, 1974) pp. 67-70.

35. Anno Christi 32, XVII, Anna/es, t. I, p. 116. 36. Nous tirons cette remarque de Baronius du t. II des Annales, pp. 15-16, anno Christi

102, XI-XII. 37. Anna/es, t. I, pp. 104-5, anno Christi 31, LIX-LX. 38. On peut trouver des dtveloppements sur ces points dans Ie texte que nous signalons a

La Controverse ~onfess~onnelle 4.21

la note 6. 39. AnnaZes, t. I, pp. 71-2, anno Christi 9, I. 40. Ibid., p. 485, anno Petri 13, CXIII-CXIV. 41. Ibid., p. 57, anno Christi 1, XLI. 42. Ibid., pp. 89-90, anno Christi 31, XV. 43. Ibid., pp. 127-8, anno Christi 33, XVII. 44. Ibid., p. 233, anno Christi 34, CCLXXIV. 45. Ibid., pp. 241-9, anno Christi 34, CCCI-CCCXXIII. 46. SW Casaubon et son oeuvre, consulter Mark Pattison, Isaac Casaubon. 1559-1614,2e

Cd. (Oxford, 1892) et Jehasse, La renaissance de la critique, pp. 245-6, 336-45, 383-413.

47. D’aprbs Jehasse, ibid., pp. 383-4; voir encore la lettre de Casaubon B Cirotius in

Epistolae, t. II, p. 452. 48, Le propre de la ‘via anghcana’ est pr&isement de considCrer la croyance de l’Eglise

des premiers sitcles comme la veritable regle de foi: voir Pattison, Isaac Casaubon, pp. 335-6.

49. Casaubon s’exprime sur ce r61e des princes dans l’etablissement de la Concorde entre chretiens & la fin de l’tpitre dedicatoire au roi Jacques Ier, pp. 40-1, in Exercitationes.

50. Ibid., pp. 3-9. 5 1. Casaubon, Exercitationes, Prolegomena, p. 2. 52. La moderation de Casaubon envers la personne de Baronius lui a et& recommandee

par Paolo Sarpi: le cardinal parait au Vinitien un homme sans malice, mais ma1 arm& pour I’entreprise dont il s’est ttmtrairement chargC: Casaubon, Epistolae, t.11, p.472.

53. La redaction des Exercitationes, sous forme de ‘notes critiques’ plus ou moins dCveloppees, a certainement nui B leur suc&s: voir Pattison, Isaac Casaubon, pp. 331-2.

54. Casaubon, Exercitationes, Pro~egomena, p. 5. 55. Sur les forces et les faibiesses de l’trudition de Baronius, consulter Poiman, L’&ment

historique, pp. 53 1-7. 56. Casaubon, Exercitationes, pp. 495-8. 57. Ibid., pp. 598-9. 58. Ibid., pp. 638-42. 59. D’apres Molien, art. ‘Baronius’, in DHGE 6, c. 875-6. Aux auteurs indiqubs par

Molien, on peut joindre Thomassin, d’apres Pierre Clair, Louis Thomassin. Etude biographique et bibliographique (Paris: P.U.F., 1964), p. 132, n. 1 et Fleury, Discours sur Phistoire eck%astique, 2 ~01s. (Paris, 1724), t. I, pp. 50-2.

60. Casaubon, Exercitationes, p. 210. 61. Ibid., pp. 122-7. 62. Zbid., pp. 127-49, 150, 464-88. 63. Ibid., Prolegomena, pp. 8-10. 64. Ibid., pp. 385-6. 65. Ibid., pp. 500-87; Casaubon se preoccupait de connaitre l’opinion de Grotius sur ce

beau morceau de philologie (Epistolae, t. II, p. 452). 66. Casaubon, Exercitationes, p. 685. 67. Ibid., pp. 93-6. 68. Ibid., pp. 291-9. 69. Voir note 8. 70. Casaubon, Exercitationes, pp. 1-6. 71. Ibid., pp. 424-39. 72. Zbid., pp. 353-6,442-3. 73. Ibid., pp. 339-40. 74. Zbid., pp. 209-12.

422 FranCok Laplanche

75. Baronius, Annales, t. I, p, 72. 76. Casaubon, Exercitationes, p. 387. 77. Places devant des textes patristiques discordants (I’Ecriture brille pour les coeurs

purs, mais elle est obscure pour stimuler le croyant a la scruter avec diligence), les controversistes protestants repondent invariablement aux catholiques que I’Ecriture est Claire en tomes les mat&es ntcessaires au salut. Lire par exemple Andre Rivet, ISAGOGE seu introductio generalis ad Scripturam Sacram Veteris et Novi Testamenti (Leyde, 1627), chap XXII.

78. Sur la position de Petau, voir Galtier, art. ‘Petau’, in DTC XII, c. 1327-34: il peut y avoir elucidation progressive d’un tnonce dogmatique; Thomassin, au contraire, reconnait une evolution disciplinaire, mais non dogmatique: voir A. Molien, art. ‘Thomassin’, in DTC’ XV, c. 812-17.

79. Jean Daille propose cette remarque aux controversistes catholiques dans son TraictP de l’employ des Saincts Peres pour le jugement des dij@-ends qui sont aujourdhui en la religion (Geneve, 1632), p. 19, mais, a partir des annees 1670, la remise en cause de la mtthode des ‘lieux communs’ dans le commentaire de 1’Ecriture amenera les thtologiens protestants a proposer une exegese plus historique des textes sack; ils douteront de la capacite de I’Ecriture a trancher ‘les controverses de notre temps’

(dtveloppements sur ce point au chap. XII de Laplanche, L’Ecriture. le sacr& et I’histoire).