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la lettre n 0 10 / hiver 2003 de l’ A cadémie des sciences La C himie

Acad.mie n.10 edipro - Académie sciencesde vie, l’amélioration de la santé de chacun ». Ce rapport, remis par Jacques-Louis Lions, Président de l’Aca-démie, animateur du

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Page 1: Acad.mie n.10 edipro - Académie sciencesde vie, l’amélioration de la santé de chacun ». Ce rapport, remis par Jacques-Louis Lions, Président de l’Aca-démie, animateur du

la lettre n0 10 / hiver 2003

de l ’Académie des sciences

LaChimie

Page 2: Acad.mie n.10 edipro - Académie sciencesde vie, l’amélioration de la santé de chacun ». Ce rapport, remis par Jacques-Louis Lions, Président de l’Aca-démie, animateur du

EditorialLe 15 juillet 1998, le Comité interminis-tériel de la Recherche, sur la proposi-tion de Claude Allègre, Ministre de l’Édu-cation nationale et de la Rechercheconfie à l’Académie le soin de rédiger unrapport biennal sur la Science et la Tech-nologie. Elle choisit d’établir non pas unrapport unique, couvrant tout le champscientifique, mais une série de mono-graphies ciblées:- soit pour mettre en valeur un domainequi lui paraît nécessiter une action fortede l’État, pour bénéficier d’une impul-sion ou pour faire sauter les verrousadministratifs ou structurels;- soit pour signaler les domaines émer-gents et proposer les conditions de leurdéveloppement;- soit, enfin pour détecter un affaiblis-sement excessif des disciplines indis-pensables aux développements de pansentiers d’autres programmes de re-cherche.

Dans tous les cas, l’aspect formationinitiale et permanente est à considérer.

Le 26 mai 2003 est lancée la troisièmecampagne des rapports, le 1er juillet, lessujets traités sont accrédités et les coor-donnateurs désignés, le 21 octobre, leséquipes rédactionnelles commencent àêtre constituées, le 23 novembre, enfin,le Comité restreint entend les termes deréférence des futures études.

Cette pratique renouvelle une tradition,née en 1666 avec l’Académie qui avaitreçu parmi ses missions celle de répon-dre aux questions du Roi et de ses mi-

nistres. Colbert ne s’en priva pas, pasplus que ses successeurs au XVIIIème

siècle. Bonaparte en fit de même lorsquel’Institut de France fut créé en 1795, lorsdes campagnes d’Égypte. Pendant sonrègne, Napoléon fut un grand question-neur de l’Académie. Cette pratique restaen vigueur au long du XIXème sièclejusqu’à la Grande Guerre puis s’effaçaprogressivement pour ne réapparaîtrequ’après la réforme de l’Académie,lorsque, en 1979, le Président de laRépublique interrogea notre Compagniesur « l’avenir de la Mécanique ». PaulGermain, alors Secrétaire perpétuel,anima le groupe de rédacteurs. Au coursdes années 1980-1990, une quarantainede rapports furent rédigés par autosai-sine de l’Académie. En 1997, le PrésidentJacques Chirac chargea celle-ci de réflé-chir sur « l’accès de tous à la connais-sance, la prévention de nos cadres de vie, l’amélioration de la santé de chacun ». Ce rapport, remis parJacques-Louis Lions, Président de l’Aca-démie, animateur du groupe de rédac-teurs, en janvier 2000, eut un réel succès,et forme aujourd’hui le socle des rap-ports.

La recherche, sur un long terme, ne peutêtre que libre, mais sa mise en oeuvredépend beaucoup des moyens de l’Étatet des entreprises qui la mettent enapplication.Trois catégories d’acteurs interviennentdans les choix scientifiques, techniqueset industriels:1 - les agences et établissements publicsde recherche, les entreprises publiqueset privées.2 - Les associations, les partis, les égli-ses qui structurent la société et mobi-lisent l’opinion au nom de leurs idéauxet de leurs intérêts en souhaitant influ-encer le choix des programmes de re-cherche et d’innovation. Parmi ces asso-ciations, les Sociétés savantes peuventjouer un grand rôle, lorsqu’elles regrou-pent de nombreux adhérents répartissur tout le pays. Je citerai les sociétésd’astronomie qui savent entretenir dansle public passions et rêves et aider ainsià la promotion des recherches spatiales.Cependant leurs moyens et leurs repré-sentativités sont faibles malgré leur rôlede maillon fondamental dans la diffu-sion des connaissances et de relaisauprès du corps enseignant des écoles,

collèges et lycées, grâce notamment auxliens qu’elles ont su tisser avec leursassociations.3 - L’Académie des sciences tient un rôledéfini dans ce processus d’aide à la déci-sion. Elle a en propre deux devoirs: d’unepart celui de présenter une analyse ob-jective des connaissances actuelles eten cours d’acquisition sur les dévelop-pements attendus ou espérés afin defournir les bases scientifiques d’un choixpolitique, d’autre part de préparer desrecommandations nettement séparéesde l’analyse qu’elle propose. Elle suggèreles moyens pertinents de leur mise enœuvre, sans la prétention d’imposer sesrecommandations aux pouvoirs publics.Ainsi, parmi les 17 rapports R.S.T. au-jourd’hui publiés et remis aux ministreset autorités administratives, plusieursdes recommandations ont été prises encompte, d’autres ont nécessité un appro-fondissement, d’autres enfin n’étant pas

conformes au choix législatif n’ont pasété suivies. Mais pour tous, la partieanalytique a été reconnue comme la ba-se de travail incontournable pour les dif-férents intervenants.L’Académie ne dicte aucune solution. LaFrance n’est heureusement pas unerépublique de savants. Ceux qui, paridéologie, agirent au nom de la scienceont écrit les pages les plus sombres duXXème siècle. En sa qualité de corps d’Étatconstitué, l’Académie permet aux pou-voirs publics de prendre des décisionsaprès avoir pris connaissance de leurscomposantes scientifiques �

par Jean Dercourt

Secrétaire perpétuel de l’Académie dessciences, professeur émérite à l’universitéPierre et Marie Curie.

SommaireÉditorialLa science française en périlJean Dercourt

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DossierTout est ChimiePierre Potier

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Chimie omniprésente, sa force,sa faiblesse…Michel Pouchard

page 4

Les oxydes des métaux de transition,des matériaux fonctionnels trèsprometteursBernard Raveau

page 8

La catalyse asymétrique, une impor-tante voie d’accès aux moléculeschiralesHenri Kagan

page 11

Une chimie supramoléculaire foisonnanteEntretien avec Jean-Marie Lehn par Paul Caro

page 12

Questions d’actualitéLe renouvellement des cellulessouches hématopoïétiques: du nouveau très attenduFrançoise Dieterlen-Lièvre

page 14

Le laser à atomesAlain Aspect

page 16

La vie des séancesLe cerveau de l’enfant dans la petiteenfance et les troubles de son dévelop-pementJean-Didier Vincent

page 18

Alimentation – Nutrition humainePierre Louisot

page 19

La vie de l’AcadémieHommage à Jozef Stefaan SchellAlain Pompidou

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ConcilienceÉdouard Brézin

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Carnetpage 20

La science française en péril

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la lettre n0 10 / hiver 2003

de l ’Académie des sciences

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Dossier

universel que l’opium ». L’opium fournitla morphine et Sydenham aurait volon-tiers, deux siècles plus tard, remplacéopium par morphine. De nos jours, il n’ya pas un mot à changer dans cette phra-se puisque la morphine, malgré seseffets secondaires indésirables, est tou-jours très utilisée comme antalgique.

Sa découverte et les études portant surd’autres antalgiques ont conduit à isolerdu cerveau des Mammifères des « mor-phiniques internes » ou enképhalines,peptides qui se fixent sur certains récep-teurs de la morphine. Comme la douleurest aussi un signal de survie, ces pep-tides doivent pouvoir avoir une existencecourte; sinon, nous serions tous trans-formés en fakirs et pourrions nous al-longer sur une planche à clous sansgrande souffrance! Les enképhalinases,systèmes enzymatiques qui dégradentles enképhalines, permettent cette briè-veté d’action. Ce système de « doublepédale » est fréquent en biologie: un ef-fecteur et un système qui le contrôle (oule détruit).

Le succès de la génomique a amené laquestion: à quoi ça sert? On trouve, eneffet, des peptides produits de l’expres-sion d’un gène sans que l’on ait encoretrouvé la structure réceptrice (s’il en estune!) correspondante, ou l’inverse. Il estintéressant de produire des moléculesqui miment les effecteurs peptidiquessans être détruites comme eux par lessystèmes naturels de dégradation ?C’est, le cas de la morphine, produit dupavot et analogue non peptidique, doncnon dégradée par les enképhalinases,des « morphiniques » internes. Nosconfrères Jean-Charles Schwartz etBernard P. Roques et leurs collabora-

réaction; le collaborateur revenait aprèsavoir consulté le « devin » informatique(dans lequel les réactions chimiquesconnues étaient répertoriées) et medisait : « Monsieur, cela ne marcherapas! ». Eh bien, faites quand même cetteréaction. Il arrivait qu’elle marchât!

Il est bon que l’on recherche des maté-riaux nouveaux, des réactions nouvelles,etc… C’est ainsi que la discipline pro-gresse. Mais il existe aussi un domaineparticulièrement fructueux offert par lanature, que j’ai appelé: « le magasin duBon Dieu ». A un moment de sa vie,l’homme est malade et souffre. Il cher-che alors dans le jardin de quoi se nour-rir, se vêtir, se chauffer et se soigner.

Parmi les médicaments (on parlait deremèdes) que l’homme a sélectionnés,on trouve d’abord les antalgiques, ceuxqui permettent de ne pas (trop) souffrir.C’est ainsi que, de la Chine à l’Égypte enpassant par l’Inde, la Perse, on sélec-tionna l’opium, latex qui sourd des cap-sules du pavot après incision ou bles-sure. Cette « résine » ainsi recueillieconstitue l’opium. Les hommes de l’épo-que s’aperçurent que la consommationde cette « drogue » faisait disparaître ladouleur (et apparaître d’autres sensa-tions !). Ce n’est qu’au début duXIXème siècle, lorsque l’alchimie laissa laplace à la chimie, que le « principe actif »(notion nouvelle à cette époque) del’opium fut isolé définitivement et carac-térisé: la morphine.

Le médecin anglais, Thomas Sydenham(1629-1684) écrivait au XVIIème siècle :« Parmi les remèdes qu’il a plu à DieuTout Puissant de procurer à l’hommesouffrant, nul n’est aussi efficace ni aussi

Le chimiste allemand Justus vonLiebig (celui des potages!) dont on

célèbre le bicentenaire de la naissance(1803-1873) disait: « Alles ist chemie ».A la même époque, le physiologiste fran-çais Claude Bernard répétait dans sescours à la Sorbonne, au Muséum ou auCollège de France: « Le médicament estle scalpel (ou le réactif) de la biologie ».Le décor était, ainsi, campé.

La chimie est une science de transfertvers l’amont (la physique) ou vers l’aval(la biologie et la médecine). Les exem-ples de ces transferts sont nombreux.Les matériaux fabriqués par les chi-mistes possèdent souvent des caracté-ristiques particulières qui les font utiliserdans des applications comme la supra-conductivité, la constante diélectrique,le magnétisme, etc. La chimie crée sonobjet dit-on. C’est vrai. Mais on cherchequelquefois un objet et on en trouve unautre souvent plus intéressant: la chimieest une science encore imparfaitementprédictive qui laisse la place aux délicesde l’imprévu.

Lors de ma carrière de chercheur, ilm’est parfois arrivé de demander à l’unde mes collaborateurs d’effectuer une

teurs se sont distingués dans cesrecherches, il y a quelques années.

Pour rester dans le domaine des « dro-gues », une situation très semblable seretrouve avec le haschich (la marijuanaou « la yerba »). Il s’agit d’une résine se-crétée par le chanvre indien et utiliséedepuis des millénaires pour traiter diver-ses maladies, effacer la douleur et pourdroguer des hommes (les haschichinsqui deviendront les assassins!). Commedans le cas de l’opium et de la morphine,il peut y avoir accoutumance (toxico-manie). Les travaux de Mechoulam ontmontré que le produit actif principal duhaschich est le tétrahydrocannabinol.Plus tard il fut démontré que ce produit,végétal, se fixait sur des récepteurs cé-rébraux et périphériques nommés CB1et CB2. Il ne restait plus qu’à trouver les« endo-cannabinoïdes ». On isola alorsl'anandamide (du sanskrit ananda) déri-vé fort simple d’un acide gras très ré-pandu (y compris dans les cacahuètes!):l’acide arachidonique. On trouve de telscomposés dans le chocolat. De là àimaginer que quand on est « accro » duchocolat on peut, ensuite, descendre lesmarches de la dépravation toxicoma-niaque vers le haschich…! Qu’en cettepériode de fêtes, on se rassure : lechocolat n’est pas une drogue dure. Ilarrive que des personnes consommantdes quantités déraisonnables dechocolat (une tablette par jour avouée)comme d’autres disent un paquet parjour (pour le tabac) puissent avoir desmigraines insupportables. Or, on sait, demieux en mieux, que lesmigraines sontde véritables « orages cérébraux »rappelant les crises d’épilepsie, mais onsait aussi, depuis peu, que les dérivésdu chanvre indien (tétrahydrocan- � � �

1 Membre de l’Académie des sciences, directeur de recherche émérite au CNRS.

L’attribution du Prix Nobel de Chimie 2003 à deux médecins, Peter Agre,chimiste et à Roderick Mac Kinnon, biochimiste est riche d’enseignements.Ce n’est pas la première fois que des chimistes ou biochimistes s’illustrenten physiologie et en médecine et sont récompensés par un prix en chimie!

Tout est Chimiepar Pierre Potier 1

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� � � nabinol et dérivés proches) agis-sent pour prévenir et s’opposer auxcrises d’épilepsie. Il y a encore de labesogne dans ce domaine de la re-cherche thérapeutique: cerveau, com-portements, immunologie, etc. Cher-chez et trouvez, le jardin du Bon Dieu estouvert.

Encore plus près de nous, la découverteinattendue des ciclosporines offre unexemple passionnant. Un ingénieur-chi-miste de la firme pharmaceutique suisseSandoz avait l’habitude, lorsqu’il passaitses vacances dans différentes parties dumonde, de collecter des échantillons deterre, de mousses, de lichens et deramener ces échantillons à Bâle. C’estainsi que, partant en randonnée sur leshauts-plateaux de Norvège, il récoltaquelques échantillons et, à son retourau laboratoire, les confia à l’un de sescollègues, microbiologiste. Ce derniercultiva ces échantillons et au bout dequelques semaines s’aperçut que cer-tains microorganismes contenus dansce prélèvement possédaient des pro-priétés curieuses: ni antibiotiques, niantifongiques. Grâce à sa curiosité (et àsa ténacité) ce chercheur découvrit quece microorganisme possédait des pro-priétés immunosuppressives. Il fut ca-ractérisé et les produits actifs isolés: lesciclosporines qui ont révolutionné lepronostic de greffes d’organes par sup-pression des phénomènes de rejet ainsique le traitement de maladies auto-immunes. A la suite d’autres agentsimmunosuppresseurs furent décou-verts chez d’autres microorganismes.Un nouveau chapitre de l’immunologies’ouvrait.

Autre champ fécond, celui des « média-teurs » substances, souvent très sim-ples, qui participent aux communica-tions entre organes, cellules et d’unefaçon générale, organismes. Les phéro-mones, molécules qui attirent, ou re-poussent des organismes sont un trèsbel exemple de ce que la chimie peutapporter à la biologie.La chimie peut encore apporter desréponses simples à des questions degrande importance: c’est ainsi que, pen-dant longtemps, on ne savait pas si l’ADN(acide desoxyribonucléique) avait, ounon, précédé l’ARN (acide ribonucléique)au cours de l’évolution. La chimie a purésoudre ce problème. En effet, l’ADNdiffère de l’ARN par le fait que la partieribose qui figure intacte dans l’ARN estréduite en 2-desoxyribose dans l’ADN.Or le 2-desoxyribose n’est pas un méta-bolite normal du ribose. Il faut que laréaction de réduction de l’hydroxyle en2 du ribose s’effectue sur le ribonucléo-tide comprenant le ribose, la basenucléique et les phosphates. C’est ceribonucléotide qui est réduit par uneenzyme: la ribonucléotide-réductase(l’enzyme probablement la plus abon-

dante dans le monde vivant) qui permetde passer de l’ARN à l’ADN beaucoupplus stable, facilitant l’évolution desorganismes. La nature a gardé lamémoire de ces évènements: de l’ADN,des systèmes enzymatiques (les ré-verse-transcriptases) permettent derepasser à l’ARN. Une grande partie dela biologie moléculaire est derrière cessimples réactions! Et l’on découvre, jouraprès jour, les rôles très importantsjoués par des séquences d’ARN, témoinsde l’évolution vers les systèmes à ADNet qui n’ont pas disparu, tant s’en faut.

« La chimie est à la biologie ce que lesolfège est à la musique » ai-je l’habi-tude de dire. Cela aurait pu être le titrede cet article, ce sera sa conclusion �

ien avant ces actes volon-taires, la chimie était natu-rellement à l’œuvre dans

des processus vitaux com-me la respiration. Lavoisier, le créateurde la chimie quantitative l’avait biencompris, la présentant comme unecombustion de produits hydrocarbonésdonnant de l’eau, du dioxyde de carboneet, bien sûr, de la chaleur et de l’énergiemécanique pour la contraction des fibresmusculaires; ou comme la fermenta-tion naturelle de certaines substances – c’est-à-dire leur évolution chimique –décrite par cet autre grand chimiste quifut également physicien et surtout biolo-giste, Pasteur, un siècle après lui. Maisil fallut attendre encore un demi sièclepour mieux comprendre cette respira-tion et pour que naisse une chimie vrai-ment moderne, basée sur la descriptionstructurale des macromolécules biolo-giques de l’hémoglobine et celle de laliaison chimique de son cœur minéral,un ion ferreux, et pour que l’on « visua-lise » enfin à l’échelle atomique com-ment la molécule de dioxygène étaittransportée par cette molécule complexedu sang de la zone pulmonaire bien irri-guée par l’air, jusqu’à celle du muscleoù elle était stockée puis brûlée. Lathéorie de Perutz (Prix Nobel de Chimie1962) qui fut un membre éminent, as-socié étranger, de notre compagnie nouspermet de bien comprendre ce méca-nisme intime sur la base d’un équilibrechimique labile, lui-même associé à unéquilibre entre deux états électroniquesde l’ion: pour accueillir la molécule O2

dans son proche environnement cons-titué de cinq atomes d’azote, l’atome defer doit diminuer sa propre taille et doncréorganiser la configuration de ses sixélectrons externes pour pouvoir serapprocher de ses premiers voisinsazotés. Ce faible déplacement est trans-mis par les atomes des macromoléculesde protéines repliées jusqu’aux autresatomes de fer pour coordonner leur fixa-tion d’une molécule d’oxygène chacun.

Cet exemple, tiré de la biologie, illustrece phénomène plus général de lamatière qu’un déplacement électroniquedoit être couplé à un déplacementatomique. La physique parlera de pola-ron ou de couplage électron-phonon. Lachimie y verra la base essentielle ducouplage des propriétés structurales ausens large, et physiques.Aujourd’hui beaucoup de chimistes(chimie moléculaire ou chimie de l’étatsolide) étudient ces changements destructure électronique d’ions comme lefer en fonction de la nature de leurs pre-miers voisins mais aussi, puisque leurtaille est concernée, en fonction des pa-ramètres thermodynamiques que sontla pression et la température.Ces équilibres, dits encore transitionsde spin, étaient chers à notre regrettéconfrère Olivier Kahn. Ils s’accompa-gnent de changements « coperniciens »de propriétés: optiques (changement decouleur), magnétiques (passage dudiamagnétisme au paramagnétisme),voire même, dans le cas de solides nonmoléculaires, c’est-à-dire comportantun grand nombre d’atomes en forteinteraction, de propriétés électriquescomme une transition isolant-métal. Enfait ce sont toutes les propriétés - y com-pris chimiques, comme celles d’oxydo-réduction -, qui sont complètement mo-difiées.La chimie moderne est d’abord unechimie électronique – au sens beaucoupplus large que celui d’électrochimie –puisque la connaissance des électronsexternes d’un corps – leur appartenanceà tel ou tel atome, leur partage entre telou tel atome, leur énergie, la symétriede leur fonction d’onde et bien sûr leurmoment cinétique de spin – vont condi-tionner toutes ses propriétés.

Dossier

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1 Membre de l’Académie des sciences, professeur àl’université de Bordeaux 1.

Chimie

par Michel Pouchard 1B

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La Chimie a ses frontièresSi la chimie a toujours concerné de prèsla vie de nos ancêtres et de nos conci-toyens, elle a cependant beaucoup évo-lué avec le temps d’une science à laplace bien identifiée vers une sciencedavantage morcelée, touchant voire irri-gant tous les grands champs discipli-naires actuels; elle a considérablementrenforcé et enrichi ses frontières. Maisn’a-t-elle pas aussi quelque peu fragi-lisé son cœur?La chimie moderne fait appel aux notionsmathématiques fondamentales desymétrie, la symétrie ponctuelle desgroupes d’atomes, la symétrie de trans-lation des réseaux cristallins infinis.Il y a plus de deux millénaires déjà lesphilosophes et hommes de sciencescomme Platon connaissaient les poly-èdres de haute symétrie que sont parexemple l’icosaèdre (vingt faces) ou ledodécaèdre pentagonal (douze faces)dont la beauté les avait frappés. Ils leuravaient associé les éléments vitaux deleur environnement, la terre, l’air, l’eau,le feu, l’Univers… Il y a seulement troissiècles, le mathématicien suisse Euler(1707-1783), montrait qu’un pentagone,lorsqu’il remplaçait un hexagone d’unréseau plan courbait l’espace et que larépétition de cette opération (douze fois)permettait de le refermer sur lui-mêmeen créant des polyèdres, appelés aujour-d’hui des fullerènes dont le premierterme était justement le dodécaèdrepentagonal de Platon. Récement, enfin,les trois chimistes, Kroto, Kurl et Smalley(Prix Nobel de Chimie en 1996) décou-vraient plusieurs de ces polyèdres sousla forme de molécules de carbonecomme le C60 ou le C70 qui sont venusrévolutionner sa chimie. L’objet mathé-matique irréel s’était transformé sousles doigts des chimistes en un objettangible, l’une des plus belles moléculesjamais synthétisées (fig. 1). Ils n’ont pascependant réussi à ce jour à synthétiserle plus petit fullerène de la famille, lemythique dodécaèdre de Platon C20…

Les frontières avec les sciences de laterre et de l’univers s’estompent. Avantd’avoir été synthétisée et caractériséepar l’homme, la molécule C60 avait étédétectée dans des poussières stellairespar son spectre de vibration. Mais c’estsurtout le paramètre thermodynamiquepression qui réunit chimistes et géo-logues. Les roches profondes du man-teau terrestre sont soumises à des pres-sions énormes, quelques dizaines degiga pascals - c’est-à-dire plusieurscentaines de milliers de fois celle quenous imprime le poids de la seule atmo-sphère - qui modifient leur structure etleurs propriétés. En comprimant dif-féremment les gros ions polarisables(déformables) et les petits ions consti-tués de sphères rigides peu défor-mables, la pression est un paramètreessentiel qui permet de changer dras-tiquement la structure des corps, régiepar ces rapports de taille : la silice desurface est tétraédrique et devient octa-édrique (ilménite puis perovskite) àquelques centaines de kilomètres sousnos pieds…Par ailleurs le chimiste sait bien que lapression, en rapprochant les constituantsréactionnels solides, est un outil desynthèse puissant (associée générale-ment à de hautes températures) etqu’elle leur permet de stabiliser tel outel composé – connu pour son instabilitéou encore inconnu – en favorisant par ex-emple des coordinences élevées (c’est-à-dire le nombre de premiers voisinsd’atomes différents), ou des degrés d’oxy-dation élevés ou (et) inusuels. L’emploides hautes pressions a permis dans lesannées cinquante à une équipe de laGeneral Electric aux USA de transformerle graphite en diamant, procédé indus-trialisé quelques années plus tard, ou desynthétiser en France les premiers oxy-des doubles de cuivre trivalent (+ III) quidevaient ouvrir la voie, quinze ans plustard, aux cuprates supraconducteurs àhaute température critique de Bednorzet Müller (Prix Nobel de Physique 1987).

Plus récemment encore, géologues etchimistes redécouvrent ces solidesétranges appelés clathrates (du latinclathratus signifiant une cage) où desmolécules d’eau enferment dans lesnanocavités d’une glace poreuse d’autresmolécules neutres comme certains gazrares (Kr, Xe), mais surtout du méthaneou du dioxyde de carbone. Une nouvellesource (abondante?) d’hydrocarburesdont les réserves s’épuisent? Un nouveaumode de stockage sous-marin du CO2

(dont la teneur atmosphérique croit dan-gereusement)? Mais aussi un risqueécologique si l’exploitation de ces res-sources énergétiques ultimes n’est pasparfaitement maîtrisée, car le méthanerelâché dans l’atmosphère est encorebeaucoup plus redoutable que le CO2

pour ses effets de serre.La physique a toujours été le partenaireprivilégié des chimistes, d’abord par lanécessité pour ces derniers de disposerde moyens de caractérisation et d’ana-lyse de plus en plus poussés (chimiephysique, chimie analytique), mais aussipar leur domaine frontière, celui desmatériaux où, initialement, le chimistesynthétisait et le physicien caractérisait(on appelle généralement matériau unsolide auquel est affecté une propriétéd’application). Aujourd’hui la frontière etles rôles sont devenus quasiment indis-cernables en particulier dans dessecteurs comme l’élaboration des cris-taux pour l’électronique, l’optique, l’op-toélectronique, ou la construction de cou-ches minces, souvent couche atomiquepar couche atomique pouvant aller dequelques nanomètres (10-9m) d’épais-seur à quelques micromètres (10-6 m),sous des vides poussés. Tout au pluspeut-on dire encore que le chimiste estcelui qui regarde les atomes dans leurespace direct et le physicien celui qui suitles propriétés dans l’espace réciproque…Mais c’est surtout la cristallographie,branche de la physique, qui au cours descinquante dernières années a permisà la chimie de construire ses concepts

de base, la relation entre structureatomique, liaison chimique et propriétés.Cela est vrai dans le domaine de lachimie moléculaire, de la catalyse ou dela chimie biologique avec les conceptsde type serrure-clé (substrat-molécule)pour identifier les sites réactifs commedans celui de la chimie du solide où l’onsait bien qu’une modification structu-rale, même modeste, peut changer dutout au tout l’ensemble des propriétésd’un corps: l’atome de carbone du gra-phite a trois voisins coplanaires, celui dudiamant quatre disposés aux sommetsd’un tétraèdre régulier. Et chacun saitque le premier est noir, mou et conduc-teur et le second transparent, dur etisolant (électronique). Deux solides quetout oppose. Ils sont pourtant l’un etl’autre constitués des mêmes atomes,mais différemment assemblés. On saitpeut être moins qu’un oxyde d’un métalde transition tel que V2O3 (vanadium) peutavoir ses propriétés de conduction élec-trique complètement changées (multi-pliées par dix ordres de grandeurs, c’est-à-dire dix milliards de fois) lorsque latempérature, variant de quelques degrés(ou la pression), provoque de très légersdéplacements atomiques (quelques cen-tièmes d’angström).Diffraction des rayons X, diffraction desneutrons et, depuis une vingtaine d’an-nées, rayonnement synchrotron, micro-scopie électronique à haute résolution,résonance magnétique nucléaire à hautchamp et, encore plus récemment, lesmicroscopies en champ proche, toutesces techniques ont permis de suivre,souvent directement, les ordonnance-ments atomiques, mais aussi leurs dé-fauts et parfois leur association en dislo-cation, plan d’antiphase ou plan de glis-sement. Parfois même le rôle de cesdéfauts peut constituer la propriétéessentielle lorsqu’ils sont suffisammentnombreux ou mobiles (c’est le phéno-mène de non stoechiométrie des solidesqui donna lieu il y a plus d’un siècle à unecélèbre empoignade entre les chimistes

Dossier

Depuis la nuit des temps, la chimie aaccompagné tous les actes de l’homme. La

maîtrise du feu lui a d’abord permis de cuire ses aliments et donc de transformer chimiquement leurs protéines. Plustard, le geste du potier pétrissant la glaise et la portant au feu pour créer de ses mains un ustensile utile à son bienêtre, ou celui de ses proches fondant dans des creusets de pierre des mélanges de roches pour en extraire le bronzeou le fer utiles à leur survie, a constitué l’un des premiers actes de l’homme d’une chimie qui s’ignorait encore.

omniprésente, sa force,sa faiblesse…

Page 6: Acad.mie n.10 edipro - Académie sciencesde vie, l’amélioration de la santé de chacun ». Ce rapport, remis par Jacques-Louis Lions, Président de l’Aca-démie, animateur du

DossierDalton, Proust et Berthollet). Tel est lecas de la zircone, cœur des piles àcombustible de haute température dedemain. Les progrès des techniquesconduisent parfois à mettre en échecdes concepts bien établis. Ainsi cettevision ultime de la matière, à l’échellede l’atome ou de quelques atomes, re-pose alors la question fondamentale dela notion de phase au sens thermody-namique du terme défini par Gibbs com-me un ensemble homogène de matière:à partir de quelle dimension doit-onjuger de l’homogénéité ou de l’inhomo-généité d’un solide pour lequel on saitbien qu’impuretés et défauts zéro nepeuvent exister conformément à l’en-tropie du système?La science des polymères ou celle desmatériaux composites, qu’ils soient àmatrice métallique ou à matrice céra-mique et qui pénètrent de plus en plusle monde spatial (cônes de tuyère, bou-clier thermique de rentrée dans l’atmo-sphère), de l’aéronautique (compositescarbone-carbone, alliages monocristal-lins d’aubes de turbine), de l’automobile,voire celui plus courant des équipementsde sport, est bien sûr elle aussi auxconfins de la chimie et de la mécanique.Quant aux sciences de la vie il suffit dereprendre quelques phrases « choc » del’article de Pierre Potier telles que: « la

chimie est à la biologie ce que le solfègeest à la musique » ou celle de ClaudeBernard « les médicaments sont lesscalpels de la biologie », pour constaterque là encore les champs disciplinairesse recouvrent sans rupture aucune.

Pasteur aimait souligner que les « appli-cations de la science étaient aussi inti-mement liées à la science que le fruit àl’arbre qui l’a porté ». Là encore chimieet technologie forment un tissu indisso-ciable. La place de l’ingénieur ou du tech-nologue est fondamentale dans tous lesprocédés industriels de la synthèse

chimique, basés avant tout sur leséchanges de matière et de chaleur,domaine privilégié de la mécanique desfluides et des équations différentiellesde Navier-Stokes.Ainsi la chimie apparaît-elle partout,parfois avec une place privilégiée, auxconfins de tous les grands champs disci-plinaires de la science et de la techno-logie. Elle est partout, certains diront-elle est donc nulle part. Cette dispersion,cette richesse, n’est-elle pas paradoxa-lement fragilisante et ne vide-t-elle pasde sa substance son cœur primitif? Laquestion fut souvent posée au cours deces dernières années, conduisant mêmeà des projets de coupures… Mais je pré-fère n’y voir que son lien naturel avectoutes les disciplines, l’essence mêmede l’interdisciplinarité.

Le cœur de la ChimieLe cœur de la chimie, bien que cloisonnéen de multiples sous disciplines – chimieorganique, chimie-physique, chimie inor-ganique moléculaire, chimie du solide,des polymères, métallurgique, analy-tique, électrochimie, radiochimie… - cecœur de la chimie est solide et présenteune unité conceptuelle remarquable qui

découle des propos de Berthelot « lechimiste est le seul scientifique qui créel’objet de ses études ».En effet le chimiste a essentiellementpour rôle de créer de nombreux corps –parfois d’améliorer les propriétés decomposés connus – à fonction désirée.Mais il ne peut le faire que s’il a étudiéau préalable les relations liant la struc-ture – donc la disposition des atomes lesuns par rapport aux autres -, la liaisonchimique – donc l’échange électroniqueentre ces atomes et la nature des étatsoccupés et vides de plus haute énergie– et les propriétés générales d’un corps

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sur un nombre suffisant d’exemplespour qu’il ait pu en tirer des règles sûres.Bref, pratiquer une chimie prédictive,mieux comprendre la matière pourmieux créer de nouvelles espècesperformantes. Le chimiste est doncavant tout l’architecte et le maçon de lamatière, mais son échelle est celle dunanomètre, ses briques la centained’éléments du tableau périodique deMendeleiev et son ciment leurs électronsde valence. Leurs assemblages peuventdonc s’effectuer avec une infinie diver-sité, comme le musicien crée sa sym-phonie avec quelques notes élémen-taires. Le chimiste est comme l’artiste,d’abord un créateur.Parfois la complexité des édifices chi-miques rend ces relations difficiles àétablir et le chimiste est davantage placédans le rôle d’un explorateur devant unpaysage inconnu. Alors pour prévoir saroute, il multiplie les nombreuses carac-térisations spectroscopiques ou physi-ques pour y chercher les indices quiauraient pu échapper à sa sagacitéprédictive. RMN, EXAFS, XANES, XPSetc, autant de techniques sophistiquéesmises à sa disposition par ses collèguesphysiciens (fig. 2).

On peut ainsi observer à l’heure actuellel’existence de deux grandes tendancesen chimie. Il arrive parfois qu’elles inter-fèrent et se complètent:

1. la première exploite au maximum letryptique précédemment décrit – struc-ture, liaison, propriétés – en s’appuyantgénéralement sur une modélisation deplus en plus poussée de la liaisonchimique (chimie théorique) où les ap-proches les plus simples de type « liaisonforte » (méthode de Hückel étendue),calculant la variation de l’énergie desélectrons externes d’un système ato-mique sur la base de leur seul recou-vrement orbitalaire, sont complétées pardes méthodes beaucoup plus lourdes encalcul, dites « ab initio » (où l’on traiteglobalement l’interaction d’un ensemblede noyaux et de tous leurs électrons pourun système d’atomes qui peut être infi-ni) et basées sur la fonctionnelle de ladensité (Kohn et Pople, Prix Nobel deChimie 1998). Elles permettent deprendre en compte les phénomènes d’é-change-corrélation, c’est-à-dire de ré-pulsion inter électronique toujours diffi-cile à évaluer. Dans ces approches, lechimiste doit jouer incessamment avecl’état dual de l’électron (de Broglie)considéré successivement comme uneparticule soumise à un potentiel coulom-bien, mais aussi comme une fonctiond’onde dont les paramètres de symétrieet de spin sont particulièrement impor-tants.

2. La seconde est une approche plusexpérimentale, plus intuitive, souventproche de celle de la recherche indus-

trielle qui, faute de temps, vise d’abordà obtenir la molécule active avant decomprendre la raison et les mécanismesde son activité: c’est le « screening » deslaboratoires industriels, voire aujour-d’hui la chimie combinatoire qui auto-matise les conditions de synthèse endéterminant des variations matriciellesde ses paramètres, mais qui ne peuts’appliquer qu’à des techniques desynthèse relativement simples.Ces deux approches sont parfois me-nées de manière complémentaire,selon l’état d’esprit du chimiste davan-tage enclin à l’abstraction d’une théorieprédictive pour un objet à concevoir et àconstruire ou au contraire au côté plusintuitif, plus concret, voire plus ludiqued’une recherche basée sur la découverteet l’essai expérimental.La découverte du taxol, l’une des sub-stances anti cancéreuses les plus acti-ves, illustre bien ces deux types d’ap-proche: découverte aux USA il y a environune vingtaine d’années à la suite d’un« screening » intensif sur un nombreconsidérable de substances naturellesvégétales et isolée à partir du bois de l’if,elle ne put hélas en être extraite indus-triellement et sa synthèse directe futlongtemps un échec. Quelques annéesplus tard une succession raisonnabled’étapes de synthèse bien choisies enpartant de molécules voisines présentescette fois-ci dans les aiguilles de l’if,permettait à notre Confrère P. Potier decréer une molécule quasi identique autaxol, et encore plus efficace, le taxotère.Découverte et création furent donc icitout à fait complémentaires.

L’image du chimisteFace à ces évolutions rapides des con-cepts, du positionnement au sein des dis-ciplines et des méthodes de travail duchimiste, quelle image l’homme de larue peut-il s’en faire? Est-elle exacte ouparticulièrement décalée, précise ou aucontraire très floue ? On ne parle dechimie dans les média que pour rappelerle long chapelet des agressions dont elleest jugée responsable à l’encontre denotre proche environnement et de notreplanète: métaux lourds, dioxines, oxydesd’azote, ozone et plus récemment dio-xyde de carbone… Non seulement ellen’entre pas à ses yeux dans la catégoriedes disciplines modernes, évolutives,informatisées, utilisant des instrumentsde caractérisation lourds (ILL, ESRF),mais la seule image qu’on lui colle à lapeau est celle des fumées rousses ounoires de son industrie chimique, ouencore quelquefois celle désuète et naïved’une verrerie de laboratoire aussi peusymbolique qu’obsolète.Les bienfaits de la chimie des grandessynthèses du début du XIXème siècle ontété peu à peu oubliés, ils sont devenusroutiniers. Ceux plus récents de l’indus-trie pharmaceutique sont attribués àd’autres secteurs plus visibles et média-

Figure 1: La molécule de haute symétrie (Ih) C60.

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tisés comme la médecine. Ceux des télé-communications à la seule physique…En revanche une nouvelle image dedangerosité est née. D’abord avec lapremière guerre mondiale et les gaz decombat. Depuis quelques années elles’amplifie avec la notion, hélas bienréelle, de guerre chimique et de terro-risme chimique. L’homme de la ruedécouvre la puissance meurtrière decertaines molécules chimiques - le gazsarin par exemple - dont le caractèreimpalpable, invisible ou dont la nociviténe s’exprime qu’à long terme (dioxines),ajoute à une anxiété parfois mal relayéepar les médias (voir par exemple lerapport de l’Académie des sciences surles dioxines). Mais parfois, hélas, cettemenace se concrétise brutalement, parexemple lorsque l’énergie accumuléedans certaines substances comme lenitrate d’ammonium est brusquementrelâchée par l’action d’un détonateur;l’explosion de l’usine AZF de Toulouseest encore dans tous les esprits. Maischacun d’entre nous ne doit pas oublierque l’énergie dont nous avons tousbesoin est avant tout stockée sous formechimique…

Pour les besoins de sa propre discipline- mais aussi des autres - la chimie adéveloppé avec l’aide de la physique destechniques analytiques de plus en plusperformantes, en spectrométrie demasse par exemple. On sait aujourd’huidétecter et doser des traces de métauxlourds comme le plomb en quantités infi-nitésimales, approchant le femtogram-me (un millionième de milliardième…)dans notre environnement, mais aussidans la glace profonde, permettant deremonter le temps géologique. La préci-sion est telle que l’on peut même sé-parer les divers isotopes et parfois iden-tifier ainsi ses origines minières, lescauses des pollutions, l’évolution descivilisations anciennes… La chimiepermet aussi de raconter l’histoire deshommes…

Cette dernière médaille présente cepen-dant un revers ; plus finement on saitmesurer les polluants et plus on atendance à en reculer les bornes, sansparfois de véritables justifications épidé-miologiques… Augmentant encore plusce sentiment de vivre une époquepolluée… par la chimie bien sûr.

Ainsi la chimie est bien partout, mais ellea en quelque sorte perdu sa propreplace; surtout dans l’opinion publiqueoù elle est affublée d’une image dé-formée, faussée, dégradée quand ellen’est pas tout à fait ignorée. Accusée depollution bien évidemment, mais oubliéequand elle guérit ! Mais pourrait-il enêtre autrement puisque c’est elle quiproduit toutes les matières premièresnécessaires à la vie et au bien-être denos concitoyens.

de l’idéalité. Par exemple un rubis desynthèse possède une pureté et uneperfection cristalline telles qu’on peutl’utiliser comme laser, ce qu’aucun rubisnaturel ne saurait faire tellement sonréseau est chargé de micro inclusionsde fines aiguilles de rutile, certes invi-sibles à l’œil nu. Et pourtant il occupedans le coeur de nos concitoyens (nes)une place beaucoup plus enviée quecelle dûe au génie créatif des chimisteset physiciens qui l’ont élaboré.

La Chimie et son futurLa chimie est une science fondamentale,son côté créatif la rapproche un peu dumonde des arts. J’ai évoqué déjà celui dela musique, j’aurai pu également rappelerle monde fascinant de la couleur, despigments ou celui des gemmes dontcertains comme l’émeraude ont défiélongtemps ses possibilités de synthèse.Elle doit continuer à développer son cœuret ses frontières:1. Son cœur en améliorant sans cesseson côté prédictif; la modélisation, soustoutes ses formes, associée au fantas-tique progrès de l’informatique, doitpermettre au chimiste de mieux com-prendre les actes élémentaires de la réac-tivité ou de la stabilité des édifices ato-miques (cristallins, vitreux ou amorphes)ou moléculaires – notamment dans ce

domaine frontière très perturbé qu’estl’interface du solide mais où se condensesouvent l’essentiel des propriétés. Lecœur de la chimie est donc d’abord celuide la synthèse, source d’objets nouveauxtoujours plus diversifiés, plus performantsmais aussi, et cela est nouveau, moinsgourmands en matière première et enénergie – donc moins producteurs de CO2

– et facilement recyclables.2. Ses frontières nombreuses et riches,mais peut-être plus spécialement dansdeux secteurs, celui de la biologie et desmatériaux:- la biologie moléculaire et les

processus vitaux de base où les signauxioniques ne sont pas très éloignés desprocessus de l’électrochimie des élec-trolytes aqueux ou de la simple diffu-sion des ions. Par ailleurs, le monde dumédicament a toujours été très prochede celui des substances naturelles; leurnombre quasi infini est d’une granderichesse. Par ailleurs les processusnaturels (transport de l’oxygène, photo-synthèse…) seront toujours des mo-dèles pertinents pour susciter la créa-tion de systèmes artificiels. - les matériaux de la mécanique, maissurtout de la physique, qu’il s’agisse dematériaux de structure (polymèresnouveaux, alliages, céramiques, com-posites…) ou des matériaux de fonctionavec l’infinie diversité des composantsélectroniques, opto électroniques, ma-gnétiques, diélectriques… voire dansquelques années de l’électronique despin ou à plus long terme de l’électro-nique moléculaire… qui cherchent àtravailler de plus en plus vite dans desespaces de plus en plus réduits (lacourse au nanomètre, aux nanoscien-ces, aux nanotechnologies…).3. Mais la chimie doit de plus en plusse présenter comme un partenaire dudéveloppement durable en particulierpour les choix énergétiques à venir.L’énergie chimique constitue aujour-

d’hui au niveau mondial une part es-sentielle (charbon, pétrole, gaz). Lechimiste doit donc se préoccuper de lapollution associée à son exploitation etde la maîtrise du CO2 généré (capture,stockage et pourquoi pas son retraite-ment?). Quel challenge en effet repré-senterait pour un chimiste celui d’ar-river, en copiant la voie de la photo-synthèse, à retransformer par l’éner-gie solaire en une nouvelle biomassele CO2 produit dans les centrales ther-miques. Comme on le voit le senscréatif de la chimie comporte toujoursune part de rêve et d’espoir �

Chimie et industriePar son chiffre d’affaires comme par lenombre d’emplois qu’elle concerne lachimie représente le deuxième secteurd’activité des pays développés commele nôtre : pétrochimie, matières pre-mières de base, métallurgie, engrais,textile, pharmacie, etc… elle est parexcellence l’activité de transformationde la matière et concerne aujourd’huiencore plus qu’hier chaque acte de la viede nos concitoyens: l’agrochimie biensûr, mais aussi les cosmétiques, lesmédicaments, les matériaux de leursvêtements, de leur habitation, de leurvoiture, et tout récemment ceux, encoremoins directement visibles, de toutel’électronique et de l’informatique quimodifient leur propre mode de vie; aupoint que dans quelques siècles, celuique nous vivons pourrait bien prendre lenom d’âge du silicium par référence auxmatériaux de base qui ont déterminél’histoire de nos ancêtres, comme lebronze puis le fer.La chimie propose à l’homme desproduits, des outils qui certes en eux-mêmes génèrent quelques pollutionsou dangers, mais c’est toujours leur utili-sation par d’autres qui conduit souventaux dérives. La dynamite de Nobel (trini-troglycérine ou TNT) a tué, c’est évident,mais elle a aussi soulagé, voire épargné,la vie de bien des mineurs ou autrestravailleurs de chantier… quand ce n’estpas celle de simples malades souffrantd’angine de poitrine où son action vaso-dilatatrice, à faible dose bien sûr, pouvaitse révéler salutaire. Car, comme celaest bien connu, « c’est la dose qui faitle poison », c’est donc la main de l’uti-lisateur…Ainsi le chimiste voit sa place bien incon-fortable entre la méconnaissance de sonrôle attaché à l’amélioration de la vie deses concitoyens (durée, qualité), et le traitlargement forcé de son rôle de pollueurassocié à cette industrie chimique vitalemais montrée du doigt.

Le produit chimiqueTout ceci se matérialise par la méfiance,voire l’opposition dogmatique enferméedans ce terme de « produit chimique »opposé au « produit naturel » doué detoutes les vertus, un peu à la Rousseau;il cristallise la méconnaissance, l’igno-rance même de nos concitoyens. Car ilarrive souvent que le produit de syn-thèse, identique bien sûr dans son en-chaînement atomique ou moléculaire,soit beaucoup plus pur, chimiquementparlant, que le produit naturel, c’est-à-dire qu’il se rapproche beaucoup plus

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Figure 2: Analyse de la liaison chimique par spectroscopie de photoélectrons.

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sion marine. Plusieurs prototypes ont étéréalisés par différentes compagnies.Ainsi avec le cuprate "Bi-2212" ont étédéveloppés des limiteurs de courants de1,2 MVA par ABB et des amenées decourant de 13 kA par Alcatel, tandisqu’avec Bi-2223 ont été réalisés destransformateurs de courant par ABB etEDF et des câbles de transport à DétroitEdison. Ces derniers montrent les gran-des potentialités de ce cuprate puisquele transport du courant peut être assurésur une longueur de 120 m, et 110 kg deBi-2223 y remplacent huit tonnes decuivre. Enfin des bobines supraconduc-trices à base de Bi-2223, utilisées enrésonance magnétique nucléaire pourl’imagerie médicale ont été réaliséesrécemment. Dans le domaine de l’élec-tronique les applications sont plus loin-taines notamment pour l’électronique

rapide qui requiert une adaptation deces matériaux à la technologie du

silicium, problème non résolu à ce jour. En revanche, des

progrès importants ont étéaccomplis sur ces oxydes

dans le domaine de laconnectique et de la

transmission hyper-fréquence. La réali-sation de magnéto-m è t r e s a v e cdétecteurs dechamps magné-tiques ultra sen-sibles (SQUIDs)est égalementproche de l’abou-tissement. Moins

de vingt ans aprèsla découverte de la

supraconductivité àhaute température, les

cuprates apparaissentdonc comme des maté-

riaux fonctionnels dont lespotentialités sont considé-

rables. La découverte récentede propriétés supraconductrices

dans l’oxyde de cobalt NaCo2O4, 1,2H2O[5], même s’il présente une températurecritique très basse (Tc = 5K), démontreque l’exploration des oxydes en vue dedécouvrir de nouveaux supraconduc-teurs, n’est pas arrivée à son terme, etque de nombreux efforts restent à fairepour comprendre le phénomène desupraconductivité dans ces matériauxdont la cristallochimie est complexe.Les cobaltites lamellaires sont un deu-xième exemple d’oxydes dont les pro-priétés de transport sont actuellementtrès étudiées en raison de leur potentia-lité d’application dans le domaine de laconversion d’énergie calorifique en éner-gie électrique, notamment à haute tem-pérature. Le cobaltite NaCo2O4 dont lastructure (fig. 2) est constituée de cou-ches d’octaèdres CoO6 joints par lesarêtes, entre lesquelles sont intercalésdes cations Na+ [6] possède à cet égard

puisqu’ils ne contiennent pas d’élémentslourds très toxiques contrairement auxcuprates de thallium, de mercure ou deplomb. La haute Tc de ces matériaux, tientau caractère bidimensionnel de leursstructures (fig. 1) constituées de couchesde pyramides CuO5 ou de carrés plans deCuO4. Ces dernières peuvent égalementêtre décrites à partir de couches "CuO2"de carrés plans (fig. 1). C’est la délocali-sation des porteurs positifs dans lesplans "CuO2" qui engendre la supracon-ductivité à haute température. En contre-partie de leur Tc élevée ces supracon-ducteurs possèdent une longueur decohérence faible, contrairementaux supraconduc-teurs clas-

s i q u e s ,dits "basse Tc".Cette dernière caractéristiqueest un handicap important pour la propa-gation des porteurs et requiert l’absenced’interruption des plans "CuO2" afin d’at-teindre des densités de courant élevées.Dans le but de permettre un passage"parfait" du courant, des études du frit-tage des céramiques ont été engagéesces dernières années, qui doivent tenircompte de la chimie particulière de cesphases. Ainsi dans le cas du Y-"123", lesméthodes les plus fructueuses font appelà la texturation, par les méthodes de typeMTG (melt texture growth), ou encore deTPMG (top seeding melt growth) baséessur une croissance quasi monocristal-

line à partir d’un germe monocristallinde Nd2Cu3O7. Elles permettent de réaliserdésormais des pièces de taille déjàraisonnable (5 à 10 cm de diamètre),exemptes de microfissures et par consé-quent utilisables par des techniques desoudage dans différentes applications.Ainsi peuvent être atteints dans "Y-123"des densités de courant critiques allantjusqu’à 70000 A/cm2. Ce premier maté-riau est donc proche de l’application à lafois pour la réalisation de générateurs etd’aimants. Des prototypes d’électromo-teurs développant une puissance de100 kW, ont été réalisés par les équi-

pes de Moscou et Iéna. De la mêmefaçon, l’utilisation

du pouvoirde

lévitationmagnétique de ce

matériau fait qu’il est en coursd’application pour la réalisation de paliersmagnétiques. Le train à lévitation ma-gnétique (MAGLEV), qui fonctionne sur42 km, réalisé par les Japonais est unautre exemple des possibilités de cematériau. Dans le cas des cuprates debismuth, les méthodes de mise en formesont différentes, faisant appel soit auforgeage, soit à la réalisation de fils pardes méthodes de laminage à chaud. Pources matériaux, l’application est égale-ment très proche à la fois pour la réali-sation de câbles de transport et de distri-bution, mais aussi de transformateurs,de générateurs, et de moteurs à propul-

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Longtemps considérés comme descomposés d’intérêt académique, les

oxydes des métaux de transition sontétudiés depuis plusieurs années en vued’applications diverses, en raison de leurspropriétés électriques ou magnétiquesextraordinaires. Les oxydes à base decuivre, de cobalt ou de manganèse sontà cet égard très prometteurs. Les étatsd’oxydation variés de ces éléments etleurs configurations électroniques di-verses sont à l’origine de leurs pro-priétés structurales, magnétiqueset électriques remarquables.Ainsi, leur valence mixte– C u 2 + / C u 3 + / M n 3 + /M n 4 + , C o 3 + / C o 4 + - confère à leurs oxydesdes propriétés de dé-localisation électro-nique, tandis que l’ef-fet Jahn Teller decertains de leurscat ions (Cu 2+,Co2+, Mn3+) favorisela réalisation destructures aniso-tropes, et que cer-taines configu-rations de spingénèrent, à l’exem-ple du cobalt destransitons magné-tiques complexes.La famille des cuprates[1-4] constitue un exempletrès significatif de l’impactdes oxydes dans la découvertede nouveaux concepts en phy-sique du solide et dans la réalisa-tion de nouveaux matériaux fonction-nels. Ces composés peu remarquésjusqu’en 1986 connaissent actuellementun intérêt considérable à la fois sur leplan fondamental et de l’application, enraison de leurs propriétés supracon-ductrices à "haute" température. Parmicette nombreuse famille d’oxydes, lescuprates YBa2Cu3O7 (appelé souvent Y-"123"), Bi2Sr2CaCu2O8+δ et Bi2-xPbxSr2Ca2

Cu3O10+δ (notés respectivement "2212" et"2223") présentent un avenir certain dansles domaines de l’électrotechnique et del’électronique. Leur température critiqueélevée, Tc allant de 92K pour "123" jusqu’à110K pour le Bi "2223" permet en effetl’utilisation de l’azote liquide, réfrigérantpeu coûteux pour leur fonctionnement.Ils sont par ailleurs presque écologiques

1 Membre de l’Académie des sciences, professeurà l’université de Caen.

par Bernard Raveau1

Oles xydesdes métaux

de transition, des matériaux

fonctionnels trèsprometteurs

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des propriétés de transport attractives[7]. Cet oxyde présente en effet, à tempé-rature ordinaire un pouvoir thermoélec-trique élevé S = + 100 �V/K, une résisti-vité faible voisine de celle d’un métal, ρ = 0.2 m�cm et une conductivité ther-mique peu élevée K = 2W m-1K-1. Cescaractéristiques lui confèrent une figurede mérite, Z = S

2/ρK, voisine de celle de

Bi2Te3, matériau dont les performancesau voisinage de l’ambiante permettentla réalisation de générateurs thermo-électriques pour diverses applicationsen électronique. La découverte récentedes oxydes à structure désaccordéeappelés "misfits" [8-14] vient renforceret accélérer les activité R et D de la tech-nologie des thermoélectriques [15-16],notamment au Japon. Les cobaltites detype misfit sont en fait des structurescomposites constituées de deux types decouches dont les réseaux cristallins sontdifférents. L’exemple type en est le cobal-tite Ca3Co4O9, dont la structure (fig. 3) peutêtre décrite par l’empilement de couches"CoO2" de type CdI2, de symétrie mono-clinique (a ~ 4.8Å, b1~ 4.6Å, c� 10.9Å,��98°) et de couches "Ca2CoO3", demême symétrie, de paramètres a, c et �identiques mais de paramètre b diffé-rent, b2� 2.8Å. Le désaccord structuralentre ces deux types de couches est enfait mieux mis en évidence par la formule[Ca2CoO3][CoO2]b1/b2 avec b1/b2 = 1.625.Grâce à son pouvoir thermoélectriquepositif élevé S� +120 �V/K, indépendantde la température pour T � 200K et sarésistivité électrique faible (fig. 4),Ca3Co4O9 présente une grande potentia-lité d’application, comparable à NaCo2O4.Il a l’avantage de présenter par rapportà ce dernier une meilleure stabilité et estdonc très prometteur pour les applica-tions à haute température. La très grandeflexibilité de la structure "misfit" permetla génération d’une nombreuse famillede composés dans lesquels la couche detype NaCl peut accepter des cationsvariés tels que le strontium, le baryum,le thallium, le bismuth, le mercure ou leplomb. Il en résulte une variation impor-tante du désaccord structural entre lesdeux types de couches caractérisé par lerapport b1/b2. L’épaisseur même descouches de type NaCl ou plus exacte-ment leur multiplicité peut même varier,comme le montre la découverte récentedes cobaltites de bismuth [Bi1.74Sr2O4][CoO2]1.82 dont la structure (fig. 5) est aussiconstituée de couches "CoO2" simplesmais où des doubles couches bismuth-oxygène encadrées par deux couchessimple strontium-oxygène remplacentles couches "Ca2Co2O3". Cette grandevariété dans la composition chimique descouches de type NaCl, mais aussi dansleur stœchiométrie, influence notable-ment le taux de porteurs de la couche"CoO2" et par la suite les propriétés ther-moélectriques de ces oxydes. Ainsi, unpourvoir thermoélectrique de 160 �V/Kpeut être atteint dans le cas des misfits

au plomb [PbSr2-xCaxO3][CoO2]b1/b2. Lesmécanismes physiques de ces matériauxsont loin d’être parfaitement élucidés.L’origine de la conduction métallique deces phases tient, bien sûr, à la valencemixte des espèces Co3+ et Co4+, quiprésentent par ailleurs une configura-tion bas spin. Il en résulte un éclatementdes états t2g en e’g et a1g qui permet l’exis-tence d’une bande large e’g nécessairepour la métallicité. Par ailleurs les inter-actions magnétiques sont atténuées enraison de la géométrie triangulaire desfeuillets "CoO2", qui entraîne une frus-tration magnétique. Enfin la conductivitéthermique plus faible pourrait tirer sonorigine du caractère désordonné descouches de type NaCl qui se comporte-raient comme un verre de phonons. Enrésumé, il apparaît que le caractère bidi-mensionnel de ces phases, et leurvalence mixte Co3+/Co4+, jouent un rôlecapital dans leurs propriétés thermo-électriques remarquables, de façonsemblable aux propriétés supraconduc-trices des cuprates qui requièrent unebidimensionnalité de la structure et lavalence mixte Cu2+/Cu3+. La voie est donc

ouverte à l’optimisation de ces matériaux,par la modification de la nature chimiquedes couches de type NaCl, mais aussi parleur mise en forme, notamment en crois-sance cristalline et en texturation, afinde bénéficier de leur caractère aniso-trope. Actuellement des démonstrateursde laboratoire, basés sur l’effet Peltier etutilisant ces matériaux dans des modulesoù sont assemblés les conducteurs detype p et n sont en fonctionnement.La troisième famille, celle des manga-nites de formule générale Ln1-xAxMnO3

[17-19] où Ln3+ est un cation lanthanideet A2+ est un alcalinoterreux, fait actuel-lement l’objet d’un nombre considérabled’études en raison de la variation spec-

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DossierFigure 1: Structures des cuprates supraconducteurs

(a) YBa2Cu3O7 Tc = 92K (b) Bi2Sr2Ca2Cu2O8+�, Tc ≈ 90K et (c) Bi2-xPbxSr2Ca2Cu3O10 + �, Tc = 110K.

Figure 2: Structure du cobaltite NaCo2O4.

Figure 4: Évolution du pouvoirthermoélectrique S et de la résistivité �des cobaltites Ca3Co4O9

en fonction de latempérature.(x représente le tauxde substitution ducation alcalinoterreux)

Figure 3: Structure "misfit" du cobaltite Ca3Co4O9 constitué decouches "CoO2" type CdI2 et de couches "Ca2CoO3"type NaCl.

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Les références bibliographiques

Dossiertaculaire de la résistance de ces maté-riaux, par application, d’un champ ma-gnétique. Ainsi, pour une compositionadéquate, la résistance peut être dimi-nuée de plusieurs ordres de grandeurspar application d’un champ magnétique,comme illustré par l’oxyde Pr0.7Ca0.26

Sr0.04MnO3 (fig. 6). Pour cette raison cesoxydes ont été appelés à effet CMR(colossal magnetoresistance). La grandesensibilité de la résistance de ces maté-riaux au champ magnétique fait appa-raître leur grande potentialité d’utilisa-tion en tant que capteurs magnétiquesnotamment dans le domaine de l’enre-gistrement magnétique. A la différencedes deux précédentes familles, cesoxydes ont une structure à caractèretridimensionnel. Il s’agit en fait de la char-pente pérovskite, donc constituée d’oc-taèdres MnO6 joints par les sommets etdont les distorsions jouent un rôle impor-tant dans les propriétés magnétiques etde transport de ces phases, notammentpar la distorsion Jahn Teller due à l’ionMn3+. En fait comme pour les cuprates etles cobaltites, les manganites à effet CMRprésentent une valence mixte, Mn3+/Mn4+.C’est cette dernière qui est à l’origine dumécanisme de double échange électro-nique entre les espèces Mn3+ et Mn4+ [20],donc responsable du ferromagnétismeet de la conductivité de type métalliqueobservés très souvent à basse tempéra-ture. La transition d’un état isolant (para-magnétique ou antiferromagnétique) versun état ferromagnétique métallique sousl’effet du champ magnétique appliquéest donc la clef de l’effet CMR dans cesmatériaux. En fait, ce phénomène estcomplexe et très souvent lié à l’existencede mise en ordre des charges et des orbi-tales entre les espèces Mn3+ et Mn4+. C’estle cas, par exemple de la pérovskitePr0.5Ca0.5MnO3 qui présente à bassetempérature un ordre 1:1 des rangées"Mn3+" et "Mn4+" (fig. 7). Dans cette phaseantiferromagnétique isolante lesoctaèdres "Mn3+" sont très déformés pareffet Jahn Teller et présentent un ordreorbitalaire, alors que les octaèdres "Mn4+"sont beaucoup plus symétriques.L’application d’un champ magnétiqueélevé, supérieur dans ce cas à 25 Teslainduit une structure plus symétrique,caractérisée par une délocalisationdes charges sur le réseau "Mn-O-Mn". C’est ici qu’intervient, le rôleimportant du "dopage" de ces oxydesdans l’effet CMR. La substitution d’unetrès faible quantité des atomes demanganèse (quelques %) par des atomesétrangers, ayant une coordinence octa-édrique plus symétrique que celle de Mn3+ (Cr3+ , Co2+ , Ni2+, Ru2+, etc.…) désta-bilise d’ordre orbitalaire et des chargesen rendant localement la structure plussymétrique, même en l’absence dechamp magnétique. En champ nul, desîlots ferromagnétiques de symétrie plusélevée que ceux de la matrice sont ainsigénérés de façon cohérente avec la

Figure 7: Structure schématique de la pérovskite isolante antiferromagnétiquePr0.5Ca0.5MnO3 constituée de rangées octaédriques "Mn3+" alternant avec des rangées "Mn4+".

matrice. Par application d’un champmagnétique, ces petits domaines s’éten-dent, lorsque l’état de percolation estatteint le matériau devient métallique.Ce dopage permet donc par effet struc-tural, couplé avec l’effet magnétique descations dopants d’abaisser considéra-blement le champ critique de telle sorteque quelques teslas sont suffisants pourobtenir un effet magnétorésistif dans lecomposé dopé, au lieu de 25T pour laphase de départ. Des résultats analoguespeuvent être obtenus par dopage dessites A avec des cations de plus grandetaille que le calcium (Ba2, Sr2+). Cesderniers jouent alors un rôle purementstructural, en générant au sein de lamatrice isolante, des régions plus symé-triques qui deviennent ferromagnétiqueset lorsque la percolation est atteinte, lematériau devient ferromagnétique etmétallique. Les manganites à effet demagnétorésistance colossale, font doncapparaître un nouveau phénomène, celuide la séparation de phase électroniquequi ne peut d’ailleurs exister sans laséparation de phase structurale. La"nucléation" d’une phase ferromagné-tique plus symétrique au sein d’unematrice moins symétrique isolante anti-ferromagnétique et sa croissance cohé-rente avec le réseau de cette dernière estdonc la clef du mécanisme de l’effet CMR.On peut donc aisément comprendre queles possibilités d’optimisation despropriétés CMR de ces matériaux sontmultiples et sont loin actuellement d’êtreépuisées. Toutefois les applications viséesdans le domaine de l’enregistrementmagnétique requièrent un fonctionne-ment à température ordinaire et deschamps magnétiques appliqués les plusfaibles possibles, inférieurs à 1/10 deTesla. Dans ces conditions, les perfor-mances atteintes récemment, qui corres-pondent à des valeurs de la magnétoré-sistance voisines de 10 % à 300K sous0.5T sont prometteuses. Les effets d’in-terface et de joints de grains obtenusdans les céramiques et surtout dans lescouches minces de ces matériaux etconnus sous le nom d’effet TMR (tunne-ling magnetoresistance) devraient per-mettre d’atteindre les caractéristiquesrequises pour les applications.

En conclusion, ces quelques exemplesmontrent que les oxydes des métaux detransition sont, par les propriétésphysiques qu’ils peuvent générer, desmatériaux fonctionnels d’avenir. Denombreuses propriétés physiques res-tent à découvrir, mais aussi à expliquer,dans ces systèmes à électrons fortementcorrélés, qui ont été insuffisammentétudiés jusqu’ici en raison de leur com-plexité structurale et chimique. La voieest donc ouverte à leur exploration, quidevrait sans nulle doute déboucher surdes applications �

Figure 5: Structure "misfit" du cobaltite[Bi1.74Sr2O4][CoO2]1.82 constitué decouches type CdI2 et de couches"Bi1.74Sr2O4" type NaCl.

Figure 6: Évolution de la résistivité en fonction de la températurepour la pérovskite Pr0.7Ca0.26Sr0.04MnO3, (a) en l’absence dechamp magnétique (b) sous H = 5T.

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De nombreuses molécules orga-niques (composés formés de car-

bone, hydrogène, oxygène, azote, soufre,etc) peuvent exister sous forme de deuxénantiomères. Les énantiomères sontdes molécules différentes, tout en étantimages l’une de l’autre dans un miroir.Les structures moléculaires qui condui-sent à un couple d’énantiomères sontappelées structures chirales. La chira-lité a été définie par Lord Kelvin commela propriété géométrique caractéristiqued’un objet donnant dans un miroir uneimage qui lui est différente. Dans le mot« chiralité » on retrouve la racine du motgrec « kheir » qui signifie main. Ce choixrappelle qu’une main droite placéedevant un miroir fait apparaître l’imaged’une main gauche. Nous savons tousque main gauche et main droite ne sontpas équivalentes, malgré leur ressem-blance. Une façon de s’en rendre compte,c’est de comparer deux types de poi-gnées de main: main droite-main droiteet main droite-main gauche. Cette der-nière combinaison est désagréable, etpeu favorable à la convivialité ! D’unemanière similaire, un seul des énantio-mères d’un composé biologiquementactif donnera la réponse biologiquedésirée. En schématisant, on peut direque le récepteur biologique chiral (lamain droite) interagira efficacement avecl’énantiomère actif en donnant la« bonne poignée de main », tandis quel’autre énantiomère sera écarté

La synthèse asymétrique Elle consiste à transformer une molé-cule achirale en un produit chiral, parexemple en formant un carbone asymé-trique. Il faut favoriser la création d’unestructure « gauche », par exemple, en

évitant l’énantiomère « droit ». Le chefd’orchestre qui réalisera le contrôle dela stéréochimie désirée doit lui-mêmeêtre chiral, ayant ainsi la capacité dedistinguer la droite de la gauche. L’auxi-liaire chiral joue le rôle de contrôleur dela synthèse asymétrique. Dans lesmeilleurs cas, il pourra être récupéré enfin de réaction puis recyclé.

La catalyse asymétriqueUn substrat achiral, tel une cétone R (CO)R’ où R est différent de R’, hydro-géné en présence d’un catalyseur, fournitl’alcool correspondant RCH(OH)R’. Uncatalyseur achiral conduira nécessaire-ment à l’alcool racémique. Pour con-trôler l’addition d’hydrogène sur uneseule (toujours la même) des deux facesde la cétone R(CO)R’ (ces faces sontimages l’une de l’autre par rapport auplan du carbonyle) il faut utiliser un cata-lyseur chiral. Des catalyseurs non-enzy-matiques fonctionnant en phase homo-gène ou hétérogène existent, ils sontsouvent d’une extrême efficacité. Denombreux exemples de catalyse énan-tiosélective sont actuellement connus.L’expression « catalyse énantioselec-tive » rappelle que la réaction impliqueune sélection entre deux sites imagesl’un de l’autre (par exemple les facesd’une cétone prochirale). Cette expres-sion est aussi compatible avec la syn-thèse de molécules chirales ayant desaxes de symétrie. La catalyse énantio-sélective implique des réactions trèsvariées telle l’époxydation, la dihydroxy-lation, la formation de liaisons C-C, lesréarrangements moléculaires. En 2001le prix Wolf de chimie et le prix Nobel dechimie ont tous les deux retenu lesthèmes de l’hydrogénation asymétriqueet de l’oxydation asymétrique. Cetteconsécration internationale récompen-sait des travaux effectués entre 1968et 1985 par diverses équipes (USA, Japonet France). Dans les années 1970 nousavions nous-mêmes été fortement im-pliqués à Orsay dans l’étude de l’hydro-génation asymétrique catalytique. A cetteépoque l’excès énantiomérique (abré-viation: ee) obtenu avoisinait 80 % ee,

soit un rapport de 90:10 entre les deuxénantiomères. Actuellement 99 % ee(rapport 99,5 : 0,5). Ces méthodes ontdonc acquis une reconnaissance dansles laboratoires universitaires et dansl’industrie, elles sont une alternativepossible aux autres voies d’accès auxmolécules chirales.La catalyse asymétrique pourrait porterle label « chimie verte », si on la compareà une transformation analogue mettanten jeu un réactif chiral. Par exemple laréduction asymétrique d’une cétone peutêtre réalisée par un équivalent d’un hy-drure d’aluminium combiné à un auxi-liaire chiral. Après réaction et hydrolyseil faudra éliminer de grandes quantitésde sels d’aluminium et d’auxiliaire chiral,tout en ne formant au maximum qu’unéquivalent du produit chiral. Supposonsune version catalytique utilisant commecatalyseur un complexe du ruthéniumayant un ligand bidenté chiral (l’auxiliairechiral). Une molécule d’hydrogène estconsommée, l’alcool chiral est formé, etaucun sous-produit n’est à éliminer, àpart la petite quantité du catalyseur. Lecatalyseur chiral permet dans certainsprocédés industriels d’hydrogéner500 000 à 1 million de molécules desubstrat. Le catalyseur se trouve enquantité infime et n’est pas polluant.Les domaines d’application de la cata-lyse asymétrique sont multiples. Lasynthèse totale académique de produitsnaturels aussi bien que la synthèse denouveaux médicaments nécessite sou-vent la synthèse préalable de blocs élé-mentaires, dont certains sont chiraux.Ces modules sont ensuite liés les unsaux autres, pour conduire à la cibledésirée. La catalyse asymétrique indus-trielle est encore peu développée. Eneffet l’aspect économique du procédéest essentiel. Le dédoublement d’unracémique accompagné de la racémi-sation de l’énantiomère inutile est parfoisune option très valable. Par exemple, lenaproxène, un anti-inflammatoire nonstéroïdien de la famille des acides alpha-arylpropioniques, peut être synthétisépar dédoublement du racémique.Actuellement le plus important procédé

de catalyse asymétrique industriel (entonnage) concerne la préparation enagrochimie d’un herbicide, le métola-chlor (Dual Magnum®) par la SociétéNovartis. 10000 tonnes sont produitesannuellement depuis 1996, en utilisantl’hydrogénation asymétrique d’une iminecatalysée par un complexe chiral de l’iri-dium. Le (-)-menthol est préparé àl’échelle de 1000-1500 tonnes par an auJapon chez la société Takasago. Cettesynthèse utilise un catalyseur de rho-dium ayant une diphosphine chiralecomme ligand. La même société prépareaussi par hydrogénation asymétriquedes intermédiaires chiraux conduisantà des antibiotiques (carbapénèmes).Comme dernier exemple de catalyseasymétrique industrielle nous citeronsla récente synthèse chez Firmenicli, enSuisse, de la Paradisone (cis-dihydro-jasmonate de méthyle) par hydrogéna-tion asymétrique d’une cyclopentenone2,3-disubstituée.Le champ d’application de la catalyseasymétrique est potentiellement im-mense. Les cibles chirales sont nom-breuses et en constant renouvellement.Les catalyseurs asymétriques actuelle-ment connus (sans doute plusieursmilliers) ne suffisent pas à résoudre tousles problèmes. C’est pourquoi de nou-veaux catalyseurs voient sans cesse lejour. Les méthode de criblage à hautdébit sont maintenant d’usage courant.Elles consistent à préparer, par la chimiecombinatoire, des bibliothèques deligands nouveaux, puis à les engagerdans des essais catalytiques. Descentaines d’essais en parallèle, avecmesure du rendement et des excèsénantiomériques des produits amènentà l’optimisation rapide de la structure ducatalyseur asymétrique.La catalyse asymétrique non-enzyma-tique a progressé à pas de géant durantces trente dernières années. Elle s’estimposée comme une des méthodesincontournables pour préparer des com-posés chiraux. Elle donne aussi desinformations précieuses sur les méca-nismes des réactions catalytiques etstimule les recherches en catalyse �

1 Membre de l’Académie des sciences, professeurémérite à l’université Paris-Sud Orsay.

Dossier

La catalyse asymétrique,une importante voie d’accès

aux molécules chirales.

par Henri Kagan1

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sont vraiment très compliquées et quel’on n’aurait jamais pensé faire aussisimplement en mélangeant quelquesproduits, la plupart du temps à la tempé-rature ordinaire!

Ce thème de l’auto-assemblage m’inté-resse particulièrement dans le contexteactuel des nanotechnologies parce qu’ilpourrait représenter dans le futur, etmême déjà maintenant, une approchetrès différente de celle qui est pratiquéeactuellement, qui est une approche fabri-catrice. On conçoit des objets de plus enplus petits, et on les fabrique, parexemple au moyen des nanolithogra-phies. Une approche différente serait deconsidérer que ce n’est pas la petitessequi compte, mais plutôt la complexité del’objet et qu’il faut mieux travailler à fairedes systèmes qui se mettent en placetout seuls. Laisser donc l’objet s’auto-fabriquer. Les grilles polymétalliquesmentionnées ci-dessus, lorsqu’on lesregarde simplement comme un dessin,ressemblent à un nano circuit électro-nique. Au moyen de l’auto organisation,on pourrait faire des objets qui neseraient pas nécessairement les pluspetits possibles mais les plus compli-qués possibles. Le cerveau est un ordi-nateur extrêmement puissant, il n’estpas fabriqué, il se fabrique tout seul, et,en plus, ses composants ne sont pasnanos: les neurones sont relativementgros! Le petit c’est bien, mais l’accentpeut être mis aussi sur une auto orga-nisation produisant des systèmescomplexes susceptibles de s’autoassembler ensuite entre eux de façonhiérarchique selon des séquences d’or-ganisation successives. Il y a déjàquelques cas où la mise en place d’unpremier objet spontané donne naissanceà un objet qui peut s’assembler avec lui-même. Par exemple des secteurs dedisques se mettent ensemble pour faireun disque, ensuite, les disques s’empi-lent pour faire une colonne, lorsque les

par Paul Caro 2

Question:Qu’en est-il de la chimie supramolécu-laire aujourd’hui?

Elle se porte bien et s’est développée trèsrapidement. Beaucoup de laboratoirestravaillent ces sujets, la recherche esttrès foisonnante. Le cœur en reste l’étu-de des phénomènes de reconnaissancemoléculaire et l’utilisation des différentstypes d’interactions non-covalentes pourmettre au point des molécules capablesd’en reconnaître d’autres. Les étudesfondamentales sont bien avancées maisle thème envahit d’autres domaines.Dans celui des matériaux tout unensemble d’études porte sur ce que l’onappelle les polymères supramolécu-laires. Au début on ne les considérait pasvraiment comme des polymères car cesont des systèmes dans lesquels lescomposants monomériques sont con-nectés les uns aux autres par des liai-sons non covalentes alors que classi-quement les liaisons entre monomèressont toujours covalentes résultant d’unepolymérisation radicalaire, anionique oucationique. Ces liaisons non covalentessont souvent des liaisons hydrogène etil existe plusieurs méthodes physiquespour les mettre en évidence, mais cen’est pas facile car elles sont relative-ment labiles. Plus récemment on aétudié les polymères de coordination oula liaison non-covalente au lieu d’être dutype liaison hydrogène est du type coor-dination de métal et il y a plusieursgroupes de recherche qui étudient despolymères métallo-supramoléculaires,où les connections entre les monomèresse font par des ions métalliques, comme

ceux du zinc, du ruthénium, du cuivre.Dans le domaine des sondes spécifiquespour mettre en évidence certains ions,la sélectivité de l’interaction avec unsystème qui présente une particularitéoptique, une absorption, ou une fluo-rescence comme celle de l’europium parexemple, a été affinée. Les chimistes ontaccroché à côté de ces luminophoresdes unités qui complexent une espècedonnée et quand la reconnaissance sefait, le signal optique est modifié ce quifournit une méthode analytique et unprocédé de détection. Il y a actuellementbeaucoup de publications dans cedomaine, par exemple, récemment, àpropos de la détection de la complexa-tion du zinc par la modification du signalde fluorescence d’un ion europium.

Quelles perspectives offre l’auto orga-nisation moléculaire?

Il y a des développements très impor-tants vers les phénomènes d’auto-assemblage et c’est un thème derecherche majeur dans mon laboratoire.Il s’agit d’essayer d’exploiter ce que nousavons appris dans le domaine de lareconnaissance moléculaire, la façondont les unités moléculaires peuventinteragir entre elles d’une manièrecontrôlée, pour fabriquer des compo-sants qui, ensuite, mis dans des condi-tions adéquates, comme certaines addi-tions de solvants ou la présence d’ionsmétalliques, s’assemblent pour formerdes architectures bien déterminées. Celase fait spontanément dans des condi-tions bien précises selon la façon donton a conçu les composants et choisi lesinteractions mises en oeuvre. On obtientpar exemple des hélices, des grilles, descages dont les unités supramoléculairesqui composent les parois sont assem-blées entre elles par le ciment queforment des ions métalliques. On arriveà faire maintenant d’une manière de plusen plus contrôlée des architectures qui

1 Membre de l’Académie des sciences, professeur au Collège de France.

2 Correspondant de l’Académie des sciences, directeur de recherche au CNRS.

Une chimiesupramoléculaire

foisonnante

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Entretien avecJean-Marie Lehn1

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colonnes sont constituées, elles s’ac-crochent latéralement les unes auxautres pour former des fibres et ainsi desuite. Evidemment, à l’étape suivante, ilfaudra introduire des processus decontre – réaction, de régulation, etc.

Peut-on aller jusqu’à l’auto-reproduc-tion des molécules?

Plusieurs groupes de recherche s’inté-ressent à cette question. Il y a des débutsde réplication. C’est possible et ça devraitse faire. Mais là aussi la reconnaissancemoléculaire est essentielle. Il faut queles objets se reconnaissent pour qu’ilsse mettent en place, puis qu’une réac-tion vienne les connecter et qu’ensuiteils se détachent. C’est à ce niveau qu’ily a un problème parce que le détache-ment est souvent inhibé et la réaction sebloque. Mais il y a des études très inté-ressantes. L’auto organisation c’est dela chimie vers les nanotechnologies,mais du côté de l’interface avec labiologie, avec la complexité dessystèmes biologiques, alors que l’ap-proche fabricatrice est plutôt du côté dela physique. Les systèmes biologiquesinspirent des idées aux chimistes. Cesont quand même d’abord des systèmesmoléculaires chimiques! Ils illustrentun certain nombre de processus etdémontrent que des choses sontpossibles. Leurs fonctionnalités peuventêtre imitées surtout parce qu’elles nesont pas forcément limitées à un type demolécules déterminé. On peut appelercela de la bio inspiration. Je pense quec’est l’une des grandes motivations duchimiste de voir s’exprimer dans labiologie avec tant de succès despropriétés d’une extrême complexitédont la base est moléculaire.

La chimie supramoléculaire s’intéresse-t-elle aux catalyseurs qui jouent un sigrand rôle en chimie biologique?

C’est un point très important. La cata-lyse supramoléculaire est un processusen trois étapes, la première c’est lareconnaissance moléculaire entre leréactif, le catalyseur, et le substrat, doncil y a une sélection du substrat, dans laseconde le substrat une fois lié sélecti-vement subit les réactions induites parle catalyseur ce qui, troisième étape,donne lieu à des produits qui se déta-chent tandis que le catalyseur se régé-nère. Donc on a reconnaissance, réac-tion et retour du catalyseur. C’est leprincipe, il y a des choses qui ont étéfaites, mais on est encore fort loin de ceque font les enzymes ! A la limite,certains aspects de la catalyse métallo-organique peuvent être imaginés commesupramoléculaires. Par exemple, pourcertains complexes de nickel qui serventà faire des polymérisations, il y a uneanalogie assez troublante entre la façondont sur un ribosome les protéines se

construisent par accrochements d’ami-noacides et la façon dont pour lecomplexe du nickel les monomèresrentrent dans le catalyseur, uneconnexion se fait, le système se déplace,un autre monomère rentre, la connexionse fait, le système se déplace etc. Et cescatalyseurs au nickel sont extrêmementefficaces, ils sont même plus rapidesque les enzymes ! Ces résultats sontindépendants de la chimie supramolé-culaire, mais on retrouve trois notions:une interaction d’abord, une réactionensuite, et une réaction qui continue àse faire dans l’état lié au substrat.

Ce domaine de recherche est-il inter-disciplinaire?

Totalement. L’approche biologique, l’ap-proche chimique, les nanobiotechnos…s’insèrent dans un mouvement pluri-disciplinaire et fédérateur. C’est l’un descaractères les plus attrayants dudomaine qui fait que beaucoup de labo-ratoires s’y intéressent. Mais la chimiecela n’est pas que la chimie supramo-léculaire!

Alors, que pensez-vous de la chimie engénéral?

La chimie moléculaire c’est le tronc del’arbre qui tient le reste, elle a encore, etpour longtemps, de beaux jours devantelle! La synthèse chimique produisantde nouvelles molécules et de nouveauxmatériaux, la découverte de nouvellesréactions sont d’une importancecruciale. On le voit dans l’enchaînementdes réactions qui ont conduit dans lesannées 70 à un grand événement, lasynthèse de la vitamine B12, et auxgrandes synthèses de molécules trèscompliquées réalisées depuis avec toutun arsenal de nouvelles méthodes trèspuissantes. La chimie moléculaire,synthétique, réactionnelle, reste fonda-mentale. On ne doit pas développer les

tible de tomber en morceaux qui ont lacapacité de se recombiner d’unemanière dynamique ? Donc êtreconstamment en renouvellement. J’ap-pelle cela de la chimie constitutionnelledynamique. La molécule peut se frag-menter et se ré-assembler de manièresdifférentes en fonction des conditions dumilieu, du pH, du solvant, de la teneuren eau, de la présence d’une autreespèce chimique… S’il y a une cible, onpeut introduire la notion de chimiecombinatoire dynamique. Au lieu defabriquer toutes les molécules possiblesd’une manière combinatoire classique,on utilise des fragments de moléculesqui génèrent toutes les possibilités decombinaison, réversiblement et dyna-miquement. Bien sûr, on a une « soupe »difficile à caractériser, mais on a unechimie adaptative. La chimie combina-toire est une chimie irréversible, onfabrique des molécules stables. Si parexemple la cible est une « serrure »,comme dans le cas d’un récepteur biolo-gique, la chimie combinatoire statiqueconsiste à fabriquer un million de« clefs » en espérant que l’une d’elles vas’adapter à la serrure… La chimie combi-natoire dynamique ne procède pas ainsi,elle utilise des fragments de clefs quipeuvent engendrer toutes les combi-naisons possibles et ainsi donner accèsréversiblement à toute une multitude declés potentielles. Dans ces combinai-sons l’une, peut-être, va être complé-mentaire de la serrure, se lier, s’am-plifier par la loi d’action de masse, soits’accrocher si le récepteur est fixé surune surface solide pour être ainsi extraitede la « soupe ». Dans cette thématiquela chimie covalente réversible et lachimie supramoléculaire se combinentpour former une chimie constitution-nelle dynamique.

Où trouver des idées nouvelles en chimie?

En plus de l’imagination créatrice du (dela) chimiste qui reste à la source dumonde de la chimie, les produits natu-rels apportent une richesse fantastiquede diversité et de propriétés. Ils recèlentdes formes structurales qui ne vien-draient à l’idée d’aucun chimiste. LaNature est un réservoir de modèlesmoléculaires dont la diversité est issuede l’évolution sur des millions d’années.De temps en temps on découvre unproduit qui est intéressant dans des butsthérapeutiques, et cela peut être le débutd’une révolution comme dans le cas desantibiotiques par exemple. Ensuite leschimistes peuvent modifier les molé-cules actives pour les améliorer ou pourcombattre des résistances. La vie debeaucoup de gens est prolongée par letraitement avec des produits comme letaxotère, issu du taxol produit naturel.La chimie des produits naturels est uneressource extraordinaire pour des acti-vités nouvelles �

marges physiques ou biologiques auxdépens du centre de la chimie.

Quelle a été l’importance des méthodesd’analyse structurale dans l’évolutionrécente de la chimie?

La chimie supramoléculaire a peut-êtretardé à voir le jour jusqu’aux années 70,au moins en partie parce qu’il n’y avaitpas de méthodologies physiques assezpuissantes pour étudier ce type de pro-duits complexes. Les progrès énormesde la résonance magnétique nucléaire,de la résolution des structures cristal-lines par la diffraction des rayons X,des différentes méthodes de spectro-métrie de masse, l’analyse chromato-graphique,… ont été des facteursmajeurs dans le développement de lachimie supramoléculaire.

Que sera la chimie supramoléculaire dufutur?

Il y a une évolution qui m’intrigue et m’in-téresse beaucoup. La chimie supramo-léculaire est donc basée sur des inter-actions faibles entre les composantsmoléculaires de l’objet supramolécu-laire. Il en résulte que l’assemblage estlabile: les composants se détachent, seremettent en place, et ainsi de suite.Dans les conditions normales de tempé-rature et de pression les molécules s’ac-crochent entre elles mais elles peuvents’échanger: le système est dynamique.D’où des développements récents quisont conceptuellement un peuchoquants au départ. Que se passerait-il si dans les molécules covalentes onintroduisait un certain nombre de liai-sons que l'on sait réversibles, parexemple des imines ? Que devient lamolécule si, au lieu de la concevoircomme un objet indestructible une foisfabriqué, on la conçoit intentionnelle-ment comme un objet contenant des liai-sons réversibles qui la rendent suscep-

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Le renouvellement des cellules souches hématopoïétiques:

dunouveautrès attendu

Questions d’actualité

1 Directeur de recherche au CNRS, laboratoired’embryologie cellulaire et moléculaire, Nogent-sur-Marne.

par Françoise Dieterlen-Lièvre 1

On sait, depuis la moitié du siècledernier, que l’énorme et perma-

nente production des cellules san-guines nécessaires à la vie des Verté-brés dérivent d’une fraction minuscule(0,007 %) des cellules de la moelleosseuse, les Cellules Souches Héma-topoïétiques (CSH). La grande majo-rité de la moelle, quant à elle, est peu-plée des descendantes de ces CSH (lesprogéniteurs) engagées dans des voiesde différenciation variées (globulesrouges, globules blancs, lymphocytes,plaquettes), et plus ou moins avancéesdans les étapes qui conduisent à ladifférenciation terminale. Grâce auxtechniques de culture in vitro, denombreux facteurs de croissance, ditscytokines, ont pu être identifiés, quiprovoquent la multiplication et la diffé-renciation de ces progéniteurs. LesCSH elles-mêmes sont dotées de deuxpropriétés essentielles qui les défi-nissent, la capacité de s’autorenou-veler et la capacité de donner nais-sance à toutes les catégories decellules sanguines (pluripotentialité).Il est clair que la possibilité de disposerde quantités importantes des CSHconstituerait un immense atout aussibien sur le plan fondamental que surle plan clinique. Il existe en effet unegrande variété de leucémies danslesquelles on s’efforce de détruire lescellules sanguines malades, éliminanten même temps les cellules normales,qu’il faut remplacer par des cellules

capables, dans le meilleur des cas, dereconstituer toute la gamme des cel-lules sanguines.Or, on l’a vu plus haut, les CSH, obte-nues par exemple à partir d’une bio-psie de moelle osseuse ou de sang ducordon ombilical, sont en nombre in-fime. Jusqu’à une date récente, on nesavait pas obtenir l’amplification deces cellules, une de leurs caractéris-tiques étant un contrôle strict de leurmultiplication dans l’état normal suivietrès rapidement de l’engagement deleur progénie dans une voie de déter-mination. Ce contrôle est la conditionnécessaire au maintien de l’homéosta-sie cellulaire du sang. En effet, d’unemanière générale les cellules trèsjeunes dans la hiérarchie de la diffé-renciation sont celles qui échappent leplus souvent aux contrôles de crois-sance et deviennent cancéreuses.Très récemment plusieurs voies ontété découvertes, qui provoquent uneexpansion importante de CSH, sanspromouvoir leur entrée dans une voiede différenciation, ce processus appelédétermination. On sait que la multi-plication, la différenciation et le main-tien de l’état différencié des cellulesrésultent d’une manière généraled’une chaîne d’évènements au coursdesquels des signaux spécifiques sonttransmis depuis la surface cellulairejusqu’au noyau. Ces signaux sont émispar l’environnement, c’est-à-dire soitla matrice extracellulaire, soit d’autrescellules identiques ou dissemblablespar rapport aux cellules réceptrices.Ces échanges d’informations ont lieu,sauf exception, par le biais deprotéines, qui peuvent soit être sécré-tées dans la matrice extracellulaire,soit rester insérées dans la membranepériphérique de la cellule productrice.Dans les deux cas ces protéines vont

se fixer sur des récepteurs intégrésdans la membrane de la cellule cible.L’activation de ces récepteurs allumedans le cytoplasme une voie trans-ductrice du signal composée de mail-lons successifs (pour la plupart desprotéines kinases, susceptibles de fixerou de détacher des groupes phospha-tes de la molécule suivante) (fig. 1). Demaillon en maillon, le signal parvientau noyau de la cellule réceptrice, où ilactive un ou plusieurs gènes, quicodent pour des facteurs de trans-cription ; ceux-ci se logent dans descomplexes qui, à leur tour, activent unou des gènes appropriés. Ces activa-tions sont in fine responsables de laréponse cellulaire. Cette réponse estmodulée de manière sophistiquée par1) le fait que les facteurs de croissance,qu’ils soient solubles ou fixés dans lamembrane de la cellule émettrice,appartiennent à des familles dont lesmembres, apparentés sur le planmoléculaire, peuvent être nombreux;2) qu’il existe également des famillesde récepteurs qui peuvent reconnaîtretous les membres, ou seulement cer-tains, de la famille de facteurs de crois-sance concernée;3) que la transduction du signal peutéventuellement passer par plusieursvoies distinctes et que ces voies peu-vent « converser » entre elles.

L’exemple de la voie WntDans les années 1980 une famille degènes dits « int », ont été découvertspour leur implication dans le déve-loppement de la souris et dans descancers mammaires humains etmurins. En 1987 Nusse et son groupedécouvrent chez la Drosophile le gène« wingless » et constatent qu’il est l’ho-mologue des gènes de la série int, d’oùle nom contracté, Wnt, adopté ensuite.

Si cette création linguistique vautd’être rapportée, c’est qu’elle met enévidence les liens étroits entre déve-loppement, différenciation cellulaireet cancer.En association, les groupes d’IrvingWeissman et Roel Nusse viennent dedécouvrir l’implication de la voie designalisation Wnt dans la capacité desCSH à se renouveler, et trouvent ainsile moyen de dissocier le renouvelle-ment de la différenciation. Ces cher-cheurs ont d’abord démontré que lasurexpression de la �-caténine (fig. 1)activée (résultat d’une transfectionrétrovirale) dans des CSH provoquel’expansion sans différenciation decette population de cellules, expan-sion attestée par le maintien duphénotype « CSH » et par la capacitéde ces cellules multipliées in vitro àrestaurer l’hématopoïèse de sourisirradiées (test classique de la fonc-tionnalité des CSH). Le phénotypeCSH, quant à lui, se caractérise par laprésence à la surface cellulaire d’untrès petit nombre d’antigènes spéci-fiques (certains sont des récepteurs,d’autres ont une fonction inconnue) etpar l’absence de tous les antigènescaractéristiques des lignées en voiede différenciation ou différenciées. Cemême phénotype spécifique a servi,avant transfection rétrovirale descellules, à isoler les CSH par tri aucytofluorimètre. Mais un rétrovirus (etde même un vecteur qui en est dérivé)ne peut s’intégrer dans une cellulequ’au cours d’un cycle de réplicationde la cellule. Or normalement les CSHn’entrent en cycle mitotique qu’en

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Questions d’actualité

présence d’une combinaison de fac-teurs de croissance qui promeuvent enmême temps la différenciation. Pourminimiser les stimuli pro-différencia-teurs, ces chercheurs ont utilisé desCSH provenant de souris manipuléesgénétiquement, de telle sorte queleurs CSH ne répondent qu’à un seulfacteur (Steel). Ils constatent alorsqu’en présence d’une quantité limi-tante du facteur Steel les cellules trans-duites par la �-caténine continuent àpousser pendant au moins 8 semaineset génèrent au moins cent fois lenombre de cellules primitivementensemencées. Ces cellules conserventla capacité de restaurer des souris ir-radiées, y compris lorsqu’elles sontinjectées en très petit nombre (125).La �-caténine est au coeur de la voiede transduction du signal Wnt, quiaboutit à l’expression des facteurs detranscription LEF/TCF (fig. 1). A l’aidede souris génétiquement modifiéeschez lesquelles LEF/TCF induisentl’expression d’une protéine « rappor-teuse » (Green-Fluorescent-Proteinou GFP), Weissman, Nusse et leurscollègues montrent que, traitées parWnt, les CSH de ces souris exprimentla GFP. Au contraire des moléculesinhibitrices de la voie Wnt, telles quel’axine (fig. 1), empêchent la multipli-cations des CSH in vitro et font dispa-raître leur capacité de reconstituer dessouris irradiées. Ces différentes expé-riences apportent la preuve irréfutabledu rôle central de la voie Wnt dans lamultiplication des CSH.Pourquoi a-t-il été si difficile d’identi-fier les facteurs responsables de lamultiplication des CSH? La raison pri-mordiale réside évidemment dans lefait que ces cellules sont très difficilesà isoler ; il faut noter que la connais-sance du cocktail d’anticorps néces-saire à leur discrimination par descritères négatifs et positifs est issu detravaux considérables réalisés aucours d’une quinzaine d’années par lesnombreux collaborateurs d’IrvingWeissman. Dans le cas des Wnt, ladifficulté vient de ce que, contraire-ment à d’autres facteurs de croissan-ce, ces protéines n’avaient jamais,jusqu’à aujourd’hui, pu être isoléessous forme active. En effet bien qu’ils’agisse de protéines secrétées, cettesécrétion est inefficace et ces molé-cules sont extrêmement insolubles.

La réussite du groupe de Nusse dansles aspects biochimique et molécu-laire de cette recherche, en particulierl’identification du gène Wnt 3a encause dans cette voie, repose sur l’éla-boration d’anticorps dirigés contre cesmolécules et sur la sélection, parmides lignées cellulaires génétiquementmodifiées pour produire Wnt, des plusefficaces d’entre elles. Grâce à cetteprotéine purifiée, ces chercheurs ontdétecté l’importance d’une cystéine,conservée dans toutes les protéinesWnt, et modifiée par l’addition d’un ré-sidu palmitate (palmitoylation).

Autres facteurs de croissance etfacteurs de transcription impli-qués dans le renouvellement desCSH.La recherche sur Wnt3a est exem-plaire par l’aspect complet de la dé-monstration qui dissèque tous lesaspects cellulaires et moléculaires decette voie. Il faut cependant signalerque des démonstrations plus partiellesont indiqué que plusieurs autres fac-teurs de croissance agissaient sur le

renouvellement des CSH. Ainsi lesrécepteurs de Notch, qui contrôlent lechoix des destins cellulaires dans denombreuses lignées, sont présents surles CSH murines et l’expression cons-titutive de Notch immortalise deslignées cytokine-dépendantes. Un trai-tement par Sonic hedgehog (Shh)induit l’expansion de cellules pluripo-tentes humaines capables de repeu-pler des souris immunodéficientes. Ensens inverse, Noggin, un inhibiteurspécifique de BMP-4 (Bone Morpho-genetic Protein 4) inhibe la proliféra-tion induite par Shh.L’acide tout-trans retinoïque (ATRA),un agoniste de l’acide rétinoïque, quiinduit la différenciation terminale despromyelocytes malins et constitue àl’heure actuelle un traitement efficacede la leucémie myéloïde aiguë, amé-liore le maintien et l’autorenouvelle-ment des CSH. En ce qui concerne lesfacteurs de transcription, l’expressionde HOXB4 est un agent d’expansiontrès puissant des CSH en culture àcourt terme (leur nombre est multi-plié par 1000, comparé à la culturetémoin). Enfin le proto-oncogène Bmi-1(un répresseur transcriptionnel quirégule les gènes de croissance et dedifférenciation cellulaire) apparaît in-dispensable au renouvellement à viedes CSH, puisque des souris Bmi-/-perdent leurs CSH peu de temps aprèsla naissance et que les cellules Bmi-/-obtenues à partir du foie fœtal ou dela jeune moelle osseuse participenttrès provisoirement à la reconstitutionde souris irradiées.

En conclusion, à la question du renou-vellement des cellules souches, long-temps restée complètement opaque,malgré l’émergence il y a quelquescinquante ans d’une appréhensionentièrement nouvelle de l’hématologie,des réponses précises, sophistiquéeset plurielles sont en voie de dévelop-pement. Non seulement on peut enattendre une révolution dans le traite-ment des maladies sanguines mais,au delà, dans la compréhension desrègles qui régissent le maintien et lerenouvellement des cellules souchesd’autres tissus. En effet les méthodes,développées pour le système sanguin,servent aujourd’hui de modèles dansces recherches relativement récentesdont on espère tant �

15

Figure 1 : La voie de signalisation Wnt.

Parmi les différentes molécules,

sont indiquées en grisé celles qui

apparaissent dans le texte, notam-

ment la �-caténine (�) qui

constitue un carrefour important.

On notera le récepteur frizzled (fz)

à sept domaines transmembra-

naires, l’axine qui bloque l’effet de

la �-caténine et les facteurs de

transcription LEF/TCF qui repré-

sentent l’étape ultime de la voie de

signalisation Wnt. Le sigle "apc"

désigne une protéine dont la muta-

tion est responsable de l’adéno-

matose polypoïde du colon, illus-

trant les relations moléculaires

entre renouvellement et différen-

ciation cellulaires et tumorisation.

Le signe kindique un effet négatif.

Pour plus de détails et la significa-

tion des autres abréviations se

reporter à l’article de P. Polakis,

Genes and Development, 2000,

14: 1837-1851, auquel cette figure

est empruntée.

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mique, c’est à dire la répartition desphotons dans le spectre. Mais ce calculstatistique ne remettait pas en causel’incohérence du rayonnement ther-mique, quelle que soit la température.Au contraire, appliquant un raisonne-ment analogue à des particules maté-rielles supposées strictement indis-cernables, Einstein trouva un résultatcomplètement inattendu: au dessousd’une certaine température, une frac-tion importante des particules de-vraient « condenser » dans un état(quantique) unique, identique pourtoutes les particules, et présentantdonc des propriétés de cohérenceinimaginables pour des particules ma-térielles. Quelque peu sceptique surla portée de son calcul (« La théorieest jolie, mais quelle vérité y a-t-il làdedans ? » écrivait-il à Ehrenfest),Einstein n’avait guère envisagé lapossibilité d’observer un tel phéno-mène dans la nature, et c’est FritzLondon qui devait le premier émettrel’hypothèse, en 1937, que la propriétéextraordinaire de superfluidité de l’hé-lium liquide (l’aptitude à s’écouler sansaucune viscosité) pouvait s’interprétercomme la conséquence de la cohé-rence associée à une condensation deBose-Einstein des atomes d’hélium,portés à une température de l’ordre de – 271 °C, très exactement à 2,17degrés au dessus du zéro absolu (ondit que la température absolue vautalors 2,17 Kelvin). Après bien descontroverses, les physiciens de l’hé-lium superfluide se convainquirent dela justesse de cette interprétation duphénomène de superfluidité, incom-préhensible autrement. Mais, dans

l’hélium liquide, le phénomène decondensation de Bose-Einstein estfortement perturbé par les fortes inter-actions qui existent au sein du liquideentre des atomes d’hélium très pro-

un diamètre de quelques millièmes demillimètre seulement (un mégabitreprésente un million d’unités élémen-taires d’information, et un gigabit envaut un milliard).

Une telle concentration associée à unecohérence parfaite, possible pour lesphotons, a-t-elle un équivalent pourdes particules matérielles, par ex-emple les atomes ou les molécules ?Cette question avait reçu une réponsepositive dès 1924, bien avant l’inven-tion du laser. C’est Einstein qui avaitrépondu par avance, après avoir prisconnaissance d’un calcul du jeunephysicien indien Bose montrant com-ment il était possible de retrouver laloi de Planck du rayonnement ther-mique (une des grandes énigmes dela physique classique qui venait justed’être résolue), par un raisonnementélémentaire de physique statistiqueincorporant une hypothèse révolu-tionnaire : deux photons de mêmelongueur d’onde doivent être consi-dérés comme deux particules stricte-ment identiques, indiscernables, detelle sorte que les deux situations oùon permute les deux photons sontstrictement identiques, et ne doiventêtre comptées qu’une seule fois dansun dénombrement statistique. Il n’enest pas ainsi avec des objets clas-siques, et par exemple deux boules debillard, aussi semblables soient-elles,peuvent toujours être distinguées, etil y a deux façons différentes de lesranger dans deux boîtes distinctes: lasituation où les deux boules doiventêtre réparties entre deux boîtes dis-tinctes doit donc être comptée deuxfois dans un dénombrement statis-tique. C’est la propriété d’indiscerna-bilité fondamentale des photons quiavait permis à Bose de retrouver ladistribution du rayonnement ther-

ches les uns des autres, quasiment aucontact. C’est ce qui rend cette phy-sique si complexe, comme en témoi-gnent de nombreux prix Nobel attri-bués (en 2003 encore) à des physiciensayant permis de progresser dans sacompréhension.

Pour observer la condensation deBose-Einstein dans toute sa pureté,telle qu’elle résulte du calcul origineld’Einstein, il faudrait que les atomesrestent éloignés les uns des autres, àdes distances suffisamment grandes(des centaines de nanomètres – unnanomètre est un milliardième demètre) pour que les interactionsusuelles soient négligeables. Cettesituation est celle qui prévaut dans lesgaz, mais le calcul d’Einstein montreque pour obtenir une condensationquantique dans l’état gazeux il faudraitatteindre des températures beaucoupplus basses, non pas de 2 Kelvincomme dans le cas de l’hélium liquidesuperfluide, mais un million de foisplus basses (un million de fois plusproches du zéro absolu): on parle alorsde microKelvin (un microKelvin est unmillionième de Kelvin). Aucun physi-cien raisonnable n’aurait cru de tellestempératures accessibles, jusqu’à ceque soient développées, dans lesannées 1980, les méthodes de refroi-dissement d’atomes par laser (couron-nées par le prix Nobel de physique1997 attr ibué à Claude Cohen-Tannoudji, conjointement avec WilliamPhillips et Steven Chu). Les tempé-ratures accessibles par ces méthodes,de quelques dizaines de microKelvindans les conditions de densité re-quises, n’étaient pas tout à fait assezbasses pour atteindre la condensationde Bose-Einstein. Mais le but était siproche, que les résultats obtenus versla fin des années 1980 stimulèrent des

par Alain Aspect 1

Les lasers sont partout : lecteursde codes barres aux caisses des

supermarchés, lecteurs de disquescompacts, instruments de relevé topo-graphique, réseaux de télécommuni-cations à haut débit par fibres optiques(autoroutes de l’information), bistourissans contact, découpe de tissus, détec-tion de polluants atmosphériques, lesapplications des lasers sont innom-brables. Pourtant, les physiciens quiinventèrent le laser au début desannées 1960 étaient bien loin de sedouter que la lumière radicalementnouvelle qu’ils apprenaient à produireserait un jour autre chose qu’un objetd’études fascinant. Mais ils savaienten quoi cette lumière laser était radi-calement nouvelle. La lumière émisepar les sources classiques (lampes àincandescence ou à décharge) estcomposée de photons tous différentspar leur direction d’émission, leurlongueur d’onde (c’est à dire leurcouleur), leur polarisation, la phase del’oscillation qui leur est associée. C’estparce qu’elle est composée de photonsdifférents et indépendants que lalumière classique a un caractèrefondamentalement désordonné, inco-hérent. Au contraire, dans un faisceaulaser, tous les photons se propagentsuivant la même direction, ils ont lamême polarisation, la même longueurd’onde, et vibrent exactement avec lamême phase, en synchronisation par-faite. Ils sont tous décrits par la mêmeonde électromagnétique, le mêmemode de rayonnement. Cette lumièreformée de photons strictement iden-tiques est fondamentalement ordon-née, cohérente. C’est pourquoi on peutla concentrer sur une taille inférieureau millième de millimètre, et ainsi,avec quelques milliwatts de lumièreseulement, écrire ou lire des informa-tions sur un disque compact avec unedensité de plusieurs dizaines de méga-bits par centimètre carré, ou bien tran-smettre des débits d’information deplus de mille gigabits par secondedans une fibre optique dont le cœur a

Questions d’actualité

Le laser atomes

3 Membre de l’Académie des sciences, directeur derecherche au CNRS, professeur à l’École poly-technique.

à

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Figure 3 : Laser à atomes. A partir d’un condensat de Bose-Einstein

gazeux piégé, visible en haut de la figure, on laisse échapper

progressivement les atomes, à l’aide d’une onde radiofréquence

qui joue un rôle analogue au miroir semi transparent MS de la

figure 1. Les atomes tombent alors, sous l’effet de la gravité, en

un mince pinceau d’atomes tous décrits par la même onde de

matière (onde de de Broglie) cohérente: on a un laser à atomes

(document Institut d’Optique).

Figure 1 : Laser à photons. Un milieu laser,

placé entre deux miroirs M1 et MS se

faisant face, permet une accumulation

de photons rebondissant entre les

deux miroirs, tous dans le même

mode du rayonnement symbolisé par

le pinceau gris foncé: ils ont tous la

même direction de propagation

perpendiculaire aux miroirs, la même

longueur d’onde, la même phase. Le

miroir MS semi réfléchissant laisse

sortir une faible fraction des photons

qui forment le faisceau laser se

propageant vers la droite, parfaite-

ment directif, monochromatique,

cohérent.

Ce sont ces propriétés de directivité et

de cohérence qui permettent de

concentrer sur la lune les faisceaux

laser que l’on voit ci-dessous en sortie

des télescopes de l’observatoire de la

côte d’azur. En capturant les photons

réfléchis, on peut mesurer la distance

terre lune au centimètre près, et

étudier ainsi les petites irrégularités

du mouvement (document OCA).

Figure 2 : Condensat de Bose-Einstein. La

figure montre la distribution des

vitesses suivant deux axes, pour

un gaz ultra froid non condensé,

partiellement condensé, presque

totalement condensé (de gauche à

droite). Dans le cas non condensé

(a), la distribution des vitesses suit

une loi gaussienne, caractéris-

tique d’un gaz thermique de

température 200 nanoKelvins (200

milliardièmes de degré au dessus

du zéro absolu). A 150 nanoKelvin

(b), on voit apparaître dans la distribution de vitesses un pic associé aux atomes condensés dans

l’état (quantique) fondamental du piège magnétique qui empêche les atomes de tomber. A 100

nanoKelvin (c) presque tous les atomes sont dans la fraction condensée. La situation est alors

analogue au cas d’un laser à photons (fig. 1) où le miroir MS serait parfaitement réfléchissant et

ne laisserait échapper aucun photon, l’analogue des atomes condensés étant constitué par les

photons aux propriétés identiques, mutuellement cohérents, piégés entre les deux miroirs

(document Institut d’Optique).

Questions d’actualité

peut réaliser en coupant brutalementle piège confinant les atomes, puis enpartageant et en recombinant la bouled’atomes condensés en chute libre.

La condensation des atomes dansl’état fondamental du piège qui lesconfine, évoque incontestablement lacondensation des photons dans lemême mode d’une cavité laser, consti-tuée par exemple de deux miroirs sefaisant face entre lesquels les photonsrebondissent sans pouvoir s’échapper(fig. 1). Mais les lasers seraient de peud’utilité si on ne pouvait pas extrairede la cavité un pinceau de photonscohérents dont le parallélisme est sispectaculaire et si utile, et si la seulepossibilité était de retirer brutalementun miroir pour laisser s’échapper unpaquet de photons. En fait, dans laplupart des lasers à photons, l’un desdeux miroirs de la cavité ne réfléchitqu’une partie des photons, en laissantéchapper les autres vers l’extérieur,et produisant ainsi le faisceau delumière laser à la base de la plupart

des applications (fig. 1). C’est en sui-vant une idée analogue qu’il a été pos-sible d’obtenir un véritable laser àatomes. Pour faire échapper les ato-mes hors du piège magnétique qui lesconfine, on peut appliquer une onderadiofréquence qui va provoquer lebasculement du spin et donc du mo-ment magnétique atomique, sorte depetit aimant qui permettait à l’atomed’être retenu dans un piège magné-tique. Après un basculement qui rendson moment magnétique perpendicu-laire au champ magnétique, l’atomene ressent plus le champ magnétiquede piégeage, et il se met à tomberlibrement sous l’effet de la pesanteur.On peut choisir une onde radiofré-quence suffisamment peu intense pourn’extraire qu’une faible fraction desatomes à la fois. On obtient alors unlong et fin pinceau d’atomes quitombent sous l’effet de la pesanteur(fig. 3), analogue au pinceau desphotons émis par un laser. On a puvérifier que tous les atomes de ce fais-ceau sont vraiment décrits par lamême onde de matière, ce qui justifiepleinement le terme de laser à ato-mes.

Ce laser à atomes souffre encore d’undéfaut : on ne sait pas renouveler lesatomes du condensat au fur et à me-sure que les atomes du laser s’enéchappent, de sorte qu’après quelquessecondes le condensat est complète-ment vidé, et le laser à atomes s’ar-rête. Pour obtenir à nouveau un fais-ceau laser à atomes, il faut préparerun nouveau condensat de BoseEinstein, puis appliquer l’onde radio-fréquence permettant d’extraire lesatomes. Ceci évoque le premier laserà rubis de Maiman (1960), qui n’émet-tait que de brèves impulsions lumi-neuses car il s’arrêtait lorsque tous lesphotons qui pouvaient être extraits ducristal de rubis avaient été émis. L’effetlaser ne pouvait être obtenu à nouveauqu’après un nouveau cycle de pom-page optique du cristal de rubis parune lampe flash. Dans le cas du laserà photons, il ne fallut attendre quequelques mois pour voir apparaître lelaser à hélium-néon, où un pompageconstant permettait d’éviter l’arrêt de

l’émission laser: le laser continu étaitné. Dans le cas du laser à atomes, lepassage au laser continu reste à ac-complir, et si plusieurs stratégies sontà l’étude dans les laboratoires, on nesait pas si l’une d’entre elles est prochede déboucher.

Faut-il en conclure que nous sommesencore très loin des applications? Riende moins sûr. L’histoire des lasers àphotons nous montre que les lasers enimpulsion comme celui de Maiman onteu, et continuent à avoir, de nom-breuses applications. Il n’est guèredouteux qu’un laser à atomes, mêmen’émettant que des impulsions, trou-verait de nombreuses applications, àcondition que sa mise en œuvre soitmoins lourde que dans les premièresexpériences dont la complexité estextrême. De ce point de vue, l’obtentionrécente de condensats de Bose-Einstein sur des « puces atomiques »réalisées avec les méthodes de lamicroélectronique, ouvre des perspec-tives intéressantes de simplification. Oncommence à penser à appliquer cesrésultats aux interféromètres atomi-ques, dont la technologie sera sansdoute bouleversée par les lasers àatomes. Or ces interféromètres atomi-ques ont des sensibilités sans précé-dent aux effets inertiels et gravitation-nels, ce qui fait rêver tant les physiciensque les ingénieurs. Les premiers aime-raient tester des effets subtils de relati-vité générale, tandis que les secondscherchent à développer des instrumentstoujours plus sensibles de navigationinertielle pour les avions ou les navires,ou des gravimètres permettant de carto-graphier le sous-sol à partir de la détec-tion des petites variations de pesanteur.On sait combien la futurologie est unescience inexacte, et le seul pari que l’onpuisse prendre sans trop de risque estque les applications les plus importantesdu laser à atomes n’ont sans doute pasété encore imaginées. Paraphrasant unephrase que l’on dit avoir été prononcéevers 1970 par Arthur Schawlow, l’un desinventeurs du laser à photons, nousconclurons donc prudemment que « lelaser à atomes est une merveilleusesolution à la recherche de problèmes àrésoudre… » �

recherches qui permirent en 1995 defranchir un nouveau pas : devant lesyeux (ou plutôt les caméras) desphysiciens émerveillés (qui allaientrecevoir le prix Nobel de physique2001, attribué à Eric Cornell, CarlWieman, et Wolfgang Ketterle), lepremier condensat de Bose-Einsteingazeux était né. Comme prévu parEinstein, lorsque la température estsuffisamment basse pour que lesondes de matière (on parle aussi d’on-des de de Broglie) décrivant les atomesse recouvrent, tous ces atomes con-densent dans le même état quantique,décrit par la même onde de matière.La première manifestation de cettecondensation est le pic très étroit quel’on observe dans la distribution des vi-tesses atomiques: tous les atomes sepropagent exactement dans la mêmedirection, à la même vitesse (fig. 2). Unepreuve que tous les atomes sont biendécrits par la même onde de matièreest donnée par la cohérence de cetteonde, cohérence observable dans desexpériences d’interférence que l’on

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cours du dévelop-pement cérébral normal et patholo-gique ont deux importantes applications.Elles permettent (1) de fonder la préven-tion et la neuroprotection; (2) de discuterles interactions des facteurs d’environ-nement et des facteurs innés au coursdes apprentissages.Tous ces travaux qu’ils soient d’ordrecomportemental ou moléculaire insis-tent sur l’importance des phénomènesprécoces et l’étonnante plasticité précocedu cerveau dans l’acquisition des compé-tences de l’individu. Ces observationsrejoignent les conclusions du rapport del’Académie nationale de médecine surla santé mentale de l’enfant de la mater-nelle à la fin de l’école élémentaire.Celles-ci, présentées par MauriceTubiana, dégagent l’importance de lacontribution scolaire au développementpsychique de l’enfant et celle de l’édu-cation à la santé. L’école se doit égale-ment de contribuer à la détection desanomalies du développement physique,mental, intellectuel et à celle destroubles sensoriels et psychomoteursjusque-là méconnus. Des mesuresconcrètes sont proposées.Parmi les troubles sensoriels majeurspouvant gravement perturber le déve-loppement de l’enfant, les surdités héré-ditaires sont certainement au premierplan. Christine Petit présente le résultatdes travaux de son groupe qui offrent lepanorama actuel le plus complet sur lesanomalies génétiques impliquées dansles troubles du développement del’oreille interne.Vu sous l’angle génétique, l’autismeinfantile est probablement l’ensemblepsychopathologique dans lequel ondispose de plus de données. MonicaZilbovicius dans cette perspective orga-niciste de l’affection, rapporte lesdonnées obtenues grâce à l’imageriecérébrale. Les études classiques n’ontpas permis la mise en évidence d’ano-malies cérébrales liées de façon spéci-fique à l’autisme. Cependant, trèsrécemment, une nouvelle méthoded’analyse statistique des images IRM a

permis demettre en évi-dence, chez des enfantsautistes, une diminution bil-atérale de la substance griselocalisée dans la région temporalesupérieure. Chez l’adulte, les étudesd’activation ont montré que les sujetsautistes activaient lors de tâches spéci-fiques, des réseaux corticaux différentsde ceux des sujets contrôles. Ces ré-seaux relient notamment le cortexfrontal et temporal, l’amygdale et l’hip-pocampe. Chez l’enfant autiste en âgescolaire, deux études indépendantes ontmis en évidence une diminution bilaté-rale au repos du débit sanguin cérébralau niveau des régions temporales supé-rieures. De plus, des lésions temporalesont été décrites chez des enfants présen-tant un autisme secondaire à une patho-logie neurologique. Ainsi, les résultatsobtenus avec les méthodes récentesd’imagerie anatomique et fonctionnellesuggèrent que l’autisme infantile s’ac-compagne d’une anomalie des régionstemporales supérieures.Jacques Hochman en considérant lepoint de vue du clinicien vient très oppor-tunément rappeler que l’autisme est uncadre extrêmement hétérogène, aussibien sur le plan de la symptomatologieque sur ceux du contexte étiologique etde la gravité évolutive. Dans cette pers-pective, les dimensions sociales etémotionnelles sont soulignées dans lesconclusions par Jean-Didier Vincent �

Par

Jean-Didier Vincent2

Connaître le dévelop-pement normal du

jeune enfant et le comparer au dé-veloppement spécifique des individus

atteints de dysfonctionnements dansles domaines cognitif, perceptif, psycho-moteur et social permet non seulementde mieux comprendre la genèse de cestroubles, mais d’envisager des straté-gies éducatives adaptées. L’autisme nerésume pas à lui seul l’ensemble despathologies, mais n’en demeure pasmoins le paradigme le plus représen-tatif; une large partie de la séance lui aété consacrée.Denis Le Bihan, dans son introduction, amontré l’importance des nouvelles tech-niques d’imagerie cérébrale qui utilisentla tomographie d’émission de positrons(TEP) et la résonance magnétique fonc-tionnelle (IRMf) pour identifier les struc-tures cérébrales activées lors de la miseen place des processus cognitifs en coursde l’ontogenèse. Les très jeunes enfantscommencent à acquérir leur languenatale dès le premier âge. La région ducortex temporal supérieur gauche d’unbébé de trois mois est différenciellementactivée par l’audition d’un discours et neréagit pas lorsque celui-ci est inversé(Lucie Hertz-Pannier). Les précurseursdu langage cortical adulte sont déjà àl’œuvre bien avant l’apparition d’uneproduction langagière chez l’enfant.

1 Une séance commune de l’Académie des scienceset de l’Académie nationale de médecine consa-crée au développement du cerveau dans la petiteenfance et à ses pathologies s’est tenue à l’Aca-démie nationale de médecine le jeudi 13 novembre2003 sous la responsabilité de Jean-DidierVincent, Denis Le Bihan et Michel Arthuis,Jacques-Louis Binet, Marc Jeannerod, Nicole LeDouarin.

2 Membre de l’Académie des sciences et de l’Aca-démie nationale de médecine.

L’observation ducomportement d’un nouveau-né in-

dique que celui-ci est capable de recon-naître la voix de sa mère par rapport àcelle d’une étrangère. Un procédé quipermet de mesurer l’intérêt de l’enfantpour un stimulus repose sur la succionnon-nutritive d’une tétine vide reliée àun dispositif d’enregistrement. Emma-nuel Dupoux rapporte que le bébé utilisel’intonation de la voix comme indice dereconnaissance; il est capable de déter-miner si un énoncé n’est pas correct,inversé par exemple. Comme le rem-arque Marc Jeannerod (In Le Cerveauintime, Odile Jacob ed. 2002), cela nesignifie pas évidemment que le cerveaupossède une quelconque connaissancelinguistique; cela signifie qu’il disposeen naissant d’un « organe » prêt à fonc-tionner pour reconnaître les sons dulangage et pour leur appliquer un certainnombre de règles élémentaires. L’ima-gerie confirme que d’importantes lésionsprécoces de régions cérébrales à com-pétence linguistique peuvent être com-pensées sur le plan fonctionnel grâceà la remarquable plasticité du cerveaudans la première enfance.Cette plasticité repose sur un certainnombre de mécanismes cellulaires etmoléculaires qui relèvent d’interactionsconstantes entre le programme géné-tique et les influences épigénétiques.Ces interactions s’expriment au coursde la migration des neurones et lors dela neurogenèse tardive. Philippe Evrardexamine les systèmes de signalisationet de régulation basés au site NMDA (N-méthyl-D-aspartate) qui ont un rôlemorphogénétique crucial et intervien-nent dans la mémoire à long terme. Lesaugmentations anormales du flux cal-cique au site NMDA sont aussi à l’originede cascades pathogènes susceptiblesde nuire à l’équipement cérébral. Cesaugmentations anormales du flux cal-cique peuvent être dues à des agressionsaiguës ou faire suite à un accroissementdu bruit de fond excitateur. Ces donnéessur les interactions entre les détermi-nants génétiques et épigénétiques au

La vie des scéances

18

Le cerveau de l’enfant dans la petite enfance

et les troubles de son développement1

Page 19: Acad.mie n.10 edipro - Académie sciencesde vie, l’amélioration de la santé de chacun ». Ce rapport, remis par Jacques-Louis Lions, Président de l’Aca-démie, animateur du

La vie des scéances

Par Pierre Louisot2

Toute approche des problèmes d’alimentation et de nutrition hu-

maine fait apparaître d’emblée lacomplexité du sujet et le règne du multi-factoriel.L’obésité, un des thèmes majeurs de lajournée, révèle une extrême diversitéd’approches. A côté des aspects inté-ressant directement les régulationsmétaboliques, les données comporte-mentales, les déterminants socioéco-nomiques et culturels, les connaissancesles plus récentes touchent le domainegénétique. Nos ancêtres ont beaucoupapprécié, et ont survécu, grâce à lasélection d’un « génotype économe » ou« génotype d’épargne », en réaction àl’efficace pression de sélection darwi-nienne répondant à la fréquence et àl’importance des famines d’autrefois.L’abondance alimentaire d’aujourd’hui,au moins pour certains, associée à laquasi-inertie physique de nos contem-porains les mieux satisfaits, n’a plus rienà voir avec les situations antérieures.Pour compléter l’ambiance, des méca-nismes épigénétiques modulent proba-blement les processus de différencia-tion et de programmation des grandesvoies métaboliques au niveau de nos

organes. S’y ajoutent encore deseffets transgénérationnels, des

modifications épigénétiques auniveau de transposons pou-

vant être transmises auxgénérations sui-

vantes. L’épi-démie

actuelle d’obésité vient donc de loin, etnos comportements modernes exploi-tent physiologiquement, mais malen-contreusement, ce passé génétique quirépondait sans doute à un « métaboli-quement correct » de haute époque!Peut-on, par des interventions alimen-taires ciblées, corriger nos erreurs. L’af-faire est conceptuellement délicate. Le« pervers métabolique », ce que noussommes tous un peu, adorerait voir sonavenir nutritionnel définitivement bienétabli par la prise quotidienne d’uningrédient miracle, en laissant aller lereste au gré de sa gourmandise, bienentendu. La réussite de SUVIMAX est làpour nous plaire comme pour nousinquiéter. Si le bilan est globalementpositif dans les domaines qui ont étéévoqués, il faut bien faire comprendreau public que la « pilule » utilisée n’étaitdans cette affaire qu’une facilité métho-dologique - et non une fin en soi - pourl’inciter à des comportements nouveaux,par exemple l’augmentation opportunede sa consommation en fruits et lé-gumes. Mais le pervers est résistant etles efforts de communication qui devrontsuivre cette étude emblématique serontcertainement décisifs pour promouvoirune inflexion alimentaire utile.Dans le même esprit, le ProgrammeNational Nutrition Santé prend toute savaleur. Pour être efficace, il doit mobi-liser non seulement l’ensemble desacteurs traditionnels de la chaîne ali-mentaire (producteurs, transformateurs,

distributeurs, consommateurs) maisaussi les organismes

responsables de la santé publique, lespolitiques, les médias, l’éducation natio-nale, etc… en somme tout un monde quin’a pas spécialement pour habitude detravailler en coordination parfaite. Il estmalheureusement vrai qu’actuellement,pour une large part, la communicationmédiatique usuelle en nutrition humaineconsiste souvent à dire n’importe quoi àpropos de n’importe quoi. Et quoiqu’onen pense, la faute n’en incombe pasmajoritairement aux professionnels, quiont somme toute intérêt à garder leursclients en vie, et si possible contents eten bonne santé, mais plutôt à ce mondeinformel des « gourous nutritionnels »qui, en dehors de toute preuve scienti-fique, suggèrent, recommandent, appâ-tent, dénoncent, interdisent ou mena-cent le bon peuple des pires représaillesmétaboliques s’il s’écarte de la voietracée par leur recette miracle! Il restevraiment beaucoup à faire.Mais voici venu le temps des OrganismesGénétiquement Modifiés. Les premiersOGM sont nés dans la résistance auxinsectes et la tolérance aux herbicides,propriétés qui n’intéressent absolumentpas les consommateurs. Leur début decarrière fut donc douloureux, d’autantqu’ils ont été principalement conçusdans l’industrie, ce qui ne pardonne pas,au moins pour des yeux non scientifiqueslégèrement teintés d’angélisme. Lesseconds, ceux qui nous préoccupentaujourd’hui, semblent plus difficiles àgénéraliser. Ils se proposent de modi-fier la composition des plantes enmacro- ou micronutriments. L’idée estintéressante sur le plan qualitatif ouquantitatif, ou les deux, mais sa mise enœuvre nécessite un très important travailde recherche et plus encore de déve-loppement. Les OGM ont en définitiveassez bien résisté à la bataille scienti-fique: ayant accepté sans difficulté lagénétique imprécise

d’autrefois, nous avons eu un peu plusde mal à accepter la génétique précisede notre époque, mais ce n’est pas trèsgrave. Beaucoup n’ont jamais su, ou ontoublié, que le code génétique, fondementde toute l’affaire, est universel. A l’op-posé, sur le plan médiatico - profane,c’est chez nous un désastre. Inutiles pourles uns, dangereux voire mortels pourles autres - alors qu’aucun OGM n’aencore jamais tué personne - ils sontmalheureusement, dans nos pays, lais-sés aux mains d’interventionnistes délic-tueux qui se chargent avec succès deleur dépistage et de leur extermination.Mais le monde va, et ira, de plus en plussans nous: il est à peu près certain quenous ne mangerons pas nos propresOGM, mais il est non moins certain quenous avons mangé, nous mangeons etnous mangerons les OGM des autres.A l’issue de cette journée studieuse, jesouhaite surtout que l’on reste dans unevision résolument optimiste. Malgré lesaléas génétiques, les incertitudes scien-tifiques, les tempêtes médiatiques et biend’autres choses encore, la nutritionhumaine reste un phénomène métabo-lique joyeux, convivial, réconfortant. Unbon repas, de préférence équilibré etsavamment dilué, suivi ce qui seraitmieux d’un peu d’exercice, demeurepour beaucoup le plus subtil desréconforts, plus encore lors-qu’avec l’âge, tout le resteest progressivementtombé en dé-suétude!

19

AlimentationNutrition humaine1

1 Conclusions de Pierre Louisot. Séance communeAcadémie des sciences et Académie d’agriculturede France qui s’est tenue le 5 novembre 2003 àl’Académie d’agriculture de France, avec la colla-boration de Claudine Junien (professeur, CHUNecker Enfants malades, Paris), Bernard Guy-Grand (professeur, CHU, Hôtel-Dieu, Paris), SergeHercberg (directeur de recherche, INSERM, Paris),Gérard Pascal (directeur de recherche, INRA,Paris), Arnaud Basdevant (professeur, CHU Hôtel-Dieu, Paris).

2 Membre de l’Académie d’agriculture, professeur,CHU de Lyon-Sud.

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Publication de l’Académiedes sciences

23, quai de Conti 75006 PARISTel: 0144414368Fax: 0144414384http: www.academie-sciences.fr

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Comité de rédaction:Jean-François Bach, Roger Balian,Jack Blachère, Édouard Brézin, Pierre Buser, Paul Caro,Jules Hoffmann, Alain Pompidou, PierrePotier, Érich Spitz, Jean-Christophe Yoccoz

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0141404900

n° de C.P. : 0108 B 06 337

Remerciements au Professeur Bodo,directeur du laboratoire de chimie dessubstances naturelles,Muséum nationald’histoire naturelle. Paris.

la lettre n0 10/ hiver 2003

de l ’Académie des sciences

20

La vie de l ’Académieévidemment pas aux frontières

de nos spécialités propres.

Pour comprendre les enjeux de

la science contemporaine, pour

tenter d'expliciter les questions

ouvertes auxquelles la science

sera peut-être bientôt en

mesure d'apporter une

réponse, nous avons demandé à

une série de scientifiques

éminents de nous livrer leur

vision actuelle. En termes

compréhensibles par des audi-

teurs munis pour seul bagage

de leur écoute attentive, ces

conférences auront lieu au

rythme d'environ une toutes les

trois semaines. Elles auront une

durée de 50 minutes, avec 50

autres minutes de réponses aux

questions; ouvertes au public,

elles commenceront à

17 heures.

La série est intitulée "Les défis

scientifiques du XXIème siècle" et

les huit premières séances ont

été programmées à partir de

janvier 2004. La série suivante

est également fixée, mais les

horaires et les titres manquants

seront communiqués ultérieu-

rement:

• 20 janvier Philippe Kourilsky

Maladies infectieuses et pays

en développement: l'éthique

face à la misère

• 17 février Pierre-Gilles de

Gennes

Tribulations des inventeurs

• 16 mars Jean-Claude

Lehmann

Verre et produits verriers

d'hier d'aujourd'hui et de

demain

• 30 mars Gilles Kahn

Perspectives de recherche

dans les sciences et technolo-

gies de l'information et de la

communication

• 4 mai Thibault Damour

Espace, Temps, Matière et

Cosmos

• 18 mai Alain Fischer

Combattre l'ennemi, rien que

l'ennemi, l'impossible tâche

du système immunitaire

• 8 juin Claude Allègre

La formation de la terre

• 29 juin Christine Petit

De la génétique des maladies

à la physiologie cellulaire:

rupture ou continuité?

Série suivante:

• R. Douce

Impact du stress hydrique sur

le rendement des plantes

cultivées

• P. Joliot

Bioénergétique, processus

photosynthétiques

• D. Louvard

Stratégies diagnostiques et

thérapeutiques innovantes

• JP. Changeux, A. Connes,

F. Jacob, Y. Meyer,

J.-L. Puget, … �

Hommage àJozef StefaanSchellPar Alain Pompidou 1

Jozef Stefaan Schell, directeur

du département d'amélioration

des plantes à l'Université de

Cologne et titulaire de la chaire

de biologie moléculaire des

plantes au Collège de France,

fut un biologiste belge (il est né

à Anvers), d'une stature scienti-

fique internationale.

Il est aujourd'hui considéré

comme l'un des meilleurs, voire

le meilleur spécialiste mondial

de la biologie moléculaire

des plantes à laquelle il a fait

réaliser, dans cette dernière

décennie, des progrès considé-

rables.

En 1980, il fait avec ses collabo-

rateurs une découverte

majeure, qui a permis d'étendre

les techniques du génie géné-

tique au règne végétal. Utilisant

un élément chromosomique

transférable (plasmide), issu

d'une bactérie responsable

d'une maladie appelée "gale du

collet" (forme de tumorisation

des tissus végétaux), ils sont

parvenus à remplacer les gènes

de tumorisation par des gènes

inoffensifs pour l'hôte végétal,

mais capables de faire appa-

raître chez la plante des

propriétés recherchées par

les horticulteurs. Depuis lors,

le procédé Schell de transfert

plasmidique a été utilisé

mondialement. Des milliers

de variétés de plantes aux

propriétés nouvelles ont été

ainsi obtenues par transgenèse,

ce qui a ouvert des perspectives

multiples à l'horticulture,

à l'agriculture et aux biotechno-

logies.

Les conséquences de ces

travaux ont porté sur l'élucida-

tion des mécanismes molécu-

laires de la tumorisation végé-

tale et l'étude du contrôle

exercé par les gènes sur

la physiologie générale

des plantes (exemple: contrôle

du stockage des protéines dans

les graines, contrôle de la crois-

sance tridimensionnelle des

végétaux supérieurs, étude de

la biosynthèse des pigments

etc…).

Membre de diverses académies

et de très nombreuses sociétés

CarnetPaul-André Meyer,(21 août 1934-30 janvier 2003)

Né en 1934, entré à l'École

Normale Supérieure en 1954,

Docteur ès sciences en 1960,

Paul-André Meyer est l’un des

fondateurs de l’école française

des probabilités. Il a développé

des travaux fondamentaux liant

théorie du potentiel et des

probabilités, objet de son livre:

"Probabilités et Potentiel", paru

en 1966, puis réédité sous forme

de traité en 5 volumes avec

Claude Dellacherie entre 1975

et 1992.

On doit en particulier à Paul-

André Meyer la version générale

de la décomposition de Doob des

sous-martingales, la création

avec son élève, Claude Della-

cherie, de la théorie générale

des processus stochastiques,

ainsi que le célèbre "Séminaire

des Probabilités" édité chaque

année depuis 1967 par Springer,

et dans lequel, inlassablement,

Paul-André Meyer développait

ses résultats, rédigeait des

versions lumineuses d'articles

importants parus dans l'année,

et accueillait les travaux de cher-

cheurs confirmés, et surtout de

jeunes chercheurs auxquels il

apportait très souvent une aide

substantielle. C'est dans le

"Séminaire" que sont parus son

"Cours sur les Intégrales

Stochastiques", ses "Probabi-

lités Quantiques", sa "Géométrie

Différentielle Stochastique",

textes de référence au niveau

international.

Dans le domaine des processus

stochastiques, les travaux de

Paul-André Meyer ont apporté à

cette branche des Probabilités

toute la rigueur nécessaire et lui

ont donné de nouvelles lettres de

noblesse � M. Y.

savantes Jozef Stefaan Schell

a obtenu un grand nombre

de distinctions internationales,

parmi lesquelles nous citerons:

le prix Wolf, le prix d'Australie,

le prix Charles Leopold Mayer

de l'Académie des sciences

(1990), la médaille d'or Hansen,

la médaille Feodor Lynen,

la grande médaille de l'Aca-

démie des sciences.

Grand admirateur et ami

de la France, il professait

au Collège de France tout en

menant de front ses recherches

à l'université de Cologne.

Toujours à l'écoute, passionné

par l'évolution des connais-

sances scientifiques, Jozef

Stefaan Schell, accompagné

jusqu'au bout par son épouse, a

fait preuve de ténacité et de

détermination.

Membre du Conseil scientifique

de la Fondation Bettencourt

Schueller il a contribué à main-

tenir l'excellence de choix de

cette Fondation.

Animé d'une modestie naturelle

qu'il a sans doute puisée dans

l'observation de la nature, il

laisse derrière lui une image

que l'on n'oubliera pas, celle qui

traduit le talent et le courage �

ConciliencePar Édouard Brézin 1

Inutile de chercher, le mot

n'existe pas. Mon dictionnaire

anglais ne connaît pas non plus

"Consilience", le titre qu'a

donné à son essai sur l'unité de

la connaissance Edward Wilson,

professeur émérite au Départe-

ment de Biologie de Harvard,

qui le définit comme "Interloc-

king of causal explanation

accross disciplines". La frag-

mentation du savoir n'est en

effet qu'une nécessité pratique

induite par la conduite du travail

de recherche. Or l'interdépen-

dance des diverses sciences est

plus évidente que jamais, et

notre curiosité pour les apports

de la science ne s'arrête

1 Professeur, CHU Cochin Port-Royal,Membre de l’Académie des technologies.

1 Vice-Président de l’Académie dessciences, professeur à l’université Pierreet Marie Curie et à l’École polytechnique.

1 Cf le latin conciliare « unir, unir par lessentiments », Trésor de la langue Fran-çaise, édition CNRS-Gallimard.