33

Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

  • Upload
    others

  • View
    2

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés
Page 2: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés soutenant le disque ailé, emblème des Ahura Mazda. © Photo R.M.N. Maquette réalisée par Maurice Apelbaum, Paris.

Page 3: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

LA MARCHE DE RADETZKY

de Joseph Roth

ESSAI D'INTERPRÉTATION

Page 4: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés
Page 5: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

LUC SPIELMANN

LA MARCHE DE RADETZKY

de Joseph Roth

ES SA I D ' INTERPRÉTATION

ÉDITIONS DU C E N T R E N A T I O N A L DE LA R E C H E R C H E S C I E N T I F I Q U E 15, quai Anatole France — 75700 PARIS

1990

Page 6: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

© Centre National de la Recherche Scientifique, Paris, 1990 ISBN 2-222-04463-4

Page 7: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

INTRODUCTION

« La Marche de Radetzky », le meilleur roman de Joseph Roth, a inspiré une exégèse qui, dans ses investigations, trop souvent circonscrites à la couche superficielle de l'œuvre, avait fondé ses analyses bien davantage sur les situations que sur les énoncés du texte. Or, l'étude approfondie de quelques chapitres fait bientôt apparaître que la fable n'est jamais que l'habillage de la vérité et que le texte présente une double stratification. A un premier niveau, celui que pénètre une lecture même attentive, se situe une fable apparente, c'est-à-dire sans relation aucune avec le propos réel de l'auteur. Elle reste parfaitement cohérente, sauf qu'au fil des diverses scènes, nombre de détails viennent, comme d'inexplicables nodosités, rompre la logique rigoureuse des enchaînements. L'esprit s'en étonne et souvent s'en irrite. Une fois recensés et assemblés, ces éléments d'apparence hétérogène s'avèrent constituer les affleurements d'autres thèmes qui s'ajustent en une trame nouvelle, en un récit totalement dissocié de celui sur lequel la critique avait fondé ses raisonnements. L'auscultation minutieuse des couches profondes du roman révèle une texture infiniment plus complexe et une vérité fort différente de celle que les commentateurs de l'œuvre croyaient appréhender.

Montrer la réalité brute, larvée sous le travesti du masque, afin de proposer une explication nouvelle et plus scrupuleuse des finalités du roman, constitue l'objectif majeur de cette étude. Elle tend à dé- montrer que la décadence de la Monarchie autrichienne, telle que les livres d'histoire la relatent, n'est jamais que le prétexte, le mensonge dont se sert Roth pour relater une aventure d'une autre dimension. Dans une lettre à Stephan Zweig, il déclare en effet : « Je sais de quels manquements je me suis rendu coupable dans ce roman en appelant, de manière scandaleuse, l'Histoire au secours de ma « composition », cela était miteux et de plus mensonger » Dans son agaçante impréci- sion, cette formule exprime une vérité essentielle et indispensable à l'intelligence de l'œuvre.

L'histoire de la Monarchie ou celle des Trotta ne représentent que le thème apparent du récit bien qu'elles lui servent de support car, en dernière analyse, le Radetzkymarsch est la tribune où Roth vient

Page 8: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

exposer sa désespérante vision d'un monde voué à la déréliction et dans lequel l'âme se voit contrainte de renoncer à tout espoir de survie, alors que la rédemption est annoncée depuis des millénaires par les prophètes de toute croyance. Fondamentalement, et à l'exclusion de toute autre définition, le roman se présente comme une polémique religieuse d'une extrême violence, paradoxalement écrite par un homme anxieux de ses fins dernières et indiscutablement animé par la foi. Roth propose une exploration exhaustive des voies du salut, et pour la mener à bien, mobilise un prodigieux savoir. Souvent, il inverse les valeurs, use de l'outrance, va au blasphème et, inlassa- blement, poursuit une quête lancinante à travers le ciel et l'enfer, tels que les mythologies des peuples ou leurs livres saints les dépeignent. Dans ces livres se retrouvent les sources dont Roth s'est inspiré car les moindres mouvements du récit ont été esquissés à partir de modèles dont ils suivent fidèlement le tracé. La rationalité du modèle com- mande donc celle du roman. Mais les arguments et les divers aspects de l'enquête conduite par Roth restent scellés dans les profondeurs insondables d'un récit sous-jacent qui occupe toutes les pages et où l'Histoire n'a point de place. L'étrange gradation des termes de la lettre est donc fondée, « roman » et « composition » définissent les deux niveaux de l'œuvre. Les héros du « roman » se meuvent dans l'environnement concret de la Monarchie mais, en fait, vivent et agissent sur un autre plan, en d'autres lieux, rattachés à l'univers irréel de cette énigmatique « composition » où l'historicité de l'empire est à considérer comme leurre et accessoire.

Dans l'ensemble, chacun des chapitres du roman se présente comme une unité fermée et indépendante dans le cadre de laquelle l'auteur met en scène et discute à chaque fois une autre phase des promesses eschatologiques. Nombre d'entre eux pourraient être distribués selon un ordre différent et interprétés sans tenir compte de la chronologie retenue par Roth, d'autant que les caractères des divers personnages présentent un aspect immuable, n'évoluent en aucune circonstance. L'action reste également statique, ne progresse à aucun moment du récit car le roman est construit comme une sorte de fresque et articulé en une série de tableaux juxtaposés et d'importance égale.

Dans la littérature de langue allemande, de nombreux écrivains sont imprégnés par la Bible. Dans leurs écrits, les citations tirées de l'Evangile ou les allusions à l'Ancien Testament sont fréquentes, mais l'histoire qu'ils relatent reste implantée dans la réalité sensible et indépendante du contexte biblique. Joseph Roth suit une démarche plus singulière et peut-être unique dans les annales littéraires. Il part des événements contenus dans les livres saints, les adapte et les

Page 9: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

transforme de telle sorte que l'intelligence du récit requiert la mise en parallèle des énoncés de l'œuvre et du verset ou de la sourate qui leur servent de modèle. Tenter d'interpréter l'œuvre ou même d'en suivre les péripéties sans en confronter la trame avec celle de ces apports extérieurs demeure une entreprise hasardeuse. Toute autre approche, toute procédure différente, laissent d'innombrables questions sans réponse, et l'irréductible hermétisme de multiples épisodes du roman condamne l'exégète à de regrettables silences pour la simple raison que Roth n'a écrit qu'un roman allégorique où chaque image a valeur de métaphore. En aucune manière, il ne s'est attardé à la décadence des Trotta, n'a pas une pensée pour les destins de l'Empire. Il illustre, commente et critique avant tout les enseignements de la Bible, mais deux chapitres sont inspirés par le Coran et certains passages sont repris de l'Enéide ou de l'Odyssée. Les situations rencontrées dans le roman ne s'éclairent qu'à partir de leurs sources d'inspiration et restent opaques tant que celles-ci n'ont pas été retrouvées. Les scènes les plus brèves sont construites selon ce schéma. Aucune exception à la règle n'a été décelée dans l'ensemble du roman.

Partant de ces données, le terme de « composition » s'emploie à bon escient et répond à une définition précise. Comparés à l'original dont Roth s'est inspiré, les emprunts reconnus dans le roman pré- sentent un caractère hétérogène ou fragmentaire, et la dispersion des sources est souvent extrême. Cet aspect du récit reproduit très exactement certains procédés d'écriture perpétués par la tradition hébraïque. En effet, les rabbins, qui n'attachaient aux versets de la Bible qu'une valeur symbolique, avaient coutume d'amalgamer dans leurs exégèses des citations, souvent partielles, ou de courts extraits tirés de divers livres et offrant une analogie de pensée, de situation ou, parfois même, une simple ressemblance verbale. Comme dans le roman, le sens de l'événement ne se clarifiait donc que par des apports étrangers au passage commenté. Ces rapprochements de citations composites, véritables mosaïques de textes, s'appellent des « haraz », c'est-à-dire des enfilades. « Composition » en serait un synonyme fort acceptable.

Tous les héros du drame qui se joue, et jusqu'au dernier figurant, sont affublés d'un masque. Pour ne citer que quelques exemples, Madame de Taussig n'a rien d'une courtisane et, de nos jours encore, un demi-milliard d'individus proclament sa perfection. L'insignifiante M Hirschwitz avait, en son temps, changé le cours de l'histoire des Juifs et, nombre de fois, le comportement du Préfet Trotta reste inexplicable si l'on ignore qu'il incarne le Christ tout au long du roman. Il importe donc de lever ces masques pour pénétrer la secrète

Page 10: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

architecture de l'œuvre et déceler les motivations précises qui font agir les divers protagonistes de cette gigantesque tragédie puisqu'ils ne disposent d'aucune liberté intrinsèque, n'interviennent dans l'action qu'en suivant des impulsions dictées, non par les situations apparentes du texte, mais par la rationalité de faits extérieurs à l'intrigue supposée ou des particularités de caractère héritées du personnage qu'ils incarnent et dont l'identité réelle ne peut se révéler que par l'explo- ration des strates profondes du récit sous-jacent. Peu de romans présentent une aussi singulière architecture. Là où ses mystérieuses structures ont été dégagées par une investigation menée à travers l'épaisseur et l'opacité du texte, le surprenant génie de Joseph Roth se manifeste avec une inégalable grandeur.

(1) « Ich weiss, wie ich in diesem Roman gefehlt habe, die Geschichte selbst zu Hilfe gerufen, zu schändlicher Hilfe für meine « Komposition », schäbig war Das und verlogen ». Joseph Roth — Briefe 1911/1939 — Eingeleitet von Hermann Kesten. Kiepenheuer & Witsch. Page 228.

R e m a r q u e s

Les citations tirées du chapitre en cours d'explication sont en italique dans le texte.

Les citations du Coran s 'appuient sur la traduction de M. Savary, parue aux Editions Garnier, 1951.

Page 11: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

C H A P I T R E 1

JUDAÏSME ET CHRISTIANISME

Le Héros de Solférino ne fait pas exception à la règle générale dégagée au cours de l'introduction et la charge réelle qu'il occupe dans le roman lui confère une tout autre puissance que celle réservée d'ordinaire à un modeste lieutenant d'infanterie. Pour établir ses portraits ou esquisser les situations du texte, Roth suit d'ailleurs une procédure immuable. Il emprunte quelques détails mineurs qu'il renforce par d'autres traits plus marquants dont le caractère insolite oriente la pensée vers l'hypothèse d'un symbolisme masquant les réalités premières. Aucun de ces détails n'est probant en soi, seule leur accumulation leur confère leur véritable densité et permet d'en pénétrer le sens. Parfois, les analogies reposent sur quelques termes, parfois, elles s'éclairent par une déduction menée à partir de l'original. Certains épisodes ou portraits sont élaborés de manière composite, s'inspirent de plusieurs sources. Sans cesse, la chronologie historique des événements est bouleversée et, pour l'interprétation du texte, cette anarchie constitue un redoutable obstacle.

Le chapitre premier du roman illustre parfaitement ces préliminai- res. Certains critiques le considèrent comme une sorte de prologue, arguant du fait qu'il évoque les générations antérieures à celle du Préfet Trotta et qu'il se présente sans ramifications notables dans la suite du récit. Ils n'ont raison que pour une très modeste part. Ce chapitre est directement et uniquement inspiré par la Bible. Les Trotta, leurs agissements, leur destin, la bataille de Solférino, l'action d'éclat du lieutenant, tout n'est que leurre et faux semblant mais la critique l'ignore. L'analyse révèle que l'action est portée par d'autres motiva- tions que celles dictées par l'amour-propre blessé d'un officier grincheux qui l'inciterait à mener contre l'empereur de la monarchie austro-hongroise un procès d'intention inepte et fondé sur un docu-

Page 12: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

ment tiré d'un livre de lectures enfantines. La réalité est bien différente. Le chapitre premier couvre deux mille ans d'histoire et traite de l'irréductible antagonisme qui oppose la nouvelle doctrine du Christ à celle du judaïsme. Il part d'Abraham et de la première Alliance conclue entre Yahweh et le peuple d'Israël, passe sans transition à l'ère du prophétisme, aux temps de l'exil de Babylone lorsque l'Alliance fut renouvelée, et aboutit, après la falsification du manuel de lecture, à l'avènement du christianisme. Dans l'économie de l'œuvre, il sert d'introduction et le thème du roman, toujours et déjà enseveli dans les couches sous-jacentes du texte, y est annoncé de façon claire et parfaitement intelligible. Ce chapitre constitue un premier élément de la démonstration que poursuit Roth tout au long de son récit.

Au cours de la bataille de Solférino, le Lieutenant Joseph Trotta sauve la vie de l'Empereur François-Joseph. Il se précipite sur lui, le projette violemment à terre et est touché par la balle destinée au monarque. Pour cette action d'éclat, Trotta sera anobli et décoré. Dans la description que fournit Roth, l'intervention de Trotta, pour héroïque qu'elle soit, semble pourtant receler une violence inattendue. Le mouvement est si impétueux que l'empereur est brutalement terrassé, comme s'il s'agissait d'une agression. De surcroît, les motivations du lieutenant relèvent essentiellement d'un sentiment de révolte qui littéralement annihile et infirme l'héroïsme de son geste puisque celui-ci lui fut dicté par « le ressentiment que nourrit le simple officier du front envers les grands seigneurs de l'état-major qui n'avaient aucune pratique, aucune notion de l'amère réalité des choses ».

Déjà, « à travers les nuées, perce la chaleur d'un soleil orageux et couleur d'argent », tandis que « tout à coup... l'empereur apparaît en compagnie de deux officiers d'état-major ». Cette lumière diffuse, la soudaineté de l'apparition des trois hommes donnent à l'image une sorte d'irréalité qui pourrait suggérer quelque apparition divine. Il ne s'agit encore que d'un vague soupçon. Il se confirmera au fur et à mesure que seront dégagées les correspondances existant entre les Ecritures et le récit de Roth.

L'Ancien Testament a retenu d'innombrables interventions où le Dieu de la Bible s'adresse à ses élus. Il en est une, une seule, où les trois personnes du texte, la forme ternaire de la divinité accompagnée par deux anges, se retrouvent. Elle se situe aux chênes de Mambré, la résidence d'Abraham. La coïncidence entre les deux scènes est parfaite : « Yahweh lui apparut... pendant la chaleur du jour. Il leva les yeux et il regarda, et voici que trois hommes se tenaient debout devant lui » (Gen. 18/1, 2). La tente où Trotta sera opéré tout à l'heure

Page 13: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

est également mentionnée car Abraham voit la scène à partir de « ... l'entrée de la tente » (id.) et, dans un instant, il reviendra « dans la tente... » (id/5). Roth a retenu l'objet et en fera un étonnant usage.

Le verset précité ne rend aucunement compte de l'action d'éclat du Héros de Solférino et l'exégèse semble tourner court. Mais Roth, fréquemment, construit ses portraits à partir de plusieurs sources. Or ici, il entend traiter des origines du judaïsme, de la charte originelle que l'on appelle l'Alliance de Yahweh et qui fut conclue entre Dieu et Abraham et confirmée lors de l'affrontement entre Dieu et Jacob. Roth va donc se tourner vers Jacob et reprendre la scène du combat avec l'ange : « Jacob resta seul; et un homme lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore. Voyant qu'il ne pouvait le vaincre, il le toucha à l'articulation de la hanche, et l'articulation de la hanche de Jacob se démit » (Gen. 32/25). L'intuition initiale se voit déjà mieux étayée. Ce passage devrait justifier l'hypothèse d'une lutte entre les deux hommes mais la citation n'apporte toujours pas de certitude absolue parce que Roth ne révèle jamais ses secrets que par bribes. Trotta sera blessé à l'épaule et le détail semble rédhibitoire, mais le texte souligne qu'il « avait l'impression d'être condamné, sa vie durant, à marcher avec les bottes d'autrui sur un parquet glissant ». Etrange façon de se mouvoir pour un homme ingambe ! La Bible reste plus nette et plus franche dans ses affirmations : « Et le soleil se leva... mais il boitait de la hanche » (id.32/33).

A Solférino, l'empereur, à peine relevé, libéré de l'étreinte de Trotta, s'enquiert du nom de celui qui l'a jeté à terre... et sauvé. Dans la Bible, Yahweh fait de même : « Il lui dit : Quel est ton nom ? Il répondit : Jacob. Et il dit : Ton nom ne sera plus Jacob, mais Israël, car tu as combattu avec Dieu et avec les hommes et tu l'as emporté » (id. 32/28). Comme Abram qui s'appellera Abraham sur l'ordre de Yahweh, et comme Jacob, le lieutenant changera de nom une fois anobli. Dès lors, la protection de l'empereur lui est acquise, à lui et à sa lignée. Tel Jacob, il vient de l'arracher de haute lutte. Il n'est plus le petit officier anonyme qui, à l'exemple du patriarche, aurait pu dire : « Je suis trop petit pour toutes les grâces... » (Gén. 32/11). Il incarne maintenant Israël, le peuple élu de Yahweh. Tout au long du chapitre, il parlera et agira au nom d'Israël.

Sur un millénaire de son histoire, le peuple de la Bible gémira sous la sévérité de la loi promulguée par l'instance divine. Sans cesse il se laissera séduire par des cultes aux règles moins austères. Le code moral est trop dur, la nature humaine trop faible. Que peut savoir Yahweh de la condition humaine ? L'empereur n'a « aucune pratique, aucune notion » de l'existence que mène l'homme sur la terre. Or la

Page 14: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

loi exige une soumission absolue, les textes de Moïse sont formels : « Maudit soit celui qui ne maintient pas les paroles de cette loi, en les mettant en pratique » (Deut. 27/26). Cantonné dans les hauteurs du ciel, Yahweh ne peut savoir combien cette pratique exige de fortitude. Sur cet arrière-plan, la révolte de Trotta prend enfin sa véritable dimension.

La fureur de Trotta, mû par le ressentiment qu'il éprouve en face de cette ignorance, illustre celle de Roth qui réclame le secours du ciel et non pas la disparition de celui qui occupe le trône de Dieu. Trotta le dit bien, la mort de l 'empereur déclencherait « ... une catastrophe gigantesque, inimaginable qui l 'anéantirait lui-même, le régiment, l'ar- mée, l'état, l'univers tout entier». La révolte de Jacob est du même ordre. Elle révèle en même temps le poids que l 'homme peut avoir en face du Créateur. La Bible indique parfaitement ce pouvoir de contraindre Dieu : « Et il dit à Jacob : Laisse-moi aller car l 'aurore se lève. Jacob répondit : Je ne te laisserai point aller que tu ne m'aies béni » (id. 32/27). Cette habilitation à faire aboutir de justes reven- dications auprès de l'instance divine est un thème que Roth reprendra de nombreuses fois au fil du roman.

La bataille de Solférino est aussi irréelle, aussi mythique que le reste du chapitre. L'ennemi reste invisible, à proximité, mais perdu dans la brume et c'est à peine si l'on entend quelques coups de feu. En fait de bataille, nous assistons surtout au déploiement d'une modeste section d'infanterie, une poignée d'hommes, guère davantage. Les soldats sont alignés sur deux rangs. Le premier a le genou plié, le second est debout. Les deux rangs sont donc d'inégale hauteur. La troupe est confiante, assurée de la victoire. De plus, « tous ont mangé copieusement et bu... en l'honneur de l'empereur qui est au front depuis la veille ».

Cette description est calquée point par point sur la rencontre d 'Esaü et de Jacob aux chapitres XXXII et XXXIII de la Genèse. Il faudrait les citer in extenso. Le premier consacre 22 versets à Jacob dans son rôle de stratège, répartissant ses troupes et prenant ses dispositions en vue d 'une éventuelle bataille qui d'ailleurs n'aura pas lieu, tout comme le corps à corps sera épargné à la section de Trotta. Comme celui-ci, Jacob est surtout anxieux de repérer l'ennemi proche et encore invisible. La tension qui habite Trotta en face de l'adversaire, et qui se marque par la mobilisation de tous ses sens, se retrouve sous une forme plus accentuée chez Jacob qui « ...fut dans l'angoisse » (id. 32/8). Mais tous deux gardent l'esprit clair, chacune de leurs décisions est réfléchie, leur efficacité reste entière. Les hommes de Trotta « perçoivent l'emprise de sa main et de son regard, ils entendent son appel

Page 15: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

et se sentent en sécurité ». La phrase eût été aussi valable pour les serviteurs de Jacob. Debout derrière ses soldats, le lieutenant ordonne d'étirer les rangs, tandis que Jacob commande : « Passez devant moi et laissez un intervalle entre chaque troupeau » (id. 32/17). Tous les sens en éveil et décuplant l'acuité de ses yeux, l'officier tente de deviner les mouvements de l'invisible adversaire. A la fin de l'épisode, « son regard perçant pénètre le brouillard... qui flotte devant les lignes ennemies ». Le verset qui termine la première partie de la scène biblique reste plus dépouillé : « Jacob leva les yeux et regarda, et voici, Esaü venait, ayant avec lui quatre cents hommes» (id. 33/1). Les ripailles des soldats se retrouvent également dans la Genèse. La veille, dit la Bible, Jacob « ...invita ses frères au repas. Ils mangèrent donc... » (id. 31/54). Lorsque l'ennemi est en vue, Jacob, « ... ayant distribué les enfants par groupes... plaça en tête les servantes avec leurs enfants » (id. 33/2). Il faut donc accepter des rangs d'inégale hauteur sous le commandement de Trotta. La confiance que manifestent les soldats est pleinement justifiée. L'empereur les assiste et le secours de Yahweh leur est acquis. Jacob, citant la promesse d'Eloah, le rappelle : « Et vous, vous avez dit : "Je te ferai du bien et je rendrai ta postérité pareille au sable de la mer..." » (id. 32/13). Toute inquiétude serait d'ailleurs vaine puisque le combat de Jacob arrachant la bénédiction divine, qui lui confirme son droit d'aînesse jadis usurpé et lui confère les privilèges du peuple élu, se situe très précisément au cours de cette rencontre où faillirent s'affronter quelques paysans hébreux.

La blessure du lieutenant est soignée sous une tente qui nous ramène au chapitre d'Abraham. Dans l'apparente complexité de cette première page du roman, l'alliance entre Trotta et l'empereur vient d'être scellée conformément au texte de la Bible où il est dit : « J'établis mon alliance entre moi et toi et tes descendants après toi, d'âge en âge, en une alliance perpétuelle... » (Gen. 17/7). Si l'on admet l'interprétation proposée jusqu'à ce point, la conclusion s'impose d'elle-même car la logique du roman recouvre celle du livre biblique. La Genèse nous apprend en effet que la circoncision sera la marque de l'alliance car, dit Yahweh : « Vous vous circoncirez dans votre chair... » (id./11). Un autre verset souligne le caractère immédiat de l'intervention : « Ce même jour, Abraham fut circoncis... » (id./26). L'opération que subit Trotta et qui lui arrache un « hurlement inhu- main », comme si Roth tremblait encore à l'idée de ce rite, évoque très certainement le signe indélébile des peuples d'Israël incisé pour la première fois à ce moment de leur histoire.

Roth avait de bonnes raisons pour placer Abraham en tête de son roman et non pas Jacob seul. Le premier des patriarches possède en

Page 16: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

effet une qualité majeure aux yeux de Roth. Il est un homme de miséricorde. Il est le premier qui ait osé polémiquer avec le Créateur pour tenter d'arracher la ville de Sodome, perdue d'ignominie, à l'effroyable destruction qui l'attend. Obstinément, il marchande comme le dernier des avares, et pour une poignée de justes, une dizaine, exige avec une humilité et une fermeté inflexibles que Dieu renonce à châtier la cité. Seuls Lot et ses filles seront sauvés et déjà la notion du châtiment collectif qui hantera les Juifs pendant dix siècles encore, jusqu'à Ezéchiel, l'un des protagonistes essentiels du roman, subit une première restriction. Sous cet aspect, nul autre personnage de l'Ancien Testament ne peut se mesurer avec Abraham. Or, la question fondamentale qui est débattue tout au long du roman, celle qui revient jusqu'à l'obsession et qui porte Joseph Roth à tous les blasphèmes, aux injures les plus outrancières, reste celle de la mansuétude divine toujours insuffisante.

Pour Jacob, une élévation aussi soudaine et aussi absolue ne va pas sans quelques frictions avec les tribus environnantes, de sorte que le Capitaine Joseph Trotta von Sipolje risquait de perdre l'équilibre, « pris entre la familiarité maladroite avec laquelle ses camarades essayaient de surmonter la distance qu'une incompréhensible destinée avait soudain établie entre eux et lui, et les vains efforts qu 'il faisait pour les traiter avec autant de naturel que d'ordinaire ». La situation pourrait refléter les démêlés d'Isaac, le troisième patriarche, avec Abimelech au chapitre XXVI de la Genèse. En un premier temps, l'entente est parfaite, puis, Isaac « s'enrichissant de plus en plus » (Gen. 26/13), Abimelech le chasse, « car tu es devenu beaucoup plus puissant que nous » (id./17). Finalement, la bonne foi et l'aménité d'Isaac étant reconnues, on parvient à un accord : « Nous avons vu clairement que Yahweh est avec toi... Qu'il y ait un serment entre nous... Isaac leur fit un festin... » (id./28). Les énoncés ne coïncident guère, mais le mouvement et l'esprit des deux scènes sont bien proches.

Les données du problème sont maintenant clairement définies. Trotta incarne Israël. Mais l'histoire hébraïque est lourde de vicissitu- des et le destin de Trotta suivra les étapes de son évolution. Il faut donc trouver, parmi les multiples aspects et les diverses mutations que connaît le peuple de la Bible, une dénomination qui rende compte de ces changements. Pour l'instant, Trotta personnifie l'esprit des patriar- ches, en fait, la charge qui lui est confiée s'avère plus écrasante, il représente l'esprit du judaïsme, est l'incarnation même de son histoire et de sa pensée.

En introduisant l'invalide de Laxenburg, père du Héros de Solférino, Roth franchit brutalement un millénaire. Il le fait en un

Page 17: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

raccourci scandaleusement déroutant, sans transition aucune, sans même la césure d'un nouveau paragraphe. L'esprit des patriarches subit une première mutation, l'ère des prophètes maintenant com- mence. Devant l'idolâtrie de son peuple, le Dieu de mansuétude des premiers temps bibliques s'est transformé en ce Dieu de colère qui parlera par la voix de ses prophètes et qui appellera Nabuchodonosor, le roi des Perses, à détruire la cité sainte de Jérusalem en 586.

Le dernier roi de Juda avait pour nom Sédécias. Dès la prise de Jérusalem, il fut déporté à Babylone avec la majeure partie de la population, après que Nabuchodonosor lui eut crevé les yeux. Il avait régné onze ans et vécut le reste de ses jours en captivité dans la capitale des Perses. La carrière de l'invalide de Laxenburg est également scindée en deux parties. Elle commence dans l'armée, au service de l'empereur, c'est-à-dire de Yahweh, Dieu des armées, comme l'appelle la Bible. Certes, il n'est pas aveugle, il a simplement été éborgné « au cours d'une escarmouche avec des contrebandiers... » et la Bible mentionne que « Yahweh envoya... des bandes de Chal- déens, des bandes de Syriens... il les envoya contre Juda pour le détruire » (II R.24/2). Les jardins suspendus de Babylone sont célèbres. L'aïeul, maintenant invalide, quitte le service de l'empereur et nous le retrouvons gardien du parc de Laxenburg où il s'occupe de l'entretien des jardins. Il chasse les couples d'amoureux parce que, dans leur premier désespoir, les Juifs exilés voulaient renoncer à perpétuer leur race et il fallut l'admonestation de Jérémie, leur disant : « prenez des femmes pour vos fils et donnez à vos filles des maris » (Jér. 29/6), pour les inciter à fonder de nouveaux foyers.

De longue date pourtant, depuis deux siècles au moins, le peuple, séduit par les cultes idolâtres, avait été mis en garde par la voix des prophètes : « Yahweh... leur avait envoyé des avertissements par l'organe de ses messagers, de bonne heure et à plusieurs reprises » (II Chr. 36/14). Ainsi, Trotta écrivait régulièrement à son père, bien que leurs relations se fussent refroidies puisque les tribus d'Israël s'étaient détachées de l'enseignement des patriarches. Personnifiant l'esprit du prophétisme, qui annonce le châtiment et la destruction, « l'amour mesuré» qu'il porte à son père requiert évidemment « une attitude différente et une forme nouvelle de relations ».

Le prophète épistolier par excellence est Jérémie. Il fut fréquem- ment emprisonné, « enfermé dans la cour de garde » (Jér. 32/2). Trotta rédige ses missives au « corps de garde ». Le texte souligne qu'il contrôle les hommes de veille, faisant sans doute allusion à Ezéchiel dans son rôle de sentinelle, tel que nous le verrons de manière plus explicite dans les chapitres consacrés au Major Demant. Dès lors que

Page 18: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

Trotta est l'incarnation de tous les messagers, l'hypothèse est parfaite- ment défendable. Mais lorsque, « dans la rubrique "incidents particu- culiers", il inscrivait d'un trait énergique et net la remarque "néant", laquelle niait pour ainsi dire toute possibilité d'incident », il tente de cacher les errements du peuple conformément à l'attitude de Jérémie qui maintes fois fit appel à l'indulgence divine lorsque les tribus d'Israël suppliaient : « intercède donc pour nous auprès de Yahweh, notre Dieu» (Jér. 37/4). Les trois grands prophètes ont souvent la même attitude. Isaïe exprime une pensée analogue en disant : « Ô Yahweh, ne vous souvenez pas à jamais de l'iniquité » (Is. 64/8). Roth d'ailleurs, et c'est là un des leitmotive de l'œuvre, ne voit dans la transgression du péché qu'un incident minime dont la sanction est toujours trop lourde.

Cependant, le début des lettres ressemble étrangement au libellé d'une missive d'Antiochus Epiphane au temps des Séleucides. Celle du texte « commençait par une brève information concernant la bonne santé du signataire et poursuivait en exprimant l'espoir qu'il en était de même de celle du destinataire ». Dans l'épître qu'Antiochus adresse aux Juifs, les deux propositions sont simplement inversées : « ... Si vous vous portez bien, cela répond à nos vœux, et nous-mêmes nous sommes en bonne santé» (II Mach. 11/27).

Le « Turnus » du texte, le tour de service dont Trotta est dispensé depuis sa stupéfiante promotion, évoque très certainement les migra- tions d'Israël jusqu'à l'arrivée dans la Terre promise. Les prophètes y réfèrent fréquemment. Isaïe, par exemple, rappelle : « Toi que j'ai été prendre aux extrémités de la terre... toi à qui j'ai dit : "Tu es mon serviteur"... » (Is. 41/9). Or, sans quitter la stricte terminologie biblique, le titre de Serviteur de Yahweh revient maintenant à Trotta. C'est Isaïe qui le lui décerne et il ne s'agit nullement d'une vaine escalade des superlatifs, ni dans la réalité historique ni dans l'éco- nomie du roman, comme le démontrera la falsification du manuel de lecture. Lorsque Trotta « arrache un morceau de la mèche grésillante de la bougie », il reprend simplement le geste du Serviteur qui « n'éteindra pas la mèche prête à mourir » (Is. 42/3). Devant Yahweh, celui-ci « s'est élevé comme un frêle arbrisseau » (Is. 53/2), et le texte montre Trotta emporté par la colère qui « le secoue comme une tempête violente secoue un frêle arbrisseau ».

Quand, pour écrire, Trotta s'installe « à la table que les soldats, par jeu et par ennui, avaient profondément marquée et tailladée de leurs couteaux », il s'assied en fait à la table de l'holocauste profanée par les cultes dénaturés. Il contemple « les ombres gigantesques que projettent d'infimes objets sur les murs nus », comme s'il évoquait à

Page 19: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

nouveau les terribles conséquences d'insignifiantes transgressions. « Puis, sa pensée s'égare vers les souvenirs de son enfance... », tel Isaïe annonçant le châtiment et constatant : « Alors son peuple se souvint des jours anciens...» (Is. 63/11). L'expiation est commencée et en considérant « la ligne étincelante et légèrement incurvée de son sabre... et le tour de cou noir passé à travers la coquille », son regard se pose en fait sur le glaive recourbé des Perses et sur le joug qui opprimera les exilés. Ezéchiel consacre un long chapitre à « l'épée du carnage » (Ez.21/17). Dehors, il pleut : « Dans ma colère, je ferai venir une pluie violente », dit Yahweh (Ez. 13/13).

Jérémie l'avait prophétisé : « Nabuchodonosor emmènera Sédécias à Babylone, et il y restera jusqu'à ce que je le visite » (Jér. 32/5). Oracle de Yahweh ! (id). Trotta va donc rendre visite à son père. Elle est précédée par la première audience que lui accorde l'empereur : « juste dix minutes d'impériale faveur... dix ou douze questions, lues à partir d'un dossier, auxquelles il fallait répondre au garde-à-vous "Oui, Votre Majesté !"... ». A ce moment du récit, il est évident que ces dix questions auxquelles il n'y pas d'autre réponse possible que l'ex- pression d'une soumission absolue ne peuvent concerner que les dix commandements inscrits sur les tables de la loi. La scène est construite sur deux citations bibliques. Elle s'inspire d'abord du Livre de l'Exode où il est dit de Moïse : « Ayant pris le livre de l'alliance, il le lut en présence du peuple qui répondit : "Tout ce qu'a dit Yahweh, nous le ferons et nous obéirons". » (Ex. 24/7). Roth ne respecte que rarement la chronologie des événements que l'Histoire Sainte relate. Il fait cohabiter, sans autre forme de procès, des personnages que sépare l'immensité d'un millénaire, sans que d'ailleurs la logique de sa démonstration ait à en souffrir, mais en l'occurrence, il n'y a nul anachronisme parce que l'alliance va être renouvelée au moment de l'exil de Babylone, ainsi qu'il ressort d'un passage de Jérémie : « Voici que les jours viennent... où je conclurai avec la maison d'Israël... une alliance nouvelle... Car... je mettrai ma loi au-dedans d'eux » (Jér. 31/32, 33). Cette loi est celle de Moïse, Roth ne pouvait donc se montrer plus fidèle, ni dans sa relation des faits rapportés par la Bible, ni dans leur implication.

Trotta trouve son père assis devant une table mise. Cette table est décrite en détail. Elle est en bois brut et recouverte d'un mouchoir « bleu marine, bordé de rouge » en guise de nappe. Roth mentionne encore une canne, sorte de bâton noueux accroché au rebord, puis une tasse, une blague à tabac et une longue pipe. Un décor d'une banalité absolue. Si l'on consent à relire l'interminable et minutieuse descrip- tion du tabernacle de Moïse, on portera sur ces divers objets un autre

Page 20: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

regard. « Tu feras une table de bois d'acacia... Tu la revêtiras d'or pur... », dit le Livre de l'Exode (25/23). L'or a disparu, il ne reste que le bois brut, nous sommes à Babylone, sur un autel de fortune. « Il fit les ustensiles qu'on devait mettre sur la table... ses coupes et ses tasses pour servir aux libations; il les fit en or pur» (id. 37/16). La tasse à café suffira ! Le linge liturgique est de la même couleur que le mouchoir : « Ils étendront un drap de pourpre violette sur la table des pains de proposition... ils étendront par-dessus un drap de cramoisi » (Nbres. 4/7, 8). Le tabac « fibreux » et de mauvaise qualité, « du caporal ordinaire », n'a plus qu'un lointain rapport avec l'encens dont la fabrication est si complaisamment décrite sur quatre longs versets au chapitre XXX de l'Exode et composé « selon l'art du parfumeur ». Le tabac brûlera dans la pipe, « comme le parfum sur le feu de l'encensoir » (Ecc. 50/9). Reste le bâton noueux, la Bible répond : « Yahweh dit à Moïse : Replace la verge d'Aaron devant le témoignage, pour être conservée comme un signe pour les enfants de rébellion » (Nbres. 17/25). Mais le culte est appauvri, dévoyé, l'in- valide reste en bras de chemise, il ne porte plus la somptuaire « robe de l'ephod » (Ex. 39/22), il n'est plus vêtu que de la « tunique de lin » (id./27).

Trotta apparaît « comme une sorte de dieu guerrier» dans son uniforme flamboyant. « Son casque rayonne comme une sorte de noir soleil ». Isaïe le voit ainsi : « il a mis sur sa tête le casque du salut, il a pris pour cotte de maille la vengeance... » (Is. 59/17). Le casque, les bottes, les boutons de la vareuse, tout est étincelant et cette brillance annonce déjà Onufrij, l'ordonnance de Carl-Joseph qui apportera la délivrance et le pardon aux exilés, accomplissant ainsi la promesse que Trotta ne peut encore tenir puisque le peuple ne s'est pas amendé. Le comportement de l'invalide en témoigne, il ne manifeste aucun repentir, et tel Sédécias, le roi déchu, « il ne s'humilia point devant Jérémie le prophète qui lui parlait de la part de Yahweh » (II Chr. 36/12). Le père agit à l'exemple des Juifs de Judée qui « se moquèrent des envoyés de Dieu, ils méprisèrent ses paroles et se raillèrent de ses prophètes » (id./16). Alors, l'aïeul se lève lentement, « comme si, en faisant traîner les salutations, il voulait compenser la magnificence de son fils ». Il est bien « le peuple au cou raide » dont parle si souvent l'Ancien Testament, et lorsqu'il félicite Trotta, il le fait « de sa voix ordinaire ». Il parle « l'allemand guttural des Slaves de l'armée », se servant déjà de l'araméen dont il fait « sonner les consonnes » puisque les langues sémitiques ne possèdent que de faibles voyelles, alors que son fils attendait qu'il lui parlât en slovène, c'est-à-dire en hébreu, sa langue maternelle que d'ailleurs le fils ne comprend plus parce que l'idiome des Perses s'est imposé entre-temps

Page 21: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

dans tout le Croissant fertile. Le vieillard s'entête, ne perçoit pas l'importance de cette visite. Crime et châtiment sont pour lui des mots vides de sens. Que dit-il ? : « De mon temps, le vieux Radetzky nous menait encore la vie dure ». Voilà comment il interprète les éclats de la colère de Yahweh. Le comble de l'inconscience ou de l'endurcisse- ment est atteint, la rupture devient inéluctable. La réaction de Trotta est attestée par la Bible, au Livre des Chroniques : « C'est bien fini », dit-il, « il n'y eut plus de remède », affirme l'Ecriture (II Chr. 26/16). Un dernier geste encore, ils boivent du raki. Mais le père tousse, crache, devient violacé et continue à dénigrer la carrière du fils. Il pourrait s'agir d'une simple libation sacramentelle proposée par Trotta, une sorte d'invite à revenir au rite ancestral après la dépra- vation du culte constatée à l'autel, mais le raki est un breuvage à base d'anis, et à voir le père s'étouffer ainsi, l'on pense au verset vengeur de Jérémie proclamant : « Voici que je vais les nourrir d'absinthe... et je leur donnerai à boire des eaux empoisonnées » (Jér. 9/14). Trotta, l'envoyé de Yahweh, vient d'offrir aux tribus corrompues par la civilisation des Perses « la coupe de ma colère », telle que nous la retrouverons dans les mains de Demant.

La génération coupable et condamnée à l'exil reste vouée au péché, Trotta ne reverra plus son père. Pourtant, il continue à lui écrire, tel Jérémie exhortant les Juifs de Babylone. L'œuvre des prophètes s'avérera féconde, Yahweh pardonnera et le peuple finira par se sanctifier. Avec Trotta, « naît une nouvelle génération », germe un esprit nouveau, celui qui animera les déportés après leur délivrance.

Trotta se marie alors et épouse une femme qui se présente sous deux visages. Pour l'instant, elle n'est que l'épouse de Jacob, conformément à l'origine historique du patriarche incarné par Trotta. Tout à l'heure, transparaîtront quelques traits étonnamment étrangers à ceux de Rachel. Roth nous informe qu'elle « était la nièce d'un colonel et la fille d'un préfet ». Singulière façon de présenter une fille à marier. En tout cas, la manière d'amener la relation parentale intrigue. La situation s'éclaire d'un autre jour si l'on consent à inverser les facteurs car l'épouse de Jacob serait tout au plus fille de colonel et plutôt nièce de préfet. Ce dernier titre est considérable dans les hiérarchies du roman. L'oncle de cette femme serait alors l'alter ego, l'égal du Préfet Trotta. La Genèse corrobore l'assertion du texte, une fois l'ordre des choses rétabli. Jacob est le fils d'Isaac et de Rebecca. Laban, le frère de celle-ci, est le père de Rachel que Jacob épousera (Gen. 28). Elle est donc effectivement la nièce d'Isaac. Conférer au patriarche une charge équivalente à celle du Christ, ne semble pas excessif aux yeux de Roth. A ce moment du récit, pareille déduction

Page 22: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

ne peut encore se comprendre. Elle surprend parce que le lecteur ne peut savoir que le Préfet Trotta incarnera le Christ tout au long du roman. Laban, le père de Rachel n'est qu'un chef de clan parmi d'autres, il se voit décerner le titre plus commun de colonel... Nihil obstat !

Dans le texte, le portrait du beau-père reste singulièrement concis et tient en une phrase : « il mangeait joyeusement sa pension, aimait les filles... et craignait son gendre ». Ces trois éléments supportent aisément la comparaison avec leur modèle biblique, bien qu'à pre- mière vue, Roth semble présenter l 'homme comme un viveur. D'abord, Rachel et Lia eurent à se plaindre de leur père et accusent : « Est-ce que nous avons encore une part et un héritage dans la maison de notre père ? Ne sommes-nous pas regardées comme des étrangères puis- qu'il... mange notre argent ? » (Gen. 31/15). Laban ne courait pas les filles, l 'énoncé du texte est précis, il les aimait. Le choix du terme n'est pas gratuit. Roth omet simplement de noter que Laban aimait ses propres filles, Lia et Rachel, de sorte qu'après leur mariage, il les retint à son service pendant plus de vingt ans. Son attachement pour elles se manifeste par les menaces qu'il adresse à Jacob : « Si tu maltraites mes filles et si tu prends d'autres femmes à côté de mes filles... prends-y garde... » (id. 31/50). Leur esclavage fut partagé par Jacob, et Yahweh eut à intervenir en personne pour le faire cesser, comme Laban en témoigne : « Le Dieu de votre père m'a parlé cette nuit en disant : Garde-toi de rien dire à Jacob, ni en bien ni en mal » (id. 31/29). Les foudres de Yahweh frapperaient celui qui oserait aller à l 'encontre des volontés de Jacob. Comment ne pas craindre un pareil gendre ?

L'énumération des qualités morales de Trotta, pour ambiguës qu'elles soient, est à chercher dans le Livre des Proverbes. Si on les observe, les préceptes du Livre « procureront des années de vie et de paix » (Pro. 3/2). Le texte, avant de recenser les vertus du capitaine, note que « les rondes années se succédaient comme une roue qui tourne, régulières et paisibles ». Trotta est « équitable dans le service... ennemi de tout mensonge », dit le texte, et la Bible ordonne d'acquérir « ...la justice, l'équité et la droiture... » (id.1/3). Elle souligne également que « le juste déteste les paroles mensongères » (id. 12/5). Trotta est bon époux et se méfie des femmes. Sur deux chapitres, le livre biblique recommande d'éviter la fréquentation des femmes adultères (id. 5-7). Comme officier, Trotta est « aussi simple que ses états de service », une simplicité qui plaît à Dieu comme l'affirme l'Ancien Testament : « que celui qui est simple entre ici ! » (id. 9/4). Il est hostile à « toute louange verbeuse », et il est dit : « Bénir son prochain à haute voix... est réputé

Page 23: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

comme une malédiction » (id. 26/14). Roth ne lui impute qu'un défaut auquel il consacre quatre lignes. Elles sont importantes, nous aurons à revenir sur ce passage lourd de violence : « et seule la colère qui parfois l'emportait aurait permis à un connaisseur de l'âme humaine de pressentir que celle du Capitaine Trotta recélait également ces abîmes pleines d'ombres nocturnes où dorment les tempêtes et les voix inconnues d'ancêtres anonymes ».

Dans la trame apparente du récit, l'incroyable, l'effroyable fureur qui s'empare de Trotta à la lecture du manuel scolaire relatant l'héroïque épisode de Solférino ne s'explique guère. L'altération des faits paraît bénigne et l'historien impérial, minimisant le rôle de Trotta pour laisser la part du lion à l'empereur, outrepasse à peine l'usage en pareille matière. Le refus qu'oppose le ministère à la requête de Trotta exigeant que la vérité soit rétablie ménage toutes les suscepti- bilités et semble se fonder sur des raisons en tout point acceptables.

L'insupportable horreur de cette falsification n'apparaît que dans la trame sous-jacente de l'œuvre. Tout d'abord, Trotta est à cheval. La scène se voit donc amputée du corps à corps et de toutes ses implications. Il ne terrasse plus l'empereur et de l'affrontement avec Dieu, il ne reste rien. De la soudaine apparition de l'empereur, plus de trace. Abraham et Jacob n'ont plus de place dans cette affabulation. Il faut le comprendre, les fondements mêmes du judaïsme viennent d'être ruinés.

Dans la version du manuel de lecture, Trotta ne sera pas blessé par un coup de feu, mais par un fer de lance. Détail d'apparence vraiment secondaire. Pourtant, il introduit la mutation essentielle sur laquelle se fonde la polémique de Roth, telle qu'elle va se poursuivre dans la seconde partie du chapitre.

Israël a été appelé par le second Isaïe « Serviteur de Yahweh ». On ne peut les citer, il faut relire les strophes étonnantes écrites par le prophète aux chapitres XLIX, LII et LIII du Livre d'Isaïe et savoir que, pour les Juifs, le Serviteur incarne les tribus d'Israël dont les souffrances, celles endurées pendant la « transportation » de Baby- lone, comme dit Renan, permettront le rachat du peuple élu.

Pour les chrétiens, le Serviteur personnifie le Christ qui par son agonie sauvera l'humanité. Conformément à la prédiction d'Isaïe affirmant : « lui, il a été transpercé à cause de nos péchés » (Is. 53/5), le Christ sur la croix sera transpercé par la lance du légionnaire romain. Par voie de conséquence, le fer qui transperce Trotta introduit la version chrétienne du Serviteur dans la relation des faits, tels que le manuel les rapporte.

Page 24: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

Ainsi donc, sur ce simple détail, le livre de lecture bascule dans la nouvelle doctrine. Il rejette la version judaïque et se prononce pour celle du christianisme. Déjà, les assises du judaïsme ont été minées au début de l 'affabulation du manuel. La fureur de Trotta se voit alors pleinement justifiée. En plaçant cette falsification pendant l'exil, Roth remonte à la source première d 'une polémique qui dure depuis que le Christ avait ramené la prédiction d'Isaïe à sa propre personne en la détournant du sens que lui avaient donné les Juifs, comme il ressort de l'évangile de St-Matthieu (Mat. 12/18).

Trotta, fou de rage, incrimine les scribes, auteurs de la falsification. La Bible leur adresse également maint reproche : « Voici que le style mensonger des scribes en fait un mensonge », dit Jérémie (Jér. 8/8). Mais l 'auteur du manuel dépend du ministère, de celui du Culte, et ses écrits ont été soumis au contrôle du ministre en personne et approuvés par celui-ci. Sous de pareils auspices, le scribe prévaricateur prend évidemment une autre envergure que les écrivassiers apparem- ment mis en cause par l 'infortuné défenseur d'Israël.

Dans la version du manuel, l 'action de Trotta n'est plus qu'une œuvre imparfaite, partielle, un acte fragmentaire, puisque l'empereur, réduisant d 'autant la part d'héroïsme de Trotta, finit par assurer seul son salut. La rémunération du haut fait de Solférino relève alors de la générosité du monarque, de la grâce impériale, et non plus du mérite exclusif de Trotta. La différence est fondamentale, car, si pour les Juifs, la rétribution dépend des œuvres, pour les chrétiens, elle dépend de la grâce. Roth appuie son raisonnement sur les écrits d'un scribe illustre entre tous, il s'inspire de l 'Epître aux Romains où Saint Paul développe la dialectique qui établit l 'irrémédiable antinomie existant entre les deux religions. Deux ou trois citations suffisent pour illustrer les vues de St. Paul. La première concerne les œuvres : « Si Abraham a été justifié par les œuvres, il a sujet de se glorifier. Mais il n'en a pas sujet devant Dieu... à celui qui fait une œuvre, le salut est imputé, non comme une grâce, mais comme une chose due » (Ro. 4/4). La seconde traite de la grâce : « ...car tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu; et ils sont justifiés gratuitement par sa grâce... » (id.3/23). S'adressant aux Ephésiens, l 'apôtre s'avère plus explicite et résume sa pensée : « Car c'est par la grâce que vous êtes sauvés... et cela ne vient pas de vous, c'est le don de Dieu; ce n'est point par les œuvres » (Eph. 2/8). La haute récompense attribuée à l'œuvre im- parfaite de Trotta dépend assurément davantage de la grâce que de la chose due, l 'annexion opérée par le christianisme se confirme. St. Paul stipule également : « ...c'est par une promesse que Dieu a fait à Abraham ce don de sa grâce » (Gal. 3/10). Aux yeux de l'apôtre,

Page 25: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

Abraham lui-même relève donc de la grâce et non plus des œuvres. En toute logique chrétienne, il a disparu de la version du manuel de lecture, comme ont disparu les anges de l'apparition divine. La transposition de l'antique vérité est maintenant parachevée.

Dans le manuel, Trotta, prématurément anobli, est appelé « Cheva- lier Joseph von Trotta », comme si, à Solférino même, le lieutenant roturier faisait déjà partie de la mouvance de Yahweh. Or, les noms d'Abraham et de Jacob furent précisément changés pour marquer leur nouveau destin sous le signe de l'Alliance. Celle-ci se voit donc encore une fois bannie de l'histoire.

Parler d'une altération de la vérité, d'une authentique forfaiture, n'est donc pas un vain mot. Roth d'ailleurs l'annonce dès l'entrée du texte litigieux et note : « Trotta lui-même y paraissait, mais combien transformé ! ». La mutation qu'il subit lui donne son nouveau visage. Il est dépouillé de son titre initial, se voit contraint de renoncer au rôle de Serviteur d'Israël pour assumer, en sa seule et même personne, celui que la doctrine du Christ lui réserve dans l'évangile de St. Matthieu.

Il n'est plus question d'un combat mené par des fantassins. Roth mentionne que « toute la cavalerie ennemie fut alors faite prisonnière ». Le sens de cette remarque demeure inintelligible parce que le lecteur ne peut encore savoir que les cavaliers sont les fidèles de Yahweh, alors que l'infanterie rassemble ceux qui ont contesté sa puissance. Une bataille entre deux unités de cavalerie relève pour ainsi dire d'un ordre métaphysique. Trotta, lui, proclame haut et fort qu'il n'a jamais servi dans la cavalerie parce qu'il se considère comme celui qui avait défié le Dieu de la Bible et son pouvoir. Par sa révolte, il avait arraché le contrat liant les deux parties, il est le partenaire privilégié de Yahweh avec lequel il avait traité d'égal à égal et non pas en homme lige. C'est là un aspect fondamental de la dialectique de Roth. Inlassablement, il reviendra sur le thème de l'homme investi du droit imprescriptible de négocier la loi qui le commande et de plaider sa cause en face de l'instance divine.

La bataille décrite par le livre de lecture ne peut relever d'un acte de guerre, ne peut concerner qu'une simple dissidence, disons le plus clairement, une déviation du dogme. Dans la fable du manuel, l'empereur, en capturant toute la cavalerie ennemie, ramène donc à lui une fraction de son peuple qui s'était égarée dans une révolte aux conséquences encore insoupçonnables. L'interprétation chrétienne des réalités bibliques vient de fonder le schisme chrétien qui rompt l'unité séculaire de la religion d'Israël. Yahweh se verrait-il alors amputé d'une partie de son peuple ? Saint Paul interroge et répond : « ...Ou bien Dieu n'est-il que le Dieu des Juifs ? et n'est-il pas aussi le Dieu

Page 26: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

des Gentils ? Oui, il est aussi le Dieu des Gentils puisqu'il y a un Dieu qui justifiera les circoncis... et les incirconcis » (Ro. 3/29).

Au cours de l'audience sollicitée par Trotta, celui-ci, debout en face de l'empereur et « les yeux dans les yeux » comme Jacob lors du combat avec l'ange, lui clame au visage que la version du manuel n'est que mensonge. François-Joseph reste impavide, ne cède en rien à l'insistante requête et résume la situation nouvelle d'une formule singulièrement réaliste si l'on évoque le verset précité. A Trotta qui exige obstinément que la vérité soit rétablie, il rétorque : « Mais nous ne nous en tirons pas mal, ni vous ni moi ! ». Il énonce une évidence. Les Juifs n'ont rien perdu, pour eux, il reste Yahweh. En même temps, il s'est assuré l'adoration des chrétiens. Remarquons d'ailleurs que le manuel le présente d'abord en employant son double titre et ses deux prénoms, « notre Empereur et Roi François-Joseph ». Puis, il est appelé « le monarque» et non plus « l'empereur» comme à Solférino. Est-il besoin de souligner l'étymologie du premier terme ? Yahweh est bien le seul à gouverner la double Monarchie des deux religions en présence.

L'Epître de St. Paul éclaire un autre élément du texte, impénétrable jusque là. Trotta, homme vertueux entre tous, se plie à tous les préceptes énoncés dans le Livre des Proverbes. Peut-être vaudrait-il mieux parler d'interdits auxquels il se soumet car il est bien irascible, paraît toujours sur le point de vouloir exploser. La colère est son seul défaut. Deux mots de théorie sont nécessaires pour comprendre cette colère. Par la foi qui lui permet d'espérer le don gratuit de la grâce, le chrétien obtiendra sa rédemption. Les Juifs ne peuvent assurer leur salut que par la scrupuleuse observation de la loi, autrement dit, par les œuvres. Seule l'œuvre parfaite peut donc être rétribuée. Mais la loi reste la mesure de l'imperfection de l'homme, et St. Paul l'affirme avec pertinence, elle « produit la colère » ! (Ro. 3/15). Celle-ci habite Roth autant que Trotta et explique le ressentiment qui avait motivé l'in- tervention de Solférino. Elle alimente la polémique du roman. A l'image du Lieutenant Trotta révolté par l'incompréhension que Dieu, auteur de cette loi si dure manifeste pour les faiblesses de la nature humaine, Roth, qui sait que nul ne peut atteindre à la perfection requise, s'emporte et exige une miséricorde plus grande pour l'homme exilé sur la terre.

Pour l'instant, Trotta cherche encore des alliés prêts à défendre l'antique fondement des croyances d'Israël, telles qu'il les avait établies à Solférino. En premier lieu, il se tourne vers sa femme. Elle ne le soutient en aucune façon. Elle se prononce pour la version du manuel. « C'est pour des enfants », lui répond-elle. Elle a raison, la

Page 27: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

version chrétienne concerne les générations futures. Et déjà transparaît son second visage. N'est-elle pas la mère du Préfet Trotta, incarnation du Christ ? Pendant cet entretien, elle est d'ailleurs installée dans « le petit verger derrière la maison », comme l'iconographie religieuse montre la Vierge Marie assise dans son enclos au moment de l'an- nonciation. Nombre de peintres d'avant la Renaissance, Memling ou Lochner par exemple, la dépeignent dans son « hortus conclusus ». D'autres traits confirmeront l'hypothèse avancée ici.

Le notaire qui porte des lunettes, comme en porteront tous les prophètes du roman, est un homme de loi. La loi constitue le fondement absolu de la religion juive, il devrait donc soutenir Trotta. Il n'en fait rien, déjà gagné par la foi nouvelle puisqu'il considère également que « c'est pour des enfants ». Pourtant, il ne rejette pas la réalité historique et va jusqu'à prétendre qu'il existe en la matière deux vérités, deux interprétations possibles, tout en se déclarant pour la version du manuel. Jean-Baptiste ne fut-il pas le dernier prophète de l'Ancien Testament et le premier du Nouveau ?

Trotta se rend à la caserne où il semble vouloir restaurer l'ordre qui prévalait à Solférino. On le comprend de manière plutôt intuitive, car les arguments solides font singulièrement défaut. Ceux que l'on peut avancer en se basant uniquement sur l'énoncé du texte ne résistent guère à l'analyse. Ils n'acquièrent leur densité réelle que par comparaison avec la Bible. Il apparaît alors que Trotta, le Serviteur du Dieu des Juifs, veuille simplement conforter dans le peuple la foi en la promesse de salut annoncée par le prophète Isaïe au chapitre XL de son Livre qui introduit le cycle consacré à la délivrance d'Israël. Trotta, au moment de quitter le café où il avait rencontré le notaire, n'avait eu qu'un cri en guise d'adieu : « payer!». Réclame-t-il sim- plement l'addition ? Au regard de l'épisode qui suit immédiatement, le terme semble tout à coup plus lourd de sens et pourrait signifier « expier » puisque l'expiation précède le pardon qui apportera la délivrance. Or, le Serviteur de Yahweh est précisément chargé d'an- noncer la libération d'Israël, laquelle, à ce moment du récit, doit s'opposer au concept de rédemption du christianisme.

Constatant que le Lieutenant Amerling délaisse son service pour flirter avec une demoiselle dans l'office du sous-officier comptable, Trotta n'aura pas un mot de reproche, le pardon est accordé ! Le père du Héros de Solférino était « sous-officier comptable » et incarne un roi d'Israël. On peut donc admettre que le lieu où se déroulent ces turpitudes rappelle que la maison des rois de Jérusalem ne fut pas épargnée par les « prostitutions d'Israël », comme la Bible souvent les nomme.

Page 28: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

Trotta fait une entrée fracassante à la caserne et la Bible dit : « Voici que le Seigneur Yahweh vient avec puissance, son bras exerce la domination » (Is. 40/10). Le comportement de Trotta ne pouvait être mieux décrit. Il appelle le sous-officier de service et Isaïe demande : « Avec qui a-t-il tenu conseil pour qu'il l'éclairé ? » (id./13). De nombreux hommes manquent à l'appel, les Juifs idolâtres et apostats sont légion. Il convoque les absents pour le lendemain. Dans l'intention de les punir ? Sans doute que non, le pardon est accordé, il entend simplement les réintégrer au peuple dont la libé- ration est imminente. Puis, il ordonne une séance de maniement d'armes. Les hommes obéissent en tremblant, la respiration haletante. De piètres soldats ! Lentement, sous la férule de Trotta, ils se reprennent, retrouvent la cadence la plus martiale et la Bible affirme : « Il donne de la force à celui qui est fatigué, redouble la vigueur de celui qui est défaillant » (id./29). La salve qu'il fait tirer évoque le coup de feu de Solférino et la blessure par laquelle il avait scellé l'Alliance et qui l'avait haussé au premier rang des fondateurs du judaïsme dont il restera le plus ardent défenseur en face de la nouvelle doctrine du Christ qui menace de ruiner la religion d'Israël. Suit un autre exercice, les hommes apprennent à saluer, comme si Trotta se faisait confirmer le rang qu'il occupe dans les hiérarchies bibliques. Enfin, il commande que l'on se mette à genoux pour la prière. La Bible, résumant ce singulier épilogue, s'avère parfaitement explicite : « Mais ceux qui se confient en Yahweh renouvellent leurs forces » (id./30). Dès lors, assuré d'avoir raffermi la foi au sein d'Israël, Trotta se sent mieux armé pour rétablir la vérité au cours du face-à-face avec l'empereur.

L'audience se terminera par la défaite de Trotta. Le Dieu des Juifs a été circonvenu par la doctrine des chrétiens, comme si celle-ci était l'aboutissement du judaïsme et le Christ le Messie attendu. L'empereur manifeste toute la confiance qu'il a en ses ministres, les Evangélistes peuvent triompher. Trotta recevra une perfide compensation, son fils touchera une bourse de cinq mille florins pour ses études. L'avenir du Christ est donc assuré, il pourra briller devant les docteurs de la loi. Au temps de Moïse, Yahweh s'était montré moins généreux. Pour le rachat des « lévites en surnombre », et aux yeux des Juifs, à qui le terme s'appliquerait-il mieux qu'au Messie des chrétiens ?, il avait ordonné : « tu prendras cinq sicles par tête » (Nbres. 3/47). Trotta, lui, reçoit le titre de baron, en allemand : Freiherr. « Frei » veut dire libre, mais la liberté ainsi rendue à Trotta équivaut à un abandon sinon à une rupture et la Bible interroge : « Pourquoi mon peuple a-t-il dit : Nous sommes libres, nous ne reviendrons pas à vous ? » (Jér. 2/31). Le baron n'est donc plus qu'un hors-la-loi : « il avait été chassé du

Page 29: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

paradis, privé de la foi simple qu'il avait en l'empereur et en la vertu, en la vérité et le droit ». Isaïe, déjà, avait rappelé l 'antique certitude : « mon droit est auprès de Yahweh et ma récompense auprès de mon Dieu » (Is. 49/4). Très proche du texte, il commente avec amertume : « et mon droit passe inaperçu devant mon Dieu » (Is. 40/27). Le baron a tout perdu, la promesse de récompense ne le concerne plus. Il comprend que « la ruse assurait la pérennité du monde, la force des lois et l'éclat des Majestés ». La dialectique habile de St. Paul l'a emporté sur la croyance simple de Trotta. Il quittera donc l 'armée et le service de Yahweh, comme les Juifs au temps de la déportation avaient abandonné leur Dieu. « Tu as rompu tes liens et tu as dit, "je ne servirai plus"... », accuse Jérémie (Jér. 2/20).

« La campagne contre les Prussiens fu t menée sans lui et perdue », dit le texte. Trotta s'est réfugié en Bohême, comme « un faible reste d'Israël » avait fui vers Maspha, une bourgade des environs de Jérusalem, après la prise de la Cité Sainte. Il n'a donc pas participé à la campagne menée par le pharaon contre Nabuchodonosor en 582. La guerre fut perdue par l'Egypte, ce qui justement ne concerne en rien les gens de Maspha qui n'y avaient pris aucune part, mais les Juifs qui en 586 s'étaient installés sur le Nil furent massacrés ou déportés par les Perses vainqueurs. Flavius Josèphe rapporte le fait au livre X, chapitre 11, de son Histoire des Juifs.

Le calvaire de Trotta se poursuit. Les sympathies de Yahweh vont aux exilés de l 'Euphrate, les réfugiés de Maspha sont exclus de ses promesses. Avec une perfide insistance, Roth s 'attarde sur les activités identiques qu'exercent Trotta et son père, chacun dans son merveilleux jardin. Simple machiavélisme de l 'auteur ! Etant donné les similitudes aussi généreusement distribuées, la réflexion s'oriente d 'abord vers Babylone mais ne peut aboutir. En fait, de nombreux indices étayent l'hypothèse, la scène se passe dans le site de Maspha et les similitudes suggérées par l 'auteur relèvent d 'une identique déréliction.

En Judée, les Perses n'avaient laissé que les indigents. Roth le rappelle de deux façons. D'abord, Trotta ne dépense ses deniers qu'avec parcimonie : « Ladre et méfiant, il procédait à ses achats, et du bout des doigts, il tirait ses piécettes d'une bourse de cuir crasseuse... Il était devenu un petit paysan slovène ». La référence à l'aïeul est inutile et le thème du retour à la terre que suggère le texte relèverait de l'interprétation abusive. La Bible seule fournit l 'explication de ce passage. En effet, « Naburzardan... laissa... comme laboureurs quel- ques-uns des pauvres du pays » (Jér. 52/16). Roth insiste sur les tâcherons et autres journaliers qui entourent Trotta, tandis qu'à Maspha, « Jérémie... demeura... au milieu du peuple laissé dans le

Page 30: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

pays » (Jér. 40/6). De ses propres mains, le Baron Trotta s'acquitte d 'un certain nombre de tâches manuelles, travaux de jardinage ou de réfection par exemple. La région de Maspha est un verger, une terre riante et fertile. Dès la première année, les Juifs y « récoltèrent du vin et des fruits en abondance » (Jér. 40/12). Ils eurent également à s 'occuper de la remise en état du pays dévasté par la guerre et Trotta s'emploie à « remplacer les lattes des clôtures pourries, par des lattes neuves, soigneusement rabotées ». Il se consacre à la restauration de sa demeure, « il remplace les serrures rouillées aux portails et aux portes... pose des étais soigneusement taillés ». Ces activités, minutieusement décrites par le texte, relèvent du serrurier et du menuisier. Or précisément, ces deux corps de métier ont été déportés en premier dès la prise de Jérusalem, ainsi que le rapporte Jérémie : « le roi... la reine-mère, les eunuques, les princes... les charpentiers et les serru- riers » (Jér. 29/3). Si les artisans font défaut, il faut bien que Trotta se charge de leur besogne. Roth accorde manifestement de l'impor- tance à ces portes aux chambranles affaissés et Jérémie résume la désolation de ce passage en disant : « Ses portes sont enfoncées en terre, il en a rompu, brisé les barres... » (Jér. 2/9). Isaïe donne tout leur sens à ces travaux : « ...on t 'appellera le réparateur des brèches... pour rendre le pays habitable » (Is. 58/12).

Roth a gardé une autre métaphore, puisée à la même source, au verset précédent. Dans le roman, dès la première ligne de ce passage, Trotta « manie l 'arrosoir» dans son jardin, et le prophète commente : « ... tu seras comme un jardin bien arrosé » (Is. 58/11). Pour construire la seconde partie de sa description, Roth continue de s 'appuyer sur ce même chapitre d'Isaïe, intitulé : Jeûne et Sabbat.

La « vieille colère », celle qu'il éprouvait jadis devant l'intransi- geance de la loi, secoue Trotta. Mais à Maspha, il fait partie du « faible reste d'Israël » auquel Yahweh refuse son secours. Le désordre alors s'installe, le peuple outrepasse les interdits et Jérémie se lamente : « ...il n'y a plus de loi... » (Jér. 2/9). Ainsi, Trotta « chasse le petit gibier ». Il est donc à craindre qu'il ne tire aussi « le lièvre qui rumine... », or, dit le commandement de Moïse, « il sera impur pour vous » (Lév. 11/6). Le jeûne, objet de l'avertissement du prophète, est clairement mentionné dans le roman. La scène entière concorde parfaitement avec le texte biblique qui morigène : « Au jour de votre jeûne, vous faites vos affaires et vous pressez au travail vos merce- naires. Voici, c'est en vous disputant et en vous querellant que vous jeûnez, jusqu'à frapper du poing méchamment » (Is. 58/3, 4). Que fait Trotta ? : « il frappait ses valets... menaçait les journaliers de mort et d'anéantissement, repoussait son assiette d'un geste hargneux, jeûnait et grommelait ». Tout commentaire ne pourrait mener qu'à la paraphrase.

Page 31: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

Les obsèques de l'invalide de Laxenburg nous ramènent à Sédé- cias. La concordance entre le roman et les Livres de la Bible est toujours aussi absolue. Jérémie avait prédit au dernier roi de Juda : « Tu mourras en paix et... on brûlera des parfums pour toi, et on se lamentera sur toi... » (Jér. 34/5). Sédécias fut donc réhabilité, comme le montre le roman, à la fin du passage, car l'âme de l'invalide « monta droit au ciel». Il fut pourtant un très mauvais roi, « ...il fit ce qui est mal aux yeux de Yahweh... » (II Chr. 36/12). Flavius Josèphe a noté que Sédécias, « étant mort dans sa prison, Nabuchodonosor le fit enterrer en roi» (Hist. des Juifs X / 11). Ainsi s'explique le faste déployé aux funérailles d'un simple pensionnaire et gardien de parc. Ce faste est longuement décrit : « huit cierges d'un mètre... des médailles étincelantes... deux soldats pour le veiller... six hommes pour porter le cercueil... le baron en uniforme de parade... une demi section de l'armée... une salve... un orchestre militaire ». Parler de funérailles royales ne serait pas de trop. Se voit également justifié le catafalque de l'invalide précisément exposé dans son logis, la prison où il vécut. L'encens que l'on brûle évoque les parfums de la Bible, et les sanglots de l'enfant font écho aux lamentations promises.

La présence du futur Préfet Trotta ne devrait pas étonner outre mesure, le Christ n'a-t-il pas clairement énoncé : « ... en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham fût, je suis » ? (Jean 8/58). Et cette révélation vaut pour toute la chronologie du roman. « Ne l'oublie pas, ton grand-père ! », enjoint Trotta à son fils. Que le Messie, lorsqu'il apportera le grand principe de rédemption, se souvienne de ce roi idolâtre à qui tout péché fut remis !

Trotta se penche sur le cadavre et l'embrasse. Simple rite funéraire, mais il rappelle le geste de Joseph à la mort de Jacob car : « Joseph se jeta sur le visage de son père... et le baisa » (Gen.50/2). Ce détail du roman ne relève peut-être pas vraiment de la référence biblique, mais le décès du patriarche est énoncé sous une curieuse forme : « ...ayant retiré ses pieds dans son lit, il expira... » (id. 49/33). Si l'on retient l'image, les « gigantesques semelles » que voit le futur préfet agenouillé se justifient autant par le texte biblique que par l'évocation de la rupture entre les générations, comme on l'admet communément. Il est vrai qu'à partir des semelles, l'on pourrait également invoquer la parole du Christ : « Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits sera coupé... » (Mat. 3/10). Sans doute, mais Sédécias fut pardonné !

A nouveau, « les années tournent comme des roues silencieuses, régulières et paisibles ». Babylone ne fut pas un bagne et aucune violence ne vient troubler la Judée. L'Histoire s'arrête pendant l'exil car Yahweh « se reposa tout le temps de sa dévastation — jusqu'à

Page 32: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

l'accomplissement de soixante-dix années » (II Chro. 36/21). Trotta « reste seul sur le domaine ... » et Jérémie rappelle : « Yahweh m'en- voyait aux... villes de Juda... pour en faire une solitude, une désola- tion » (Jér. 25/17). Son fils lui rend visite puisque le Christ est imprégné de culture hébraïque. Trotta répond à ses lettres sur « les marges de respect» qu'il détache des missives écrites par l'enfant. Est-ce à dire qu'ils se témoignent une considération mutuelle ? On peut le penser car le testament marque bien que Trotta accepte l'irrémédiable évolution de l'histoire.

Le jour de Noël, Trotta remet trois florins à son fils, les récupère immédiatement et « le soir même, les fait disparaître dans sa cassette ». Le terme allemand est « Lade », également employé pour le taberna- cle, l'arche d'alliance. Le geste paraît inexplicable. Cependant, la date de Noël et le vocable retenus font penser à la redevance d'un demi-sicle, car il est dit : « ...les enfants d'Israël... donneront une rançon pour leur âme lorsqu'on les recensera... tu l'appliqueras au service de la tente de la réunion » (Ex. 30/12, 16). Or, la nativité eut lieu à Bethléem en raison du recensement ordonné par Hérode. La somme de neuf florins que reçoit le futur préfet à dix-huit ans pourrait alors faire allusion au didrachme dont parle St. Matthieu (17/23) et qui représente un impôt religieux que tout Israélite âgé de vingt ans devait payer pour l'entretien du culte.

Dans ce premier chapitre, l'identité de Moser, l'ami du jeune Trotta, reste absolument opaque. Elle ne pourra se déduire que par recoupement dans la suite du roman. Pour l'instant, il faut donc partir d'une assertion dont la véracité ne sera établie que plus tard. Moser représente Judas Machabée. Le texte nous apprend qu'il peint le portrait du Héros de Solférino, non pas assis en face de lui, mais « ... au dehors... de mémoire » et que « tous les jours, à table, il apprenait les traits du maître de maison par cœur ». Or au début du Livre biblique, se trouve un portrait d'Israël, un rapide condensé de son passé et l'objectif poursuivi par son auteur y est souligné : « Souve- nez-vous des œuvres que nos pères ont accomplies... » (I Mach. 2/50). L'ère des Machabées commence vers 165 avant le Christ. Le portrait du Héros de Solférino sera donc peint de mémoire, et sans qu'il soit nécessaire ou possible d'avoir l'original sous les yeux. Judas fut surtout un grand défenseur de l'unité juive. Il est donc naturel que Trotta approuve l'amitié qui unit les deux jeunes gens.

Dans la logique de la Bible, le portrait amène Trotta à porter ses regards vers son passé et il se rend sur la tombe de sa femme. Autant que le roman, la Genèse insiste sur la tombe de Rachel (Gen. 35/20). Jacob ne sera d'ailleurs pas inhumé auprès d'elle, comme Trotta

Page 33: Couverture : SUSE — Lions androcéphales affrontés

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections

de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en accord avec l’éditeur du livre original, qui dispose d’une licence exclusive confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒

dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.