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    APPROCHES LITTRAIRES DE LUVREET STATUT DU TEXTE

    IDENTIT ET THOPHANIEREN GUNON (1886-1951) ET HENRY CORBIN (1903-1978)

    Antoine Faivre

    ...je vois en Corbin lhomme des oasis et en Gunon celui dusable. Lun coute le chant, les lgendes, toute cette musique delme en marche vers les hirarchies angliques. Lautre, attentif asilence, approche de l Esprit par la voie lente qui identifie l homme sa plus haute image, tout anthropomorphisme dpass.

    Frdrick Tristan

    Ces dernires annes, se sont multiplies les tudes portant sur de gran-

    des figures des sciences religieuses ayant renouvel grce leurs perspectives non rductionnistes la comprhension de leur objet. Nanmoins,probablement en raison de l approche non scientifique de Gunon et duconflit larv qui lopposa sa vie durant certains orientalistes2, ellesobservent, en rgle gnrale, le silence sur son uvre cantonne dans ledomaine la fois suspect et dconcertant de lsotrisme . Il reste ainsi crire un chapitre de lhistoire de lhistoire des religions touchant la rception de luvre de Gunon par ces universitaires. Si aucun livre

    na encore t consacr cette question, des articles ont commenc fiexplorer ce champ. On a surtout not la brusque multiplication des tude?;tentant de cerner la dette et lintrt de Mircea Eliade lgard de cetteuvre.3 Nous avons, de notre ct, consacr un chapitre de L'Ermite de

    Duqqiaux rapports de Ren Gunon et de Louis Massignon.4 Or, HenryCorbin fut, d une part, llve et le successeur du cheikh admirable il cole Pratique des Hautes tudes, d autre part, l ami d Eliade. Tous trois

    2. Il faut noter quil y eut, du vivant de Gunon, de notables exceptions ltranger tellesAnanda K. Coomaraswamy, qui entretint un troit compagnonnage intellectuel avec Gu-non ou encore Stella Kramnsch, l auteur du monumental ouvrage The Hindu Temple(UtH-versity of Calcutta, 1946,2 vol.).

    3. Marco Pasi en a recens quelques unes dans le dernier numro dePolitica Hermeaoup. 97-9.

    4. Feu et diamant , Accart, Xavier (Dir.), LErmite de Duqqi, Milan, Arch, 2001, (>-287-325.

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    enseignrent la Section des Sciences Religieuses et participrent active-ment au cercle Eranos.5 Il nous a donc sembl utile pour poursuivre cetterecherche globale de mettre en regard les uvres de Ren Gunon etdHenry Corbin.

    A notre connaissance, deux tudes ont t consacres des aspects dela question.6 La premire, parue dans un bulletin dorientalistes espagnols,a tent de comparer leurs approches respectives de la pense orientale .Nous en donnons un rapide aperu pour faciliter le travail du lecteur.Selon Jos Pacheco, ces deux uvres relvent du gnosticisme dfinicomme lattitude philosophique qui, pardessus les lieux et les poques,essaie datteindre une connaissance de lessence divine qui transforme essentiellement le sujet. Il dgage alors quatre points qui dfinissent le

    gnosticisme assimil par lauteur la gnose et autour desquelsconvergent, selon lui, les uvres tudies. Premirement, la dvalorisationde lhistoire comme moyen de connaissance. Lhistoire na de valeur, deralit, que dans la mesure o y transparat la hirohistoire. Deuxi-mement, le doctisme dfini comme la doctrine qui reconnat des formes d'apparition non rduites la matire sensible. Ce caractre rejoint unaxe essentiel chez les deux auteurs : la nondualit ou non rupture absolueentre matriel et spirituel quils constatent dans la philosophie

    orientale. Troisimement, la thorie des tats multiples de ltre, ainsinomme chez Gunon et qui a son rpondant dans les tudes dangloloipe menes par Corbin. La hirarchie universelle de l tre se dploie en demultiples niveaux qui permettent la fois de faire accder l intelligibilittous les ordres de la ralit, et de relier ces ordres avec les plus hautes hinirchies de ltre. Cest pourquoi, selon Pacheco, les auteurs sattardentsur les symboles des anges, de larbre, des oiseaux. Quatrimement, leur

    5 Signalons deux tudes rcentes : Wasserstrom, Steven M., Religion after religion :Gershom Scholem, Mircea Eliade and Henry Corbin at Eranos, Princeton (New Jersey),Princeton Umversity Press, 1999, 368 p. (lA. y cherche notamment confirmer ladpendance dEliade et trs marginalement celle de Corbin lgard de Gunon); Hakl,H.aSis Thomas,Der verborgene Geist von Eranos (Uberkannte Begegnungen von Wissens-eiraft und Esoterik), Bretten, Scienta nova, 20 01 ,220 p.

    6. Anton Pacheco, Jos Antonio, Ren Gunon y Henry Corbin : dos formas convergentes de enfocar lo oriental ,Boletin de la asociacion espanola de orientalistas,n 19,IS83. p. 321-9 GRIL, Denis, Espace sacr et spiritualit, trois approches : Massignon,Corbin, Gunon ,D'un Orient lautre. II, Paris, ditions du C.N.R.S., 1991, p. 49-63.

    (^ipeut aussi noter quelques autres rfrences au cours de travaux divers : Moncelon, Jean, Louis Massignon et Henry Corbin , Keryell, Jacques (dir.),Louis Massignon et ses con-tefr^orains.Editions Karthal, Paris, 1997, p. 218-9 ( Note sur Ren Gunon ); Geay,Patrick,Herms trahi,Paris, Dervy, 1996, p. 195-8; Toumiac, Jean,Melkitsedeq ou la Traction primordiale,Paris, Albin Michel, 1983, p. 231-3 (P A. oppose leurs jugements sur lesMormons. Gunon, la diffrence de Corbin, critique lanthropomorphisme de leur^panthon ).

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    comprhension de la notion dOrient qui est pour eux une ralit spirituelle avant dtre une dsignation gographique. Lauteur espagnol consi-dre que ces quatre points sont suffisants pour affirmer la convergenceessentielle de ces deux approches avec la

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    largement au numro des Cahiers du mois consacr aux Appels delOrient. la fin de l'anne, quelques semaines aprs avoir rencontrMtssignon. il donne une confrence la Sorbonne. Corbin suit alors encette vnrable institution les cours dEtienne Gilson un des esprits lesplus ouverts des milieux catholiques selon Gunon8 sur lavicennismelatin au Moyen ge. Il commence ainsi aux Langues O. ltude de larabe.

    Il y apprend aussi le sanskrit pour approfondir les cours dmile Brhierqui traitent de linfluence des Upanishads sur Plotin. Au muse Guimet,dont le bulletin rend compte des ouvrages de Gunon9, il rencontre Josephfackin, un ami de ce dernier10, qui lui permet de voir le lien entre [s]estudes de philosophie mdivale et la mtaphysique hindoue . Ces int-rts convergents, la proximit des milieux frquents nous amenaient postuler que Corbin avait trs certainement dcouvert l uvre de Gunonau fur et mesure de sa parution lorsque nous avons eu la surprise dendcouvrir une clatante confirmation. vingtcinq ans, Henry Corbin,sous le pseudonyme de TrangNi, donna une revue de combat pourlIndochine autonome son premier article.11 Abordant la question desrapports OrientOccident qui mobilisait alors les milieux intellectuels, ilconsacrait luvre de Gunon un dveloppement remarquable par sonampleur et sa prcision mais aussi par sa position dans son texte.

    Aprs une premire partie consacre un examen de l tat du dbat, il en

    venait la leon que les Occidentaux pouvaient tirer de ltude des doc-trines orientales. Cette seconde partie commenait par une valuation deluvre de Gunon. Celleci avait eu le mrite dont il fallait lui tre tout

    particulirement reconnaissant davoir prsent une Inde dpouille detout faux romantisme et davoir dfinitivement bris lquivoque qui,pour tant de cerveaux, associait la pense hindoue avec loccultisme, laiosophie et quantit de divagations . Gunon avait encore montr enquoi consist[ait] le vritable sotrisme , terme qui, la diffrence de tant

    dautres lpoque, ne semblait pas effrayer Corbin. Son uvre [taitaussi] une excellente introduction au point de vue de la mtaphysique pure,

    8 Corbin conclut dailleurs l article cit ci-dessous sur une citation de Gilson danslaquelle il affirme que la prise de contact avec les trsors spirituels de la littraturebmdoue ne pouvait qutre profitable la rnovation du catholicisme.

    9 Buhot, Jean, L Homme et son devenir selon le Vdnta ,Revue des arts asiatiques,Paris, septembre 1 925,n 3 ,2

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    du domaine de rinformel , et il se trouvait bien souvent daccord avec les suggestions si riches qui y [taient] parses . En ce sens, alorsque, dans la premire partie, il avait dnonc toute tyrannie dun ordre spirituel a priori dans la mesure o tous ceux qui [taient alors] proposs[taient] entachs de relativit et de contingence 1Z, il avanait quil nentait plus de mme si lon arrivait, travers leur expression variable, lconnaissance des principes euxmmes . Pour toutes ces raisons, Corbifiestimait que ceux qui, sans tre des spcialistes, taient proccups par laquestion de lapport potentiel de lOrient, contracteraient] le lire unegrosse dette intellectuelle (nous soulignons). On peut supposer que cettedernire affirmation sappliquait au jeune homme assoiff de vrit quilavait t, hypothse que tendra confirmer une rflexion plus tardive surce que devait tre le vrai gunonien (supra).

    Nanmoins, cette reconnaissance de dette sonnait aussi comme uneprise de distance. Ainsi, selon Corbin, la solution du dbat OrientOcci-dent ne consistait pas trancher entre deux termes exclusifs. Elle rsidaitdans un change rciproque qui devait conduire une synthse harmo-nieuse. Cette position se distinguait de celle de Gpnon selon laquellelOrient traditionnel reprsentait laxe dont lOccident moderne tait unedviation. La voie de salut pour lintellectualit europenne ne passait

    pas exclusivement par une rgnration orientale mme si l entente avecceluil tait importante pour ladhsion la connaissance pure . Cor-bin ne pouvait partager sa critique acerbe de toute philosophie occiden-tale [...] et des mthodes scientifiques europennes . Il entendait resterattentif au dveloppement de la philosophie, attitude qui devait cependant,selon Nasr, tre inflchie par son approfondissement de la mtaphysiqueislamique.1213 Ainsi, selon Daryush Shayegan, Corbin ne rest[a] pas captifdun systme antioccidental comme Gunon pour n y voir que lesprit d

    Malin luvre. Il ne se f[it] pas rfractaire aux mouvements de lapense .14 En ce sens, le jeune Corbin engageait tudier Spinoza etSchelling pour prparer l approche des doctrines orientales. linverse deGunon selon lequel les peuples latins taient en Occident les moinsavancs dans la dviation moderne, il appelait pour rpondre aux exigeaces intellectuelles du temps se tourner vers la nation de lhommefaustique .

    12. D insistait sur la ncessit en matire de vie spirituelle de refuser tout systme doctn- nal ou rituel pr-tabli mais de raliser une synthse personnelle constamment renouvele.13. Nasr, Hossein, L Islam traditionnel face au monde moderne, Lausanne, lge

    dHomme, 1993, p. 182.14. Shayegan, Daryus,op. c it .,p. 22.

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    Cette affinit avec le monde germanique allait lui permettre dappro-fondir, la fin des annes vingt et au cours des annes trente, les pensesdu protestantisme quil avait ralli. Corbin sintressa alors autant laidologie et notamment celle du jeune Luther quil avait dcouverteaux cours de Jean Baruzi15 quaux grandes figures de la thosophie

    traditionnelle tels Jacob Boehme16 ou, plus tard, Emmanuel Sweden-borg, le seul doctiste de cette famille spirituelle.17 Corbin, on peut lenoter, utilisera tout au long de son uvre ce terme de thosophie pourdsigner lsotrisme islamique dont il se sentait proche.18 Il est certainque cette orientation intellectuelle allait lloigner de Gunon qui, selonses mots, navait aucun ami en Allemagne et qui avait toujours stigmatisle protestantisme comme tant lun des principaux symptmes puis fac-teurs de la dviation moderne . Contrairement ce quavanaient cer-

    tains de ses correspondants, il lui paraissait douteux que la Rforme ait puconstituer une tentative de redressement de lglise aprs les checs detentatives internes. Dailleurs, le protestantisme ne pouvait tre mis sur unpied dgalit avec le catholicisme et lorthodoxie parce quil navaitaucune unit doctrinale. Nanmoins, en dehors de ses exposs consacrsaux phases de la dviation moderne, forcment schmatiques par leurdegr de gnralit, Gunon nuanait sa position.19 Les apparencesextrieures pouvaient recouvrir des choses bien diffrentes et certains

    indices pouvaient laisser penser quil y avait certainement protestants etprotestants . Pour claircir la question du Protestantisme, il lui semblaitimportant de savoir quand avait t introduite laffirmation du libreexamen qui avait ouvert la porte toutes les dviationsindividualistes .

    Il sinterrogeait aussi sur la prsence dun certain sotrisme au seindes milieux protestants. lorigine mme du mouvement, il voquait

    lhypothse de liens de Luther avec le Rosicrucisme par le biais de laMili-ta Crucifer Evangelica.On pouvait, dautre part, noter dans le protestan-tisme, depuis le seizime sicle, la prsence dun nombre assez

    15. Gunon avait rencontr ce dernier.

    16. Notons queLe Voile d Isis,dj sous l influence doctrinale de Gunon, consacra sonaumro davril 1930 cet auteur. Mais celui-l ny participa pas. Corbin a pu approfondir la doctrine de ce dernier grce la thse de son ami Alexandre Koyr (La Philosophie deacob Boehme, Paris, Vrin, 1929) qui sjourna par ailleurs au Caire dans les annes trente.

    17. Faivre, Antoine, La Question dun sotrisme compar des religions du Livre , Henry Corbin et le comparatisme spirituel,Actes du colloque du G.E.S.C., Milan, Arch, 1999, (p. 89-120), p, .93.

    18. Massignon a peut-tre hrit lusage de c e terme de son disciple. Nanmoins, il sem

    ble lemployer dans des contextes divers pour dsigner indistinctement tout sotrisme ouxxultisme.

    19. Lettres Denys Roman du 31 juillet 1948, du 14 mai et du 11 novembre 1949.

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    considrables dinitis authentiques .20 Gunon pensait probablement id des grandes figures de la thosophie quil avait pris soin, ds 1921, de distin-guer du thosophisme ce dont, nous lavons voqu, Corbin lui &tgr. Il caractrisait la Thosophie comme un ensemble de doctrines assez

    diverses, mais appartenant cependant toutes un mme type, ou du mteprocdant d un mme ensemble de tendances [...] . Ces doctrines avaient,selon lui, pour traits communs et fondamentaux dtre des conceptions,

    plus ou moins strictement sotriques, dinspiration religieuse ou mmemystique, bien que dun mysticisme un peu spcial sans doute, et serclamant dune tradition tout occidentale, dont la base [tait] toujours, sousune forme ou sous une autre, le Christianisme .21 Cette dfinition de 11thosophie tait dautant plus intressante que lui ferait cho celle quil don-nerait plus tard des doctrines sotriques de la Perse islamique (supra) ltude desquelles Corbin allait se vouer.

    la fin des annes vingt, son intrt pour la pense philosophiquelavait, en effet, conduit faire une rencontre dterminante. Pour rpondreaux questions rptes de son lve sur les rapports entre mystique et philo-sophie, Massignon avait offert Corbin ldition deHikmat al-Ishraq(quil

    devait traduire parLa Thosophie Orientale) de Suhrawardi.22 Cette figurede la Perse islamique allait jouer dans sa vie un rle un peu similaire celuidHallaj pour le destin de son matre. Dans les annes trente, comme il lefaisait alors pour Heidegger, quelques annes avant Andr Prau, Corbincommena en donner des traductions. En 1939, il publia une premiremonographie sur la vie et luvre du thosophe persan.23 Il ralisa cetravail dans un tat desprit proche de celui de Gunon, Bosco ou Jnger24

    20. Cela pouvait-il sexpliquer dans une certaine mesure, par l hostilit croissanteautorits catholiques lgard de tout sotrisme? . D fallait nanmoins reconnatrecertains, comme Jacob Boehme, avaient t aussi en butte bien des perscutions dansleur propre glise .

    21 Le Thosophisme,Paris, Valois, 1921, p. 6. Antoine Faivre a dfini ce courant dansAccs de l'sotrisme occidental,t. U, Paris, Gallimard, 1996, p. 52-54.

    22. Contrairement une affirmation rcente, il ne semble donc pas que ce soient * sesamitis chiites qui aient incit Corbin conjoindre dangereusement philosophie et exprience mystique , mais au contraire son questionnement sur les rapports de la philosophieavec la mystique qui l aient men, par le biais de M assignon, Sohrawardi. Cest dans cette

    perspective quil a prsent le chiisme lOccident mettant ainsi laccent sut les dveloppements philosophiques. Des travaux rcents sur le chiisme originel en dvoile un visagebien diffrent.

    23. Suhrawardi d Alep, fondateur de la doctrine illuminative (ishrq),Paris, Maisonneuve, 48 p. D en rendit compte lui-mme sous le pseudonyme de S. Cyrille dans :Herms.Bruxelles, n 3, novembre 1939, p. 125.

    24 . ce propos voir Accait, Xavier, Le Sylvain rouge , Barthelet, Philippe (dir.),ErnstJnger,Lausanne, lge dHomme, 2000 , p. 500-506.

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    la mme poque comme en tmoigne la prface du numro dHermscon-

    sacre la mystique islamique :

    La composition de ce cahier a t projete et ralise en un temps qui

    figurera sans doute comme ayant t le temps de la crainte, mais qui, pour

    quelquesuns du moins, aura t le temps du refus. Le refus des tnbres,du glissement dans le gouffre, o devrait sabmer, comme un souci

    drisoire au regard de luniversel Anantir, le souci dvoquer de pures

    formes spirituelles. Plus que jamais nous sommes persuads de l minente

    actualit de ce cahier si inactuel [...] Que lon se rappelle les terribles

    invasions mongoles au ProcheOrient, l poque mme o crivaient et

    mditaient quelquesunes des personnes reprsentes ou voques ici.

    Dans la tempte qui secoue notre Europe, que cela nous conduise assu-

    rer, comme euxmmes l ont assure jadis, la persistance des motifs spiri-tuels par lesquels seuls, travers et contre toutes les crises, lhomme

    trouve son chemin vers la Lumire, vers lUnique.25

    Divergence dinterprtation des doctrines orientales

    Parti en mission Istambul pour rechercher fin ddition des uvres

    (le Suhrawardi26, Corbin sy trouva bloqu durant toute la dure des hosti-

    lit. Coup des dbats philosophiques occidentaux, il simmergea pleine-ment dans luvre du thosophe persan. En 1947, au sortir de la guerre,

    alors que Corbin avait enfin dcouvert la terre dIran (septembre 1945),

    Gunon rendit compte de ltude sur Suhrawardi parue en 1939.27 Sil

    avait apprci la partie proprement historique [...] consciencieusement

    faite et donn[ant] un bon aperu de sa vie et de ses uvres , il lui repro-

    chait de navoir pas su faire :

    la distinction entre cette doctrine ishrqiyah, qui ne se rattache

    aucune silsilah rgulire, et le vritable taawwuf; il est bien hasard dedire, sur la foi de quelques similitudes extrieures, que Suhraward est

    laits la ligne d ElHallj ; et il ne faudrait assurment pas prendre la

    lettre la parole d un de ses admirateurs le dsignant comme le matre de

    linstant, car de telles expressions sont souvent employes ainsi dune

    faon toute hyperbolique. Sans doute, il a d tre influenc dans une cer

    25.Herms, op. cit.,p.5-6 (prface date doctobre 1939).

    26. Remarquons que Gunon partit au Caire pour rechercher des textes soufis qui devaienttre ensuite publis dans la maison ddition Vg. Il faut ajouter que la collection Tradition

    ch? Gallimard devait aussi comporter ldition de textes traditionnels . Il semble quil

    y .ait l un projet de Gunon qui ne se soit jamais ralis.

    27. Gunon, Ren, Compte rendu de 1947 de Henry Corbin, Suhrawardi d'Alep, fondateur de la doctrine illuminative (ishrq), Aperus sur l'sotrisme islamique et letapisme,Paris, Gallimard, 1973, p. 143-4. Gunon avait dj voqu la doctrine ishrqiyahdans lestudes traditionnelles, en 1940, p. 166-168.

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    taine mesure par le taawwuf,mais, au fond, il semble bien stre inspir

    dides noplatoniciennes quil a revtues dune forme islamique, et cst

    pourquoi sa doctrine est gnralement regarde comme ne relevant vrita-

    blement que de la philosophie; mais les orientalistes ontils jamais pu

    comprendre la diffrence profonde qui spare le taawwuf de toute

    philosophie?

    Corbin connaissait la diffrence entre la philosophie critique par les

    soufis comme un rationalisme limitatif et la mtaphysique du soufisme

    quil rapprocha luimme plus tard de la mystique spculative . Selon

    lui, elle correspondait celle existant entre la certitude rsultant dun.'

    connaissance thorique (ilm al-yaqin)et la certitude dune vrit person-

    nellement ralise (haqq al-yaqin).n Nanmoins, la doctrine ishraqi

    ntait pas, selon lui, simple philosophie. Conjoignant mthode soufie etexigence de la connaissance pure, elle tait la philosophie ce que le sou-

    fisme tait au qalam(scolastique dialectique de lislam). Plus encore, loi

    dy voir une forme infrieure de la spiritualit islamique, il la considrait

    comme une des plus minentes. Il reconnaissait que Suhrawardi ne se rat-

    tachait aucune silsila rgulire , mais cela ne remettait pas en cause la

    valeur de ses uvres spirituelles. Selon Corbin, les modalits du rattache-

    ment initiatique en milieu chiite tait, en effet, diffrent du modle pr-

    sent comme normal par Gunon (dans des crits postrieurs soninstallation au Caire). Pour comprendre cette distinction, il faut revenir

    leur conception respective de cette diffrence entre sunnite et chiite.

    Selon Gunon, le soufisme tait lsotrisme de lislam. H existait ds

    lorigine comme en tmoignaient, dune part, les coles arabes se recora

    mandant dAbu Bakr, dpositaire de la science secrte du Prophte,

    dautre part, les coles persanes se recommandant dAli.2829 Cette division

    entre sunnites et chiites tait, par ailleurs, selon lui, loin d avoir la rigueur

    quon lui attribuait en Occident.30 Si Sunnites, Chiites et Khawarij se dif-

    frenciaient principalement sur la question des modalits du Califat, il y

    avait tellement de nuances et de degrs quil [tait] peu prs impossi-

    ble dtablir des dlimitations nettes . Sil tait vrai que la plupart des

    28. Les dveloppements de ce paragraphe sur les thses de l'orientaliste sont essentielle

    ment tires de . Corbin, Henry,Histoire de la philosophie islamique, Paris, Gallimard, 1986,p. 152-4, p. 263-9, p. 298-302, p. 391-2 ( l n! d. 1964 et 1974). Nous les utilisons ici bieo

    quelles soient postrieures ce compte rendu. Il faudrait prciser si Corbin stait dj for

    ge cette opinion ou s il l a dveloppe, en partie, en rponse l attaque de Gunon.

    29. Gunon, Ren, Compte rendu de : Gobineau, J.A. (comte de).Les Religions et lesPhilosophies dans l'Asie centrale,Paris, G. Crs et Cie, 1928,427 p. , Vient de paratre,1929, p. 380-381. (Ce long compte rendu a t curieusement repris dans Les tudes SWl hindouismeo il est signal tre paru dans le Voile d Isis...)

    30. D lavait affirm ds VIntroduction gnrale ltude des doctrines hindoues(Trtfa-niel, Paris, 1987, p. 55).

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    finuj - cestdire des sectes htrodoxes taient sortis du Chiisme, cedernier navait rien dhtrodoxe en tant que tel.31 Gunon allait mme

    jusgu crire que, en un certain sens, tous les Musulmans [taient] plusou moins chiites .32 Corbin considrait, pour sa part, que le soufisme entant que tel ntait quune forme drive de lsotrisme islamique. Lori-

    gine en tait la gnose chiite dont il stait spar un moment donn,repentant sur le Prophte seul les attributs de lImam. Le chiisme tait parluimme la voie spirituelle, la tarika.Si la socit chiite ntait pasune socit dinitis (cela lui aurait sembl contradictoire avec la notiond'initiation), elle constituait un milieu virtuellement initiatique. Par ladvotion aux saints Imams, le chiite tait prdispos recevoir deux cetteinitiation qui le reliait verticalement, par un lien direct et personnel, aumonde spirituel. la diffrence du sunnite, le chiite navait donc pasbesoin dentrer formellement dans une tarika rgulire .33 Certainsmatres en taient dailleurs vertus critiquer lorganisation congrgauonnelle du soufisme, le cheikh tendant, selon eux, se substituer lImam cach, unique matre et guide intrieur. H faut noter que Gunonavait aussi envisag cette possibilit dinitiation relle en dehors dunechane rgulire . Le rattachement celleci ntait que limage ter-restre dune affiliation Khidr, une silsilahintrieure. Le matre visible

    [tant] le substitut et le mdiateur [du] Matre temel des bndictions .34Le rgent du centre spirituel (lImam) avait toujours la possibilit deprocder un rattachement par exemple par lintermdiaire dun adepte en dehors des conditions ordinaires de temps et de lieu .

    Nanmoins, selon Gunon, ces cas rendus ncessaires par des circonstan-ces particulirement dfavorables linitiation ne pouvaient devenir lavoix normale et rgulire du rattachement initiatique.

    Gunon illustrait cette possibilit exceptionnelle de rattachement par lecas de Jacob Boehme, un thosophe auquel Corbin tait particulirementattach Cette hypothse seule permettait de comprendre des vnementsmystrieux de son existence telle la visite du mystrieux personnage.

    31 Lettre Jean Reyor du 29 juillet 1932.32 Dans le compte rendu prcit de Gobineau. Cette assertion non-dveloppe est

    dautant plus intressante quil data lui-mme, peu aprs son arrive en gypte, un de sesarticles les plus nigmatiques : Seyidna El-Hussein, 10 moharram 1349 H. (anniversairede la bataille de Kerbela) ( Et-Tawhid , Voile d Isis,juillet 1930, p. 512-6).

    13. Selon Luc Benoist, Corbin avait tort de croire que certaines formes dinitiation non lies des organisations visibles nexistaient quen islam chiite. Il sagissait au contraire 'ian fait trs gnral. Benoist, Luc, Compte rendu de Histoire de la philosophie islamique,Tome I : Des origines la mort d Averros (Gallimard, 1964), tudes traditionnelles, n188, mars-avril 1965, p. 94.

    34 Benoist, Luc, LImagination dans le soufisme ( propos du livre de M. Corbin) ,tudes traditionnelles,n 344, juillet-aot 1959, p. 149-169.

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    Comme lillustrait ce cas, il dcoulait nanmoins un inconvnient de ce type

    de rattachement. Liniti risquait de navoir pas clairement conscience de lia

    vritable nature de ce quil avait reu et de prsenter ainsi une ressemblance

    extrieure avec les mystiques. Cest ainsi que lon avait pu prendre Boehme

    pour un mystique.35 Il est intressant de mettre cette remarque en relation

    avec la dfinition que Gunon avait donne des doctrines thosophiques.Endpit de la distinction si tranche quil exposerait plus tard entre sotrisme

    et mystique, il les considrait comme relevant de conceptions plus O

    moins strictement sotriques, dinspiration religieuse ou mme mystique *

    (1921). Or, quelques annes plus tard, toujours avant son dpart au Caire, il

    voyait la principale diffrence entre les coles du soufisme arabe et les co-

    les persanes en ce que, dans ces dernires, l sotrisme revftait] une

    forme plus mystique , au sens que ce mot a pris en Occident, tandis que,

    dans les premires, il demeurfait] plus purement intellectuelle etmtaphysique .36 On peut noter, par consquent, que les tudes de Corbifl

    sinscrivait dans des aires spirituelles qui se prtaient mal aux distinctions

    tranches opres par Gunon.

    Ce dernier, qui avait par ailleurs contest lexplication de ces

    particularits de lIslam en Perse par finis sorte de survivance du

    Mazdisme 37, faisait, dans son compte rendu critique, des rserves sur

    cette ide singulire selon laquelle toute anglologie tir[ait] forcmentson origine du Mazdisme .38 Il renvoyait ce propos un article dont il ne

    donnait pas le titre. Il s agissait probablement de Monothisme et

    anglologie dans lequel Boehme tait amplement cit.39 Dans ce texte,.

    35. Voir Gunon, Ren, Aperus sur l initiation, Paris, ditions Traditionnelles, 1985( l rc dition 1946), p. 69-70 ; et du mme :Initiation et ralisation spirituelle,Paris, ditionsTraditionnelles, 1967 (lte dition 1952), p. 57-8. Gunon avait conseill Gaston George!dabandonner Boehme, dont lobscurit le droutait, et de se tourner vers doctrines orient-

    les beaucoup plus claires (Georgel, G., Compte rendu de : Faivre, Antoine,L sotrisme au18e sicle ...,Etudes traditionnelles,n 442, mars-avril 1974, p 91).36 Gunon, Ren, Compte rendu de : Gobineau... ,op.cit.37. Gunon, Ren, Compte rendu de Gobineau... , op cit. En dcembre 1946, il

    admettait dans un compte rendu (tudes traditionnelles, p.464) que la fte deNo Rozconstituait une sorte de survivance dlments de la tradition mazdenne. Mais il ajoutait quelletait compltement teinte en Perse et quil s agissait dans ce cas de rsidus dtourns dans-un sens parodique

    38. Notons nanmoins une certaine analogie entre les approches de ces auteurs de la tradition du Graal. Elle est perue dans les deux cas comm e la jonction dune tradition od-

    europenne (le druidisme dans un cas et le mazdisme de lautre) avec une religion abrhainique (le christianisme dans un cas et lislam dans lautre).39.tudes traditionnelles,oct.-nov. 1946, repris dans :Mlanges,Paris, Gallimard, 1976,

    p.26-30. H abordait des questions que Corbin dvelopperait amplement dans le Paradoxdu monothismeetNcessit de l anglologie.(Ces textes sont inclus dans : Corbin, Hejjry,Le Paradoxe du monothisme,Paris, LHeme, 1981 avecDe la thologie comme antidotedu nihilisme).

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    Guenon dnonait cette thse diffusionniste solidaire dune attitude

    riJuetionniste tendant considrer les hirarchies angliques comme

    des ides, au sens moderne et psychologique du terme. Il est difficile

    daffirmer que Gunon adressait ce reproche Corbin. Si cela tait, il

    sagissait dun mauvais procs. Lorientaliste insisterait, en effet, par la

    suite, sur lexistence positive du monde imaginai.40 H se distingueraitainsi de Jung, dont Gunon se mfiait tant, en prcisant quil

    manqujait] encore au psychologue occidental de disposer de cette

    aisise [...] mtaphysique qui assure ontologiquement la fonction de ce

    monde mdiateur... .41 Luc Benoist ne ritrerait dailleurs pas cette

    critique lorsquil rendrait compte, en 1965, de Terre cleste et corps de

    rsurrection.42 Ainsi, Gunon et des attitudes trs diffrentes envers

    ls jeunes savants que furent Eliade et Corbin. Il mnagea le premier

    dans ses comptes rendus pour lencourager affirmer ce quil croyaittre sa pense en dpit des contraintes universitaires43, alors quil criti-

    qua trs durement un ouvrage que le second avait publi avant la rup

    mre de la guerre. Cela sexplique probablement par le fait quil tait

    alors convaincu de la proximit dEliade avec la perspective tradition-

    nelle, alors quil dt considrer Corbin comme le disciple de Louis

    lifesignon avec lequel les relations taient particulirement tendues en

    cette anne 1947.44 La conclusion de son compte rendu tait cet gard

    loquente :

    Enfin, bien que ceci nait en somme quune importance secon-

    daire, nous nous demandons pourquoi M. Corbin a prouv le

    besoin d imiter, tel point quon pourrait s y mprendre, le style

    compliqu et passablement obscur de M. Massignon.

    Cette critique svre nincita probablement pas Corbin tablir un

    dialogue avec Gunon qui devait disparatre aux premiers jours de

    40 Frdrick Tristan notait en 1977 : Gunon a constamment insist sur cette origine

    :caihumaine [de la Tradition primordiale], et il convient dy insister encore, tant on voit

    d^ntiiropologues ns de Jung dclarer que les traditions sont issues de l inconscient colle-

    '.it'vdes archtypes propres l humanit et autres calembredaines de la mme eau. La notion

    i'imaginaichre Henry Corbin nest pas exempte de cette critique mais elle a, du moins,SS mrite daccorder une mmoire commune l homme et aux anges - ce dont Gunon ne

    S S serait point gauss , lui dont lessentiel de son propos est contenu dans lestats multiplesHel tre. (Tristan, Frdrick, Extraits de journal , Sigaud, Pierre-Marie (Dir.).Ren

    tion,Lausanne, LAge dHomme, 1984).41 Cit par Shayegan, Daryush,op. cit.,p. 30-33.42. Louvrage traite de langlologie mazdenne dans ses rapports homologues avec

    i attglologie islamique. Benoist, Luc, Compte rendu de Terre cleste et corps de rsurrec-lim (Buchet-Chastel, 1960),tudes traditionnelles,n 387, janv.-fv. 1965, p. 43.

    43 Lettre Pierre Pulby du 11 fvrier 1949.

    44. Accart, Xavier, Feu et diamant ,op. cit.,p. 293 et p. 307.

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    lanne 1951. Elle lencouragea au contraire dcocher certains traits

    lencontre de ce quil appelait l cole traditionnelle .45

    Cependant, la fin des annes cinquante et au cours des aimes soixante,

    Les tudes traditionnelles accueillirent son uvre, nonobstant quelques

    rserves, avec un intrt certain. Corbin, pour sa part, connaissait vraisembla-blement le travail prcurseur de traduction et dinterprtation des doctrines

    du soufisme, en gnral, et des crits dIbn Arabi, en particulier, ralis par

    ses rdacteurs. Si Michel Vlsan poursuivait ses tudes dans la revue, Tito

    Burckhardt avait publi, ds 1951, un ouvrage sur le soufisme dans une col-

    lection dirige par Jean Herbert et dont Massignon avait encourag la cra-

    tion.46 Dailleurs, Hossein Nasr, proche collaborateur de Corbin,

    frquenterait de prs ces milieux comme en tmoigne, dans son ouvrage sur

    UIslam traditionnel face au monde moderne, le portrait de lislamologueSuisse, portrait qui suit immdiatement ceux de Corbin et de Massignon.47

    Ces tudes sur le soufisme ntant pas chose courante lpoque, louvrage

    de Corbin sur Ibn Arabi fut salu par les tudes traditionnelles.On aurait pupenser que Titus Burkhardt ou Michel Vlsan se chargeraient de cette recen-

    sion. Nanmoins, la rflexion que Corbin menait sur le monde intermdiaire,

    o les ides prennent forme, o sorganisent les langues, o naissent les

    images [...] 48, retint lattention de l auteur de La Cuisine des angesf9L Imagination cratrice dans le soufisme d Ibn Arabilui inspira ainsi un longarticle o il poursuivait sa rflexion sur l expression, lart et la Beaut Lue

    Benoist, malgr quelques rserves, devait rester trs attentif aux tudes de cet

    universitaire qui, chose rare, os[ait] parler dsotrisme et de spiritualit .

    Il trouvait ses livres attachant par [leur] point de vue spirituel 50 et ses tu-

    des trs clairantes sur une tradition en gnral nglige . Cest ainsi quil

    rendit compte par la suite de trois autres de ses ouvrages.51 Pourtant Corbin.

    45. Corbin, H.,En Islam iranien,T. 4, Paris, Gallimard, 1991 ( Ie d 1972), p 121 loccasion dune critique de Teilhard par Schuon. Une des rares fois, o il cite lun de ss mtaphysiciens .

    46. Burckhardt, Titus,Du Soufisme,Alger, d. Messerschmitt, Lyon, Paul d. Derani,19 51 ,75 p. (fascicule I de la collection). Il devait tre dvelopp et rdit en 1955 sns.ienom deDoctrines sotriques de l'islam.

    47 . Nasr,op. cit Ajoutons quOsman Yahia, un autre proche collaborateur de Corbin, aimait beaucoup luvre de Gunon , selon le tmoignage dun de ses fils.

    48 . Benoist, Luc, LImagination dans le sou fism e... ,op. cit.,p. 149

    49 . Paris, Edouard Pelletan, 1932, 133 p. (prface de Gabriel Marcel).50. Benoist, Luc, Compte rendu deHistoire de la philosophie islamique, op cit.,p 9451. Ben oist, Luc, LImagination dans le soufisme... , op cit.Lebasquais, Stic

    (pseud.), Compte rendu deL'imagination cratrice dans le soufisme d Ibn Arabi (Flammarion, 1958), Etudes traditionnelles, n 344, juillet-aot 1959, p. 191-2. Benoist, Luc,Compte rendu deL Homme de lumire dans le soufisme iranien. Etudes traditionnelles,h 366-7 , juillet-aot sept.-oct. 1961, p. 254-5. Benoist, Luc, Compte rendu de Terre cleste .,

    op. cit.Benoist, Luc, Compte rendu deHistoire de la philosophie islamique, op. cit

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    corame nous lavons not, ritrait des critiques allusives contre lcole

    traditionnelle . Benoist ne ragit dabord que sous pseudonyme la fin du

    numro dans lequel il avait donn sous son nom sa longue mditation sur

    I imagination cratrice.. .52

    Il fallut attendre la mise en cause de ses interprtations dIbn Arabi par

    un gunoniste nappartenant pas aux milieux des tudes traditionnelles,pouf avoir une prise de position plus explicite de Corbin sur lapproche gu

    noxenne des doctrines islamiques. Un an aprs la mort de Massignon, la

    Revue de mtaphysique et de moralepubliait, en effet, l article dun profes-seur de lIslamic College de l Universit de Karachi dont la conclusion don-

    nait le ton :

    je lui ai port [ Ibn Arabi] une extrme attention et me suis inspir,

    pour ce faire, des livres de Sheikh Abd ul Whd Yahya (Ren Gunon). Si quelque erreur sest glisse dans cette tude, considrezla

    comme mienne et portez au crdit de Sheikh Abd ul Whd Yahya

    tout ce qui est l expression de la vrit.53

    Mohammad Hassan Askari (19191978), avec lequel Michel Vlsan

    entretiendrait par la suite une correspondance54, tentait de caractriser esprit

    occidental et esprit oriental en procdant une comparaison entre deux

    uvres caractristiques : La Sagesse des ProphtesdIbn Arabi et Crainte

    et tremblementsde Kierkegaard. Corbin ragit aux attaques de ce gunonienpakistanais par une lettre au directeur de la revue.55 Il avait voqu trente

    cinq ans plus tt la grosse dette intellectuelle que l on pouvait contracter

    la lecture de Gunon. Il notait ici que cette uvre, laquelle Askari se

    rfrait courageusement , pouvait un moment de la vie, provoquer un

    choc salutaire . Il poursuivait ensuite par un certain nombre de critiques

    rencontre du gunonisme .

    Corbin ragissait dabord en qualit de phnomnologue. Sil est vraique, immerg dans le monde intellectuel chiite, il eut de plus en plus ten-

    dance concevoir le phnomnologue comme celui qui dvoile la vrit

    cache et sotrique56, il insista toujours sur la ncessit de rencontrer les

    52 Lebasquais, Elie,op. cit.Dans le compte rendu tardif mais posi tif de Terre cleste etCorps de rsurrection,Benoist ne fait aucune allusion aux traits relevs par Gabriel Ger-raairfvoir supra).

    53a Askari, Muhammad Hassan, Orient et Occident : Ibn Arabi et Kierkegaard , Revuede mtaphysique et de morale,n 1 Janvier-mars 1963, p. 1-18 (traduit de l ourdou).

    54 Vlsan, Michel, Luvre de Gunon en Orient , tudes traditionnelles,janv.-fv.1969 et Askari, M. H., Tradition et modernisme dans le monde indo-pakistanais , tudes

    traditionnelles,juill -aot 1970 Grison, Pierre, M. H. Askari , tudes traditionnelles,n4fi2,,oct.-dc. 1978, p. 189-190.

    55 Corbin, Henry, Correspondance , Revue de mtaphysique et de morale,n 2,avril-juifl 1963, p. 234-7.

    56, Nasr, Hossein,op. cit.,p. 200.

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    phnomnes l o ils [avaient] lieu et o ils [avaient] leur lieu . Il sagissait

    donc dtudier les textes des grands spirituels qui relataient leurs expriences

    en tentant de laisser se montrer ce qui s[tait] montr eux . Car, contrai-

    rement raffirmation dAskari, les crits dIbn Arabi, par exemple, ntatttil

    pas essentiellement impersonnels et non individuels. Les Rvlations

    reues la Mecquetaient dabord fondes sur ses expriences visionnaires,

    ses intuitions et ses songes les plus personnels. Corbin contestait cette ide

    dune connaissance mtaphysique par lintellect pur, qui ne serait ni men-

    tal, ni humaine . Tous les spirituels de lislam avaient rpt que leau

    [prenait] forcment la coloration du vase qui la contenait] . Ds lors, il

    sagissait de s interroger sur la couleur du vase. Askari ne tenant pas compte

    de cela niait que la connaissance dIbn Arabi ait pu procder de cette facult

    mdiane que Corbin nommait imagination cratrice . Elle procdait, selon

    lui, de ce que lon nommait en Orient aqlet que Gunon, pour en faciliter lacomprhension aux occidentaux, avait appel intuition intellectuelle

    Selon Corbin, cette traduction loin dtre profitable aux occidentaux, faussait

    la comprhension. Elle tait, en effet, rductrice au regard des sens multiples

    que portait ce terme arabe. Devant de telles affirmations, il se demandait si

    Askari avait rellement lu les pages trs denses consacres par Ibn Arabi aux

    aspects de lImagination. Michel Chodkiewcz, loin du schmatisme de

    lauteur pakistanais, devait nanmoins prciser, quelques annes plus tard,

    que Corbin, obsd par le monde imaginai , ne paraissait pas avoirremarqu que, chez Ibn Arabi, la connaissance illuminante la plus parfaite

    se produisait] dans la sphre des intelligibles, des purs esprits exempts de

    matire et de forme. Cest ensuite seulement quelle pren[ait] corps dans

    le alam al-khayal,quelle habit[ait] des images et des mots qui permett[aient]

    de la transmettre ceux qui n [avaient] pas accs cet univers de pure

    lumire .57 Plus gnralement, Corbin affirmait que les spirituels de l'Islam

    taient loin de limiter la source de leur connaissance suprieure au seul aql

    envisag comme intellect pur. Beaucoup de termes techniques indiquaienttout autre chose et ncessitaient la mise en relation du aql avec le qalb (le

    cur). Or, de faon significative, au cours de son tude, Askari navait pas

    une fois fait rfrence ce terme ni celui de marifa qalbiyya,58

    57. Chodkiewicz, Michel, Un Ocan sans rivage, Ibn Arabi, le Livre et la Loi,Pans,Seuil, 1992, p 110.

    58. Cette remarque nest pas sans voquer les rflexions consignes par Frdrick Tristan

    aprs une conversation avec son ami orientaliste : Corbin [tait] un labourant de la vpia

    humide alors que Gunon emprunta la voie sche. Le mot amour napparat gure chezlui qu propos de Dante et de la Fede Santa, mais [ .. .] il tudie longuement la voie du cm

    Son tude sur le chnsme et le cur dans les anciennes marques corporatives, publies daftr>

    Regnabiten 1925, assimile le Cur du Christ au Globe du Monde, ce qui nest pas rient

    Il ajoutait : D ailleurs, par le Graal et le breuvage dimmortalit quil contient, nos deux

    grands matres contemporains se rejoignent [...] . Tristan, Frdrick,op. cit.

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    La mthode de Gunon n avait, d autre part, rien de comparable

    avec l approche phnomnologique de Corbin. Sans forcer l opposition,

    oa peut dire que lorsque Gunon faisait rfrence un texte, c tait

    finalement plus pour tayer l expos de sa doctrine impersonnelle,

    d origine divine, transmise par Rvlation 59 que pour tenter de l en

    extraire. Gunon, bien quayant par ailleurs de solides connaissances

    linguistiques, parlait dautorit. Cest en ce sens que Coomaraswamy,

    en 1943, lavait prsent comme un guru dans une revue internatio-

    nale dhistoire des sciences et des civilisations.60 Corbin n acceptait pas

    cette autorit. Lui qui avait consacr sa vie tudier les doctrines de

    lsotrisme islamique, ne pouvait admettre que le dernier mot [ait]

    t dit dans luvre de Ren Gunon, que linterprtation vraie et

    dfinitive [fut] la sienne .61 En 1960, il avait ainsi prcis ses lec-

    teurs quil utilisait l adjectif traditionnel sans insinuation de quel-que magistre secret et imprcis, dont il arrive aux Occidentaux de

    s'investir dautorit quand ils traitent de ces choses .62 L anne de la

    controverse avec Askari, Gabriel Germain commentait ainsi cette cita-

    tion dans Les Cahiers du Sud : Bonne rponse ces gens de sourcil

    hautain et de langue tranchante qui tiennent tout droit des Pradamites

    le secret des plans divins .63 Cet hellniste de l Universit de Rennes,

    soucieux de vie spirituelle mais attach la rigueur scientifique,

    jouait en effet Corbin contre Gunon. Il refusait dans son autobio-

    graphie spirituelle la notion de Tradition majuscule, originelle et

    universelle, quand on entend parl une doctrine descendue du ciel dun

    seul bloc, une maison de Lorette vhicule par les anges que nous

    daurions plus qu pousseter tous les matins .64 Et il y opposait la

    dmarche de Corbin selon lequel il n y a[vait] pas de syncrtisme

    59 Souvenirs du Dr Grangier du 22 dcembre 1927.

    60 Coomaraswamy, Ananda Kentish, Eastem Wisdom and Western Knowledge ,Isis(iminternational review devoted to the history o f science and civilization),Burlington, Ver-ra6nt, U .S A ., vol. XXXIV, n 96 , printemps 19 43 ,p. 359363.

    Si D notait aussi que l auteur oubliait de rappeler les sources bel et bien occidentalesae Ren Gunon .

    62 Corbin, Henry, Terre cleste et Corps de rsurrection,Paris, Buschet-Chastel, 1960,P 187.

    63 Germain, Gabriel, Henry Corbin et la Gnose iranienne , Les Cahiers du Sud,n171,1963, p. 110.

    64. Prcisons que Germain avait une antipathie intellectuelle profonde pour l uvre de

    Gunon que, de son propre aveu, il ne connaissait pas trs bien. Germain, Gabriel,Le Regardintrieur,ditions du Seuil, Paris, 1968, p. 298-301. Cela ne lempchait pas (p.314, n. 2) de regretter que l on ait pas prt assez d attention La perspective mtaphysique(1959) dei jeorges Vallin. ce propos voir : Accart, Xavier, La notion de Tradition chez F. Bonjean,G Germain et Ph. Guiberteau , confrence donne lEPHE dans le cadre du sminaired'Antoine Faivre en avril 1998 (indit).

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    F

    construire65 [mais] des isomorphismes constater. Oui, des formes

    semblables, ajoutait Germain, parce quelles enveloppent une exp-

    rience foncirement une ;quels que soient ses cheminements et son degr

    de pntration, elle se dirige toujours vers un mme Orient .66

    Cette question du magistre renvoyait la notion dorthodoxieLemploi quen faisait M. Askari tait pour Corbin ambigu. Gunon avait

    insist sur la complmentarit entre sotrisme et exotrisme dans les for*

    mes traditionnelles et sur le respect des prescriptions de lexotrisme

    comme pralable une dmarche initiatique. Askari dfendait en cons-

    quence une orthodoxie si stricte quIbn Arabi navait jamais pu

    crire une ligne en dsaccord avec le Qornet le hadith. Pour Corbin,

    les choses taient plus subtiles. Lapprofondissement du problme fon-

    damental de lexgse spirituelle (tawl) et [d]es rapports entre le zhi(le sens apparent) et le btin(le sens intrieur) pouvait seul permettre de

    comprendre quune certaine orthodoxie suprieure se heurtait parfois I

    une incomprhension de lorthodoxie commune de l Islam. Il y avait

    sousjacente cette remarque, une ligne de fracture entre les deux auteurs.

    On a rappel, plus haut, que Corbin avait .cru pouvoir trouver dans le

    chiisme lsotrisme originelle de lIslam ( il y a lismalisme et rien 67)

    dont le rapport vcu avec la shariat [...] n[tait] pas exactement l

    mme que dans le sunnisme . Comme le notait Luc Benoist, Corbin ten-

    dait y voir une vrit sotrique qui domine la loi et mancipe la reli -

    gion littrale . Il allait mme jusqu sappuyer sur cet sotrisme pour

    condamnei toute orthodoxie, toute religion, tout dogme . Selon Michel

    Chodkiewicz, soucieux de dbusquer un chiite clandestin dans les

    crits dIbn Arabi, ce sunnite dclar , Corbin lavait prsent comme

    celui qui brise les rigidits de la Lettre pour atteindre, par une libre inter-

    prtation sotrique, un tawl, des sens nouveaux de la Rvlation.68Bien que la question de lorthodoxie se pose en termes diffrents dans le

    65 . Cela rappelle une critique mise par Lipsey et cite par Eliade : Il convient de sou

    ligner que Coomaraswamy n'a jamais rien fabriqu qui ressemble un rsum de toutes les

    expressions traditionnelles dune certaine ide, car il pensait que cela ne pouvait conduire

    qu une monstruosit mcanique et sans v ie .. . une sorte despranto religieux. Il procda

    plutt par une mthode comparative, confrontant les formules dune tradition avec celtes

    d une autre, gardant l esprit la probabilit que toutes le s religions aient une source

    commune . Eliade, M.,op. cit.,p. 285.

    66. Nanmoins, Germain prendrait par la suite ses distances avec Corbin. Il crivait aisi Jean Bruno le 28 octobre 1977 . Javais prvenu vertement Corbin que je ne marchais

    pas du tout dans son histoire dordre de chevalerie moderne et son universit Saint Jsan

    de Jrusalem. Sa filiation plus que douteuse la Rose Croix ne me convient pas du tout

    67. Cit par Moncelon, Jean,op. cit.,p. 202.

    68. Chodkiewicz, Michel, Le Sceau des saints,Paris, Gallimard, 1986, p. 15 Chcd

    kiewicz, Michel, Un Ocan sans rivage,op. cit., p. 40.

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    cadre de lglise, il est difficile de ne pas mettre ces positions en rapportavec 1attachment de Corbin au protestantisme. Ainsi, dans un autre con-texte, il avait pu admirer lindpendance de Jung face la perspective duchristianisme traditionnel et, partisan dune religion individuelle,apprci dans saRponse Job la force de l homme seul ttette avec

    la Bible .69 Elie Lebasquais (alias Luc Benoist) souligna ds 1959 cettediffrence essentielle avec les positions de Gunon. Tout sotrisme,selon lui, (rclamait] son complmentaire oblig, lexotrisme, par lequelil (prenait] contact avec le monde manifest .70 Il n y avait pas (lsotrisme sans corollaire extrieur, pas de souffle sans support, pasde sens sans expression , cest pourquoi Tanglisme sduisant ledoctisme auraitil pu peuttre ajouter que l on trouvait encore dansVBigtoire de la philosophie islamique ne p[ouvait] conduire qu une

    ralisation trs alatoire de la vrit .71 linverse de cet anglisme , Corbin, au terme de sa lettre, discer-

    nait dans le gunonisme un dogmatisme unilatral et mortel danslequel refusait de s enliser le vrai gunonien. Nanmoins, cettedernire inflexion peuttre relative la dette intellectuelle noteplus haut, ne laissait pas pour autant l uvre de Gunon hors de cause. Ilsouponnait dabord celuici d avoir intellectualis la qute

    spirituelle 72, ce qui rappelait la critique de son ami Eliade qui avaitdnonc linfluence croissante du rationalisme rigide de Gunon surCoomaraswamy .73 Il y avait donc loin avec le jeune Corbin, peuttrebranl par cette uvre, qui envisageait la possibilit dun ordre spiri-tuel a priori dans la mesure o lon arriverait la connaissance desprincipes euxmmes . Gunon aurait probablement oppos Corbin que

    69, Cit dans G eay, P., op. c it., p. 197. Selon Frdrick Tristan, il tait ainsicaractristique que, parti du protestantisme, Corbin se retrouva en terre chiite alors quissu

    du catholicisme, Gunon opta pour le sunnisme . On peut remarquer encore que le refus de la ncessit du rattachement une chane de transmission humaine peut faire penser larupture de la transmission apostolique dans le Protestantisme.

    79 Lebasquais, Elie,op. cit.Cette position est celle que Gunon exp ose dans Ncessitde 1^totnsme traditionnel , Initiation et ralisation spirituelle, op. cit.,p. 71-76. Charles-Andi* Gillis opposait aux thses de Corbin sur lincompatibilit dune adhsion lsot-nsmeavec celle lexotrisme, inspires selon lui de doctrines ismaliennes extrmistes, leCheikh al-Akbar insistant sur le respect scrupuleux de la Loi islamique et mme sur les pos-sibilhs quelle comportait comme support des ralits dordre initiatiques (GILLIS, CH- A , Compte rendu de Pour une nouvelle chevalerie , tudes traditionnelles, n 441,

    larmot'fvnei 1974, p. 42-45).71 Benoist, Luc, Compte rendu deHistoire de la philosophie islamique, op. cit.7'2, Tristan, Frdrick,op. cit.D poursuit : Je ne doute pas que Gunon aurait suspect

    Cortorlgir en pote, lorsque Corbin l accuse dune logique trop troite [ . . . ]73 Eliade, Mircea, Ananda K. Coomaraswamy et Henry Corbin : propos de la Theo-

    'xphftiperennis (1979),Briser le toit de la maison,Paris, Gallimard, 1986, p. 281-294 (p.286).

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    lorgane de la connaissance mtaphysique tait lintellect pur ouvrant, la

    diffrence de la raison, luniversel. Or, Corbin qui insistait tant sr lanotion dimagination cratrice comme sur la notion d'individualit

    spirituelle , remettait en cause lemploi de cette notion duniversl .Aprs avoir discut la distinction de ce terme avec le gnrt, il

    dnonait le parti pris de luniversel qui amenjait] rduire Vlnttlii-gentia agens un intellect universel, et rduire lHomme Pariait(lAnthropos teleios) un Homme universel . Dans son tude SUT IbnArabi, il avait dj mis en garde contre les prtentions illusoires duneconception de luniversel qui peut satisfaire lintellect pur, mais qui.mesure dans les limites de notre modalit humaine, nous apparat commeun orgueil dmesur et drisoire . Pour Elie Lebasquais, ce qui apparais-sait comme drisoire, c tait de mesurer luniversel dans les limites de la

    modalit humaine .74

    Audel de cette mise en cause allusive de Gunon, dont il estimaitpourtant luvre, il sen prenait au gunonisme. Lorsquil qualifiaitcette disposition d esprit de dogmatisme unilatral et mortel , ilentendait probablement dnoncer lattitude tendant constituer un sys-tme fige partir de luvre de Gunon au dtriment de sa valeur

    dveil. Cette clef dinterprtation une fois acquise, le gunobte

    navait de cesse de transformer les textes spirituels en adquates serru-res. Sur le plan de ltude des civilisations, cela faussait la compr-

    hension de lconomie symbolique et rituelle propre une tradition 75Sur un plan plus intime, cela compromettait la dmarche dhermneuu

    que personnelle la source de la vie spirituelle. Corbin voyait dans cetteattitude un phnomne typiquement occidental quIbn Arabi nauraii

    jamais admis. Le dogmatisme mortel qui en rsultait tait une choseplus grave que ce que lon reprochait aux Occidentaux. Dailleurs, estte

    mtaphysique saccordait trangement avec la mode intellectuelle encours dans les annes soixante dnonant et dvalorisant tout ce qui ressortissait lindividualit personnelle , fuyant dans 1impersonnel etse rfugiant derrire lesprit dorthodoxie . Cette vision de lQl|entConstruite de faon solidaire avec une certaine critique de F Occident

    74. Lebasquais, E.,op. cit.voir aussi Gunon, R., Sur le prtendu orgueil intellectuel .Initiation et ralisation spirituelle,Paris, ditions Traditionnelles, 1952, p. 124-9,

    75. D autres islamologues considrent que l uvre de Gunon - quil faut distinguer dugunonisme - apporte au chercheur un ensemble de principes dont il ne trouvera pasncessairement la mme formulation dans la tradition, la religion o la philosophiequil rudie, mais qui lui permettront de dcouvrir ce dont le sens lui aurait chapp autrement Unlivre commeLe Roi du monde,qui ne comporte que peu dallusions lIslam, permet, parexemple, de donner sens aux indications aussi nombreuses que varies sur la hiiarcbie (spirituelle et sa localisation dans les textes du soufisme . Gril, Denis, op. cit.,p.62.

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    procdait, selon lui, des catgories de la pense occidentale et risquait,

    en dJtture analyse, de nuire la ncessaire comprhension entre Orient

    et Oatadent et duvrer finalement en faveur du nihilisme qui gagnait le

    monde.

    U n e

    lite proprement occidentaleCe nihilisme tait le produit dune crise de civilisation laquelle

    Corbilt dcida de ragir en ralisant notamment, au cours de la dernire

    dcennie de son existence, un projet dont la dclaration de principes

    convergeait sur plusieurs points importants avec l uvre de Gunon.76Suite une catastrophe spirituelle , lOccident traversait une crise

    dramatique. Une science ayant chapp au contrle mtaphysique

    risquait de faire basculer notre humanit dans labme .Or, prcis-

    ment, la cause et le symptme de la crise de notre civilisation tait

    loubli des sciences spirituelles .77 Corbin prcisait quil entendaitparl ce qui rpondait plus gnralement au terme d sotrisme ,

    notion dont Gunon avait eu, selon TrangNi, le mrite de prciser la

    vritable nature. Luimme avait caractris ce terme, trente ans plus

    tard, comme faisant rfrence aux choses caches, suprasensibles, la

    discrtion quellesmmes suggr[aient] lgard de ceux qui, ne les

    comprenant pas, les mpris [aient], et la naissance spirituelle qui, en

    ie tanche, en fai[sait] clore la perception .78 Nanmoins, il entendait se

    dmarquer alors de luvre de Gunon en ajoutant que ce terme

    rftmpliqufait] aucun monopole dun magistre ayant institu dauto

    nt son propre privilge. Corbin avait t amen approfondir ce

    chatQp de recherche au moment o il avait commenc sa participation au

    cercle Eranos, en 1949, deux ans peine avant la mort de Gunon. Cest

    aussi cette poque quil avait souhait relancer avec Eliade la revue

    /xdmoxis.19La publication de textes secrets gnostiques et essniens sus-citaient alors un intrt croissant, dans diffrentes disciplines, pour les

    rituels et les symboles initiatiques.80 Il tudia ainsi Ascona des probl

    7- Corbin, Henry, Sciences traditionnelles et renaissance spirituelle , Cahier de! UmyersitSaint Jean de Jrusalem,Paris, ditions Andr Bonne, n 1,19 75 , p. 25-51 (lanotg de cet article fait rfrence aux Propos sur Ren Gunonde Jean Toumiac).

    7? .Corbin, Henry, Pour une nouvelle chevalerie , Question de,n 1 ,4e trimestre 1973,p iaj-114.

    78 Corbin, Henry, Terre cleste et Corps de rsurrection,Paris, Buschet-Chastel, 1960,p 1| Pour la critique de cette acception voir Faivre, Antoine,op. cit.,p. 97 et suiv.

    Eliade, Mircea, Extraits de journal (23 oct. 1949), Jambet, Christian (dir.j,HenryCorlim, Paris, LHeme, 1981. Coomaraswamy y avait particip. Cest propos de cette -evas que K. Schmidt avait parl Jnger dEliade et de son matre Gunon. Eliade et Junger devait lancer ensemble par la suite un nouvelle revue : Antaos.

    80 Eliade, Mircea,op. cit.

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    mes tels que linitiation et l'hermtisme en Iran, lalchimie de Jbir

    ibn Hayyan, le rituel sabben et lexgse ismalite, le temps cyclique

    dans le mazdisme et lismalisme81 [.. .] . Il insista aussi de pins en

    plus sur l sotrisme hermtique islamique , mettant en vidence les

    analogies avec les mythes mdivaux, les symboles et modles initiati-

    ques , les organisations secrtes de l Occident quil regroupait sous le nomde chevalerie spirituelle .82 Andr Prau pouvait ainsi considrer, en

    1972, que cette contribution ltude de l sotrisme venait, avec

    celle d Eliade, sajouter au travail de Gunon dans ce champ.

    Il sagissait pour Corbin de constituer un foyer qui uvrerait pour la

    restauration de ces hautes sciences . Ce travail soprerait travers une

    lite de chercheurs runis dans un type radicalement nouveau dunver

    sit.83 Le savant devait rompre avec le modle ancien du chercheur chez

    qui lintellectualit se dveloppait] dans lignorance de toutespiritualit . Au contraire, il devait tre la fois homme de savoir et

    homme de dsir, liant intimement vie intellectuelle et recherche spiri-

    tuelle. C est dans cette perspective que fut fonde en 197484 lUniversit

    de SaintJean de Jrusalem (sous le nom de Centre International de

    Recherche Spirituelle Compare ). Se dveloppa ainsi, sous la forme de

    sessions annuelles, un ensemble de recherches que Corbin orchestrait avec

    lide sousjacente de lexistence dune theosophia perennis, entendue

    dabord, la diffrence de la Tradition primordiale, comme le fruit de laperception du monde visionnaire. Il allait mme jusqu voquer, en 1973,

    un cumnisme sotrique .85 Ctait, par ailleurs, le seul quil jugeait

    envisageable car lhermneutique symbolique quil impliquait ne pouvait

    tre indiffremment propose] la masse des croyants . Cette vision

    81. La mme anne Eliade dveloppait la doctrine des cycles hindous o l on remarquai:

    l absence de rfrence l article prcurseur de Gunon ( Quelques remarques sur la doc

    trine des cycles cosmiques ) traduit par Stella Karmisch dans le numro de juin-dcembre

    1937 ddi Coomaraswamy de The Journal of the indian Society o f Oriental Art.

    82. Eliade, M .,op. cit,Il pounait tre intressant de tenter de reprer dans l oeuvredCor-

    bin des emprunts aux textes de Gunon sur Dante, les Fidles dAmour ou les Gardiens

    de la Terre sainte .

    83. Notons que Gunon avait soulign la constitution traditionnelle de l 'Universit

    (Gunon, R., Mentalit scolaire et pseudo-initiation ,Aperus sur l'initiation, PartiKdi

    lions Traditionnelles, 1946, p. 22 0-5).

    84. Selon Antoine Faivre, date qui correspond la date du premier numro des Cellier.

    de T Universit de Saint-Jean de Jrusalem (Berg international). Eliade avance Tsrnc1970. Voir aussi Corbin, Henry, Pour une nouvelle chevalerie ,op. cit.

    85. Corbin, Henry, Pour une nouvelle chevalerie .op. cit.Cet article ne figure pas dan

    la bibliographie du Cahier de l Herne.Connaissant les procds ditoriaux de M Pauwds( ce sujet voir : Accart,Xavier, Against the fai) ofn igh t , morachini, Fabrice (dir

    Pauwels,Lausanne, lAge dHomme, paratre), on peut se demander si la revue avait l'aval

    de Corbin pour publier ce texte dans lequel il se prsente comme un sotriste (p. 102). Char

    les-Andr Gillis l a critiqu avec virulence dans son compte rendu cit plus haut.

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    de I fcatente par llite sapprochait des conceptions de Gunon. Nanmoins,

    sa conception de lhospitalit qui consistait mnager en soimme

    un accueil toutes les formes spirituelles semblait lgrement diffrer de

    celle selon laquelle lentente n tait possible que sur le plan des

    principes . Dautre part, le symbole mystique de ces rencontres tait

    Jrusalem.86 Corbin entendait en effet limiter ses travaux lespace des reli-gions du Livre (Christianisme, mystique juive, islam spirituel.

    Mazdisme, mais aussi Martinzisme, FrancMaonnerie...). Contraire

    mentau cercle Eranos qui, notonsle, avait aussi eu pour Corbin une dimen-

    sion largement extrauniversitaire87, les recherches du CI.R.S.C., au grand

    regret de Mircea Eliade, sarrtaient aux portes de lInde.88 Cette restriction

    apparaissait comme un autre point de divergence avec la perspective de

    GunOn.89 On peut nuancer cette divergence dans la mesure o, dans la der

    mtepriode de sa vie, les tentatives de cration d une lite encourage parGunon sinscrivaient dans ce cadre, et plus particulirement dans celui de

    l'islam ou de la francmaonnerie laquelle Corbin semble s tre intress

    de pris la fin de sa vie. Nanmoins, cela ne doit pas cacher que cette res-

    triction recouvrait chez lislamologue lide quune mtaphysique

    particulire caractrisait les traditions spirituelles occidentales aux-

    quelles appartenaient dans son optique Ibn Arabi ou les persans, mtaphysi-

    que dont ne tenait pas compte les contempteurs de lOccident. Il sagissait

    de l'approfondir pour lopposer au nihilisme qui gagnait le monde et pou-vait sournoisement trouver un alli dans le nondualisme asiatique .

    G*est ainsi que Corbin, un an avant sa mort, lors de son dernier colloque

    en Iran90, contra les thses de son ami Georges Vallin, philosophe compara-

    tiste de lUniversit de Nancy qui avait dcouvert en 19491950 le nondua-

    lisme par la lecture des ouvrages Gunon.91 Cette critique n tait pas

    85 Ainsi, la perspective de Corbin semble dans ce domaine mi-chemin de celle de Gunon U d e celle de Massignon telles que nous les avons mises en vidence dans : Feu et liamant ,op. cit.,p. 305-308 .

    8? Corbin, Henry, Le Temps dEranos , Jambet, Christian (dir.), Henry Corbin, op.cil.., 256-260.

    88 Eliade, Mircea,op. cit.,p. 292.S; Charles-Andr Glllis voyait un lien entre cet usage du terme cumnisme trop

    li une conception exotrique et le fait que Corbin limitait son approche comparatisteaus.jonnes religieuses cest--dire les formes traditionnelles o sapplique la distinctionde .sotrisme et de lexotrisme . Cette limitation lui apparaissant incompatible avec lavritable notion de luniversalit traditionnelle . Gillis,op.cif.,p. 43.

    90, Corbin, Henry, De la thologie apophatique comme antidote du nihilisme (1977),Le Paradoxe du monothisme,Paris, L'H eme, Livre de poche, 1992, p. 175-213. Le thmedu colloque organis par Daryush Shayegan ta it . L impact de la pense occidentale rend-ii possible un dialogue rel entre les c ivilisa tions? .

    91 Borella, Jean, Georges Vallin (1921-1983) ,Ren Gunon,Paris, lHeme, 1985, p.411-5,

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    nouvelle puisque, ds son livre sur Ibn Arabi, il avait accus une certainetradition de conduire une idoltrie mtaphysique en sparant l'|udel de l objet d amour en qui seul, prcisment, il sannonait92Nanmoins, il allait approfondir ces critiques allusives en prenant f|rticontre un article de luniversitaire nancien.93 Celuici y caractrisai la

    pense occidentale comme ayant toujours tendu identifier l'indivi-dualit et les formes individuelles avec le rel. Or, le principe dindividtion tait selon Vallin une mutilation une ngation de ltre vritable,du Soi impersonnel en qui, au contraire, l oriental voyait la seule ralit easiatique? (lments pour une thorie de la philosophie compare) ,Ibid.,n 2, 1978, p157-175.

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    au contraire cet Absolu qui est une tape vers la gnration, la naissance

    ternelle du Dieu personnel . Cette gnration temelle du Dieu person-

    nel tait selon lui larchtype que devait son tour exemplifier lme

    humaine pour accder au rang de personne et remplir ainsi sa fonction

    essentielle qui tait thophanique. La dimension intgrale de la personne

    humaine ne pouvait, selon lui, que

    sachever au terme du processus qui, loin de la reconduire une

    identification illusoire avec un Absolu suprapersonnel, achev[ait]

    en elle le processus par lequel lAbsolu, YAbsconditum, s'[tait]

    luimme engendr comme Personne divine. Car lAbsolu na pas

    de Face; seule la Personne une Face permettant le face face, et

    cest dans ce face face que se noue le pacte de solidarit

    chevaleresque .94Corbin, la suite de Boehme, se rattachait ainsi la famille spirituelle

    de ceux pour qui le but suprme de la Qute nest pas YEns nullo modo

    determinatum(cet tre entirement indtermin idal de lAsie tradi-

    tionnelle) mais au contraire Yens determinatum omni modo(ltre entire-

    ment dtermin) . Cette perspective mtaphysique occidentale tait

    le rempart contre toutes les forces ngatives et nantissantes . Ainsi,

    I antidote la crise de civilisation devait venir, non de lOrient comme

    ravait affirm Gunon, mais de lOccident qui en avait t la cause. Cesteu m sens quil avait interprt ailleurs un apophtegme du Parsifal;

    Seule gurit la blessure, la lance qui la ft .95

    * * *

    Malgr les divergences mises ici en vidence, les influences respecti-

    ves de Gunon et de Corbin se sont souvent conjugues. En France, elles

    sont apparues solidaires un certain nombre dcrivains. Frdrick Tris-

    tan (prix Goncourt 1983) considrait ainsi ces deux hommes, comme les

    ouvriers dune restructuration spirituelle qui avait permis de

    remettre en place ce qui devait l tre et que le modernisme avait

    gar .96 Andr Prau un compagnon intellectuel de Gunon qui fut,

    comme Corbin, traducteur de Heidegger voyait dans L Histoire de la

    philosophie islamiqueun gros soutien luvre de Gunon avec laquelle

    lauteur paraissait bien daccord.97 Leurs approches respectives dIbnm . Op. cit.,p. 212.

    95 Pour une nouvelle chevalerie ,op. cit.,p. 107.

    96 Tristan, Frdrick, Extraits de journal , SIGAUD,Pierre-Marie (Dir.),Ren Gu-

    non,Paris, l Age dHomme, Paris, 1984, p. 206. Dans le mme volume, Michel Le Bris

    compare brivement les deux uvres (p. 221).

    97 Lettre de Prau Pierre Pulby du 24 dcembre 1972.

    199

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    Arabi, ou du moins, dans le cas de Gunon, celle de ses continuateurs,allaient aussi essaimer de concert dans le domaine de lislamologiecomme en tmoigne, par exemple, l Ibn Arabi Society . Fonde enGrande-Bretagne et aujourdhui prsente aux tats-Unis, elle reut, selonHossein Nasr, son inspiration des uvres conjugues de Corbin et deBurckhardt.98 Cette influence croise sexercerait enfin dans le mondeislamique et plus particulirement en Iran. La lecture de luvre de Gti-non avait dcid un certain nombre dtudiants rentrer au pays peurapprofondir la tradition de leurs pres.99 En marge du clivage opposentthologiens traditionnels et tenants de la modernisation, ils constiturentlessentiel du groupe form autour de Corbin dans les annes soixanteLapport conjugu des deux auteurs joua dailleurs probablement un tAlc

    dans la cration du terreau intellectuel sur lequel fleurirait la rvolutionkhomeiniste, mme si cette rlaboration politique de la tradition iranienne devait tre bien loin de lesprit de leurs uvres, comme le montrerait notamment lhostilit des autorits envers les confrries spirituellesCorbin devait cependant dcder avant la ralisation de cette terreur parfaitement moderne , selon le mot de Victor NGuyen, de la mme faonque Massignon avait t rappel Dieu lanne de la signature des accordsdvian et Gunon avant lavnement du nationalism arabe en gyptr

    Xavier Accan

    98. Nasr, H osse in, Henry Corbin (190 3-1 978 ) Souvenirs et rflexions soninfluence intellectuelle vingt ans aprs , Caron, Richard (Dir),sotrisme, gnose etimag;naire symbolique : mlanges offerts Antoine Faivre,Peeters, Louvain, Belgique, p 783-796.

    99. Shayegan, Daryus,Henry Corbin. La topographie de lislammystique, Parts, L Diffrence, 1990, p. 25. Plus rcemment, dans le cadre du sminaire de Pierre Lory (P1H.E5e Section), puis dans le dernier colloque Politica Hermetica, Mark Sedgwicq a reontrvlinfluence de luvie de Gunon et de celle de Schuon en Iran.