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238 lu pour vous chirurgicale. Il faut donc se poser la question de l’intérêt de l’interruption systématique de l’aspirine et c’est une véritable évo- lution des pratiques qu’il faut constater. Une large étude prospec- tive randomisée en double aveugle (PHRC national) est en cours actuellement en France (étude Stratagem, Pr Jean Mantz) qui vise à comparer les résultats de la poursuite de l’aspirine (75 mg) ou de son interruption (placebo) pendant les 10 jours préopératoires. Le critère principal est combiné, associant complications thrombo- tiques, complications hémorragiques et décès. On notera, tout de même, qu’il est bien question ici d’aspirine et non pas de thieno- pyridine (clopidogrel, ticlopidine). Ces derniers antiplaquettaires, donnés de plus en plus fréquemment (notamment le clopidogrel), chez des patients porteurs de stents coronaires ou chez des patients coronariens instables, ont été peu évalués en périopéra- toire. On a pu établir que le clopidogrel majorait le saignement des patients déjà traités par aspirine en chirurgie cardiaque et dans un certain nombre d’autres situations cliniques mais les données sont beaucoup plus parcellaires qu’avec l’aspirine. La substitution d’une bithérapie par aspirine-clopidogrel est sûrement beaucoup plus difficile à envisager, Elle a été encore moins évaluée que celle de l’aspirine. En particulier, le problème des patients porteurs d’une endoprothèse coronaire active fait l’objet de toute l’atten- tion des équipes cardiologiques et anesthésiques depuis quelques années, en raison des multiplications de la pose de ces stents et du risque vital (50 % de mortalité par infarctus après thrombose de stent), en cas d’arrêt prématuré de cette bithérapie. En conclusion, si l’idée initiale de cet article était bonne et vali- dait un concept largement utilisé en clinique avec d’autres AINS, il est finalement assez difficile d’utiliser ces agents en périopéra- toire, et l’on pourrait même s’interroger sur une possible majora- tion du risque thrombotique… Emmanuel Marret, Hôpital Tenon, Paris. Accidents vasculaires cérébraux périopératoires : le point de vue nord-américain Perioperative stroke Selim Magdy. N Engl J Med 2007;356:706-13. Après avoir lu l’article récent de Nicolas Bruder, paru dans le numéro 2-2007 du Praticien en Anesthésie Réanimation, (Bruder N, Gallula JJ. Évaluation et prise en charge d’un retard de réveil après anesthésie. Prat Anesth Réanim 2007;11:122-9) le comité édito- rial du New England Journal of Medicine a sans doute pensé qu’une mise au point sur les accidents vasculaires cérébraux périopératoi- res s’imposait ! Ce point de vue nord-américain nous est donné par une neurologue de Boston et il est intéressant de le mettre en parallèle avec celui de l’article précédent qui émane d’une équipe d’anesthésie. Magdy Selim souligne tout d’abord la rareté de cette complica- tion en dehors du contexte de la chirurgie cardiaque. Dans ce contexte bien particulier, la principale cause d’AVC est la surve- nue d’embolies (retrouvées dans 62 % des cas) qui surviennent avec une distribution bimodale : environ 45 % sont observées durant le premier jour suivant la chirurgie, et les 55 % restants durant le reste du temps d’hospitalisation. Les accidents préco- ces sont attribués aux manipulations du cœur et de l’aorte, et les accidents plus tardifs à des troubles du rythme (fibrillation auri- culaire), à la survenue d’infarctus ou à une hypercoagulabilité. Une hypotension artérielle ne jouerait en revanche qu’un rôle accessoire. Des microembolies peropératoires sont également incriminées, parmi d’autres facteurs, dans les perturbations des fonctions cognitives parfois observées après chirurgie cardiaque sous CEC. Le risque d’AVC périopératoire peut être stratifié en fonction de différents facteurs. Ce travail de prédiction a été mené par le Northern New England Cardiovascular Study Group et validé sur 33 062 patients consécutifs soumis à un pontage aortocoronaire. Les facteurs de risque sont l’âge, le sexe féminin, une fraction d’éjection < 40 %, une pathologie vasculaire associée, un diabète, une insuffisance rénale (créatininémie > 177 μ mol/L) et un geste chirurgical associé. En fonction du nombre de facteurs présents, le risque peut être stratifié et le risque d’AVC est de 0,4 % si le score est < 1 et > 10 % si le score est > 12. Le risque d’AVC est bien entendu élevé en cas de sténose caroti- dienne serrée. Chez les patients ayant des lésions carotidiennes et coronaires, une chirurgie en un temps est grevée d’une morbi- mortalité plus lourde qu’une approche séparée de chacun des pro- blèmes, en traitant d’abord les lésions coronaires puis les lésions carotidiennes (l’inverse conduit à une surmorbidité sauf cas parti- culiers, comme des lésions carotidiennes serrées bilatérales par exemple). Quoi qu’il en soit, il convient d’évaluer précisément les lésions carotidiennes et leurs répercussions (échoDoppler, IRM) avant la chirurgie cardiaque). La présence d’un athérome aortique est un facteur de risque important d’embolies peropératoires. L’échographie transœsopha- gienne permet d’en préciser l’étendue, pour éviter de poser le clamp aortique sur la plaque d’athérome. Le risque de fibrillation auriculaire transitoire est élevé chez les patients ayant subi un pontage aortocoronaire sous CEC. L’American College of Chest Physicians recommande d’envisager une hépa-

Accidents vasculaires cérébraux périopératoires : le point de vue nord-américain

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chirurgicale. Il faut donc se poser la question de l’intérêt del’interruption systématique de l’aspirine et c’est une véritable évo-lution des pratiques qu’il faut constater. Une large étude prospec-tive randomisée en double aveugle (PHRC national) est en coursactuellement en France (étude Stratagem, Pr Jean Mantz) qui viseà comparer les résultats de la poursuite de l’aspirine (75 mg) oude son interruption (placebo) pendant les 10 jours préopératoires.Le critère principal est combiné, associant complications thrombo-tiques, complications hémorragiques et décès. On notera, tout demême, qu’il est bien question ici d’aspirine et non pas de thieno-pyridine (clopidogrel, ticlopidine). Ces derniers antiplaquettaires,donnés de plus en plus fréquemment (notamment le clopidogrel),chez des patients porteurs de stents coronaires ou chez despatients coronariens instables, ont été peu évalués en périopéra-toire. On a pu établir que le clopidogrel majorait le saignement despatients déjà traités par aspirine en chirurgie cardiaque et dans uncertain nombre d’autres situations cliniques mais les donnéessont beaucoup plus parcellaires qu’avec l’aspirine. La substitutiond’une bithérapie par aspirine-clopidogrel est sûrement beaucoupplus difficile à envisager, Elle a été encore moins évaluée que cellede l’aspirine. En particulier, le problème des patients porteursd’une endoprothèse coronaire active fait l’objet de toute l’atten-tion des équipes cardiologiques et anesthésiques depuis quelquesannées, en raison des multiplications de la pose de ces stents et durisque vital (50 % de mortalité par infarctus après thrombose destent), en cas d’arrêt prématuré de cette bithérapie.En conclusion, si l’idée initiale de cet article était bonne et vali-dait un concept largement utilisé en clinique avec d’autres AINS,il est finalement assez difficile d’utiliser ces agents en périopéra-toire, et l’on pourrait même s’interroger sur une possible majora-tion du risque thrombotique…

Emmanuel Marret,

Hôpital Tenon, Paris.

Accidents vasculaires cérébraux périopératoires : le point de vue nord-américain

Perioperative stroke

Selim Magdy. N Engl J Med 2007;356:706-13.

Après avoir lu l’article récent de Nicolas Bruder, paru dans lenuméro 2-2007 du

Praticien en Anesthésie Réanimation,

(Bruder N,Gallula JJ. Évaluation et prise en charge d’un retard de réveil aprèsanesthésie. Prat Anesth Réanim 2007;11:122-9) le comité édito-rial du

New England Journal of Medicine

a sans doute pensé qu’une

mise au point sur les accidents vasculaires cérébraux périopératoi-res s’imposait ! Ce point de vue nord-américain nous est donnépar une neurologue de Boston et il est intéressant de le mettre enparallèle avec celui de l’article précédent qui émane d’une équiped’anesthésie.Magdy Selim souligne tout d’abord la rareté de cette complica-tion en dehors du contexte de la chirurgie cardiaque. Dans cecontexte bien particulier, la principale cause d’AVC est la surve-nue d’embolies (retrouvées dans 62 % des cas) qui surviennentavec une distribution bimodale : environ 45 % sont observéesdurant le premier jour suivant la chirurgie, et les 55 % restantsdurant le reste du temps d’hospitalisation. Les accidents préco-ces sont attribués aux manipulations du cœur et de l’aorte, et lesaccidents plus tardifs à des troubles du rythme (fibrillation auri-culaire), à la survenue d’infarctus ou à une hypercoagulabilité.Une hypotension artérielle ne jouerait en revanche qu’un rôleaccessoire. Des microembolies peropératoires sont égalementincriminées, parmi d’autres facteurs, dans les perturbations desfonctions cognitives parfois observées après chirurgie cardiaquesous CEC.Le risque d’AVC périopératoire peut être stratifié en fonction dedifférents facteurs. Ce travail de prédiction a été mené par leNorthern New England Cardiovascular Study Group et validé sur33 062 patients consécutifs soumis à un pontage aortocoronaire.Les facteurs de risque sont l’âge, le sexe féminin, une fractiond’éjection < 40 %, une pathologie vasculaire associée, un diabète,une insuffisance rénale (créatininémie > 177 

μ

mol/L) et un gestechirurgical associé. En fonction du nombre de facteurs présents, lerisque peut être stratifié et le risque d’AVC est de 0,4 % si le scoreest < 1 et > 10 % si le score est > 12.Le risque d’AVC est bien entendu élevé en cas de sténose caroti-dienne serrée. Chez les patients ayant des lésions carotidienneset coronaires, une chirurgie en un temps est grevée d’une morbi-mortalité plus lourde qu’une approche séparée de chacun des pro-blèmes, en traitant d’abord les lésions coronaires puis les lésionscarotidiennes (l’inverse conduit à une surmorbidité sauf cas parti-culiers, comme des lésions carotidiennes serrées bilatérales parexemple). Quoi qu’il en soit, il convient d’évaluer précisément leslésions carotidiennes et leurs répercussions (échoDoppler, IRM)avant la chirurgie cardiaque).La présence d’un athérome aortique est un facteur de risqueimportant d’embolies peropératoires. L’échographie transœsopha-gienne permet d’en préciser l’étendue, pour éviter de poser leclamp aortique sur la plaque d’athérome.Le risque de fibrillation auriculaire transitoire est élevé chez lespatients ayant subi un pontage aortocoronaire sous CEC. L’AmericanCollege of Chest Physicians recommande d’envisager une hépa-

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rinothérapie chez les patients à risque élevé tels que ceux quiont des antécédents d’AVC ou d’accident ischémique transi-toire, avec possibilité d’AC par FA en postopératoire, et la pour-suite du traitement durant un mois après le retour en rythmesinusal.

L’arrêt des antivitamines K ou des agents antiplaquettaires avantla chirurgie majore le risque d’AVC. Le risque est de 0,6 % lorsqueles antiantivitamines K ne sont pas relayés par l’héparine. L’inci-dence des hémorragies majeures chez les patients opérés sousantivitamines K est de 0,2 % pour la chirurgie dentaire et de 0 %pour la chirurgie de la cataracte, l’endoscopie digestive haute, lacolonoscopie avec ou sans biopsie et l’arthrocenthèse. Dans lescas où la chirurgie impose un arrêt des anticoagulants, le délaid’interruption doit être le plus court possible, notamment chez lespatients à risque thromboembolique élevé (valves mécaniques, ACpar FA, antécédents d’embolie).

Enfin, parmi les autres facteurs contrôlables susceptibles d’abaisserle risque thromboembolique, on peut citer l’hypothermie, l’hyper-glycémie et les états septiques.

Francis Bonnet,

Hôpital Tenon,Paris.

Protocoles anesthésiques et analgésiques en ambulatoire

Sous la direction de Duflo Frédéric, Gentili Marc, Paqueron Xavier. Arnette Paris 2007, 156 pages.

L’anesthésie ambulatoire se développe de plus en plus car ellerépond à de nouveaux impératifs économiques. La chirurgieambulatoire nécessite une adaptation des techniques anesthési-ques dont l’efficacité et la réversibilité doivent assurer la récupé-ration rapide des capacités du patient, et donc la reprise de sonautonomie. Il convient de réfléchir sur les techniques les plusadaptées et les moins invasives en fonction des gestes chirurgi-caux pratiqués, d’autant que ces gestes ont eux-mêmes évoluépour permettre aux patients une reprise plus rapide de leur acti-vité. Cette réflexion doit s’étendre à la période postopératoireet notamment à la prévention des symptômes (douleur, nausées etvomissements…) qui pourraient compromettre le processus enconduisant à la réhospitalisation des patients.

L’ouvrage édité sous la direction de Xavier Paqueron, Marc Gentili,et Frédéric Duflo se place effectivement sur un plan techniquepour proposer, en fonction des procédures chirurgicales, une sériede techniques anesthésiques qui pourraient être les plus adaptéesà la situation. Cet ouvrage, extrêmement pratique, se présente

sous forme de fiches ou de protocoles qui abordent les spécificitésdu per- et du postopératoire de chacune des situations ren-contrées dans le cadre ambulatoire. Il comble ainsi un manque liéau fait que la quasi-totalité des manuels qui ont abordé le pro-blème de l’anesthésie ambulatoire se sont jusqu’à présent placéssous l’angle de l’organisation des soins plus que sous celui de laprise en charge des problèmes médicaux spécifiques. Enfin, entant qu’ouvrage pratique, il répond à un besoin réel et doit fairepartie des références que l’on doit pouvoir rapidement consulterdans chaque structure ambulatoire.

Francis Bonnet,

Hôpital Tenon, Paris.

L’âge du capitaine !

Surgeon age and operative mortality in the united states

Waljee JF, Greenfiel LJ, Dimick JB, Birkmeyer JD. Ann Surg 2006;244:353-62.

L’âge du capitaine interfère-t-il sur la marche du navire ? Cettequestion, souvent évoquée, concerne cette fois-ci les chirurgiensnord-américains et leur niveau de performance. Les auteurs ontrelevé la mortalité périopératoire (à l’hôpital et dans les 30 pre-miers jours postopératoires) dans une cohorte de 461 000 patientsopérés entre 1998 et 1999 de 8 interventions différentes (pon-tage coronaire, anévrisme de l’aorte abdominale, remplacementde la valve aortique, endartériectomie carotidienne, pancréatecto-mie, œsophagectomie, résection pulmonaire et cystectomie). Lamortalité opératoire a été corrélée à l’âge des opérateurs répartisen quatre groupes : 40 ans, 41-50 ans, 51-60 ans et plus de60 ans, ainsi qu’à leur volume d’activité. Les interventions concer-nées nécessitaient de multiples anastomoses et requéraient doncun grand degré de précision. Le postulat était que les praticiensles plus âgés pouvaient être handicapés par une tendance à moinsintégrer les nouvelles stratégies thérapeutiques (difficultécognitivo-comportementale) (1). Les recherches tendent égale-ment à montrer une diminution de la dextérité manuelle, de laforce et de la vision spatiale, ainsi que la capacité à maintenir sonattention, avec l’âge (2).

En fait, les résultats ont montré peu de différence entre les groupesd’âges différents, même si les opérateurs plus âgés avaient logique-ment un volume d’activité plus faible : les différences pertinentesapparaissaient essentiellement dans le groupe des chirurgiens deplus de 60 ans avec une activité plus faible par rapport au groupe41-50 ans pour trois interventions : la pancréatectomie, l’endar-